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Revue française d'économie

L'ambivalence de l'argent
Monsieur Michel Aglietta

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Aglietta Michel. L'ambivalence de l'argent. In: Revue française d'économie, volume 3, n°3, 1988. pp. 87-133;

doi : https://doi.org/10.3406/rfeco.1988.1186

https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1988_num_3_3_1186

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Résumé
La monnaie est au centre de science économique. et insaisissable, c'est la mauvaise conscience de
cette discipline qui ne parvient pas à achever son établissant une économie pure. Pour donner à la
monnaie toute importance, il faut abandonner démarche naturaliste qui exposer les lois d'une réelle,
fondée sur l'équilibre. Il poser d'emblée que l'économie peut être que monétaire et s'interroger sur la
nature du lien social qu'est la monnaie. On peut alors établir une proposition théorique centrale : la
monnaie est le mode de socialisation des sujets économiques sous la forme de Г auto-organisation.
Seul intermédiaire de l'échange marchand, la monnaie est complètement objectivée. Cette abstraction
absolue du lien social rend possible le désir d'argent. La préférence pour la liquidité est une quête
d'une impossible extériorité par rapport à l'échange qui est la seule manière pour eux d'acquérir une
identité sociale. De là découle l'ambivalence de l'argent, source de toutes les crises monétaires. Cette
logique paradoxale, qui est propre aux phénomènes d'auto-organisation, peut être conjurée par
l'instrumentation de la contrainte monétaire. L'organisation de la monnaie se cristallise dans une
armature institutionnelle. La confiance collective dans la monnaie s'exprime dans une hiérarchie
d'institutions. opérationnelle de cette pour la régulation de marchande peut être appréhendée
définissant des régimes monétaires. C'est le concept pertinent pour étudier la cohérence de monétaire
qui s'oppose à d'équilibre, lequel est pertinent économie pure. La pluralité des régimes monétaires
ouvre la voie à l'étude des transformations historiques de la monnaie.

Abstract
Money is the cornerstone of economic science. In order to show the real importance of money, it is
necessary to consider at first that an economy can only be monetary and to investigate on the nature of
the social link represented by money. It will eventually lead us to a central theoretical proposition :
money is the mean of socialization of economic subjects in the shape of self-organization. As the only
intermediary of market exchanges, money is totally considered as an object. This absolute abstraction
of the social link makes possible the desire of money. The preference for liquidity is a search of an
impossible exteriority to exchange which is the only way for people to reach social identity. This
paradoxical logic, particular to self-organization systems, can be prevented by monetary regulation.
The organization of money is possible through institutions. These institutions reflect the trust of people
in money. The effeciency of this organization as far as regulation of market economy is concerned
might be ana- lysed through the study of systems. It is the right tool to test coherence of monetary
economy, opposition to the paradigm of equilibrium which is usefull in real economy. The diversity of
monetary systems makes possible the study historical changes in money.
Michel

AGLIETTA

L'ambivalence

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88 Michel Aglietta

Notre quidam pourrait n'être pas découragé par ce


premier échec. Il finirait peut être par découvrir qu'il existe
une petite chapelle d'économistes qui s'appellent eux-
mêmes des monétaristes. Il va enfin recevoir une réponse
à son interrogation sur la nature de la monnaie. Son éton-
nement se changera sûrement en stupéfaction. On va lui
dire que la monnaie n'est pas vraiment différente des
autres biens économiques. C'est une marchandise qui a
un prix. Cependant on ne peut déterminer
économiquement son offre ; elle est exogène. Elle n'a pas d'effet
durable sur l'économie dite réelle ; elle est neutre à long terme.
On lui concède une influence transitoire ; mais elle serait
imputable à une insuffisance de rationalité des individus
ou à une imperfection des marchés. En somme la monnaie
serait un pis aller, un moyen de transférer du pouvoir
d'achat dans le temps, parce que les marchés ne sont pas
assez sophistiqués pour permettre aux individus de
s'assurer contractuellement contre toutes les contingences qui
pourraient survenir. Us vont donc demander les quantités
qu'ils jugent bon de détenir de cette marchandise
particulière qui ne sert que de réserve de valeur. Ainsi le
problème de la monnaie se réduirait-il à une question de
quantité : faire que l'offre soit adéquate à la demande
totale exprimée par les agents économiques.
Ce discours est loin de rendre compte
complètement des pratiques monétaires. On se prend à douter
qu'il soit pertinent pour nous éclairer sur l'argent. On ne
peut manifestement pas dire que la monnaie est utile et
rare comme les biens économiques. Comment peut-elle
transférer de la valeur dans le temps ? Si l'on répond que
c'est grâce à la confiance, encore faudrait-il comprendre
d'où cette confiance provient. Cette interrogation est
d'autant moins innocente qu'il y a bien des exemples
historiques de rejet de la monnaie. On ne peut donc pas s'en
tirer en postulant que la monnaie existe, qu'elle fait tout
Michel Aglietta 89

simplement partie du monde où nous vivons et qu'il suffit


d'étudier comment elle fonctionne. Le pourquoi est aussi
important que le comment si l'on veut saisir les crises
monétaires et découvrir le sens des transformations
historiques des systèmes monétaires. La qualité prime sur la
quantité, la validité sur la valeur, lorsqu'on recherche la
nature de la monnaie.
Mais le fonctionnement lui-même ne va pas de
soi. On ne saurait se contenter de la conception purement
quantitativiste. Tout le monde sait que la pratique
monétaire, c'est d'abord et avant tout le paiement. Or le
paiement est un acte sans signification dans le modèle le
mieux développé de l'économie, évoqué par Hahn. En
outre, si l'on parvient à donner une signification au
paiement, quel rapport cet acte, qui est mouvement de la
monnaie, entretient-il avec la liquidité, qui est détention
et conservation ? La monnaie ne serait-elle pas une réalité
contradictoire, ou mieux ambivalente, en ce sens que les
formes sous lesquelles on la trouve peuvent être en
discordance ? L'art de diriger la monnaie, pas seulement de
la gérer, n'est-il pas de percevoir les situations critiques
où ces discordances menacent d'éclater et de les réduire ?
Ces questions doivent nous persuader que l'étude
de la monnaie n'est pas périphérique en économie. Au
contraire, c'est la conception même du marché, c'est
l'objet de la science économique, ce sont ses postulats
fondamentaux qui sont en cause. D'ailleurs J. Schumpeter
[1954], le plus grand historien de la pensée économique,
ne s'y était pas trompé : « L'analyse réelle procède du
principe que tous les phénomènes essentiels de la vie
économique peuvent être décrits en termes de biens et de
services, de décisions qui les concernent et des relations
qui les unissent... L'analyse monétaire introduit la notion
de monnaie à la fondation même de nos structures
analytiques et abandonne l'idée que tous les traits essentiels
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de la vie économique peuvent être représentés par un


modèle de troc. » Cette réflexion a été faite il y a une
quarantaine d'années. Pourtant ce n'est que dans les dix
dernières années que la théorie économique s'est engagée
dans un aggiornamento concernant l'importance de la
monnaie qui pourrait bien aboutir à une révolution dans
cette discipline. Car ce n'est que récemment que l'on
dispose du concept adéquat pour définir théoriquement la
monnaie dans l'économie de marché généralisée qui est
l'objet de la science économique. Ce concept est l'auto-
organisation. Son importance est soulignée avec force par
A. Orléan [1987] : «... La question de la monnaie
fiduciaire est absolument générale. C'est l'enjeu de
comprendre comment des règles sociales peuvent s'établir
et continuer à fonctionner dans des sociétés dominées par
une idéologie individualiste. De telles sociétés sont
paradoxales dans la mesure où elles se donnent elles-mêmes
pour but, non pas leur propre reproduction, comme les
sociétés holistes, mais l'épanouissement de l'individu.
Ainsi le paradoxe de la monnaie n'est-il rien d'autre que
le paradoxe créé par la conception individualiste de la
société comme auto-organisation. »
En nous plaçant dans cette perspective, nous
allons tenter d'exposer les fondements de l'économie
monétaire par opposition à ceux, naturalistes, d'une
économie purement réelle qui juxtapose la monnaie par
l'expédient d'une hypothèse ad hoc sur l'incomplétude des
marchés. Puis nous en tirerons des conséquences pour
interprêter l'organisation et les transformations de la
monnaie.

