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Carlo Severi 

La parole prêtée 

Ou Comment parlent les images 

To us anthropologists, the meaning of any significant word, sentence or phrase is

the effective change brought about by the utterance in the context of the situation

to which it is wedded. Now, a magical formula is neither a piece of conversation,

nor a statement or a communication. What is it? We were led to the conclusion

that the meaning of a spell consists in the effect of the words within their ritual

context.

Bronislaw Malinowski

Tout acte verbal suppose un partage d’identité : l’attribution d’états mentaux à autrui

étant   indissociable   de   l’usage   du   langage,   nous   ne   pouvons   déchiffrer   et   comprendre   un

énoncé que si nous admettons que notre interlocuteur peut en faire autant. Cette attribution

intuitive  d’une activité mentale  à autrui, qui crée d’emblée un espace d’identité partagée,

semble bien être une caractéristique de l’être humain. Même lorsqu’ils nous offrent l’illusion

d’une communication semblable à la nôtre, les animaux, apparemment, en sont incapables

(Airenti 2003). Pourtant, dans l’usage courant, nous sommes loin de réserver cette attribution

d’états mentaux aux seuls interlocuteurs humains. Chacun de nous a l’expérience d’une parole

virtuellement   adressée   à   des   animaux   ou   des   objets   inanimés   auxquels   nous   attribuons,

presque sans le vouloir, une personnalité humaine. Poupées, voitures, ou ordinateurs nous

apparaissent alors, le temps d’une phrase et du jeu d’interlocution qu’elle suppose, comme des

interlocuteurs possibles. Alfred Gell (1999) a fait de ce phénomène quotidien la base de sa

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théorie de l’attribution de subjectivité aux artefacts : c’est parce que nous avons une vision

anthropomorphique des artefacts  que ceux­ci peuvent assumer un rôle dans la vie sociale.

L’anthropomorphisme,   toutefois,   ne   prend   pas   toujours   la   forme   diffuse,   quotidienne,   et

relativement superficielle que Gell lui attribue. D’autres occasions existent, où la relation aux

artefacts assume une forme moins volatile. C’est sans doute au sein de l’action rituelle, où se

construit progressivement un univers de vérité distinct de celui de la vie quotidienne, que

l’exercice   de   la   pensée   anthropomorphique   peut   cristalliser   et   engendrer   des   croyances

durables. Les objets assument alors, de manière infiniment plus stable, un certain nombre de

fonctions   propres   aux   êtres   vivants.   Ils   peuvent,   selon   les   cas,   percevoir,   penser,  agir   ou

prendre la parole. On passe alors de la parole adressée à la parole prêtée aux artefacts. Quel

est l’univers de cette parole où, comme le déclarait Malinowski dans les  Jardins de Corail

(1971) « la signification d’un mot consiste dans l’effet qu’il produit dans le contexte d’un

rituel » ?   À   quelles   conditions,   les   artefacts   peuvent   parler   ?   Comment   peuvent­ils   se

constituer en tant que locuteurs ? Dans l’espace du rituel, sous forme de statuettes, d’images

peintes   ou  de  fétiches,   les  objets   sont   naturellement  censés   représenter   des   êtres   (esprits,

divinités,   ancêtres)   construits   à   l’image   de   locuteurs   humains.   De   ces   êtres,   les   artefacts

offrent   avant   tout   une   image:   et   c’est   en   tant   que   représentations   iconiques   que   les

anthropologues ou les historiens de l’art les considèrent habituellement. Il est pourtant clair

que, dans ce cadre, l’artefact fait plus que représenter un esprit ou un être surnaturel. Lorsqu’il

agit, ou qu’il prend la parole, l’objet remplace l’être représenté. Il en restitue la présence. 

Ce passage, opéré par l’objet, de la représentation iconique à la désignation indiciaire

impose   un   double   changement   de   perspective,   qui   concerne   aussi   bien   le   statut   de   la

représentation visuelle que celui de la parole énoncée. Pour comprendre ce que peut être la

parole rituelle attribuée à une image il faudra donc, d’une part, se demander s’il est possible

de penser le statut de la représentation iconique non plus à partir de ses enjeux formels, mais à

travers   l’analyse  de   son   contexte   d’usage.   D’autre   part,   nous   nous   demanderons   s’il   est

possible d’identifier des transformations  de l’acte verbal, de ses prémisses comme  de ses

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effets, lorsque celui­ci est attribué à un artefact. Telles sont les questions que je voudrais

explorer dans cet article. 

Paroles et images rituelles 

Toute   parole   prêtée,   même   lorsqu’elle   n’implique   aucun   changement   dans   la

morphologie de la langue, conduit à la mise en place d’un locuteur fictif. Le champ qu’elle

transforme est donc celui de l’interaction verbale, et des prises de parole qu’elle implique.

Après   les   travaux   de   Hymes   (1981),   Silverstein   (1976),   Tedlock   (1983),   Basso   (1996),

Rumsey   (2002,   2003)   ou   Hanks   (2005,   2006),   il   n’est   plus   à   démontrer   que   l’étude   des

conditions pragmatiques de l’énonciation, où toute identité de locuteur se constitue,  est, pour

l’anthropologie, un instrument essentiel d’analyse. Ces auteurs ont montré que l’étude des

conditions   de   l’interlocution   peut   nous   aider   à  enrichir   notre   compréhension   du  sens   des

discours traditionnels, à replacer la narration de mythes ou d’autres formes de narration au

sein de genres spécifiques de l’oralité, et, plus en général, à jeter une lumière nouvelle sur

l’exercice  des savoirs traditionnels.  Grâce  à l’approche  pragmatique,  l’anthropologue  peut

donc aller au­delà du simple déchiffrement du discours indigène, pour essayer d’isoler des

formes de la communication sociale, et donc des modalités de fonctionnement de la tradition.

Mais qu’en est­il de l’analyse de la parole rituelle ? Sur ce point, l’articulation entre les deux

approches,   pragmatique   et   anthropologique,   pose   encore   problème.   D’abord   définie,   en

termes strictement logiques, comme l’étude des relations entre l’énonciateur et le langage

(Carnap 1955, Stalnaker 1970), et donc comme l’analyse des processus d’interprétation qui

viennent se superposer au code linguistique pour une interprétation complète des énoncés

(Moeschler   &   Reboul   1998 :   20­23),   la   pragmatique   a   longtemps   suivi   deux   parcours

divergents. Elle s’est attachée soit  à l’analyse de situations de communication extrêmement

simples  (ou fictives)  permettant  de développer  des hypothèses  théoriques  raffinées  (Grice

1989, Sperber & Wilson  1986), soit  à  la mise  en  évidence  de  facteurs  sociolinguistiques

complexes, à l’aide de dispositifs explicatifs spécifiques ou localisés (Labov 1972). Dans ce

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domaine, encore aujourd’hui, soit on tend à définir les critères généraux d’une pragmatique

normale   et   générale,   qui   s’appliquerait   à   toute   communication   linguistique,   soit   on   attire

l’attention sur les variations, locales et spécifiques, qui affectent tel ou tel cas de performance

linguistique. Bien des auteurs (Mey 1993, Davis 1991, Reboul & Moeschler 1998) déplorent

que la définition originaire de la pragmatique, proposée par Morris (1946) en tant qu’étude

« des   relations   qui   s’établissent   entre   les   unités   linguistiques   et   leurs   utilisateurs »1  soit

formulée en termes trop généraux. Le problème réside sans doute moins dans l’extension du

domaine   de   la   discipline,   que   dans   l’hétérogénéité   des   approches   et   des   sujets   que   cette

définition   engendre.   On   pourra,   comme   Mey,   distinguer   entre   « micro »,   «   macro »   et

« méta »   pragmatique   ou   essayer,   comme   Moeschler   et   Reboul,   d’esquisser   un   itinéraire

linéaire entre référence à la cognition et analyse du discours : la diversité des thèmes et des

théories reste frappante. Les effets de cette stratégie de recherche sont évidents : d’une part, le

niveau   d’abstraction   choisi   par   Grice   et   ses   héritiers   n’a   jamais   permis   d’interpréter   des

données fournies par la recherche de terrain. D’autre part, l’étude de cas spécifiques, prônée

par d’autres auteurs, a rarement permis d’en généraliser, du point de vue anthropologique, les

conclusions. Dans sa relation à l’anthropologie sociale, la pragmatique a donc paru ou bien

abstraite   et   fondée   sur   des   exemples   fictifs,   ou   bien   empirique,   mais   circonstancielle   et

hétérogène. Cette divergence est particulièrement évidente dans le cas de l’étude du rituel.

Alors qu’une série de travaux d’anthropologues (Bateson 1936, Barth 1975, 1987, Rappaport

1967, 1979, Kapferer 1977, 1979, 1983, Stahl 1979, 1983, 1989, Humphrey & Laidlaw 1995,

Bloch   1986,   1997)   cherchent   à   identifier   les   traits   constitutifs   de   l’action   rituelle   et   à   la

distinguer   radicalement   de   l’action   quotidienne,   les   linguistes   (qui   ont   pourtant   décrit   de

manière très précise des situations de communication sociale très variées) n’ont  pas essayé

d’esquisser   les   conditions   d’une  pragmatique   spéciale  permettant  d’éclairer,   de   manière

convergente, l’ensemble des phénomènes qui caractérisent ce type de communication . 

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 J’adopte ici la version modifiée par Davis (1991 : 3) de cette définition. Dans le texte de Morris la pragmatique
se   trouve   définie   par   rapport   à   la   syntaxe   et   à   la   sémantique   en   ces   termes :   « syntax   is   the   study   of   the
syntactical relations of signs to one another….semantics deals with the relation of signs to designata, …and
pragmatics is the science of the relation of signs to their interpreters (1971 : 28, 35, 43). Sur ce thème, voir aussi
la définition donnée par Carnap (1955). 

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Cependant, les catégories descriptives de la pragmatique (situation, setting, contexte,

indexicalité,   implicature,   etc.)   restent   rarement   utilisées   et   comprises   dans   le   domaine   de

l’anthropologie. Les ethnologues n’ont pratiquement jamais essayé d’approfondir l’étude de

l’usage rituel du langage, se limitant bien souvent à relever quelques traits superficiels des

langues rituelles (répétition, pauvreté sémantique, usage de formules figées, etc.), sans les

mettre en rapport avec d’autres aspects du comportement rituel. Certains d’entre eux ont bien

proposé,   pour   essayer   d’organiser   en   une   interprétation   d’ensemble   ces   données   éparses,

d’utiliser  les  travaux  classiques  d’Austin (1962) sur les  actes  de langage  (Tambiah  1985,

Bloch 1974). Mais, comme Gardner l’a montré, l’application de ce cadre conceptuel dans ces

domaines   est   restée   soit   rigoureuse   et   empiriquement   illégitime,   soit   approximative   et

théoriquement inconséquente (1983).

