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THÉRÈSELABBÉ
Mémoire
présenté
pour l'obtention
du grade de maître ès arts (M.A.)
NOVEMBRE 1993
Trace de pierre
Écho de la mort
Fantasme de vie
Délivre-toi!
Ill
AVANT-PROPOS
à d'autres lieux. Nous avons choisi d'y mener une enquête fouillée
constamment alimentée de nos interrogations de nature historique, artistique,
sociologique et philosophique.
V
REMERCIEMENTS
Belmont, qui a fait preuve d'une grande disponibilité. Lui et son épouse ont
toujours manifesté une vive confiance en ce projet. Je les remercie et
Je dois redevance à une amie et collègue, madame Lise Nadeau, avec qui
j'ai débuté cette curieuse aventure et qui m'a encouragée à approfondir
présenter les résultats de mes explorations. Je lui sais gré aussi de m'avoir
géographe: à la croisée de nos routes, nous avons pu tisser des liens d'amitié
et de complicité. Je n'oublie pas M. Elliott Moore qui, en pilotant le séminaire
de projet de thèse en 1986, sut communiquer à notre groupe la nécessité du
dépassement et de la rigueur intellectuelle. Non plus, M. Jean Du Berger,
encouragement et leur intérêt soutenus ainsi qu'à tous ceux qui d'une
manière ou d'une autre, m'ont permis de mener à bien cette entreprise. Il me
reste à souhaiter que la lecture de ce mémoire suscite un intérêt pour le sujet
et que des recherches complémentaires mettent à profit le matériel rassemblé
ici. Mes efforts en seraient alors récompensés.
TABLE DES MATIÈRES
PAGE
DÉDICACE..................................................................................................... j
RÉSUMÉ..................................................................................................... ü
AVANT-PROPOS........................................................................................... jjj
REMERCIEMENTS................................................................................... v
TABLE DES MATIÈRES................................................................................ vu
ABRÉVIATIONS......................................................................................... x
INTRODUCTION........................................................................................ 1
CHAPITRE 1: LE SITE................................................................................... 11
différencié.......................................................................................... 38
différence........................................................................................... 51
différenciation....................................................................................... 55
3.2.4-Stèles verticales: récurrence du cloisonnement..................... 60
funèbre 88
CHAPITRE 5: L’ÉCRITURE ÉPIGRAPHIQUE.................................... ' 91
CONCLUSION................................................................................................. 130
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................. 138
ANNEXES....................................................................................................... 206
A. P. Ancienne partie
développpement
IBC Inventaire des biens culturels
IQRC Institut québécois de recherche sur la culture
MAC Ministère des Affaires culturelles
Canada)
CHAPITRE 1: LE SITE
9. Plan de l'ancienne partie par J.P.E. Dussault, 1906, ANDB (Photo: SRP).
10. Plan de la nouvelle partie par J.P.E. Dussault, 1906, ANDB (Photo: SRP).
12. Photographie aérienne, 14 juillet 1959, échelle 1:12 000, altitude 6300',
PNA, Carte "A" 21L714w, rouleau A16739, cliché 136.
13. Photographie aérienne, 14 mai 1965, échelle 1:5 000, altitude 2700', PNA,
Carte "D" 21L/14w, rouleau VRR2642, cliché 987.
14. Photographie aérienne, 1973, échelle 1:5 000, Carte 21L14H, Q 73301,
cliché 63.
15. Photographie aérienne, 7 mai 1985, échelle 1:5 000, Carte 21L14 3, Q
85315, cliché 58.
Des photographies suivantes, plusieurs ont été exécutées par Thérèse Labbé
et Lise Nadeau à l'hiver 1981 mais elles ont été, pour la plupart, reprises par
l'auteure. L'astérisque identifie les photographies effectuées exclusivement
par celle-ci, dans une étape ultérieure. Les dates de décès inconnues ou ne
figurant pas à l'épitaphe (critère de datation) ont été repérées aux ANQ. La
date d'érection du monument, lorsque connue, ou celle d'un décès antérieur à
celui du propriétaire du lot seront signalées.
34. Pilier surmonté d'une figure allégorique: J.B.E. Letellier de St-Just décédé
en 1930; autre décès en 1911 et enfant mort en bas âge en 1901.
35. Pilier surmonté d'un Sacré-Coeur. Édouard Côté décédé en 1925; enfants
morts en bas âge en 1905 et 1906.
49*.Stèle avec motifs d’un compas et d'une équerre: Pierre R infret (1907-
1967), architecte. Fabricant: Delwaide & Goffin, Québec.
51 ".Stèle avec motif d'une main pointant le ciel: J. Orner Légaré décédé en
1909.
52*.Stèle avec motif des mains unies: Noël, fils de Eugène Nadeau, décédé
en 1933 à l'âge de douze ans.
53*.Stèle avec motif d'une main déposant des fleurs sur la tombe: Octave
Duchaineau décédé en 1912.
63*.Stèle avec motifs de croix associés à des ordres pontificaux: Joseph Louis
Joachim Mercier (1875-1941), commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-
Grand et du Saint-Sépulcre.
66. Christ en croix, figure en bronze fixée sur la croix érigée au, lot de Pierre
Théophile Légaré, homme d'affaires (1851-1926). Sculpteur: Émile Brunet;
fondeur: Alexis Rudier, Paris.
75. Sainte Famille en ronde-bosse avec stèle ornée d'un Ecce Homo en
médaillon de bronze signé M. Thomas, France: monument d'Hector Ménard
décédé en 1967; 1er décès en 1959.
XVI
80*. Vierge à l'Enfant figurant entre deux plaques: Pierre Fournier (1883-
1965); 1er décès en 1946.
87.Ange aux fleurs en relief sur stèle de marbre: lot du colonel Tancrède
Rinfret (1869-1952); 1©r décès en 1911.
89. Ange à la croix surmontant une colonne: Arthur Lachance, juge décédé en
1945 et Marie Routhier de la Société des poètes canadiens-français (1863-
1930).
90. Ange à la palme, relief en bronze grandeur nature sur stèle de granit:
Georges Parent (1879-1942), président du Sénat; sculpteur: Émile Brunet.
§2*.Ange pleureur, relief sculpté dans le granit: Major Eugène Lavoie décédé
en 1953.
96. Pleureuse surmontant un socle: Valère Côté décédé en 1946; Valère Côté,
fils, décédé en 1937 (ANC).
stèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèle
(la mort est une statue de longue date dans un champ de potiers
l’érection du non-sens irrésistible l’urne prétend la circonscrire dans
ses trois dimensions et même la contenir prétextant son repli
elle qui est irrépressible la stèle raconte ses limites elle qui est
sans fin mais la stèle n’est que l’histoire d’un nom qui se tient encore
debout la mort n’y est pour rien que la biographie d’une paren
thèse au coeur du néant la stèle rend le néant historique elle fait
le récit de gestes qui n’ont pas lieu assignant un espace à ce qui
n’existe pas désigner le rectangle de pierre et non la colonne la
stèle ne peut soutenir le poids d’une vie ni le temple des yeux vivants
elle commémore une mémoire blanche et la main en suspens
l’urne cinéraire est un cénotaphe étanche à la mort elle a les cour
bes du sommeil mais le sommeil y est absent la stèle est lacunaire
c’est l’écriture de rien l’une chambre noire tire une image du néant
l’autre rend visible cette impossible silhouette sténographie de
l’onomastique et des nombres horloge vide qui martèle le relais du
silence archives de famille enfoncées dans les ruines lettre de
l’amour inachevé)
stèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèlestèle
INTRODUCTION
phénomène de la mort. C'est à Lucien Febvre que l'on doit d'avoir ouvert la
voie à ce champ d'investigations2. Dès 1941, ce visionnaire "avait pressenti
Dans deux de ses essais dont L'homme devant la mort, Ariès préconise
l'enquête dans la longue durée séculaire et nous présente une histoire des
hommes face à la mort où les attitudes collectives sont révélatrices des
Dans son essai sur les cimetières contemporains écrit en collaboration avec
Régis Bertrand7, Vovelle exécute un survol sur l'historiographie du cimetière
et situe les nécropoles méridionales par rapport au contexte occidental. Les
auteurs proposent diverses approches qu'ils appliquent à un corpus de cinq
4Philippe Allés, Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Paris, Seuil,
1975, 223 p.; L'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977, 642 p.
5ldem, Images de l'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983,276 p.
6Michel Vovelle, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983,793 p.
7Michel Vovelle et Régis Bertrand, La ville des morts, Paris, C.N.R.S., 1983,209 p.
8Même si l'art funéraire français diffère de celui de l'Amérique du Nord, les thématiques demeurent
sensiblement les mêmes, du moins en ce qui concerne la période moderne et contemporaine.
3
conservation".
quant à nos interrogations sur le rite, qui lui apparaît comme une assurance
qu'on s'invente afin de maîtriser l'épisodique et l'aléatoire. Plus précisément,
le rite funéraire s'articule autour de ce support symbolique de la présence-
absence de celui qui est toujours là, tout en n'étant plus12. Il analyse, par
ailleurs, les causes de la crise actuelle entourant ce rituel. Dans une autre de
9Pour élaborer sa typologie des symboliques funéraires, il s'appuie sur les sémiotiques
"mimétiques, différentielles et conflictuelles": Jean Didier Urbain, La société de conservation, Paris,
Payot, 1978, p.186.
10/b/d, p.9.
11 Jean-Didier Urbain, L'archipel des morts, Paris, Plon, 1989, p.103.
12Louis-Vincent Thomas, Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard, 1985, p.141.
4
ses études, il prend en compte les formes et les "visages du mourir" ainsi que
Les folkloristes nous ont laissé des récits empreints de couleurs locales
Lemieux, pour pouvoir tirer parti d'une "écriture différenciée du cimetière" qui
prend sens et dont le diagnostic replace chaque être ou chaque collectivité
dans son rapport avec l'histoire17. Une transmutation dans ce rapport est
révélée par son étude de l'évolution des cimetières traditionnels et urbanisés,
lesquels affichent un écart notoire.
Avec son ouvrage sur les pratiques mortuaires au Québec, en particulier chez
la population campagnarde du XIXe siècle, l'historien Serge Gagnon effectue
une autre lecture du cimetière tout en nous brossant une histoire de la mort à
partir d'archives paroissiales et épiscopales18. Il dresse aussi un tableau de
la société prémoderne dont l'ascétisme découlait d'une pastorale
surculpabilisante et la compare tout au long de sa démarche avec notre
De son côté, l'historien Réal Brisson s'est intéressé d'une façon ponctuelle à
la recherche sur la mort au Québec. Il en a circonscrit l'historiographie sous
un angle thématique et ethnologique19. Chez les historiens d'art, on s'est
naturellement attardé à différentes facettes de l'art funéraire. À ce chapitre, il
d'auteurs comme Mario Béland21 et Marthe Taillon22. S'y ajoutent des films
documentaires sur les arts sacrés au Québec du cinéaste François Brault dont
certains traitent des cimetières et de la mort, avec en parallèle, un ouvrage de
synthèse par Jean Simard23.
le texte épigraphique qui sont autant de variables nous révélant à la fois les
mentalités et l'imaginaire24 associés au post-mortem.
Afin de bien saisir ces multiples facettes, il faut s'attarder non seulement à
21 Mario Béland, "Les monuments de bois: ces autres disparus", Continuité, no 49, hiver/printemps
1991, p.33-37.
22Marthe Taillon, Le corbillard hippomobile au Québec, mémoire de maîtrise, Québec, Université
Laval, 1991,205 p.
23Jean Simard, Les arts sacrés au Québec, Boucherville, Éditions de Mortagne, 1989,319 p. Pour
François Brault, voir bibliographie.
24Nous entendons que: "l'imaginaire implicitement reconnu se définit et se situe entre le domaine
de la mémoire d'une part et les processus rationnels d'autre part": Yves Durand, L'exploration de
l'imaginaire, introduction à la modélisation des univers mythiques, Paris, L'Espace bleu, 1988, p.14.
25Nous disposons de 500 fiches de sépulture sur un total d'environ 5,000 monuments.
7
Le tombeau est d'abord perçu dans son unicité comme une icône, un objet
distinct avec ses traits spécifiques inhérents aux qualités pré-énoncées et mis
Dans cette lecture globalisante, on découvrira que l'objet funéraire est non
seulement investi de significations et de fonctions mais aussi d'un pouvoir
suggestif, qualificatif que Mieczyslaw Wallis attribue au signe iconique26. Ce
symbolique" et "un objet signifiant" s'insérant "dans une culture plutôt que
dans un style"30. Avec une telle stratégie, nous nous devions d'éviter l'étude
26Mieczyslaw Wallis, Arts and Signs, Bloomington, Indiana University Press, 1975, p.15. L'auteur
précise: "The suggestive power of iconic signs has had important implications for the history of
culture".
27Erwin Panofsky, Essais d'iconologie, Paris, Gallimard, 1967, p.21.
28Erwin Panofsky, L'oeuvre d'art et ses significations, Paris, Gallimard, 1982, p.41.
29Abraham A. Moles, Théorie des objets, Paris, Éd. universitaires, 1972,196 p.
30Henri Lefebvre, "Éléments d'une théorie de l'objet" in Opus international, no 10/11, avril 1969,
p.17.
8
A la fin des années 1970, cette approche était déjà perçue par Jacques Le
démêle bien les rapports complexes avec les autres réalités historiques, nous
introduit si loin au coeur des sociétés"31. Le même auteur confirmera plus
tard:
espaces funéraires.
tout entier englobant à la fois l'objet et l'espace. Un bref regard sur les
vivants.
Sous une facette ou l'autre et d'un discours à l'autre, nous avons vite constaté
que le cimetière reproduit les codes de la société qui l'a fait naître. D'autres
auteurs avaient perçu cet état de fait bien avant nous. "La cité des morts est
l'envers de la société des vivants, ou, plutôt que l'envers, son image, et son
330n y inclut certains éléments sémiologiques appuyés principalement des analyses de Jean-
Didier Urbain.
10
image intemporelle" nous disait Philippe Ariès à la fin des années 197034. Ce
qui nous revient, par contre, c'est d'avoir approfondi le sujet, d'en avoir fait le
fil conducteur de notre mémoire. Aussi, nous avons cherché à comprendre
comment l'image de la mort a changé au cours des ans. Autrement dit, notre
analyse cherche à mettre en lumière les façons dont la société transpose ses
stratifications au champ du repos et comment ses idéologies et ses croyances
les plus profondes y sont dépeintes. En corollaire, si la société québécoise a
connu des changements radicaux depuis les trente dernières années, cette
image aura-t-elle suivi la même évolution?
1.1-Aperçu historique
par des épidémies, la fabrique dut ouvrir, en 1703, un nouveau site situé sur
Vers le milieu du XIXe siècle, des citoyens qui demeuraient dans les environs
de ce lieu de sépulture firent des pressions afin d'obtenir sa désaffectation qui
allait être favorisée par le décret de 1855.
3A cause de "l'épidémie de picote ou petite vérole de l’automne et de l'hiver de 1702 [qui] fit plus
de trois cents victimes". Ce terrain fut remplacé par l'actuelle rue Hamel. Pierre-Georges Roy,
op.cit., p.178.
Précisons qu'en 1832, on avait été contraint d'ouvrir le cimetière Saint-Louis, afin d'inhumer les
victimes de l'épidémie de typhus. Il fut aménagé sur la propriété de John Anderson sise au nord
de la rue du même nom, de part et d'autre de la rue Salaberry. Ce lieu fut surnommé "le cimetière
des Cholériques" car le typhus surgit à nouveau en 1834, 1849, 1851 et 1852: Ibid, p.216-217. Il
servit, comme celui des "Picotés", jusqu'à l'ouverture du Belmont: "Le nouveau cimetière", Le
Canadien, lundi 11 juillet 1859, p.4.
5"Des cimetières dans les villes", Le Courrier du Canada, Québec, lundi 16 novembre 1857. Le
transfert des corps fut effectué sous la surveillance du chef de police, Mr Russell: "Cimetiere des
Picotées [sic]", The Quebec Gazette, November 11, 1857, [p.2]. Quant au décret, il figure en
annexe in: Lorraine Quay, La fermeture du cimetière des Picotés (1855), Université Laval, 1984.
6De telles démarches ont abouti à l'inclusion d'une réglementation dans la discipline diocésaine
qui n'apparaît toutefois que dans l'édition de 1879: Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau, Discipline
du diocèse de Québec, 1879, p. 46, article 6 de la rubrique Cimetière. Les éditions de 1859 et de
13
carte des environs de Québec tracée par des ingénieurs en 1867, figure l'allée
en croissant de lune conduisant à la villa ainsi que l'emplacement du cimetière
Belmont précédé d'une avenue rectiligne, toutes deux soulignées par des
plantations d'arbres (fig.2).
11 Selon F. Gagnon-Pratte (op. cit., p.196), elle aurait été incendiée vers 1930. Par contre, il est
spécifié que "Belmont has been burned to the ground" in Katherine Hale, Canadian Houses of
Romance, Toronto, The Macmillan Company of Canada Limited, 1926, p.47 (fin du chap. V intitulé
"The search for Belmont").
12Ce document présenté à la fabrique est daté du 2 décembre 1857 (ANDQ, carton 24, pièce no
24-165). Hamel constate que la superficie de 32 arpents (4 de LA par 8 de PROF), incluant la
résidence, correspond plutôt à 48 arpents. Il signale aussi la présence de quatre ravins.
15
1.2-Conception du plan
Baillairgé obtint le contrat et dans une lettre datée du 9 mai 1858, il promet
13La superficie réservée au cimetière correspond, en fait, à une trentaine d'arpents (ANDQ, pièce
no 24-212, sans date). Ce rapport d'Augustin Gauthier au sujet du terrain fut acheminé vers le
début de décembre 1857 . Signalons que dans Le Courrier du Canada du 4 juillet 1859 (p.2), on
fait mention d'un terrain de 35 arpents et dans l'article "Le cimetière de N.-D. de Belmont", Le
Canadien, 4 juillet 1859, p.4, il est question de 26 arpents.
