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Basile STUDER

A propos des traductions


d’Origène par Jérôme et Rufin*

L,intention de cette étude n'est pas de faire le point d'une ques-


tion qui trouve toujours des réponses assez diverses. Il ne s'agit même
pas d'exposer ici l'état actuel du problème que posent les traductions
d'Origène par Jérôme et Rufin *1. Le but que je me suis proposé est
beaucoup plus modeste. Je voudrais seulement attirer l'attention sur
un fait curieux, à savoir, la divergence qui, dans le texte grec des édi-
tions modernes et les versions latines anciennes, existe au sujet des
titres christologiques 2. Plus précisément, je n'envisage ici que le titre
de Seigneur-Sauveur, très fréquent dans les traductions de Jérôme et
de Rufin, mais extrêmement rare dans les écrits origéniens tels qu'ils

* Communication faite au Se Congrès Patristique de 1967 à Oxford.


1 En ce qui concerne l’état de la question des versions latines chrétiennes en
général, voir F. Winkelmann, Spätantike lateinische Uebersetzungen christlicher
griechischer Literatur: Theologische Literaturzeitung 92, 1967, 229-240. Dans cet
article, on trouve indiquées toutes les études importantes des trente dernières années.
A noter surtout les travaux de G. Bardy et B. Altaner. Les articles de ce dernier
sont aujourd’hui facilement accessibles dans B. Altaner, Kleine patriotische Schriften,
hrg. von G. Glockmann, Texte und Untersuchungen, 83, Berlin, 1967; Quant aux
versions latines de Jérôme et de Rufin, en particulier, voir aussi F. Cavallera, Saint
Jérôme, sa vie et son oeuvre, Paris-Louvain, 1922; M. Wagner, Rufinus the Translator,
Washington, 1945, ainsi que A. Jaubert, Origine, Homélies sur Josué = Sources
Chrétiennes, 71 (Paris, i960), 68-82: Valeur de la traduction latine de Rufin dans les
Homélies de Josué.
* Un fait analogue, d’ailleurs, a été déjà signalé pour la version latine ancienne
du commentaire sur l’évangile de Matthieu. Voir L. Früchtel, Zur altlateinischen
UeherSetzung von Origenes* Matthäus-Kommentar: Origenes- Werke, 12 = GCS 41, 2,
24: « Es Hessen sich Dutzende solcher vielfach überraschender Sonderbarkeiten der Wor-
wähl anführen; ich schliesse mit den Namen des Heilands: da steht Iesus für Χριστός
und Christus für ,Ιησούς. Es findet sich für σωτήρ Christus, Iesus, dominus, filius,
verbum, für λόγος Christus, für ,Ιησούς verbum, ja der Lateiner ersetzt Gott den Vater
durch den Sohn... oder er fasst beide zusammen... ». On a omis dans la citation les ré-
férences aux textes.
138 B. STUDER

nous ont été transmis 3. C'est un détail qui à première vue paraît peu
significatif, mais qui, nous l'espérons, nous permettra de mieux saisir
la manière dont les deux illustres traducteurs des années 400 ont rendu
en latin de nombreux écrits de leur grand maître alexandrin 4.

I. Quelques faits.
Traitant des trois homélies catéchétiques, rapportées par le sacra-
mentaire Gélasien, Dom de Puniet prétend que les Pères du IVe et
du Ve siècles auraient rarement utilisé la formule Dominus et Salva-
tor noster, tandis que la formule serait devenue fréquente au temps
de Césaire d'Arles 5. R. Étaix, à son tour, se réfère à cette opinion pour
confirmer l’authenticité de certaines homélies attribuées à Chromace
d'Aquilée 6. Il est vrai que l'expression Dominus et Salvator noster est
très caractéristique de cet auteur 7. Mais en ce qui concerne ses con-
temporains, elle est loin d'être aussi rare qu'on l'a pensé.
De fait, nous rencontrons vers 400 la formule en question chez
des écrivains de toutes les Églises latines, quoique peut-être sous des
formes légèrement variées. Ainsi la lisons-nous chez des auteurs ita-
liens, tels que Filastre de Brescia, Ambroise de Milan, le Ps. Hege-
monius, c'est-à-dire, l'auteur de la version latine des Acta Archelai,
Rufin d'Aquilée, Gaudence de Brescia aussi bien que Maxime de Tu-
rin 8. Nous la retrouvons chez des africains, comme Augustin, Tico-

3 Le sujet qu’on traite ici fera l’objet d’une étude plus étendue dans un ouvrage
sur le vocabulaire christologique de Léon le Grand.
4 Outre la littérature indiquée dans la note 1, voir aussi A. Siegmund, Die
Ueberlieferung der griechischen christlichen Literatur in der lateinischen Kirche bis
zum 12. Jahrhundert (München, 1949), 110123‫־‬.
5 P. de Puniet, Les trois homélies catéchétiques du sacramentaire gélasien:
RHE 6, 1905, 311: «La formule ,Dominus et Salvator noster’ par laquelle débute
notre Expositio se rencontre assez rarement chez les Pères du IV et V siècles pour
qu’elle mérite d’être relevée.». Voir 311, note 2: « Plus tard cette expression devient
familière à Césaire d’Arles, au Pape Vigile et à S. Isidore de Séville ».
6 R. Étaix, Fragments nouveaux du commentaire sur Matthieu de Chromace
d'Aquilée, (Lyon, i960), 256.
7 Voir Chromace d’Aquilée, Opera omnia: CChL 9, 596: index verborum:
Dominus ac Salvator noster.
8 Pilastre de Brescia, Divers, hereseon liber: CChL 9, 520: Index verborum,
dominus; Ambroise, De fide II, 1, 10: CSEL 78, 63; De spiritu Sancto I, prol. 8,
82: CSEL 79, 19; Explan. Ps. 45, 11: CSEL 64, 337, 5; ib., 16: CSEL 64, 341,
12s; Expos, evang. s. Luc. IV, 57, 705: CChL 14, 126 = CSEL 32, 167, 21s; ib.
II, i, 6s: CChL 14, 30 = CSEL 32, 40, 18s; etc. Au sujet de s. Ambroise, deux
remarques s’imposent. Quant à la transmission du texte d’abord, on y constate des
hésitations entre salvator et salutaris. Ensuite, il faut bien concéder que l’évêque
de Milan recourt relativement peu à la formule Dominus Salvator, resp. Dominus sa-
lutaris; Ps.-Hegemonius, Acta Archelai 5, 4: GCS 16, 7, 3s (texte grec 'σωτήρ
TRADUCTIONS D,ORIGENE 139

nius le Donatiste et Maximin, évêque des Goths et adversaire de l'évê-


que d'Hippone 9. 10
Il 11
ne manque pas non plus d'auteurs gaulois qui ap-
pelaient plus ou moins fréquemment le Christ « Seigneur et Sauveur ».
Nous relevons ainsi Sulpice Sévère, Eucher de Lyon, Jean Cassien
et Vincent de Lérins 1°. Quant aux écrivains espagnols, il y a Gré-
goire d'Elvire et Paul Orose, quoique ce dernier n'ait utilisé que très
rarement ce titre christologique n. Nommons enfin Jérôme le Prêtre
et Nicétas, évêque de Rémésiana en Dacie, écrivains illyriens 12.

