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Le mariage à Madagascar
G. Grandidier
Grandidier G. Le mariage à Madagascar. In: Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, VI° Série. Tome 4
fascicule 1, 1913. pp. 9-46;
doi : https://doi.org/10.3406/bmsap.1913.8571
https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1913_num_4_1_8571
LE MARIAGE A MADAGASCAR.
Par M. G. Grandidier.
La puberté est assez précoce chez les peuplades des côtes de l'ile de
Madagascar de même que chez les indigènes du centre à faciès négroïde;
elle l'est moins chez ceux du type malais. Cette précocité est souvent
avancée par suite des relations que les petites filles ont
fréquemment avec des jeunes gens avant d'être nubiles : sur la côte Ouest, chez
les Antifiherenana, par exemple, une fille perd très souvent sa
virginité avant d'être réglée, parce que, disent les mères, « s'il n'en était
pas ainsi, le sang ne sortirait pas et les étoufferait » ; il faut attribuer à
la même crainte superstitieuse l'usage dont parle Vincent Noël : « les
jeunes filles du Boina se déflorent elles-mêmes quand elles n'ont pas été
déflorées dès leur bas âge par leur mère ».
La menstruation apparaît d'ordinaire de 11 à 12 ans, quelquefois
seulement de 12 à 13 ans, chez les femmes malgaches d'origine
indo-mélanésienne, à cheveux crêpés, et de 12 à 13 ans seulement, comme en
Europe, chez celles d'origine javanaise, à cheveux droits et lisses. Elles
sont, en général bien réglées; l'écoulement menstruel, peu abondant,
cesse vers la 40e année en moyenne ; elles n'ont jamais de relations avec
les hommes pendant les époques.
Le mariage à Madagascar diffère totalement du mariage tel qu'il existe
en Europe, où, depuis longtemps, il est considéré, tout à la fois, comme
un sacrement et comme un pacte légal qui établit entre les époux un double
lien religieux et civil, en quelque sorte comme un contrat synallagma-
tique par lequel les époux se promettent assistance, amour et fidélité, où
la jeune fille apporte en dot sa virginité. A Madagascar, c'est un accord
purement verbal, une association de deux contractants résultant du simple
échange des volontés requises par la coutume, accord, association toujours
précédés, avant que la famille soit appelée à les sanctionner, d'une période
plus ou moins longue d'essai, d'union libre.
La beauté morale de la virginité et de la chasteté, le charme de la
pudeur ne sont ni compris, ni appréciés par les Malgaches qui n'attachent
aucune importance a la chasteté des jeunes filles, ni à la virginité de
leurs épouses : « la chasteté, écrivait Eilis, en 1863, est contraire à la loi
malgache et jamais un homme qui se marie n'y compte », et Razafiman-
dimby, un fin lettré malgache bien connu sous le pseudonyme de Nimbol
Samy, dit : « Nous ne tenons pas à la virginité; au contraire, elle nous
1 Cette phrase était la seule phrase française que connaissait la reine du Ménabé,
Naharova.
G. GRANDlDlER. — LE MARIAGE A MADAGASCAR 15
fort pea de chose et dont les liens sont extrêmement lâches. L'homme
avait la prépondérance sur la femme mais celle-ci avait droit, comme
épouse, à des égards et à des traitements pleins d'humanité et d'équité.
Le mariage résultait du simple échange des volontés requis par la
coutume, échange qui n'avait lieu qu'après une période plus ou moins longue
d'union libre, de cohabitation permettant aux futurs de se bien
connaître. 11 n'y avait pas de limite d'âge, il suffisait que l'homme eût atteint
un certain développement physique et que la femme fût pubère;
quelquefois même il élait plus précoce, pour des raisons que nous exposerons
tout à l'heure. Il n'y avait pas à proprement parler d'acte de célébration,
ni civil, ni religieux, et le passé de la jeune fille ne préoccupait en rien son
futur ; en réalité, les seules conditions requises étaient d'une part le
consentement donné publiquement par les parents et souvent, mais non pas
toujours, celui, soit des deux futurs, soit quelquefois du futur
seulement, et l'offrande du vody ondry (du quartier d'arrière de droite d'un
mouton avec la queue) ou du vody akoho (du croupion de volaille), c'est-à-
dire d'un cadeau aux parents de la future, cadeau obligatoire qui scellait
le contrat ; d'autre part, le respect des interdictions touchant les relations
déclarées illicites par la coutume entre les personnes de tribus et de
castes différentes, de rang inégal, ou bien parents ou alliés.