Les spécialistes de pragmatique admettent tous qu’il existe une « indexicalité sociale »

qui peut influencer le sens d’une phrase, mais limitent généralement la portée de ce concept à

quelques aspects spécifiques de la définition du contexte de l’énonciation. Dans un ouvrage

qui a longtemps servi de référence (1983), Levinson reconnaît par exemple que parmi les

relations   sociales   « grammaticalisées »  (exprimées   par   des   moyens   linguistiques),   on  peut

compter   éventuellement   des   relations   «   totémiques »,   « de   parenté »   ou   « d’appartenance

clanique » (1983 : 90), mais  il se borne  à étudier  les  seules relations  « de rang », qui se

trouvent représentées dans les langues par les « honorifiques ». Cette inadéquation tient sans

doute, comme l’a écrit Bill Hanks (2006), à la difficulté, à la fois technique et conceptuelle,

d’identifier   une   articulation   entre   une   analyse   du   contexte   conçu   comme   local,   limité,

provisoire   et   construit   «   utterance   by   utterance »   et   un   contexte   global,   durable   et   non

nécessairement exprimé en termes linguistiques. Elle tient aussi, croyons­nous, à un problème

de définition de l’objet de l’analyse, qui varie sensiblement, bien que sous forme implicite,

selon les deux disciplines. Telle qu’elle est pratiquée par les linguistes, la pragmatique reste

définie   comme   l’étude   de   tout   ce   qui,   des   conditions   du   contexte   de   l’énonciation,   est

explicitement   formulé   à   travers   des   moyens   linguistiques.  L’ensemble   des   indications   de

contexte qui ne se trouve pas exprimé en ces termes, dont tous les auteurs reconnaissent

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pourtant l’existence et l’efficacité, est pratiquement toujours considéré comme résiduel, ou

peu influent. Or, cette définition du champ de l’analyse, qui ne prend en compte que ce qui est

« grammaticalisé »   (Levinson  1983 :   89),   n’inclut   qu’une   partie   des   phénomènes   qui

définissent, pour les anthropologues, le champ de l’indexicalité sociale. En particulier, cette

approche ne permet pas de comprendre la logique qui oriente l’échange verbal lorsque celui­ci

se réalise dans le contexte de la communication rituelle.

 Pour illustrer ce point, considérons un acte verbal qui se réalise pendant un rituel de

travestissement,   appelé  Naven,   célébré   par   les   Iatmul   de   Papouasie   Nouvelle   Guinée

(Houseman & Severi 1994). Pendant ce rituel (qui fête l’accomplissement d’un premier « acte

culturel » par un jeune garçon) les hommes se travestissent en femmes, et les femmes en

hommes. Sur le terrain de danse où a lieu le rite, chacun prend la place de l’autre et se donne à

voir. Dans ce contexte de fiction généralisée, l’oncle maternel d’Ego s’adresse à son neveu

utérin en s’exclamant : 

« Toi, mon mari ! ». 

La  formulation   de  cet   énoncé  pendant   le  rituel  est  régulièrement  associée   à  une  série  de

« comportements récurrents » (Bateson 1936), qui en constituent le cadre. Sans entrer dans les

détails de l’analyse, il suffira ici d’en rappeler quelques­uns : la mère du jeune homme pour

lequel on célèbre le rituel se dénude. Le « frère de la mère », s’habille en costume féminin

grotesque. Parfois accompagné par son épouse, celui­ci fait mine de rechercher son enfant de

sœur afin de lui présenter de la nourriture et recevoir en retour des coquillages précieux. La

sœur du père, pendant féminin de l’oncle maternel travesti en femme, porte un splendide

costume masculin et bat Ego, l’enfant de son frère.

Figure 1 : Relations et comportements dans le Naven

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Cette séquence d’actions est caractérisée par le fait que tous ses protagonistes  (à la seule

exception de la mère d’Ego) changent la place qui définit d’habitude leur identité (en termes

de sexe et de maternité ou de paternité) dans le réseau des relations de parenté. Dans ce cadre,

tout   le   monde   trouve   normal   qu’on   appelle   « mère »   un   oncle   maternel,   ou   « épouse

masculine »   une   jeune   femme.   Dès   que  cette   fiction   rituelle   s’engage,   chaque   participant

cherche à remplir son rôle en altérant son comportement habituel. Cet échange de rôles n’a

rien d’une simple comédie. Au contraire, il révèle une série d’identifications profondément

enracinées dans la culture iatmul, qui implique trois changements de rôle: un frère s’identifie

à   sa   sœur   (ou   une   sœur   à   son   frère) ;   un   fils   s’identifie   à   son   père,   et   une   épouse   peut

s’identifier à son mari. C’est en raison d’une identification à sa sœur, la mère d’Ego, que

l’oncle maternel se comporte en « mère masculine » en donnant à celui­ci de la nourriture.

Réciproquement, c’est en raison d’une identification à son père ­­ lui­même le beau­frère  de

son   oncle   maternel   ­­   qu’Ego   donne   à   celui­ci,   en   contre­prestation,   des   coquillages,

composante essentielle de la compensation matrimoniale. Si pour la culture iatmul l’oncle

maternel se trouve identifié à sa sœur et Ego à son père, il n’est donc nullement scandaleux ni

dépourvu   de   sens,   que   le   jeune   garçon,   lorsqu’il   est   pris   dans   ce   réseau   de   relations

rituellement modifiées, devienne symboliquement le "mari" de son oncle maternel. C’est donc

seulement à partir de cette chaîne d’identifications que l’énoncé

 « Toi, mon mari ! », 

prononcé par l’oncle maternel, reçoit sa signification. Ce cadre de relations modifiées, est

ensuite complété par le comportement des autres participants au rituel : à l’identification de

l’oncle maternel  à sa sœur, répond celle de la tante paternelle à son frère. Dans le rituel nous

la voyons par conséquent se déguiser en homme et battre Ego. Son comportement n’est donc

pas celui d’une mère affectueuse qui nourrit son enfant, mais plutôt une imitation de l’attitude

autoritaire   d’un   père.   En   suivant   le   jeu   des   identifications,   les   comportements   du  Naven

peuvent   donc   s’expliquer,   en   se   référant   aux   positions   fictives   (à   la   fois   complexes   et

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simultanées) que le rituel assigne aux acteurs à l’intérieur d’un réseau modifié de relations de

parenté.   Nullement   épisodique,   la   distribution   de   rôles   n’obéit   ni   à   l’improvisation   ni   au

hasard, mais découle de l’application d’un nombre limité de règles de substitution. 

Nous ne reviendrons pas sur l’interprétation de ce rituel, que nous avons étudié ailleurs

(Houseman & Severi 1994). Retenons­en ici seulement deux points : l’un concerne le rôle de

la communication non linguistique, et l’autre le statut logique qui conduit, dans le rituel, à la

définition de l’identité  des locuteurs. Dans l’échange verbal entre l’oncle maternel et son

neveu   utérin,   toute   une   série   d’indications   extra­linguistiques   (masques,   maquillages,

costumes) entrent en jeu pour définir non seulement le sens des mots échangés, mais aussi

l’identité des énonciateurs et le type de relation qui, à travers l’échange verbal, s’instaure

entre eux. Parmi ces moyens extra­linguistiques de communication, l’action et l’image jouent

un rôle crucial, puisque c’est à travers leur utilisation que se réalise le jeu de « transformation

de   l’identité »   sur   lequel   se   fonde   le   comportement   des   participants.   On   ne   pourra   donc

restituer la complexité propre de ce type de communication tant qu’on n’aura pas identifié les

moyens   de   concevoir   quel   type   d’interaction   s’établit,   dans   ces   situations,   entre   la

communication linguistique  et la communication non­linguistique.  Dans le cas de l’action

rituelle, en effet, ces indications visuelles ne jouent pas un rôle superficiel : elles donnent à

voir  l’identité   complexe   des   locuteurs,   sans   laquelle   l’action   rituelle   –   toujours   conçues

comme un « jeu exceptionnel », ou « une fiction sérieuse » (Bateson) tout à fait distincts de la

vie quotidienne, n’aurait pas de sens. 

Une fois ce point établi, arrêtons­nous sur le processus de définition de l’identité des

deux protagonistes de cet échange verbal : Ego et son oncle maternel. Un grand nombre de

travaux   de   pragmaticiens   a   mis   en   évidence   que   dans   l’usage   ordinaire   de   la   langue,   la

définition   de   l’identité   de   l’énonciateur   (et   du   destinataire),   en   tant   qu’un   des   éléments

constitutifs de l’indexicalité sociale, joue un rôle important dans l’engendrement du sens des

énoncés.   L’identité   du   locuteur   est   en   effet   un   des   traits   de   définition   du   contexte   de

l’énonciation, au même titre que l’usage de termes démonstratifs tels qu’ « ici », « cela », ou

« maintenant ».   Levinson   (1983)   donne   une   définition   claire   de   ce   rôle   de   l’indexicalité

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sociale de la personne dans la communication ordinaire lorsqu’il déclare qu’il faut voir dans

l’identité du locuteur  une des variables du contexte pouvant influencer le sens d’un énoncé.

On pourra donc affirmer, suivant son exemple, que le sens de la phrase :

« Je suis haut de six pieds » 

change si le sujet est par exemple, un homme ou une femme (Levinson 1983 : 58­59). Le

linguiste anglais formule ici une sorte de conception minimale de l’indexicalité sociale, fort

courante en linguistique, qui doit retenir notre attention. On remarquera d’une part que cette

approche exclut toute définition extra­linguistique de l’identité des énonciateurs, et d’autre

part   qu’elle   concerne   une   connotation   sociologique   extrêmement   simplifiée.   Homme   ou

femme :   ainsi   définie,   l’identité   du   locuteur   reste   relativement   indépendante   de

l’engendrement  du sens. Celui­ci peut varier, en exprimant  par exemple  une fierté  ou un

regret, mais ne disparaît pas. Dans la communication quotidienne, la définition du locuteur ne

peut donc qu’affecter partiellement l’engendrement d’une signification. Elle ne peut en aucun

cas la détruire, ni influencer le cadre normal de l’interaction verbale, qui reste inchangé.

Revenons maintenant au dialogue rituel entre l’oncle maternel et son neveu, tel qu’il

se réalise au cours d’un Naven. Il est clair que l’un des traits cruciaux de la communication

qui s’y réalise réside dans la manière dont, à travers l’établissement d’une forme particulière

d’interaction symbolique, une identité nouvelle des participants, spécifique au cadre rituel, s’y

trouve engendrée. L’interaction d’un oncle maternel, qui agit comme une mère et une femme

par rapport à un fils de sœur qui agit comme un fils et un mari, réalise une situation spécifique

de   communication   où   l’identité   de   chacun   des   participants   est   construite   à   partir   d’un

ensemble de connotations tout à fait inhabituelles. Dans ce cas, l’usage du langage implique la

mise   en   place   d’une   modalité   prédéfinie   de   l’interaction,   qui   possède   une   forme

reconnaissable. Chacun voit que, entre l’oncle et le neveu, il s’agit de mettre en place un

certain jeu qui implique un « donner à voir » : une forme d’interaction ironique que les Iatmul

appellent  Naven.   Au   sein   de   cette   interaction,   l’identité   des   énonciateurs   est   à   la   fois

9
contradictoire et plurielle : chaque locuteur est le résultat de la conjonction complexe de deux

identités contradictoires (femme et épouse pour l’un, fils et mari pour l’autre). Le processus

de « condensation rituelle », qui affecte la définition de l’identité des locuteurs confère au

contexte   de   la   communication   une   forme   particulière   qui   le   distingue   des   interactions

ordinaires de la vie courante2. 

