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DISCOURS AMBIGU
Yvon Pesqueux
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L’argument historique
L’éthique des affaires puis la RSE émergent avec la « crise des lois » dans le
contexte de la mondialisation et de la déréglementation qui l’accompagne. Il
ne s’agit donc pas d’une réponse à une demande sociale. C’est une « pseudo-
normalisation » (qui peut, à la limite, être vue comme propagande, alibi, jus-
tification idéologique, transgression discursive) de l’ordre du micro-politique
(l’entreprise) et non dépourvue d’arrière-pensée publicitaire. C’est une auto-
normalisation, une auto-édiction, c’est-à-dire un transfert de légitimité et
une justification de la disparition des organes de législation au profit d’une
liberté d’expression des demandes des directions d’entreprises.
L’argument économique
Il s’agit aussi d’inclure des normes éthiques dans la logique du marché qui,
rappelons-le, en est dépourvu. Ce n’est donc pas une production « gratuite »
mais une conséquence de l’affaiblissement de la loi qui met les agents orga-
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
1. M.-H. Parizeau, 1996, Éthique appliquée, Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris,
PUF, 534-540.
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
4. T. Berns, 2009, Gouverner sans gouverner – une archéologie politique de la statistique, Travaux pra-
tiques, Paris, PUF, 5-6.
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Yvon Pesqueux
LA NOTION DE RSE
La notion de RSE recouvre deux grands aspects :
– La prise en compte des demandes de ce qu’il est convenu d’appeler
les « parties prenantes », la réponse à une demande sociale venant
alors confondre responsabilité sociale et réceptivité sociale.
– L’intégration des pratiques liées à cette notion aux logiques de ges-
tion.
C’est en cela que la notion est porteuse de l’ambiguïté de savoir si l’entre-
prise est « en marché » ou « en société » ? 7 Peut-on pour autant parler
d’imprécision féconde ? La RSE est posée comme étant à même de répondre
à des attentes compte tenu de tendances propres aux sociétés du « moment
libéral », tendance qui la rendraient incontournable, d’une représentation
managérialo-centrée de l’entreprise au regard de « parties prenantes » dans
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Yvon Pesqueux
entreprises, des préoccupations sociales liées à leurs activités dans leurs rela-
tions avec ce qu’il est convenu d’appeler les « parties prenantes », d’où les
renvois souvent confus à la notion de développement durable. La notion de
RSE repose sur le postulat que l’entreprise peut être considérée comme ayant
des intentions « propres ».
La RSE a été à l’origine d’une inflation informationnelle, marquant ainsi
le passage entre une « publicité – communication » (avec l’éthique des affai-
res de la décennie 90) et l’expression d’un engagement à partir d’une décla-
ration d’intention (un code de conduite par exemple), vers une perspective
informationnelle qui sert de base au « dialogue » avec les parties prenantes.
Le terme de « dialogue » est ainsi mis en guillemets car il constitue à la fois
un objectif de ces politiques informationnelles mais aussi une forme d’impos-
sibilité car il y a en fait plus co-construction des informations de restitution
aux parties prenantes qu’un véritable dialogue. C’est ce qui vient soulever la
question des difficiles interférences entre la RSE et la démocratie. On pour-
rait même, à ce titre, parler de « libéral – bureaucratie ».
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48 innovations 2011/1 – n° 34
La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
12. V. Paone, 2009, La responsabilité sociale de l’entreprise à l’épreuve des faits – Contribution à
l’étude d’un système de contagion – de l’épiphénomène à la contagion, Thèse de doctorat en sciences
de gestion, CNAM, Paris.
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Yvon Pesqueux
pective systémique la plus floue ? Et pour cacher quoi ? Le fait qu’elle avance
masquée et qu’au nom de l’abandon de l’exploitation de l’épuisable ressource
naturelle, elle puisse d’autant mieux s’en prendre à l’inépuisable ressource
humaine ?
La RSE construit les ambiguïtés nécessaires au développement d’un
« sens » :
– Elle offre le support d’une réinterprétation de la dialectique mana-
gériale que souligna H. A. Simon13 quand il montra toute la difficulté
managériale du passage des valeurs entre des principes relevant d’une
perspective universaliste à des faits relevant de la perspective consé-
quentialiste. On retrouve ici l’importance des raisonnements en
dilemmes qui marquent la Business Ethics.
– Elle fonde des discours partiels et partiaux, marquant ainsi le triom-
phe d’une activité communicationnelle sans permettre de dire pour
autant qu’il ne s’agisse que de discours sans éléments de concrétisa-
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
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Yvon Pesqueux
sociale vis-à-vis des salariés (normes sociales, droits de l’homme, droit du tra-
vail, protection sociale), responsabilité sociétale (vis-à-vis de l’environne-
ment et de la société), responsabilité politique (rôle des entreprises dans la
politique locale, gouvernance des filiales, lutte contre la corruption, etc.),
responsabilité extraordinaire (en cas de catastrophe naturelle, de conflit, de
situation d’urgence venant remettre en cause le respect des droits de
l’homme) et responsabilité charitable (donations aux populations locales).
Elle conduit également à un discours le plus souvent optimiste qui contraste
avec l’eschatologie dont elle est porteuse.
La contestation la plus radicale est en fait réalisée, non pas de façon
directe, c’est-à-dire sur ses catégories mêmes, mais sur l’absence d’effets glo-
baux probants, en particulier en matière de lutte contre le réchauffement de
la planète.
La dimension nettement politique que tend à prendre aujourd’hui la
notion de développement durable, une des dimensions de la RSE, possède
des conséquences importantes sur son usage. C’est ce qui se matérialise au
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Yvon Pesqueux
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La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)
d’un autre thème (le risque ?), comme thème alternatif. Et c’est sans doute le
défaut l’institutionnalisation de l’entreprise que valide l’épuisement du
thème de la RSE. Cette institutionnalisation peut être définie comme opé-
rant sur le plan des mentalités (avec les représentations du rôle de l’entre-
prise et de ses liens avec la société), celui des discours (avec la manière de
parler de la RSE) 14 celui des pratiques (spécifiques à la RSE) et des institu-
tions (celles qui participent à la formation des managers, celles qui font
émerger et celles qui légitiment les normes de la RSE) et celui des savoirs
(sur la compréhension de la RSE).
CONCLUSION
Du fait de l’intervention de l’entreprise dans la définition du « Bien Com-
mun », le volontarisme managérial s’est trouvé en quelque sorte « dépassé »
par lui-même dans sa vocation à proposer de substituer une omniscience de
la règle établie par les directions d’entreprise (donc sans aucune preuve de
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14. A. Hatchuel, 2000, Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’action
collective, in A. David, A. Hatchuel, R. Laufer (eds), Les nouvelles fondations des sciences de gestion
– Éléments d’épistémologie de la recherche en management, FNEGE, Paris, Vuibert.
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