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Université de Ghardaïa
Faculté des Lettres et des Langues
Département de Langue et Littérature française
Mémoire de Master
Pour l’obtention du diplôme de
Master de français
Spécialité : Littérature générale et comparée
Par
BENOUDINA Aicha
Titre :
Directeur de mémoire :
Jury :
Comme l’a écrit Umberto Eco: « Les livres parlent toujours d’autres livres, et chaque
histoire raconte une histoire déjà racontée »1, donc, la littérature est intertextuelle par
nature. Il n’existe pas de création ex nihilo, les écrivains sont toujours influencés
consciemment ou inconsciemment par leurs prédécesseurs. Ils sont tributaires de leurs
cultures littéraires.
Il y avait deux ans, par hasard, en regardant un reportage à la télévision, nous étions
impressionnés par une nouvelle qui concerne notre spécialité et qui nous concerne
comme étant des étudiants en littérature française, c’était un évènement marquant qui
date du 3 novembre 2016, une jeune franco-marocaine qui s’appelle Leila Slimani été
couronnée par le prix Goncourt de l’an 2016, pour son deuxième roman Chanson douce.
Notre choix pour ce roman relève de notre curiosité de comprendre comment cette
auteure, une lauréate jeune en écriture et en âge a pu produire une œuvre tellement
originale qui a gagné l’étonnement des membres de l'académie Goncourt.
Donc nous avons fait des recherches sur cette auteure et son œuvre pour découvrir son
style, son histoire, ses critères distinctifs qui l’a menée d’avoir ce plus prestigieux prix
de la littérature française.
Nous avons eu l’occasion d’avoir et de lire ce bouquin qui, dès le début, et depuis ses
premières pages du premier chapitre , nous avons été fasciné et attiré par un épigraphe
1
Umberto Eco, Apostille au nom de la rose, Le Livre de Poche, Paris, 1987, p. 25.
5
Introduction
Marmeladov lui avait posée la veille lui revint tout à coup à l’esprit. « Car il faut que
tout homme puisse aller quelque part. »2
Cela nous a donné un autre champ de recherche sur un nouveau nom littéraire du XIXe
siècle de l’une des plus anciennes littératures universelles : la littérature russe. Et
finalement nous étions arrivés à découvrir que Dostoïevski , l’auteur russe a déjà écrit
une nouvelle qui s’intitule « La douce » .
À partir de la définition de Genette des relations textuelles : « tout ce qui [... ]met [un
texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes »3, nous allons conduire
notre recherche sur le fondement de la problématique suivante : quels sont les procédés
intertextuels utilisés par Slimani dans son roman Chanson douce en s’inspirant de la
nouvelle de Dostoïevski ?
Alors, dans notre travail, nous allons entamer une analyse qui s’appuie sur cette récente
approche apparue vers les années 60 dans le domaine de la critique littéraire qui est
l’intertextualité.
Cependant, l’objectif de notre travail est de lancer les passerelles qui se construisent
entre ces deux œuvres de deux époques différentes et deux littératures différentes, en
cherchant à octroyer à la littérature une autre figure qui repose particulièrement sur une
écriture de toute évidence inspirée des travaux déjà effectués.
2
Leila Slimani, Chanson douce, Gallimard, Paris, 2016, p.11.
3
Gérard Genette, Palimpsestes – La Littérature au second degré, Editions du Seuil, 1982, p.13.
6
Introduction
De plus, nous analyserons d’autres éléments intertextuels qui nous semblent importants
dans notre recherche. D’abord, nous essayerons d’étudier l’épigraphe pour montrer le
rapport intertextuel qui existe entre ces deux œuvres. Ensuite, nous allons aussi étudier
le personnage de la femme qui s’est suicidée dans la nouvelle russe et de la nounou du
roman francophone. Enfin, nous tenterons d’analyser les pratiques hypertextuelles telles
que la thématique dans Chanson douce de Slimani par rapport à La douce de
Dostoïevski.
Pour ce faire, nous avons choisi, comme exemple, le thème suicide, la vie quotidienne
et les classes sociales, les ambitions féminines et la servitude.
Pour répondre à la problématique, nous avons articulé notre travail sur le plan
méthodologique en deux chapitres. Avant d’entamer cette analyse, nous avons jugé
intéressant de consacrer un chapitre aux concepts théoriques afin de tracer le chemin
d’analyse et encadrer notre champ d’étude. Alors, nous avons intitulé notre premier
chapitre : Intertextualité : origine et développement où nous allons exposer les concepts
relatifs à cette notion d’intertextualité : son origine, la naissance du concept ainsi que
l’ensemble des définitions développées par différents théoriciens. Cela, va nous servir à
bien dans notre recherche.
Ensuite, nous nous pencherons sur l’analyse des personnages comme relation de
coprésence pour démontrer les liens existant entre ces personnages de La douce et de
Chanson douce. En dernier lieu, nous soulèverons l’analyse de la thématique commune
des deux œuvres.
7
CHAPITRE I
Intertextualité, origine et
développement
5
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Pour les chercheurs, leur objet d’étude dans cette période était les plus anciennes
époques historiques telle que l’Antiquité, qui joue un rôle prépondérant dans cette
phase, car plusieurs écrivains ont été inspirés par les mythes grecs et romains, et même
par les livres Saints qui deviennent des modèles narratifs pour la rédaction de plusieurs
œuvres littéraires.
Le fait que nous avons choisi comme thème de recherche : l’intertextualité entre le
roman de Chanson douce de Leila Slimani et la nouvelle de Fiodor Dostoïevski, La
douce, notre champ théorique est délimité.
Puisque notre corpus d’étude s’inscrit dans deux périodes différentes et deux littératures
distinctes, nous tenterons d’examiner le traitement attribué à la notion d’intertextualité
par la critique littéraire. Par la suite, nous nous pencherons sur l’appoint que peut
apporter cette présente recherche à l’étude de ce phénomène au roman de Leila Slimani.
Nous allons essayer d’offrir une vision large des utilisations que l’on a pu faire du
concept et son évolution et des définitions que l’on a pu en donner et qui ont toutes
pour visée, la présence d’un texte antérieur ayant son reflet dans un autre texte.
