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LE COACHING, UN SYMPTÔME DE FRAGILITÉ DU LIEN SOCIAL

Pierre Le Coz

S.E.R. | « Études »

2015/4 avril | pages 31 à 41


ISSN 0014-1941
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s oc iét é

Le coaching,
un symptôme de fragilité
du lien social
Pierre Le Coz

On a longtemps voulu y voir un simple phénomène de mode.


Mais, aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : le coaching a
pris racine dans notre culture. En l’espace de trois décennies,
il s’est émancipé de son contexte sportif d’origine pour s’étendre
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à l’ensemble du monde professionnel.

A vec ses recettes psychologiques et son jargon managérial, le coa-


ching a peu à peu gagné les institutions, les mœurs et le quoti-
dien, allant jusqu’à s’immiscer dans nos vies privées. On le rencontre
même dans la sphère spirituelle où il apprend aux prêtres à donner
le meilleur d’eux-mêmes en optimisant leurs ressources psychiques1.
À lire leurs manuels et leurs (nombreux) sites internet, il n’est pas
toujours aisé de comprendre les méthodes des coachs. Empruntés à la
philosophie, à la psychologie ou
Professeur de philosophie, Université
à l’idéologie du développement
d’Aix-Marseille. Ancien vice-président du personnel, leurs outils théo-
CCNE et actuel président du Comité de riques et leurs pratiques d’ac-
déontologie et de prévention des conflits
d’intérêts à l’Agence nationale de sécurité compagnement se combinent,
sanitaire. Auteur de L’empire des coachs pêle-mêle, dans un improbable
(Albin Michel, 2006), et Le gouvernement
des émotions (Albin Michel, 2014).
syncrétisme. Et pourtant, en
dépit de ses faiblesses concep-

1. Cf. Jean-François Noël : « Des prêtres vivants plutôt que des prêtres efficaces », propos recueillis
par Samuel Lieven, La Croix, 19 février 2014 : « Dans certains diocèses, le coaching pour prêtres a
fait son apparition […]. Le but ? Apprendre à s’écouter entre prêtres, à se fixer des objectifs réalistes,
à mieux gérer sa relation avec les fidèles et la hiérarchie. »

études • Avril 2015 • n°4215 • 31

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tuelles, le coaching est parvenu à s’organiser au fil du temps en tant
qu’activité professionnelle et à obtenir une certaine respectabilité so-
ciale, ainsi qu’en atteste le développement de formations diplômantes
à l’Université2.

Que veulent au juste les coachs ? Quels sont les ressorts du suc-
cès de ces nouveaux directeurs de conscience ? De quelles fragilités
est-il symptomatique ? L’appel à l’assistance d’un coach n’est-il pas le
révélateur de la solitude de l’individu contemporain confronté aux
paradoxes de la liberté ?
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Le contexte d’émergence du coaching

À l’origine, le verbe anglais to coach signifie « entraîner » ou « ac-


compagner » dans le sens actif de « motiver ». Ce verbe a lui-même
pour origine un mot français, « coche » qui, au xvie siècle, désignait
une voiture tirée par des chevaux et conduite par un cocher. Le
coach est celui qui fait avancer les voyageurs. Aujourd’hui encore,
«  coacher  » c’est mettre en mouvement, donner une impulsion,
orienter dans la bonne direction. Ses instigateurs définissent le coa-
ching comme une démarche personnalisée d’accompagnement psy-
chologique au changement individuel ou collectif3. Pour en saisir
la véritable nature, il faut garder à l’esprit qu’il plonge ses racines
dans le milieu du sport. La première occurrence du terme apparaît
dès les années 50, dans le football américain4. Le coach est un di-
rigeant sportif qui s’attache à stimuler l’esprit du compétiteur par
une pratique de concentration mentale complémentaire à l’entraîne-
ment physique. Il mobilise ses ressources psychologiques pour en ti-
rer le meilleur parti, étant entendu qu’à corpulences et compétences
égales, c’est le « mental » qui décidera de l’issue d’une confrontation
entre athlètes de haut niveau. Le leitmotiv du coach est que « tout se
joue dans nos têtes5  ». L’accompagnement psychique qu’il propose

2. Cf. par exemple le cursus de la faculté d’économie et de gestion de l’Université d’Aix-Marseille


(www.univ-amu.fr) : « Un DESU ‘‘Coaching en Entreprise à la fac’’ : un gage de professionnalisme ».
Ou encore la mise en place à l’Université de Bordeaux d’une école de management qui délivre des
diplômes de coaching professionnel (cf. www.iae-bordeaux.fr).
3. P. Amar et P. Angel, Le Coaching, Presses Universitaires de France, 2012.
4. Ibid.
5. J. Whitmore, Le guide du coaching, Maxima, 2005, p. 59 et 144.