FIANÇAILLES.
AGE.
EMPÊCHEMENTS AU MARIASE.
DEMANDE EN MARIAGE
Lorsque, après le stage ou noviciat dont nous avons parlé plus haut,
le mariage est décidé entre les parties et que le futur et la future en ont
chacun de leur côté référé à qui de droit, d'ordinaire le père et la mère
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du futur, en compagnie de parents et d'amis et d'un chef de l'endroit ou
comme chez les Merina trois, cinq, sept personnes ou plus, mais toujours
en nombre impair, déléguées par la famille du futur, quelquefois, comme
chez les Bezanozano, un seul émissaire, mais connu comme beau parleur,
se rendent en habits de fête, c'est-à-dire enlambas de soie si la famille a
quelque bien, chez les parents de la jeune fille pour faire la demande en
mariage, généralement le jour que le mpisikidy ou le mpanandro, le devin
ou l'astrologue, ont déclaré faste, propice : c'est le ftantranaona, la visite
ou, comme disentles Sakalava, manoka viaoy (pour demander à se marier).
Chez les Merina, le père ou le plus proche parent, qu'on a fait asseoir à
la place d'honneur et qui est le mpikabary le porte. paroles, après l'exorde
invariable de tous les discours malgaches, c'est-à-dire après s'être excusé
de prendre la parole le premier devant une aussi noble assemblée et en
présence de personnes plus âgées que lui, présente sa requête à peu près
sous cette forme : « Voici ce que je viens vous dire de la partd'C/n tel, fils
d'Un tel (dont il énumère toutes les qualités vraies ou supposées, vantant
les vertus de ses ancêtres, faisant l'éloge de ses parents et détaillant sa
fortune); il m'a chargé de vous demander votre fille non pas pour qu'elle
soit sa vazo, sa songy, sa concubine, mais sa vady, sa femme légitime,
pour qu'elle dirige sa maison, pour qu'elle lui donne des enfants, pour
qu'ils s'entraident dans la vie, car il a un grand désir de se marier de
maneli-bady (litt. : d'emporter une femme sous son aisselle) ou de
mampnka-bady (litt. : d'introduire une femme chez lui).
Si la demande est agréée, le père de la jeune fille ou, à son défaut, son
oncle ou son frère aîné, répond : « Nous n'avons pas l'intention de garder
notre fille avec nous du moment qu'Un tel, fils d'Un tel, désire la prendre
pour femme. Ne formons nous pas comme une seule et même famille,
car nous sommes les descendants d'Un tel, fils d'Un tel etc., qui ont tous
été des hommes importants, et vous, de votre côté, vous avez également
uneexcellenteascendance. Or, vous nous dites qu'il veut, non pas en faire
sa concubine, mais l'épouse, qu'il veut lui confier la direction de sa maison
et vivre avec elle, « la main dans la main» et qu'il la choisit pour être la
mère de ses enfants ; nous lui en sommes reconnaissants et nous agréons
sa demande car nos deux familles sont de même condition et notre fille
est très capable d'être une bonne ménagère et de mettre au monde de
beaux enfants. Rien ne s'oppose donc à cette union ».
« Vous comblez nos désirs, répond le mpikabary, ou porte-paroles du*
jeune homme. Certes vous pourriez nous préférer une famille plus riche
et cependant, malgré notre situation- modeste; vous voulez bien nous
accueillir favorablement : nous avions soif et vous nous donnez de l'eau
pour nous désaltérer ; nous avions faim et vous nous servez du riz pour
nous rassasier; nous étions fatigués et vous nous offrez une pierre pour
nous asseoir; nous désirions entrer chez vous et vous nous ouvrez la porte
toute grande et nous faites le don le plus précieux qui soit. Merci ! ».