Il est clair, pour tous les participants au rituel, qu’à cette occasion, on ne parle pas « de

la même manière » que dans la vie courante : on invente ensemble un « jeu communicatif »,

rendu singulier par le type d’identité complexe assumée pour l’occasion par les locuteurs. En

revanche, à l’intérieur de ce cadre (pour que la phrase « Toi, mon mari ! » soit bien comprise

comme relevant du rituel) cette identité complexe ne peut pas varier. Au cours des échanges

verbaux qui se réalisent pendant le rituel, les personnes qui incarnent le rôle de l’oncle travesti

peuvent naturellement changer. L’identité du personnage, elle, doit par contre rester la même.

Fixée par l’image, elle désigne un « moi » rituel, à la fois provisoire, complexe et rigide. Le

fait que ce soit précisément ce personnage, porteur d’une double identification à la mère et à

la femme du jeune garçon, qui s’exclame « Toi, mon mari ! »,  signale la nature du cadre,

rituel et donc relativement fictif, de la communication qui s’établit entre les interlocuteurs. La

définition de l’identité n’est donc pas, dans ce contexte, un des traits variables qui peuvent

influencer   le   sens   d’un   énoncé.   A   l’inverse,   « énoncer   les   mots   appropriés »   implique

nécessairement, dans ce contexte l’établissement de relations complexes, qui engendrent une

définition  exceptionnelle  de l’identité  des  locuteurs.  Il faut  qu’un certain  type  de relation

existe entre les deux personnages pour que le fait de prononcer ces mots (et le sens qui leur

est accordé  dans  le  cadre du régime  de  « fiction  généralisée » dans  lequel  il  a lieu)  soit

possible. Par rapport à l’exemple de Levinson, on a donc une inversion de perspective. Dans

la phrase 

« Je suis haut de six pieds », 

2
 Sur la notion de forme de la communication rituelle dans le Naven, voir Houseman et Severi 1994, Chap. 7. 

10
on constatait qu’on pouvait, en modifiant l’identité du locuteur, changer le sens de la phrase.

Ici, on constate que le sens de la phrase ne peut être correctement compris que si on comprend

la   manière   dont   le   locuteur   est   défini,   notamment   à   travers   la   série   d’identifications

contradictoires   qui   le   caractérisent.   Comme   dans   un   jeu   d’échecs,   pour   comprendre   le

mouvement d’une pièce, il faut connaître d’abord les règles qui en définissent l’usage (reine,

roi, cheval etc.), dans la communication rituelle il faut connaître l’identité complexe d’un

locuteur pour comprendre la nature du cadre, et donc le contexte de l’énonciation. En termes

logiques, les règles qui définissent l’identité du locuteur passent d’une définition  normative

(typique de l’échange verbal quotidien) à une définition constitutive, qui s’applique à un jeu

interactif entièrement inédit.  3 . Telle qu’elle est présentée par Levinson dans le cadre de la

communication quotidienne, la définition de l’identité du locuteur était en fait formulée à

partir de règles normatives : l’identité du locuteur restait dans le cadre de la communication

ordinaire, et ne représentait qu’une des composantes possibles dans la détermination du sens

d’un énoncé. Elle pouvait donc varier dans le cadre d’une grammaire qui restait logiquement

indépendante de la situation d’énonciation, même si elle pouvait enregistrer des modifications

du sens. Dans le contexte d’un rituel régi par des règles constitutives, toute modification de

l’identité d’un locuteur, au contraire, ne conduit pas simplement à une variation du sens de la

phrase prononcée.   L’identité  du  locuteur   étant  définie   comme   strictement  dépendante   des

règles de la communication, la transgression de la règle conduit à la disparition du cadre qui

définit la nature de la communication. 

En fait, nous sommes ici dans le cadre des actes de langage que John Searle a proposé

3
 John Searle (1969) éclaire bien cette différence (d’origine kantienne, cf. Kant 1975) entre règles normatives
(qu’il appele « regulatives ») et règles constitutives lorsqu’il écrit : « Constitutive rules [...] create or define new
forms of behaviour. The rules of football or chess, for example, do not merely regulate playing football or chess,
but as it were they create the very possibility of playing such games. [...] Regulative [normative] rules regulate a
pre­existing   activity,   an   activity   whose   existence   is   logically   independent   of   the   rules.   Constitutive   rules
constitute (and also regulate) an activity the existence of which is logically dependent on the rule  » (1969: 33­
34). On remarquera aussi que cet usage spécial de la parole, régi par des règles constitutives,  est apparu comme
un   des   niveaux   d’élaborations   qui   rendent   mémorable   un   ensemble   de   représentations   à   l’intérieur   d’une
tradition (Severi 2003, 2007) 

11
d’appeler les « déclarations ». Ce type d’acte verbal implique, comme le dialogue rituel entre

l’oncle utérin et son neveu, l’existence  d’une dimension extra­linguistique,  « a system  of

constitutive rules in addition to the rules of language. Dans tous ces cas, « the mastery of

linguistic competence is not in general sufficient for the performance of a declaration. In

addition,   there   must   exist   an   extra­linguistic   institution   and   the   speaker   and   hearer   must

occupy special places within this institution » (Searle 1979 : 18­19): Énoncée par un locuteur

non approprié, la phrase « Toi, mon mari ! » perdra son caractère rituel, et sera considérée

comme   invalide.   La   transgression   d’une   règle   constitutive,   à   la   différence   d’une   règle

normative,   n’entraîne   donc   pas   seulement   une   éventuelle   modification   du   sens,   mais   une

disparition   du  «   jeu   verbal   singulier »   sur   lequel   se  fonde   le   cadre   de   la   communication

rituelle. La définition en termes complexes et contradictoires de l’énonciateur est donc une

partie constitutive (et non seulement « un des éléments qui concourent à l’engendrement du

sens »)   de   la   communication   rituelle.   Or,   nous   avons   vu   précédemment   que   cet   aspect

constitutif   de   la   définition   de   l’identité   peut   être   parfaitement   indépendant   de   la   forme

grammaticale   de   l’énoncé.   Comme   le   montre   l’exemple   du  Naven,   dans   ce   type   de

communication la définition de l’identité de l’énonciateur (et donc du sujet de la phrase « Toi

mon mari ! ») est constitutive du contexte de la communication verbale alors que la forme

linguistique de l’énoncé n’en porte aucune trace. Nous pouvons en conclure que l’image, dans

le   contexte   de   ce   type   d’énonciation,   ne   constitue   nullement   un   élément   hétérogène   (ou

résiduel) par rapport à l’acte verbal. Parole et image se trouvent en une relation d’implication

réciproque.

Nous   pouvons   donc   établir   un   premier   cadre   conceptuel,   qui   nous   servira   comme

prémisse pour notre étude de la parole rituellement prêtée : L’acte verbal, lorsqu’il se réalise

dans  le  cadre   du rituel,   possède  une  complexité  spécifique  définie,   bien  plus   que par  ses

contenus, par ce que les spécialistes de la pragmatique appellent des phénomènes de contexte.

Ces phénomènes concernent la définition de conditions spécifiques de l’énonciation : son lieu,

sa temporalité et la nature de l’énonciateur. Pour être suffisamment riche du point de vue de

l’anthropologue, ce contexte doit être défini aussi bien en termes linguistiques qu’en termes

12
relevant d’autres types de communication, gestuelle ou visuelle. Une bonne articulation entre

les deux approches, implique donc l’élaboration d’une méthode capable de rendre compte de

cette complexité. Comme on va le voir, c’est au sein de ces phénomènes de contexte, au sens

élargi que nous venons de préciser, que les « objets animés » participant à la communication

rituelle peuvent jouer un rôle crucial. Notre analyse de la parole prêtée sera donc, avant tout,

une analyse des contextes de son énonciation.

Or,   comment   peut­on   imaginer   une   articulation   entre   les   aspects   linguistiques

(« grammaticalisés »,   comme   l’écrivait   Levinson)   et   les   aspects   non   linguistiques   de   la

communication dans le cadre de l’action rituelle ? Comme nous l’avons vu, les linguistes ont

tendance à considérer tout ce qui n’est pas « grammaticalisé » comme un élément résiduel

dans la définition du contexte de l’énonciation. Les anthropologues, pour leur part, ne prêtent

qu’une attention occasionnelle aux conditions de la communication. Pour répondre à cette

question il faudra donc, à la fois, chercher à établir un nouveau cadre de référence et l’illustrer

par l’étude d’un exemple. 

Moi­Ici­Maintenant : l’image démonstrative et la parole en acte 

Bill Hanks (2006) a récemment remarqué que la définition de la notion de contexte a

été jusqu’à présent dominée par une dichotomie entre une approche liée à la situation concrète

de production des énoncés et une perspective qui considère les conditions de l’énonciation

comme une simple réalisation empirique des règles de la grammaire. Comme il l’écrit, il est

évident que chacune de ces approches n’éclaire que certains aspects de l’échange verbal et en

déforme d’autres. Sa proposition d’un modèle de contexte permettant à la fois l’identification

précise de niveaux de détermination du sens au niveau linguistique et l’évaluation du rôle joué

par le champ social dans lequel l’échange verbal a lieu doit donc retenir notre attention. Deux

niveaux de phénomènes définissent, selon Hanks, le contexte de l’énonciation : le niveau qu’il

13
appelle   « émergence »   et   celui   qu’il   appelle   « enchâssement »   (embedding).   L’émergence

désigne « les aspects du discours qui apparaissent au cours de la production et de la réception

des énoncés pendant leur énonciation ». Elle concerne donc la parole en acte, ou, dans les

termes de Hanks : « the verbally mediated activity, interaction, copresence, temporality, in

short context as a phenomenal, social and historical actuality » (Hanks 2006 : 3). L’étude des

phénomènes  d’enchâssement  concerne  au contraire  les  horizons  possibles  de la  parole,  et

inclut à la fois les fondements culturels et les potentialités de sens qui appartiennent ou qui

peuvent surgir du contexte :

 « Embedding designates the relation between contextual aspects that pertain to the

framing of discourse, its centering or groundedness in broader frameworks » (ibidem). 

L’anthropologue américain note d’emblée qu’en général ces deux niveaux d’analyse

restent conceptuellement séparés dans la littérature pragmatique. Bien souvent, en effet, on ne

réserve l’aspect « émergent » qu’à la situation réelle de l’énonciation, à son espace et à sa

temporalité propre. La mise en place d’un contexte conceptuel plus large est, elle, idéalement

située   à  un niveau   d’abstraction   différent,  qui  transcende   les  circonstances  empiriques   de

l’acte verbal. Hanks note pourtant qu’un des grands enjeux de la définition de l’objet de la

pragmatique   concerne   précisément   le   type   de   relation   qu’il   existe   entre   émergence   et

enchâssement. Comme il l’écrit, 

« Emergence can easily be conceived at different temporal levels, as any historian knows, as

embedding applies within the most local fields of utterance production » (ibidem). 