14Lettre datée du 15 décembre 1857, ANDQ, carton 24, pièce no 24-166. Il y précise qu'il gère le
cimetière à la Petite Rivière depuis plus de deux ans.
procès verbal pour chaque lot, de faire en oûtre tous les plans et
spécifications pour les clôtures, barrières, ponts et réparations des
anciennes bâtisses, avec aussi les plans et spécifications d'une
chapelle et la surveillance des travaux [...], de faire les plans et
spécifications d'une maison pour le gardien du cimetière et de une
ou deux croix pour le cimetière. [...]
Enfin pendant que je serai sur les lieux, si la Fabrique exige un plus
grand nombre de lots de famille que les cent lots ci-haut mentionnés,
j'en ferai la division [...]15
ce dernier fut d'ailleurs exécuté par le major David Bates Douglass comme
aussi au Mount Hermon de Sillery inauguré dix ans plus tard16. Dans les
traditionnelle"18.
dans le deuxième cas, un imposant édicule coiffé d'une figure allégorique s'y
dresse (lot de Philippe Huot). Là, la perspective s'étale jusqu'au Sentier des
lilas d'où prend naissance l'avenue en hémicycle des Eaux-Sylvaines .
Dans la section ouest dite nouvelle partie (N.P.), où la pente s'adoucit, le tracé
18Cette caractérisation est empruntée à Pierre Grimai, L'art des jardins, Paris, PUF, 1964, p.104.
Nos recherches aux ANDQ ne nous ont pas permis de repérer le plan dû à Charles Baillairgé.
Cependant, nous présentons celui exécuté en 1906 par l'architecte J.P.Edmond Dussault (fig.3).
19On peut croire que ces dénominations toponymiques, incluant l'avenue Saint-Jean-Baptiste
située à l'extrême est, n'avaient pas été planifiées à l'origine. Le fait que la Fabrique Saint-Jean-
Baptiste se soit jointe à celle de Notre-Dame en 1886 n'est peut-être pas étranger à ces
changements.
ce secteur a été occupé après 1880 et l'on sait à quel point certaines dévotions
traditionnelles connurent un regain à cette époque.20
celle des jardins à l'anglaise, où l'effet esthétique est rehaussé par la présence
des ravins. À l'origine, onze ponts22 dont les plans ont été exécutés par
[...] Ceux qui comme nous ont été appelés à voir le magnifique plan
de M.Chs Baillairgé applaudiront à la fabrique de se montrer aussi
soucieuse de lui faire honneur. Les familles qui ont à se pourvoir de
leur dernière demeure ne saurait choisir un lieu mieux fait pour être
l'endroit de leur repos.23
20Spécifions que Baillairgé était toujours gérant du cimetière, comme en fait foi un document en
date du 24 juin 1885, en rapport avec le tracé du lot no 97 A.P., sur l'avenue de la Forêt,
appartenant à François-Xavier Lachance, père de Paul. Il avait acquis ce lot le 20 novembre 1865.
Par contre, celui en date du 23 mai 1889, pour le tracé du lot de Mme veuve Thomas-Étienne Roy,
est signé par J.-F. Peachy, gérant (ANDB). Curieusement, les tracés furent exécutés
respectivement 20 et 30 ans après l'achat des lots. Dans le deuxième cas, le fils de T.-É. Roy -
première sépulture au Belmont- fut inhumé le 12 juillet 1859.
21 Elle correspond au secteur situé entre l'extrémité est et le troisième ravin.
22Le Courrier du Canada, 4 juillet 1859, p.2. Les quatre ravins qui atteignaient déjà à l'époque
vingt pieds de profondeur figurent sur le plan de 1906 (fig.3).
23"Le Cimetière de N.-D. de Belmont", Le Canadien, 4 juillet 1859, p.4.
19
Tous ces arbres seront croisés de cinq pieds en cinq pieds et à une
même et égale distance les uns des autres. Il devra y avoir trois
rangées d'arbres le long du travers du Cimetière, du côté sud, et
deux rangées de chaque côté du chemin.
Et le dit Sieur Petit sera tenu et, par ces présentes, il s'oblige varier le
bois autant que possible, comme Epi nette rouge, Epinette blanche,
pin, sapin, peuplier, saule, cormier, etc.25
1.3-Architecture d'entrée
C'est aussi Charles Baillairgé qui exécuta les plans pour la chapelle, le pavillon
24Quant aux bassins, tout porte à croire qu'ils demeurèrent à l'état de projet.
25Marché entre la Fabrique et M. Onézime Petit, 19 octobre 1859, minute no 5896 du notaire
Henri Bolduc (ANDQ, pièce no 24-191).
26Lors du dépouillement aux ANDQ, en mars 1989, la pièce intitulée "1858-RE chapelle et
barrière, Chs. Baillairgé, arch." manquait (no 24-184).
et je vous conseille d'adopter ce dernier plan qui ne le cédera pas
cependant au premier en apparence extérieure et en commodité
intérieure, sauf un appartement ou deux de moins qui ne sont pas
absolument indispensables. [...] Vous recevez aussi avec la présente
un plan de barrière pour l'extrémité Nord de la Grande Avenue. Sur
les disques circulaires au centre des vollets [sic], je propose de
petites allégories mortuaires que l'on pourra faire sculpter par Giroux
pour une bagatelle et ce sera une considération ultérieure.27
La clôture "d'entourage" fut construite par Michel Poitras28, tandis que pour la
Spécification
[...] Le carré de la bâtisse sera en brique rouge avec parement
extérieur en brique blanche d'une et demie brique d'épaisseur [...]
Le toit sera couvert en bardeau de cèdre [...]
L'autel quoique figuré sur le plan ne sera point compris pour le
présent. Les croisées seront vitrées avec les meilleures vitres
allemandes [...]
La partie sous la chapelle devra être creusée jusqu'à la profondeur
de huit pieds sous le sol [...] et l'on fera [...] une trappe dans le
plancher pour descendre les corps.30
27ANDQ, carton 24, pièce no 24-185. Il suggère d'utiliser la brique comme matériau pour la
chapelle et maison du gardien, d'autant plus que la différence des coûts avec le bois est fort
minime.
28Minute no 4806 de Henri Bolduc, 19 mai 1858, ANDQ, carton 24, pièce no 24-182. La clôture
était en planches de "bois de pin non blanchi" et haute de 7 pieds.
29La Fabrique reçut d'autres soumissions pour la chapelle, celles du maître menuisier Michel
Poitras (ANDQ, 24-177, 24-178), du maçon Onésime Delisle (24-179) et celles de Louis-Th.
Berlinguet (24-180) et Olivier Mathieu (24-181).
30Minute no 127 du notaire J.A.Ed. De Foy: marché entre la Fabrique et Édouard Gaboury, 15
octobre 1858 (ANDQ, carton 24, pièce no 24-183).
A l'été suivant, la nécropole était suffisamment parée pour sa consécration qui
eut lieu le 10 juillet 1859. Le dimanche précédent, cet événement avait été
d'un clocheton gothique" et d'une grande croix qui est sur le point d'être
voûte "pour recevoir, provisoirement pendant l'hiver, les corps de ceux que les
familles veulent faire inhumer dans les tombes particulières"33.
31 Nous avons déjà présenté l'extrait de cet article concernant le site (note 22).
32"Le Cimetière de N.-D. de Belmont", Le Canadien, 4 juillet 1859, p.4. On indique aussi que la
Fabrique a dû débourser $18, 000 dollars environ pour le terrain et qu'il s'agit "d'une très belle
affaire".
33Le Courrier du Canada, 4 juillet 1859, p.2.
22
Pour ce qui est des lieux d'aisance et du hangar, qui servait en partie d'écurie,
ils furent édifiés après l'inauguration, en octobre 185934. Ces constructions
rehaussé36. Enfin, d'autres interventions eurent lieu quelque dix ans plus tard.
Entre le 15 mai et le 1er août 1916, on effectua des travaux de "macadam et
34Minute no 5878 du notaire Henri Bolduc, 6 octobre 1859 (ANDQ, carton 24, pièce no 24-189).
Encore une fois, les travaux ont été exécutés par Édouard Gaboury mais on ne sait pas si c'est
Baillairgé qui en a conçu les plans.
35Ces dates ont été fixées à partir des monuments aperçus sur ces photographies et qui sont inclus
au corpus. On note ici que dans le secteur à l'est, la végétation surabonde alors que dans la partie
des quadrilatères à l'ouest, les grandes perspectives étaient laissées à nu. Cette situation fut
modifiée par la suite grâce à la plantation d'érables en bordure des artères principales.
36D'après les plans de J.P.E. Dussault (Peachy & Dussault architectes): marché entre
l'entrepeneur menuisier Louis Boivin et les deux Fabriques, minute no 4339 du greffe de
Georges I. Châteauvert, 20 déc. 1902 (ACQ, Boîte C-32/R-293).
37lls furent respectivement exécutés par l'entrepreneur-maçon Émile Côté, l'entrepeneur-
menuisier Chrysanthe Jobin, le forgeron Olivier Lachance et le peintre-décorateur Eugène X.
Tardivel: minute no 10195 du greffe de Cyprien Labrecque en date du 19 avril 1916: (ACQ, Boîte
L-62/R-261). C'est donc à cette époque que furent érigés les piliers se trouvant actuellement à la
naissance de la rue Belmont. Celle-ci correspond à l'ancienne allée qui conduisait au cimetière et
Baillairgé avait prévu un portail au nord seulement.
38Le mur à l'est de l'enclos remonte à la période où Jean Bolduc assumait la fonction de gardien
du cimetière entre 1948 et 1969. Il était le dernier membre de la famille à occuper ce poste, le
premier ayant été Mathias suivi de son fils Henri. Aux ANDQ, figure une lettre datée du 20 janvier
1860 en faveur de Philippe Mathias Bolduc au sujet dudit poste: carton no 24, pièce no 24-210.
André Donaldson, quant à lui, succéda à Jean Bolduc en 1970. Surintendant de la Corporation
du cimetière jusqu'en juin 1993, il fut remplacé par François Drouin, déjà en fonction depuis avril
de la même année (on notera que le mur ouest et la haie au sud ouest remontent aux environs de
1972 et de 1975).
23
Sur ce plan, l'emplacement de la croix est marqué d'un signe cruciforme39.
(fig.6). Quant à l'architecture d'entrée, elle dut disparaître sous le pic des
démolisseurs un siècle après l'inauguration du site. Le portail, les deux piliers
situés en retrait à l'ouest et la maison du gardien attenante à la chapelle furent
laisse voir que sa partie centrale dont la voûte en berceau est précédée d'une
39N'eût été de ce repère, on aurait pu croire qu'elle avait d'abord été érigée en avant de la chapelle
où l'on distingue, sur ledit plan une forme concentrique. S'agissait-il là d'un plan d'eau ou d'un terre-
plein aménagé?
40ll est conservé aux ANDB. La nouvelle chapelle adjacente à la résidence et au bureau s'est
avérée, à toutes fins pratiques, inutile.
41 II fut impossible de repérer le marché en rapport avec ce bâtiment; pas même une seule mention
n'en est faite dans les documents d'archives. Selon Gérard Morisset, il aurait été édifié vers 1900
(Fonds Gérard Morisset, IBC).
24
1.4- Évolution spatiale
Mais avant d'aller plus loin, on précisera que le 10 février 1942, au coin sud-est
parler, les plans anciens et les photographies aériennes nous ont servi de
balises. Les variables chronologiques ont été fixées à partir des datations des
42Moyennant une somme de $250.00 pour la sépulture. D'autres choisissaient de faire un don de
$1,000.00 et obtenaient par là un droit d'inhumation.
43Le 11 février 1975, le terrain fut cédé à la Corporation par une vente nominale de $1.00. Ces
informations proviennent de l'abbé Albert Gérard, de la maison générale à Montréal:
communication téléphonique du 6 avril 1989.
^L'achat du lot précède souvent, sinon la plupart du temps, la date du premier décès. En plus, il
faut considérer le fait que certaines dates coïncident avec celles de décès d'enfants morts en bas
âge inhumés dans la fosse commune.
^La numérotation des lots ne pouvait servir d'indice spatio-temporel, car ils ne furent pas distribués
dans l'ordre numérique, mais à partir du plan pré-divisé en concessions dont les numéros étaient
répartis par petits groupes consécutifs entre les diverses sections du site. En témoignent les
premières inhumations qui eurent lieu les 12 et 13 juillet 1859: Joseph-Raymond, 6 mois, fils de
Thomas-Étienne Roy et de Reine-Élizabeth Faucher inhumé au lot no 422 A.P., avenue des
Amaranthes et Mme Abraham Côté (Suzanne Moisan) au no 573 A. P., avenue de la Forêt, non loin
de l'entrée. Ces noms figurent in P.G. Roy, op.cit., p.232.
25
partie à l'ouest (fig.10), les deux étant séparées par le troisième ravin en partant
de l'est. Pendant le premier siècle, l'appropriation de l'espace s'est étayée sur
deux grandes étapes correspondant, en fait, à ce sectionnement.
En effet, les lots de l'ancienne partie furent ouverts à la sépulture entre 1859 et
1890, et ceux de la nouvelle partie entre 1880 et 1970 avec un plus grand
nombre d'utilisations de lopins entre 1900 et 195046. On précisera ici que
Mise à part cette amorce d'extension, les limites fixées depuis l'ouverture du
cimetière ont répondu pendant un siècle aux besoins d'inhumation. Après
quoi, la nécropole s'est métamorphosée graduellement. Alors que l'architecte
J.P.E. Dussault, dans son projet du 15 décembre 1926, avait prévu un
46Le procédé de datation fut établi à partir de la première année d'inhumation. Nous
reconnaissons les limites de cette méthode mais c'était la seule possible, car l'année d'érection
est rarement inscrite sur la pierre tombale et très peu d'actes notariés en rapport avec les travaux
de construction des monuments ont été repérés. Pour les dates inconnues (épitaphes illisibles
ou anonymes), nous avons consulté les répertoires de décès aux ANQ.
47Parfois, on distingue sur d'anciens lots une stèle de facture récente, comme sur celui de la famille
du peintre Théophile Hamel, dont le premier décès remonte à 1862 (George Hamel). On peut
croire que la pierre tombale d'origine fut remplacée par les descendants. Un marqueur a été laissé
au sol avec le nom de l'artiste et ses dates extrêmes (fig.112). Ce lot se trouve près de l'entrée.
48Henri Bolduc était, à cette époque, gardien du cimetière, poste qu'il conserva jusqu'en 1948. Il
traça un plan à grande échelle (signé mais non daté) qu'il divisa en onze sections où figurent les
numéros des lots. Par rapport à ce plan et d'après les registres des concessions, Stanislas
Gaudreau fut le premier à y acheter son lotissement portant le no 1471 A.P.: minute no 9017 de
Ernest Labrèque, 8 nov. 1938 (ANDB). Au fait, sur les photographies aériennes de 1926-1930
(fig.4 et fig.5), aucun monument n'apparaît dans cette section.
26
agrandissement dans la zone nord-est49, c'est plutôt dans la section ouest que
donc s'ajouter au sud-ouest de l'ancien site. Il était subdivisé d'est en ouest par
les rues Saint-Alfred, Notre-Dame, Saint-Jacques qui découpaient à angle droit
les rues Sainte-Anne et Saint-Louis50 . Par la suite, l'artère à l'extrémité sud fut
d'entrée secondaire.
Ainsi, à partir de 1950, le cimetière Belmont entrait dans une étape d'expansion
réelle dont le développement allait être davantage planifié. L'occupation de
cette nouvelle aire, après s'être orientée du nord au sud inversa ce mouvement
au début des années 1960. Depuis, dans le secteur à l'ouest de la rue Saint-
de suivre ce parcours.
sol avaient été effectués afin de remédier à la forte déclivité du terrain dans le
51 Le bosquet apparaît sur la photographie aérienne de 1965 (fig.13) alors que sur celle de 1973
(fig.14), il est partiellement rasé pour l'être entièrement par la suite (photographie de 1985, fig.15).
52Sauf pour la partie sud du fossé situé plus à l'est qui était déjà lotie. En effet, sur les plans
relevés par Henri Bolduc avant 1948, des numéros de lots ont été inscrits dans cette zone. Pour
le remplissage, le sol pouvait provenir des chantiers de construction du centre Innovation édifié
en 1972-1973.
Saint-Rosaire qui fut nivelée53. Ce nouvel espace allait pourtant être voué à
la stagnation54.
boisés encore peu habités. Dans cette zone agreste, les constructions se
limitaient à celles des fermes et des villas érigées sur les domaines
appartenant aux notables et des voies suburbaines permettaient l'accès à la
ville56.
Peu à peu et surtout dans le premier quart du XXe siècle, les communautés
53Dans le premier cas, le sol provenait des vergers appartenant aux Frères des Écoles
chrétiennes (voir photographies aériennes 1950-1973), alors vendus pour la construction des
immeubles situés à l'ouest du cimetière. Dans le second cas, la terre avait été prise à Place
Laurier, lors de la construction d'un stationnement souterrain (Informations: M. André Donaldson,
surintendant).
540n rappellera que des inhumations se poursuivent dans les anciens lots de famille et que selon
M. Donaldson, la superficie qui n'est pas encore lotie pourra servir durant plus d'un autre siècle. À
plus forte raison si la demande a diminué considérablement: nous revenons sur ce point au chapitre
suivant.
55La distance à vol d'oiseau entre le cimetière Notre-Dame de Belmont et la basilique est de 3.72
milles ou 6 km (Information: M. Michel Giroux de la section Plan et cadastres à la ville de Sainte-
Foy).
56Les vicaires devaient se rendre au cimetière en calèche (ANDQ, carton no 24, document no 24-
223, 12 juin 1867).