Les fondements de la monnaie

Le choix théorique est présenté d'une manière tranchée


par J. Cartelier [1985] : « L'approche monétaire et l'ap-
Michel Aglietta 91

proche réelle sont en elles-mêmes des démarches


complètes et auto-suffisantes, en ce sens que leurs points
de départ respectifs — la nomenclature des biens d'une
part et l'existence de la monnaie d'autre part —
permettent d'apporter des réponses à la question fondamentale
de la nature de la société économique... La recherche
d'une synthèse entre les deux approches, bien loin d'être
un idéal scientifique, serait alors tout à fait illusoire et
s'opposerait même à l'approfondissement d'une réflexion
alternative à la théorie dominante, dont l'approche
monétaire semble seule offrir une expression théorique ». Il
importe donc d'avoir une perception claire de ces points
de départ, car ils conditionnent les types de résultats visés
par les deux approches, leurs programmes de recherche
n'étant pas de même nature.
L'équilibre général walrasien, la bible de
l'approche réelle, est le dernier avatar de l'âge classique. Il
suppose une transparence totale du système économique.
En effet, il postule que cela a un sens de se donner la
position initiale de tous les sujets économiques (leurs
structures de préférence à l'égard de la nomenclature des
biens et leurs dotations initiales). Le Secrétaire de
Marché, l'équivalent économique du démon de Laplace,
peut calculer les prix d'équilibre, en sorte que l'état final
de tous les sujets est entièrement connu. Cette position
épistémologique est homologue à celle de la physique
classique qui postulait la possibilité de définir entièrement
la position et la vitesse initiales des éléments du système
et de décrire complètement la dynamique. Dans les deux
cas le temps est entièrement réversible ; il n'y a aucune
place pour un passé et pour un futur. Les trois exigences
logiques qui sont requises pour penser théoriquement la
transformation d'un système sont absentes, à savoir
l'irréversibilité, l'apparition du nouveau, le fait que les
événements soient signifiants, c'est-à-dire capables de donner
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à des systèmes une cohérence globale différente de celle


qui était en vigueur avant leur apparition. Le fondement
monétaire de l'économie apporte ces exigences logiques.
A contrario, la transparence est irrémédiablement perdue.
Il devient impossible de calculer un équilibre, c'est-à-dire
de connaître l'état de tous les sujets de l'économie. C'est
donc la notion même de réalité économique qui doit être
reconsidérée lorsqu'on prend la monnaie au sérieux.
La physique est sortie de l'âge classique avant
l'économie. Elle a admis qu'il était impossible d'avoir une
connaissance déterministe d'un système au niveau
microscopique. L'indéterminisme qui s'attache à la connaissance
microscopique n'est pas dû seulement à l'imperfection des
informations sur le système. Il découle d'une incertitude
radicale, c'est-à-dire intrinsèque et infranchissable, en ce
sens que l'information nécessaire pour la surmonter
devrait être infinie. Elle n'appartient qu'à Dieu ! Il y a
donc un divorce entre les niveaux d'appréhension de la
réalité. Ce n'est qu'au niveau macroscopique que l'on
peut observer des lois sous la forme de régularités
statistiques. Ces régularités elles-mêmes sont loin de s'imposer
toujours. La physique découvre que des systèmes peuvent
être structurellement instables sans se désagréger. Ils
changent de régimes en franchissant des seuils critiques.
Bifurcations, structures dissipatives, attracteurs fractals,
sont des notions qui permettent de comprendre
théoriquement l'histoire d'un système.
Si elle prétend se fonder sur la monnaie, la
science économique doit aussi accomplir cette révolution
epistemologie. L'incertitude radicale dans la connaissance
du niveau micro-économique est le mode d'appréhension
de la société marchande qui donne à la monnaie son
fondement. Elle doit être recherchée au cœur même de la
réalité, c'est-à-dire dans la socialisation des sujets
économiques. La proposition théorique centrale est la suivante :
Michel Aglietta 93

la monnaie est le mode de socialisation des sujets sous la


forme de l'auto-organisation. Dans cette perspective, la
réalité n'est pas décrite par un équilibre général des biens
et des services. Ni leur nombre, ni leur qualité, ni
l'attitude des sujets à leur égard ne peuvent être connus et
définis a priori. La réalité économique s'observe et se
décrit sous la forme de régimes monétaires.

La monnaie et la socialisation des sujets


Chacun sait que le rapport élémentaire de l'économie est
l'échange marchand. Mais l'essentiel est sa position
théorique dans la socialisation des sujets. Que peut-on dire du
sujet économique avant l'échange marchand ? L'approche
naturaliste répond : tout ! L'approche monétaire répond :
rien ! Dans la première conception on sait déjà ce qu'est
un sujet économique avant qu'il y ait échange (il s'agit,
bien entendu, d'une antériorité logique). Dans la seconde
c'est l'échange qui constitue le sujet. On peut dessiner les
figures de ces manières de penser la socialisation des
sujets économiques (voir annexe 1).
On comprend bien pourquoi l'option naturaliste
n'a que faire de la monnaie. L'échange n'est pas
représenté comme un rapport intersubjectif. Les sujets
économiques n'entretiennent jamais aucune relation directe
(première figure de l'annexe 1). C'est pourquoi ils sont
englobés dans une interdépendance qu'ils prennent pour
une réalité objective sur laquelle ils n'ont aucune
influence. Mais pour parvenir à cette singulière
représentation de l'interdépendance, une interdépendance sans
interaction active entre les sujets, il faut nier le sujet que
l'on prétend faire souverain. Il faut, en effet, supposer
que les désirs des sujets sont immédiatement objectifs. Ce
sont des données exogènes de la nature qui confèrent aux
biens leur rareté et leur utilité pour les sujets, avant que
tout échange n'ait lieu. La question cruciale du caractère
94 Michel Aglietta

économique des objets est évacuée avant tout échange par


le coup de force du présupposé naturaliste. L'échange ne
fait que redistribuer des quantités entre les sujets.
Comment une conception aussi naïve du désir
des sujets et de la rareté des objets est-elle possible ? Par
le positivisme méthodologique qui est caractéristique de
la démarche classique. La rareté a un double aspect :
exacerbation du désir et difficulté à transformer la nature.
Les sociétés holistes le savaient bien qui enchaînaient
étroitement le désir dans le réseau serré de leurs rites, de
leurs interdits et de leurs obligations. Traitant socialement
le premier aspect, ces sociétés organisaient collectivement
le second selon des modes de production où la rareté
n'apparaissait jamais comme une valeur économique,
support d'un calcul individuel. L'individualisme, au
contraire, déchaîne les rivalités concurentielles parce qu'il
donne libre cours à la rareté qualitative qui est le produit
des interactions subjectives. L'accroissement des
ressources exacerbe les désirs et augmente absolument la
rareté. L'idée classique refoule complètement cette
dimension de la rareté pour établir sa conception de
l'économie pure. Elle pose une rareté quantitative en tant que
limite objective de la nature. Cela implique de
présupposer la nomenclature des objets (évacuation de la
qualité) et de se donner le montant des ressources dont
dispose la société (évacuation de la rareté absolue et
affirmation exclusive de la rareté relative).
Tout cela est bel et bon. Mais on ne peut ainsi
rendre compte des traits les plus visibles des sociétés
marchandes : la quête d'une richesse illimitée et sans contenu
prédéfini en termes de biens et services, le désir d'argent
pour lui-même en tant que potentialité indéfinie, la forme
monétaire de tout échange. Pour ce faire, il faut mettre
l'échange à l'origine : au commencement ne sont pas des
sujets déjà munis de préférences objectives, au com-
Michel Aglietta 95

mencement est l'échange. Le désir n'est pas désir de


surmonter l'obstacle d'une rareté naturelle ; il est désir
d'échanger, c'est-à-dire acquisition d'une identité de sujet
économique en entrant en relation directe avec autrui.
Telle est l'hypothèse fondamentale sur laquelle on peut
bâtir la théorie d'une économie monétaire.
On doit alors affronter le problème de l'intersub-
jectivité, comme l'indique la deuxième figure de
l'annexe 1. Car le problème le plus épineux dans cette
approche est de comprendre comment un désir purement
subjectif peut s'objectiver dans une relation d'échange
socialement reconnue. C'est le problème auquel l'auto-
organisation apporte la réponse la plus satisfaisante.
Considérons deux individus qui cherchent à
entrer en relation. Ils sont porteurs d'objets. Mais ce ne
sont pas encore des objets économiques ; ce ne sont que
des prolongements des subjectivités. Ils indiquent
toutefois l'orientation du désir. Le sujet A exprime le désir de
b possédé par В parce que cet objet lui est extérieur. C'est
l'émergence d'une relation qui lui est absolument
nécessaire pour acquérir une identité sociale. Il rencontre
l'obstacle, non pas d'une rareté naturelle, mais de В parce que
celui-ci ne peut pas jouer le rôle d'un réfèrent social. Il
est soumis à la même quête d'identité que A et oriente
son désir vers a. Dans ces conditions le rapport d'échange
est indéterminé, parce que l'échange est un processus
auto-référentiel. En effet, si l'on adoptait la démarche
naturaliste, on devrait dire que le rapport d'échange est
donné par l'intensité relative des désirs de A pour b et
de В pour a. Mais cela n'a aucune signification ici où a
et b ne sont que des supports des subjectivités A et B. La
formation du rapport d'échange entre dans un jeu de
miroir résultant d'une spéculation croisée.
L'intensité du désir de A pour b dépend de ce
que A suppute être l'intensité du désir de В pour a. Mais
96 Michel Aglietta

cette dernière dépend de ce que В pense de la supputation


de A de son propre désir pour a ; et ainsi de suite. Le
processus d'anticipations reflexives n'a pas de solution.
On retrouve la raison de l'indéterminisme déjà signalé.
Seule une information infinie permettrait à chaque
individu de connaître l'ensemble des possibilités de réactions
de son double à ses propres anticipations et, par
conséquent, de calculer un rapport d'échange qui deviendrait
objectif pour les deux sujets. L'impossibilité d'une telle
information interdit la formation du rapport d'échange,
donc empêche la socialisation des sujets.
Il semblerait que la considération d'un grand
nombre de subjectivités n'est pas faite pour arranger les
choses. Elle ne permet certainement pas d'aboutir à une
solution de type naturaliste. On ne saurait définir un
équilibre général. On peut cependant aboutir à une solution
déjà indiquée par Marx, quoiqu'en termes obscurs parce
que mélangés à des hypothèses naturalistes. Cette
solution, c'est la monnaie. Elle est illustrée par la troisième
figure de l'annexe 1.
L'indétermination du processus auto-référentiel
analysé ci-dessus provient de ce qu'il ne parvient pas à
former une extériorité sociale vis-à-vis des subjectivités
individuelles. Pourtant la théorie de l'auto-organisation
montre que des solutions existent. L'intersubjectivité peut
extérioriser des formes sociales. Mais c'est un résultat
inintentionnel de l'interaction de subjectivités
nombreuses par polarisation des anticipations. Ce processus
est très général. Il engendre les « valeurs » collectives dans
les sociétés individualistes. Il procède par abstraction qui
consiste à dissocier la relation en tant que telle, pure
forme sociale, des objets sur lesquels porte cette relation.
En quelque sorte, la relation à l'état pur est la classe de
toutes les relations possibles entre les individus qui
désirent échanger. En s'objectivant, cette forme acquiert une
Michel Aglietta 97

