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L'approche juridique du navire

Jean Zoa Zoa


Qui aurait su que le navire, cet engin marin dont la magnificence active les curiosités cache en
réalité une complexité étonnante ?
Il n’existe aucune définition universelle du navire, on assiste plutôt à de multiples définitions
répondant chacune à des situations juridiques bien précises. En droit togolais, le navire est défini
à l’article 42 du Code togolais de la marine marchande comme « tout engin flottant qui effectue,
à titre principal, une navigation maritime ». Pour sa part, l’article L.5000-2 du Code des
transports français, le défini comme « Tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation
maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci » et « Les engins flottants
construits et équipés pour la navigation maritime, affectés à des services publics à caractère
administratif ou industriel et commercial. »
Cependant, la doctrine et la jurisprudence n’ont pas attendu ce texte pour s’accorder sur
l’exigence de trois critères cumulatifs de qualification du navire. Il faut d’abord que l’engin en
cause soit capable de flotter, que ce soit en surface ou sous l’eau1. Il faut ensuite que l’engin
soit doté d’un moyen de propulsion lui permettant de se déplacer sans recours à une force
motrice extérieure (moteurs, voiles, rames…). Ainsi, ne sont donc pas des navires les engins
inertes qui ont besoin d’être remorqués, tels que les plateformes pétrolières ou les quais
flottants. Et enfin, pour être qualifié de navire, l’engin doit être apte à affronter les dangers de
la mer et, en principe, à en triompher. Le cumul de ces trois conditions aboutit à la conception
suivante du navire : le navire est un engin flottant, doté d’un moyen autonome de propulsion,
et conçu pour affronter les dangers de la mer.
En outre, sa particularité est telle qu’il se trouve sous l’emprise d’un régime dérogatoire de droit
commun qui le situe à cheval entre meuble, immeuble ou personne, de sorte que ce « monstre
marin »[1] apparait ici comme un véritable monstre juridique se contentant de dévorer ça et là
des caractéristiques éparses renvoyant à diverses institutions juridiques.
De cela, il convient de tenter de comprendre ce qui fait l’originalité du régime du navire
(paragraphe I), même s’il s’agit d’un régime qui à certains égards se révèle paradoxal
(paragraphe II).
I. Un bien au régime assez original
L’originalité du navire entendu comme assiette des sûretés tient principalement aux éléments
entrant dans son champ de définition (A) ; dans la même perspective, cette originalité se trouve
également mise en évidence par le statut du navire qui apparait ici non pas comme un simple
meuble, mais plutôt sous la forme d’un meuble individualisé (B).
A. L’originalité de la définition du navire
Parlant du navire, René Rodière disait de lui qu’il est « un engin flottant, de nature mobilière,
destiné à une navigation qui l’expose habituellement aux risques de la mer »[2] . Cette définition
riche de sens, commande que l’on se réfère à deux ordres de critères qui lui donnent tout son
sens. Il s’agira donc tout d’abord des critères dits relatifs (1), et ensuite du critère pertinent de
navigabilité maritime(2).

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1-La prise en compte de la relativité de certains critères
De prime abord, l’abordage est très souvent perçu sous l’angle d’un évènement de mer résultant
d’une collision entre navires ou bateaux, peu importe le régime ou la nature des eaux.[3] Deux
engins ne pouvant entrer en collision que s’ils sont en mouvement, on comprend aisément que
critère retenu ici est celui de la flottabilité. Si l’on y va de ce pas, il faut s’accorder avec le
législateur français de 1967 à définir le navire comme étant « tous engins flottants, à l’exception
de ceux qui sont amarrés à poste fixe »[4].
Dans le même ordre d’idées la convention SOLAS[5] offre une autre dimension de la définition
du navire en introduisant le critère de l’aptitude à affronter les périls de la mer. Ce critère est
présent en droit Anglo-Saxon au travers du concept de la « seaworthiness »[6]. Sous cette grille
d’analyse, se trouveront donc exclus du champ de définition de la notion de navire, les jets-skis
et autres planches à voile, dans la seule mesure où ces engins ne sont utilisés qu’à but récréatif.