9
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Dans la seconde moitié du XXe siècle, Les théories de l’historien russe Mikhaïl
Bakhtine (1895-1975) étaient introduites dans le champ français, notamment grâce à
Julia Kristeva et Tzvetan Todorov qui ont interprété les écrits de Bakhtine qui datent de
la première moitié du siècle . 4
Cette introduction des textes de Bakhtine n’a pas été sans difficulté, étant donné
l’obstacle de la langue (peu d’intellectuels francophones connaissant le russe), mais elle
a été accompagnée d’une impressionnante force d’imprégnation, pénétrant la totalité du
champ des sciences humaines.5
« Quelles sont les grandes options de l’esthétique formaliste ? L’art et la littérature s’y
définissent par ceci qu’ils ne servent pas des fins extérieures mais trouvent leur justification
en eux-mêmes. Du coup, l’essentiel n’est pas dans la relation de l’œuvre avec des entités
autres ---- le monde, ou l’auteur, ou les lecteurs---- mais dans la relation de ses propres
éléments constitutifs entre eux. »7
4
Tiphaine Samoyault, L'intertextualité: Mémoire de la littérature, Armand Colin, 2013, p.19.
5
https://journals.openedition.org/slavica/348?lang=en , consulté le 07/01/2018.
6
Parus respectivement aux éditions Gallimard en 1978 et 1984.
7
Tzvetan Todorov, Préface d’Esthétique de la création verbale, Gallimard, Collection Bibliothèque des
Idées, Paris, 1984, p.9.
10
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Pour le premier, Esthétique et théorie du roman, il occupe, depuis les années 1960, une
place fondamentale dans l’analyse littéraire. Elle est lue et commentée dans les
universités d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Amérique Latine. Or, cette œuvre est
également centrale dans le domaine des sciences du langage, et tout particulièrement de
la linguistique du discours.
« l’aspect dialogique du discours et tous les phénomènes qui lui sont liés, sont restés
jusqu’à une époque récente, en dehors de l’horizon de la linguistique. Pour ce qui
est de la stylistique, elle était complètement sourde au dialogue. Elle concevait
l’œuvre littéraire comme un tout fermé et autonome, dont les éléments composent un
système clos, ne présupposant rien en dehors de lui-même, aucune autre
énonciation. »8
Pour définir cette théorie, Bakhtine la définie par une série de termes qui valorisent
l’idée du dialogue des textes en disant que : « le roman […]est un phénomène
pluristylistique, plurilingual, plurivocal »9
Il cherche à mettre en évidence la pluralité des voix dans tous les textes, ce qui est
connu sous le nom de « polyphonie » , mot introduit en théorie littéraire en Europe de
l'Ouest dans les années 1960.10
C'est dans Problèmes de la poétique de Dostoïevski, que le mot polyphonie est utilisé le
plus largement et est défini le plus clairement :
8
Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1987, p. 970.
9
Ibid., p.87.
10
Tiphaine Samoyault, L'intertextualité: Mémoire de la littérature, Armand Colin, Paris, 2013, p.56.
11
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
l'est généralement le mot (= le discours) de l'auteur ; il n'est pas aliéné par l'image
objectivée du héros, comme formant l'une de ses caractéristiques, mais ne sert pas
non plus de porte-voix à la philosophie de l'auteur. Il possède une indépendance
exceptionnelle dans la structure de l'œuvre, résonne en quelque sorte à côté du mot
(= discours) de l'auteur, se combinant avec lui, ainsi qu'avec les voix tout aussi
indépendantes et signifiantes des autres personnages, sur un mode tout à fait
original » 11
La polyphonie est un mot pris du grec « poluphônia » et qui veut dire, d'après
l'étymologie, multiplicité de voix ou de sons. Initialement, il a été utilisé dans le
vocabulaire de la musique vocale .12
Dans le roman polyphonique, nous constatons que l'essentiel est la libération des
personnages par rapport à l'auteur-narrateur. Le personnage ne reflète pas la pure
conscience de l'auteur-narrateur. Il a autant d'autorité que celui-ci. De cette façon, le
roman présente une multiplicité de consciences indépendantes, d'idéologies variées et
de langages divers. De ce fait, selon Bakhtine, contrairement à l'épopée, qui est
fondamentalement monologique, dans la mesure où tous les personnages, le narrateur et
donc aussi le lecteur—narrataire, partagent la même vision du monde, sans que soit
laissée la moindre place pour une possibilité d'une autre conception , dans le roman
polyphonique chaque personnage a ses propres points de vue , ses propres conceptions
et idées desquelles résultent des attitudes distinctes .Par conséquent, le roman
polyphonique ne peut être un roman à une seule thèse.14
11
M. Bakhtine, Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Seuil, 1998, Paris, p.33.
12
http://www.cnrtl.fr/definition/polyphonie , consulté le 20/04/2017.
13
Ibid.
14
http://www.fabula.org/atelier.php?Polyphonie_%3A_le_concept_bakhtinien , consulté le 19/11/2017.
12
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
« […] c’est donc bien l’unicité et l’homogénéité de l’énoncé qui est remise en cause,
comme, après Babel, l’unité de la langue fait place à l’éclatement linguistique »15
Ainsi, par sa théorie de l’énoncé et du dialogisme, Bakhtine montra que le roman n’est
pas un simple récit.
Dans ces études aussi, il perçoit que le roman est un fait de langage : « il redonne
également toute sa place au roman qu’il ne réduit pas au simple récit »17
Selon Bakhtine : « L’auteur d’une œuvre littéraire (d’un roman) crée un produit verbal
qui est un tout unique (un énoncé). Il la crée néanmoins à l’aide d’énoncés hétérogènes,
à l’aide des énoncés d’autrui pour ainsi dire. »18
Cette citation est l’une des définitions de Bakhtine qui a inspiré à Kristeva celle de
l’intertextualité.
15
Nathalie Piégay-Gros, Introduction à l'intertextualité, Dunod, Paris, 1996, p. 25.
16
Ibid., p.25.
17
Ibid., p.25.
18
Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Gallimard, Collection Bibliothèque des Idées, Paris, 1984,
p. 324.
13
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Le mot « intertextualité », parfois orthographié dans ses débuts avec un tiret « inter-
textualité », apparaît pour la première fois dans un article de Julia Kristeva précisément
consacré à Bakhtine, intitulé « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman »20.