extériorité qui lui donne une fonction médiatrice,


rompant la symétrie spéculaire des subjectivités. Ainsi la
monnaie est-elle la forme pure de l'échange marchand,
indifférente aux objets échangeables et comme telle capable
de médiatiser tous les échanges. C'est une
auto-organisation parce que cette entité collective n'est nullement
transcendante vis-à-vis des relations intersubjectives. Elle
est l'abstraction de l'agrégat des échanges qui fonctionne
comme médiateur des échanges particuliers. C'est ce qui
permet de considérer la monnaie comme une convention
sociale.
Il devient possible de décrire la socialisation des
sujets économiques dans une économie monétaire,
conformément à l'élaboration de С Benetti et J. Cartellier
[1980]. Chaque individu fait en unités monétaires une
évaluation privée des objets qu'il destine à l'échange. Bien
entendu, ces évaluations ne sont pas compatibles et ne
sont pas socialement reconnues. Mais elles sont commen-
surables, puisqu'elles sont exprimées dans une même
monnaie de compte qui, elle, est socialement instituée.
Elles sont, en outre, en voie d'objectivation, parce qu'en
contre-partie les possesseurs de ces objets obtiennent des
avances de monnaie de la part de l'institution monétaire.
Grâce à ces avances, les sujets économiques en voie de
socialisation peuvent entrer en relations directes. En effet,
la symétrie des subjectivités est rompue. Un échangiste
proposant un objet à l'échange n'entre en relation qu'avec
un possesseur de monnaie, c'est-à-dire, non pas un
double, mais un individu qui est pour le vendeur un
réfèrent social. Car l'acheteur a en mains la monnaie, c'est-à-
dire le médiateur homogène de n'importe quel échange.
C'est pourquoi les échanges marchands sont des
paiements. La monnaie qui rend tous les échanges
possibles peut être appelée communauté de paiements. Au
sein de la communauté de paiements, chaque paiement
98 Michel Aglietta

particulier est une épreuve de vérité pour le vendeur.


C'est la confrontation entre sa propre évaluation de ce
qu'il propose à la vente et celle que la société, représentée
par les acheteurs anonymes, lui reconnaît. C'est bien sûr
cette dernière qui est la loi des échanges. Elle confère aux
objets vendus une valeur économique exprimée en
monnaie. Mais le plus important est la manière dont se fait la
socialisation des sujets. La concurrence n'est pas parfaite,
elle est réelle! Chaque sujet suppute dans son évaluation
ce que sera la demande effective s'adressant à ses
produits. Mais les échanges ont lieu séquentiellement dans la
discordance des désirs de vente. Cette discordance se
traduit objectivement dans les comptes des sujets privés.
L'existence d'excédents et de déficits entre les recettes et
les dépenses des comptes individuels est l'expression
sociale des rivalités concurrentielles. Le réseau des
échanges n'est pas un système circulairement fermé. Dans
cette ouverture nécessaire se trouve l'expression
théorique des contradictions de l'économie marchande et la
possibilité de concevoir un temps irréversible et porteur
de transformations qualitatives. Avant d'y parvenir, il
nous faut approfondir notre compréhension de la nature
de la monnaie.

La monnaie et la confiance
Concevoir la monnaie comme le médiateur de la
socialisation des sujets économiques, c'est affirmer que l'analyse
de la monnaie et celle de l'économie marchande sont un
seul et même problème. On est aux antipodes des théories
naturalistes de l'économie qui ne voient dans la monnaie
qu'un intermédiaire technique commode des échanges,
ou même une marchandise particulière. Cette osmose
entre la monnaie et la modernité des sociétés
individualistes avait été aperçue par le philosophe G. Simmel
[1987]: «La monnaie est plus qu'un étalon et un moyen
Michel Aglietta 99

d'échange. Elle a une signification qui va bien au-delà de


sa fonction économique. La société moderne est
monétaire par seulement parce que les transactions sont
fondées sur la monnaie, ou parce que ses multiples aspects
sont influencés par la monnaie, mais parce que c'est dans
la monnaie que l'esprit moderne trouve son expression la
plus parfaite.»
En transposant une formule célèbre, on peut dire
que la monnaie est structurée comme un langage. Elle est
le produit des interactions subjectives. Mais elle apparaît
paradoxalement aux sujets comme une réalité extérieure
qui médiatise leurs interactions. Elle est universellement
acceptée, alors que nul n'est contraint de le faire et qu'elle
peut toujours être rejetée. Elle est le mode de formation
de la valeur économique; elle ne peut posséder elle-même
aucune valeur naturelle qui lui conférerait une garantie.
Quelle est donc la source de l'acceptation générale de la
monnaie? Rien d'autre que la confiance. Et comme nous
l'indique Simmel: «La confiance est, en dernier ressort,
improuvable. C'est un mélange de connaissance et de
croyance.»
La confiance est l'attitude subjective à l'égard
d'une forme sociale engendrée par auto-organisation.
Ainsi toute monnaie est-elle, en dernière instance,
fiduciaire. La confiance est un processus auto-référentiel qui
n'établit aucun lien contractuel entre des sujets privés.
C'est pourquoi la monnaie ne peut pas être assimilée à
une créance. La confiance est une relation entre n'importe
quel sujet privé et la communauté de paiements dans son
ensemble. La confiance signifie que chacun accepte la
monnaie parce qu'il s'attend à ce que n'importe quel autre
l'accepte et l'acceptera dans un futur indéterminé. La
confiance est donc la disposition d'esprit individuelle qui
appréhende la communauté de paiements comme une
réalité qui dépasse l'horizon économique de chaque indi-
100 Michel Aglietta

dividu. Bien que la monnaie puisse être refusée, cet


événement catastrophique est considéré comme
extrêmement improbable. Il ne fait pas partie des états du monde
pris en compte dans les calculs individuels. Il ne fait pas
partie des événements contre lesquels il existe des
procédures privées d'assurance.
L'auto-référence confère à la monnaie sa validité.
Il en découle des attributs qui opposent totalement la
monnaie aux marchandises. La monnaie est unique au
sein d'une communauté de paiements. Elle est aussi
inconvertible. Etant le médium indifférencié de n'importe
quel échange, étant le mode de formation de toute valeur
économique, la monnaie ne saurait elle-même recevoir de
valeur dans un échange. Ce qu'on appelle valeur ou prix
de la monnaie n'est qu'une convention statistique,
l'inverse d'un indice des prix d'un agrégat de marchandises
conventionnellement défini. Il y a évidemment autant de
prix de la monnaie que de conventions répondant à
différents usages sociaux. Enfin, étant unique et
inconvertible, la monnaie peut être créée ex nihilo. Il doit donc
exister des règles collectives pour déterminer l'émission
et la destruction de la monnaie.
Lorsqu'on considère, comme nous l'avons fait,
l'économie monétaire fondée sur ses propres présupposés
théoriques, la validité de la monnaie n'a pas d'autre
support que l'auto-référence désignée par le terme confiance.
Ainsi la forme médiatrice des échanges demeure à la
portée d'une contestation de la monnaie. Même si cet
événement n'entre pas dans la représentation courante de
l'environnement des sujets privés, il n'en est pas moins
possible. L'histoire monétaire est parsemée de
catastrophes majeures où le rejet de la monnaie a disloqué les
communautés de paiements. Il a fallu dans ces cas
procéder à une réorganisation complète, à une re-fondation
de l'ordre monétaire. Comme, toutefois, de tels phéno-
Michel Aglietta 101

mènes sont rares, que des crises économiques ou


politiques très graves peuvent se produire sans mise en cause
de la monnaie, on peut se demander s'il n'y aurait pas un
renforcement de l'acceptation générale de la monnaie. Pas
de garant objectif certes, pour les raisons théoriques
exposées ci-dessus, mais des garants symboliques apportant
une légitimité d'un autre ordre. C'est toute la question de
la souveraineté monétaire.
La symbolisation est un processus qui paraît
associé à la formation des représentations de la totalité sociale
considérée comme extérieure aux individus qui en sont
membres. Elle serait intimement liée à la logique
paradoxale selon laquelle le lien social est perçu comme une
réalité extérieure par les subjectivités, alors qu'il est le
produit de leur interaction. Or l'auto-référence a ceci de
merveilleux qu'elle engendre de l'invention sociale parce
que les états de convergence des rivalités intersubjectives,
c'est-à-dire les états de cohésion sociale, sont multiples et
non connaissables a priori. C'est particulièrement le cas
pour les abstractions les plus élevées, celles qui
concernent les représentations de la souveraineté. On peut
avancer certaines hypothèses dans cette perspective.
La première est celle des substituts symboliques.
Une figure de la souveraineté qui est centrale dans un
ordre social est transposée dans un autre, où elle vient se
substituer dans la représentation collective à la forme de
souveraineté propre à ce second ordre. Ainsi la confiance
dans la souveraineté nouvelle serait ancrée sur la croyance
persistante dans la figure emblématique d'une
souveraineté disparue. Or les recherches anthropologiques ont
montré que la monnaie a une origine religieuse. En outre,
les relations marchandes n'ont pénétré que très
difficilement les sociétés holistes. L'individualisme a été
longtemps tenu en suspiscion et sévèrement entravé. Il n'est
donc pas impossible que la monnaie ait porté longtemps
102 Michel Aglietta