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aux compétiteurs consiste en des exercices d’autosuggestion et de


conditionnement en vue d’optimiser leurs performances.

C’est à partir des années 80 que le coaching va prendre son es-


sor, s’expatrier hors des États-Unis et essaimer dans d’autres sec-
teurs sportifs. Pour mesurer la nouveauté du phénomène, on se sou-
viendra que jadis l’« entraîneur » (un terme aujourd’hui dépassé) se
bornait à demander aux sportifs qu’ils entretiennent leur masse ath-
létique et travaillent à augmenter leurs prouesses techniques (savoir
mieux dribler, viser, tirer, etc.). Jusqu’alors, il n’accordait aux aspects
psychologiques qu’une importance secondaire. L’entraîneur faisait
régner dans les vestiaires une atmosphère disciplinaire, exaltant
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les vertus morales (courage, endurance, tempérance) et le devoir de
professionnalisme. Les sportifs étaient astreints à des exercices es-
sentiellement corporels ; leurs états d’âme et leurs dispositions in-
times paraissaient relever de contingences subjectives irréductibles.
Avec l’essor du coaching sportif, l’esprit du champion commence à
faire l’objet d’un travail de musculation comparable à celui auquel
doit se soumettre le corps. Plus rien ne doit être livré au hasard ou
à l’approximation : le mental se travaille aussi, par la stimulation et
l’acquisition d’automatismes psychiques. Comme l’écrit un repré-
sentant de la profession, le coaching sportif ne se limite plus au « dé-
veloppement des ressources de l’athlète » mais vise aussi « l’exploita-
tion totale du potentiel de ce dernier6 ».

L’essor du coaching reflète, à sa façon, le passage d’une étape nou-


velle dans l’histoire de la modernité, sa transition vers un âge post-mo-
raliste marqué par la psychologisation du vécu, le droit aux affects et
le primat du désir d’épanouissement personnel7. À la différence de
l’entraîneur qui était encore du côté de la morale et du savoir-faire, le
coach est du côté de « l’éthique » et du « savoir-être »8. L’émergence
du type « coach » est allée de pair avec un changement de paradigme
dans la culture sportive, en écho à un déclin plus global de figures tra-
ditionnelles de l’autorité qui affecte toutes les relations hiérarchiques.
Le phénomène du coaching traduit moins le besoin d’un nouveau

6. J. Sordello, Coaching du sportif, Amphora, 2004, p. 17.


7. G. Lipovetsky, Le crépuscule du devoir. L’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques,
Gallimard, 1992.
8. R. M. Halbout, Savoir être coach : un art, une posture, une éthique, Eyrolles, 2009.

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père que l’effacement du régime paternaliste de gouvernement des es-
prits, l’avènement d’une forme moins autoritaire, plus participative,
plus souple et interactive de management. Le coach se situe dans la
position tutélaire et bienveillante d’un «  grand frère  », avec l’oreille
attentive d’un confident auquel le coaché peut livrer des éléments psy-
chologiques comme la déception, le manque de confiance, la peur de
l’adversaire et autres défaillances intimes. Comme le résume bien un
cadre de santé qui pratique le coaching en milieu hospitalier « l’au-
torité hiérarchique, le savoir et l’expertise ne sont plus aujourd’hui
des sources de pouvoir suffisantes pour un responsable d’équipe. Il
doit enrichir sa fonction de leader, celui qui fait faire, par une fonc-
tion de coach, celui qui fait être […]. Dans un environnement fait de
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turbulences, d’accélération et de pression, il est capable de connecter
chacune à sa motivation profonde.9 »