Cet article sera repris deux ans plus tard dans le recueil Séméiotikè21 , mais entre-temps
Julia Kristeva aura continué d’utiliser le terme, notamment dans le manifeste tel-quelien
Théorie d’ensemble, paru fin 1968.
Chez Kristeva : « la lecture est un processus qui a plus d’importance que le processus
d’écriture de l’auteur dans la création des rapports entre une œuvre et d’autres qui
l’ont précédée ou suivie. »23
19
Julia Kristeva, Séméiôtiké : Recherches pour une sémanalyse, Seuil, Paris, 1969.
20
Julia Kristeva, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », in Critique, n° 239, avril 1967, pp.438-
465.
21
Ibid., p .145.
22
Ibid.
23
Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Seuil, Paris, 1974, p. 60.
14
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Philippe Sollers, un des initiateurs de la collection Tel Quel 24 dans laquelle Julia
Kristeva publie Séméiotikè, lui emprunte également le terme, et revendique son
utilisation et en donne une définition consensuelle : « Le concept d’inter-textualité
(Kristeva) est ici essentiel : tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est
à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la
profondeur. »25
« En effet, il approuve que le texte soit toujours au croisement d'autres textes, car le mot
appartient au sujet ainsi qu’au destinataire, il est orienté vers les énoncés antérieurs et
contemporains. Par conséquent, dans une étude intertextuelle, ce n’est pas l’intention
seule de l’auteur qui compte, ce sont également les perceptions par le lecteur des traces
d’autres textes. L’intérêt de toute recherche intertextuelle est d’étudier comment la
cohabitation des textes produit de nouvelles significations. »26
A partir des années 1970, dans la mouvance de Tel Quel et du structuralisme français,
même si son œuvre a eu un retentissement plus large, Roland Barthe à son tour utilise le
terme et le concept d’intertextualité, en se situant explicitement dans la lignée de Julia
Kristeva, ceci est confirmé par cette citation :
« Texte veut dire Tissu ; […] derrière lequel de tient, plus ou moins caché , le sens (
la vérité), nous accentuons maintenant, dans le tissu ,l’idée générative que le texte
se fait , se travaille à travers un entrelacs perpétuel ; perdu […]le sujet s’y défait,
24
Tel quel est une revue de littérature française d'avant-garde, fondée en 1960 à Paris aux Éditions du
Seuil.
25
Philippe Sollers, « Ecriture et révolution », Théorie d’ensemble, Seuil, Coll. Tel Quel, Paris, 1968.
p.299.
26
Massinissa LOUAIL, « L’intertextualité dans le roman de Kamel Daoud Meursault, contre-
enquête », Mémoire de Master II en langue française : option Sciences des Textes Littéraires Français,
sous la direction du Pr. BOUDAA Zahoua , Université Abderrahmane Mira, Béjaïa, 2016, p.16.
15
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions constructives de
sa toile . […]nous pourrions définir la théorie du texte comme une hyphologie
(hyphos,c’est le tissu et la toile d’araignée) .»27
Sans l’utilisation du mot lui-même, il le représente par une série d’éléments définissants
l’intertextualité telle que Kristeva l’à créée : l’idée de la texture et de l’entrelacs des
textes, l’idée d’une génération ou productivité des hypotextes dans le nouveau texte.
En plus, Barthes considère le texte comme une intersection où se rencontrent les écrits
préalables : « Tout texte est un intertexte ; d'autres textes sont présents en lui, à des
niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la
culture antérieure et ceux de la culture environnante.»29
Dans son livre intitulé: Le plaisir du texte, il met en relief la jouissance esthétique
qu’un lecteur éprouve devant une œuvre littéraire.
27
Roland Barthes, « Le Plaisir du texte », Seuil, Points Essais, Paris, 1973 , p.85.
28
Ibid., p. 89.
29
Roland Barthes, « Théorie du texte », in Encyclopedia Universalis, 1973, p. 815.
16
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Dans ce sens, Gignoux dévoile les raisons qui ont mené Barthes à insister sur
l’anonymat de l’intertextualité en disant : « Si Barthes insiste sur l’anonymat de
l’intertextualité, c’est pour étayer son rejet de la critique traditionnelle, celle qui
cherchait dans les textes la vérité unique de l’interprétation ».30
Dans un article intitulé La trace de l’intertexte paru en octobre 1980 dans la revue de La
Pensée , Riffaterre approuve que : « l’intertextualité est la perception , par le lecteur ,
de rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou suivie. Ces autres œuvres
constituent l’intertexte de la première »31
Quatre mois plus tard, il publie L’intertexte inconnu dans le magasine Littérature pour
éclaircir la notion de l’intertexte en disant que : « l’intertexte est l’ensemble des textes
que l’on peut rapprocher dans sa mémoire à la lecture d’un passage donné. L’intertexte
est donc un corpus indéfini. »32
30
A. C. Gignoux, Initiation à l’intertextualité, Ed., Ellipses, Paris, 2005, p.26.
31
Michael Riffaterre , « La trace de l’intertexte », La Pensée ,n° 215, octobre 1980, p.4.
32
Michael Riffaterre, « l’intertexte inconnu », Littérature n° 41, février 1981, p.4.
17
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Pour lui, l’intertextualité n’est pas un élément créé par l’écriture, mais plutôt un effet de
lecture : c'est-à-dire c’est le lecteur qui est censé réaliser et reconnaître l’intertexte par
sa construction élaborée à partir de sa mémoire et les traces laissées par ce dernier. Il
affirme qu’ :« Elle seule, en effet, produit la signifiance, alors que la lecture linéaire,
commune aux textes littéraire et non littéraire , ne produit que le sens. »33
Donc, il est évident que l’intertexte de Riffaterre est en rapport avec les lecteurs et
leurs perceptions et mémorisations des textes références : dans le cas ou ils ne peuvent
identifier ces références antérieures par rapport au texte étudié, l’intertexte devient
ambigu, autrement dit « La perte de l’intertexte ne saurait entraîner l’arrêt du
mécanisme intertextuel, par la simple raison que ce qui déclenche ce mécanisme, c’est
la perception dans le texte de la trace de l’intertexte ».34
En effet, il distingue cinq types de relation transtextuelle relevés de chaque texte dont il
les considère comme l’objet de la poétique et il les classés dans un ordre
approximativement croissant d’abstraction, d’implicitation et de globalité: la
paratextualité, l’intertextualité, la métatextualité, l’architextualité et l’hypertextualité ;
alors,chez Genette l’intertextualité ne couvre donc pas l’ensemble des catégories, mais
33
Ibid.