Les phénomènes d’implication progressive que désigne le concept d’enchâssement ne

sont en effet nullement extérieurs à l’acte verbal : bien au contraire ils constituent des forces

agissantes  au   sein   de   l’énonciation   elle­même.   L’étude   des   processus   d’enchâssement est

donc à concevoir comme une partie de l’étude du langage en tant que pratique. Comme l’écrit

Hanks, « to study language as practice is to focus on how actual people engage in speech

(Hanks 2005 : 191). Cette conception n’est pas sans rappeler la position de Wittgenstein à

14
propos   de   la   forme   logique.   Parti   d’une   conception   de   la   forme   en   tant   que   catégorie

explicative transcendant l’usage quotidien de la langue, Wittgenstein en est venu, dans les

Recherches philosophiques (1953), à une conception de la forme logique en tant qu’élément

inscrit et agissant dans son usage. L’usage de la langue, qui était jusqu’alors conçu comme la

réalisation épisodique et souvent fautive d’une forme située à un niveau logique supérieur

(notamment   celui   des   règles),   devient   ainsi   le   véritable   objet   d’étude.   Dans   la   même

perspective, Hanks adopte une définition progressive du concept de contexte, qui lui confère,

étape  par  étape  un degré  croissant de complexité,  tout en restant  toujours  très  proche de

l’analyse des phénomènes  « émergents » au sein de l’acte verbal. Nous  verrons  que cette

approche nous permettra de concevoir en termes nouveaux des possibilités d’articulation entre

communication   linguistique   et   communication   extra­linguistique   qui   caractérisent   la

communication rituelle. Mais suivons d’abord la démonstration de Hanks. Le premier degré

que   l’on   identifie   dans   la   définition   d’un   contexte   est   constitué   par   la   simple   situation

d’interaction, définie suivant Goffman (1972) comme un pur « champ de coprésence » entre

deux interlocuteurs. Bien qu’apparemment  simple, cette première  étape est définie par un

ensemble   de   traits   fondamentaux :   le   partage   d’une   même   expérience   de   la   part   de  deux

interlocuteurs,   l’occupation   d’un   même   espace­temps   et   la   réciprocité,   qui   suppose   une

perception réciproque. 

Si, à cet ensemble de traits, que Hanks appelle l’espace externe préliminaire (« prior

outside », Hanks 2006 : 4) de l’exercice de la parole, on ajoute « un certain nombre d’actes

sociaux identifiables, des attentes mutuelles, et une compréhension réciproque » on obtient,

une   description   plus   complète   et   plus   réaliste   de   la   situation   d’interlocution,   qu’on   peut

appeler (suivant les travaux de Sacks 1992 : 521­522) un setting. Le setting est une situation

dans laquelle on définit explicitement un « champ de pertinence » de l’échange verbal. C’est

dans ce cadre que les interlocuteurs peuvent « formuler » des définitions explicites du champ

d’interaction verbale (« Je suis ici pour aider Martin »), alors que, jusqu’à présent, l’usage des

indexicaux (« Ici », « Maintenant », « Je », etc.) ne faisait qu’évoquer sa définition. Hanks

peut donc réunir, au cours de cette définition, un certain nombre de « conditions minimales »

15
de   l’échange   verbal.   Il   peut   donc   définir   le   contexte   de   l’échange   verbal   à   partir   d’une

distinction cruciale, proposée la première fois par Bühler dans sa Théorie du langage (1934),

entre   le   champ   des   symboles   (Symbolfeld),   qui   coïncide   avec   le   champ   des   « règles

normatives » de la grammaire, et le champ des règles constitutives de l’échange verbal. Ce

champ   est   appelé   par   Bühler   le  Zeigfeld,   «   champ   démonstratif »   ou   «   champ   de

manifestation » de la communication. . Cette notion, dans l’esprit de Bühler, désigne tout ce

qui   concourt   à   définir   l’échange   verbal   en   acte,   et   notamment   les   trois   coordonnées

indexicales de base (« prototypical deixis ») : « ICI », « MAINTENANT » et « MOI ». Cette

notion   est   avant   tout   d’ordre   linguistique,   puisqu’elle   offre  un   cadre   pour   l’interprétation

d’éléments   spécifiques   de   langage   (les   démonstratifs)   qui   indiquent   le   contexte   de

l’énonciation . Mais cette notion dépasse aussi le strict domaine de la grammaire, puisqu’il

concerne   «   des   expressions   dont   la   signification   conventionnelle   appartient   au   code

linguistique, mais dont le sens dépend strictement du contexte de l’énonciation ». Ce sont

donc des termes qui, étant dépourvus de contenu descriptif, « impliquent » ou requièrent le

contexte, sans pouvoir le formuler. Or, pour Hanks, cette notion est cruciale, parce qu’elle

permet   d’articuler   le   niveau   de   l’émergence  des   phénomènes   pragmatiques   au   cours   de

l’énonciation en acte et le niveau d’implication complexe (embedding) qui définit le contexte

de la parole en tant que phénomène social. « Deixis is the single most obvious way in which

context is embedded in the very categories of human language » (Hanks 2005: 5) . En ce sens,

l’introduction   d’un   champ   général   réunissant   en   un   ensemble   cohérent   les   indications   de

contexte (MOI, ICI, MAINTENANT) permet d’intégrer différents niveaux de structuration du

contexte,   de   plus   en   plus   étendus   et   complexes,   sans   s’éloigner   pour   autant   de   l’analyse

spécifique de l’échange verbal. C’est notamment à partir de cette vision élargie du Zeigfeld

que   Hanks   introduit   sa   notion   de   «   champ   social »,   auquel   il   attribue   une   dimension

linguistique et sociologique à la fois, capable de contraindre et de modifier les contextes de

l’énonciation. C’est ainsi que l’analyse de l’énonciation peut s’ouvrir, tout en gardant ses

techniques d’analyse fondées sur des « schematic regularities » (Hanks 2006 : 7) à l’analyse

des contextes sociaux les plus variés.

16
Revenons maintenant à la question de la communication rituelle, et arrêtons­nous sur

la   notion   de  Zeigfeld,   telle   qu’elle   est   conçue   par   Bühler   et   reprise   par   Hanks.   On   se

souviendra   qu’elle   est   composée   essentiellement   de   trois   éléments   du   contexte   de

l’énonciation : le MOI, le ICI et le MAINTENANT. Dans la conception de Bülher, la double

articulation   entre  un  « champ  des   symboles »  et  un « champ   de l’énonciation »  remplace

l’opposition saussurienne entre langue et parole. Il n’y a pas pour lui un niveau d’abstraction

transcendant (une langue au sens Saussurien du terme) dont l’échange verbal serait la simple

réalisation empirique (la  parole). En tant qu’espace qui réunit les coordonnées de base de

l’acte verbal, et leurs éventuelles relations, le Zeigfeld est aussi constitutif de l’existence du

langage en tant que pratique en acte (et non en tant qu’ensemble de règles qui en norment

idéalement   l’usage)   que   le  Symbolfeld.   Il   est   vrai   que   le  Zeigfeld  conserve   une   fonction

linguistique, puisque, comme Hanks l’écrit ailleurs 

« The demonstrative field converts the interactive setting into a field of signs » (2006 :

5). 

Mais l’ensemble des phénomènes qui affectent le champ de la monstration ne se limite

nullement, pour Bühler, à l’exercice d’une grammaire. Dans la perspective qu’il adopte, il n’y

a pas d’un côté, l’engendrement d’un sens par l’usage de la parole, et de l’autre côté une série

d’indications   résiduelle,   ou   marginales,   qui   seraient   fournies   par   la   communication   non­

verbale.   La   vision   du  Zeigfeld  de   Bülher   est   bien   plus   large,   puisqu’elle   inclut   dans   un

ensemble unitaire toute une série de registres différents de la communication : 

« The Zeigfeld includes gestures and other perceptible aspects of the participants, such

as posture, pointing,directed gaze, and the sound of the speaker’s voice, all of which orient the

subjective attention focus of the participants » (ibidem). 

Hanks   a   perfois   tendance   à   réduire   ces   aspects   «   définissants   les   participants   à

l’échange   verbal »   à   ce   que   Goffman   appelait   «   l’attitude   naturelle »   du   locuteur,   qu’on

suppose « éveillé, capable de perception, présent et partageant le même espace­temps que son

interlocuteur » dans une situation de communication définie dans ses termes élémentaires. Le

concept bülherien de Zeigfeld, toutefois, est remarquablement plus riche . En réalité, dans son

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effort de réunir dans un ensemble cohérent « toutes les données sensorielles (vision, audition,

toucher) qui s’organisent dans un champ de coordonnées dont l’origine se situe dans les trois

dimensions   du   MOI­ICI­MAINTENANT »   (Bühler   1990 :   169sqq.),   le   linguiste   allemand

élabore   un   concept   qui   s’applique   aussi   bien   à   la   communication   linguistique   qu’à   la

communication non­linguistique. Si nous reprenons le cas de l’échange verbal qui se réalise

pendant le Naven, nous nous apercevons que la notion de Zeigfeld permet de rendre compte

de toute une série d’indications non­verbales qui, indépendamment de la forme grammaticale

de l’énoncé, constituent le contexte du dialogue rituel entre l’oncle maternel et son neveu

utérin. Ici, ce qui « évoque » le contexte, et les modifications du MOI qui le caractérisent,

c’est bien l’image et l’action de l’oncle maternel travesti, bien plus que le contenu de ses

paroles.   L’identité   de   l’énonciateur   doit   donc   être   conçue   non   seulement   comme   un   des

éléments  du « champ  des  démonstratifs », mais  aussi en tant qu’élément  non­linguistique,

exprimé   à   travers   une   forme   de   l’interaction,   reconnaissable   et   prédéfinie,   en   tant   que

« Naven ». C’est bien cet ensemble d’indications non­verbales qui situe l’énoncé dans les trois

dimensions du MOI­ICI­MAINTENANT qui en constitue le contexte. 