Mais pas davantage que la nostalgie d’une quelconque figure


paternelle, le coaching n’exprime une passion grandissante pour la
psychologie. Il serait sans doute erroné d’interpréter le succès du coa-
ching comme l’extension de
la psychologie à l’ensemble
Le coaching annonce
de la vie sociale. Car bien
l’épuisement de la psychologie loin d’être le symptôme
d’une société où la psycholo-
gie aurait fini par se nicher partout, le coaching annonce l’épuisement
de la psychologie entendue dans ses modalités classiques, la psycholo-
gie des années 1960-70 qui était fortement influencée par la psychana-
lyse. L’attrait pour les coachs exprime le besoin d’avoir recours à une
autre psychologie, moins intellectuelle et plus pragmatique, moins
curative et plus efficace, afin de répondre à des objectifs immédiats
d’amélioration de ses performances (mieux communiquer, dévelop-
per des talents de négociateur ou de leader, savoir s’affirmer, devenir
plus créatif, etc.). Il n’est pas question de raconter sa vie sur un di-
van mais de trouver des solutions pour faire face aux problèmes du
présent. L’usage fréquent de concepts à forte connotation cérébraliste
(« potentiel d’action », « coaching cognitif »10, « programmation neu-
rolinguistique » « mentalisation », etc.) témoigne de cette volonté des

9. B. Stenier, « L’attitude coach et les styles de ledearship » (2e partie), Soins Cadres, n° 52, 2004.
10. M. Pichat, Manuel de coaching cognitif et comportemental, Inter-édition, 2014.

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coachs de répondre à la nouvelle demande sociale, de donner congé


aux catégories surannées de la psychothérapie analytique, jugée trop
longue et aléatoire dans ses résultats. Et même si le coach fait aussi de
la psychologie, son style a peu à voir avec la pratique de la cure psy-
chanalytique. L’objectif du coach n’est pas de se mettre à l’écoute des
affects mais de « gérer » des émotions11. Il veut apprendre à son client
à se transcender, à sublimer ses échecs, à convertir la faiblesse de sa
timidité en force d’intimidation.

Extension du coaching au domaine de l’entreprise


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Les années 90 marquent un tournant dans l’histoire du coaching.
Après la chute du mur de Berlin, le libéralisme cherche à asseoir sa
légitimité ailleurs que dans la conjuration du spectre communiste. Ses
tenants veulent concevoir un capitalisme à « visage humain », adapté à
l’ethos individualiste et à ses nouvelles aspirations hédonistes12. Com-
ment instaurer un « nouvel ordre mondial » qui dépasserait la guerre
économique au profit d’un mode de régulation de la compétition plus
éthiquement acceptable ? Le succès croissant de la métaphore sportive
dans les années 90 ne peut être dissocié de cette volonté diffuse d’hu-
maniser le libéralisme, d’en finir avec le « marketing guerrier » qui
prédominait jusqu’alors dans le marché des affaires13. Le coaching va
jouer un rôle charnière dans cette évolution des mentalités, en subs-
tituant sa rhétorique sportive au lexique belliqueux du capitalisme
classique. Tandis que les collègues de travail deviennent peu à peu des
« coéquipiers », les grandes firmes aménagent sur place des salles de
sport et des lieux de relaxation pour leurs salariés14. En France, Aimé
Jacquet, célèbre coach de football auréolé de son succès mondial avec
l’équipe de France en 1998, devient un modèle pour tous ceux qui,
au-delà du sport, veulent devenir des « gagnants »15.

11. P. Le Coz, Le gouvernement des émotions, op. cit., p. 35.


12. Cf. M. Albert, Capitalisme contre capitalisme, Seuil, 1991.
13. A. Ries et J. Trout, Le Marketing guerrier, McGraw-Hill, 1989 ; P. Kotler, R. Singh « Marketing
Warfare in the 1980s », Journal of Business Strategy, 1981, p. 30-42.
14. B. Barbusse, « Entre sport et entreprise, une attirance réciproque », L’Expansion Management
Review, n° 134, sept. 2009.
15. « L’ex-entraîneur des Bleus incarne le coach idéal », dans Liaisons sociales Magazine,
janvier 2002 (cité par B. Barbusse, op. cit).