34
A. C. Gignoux, Initiation à l’intertextualité, op.cit., p.35.
35
Gérard Genette, Palimpsestes – La Littérature au second degré, op.cit., p. 07.
18
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
elle n’est qu’une catégorie parmi les autres qu’il regroupe sous le nom de
transtextualité.
I.5.1. L’intertextualité
Le premier type des relations transtextuelles est l’intertextualité dont Gérard Genette le
réserve pour identifier les rapports évidents entre deux texte, exprimés implicitement ou
explicitement par l’allusion ou le plagiat, ou par la citation . Selon lui: « Le premier a
été, voici quelques années, exploré par Julia Kristeva, sous le nom d’intertextualité » 36,
qu’il le définit :
« d’une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux
ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence
effective d’un texte dans un autre. Sous sa forme la plus explicite et la plus littérale,
c’est la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec ou sans
référence précise) ; sous une forme moins explicite et moins canonique, celle du
plagiat (chez Lautréamont, par exemple), qui est un emprunt non déclaré, mais
encore littéral ; sous forme encore moins explicite et moins littérale, celle de
l’allusion »37.
I.5.2. La paratextualité
Il s’agit de toute relation qu’un texte entretient avec son paratexte. Chez Genette, c’est
une relation :
«généralement moins explicite et plus distante, que, dans l’ensemble formé par une
oeuvre littéraire, le texte proprement dit entretient avec ce que l’on ne peut guère
nommer que son paratexte : titre, sous-titre, intertitres ; préfaces, postfaces,
avertissements, avant-propos, etc. ; notes marginales, infrapaginales, terminales ;
épigraphes ; illustration ; prière d’insérer, bande, jaquette, et bien d’autres types de
signaux accessoires, autographes ou allographes, qui procurent au texte un
entourage(variable) et parfois un commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur
le plus puriste et le moins porté à l’érudition externe ne peut pas toujours disposer
aussi facilement qu’il le voudrait et le prétend.»38
I.5.3. La métatextualité
Un troisième type de transcendance textuelle qui représente la relation d’un
commentaire partagé entre deux textes .
36
Ibid., p. 8.
37
Ibid.
38
Ibid., p. 10.
19
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Cette métatextualité, selon Genette décrit « la relation […]de « commentaire », qui unit
un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer),
voire, à la limite, sans le nommer[…]C’est, par excellence, la relation critique.»39
Il déclare que cette catégorie se caractérise par sa porosité, elle s’interfère souvent avec
l’intertextualité ,car un métatexte inclut toujours des citations.
I.5.4. L’architextualité
Genette définit cette théorie ainsi :
« Le cinquième type […], le plus abstrait et le plus implicite, […]. Il s’agit ici
d’une relation tout à fait muette, que n’articule, au plus, qu’une mention
paratextuelle (titulaire, comme dans Poésie, Essais, Le Roman de la Rose, etc., ou,
le plus souvent infratitulaire : l’indication Roman, Récit, Poèmes, etc., qui
accompagne le titre sur la couverture), de pure appartenance taxinomique. Quand
elle est muette, ce peut être par refus de souligner une évidence, ou au contraire
pour récuser ou éluder toute appartenance. »40
I.5.5. L’hypertextualité
Gérard Genette accorde une grande partie à cette dernière catégorie une importance
particulière en lui consacrant une grande partie d’étude de son ouvrage Palimpsestes.
Pour lui, l’hypertextualité se définit par :
39
Ibid., p. 11.
40
Ibid.
41
Ibid., p.16.
20
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Pour lui, en effet, ces formes de coprésence sont des exemples de l’intertextualité par
excellence.43
Genette décrit cette relation : « Toute une œuvre B dérivant de toute une œuvre A » .
Donc, Genette met en évidence deux modes de dérivation là où l’intertextualité intègre
l’hypertexte tel que : la transformation et l’imitation.
42
Ibid., p.17.
43
LOUAIL Massinissa, « L’intertextualité dans le roman de Kamel Daoud Meursault, contre-enquête »,
op.cit., p. 21.
21
Chapitre I : Intertextualité, origine et développement
Parmi les procédés hypertextuels qui se font par voie d’imitation ou de transformation,
Genette a parlé du procédé de transposition qu’il a divisé en deux groupes : formels et
thématiques. Il les appelle aussi transformations formelles et thématiques. Nous nous
intéresserons, dans le chapitre consacré à l’analyse intertextuelle, aux formes de
transformation sérieuse dite transposition, particulièrement, à la transformation
formelle, en prenant en considération l’éventuel changement sémantique produit par la
pratique hypertextuel.44
En effet, sans minimiser l’importance des travaux de ses prédécesseurs, il nous semble,
que la théorie de ce critique est la plus satisfaisante à ce que nous tentons d’examiner
dans notre étude.
44
Ibid., p.22.
45
Gérard Genette, Palimpsestes – La Littérature au second degré, op. cit., p.339.
22
CHAPITRE II
Les composantes
intertextuelles dans
l’œuvre de Leila Slimani
5
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Ecrit par Leila Slimani, Chanson douce commence par l’assassinat de deux enfants par
leur nounou à Paris.
Myriam, mère de ces deux jeunes enfants, avocate, habituée à défendre des assassins et
les connaît parfaitement bien, décide de reprendre son travail après avoir consacré
quelques années à l'éducation de ses enfants Mila et Adam. Difficilement, après un
casting sévère, Paul, son mari, et elle-même, recrutent une nounou pour s'occuper de
leurs enfants. La jeune Louise, la nounou est une femme veuve, discrète et en difficulté
financière. Elle révèle des talents exceptionnels : elle est travailleuse et pleine de
créativité pour occuper les enfants et aussi entretenir l’appartement. La bonne entente
des enfants avec Louise, son assiduité, ses heures supplémentaires sans jamais rien
réclamer, l’appartement qui est toujours nettoyé à la perfection à la fin de la journée, les
délicieux repas qu’elle prépare font d’elle la nounou idéale et devient davantage
nécessaire au bien-être familial. Ainsi, elle gagne la confiance des enfants et conquiert
leur affection. Elle occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Elle
devient indispensable, aux yeux des enfants comme des parents, au point même de
l’emmener avec eux en vacances pendant l’été. Puis petit à petit, le piège de la
dépendance mutuelle se referme. Louise, lorsqu’elle n’est pas chez la famille Massé,
elle vit seule dans un minuscule appartement en périphérie de la ville. Sa fille Stéphanie
a fugué. Son mari Jacques est mort, lui laissant un tas de dettes à payer. Le fisc court
d’ailleurs après elle pour récupérer un peu d’argent. Louise a déjà passé du temps en
institut psychiatrique. Depuis qu’elle est sortie, elle n’a jamais manqué de travail. Donc
pour Louise, tout ce qu’elle veut, c’est se sentir moins seule, être aimée et appréciée.