Cette formulation de la nature du contexte en termes de  Zeigfeld  nous permet donc

d’insérer ce moyen visuel de définition de l’identité dans une taxonomie indexicale : l’identité

rituellement fixée par l’image marque une modification de la définition du sujet parlant, qui

constitue une des trois dimensions de base du « contexte démonstratif » de Bühler. Je peux en

effet qualifier les moyens non­verbaux de définition du soi (l’acte de se montrer différents qui

les caractérise) qui interviennent dans le rituel, non pas comme une simple « décoration »,

mais comme des perturbations affectant la définition du « MOI » qui intervient dans l’acte

verbal.   Ni   pour   l’oncle   maternel   ni   pour   le   neveu   utérin,   en   effet,   cette   définition   n’est

identique   au   « moi »   appartenant   à   la   communication   quotidienne.   Grâce   à   l’intuition   de

Bülher, qui considère les deux champs contextuels de l’énonciation comme coprésents, l’acte

iconique de se définir « en se montrant différent », qui caractérise ici l’oncle maternel cesse

de   nous   apparaître   comme   un  aspect   « résiduel »   ou  « hétérogène »  à   l’acte   verbal.   Si   le

Zeigfeld  a   la   même   dignité   logique   que   le  Symbolfeld,   nous   pouvons   considérer   cette

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définition   non­verbale   de   l’identité   des   participants   comme   constitutive   du   cadre   de   la

communication et du sens de l’énoncé : communication visuelle et communication verbale,

loin de rester l’une l’ « aspect  résiduel » de l’autre, peuvent  s’articuler  dans  un ensemble

cohérent.

A partir de cette première analyse, on pourrait imaginer une série de cas de figure de

communication rituelle caractérisés par des perturbations, différentes et comparables, de la

définition du MOI (et des autres éléments qui constituent le Zeigfeld) et par leurs éventuelles

relations.  Ce serait  là  certainement  une manière  d’établir  une  taxonomie  raisonnée,  parce

qu’obtenue à partir d’un modèle relationnel composé d’un nombre fini de termes et de leurs

relations, des phénomènes affectant le contexte de l’énonciation, dans sa double articulation,

grammaticale et démonstrative (dans le sens dans lequel nous venons de l’interpréter, c’est à

dire incluant les actes de monstration iconique) qui caractérisent la communication rituelle. A

la définition  réciproque,  contradictoire  et formulée  en termes  de différences  sexuelles,  on

pourrait comparer par exemple d’autres modes de définition d’identités complexes, comme

celles qui caractérisent, par exemple, les rituels chamaniques, ou les rituels d’initiation 4. On

pourrait esquisser ainsi une manière d’introduire un ordre dans le champ, jusqu’à présent bien

hétérogène et épisodique, des phénomènes étudiés par la pragmatique, en les adaptant aux

modes   de   perturbation   du   contexte   démonstratif »   (et   non­verbal)   qui   caractérisent   la

communication rituelle et la construction d’énonciateurs complexes qui lui est propre. 

Mais arrêtons­nous sur les relations que le champ du Zeigfeld permet de penser entre

communication linguistique et communication non linguistique. Jusqu’à présent, nous avons

vu que l’image et l’énoncé verbal, bien que coprésents au sein de l’action rituelle, restent

toujours séparés : l’approche esthétique exclut toute référence à l’usage rituel de l’image, et

l’approche linguistique considère l’iconographie comme un élément « résiduel » du contexte

de l’énonciation. Or, une image, sculptée ou peinte, à laquelle on prête la parole, participe

toujours des deux. Elle possède en fait, par définition, deux modes d’existence : l’un passe par

la désignation iconique d’un être qu’on veut évoquer sur la scène rituelle ; l’autre par la parole

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qu’on lui prête et le type de présence que cette parole lui confère. Philosophes et sémioticiens,

depuis les travaux de Peirce (1955) ont eu tendance à séparer l’iconique et l’indiciaire en tant

que signes impliquant deux modes distincts d’engendrement du sens. L’icône est un mode

désignation qui passe par la mise en place d’une analogie de forme entre le signe et ce qu’il

désigne. L’indice est, au contraire une marque de présence inhérente à l’objet qu’elle désigne.

Dans ses fameuses Méditations sur un manche à balai, où le grand historien analyse le rôle

joué par cet humble objet dans le jeu d’un enfant, Ernest Gombrich a pourtant montré (1963)

que l’aspect iconique et l’aspect indiciaire d’une image sont en fait indissociables. « Toute

fabrication   d’images   trouve   son   fondement   dans   la   création   de   remplaçants »   (Gombrich

1963 : 15). « Plus la fonction de remplacement assumée par l’objet est pertinente, remarque

encore Gombrich, moins la forme est importante. C’est grâce à cette fonction, qu’un manche à

balai, dans les mains d’un enfant qui joue, peut devenir un cheval ». On pourrait ajouter que

cette transformation de l’objet (qui le conduit de l’interprétation d’une forme à la mise en

place   d’une   présence)   n’est   jamais   isolée   ou   épisodique :   une   fois   inséré   dans   un   cadre

relationnel précis, comme le jeu, l’objet devient le terme visible d’une séquence de pensées

qui échappent en grande partie à l’analyse de sa forme. C’est ainsi que le manche à balai

déclenche une sérié d’inférences : si le manche est un cheval, alors l’enfant est un chevalier,

et l’amie avec laquelle il joue, une princesse. La maison où ils se trouvent, deviendra, elle,

dans l’espace du jeu, un château, etc. Il faut donc en conclure que toute forme, par l’espace

relationnel   qu’elle   suscite,   suppose   une   présence.   Dans   l’image   rituelle,   presque   sans

exception, ces deux dimensions, de représentation iconique et de désignation indiciaire, que

les sémioticiens séparent, coexistent. Ce phénomène est général, mais l’exemple d’un masque

de la Côté du Nord­ Ouest 

Figure 2 : Un masque Haida

 suffira à illustrer ce point. Il est clair que ce masque, rigoureusement conçu selon les

règles de la tradition iconographique de l’art amérindien du Nord­Ouest, possède aussi une

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présence : ces cheveux et ses poils lui confèrent une « agentivité » qui se déploie directement

sur   la   scène   rituelle.   On   trouvera   rarement,   dans   la   littérature   consacrée   à   cet   art,   un

commentaire   concernant   cette   articulation   entre   la   forme   esthétique   et   ces   « supports   de

présence ».   Comme   les   linguistes   focalisent   leur   analyse   exclusivement   sur   les   aspects

« grammaticalisés » du contexte de l’échange verbal, les historiens de l’art préfèrent s’en tenir

aux   aspects   esthétiques   des   images.   Dans   l’espace   du   rituel,   ces   images   sont   pourtant

agissantes,  et   parfois,  comme  on  va  le  voir,  douées   de  parole.   Pour  l’anthropologue,   ces

questions  demeurent donc essentielles.  Au début  de cet  article,  nous avons remarqué  que

l’analyse de la parole prêtée aux images posait deux ordres de questions. Une première série

de   questions   concernait   la   relation   qui  peut   s’établir   entre   l’image   et   l’acte   verbal.   Nous

savons maintenant que, à l’intérieur d’un Zeigfeld, la parole et l’image peuvent s’intégrer dans

un seul contexte : le rôle de la communication visuelle y est reconnu comme un des éléments

qui   définissent   le   champ   démonstratif   constitué   par   la   série   élémentaire   MOI­ICI­

MAINTENANT.  Il   s’agit   maintenant   d’élucider   la   question   des   contextes   d’usage   de

l’artefact : comment définir les modes de présence de l’image, sans les réduire à un aspect

résiduel   de   son   iconisme ?   Quelles   relations   s’établissent   entre   sa   valeur   de   présence   et

l’action rituelle, qui conduit, comme nous le savons, à la construction d’identités complexes ?

Nous verrons que ces questions sont centrales pour comprendre le rôle joué par les artefacts

dans le rituel, et la nature de la parole qui leur est prêtée. 

Colossoi et kouroi, ou la pragmatique des images 

Dans un texte fondateur consacré à « La catégorie psychologique du double » dans la

Grèce   archaïque,   Jean   Pierre   Vernant   (1965)   a   décrit   une   série   de   rituels   funéraires   qui

impliquent une représentation singulière du défunt. Suivons son analyse :

 « A Midéa (l’actuelle Dendra) dans un cénotaphe datant du XIIIe siècle avant J.C., on

a retrouvé, au lieu de squelettes, deux blocs de pierre gisant sur le sol, l’un plus grand que

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l’autre, grossièrement taillés en forme de dalles quadrangulaires s’amincissant vers le haut

pour marquer le cou et la tête de personnages humains (un homme et une femme). Enterré

dans la tombe vide, à côté des objets appartenant au trépassé, le  colossos  y figure comme

substitut du cadavre absent » (1965: 66). Simple pierre, à peine taillée en forme humaine, le

colossos offre un exemple particulièrement clair de ce que peut être la présence rituelle d’une

image. En fait, souligne Vernant, la pierre taillée ne représente pas le défunt. Placée dans la

tombe, elle tient sa place : « Substitué au cadavre au fond du tombeau, le colossos ne vise pas

à reproduire les traits du défunt, à donner l’illusion de son apparence physique. Ce n’est pas

l’image du mort qu’il incarne et fixe dans la pierre, c’est sa vie dans l’au­delà, cette vie qui

s’oppose à celle des vivants comme le monde de la nuit au monde de la lumière. Le colossos

n’est pas une image ; il est un double comme le mort lui­même est un double du vivant »

(1965 : 67). « La réalité du colossos – ajoutera Vernant dans un texte plus récent (1990 : 33)

semble exclure tout effet de ressemblance, tout projet imitatif. Pour évoquer l’absent disparu,

la pierre doit accuser les écarts, la distance avec la forme de la personne vivante ». 

Ce substitut rituel du mort n’est pourtant pas toujours relégué dans le tombeau. Il peut

aussi   se   dresser   au­dessus   de   la   tombe,   en   un  lieu   écarté   et   désert,   voué   aux  puissances

infernales. C’est dans cet espace extérieur à la ville que « se célébraient des rites d’évocation

du mort. Ces rituels impliquaient une séquence régulière d’actions : on versait sur la pierre les

libations   prescrites,   on y  faisait  ruisseler  le   sang  d’un bélier  noir ;  puis   par trois  fois   les

assistants   appelaient   le   mort   par   son   nom,   les   yeux   fixés   sur   la   pierre   où   il   était   censé

réapparaître » (1965 : 67) . La même pierre qui servait à isoler le mort des vivants, en le

reléguant dans sa tombe, une fois dressée sur l’emplacement funéraire et insérée dans une

série   d’actes   rituels,   permet   ainsi   d’établir   un   contact   rituel   avec   le   défunt.   A   travers   le

colossos, cette « pierre sans regard » (Vernant), le mort remonte donc à la lumière du jour et

manifeste aux yeux des vivants sa présence. Or, cette « présence » du défunt marque aussi une

absence : « en se donnant à voir sur la pierre, le mort se révèle en même temps comme n’étant

pas de ce monde » (ibidem). Ce qui apparaît, lors de l’invocation répétée de son nom, n’est

pas le défunt lui­même, mais plutôt sa  psyché, cette « âme » (parfois représentée en forme

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animale) qui a désormais abandonné son corps pour devenir une puissance infernale qu’il faut

fixer et dominer. C’est elle qui, « en poussant un cri de chauve­souris » se fait fixer à la pierre

pendant   le   rite.   En   fait,   la   représentation   de   cette   absence­présence   est   un   des   enjeux

fondamentaux de tous ces rites : les colossoi étaient aussi utilisés lorsqu’il s’agissait d’établir

ou de renouveler de liens d’hospitalité avec de personnes absentes de la cité, et notamment

avec des citoyens de la métropole partis pour les colonies. Pour maintenir un lien d’hospitalité

avec ces personnes, on pouvait par exemple, comme à Selinunte, offrir des repas à des pierres

dressées, qui étaient censées les « remplacer ». Le texte du serment qui garantissait, à Théra

les obligations réciproques qui liaient les citoyens aux colons partis en Afrique, nous éclaire

sur ce point, et révèle une autre séquence d’actes rituels impliquant l’usage des figurines. Afin

de maintenir un lien rituel avec eux « on fabriquait des colossoi en cire, on les jetait dans le

feu en récitant la formule : « que celui qui sera infidèle à ce serment se liquéfie et disparaisse,

lui, sa race et ses biens » (Vernant 1965 : 68­69). 