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De nombreux coachs sont demandés en entreprise pour leur ex-
pertise en «  management des âmes  »16. De loin en loin, c’est toute
l’activité professionnelle qui tend à devenir un sport d’équipe17.
Dirigeants et managers repensent leurs objectifs à travers le lexique
des coachs : se dépasser pour atteindre l’excellence, améliorer ses
performances, optimiser ses compétences, augmenter sa puis-
sance… Le coaching devient la gymnastique psychique des déci-
deurs soucieux de « muscler » leur entreprise. Comme dans n’im-
porte quel sport, le compétiteur doit apprendre à imposer son jeu à
ses adversaires : « les grands matchs à gagner, ce sont les défis liés au
changement dans l’entreprise, tels que fusions, restructurations ou
internationalisation.18 »
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La terminologie sportive reconduit, par des voies inédites, la dia-
lectique hégélienne qui articule l’universel et le particulier19, en as-
surant la synchronisation des objectifs individuels et collectifs, l’as-
piration à être soi et l’exigence de se dévouer au service du groupe.
C’est une nouvelle manière de s’interpréter soi-même qui se met en
place. C’est aussi une nouvelle façon de retisser du lien au sein du
monde de l’entreprise où les relations de coopération et d’entraide
sont distendues par l’individualisme ambiant20. En modelant l’im-
plication professionnelle sur l’entraînement d’un champion de haut
niveau, le coach s’entend à stimuler et orienter les cadres d’entreprise
de telle sorte qu’ils découvrent que leur volonté la plus profonde est
d’accroître leur « potentiel », d’être toujours plus motivés et perfor-
mants au service du collectif.

Cette démarche d’accompagnement dans la découverte de ses


motivations latentes s’accomplit à la faveur d’une forme réactualisée
de maïeutique socratique21. Selon cette méthode, le coach n’enseigne
rien à son client mais l’aide à trouver en lui-même les solutions à ses
problèmes personnels ou professionnels. L’accouchement psychique
suit trois étapes : le questionnement, l’écoute bienveillante et la

16. V. Brunel, Les managers de l’âme, La Découverte/Poche, 2008.


17. B. Barbusse, « Sport et entreprise : des logiques convergentes ? », L’Année sociologique,
« Sociologie du sport en France, aujourd’hui », Volume 52/2002, n° 2. 2002, p. 391-415.
18. J.-F. Polot, Les Échos, n° 17876, avril 1999, p. 66.
19. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, trad. R. Derathé, Vrin, 1998.
20. L. Grzybowski, « Une étude révèle le fragile lien social en France », La vie, 23 octobre 2012.
21. F. Delivré, Le métier de coach : Spécificités, rôles, compétences, 3e éd. Eyrolles, 2013.

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reformulation des propos du coaché en vue de créer un effet miroir22.


Le coaching se dote ainsi d’une méthode reproductible susceptible de
faire l’objet d’une transmission. Sous le contrôle d’une société natio-
nale qui délivre les agréments23, il fait l’objet d’une formation standar-
disée qui débouche sur un métier à part entière, pouvant donner lieu
à de confortables rétributions.

En dehors de la maïeutique néo-socratique qui constitue sa co-


lonne vertébrale méthodologique, le coaching fait également appel à
une pluralité de techniques et de savoirs aux contours théoriques in-
certains tels que l’« analyse transactionnelle », la « gestalt-thérapie »
ou les «  psychothérapies cognitivo-comportementales  ». Mais peu
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importe le jargon qu’on utilisera pourvu que soit atteint l’objectif
qui est d’aider le coaché à savoir reconsidérer ses échecs, à améliorer
la perception qu’il a de lui-même, à mieux s’estimer lui-même, à en
finir avec les «  états négatifs  » comme les sentiments de culpabi-
lité ou de tristesse, la peur inhibitrice ou le sens du tragique. Cela
implique la mise en œuvre au quotidien de techniques de gestion
émotionnelle. Par exemple, si un salarié se sent perturbé par une
parole déplaisante et enclin à riposter par la colère, il accomplira
un geste simple tel que serrer un poing, pour se remettre en mé-
moire un paysage bucolique auquel il a associé cet automatisme phy-
sique. À l’image, il associera le son d’une voix intérieure qui l’aidera
à se maîtriser : « Je ne suis pas cette tortue qui retarde ma marche !
Je suis un champion !24 » Le rôle du coach d’entreprise est d’amélio-
rer les performances du groupe, en apprenant à chacun à changer
la représentation de ses coéquipiers. Par exemple, si un membre de
l’équipe se plaint d’avoir affaire à un partenaire «  têtu  », le coach
l’aide à changer sa représentation en l’entraînant à dire « ténacité »
là où il parlait d’« entêtement ». Chacun, par la grâce du coaching,
est appelé à appréhender les autres de façon plus positive, dans une
dynamique d’épanouissement mutuel.

22. B. Hévin, J. Turner, Manuel de coaching. Champ d’action et pratique, Dunod, 2002.
23. http://www.sfcoach.org/
24. F. Guinochet, J.-C. Durieux, Toutes les clés d’un bon coaching, EFS Éditeur, 2006, p. 72.