57Sainte-Foy, une histoire à découvrir, Sainte-Foy, Société d'histoire de Sainte-Foy, 1980, p.38:
aujourd'hui, cet édifice est occupé par le centre Louis-Hébert pour handicapés visuels.
29
communauté des Frères des Écoles chrétiennes. Celle-ci acheta d'immenses
provinciale en 192558.
19516°.
C'est dans la même décennie que furent établies les assises de l'imposante
Force est de remarquer qu'après avoir été repoussé en dehors des limites de
fut favorisé par l'implantation de grands parcs industriels sur le boulevard Charest à partir de 1965
et à la construction du Complexe scientifique du Québec en 1970: Ibid., p.44.
63Ces derniers renseignements proviennent de M. Michel Giroux, section du contrôle du
développement et de la cartographie (Cadastre et plans), ville de Sainte-Foy. Il nous a fourni la
superficie actuelle du cimetière qui fut amputée de la section au nord, avec les boulevards Charest
et Jean-Talon Sud. Elle s'étend sur 301,872.8 m.2 et les numéros de cadastres sont: lots 110,
111, 111 -A, 111 -B, 111-200, 112, 113-B, 113-B-4, 113-B-5 et 113-B-6.
G4!! s'agit de la résidence d'étudiants "Le Central".
65Elle se trouve au coin de Nérée-Tremblay et Maria Chapdelaine.
CHAPITRE 2-L'ESPACE FUNÉRAIRE
1 Philippe Ariès, Images de l'homme devant la mort, Paris, Le Seuil, 1983, p.7.
2On reconnaît là les deux valeurs fondamentales que l'anthropologue Louis-Vincent Thomas
accorde au rite, qu'il soit funéraire ou autre, c'est-à-dire, une fonction de "désignation" et une
"capacité de produire un effet": Rites de mort. Pour la paix des vivants, Paris, Fayard, 1985, p.124-
32
que:
Les lieux destinez par l'Eglise pour la Sepulture des Fideles sont
appelez Cimetières; c'est-à-dire lieux de repos. Ils doivent être
considérez comme des Lieux saints & sacrez par la bénédiction de
l'Eglise, qui ne veut pas confier ces dépôts précieux à une terre
profane, par le mélange des cendres des Fideles, dont plusieurs
sont amis de Dieu & ses fideles serviteurs qui jouissent de la vie
bienheureuse. Sur ce principe, Nous ordonnons que les Cimetières
seront entièrement séparez par de bonnes clôtures des lieux
profanes5.
mention d'un lieu devant être bénit et clôturé sauf dans la dernière, celle de
stratégique. Au Belmont, comme déjà mentionné, une croix noire fut érigée
non loin de l'entrée du cimetière6.
Enfin, pour mieux souligner la transition entre l'univers des défunts et celui des
vivants, l'entrée principale recevait un traitement architectural particulier7. 8
Celle-ci prenait donc sens.
"Le seuil qui sépare les deux espaces indique en même temps la
distance entre les deux modes d'être, profane et religieux. Le seuil
est à la fois la borne, la frontière qui distingue et oppose deux
mondes, et le lieu paradoxal où ces mondes communiquent, où
peut s'effectuer le passage du monde profane au monde sacré."8
Une section non bénite a également été prévue pour les irréguliers qui ne
ces indignes. Les hérétiques, les excommuniés, les enfants morts sans
baptême, "celui qui s'est délibérément suicidé; [ou] qui a ordonné de livrer son
corps à la crémation", les pendus, les alcooliques morts en état d'ivresse, "les
autres pécheurs publics et manifestes, p. ex. les femmes publiques, les
eElle fut placée en direction de l'Orient. Dans la Discipline diocésaine, Québec, Action catholique,
1937, p.107, on peut lire au no 244 de la rubrique Cimetière: "On remplace la croix provisoire par
une croix monumentale, qu'on peint en noir si elle est de bois ou de fer, et qu'il convient d'élever
en la partie du cimetière qui est à l'Orient, de manière que les corps soient tournés vers le point du
ciel d'où le Christ les appellera".
7Au contraire du Belmont, le cimetière de l'Ancienne-Lorette a conservé son portail d'origine. Il
s'ouvre sur une allée s'étalant jusqu'au Calvaire dont les trois figures sont dues à Louis Jobin:
Mario Béland, "Les monuments de bois: ces autres disparus", Continuité, no 49, hiver/printemps
1991, p.36. Celui du Belmont apparaît sur la fig.4.
8Mircea Éliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1965, p.24.
34
C'est seulement dans le Code de droit canonique de 1984, commandé par les
réformes du Concile Vatican II tenu entre 1962 et 1965, que la liste se rétrécit.
Entre autres, le suicide et la vie en union libre ne figurent plus comme motifs
de refus.
Au cimetière Belmont, la zone qui était destinée aux exclus fut dénommée
Champ du Potier et elle servait encore au milieu du XXe siècle. Ce coin non
consacré occupait une place à l'écart, à l'extrémité nord-est du site, afin de ne
9La présente énumération est tirée des diverses ordonnances synodales et les extraits cités
figurent in Discipline diocésaine, 1937, p.311-312. Cette version fait montre de plus de
souplesse, par exemple au sujet des enfants morts en bas âge qui ne figurent plus à la liste (c'était
le cas encore in Le code de droit canonique, 1929, p.75) et pour ceux qui sont morts en état
d'ébriété, il "faut examiner les antécédents du défunt" (p.313).
10Tel que stipulé au canon 1184: Code de droit canonique, Ottawa, Conférence des évêques
catholiques du Canada, 1984, p. 206.
35
Pierre Grimai11
à Québec au début du XIXe siècle, elle allait, quelque cinquante ans plus tard,
en banlieue de la ville et déjà aux environs de 1830, ils pouvaient compter sur
une main-d'oeuvre spécialisée. L'action d'architectes et de paysagistes
épidémies du temps14.
14Le choléra avait entraîné la mort de 3 500 citoyens en 1832 et c'est là que l'exode débuta d'une
façon définitive. Ibid., p.49 et 53.
15"Urban conditions had created, and urbanites had accepted, the moral and ethical values of
applied landscape design": Martha V. Pike and Janice Gray Armstrong, A Time to Mourn
Expressions of Grief in Nineteenth Century America, New York, The Museums at Stony Brook,
1980, p.64. On verra au prochain chapitre que l'architecture des villas sera également retranscrite
au cimetière.
16The Oxford Companion to Gardens, Oxford/New York, Oxford Un. Press, 1986, p.90. Le Mount
Hermon de Sillery (1848), les cimetières Mount Royal (1852) et Notre-Dame-des-Neiges de
Montréal (1855), le cimetière Saint-Charles de Québec (1855) ont précédé le Belmont de Sainte-
Foy (1859); suivirent, entre autres, le Mount Pleasant Cemetery de Toronto (1876) et le Saint-
Patrick de Sillery (1879).
17Tel que précisé au chapitre précédent, les espaces intra-muros dédiés à la sépulture
suscitaient, par leur trop-plein, des inquiétudes chez la population. Les autorités civiles et
ecclésiales furent mêlées à ces débats et le domaine juridique dut trancher. De là, le décret de
1855.
37
Paradoxalement, c'est à la France que l'on doit d'avoir créé cette nouvelle
18Martha V. Pike and Janice Gray Armstrong, op.cit., p.59: statut conservé jusqu'à l'ouverture du
Central Park à New York [dont les travaux s'échelonnèrent de 1858-1877: The Oxford Companion
to Gardens, op.cit., p.104],
19ll fut ouvert en 1831, un an après la fondation du Massachusetts Horticultural Society qui
apporta sa contribution à Bigelow: Barbara Rotundo, "Mount Auburn: Fortunate Coincidences and
an Ideal Solution", Journal of Garden History, vol.4, nr 3, July-Sept. 1984, p.257; voir plans p.262-
263.
20Martha V. Pike and Janice Gray Armstrong, op.cit., p.53. "In the United States the notion of the
cemetery as public pleasure-ground was taken further than in England, and the major cemeteries
of the 1830s and 1840s followed the example of Mount Auburn Cemetery, Boston (1831; Jacob
Bigelow et ai.) in adopting an informal, asymmetrical path network with lakes and clumps of trees.
Some important examples from this period are: Laurel Hill, Philadelphia (1835; John Notman);
Greenwood Cemetery, Brooklyn (1838; David Douglass); Green Mount Cemetery, Baltimore
(1839; Benjamin Latrobe, jr.); and Spring Grove, Cincinnati (1845)": The Oxford Companion to
Gardens, op.cit., p.102.
21 "Les premiers jardins du nouveau style furent créés, en Angleterre, entre 1720 et 1730": Pierre
Grimai, op.cit., p.95.
22Richard A. Etlin, "Père Lachaise and the Garden Cemetery", Journal of Garden History, vol.4, nr
3, July-September 1984, p.219. Un grand nombre d'auteurs partagent cet avis dont James
Stevens Curl in A Celebration of Death, London, Constable, 1987, p.272: "Yet Mount Auburn and
Green-Wood [plan p. 273] had parts that were astonishingly reminiscent of Père-Lachaise in the
1830s and 1840s".
23ll s'agissait du Champ-i'Evêque surnommé ensuite le Mont-Louis par les Jésuites devenus en
1626 propriétaires de ce fief. Parmi eux, se trouvait "le révérend père François d'Aix de la Chaize,
confesseur de Louis XIV", dont le nom allait être éternisé: Michel Dansel, Au Père-Lachaise, Paris,
Fayard, 1973, p.20-21.
24Ces expressions sont empruntées à Pierre Grimai, op. cit., p.8.
38
différencié
avec cette ordonnance, les lots les plus vastes se situaient en bordure des
grandes avenues ou sur la place centrale d'un carrefour27. Les tarifs étant
25Règlements (ANDQ, carton 24, pièce 24-196) inclus aux formulaires de concession de vente
de 1859, à l'article 9. Pour faciliter l'entretien, il fut ensuite défendu de planter des arbres sur les
lots: article 7, minute no 1882 de Ernest Labrèque, (lot 774 N.P.), 4 nov. 1913. Aujourd'hui, le
seul moyen d'assurer une végétation pérenne consiste en des plantations d'érables le long des
grandes artères assumées par la Corporation du cimetière.
26Éliane Georges, Voyages de la mort, Paris, Berger-Levrault, 1982, p.130.
27ll est intéressant ici de se référer au plan de 1906 (fig.3).
28C'est toujours le cas aujourd'hui. Au fait, la catégorisation des concessions a été établie par la
Fabrique, dès l'ouverture du cimetière.
39
On peut ainsi affirmer, sans grand risque de s'y tromper, que le régime des
concessions assujetti aux règlementations, a contribué à l'implantation de la
hiérarchie sociale par-delà la mort. Cette compartimentation de l'espace
s'étalant sur une surface totale de 125.5 m2 tandis que celui du docteur Albert
Paquet (1878-1963) rassemble quatre lopins couvrant 167 m2. Enfin, le
terrain de Georges-Élie Amyot31 les surpasse tous32 avec ses 194 m2. Dans
Belmont est marqué par une ceinture de pierre circonscrivant une superficie
de 95 m2.
on précise que:
Ce n'est que cinquante ans plus tard, vers 1910, qu'on exigea que lesdites
bornes soient en pierre ou en granit et que leur taille soit réduite et "sans
aucune autre garniture de chaîne, grille, haie, ou autrement"36. Enfin, à partir
de 1940, il fut strictement défendu d'ériger des clôtures et le gardien devait
libérer les lots, après entente avec les propriétaires, des "vieilles chaînes en
fer, des bornes ou poteaux en pierre, aux fins de les faire disparaître comme
étant disgracieux"37.
bâtis et ancrés solidement à une base en béton sous le sol. Ils se trouvent sur
les lots en périphérie des artères principales ou au centre d'un carrefour et
Pour les concessions temporaires étalées sur dix ans, Baillairgé avait prévu
des secteurs dits "fosses à part" et leur surface était fixée selon les normes
minimales exigées pour la sépulture39. Là, les monuments de taille réduite se
édifiés les mausolées (fig.16). Quant aux plus démunis, ils avaient droit aux
fosses communes nécessitant une contribution symbolique. À l'origine, cette
militaires ont peu à peu adopté le cimetière comme ultime "lieu d'ancrage"43.
Vincent de Paul se sont-ils réservés une grande surface (223 m2) au nord de
Notre-Dame du Saint-Rosaire.
soldats ont été inhumés ailleurs dans la nécropole45. Ainsi, au culte familial
42Les communautés ethniques cherchent parfois à se regrouper en îlots. Alors que ces contrastes
demeurent inaperçus au Belmont, ils deviennent évidents au cimetière Mount Hermon de Sillery et
au cimetière Saint-Charles de Québec.
^Le terme est emprunté à Abraham A. Moles et Elizabeth Rohmer, (op.cit., p.54).
^Leurs lots occupent respectivement une surface de 104,139.4,167.3 et 565 m2.
450n distingue quelques stèles militaires réparties sur certains lots de famille.
43
urbanistes à concevoir un modèle de cimetière
entièrement nouveau.
Philippe Ariès46.
Une brève incursion dans l'histoire des mentalités nous révèle qu'il faut
chercher aussi dans ce champ de la praxis humaine les causes des
transformations que connut l'espace de la mort vers le milieu du XIXe siècle,
période correspondant à notre sujet. Bien avant l'ouverture du cimetière
Belmont, les paroissiens de Notre-Dame de Québec manifestèrent la volonté
du lieu.
^Philippe Ariès, Images de l'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983, p.244. Tel que vu
précédemment, un bon nombre de facteurs concouraient à l'éclosion de ce nouvel urbanisme
funéraire.
47Lorraine Guay, "Le cimetière vide", Les Cahiers du CRAD, Québec, Université Laval, vol. 13, no
1,1991, p.14-15.
48Ibid., p.15-16.
44
Alors qu'aux XVIIe et XVIIIe siècles, le lieu exact de la sépulture
importait peu, donnant au cimetière un caractère communautaire et
anonyme, la volonté de rassembler dans un lot désigné une même
famille permet dès lors une appropriation personnelle de l'espace
se poursuivant au-delà de la mort. [...]
Le cimetière Saint-Louis représente donc une étape essentielle
dans l'évolution de l'espace de la mort à Québec puisqu'il annonce
la fin du cimetière primitif urbain et la naissance de son successeur,
le cimetière modélisé49.
sociales et spirituelles.
49Ibid., p.14.
50Ibid., p.128.
51 On se rappellera que des inhumations ont toujours lieu dans les anciens lots.
52S.S. Paul VI a approuvé, le 5 juillet 1963, l'Instruction du Saint-Office rédigée dans le but
d'autoriser l'incinération: Lois et institutions nouvelles de l'Église catholique, Paris, Centurion,
1966, p.183-185.
530n peut y accéder par la rue Nérée-Tremblay, au nord-ouest. Il tut construit entre avril 1986 et
février 1987 selon les plans des architectes Boutin et Ramoisy. La première inhumation eut lieu
45
Dans ce nouvel espace funéraire par étagements hors-terre, les corps mis
dans des cercueils sont déposés dans des cryptes tandis que les urnes
funéraires contenant les cendres sont placées dans des niches54. Même s'il y
avant même que les travaux ne soient terminés, c'est-à-dire le 6 décembre 1986. Près d'un an
plus tard, il fut inauguré officiellement en présence d'un évêque, le 4 octobre 1987.
54Le mausolée offre 1872 niches et 282 cryptes à occupation double. Ces détails de même que
les dimensions (33 X 13.5 mètres) figurent sur les plans datés de février 1984 conservés aux
ANDB (contrat 84-213, feuille no 4a/6).
55Les niches et cryptes à proximité de l'autel sont plus dispendieuses, donc plus prestigieuses ou
vice verca. De même, les valeurs changent selon le niveau de vue, les cryptes au sol valant moins
que celles du centre et les moins coûteuses se retrouvant au sommet, puisque leur écriture se
donne plus difficilement à lire.
46
C'est précisément ce code que nous tenterons de déchiffrer ici afin de pouvoir
"La fonction est la signification de l'objet, c'est elle qui lui donne naissance et
ne le quitte jamais tout à fait dans les avatars de son existence"3. Mais qu'en
est-il des fonctions réelles de l'objet funéraire?
1 Jean Baudrillard, "La morale des objets. Fonction-signe et logique de classe", Communications,
1969, no 13, p.30.
2Cité par Jacques Le Goff, Faire de l'histoire (Nouveauxproblèmes), Paris, Gallimard, 1974, vol.1,
p.149.
3Abraham A. Moles, Théorie des objets, Paris, Éd. Universitaires, 1972, p.174.
47
Michel Ragon4
Cet objet a de tout temps été affilié au dernier rite de passage et précisément
à l'ultime séquence du cérémonial funèbre. Van Gennep s'est attardé à ce
phénomène et selon lui, ce sont les rituels "qui agrègent le mort au monde
des morts qui sont les plus élaborés et auxquels on attribue l'importance la
plus grande"5. De fait, ce sont ceux-là qui laissent le plus de traces tangibles
et immuables. Toutefois, la fonction du tombeau demeure ambivalente. En
effet, il acquiert son sens dans le non-sens de la mort. Alors que celle-ci
Perçu d'une façon objective, l'objet funéraire se dresse entre le monde des
morts et celui des vivants tout en les unissant par le souvenir. Il nourrit le
Tout un mobilier et toute une symbolique riches en évocations ont été investis
dans cette quête de la personnalisation de la sépulture afin que celle-ci
puisse acquérir la "capacité d'inscrire véritablement des sujets dans un ordre
9Ibid., p.28.
10Raymond Lemieux, "Retrouver le sens du rituel. Enjeux des pratiques et des rites funéraires",
Frontières, vol.4, no 1, printemps-été 1991, p.9.
11 Jean-Didier Urbain, op.cit., p.193.
12/b/d., p.192.
49
de la Rédemption.
minimale de l'horizontalité.