A travers ces deux rituels, liés à la mort ou à l’absence, la pierre dressée révèle sa

nature et sa fonction. Dans les deux cas, elle se transforme en fait en un lieu de passage, où se

réalise un contact rituel entre les vivants et les morts (ou les absents). Suivant les cas, ce

passage se fait dans un sens ou dans l’autre. Tantôt, comme dans le rituel funéraire, les morts

sont rendus présents à l’univers des vivants, en forme de pierre. Tantôt, comme dans le cas du

rituel   qui   accompagne   le   serment   garantissant   les   obligations   réciproques   des   colons,   les

vivants se projettent eux­mêmes, à travers les  colossoi  de cire qui les remplacent, dans la

mort. Dans ce cas, écrit encore Vernant, « à travers les  colossoi  qui les représentent sous

forme de doubles, ce sont eux­mêmes que les jureurs lancent dans le feu » (Vernant 1965 :

69). 

Le  colossos  déploie donc une présence (ou plutôt une représentation paradoxale de

l’absence­présence) en mettant en place un dispositif d’actions rituelles (libation, offrande du

« sang noir du bélier à la pierre, rituel d’hospitalité offert aux figurines) qui mobilise 

- une « image minimale », 

- une parole, nulle part inscrite, mais réalisée et associée à l’image à travers l’appel,

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répétée trois fois, du nom du défunt, et 

- un acte de regard, qui conduit le célébrant à « fixer attentivement » la pierre brute

« sans parole et sans regard », qui se trouve placé devant lui. 

Ce   dispositif   est   double.   Il   permet   une   identification   rituelle   du  colossos  avec   le

célébrant, lorsqu’il s’agit d’un homme qui s’engage à respecter un serment, et qui se voue à la

mort au cas où il venait à le transgresser. Ou bien une identification entre la pierre et le

défunt, dans le cas du rituel funéraire, où on s’adresse à la pierre comme si elle matérialisait la

présence du défunt. En ce cas, le colossos devient en effet le « signe religieux », le sema (ou

le mnema) du mort à qui le célébrant di rituel adresse son regard et sa parole. Dans ses traits

essentiels, ce dispositif rituel très ancien (rappelons que nos témoignages datent du VIIe siècle

A.J.C.)   durera   très   longtemps.   Dans   une   série   de   textes   consacrées   à   l’ensemble   des

représentations   par l’image  dans   le  monde  hellénique  (de  Naissance  d’images  à  Figures,

idoles, masques), Jean Pierre Vernant a pu établir une continuité de fond entre le colossos et

la naissance, à partir du VIe siècle, de la représentation plastique confiée à korai et kouroi au

sein de la Grèce archaïque.

Figures 3 et 4 : Deux exemples de kore et de kouros 

  Au­delà de l’évolution  du style plastique, l’idée  de la statue funéraire  considérée

comme  sema  funéraire, ou « catégorie psychologique du double », qui en définit le rôle en

tant que « terme intermédiaire « et « lieu de passage « ambigu entre le monde des vivants et

celui des morts, persiste longtemps, jusqu’à couvrir toute la période archaïque.. Un aspect

essentiel, toutefois, subit un changement radical.  Au sein de l’univers social, qui est celui des

premières cités dominées par l’aristocratie guerrière, le  sema  funéraire, tout en conservant

certains   traits   de   base   du  colossos,   n’acquiert   pas   seulement   une   nouvelle   dimension

iconique . Il se voit aussi attribuer l’exercice rituel de la parole. 

En tant que représentations iconographiques, comme Burkhart Fehr (1996) l’a montré, ces

24
statues, de jeunes hommes ou de jeunes femmes, portent toutes une série de valeurs propres à

la société aristocratique de la Grèce archaïque. Les jeunes filles (kore) s’habillent de tissus

précieux, montrant ainsi leur habileté au tissage et leurs origines nobles. Les jeunes hommes,

eux,  manifestent   tous  un  idéal  d’égalité   et  d’excellence  physique :  les  kouroi, comme   l’a

remarqué Fehr, sont tous de même taille, et suivent tous le même modèle iconographique. Ces

traits iconographiques conventionnels s’accompagnent d’un certain nombre d’indications de

présence. Par leur posture, et par l’attitude, korai et kouroi exhibent toujours, avec discrétion,

une courtoisie de jeunes aristocrates, marquée par ce que Fehr appelle un sourire allocutoire.

La statue accueille le spectateur par son sourire, et semble ainsi lui adresser aimablement la

parole. A partir du siècle XX, des inscriptions commencent à accompagner les statues, portées

le plus souvent sur le socle qui leur sert de base (Boardman 1991). Certaines représentations

établissent une relation entre la statue et l’inscription, soit en inscrivant simplement le nom du

jeune homme représenté (« Je suis Diosermes, fils d’Antenor », Boardman 1991 : fig. 174),

soit  en s’adressant directement à l’observateur, par un appel qui donne un contenu plus précis

au sourire allocutoire qu’exhibe la statue : « regarde­moi ! » (Boardman 1991 : fig. 244). Ce

type d’interlocution, qui constitue un premier exemple de parole prêtée à un artefact rituel,

peut se développer de plusieurs manières dans l’ensemble des kouroi et korai. Voyons­en de

plus près un exemple. Il s’agit de Phrasikleia, une jeune  koré au sourire typique, portant sa

précieuse tunique, et qui indique d’un geste de sa main une fleur de lotus qui apparaît dans

son sein. La statue, qui était sans doute originellement peinte, date probablement des années

560 av. J.­C., et était accompagnée par une inscription. La voici : 

Moi,5 le sema de Phrasikleia, serai pour toujours appelée kouré

Puisque j’ai reçu ce nom par les Dieux à la place du mariage 

Jesper Svembro a étudié ce texte et cette statue de manière magistrale. Sans pouvoir restituer

5
 Dans les inscriptions précédant 550 av. J.C. le mot utilisé dans ce genre d’inscriptions est toujours « moi ».
Plus tard, on trouvera  aussi sur l’objet  funéraire d’autres expressions comme « ceci », « cette statue », etc.
(Svembro 1993 : 40­41). 

25
ici toute son analyse, retenons­en quelques points essentiels, qui concernent surtout le jeu

subtil qui s’établit ici entre ce qui est donné à voir et ce qui est donné à lire (l’inscription qui

l’accompagne),   et  donc   à  réaliser   dans   le  registre  sonore,  par  l’énonciation  d’une   parole.

Toute la tradition des statues funéraires archaïques témoigne en effet de la persistance, au sein

des rituels funéraires, sinon de l’epiklesis  ancienne (cet appel répétés trois fois du nom du

défunt qu’on adressait à la pierre nue du colossos), de la prononciation du nom du défunt. Ce

cas particulier de prise de parole assure au défunt la pérennité de son souvenir. Arrêtons­nous

donc sur le nom de la défunte. Svembro traduit « Phrasikleia » « je suis celle qui prend soin

(Phrasi­) de la renommée (­kleia) ». La jeune fille se déclare donc « celle qui préserve », la

mémoire glorieuse, le  kleos  de la famille noble des Alcmenoides, à laquelle elle appartient.

Mais elle est avant tout, « celle qui montre » le kleos.  Si le nom, que les vivants sont invités à

prononcer, fournit une sorte d’auto­définition de la jeune fille : « that is what her name shows

she does », son identité de noble jeune fille est également indiquée par le geste qu’elle donne

à voir. Phrasikleia montre,en effet, d’un geste délicat, la fleur de lotus qu’elle tient sur sa

poitrine. Comme l’écrit Svembro, la fleur est ici un symbole complexe, qui possède plusieurs

significations.   Il   indique   d’abord   le   feu   domestique :   comme   lui,   il   se   clôt   le   soir   pour

s’épanouir  à nouveau le matin. « The flower behaves like a domestic fire. It is indeed a

stylized image of the fire ». Mais cette même fleur de lotus, en tant que cœur de la maison,

indique aussi son kleos, sa renommée à travers les générations : « The lotus she shows takes

the place of the kleos ». Il en résulte que le geste de Phrasikleia est une traduction en image de

son nom : « since the young girl enacts her kleos with a silent gesture, the gesture of her hand

mimes her own name » (Svembro 1993 : 23). 

L’acte montré par Phrasikleia signifie donc, comme son nom, « je suis cela, telle est

ma nature, et ma mission : je préserve désormais le renom de ma famille ». D’entrée de jeu,

une identification semble apparaître entre la défunte et la statue qui la représentent : elles

possèdent en fait la même fonction : elles sont, toutes les deux, des mnema, des marques de

mémoire. Par son sourire adressé, en effet, Phrasikleia ne fait pas que véhiculer un sens (une

inscription seule aurait suffit pour cela).La statue attire vers soi le regard du lecteur et lui

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demande, suivant les formes de l’accueil courtois de l’ethos archaïque, de prononcer son nom.

C’est seulement lorsque l’inscription sera prononcée à voix haute (le verbe grec est excipein :

« dire à haute voix », Svembro 1993) que le kleos lié à son nom pourra se préserver dans le

temps. La statue se trouve « dans un  état d’attente » : seul celui qui a vu le geste qu’elle

montre peut réaliser par sa voix le désir que son nom soit rituellement prononcé, un souhait

qu’elle exprime discrètement par son sourire. Or, à travers cette lecture à voix haute (qui fait

écho   à   l’ancien   appel   répété   du   nom),   deux   phénomènes   typiques   de   l’action   rituelle   se

réalisent. D’une part, on engendre, selon des modalités spécifiques, ce que nous avons appelé

ailleurs une identité complexe. Si nous reprenons l’inscription, nous découvrons que le mot

« Moi », qui ouvre le texte, une fois que nous le mettons en rapport avec l’image, condense au

moins deux moi possibles : celui de Phrasikleia, la jeune princesse, et celui de Phrasikleia, la

statue qui la représente. Le MOI qui ouvre le texte de l’inscription désigne en fait bien la

jeune fille, (« Moi, Phrasikleia, la défunte, celle qui sera toujours appelée kouré »), mais aussi

la statue elle­même, ce « signe ambigu posé entre absence et présence » (Vernant), qui déclare

être le sema de Phrasikleia, et dont la fonction est de « préserver » la mémoire de son kleos.