Qu’elle compte pour quelqu’un.
Au fil des jours un éloignement progressif est remarquablement senti entre la nounou et
les parents suite à quelques petits évènements qui se succèdent, par exemple, quand
Louise maquille à l’excès la fillette de quatre ans, ou quand elle refuse le gaspillage au
point de nourrir les enfants avec des aliments périmés récupérés dans la poubelle
familiale. Néanmoins, cette nounou avec laquelle ils se sentent de moins en moins à
l’aise reste toujours omniprésente et plus personne ne sait comment s’en débarrasser,
24
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
jusqu’au jour du malheur. «Paul et Myriam ferment sur elle des portes qu’elle voudrait
défoncer. Elle n’a qu’une envie: faire monde avec eux, trouver sa place, s’y loger,
creuser une niche, un terrier, un coin chaud.»46
Voyant les enfants grandir, Louise réalise qu’elle perdra bientôt sa place chez les Massé
cette famille à laquelle elle appartient sans en faire partie. Elle se sent au bout de sa
détresse et de sa peur d’être rejetée de cette famille dont elle sait tout, mais qui ignore
tout d’elle. On voit s’écrouler ses stratégies pour rester parmi eux.
De plus en plus lasse et irritable, elle se laisse bercer par des pensées de plus en plus
morbides. «Plus rien ne parvient à l’émouvoir. Elle doit admettre qu’elle ne sait plus
aimer. Elle a épuisé tout ce que son cœur contenait de tendresse.» 47Que fera-t-elle? Où
ira-t-elle? Une solution s’impose à elle… Louise commet l’impensable… elle assassine
les deux enfants et tente de s’enlever la vie.
Passé le premier chapitre éprouvant, on plonge dans la vie du couple Parisien et leurs
enfants d’un côté, et la nourrice de l’autre , immersion dans leur quotidien, avec des
hauts et des bas.
Chanson douce est un roman dur et éprouvant car le premier chapitre révèle le point
culminant de l’histoire, la tragédie même. En apprenant dès la première ligne de quoi il
en retourne, la suite ne peut qu’être plus douce. Chanson douce est aussi un roman à
suspense car le lecteur tente de comprendre comment on peut arriver à tuer des enfants
de son plein gré.
46
Leila Slimani, Chanson douce, op.cit., p. 253.
47
Ibid., p. 287.
25
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
elle a eue, on comprend mieux. Louise a tout perdu. Elle sent qu’elle est sur le bord de
perdre le peu qu’elle a: une «famille d’adoption» et, par le fait même, une raison
d’exister. Si quelqu’un s’était arrêté, avait pris le temps de l’écouter, de lui faire une
petite place dans sa vie, plutôt que de toujours la regarder de haut ou de biais, le drame
n’aurait peut-être pas eu lieu.
En 2014, Leïla Slimani publie son premier roman Dans le jardin de l'ogre aux éditions
Gallimard. L'ouvrage est sélectionné parmi les finalistes pour le prix de Flore 2014.Son
deuxième roman, Chanson douce, obtient le prix Goncourt 2016, ainsi que le Grand
Prix des Lectrices Elle 2017 et le Grand Prix des Lycéennes Elle 2017.
Depuis, l’écrivaine prolifique a publié trois ouvrages en 2017; Sexe et mensonges: la vie
sexuelle au Maroc, Paroles d’honneur, et Simone Veil, mon héroïne.
26
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Le dernier point que nous aborderons dans ce chapitre est réservé à l’étude des
personnages ; c’est un autre indice intertextuel que nous avons décelé au moment de
notre lecture du roman de Slimani. On s’intéressera à la relation de coprésence, c’est-à
dire le rapport entre les personnages présents dans La douce de Dostoïevski et ceux qui
sont présents dans Chanson douce.
II.2.1. Le paratexte
Pour faciliter et orienter la lecture des œuvres littéraires, le texte intégral est toujours
accordé à un ensemble d’éléments qui l’entourent et le prolongent, et qui n’en font pas
partie. Agrégés sous le nom de « paratextualité » , cet indice acquiert un statut
important dans l'approche des œuvres littéraires et cela depuis un certain nombre
d'années.
G. Genette fait la différence entre deux sortes de paratexte et dresse ses fonctions.
27
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
II.2.1. 1. Le Titre :
Un mot ou une phrase remarquable, généralement en gras dont il réserve presque toute
une page entière du livre imprimé ; c’est l’un des éléments les plus importants du
paratexte d’une œuvre littéraire dont il exige, dans son choix, une grande finesse
rigoureuse et cela pour plusieurs raisons.
La première c’est qu’en marketing , le titre a une fonction commerciale car il joue un
rôle prépondérant dans la mesure où il peut accrocher un regard, retenir l’attention et
même pousser une personne à acheter l’œuvre. Quand l’auteur est un formidable
inconnu, quand son nom dans le champ littéraire n’est pas une référence, le titre doit
être capable, par sa beauté, par sa charge émotionnelle donner envie au lecteur de tenter
l’aventure de la lecture. Il établit un lien très fort entre le lecteur et le texte. Dans la
plupart des cas, c’est le titre qui oblige une personne à lire ou non le roman par
exemple.49
En plus, il sert, dès son identification dans la première page de couverture, à donner un
caractère singulier et distinct par rapport aux autres œuvres littéraires déjà connues dans
la mesure où il peut classer et différencier l’ouvrage dans son genre et son époque et
même donner des renseignements sur les intentions de l’auteur et sa tendance littéraire.