la trace symbolique de son ancienne signification


religieuse comme attribut de sa légitimité. Or la souveraineté
ancienne était sacrée. C'était donc une extériorité
transcendante à l'égard des membres de la communauté. On
peut ainsi comprendre le prestige des monnaies
métalliques pendant une longue période. Au fur et à mesure
que son utilisation effective déclinait, l'or gagnait en
confiance comme point fixe de l'ordre monétaire. La
substitution symbolique lui conférait une valeur
intrinsèque qui paraissait être le garant ultime de la monnaie.
La deuxième hypothèse est celle des équivalences
symboliques. Les sociétés holistes montraient une
souveraineté concentrée. Cette dernière procédait d'un
événement sacré à l'origine de la collectivité, autour duquel
était organisé le système des croyances religieuses. Au
contraire, la souveraineté moderne procède de la volonté
collective des membres de la société. Elle s'affirme comme
auto-institution et elle n'a pas de centre. Elle se déploie
selon différents types de valeurs, différents modes de
médiation dans des champs différents de l'activité
humaine. Mais tous obéissent à la même logique auto-
référentielle. Il est donc raisonnable de penser qu'une
abstraction sociale, gouvernant un champ d'activités et
bénéficiant d'une forte adhésion collective, transmette à
une autre les vertus qui lui sont conférées.
La pensée allemande a largement adopté cette
démarche intellectuelle. Simmel considère que la monnaie
a un fondement moral. La confiance dans la monnaie
serait ébranlée si la monnaie paraissait visiblement une
convention. La garantie de la monnaie est la sécurité et
la fidélité aux engagements que la norme morale fait
respecter dans l'ordre libéral. La conformité à la règle morale
contient les conflits d'intérêts que la liberté permise par
l'usage de la monnaie pourrait déchaîner. C'est pourquoi
Simmel veut voir un élément de crédit dans la monnaie,
Michel Aglietta 103

une promesse de la société à l'égard du bénéficiaire.


« C'est une lettre de change tirée sur la société, sur
laquelle le nom du tiré n'a pas été inscrit. » Si l'obligation
morale à l'égard des engagements privés est largement
répandue, la confiance dans la monnaie en sera
consolidée.
Avec toute l'école autrichienne qui a montré une
grande continuité sur ce point, Menger considérait que
la confiance dans la monnaie provenait de la tradition.
Les institutions sociales ont une extériorité dont elles
tirent leur légitimité, lorsqu'elles ne sont pas le fruit d'une
construction institutionnelle volontaire. Les plus solides
se développent organiquement, par essais et erreurs, à la
suite d'une longue évolution. Elles sont le fruit d'une sorte
de sélection naturelle. Au cours de cette évolution, elles
confèrent une sagesse sociale à ceux qui les respectent
parce qu'elles n'ont pas été créées dans un but délibéré.
On n'obéit pas à ces institutions par calcul ou par
contrainte, mais parce qu'elles font partie du monde où
nous vivons. L'ordre monétaire est le produit d'une telle
évolution à condition que la monnaie ne soit pas l'objet
d'un débat politique, qu'elle ne soit pas manipulée par
l'Etat.
A l'opposé, Knapp fait de la monnaie un attribut
de l'Etat de Droit. « La monnaie est une créature de la
loi. » II trouve une approbation en Angleterre. Le prix
Nobel J. Hicks est catégorique : « Presqu' universellement
à travers l'histoire, la monnaie a été une institution d'Etat.
La monnaie est le moyen de régler les dettes qui ont été
reconnues par des systèmes juridiques dérivant leur
autorité d'Etats particuliers. » En Allemagne cette conception
est prépondérante. Les autorités monétaires allemandes
ne manquent jamais une occasion de rappeler, s'agissant
du problème de la monnaie européenne, qu'il ne peut y
avoir de monnaie sans cours légal et sans qu'une instance
104 Michel Aglietta

de statut étatique ne garantisse l'homogénéité des signes


monétaires, c'est-à-dire l'unicité de la monnaie dans la
communauté de paiements. Cette conception est devenue
dominante au XXe siècle. Elle n'a fait que systématiser la
nationalisation de la monnaie qui a accompagné la
généralisation du nationalisme.

L'incertitude et le désir d'argent


En étudiant la socialisation des sujets économiques, on
s'était arrêté devant une difficulté : l'existence
d'excédents et de déficits dans les comptes de transaction des
agents privés. Les déficitaires ne peuvent pas restituer
intégralement la monnaie avancée. Les excédentaires ont
une surabondance de monnaie dont ils doivent trouver
l'usage. Le montant total des déficits d'un côté, des
excédents de l'autre indique l'ampleur de la non fermeture du
circuit des échanges. Remarquons bien qu'il ne s'agit pas
d'un problème d'équilibre de marché, mais de
discordance entre désir individuel et insertion dans la
communauté de paiements. Cela n'a aucun sens de dire qu'une
modification des prix pourrait rétablir la circularité des
échanges, comme dans la démarche de l'équilibre général.
Car les échanges ont déjà eu lieu ! Dans une économie
monétaire, les unités économiques privées font les prix,
puis les échanges ont lieu et chacun constate ses résultats.
Il n'existe aucune base rationnelle pour réviser les prix
avant que les résultats aient été constatés. On doit en
conclure qu'on est devant un problème entièrement
étranger à la théorie de l'équilibre. Ce sont les excédents et les
déficits individuels qui doivent trouver une validation
sociale. Ils ne peuvent le faire que par des opérations liant
les sujets économiques dans le temps, directement ou
indirectement. Ce sont des opérations financières.
Il convient de dissiper tout malentendu sur la
nature de ces opérations que pourrait faire naître une
Michel Aglietta 105

analogie avec la démarche naturaliste de l'équilibre


général. Comme nous l'avons indiqué, dans cette dernière il
n'existe que des biens réels et des échanges entre ces biens
et pas entre individus. Une opération financière elle-
même n'est qu'un échange réel parmi d'autres. Les biens
physiques sont démultipliés en biens économiques
présents et biens livrables à différentes dates futures. Les prix
relatifs des biens présents par rapport aux biens futurs
incorporent des taux d'intérêt propres. A l'équilibre ces
taux d'intérêts propres pour une même date sont égaux.
Il apparaît un prix du temps, ou taux d'intérêt pur,
unique pour chaque date. On a ainsi traité le temps lui-
même comme une marchandise ! Le terme de futur est
d'ailleurs une pure métaphore. Car rien dans cette
démarche ne peut concerner un temps historique ; rien
ne peut distinguer un passé et un futur.
Au contraire, en économie monétaire les
opérations financières comblent un défaut de socialisation des
sujets par l'échange marchand. Selon la manière dont ces
opérations sont nouées et selon les engagements qu'elles
renferment, le futur sera différent du passé et il peut y
avoir différentes sortes de futurs. La finance est un enjeu
stratégique entre créanciers, débiteurs et institutions
monétaires. Dans ce jeu stratégique l'argent, c'est-à-dire
la monnaie possédée pour elle-même en tant que liquidité
pure, est source d'un pouvoir privé sur la société. Mais
nous allons voir que ce pouvoir est extrêmement
dangereux, tant pour ceux qui l'exercent que pour les autres
qui l'envient. Ce pouvoir déclenche toutes les obsessions,
toutes les illusions, toutes les démesures du désir d'argent.
Observons combien le pouvoir de l'argent est
ambigu. Est-il aux mains des agents excédentaires, des
créanciers potentiels ? Encore faut-il qu'ils sachent à qui
prêter. Les débiteurs sont des gens qui creusent des
déficits. Comment savoir qu'il n'en sera pas de même dans
106 Michel Aglietta

l'avenir ? Le seul indicateur objectif dont disposent les


prêteurs est le montant des dettes et des obligations de
paiements qui en découlent pour les débiteurs, rapportés
aux anticipations de leurs ventes futures ou de leur valeur
ajoutée. Y a-t-il des seuils critiques d'endettement ? Mais
comment les connaître puisqu'il dépendent
manifestement de la totalité des opérations financières décidées par
les autres agents et des conséquences de ces décisions sur
la demande effective future dont dépendra le niveau
d'activité de chaque débiteur particulier. Les candidats
prêteurs se trouvent devant une incertitude radicale. Un
exemple savoureux a été l'endettement des pays du tiers
monde. Rassurées par un afflux régulier de dépôts, les
banques ont prêté largement dans les années soixante-
dix. Tout se passait bien dans le régime monétaire de
l'époque. Personne ne pouvait dire que l'endettement
avait dépassé des seuils critiques pour l'ensemble des
débiteurs. Mais le changement brutal de régime monétaire
au début des années quatre-vingts a précipité la crise de
l'endettement. Aucune banque, en particulier, ne pouvait
prévoir une telle bifurcation dans les relations financières.
C'est un risque systématique pour lequel il n'y a pas de
calcul individuel possible, car il n'y a aucune mesure
statistique de la probabilité d'un tel événement. Pourtant ce
sont les conséquences inflationnistes du rythme très
rapide du crédit par l'ensemble des banques qui a
provoqué le changement de régime monétaire. Délices de
Г auto -référence !
Le pouvoir de l'argent est-il aux mains des agents
débiteurs ? Ces derniers empruntent pour développer des
affaires, donc élargir leur participation aux échanges.
C'est bien la mesure du pouvoir dans une économie
marchande. Ils doivent attirer à eux l'argent des prêteurs ; ce
qui peut impliquer ruse et dissimulation sur l'état de leur
santé financière. C'est tout le problème des conflits d'in-
Michel Aglietta 107