2-Le critère de navigation maritime
Ce critère constitue un complément indispensable de la définition du navire dans la mesure où
il permet de tenir compte la diversité des choses qui fréquentent le milieu marin. En effet, de
nombreux codes le soulignent avec insistance, comme on peut le voir avec le code SOLAS qui
parle d’engin devant non seulement être apte à affronter les périls de mer, mais aussi être destiné
à « la navigation en mer »[7]. Ainsi en est-il encore du code CEMAC de la marine marchande
qui propose définition selon laquelle le navire est «tout bâtiment utilisé pour le transport des
marchandises en mer »[8]. La doctrine s’est également investie à faire transparaitre en filigrane
ce critère car ayant affirmé que « le navire est un engin…qui est habituellement utilisé pour
effectuer une navigation maritime »[9] . Cependant, la question qui mérite d’être posée est celle
de savoir quand une navigation est-elle dite maritime ?
Si l’on se réfère au code CEMAC, la navigation maritime est «la navigation pratiquée en mer,
dans les ports ou rades, sur les étangs salés et dans les estuaires et fleuves fréquentés par les
navires de mer, jusqu’à la limite du premier obstacle à la navigation maritime, fixée par
l’autorité maritime compétente ».[10] De ce point de vue, la navigation pratiquée en mer ne
pose pas de problème, même si les autres cas de figure appellent quelques précisions. D’une
part, s’il peut être reconnu un caractère maritime à la navigation pratiquée dans les fleuves (eaux
intérieures), il ne faudrait pas pour autant occulter la différence fondamentale qui existe entre
un navire et un bateau. Prendre donc le risque de se répéter c’est de repréciser que le navire est
cet engin flottant apte à affronter les périls de mer et qui exerce son activité habituelle dans les
eaux maritimes ; le bateau pour sa part est tout engin flottant, navigant dans les eaux d’un
territoire donné ; il est donc en principe affecté à la navigation fluviale.
Dans la même perspective, le critère de navigation maritime peut prêter à confusion entre navire
et d’autres engins flottant à l’exemple des aéroglisseurs et autres engins de loisir nautique.
Ainsi, la jurisprudence s’investie à appliquer ce critère aux planches à voile et jets-skis partant
du fait qu’ils sont sous l’emprise du code de la navigation maritime ; mais il s’agit là d’un
schéma rejeté par la doctrine qui estime qu’en tout état de cause, il n’ya pas éloignement de la
côte.[11] En ce qui concerne les aéroglisseurs, on assiste à une controverse doctrinale ; en effet,
la tendance doctrinale soutenue par le Pr Antoine Vialard les rattache aux navires car ils se
trouvent exposés exactement aux mêmes risques de mer, à l’exception de l’échouement. Une
autre tendance dans laquelle se retrouve le Pr René Rodière les exclu du champ des navires du

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seul fait qu’ils ne remplissent pas la condition de la poussée d’Archimède ayant été ajouté en
complément de la définition du navire par Rodière.
Bien plus, le critère de navigation maritime implique que le navire ait été conçu pour se
déplacer. Ceci permet de l’en séparer d’une notion voisine, notamment l’épave. En effet,
l’épave de navire peut s’entendre de tout navire abandonné se trouvant en état d’innavigabilité.
Pour tout dire, si le caractère original de la définition du navire est une chose, l’aspect original
de son statut en est une autre.
B. L’originalité de son statut : un meuble individualisé
Le navire, bien qu’étant un bien meuble par nature, n’est pas conforme au statut général de la
propriété mobilière. Ce statut particulier se trouve défini dans les travaux de certains juristes
qui ont encadré la notion d’individualisation du navire. De fait, « les éléments
d’individualisation du navire sont le nom, le port d’attache, la nationalité, le tonnage » [12],
qu’il convient de à notre sens de les regrouper en deux classes. La première étant composée
d’éléments juridiques(1), et la seconde pour sa part prendra en compte les éléments techniques
d’individualisation(2).