« Laissez-moi encore vous dire quelque chose, reprend le père de la
fiancée, car il serait imprudent de ne pas envisager l'avenir. N'est-il pas
G. GRANDIDIER. — LE MARIAGE A MADAGASCAR 27
VODIONDRY, CADEAUX.
CÉLÉBRATION DU MARIAGE
fait trois fois le tour, comme nous l'avons déjà indiqué, pour les Merina,
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puis, s'arrêtant devant la porte, tous saluent le mari et ses amis qui sont
dedans et qui sortent alors, tandis que la femme et ses compagnes y
pénètrent et, après y avoir déposé ce qu'elles apportent, mettent tout en
ordre.
Quand, dans un village de PImerina, il y a plusieurs jeunes filles à
marier, leurs parents les mènent dans un village voisin, où il y a au
contraire des jeunes gens célibataires et des veufs, et les mettent en
demeure de choisir parmi eux ceux qui leur agréent pour époux ; or, dit
le Rév. G. H. Shaw, les jeunes gens acceptent volontiers cette manière
de faire et il paraît que ce ne sont pas toujours les célibataires qui sont
le plus demandés, les veufs qui ont une bonne réputation comme maris,
et même parfois des hommes mariés car il n'y a pas de déshonneur à ne
pas être la seule femme d'un individu, leur sont souvent préférés. Une
semaine est laissée à ces couples pour s'assurer qu'ils se conviennent et
après a lieu la cérémonie du mariage dont nous venons de parler.
Jadis, chez les Antanosy, on tuait beaucoup de bœufs à l'occasion du
mariage des Roandriana, ou nobles, et les Ombiasy ou prêtres devins,
après leur avoir souhaité tous les biens temporels qu'ils pouvaient
désirer, liaient ensemble les cheveux des deux époux et le mari mettait son
genou sur celui de sa femme, ce qui terminait la cérémonie proprement
dite, et alors avaient lieu le festin, les chants et les danses qui en étaient
l'accompagnement obligé, avec grand renfort d'antsiva (de conques
marines) et à'hazolahy (de tambours).
Telles sont les cérémonies qui consacraient le mariage et après
lesquelles il produisait tous ses effets. Mais les Malgaches ne se contentaient
pas, jusque tout récemment, d'une seule femme. Nous exposons plus loin
les usages relatifs à la polygamie.
MARIAGES TEMPORAIRES.
POLYGAMIE.
personne ne peut les en empêcher puisque moi, qui suis le Maître, je leur
reconnais ce droit », a dit à la fin du xvnr3 siècle Andrianampoinimerina,
le fondateur de la puissance merina, dans son kabary au sujet du
mariage. Et, en effet, lorsque leurs moyens le leur permettaient, les
Malgaches avaient d'ordinaire, jusque tout récemment, plusieurs femmes, ce
qui, à leurs yeux, était un honneur ; toutefois dans les peuplades du Sud
de l'île, chez lesquelles la femme est moins considérée et moins bien
traitée que dans le Centre et dans le Nord, les hommes en épousaient
aussi plusieurs, mais, disaient-ils « pour les faire travaillera leur profit ».
Le nombre de ces épouses ne dépassait guère généralement deux ou trois
et chez les Merina, même pour les princes, ne pouvait être supérieur à
six ou sept ; le souverain seul avait le privilège d'en avoir douze : ces
douze épouses vady roa amby ny folo comme on les appelait, et qui
d'ailleurs n'étaient pas toujours au complet, étaient chez les Merina un apanage
de la royauté, de sorte que, lors même que le souverain était une reine,
celle-ci avait ses vady roa amby ny folo dont le. nom était cité dans tous
les kabary ou assemblées officielles comme l'un des grands Corps de
l'Etat; du reste, à la mort de son père, son fils et successeur héritait de
tout le sérail paternel, sa mère exceptée, sérail auquel il ajoutait qui bon
lui semblait.