térêts et des asymétries d'information concernant la


perception de la solvabilité. On y rencontre les
indéterminations de Pintersubjectivité. Car la qualité des dettes
actuelles dépend des dettes futures que l'emprunteur sera
capable de contracter et sur lesquelles les prêteurs
d'aujourd'hui n'ont pas d'information. Ces derniers vont donc
chercher à prendre des garanties sur l'emprunteur en lui
imposant des contraintes qui peuvent détériorer sa
solvabilité ou réduire son niveau d'activité. Ainsi la relation
de crédit mène à des situations de type dilemne du
prisonnier où les prêteurs peuvent trouver avantage à se
retirer. On rencontre alors le désir de l'argent pour lui-même
qui fait peser la plus grave menace sur l'économie
marchande.
Keynes avait admirablement compris
l'ambivalence de l'argent : « L'intensité de notre désir à détenir la
monnaie en tant que réservoir de richesse est un
baromètre de notre méfiance à l'égard de nos propres
supputations concernant l'avenir. Bien que notre sentiment
pour la monnaie soit lui-même conventionnel et instinctif,
il opère, si l'on peut dire, à un niveau de motivation plus
profond. Ce sentiment nous submerge lorsque les règles
de comportement plus élaborées mais plus fragiles se sont
affaiblies. L'accaparement de la liquidité apaise notre
angoisse. La rémunération que nous exigeons pour nous
en séparer est la mesure de notre inquiétude. »
La recherche individuelle de la liquidité pour
elle-même porte à son paroxysme l'ambivalence de
l'argent. On a montré comment la. monnaie, en tant que pur
lien social, est la forme unique de participation aux
échanges. Dans cette forme fonctionnelle, la monnaie est
un flux et un reflux perpétuels, le médium qui fait la
cohésion de la communauté de paiements. Elle est
logiquement impossible à approprier, puisque vouloir
s'approprier privativement une pure relation, c'est faire dis-
108 Michel Aglietta

paraître cette relation. Mais, contrairement aux autres


normes sociales, la monnaie est la forme complètement
objectivée. Elle est la relation de paiement qui se présente
comme un objet à un des pôles du paiement. C'est
pourquoi l'ouverture des échanges sur les opérations
financières rend possible cette appropriation qui devient
argent.
Cette appropriation de l'argent pour lui-même
consiste à se placer hors du circuit des échanges, donc
hors de ce qui est la seule manière de socialiser les sujets
dans une économie marchande. Dans une situation
d'incertitude qu'il ne maîtrise pas, l'individu qui accapare
l'argent a un sentiment de plénitude qui lui donne
l'illusion de la richesse absolue. Il évite de faire des choix
concernant l'avenir, il se libère de tout engagement, il se
ménage toutes les virtualités, il détient ce qui n'a aucune
utilité, mais qui a le pouvoir de les acquérir toutes. Avec
le désir de liquidité pure, il n'y a plus aucune différence
qualitative. Puisque l'argent est absolument homogène,
seule compte la quantité. Le désir d'argent est illimité et
forcément contagieux. La préférence pour la liquidité est
le domaine par excellence du mimétisme. C'est la seule
rationalité individuelle qui soit compatible avec la nature
de l'argent.
Mais l'ambivalence de l'argent n'en est pas
éliminée pour autant. Car fondamentalement la liquidité est
une illusion. C'est une déformation pathologique de
l'individualisme. Elle consiste à désirer une extériorité
absolue par rapport à la société. Ce qui est possible pour
quelques individus ne peut l'être pour l'ensemble des
sujets qui se précipitent en même temps sur la liquidité,
parce qu'ils veulent en faire une assurance contre
l'incertitude. L'impossibilité d'appropriation de la monnaie
demeure une loi infranchissable de l'économie monétaire.
La tentative d'un grand nombre de sujets d'approprier la
Michel Aglietta 109

monnaie, donc de refuser de participer aux échanges,


déprime la demande effective. Le niveau d'activité et les
échanges marchands se contractent. Le refus de prêter
propage l'insolvabilité et interrompt les paiements des
débiteurs. La crise fait retour sur ceux qui avaient eu
l'illusion de se passer de la société en s'appropriant le
médium de cette société. La liquidité que l'on désirait
absolue est détruite sans coup férir.
Le jugement de Keynes à l'égard de la préférence
pour la liquidité exprime bien la compréhension la plus
profonde de l'économie monétaire. Le désir d'argent pour
lui-même est la plus grave menace pour la liquidité
exprime bien la compréhension la plus profonde de
l'économie monétaire. Le désir d'argent pour lui-même est la
plus grave menace pour la cohésion de la société
marchande. Cette menace ne peut être conjurée que par
l'organisation de la monnaie.

L'organisation de la monnaie

Les normes sociales ne doivent pas être confondues avec


leur instrumentation. La morale n'est pas identifiée aux
règles de conduite de la vie quotidienne ; le droit n'est
pas absorbé par l'appareil judiciaire ; la monnaie n'est pas
contenue dans la banque centrale et dans le système
financier. Cependant l'instrumentation est le mode d'action
concret des formes abstraites qui portent les valeurs de
cohésion sociale. Sans l'instrumentation, ces formes ne
seraient que de purs idéaux et n'auraient de signification
que métaphysique. Grâce à l'instrumentation, l'auto-orga-
nisation de la société se crisjallise dans des institutions
qui rendent visible la dimension collective pour les sujets
privés et qui garantissent la permanence de la médiation
des formes abstraites. Enfin l'évolution des institutions
110 Michel Aglietta

est la trace des transformations qui découlent des tensions


engendrées par l'ambivalence de la monnaie.
Dans cette étude générale sur les fondements de
l'économie monétaire, il n'est pas question d'entrer dans
la mise en pratique détaillée des régimes historiquement
formés par l'organisation monétaire. Notre tâche est de
définir les principes d'organisation déduits logiquement
de la théorie de la monnaie exposée dans la première
partie. Ce sont des préalables à toute analyse précise des
régimes monétaires. Nous chercherons cependant à en
tirer une interprétation des innovations dans les systèmes
financiers contemporains.

Fonctions et structures monétaires


II découle directement de la nature de la monnaie, mode
de socialisation des sujets économiques sous la forme de
l'auto-organisation, deux principes d'organisation
fondamentaux :
— premier principe : il existe une unité de compte
commune qui délimite un espace monétaire ;
— second principe : toute transaction économique est
conduite en monnaie ; tout solde non nul entre les
recettes et les dépenses individuelles est réglé en monnaie.
La mise en œuvre de ces deux principes
développe des fonctions et des structures pour gérer ces
fonctions (annexe 2). En les analysant on découvre l'efficacité
sociale de la monnaie.
La vertu de l'étalon est son unicité. C'est un
produit par excellence de l'auto-organisation. Plus les sujets
économiques sont nombreux à adopter un étalon, plus la
comparabilité des mesures renforce son usage. L'unité de
compte délimite ce qui est économique dans l'ensemble
des rapports sociaux : est économique toute relation qui
prend la forme d'une inscription dans un système de
Michel Aglietta 111

comptes selon le langage commun d'une unité de compte.


L'Etat a deux raisons décisives de normaliser l'étalon et
d'en faire une institution. La première est de préserver
les intérêts privés contre les manipulations de prix qui se
produisent lorsque des groupements distincts d'agents
privés utilisent des étalons différents dont les rapports de
conversion sont incertains. La deuxième est d'identifier
l'unité de compte et l'unité de quantité du signe
monétaire qui entre dans la circulation pour éviter des
transferts aveugles de valeur qui pourraient saper la confiance
dans la monnaie. L'apposition de la marque étatique sur
un signe monétaire est le cours légal de la monnaie. Un
étalon normalisé devient un bien public. La répétition de
son usage permet la surveillance de la conformité des
comptes. La vérité des comptes est une condition
indispensable à la sécurité des enggagements contractuels.
Dans la circulation des marchandises, la monnaie
est la contrepartie de n'importe quelle marchandise. Son
unicité est la condition de la multilatéralité des échanges.
Cependant le choix du moyen de transaction procède de
l'usage décentralisé des échangistes. Son émission n'est
pas réservée à une institution centrale. Peut-être moyen
de transaction, la dette émise par n'importe quel agent
privé qui a fait la preuve qu'elle est acceptée par des tiers
anonymes vis-à-vis de l'agent émetteur. L'unicité de la
monnaie de circulation est réalisée par l'équivalence
intégrale des signes monétaires, quel que soit l'émetteur de
ces signes. Il s'ensuit que le mode de convertibilité des
signes monétaires n'est pas un marché. C'est un processus
de compensaton centralisée. Ce processus est le cœur de
la communauté des paiements. Comme la monnaie est un
pur médiateur dans la circulation des biens et services,
elle ne peut pas être la dette émise par un des échangistes
pour les transactions qui le concernent directement. Payer
un achat et émettre une dette en contre-partie d'un achat
1 12 Michel Aglietta