1-Les éléments juridiques d’individualisation du navire
Il est de tradition qu’un navire porte sur ses côtés bâbord et tribord des indications permettant
ipso facto de le reconnaitre dans sa vie juridique. Dans ce contexte, il s’agira notamment du
non (a), de la nationalité (b) et du port d’attache (c).[13]
a) Le nom
Il doit être choisi librement ; toutefois le propriétaire du navire a l’obligation de choisir un nom
différent de ceux qui existent déjà. L’idée ici est donc d’éviter des confusions, dans la mesure
où il est possible en matière de procédure civile d’assigner un capitaine à son navire. Cette
obligation tient également au fait que l’assignation doit porter le nom du navire, et permet par
ailleurs de ne pas opérer des confusions avec les cas dans lesquels le capitaine serait assigné en
raison de fautes personnelles
b) La nationalité du navire
Elle consiste à rattacher le navire à un ordre public, à l’Etat du pavillon. Il s’agit donc d’un acte
administratif conférant au navire le droit de battre le pavillon de l’Etat auquel il appartient[14].
Il convient également de préciser qu’il s’agit là d’une obligation légale internationale imposée
par la convention de Montego Bay[15].
Parlant des conditions d’acquisition de cette nationalité, celles-ci sont variables en fonction des
Etats qui définissent chacun ses modes d’attribution. Ainsi par exemple, il doit exister un lien
substantiel entre le navire et l’Etat, dans la mesure où ce dernier doit pouvoir exercer de façon
effective sa juridiction et son control dans les domaines social, technique et administratif sur
tout navire battant son pavillon.[16]
Elément de rattachement pour le Droit international privé, la nationalité du navire a pour effet
de donner un grand nombre de solutions aux litiges de nature internationale. Dans la même
perspective, le pavillon doit être considéré comme un élément pertinent dans le champ
d’application de la convention internationale.

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c) Le port d’attache
Il s’agit du port dans lequel sont accomplies les formalités d’immatriculation. On peut donc
penser que cette notion est fortement inspirée de la notion de domicile en droit des personnes.
Correspondant donc au port d’immatriculation du navire, il obéit au même régime que le nom
notamment lorsque l’on se rend à l’évidence que son choix est subordonné à la liberté de son
propriétaire. En tout état de cause, le port d’attache est le lieu où l’on peut retrouver toutes les
informations concernant le navire, et permet de déterminer la compétence des affaires
maritimes en matière de gestion du personnel maritime.
2-Les éléments techniques d’individualisation du navire
Ces éléments s’inscrivent dans la perspective de mettre en lumière les caractéristiques
économiques et les valeurs techniques du navire durant son existence. Il s’agit de la cotation (a)
et du tonnage (b).
a)La cotation
C’est une technique permettant de classifier les navires au regard de leur fiabilité technique.
Elle est l’oeuvre des sociétés de classification à l’instar de Bureau Veritas, l’une des plus
connues du monde maritime. Bien que théoriquement officieuse, l’absence de cote revient en
quelques sortes à conclure à une certaine présomption d’innavigabilité du navire. Ceci se justifie
du fait qu’elle retrace toutes les transactions dont le navire est objet.
L’intérêt de la cotation réside donc dans le souci de permettre une nette appréciation de la valeur
du navire. Pour tout dire, elle est la transcription de toutes les informations servant de base
d’appréciation de la valeur d’un navire.[17]
b) Le tonnage
Il faut entendre par tonnage, l’expression des capacités du navire. Il s’exprime en tonneaux de
jauge[18] et joue un rôle important dans le paiement de certains droits en fonction du type de
jauge en cause. Ainsi, le tonnage obtenu à partir de la jauge brute correspond à la capacité
intérieure du navire et aux constructions sur le pont. Il sert de base de calcul des taxes portuaires,
des taxes de pilotage, et du fonds de limitation.
Le tonnage obtenu à partir de la jauge nette renvoie à la quantité de marchandise pouvant être
contenue par le navire, et donne des indications sur la capacité commerciale de ce dernier. Il
convient également de noter en dernier ressort que le calcul de la jauge est effectué par
l’administration des douanes qui délivre à cet effet un certificat de jauge.