En fait, si nous mettons ce qui est donné à lire en rapport avec ce qui est donné à voir, nous

obtenons une série complexe d’enchâssements qui, tout en jouant sur le double sens de la

définition de Phrasikleia et de la statue qui la représente en tant que « vierge » (kouré), inclut

toute une série de traits de l’identité de Phrasikleia en tant que sema visuel, et de Phrasikleia,

en tant que défunte dont le nom préserve la mémoire. En fait, autour des deux mots, « sema »

et « koré » se vérifie une réverbération sémantique singulière : qui parle ici ? qui prononce les

mots inscrits dans le texte qui accompagne l’image ? En fait, l’identité du locuteur semble

définie   par   une   sorte   de  double   négation :   ce   n’est  certainement   pas   le   sema   qui   a   pu  «

recevoir le nom de kore par les dieux, à la place d’un mariage qui n’a jamais eu lieu ». Et ce

n’est certainement pas Phrasikleia, la jeune fille restée vierge toute sa vie, qui peut s’appeler «

sema ». Et portant, l’inscription s’ouvre bien par une autodéfinition : « Moi, le sema … ». Or,

ce « moi », comme Svembro l’a bien compris, désigne en fait l’un et l’autre : « je suis le

sema » et « je suis la jeune fille » sont deux énoncés implicites qui, dans le champ sémantique

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qui permet de comprendre le sens de l’inscription, coïncident. Comme l’a remarqué Vernant

(1990 : 81), qui pourtant traduit l’inscription de manière légèrement différente, « Ce deuxième

nom de coré, c’est celui­là même de la figure funéraire qui parle en première personne, en

nom et place de Phrasikleia, dont elle est le sema, et à laquelle elle s’est substituée en lui

faisant revêtir, à travers sa représentation funèbre, la forme d’une coré ». Svembro parle d’une

« singularité grammaticale », toute linguistique, qui caractériserait l’inscription. Il est pourtant

clair que l’énonciation de cette parole ne peut se comprendre que dans la relation qu’elle

établit avec l’image. Or, une image peut, comme nous avons pu le voir dans le cas du masque

de la Côte du Nord Ouest associer la référence par la voie iconique et la référence par la voie

indexicale. En associant des traits corporels comme des cheveux ou des poils à un schéma

iconique conventionnel, le masque acquiert ainsi une présence directe sur la scène du rituel.

Dans le cas de Phrasikleia cette présence de l’image en tant que personne est obtenue en

provoquant une convergence exceptionnelle entre le champ de ce qui est donné à voir et le

champ   de   ce   qui   est   donné   à   lire.   On   a   ici   un   processus   d’interférence   entre   un   mode

d’engendrement du sens par la voie iconique et un mode d’engendrement du sens par la voie

indexicale. On engendre ainsi une personne complexe, que seule cette articulation entre icône

et index constitue. Svembro a cherché à le formuler en termes purement linguistiques, comme

un phénomène appartenant à une anthropologie de la « lecture ». Mais cette « lecture » est en

fait   un   acte   rituel :   il   vaut   donc   mieux   reconnaître   qu’on   sort   ici   des   règles   de   la

communication quotidienne, pour constituer (comme dans tout rituel) un jeu verbal inédit

dont   l’existence   ne   peut   se   concevoir   que   dans   le   cadre   d’un   rite.   Au   sein   de   ce   jeu,

l’articulation entre l’image et le mot est cruciale : Phrasikleia, en effet, montre, par son geste,

ce   qu’elle   dit,   et   dit   ce   qu’elle   montre :   dans   son   cas,  Symbolfeld  et  Zeigfeld  coïncident

exactement, tout en se situant en position symétrique l’un par rapport à l’autre. 

Phrasikleia possède donc la complexité typique d’un être rituel : sa parole désigne un

locuteur   pluriel,   qui   est   la   fois   humain   (la   jeune   fille)   et   non   humain   (la   statue   qui   la

représente).   Mais   comment   cette   représentation   réflexive,   faite   d’images   et   de   mots   qui

renvoient les uns aux autres, se transforme­t­elle en présence ? Par la voix que lui confère le

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rituel. En fait, ce n’est que par la parole et par la voix qu’on lui prête qu’elle peut déborder la

dimension iconique et conventionnelle de la  kore, pour acquérir une présence directe sur la

scène di rituel. Cette parole et cette voix sont celles du célébrant du rite : le « lecteur » de

l’inscription.   Nous   découvrons   ainsi   que   la   mise   en   place   de   cette   série   d’identités

cumulatives implique l’existence d’un lien avec le lecteur : celui ou celle qui, vivant, est invité

à prononcer le nom de Phrasikleia. Ce n’est pas seulement en inscrivant un nom propre dans

un texte associé à une image qu’on peut commémorer le nom d’une personne défunte. Pour

que sa présence rituelle soit réalisée, il faut que ce nom soit lu, ou plutôt prononcé à haute

voix. Comme le célébrant du rituel du colossos, le lecteur qui commémore la jeune fille doit

prononcer le nom de Phrasikleia, réalisant ainsi son désir d’être « celle qui préserve » le nom

de sa famille, les Alcmeïdes. Au schéma du rituel du colossos s’ajoute ici un élément crucial :

en lisant la stèle, le lecteur n’adresse pas simplement un appel à la défunte, il lui donne la

parole, et réalise ainsi précisément l’action qui, inscrite dans son nom, lui est attribuée par son

devoir familial . C’est elle, en fait qui doit propager, par le son d’une parole prononcée, le

kleos des Alcmeïdes. Comme elle, et à sa place, le lecteur transforme son geste (« regarde ce

que je suis : une fleur, un symbole du foyer, du cœur de ma famille ») en un son prononcé.

Revenons   maintenant   à   l’ensemble   des  kouroi,  et   cherchons   à   développer   les

instruments d’analyse que l’étude de Phrasikleia nous a permis de formuler. La morphologie

de cette représentation funéraire est connue : jeune noble plein de valeur, le kouros exprime «

dans la forme de son corps cette beauté, cette jeunesse que la mort a fixé à jamais sur lui en

l’atteignant dans le fleur de l’âge » (Vernant 1990 :57) . En fait, l’ensemble de traits iconiques

qui constituent l’eumorphie du jeune noble ne représente nullement un idéal purement abstrait

ou anhistorique de beauté masculine. Son univers est celui de la guerre. La beauté du kouros

incarne ce que Vernant a appelé l’éclat de la « jeunesse définitive », cet état de splendeur et de

prestige (indépendant de l’âge réel du défunt)  que l’idéal de la belle mort confère au guerrier

tombé sur le champ de bataille. Cette « jeunesse » est, certes, avant tout celle des dieux, qui

sont  éternellement  jeunes. Mais  elle  se définit  aussi par opposition   à l’idée obsédante  du

cadavre   outragé,   et   à   toute   une   série   de   sévices   auxquelles   s’expose,   dans   la   société

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homérique,   le   corps   du   guerrier   tombé   au   champ   de   bataille.   Vernant   a   reconstruit   ces

pratiques cruelles, destinées à ôter au corps du guerrier toute mémoire posthume. Parfois,

après la bataille, on salit de poussière et de terre le corps ensanglanté, on déchire sa peau pour

qu’il perde sa figure singulière, sa netteté de traits et son éclat. D’autres fois, le corps est

démembré,   morcelé,   « coupé   en   pièces   et   livré   en   pâture   aux   chiens,   aux   oiseaux,   aux

poissons » (Vernant 1989 : 74). 

Les rituels funéraires visent avant tout à préserver la forme du corps. La statue offre le

modèle de ce corps intact : les critères de style suivis par les sculpteurs pour représenter le

kouros  (l’harmonie des dimensions, l’élégance du geste et du sourire, la coiffure soignée)

correspondent au traitement funéraire que l’on réserve au cadavre du jeune guerrier pour le

préserver   de   tout   outrage.   Avant   de   le   livrer   au   bûcher   pour   la   crémation   funéraire   qui

caractérise l’époque homérique, son corps est lavé, parfumé, embaumé. On fait disparaître

toute blessure, toute atteinte à sa beauté. On peigne avec soin ses cheveux. Parfois même, ses

compagnons   d’armes   « coupent   leur   chevelure   avant   de   livrer   le   corps   de   leur   ami   aux

flammes. Ils habillent le corps tout entier de leurs cheveux comme s’ils le revêtaient, pour son

dernier voyage, de leur jeune et virile vitalité (Vernant 1989 : 66). La statue funéraire, comme

nous l’avons vu, constitue l’accomplissement de ce rituel. Sa beauté est donc celle du corps

défunt. Mais nous savons aussi que la statue ne fait pas que représenter le mort : elle en tient

la place, et permet ainsi, comme le faisait déjà la « pierre nue » du colossos, « une prise sur la

personne disparue, un moyen rituel d’agir sur elle » (1990 : 74). Comment donc l’eumorphie

(la   définition   du  kouros  en   tant   que   représentation   iconique   du   mort)   se   traduit­elle   en

présence rituelle ? Comment se situe­t­elle par rapport à l’action cérémonielle ? Le  mnéma

est, dès son origine, un résultat de l’accomplissement du rituel : déjà à l’époque homérique,

« la part  d’honneur (le  geras) qu’il  faut  rendre aux morts  consiste  à brûler  le  cadavre,   à

recueillir les os blancs, distincts dans les cendres, à répandre sur le récipient qui les contient la

terre pour élever un tertre, et à dresser au sommet un  sema » (Vernant 1990 : 54). Mais le

sema implique aussi une manière de pérenniser la mémoire à travers la prononciation rituelle

du nom du défunt. Dès ses origines, le colossos est toujours associé à l’épiklesis : l’ « appel

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répété du nom » de la personne défunte. C’est donc à la statue qu’on s’adresse pour établir un

contact avec le mort. Cette même statue, toutefois, n’est pas sans relation avec la présence des

célébrants. « Pendant la déploration, au moment où les parents du mort le rapprochent des

vivants en faisant briller sur son cadavre un dernier reflet de la vie (le feu), ils se rapprochent

à leur tour du mort en simulant leur entrée dans le monde informe du trépas. Ils infligent alors

à leur propre corps une sorte d’outrage fictif en se souillant et s’arrachant les cheveux, en se

roulant dans la poussière, en s’enlaidissant le visage avec de la cendre » (Vernant 1989 : 72).