13Ce tombeau tut l'objet d'une souscription publique. Il fut érigé un an après le décès de
l'historien, lors d'une cérémonie entourant la translation de ses restes, à laquelle prirent part plus
de deux mille personnes. Le premier ministre, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, prononça une
allocution dont un extrait est cité in Pierre-Georges Roy, Les cimetières de Québec, Lévis, 1941,
p.233-234.
14/ti/ti., p. 248.
15lci, le cercueil n'est pas déposé en pleine terre, méthode de loin la plus usuelle, mais dans une
fosse en ciment aménagée sous le sol. Souvent, les caveaux sont divisés en autant de
compartiments que l'on prévoit de sépultures.
16M. Vovelle et R. Bertrand, La ville des morts, Paris, C.N.R.S., 1983, p.110.
50
Celles-ci sont parfois juxtaposées en groupe ou par paire comme sur le lot
d'Érasme-Louis Jean, à l'est du cimetière (fig.23). Ici, la forme est porteuse
d'un message. Sur chaque face supérieure, furent respectivement inscrits les
obstruent les caveaux. Il fut taillé dans du granit noir Péribonka et poli sur
chacune de ses faces, ce qui contribue à accentuer son caractère distinctif.
comme dans le cas des mausolées, "aux injures du temps, exprimant une
vision renouvelée des hommes vis-à-vis du corps mort"19.
différence
Trois mausolées ont été édifiés à l'est du cimetière Belmont et cinq autres
forment des fronts de rue volant la vedette panoramique dans le secteur
central. Cette architecture puise surtout au répertoire néo-classique21. Les
mausolées des familles de Georges-Élie Amyot (fig.26) et d'Alexandre
situ la rencontre familiale"24. Chaque membre possède une place qui lui est
désignée. Ici, la projection figurative et métaphorique de la famille s'associe
victorien vise les effets pittoresques25. Elle s'inspire de divers styles comme
ici, certains éléments empruntés à la Renaissance italienne se fusionnent à
des formes néo-byzantines et néo-romanes26. La porte surmontée d'une
générale des façades latérales. Ces dernières sont percées par une fenêtre
remarquera aussi qu'au portail, les pilastres d'angle et les colonnes adoptent
l'ordre composite tandis que les chaînes de refends des faces latérales en
pierre de taille lisse contrastent avec les bossages des surfaces en retrait.
L'effet pittoresque de ces multiples décrochements et de l'ornementation vise
une "maximisation de l'image de puissance et de richesse"31.
grandes sommes pour s'assurer une belle image dans la cité des morts,
comme en fait foi le mausolée érigé en 1910 sur le lot de Pierre Giguère
(fig.29), à l'entrée du cimetière32. 33Sa structure est commandée par la
configuration de la façade principale qui rappelle encore une fois la fenêtre
palladienne dont la forme cintrée de l'arc, reprise au fronton, se prolonge
dans celle de la voûte en berceau. A l'époque, des préoccupations
esthétiques commandaient l'édification de la demeure ultime. Au marché de
31 Selon F. Rémillard et B. Merrett (op.cit., p.43), ce concept s'allie à l'une des trois étapes de l'ère
de l'éclectisme, la phase de l'Image dite High Victorian (1860-1900).
32Minute no 5415 du notaire Cyprien Labrecque, 22 octobre 1887 pour vente du lot no 381 A.P.
à Pierre Giguère, navigateur. On peut y lire: "Et a dit Sieur Marguillier signé avec moi dit notaire,
ayant le dit acquéreur déclaré ne savoir écrire, ni signer de ce requis, mais a fait la marque ordinaire
d'une croix" (ANDB, registre des concessions).
33ll s'agit de A. Laforce et Frère, marbriers et tailleurs de pierre. ACQ, boîte L-62/R-261, minute no
9890 du greffe de Cyprien Labrecque en date du 11 octobre 1910 en rapport avec le monument
de Pierre Giguère.
34lbid.: devis accompagnant ladite minute.
54
structure rappelle celle d'une chapelle, d'un temple ou d'un baldaquin ont leur
mur absidial intérieur souvent percé d'une baie avec vitrail illustrant un motif
biblique. De même, il peut être muni d'un autel miniature, d'un calvaire, d'un
Christ en croix ou d'une console en applique destinée à recevoir une figure
structures sont davantage laïcisantes40, la croix est reprise aux quatre faces
35Elle s'est étalée sur un siècle, si on inclut les écarts extrêmes de 1850-1880 et de 1925-1960.
Au cimetière Saint-Charles de Québec, le baldaquin avec Sacré-Coeur d'Adélard Deslauriers a été
érigé vers 1959, tandis que le mausolée (temple grec avec péristyle) de William Venner remonte à
1857-1862: ill. de ce dernier in Thérèse Labbé, loc. cit., p.30; Robert Germain, "Le mausolée
impérial de la famille Venner", Cap-aux-Diamants, vol.4, no 3, aut.1988, p.37-39.
36C'est le cas, par exemple, au cimetière de Neuville dans le comté de Portneuf. Le mausolée de
la famille de Camilien Joseph Lockwell, avec une pleureuse en façade, est sans contredit le point
focal du site. Il fut édifié vers 1918.
37Alors qu'au mausolée de Georges-Élie Amyot la croix s'associe à la couronne de laurier, avec celui
de Ulric-Joseph Tessier, elle se jouxte aux conventionnelles urnes funéraires.
38Au Belmont, un Christen croix figure au mausolée du Dr Nicolas J. Pinault (1846-1917) et une
console à celui de Achille Dussault (vers 1907).
39Ce mausolée, dont la pierre de sable provient de Saint-Marc des Carrières, a d'abord appartenu
à la famille du docteur Henri-Edmond Casgrain chirurgien dentiste décédé le 31 octobre 1914
(ANQ, registres des décès). Le lot fut acquis le 7 août 1915 (ANDB, registre des concessions).
40Voir à ce sujet, mausolées du cimetière de Saint-Georges de Beauce Ouest in Thérèse Labbé,
loc.cit., p.30-31.
41 Aucun décor ne rehausse les surfaces animées par la saillie des pilastres d'encoignure.
Apparemment, ce modèle fut choisi sur catalogue, ce qui pourrait expliquer la démarcation
formelle avec les autres mausolées. Son plan fait partie de la collection d'Octave Boies (service de
lettrage et fournisseur de monuments qui a acquis en février 1993 le commerce de Delwaide et
Goffin aujourd'hui appelé Granit J.D. Enrg.).
55
Cette structure joue non seulement sur l'ambiguïté de la forme mais aussi sur
une double thématique. Elle évoque le concept de l'habitacle familial se
matérialisant par la porte qui peut s'ouvrir mais qui dissimule en même temps
son intérieur, son "espace privé et inviolable"43. Paradoxalement, il affecte
l'habité et l'habitable. En effet, certains d'entre eux exhibent un perpétuel état
de propreté en ce qui a trait à la construction et à l'aménagement paysager44.
différenciation
élan vertical prolongé la plupart du temps par une croix, une urne ou une
sculpture, procurent au site une certaine homogénéité visuelle. Par ailleurs,
jusqu'à la fin des années 1930 avec des années optimales entre 1870 et
1910 pour les obélisques ou entre 1880 et 1920 pour les piliers50.
religions qui,
48L'engouement pour les formes néo-classiques, déjà manifeste en Europe, a gagné toute
l'Amérique du Nord: Carole Hanks, Early Ontario Gravestones, Toronto/Montreal/New York,
McGraw-Hill Ryerson, 1974, p.33; voir aussi Edmund V. Gillon Jr., Victorian Cemetery Art, New
York, Dover Publications, 1972,173 p.
49J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles., Paris, Robert Laffont/Jupiter, 1982,
p.62.
50Ces formes sont pourtant plus anciennes. Au Mount Hermon de Sillery (1848), les deux
culminent entre 1848 et 1900. Là, le style des tombeaux victoriens se démarque des modèles
figurant aux cimetières de confession spécifiquement catholique. Ils rappellent davantage ceux
présentés in James Stevens Curl, A Celebration of Death, London, Constable, 1987, p.363. De
fait, un bon nombre ont été fabriqués par l'artisan Félix Morgan de Québec tandis que d'autres
sont dus à des fabricants de Montréal tels les Forsyth, Cunningham ou Paul Ceredo: les matériaux
provenaient de la Grande-Bretagne et de l'Italie.
57
à-dire de ce qui touche l'extra-ordinaire, le différent, le distinct. La
verticalité mesure le domaine même des dieux51.
sur la même avenue. Il en est de même pour celui de Georges Tanguay situé
atteint une hauteur d'un peu plus de 6 mètres, comme c'est le cas pour celui
d'Édouard Côté sur lequel repose un Sacré-Coeur grandeur nature (fig.35)53.
partie.
54Vingt-et-une inscriptions figurent sur ce pilier datant des environs de 1888; Euphrosie Dore
décédée en 1888, épouse de Louis Côté décédé en 1894.
550n y dénombre vingt-trois décès.
56Parmi les monuments verticaux, les colonnes sont de loin les moins nombreuses. Selon M.
Octave Boies, cela est dû au fait qu'à la différence des piliers et des obélisques, les colonnes
étaient importées d'Europe, car on n'avait pas les appareils requis pour leur fabrication au pays. Ici,
le nom du fabricant, Z. Maranda de Québec, est gravé au bas de la colonne, mais on suppose qu'il
n'en fut que l'importateur. Il dut toutefois fabriquer la base.
59
C'est au même registre formel des piliers et colonnes que le socle peut être
associé59. En général, sa hauteur est plus réduite, exception faite du
57Hauteur: 5.7 mètres. Isidore Thibaudeau "fait partie d'une élite marchande et professionnelle
canadienne-française qui parvient à percer; [il] se joint aux Guillaume-Eugène Chinic, Ulric-Eugène
Tessier, François Vézina [tous inhumés au Belmont] et autres en 1848 dans la Caisse d'épargne
de Notre-Dame de Québec [...] et dans la Banque nationale à partir de 1858".DBC, 1982, XI,
p.1128.
58Réginald Richard, op.cit., p.184.
59Les appellations "autel ou cippe" pouvant correspondre au socle se rapportent, en fait, à des
monuments de taille nettement plus réduite.
60Une couronne de piliers et de socles massifs entoure cette place, mais celui de Garneau est le
seul à être muni d'un enclos.
61 Curieusement, le langage néo-gothique n'a pas percé au cimetière-jardin né pourtant en pleine
ère romantique. L'imposant édicule surmonté d'un ange du Jugement dernier qui se dresse sur le
lot de la famille de Zéphirin Paquet, au cimetière Saint-Charles de Québec, appartient toutefois à ce
style. Les plans de 1903 sont de Georges-Émile Tanguay (Fonds Raoul Chênevert, 214 dossier
209).
60
1920.
mètres du sol (fig.44). Elle est flanquée d'un muret en hémicycle courant sur
quinze mètres et supportant six urnes funéraires d'un mètre de haut chacune.
Ce tombeau qui s'impose déjà par sa taille est mis en relief par un mur de
végétation formant un écran vertical68.
Cette forme de pierre tombale est apparue au début du XXe siècle et connut
un essor particulier entre 1940-1960 pour disparaître au début des années
198069. Durant ces deux décennies, un bon nombre de stèles verticales
prestigieuses furent érigées dans le secteur avoisinant les mausolées. On
"savoir paraître" par la forme. Sur l'îlot inséré entre les avenues Saint-
Édouard, Saint-François-Xavier, Notre-Dame du Saint-Rosaire et Saint-
(fig.45).
Dans ce groupe de stèles monumentales, se situent à part celles qui ont été
érigées non pas pour des sépultures familiales mais pour des collectivités. Tel
que déjà signalé, un bon nombre se retrouvent au nord-ouest du cimetière. On
les repère facilement à leur taille. L'échelle de grandeur ne connote plus la
puissance, mais prône au contraire le culte de l'anonymat. Sur chacune des
faces, des listes exhaustives où noms et dates extrêmes s'empilent les uns
sous les autres sans aucune mention des oeuvres ou des missions accomplies
cents noms tandis qu'une centaine70 figurent sur celle des Religieux de Saint-
Non loin de là, une stèle verticale se dresse sur un lot marqué aux angles par
une borne. On y distingue la silhouette d'un soldat assis sur un tronc, casque
en tête et sac au dos (fig.47)71. La dimension comme facteur expressif ne revêt
aucune portée narcissique mais souligne la valeur du geste patriotique. Par
cette initiative, la communauté vietnamienne a voulu rendre un culte civique à
ses héros de guerre. L'anonymat absolu se pose comme règle: aucun nom,
métaphorique à la banalisation
réduite ou moyenne, elles prennent assise sur un socle73. Leur tête s'incurve
dont elle fixe les traits dans un médaillon, ou de son portrait moral en étalant
Toute une rhétorique des mains s'y déploie: des mains pieuses qui indiquent
le chemin du Paradis79 en pointant le ciel (fig.51) parfois avec une croix pour
74Les médaillons en bas-relief historiés sont traités au chapitre 4 alors que le deuxième aspect est
abordé au chapitre sur l'épigraphie.
75ll est décédé en 1951 et fut inhumé à l'est de l'avenue Saint-Jean-Baptiste.
76J. Chevalier et A. Gheerbrant, op.cit., p.155.
77Au tombeau de Gérald Martineau (1902-1968) érigé au nord de l'avenue Saint-Nazaire, le livre est
simplement le support du texte épigraphique.
78Quelques-unes, de facture naïve, présentent l'image d'un coeur.
79Carole Hanks, op.cit., p.34.
64
s'étalaient devant le client éploré, en quête d'une "note personnelle [pour une]
montrait persuasive:
80Carton au bleu de la Bd ? Co. (Archie S. Hill designer) intitulé "Gladiolus" avec dessin d'un
glaïeul sous divers profils ainsi que la symbolique qui s'y rattache "Ready armed. Preparedness"
(l'un des 14 cartons de la collection d'Octave Boies).
81 "C'est cette liaison de Dionysos avec les mystères de la mort [...] qui a fait aussi de la vigne un
symbole funéraire, dont le rôle a continué dans la symbolique du christianisme". J. Chevalier et A.
Gheerbrant, op.cit., p.1013.
82Ibid., p. 700.
83Rock of Ages, Votre monument de famille., Toronto/Barre, Vermont, s.d. p.16-17. Les
fabricants locaux possédaient des catalogues de cette compagnie en plus de leur matériel de
publicité.
65
optimal de l'espace.
l'emblème canadien. Elles s'enlignent, les unes derrière les autres, prônant
l'héroïsme anonyme85. De même, les pierres tombales regroupées au
Cimetière des prêtres (fig.55), près de l'entrée de la nécropole, s'associent au
giron ecclésial. Les individus s'inscrivent ici sous un même code: le calice et
l'hostie crucifère évoquant l'Eucharistie s'enchâssent entre l'année
d'ordination au bas et les dates extrêmes de part et d'autre. Cette évocation
mystique surmonte une épitaphe réduite au nom du prêtre, à sa fonction et au
Enfin, on aura constaté que dans les aires d'occupation plus récente, les
moins notoire. C'est plutôt dans le polissage du granit sur une ou plusieurs
84Nous en avons fait mention en traitant de l'espace funéraire au chapitre précédent (voir fig.18).
85Certains militaires ont été inhumés sur les lots de famille. On repère facilement leurs tombes
puisqu'elles présentent le même prototype.
66
(fig.56)86, je nom au fini brillant se détache en relief sur une bande en creux
dépolie.
La notabilité n'est plus aussi manifeste. Elle n'est perceptible qu'aux seuls
membres de la famille.
L'Hon.
Théodore Robitaille
Lt-Gouverneur
de la Province de Québec
de 1879 à 1884
décédé le 17 août 1893
86Elle fut érigée à l'est de l'avenue Notre-Dame,entre les avenues Saint-Édouard et Sainte-Anne.
Fabricant: Delwaide et Goffin. On notera le net contraste avec la végétation fouillée de la section
plus ancienne du cimetière.
87Raymond Lemieux, "L'écriture du cimetière", Survivre...La religion et la mort, Montréal,
Bellarmin, 1985, (CRSR, vol.6), p.248.
88ll aurait été intéressant de connaître les volontés précises des défunts. On connaît le cas du juge
Philippe Panet qui fut inhumé modestement au cimetière Saint-Charles de Québec: illustration in
Thérèse Labbé, loc. cit., p.32. Dans son testament olographe, il manifeste un grand détachement à
l'égard de ses funérailles et offre en retour des aumônes: voir un extrait in Marie-Aimé Cliche,
"L'évolution des clauses religieuses...", Religion populaire. Religion de clercs?, Québec IQRC,
1984, p.375. La formulation du testament nous semble toutefois provenir d'un modèle-type
emprunté aux ordonnances synodales.
67
inscription:
G.A. Duval
Greffier de la paix
décédé à l'âge de 38 ans
le 18 décembre
1871
Pour Louis-Napoléon Casault (1822-1908), juge de la Cour supérieure de
Québec, même le statut professionnel est omis. Un seul bloc de pierre sur
lequel se détache son patronyme sculpté en relief (fig.58). Ici, en toute
simplicité, "c'est l'homme [et non le magistrat] qui retourne à ses sources"89.
89Nycole Faquin, "L'art funéraire ou la mort apprivoisée", Continuité, no 26, hiver 1985, p.44.
"Michel Ragon, op. cit, p.95. On se situe ici au XVIIIe siècle.
91 Contrairement aux cimetières plus anciens, les croix en bois et en fer forgé font ici exception.
Les règlements de 1859 stipulaient que: "L'acquéreur ne pourra construire sur le dit lot de terre
aucuns [sic] monuments, tombeaux ou autres bâtisses, à moins qu'ils ne soient faits et couverts
avec des matériaux incombustibles et matière impérissable". (ANDQ, carton 24, pièce 24-196).
68
chrétienne93.