II. Le navire, un bien au régime paradoxal


Si l’expression paradoxale renvoie au caractère de ce qui est contraire à l’opinion commune,
elle trouve pleine application en matière maritime dans la mesure où le navire est un bien
meuble, mais qui de façon surprenante, échappe à la théorie générale du droit commun des
meubles (A). Parfois, le régime du navire est partagé entre deux tendances, la première ayant
en toile de fond la personnification de cet engin, et la seconde s’attachant pour sa part, à sa
chosification elle-même sujette à caution (B)

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A. Un meuble dérogeant au droit commun des meubles
Le navire est soumis à un régime dérogatoire du droit commun des meubles eu égard à ce qu’on
assiste tout d’abord à une affectation des biens meubles vers un autre meuble (1) ; cette
dérogation se justifie ensuite du fait qu’en ce qui concerne le navire, la possession ne vaut
titre(2).
1-les accessoires du navire : meubles affectés à un meuble
L’observation de la structure externe du navire permet de constater des objets mobiliers qui lui
sont unis en raison de la destination qu’ils reçoivent. Ces biens accessoires sont pour certains
matériellement liés au navire, comme on peut le voir avec les palans, apparaux de manutention,
ancres. D’autres objets à l’exemple des canots de sauvetage ne sont matériellement pas rattachés
au navire, mais leur présence en son sein se justifie par les nécessités de la navigation. Il se pose
donc le problème du rattachement de ces objets au navire.
Si l’on s’était accordé à définir le navire comme étant un bien immeuble, le problème aurait été
résolu de lui-même en vertu de la règle de l’immobilisation par destination et de la théorie de
l’accessoire. Pour mémoire, il est de principe qu’en droit civil, les meubles par nature
deviennent des immeubles par destination[19] du fait qu’ils sont affectés au service d’un
immeuble. De par leur caractère qui dans cette logique est accessoire, ils suivent tous le sort
d’un immeuble, car faut-il le rappeler, l’accessoire suit le sort du principal.
Cependant, l’originalité du droit maritime nous offre une autre réalité : le navire est de par sa
nature un meuble et les accessoires qui lui sont liés constituent également d’autres biens
meubles. Le constat en est donc que des biens meubles sont affectés à un bien meuble.
Mais seulement, il convient de souligner au passage que le droit civil des biens ignore cette
règle des meubles par destination affectés à un meuble
2-Un droit de propriété dérogatoire du droit commun des meubles
De prime abord, il convient de faire ce rappel non moins sans pertinence qu’ en droit civil et
parlant précisément des meubles, la règle cardinale consistant à faire valoir son droit de
propriété est clairement énoncée par l’article 2279 du Code Civil en ces termes : « en fait de
meuble, la possession vaut titre ». Selon cette règle, le détenteur de bonne foi d’un bien meuble
n’a pas à prouver sa propriété, la possession de ce bien étant elle-même constitutive d’un droit
de propriété. Cependant, l’article 2279 sus-cité est-il applicable au navire ?
A première vue, la question parait «mal venue » et par conséquent ne mérite pas d’être posée,
surtout lorsqu’on se rappelle du caractère mobilier attaché au navire de par sa nature. Et
pourtant, la réponse semble surprenante, donnant ainsi à cette question tout son sens. En effet,
le navire est un meuble spécial qui dans diverses hypothèses, se trouve soumis à des régimes
particuliers différents du régime des meubles. De ce point de vue, il ressort que la spécificité de
ces régimes constitue pour le navire une sorte d’issue échappatoire à l’application de l’article
2279 du Code Civil. Il ya donc lieu d’affirmer sans risque de se tromper que le droit maritime
consacre sur le navire, une application mutatis mutandis de la règle « en fait de meuble, la
possession vaut titre ». Par ricochet, il s’ensuit la tentation de croire que le changement est
intervenu en sens inverse, d’où la nécessité pour nous d’affirmer que lorsqu’on a en face de soi
un navire, le langage à tenir est « en fait de meuble, la possession ne vaut titre ». De fait, le droit
de propriété d’un navire est prouvé au travers de l’immatriculation dont il est l’objet ; loin donc

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d’être un simple facteur de publicité et de contrôle de la situation juridique du navire ,
l’immatriculation est également une formalité administrative conférant au propriétaire du
navire un véritable titre de propriété.