κύριος’) et 7, 18s (texte latin ,salvator dominus')’, 61, 6: GCS 16, 89, 30s; 31, 9:
GCS 16, 44, 27; 15, 8: GCS 16, 24, 27s. Il est intéressant de relever que la traduc-
tion latine qui, d’après l’éditeur, C. H. Beeson (voir GCS 16, XVIIIs), daterait
de la fin du IVe siècle propose la formule en plusieurs variantes, et que, dans l’uni-
que passage transmis en grec, σωτήρ précède κύριος. Cela nous suggère qu’au temps
de la rédaction de l’original grec (330-348), la formule κύριος σωτήρ n’était pas en-
core courante; Rufin, De bened. pair. II, 19, 2s: CChL 20, 216. Voir également, De
adult, liborum Origenis, 9, 10: CChL 20, 13. Quant aux autres traductions on y re-
viendra ci-dessous; Gaudence de Brescia, Tract. IV, 18, 101-103: CSEL 68, 43;
IX, 22, 189s: CSEL 68, 81; etc.; Maxime de Turin, Serm. 28, 48: CChL 23, 109;
serm. 41, 52: CChL 23, 165; serm. 63, 45: CChL 23, 267; serm. 99, 31: CChL 23, 394.
9 Augustin, Conf. 9, 4, 7: Bibl. Aug. 14, 82; 7, 5, ‫ך‬: Bibl. Aug. 13, 594; Contra
Faustum, 23, 5: ML 42, 468; De Trinitate IV, 3, 5; ML 42, 889, aussi bien qu’en
bien des sermons ou des commentaires scriptuaires. Parmi ceux-ci, on notera surtout,
Tract, in evang. Ioannis 17, 1-16: CChL 36, 169-179, où Augustin cite par deux fois
Tite 2, 13 et recourt cinq fois à la formule Dominus et Salvator noster Iesus Christus.
Il est, d’ailleurs, à retenir que ce traité commence par cette formule, qu’il contient
des allusions au symbole baptismal, qu’il insiste sur la grandeur de l’incarnation,
qu’il développe le motif du sauveur-médecin et qu’il défend contre les ariens l’action
créatrice du Christ: des traits qui nous font donc tous saisir la portée qu’a la formule
dans la pensée d’Augustin; Ticonius, In Apoc. 10, 7; MLS 1, 642: « ...septima
tuba persecutionis est finis, est aduentus Domini Saluatoris »; Maximinus, C. Ambro-
sium, 17: MLS I, 703; serm. 2: In sancta Epiphania, 164 s: MLS 1, 734 ss; serm.
7, 174: MLS I, 745.
10 Sulpice Sévère, Dial. I, 4: CSEL 1, 185, us.; Eucher de Lyon, De laude
heremi, 22: CSEL 31, 184; Instruct, ad Salonium, I, Mt 9: CSEL 31, 108; ib., I,
10 9: CSEL 31, 117; Jean Cassien, De Incarn. I, 2: ML 50, 19AS; I, 3: ML 50,
23A (deux fois); II, 5: ML 50, 42DS; II, 6: ML 50, 47A; III, 13: ML 50, 69B;
VII, 30: ML 50, 267AS.; Vincent de Lérins, Excerpta, 7: ed. Madoz 120, 6-9;
Common., 26: ML 50, 673.
11 Grégoire D’Elvire, De fide orthodoxa, 8: ML 20, 47D, 49A. — Parmi les
oeuvres de cet auteur, mérite d’être spécialement mentionné le Tractatus (Origenis)
de libris SS. Scripturarum: MLS 1, 358-472: On y rencontre sur environ 120 colon-
nés cinq fois Dominus et Salvator ou Dominus Salvatorque, quatre fois Deus Salva-
tor et une fois Salvator noster et Dominus. — Voir aussi, ib. XVII, 184: MLS 1, 456;
Orose, Lib. apol. 31, 8: CSEL 5, 659. — Voir Adv. pag. 7, 3, 4: CSEL 5, 438.
12 Jérôme, In Hieremiam proph. III, 74, 2: CSEL 59, 210, 21s; In Isaiam,
12, 41, 8/16, 67: CChL 73A, 472; 12, 41, 21/24, 20s: CChL 73A, 475; ep. 18A, 7, 7:
CSEL 54, 84; Vulgate: 1 Rois 14, 39; Phil 3, 20. — Parmi les commentaires bibli-
ques de Jérôme, celui sur Zacharie surtout est remarquable: ML 25 (1845) 1415D-
1542A. On y retrouve, en effet, environ vingt fois la formule Dominus Salvator, dont
I4Ò B. STUDER

Mais ce qui nous intéresse ici davantage, c'est la constatation


que le thème de Seigneur-Sauveur se rencontre très souvent dans les
traductions que Jérôme et Rufin ont faites de certains écrits dOri-
gène. Il suffit de se référer, à titre d'exemple aux Homüiae in Lucam,
traduites par Jérôme 13, et aux Homüiae in Numeros, rendues par
Rufin 14. Fait plus curieux, plusieurs exemples montrent très claire-
ment que les deux traducteurs ont reproduit en certains endroits σωτήρ
ou Χριστός par la formule Dominus Salvator. Ainsi lisons-nous dans
le texte original du livre III du De Principiis: « τί ό σωτήρ άπεκρί-
νέτο», dans la traduction de Rufin au contraire: «quod in evangelio
dominus et salvator respondit » 15. De même il est dit en grec dans le
même ouvrage: «ήλ&εν ο σωτήρ» (voir Le. 19, 10), tandis que dans
la lettre de Jérôme à Avitus le texte se présente de la façon suivante:
« sicut enim venit Dominus atque Salvator quaerere... »16. Dans la ver-
sion également que Jérôme a faite des homélies sur saint Luc nous
trouvons Salvator noster Dominus là où un fragment grec ne contient
que Χριστός 17.
Toutefois, il faut concéder que la situation se montre à nous un

plusieurs fois sous la forme Adventus Domini Salvatoris, p.e. I, i, 18s: ML 25, 1428B;
I, 2, i, 2: ML 25, 1430B. — Quant aux rapports de ce commentaire avec celui de
Didyme d’Alexandrie, on y reviendra tout à l’heure; Nicétas de Rémésiana, De
divers, appellationibus, 1, 13‫־‬: ed. Burn i; De Symbolo, 3: ed. Burn 41, 26‫ ;־‬De psal-
mod. bono, 10: ed. Burn 78, 8s.
13 Voir Origène‫־‬J érôme, Homiliae in Lucam: ed. Rauer = GCS 49 (35).
On y trouve au moins quatre fois Dominus Salvator, p.e., Horn. 8: GCS 49, 47, 5s.
48, 9, et trois fois Dçminus noster atque Salvator, p.e., Horn. 13: GCS 49, 77, 5s.
14 Voir Origène-Rufin, Homiliae in Numéros: GCS 30, 1285‫־‬. On y ren-
contre au moins huit fois Dominus et Salvator noster, p.e., Horn. 23, 2: GCS 30, 312,
29s. — Voir également Horn. 23, 10: GCS 30, 221, 16s: Christus Iesus Dominus et
redemptor eius; Horn. 26, 2: GCS 30, 244, 24s: « ...quod mandat Dominus et Salvator... ».
15 Origène, De Principiis III, i, 7: GCS 22.205, 8.23s.
16 Origène, De Principiis II, 8, 3: GCS 22, 155, 13, avec le texte de Jérôme,
Ep. ad Avitum: ML 22, 1065, en note. — Au sujet de cette traduction, il faut bien
noter que, polémiquant contre Rufin, Jérôme entendait donner ici une traduction
littérale. Voir G. Bardy, Traducteurs et adaptateurs au IVe siècle: RchScRel 30, 1940,
290, et, F. X. Murphy, Rufinus of Aquileia (Washington, 1945), 105. Mais cette
intention de faire une version littérale ne semble pas l’avoir empêché d’introduire
la formule Dominus atque Salvator.
17 Origène-J érôme, Homiliae in Lucam 10: GCS 49, 60, 11: « έν τη Χρίστου
έπιδημίςρ » et « in adventu Domini Salvatoris ». — D’autres exemples du même genre
dans le même ouvrage: Horn, in Lucam 8, 1: GCS 49, 47, 5s, à comparer avec Am-
broise, Expos, in ev. s. Lucae II, 28, 385s: CChL 14, 43 = CSEL 32/4, 56, 6. —* Hom.
in Lucam 8, 2: GCS 49, 48, 810‫־‬, à comparer avec Ambroise, Expos, in ev. s. Lu-
cae II, 27, 374: CChL 14, 42 = CSEL 32/4, 20s. Horn, in Lucam 21, 4: GCS 49, 128,
193 ,30 ;24‫־‬: GCS 49, 173, 24s. 174, 24‫־‬. A ajouter un exemple ultérieur de la tra-
duction du De Principiis par Rufin: IV, 2, 1: GCS 22, 306, 3.
TRADUCTIONS D ‫׳‬ORIGÈNE 141

peu différemment, quand nous disposons d'un texte grec qui ne pro-
vient pas seulement de fragments de chaînes, mais d'une tradition
plus complète du texte. Les homélies sur Jérémie dont nous possé-
dons une grande partie non seulement dans la version de Jérôme, mais
aussi dans le texte original, nous en fournit un exemple très éloquent 18.
Dans ces homélies, en effet, nous rencontrons en grec, comme en quel-
ques passages d'autres écrits origéniens, la formule σωτήρ καί κύριος 19.
Mais, au moins trois fois, nous y voyons aussi le titre ό κύριος ήμών
καί σωτήρ ’Ιησούς Χριστός, ce qui paraît exceptionnel 2°. Jérôme lui-
même a rendu chaque fois littéralement cette formule solennelle, et
cela, on le notera bien, vers 380 21. Pourtant il faut aussi remarquer
qu'une fois, au moins, il change les termes de la formule plus simple,
σωτήρ κύριος, en la traduisant par Dominus et Salvator meus 22. On
peut considérer ce changement comme peu significatif, voire même
comme dû au hasard. On lui attribuera, cependant, une portée plus
grande, si l'on tient compte des anomalies assez nombreuses du même
genre. Jérôme, en effet, reproduit également σωτήρ par Iesus23 ou