Théophile Légaré qui s'élève à 3.58 mètres du sol et sur laquelle se détache
un Christ en bronze, grandeur nature, saisissant de vérité94. La croix offerte
par des amis en mémoire de Narcisse Henri Édouard Faucher de Saint-
Maurice a ses bras réunis par un cercle95, structure reprise aux croix
celtiques, comme celle érigée sur le lot d'Adolphe-Basile Routhier (fig.59)96.
Dans leur formulaire de concession de la même année, les croix ou monuments de bois sont
prohibés (pièce 24-225).
92Les motifs décoratifs appliqués à la ferronnerie québécoise ont été répertoriés in René
Bouchard et Bernard Genest, Saint-Rémi de Napierville. Les croix en fer forgé du cimetière,
Québec, MAC, 1979, p.37-53.
93Elle n'est "devenue que tardivement symbole du christianisme. Jusqu'au IVe siècle [on lui
préfère] le poisson, l'ancre, la colombe, l'agneau, le phare, le nef, la palme. [...] Quant à la croix,
symbole de la mort, elle n'apparaît dans les cimetières qu'à partir du XIIIe siècle. [Mais ces croix
sont] collectives. C'est seulement au XVIIe siècle et surtout au XVIIIe siècle que les croix de
cimetière s'individualisent": Michel Ragon, op.cit. p.94-95.
94Cette croix fut érigée sur l'avenue Saint-François-Xavier au nord de l'avenue Saint-Rosaire.
Nous y revenons au prochain chapitre (fig.66).
95Cet homme de lettres décéda en 1897. Le monument de l'historien François-Xavier Garneau,
on le sait, fut aussi le résultat d'une souscription publique.
96Ce type de croix, précisons-le, revient en grand nombre au cimetière Saint-Patrick de Sillery et
certaines d'entre elles offrent un décor fouillé.
97J. Chevalier et A. Gheerbrant, op. cit., p.324. Signalons que la croix figure au cimetière réformé
à côté de l'obélisque qui affiche son caractère païen.
69
La croix comme ornement, non plus comme forme intégrale, se retrouve sur
une petite croix grecque aux branches égales s'associe au chrisme ainsi qu'à
l'Alpha et l'Omega rappelant "que le Christ est le principe et la fin de toute
chose"100. Ces signes s'enrichissent d'images reliées au sacrifice de la
La croix peut se confondre soit avec l'emblème de confréries, soit avec des
ordres maçonniques, pontificaux ou religieux. Sur les faces frontales du
fleurdelisés rappelle un ordre religieux militaire fort ancien qui se voue de nos
jours à des oeuvres hospitalières102. Sur la stèle de Joseph-Louis-Joachim
Clore ce chapitre sur l'objet funéraire avec le motif de la croix nous aura
permis de souligner cette tendance christocentrique révélée tout au long de
notre investigation au champ du repos. Repos éternel qui rappelle le mystère
de la Rédemption, oui, mais on ne peut nier non plus que "la croix est entrée
dans le lexique usuel de notre code de communication, où elle signifie la
mort"105. En prolongeant notre parcours, on verra que cet imaginaire
mystique domine la statuaire funèbre où s'épanouit également le culte de la
personnalité.
102Cet Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem fut fondé à l'époque des croisades:
Dom M. De Vogué, Glossaire de termes techniques, Saint-Léger-Vauban, Yonne, Zodiaque,
1971, p.288 (pour le tombeau, voir fig. 25).
103A. Frutiger, Des signes et des hommes, Lausanne, Delta & Spes, 1983, p.173.
104Au cimetière juif de Sainte-Foy, la croix est remplacée par l'étoile à six branches, dite étoile de
David, emblème du judaïsme, ou par le chandelier à sept ramifications, appelé Menorah, image de
l'espérance de ce peuple: J. Chevalier et A. Gheerbrant, op. cit., p.206.
105Philippe Ariès, Images de l'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983, p.233.
71
CHAPITRE 4-LA SCULPTURE HISTORIÉE
symbolise pas moins son triomphe sur la mort. Un Christ portant sa croix
(fig.64)7 alors qu'il fut sculpté dans le marbre8 sur le socle de la famille de
Joseph Côté(fig.65).
figure sur la croix érigée sur le lot de Pierre Théophile Légaré relève de la
5Le Catéchisme des provinces ecclésiastiques de Québec, Québec, Éd. officielle, 1944, p.18:
réponse à la question: "Comment Jésus-Christ nous a-t-il rachetés?"
6Àvant le Xe siècle, les Christs étaient centrés sur la Résurrection et la Rédemption. L'image du
Christ de gloire qui passe au Christ souffrant est liée à "l'évolution idéologique après l'an 1000, qui
prépare [...] l'explosion des ordres mendiants et flagellants": G. Mounin, "La crucifixion: approche
sémiologique d'un thème", in Iconographie et histoire des mentalités, Paris, CNRS, 1979, p.36.
7Ce médaillon de bronze porte la signature de Ruland.
8Selon M. Roger Delisle (Delisle Monuments) et M. René Delwaide (Delwaide & Goffin), les
statues de marbre étaient toutes importées d'Italie.
9Nous l'avons déjà présenté au chapitre précédent à la rubrique portant sur la croix. Il est dû au
sculpteur Émile Brunet; fondeur: Alexis Rudier, Paris.
10Fabricant dans les deux cas: J.L. Thériault & Fils Ltée; Christs en bronze: M. Thomas de
France (la première sur av. Notre-Dame et la deuxième sur av. St-Damase).
11 L'écran portant l'épitaphe indique qu'il fut: "président et gérant général de la Compagnie
Paquet limitée". Le lot se situe sur l'avenue Saint-Nazaire.
73
que sur le monument de Napoléon Martineau, il figure dans un médaillon
cruciforme(fig.67)12.
12Les images mortuaires véhiculaient aussi cette "imagerie tragique": Pierre Lessard, "L'imagerie
religieuse" in Jean Simard, Un patrimoine méprisé. La religion populaire des Québécois, Cité de la
Salle, Hurtubise HNH, 1979, p.177.
13Au cimetière de Lévis-Lauzon, sous un baldaquin, un Ecce Homo en ronde-bosse grandeur
nature posé sur un pilier se dresse sur le lot des prêtres (1893).
14Tel que le médaillon précédent (fig.67), correspondant au monument de son père, il porte le
sceau de Mtl granite. Le premier se trouve sur l'avenue de la Forêt à l'est du site et celui-ci, vers
l'ouest sur l'avenue Saint-Nazaire.
15Elles sont érigées sur l'avenue Saint-Damase (nouvelle partie) et Saint-Jean-Baptiste
(ancienne partie). Signés et datés par Émile Brunet (1919), ces "Ecce Homo rayonnants"
identiques surmontent l'inscription: Ego sum Resurrectio et Vita [Je suis la Résurrection et la
Vie], ce qui corrobore l'image d'un Christ de Rédemption (voir note 6).
16Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Lafont/ Jupiter,
1989, p.409.
17Ce thème demeure relativement rare. Une Pietà fut consignée au cimetière de Sainte-Anne
de Beaupré (Théo. Paré) et deux autres au cimetière Saint-Charles de Québec (Joseph-André
Drolet, vers 1939 et Joseph-Aimé Barnabé, vers 1948).
retenant le corps inanimé du Christ (fig.70), se retrouve au pied d'une croix18.
que l'enseignement catholique s'est prolongé dans la cité des morts, aussi
bien pour leur salut que pour celui des vivants. Le culte liturgique voué au
Sacré-Coeur affirmait, dans le symbole du coeur ouvert, l'amour universel de
Dieu. Consacré en 1685, il culmina vers la fin du XIXe siècle22.
18Au sol, deux livres ouverts reçoivent les inscriptions et ils sont précédés de deux urnes à
fleurs. Le lot se situe au coin de St-Alfred et Ste-Anne.
19L'imagerie de la Passion est complétée par quelques thèmes, tel un Christ aux jardins des
Oliviers (Gérard Poulin au cimetière Saint-Charles de Québec, vers 1958), une Dernière Cène
au Saint-Patrick de Sillery (William-John McBriarty.vers 1958; Aimé-A. Martineau, vers 1974) et
un Calvaire à quatre personnages (Pierrette Poulin, Notre-Dame des Pins, Beauce, vers 1933).
20Mario Béland, Louis Jobin maître-sculpteur, Québec, Fides/MQ, 1986, p.117.
21 Le catéchisme..., op.cit, p.85. Réponse à la question no 388: "Pourquoi prions-nous devant le
crucifix, devant les images et les reliques des Saints?"
22Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien (Tome II: Iconographie de la Bible, vol. Il, Nouveau
Testament), Paris, PUF, 1957, p.48. Le véritable initiateur de ce culte fut le bienheureux Jean
Eudes.
75
Sacrés-Coeurs de Marie et de Jésus devait également marquer la
production québécoise à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.23
gros pilier s'impose au regard24. Alors que celui-ci nous signale son coeur
ardent, un autre posé cette fois au sol sur le lot de Lucien Charest (fig.71),
ouvre les bras dans une attitude d'accueil25. On compte également les figures
rarissimes d'un Sacré-Coeur de l'Enfant Jésus (fig.72) et d'un Enfant Jésus de
Saint-Victor.
sujet puisqu'une prière lui est adressée: "Bon Saint-Joseph / priez pour nous".
Au sud de l'avenue Sainte-Anne, un saint Joseph et l'Enfant Jésus (fig.74)
anime le lot de René Etienne tandis qu'à l'ouest du cimetière, il figure en
d'une sainte Famille élargie car un jeune saint Jean-Baptiste tenant son
La Vierge, pour sa part, fut l'objet d'un nouvel élan de dévotion suite à la
Immaculée Conception aux bras ouverts repose sur un globe et foule de ses
29Le premier décès inscrit remonte à 1932. Le lot se trouve sur l'avenue des Saules-pleureurs,
au centre-nord du site.
30ll se trouve sur la rue Saint-Jacques. En outre, on distingue sur la stèle juxtaposée à ce
groupe, un Ecce Homo en médaillon signé par M. Thomas, France.
31 Elles se trouvent au sud-ouest du cimetière, respectivement sur les avenues Saint-Damase
et Saint-Jacques. Une sainte Famille du même type, mais enchâssée dans une forme
concentrique, orne la stèle de Pierre-Fortunat Laliberté (1909-1975) située elle aussi sur
l'avenue Saint-Jacques. Ces trois monuments ont été fabriqués par Laforce & fils, mais les
médaillons sont vraisemblablement importés. Comme pour l'architecture et le mobilier, on note
encore une fois le phénomène d'entraînement collectif.
32Ce dogme fut proclamé par le pape en 1854. Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien, Tome II,
vol. Il, Nouveau Testament, Paris, PUF, 1957, p.69.
77
pieds le serpent33. Symbolisant sa victoire sur le péché originel, elle joue
Sur le tombeau de Cary Pelland (fig.79), elle pose dans une attitude de prière
telle que décrite à partir des apparitions. Elle est coiffée d’un long voile orné
s'impose (fig.81). Elle est assise et ses mains appuyées sur ses genoux
voilent son visage éploré. Le pathétisme de la scène alimente le désir
d'exorciser une mort inattendue, celle d'Odila Doré "morte dans l'écrasement
33Elles sont respectivement situées sur les avenues Belmont et des Amaranthes.
34John R. Porter et Jean Bélisle, op.cit., p.129.
35lls se dressent sur les avenues des Saules-pleureurs et Saint-Jacques. Dans le premier cas,
la Vierge correspond à la sépulture de Carmel Laverdière Pelland décédée en 1960 et elle
figure à côté de la stèle de l'époux décédé en 1973.
36Fabricant: Delisle Monument de Québec; la statue de marbre provient, comme la plupart des
autres, de Carrare en Italie.
^L'identification de ce thème est due à Ginette Laroche-Joly.
78
de l'avion pèlerin canadien sur l'Obiou, Alpes, France, le 13 novembre 1950
au retour d'un pèlerinage à Rome"38.
les anges gardiens tout au long de la vie et même dans la mort. Dans le but
elle a institué des fêtes en leur honneur; elle les a introduits dans
les Litanies majeures et dans la messe; elle a approuvé
spécialement et indulgencié certaines prières comme PAngele
Dei", qu'on leur adresse; elle a suscité des poètes pour les glorifier
et les chanter; des artistes pour représenter les envoyés de Dieu
chargés d'une mission sacrée, les protecteurs des hommes47.
voyage de l'âme, on substitue l'idée de la mort par une invitation dans l'au-
440ctave Crémazie, Oeuvres l-Poésies, Montréal, Fleuve, 1989, p.303: Les Morts, versets 115-
120. Ce poème est daté du 2 novembre 1856: Poésies de Octave Crémazie, Montréal,
Beauchemin, 1925, p.121.
45L'ange surpasse la pleureuse même si celle-ci domine la sculpture historiée profane. Des
chérubins, tels que vus sur les tombes européennes, apparaissent tout autant sur celles de la
Nouvelle-Angleterre et de l'Ontario: "Full-figured angels provide a wide range of designs and
seem nearly as popular as mourning female figures": Patricia Stone et Lynn Russell,
"Observations on Figures, Human and Divine, on Nineteenth-Century Ontario Gravestones",
Bulletin d'histoire de la culture matérielle, no 24, Automne 1986, p.28.
46Née au XVIe siècle, elle connut son plein épanouissement en Europe au XVIIe siècle après
avoir été consacrée par la papauté: Émile Mâle, op.cit., p.302.
47 Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique: doctrine et histoire, Paris, Beauchesne,
1932, vol.l, p.623: pour les fêtes et litanies, voir p.612-617. Il est question de la "Messe votive
des Anges" in Pères bénédictins du Mont César, La liturgie des défunts, Louvain, Mont César,
1946, p.198-210.
80
delà48. Ainsi, comme pour les autres motifs sacrés, l'ange s'inscrit dans une
48Pierre Boglioni, "La mort dans les premières hagiographies latines", Le sentiment de la mort
au Moyen-Age, Montréal, Éd. de l'Aurore, 1979, p.197: ce texte fut repris dans Essais sur la
mort, Montréal, Fides, 1985, p.269-298.
49John R. Porter, "Coup d'oeil sur les anges dans l'art au Québec", Questions d'art québécois,
Québec, Cahiers du CELAT, no 6, février 1987, p.25-42.
50Aurélia Stapert, L'ange roman dans la pensée et dans l'art, Paris, Berg International, 1975,
p.261.
51 Cet archange, chef des armées célestes, fut ciselé sur la stèle de la famille de Michel Rossand
au cimetière de la paroisse Notre-Dame-de-Foy.
52La photographie de l'ancien portail du cimetière de Saint-Nicolas avec les deux anges à la
trompette est reproduite in Mario Béland, op. cit., p.145. Louis Jobin "en façonna un certain
nombre, notamment à Saint-Jean (1890), à Charlesbourg (1899), à Saint-Nicolas et à Lauzon
(vers 1900) et à Saint-Tite (1918)": Mario, Béland, "Les monuments de bois: ces autres
disparus", Continuité, no 49, hiver/printemps 1991, p.35.
53Aucun Ange à la trompette ne figure au Belmont mais au cimetière Saint-Charles de Québec,
on en dénombre au moins deux dont celui surplombant l'édicule néo-gothique de Zéphirin
Paquet (cité au chap. 3, note 61).
81
Cela dit, ce sont le plus souvent des anges anonymes que l'on retrouve au
cimetière. Ceux-ci sont avant tout aux services des humains, mais ils n'en
demeurent pas moins des messagers divins. Ici, l'éventail des variantes prête
d'un putto dont les modèles remontent aux génies antiques ou aux putti de la
Renaissance et de l'âge baroque54. Forme d'idéalisation de l'enfant perçu
comme "un ange au ciel", ce motif fut récupéré pour les tombes familiales,
Certains types d'anges se retrouvent aussi bien chez l'angelot que chez
l'ange adulte. L'ange priant, dénommé aussi ange adorateur, affecte une
attitude de prière. Agenouillé (fig.83) ou plus fréquemment debout (fig.84)55, il
joint les mains sur la poitrine et dirige souvent son regard sur la tombe.
L'ange aux fleurs tient à la main gauche un lys ou une gerbe de roses et tend
une fleur de la main droite (fig.85 et 86). Cette intrusion du règne végétal,
relié au rite du renouvellement, vient renchérir la symbolique de
l'immortalité56. Parmi ce groupe d'anges, certains ont été sculptés en relief,
comme celui qui figure sur la stèle de Tancrède Rinfret (fig.87)57. Lorsqu'il
54Des Amours figuraient sur les tombeaux des dignitaires et des princes aux XVe et XVIe
siècles. Cette tradition "remonte à l'antiquité romaine, sans qu'on sache précisément si ces
Eros funéraires personnifiaient l'âme, traduisaient le regret d'une existence perdue ou la
tristesse que cause la disparition d'un être aimé". Cumont cité par Guy De Tervarent, Attributs et
symboles dans l'art profane 1450-1600, Genève, Librairie E. Droz, 1958, p.24.
55ll s'agit ici d'un ange adorateur à la croix et aux fleurs.
56"C'est ce symbolisme de régénération qui fait que, depuis l'Antiquité, on dépose des roses
sur les tombes". J. Chevalier et A. Gheerbrant, op. cit., p.823. Signalons que pour le territoire
prospecté, l'ange adorateur et l'ange aux fleurs sont les plus fréquents.
57Cet ange aux fleurs, superposé à une croix, fut exécuté dans un style art déco (avenue Saint-
Jean-Baptiste). Enfin, notons que dans la partie haute de certaines stèles figure un ange à la
tombe: il y dépose des fleurs. En outre, certains anges n'ont pas d'ailes (Louis Réau, op.cit., Il,
I, p.36). Un cas fut repéré au cimetière Saint-Charles de Québec (lot de Louis Gauthier).