Avant même que l’image du défunt soit fixée dans la pierre (par le kouros ou, en époque plus

ancienne, par le seul  colossos) le rituel impose aux célébrants d’en offrir eux­mêmes une

image. En ce sens, on peut dire qu’avant d’ériger sa figure, les parents imitent rituellement le

mort,   au   sens   précis   du   verbe  mimesthai qui   est   de   « simuler   la   présence   effective   d’un

absent » (Vernant 1990 : 65). Le célébrant doit donc se donner à voir en victime du même

destin que le défunt. En fait, faire l’expérience du deuil (le pothos), c’est aussi garder en soi

la   présence   du   mort  pour   ne   pas   l’oublier   (Vernant   1990 :   43) :   « Comme   tout   rituel   de

passage les funérailles comportent une phase d’entre­deux, quand le mort n’est plus vivant,

mais que la présence encore visible de son cadavre fait obstacle à son entrée dans le monde

des ombres (…) c’est à ce moment­là que se manifeste le  pothos  (le « désir endeuillé » du

mort selon la traduction de Vernant) dans son expression rituelle : refus de manger, de boire,

de dormir, ségrégation par rapport au groupe des vivants, enlaidissement du visage, souillure

par la cendre et la poussière. Ces pratiques, liées à la remémoration, rapprochent le vivant du

mort auquel  il   était  lié,  en  les  plaçant  tous  deux  dans  un  état  intermédiaire  commun… »

(1990 : 48). Or, le  séma, en forme de  colossos  ou de  kouros, est la marque visible de cette

injonction de mémoire, qui implique de rester proche du défunt, et presque de s’y identifier.

Cet aspect profondément rituel du « symbole plastique » (Vernant) chez les Grecs est illustré,

dans   l’Iliade,   par   un   épisode   saisissant.   A   la   mort   de   Patrocle,   qui   était   leur   cocher,   les

chevaux  d’Achille  se figent  dans  une  attitude  rituelle  de  deuil.  Dans  leur  désespoir, « ils

s’immobilisent et prennent racine, comme une stèle funéraire érigée sur une tombe demeure

immuable à jamais, gardant la mémoire du mort « (Vernant 1990 : 44). De manière analogue

31
« la figure sur la stèle ou le  kouros  funéraire se dressent sur le tombeau à la place de ce

qu’était, valait ou faisait la personne vivante ». Vernant cite à ce propos le cas de la stèle

d’Ampharète (fin du Ve siècle) où on peut lire cette inscription : 

« c’est l’enfant chéri de ma fille que je tiens ici, celui que je tenais sur mes genoux

quand, vivants, nous regardions la lumière du soleil : et maintenant, que nous sommes tous

deux morts, je le tiens encore » (1990 : 80). 

Nous   reconnaissons   ici   le   même   phénomène   d’interférence,   et   de   superposition

partielle   entre   le   sema   et   le   défunt   représenté   que   nous   avons   rencontré   dans   le   cas   de

Phrasikleia. Par l’inscription qui apparaît sur son socle, le sema parle, à la place de celui ou de

celle qu’il représente. Le défunt est donc présent sur le scène du rituel, puisqu’on entend sa

voix : le marquage de la présence rituelle de la statue est confiée à la parole prêtée. Dès que

l’inscription,   en   remplaçant   l’epiklesis  orale   adressée   au  colossos,   apparaît,   le  kouros

commence donc à impliquer l’engendrement d’un énonciateur complexe. Comme le colossos,

qui n’était pourtant qu’une pierre dressée, l’image du jeune noble souriant (ou plutôt cette

relation entre un symbole plastique et une inscription qui engendrent ici une « parole prêtée »)

permet un passage entre le monde des vivants et le monde des morts. Ce passage, ou plutôt ce

contact rituel, se traduit en deux séries d’identifications parallèles, qui relient la statue d’une

part au défunt, et d’autre part au célébrant du rite. Face au lecteur, ou plutôt au célébrant du

rituel   qui   lui   confie   sa   voix,   le  kouros  se   transforme,   comme   la  kore  Phrasikleia,   en

énonciateur pluriel : il « est » le jeune guerrier : il en exhibe toute l’eumorphie. Mais, dès que

le lecteur prononce les mots qui figurent dans l’inscription qui accompagne la statue – Dès

qu’il dit, à haute voix, par exemple (Boardman 1991) : 

« Je suis Glaukos » 

un échange s’établit entre la parole et l’image, qui en transforme la nature. A travers ce

qu’on pourrait appeler une identification partielle entre la statue et le lecteur qui en célèbre la

mémoire, le vivant prête sa voix à la statue, qui peut ainsi prendre la parole (Svembro 1993 :

32
61).   Dans   ce   contexte,   l’acte   de   «   lire   à   voix   haute »   va   donc   bien   au­delà   du   simple

déchiffrement d’une inscription. Il devient l’accomplissement d’un acte rituel de mémoire :

qui se fonde sur une double modalité de la présence : visuelle et sonore. Quand une autre stèle

déclarera : 

« souviens­toi de moi : je suis Dionisios »

c’est à la statue que reviendra la représentation de la présence visuelle du mort, mais

c’est la voix du lecteur qui offre à la statue sa présence sonore, et sa parole. Comme Svembro

l’écrit ailleurs, (1993 : 36) : if the reader proclaims aloud « I am Glaukos » his lips serve an

inflexible ego that is not his own ». Pendant l’énonciation de l’inscription « It is not the stele

that speaks ; the reader leads  his voice by reading the inscription » (1993 : 51). Une fois

transformé   en   objet   parlant,   la   statue   peut   assumer   pleinement   sa   fonction   rituelle.   La

première raison d’être du  kouros  est naturellement la représentation visuelle, en forme de

sema, du défunt. Quand la statue, à travers la lecture de l’inscription, dit « je », c’est donc le

défunt qui parle. Une première identification s’établit donc entre la statue et le défunt (inhumé

ou brûlé). Or, par les mots qu’elle prononce, mais aussi par son attitude courtoise, par son

sourire, la statue appelle. Elle s’adresse à un interlocuteur, elle attire son regard et demande

que l’« appel de son nom », indispensable à son existence posthume, soit accompli. La statue,

donc,   réclame   l’intervention   d’une   voix.   Une  voix   qui,   a   sa  place,   puisse   dire   «   je ».   Si

l’eumorphie visuelle du kouros reflète une première identification, explicite, entre le défunt et

son mnema, le registre vocal réalise une identification, implicite mais toujours latente, entre le

défunt et le célébrant qui le commémore. Bien au­delà du sens des mots qui apparaissent sur

l’inscription, c’est par la voix qu’ils partagent sur la scène rituelle qu’un contact entre les

deux devient possible. La voix et l’image ne suivent donc pas le même parcours, mais c’est à

travers   les   deux   séries   d’identifications   qu’elles   rendent   possibles   que   la   statue   cesse   de

représenter simplement les valeurs de la société archaïque grecque, et devient le lieu où une

relation rituelle entre célébrant et défunt se réalise. Constituée de traits contradictoires, cette

33
relation s’établit entre l’image d’un mort en forme de jeune noble, courtois, souriant (mais

dont l’eumorphie  est celle du corps du guerrier tombé : cadavre soigné de ses plaies, oint

d’huile et de miel) et un célébrant qui prend la place du mort en lui prêtant sa voix. L’un et

l’autre semblent, le temps d’une phrase, coïncider en un seul être pluriel. Comme le colossos,

dont   il   constitue   l’aboutissement,   le  kouros  est   double.   Il   peut   donner   une   image   et   une

présence   au   défunt,   mais   aussi,   à   travers   l’identification   rituelle,   permettre   au   célébrant

d’entrer en contact avec lui. Il sera donc, comme dans le deuil le plus profond, si proche du

mort qu’il pourra, un instant, prendre sa place. Dans l’état  de deuil profond que le rituel

représente   en   forme   de  pothos,   le   défunt   peut   prolonger   sa   vie   dans   celle   du   célébrant.

Lorsqu’il prononce les mots du défunt (« je suis Glaukos », « je suis encore le guerrier que tu

as   connu »)   le   célébrant   en   devient   un   instant,   le   temps   de   l’accomplissement   du   rituel,

l’image sonore. 

***

Comment parlent les images ? Quels types de locuteurs constituent­elles lorsqu’elles

apparaissent au sein d’une séquence d’actions rituelles ? Nous avons constaté que, tout en

fournissant de précieux éléments d’analyse, historiens de l’art et linguistes ont eu tendance à

éviter cette question. Les uns parce qu’ils ne reconnaissent pas à l’image une présence qui

échappe à l’analyse de sa forme, les autres parce qu’ils refusent bien souvent, d’aller au­delà

des modalités propres à la communication linguistique. Or, notre étude des représentations

funéraires grecques, montre que la complexité spécifique à la parole prêtée aux images réside

précisément   dans   le   fait   qu’elle   mobilise  simultanément  la   communication   verbale   et   la

communication visuelle. L’acte verbal attribué à la statue implique et réalise une série de

relations complexes qui constituent sa présence. La parole prêtée ouvre ainsi la voie à une

série d’identifications rituelles, simultanées et multiples, qui relient le célébrant et le défunt,

34
en réalisant deux types de contact distincts : par l’image et par la parole prononcée. La statue

funéraire,   qui   fixe   par   l’image   l’identité   rituelle   du   défunt,   est   donc   non   seulement   une

représentation d’un idéal social : présente sur la scène du rite, elle nous apparaît comme le

foyer d’un ensemble de relations. L’analyse du  kouros  en tant que transformation iconique

d’une présence latente, dont le modèle premier est le  colossos  funéraire, nous a montré un

processus de définition d’un « moi » pluriel : l’attribution de subjectivité à la statue isole des

aspects de la perception synesthésique (la vision, la ouïe, l’usage de la parole) et les dispose

selon une série de dimensions distinctes de sa présence. Dès lors, deux séries d’identifications

parallèles, l’une qui passe par la voix, et l’autre par la parole, peuvent converger sur le même

objet, selon les différents registres de la perception qu’il mobilise. C’est ainsi que la statue

funéraire « prend la parole » : comme un être complexe qui porte en soi l’image du mort, mais

qui peut aussi, par son sage sourire et son maintien courtois, accueillir un message verbal, et

même, par la voix qui lui est prêtée, en incarner un instant le locuteur. La complexité du « je »

incarné par la statue (« je suis Glaukos », « je suis le guerrier que tu as connu ») est donc, à la

fois, plurielle, fixée par l’image et, comme l’écrit Svembro « inflexible ». Nous en conclurons

que, dans ce type d’iconographie rituelle, les aspects visuels et les actes verbaux sont liés par

implication réciproque : l’identité de l’image est indissociable de la parole qu’on lui prête.  

A travers cette parole, l’artefact, loin de « remplacer » terme à terme une personne

donnée, comme pouvait le croire Alfred Gell (1999) acquiert une présence en assumant sur

soi plusieurs traits d’identité, dérivés des participants du rite. Son identité est la résultante des

relations   qu’elle   réalise.   Cette   nouvelle   approche   de   la   parole   prêtée   aux   objets,   qui

s’appuierait sur une distinction forte entre formes normatives et formes constitutives de la

construction de l’identité, et sur la référence à un « champ démonstratif » incluant les images,

pourrait constituer la base d’un nouveau développement de la théorie de l’action rituelle, et

d’un dialogue renouvelé entre anthropologie et pragmatique. On pourrait ainsi non seulement

déchiffrer le langage des objets, mais commencer à en entendre la parole.

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Liste des Illustrations 

Figure 1 : Relations et comportements dans le Naven 
Figure 2 : Un masque Haida
Figures 3 et 4 : Deux exemples de kore et de kouros

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