48
http://www.fabula.org/atelier.php?Paratexte , consulté le 22/01/2018.
49
http://www.100pour100culture.com/le-billet/le-titre-dune-oeuvre-litteraire/ , consulté le 06/02/2018.
28
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Ainsi, le fait que le lecteur le captive et l’assimile, il peut être évidement séduit par ses
indications qui agitent et provoquent sa curiosité pour tout savoir autour de cette œuvre
unique, ses thèmes, sa philosophie, sa morale ….etc.
Nous constatons alors que le titre du roman de Leila Slimani, Chanson douce est un
titre accrocheur dans le sens où il nous incite à lire le livre qui s’ouvre sur de multiples
interprétations, car il nous permet d’avoir accès à plusieurs significations que nous
pouvons découvrir suite à une lecture analytique et cela afin de démontrer le
fonctionnement de ce titre dans son rapport avec le texte et le hors-texte.
Comme nous avons déjà évoqué, le titre fonctionne comme un stimulus qui nous pousse
à la lecture ; et au même temps, il est traité comme le premier contact décisif entre
l'œuvre et le lecteur .Plus ou moins clair ou ambigu, il est considéré comme la clé du
texte en l’annonçant et en la cachant aussi.
50
Léo HuibHoek ,La Marque du titre: dispositifs sémiotiques d'une pratique textuelle, Paris, Mouton,
1981. Cité par Jean-Pierre Goldenste in "Entrées en littérature", Hachette, Paris, 1990, p.68.
29
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
A partir de ces indices, et en s’appuyant également sur une lecture analytique du texte
en question ,et tout en faisant recours au texte inspirateur, à savoir, La douce de Fiodor
Dostoïevski , nous allons tenter de déchiffrer le mécanisme du refoulé dans le roman
de Leila Slimani en décelant les traces de l’intertextualité existantes dans le titre.
Dans le roman Chanson douce de Leila Slimani , l’adjectif douce dans le titre nous
interpelle dès la première vue ,ou plutôt, dès que ce mot est prononcé, il nous captive, il
nous mène à nous interroger sur le contenu du texte . Tandis que le titre entier, Chanson
douce, semble remplir pleinement une fonction poétique qui nous laisse anticiper
qu’elle représente une symphonie de joies et que son intrigue va avoir absolument une
fin heureuse. Mais ce n’est pas le cas du tout car le livre s'ouvre sur une scène horrible,
une scène de crime qui commence par cette phrase terrifiante : « le bébé est mort » ; un
titre déroutant qui dissimule une issue tragique et le court chapitre se conclut sur la fin
d'un espoir : la grande sœur du bébé va succomber, elle aussi.
« […]j’ai choisi le titre ‘’chanson douce’’ parce que c’est une référence assez
évidente à la berceuse chantée par Henri Salvador qui évoque tout de suite
l’enfance , la tendresse, l’amour maternelle ; et j’ai trouvé tout ça, c’est amusant et
au même temps terrifiant l’écart qui pouvait exister entre la douceur de ce titre et
l’histoire de mon livre qui s’occupe d’une nounou qui assassine deux enfants[…]dès
les premières pages du roman »51
A travers son sujet qui touche l’enfance et ses propos ( le rôle de la tendresse de la
maman et le travail de la nourrice qui la remplace temporairement pour prendre soin de
ses petits , jouer avec eux, faire les dormir en caressant leur cheveux et en chantant)
cette narratrice choisie son titre relevé du même champ .
51
https://www.youtube.com/watch?v=hbesRCk_hHc , consulté le 11/04/2018.
30
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Doté de ce mot « douce », l’image qui se présente dans notre esprit à partir de ces titres,
est celle des deux romans qui tiennent deux procès différents et qui se rencontrent
ultérieurement par le thème de suicide.
De plus, s’offrir un titre constituant un élément intertextuel d’une œuvre de Dostoïevski,
ce n’est pas un acte aussi simple, en effet, avoir du courage pour imiter Dostoïevski est
un peu risqué et osé, cependant cela offre un espace très large de séduction et
d’universalité.
Le titre que choisit Slimani, fait apparemment preuve d’une paratextualité certaine. Il
permet d’emblée, de mettre en communication avec des passages et des épisodes du
récit dostoïevskien. Cependant, même si le titre seul suffit à créer le lien intertextuel, ce
dernier peut rester moins manifeste et dépendre plus de la décision interprétative du
lecteur ou de sa connaissance du texte dostoïevskien.
II.2.2. Epigraphes
Les épigraphes choisies par Leïla Slimani semblent élargir la perspective de l’altérité en
introduisant d’une manière exagérée des citations d’auteurs étrangers, ramenés par la
traduction dans le giron du paratexte français.
52
Leila Slimani, Chanson douce, op.cit. , p.11.
31
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
La deuxième épigraphe est une citation de Fiodor Dostoïevski, pris de son roman Crime
et châtiment dont il introduit le thème du crime :
A travers les quatre fonctions distinguées par Gérard Genette dans son ouvrage Seuils,
nous pouvons dire que l’épigraphe de Dostoïevski exerce une fonction sémantique.
Implicitement, Slimani éclaire et justifie le titre de son œuvre en se référant à l’une des
pensées dostoïevskiennes qui signale que chaque personne devait avoir un abri .
II.2.3. L’incipit
En littérature, un incipit est le début d’un livre, généralement utilisé dans les romans
pour représenter leurs situations initiales en quelques phrases ou plusieurs pages.
Le mot incipit est un terme latin, c’est une forme du verbe incipio qui signifie « débuter,
commencer ». On pourrait être tenté de dire qu’il y a autant de façons de commencer un
roman qu’il y a de romans, mais si l’on y regarde de près, on se rend compte qu’on peut
classer les incipit de romans en plusieurs catégories.54
53
Ibid.
54
http://www.ecrire-un-roman.com/articles/rubriques/boite-a-outils/lincipit-dun-roman/ , consulté le
29/05/2018
32
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
En outre, il peut être intéressant par divers procédés techniques, par exemple
l’utilisation de figures de style . Ainsi, Il peut nouer aussi ce qu’on pourrait appeler un
« contrat de genre » en indiquant au lecteur le code qu’il doit utiliser dans le cadre de sa
lecture.55
Nous allons nous intéresser aux deux incipits, à savoir : l’incipit de La douce et
Chanson douce. Le début de ce dernier se révèle comme un indice intertextuel inspiré
de l’incipit de Dostoïevski.