82
s'agit de I'ange à la croix, le putto tient la plupart du temps une couronne
(fig.88) et l'ange adulte pointe le ciel de la main droite (fig.89) rappelant le
D'autres modèles sont plus fréquents chez l'ange adulte58. Tout d'abord,
l'ange à la palme qui, par son attribut, rappelle l'immortalité de l'âme. Celui
qui fut sculpté dans le bronze sur la stèle de Georges Parent se distingue
majestueusement par sa taille et sa facture. Ce relief s'inscrit dans une
composition verticale tripartite ponctuée par la palme, le drapé fouillé et les
ailes (fig.GO)5^. Pour sa part, l'ange pleureur constitue une transposition
sacrée du thème de la pleureuse60. Ce dernier, rarement en position assise,
s'accoude sur un socle ou une croix et tient souvent une couronne à la main
(fig.91). Ces deux thèmes figurent respectivement sur la stèle d'Henri Désiré
Barry (1865-1935) et celle du major Eugène Lavoie (fig.92)61. Même s'il est
58Rappelons ici que la tête ailée, formule davantage appliquée au putto, fut très prisée pour la
décoration des "headstones" typiques des cimetières anglais et américains du XVIIe jusqu'au début
du XIXe siècle. Cette image découlant de l'iconographie médiévale provient "de la scène religieuse
des tableaux funéraires muraux": P. Ariès, Images de l'homme devant la mort, Paris, Seuil, 1983,
p.79.
59Cet ange porte un nimbe, comme c'est le cas pour l'ange à la palme agenouillé repéré au
cimetière Mont-Marie à Lévis (Adèle Vallerand épouse de E. E. Lemieux décédée en 1943) et
qui fut également exécuté par Émile Brunet.
60Cette figure est présentée plus loin. Une telle interprétation pourrait s'appliquer aussi à la
sainte Madeleine pénitente.
61 Ces reliefs ont été sculptés directement dans la pierre: l'une se situe au coin des avenues
Sainte-Anne et Saint-Nazaire et l'autre sur Saint-Damase.
62Lorsque l'ange se féminise, il tend à évoquer la divinité Eros venant au rendez-vous avec
Thanatos, dieu de la Mort. Au cimetière St-Charles de Québec (lot de Vilbon Garant), un ange du
silence dont les caractères morphologiques ne laissent aucun doute pourrait rappeler une
victoire ailée: voir ill. in Thérèse Labbé, loc.cit, p.31. Enfin, on dénombre deux autres types
d'anges adultes ne figurant toutefois pas au Belmont: Y ange de l'espérance et l'ange du calvaire.
Le premier tient une ancre dans une main et pointe le ciel de son autre main tandis que !e
deuxième suspend le plus souvent un phylactère (évocation des Saintes Écritures) autour de la
croix ornée d'une couronne.
83
s'imposent.
Juste. Lieu et finalité commandent. Elle fut créée à l'occasion d'une mort,
630ctave Crémazie, Oeuvres l-Poésies, Montréal, Fleuve, 1989, p.406: Promenade des trois
morts, versets 209-214. Pour ce poème d'outre-tombe écrit en 1862, Crémazie s'est inspiré de
La Comédie de la Mort de Théophile Gauthier.
^Elle se dresse dans la section sud-ouest, sur l'avenue Saint-Alfred. Il s'agit d'un des rares cas
d'une sculpture personnalisée et réalisée par une artiste d'ici. On signalera qu’au Cimetière
Notre-Dame-des-Neiges à Montréal, un bon nombre de statues ont été exécutées par des
sculpteurs montréalais d'origine italienne (Sebastiano Aiello Enrg. Monuments; Aiello Santo &
Loizzi Monuments). En outre, Maurice Lord, à qui l'on doit les sculptures de Sainte-Anne de
Beaupré, y a signé un bon nombre d'oeuvres: Danielle Pigeon, "La modestie a bien meilleur
goût", Frontières, vol.4, no 1, printemps-été 1991, p.52-53. De même, on connaît les travaux
de Georges E. Tremblay, condisciple d'Alfred Laliberté, se trouvant surtout à Saint-Jean et à
Iberville: M. Colin, Georges E. Tremblay, Saint-Jean-sur-Richelieu, Mille Roches, 1985, p.7 et
70.
84
pour transgresser le non-sens de cette mort. Dans un tel contexte, cette
image se charge aisément de la symbolique de la pierre associée à l'âme.
L'auteur, elle-même, a voulu exprimer "un état de béatitude et d'illumination
dans cette interprétation métaphorique de l'âme en contemplation sereine
devant l'Éternel"65.
Ailleurs, la défunte apparaît sous les traits d'une déesse vêtue à l'antique
portant une couronne de roses ou offrant les fleurs du souvenir. C'est le cas
du personnage surplombant le monument de la famille de J.B.E. Letellier de
St-Just (fig.94)66. Au-dessus de l'imposant édicule de la famille de Philippe
Huot, dont les faces aveugles portent torches renversées et mains unies, se
dresse une figure allégorique pointant son index au ciel dans un geste de
65Propos recueillis auprès de l'artiste, madame Louise Bourbeau, à l'été 1991. Cette oeuvre fut
exécutée en 1966 pour sa soeur Suzanne dont l'époux était décédé en 1964. Voir description
par Thérèse Labbé in Louise Bourbeau, Images de pierre 1988-1992, Édition de la Canoterie,
1993, p.5 (catalogue publié pour l'exposition tenue à la Galerie Madeleine Lacerte du 21 fév. au
11 mars 1993).
66Cette statue de marbre (détail de la fig.34), comme c'est le cas pour les autres sculptures,
provient probablement de Carrare en Italie. Voir en annexe quelques modèles offerts sur
photographies ou sur catalogues.
67Les figures allégoriques connotent souvent des valeurs pieuses comme dans le cas des
représentations de l'Espérance, dont deux modèles figurent au Mount Hermon de Sillery:
tombeaux de James Piddington (1857-1899) et de Mary Frances Russell, épouse de William
Duthie Baxter Janes décédée en 1864.
68Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, op.cit., p.882. On distingue entre trois et douze types de
ces vierges dont la Sybille de Lybie portant "une torche allumée [qui] prédit le Sauveur comme
lumière du monde": E. Droulers, Dictionnaire des attributs, allégories..., Turnhout (Belgique),
Etablissements Brepols S.A., s.d., p.204. Voir aussi Louis Réau, op. cit(ll, I), p.427.
69Les attributs plus conventionnels de la Justice sont la balance et l'épée ou encore le bandeau
sur les yeux: Guy De Tervarent, op. cil, p.36,42 et 156.
85
C'est aussi une fonction symbolique qu'on attribue à la femme lorsqu'on la
représente en pleureuse70. L'investissement sur l'au-delà fait place ici à
apparaît souvent voilée, debout ou accoudée sur un pilier drapé75. Elle est
70 La Déploration est le thème le plus fréquent dans la sculpture funéraire profane au Québec
(incluant les bas-reliefs). C'est aussi le cas en Ontario: "The mostly frequently seen human form
on early Ontario gravestones is the mourning female figure" (Patricia Stone And Lynn Russell,
loc. cit., p.24).
71 Pierre Boglioni, op. cit, p.202. Selon cet auteur, on doit à Ernesto De Martino un essai
majeur sur ce rituel. Rappelons qu'au Moyen-Age, le thème du planctus figurait au répertoire
musical. On le nommait "lamentatio ou complainte, devenant plus tard déploration ou élégie":
même source, p.253 à l'article de Djuka Smoje, "La mort et l'au-delà dans la musique
médiévale".
72En outre, la veuve éplorée se devait de porter sa "pleureuse", c'est-à-dire, un grand voile noir
fixé au chapeau et qui couvrait le visage: Madeleine Doyon, "Rites de mort dans la Beauce",
Journal of American Folklore, 1954, vol. 67, no 264, p.137-146.
73Éliane Georges, Voyages de la mort, Paris, Berger-Levrault, 1982, p.124.
74Le sarcophage "des pleureuses" (v.350) de la nécropole de Sidon conservé au Musée
d'Istanbul figure in Jean-Jacques Maffre, L'art grec, Paris, Flammarion, 1984, p.42. Rappelons
que le mascaron couronnant le frontispice du mausolée d'Ulric-J. Tessier, au Belmont, illustre
une tête de pleurant (fig.28). Elle rappelle celle des pleurants sculptés en ronde-bosse sur les
tombeaux des souverains au Moyen-Age. Ceux des ducs de Bourgogne sont très connus.
75Mario Béland (loc.cit., p.35) présente la pleureuse en bois exécutée par Jean-Baptiste Côté vers
1900 (photo: Thérèse Labbé et Lise Nadeau) qui se trouvait au cimetière Saint-Charles sur le lot de
V.A. Emond. Elle est conservée au Musée du Québec depuis 1985 et reproduite dans plusieurs
ouvrages dont: John R. Porter, "Le chrétien devant la mort" op. cit. p.318 ; John R. Porter et Jean
Bélisle, op. cit., p.286 (dite La Désolation, p.119); Réal Brisson, op.cit., p.100.
86
parfois agenouillée dissimulant son visage derrière ses mains76 ou en
position assise, accoudée sur un genou et tenant une couronne de fleurs tel
qu'au lot de Valère Côté(fig.96)77. La composition, qui nous la montre debout
accoudée sur une pierre tombale, est de loin la plus fréquemment sculptée en
relief au haut des stèles. Une configuration similaire dominée par un saule-
pleureur se retrouve sur des modèles plus anciens (fig.97)78. Ici, la
XIXe siècle79. Sur une stèle unique, érigée dans la section "C" des fosses à
part au nord-est, une femme à genoux près d'une bière sèche ses larmes: elle
s'associe aux motifs de la croix et de la palme (fig.98)80.
76C'est le cas avec la pleureuse du cimetière de Neuville (illustration in Thérèse Labbé, loc.cit.,
p.28). On retrouve le même type dans les cimetières nord-est américains dont un modèle figure
au catalogue de la W.C. Townsend & Co., no 2846 (Annexe B); un autre identique se trouve au
Woodlawn Cemetery à Bronx, état de New York. (ill. in Edmund V. Gillon Jr. Victorian Cemetery
Art, New York, Dover Publications Inc., 1972, p.56).
77Ce monument sis au lot de Valère Côté fut l'objet d'un récent nettoyage.
78Ces deux monuments se trouvent dans la section centrale des fosses à part.
79l_a pleureuse fut également l'objet de diverses expressions artistiques et plus particulièrement à
l'époque victorienne. Des "mourning pictures" figurent, en effet, sur des lithographies, costumes,
broderies et bijoux qui sont autant de manières de personnaliser le culte de la mémoire: Martha V.
Pike et Janice Gray Armstrong, A Time to Mourn Expressions of Grief in Nineteenth Century
America, New York, The Museums at Stony Brook, 1980,192 p. Selon Philippe Ariès, ces objets,
"jouent l'un des rôles du tombeau, le rôle de mémorial: une sorte de petit tombeau portatif, adapté à
la mobilité américaine": Essais sur l'histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Paris,
Seuil, 1975, p.59.
80C'est le cas avec la pleureuse illustrée sur une carte mortuaire (Annexe D). Rappelons que le
logotype apposé sur les contrats du fabricant J .A. Bélanger de Québec montrait une pleureuse
assise sur un socle. Enfin, des pleureuses ornaient certains corbillards (John R. Porter et J.
Bélisle, op. cit., p.274).
81 Michel Vovelle, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, p.50.
87
Au sein des représentations de la femme, semblent faire exception quelques
pierres tombales où les traits de la défunte sont rendus avec fidélité, comme
sur la stèle de Lucienne Gauvin sise au nord de l'avenue Belmont (fig.99)82.
De même, sur l'avenue Notre-Dame, la stèle de Paul Genest est ornée d'un
médaillon en marbre présentant vraisemblablement le portrait de son épouse
(fig.100).
Alors qu'il est rare de voir les traits de la femme sculptés dans la pierre, il est
fréquent de retrouver l'effigie réaliste du défunt, celle-ci apparaissant dans la
partie haute des stèles. Cette forme d'expression correspond bien sûr à une
forme d'héroïsation, encore qu'elle n'ait pas atteint l'ampleur de la
82Elle est l'épouse de Stanislas Gilbert. Le relief est signé par R. Gilbert. Cette pierre tombale
fut érigée dans la section "C" des fosses à part.
830ctave Crémazie, op. cit., p.420: Promenade des trois morts, versets 533-540: propos du ver
de terre, dévoreur de chair, qui se désigne comme le roi et le maître face à la condition du mort.
84En effet, les portraits en pied ne sont pas légion dans nos cimetières. Il existe certains cas
isolés, tel cet "artisan tailleur de pierre [du Comté du Lac Saint-Jean qui] s'est représenté lui-
même dans les vêtements de travail": Bernard Genest, "Réflexion méthodologique sur un
corpus d'objets funéraires", Religion populaire. Religion de clercs?, Québec, IQRC, 1984, ill.
p.363.
88
grande gloire88. Ce portrait moral est complété par l'étalement de ses vertus
condensé dans une inscription latine, "Vir probus", qui se traduit ainsi: [Il fut
Dans notre corpus, la figure de l'enfant tient une place fort modeste puisqu'on
lui préfère généralement la forme idéalisée de l'angelot89. Au Belmont, sur le
850n ne distingue aucune épitaphe désignant son statut professionnel (voir fig.42A/B).
86Alors que le médaillon de G.-É. Tanguay fut exécuté par Émile Côté, ceux de Cyrille Duquet (daté
de 1923) et de Joseph Vézina (fondu à Paris en 1927) sont dus à Georges Henry Duquet.
87Comme déjà signalé, les monuments des écrivains François-Xavier Garneau et Faucher de
Saint-Maurice furent aussi l'objet d'une souscription publique.
88L'épitaphe indique qu'il fut premier ministre du Québec de 1897-1900.
89Au cimetière Saint-Joachim (lot de Cyrias Goulet; vers 1950), un garçonnet à genoux joignant
ses mains, se trouve à la limite de la figuration de Yange adorateur. Spécifions ici que nous
avons repéré au moins deux autres thèmes avec représentation d'un enfant: le bambin sur sa
couche et Ventant à la tête de mort tenant une torche renversée. Ce dernier, cas unique, figure
sur le lot de Charles V.M. Temple au cimetière Mount Hermon de Sillery et il représente un
Génie de la mort. Guy De Tervarent, op. cit., p.374-375.
89
un socle (fig. 104) sans que l'on puisse percevoir l'intention réelle des
commanditaires, ni en saisir la signification. Y voir là la projection d'un rêve -
Ce thème vient boucler notre tour d'horizon sur la sculpture historiée. Nous
avons pu constater qu'au sacré comme au profane, les valeurs évoquées par
les représentations oscillent entre le pathétisme et la sérénité ou la
compassion et la douceur. Tantôt, des images pieuses contribuent à
apprivoiser la mort tout en reflétant l'appartenance religieuse des personnes
défuntes. Tantôt, les sujets réels dont l'oeuvre terrestre est symboliquement
révélée côtoient les figures idéalisées, opposant ainsi une vision exaltante de
la mort à une autre qui est plus romantique.
d'identification telles que nom, prénom, dates et état civil. Les épitaphes
solidité du lien affectif. Ils sont morts ensemble et pour peu, ils avaient le
Dr Florant Bernier
décédé le 7 octobre 1951 à 49 ans
son épouse
Marie-Anne Landry
décédée le 7 octobre 1951 à 50 ans
Jacqueline Morin
décédée à Berne le 28 octobre 1966
épouse de
René Garneau Ambassadeur du Canada
décédé à Montréal le 25 octobre 1983
3Cette croix celtique érigée vers 1877 fut récemment nettoyée (photo: oct.1991), peut-être lors
de l'inhumation de Jean-Paul Campeau en 1990 alors que le dernier décès remontait à 1963.
L'épitaphe quasi illisible en 1981 fut aussi repeinte.
^Toutefois, une seule des neuf inscriptions porte cette information.
93
encore la vie !"5. Le syntagme "Ci-gît" connaît peu de faveur, mais il persiste
Le "Ici repose", un peu plus fréquent, fut utilisé surtout au XIXe siècle6. Il
cette mort actualisée devient assez étrange, lorsqu'on évoque les conditions
mortelles du corps:
Sacred
to the memory of
Thomas Pope, advocate,
who died
on the 29th june 1863
while filling for third consecutive
year the office of mayor of Quebec;
aged 37 years
William Sharpies
born June 15, 1861
died September, 1929
"in the presence is fulness of joy"
[dans la plénitude de la joie]8
1907-G.Wilfrid Corriveau-
époux de
1912-Fernande Fortin-10
8Cette petite stèle fut érigée sur le lot familial de Charles Sharpies.
9Ce phénomène, amorcé à la toute fin du XIXe siècle, s'est généralisé graduellement par la suite.
On verra toutefois des inscriptions plus récentes s'adapter au style des plus anciennes.
1 °Cette épitaphe a été relevée en 1988. Pour la précédente, voir fig.113 A/B.
95
Raymond 1920-1941
disparu en mer sur S/S Nereus
davantage explicitées:
Odila Doré
1889-1950
épouse de
Joseph Clermont
morte dans l'écrasement
de l'avion pèlerin canadien
sur l'Obiou, Alpes, France
le 13 novembre 1950
au retour d'un pèlerinage
à Rome
Le récit épigraphique est soutenu ici par l'image représentant une Notre-Dame
de la Salette en pleureuse11.
Le jeune soldat, mort en fonction, est perçu comme un héros. Sur l'obélisque
la mère:
11 Voir fig.81.
96
A la mémoire de
W.J.J. Martin
mort au champ de bataille en France
le 2 nov. 1916 à l'âge de 19 ans.
Lieutenant Colonel
Édouard A. Lebel
Serv. de santé, F.E.C.