Chez les autres peuplades, le nombre des femmes qu'un homme,
surtout un chef, pouvait épouser, n'était pas limité; chez les Antankarana,
en 4785, le chef Lamboina en avait 60, chez les Sakalava du Nord-Ouest,
le roi Tsimanatona, en 1709, 18, toutes fort grasses, car ce roi les aimait
ainsi ; chez les Sakalava de l'Ouest, le roi de Sadia, au Ménabé, en 1617,
qui était alors âgé de 90 ans, 12 survivantes des 30 qu'il avait eues dans
le cours de son existence ; son neveu Inapaka, récemment décédé, de 50
à 60 et Ivoatra, dit-on, des centaines ; chez les Antanala d'Ikongo, le roi
Tsiandraofana 10 en 1875 ; chez les Betsimisaraka, le chef de la côte au
sud de la baie d'Antongil, en 1663, 24.
Quant aux chefs Antaimorona, qui sont des descendants d'Arabes et
qui ont conservé quelques-unes des mœurs de leurs ancêtres, ils
entretiennent dans leurs harems quatre épouses légitimes de caste noble, ayant
chacune sa maison, celle de la vadibé, de l'épouse principale, appelée
Fenovola (pleine d'argent) et lestrois autres respectives Fenabaraka (pleine
de dignité), Imarovahy (les mille lianes) et Hakato (les castagnettes) et de
nombreuses Ankobu, concubines de caste roturière, réparties dans trois
maisons nommées respectivement Itamainoro, Ambodivoambo, Ambarava-
rankoba, et entourant dans le rova la maison du chef.
Cet usage de la pluralité des femmes était la cause de fréquentes
discussions et de discorde dans les familles.
Le nom par lequel les Malgaches désignent la polygamie, fampira-
ferana, mot, dont la racine est rafy, c'est-à-dire ennemie, adversaire, et
qui signifie « ce qui engendre l'inimitié » est, du reste, suggestif;
épouser plusieurs femmes, c'était mampirafy, faire des rivales, des ennemies,
car les diverses épouses d'un même homme, si elles semblaient, à pre-
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mière vue, vivre en bonne intelligence entre elles, n'en passaient pas
moins souvent leur temps à se jalouser et à se quereller, non certes, par
jalousie sensuelle, mais pour des questions d'intérêt.
Chez les Merina, quand un homme voulait épouser une nouvelle femme,
après entente avec elle, il en demandait l'autorisation, soit à la première,
à la ramatoa (à l'aînée), soit plutôt à la vady kely, à la dernière venue,
s'il était déjà polygame, et ensuite aux autres, et il leur offrait, pour
acheter leur consentement, un cadeau : « Rafotsy (chère et vénérable
amie), disait-il à la vady bé, par exemple, je vais vous donner une jeune
sœur ; mais soyez assurée que je n'en continuerai pas moins à vous
rendre heureuse. Je vous donne comme taha, comme compensation, cinq
piastres, c'est une forte somme. » La rafotsy commençait par s'indigner :
« Je ne veux pas de rivale, dit-elle, divorçons ! » puis, après un long
palabre pendant lequel le mari s'efforçait de la calmer, elle finissait par
céder, à la condition qu'il lui serait alloué une somme plus forte ou bien
un ou plusieurs esclaves. L'entente faite avec la vadibé, avec la première
femme, le mari engageait des pourparlers avec les autres, afin de fixer le
cadeau à leur faire ou, à plus proprement parler, l'indemnité à leur
payer, le vidim-pandriana [pour acheter le (droit de disposer du) lit] ou
l'eso-pandriana [pour qu'elles quittassent (momentanément) le lit], comme
ils disaient, indemnité pour obtenir leur consentement à ce que le tour
de partager la couche nuptiale fût, pour chacune, éloigné d'un jour.
Lorsque, ce qui était rare, une femme refusait son consentement, son
mari n'avait pas d'autre moyen de passer outre que de divorcer ou de
la répudier, de la suspendre de ses fonctions d'épouse en lui donnant le
taha-ratsy, cadeau iujurieux qui consistait en une poignée d'étoupe, un
bâton et un coq rouge, et par lequel son mari lui faisait connaître sa
volonté de la laisser vieillir sans jamais lui donner l'autorisation de se
remarier.