18 La version de Jérôme et le texte grec sont reproduits à la fois dans Tèdi-


tion de MG 13, 255526‫־‬.
19 Origène, Homiliae in Jeremiam 1, 6: MG 13, 259B, 260B; 8, 9: MG 13,
348A; 15, 3: MG 13, 431A, 432A.
20 Origène, Homiliae in Jeremiam 1, 4: MG 13, 259A, 260A, voir Origenes-
Werke: GCS 3, 3, 20s. — 15, 3: MG 13, 431A, 431A et 431B, 432B, voir GCS 3, 127,
ns. 127, 24. Pour bien saisir la portée exceptionnelle de cette version littérale, il
faut tenir compte, il est vrai, qu’Origène utilise très fréquemment les titres chris‫־‬
tologiques ό σωτήρ et ό κύριος. Voir à ce propos la remarque en GCS 4, 656: Wort-
register: σωτήρ: « Häufigste Bezeichnung Jesu ». D’après les tables de GCS, il faut
même concéder qu’Origène recourt quelquefois aussi à la formule ό σωτήρ καί κύριος,
p.e. Exhort, in martyrium, 46: GCS i, 42, 19; C. Celsum II, 67: GCS 1, 189, 18s. Voir
encore GCS 41, 2, 230: Wortregister: κύριος. L’expression κύριος σωτήρ, est extrê-
mement rare. Outre les trois passages que nous venons de citer, on rencontre, du
moins d’après les tables de GCS, une seule fois ό κύριος καί σωτήρ ήμαν ,Ιησούς
Χριστός. Il s’agit de In Matthaeum 16, 3: GCS 40, 470, 32. Ce texte, pourtant, n’est
pas nécessairement d’Origène lui-même. Voir E. Klostermann, Einführung in
die Arbeiten des Origenes zum Matthäus: GCS 41/2, XX, qui admet deux recensions
de texte, remontant à Césarée, mais non authentiques. Dans la traduction latine,
d’ailleurs, ce passage est omis.
21 D’après F. Cavallera, Saint Jérôme, sa vie et son oeuvre, II, 20, les homé-
lies sur Jérémie ont été traduites pendant le séjour de Jérôme à Constantinople,
voire, après la Chronique dont la date est fixée à 380. — Voir aussi, O. Barden-
hewer, Geschichte der altkirchlichen Literatur, III .(Freiburg, 1912), 612.
22 Voir Origène-Jérôme, Homiliae in Jeremiam 15, 3: MG 13, 429D. 430D.
GCS 3, 127, 2, reproduit le même texte grec. — Voir aussi 21, 4: MG 13, 532C, qui,
cependant, n’est conservé qu’en latin: « Unum subiacens est Domino meo Jesu Sai-
valori».
23 Op. cit. 17, 2: MG 13, 455B. 456B.
I42 B. STUDER

Dominus24 et &εός par Dominus 24 25. Au lieu de « τόν σωτήρα οΐδαμεν


κύριον », il sait dire « Iesum Christum scimus Deum » 26. On trouve
même un passage dans lequel le sens christologique de !,original a
été élargi jusqu'à une affirmation nettement trinitaire 27.
Ajoutons que cette manière libre de rendre le texte original n'est
pas limitée aux seules versions d'écrits origéniens. De fait, il faut,
semble-t-il, admettre aussi la même chose de la traduction du De Spi-
ritu Sancto de Didyme l'Aveugle. En tout cas, dans une partie de cet
ouvrage, tel qu'il nous a été transmis par saint Jérôme, Dominus Sal-
vator se trouve plusieurs fois 28. Dans le De Trinitate, au contraire,
la formule respective κύριος σωτήρ ne se rencontre pas. Il est vrai
que certains doutent de l'authenticité de cet ouvrage 29. Toutefois, le
commentaire sur Zacharie qu'on attribue unanimement à Didyme
diffère lui aussi nettement, quant à l'emploi de notre thème, des expli-
cations que Jérôme a données du même prophète. Tandis que nous
voyons la formule quatre fois chez l'Alexandrin, nous la retrouvons
presque vingt fois chez le docteur latin qui néanmoins a suivi de près
les interprétations de son maître 3°. Force est de constater que les
textes ne manquent pas, dans lesquels Jérôme a choisi la formule
Dominus Salvator pour remplacer le σωτήρ de son modèle 31.
Nous sommes donc amenés à reconnaître que les versions latines,

24 Op. cit. 9, 4: MG 13, 357A. 358A.


25 Op. oit. 17, 4: MG 13, 459B. 460A. — Ce changement est d'autant, plus im-
portant quOrigène entend par θεός le Père, tandis que pour Jérôme, Dominus c’est
Jésus Christ.
26 Op. cit. i, 7: MG 13, 261D. 262D. — Il est, d’ailleurs, intéressant de noter
que dans le contexte, κύριος et σωτήρ se suivent sans cesse.
27 Op. cit. 9, 1: MG 13, 349AB (grec). 350AB: le texte latin réfère aussi au Saint-
Esprit. — Voir aussi op. cit. 1, 10: MG 13, 267A. 268A, où θεός et σωτήρ sont ren-
dus par Pater et Filius, aussi bien que 14, 15: MG 13, 423B. 424B, où κύριε παντό-
κρατορ est traduit par Domine Pater omnipotens.
28 Voir Didyme D’Alexandrie, De Spiritu Sancto 4451‫־‬: MG 39, 1072A-
1076C. — Voir aussi 15: 1047B: « creatorem Dominum Patrem Salvatoris ».
29 Voir L. Doutreleau, Didyme VAveugle: Sur Zacharie, I = Sources Chrê-
tiennes (Paris, 1962), 126-128.
80 Voir Didyme D’Alexandrie, Sur Zacharie: ed. Doutreleau, I, 217, 49,
25: SChr 83, 304; III, i, 182, 21: SChr 84, 614; IV, 242, 338, 24: SChr 85, 928; V,
37, 366, 15: SChr 85, 986. — Quant à Jérôme, In Zachariam: ML 25 (1845) 1415D‫־‬
1542A, voir la note 11.
31 Didyme, III, 55: 195, 1719‫־‬: SChr Jérôme, II, 8, 23: ML 25, 1477C:
84, 644:
« ούχ έτερον βντα της του σωτήρος εις άν- « Nos autem
θρώπους έπιδημίας καθ ’δν έγεννήθη έκ in adventu Domini Salvatoris
της παρθένου δ Εμμανουήλ...». quando de Maria natus est Virgine
et rectius et verius intelligimus ».
TRADUCTIONS D'ORIGÈNE 143

faites par Jérôme et Rufin, des écrits origéniens, recourent très fré-
quemment au thème du Seigneur-Sauveur. Il faut même admettre
qu'elles le contiennent beaucoup plus souvent que le texte original,
voire même, qu'elles l'emploient là où le texte grec connu met en va-
leur d'autres titres christologiques. Certes, cette note très caractéris-
tique correspond à la tradition latine des alentours de 400. Elle n’est
même pas absente d'autres traductions que Jérôme nous a laissées.
Mais est-ce que ce contexte historique explique vraiment le fait de
ces traductions assez libres? Ne pourrait-on pas imaginer que les tra-
ducteurs latins avaient à leur disposition un texte grec mieux con-
servé que celui des fragments grecs qui nous sont restés? Et alors,
ne serait-il pas plus juste de penser à une influence des versions sur
la tradition latine en général plutôt qu'à une influence inverse? C'est
un problème qui n'est pas facile à résoudre.

2. Adaptation plutôt que traduction.


Dans son introduction aux homélies d'Origène sur Josué, Mlle
Jaubert résume son appréciation de la version latine faite par Rufin,
comme suit: « Il faut plutôt la considérer comme une libre adaptation,
non comme une traduction»32. Et cela dit, elle souligne que «nous
ne serons jamais sûrs d'avoir l'expression d'Origène » 33. Tout cela
est également valable de la manière dont non seulement Rufin, mais
aussi Jérôme reproduisent les noms et les titres qu'Origène a appli-
qués au Christ. Ils les adaptent selon le goût de leur temps plutôt qu'ils
ne les traduisent à la lettre.
Bien sûr, il ne manque pas de raisons de supposer que les deux
traducteurs soient restés plus proches des textes originaux que les
compilateurs des chaînes qui nous ont transmis le texte grec 34. Avant