19 janvier 1925
Officier
de la Légion d'honneur
mort pour la patrie
et l'on a droit aussi à une inscription sur le monument de famille:
Si les familles exaltent les mérites de leurs héros, un culte civique leur fut
rendu par l'État. Ainsi, deux monuments aux morts furent-ils érigés sur
12ll s'agit d'une stèle militaire conventionnelle de la Commonwealth War Graves Commission ornée
d'une feuille d'érable.
97
qu'ils ont endurées et aux
blessures qu'ils ont subies
au cours de leur service
militaire, les personnes
ci-honorées ont été inhumées
par le gouvernement du Canada
Elles reposent ailleurs dans ce
cimetière
13Dans les deux cas, de part et d'autre de ces textes, s'empilent les noms des militaires (l'une de
ces stèles est présentée à la fig.19).
14Michel Vovelle, Mourir autrefois. Attitudes collectives devant la mort aux XVIIe et XVIIIe siècle,
Paris, Gallimard-Julliard, 1974, p.57
15De très rares cas ont été repérés entre 1930 et 1950.
98
la Messe de Requiem et aux cérémonies de l'Absoute et de l'enterrement16. Il
Stanislas Picard18, fut inscrit sous un Ecce Homo en médaillon: "Ego sum /
Resurrectio / et vita" [Je suis la Résurrection et la Vie]. Il s'agit d'un extrait de
l'Évangile selon Saint-Jean (XI, 25) relatant la résurrection de Lazare inclus à
l’Ancien Testament faisant partie du Chant des montées20: "Du fond / des /
abîmes / j'ai crié vers vous Seigneur, / Seigneur / écoutez / ma voix". Cet
16Pères bénédictins du Mont César, La liturgie des défunts, Louvain, Ed. du Mont César, 1946, p.
55 et 72.
17La date figurant à l'épitaphe de ce monument en pierre calcaire est 1852 ou 1862? (en 1852, le
cimetière n'était pas inauguré: il s'agirait d'un transfert).
18Dans ce dernier cas, le premier décès remonte à 1951 (fig.69a). Elles sont respectivement
érigées dans l'ancienne et nouvelle partie du cimetière.
19Pères bénédictins du Mont César, op.cit., p. 32 et 69.
20"On pense qu'il s'agit des psaumes chantés par les pèlerins qui montaient à Jérusalem": La Bible.
Ancien Testament 2, Paris, Le Livre de Poche, 1979, p.154; voir p.160 pour l'extrait du psaume.
99
exaudi vocem meam"- alors que sur le côté nord figure un autre verset du
même psaume: "Sustinuit anima mea in Verbo ejus" [Mon âme a été soutenue
nord, figure l'extrait précédent du Te deum et il fait suite à une autre citation:
"Imminet et tacito clam, / Venit illa pede" [Elle nous domine et de plus, en
silence, à notre insu, / elle approche sur la pointe des pieds]25. A l'est, on a
gravé: "Sit tibi terra levis" [Cue la terre te soit légère]26. Sur le côté sud, fut
On a inscrit sur la face ouest "Lux perpetua luceat eis!" [Que la lumière
éternelle luise sur eux!] qui est en fait, la suite du refrain "Requiem aeternam,
citation extraite cette fois du livre de Job31: "Ayez pitié, ayez pitié / de moi vous
du moins / mes amis. Job, XIX, 21 "32.
27Cet hymne remonte au XIIIe siècle et fut composé par Thomas de Célano "pour servir de prose au
dernier dimanche après la Pentecôte": Abbé Félix Perdrizet, La Messe des Morts, Avignon, Maison
Aubanel Frères, 1929, p.19-20: verset à la p.54.
28Abbé Félix Perdrizet, op.cit., p.2.
29La référence indique REV. pour Révélation qui est le sens figuré du mot Apocalypse, "simple
transcription du terme grec": Le Nouveau Testament, Paris, Siloê, 1974, p.506 et ledit extrait figure
à la p.524.
30Ce verset figure à l'Épitre de la messe dite "quotidienne" des défunts, à l'Office des morts et à la
messe célébrée le 2 novembre, jour de commémoraison des fidèles défunts: Pères bénédictins du
Mont César, op.cit., p.81, 95 et 194.
31 "Le Livre de Job est un long poème sous forme de dialogue entre Job et ses amis. [Il veut] savoir
si un homme peut être fidèle à Dieu pour rien (1,9)": La Bible. Ancien Testament 2, op.cit., p.V (voir
la citation à la p.202).
32Cet extrait est d'ailleurs reproduit à la 3e Leçon de l'Office du 2 novembre: Pères bénédictins du
Mont César, op.cit., p.180.
101
aux Corinthiens: "C'est dans le Christ que tous revivront" (1,Cor.15,22)34 tandis
que sur l'écran sud, figure un cantique religieux: "Je mets mon espoir dans le
Seigneur".
se trouvant sur la base: "Je chanterai vos louanges / Mon Seigneur et mon
Dieu".
Ailleurs, on intercède auprès de Dieu par une invitation à la prière. C'est ainsi
qu'abondent les formules stéréotypées "Priez pour nous", "Priez pour elle-s" et
passant. On anticipe aussi sur la vie future plutôt que sur celle qui vient de
passer. C'est le cas avec l'obélisque de la famille de Prime Béland36:
33Sur la face ouest de l'écran sud, fut gravé un extrait de l'Apocalypse de Saint-Jean (XIV, 13) déjà
présenté: "Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur".
G^Voir fig. 46. Précisons que ce passage figure au dernier verset de l'Épitre lue à la 7e leçon du llle
Nocturne de l'Office du 2 novembre: Pères bénédictins du Mont César, op.cit., p.186. Du côté est
du piédestal, on a gravé le nom de Saint J.-B. de la Salle, fondateur de l'Institut
35Cet extrait (Saint Luc, 1,46) est inclus à l'Office des morts: Pères bénédictins du Mont César,
op.cit., p.85/96.
36ll s'agit d'un des rares monuments où l'année d'érection (1884) apparaît sur la face principale. Il
fut exécuté par un fabricant local: J.A. Bélanger de Québec.
102
"A la mémoire
de Sieur
Prime Béland,
entrepreneur,
décédé le 6 mai 1886
à l'âge de 66 1/4 ans
et de son épouse
Marguerite Darveau
décédée le 7 mars 1897,
à l'âge de 75 ans
Priez pour eux.
consigne et au FU.P.:
Priez
pour le repos de l'âme
de
Dme Mary Tourangeau
épouse de
F.X. Langevin Ecr
décédée le 30 juin 1888
à l'âge de 66 ans et 6 mois
R.I.P.
A la mémoire de
F.X. Langevin
écuier avocat
103
décédé le 9 janvier 1890
à l'âge de 78 ans et 10 mois
R.I.P.
Sa seconde épouse
Dme Sarah Blouin
décédée le 3 septembre 1895
à l'âge de 61 ans
Helen Lady Horsley Baillargé Bacon
décédée le 17 février 1930
Jésus / je crois à votre amour / pour moi" fut gravé sur la croix surmontant le
tombeau d'Alfred Tanguay alors que le motif d'un coeur ardent saignant
priez pour nous" apparaît sur la base du pilier surmonté d'une statue de ce
37Ce monument se trouvait dans la section D des fosses à part, au nord du site, à l'hiver 1981. À
l'automne suivant, il ne restait que le socle.
104
saint, lequel fut érigé sur le lot de Jules Rochette. Enfin, la dévotion à la sainte
Famille se traduit par une invocation abrégée figurant sur le monument de
La mort défie le temps pour exprimer la vie. Encore une fois, la métaphore
permet de vaincre l'abîme. "Mourir c'est vivre" fut gravé au haut de la stèle
d'Eudore Papillon, à l'occasion de la mort de son fils décédé au début de la
trentaine. Les parents continuèrent de veiller sur lui38. Cette inscription
surmontée d'une croix peut être interprétée comme une ancienne "image
chrétienne de la naissance nouvelle, du dies natalid'39.
purification que doit traverser l'âme du défunt pour entrer dans la lumière
38Le nom du père fut gravé en même temps que celui de Jean-François (1921-1953) (le père est
décédé en 1990, mais comme nous avions pu l'observer en 1986, sa date de naissance et son nom
figuraient déjà).
39Pierre Boglioni, "La scène de la mort dans les premières hagiographies latines", Essais sur la
mort, Montréal, Fides, 1985, p.281.
40Toute la liturgie des défunts célèbre d'ailleurs cette vertu christique. Les funérailles chrétiennes,
Strasbourg, Éd. de la Cathédrale, 1961, p.4.
41 Ernestine Trudel, son épouse, fut inhumée avant lui en 1952.
105
L'espérance dans un au-delà est aussi invoquée par des devises spirituelles
ou "moralités"43. Le tombeau de la communauté des Religieux de Saint-
tandis que sur la stèle du notaire Paul Samson (vers 1968), de part et d'autre
du motif central de la croix, on a inséré ces deux inscriptions: "J'ai cru" "Je
vois"44. Par ailleurs, on réclame la béatitude éternelle promise au Jugement
dernier sur la stèle du musicien Ernest Gagnon (1834-1915) où fut gravé "Per
crucem ad lucem" [Vers la lumière par la croix] et sur celle de François
Dumouchel où fut inscrit "Surget in gloria" [Qu'il se lève dans la gloire] au-
dessus des symboles eucharistiques jumelés à l'Alpha et à l'Oméga (fig.111).
Gloire temporelle ou celle qui donne accès à l'éternité bienheureuse ?
42Elle s'inspire d'un extrait de l'Évangile selon Saint-Jean (1,14) évoquant le mystère de
l'Incarnation: "Et le Verbe est devenu chair, et il a séjourné parmi nous": Le Nouveau Testament,
op.cit., p.213. Cet Évangile est lu à la fin de la messe des funérailles: Pères bénédictins du Mont
César, op.cit., p.58-59.
^Catherine Rosenbaum-Dondaine, L'image de piété en France 1814-1914, Musée-Galerie de la
Seita, 1984, p.194. Au lexique, ce terme est défini comme suit: "Image, avec ou sans figuration,
illustrant une devise ou une sentence pieuse ou morale" alors que le mot emblème, tel que nous
l'utilisons à la page précédente, désigne une "Représentation sous forme allégorique de vérités à
croire".
^Cette expression de la foi rappelle étrangement un passage de l'Évangile selon Saint Jean (XX,
29) relatant l'épisode où Jésus apparaît aux disciples en présence de Thomas et lui dit: "Parce que
tu m'as vu, tu as cru; heureux ceux qui croient sans voir!". Le Nouveau Testament, op.cit., p.258.
106
sans retard et sans détour, le social s'approprie le symbolique pour
mieux l’orienter.
Nycole Faquin45.
se maintenir avec une légère baisse entre 1900 et 1920. Entre 1930 et 1950,
"À la mémoire de" tend à persister pour s'éclipser, comme le "R.I.P", à partir du
milieu du XXe siècle47. Lorsqu'il est question d'évoquer la mort réelle, tous
(ou presque) se ressemblent. Mais, lorsqu'il s'agit de se souvenir, des
démarcations apparaissent.
45Nycole Faquin, L'art funéraire ou la mort apprivoisée", Continuité, no 26, hiver 1985, p.44.
46En voici quelques variantes: en français "À la douce mémoire de" et "En mémoire de"; en anglais
"Sacred to the memory of" (Thomas Pope 1825-1863) et "In memory of (Harold H. Nowlan); en latin
"In memoriam" (Jean Docile Brousseau, 1825-1908) et "Memento" (Ferdinand Roy, 1873-1948,
père du Cardinal Roy).
47Comme nous avons pu le constater, (espaces restés libres), ces deux libellés étaient gravés au
même moment: "À la mémoire de" à la tête et le "R.I.P." au bas.
107
Autre curieux paradoxe dans cet univers du post-mortem: l'enfant est l'objet
de traitements extrêmes. De l'idéalisation48, il peut passer à l'oubli total,
notamment lorsqu'il s'agit d'enfants morts en bas âge alors inhumés dans la
l'en-tête:
A. Marie Fernande
1899-1902
Jos. L. René
1909-1910
Marie J .A. Mariette
1901-17
Maurice L.
1903-20
[sur la base]
Alfred T. Tanguay
1870-1929 [etc.]
Alors qu'on verra le notable assumer lui-même (ou sa famille) son immortalité
quelquefois endossée par des amis, comme en fait foi la stèle du fondateur de
Ci-gît
Le Lieut. Colonel L.T. Susor A.A.G.M.B.C.
480n verra plus loin le cas d'un enfant ayant eu droit à des soins exclusifs.
49C'est vraisemblablement le cas avec l'exemple précédent.
108
né le 21 août 1834-décédé le 18 août 1866
R.I.P.
Sa mémoire fait
notre orgueil
Ses amis
citation d'une de ses pensées comme dans le cas de l'homme politique Jean-
Guy Cardinal (1925-1979): "Là où existe une volonté, / existe un chemin".
...de l'artiste-peintre
Le peintre a droit au simple hommage. Sur la stèle d'Edmond Lemoine se
A la mémoire de
Edmond Le Moine
artiste-peintre
décédé le 9 janv. 1922
à l'âge de 44 ans
son épouse Hortense Charlebois
1884-1969
R.I.P.
Théophile Hamel, pour sa part, a son nom gravé sur le monument familial
(fig.112). En outre, il a eu droit à une petite plaque au sol, avec une autre fois
50Voir iig.50. Cette maxime en rappelle une autre bien connue: "Le temps passe; le souvenir
demeure". Notons que l'épitaphe de René Lévesque (1922-1987) inhumé au cimetière Saint-
Michel de Sillery est exclusive: "La première page de la vraie belle/histoire du Québec vient de se
terminer.../Dorénavant, il fait partie de la courte liste/des libérateurs du peuple'VFélix Leclerc/2
novembre 1987.
51 La stèle est de facture récente mais la plaque est ancienne.
109
indice: P.[Philippe] Huot. Aucun titre, aucune date. L'accent est mis sur
dont la cloison dissimule l'écriture, le mutisme n'a pas la même portée. Ici,
c'est l'architecture qui se charge du message; le texte deviendrait alors une
sur-charge. Au mausolée d'Alexandre Chauveau le passé s'édifie
A la mémoire de
l'Honorable Alexandre Chauveau
[face ouest]
A
la mémoire de
Pierre Carneau
ancien ministre et conseiller législatif
de la Province de Québec
officier de l'Ordre de Léopold de Belgique
et de l'Instruction publique de France
né à Cap-Santé le 8 mai 1823,
décédé à Québec le 23 juin 1905
Charlotte Cecile Burroughs
épouse bien-aimée de
Pierre Carneau
décédée le 12 septembre 1887
à l'âge de 60 ans et 3 mois
R.I.P.
[face nord]
L'Honorable
Édouard B. Carneau
Membre du Conseil législatif
de la Province de Québec
décédé le 18 août 1911
Charles Joseph
Magnan
Président général
de la Société de Saint-Vincent-de-Paul
au Canada
Commandeur de l'Ordre
de St-Grégoire-le-Grand
Membre de la Société
royale du Canada
Ex-inspecteur général
des Écoles normales
de la province de Québec
rappelé à Dieu
le 2 juin 1942
à l'âge de 76 ans et 6 mois
Dame
Isabelle Tardivel
épouse de C.J. Magnan
décédée le 7 septembre 1961
à l'âge de 86 ans et 6 mois
En contrepoint, sur la face nord du monument de G.J. Ernest Côté, les signes
l'épouse:
A la mémoire de
son Excellence
le Lieutenant
G.J. Ernest Côté
Chevalier Grand Croix
de l'ordre
112
équestre du St-Sépulcre
commandeur de l'ordre de
St-Grégoire le Grand
1er août 1883-19 mars 1949
époux de
Marie-Louise Grenier
Noble Dame
de l'ordre équestre du St-Sépulcre
Chevalière Grand'Croix
3 oct 1883-5 oct 1959
Lady Routhier
née Mondelet
6 juillet 1917
Sir Adolphe B. Routhier
Juge en chef de la
Cour supérieure de Québec
décédé le 27 juin 1920
Opera illorum servantur illis
[Que leurs oeuvres soient conservées pour les autres]
a gravé:
56Cas unique où les patronymes de l'époux et de l'épouse figurent sur le socle (Lachance
Routhier), endroit où apparaît le nom du propriétaire du lot.
57 Le passage poétique final est reporté plus loin.
58Proverbes, XXXI, 20. La Bible. Ancien Testament 2,1979, p.280.
59Ibid., p.v.
114
Memento des morts60. L'épouse est valorisée par ses vertus tandis que
l'époux se distingue par sa dénomination professionnelle. Sur la face
française (comme elle), elle n'a pas eu droit au même traitement de la part de
A la mémoire
de
Antonin Dessane
artiste musicien
décédé
le 8 juin 1873
et de son épouse
M.C. Irma Trunel
décédée
le 25 juillet 1899
mêlent à l'éloge des vertus. Celles-ci s'étalent sur la plaque de bronze offerte
par ses amis dont les noms apparaissent de part et d'autre de deux symboles:
un cahier et une crosse affichant le numéro qu'il portait dans son équipe
(fig.113 A/B):
Guillaume,
C'est dans le sport, les études, le travail ainsi que dans plusieurs /
autres moments que nous t'avons connu. Là, nous avons su
admirer / ton courage, ta simplicité, ta jovialité ainsi que ton
honnêteté. / Nous, tes meilleurs (es) amis (es), t'offrons cette plaque
en guise / de notre très grande reconnaissance
[liste de 22 noms]
Guillaume, tu représentes pour nous tous un exemple inoubliable.
62 Voir fig.54. Selon M. André Donaldson, à la mort de son père, en 1962, Gabrielle avait déjà pris la
décision qu'il n'y aurait qu'un seul nom de gravé.
116
A bientôt
...du prêtre
Pour l'ecclésial, les "vertus du passage"63 se déploient:
Il a été compatissant
et vraiment prêtre
du très haut
chanoine
Jean Bergeron
prêtre
1868-1956
Le prêtre est le chef de file et ses oeuvres prennent l'en-tête sur la stèle des
63L'expression est empruntée à Gabriel Ringlet, Ces chers disparus, Paris, Albin Michel, 1992,
p.79.