Quand les époux étaient tombés d'accord au sujet des compensations,
ce qui n'allait pas sans une vive discussion et un âpre marchandage, le
mari convoquait les parents de sa femme ou de ses femmes et le chef de
sa famille, les avisait de ses desseins et du don qui était convenu avec la
vady bè et les vady masay.
Ce n'est qu'après ces préliminaires, souvent fort longs, qu'on faisait la
demande en mariage aux parents de la future vady kely (de la petite
femme ou la dernière en date) dans la forme ordinaire. Le jour de son
- entrée dans le domicile conjugal, jour qui était fixé par la vady bê, on
tuait un mouton dont une moitié était portée au père de la future, et dont
l'autre était donnée aux pères des anciennes, et les parents du mari
allaient la chercher processionnellement, tandis que celui-ci
l'attendait aux côtés de sa vady bè. Tout le monde était en habits de fête.
Lorsque le cortège était arrivé à la porte de la maison conjugale, la
nouvelle venue saluait son mari ainsi que la vady bè et les vady masay,
s'il y en avait, disant : « Tsy avy horafy aho, Razoky, fa avy ho zandry ary
ho zanaka, hahay manaraka anao » (Je ne viens pas ici en ennemie, je suis
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L'AMOUR A MADAGASCAR.
Les jugements qu'ont porté les auteurs anciens et ceux que portent
encore les Européens sur les relations des deux sexes à Madagascar sont
G. GRANDIDIER. — LE M\RIAGE A MADAGASCAR 41
sévères et justes au point de vue de notre morale, mais, dans une certaine
mesure, injustes à l'égard d'individus appartenant à une société reposant
sur des conventions différentes des nôtres. Beaucoup de nos compatriotes
croient que l'amour à Madagascar se réduit à un simple accouplement,
que hommes et femmes sont plongés dans une sensualité grossière; c'est
une opinion erronée. Car, s'il est vrai qu'à Madagascar l'amour dans le
mariage est rare, comme on peut le penser d'après les renseignements que
nous avons donnés sur la manière dont se font les fiançailles et se nouent
les liens conjugaux, il n'est pas moins vrai que, comme partout, il y a des
hommes qui souffrent pour une femme, il y a des femmes qui aiment leur
mari ou leur amant d'un amour profond. Nombreux sont les exemples
qu'on en pourrait donner : on a vu des veuves demeurer des semaines et
des mois à côté de la tombe de leur époux, gémissant et pleurant; on a vu
des femmes Betsimisaraka donner des preuves d'affection réelle et de
dévouement méritoire aux colons, qui les avaient épousées, etc.. En
réalité, beaucoup de femmes malgaches « sçavent aimer » comme l'a
écrit un ancien voyageur, et la meilleure preuve qu'on en puisse donner,
c'est que le nombre de colons, venus à Madagascar avec l'intention de
retourner un jour en Europe ou aux îles Maurice et Bourbon, y sont
restés toute leur vie avec la femme qu'ils y avaient épousée. Il faut toutefois
dire que les Malgaches n'étant pas d'une nature démonstrative, ne
dévoilent pas volontiers les secrets de leur cœur : il paraît que, en dépit de
leurs sentiments intimes, les jeunes femmes en général, surtout au
commencement de leur mariage, font montre d'indifférence à l'égard de leurs
maris, ce qui n'est pas pour plaire aux intéressés ; aussi les Merina ont-ils
formulé le précepte suivant : Tsy mety ny manao fitia mifono avona (il n'est
pas bien de cacher son amour sous des dehors hautains) et, lorsqu'elles
souffrent du mal d'amour, elles ont la douleur passive et se livrent
rarement à des manifestations extérieures.