Didyme, II, 340: 173, 20s: SChr 84, Jérôme, II, 8, 11.12: ML 25, 1471C:
594*·
«... γέγραπται* « dicitur:
Εύφράνθητε, οί ουρανοί άμα αύτφ (Dt 32, ’ Laetamini caeli cum eo ’ (Dt 32, 43)
43: LXX) τφ σωτηρι δηλονότι» id est, cum Domino Salvatore ».
A comparer en outre, Didyme, II, 25: 99, 311 ,100‫־‬: SChr 84, 438 (avec tout
le contexte) avec Jérôme, II, 6, 9: ML 25, 1457D (avec le contexte). — Voir éga‫־‬
lement ce que, dans la note 2, on a dit sur la version latine du commentaire dOri-
gène sur Matthieu. De même on notera les divergences des textes dOrigène et d’Am-
broise, cités dans la note 16.
33A. Jaubert, Origène, Homélies sur Josué, 82. — L’auteur renvoie en note,
à M. Wagner, Rufinus the Translator, 9, qui défend la même appréciation.
33 Op. cit., 82.
34 En ce qui concerne les caractéristiques générales des chaînes exégétiques,
voir, R. Devreesse, Chaînes: DBS 1 (1928) 10841233‫־‬, surtout 1092SS. — Voir éga-
lement A. Jaubert, op. cit., 7082‫־‬.
I44 B. STUDER

tout, on pourrait se référer aux homélies sur Jérémie, traduites par


Jérôme. Comme nous venons de le voir, la version latine, en effet,
ne fait que suivre littéralement le texte original, quand, au moins
par trois fois, elle désigne le Christ par le titre Dominus et Salvator
noster lesus Christus 35. Il n'y a donc pas à!a priori à considérer ce
titre emphatique comme un élargissement de noms qu'Origène lui-
même a attribués au Christ. Bien au contraire, on est plutôt porté
à supposer que çà et là les titres originaux ont été abrégés par les corn-
pilâteurs grecs.
Une double considération pourrait confirmer cette hypothèse. De
fait, il est incontestable que dans ΓOccident de 400, le titre de Domi-
nus Salvator, quoique très répandu, est de date récente. En effet, cer-
tains des auteurs qu'on vient de citer n'ont utilisé que très rarement
cette expression ou des formules semblables. Ce qui est plus impor-
tant, c'est que notre formule est presqu'absente des ouvrages latins
antérieurs à 375. Elle se rencontre, il est vrai, en certains passages
des versions anciennes de la Bible36. Elle se trouve également chez
TertulHen, bien que sous une forme spéciale. Cet auteur, en accom-
modant certains textes scripturaires, a parlé de Dominus Salvificator 37.
De même, la formule apparaît déjà dans des documents de la con-
troverse arienne, soit dans des écrits de particuliers, soit dans des
actes synodaux, et même dans une lettre de l'empereur Constantin
le Grand aux évêques catholiques 38. Toutefois, ni Novatien, ni Cyprien

35 Voir la note 20.


36 Parmi les textes du NT, les plus importants sont ceux de la Secunda Petri:
i, ii; 2, 20; 3, is; 3, 18. — La tradition latine de ces versets est pourtant loin d'être
uniforme. Voir à ce sujet, Vetus Latina, Lieferung 26/3, 197.218s.224.236. Ainsi
σωτήρ est-il rendu par conservator, salutaris ou salvator. Au lieu de κύριος, nous y
lisons aussi deus ou deus et dominus. — On notera, d'ailleurs, que les témoins du
texte indiqués par la Vetus Latina ne sont pas antérieurs au IVe siècle. — Voir en
outre, Luc 2, 11; Phil 3, 20; 1 Rois 14, 39. Quant à tous ces textes, il serait intéres-
sant de suivre l'histoire de leur tradition. Ainsi est-il remarquable que les deux tex-
tes néo-testamentaires n’aient été que rarement allégués avant le Ve siècle.
37 Tertullien, De ieiunio, 6, 3: CChL 2, 1262 = CSEL 20, 280, 19SS (Dt 32,
15); Adv. Marcionem V, 15: CChL 1, 710 = CSEL 47, 629, 12s (1 Thess 5, 23). —
Voir à ce sujet, R. Braun, Deus Christianorum (Paris,. 1962), 488s, et encore, F.
J. Dölger, Der Heiland: Antike und Christentum 6, 1950, 268s.
38 Voir la lettre du Pape Jules, citée par Athanase, Apol. ad Arianos, 53:
MG 25, 345C. Cette lettre doit avoir été écrite entre 337352‫־‬.
Voir en outre le symbole de Sirmium de l'an 357, tel qu'il est reproduit par
Hilaire, De synodis, 11: ML 10, 487B = CSEL 65, 79, 2-6, et Socrate, Hist. Ec-
des. 2, 30: MG 67, 288A. Dans lé texte chez Athanase, Ep. de synodis, 28: MG 26,
741 A, il manque le mot σωτήρ .En ce qui concerne ce symbole, voir J. N. D. Kelly,
Early Christian Creeds (London, i960) 285.
Cette confession de foi est à rapprocher du prétendu symbole de Phébade (vers
358): ed. Hahn 69s.
TRADUCTIONS d'ORIGÉNE 145

qui vivaient au milieu du IIIe siècle, ne parlent de Dominus Salvator,


ni même de Salvator 39. Parmi les auteurs antiariens eux-mêmes, il y
en a, tels Hilaire de Poitiers ou Eusèbe de Verceil, qui ignorent la
formule, ou qui, du moins, n'en font pas usage dans leurs propres
écrits 4°. On la cherche aussi en vain dans les Libri Euangeliorum de
Juvencus 41.
D'autre part, il n'est pas moins certain qu'en ce temps-là, les
Orientaux ne recouraient plus guère au titre équivalent de Dominus
Salvator, à savoir, au titre de κύριος σωτήρ. Tandis que saint Atha-
nase avait beaucoup aimé appeler le Christ κύριος σωτήρ, ce titre
n'a plus beaucoup d'importance chez les auteurs postérieurs 42. On
en rencontre quelques rares exemples chez Didyme d'Alexandrie, Vi-
talius d'Antioche, Cyrille de Jérusalem, Basile le Grand et Théodore

De plus, Marius Victorinus, Adv. Arium 1, 47, 45SS: ed. Hadot: SChr 68,
332 (au lieu de Dominus, cependant, l’équivalent de pater omnis creaturae); Epist.
Candidi, ii, 18-22: ed. Hadot: SChr 68, 124. Quant à l’authenticité de ce deuxième
texte, voir, P. Nautin, Candidus VArien: Mélanges de Lubac, 1, 309320‫־‬, ainsi que
M. SiMONETTi, Nota sull’ariano Candido: Orpheus io, 1963, 151157‫־‬. D’après ces
deux auteurs, il s’agit d’une lettre fictive, composée par Marius Victorinus lui-même.
Lucifer de Cagliari, De s. Athanasio, 1, 33: CSEL 14, 124, 26s.
On pourrait se référer également à un fragment arien qui précise même qu’il
faut voir le Fils dans le Seigneur par lequel toutes les choses ont été créées: Fragm.
arian. 4: ML 13, 603B-605C. Mais il est difficile de le dater. Constantin, Epist.
5: CSEL 26, 210, 4s. — Dans la même lettre apparaît aussi la formule Christus Sal-
vator: 208, 31s; 209, 5.34. — Voir aussi Orat. ad Coetum Sanctorum, ii: MG 20,
1264BC. — Pour ce qui concerne la valeur de ces témoignages, J. Quasten, Initiation
aux Pères de l’Eglise, III (Paris, 1962) 459492‫( ־‬Litt.).
39 Voir R. Braun, Deus Christianorum, 495, note 1. —· On trouve, cepen-
dant, Salvator dans les Testimonia de Cyprien: 2, 7: CSEL 3/1, 71, 16 (titre). 73,
2 (Le 2, 11); 3, 11: CSEL 3/1, 124, 5 (Phil 3, 20).
40 Suivant le glossaire du CSEL, Hilaire n’utilise que très rarement le mot
même de salvator. Ce qui est à expliquer par l’histoire générale de ce mot qui ne
s’est imposé à tous les milieux chrétiens que vers la fin du IVe siècle. Voir à ce pro‫־‬
pos, P. de Labriolle, Salvator: ALMA 14, 1939, 35; C. Mohrmann, Les emprunts
grecs dans la latinité chrétienne: VigChr 4, 1950, 204s; A. Thibaut, La révision he-
xaplaire de s. Jérôme, n. 24: P. Salmon, Richesses et déficiences des anciens psautiers
latins (Rome, 1959) 121s; R. Braun, Deus Christianorum, 493, note 1.
41 Voir Juvencus, Evangeliorum libri IV: CSEL 24, 170: index, où ne sont
indiqués que cinq passages avec Salvator.
42 Voir les textes indiqués par G. Müller, Lexicon Athanasianum, 787794‫־‬,
surtout 792: κύριος; 1403s: σωτήρ. —Voir aussi, H. Linssen, ΘΕΟΣ ΣΩΤΗΡ. Entwich-
lung und Verbreitung einer liturgischen Formelgruppe: Jahrbuch für Liturgie Wissen-
schaft 8, 1928, 175‫־‬. Cet article, d’ailleurs, ne met pas seulement en lumière l’in-
fluence de saint Athanase, voire, de l’Eglise d’Egypte, dans ce qui concerne Tori‫־‬
gine et l’évolution de la formule Dominus Salvator, mais contient aussi un maté-
riel très riche, concernant l’histoire de cette formule dans les textes liturgiques en
général.