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Le recours aux coachs :
un indicateur de solitude existentielle
Le coaching nous prépare-t-il l’avènement d’une société où les
individus tourneront à plein régime ? La charte déontologique de
la société française de coaching nous met en garde contre toute vi-
sion simplifiée : sa « vocation n’est en aucun cas de ‘‘formater’’ des
individus, mais de contribuer au développement professionnel de
personnes libres et conscientes de leurs choix 25 ». Il arrive même à
ses tenants de faire de la « relation d’aide » leur cœur de métier26.
Mais cette visée humaniste se détache sur fond d’un volontarisme
idéologique qui ne laisse pas d’inquiéter lorsqu’il rend quelques ac-
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cents totalitaires : « Le plein potentiel de performance des collabo-
rateurs ne sera libéré que lorsque les principes du coaching régi-
ront et sous-tendront tous les comportements et les interactions de
management.27 »

Cet édifiant programme fait entrevoir, derrière l’alibi de l’épa-


nouissement, le risque d’une conformation des esprits à un mode de
pensée à la fois rudimentaire et déshumanisant. Pour autant, il ne suf-
fit pas de pointer les risques d’emprise idéologique. Encore faut-il se
donner les moyens de comprendre ce qui produit l’engouement d’une
partie de nos contemporains pour le coaching. Comment rendre
compte de ce phénomène d’adhésion collective au coaching qui,
au-delà du management sportif ou entrepreneurial, empiète jusque
dans le champ de la vie privée (« love coaching », coaching pour pa-
rents, célibataires, adolescents, etc.) ? Comment le désir de croire
peut-il l’emporter sur la volonté de savoir ?

Le succès du coaching tient d’abord au fait qu’il répond à la so-


litude existentielle de l’individu contemporain en intégrant à son
offre managériale des problématiques spirituelles telles que la quête
du sens de la vie28. Ces questions qui étaient jusqu’alors refoulées
hors de la sphère socio-professionnelle ont été prises en compte dans
la démarche d’accompagnement du coaching. Dans les hôpitaux,

25. http://www.sfcoach.org
26. V. Lenhardt, Au cœur de la relation d’aide, Inter-éditions, 2008.
27. J. Whitmore, Le guide du coaching, op. cit., p. 14.
28. R. Dilts, Être Coach : de la recherche de la performance à l’éveil, Dunod, 2008.

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par exemple, le « coaching-santé » aide le soignant à se réaliser, « à


trouver dans son travail des moyens pour combler ses désirs de com-
prendre, de grandir et de donner un sens à sa vie29 ». La maïeutique
du coaching est donc plus qu’un accouchement de solutions
pragmatiques en vue de résoudre tel ou tel problème ponctuel ; elle
s’inscrit dans une visée ontologique. Elle est un éveil à soi, une voie
initiatique et un cheminement intérieur vers ce que l’on est au plus
profond de soi-même30.

Le coaching est ainsi parvenu à annexer au monde profession-


nel la nébuleuse du «  développement personnel31  » qui réconcilie la
réalisation spirituelle et la réussite professionnelle. En s’attachant les
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services d’un coach, cadres et
dirigeants sortent de leur an-
Le coach répond au besoin
goisse de décideurs, ils ne sont
plus livrés à eux-mêmes et à la
d’être orienté, soutenu
solitude de leurs choix. Nous
avons émis dans un travail précédent l’hypothèse qu’il existait en
chacun de nous une propension à projeter sur un Autre un savoir qui
dépasse nos capacités de nous comprendre nous-même32. Nous atten-
dons d’un Autre qu’il nous transmette ce savoir par la grâce duquel
nous deviendrions transparents à nous-mêmes. Le succès du coaching
le doit probablement à cette croyance qu’un Autre sait sur nous ce que
nous ignorons et qui nous serait tellement important pour nous com-
prendre nous-mêmes. Dans une société sans repère transcendant, où
chacun est responsable de sa vie, le coach répond au besoin que cha-
cun peut ressentir d’être orienté, soutenu, compris et rassuré par un
tiers qui donne du sens à ses choix33.