Les Malgaches, hommes comme femmes, nedédaignent pas de recourir
aux bons offices des sorciers, les uns pour gagner l'amour d'une belle qui
restait insensible à leurs assiduités ou pour ranimer celui d'une épouse
qui voulait se séparer, les autres pour s'attacher un époux volage ou faire
la conquête d'un galant réfractaire à leurs charmes. Le mpilokalefona,
comme on appelait les Antimorona qui s'en allaient par tout Madagascar
vendant des charmes, des talismans et des formules magiques à toutes
fins, en avaient naturellement hasafosafony viavy (pour être caressé et
aimé des femmes) fandraikatry valiny tsy tiany (pour garder son
épouse), etc.. Dans certaines régions, notamment dans le Sud, les
femmes convaincues d'user de sortilèges pour se faire aimer de leurs
maris étaient mises à mort comme sorcières.
Beaucoup de femmes Sakalava et même d'hommes ont, ou du moins
avaient encore à la fin du siècle dernier la poitrine, les seins, surtout les
bras, marbrés de cicatrices, preuves d'amour que les jeunes époux ou les
amants aimaient à se donner, se mordant au sang ou se brûlant avec un
fer rouge ou bien se tailladant avec un couteau, car ces stigmates indélé-
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biles, qui perpétuaient le souvenir de leurs ébats amoureux, étaient à
leurs yeux très honorables et l'un de nous a vu des querelles et des
brouilleries dans un jeune ménage parce que la femme n'avait pas voulu
se prêter à ces jeux quelque peu douloureux. Le Rév. Walen a constaté
que les couples heureux et affectionnés n'étaient pas rares dans l'Ouest et
que bien des veufs et des veuves ont montré un réel chagrin à la mort de
leur conjoint; quelques-uns même ne voulaient pas quitter leur
tombeau.
Toutefois, il n'en est pas partout de même ; dans l'attachement des
Malgaches du Sud, Bara, Antandroy et Mahafaly pour leurs femmes, qui
ont, il est vrai, dans ces peuplades, une situation infime, qui sont presque
des esclaves, il n'y a ni affection réelle, ni tendresse, ni sentimentalité ;
il n'y a que de la sensualité : pour eux, a la femme est une machine à
plaisir, propre à faire des enfants, qu'ils renvoient lorsqu'elle a cessé de
plaire ». Chez les Betsileo, qui sont cependant plus civilisés, et on peut
ajouter chez quelques Merina qui sont, comme les Betsileo, très
intéressés, « l'affection des femmes pour leurs maris dure tant qu'il y a du
riz et des vivres à la maison, mais si la nourriture vient à manquer, la
femme ne tarde pas à retourner dans sa famille ». Du reste, comme nous
le verrons plus loin, si l'amour dans les ménages malgaches est souvent
absent, il en est de même de la confiance réciproque entre époux.
LA FIDÉLITÉ A MADAGASCAR.
LA JALOUSIE A MADAGASCAR.
Mahafaly semblent être les seuls qui aient conservé les habitudes de
jalousie apportées par certains immigrants d'outre- mer.
Quant aux chefs et rois des diverses peuplades, les uns, ceux des Betsi-
misaraka (ou Zanamalata), des Antanala, de la plupart des tribus Bet-
sileo et Sakalava, des Merina, laissaient leurs femmes sortir librement
sans être voilées, les autres, ceux des Antimorona (Antiony, Anakara,
Antitsimato), des Antanosy (Zafindraminia), des Mahafaly, des Bara, des
Betsileo de l'Isandra (Zafy Manarivo), des Sakalava du Ménabé et du
Boina, des Antalaotra du Nord-Ouest, les tenaient plus ou moins recluses
ou ne les laissaient sortir que voilées et accompagnées, et tous ceux qui
les rencontraient devaient s'empresser de s'écarter de leur chemin, sous
peine de punitions sévères. Mais les uns comme les autres faisaient
sagayer tout individu convaincu d'un commerce illicite avec une de leurs
femmes.