sont deux actes antinomiques. Nul ne peut payer avec sa


propre dette. C'est pourquoi les systèmes de paiements
ont évolué de telle manière que les moyens de transaction
sont émis par des institutions qui sont fonctionnellement
des tiers par rapport aux transactions en biens et services.
Ce sont des institutions financières et même, plus
étroitement, des banques. Tous les autres moyens de
transaction n'ont que des aires de paiements restreintes qui sont
connectées aux banques. Ces dernières jouent le rôle
d'instances de compensation partielle. La compensation
centrale est un système interbancaire autour de la Banque
centrale. La monnaie émise par cette dernière est le
moyen de règlement entre les banques qui annulent les
soldes des comptes journaliers de compensation.
Ces structures monétaires sont purement
fonctionnelles. Elles assurent le rôle de la monnaie comme
intermédiaire homogène des échanges. Celles qui
organisent la contrainte monétaire gèrent la transformation
des excédents et déficits individuels de la circulation en
opérations financières. Elles doivent maîtriser
l'ambivalence de l'argent. Ces structures constituent les éléments
des régimes monétaires. Nous avons vu les
caractéristiques de cette maîtrise. Il doit exister un moyen de
règlement ultime de toutes les dettes. Ce moyen de règlement
n'est donc pas lui-même une dette, mais une monnaie
fiduciaire. Elle ne peut être émise que par une institution
centrale. Ce moyen de règlement est le support de la
forme supérieure de la liquidité. Mais cela ne suffit pas à
maîtriser l'ambivalence de l'argent. Le régime monétaire
doit encore construire une structure fine des créances et
des dettes pour réaliser en permanence deux objectifs :
éviter des déplacements collectifs et imprévisibles de la
préférence pour la liquidité ; établir des jugements
informés sur la solvabilité des débiteurs et les inscrire
dans les conditions du crédit. Il doit en découler une
Michel Aglietta 113

intensité graduée de la contrainte de règlement pour les


agents débiteurs.
L'émission du moyen ultime de règlement est
l'acte le plus visible de la souveraineté monétaire. Elle
donne naissance à l'institution souveraine pas essence : le
prêteur en dernier ressort. Car le prêteur en dernier
ressort a un statut exorbitant vis-à-vis des sujets
économiques. Par une procédure discrétionnaire et inacessible
à tout agent privé, hors de toute relation contractuelle, il
peut surseoir à l'incapacité de payer d'un débiteur. Il peut
ainsi sauvegarder la continuité des engagements financiers
et empêcher que des institutions financières soient
acculées à ne pouvoir respecter leurs obligations parce qu'elles
subissent les répercussions imprévisibles de difficultés
surgissant hors de leur influence. L'existence du prêteur
en dernier ressort est la preuve institutionnelle que la
finance ne saurait être un système auto-régulé de relations
marchandes par des prix d'équilibre.
Le prêt en dernier ressort est une action sur les
situations critiques. Elle s'insère dans les régimes
monétaires qui combinent des principes d'action guidant
l'évolution des structures de créances et de dettes dans la
continuité temporelle. Ces actions comportent des
réglementations (actions directes sur les structures) et des
interventions de la banque centrale (actions d'incitation
sur les comportements privés). Il importe de comprendre
les principes selon lesquels ces actions sont combinées.

Les régimes monétaires


Tous les raisonnements précédents y conduisent. Dans
une économie monétaire, c'est l'évolution de la structure
financière qui résume tout le mouvement de l'économie.
Bien loin d'être un appendice de l'économie réelle, la
finance est le système nerveux de l'économie globale. Les
régimes monétaires sont les principes de régulation de ce
114 Michel Aglietta

système. On sait que cette régulation doit naviguer entre


le Charybde de la perte de confiance dans la monnaie et
le Sylla du désir exacerbé d'argent, entre le péril
inflationniste et la menace déflationniste.
Les choix d'organisation qui établissent
l'armature institutionnelle des régimes monétaires peuvent être
interprétés selon deux axes théoriques qui doivent être
combinés. Le premier est l'axe repéré par le couple
centralisation/fractionnement. Le second est l'axe repéré par
le couple intermédiation/marché financier. Pas plus
qu'elle n'est justiciable du concept d'équilibre général,
l'économie monétaire n'est porteuse d'une organisation
optimale. Nous allons montrer que l'ambivalence de la
monnaie se reflète dans des dilemmes organisationnels.
Tout régime monétaire viable est une structure historique,
mélange de constructivisme et de tradition.
L'annexe 3 balise l'axe
centralisation/fractionnement en définissant ses positions polaires extrêmes.
Dans l'organisation purement centralisée, tout se passe
comme si le système bancaire entier était formé de
départements de la Banque centrale. Cette dernière est le seul
centre de décision stratégique qui s'interpose entre
créanciers et débiteurs, c'est donc à la fois l'organisation
centrale et l'intermédiaire exclusif.
A première vue, le système centralisé pur paraît
le plus efficace pour financer les déficits. La Banque met
un écran total entre créanciers et débiteurs. En
contrepartie des prêts qu'elle accorde aux agents déficitaires,
elle met la liquidité supérieure à la disposition des agents
excédentaires. Toutefois le problème crucial de ce régime
monétaire consiste à régler l'intensité de la contrainte de
remboursement des dettes. Jusqu'à quels montants et en
faveur de qui la Banque doit-elle tolérer la persistance des
positions nettes débitrices ? Ces choix stratégiques sont
entièrement à la discrétion de la Banque. C'est bien là
Michel Aglietta 1 15

qu'est le danger. Il y a grave risque de confusion entre la


souveraineté monétaire dont la Banque est dépositaire et
l'intermédiaire financier qui peut être d'autant plus
accusé d'être partisan qu'il n'y a pas de recours dans ce
régime. Le problème est d'autant plus épineux que la
banque seule doit apprécier la situation des débiteurs.
Régler la contrainte monétaire n'est pas seulement
mémoriser les déficits passés et les avaliser, c'est surtout
anticiper sur l'activité future des débiteurs pour leur
communiquer une injonction à maîtriser leurs déficits. Ainsi la
Banque détermine-t-elle l'horizon temporel de l'économie
privée par les conditions de son crédit qui n'a pas
d'alternative.
Si la Banque renouvelle ses prêts
systématiquement, tout se passe comme si la contrainte monétaire est
suspendue et que l'horizon économique tend vers l'infini.
Ce mode de régulation est favorable aux débiteurs
puisque la Banque les met à l'abri de la faillite ou de leur
acquisition par des créanciers. Ces derniers sont forcés
d'accepter une liquidité qui ne leur donne aucun pouvoir
financier. Le rejet d'une liquidité surabondante se
retourne contre la Banque et se mue en perte de confiance
dans la monnaie. Il en sera ainsi lorsque la politique de
la Banque induit les détenteurs d'encaisses monétaires
non désirées à penser que le renouvellement automatique
des dettes supprime tout règlement effectif et empêche
leur résorption. Aussi la crise financière, dans le régime
monétaire centralisé, se transforme-t-elle nécessairement
en crise de la monnaie. Tous les détenteurs de liquidités
sont placés dans la même situation. Ils forment un groupe
indifférencié qui ne peut manifester sa frustration que par
la tentative d'un rejet contagieux de la monnaie. Il s'ensuit
une perturbation globale de la circulation marchande. Au
lieu d'acquérir une valeur dans l'échange monétaire,
certains biens réels deviennent objet de spéculation et por-
1 16 Michel Aglietta

teurs du désir de richesse que la liquidité ne satisfait plus.


Ce transfert du désir d'argent sur des objets comme la
terre, les métaux précieux ou les objets d'art, inverse le
sens du rapport d'échange. C'est la dévalorisation de
l'argent, en tant que porteur du désir d'autonomie des sujets,
qui est mesuré par la hausse vertigineuse des prix des
objets spéculatifs.
Si la Banque prétend contraindre ses débiteurs,
d'autres difficultés se présentent. Le taux d'intérêt de ses
prêts étant une grandeur arbitraire puisque les détenteurs
de la liquidité n'ont pas d'autres actifs financiers à
acquérir, la Banque ne peut que faire du rationnement
quantitatif. Mais la centralisation du prêteur n'est pas la
meilleure méthode pour acquérir les informations pertinentes
qui permettent une sélection rationnelle des débiteurs.
C'est le terrain des influences occultes, des dissimulations
de la corruption et des discriminations. Il en découle des
pressions fortes pour décentraliser le financement et le
déconnecter du contrôle de la monnaie. Prenant de la
distance et se plaçant au-dessus des banques
commerciales et autres institutions financières, la Banque centrale
renforce son prestige. La différenciation peut se
manifester chez les débiteurs et chez les créanciers par la mise en
concurrence des institutions financières. On aboutit ainsi
à des régimes monétaires fondés sur une organisation
hiérarchisée.
Le système purement fractionné, à l'autre pôle,
produit aussi des dysfonctionnements qui mènent à des
structures hiérarchisées. Il a, en effet, les propriétés
opposées de celles du système purement centralisé. Son apport
majeur est l'absence de médiation. Les agents
excédentaires et déficitaires sont face à face dans l'incertitude de
leurs intentions réciproques. Tout solde à financer est
virtuellement l'enjeu d'un conflit potentiel. C'est un
climat qui favorise la préférence pour la liquidité par pru-
Michel Aglietta 117

dence. Les contraintes sur les débiteurs sont


excessivement fortes par insufficance du crédit. A
l'homogénéisation extrême de toutes les dettes qui
caractérise le système centralisé, répond leur différenciation
extrême. Toute relation bilatérale devient une opération
financière singulière dont les conditions sont a priori
indéterminées et rencontre l'incertitude radicale qui résulte de
l'affrontement des subjectivités. Ces contradictions
suscitent des changements organisationnels pour former des
structures médiatrices : intermédiaires actifs ou marchés
financiers capables d'homogénéiser des classes de
créances, donc d'établir des compromis entre l'unification
totale et la singularité irréductible.
On a mis en évidence deux tendances organisa-
tionnelles, produites par les contradictions issues de
l'ambivalence de la monnaie. Du côté de la centralisation, c'est
la spécialisation de la Banque centrale dans un rôle
monétaire, dans une responsabilité globale à l'égard de la
cohésion de l'économie monétaire. Il s'ensuit un retrait vis-à-
vis du financement des agents déficitaires qui laisse la
place à la concurrence d'intermédiaires financiers actifs.
Du côté du fractionnement, c'est l'organisation de
marchés financiers qui surmontent le face à face en
homogénéisant des catégories de créances selon la durée de
l'évaluation des risques effectués par des institutions
spécialisées. Aussi Г intermédiation et les marchés coexistent-
ils généralement dans les structures monétaires
hiérarchisées. Ces deux modalités du financement ont des
propriétés différentes vis-à-vis des sujets économiques et
entretiennent des relations différentes avec la Banque
centrale. Les nuances dans la combinaison de Pintermédia-
tion et des marchés donnent leur coloration aux régimes
monétaires.
L'intermédiation conserve le principal avantage
de l'organisation centralisée. Les intermédiaires sont des
1 18 Michel Aglietta