À l’ambition de ses fins, le coaching ajoute l’économie de ses


moyens. La séduction exercée par les coachs vient de ce qu’ils font
miroiter la perspective d’un changement rapide de soi. L’affairement

29. B. Stenier, « L’attitude coach et les styles de ledearship » (1ère partie), Soins Cadres, n° 51, 2004.
30. V. Lenhardt, « Les responsables porteurs de sens : culture et pratique du coaching et du team
building », Insep Consulting, 2010.
31. M. Lacroix, Le développement personnel, Flammarion, 2000.
32. Co-rédigé avec le psychanalyste Roland Gori. Cf. R. Gori, P. Le Coz, L’empire des coachs. Essai
sur une nouvelle forme de contrôle social, op. cit.
33. R. Gori, P. Le Coz, « Le coaching : main basse sur le marché de la souffrance psychique » dans Les
maladies du libéralisme, Cliniques méditerranéennes, 2007/1 (n° 75), 2007.

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caractéristique de notre époque favorise un processus d’« externalisa-
tion » de la pensée. Faute d’avoir du temps à consacrer à la réflexion,
contraint de parer au plus pressé et de produire des résultats dans des
délais toujours plus courts, l’individu contemporain n’a plus d’autre
issue que de confier à un coach le soin de réfléchir à sa place. Pris
dans les rets d’une temporalité accélérée, mis en demeure d’être ra-
pide, efficace, adaptable à l’imprévu et à la nouveauté34, il ne s’octroie
plus la possibilité de l’errance et du tâtonnement, qui sont pourtant
nécessaires à la connaissance de soi. Les nouvelles générations ne sont
pas épargnées. À défaut de pouvoir partager un moment de dialogue
avec leurs enfants, de plus en plus de parents font appel à des « coachs
d’orientation  », au risque d’expédier un choix d’avenir déterminant
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comme une vulgaire affaire courante35.

En dispensant ses adeptes d’avoir à fournir des efforts intellec-


tuels, le coaching se présente comme une voie d’épanouissement
«  démocratique  » qui court-circuite les médiations classiques de la
philosophie, des sciences humaines, des arts ou de la littérature36.
Le coach n’impose pas le détour ardu de la culture livresque. Il pro-
pose des voies corporelles et psychiques accessibles à tous (relaxation,
footing, respiration, auto-suggestion, mentalisation, etc.) tout en se
prémunissant contre les reproches d’amateurisme par l’affichage de
nombreuses références académiques. La plus constante d’entre elle est
la «  psychologie humaniste  » de Carl Rogers37. Souvent cité par les
coachs38, ce psychologue américain a lancé la vogue tous azimuts des
tuteurs « non directifs » et « non prescriptifs » qui se proposent d’ac-
compagner l’individu dans son acceptation du réel. C’est aux tenants
de la psychologie humaniste et aux coachs que nous devons d’utili-
ser ce nouveau verbe dans nos conversations ordinaires : « positiver ».
Le message est simple, sinon simpliste : nous ne vivons pas dans un
monde idéal mais nous avons en nous le potentiel pour idéaliser celui
dans lequel nous vivons.

34. Cf. « L’avènement du mufle affectif » dans P. Le Coz, Le gouvernement des émotions, op. cit.,
p. 19-23.
35. E. Lucas, « L’orientation, un marché florissant », La Croix, 17 janvier 2015.
36. H. Blanchard, Le Coaching centré sur la solution, Inter-édition, 2012.
37. C. Rogers, Être vraiment soi-même. L’approche centrée sur la personne, Eyrolles, 2012.
38. S. Persson, « Les références du coaching. Analyse bibliométrique de la littérature francophone »
(1992-2003), Revue internationale de psychosociologie, 2006/27 (Vol. XII).

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l e c o a c h i n g

Que reste-t-il aujourd’hui du «  cogito, ergo sum  » de Descartes ?


L’ancrage du coaching dans notre culture nous parle de la difficulté de
l’individu moderne à être à la hauteur de l’idéal d’émancipation qu’il
s’est lui-même fixé au seuil de la modernité. Dans un monde privé des
instances dispensatrices de sens (la religion, la patrie, la famille, la mo-
rale, le parti, le sens de l’Histoire), un monde au sein duquel chacun est
renvoyé à la solitude de ses choix, sommé d’être à la hauteur de l’être
performant, toujours jeune et souriant que l’on attend qu’il soit, le poids
de la responsabilité est parfois écrasant. La contingence des choix pri-
vés ou professionnels génère des angoisses existentielles qui se trouvent
des réponses hâtives, parfois dépourvues de sens critique. Le succès de
l’idéologie de ces nouveaux maîtres à penser nous donne un aperçu des
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carences du lien social, du vide de l’existence humaine lorsqu’elle est
privée de l’autre, qu’il soit présent par les livres ou dans l’amitié.

Pierre Le Coz

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Retrouvez le dossier « Questions sociales en France »


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