B. l’ambiguïté de sa classification
Deux observations méritent ici d’être faites ; il s’agit notamment de la tendance à la
personnification du navire (1), et le caractère hybride du navire entant que bien (2).
1-La tendance à la personnalisation du navire
Une pratique très courante du contentieux maritime consiste assez souvent à designer une
affaire par le nom du navire mis en cause et à éclipser les noms des parties au procès.
Cette tendance à la personnification du navire est encore plus accentuée notamment si l’on se
réfère non seulement à tous ces éléments qui permettent de l’individualiser, mais également à
la théorie du patrimoine d’affectation reconnue à tout navire au regard des instruments
financiers qui lui sont attachés et qui confèrent sur lui des droits réels.[20]
En droit commun, la notion de patrimoine renvoie à un caractère personnel et indivisible en ce
sens que seule une personne peut le détenir, et il ne peut être scindé au gré des affectations des
éléments qui le composent. Il va donc de soit qu’un civiliste perçoive mal l’idée de faire d’un
bien un patrimoine d’affectation. La tendance à la personnification du navire peut donc trouver
son fondement dans ce contexte, car comme il a été dit, il est reconnu au navire un patrimoine
d’affectation. De ce fait, un regard jeté sur certaines institutions du droit maritime à l’instar de
la limitation de la responsabilité de l’armateur, permet de retrouver les traces du patrimoine
d’affectation dans la notion de navire. En effet, s’il est vrai que les propriétaires de navires sont
responsables des faits du capitaine, il est aussi vrai qu’ils peuvent s’en décharger en
abandonnant notamment le navire et le fret.
Cette particularité de la responsabilité du fait d’autrui laisse entrevoir le patrimoine
d’affectation puisqu’elle consacre le navire et son fret comme le gage exclusif des créanciers
dont la créance est née à l’occasion d’une expédition maritime qui elle-même, fait naitre le
patrimoine d’affectation. Ceci permet de comprendre que les autres biens du propriétaire du
navire notamment un navire à quai, sont préservés de ce qui peut constituer l’assiette des
créances maritimes. La théorie du patrimoine d’affectation appliquée sur le navire n’est pour
tout dire, qu’un bel exemple de personnification du navire puisque les créances nées de
l’expédition maritime trouvent leur siège non plus chez l’armateur, mais plutôt sur le navire et
son fret que l’on peut désigner ici par l’expression « patrimoine de mer ».[21]
Bien plus, l’une des particularités du droit maritime est d’avoir institué des droits réels
accessoires qui s’exercent directement sur le navire et non à l’encontre du débiteur de la
créance. Ainsi donc, la possibilité est offerte au titulaire d’une créance maritime d’exercer
directement son action à l’encontre du navire. Or, il vaut la peine de rappeler que ces droits
réels accessoires ne peuvent s’exercer en croit civil, que sur une personne physique. Une fois
de plus, la tentation est grande d’assimiler le navire à une personne, dans la mesure où il ne fait
l’ombre d’aucun doute que les instruments juridiques qui ont été taillés à la mesure des
personnes lui sont applicables.
L’on peut prendre le risque de se répéter en reprécisant qu’en matière de contentieux maritime,
il est de tradition que l’affaire soit désignée par le nom du navire. En restant dans cette logique

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mais observant les plaidoiries du côté des cours anglaises, on finit par y constater une
personnification du navire fortement accentuée du fait de l’usage du pronom personnel anglais
« she » auquel le navire se substitue. Pour mémoire, la conjugaison anglaise prévoit un pronom
personnel pour désigner des choses, ce qui aurait pu aboutir en toute logique à la substitution
du navire au pronom « It » ; la pratique anglaise ayant donc opté pour le «She » pronom
personnel désignant une personne, a trouvé là un excellent moyen de personnifier le navire, ceci
en déterminant d’ailleurs son sexe. Doit-on encore se donner la peine de rappeler l’implication
féminine du « She » ?