10 ‫־‬ Vetera Christianorum


146 B. STUDER

de Mopsueste 43. Mais il est peu probable que Jean Chrysostome ou


Cyrille d'Alexandrie aient employé cette formule 44. Ils préféraient
d'autres titres parce que, semble-t-il, le titre de κύριος était tombé
en désuétude et avait cédé la place au nom de δεσπότης 45.
D'après ces deux faits, on serait enclin à conclure que les rédac-
teurs des chaînes, poussés par la tradition qui s'était formée dans
la seconde moitié du quatrième siècle, ont abrégé, du moins en cer-
tains cas, les titres origéniens du Christ. Les traducteurs latins, au
contraire, auraient suivi la lettre de leurs modèles, voire même, con-
tribué ainsi à la propagation de Dominus Salvator chez les auteurs la-
tins de leur temps 46.
Cependant, cette explication a peu de chances d'être la vraie.
Tout d'abord, à en croire les tables de GCS, même dans les ouvrages
origéniens conservés en grec, le titre de κύριος σωτήρ est extrêmement
rare 47. On y trouve, par contre, plusieurs fois celui de σωτήρ κύριος 48.
Par la suite, Tun des plus fidèles disciples d'Origène, Eusèbe de Césa-
rée, tout en faisant cas de ce dernier titre, !!,utilise jamais, semble-t-il,
la forme κύριος σωτήρ 49. En parcourant ses écrits, on a !,impression

48 Voir Didyme D’Alexandrie, Sur Zacharie, cité ci-dessus: note 30; Vita-
lius D’Antioche, De fide, cité par Cyrille D’Alexandrie* De recta fide ad reginas,
I, 10: MG 76, 1216D =‫ ־‬ed. Lietzmann 273, 18-22; Cyrille De Jérusalem, Cote-
chesis 15, 12: MG 33, 885BC; Basile De Césarée, Adv. Eunomium, 2, 2: MG 29,
576D; De Spir. Sancto, 24, 55: MG 32, 172B; 29, 73: MG 32, 204C (citation de Julius
Africanus); De iudicio Dei, 7: MG 31, 672A. — D’après un glossaire, dressé dans un
mémoire inédit par A. Hawkaluk, De nominibus divinis apud S. Basilium (Rome,
1965/6), 107, il n’y a pas d’autres textes qui contiennent la formule; Theodore De
Mopsueste, In Ioannem, 1, 29: MG 66, 733D == ed. Vosté 29, 23s; 5, 19: MG 66,
744C = ed. Vosté 80, 12; In Matthaeum, 3, 1517‫־‬: Frag. 14: ed. Reuss 101, 2-4.
44 A propos de Jean Chrysostome, voir A. Wenger, Introduction aux caté-
chèses baptismales: SChr 50 (Paris, 1957), Ί5°> note 2, où il est dit: «...le terme de
κύριος ne se trouve que rarement chez lui et dans des expressions consacrées corn-
me la formule de foi ou dans la doxologie ». Chrysostome préfère, en effet, de loin
δεσπότης, maître. Voir op. cit., 116, note 3 et 119, note 1. On rencontrera d’autant
moins chez lui κύριος καί σωτήρ. Chez Cyrille d’Alexandrie, notre formule est ab-
sente, sauf erreur, des lettres et des homélies pascales. On y voit, par contre, très
fréquemment la formule ό πάντων σωτήρ Χριστός. Voir, p.g., Horn. Pasch. 29, i, 3:
MG 77, 957B.961B.965C. Ou bien la formule σωτήρ ήμών Χριστός. Voir, p.e. Horn.
Pasch. 2, 7.8: MG 77, 445B.449A. Assez souvent se rencontre également ό των όλων
σωτήρ καί κύριος. Voir p.e. Horn. Pasch. 24, 4: MG 77, 897D; 25, 1: MG 77, 901D.
45 Voir la note précédente à propos de Jean Chrysostome.
46 A ce sujet, il ne faut pas oublier les rapports respectifs qui existaient entre
Chromace d’Aquilée, Rufin, Jérôme et Augustin.
47 Voir ci-dessus, note 20.
48 Outre les textes allégués dans la note 20, sont à noter: Origène, C. Celsum,
V, ii: GCS 2, 12, 18; VI, 17: GCS 2, 88, 16. — In Matthaeum, 15, 11: GCS 40, 378, 9-13.
49 A en juger par les index de ses oeuvres, Eusèbe n’utilise que la formule de
TRADUCTIONS d'ORIGÉNE 147

qu'il aimait adjoindre la formule biblique κύριος ημών ,Ιησούς Χριστός


au titre fréquent depuis le second siècle de ό σωτήρ, quand il enten-
dait lui donner plus de relief. Mais il n'a pas été amené à changer les
deux titres.
Et cela se comprend. Car Eusèbe est encore plus proche de la
position de son maître que de celle du concile de Nicée. Tous les deux,
en effet, hésitaient encore à désigner le Christ comme Seigneur au sens
plénier, à savoir, comme Dieu tout-puissant et premier principe du
monde 50. D'autre part, tout en parlant couramment de ό σωτήρ, au
lieu de ,Ιησούς, dans des contextes plutôt narratifs, ils appliquaient
le mot de σωτήρ au Verbe éternel plutôt qu'au Verbe incarné. Pour
eux, le Fils de Dieu est σωτήρ en tant que Verbe qui dirige et con-
serve le monde 51. En d'autres termes, ils étaient encore loin de résu­

σωτήρ κύριος, p.e., Demonstr. evang., 3, 2, 32: GCS 23, 101, 9; 5, 3, 2: GCS 23, 219,
14 ,7 ,9 ;6‫־‬: GCS 23, 418, 22SS; 10, 8, 67: 23, 483, 17. — De eccles. theologia, 2, 1: GCS
14, 99, 27s; 2, 20: GCS 14, 127, 16; 3, 3: GCS 14, 146, 7; 3, 5: GCS 14, 159, 35s; 3,
17: GCS 14, 179, 8.14. — Voir aussi la formule ήμέρα κυριακή τε καί σωτήριος, dans
la Vita Constantini, 18: GCS 7, 124, 6.11, ainsi que dans les Laudes Constantini, 9:
GCS 7, 219, 27s.
50 Voir à ce sujet P. Beskow, Rex gloriae. The Kingship of Christ in the Early
Church (Uppsala, 1962), 295307‫־‬, surtout 297s (Litt.). — Quant à l’usage christolo-
gique de παντοκράτωρ chez Origène, les affirmations de cet auteur sont cependant,
à nuancer. En effet, on a de bonnes raisons de considérer comme texte authentique
ce que nous lisons chez Origène, De Principiis, I, 2, 10: GCS 22, 43, 517‫־‬, surtout
1417‫־‬: « Et sicut nemo debet offendi, cum deus sit pater, quod etiam salvator deus est,
ita et cum omnipotens dicitur pater, nullus debet offendi, quod etiam filius dei omni-
potens dicitur ». Car, ce texte n’est pas isolé. Voir les autres textes cités par C. Ca-
pizzi, Pantokrator (Rome, 1964), 56.7281‫־‬.
51 Cette idée du Λόγος-σωτήρ est très caractéristique pour la théologie d’Eu-
sèbe de Césarée. Voir, De eccles. theologia, 1, 9: GCS 14, 67, 18ss; 3, 15: GCS 14, 172,
25; E. Marcellum, 2, 4: GCS 14, 57, 34; Demonstr. evang. 5, 3, 2s: GCS 23, 219, 16‫־‬.
Aussi ne peut-on que souligner ce qu’a dit H. de Riedmatten, Les Actes du
procès de Paul de Samosate, 74: « En connotant ce rôle cosmique du Verbe, Eusèbe
l’appelle une δύναμις; si le Verbe est ’ Christ ’, ’ Grand-Prêtre ’, ’ Sauveur c’est
encore dans sa fonction d’intermédiaire cosmique... Ces termes quOrigène réser-
ve à l’incarné, Eusèbe dit qu’ils conviennent au Verbe de par sa nature même ».
Ce que cet auteur affirme d’Origène est pourtant à corriger, Eusèbe ne fait
que s’insérer dans la tradition alexandrine que Philon, suivant les spéculations hel-
lénistiques, a fondée et qu’Origène n’a pas abandonnée. Il est vrai qu’Origène parle
très souvent de σωτήρ au sens historique, voire, l’emploie au lieu de Jésus. Mais il
ne réserve aucunement ce titre au Verbe incarné. Pour lui, le Verbe est Sauveur,
soit qu’il libère du mal, soit qu’il achève les hommes, voire même toute la création.
Voir en ce sens, C. Celsum, VI, 17; GCS 2, 88, 16s; VI, 31: GCS 2, 100, 27.
Voir à ce sujet P. Beskow, Rex Gloriae, 187230‫־‬, en particulier, 210s. — En
ce qui concerne spécialement l’idée d’intermédiaire sauveur chez Origène, voir M.
Harl, Origène et la fonction révélatrice du Verbe incarné, surtout, 106, avec la note 18.
I48 B. STUDER

mer par la formule κύριος σωτήρ toute la foi dans le Christ. Ils n'en
étaient pas encore à désigner le Verbe incarné comme Seigneur et
Sauveur pour mettre en lumière le fait qu'un et le même a créé le monde
et Ta aussi sauvé du péché 52.
Pour toutes ces raisons, il est préférable d'admettre que Jérôme
et Rufin, dans beaucoup de cas, ont élargi les titres christologiques
qu'ils trouvaient dans les textes originaux dOrigène. Sans pour autant
vouloir corriger ou même trahir la pensée de leur maître, ils ont qua-
lifié à leur manière le Christ de Seigneur et Sauveur. Les fragments
grecs, par contre, sont à considérer comme plus fidèles à cet égard.