écrans entre les créanciers et les débiteurs individuels. Les


besoins de financement des derniers peuvent être
dissociés de la préférence des premiers pour la liquidité. Ces
avantages sont affinés par la multiplicité des
intermédiaires et les inconvénients sont amoindris. Comme les
intermédiaires sont concurrents pour capter et conserver
la capacité de financement des agents excédentaires,
condition du développement de leur propre activité, ils
vont chercher à structurer leur passif pour le rendre le
plus stable possible. A. Brender [1981] a montré
comment la stratification des dépôts proposés par les
intermédiaires incite les agents excédentaires à
différencier leurs placements. Pour la plus grande part de leur
capacité de financement, ces agents en viennent à
renoncer à la liquidité immédiate et indifférenciée. Partant, ils
informent objectivement les intermédiaires actifs sur leurs
intentions de dépenses futures. En donnant la forme
d'une structure fine aux virtualités de placements, les
intermédiaires actifs retirent une information sur la
stabilité de la préférence pour la liquidité. Deux
caractéristiques de l'intermédiation sont cruciales pour parvenir à
ce résultat. La première est que les dépôts ne sont pas
évalués sur des marchés. Il n'existe donc pas de risque
sur leur valeur monétaire lorsque les taux d'intérêt
varient. La seconde est que la confiance dans la solidité
des intermédiaires et, au-delà, dans l'aptitude et la volonté
de la Banque centrale à préserver la sécurité du système
financier, constitue une assurance sur la qualité des
dépôts. La nature auto-référentielle de la confiance se
manifeste pleinement. Tant qu'on n'a aucune crainte sur
la sécurité des dépôts, ils deviennent des équivalents de
la monnaie fiduciaire dans laquelle ils sont convertibles
dans des conditions institutionnellement définies.
Cependant cette confiance ne dépend pas que du
parapluie éventuellement ouvert par le prêteur en dernier
Michel Aglietta 1 19

ressort. Elle dépend surtout de la diversification des prêts


que les intermédiaires font, grâce à la collecte de montants
élevés de liquidités. Fractionner les risques n'est toutefois
pas une spécificité des intermédiaires. Ce qui l'est, c'est
leur manière d'obtenir leurs informations sur la solvabilité
de leurs débiteurs potentiels. Contrairement aux marchés,
la méthode des intermédiaires actifs n'est pas
d'homogénéiser des créances par classes de risque à l'aide
d'informations statistiques sur la gestion passée des débiteurs.
Les ressources financières qu'ils concentrent leur
permettent d'établir des organes de gestion capables
d'individualiser les débiteurs. Dans l'élaboration et dans le suivi
des contrats de prêts, les intermédiaires peuvent engager
un dialogue prospectif et nouer des relations continues
de dépendance mutuelle avec leurs clients.
Ainsi un régime monétaire fondé sur l'intermé-
diation active, où les marchés financiers n'existeraient pas
ou n'auraient qu'un rôle subalterne, est certainement
viable. Il a été appelé économie d'endettement et a dirigé
très efficacement la croissance au Japon et en France. Il
peut s'accomoder soit d'intermédiaires financiers
spécialisés, soit de banques universelles. Mais il n'est pas sans
défauts. L'absence de marché monétaire ouvert sur
l'ensemble des agents économiques rend les banques
commerciales dépendantes de la Banque centrale en
permanence pour l'ajustement de leur liquidité. On retrouve
l'ambiguité de la position discrétionnaire de la Banque
centrale, notamment pour la détermination du taux
d'intérêt, mais aussi de son manque d'extériorité par rapport
à un système bancaire qui peut lui forcer la main au nom
de la sécurité du régime monétaire dans son ensemble.
Ce sont les traits du système centralisé qui percent sous
l'habit de la différenciation institutionnelle. Un autre
défaut important est la facilité avec laquelle la
concurrence peut être dévoyée en l'absence de marché financier.
120 Michel Aglietta

Tous les travers de la concurrence oligopolistique sont


possibles : conditions du crédit onéreuses, routine des
procédures d'éligibilité des emprunteurs, discrimination
parmi les emprunteurs, partage des clientèles et
cloisonnement des circuits de financement.
Ces rigidités sont censées être dissoutes par les
marchés financiers. Les actifs financiers émis par les
emprunteurs sont évalués en permanence par les échanges
de titres négociables guidés par les indications des agences
de cotation. Les risques encourus par les emprunteurs
dans leurs activités futures sont, en principe,
objectivement exprimés dans les prix des titres sur les marchés
secondaires. N'importe qui, sans avoir de capacité propre
d'évaluation, peut de faire une opinion informée sur les
risques à investir dans telle ou telle entreprise rien qu'en
observant les prix. Chaque investisseur peut diversifier ses
risques et les titres de chaque entreprise peuvent être
disséminés entre un grand nombre de prêteurs. Ainsi le
marché financier paraît-il réaliser un tour de force. Il
objective dans le prix ce qui est éminemment subjectif et
dépourvu de référence dans le passé : les paris sur l'avenir
tirés par ceux qui lancent des affaires et échafaudent des
projets dans l'économie marchande.
Mais ce miracle n'est qu'une illusion contre
laquelle J.M. Keynes n'a cessé de nous mettre en alerte.
C'est que l'incertitude dont s'occupe la finance n'est pas
de la nature qui peut être traitée objectivement par des
méthodes statistiques. La finance est hantée par
l'incertitude radicale parce qu'elle est aux prises avec
l'innovation. A. Orlean définit théroriquement ce type
d'incertitude qui est l'essence même de Pintersubjectivité propre
à l'économie marchande : « Le problème est
fondamentalement épistémologique. Ce qui est réellement entendu
par « nouveauté » est la classe de phénomènes qui oppose
un obstacle radical à notre connaissance . Il y a des phé-
Michel Aglietta 121

nomènes que nous ne pouvons logiquement rapporter à


des faits ou des lois connus. Des événements seront
qualifiés de nouveaux lorsque notre corps de connaissances
ne nous fournit aucune base pour évaluer leur plausibi-
lité... Il est incorrect de supposer qu'un corps de
connaissances peut fournir une représentation pertinente, même
probabiliste, sur un phénomène dont il ne sait rien.
Considérer qu'un corps de connaissances pourrait contenir des
propositions qui détermineraient sa logique future de
découverte est une contradiction in adjecto. Nous
identifions donc la nouveauté radicale et improbabilisable au
savoir futur, avec ses succès et ses échecs imprévisibles
et, par conséquent, indéterminés ».
Ainsi les marchés financiers font-ils resurgir la
spéculante intersubjective que nous avions trouvée à la
racine de la relation marchande et que l'abstraction
monétaire doit conjurer. L'évaluation des prix d'actifs sur les
marchés financiers résulte de la spéculation sous la
tyrannie de la liquidité. Le prix qui se forme sur un marché
secondaire est le point de convergence d'un processus
auto-référentiel qui exprime l'opinion moyenne des
participants. Les influences externes s'y manifestent par des
surprises qui sont les catalyseurs de croyances, se
propageant par mimétisme, que le prix doit évoluer dans une
certaine direction. De tels marchés sont sous l'emprise
d'anticipations reflexives qui les rend incapables de
construire la temporalité dont dépend toute l'économie
marchande. Il leur faut des conventions suffisamment
stables pour fournir des repères aux représentations des
opérateurs. Ces conventions ne peuvent être produites
que par le processus auto-référentiel lui-même, orienté
par l'influence d'un attracteur externe vers un point de
convergence particulier. Ces attracteurs sont fournis par
la Banque centrale ou par des intermédiaires
suffisamment puissants pour intervenir dans les marchés et fournir
122 Michel Aglietta

ainsi des indications transmises par l'observation des prix,


sur leur propre représentation du futur.
On aboutit ainsi aux régimes monétaires mixtes,
imbriquant étroitement des intermédiaires actifs et des
marchés financiers, que sont les régimes contemporains.
Les marchés deviennent des modes de financement des
intermédiaires qui échappent ainsi à la dépendance
directe et permanente à l'égard de la Banque centrale.
Cette dernière en tire un bénéfice considérable.
Renforçant sont extériorité à l'égard des intermédiaires, elle peut
conduire une véritable politique monétaire, c'est-à-dire
une politique qui vise les conditions générales d'accès à
la liquidité pour l'ensemble de l'économie marchande. La
Banque centrale est toujours le point où convergent les
tensions irréductibles que suscite l'ambivalence de la
monnaie. Cependant, dans cette organisation mixte, elle
peut développer l'art de les courtiser, sans s'y engloutir
comme dans le régime purement centralisé ou assister
passivement à leur déchainement comme dans le régime
purement fractionné.