2-L’hybridisme du navire comme bien : une nature mobilière, un régime immobilier
Le navire est d’une complexité extrême, laquelle complexité tire son origine d’un bien certes
rangé dans la catégorie des meubles, mais qui par le jeu d’une ingénierie juridique «paradoxale
et étonnante »,se retrouve dans la ligne de mire d’un certain nombre de règles qui ont vocation
à s’appliquer au seul régime immobilier, de sorte que l’on pourrait le situer « à mi-chemin des
meubles et des immeubles »[22]. A ce propos, Jean Dumerlin est sorti de sa réserve pour faire
un constat riche de sens tenant à 7 mots : « le navire hybride de meubles et immeubles ».
Le Pr Antoine Vialard a même fait une remarque sur la question en soutenant que « le navire ,
incontestablement meuble, ne se trouve cependant soumis au statut mobilier ordinaire tel
qu’élaboré par le droit civil, voire commercial ».[23] Cette précision valant le coup, il faudrait
également souligner le caractère embarrassant de cette problématique pour certains auteurs dont
l’analyse de leur propos peut être considérée comme une prudence, une fuite en avant ou encore
un laxisme de leur part quant à la situation exacte du navire dans la théorie générale du droit
des biens. Rien d’étonnant donc si d’aucuns ont pu dire que « le navire est une chose affectée à
une expédition en mer qui par ses qualités propres rend possible cette fonction »[24], laissant
au passage et de manière très subtile, un débat ouvert sur la nature de cette « chose » .
Toutefois, la nature mobilière du navire réside dans l’une des définitions formulées à son égard,
à savoir qu’il est un engin flottant destiné à la navigation maritime . On peut donc conclure par
ricochet qu’il est comme tout autre bien meuble, susceptible de déplacement, et c’est cette
mobilité qui lui confère la qualité de meuble. Dans cette logique, le code civil bien que muet
sur de nombreux points en ce qui concerne le droit maritime, a au moins le mérite de s’être
prononcé en faveur de la classification du navire dans le registre des biens meubles. Son article
531 en dit long : « les bateaux, bacs, navires…sont meubles… ». Cet article laisse tout de même
transparaitre en filigrane la particularité du statut de la propriété du navire notamment au travers
de la précision qui en est faite par la suite : « la saisie de quelques uns de ces objets peut
cependant, à cause de leur importance, être soumises à des formes particulières ». Comme on
peut donc le voir, le navire n’est pas un meuble comme les autres, son statut obéissant pour
l’essentiellement à une fiction juridique qui le fait tomber sous l’emprise du régime des
immeubles.
Dans l’esprit du code civil, est considéré comme bien immeuble, tout ce qui est solidement lié
au sol c'est-à-dire les objets dont le déplacement ne peut être envisageable sans causer un
dommage à leur finalité. De ce point de vue, il est logiquement évident que le navire ne saurait
s’arrimer au régime des immeubles, et ce d’autant plus qu’il est mobile, l’article 528 du Code
Civil définissant les meubles par leur mobilité; Cependant, la réalité est toute autre.

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En effet, un regard sur la doctrine permet de tirer les conséquences suivantes : un auteur russe
en la personne de Shershenevitch aurait soutenu à l’aube du XXe siècle que les navires,
contrairement à leur nature mobilière reposant sur des considérations économiques, « du point
de vue juridique, ce sont plutôt des biens immobiliers,… »[25] ;
Ceci s’explique par le fait que de nombreux instruments juridiques qui en principe s’appliquent
aux immeubles, sont aussi applicables navires, comme peuvent le témoigner les institutions de
l’hypothèque maritime et de la saisie conservatoire des navires. Dans le même ordre d’idées,
s’appuyant sur une certaine théorie de l’individualisation comme critère pertinent de
classification des biens entre meubles et immeubles, monsieur Nemets a lui aussi attribué au
navire l’étiquette d’immeuble ; son raisonnement est simple : les biens mobiliers peuvent être
individualisé ce qui implique le caractère facultatif de l’individualisation pour cette catégorie
des biens, tandis que les biens immobiliers sont toujours individualisés [26]ce qui implique ici
une obligation d’individualisation, laquelle obligation pèse sur le navire comme nous l’indique
le Code CEMAC de la Marine Marchande[27] fortement inspiré des convections maritimes
internationales.