3. Les motifs de Vadaptation.


L'explication que nous avons donnée jusqu'ici de notre problème
restait sur un plan plutôt négatif. Nous avons expliqué, pourquoi il
est peu vraisemblable que les versions de Jérôme et de Rufin, chaque
fois qu'elles attribuent au Christ le titre de Seigneur et Sauveur, re-
présentent la meilleure tradition du texte. Mais il faut aussi chercher
les raisons pour lesquelles les deux traducteurs ont adapté plutôt que
traduit le texte grec qu'ils avaient sous les yeux.
Sans doute, il faut se rendre compte que les anciens avaient de
la traduction d'autres conceptions que nous 53. Surtout quand il s'agis-
sait de traduire des ouvrages destinés à l'édification, ils se sentaient
moins liés à la lettre du texte original 54. Mais cette constatation gé-
nérale ne montre pas encore pourquoi on a rendu précisément un sim-

62 C’est seulement saint Athanase qui a élaboré le premier la conception de


rincarnation rédemptrice du Verbe, opposée à celle du Verbe créateur. Bien sûr,
dans ses premiers ouvrages, il ne manque pas de passages qui mettent en lumière
le Verbe, sauveur de toutes choses. Voir p.e., C. Gentes, 1: MG 25, 5A; De incarn.,
19s: MG 25, 129A-D; 15: MG 25, 121C. — Mais, déjà dans ces ouvrages, et plus for-
tement encore dans les écrits postérieurs, il insiste sur l’incarnation rédemptrice
du Verbe. Voir p.e., De incavn., 20, 5: MG 25, 132BC; 22, 3: MG 25, 136AB; Cr. c.
Avianos 2, 61: MG 26, 276C-277C; 2, 75: MG 26, 305B-308B; Epist. ad Epictetum,
6: MG 26, 1060Bss; 10: MG 26, 1064C-1065B.
Cette différence entre Athanase et Eusèbe a été mise en plein relief par M.
S1M0NETT1, Studi sull'Arianesimo (Roma, 1965), 9-87: SulV interpretazione patvistica
di Pvovevbi 8, 22. Voir surtout les pages 52s.61.67. — Voir en outre, P. Beskow,
Rex Gloviae, 323s; C. Andresen, Erlösung: Reallexikon /. Antike u. Chvistentum
6, (1965), 192‫־‬195·
53 Voir G. Bardy, Traducteurs et adaptateurs au quatrième siècle: RchScRel 30,
1940 257306‫־‬. — Pour saint Jérôme en particulier, voir, P. Courcelle, Les lettres
grecques en Occident (Paris, 1946), 42s. — Quant à Rufin, voir, A. Jaubert, On-
gène, Homélies sur Josué, 69.
54 Voir A. Jaubert, op. cit., 68s. — De même, F. Winkelmann, Spätantike
lateinische Uebevsetzungen christlicher griechischer Literatur: ThLZ 92, 1967, 231s.
TRADUCTIONS d'ORIGÉNE 149

pie Χριστός ou σωτήρ par la formule plus complète de Dominus Salvator.


Comme nous l’avons déjà vaguement indiqué, la raison princi-
pale de cette adaptation est certainement à rechercher dans l’évo-
lution des doctrines chrétiennes. Au IVe siècle, en effet, les défenseurs
de la foi de Nicée n’insistaient pas seulement sur la consubstantialité
du Fils avec le Père, mais aussi sur la portée suprême de !,incarnation
du Verbe. Tout en égalant le Fils au Père quant à l’action créatrice,
ils mettaient en lumière la valeur rédemptrice de l’humanité, assu-
mée par le Verbe 55. Dans un tel contexte historique, la formule Domi-
nus Salvator, existant, d’ailleurs, depuis longtemps dans les versions
latines de la Bible, avait toute chance d’être reçue comme expression
courante 56. Elle s’offrait tout naturellement comme résumé de la foi
de Nicée, telle qu’ehe avait été acceptée, avec des nuances différentes,
par tous les tenants de l’orthodoxie. Ces deux termes, en effet, expri-
ment de façon concise que Jésus-Christ est à la fois Dieu de Dieu, Sei-
gneur comme le Père, et homme né de la vierge Marie pour notre salut,
Sauveur de tout le genre humain 57.
C’est, du reste, selon la même attitude anti-arienne qu’on don-
naît un sens christologique aux Psaumes et à d’autres textes de l’An-
cien Testament 58. Appliqués au Christ, des passages, tels « Venite,

55 Cette double doctrines est imposée avant tout, vers la fin du IVe siècle quand
il s’agissait de défendre à la fois contre les Ariens la divinité du Verbe et contre les
Apollinaristes l'intégrité de la nature humaine du Christ, et elle a trouvé son exprès-
sion la plus parfaite dans l’antithèse de creator et recreator: le même qui a créé les
hommes est venu pour les sauver du mal. Voir p.e. Hilaire de Poitiers, In Mat-
thaeum, 32, 6: ML 9, 1072A; Ambroise, Expos, evang. s. Luc., 10, 95, 909SS: CChL
16, 373; Augustin, Tract, in Ioannem 38, 8, ioss: CChL 36, 342. — C’est surtout
Augustin qui ne cesse de recourir à cette antithèse. Voir à ce sujet, G. Ladner, The
Idea of Reform (Cambridge, 1959), 153-283.
86 II est très caractéristique que le Pape Damase, en polémiquant en même
temps contre les Ariens et les Apollinaristes, recourt à la formule de Dominus et
Salvator noster. Voir, Damase, Epistolarum fragmenta ad episcopos Orientales: ed.
Denzinger-Schönmetzer n. 146.
57 Voir Augustin, Contra Faustum, 23, 5: ML 42, 468: « Fides catholica ea-
demque apostolica est. Dominum nostrum et Salvatorem Iesum Christum et Filium Dei
esse secundum divinitatem, et filium David secundum carnem ». Voir, Tract, in evang.
Ioannis 17, 1-16: CChL 36, 169-179. — Et encore plus clairement, Jean Cassien,
De incarnatione, 6, 19: ML 50, 182: « Unum enim Christum omnes confitebantur, ne
duos facerent. Hunc ergo crede; et ita crede Dominum omnium Iesum Christum, uni-
genitum et primogenitum, eumdem rerum creatorem, quem hominum conservatorem:
eumdem prius conditorem totius mundi, quem postea redemptorem generis humani ».
88 A ce sujet voir P. Beskow, Rex Gloriae, 74122‫־‬: The Testimonia Tradition,
en particulier, 84s. —‫ ־‬De même, P. Prigent, Justin et l'Ancien Testament, Paris,
1964; W. Repges, Die Namen Christi in der Literatur der Patristik und des Mittelai-
ters: Trierer Theologische Zeitschrift 73, 1964, 161177‫־‬.
ISO B. STUDER

exultemus Domino, iubilemus Deo salutari nostro » (Ps. 94, 1: vulg.)


ou a Ego sum Dominus, ^ won absque me salvator » (/s. 43, 10), ne
pouvaient alors que favoriser la propagation de notre formule 59. Il
faut dire la même chose de la prière que désormais la liturgie adres-
sait au Christ lui-même 6°. Les acclamations surtout, comme κύριε
έλέησον, devaient sensibiliser les prédicateurs à l'expression si dense
Dominus Salvator 61.
Les conditions historiques, voire la controverse arienne avec ses
conséquences pour l'exégèse, la prédication et la liturgie, ne suffisent
pourtant pas à expliquer complètement les préférences que vers 400
les auteurs latins et avec eux nos deux traducteurs manifestaient
pour la formule Dominus Salvator. Le même contexte historique, en
effet, aurait dû jouer en Orient. Mais, comme nous l'avons vu, les
Grecs, pour des raisons encore mal connues, ont plutôt abandonné
cette formule à laquelle saint Athanase, toutefois, avait accordé une
si grande importance 62. Il faut donc supposer que d'autres raisons
ont, vers la fin du IVe siècle, poussé les théologiens et les orateurs
latins à recourir si souvent à notre expression.
Il faut, semble-t-il, chercher ces motifs dans ce que nous vou­