« Le bébé est mort » est le point de départ et la fin de Chanson douce, c’est de cette
manière très brutale que Leïla Slimani ouvre son récit pour annoncer le dénouement de
son drame tragique.
Cet incipit se situe dans un cadre spatio-temporel bien défini « aujourd’hui, elle est
rentrée plus tôt »56 chez elle dans « un bel immeuble de la rue d’Hauteville, dans la
deuxième arrondissement »57, à Paris.
Leila Slimani adopte un style autant journalistique que romanesque ; âpre, tendu, concis
et tranchant. Toujours avec élégance et subtilité, grâce à sa narration efficace à la
troisième personne du singulier et ses phrases courtes et simples qui frappent les esprits
et favorisent la compréhension de la construction des personnages et même de l’histoire,
elle nous tend les nerfs comme des cordes à violon, cordes qu'elle utilise ensuite
formidablement bien pour jouer avec notre angoisse et nos sentiments. Son écriture
talentueuse reflète son nouveau parcours littéraire.
55
www.ac-toulouse.entmip.fr/lectureFichiergw.do?ID_FICHIER=8704 , consulté le 15/10/2017.
56
L. Slimani, Chanson douce, op.cit., p.15.
57
Ibid., p.14.
58
Cette figure de style marque un retour en arrière, on quitte le cours de la narration pour revenir sur un
fait passé.
33
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
De ce fait, dès les premières lignes du premier chapitre, notre auteure nous pose le sujet
en ouvrant son roman par ce passage qui annonce la fin dramatique des enfants et la
tentative échouée de la nourrice pour se suicider.
Cet incipit tissé par notre auteure dont il dévoile dès le départ l’issue tragique permet au
lecteur , avide , d’être un spectateur de toute l’histoire ,d’happer dans l’engrenage,
d’éveiller sa curiosité et même d’avoir un regard aigu sur tous les moments et les
fêlures , et de savoir comment cette nounou devient folle.
Au cours des pages, son récit va crescendo en utilisant un flash-back des évènements, il
s’agit d’une analepse dont elle décrit soigneusement les détails et l’essence
psychologique de ses personnages.
Cet extrait déroutant de l’incipit nous rappelle celui de La douce de Fiodor Dostoïevski
qui intrigue le lecteur en annonçant le décès de sa femme qui s’est suicidé :
« Figurez-vous un mari dont la femme, une suicidée qui s’est jetée par la fenêtre il y
a quelques heures, gît devant lui sur une table. Il est bouleversé et n’a pas encore eu
le temps de rassembler ses pensées. Il marche de pièce en pièce et tente de donner
un sens à ce qui vient de se produire, de’’ se remettre les idées dans le mille’’ .»60
Alors, au niveau de l’incipit, Nous remarquons que ces deux œuvres se rencontrent
dans plusieurs points communs.
Premièrement, le crime de suicide : les deux héroïnes commettent ce crime malgré que
celle de Slimani n’a pas su mourir mais elle n’a su que donner la mort aux enfants.
Deuxièmement, les deux incipits représentent le point de départ et la fin des deux
histoires, c’est de cette manière très brutale que Leïla Slimani et Fiodor Dostoïevski
ouvrent leurs récits pour annoncer le dénouement de leurs drames tragiques.
59
L. Slimani, Chanson douce, op.cit., p.13.
60
Fiodor Dostoïevski, La douce, op.cit., p.5.
34
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Par ailleurs, ces deux auteurs adoptent la même façon d’exposition des faits. Ils
appuient sur la contemplation de la situation , des souvenirs où l’héroïne avait un
comportement qui paraissait étrange.
De ce fait , à travers cette analyse ,il apparait clairement que l’incipit de Chanson douce
se révèle comme un élément intertextuel tirant son origine de l’incipit de La douce.
En outre, au fil de la lecture de ce roman, nous constatons qu’il y a d’autres éléments
intertextuels qui unissent cette œuvre avec celle de Dostoïevski.
Dans cette partie du deuxième chapitre, nous étudions les personnages présents dans le
roman de Leila Slimani .Ainsi, nous allons prouver qu’il existe une relation de
coprésence entre le texte de Slimani et celui de Dostoïevski.
Nous constatons après maintes lectures de Chanson douce, que Slimani fait référence
aux personnages de Dostoïevski dans son conte, La douce.
D’abord, nous pouvons remarquer que dans les deux œuvres, le personnage principal est
une femme qui s’est suicidée.
Notre auteure déclare dans un entretien que l’héroïne de son récit, Louise , et son récit
lui-même a commencé à se construire à partir de la lecture de nombreux faits pareils
dans certains romans et dans des films qui traitent des thèmes proches , mêlant tous ces
éléments avec des détails observés dans son quotidien ,notamment dans les squares et à
la sortie des écoles.
Comme d’habitude , et comme dans son premier roman ,cette écrivaine choisie pour
Chanson douce un personnage principal en situation extrême , qui a une sorte de double
personnalité , une personnalité publique et une autre secrète qu’il dissimule au reste du
monde qui le dévore intérieurement ; c’est une femme en rupture qui va jusqu’à la folie
meurtrière.
35
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
L’auteure explicite son essence psychologique en disant que : « Louise fait de cet
appartement brouillon un parfait intérieur bourgeois. Elle impose ses manières
désuètes, son goût pour la perfection.»61
Louise, cette nounou idéale, fascinante et mystérieuse « c’est elle qui tient les fils
transparents sans lesquels la magie ne peut advenir. Elle est Vishnou , divinité
nourricière , jalouse et protectrice. Elle est la louve à la mamelle de qui ils viennent
boire, la source infaillible de leur bonheur familial. »62
Elle fraye son chemin doucement au sein du foyer familial de ses patrons et devient de
plus en plus indispensable .C’est pour cela que Slimani témoigne en disant : « Ce n’est
jamais clairement dit, ils n’en parlent pas, mais Louise construit patiemment son nid au
milieu de l’appartement.»63 , c’est ce qui lui a donné l’occasion de dévoiler leurs
failles intimes, de se glisser dedans jusqu’à l’explosion.