D’autres auteurs ont tenue en compte le critère de publicité en considérant que le statut d’un
bien est largement tributaire de la possibilité de ne pas occulter les droits réels qui lui sont
attachés. Ainsi, en dépit de leur mobilité, les navire ont une situation fixe de par leur port
d’attache, et bénéficient même d’un régime de publicité très favorable à l’image de la publicité
par transcription sur un registre public exigé sur tout transfert propriété dont un navire est
l’objet. On pourrait même penser que c’est ce critère qui a motivé le législateur à copier le
régime des immeubles et le coller au navire vue que cet engin de transport exprime autant que
les immeubles, le même besoin de publicité.
En tout état de cause, qu’il soit taxé de meuble ou immeuble, le navire est un bien « quelque
peu unique en son genre »[28] et dont le régime se situe au carrefour des caractéristiques
appartenant aux biens aussi bien mobiliers qu’immobiliers.
[1] - Tonellot (Roger-Didier), Les Mégaships, mémoire de master II, CDMT 2007-2008, P9
[2] - Rodière (René), Navire et Navigation maritime, DMF, 1975, p 323
[3] -En ce sens, faire une lecture combinée des articles 164 et 166 du Code CEMAC de la
Marine Marchande
[4]- Article 1er de la loi française de juillet 1967 sur l’abordage.
[5] -Convention de Londres de 1974 sur la sauvegarde de la vie humaine en mer.
[6] -Par traduction : en état de navigabilité
[7] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Droits Maritimes 2006/2007, Dalloz Action
[8] -Article 1er (47) du code CEMAC en sa version 2012
[9] - Vialard (Antoine), Droit Maritime, éd PUF, 1997, Section 1 sur les bâtiments de mer
[10] -Article du CCMM, version de 2012
[11] - Vialard (Antoine), Op.cit., PUF, 1997
[12] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Op.cit. , 2006 /2007 Dalloz action, p219.
8
[13] - Abdelhamid Berchiche (Ali ), cours de Droit maritime
[14] -Lecture interprétative de l’article 21 du code CEMAC de la marine marchande, version
de mai 2001
[15] _Convention des nations unies sur le droit de la mer, signée en 1982
[16] -Article 5 de la Convention de Genève du29 avril 1958 sur le plateau continental
[17] - Zoa Zoa (Jean), L’apport de l’expertise maritime pour les sociétés d’assurances, mémoire
de fin de formation en Expertise Maritime, CEFOMAR 2011
[18] - le tonneau est égal à 2,83 mètres cubes et les jauges sont calculées conformément aux
règles 3 et 4 de l’Annexe I à la Convention internationale de Londres du 23 juin 1969 sur le
jaugeage des navires.
[19] -Voir en ce sens l’article 524 du Code Civil
[20] -Chauveau (Pierre), Traité de droit maritime n°158 s
[21] - Hyest (Jean Jacques), rapport n°362 du 24 mars 2010 sur le projet de loi relatif à
l’EIRL(Entreprise Individuelle à Responsabilité Limité)
[22] - Bonassies (Pierre), Cours du droit maritime de 2005-2006 pour le Master II Droit
maritime et des Transports (Aix-Marseille III), N 147, page 99.
[23] - Vialard (Antoine), Droit maritime, PUF 1997, n°295 p257
[24] - Beurrier (Sous la direction de Jean Pierre), Droit maritimes, 2006 /2007 Dalloz action
p228
[25] -G. Shershenevitch, cours de droit commercial, SPB 1909, tome III p 252
[26] -U. Nemets, Les biens mobiliers et immobiliers, revue Economie et Droit, 1998, n°6, p102
[27] -il s’agit de la version de Mai 2001 dont l’article 20 situé au livre II précise les éléments
d’individualisation qui constituent des points obligatoires du statut administratif d’un navire.
[28] - Vialard (Antoine), Droit Maritime, PUF 1997, N 295, page 257.

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