117
mère64:
In memory of
Cecile Josephine Tessier
born 1898-died jan. 27th 1953
beloved wife of
Harold H. Nowlan
Her devotion ever remembered
Her memory forever cherished
Elizabeth Ann-infant daughter-died 1934
Sur l'épitaphe assignée à la cantatrice Lucile Angers Delage, la défunte
...de l'enfant
Curieusement, l'enfant est souvent délaissé au champ des morts. Sur le
tombeau de famille, il n'a généralement droit qu'au nom, parfois à l'âge et aux
dates. Il n'en est pas moins aimé pour autant, mais on le dit rarement. Le
^Voir fig.111.
65Voir fig.48. Le début de cette inscription est cité précédemment.
118
A
la mémoire de
C.A. Joseph Édouard
enfant bien-aimé de
C. Fitzpatrick Ecr. C.R.
décédé le 8 décembre 1888
à l'âge de deux ans et deux mois
Parfois on inscrit le nom du bambin sur un bloc individuel, près de la pierre
tombale des parents. Mais la mort demeure rationnelle puisqu'on n'y précise
Douleureux souvenir
de notre fils bien aimé
Georges Downes
B rousseau Ingénieur forestier
1899-193367
Le sentiment verbalisé par le père à l'égard de ses enfants peut être empreint
d'une connotation mystique, comme sur le lot de Jean-Baptiste Deschamps où
fut inscrit sur la contremarche d'un gradin:
...de la parentèle
qu'un pas. Lorsque s'étalent les lignées familiales reconstituant les diverses
66Voir fig.60. Il n'y a pas d'autres tombeaux sur ce lot de Charles Fitzpatrick.
67ll s'agit du tombeau de Jean-Docile Brousseau (voir fig.32).
119
Lucie-Anne Hullett
épouse de
L'Honorable Joseph N. Bossé J.C.S.
née le 23 avril 1813
décédée le 23 décembre 1878
Elle continue au ciel l'oeuvre qu'elle
a commencé sur la terre
[sur la base]
Marguerite Parant
décédée le 17 mai 1961
à l'âge de 67 ans
épouse de
Henri Georges Bossé
[face nord-ouest]
L'Hon. Joseph Noël Bossé
Juge de la Cour Supérieure
de cette province
Né au Cap St-lgnace
le 25 décembre 1807
décédé à Québec
le 24 septembre 1881
Nous vénérons la mémoire du chrétien
et du bon citoyen
[sur la base]
Marie Adéline
âgée de 8 mois décédée le 25 juillet 1875
[face sud-est]
Dme Marie Amélie
D'Irumberry de Salaberry
épouse de
L'Hon. Jos. Guillaume Bossé J.C.B.R.
décédée le 15 juillet 1898
à l'âge de 49 ans
L'Hon. Jos. Guillaume Bossé
Juge de la Cour d'Appel
décédé le 7 septembre 1908
à l'âge de 72 ans
Sacré Coeur de Jésus ayez pitié de nous
120
[face nord]
Charles Lucien Bossé
Capitaine au 65me Bataillon
décédé le 22 juin 1891
âgé de 46 ans
Marie Joseph
Charles Bossé
né le 25 février 1882
décédé le 26 juin 1896,
Magnificat Anima Mea Dominum
[sur la base]
Jehanne [sic] Adèle
âgée de 22 ans 5 mois 1902
Je chanterai vos louanges
Mon Seigneur et Mon Dieu
Kathleen Francis O'Meara
épouse de Henri Charles Bossé
décédée le 17 juillet 1906 à l'âge de 59 ans
Priez pour elle
Edouard J. Langevin
Ancien greffier du Sénat
décédé à Québec le 2 décembre 1916
à 83 ans 2 mois
R.I.P.
A
la mémoire de
Charlotte Elizabeth Armstrong,
épouse bien-aimée
de
A la mémoire
de leurs chers
petits enfants
Raoul
Ella
Louis et
Louise
A la mémoire de
Madame A.R. McDonald
née Marie Langevin
décédée à Québec le 13 octobre 1916
à l'âge de 74 ans
R.I.P.
Hector Ls. Laforce Langevin
ingénieur civil
décédé le 19 mai 1897,
à l'âge de 36 ans
Dame veuve F.M. Derome,
née Malvina Langevin,
décédée le 23 avril 1904,
Priez pour elle.
A la mémoire de
Caroline Odine Edmond Rouer Charles-Edouard et Lea;
enfants de l'honorable Sir Hector L. Langevin
122
LANGEVIN [au bas]69
stèle et une plaque au sol tandis que vingt-et-un décès sont consignés sur les
deux monuments du lot appartenant à Elzéar Vincent70. Enfin, on dénombre
vingt-trois décès, incluant une liste de six enfants morts en bas âge, sur le
69Ce lot appartient à l'Honorable Sir Hector Louis Langevin même si celui-ci fut inhumé "dans la
crypte de la chapelle de l'hôpital Hôtel-Dieu-du-Précieux-Sang le 15 juin 1906". RPQ, Québec, A.N
Q-, 1980, p.324.
70Tous deux se trouvent sur l'avenue des Amaranthes dans l'ancienne partie du cimetière et le
deuxième occupe une section du carrefour central. Le pilier surmonté d'une croix érigé sur
l'avenue du Saint-Rosaire, où sont regroupées les deux familles de Louis et de Joseph Côté,
totalisent aussi 21 décès.
71 Une épigraphe indique la date d'érection: 1860. Il se dresse sur l'avenue du Cimetière, au sud-
est (voir fig.36). Trois autres noms figurent sur une plaque.
72Le tombeau d'Edward, père de John Henry Ross Burroughs, tous deux protonaires et avocats se
trouve sur l'avenue de la Forêt, à l'est du cimetière.
le 30 janvier 1921
à l'âge de 68 ans
Honorable L. Arthur Cannon
juge à la Cour suprême du Canada
décédé à Ottawa
le 25 décembre 1939
à l'âge de 62 ans
R.I.P.
son épouse
Corinne Fitzpatrick
décédée à Québec le 12 mai 1970
à l'âge de 89 ans
[face nord]
Edward L. Cannon
born September 17, 1906
died july 30, 1956
Michelle
enfant de Alexandre F. Cannon
déc. le 4 sept. 1959, à l'âge de 10 ans
Maud Cannon
décédée le 15 avril 1962
à l'âge de 78 ans, 11 mois
Robert Cannon C.R.
décédé le 9 juin 1970
à l'âge de 69 ans
Lt. Col. Alexandre F. Cannon
décédé le 29 novembre 1972
à l'âge de 64 ans
son épouse
Atala Coulombe
décédée le 8 mars 1985
à l'âge de 77ans
[face sud]
Anita Béatrice
enfant de LJ. Cannon
décédée le 17 janvier 1893
à l'âge de 19 mois
Lionel Cannon
notaire
décédé à Québec
le 9 octobre 1918
à l'âge de 33 ans
Edith Cannon
décédée à Québec
le 25 juillet 1935
à l'âge de 56 ans
Honorable Lucien G. Cannon C.P.
juge de la Cour supérieure
124
décédé à Québec
le 14 février 1950
à l'âge de 63 ans
R.I.P.
Honorable Charles Cannon
juge de la Cour supérieure
1905-1976
son épouse
Jeanne La Rue
décédée le 30 septembre 1980
73C'est aussi le cas avec le mausolée dont la structure imitant une maison évoque l'image de la
perpétuation familiale.
74Jean-Didier Urbain, op.cit., p.367.
75henri Lefebvre, "Éléments d'une théorie de l'objet", Opus international, no 10/11, avril 1969,
p.22.
76Pour le dernier nom, le style change, le "scribe" aussi, puisque Henri Gagnon était décédé au
moment de l'inscription du décès de sa seconde épouse.
77Jean-Didier Urbain, op.cit., p.222.
125
Clémentine Lévesque 1841-1926 Ma mère
Berthe Guay 1883-1920 Ma femme
Henriette Gagnon 1915-1932 Ma fille
780n y compte plus de 70 inscriptions. Les dates varient entre 1897-1923; trois autres entre 1947-
1965. Curieusement, sur le socle récemment poncé, se détachent deux noms d'enfants morts en
bas-âge: Francis Lafond-Mongrain / décédé le 3 juillet 1990 / à l'âge de 33 jrs / Emilie Labrecque /
16 mai 1991 à 11 jours.
79Les inhumations sont datées de 1907 à 1976 avec deux autres en 1983 (fig.78).
80Guy Lapointe, "La mort une question intenable?" in Essais sur la mort, Montréal, Fides, 1985,
p.17.
126
qui se dressent sur chacun des lots où sur de longues listes, les noms des
personnes défuntes s'alignent depuis la fin du XIXe siècle ne laissant aucune
...des madeleines
A l'époque, quand on était une fille-mère, on devait vivre dans l'ombre. Que
veille:
A la mémoire
des
madeleines
du Bon Pasteur
décédées depuis
l'an 1915
...des démunis
Les moins nantis, ayant droit à une concession temporaire dans la section des
fosses à part, pouvaient tout de même y laisser une modeste tombe avec un
texte gravé:
A la douce mémoire
de
127
Dame Amanda Ouellet
épouse de
Georges Gingras
décédée le 7 janvier
1907
à l'âge de 35 ans trois mois
1907 Cécile Landry 1976
épouse de
Roméo Gingras81
En fait, qu'il s'agisse d'une petite stèle ou d'un édicule monumental, il n'y a
pas de différence au niveau de la fonction objective qui est celle
passants. Et que dire des plus démunis dont la mort est vouée au néant
puisqu'ils n'ont droit qu'à la fosse commune, sans aucun signe à la vue ?
...des exclus
Encore moins accessibles, les traces de la mort des irréguliers réunis au
"Champ du potier", à l'extrême nord-est du cimetière. Ils ne sont autorisés à
aucun indice: pas une seule image, ni une seule écriture. Y aurait-il
81 Elle se trouve au coin nord-est. En outre, elle est ornée d'une pleureuse en bas-relief (fig.98).
82La distinction, on le sait, demeure au niveau subjectif, au niveau des moyens de séduction
symbolique.
128
cette "seconde mort" qui fait disparaître le sujet "dans le désert sémiologique
détache sur un fond de paysage stéréotypé: "J'ai rejoint ceux que j'aimais /
Maintenant j'attends ceux que j'aime". Puis, l'épitaphe s'est fait de plus en
plus brève pour, dans un bon nombre de cas, porter l'ellipse à son suprême
Nous sommes bien loin des textes prolixes gravés sur un grand nombre de
éléments narratifs sont constitués de deux noms suivis des dates extrêmes,
noms que l'on va parfois inscrire avant la mort, dans le cas des
préarrangements funéraires. On ne le dit plus avec des mots. Non plus avec
l'image, si l'on excepte toutefois le monument de la famille Dionne au nord-
uniformes.
devient le support d'un discours et d'un imaginaire qui évoluent dans le temps
au gré des flux et reflux idéologiques d'une société. Immortalisation de l'être
L'épitaphe, comme ce fut le cas pour l'icône, va peu à peu adopter la voie du
silence, un silence de mort. A-t-on voulu sonner le glas de cette rhétorique
CONCLUSION
marque une étape importante dans l'histoire du culte des morts et des
tombeaux. Cette révolution, en partie conditionnée par des impératifs
sanitaires, s'accordait aisément aux idéologies de l'époque tant au point de
vue de l'urbanisme que des valeurs religieuses et sociales respectivement
véhiculées par les autorités ecclésiales et la bourgeoisie montante.
Cette mutation fut longtemps perçue comme un fait d'exclusion à l'égard des
morts. Paradoxalement, la réalité fut toute autre puisque les nécropoles avec
Désormais, tout citoyen (ou presque) pouvait s'approprier son espace dans la
Le cimetière Belmont fut créé dans un tel contexte. Comme plusieurs autres, il
est vite devenu le lieu de la théâtralisation de la mort où l'objet funéraire entre
en scène. Que ce soit par ses qualités architecturales, sculpturales ou
épigraphiques, celui-ci étale ses symboles et ses différences signifiantes. Les
notables se sont non seulement approprié l'espace au sol, mais ils ont mis
l'emphase sur des tombes qui se distinguent par leur richesse et leur
Pour se distinguer, on pouvait aussi rehausser son tombeau par une statuaire
somptueuse qui, tout en s'imposant au regard, mettait l'emphase sur
l'expression déchirante de la Passion ou sur l'image plus apaisante d'une
interrogations.
d'un changement dans les mentalités dans la mesure où l'on n'est peut-être
plus prêt à investir pour perpétuer une belle image de soi au cimetière.
déni de la mort dans la société moderne6. Elle n'est plus vécue comme
auparavant. De familière, elle est devenue impersonnelle, neutralisée: autres
Au fait, que sont devenues les anciennes pratiques qui entretenaient les liens
entre le monde des vivants et le monde des morts ? Qui ne se souvient pas
delà"9 ?
précisément dans les années trente, qu'une profonde crise des valeurs l'avait
menée à la recherche d'un "nouvel ordre"10. Peu à peu, des brèches
s'opérèrent. C'est bien à cette époque que remonte la séparation entre
l'Église et l'État, rupture des plus significatives puisque désormais, on allait
à chaque individu. Même chez les pratiquants, plusieurs optent pour une
religion flexible et individuelle utilisée à bon escient, "une religion à la carte"
réalité sociale, ils ont eu recours à la science et non plus au seul respect de la
doctrine ou de la tradition.
Avec un tel état de fait, le clergé allait perdre de plus en plus son contrôle sur
les aspects de la vie sociale et religieuse. Une dissidence s'est d'ailleurs fait
sentir dans ses propres rangs puisque de plus en plus de laïcs ont contesté le
12Voir à ce sujet l'ouvrage publié en collaboration et sous la direction de Yvon Desrosiers, Religion
et culture au Québec. Figures contemporaines du sacré, Montréal, Fides, 1986,422p. Ces travaux
reprennent le concept du "déplacement du sacré", voie tracée par les Éliade, Bastide, Ellul, Caillois
et Durand. On soulignera ici l'article de Roland Chagnon "Religion, sécularisation et déplacements
du sacré", p.21-51.
13Julien Harvey, "Le Québec, devenu un désert spirituel ?" in La société québécoise après 30 ans
de changements, Québec, IQRC, 1990, p.156.
14Marcel Fournier, "Intellectuels de la modernité et spécialistes de la modernisation", L'avènement
de la modernité..., op.cit., p.233.
15Paul-André Linteau et al., Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930, Montréal,
Boréal, 1986, p.314.
136
du Québec, nous ajouterions, tout au plus, que dans une telle mouvance,
l'éthos16 traditionnel a dû plus d'une fois virer son cap afin d'obéir à un ordre
social et familial. Il n'est plus serré comme autrefois. Il est tout au contraire
éclaté, laissant de plus en plus de place à l'individualisme. Le sens
communautaire est laissé pour compte et la paroisse ne figure plus comme
"pôle de référence du micro-social"17. En fait, c'est toute la culture qui
s'individualise.
mort ne peut être que l'autre face d'une réforme de la vie"18. Mais, en cette fin
de siècle et dans la poursuite d'une révolution demeurée inachevée, il
16Ce concept englobe "l'ensemble des croyances, valeurs, normes et modèles qui orientent le
comportement": Christian Lalive d'Épinay, "Temps et classes sociales" in Temps et société,
Québec, IQRC, 1989, p.224.
17Gary Caldwell, "Identification au microsocial" in La société québécoise en tendances 1960-1990
Québec, IQRC, 1990, p.81.
18Edgar Morin, L'homme et la mort, Paris, Seuil, 1976, p.14.
qui ont démoli nos repères symboliques. Sera-t-il possible alors de
-24 juin 1885: tracé du lot no 97 A.P., sur avenue de la Forêt, acquis par
François-Xavier Lachance, père de Paul, le 20 nov. 1865; signé par Charles
Baillairgé, gérant et contresigné par Peachy.
139
-23 mai 1889: tracé du lot no 422, sur avenue des Amaranthes, appartenant à
Mme veuve Thomas-Étienne Roy; signé par Joseph-Ferdinand Peachy,
gérant du cimetière [architecte].
-5 octobre 1943: tracé du lot no 1479 A.P., au nord-est de l'avenue Saint-
Jean-Baptiste appartenant au Docteur Joseph Gilbert; signé par Henri Bolduc,
gardien.
Note: Ces marchés ont été répertoriés par Sylvie Thivierge et figurent dans
son document inédit intitulé: Inventaire des marchés de construction des actes
notariés de la ville de Québec 1900-1920.
Fonds Gérard Morisset: Inventaire des biens culturels, MAC (actuel ministère
de la Culture), dossier: Québec, Cimetière Belmont.
Catalogues
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Granite Association/Barre Chamber of Commerce, n.d., n.p.
Vermont Marble Company, Proctor, Vermont, Vermont Marble Co, n.d., n.p.
[avec modèles et prix].
Journaux
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"Cimetiere des Picotees [sic]", The Quebec Gazette, nov., 11 th, 1857, [p.2].
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206
ANNEXES
Annexe A - Modèles de sculptures offerts sur photographies / Vico Dolfi,
marbrier exportateur, Carrare, Italie (coll. de l'auteure: photos d'anges à partir
des originaux de Delisle Monuments; autre photo: don de M. Roger Delisle).
208
THE. R05EL
The quelm of flowers, â unvcr^al favoritl.
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F.OWIR IM DECORATIVE. ART BEAUTY AMD*
PERFDMF. COMMEMD IT TO ALL.
5YMBOU5M. Love.
Note: Quelques noms ont été omis, entre autres, les personnes citées dans la
liste des figures mais dont le nom ne revient pas dans le texte (seulement le no
de la fig.). De même, nous n'avons pas inscrit tous les noms apparaissant sur
une même épitaphe.