Si d'ordinaire, comme nous venons de le voir, la jalousie ne tourmente
guère les hommes à Madagascar, elle ne tourmente pas davantage les
femmes : « Comme je voyais souvent les femmes d'Andriampanolaha, le
plus grand prince du Matitanoda, raconte Cauche en 1638, je m'enquis
d'elles si elles n'avaient point de jalousie les unes contre les autres ; elles
me dirent que non, que la coutume du pays étant d'obéir à leur seigneur,
elles y obéissaient sans contredire. » En effet, les femmes Malgaches ne
connaissent pas la jalousie due à l'amour ; il est vrai, qu'elles ne sont
nullement sentimentales, et qu'elles n'éprouvent jamais de ces émotions
de l'âme qui rendent les relations entre époux et entre amants tout à la
fois si douces et si ardentes, qu'elles n'aspirent pas à entretenir avec eux
un commerce spirituel et idéal ; aussi sont-elles généralement pacifiques,
et ne se querellent elles pas entre elles, a moins que quelque question
d'amour-propre ou d'intérêt ne vienne à les séparer, ce. qui n'est pas rare.
G. GRANDIDIER. — LE llARÎAGE A MADAGASCAR 45
RAPPORTS CONJUGAUX.
Les Malgaches n'embrassent pas comme nous leurs femmes, pas plus
du reste que leurs enfants, sur le front, sur les joues, sur les lèvres ; ils
approchent leur nez du visage de la femme aimée ou de l'enfant chéri et
font une forte aspiration ; en un mot, ils les flairent, ils les sentent comme
on sent une fleur mioroka ou manoroka vady na zanaka comme ils disent,
tandis qu' « embrasser à l'européenne » se dit mitsenisitra, sucer, téter.
Cette aspiration nasale qui, à Madagascar comme dans toute l'Océanie
remplace notre baiser, a pour principe une idée plus délicate que celle
toute sensuelle d'où est venue la coutume de nos embrassements : l'air
qui s'exhale sans cesse des lèvres n'est pas seulement pour les Malgaches,
comme pour les Océaniens, un signe de vie, mais une émanation de
l'âme, son odeur, son parfum, et, en mêlant les haleines, ils croient unir
les âmes. Cet oroka, ou aspiration nasale, sorte de reniflement, ne se
pratique du reste à Madagascar que dans l'intimité et jamais ou du moins
rarement en public : il est réservé aux mari et femme, aux amants, aux
mères et petits-enfants, mais un frère qui embrasserait sa sœur serait
regardé comme coupable de relations incestueuses et tenu pour sorcier.
Les femmes Malgaches ne sont pas en effet coutumières de ces
démonstrations d'amour, de ces douces caresses auxquelles nous attachons tant
de prix. Le père de famille arrive-t-il après une absence, la femme, les
enfants ne se portent pas au-devant de lui ; la femme l'attend
tranquil ement dans sa case et quand il arrive, elle ne se précipite pas vers lui ;
elle reste assise ; attend qu'il soit assis lui-même, et alors seulement lui
donne le veloma, le salama, le bonjour. On lui donne de l'eau pour laver
sa figure, on lui sert à manger, puis on cause avec calme, comme si l'on
s'était quitté quelques heures avant, sans questions empressées d'une
part, ni longs récits ou explications de l'autre : il s'en est allé, le voici
revenu, qu'a-t-on besoin d'en savoir plus?
Dans le lit conjugal, la femme couche toujours le long du mur, le long
de la cloison, parce que, disent-ils, le mari qui dormirait dans la ruelle
serait dominé par sa femme.
Les relations sexuelles ont lieu à toute époque chez les Merina et les
Antimorooa, jamais ou du moins rarement au moment des règles chez
les Betsimisaraka et chez les Sakalava. Pendant les derniers mois de sa
grossesse, une femme Merina cesse tout rapport intime avec son mari ;
au terme qu'elle a choisi, elle se refuse, mais après avoir cherché elle-
même une remplaçante momentanée, généralement sa plus jeune sœur
lorsqu'elle en a une.
Certaines superstitions ont cours au sujet des relations sexuelles ; par
exemple, les Betsimisaraka du Sud ne consentent jamais à se donner* en
plein champ ou dans les bois, ni dans une maison abandonnée à moins
d'y allumer du feu, car, disent-elles, elles ne pourraient pendant des
heures se dégager des bras de leur partenaire.
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