89 Les Testimonia recueillis par Fauste De Riez, De Spiritu Sancto, i, 4, mon-


trent clairement comment, la formule Dominus Salvator une fois acquise, il était
bien facile de retrouver ce thème dans la Bible elle-même: CSEL 21, 106s. — On
notera surtout, 106, 1525‫־‬: « ut uero hoc testimonium ad Christum noueris pertinere,
id est primus et nouissimus, de se alio loco dixit: ego sum principium, quod et loquor
uohis (Jo 8, 25), item: ante me non fuit deus et post me non erit, ego sum dominus et
non est absque me saluator (Is 43, 10), quod specialiter pertinet ad Christum humani
generis saluatorem, item: haec dicit dominus redemptor tuus et formator tuus ex utero:
ego sum dominus faciens omnia, extendens caelos, solus stabiliens terram et nullus
mecum (Is 44, 24), quod ad Iesum factorem ac redemptorem proprie respicit... ». —
Il n’est pas seulement remarquable de constater, comment Fauste réfère les textes
vétérotestamentaires au Christ, mais aussi comment il relève que le Christ est à la
fois créateur et rédempteur.
60 Pour ce qui est de la prière adressée au Christ, en général, voir J. Jungmann,
Die Stellung Christi im liturgischen Gebet (Münster, 1962), 188ss; P. Beskow, Rex
Gloriae, 157-168. — En outre, K. Baus, Das Gebet zu Christus beim hl. Hieronymus:
TThZ 60 (1951) 178188‫ ;־‬idem, Das Gebet der Märtyrer: TThZ 62, 1953, 1932‫ ;־‬idem,
Die Stellung Christi im Beten des hl. Augustinus: TThZ 63, 1954, 32I339‫ *>־‬idem,
Das Nachwirhen des Origènes in der Christusfrömmigkeit des hl. Ambrosius: Rom.
Quart. Schrift 49 (1954) 2155‫ ·־‬Quant à la connexion entre le thème de Dominus
Salvator et la liturgie, en particulier, voir l’article de H. Linssen que nous avons
cité dans la note 42.
61 Voir Th. Klauser, Akklamation: Reali. Ant. Chr. i (1950) 227-231, surtout,
229, et plus spécialement, F. J. Dölger, Sol salutis (Münster, 1925), 135.
·‫ י‬Voir ci-dessus notes 42-45.
TRADUCTIONS D ‫״‬ORIGENE 151

drions appeler la « spiritualité impériale » de l’Église latine antique 63.


De fait, depuis la paix constantinienne, dans FÉglise, soit dOrient,
soit d'Occident, se sont développées une théologie et une dévotion
qui rapprochaient F empereur romain du Christ. Loin d’opposer le
Seigneur des Seigneurs à Fantichrist, incarné dans l’empereur romain,
on voyait dans l’empereur une image du Christ, roi céleste, voire même,
on pressait leur union au point de transférer les titres de l’image à
son archétype 64. Or, c’est cette communication d’attributs qui de-
vait disposer particulièrement les chrétiens latins à parler également
de Dominus Salvator.
Pour s’en persuader, il suffit de regarder un peu l’évolution des
titres impériaux au tournant du IVe siècle 65. Avant Constantin le
Grand, en effet, on rencontre des inscriptions dans lesquelles il est
question de conservator Domini nostri 66. Par Dominus noster, on y
désigne l’empereur. Conservator, par contre, l’équivalent classique de
Salvator} s’applique à la divinité protectrice de l’empereur, c’est-à-dire,
à Jupiter ou à Hércule ou au Sol invictus 67. L’avènement de Constan-
tin, cependant, apporte une innovation. On commence à mettre sur
les inscriptions conservator Dominus noster 68. C’est « Monseigneur Fern-

83 Voir en général, J. Daniélou-H. Marrou, Nouvelle Histoire de VÉglise,


I. Des origines à saint Grégoire le Grand (Paris, 1963), 282285‫( ־‬avec la littérature
indiquée), et en particulier, P. Beskow, Rex Gloriae, 313330‫־‬: Christ the King and
the Christian Emperor, où on trouve une discussion de la littérature spéciale.
84 Voir J. K0LLW1TZ, Das Bild von Christus dem König in Kunst und Liturgie
der christlichen Frühzeit: Theologie und Glaube 37/8 (1947/8) 95117‫( ־‬avec les nuan-
ces données par Beskow); J. Dürig, Pietas liturgica (Regensburg, 1958), 169219‫־‬.
85 II ne peut être question d’entrer ici dans les détails de l’histoire assez com-
plexe des titres impériaux. De la littérature très abondante sur ce sujet, retenons
comme utiles: E. De Ruggiero, Dizionario epigrafico di antichità Romane, II/III,
19521955‫ ;־‬F. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, II (Leipzig, 1900), 610616‫;־‬
IHM, Domina, Dominus, Dominae: PWK 9 (1903) 1301s; G. Herzog-Hauser,
Kaiserkult: PWK Suppl. 4 (1924) 833852‫ ;־‬H. Linssen, ΘΕΟΣ ΣΩΤΗΡ, 65ss;
K. Prümm, Der christliche Glaube und die altchristliche Welt, I (Leipzig, 1935), 214225‫;־‬
R. Braun, Deus Christianorum, 91s; P. Beskow, Rex Gloriae, 173, note !: littérature.
88 Voir p.e., Dessau η. 631: I, 142: «Ι.Ο.Μ. / CONSERVA / TORI D. N.
IMP. / C. VAL. DIOCLETI(ANI INVI)CTI... ». — En outre, Dessau n. 429:
I, 104; n. 632: I, 142.
87 Voir G. Herzog-Hauser, art. cit., 849SS; H. Mattingly, Roman Coins
(London, 1928), 238.247.
88 Voir p.e. Dessau n. 737: I, 165: « (L)IBE{R)ATORIBUS / ORBIS RO‫־‬
MANI, CONSERVATORIBUS REI PUBLICAE / ET OMNIUM PROVIN‫־‬
CIAL. ! DD. NN. FL. IUL. CONSTANTIO / AUG. ET FL. CLAUDIO / CON-
STANTIO CAESARI...». — Voir, en outre, Dessau, η. 687: I, 155: «RESTI-
TUTORI PUBLICAE / LIBERTATIS DEFENSORI / URBIS ROMAE, COM-
MUNIS / OMNIUM SALUTIS AUCTORI / D. N. IMP. FL. VAL. CONSTAN-
152 B. STUDER

pereur » lui-mêrne qui est intitulé comme conservateur et soutien de


l'empire *69.
C'est sous cette forme que le titre est passé aussi au Christ. Constan-
tin lui-même, dans la lettre aux évêques que nous avons déjà citée,
évoque la via domini salvatoris 7°. De même, les évêques réunis en
synode à Rimini, en 359, ont écrit à l'empereur Constance: «...per
ipsum deum et dominum nostrum Iesum Christum, salvatorem impe‫־‬
rii tui et largitorem salutis tuae... » 71. Vers 380 encore, le créateur de
la célèbre mosatque de la Basilique Pudentienne de Rome, n'a pas
seulement représenté le Christ comme empereur, mais lui a mis aussi
dans les mains une tablette avec l'inscription « Dominus conservator
Ecclesiae Pudentianae » 72.
Bien sûr, l'ordre des termes qui se lit sur les inscriptions impé-
riales n'est plus le même dans les titres du Christ. C'est probablement
la foi de Nicée qui a conduit à ce changement. Dominus Salvator, avons-
nous dit, devait désigner le créateur de toutes choses qui était ensuite
devenu homme pour recréer le monde. Cependant, l'Occident conti-
nuait à donner aux empereurs le titre de conservator dominus noster.
Le dernier exemple en est attesté aux temps de Gratien (36773 (383‫־‬.
Des inscriptions qui exprimaient des idées voisines, comme celle de
adventus domini nostri, c'est-à-dire, de l'apparition salvifique de « Mon-
seigneur», se rencontrent même encore plus tard74. Ces traditions tou-
jours en vigueur ne pouvaient pas, en effet, ne pas attirer l'attention

TINO... ». — De même, Dessau n. 691: I, 156 n. 692: I, 156; n. 739: I, 166; n. 742;
I, 166; n/ 765. Voir à ce sujet, H. Mattingly, Roman Coins, 244, et en outre, F.
Dornseiff, Σωτήρ: PWK 2/5 (1927) 1219.
69 Selon l’idéologie politique des Romains, il y a identification de la salus publica
et de l’empereur. G’est en ce sens qu’on avait invoqué avant Constantin la protec-
tion de Jupiter ou du Sol Invictus pour l’empereur. Voir à ce sujet W. Dürig, Pie-
tas liturgica, 202ss. — Depuis Constantin, par contre, les inscriptions présentent
l’empereur lui-même comme source du salut. C’est lui qui est à la fois Dominus et
conservator imperii.
70 Constantin, Epist. 5: CSEL 26, 210, 4s: «...nihilominus uos qui domini
saluatoris sequimini uiam, patientiam adhibete... »
71 Epist. synodi Ariminensis: CSEL 65, 79. — Voir à ce propos P. Beskow,
Rex Gloriae, 324.
72 Voir F. Van Der Meer ‫ ־‬Ch. Mohrmann, Bildatlas der frühchristlichen
Welt, ftg. 320. — Le Christ est présenté comme maître, il est vrai, mais cela dans
l’entourage impérial.
73 CIL VI, 1181.
74 Ainsi, à la fin du IVe siècle, la légende d’une monnaie rappelle l’entrée d’Ho-
norius à Milan par ces termes: «RS ADVENTUS D. N. A UG. ». Voir, R. Del-
brueck, Spätantike Kaiserporträts von Constantinus Magnus bis zum Ende des West-
reiches (Berlin, 1933), 96.
TRADUCTIONS D *ORIGENE 153

sur les formules semblables de la Bible, notamment celles de la Se-


eunda Petri 75. Qu'elles aient effectivement exercé une telle influence,
rien ne le confirme mieux que la version ambrosienne. Celle-ci rend,
en effet, 2 Pt. 1, 11 de la façon suivante: «in aeternum imperium dei
et domini nostri conservatoris Iesu Christi » 76. 77
C'est d'ailleurs ce qu'on
constate aussi dans certaines doxologies ou dénominations christolo-
giques du IVe siècle. Zénon de Vérone, p.e., conclut un sermon corn-
me suit: « per Dominum et conservatorem nostrum Iesum Christum qui
est benedictus cum Patre et Spiritu »‫יי‬.
En conclusion, les rapprochements positifs entre le Christ et Tem-
pereur une fois opérés, il était tout naturel de relever des formules
bibliques contenant des termes semblables à ceux du culte impérial,
et cela d'autant plus que l'évolution de la théologie chrétienne pous-
sait en même temps à tout concentrer sur le Christ, Dieu et homme,
créateur et recréateur, Seigneur et Sauveur de tout le genre humain.