Les transformations de la monnaie


Nous sommes partis des questions les plus fondamentales
sur la nature de l'économie monétaire. Nous avons trouvé
l'auto-organisation. Dans cette voie nous avons présenté
un ensemble cohérent de concepts pour étudier les
régimes monétaires et leur transformation. Nous allons en
rester là dans cet essai théorique. Le prolongement, ce
sont les modèles représentant les faits stylisés des régimes
monétaires, la comparaison de leurs capacités régulatrices
et surtout l'étude des crises par lesquelles se fait la
transformation des régimes. Une littérature imposante existe
sur ces sujets. Des tentatives ont été faites pour l'analyser
dans la perspective théorique présentée ici. Nous n'allons
pas y ajouter maintenant. Pour conclure cet essai nous
Michel Aglietta 123

allons nous contenter de donner une interprétation


théorique du grand mouvement contemporain de
déréglementation.
La déréglementation n'est pas un phénomène
récent. C'est une longue évolution qui a transformé les
régimes monétaires fortement centralisés qui avaient été
mis en place au cours de la Seconde Guerre mondiale et
pendant la période de reconstruction. Bien sûr, c'est aux
Etats-Unis que l'évolution a commencé par la
dénonciation de l'accord qui obligeait la Banque centrale à
maintenir des taux d'intérêt très bas pour diminuer le coût de
la dette publique. La formation d'un vaste marché des
titres publics a permis aux banques commerciales de
gagner une autonomie dans l'acquisition de leur liquidité
par la gestion de leur portefeuille de titres. Cette gestion
par l'actif, tirant parti d'un marché financier des titres
publics vaste et profond, a été la première ligne
d'évolution sur l'axe théorique centralisation/fractionnement.
Elle a concerné d'abord les pays anglosaxons. La
deuxième ligne d'évolution dans la quête des banques
commerciales vers une autonomie plus grande à l'égard
de la Banque centrale a été la gestion par le passif. Les
banques ont augmenté leur capacité à acquérir des
liquidités en émettant elles-mêmes des titres négociables.
L'avantage concurrentiel de cette pratique a entraîné sa
généralisation et la diversification des supports d'emprunt
parmi les banques et les autres institutions collectrices de
dépôts. L'apparition de ces supports à côté des dépôts a
provoqué des déplacements de liquidité déstabilisants.
Devant ces tensions, les autorités monétaires ont dû
abandonner progressivement la réglementation des taux
d'intérêt sur les instruments intermédiés au passif des
institutions financières pour que leur rémunération soit
compétitive vis-à-vis des instruments de marché.
Ainsi la première tendance de l'innovation a-t-
124 Michel Aglietta

elle remanié le couple centralisation/fractionnement. Elle


a été essentiellement monétaire puisque son enjeu était le
contrôle de la liquidité. Elle s'est traduite par un double
mouvement : accroissement des degrés de liberté des
banques commerciales, extériorité renforcée de la Banque
centrale à l'égard du financement. Elle eut pour
conséquence de réduire le fractionnement qui s'exprimait par
l'hétérogénéité dans la détermination des taux d'intérêt.
Mais cette tendance laissait intact le partage du
financement des agents économiques selon le couple
intermédiation/marché. Surtout elle ne mettait pas en cause la
Banque centrale, en tant que pivot de l'économie
monétaire. C'était l'époque où la doctrine monétariste
reconnaissait à sa manière cette prépondérance.
Dans les dix dernières années, s'est développée
une seconde tendance qui opère sur l'axe intermédiation/
marché. Elle est bien plus inquiétante car sa signification
est claire : c'est l'extériorité de la Banque centrale elle-
même qui est mise en cause. Portée par un
ultra-libéralisme, cette tendance est rationalisée par la théorie des
anticipations rationnelles. C'est un nouvel avatar de l'idée
naturaliste, une nouvelle version du fantasme de
l'économie pure, qui revient en force sous des oripeaux plus
séduisants que ceux de l'équilibre général walrasien. Car
l'expansion et l'interconnexion des marchés financiers au
détriment de l'intermédiation mène à l'interrogation qui
est au bout de l'innovation financière : pourquoi la
monnaie existe-t-elle comme entité distincte des contrats
financiers privés ? Cette différence de la monnaie ne
serait-elle pas réductible ?
Nous avons voulu donner une réponse à cette
interrogation dans le présent essai. Cette réponse affirme
que la monnaie est le fondement de l'économie
marchande. Mais pour l'argumenter il a fallu aller jusqu'aux
présupposés de la science économique. Il a fallu rejeter
Michel Aglietta 125

le postulat naturaliste. Il n'est donc pas surprenant que


ceux qui font de ce postulat une évidence n'aient de cesse
de vouloir détruire toute organisation collective pour
promouvoir le règne d'un individualisme intégral. Notre
position épistémologique, au contraire, est que la monnaie est
la condition d'existence de l'individualisme. Il est tout à
fait satisfaisant de retrouver en fin de parcours ce débat
épistémologique comme ce qui est impliqué par la
signification profonde de l'innovation financière.
Pour les théoriciens ultra-libéraux, la monnaie
n'est qu'un artefact de l'Etat. Sans restrictions légales à
l'émission et l'utilisation des titres financiers, la monnaie
ne pourrait pas se distinguer des titres négociables sans
risque de défaut. D'où la proposition d'aller au terme de
la déréglementation en supprimant la monnaie fiduciaire.
Pour cela il faudrait dissocier l'unité de compte du moyen
de transaction. On continuerait à établir une unité de
compte abstraite. Mais on poursuivrait la
déréglementation jusqu'à aboutir à un système de paiements sans
monnaie unifiée. Des intermédiaires financiers émettraient des
dettes qui circuleraient comme moyens de paiements. Les
prix de ces moyens de paiements seraient variables et
seraient déterminés dans l'interdépendance générale des
marchés. Dans ce système hypertrophié de marchés il n'y
a pas de place pour une Banque centrale.
Ce défi du laissez-faire intégral justifie la
recherche théorique sur les fondements de la monnaie.
Dans les questions monétaires, la théorie et la politique
sont étroitement mêlées. Comprendre la raison d'être de
la monnaie, c'est forger une arme politique contre les
apprentis sorciers.
126 Michel Aglietta
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130 Michel Aglietta

Annexe 3

Régime centralisé et régime fractionné

1. Régime purement centralisé : financement des positions


débitrices par la monnaie centrale homogène.
Au cours d'une pédiode comptable les
transactions d'un agent i avec un agent j livrent un solde bilatéral
dij. La commensurabilité des soldes bilatéraux permet à
chaque agent de calculer son solde net d{ = zd^.
Dans ce solde la personnalité des partenaires de
i est effacée. Il représente la relation de i avec l'ensemble
de l'économie marchande.
En passant des flux aux encours on établit la
position créditrice Dt ou débitrice Dt par cumul des
périodes comptables : tD; = tlDL + Д

Dans un régime purement centralisé, la Banque


finance les positions déficitaires. La contre-partie est la
monnaie centrale, la liquidité pure, aux mains des agents
excédentaires.

Agent débiteur i Banque Agent créditeur j

D- n Щ A =2^ H A,

La position
débitrice nette
est financée par A=
puisque
U àcréditrice
une
donne
La liquidité
de pure.
position
détention
droit
nette
une dette à l'égard
de la Banque
Hl

2. Régime purement fractionné : financement des positions


débitrices sur une base strictement privée, sans médiation
entre créanciers et débiteurs.
Michel Aglietta 131

La première opération est l'élimination des soldes


bilatéraux qui forment une chaîne fermée. Même cette
opération n'est pas aisément réalisable sans médiateur.
Car les agents individuels ne savent pas qu'ils forment
une chaîne fermée. Considérons une telle chaîne :

agents 1 3 i i+I.

Transactions l^ii 22. i+I.


nettes

Soldes
bilatéraux 2,1 l3,2 d

Si la chaîne se boucle, tous ces soldes sont égaux


et peuvent donc être annulés. Cependant comme il
n'existe pas de moyen de règlement unanimement
acceptable dans ce système financier complètement
décentralisé, l'annulation de toutes les créances dans le temps
suppose que des agents de même statut acceptent les créances
qu'ils ont les uns sur les autres. Or localement, les choses
ne se présente pas aussi bien. On ne sait pas comment
les maillons futurs de la structure financière vont se
constituer.

Agent i Agent i+1

Chaque agent est soumis à une contrainte de


remboursement sur la dette à l'égard de celui qui le précède
et en même temps sollicité de détenir une créance sur
celui qui le suit. Toute demande de paiement prématuré
en un maillon de la chaîne provoque l'effondrement de
la structure financière.
132 Michel Aglietta

A supposer que cette difficulté soit surmontée et


qu'on puisse annuler tous les soldes bilatéraux liés dans
des chaînes fermées, on peut établir une hiérarchie des
créanciers et des débiteurs, allant d'un créancier extrême
qui n'a que des excédents bilatéraux à un débiteur
extrême qui n'a que des déficits. Illustrons-le sur un
exemple.

Agents Somme des déficits Somme des Déficits


bilatéraux dents nets dents
bilatéraux nets

A 0 6 200 6 200
В 1000 1610 610
С 410 890 480
D 980 320 660
E 490 360 130
F 1270 1160 130
G 1660 500 1160
H 5 230 0 5 230

11040 11040 7 290 7 290

Dans le système centralisé il suffirait de financer


7 290 unités monétaires. Mais dans le système fractionné,
A n'a intérêt à accepter la dette des autres que s'il s'attend
à avoir ultérieurement des déficits. Il sera tenté d'exiger
paiement au comptant, surtout s'il doit accepter la dette
de H. Il faudrait que A lui-même, dont la dette est la plus
prisée et pourrait circuler parmi les autres agents, joue un
rôle financier distinct de sa situation de sujet marchand.
La hiérarchie purement quantitative des résultats
économiques et des positions subséquentes se transforme. On
sort d'un système entièrement décentralisé pour entrer
dans la vaste panoplie des systèmes financiers
hiérarchisés.
Michel Aglietta 133

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