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ESPRIT

ESPRIT
Comprendre le monde qui vient
Ce qui est contraire est utile et c'est
de ce qui est en lutte que naît la plus
belle harmonie ; tout se fait par discorde.
Héraclite (v. 540 av. J.-C. – v. 480 av. J.-C.)

Quand le langage travaille


Quand
le langage
travaille
Pour les langues Usures et usages Renouvellements
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N° 460 Décembre 2019 – N° 460
Et si c’était à refaire.
Chemins de Boris Pahor
Guy de Fontaine (sous la dir. de)
Pierre-Guillaume de Roux, 2019,
176 p., 23 €

Sur les hauteurs du golfe de Trieste,


Prosek (Prosecco) offre une vue
imprenable sur la beauté du Karst et
la magie de la mer, écrin du Territoire
libre de Trieste. Ce lieu donne aussi à
voir l’espace littéraire de Boris Pahor
qui ne cesse de les relier : « Quand je
suis à la montagne, j’ai envie de retourner au
bord de la mer. Et dès que je suis devant la
mer, j’ai envie de rechausser mes ­chaussures

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de montagne. » Le Karst et la mer sont téral d’Osino (1975), qui attribua une
le maquis pour les Slovènes du lit- partie de Trieste à l’Italie, le Conseil
toral adriatique, seul endroit où ils de sécurité des Nations unies est de
pouvaient s’exprimer en toute liberté jure garant de l’intégrité du territoire.
alors que le régime fasciste italien Pour Pahor, c’est un signe d’espoir de
menait une politique radicale d’ita- coexistence pacifique et de complé-
lianisation dès 1922. Le maquis, c’est mentarité, le rêve éveillé d’une utopie.
encore la langue, slovène, qu’il faut De tout temps, le destin de Trieste,
défendre contre l’irrédentisme pour ville frontière par excellence, est d’être
pouvoir continuer à exister. Trauma- autonome, ville libre et port franc
tisme d’enfance et topos marquant au intégré à une Europe des régions,
fer rouge l’œuvre de Boris Pahor (né Trieste-Ithaque pour l’Ulysse triestin.
en 1913) : l’incendie du Narodni Dom, Pahor fait ses études de théologie
la maison de la culture slovène, brûlée d’abord au séminaire de Capodistria,
par les fascistes le 13 juillet 1920 – et puis à celui de Gorizia. Il abandonne
qui attend toujours d’être restituée à cette voie en 1938. Enrôlé dans
la communauté slovène. À deux pas l’armée italienne en 1940, il effectue
de là, la place Oberdan, où Pahor son service en Libye, où il passe ses
eut à répondre en février 1944 aux examens de maturité, découvre le
interrogatoires musclés de la police monde arabo-musulman, lit le Coran.
secrète nazie, avant que ne commence L’armée italienne le transfère ensuite
son odyssée qui l’emmènera successi- sur les bords du lac de Garde. À l’ar-
vement à Dachau, Struthof, Dachau mistice, le 8 septembre 1943, il rentre à
de nouveau, Dora, Harzungen et Trieste, alors occupée par l’armée alle-
­Bergen-Belsen. mande. Après sa visite aux enfers, sa
Le jour où il recouvre la liberté, à Lille libération suivie d’un séjour en sana-
le 1er mai 1945, Trieste est libérée par torium dans les environs de Paris, il
l’armée yougoslave. De 1945 à 1954, retrouve Trieste en 1946 avec « le
elle sera formellement « Territoire sentiment de redécouvrir Ithaque après des
libre de Trieste », placé sous admi- péripéties sans nombre ». Si les romans de
nistration internationale. La ville, qui Boris Pahor font souvent apparaître
avait alors son drapeau, sa monnaie et des Slovènes prêts à prendre le maquis
ses timbres, était censée devenir un pour défendre leur langue et leur patrie,
État unitaire, démocratique et indé- la figure du revenant est omniprésente.
pendant – ce qui implique notamment Ainsi Radko Suban, le protagoniste de
la parité entre langue slovène et Printemps difficile (1958), qui vient d’être
langue italienne. Malgré le traité bila- libéré du camp d’extermination et qui,

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après sa déportation, retrouve Trieste proposant des textes de Boris Pahor
Dans le labyrinthe (1984). Ou encore ainsi que des témoignages de plumes
Igor Sevken, le vieillissant écrivain amies). Ainsi se trouve désigné le lieu
slovène de La Porte dorée (1999), hanté d’où résister à l’envahissante biopoli-
par la figure de Robert Antelme, qui tique et ce qu’il importe de préserver :
se sent, « en revenant du monde des cré- notre seul trésor, notre corps.
matoires », comme une épave au len- Christophe Solioz
demain d’un naufrage. Et aussi Rudi
Leban qui, dans Ulysse revient à Trieste
(1955), échappe en septembre 1943 à
une rafle allemande et se promet de
retourner à Trieste pour prendre part à
la résistance. Mais, dans la vie comme
dans son œuvre, le retour est toujours
provisoire et la réalité s’apparente au
vagabondage.
L’expérience de l’indicible est
cependant cruelle en ce qu’elle révèle
l’essence de l’après-guerre. Et ce dès
le premier jour de la Libération : « Et
quand nous sommes arrivés à Lille, dans ses
rues, le matin, au moment du lever du soleil,
oui, très vite, on s’aperçut que l’image d’une
humanité repacifiée était une puérile et naïve
illusion qui était née sur le bord d’un monde
en déclin, sur le bord de l’abîme du néant. »
Et d’évoquer lucidement Hiroshima,
Nagasaki, le Viêt Nam, le régime de
Pol Pot, les desaparecidos argentins, les
massacres algériens ainsi que Sarajevo
et le Kosovo.
Pour Boris Pahor, « ce lieu toujours
indéfini, le corps, devient le vecteur d’une
liberté possible parce que lui seul conjure la
fatalité de l’anéantissement » (citation de la
contribution de Evgen Bavčar au livre-
hommage publié par Guy de Fontaine,

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