4. Quelques conclusions.
Dans son article tout récent « Spätantike lateinische Uebersetzun-
gen christlicher griechischer Literatur », F. Winkelmann insiste forte-
ment sur la nécessité d'étudier à fond les traductions latines d’ouvra-
ges grecs, et cela au point de vue de la qualité linguistique, des influen-
ces, des tendances aussi bien que des méthodes. Selon cet auteur, tout
cela vaudrait spécialement de la littérature chrétienne qui est parti-
culièrement riche d'aspects divers: quant aux genres littéraires, à la
qualité, aux motifs, à la destination ou aux difficultés des versions 78.
En essayant d'élucider un petit détail de cette problématique im-
mense, à savoir, l'usage du titre christologique de Dominus Salvator
dans les traductions de Jérôme et de Rufin, nous avons voulu illus-
trer la justesse des vues de cet article.
De fait, nous avons constaté que les versions que Jérôme et Rufin
nous ont procurées des ouvrages origéniens recourent fréquemment à
l'expression Dominus Salvator ou à des formules semblables, et cela
même contre le texte grec tel qu'il nous a été conservé. Nous avons
même vu que l'équivalent grec se rencontre extrêmement rarement

75 Voir ci-dessus, note 36.


76 Vetus Latina, 26, 3, 197. — Voir également 2Pt 2, 20: « in agnitionem do-
mini et conservatoris Iesu Christi », d'après la version de saint Augustin: De fide et
operibus, 25, 46: ML 40, 226. — Dans le même ouvrage, cependant: 14, 22: ML 40,
212, nous lisons dans la citation de 2Pt 3, 18: « Domini nostri et Salvatoris Iesu Christi ».
77 Zenon De Vérone, Tract. II, 14, 4: ML 11, 439B. — Voir aussi, II, 52:
ML il, 508 AB: «...per Dominum et conservatorem nostrum Iesum Christum... ».
78 F. Winkelmann, Spätantike...: ThLZ 92, 1967, 231s.
I54 B. STUDER

dans le texte original. Cette anomalie, nous l'avons expliquée par la


tendance de Jérôme et de Rufin à adapter le texte qu'ils avaient sous
les yeux. L'adaptation elle-même a été inspirée principalement par
une préoccupation dogmatique, voire, par les influences de la con-
troverse anti-arienne. Toutefois, pour la comprendre pleinement, il
faut aussi, pensons-nous, tenir compte de l'idéologie impériale du
IVe siècle qui, par ses titulatures, attirait l'attention des chrétiens
latins sur certains textes bibliques qui présentent le Christ comme
Seigneur et Sauveur ou qui, du moins, peuvent s'appliquer à lui en
ce sens.
Cette conclusion générale n'est pas la seule qu'on puisse déduire
de notre recherche. Elle comporte plutôt une série de conclusions
particulières. D'abord une qui n'est pas de moindre importance pour
la critique textuelle. Elle nous confirme que les versions latines d'Ori-
gène ne nous donnent pas de certitude quant à l'expression originale 79.
Plus précisément, elle nous incite à ne pas nous trop fier aux titres
de Jésus utilisés par les traductions ainsi qu'à faire attention aux
influences dogmatiques que celles-ci peuvent avoir subi 8°. Bien que
l'état des textes que les compilateurs grecs nous ont conservés, soit
bien abrégé, en de tels cas, les versions latines sont encore moins sûres.
De même, la comparaison des traductions avec le texte grec nous
a amenés à regarder de plus près l'histoire sémantique des deux ter-
mes en question. Nous, ne sommes pas entrés dans les particularités
de cette évolution. Si nous l'avions fait, nous en aurions certainement
tiré une meilleure connaissance de celle-ci. Nous avons, tout de même,
relevé que le mot salvator ne s'est imposé que relativement tard, que
son équivalent grec σωτήρ ne connotait pas le même sens avant et
après le concile de Nicée 81, et qu'enfin le mot κύριος a été peu à peu
remplacé par celui de δεσπότης. Ainsi donc notre recherche sur un
petit détail des versions de Jérôme et de Rufin nous a-t-elle mis éga-
lement en contact avec des problèmes linguistiques.

79 Voir A. J Aubert, Origène, Homélies sur Josué, 82.


80 II est, cependant, remarquable que Jérôme, dans sa lettre à Avitus, alors
qu’il veut proposer une traduction littérale, rend le ό σωτήρ, très fréquent chez Ori-
gène, par Dominus atque Salvator. Voir la note 16.
81 Pour mettre en plus grand relief cette différence de conception sotériolo-
gique, il faudrait approfondir davantage, en quel sens les prénicéens, et même avant
tout Origène, et les postnicéens, surtout Augustin, parlent du Christ, médecin des
âmes. Voir à ce sujet, P. C. J. Eijkenboom, Het Christus-Medicusmotief in de pre-
ken van Sint Augustinus, Assen, i960, ainsi que toujours, A. von Harnack, Me-
dizinisches aus der ältesten Kirchengeschichte = Texte und Untersuchungen, 8, Leip-
zig, 1892. — En outre, C. Eichenseer, Das Symbolum Apostolicum beim heiligen
Augustinus (St. Ottilien, i960), 209s: explication du nom de Jésus chez Cyrille de
Jérusalem, Rufin et Augustin.
TRADUCTIONS D‫״‬ORIGÉNE 155

En outre, la manière dont les deux traducteurs ont adapté les


noms du Christ nous a obligé à distinguer les possibilités d'expression
que possèdent des hommes, différents non seulement par leur langue,
mais aussi par le temps. Même si Jérôme et Rufin avaient traduit à
la lettre κύριος σωτήρ par Dominus Salvator, ils auraient évoqué chez
leurs lecteurs d'autres idées. Après le concile de Nicée, en effet, les
termes de Dominus Salvator devaient susciter d'autres associations
d'idées qu'auparavant. Ils ne connotaient plus principalement un sens
cosmologique. Ils ne désignaient plus le Verbe éternel qui dirige et
conserve le monde, mais plutôt Dieu qui est à la fois créateur et ré-
dempteur des hommes 82. L'étude des versions latines des textes grecs
nous fait donc aussi saisir sur le vif l'évolution que subissent les idées
transmises d'homme à homme au cours des siècles.
Cette constatation nous conduit à une dernière conclusion. En
face de l'impuissance à rendre tout à fait adéquatement les idées des
devanciers, on se pose la question très grave de savoir dans quelle me-
sure des chrétiens de civilisations et d'âges divers sont à même de
comprendre toute la signification primitive de l'évangile du Christ.
Est-ce que les croyants de langue latine du Ve siècle savaient saisir
exactement ce que les Alexandrins du IIIe siècle, et à fortiori les Pales-
tiniens du Ier siècle avaient exprimé en grec du message évangélique?
Sans doute pas entièrement. Indifférents quant à certains aspects de
la foi chrétienne ou peu disposés par leur langue à les formuler, il leur
était impossible de tout saisir. D'autre part, sensibilisés par leurs con-
ditions historiques et préoccupés d'autres vérités, ils faisaient peut-
être aussi des découvertes dans le même mystère du salut. Mais quel
est donc le critère qui nous permet de nous assurer de la vérité révé-
lée par le Christ? Ce n'est pas le lieu de répondre à cette question. Il
suffit d'avoir montré à quels problèmes cruciaux les recherches sur
les traductions anciennes de textes chrétiens peuvent nous confronter.
(Achevé en mois de juin, 1967).
Basile Studer
S. Anselme, Rome

82 Pour saisir pleinement cette antithèse de creator et recreator, il faudrait aussi


tenir compte du « Christocentrisme » de l’époque postnicéenne. Tout en retenant
la foi dans la Sainte Trinité, les théologiens et plus encore davantage les prédicateurs
concentrent leur vision du salut sur le Christ. « Christus est omnia », disait s. Am-
broise. Voir, K. Baus, Das Nachwirken des Origenes...: Rom. Quart. Schrift 49, 1954,
26-29, avec de nombreuses références. De même, les autres articles de Baus, cités
dans la note 60.
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