Par ailleurs, l’auteure la décrit soigneusement en tant que jeune femme muni d’un corps
chétif, elle dit : « elle dont la silhouette est si frêle, si menue, que de loin on lui
donnerait à peine vingt ans. Elle a pourtant plus du double ».64 Malgré son âge avancé,
cette veuve est dotée d’une beauté ravissante qui la rajeunit : « Ma nounou ressemble à
une petite poupée. »65 Elle rassérène ses patrons par ses apparences. Ils apprécient sa
bonté qui cache derrière elle une figure mystérieuse :
« Paul et Myriam sont séduits par Louise, par ses traits lisses, son sourire franc, ses
lèvres qui ne tremblent pas. Elle semble imperturbable. Elle a le regard d’une
femme qui peut tout entendre et tout pardonner. Son visage est comme une mer
paisible, dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. » 66.
Quant à l’héroïne dostoïevskienne, la femme douce, que le narrateur lui désigne par le
pronom « elle », une jeune fille orpheline de presque seize ans qui parait si jeune, « on
61
L. Slimani, Chanson douce, op.cit., p.34.
62
Ibid., p. 59.
63
Ibid., p. 60.
64
Ibid., p. 32.
65
Ibid., p. 76.
66
Ibid., p. 29.
36
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
aurait dit quatorze ans, pas un de plus »67, d’une taille maigre, «Une taille de guêpe,
(…), toute blonde »68, d’un caractère calme, mystérieux , avec des yeux tout bleus,
énormes , pensifs , comme l’auteur les décrit ,et avec sa timidité elle séduit le prêteur
sur gage qui va demander sa main pour le mariage ultérieurement.
L’écrivaine marocaine garde d’une manière implicite les mêmes traces dostoïevskiennes
dans la description des relations entre les personnages principaux.
Comme nous avons déjà souligné, les deux relations mentionnées dans ces œuvres
indiquent des relations intimes. Celle de l’écrivain russe représente une relation sacrée
entre l’homme et la femme, c’est la relation de mariage . En revanche, notre romancière
a évoqué une relation intime d’une autre facette : des parents avec une nourrice à qui ils
confient leurs enfants.
En outre, en lisant entre les lignes, nous pouvons comprendre que les deux auteures ont
avoué que ces relations ont été construites à base de difficultés financières.
Quant à Louise, toute sa vie, elle a partagé l’intimité des autres en restant malgré tout
étrangère, elle a élevé des enfants dont elle a du se séparer, elle s’est attachée à des
parents qui ont fini par lui signifier son congés. Alors , psychiquement ,elle a tout
supporté pour qu’elle aura ce travail , elle endosse le rôle de mère mais demeure
toujours étrangère pour résoudre de gros problèmes d’argent.
67
Fiodor Dostoïevski, La douce , op.cit., p.11.
68
Ibid., p.10.
37
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Objectivement, son rapport avec les Massé est en réalité un rapport entre un employé
avec son boss qui a dévié de sa nature pour se complexifier et disperser toutes les
limites par des facteurs imposés par cette nourrice qui n’a qu’une seule envie : faire un
monde avec eux et faire partie de cette cellule familiale, tandis que les parents
l’appellent « la perle rare », et la flattent. La maman quand elle raconte son irruption
dans leur quotidien dit : « Ma nounou est une fée.»69
Concernant la douce, son premier contact avec son mari était devant une caisse, elle
venait pas mal de fois pour mettre ses objets en gage pour payer une annonce de travail
dans la Voix. Elle avait besoin d’un travail pour se débarrasser de l’esclavage qu’elle a
vécu pendant trois ans avec ses tantes.
Par ailleurs, il apparait clairement que l’écrivaine a conçu une inquiétante relation de
dépendance entre ses personnages : d’une part, les Massé comme des patrons , ne
peuvent pas abandonner les services de leur nourrice , et d’autre part ,cette dernière
était obligée de travailler pour payer les dettes de son mari. L’auteure met l’accent sur
ce point dans ce passage :« C’est ma nounou », crie-t-il, en la montrant du doigt,
comme s’il ne comprenait pas qu’elle puisse vivre ailleurs, seule, qu’elle puisse
marcher sans prendre appui sur une poussette ou tenir la main d’un enfant. »70
La romancière démontre aussi que l’utilité de Louise pour ses maitres est sans doute
indiscutable, en disant : « Elle a l’intime conviction à présent, la conviction brûlante et
douloureuse que son bonheur leur appartient. Qu’elle est à eux et qu’ils sont à elle. » 71
69
L. Slimani, Chanson douce, op.cit., p.34.
70
Ibid., p. 295.
71
Ibid., p. 45.
38
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Après avoir décelé et analysé les éléments prouvant que Slimani s’est servi de l’œuvre
de Dostoïevski, en imitant son style pour décrire ses personnages, nous tentons de
démontrer, dans cette partie, la coprésence des thèmes dans les textes de Chanson douce
et de La douce.
D’après ce roman contemporain, l’auteure nous immerge dans le quotidien de l’une des
familles bourgeoises de la société parisienne. Une histoire assez banale d’un jeune
couple ordinaire qui vie en harmonie avec la nourrice de ses enfants mais qui finit
malheureusement par un dénouement tragique. Quant à Dostoïevski, à son tour ,il utilise
également une histoire très simple d’un couple russe dont la fin à leur cohabitation est
brutale.
Alors , les deux auteurs faisaient référence à la vie quotidienne de leurs sociétés : du
temps de Dostoïevski les gens peuvent avoir un travail en attachant des annonces sur
les murs et dans les journaux du XIXe siècle tel que la Voix. Tout comme dans la
société contemporaine, notre romancière révèle dans son premier chapitre de Chanson
douce : « À la place, elle est allée accrocher elle même une petite annonce dans les
boutiques du quartier. Sur les conseils d’une amie, elle a inondé les sites Internet
d’annonces stipulant URGENT. »72
Dans cette vie qui parait assez banale au moment où tout le monde est occupé de courir
vers leurs jobs sans faire attention aux petits détails des attitudes des personnes qui les
entourent même envers leurs proches , ces deux écrivains dépeignent ainsi une société
obsédée par l'argent et la réussite, qui sacrifie famille et enfant pour arriver à ses fins.
72
Ibid., p. 25.
39
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Comme nous avons déjà mentionné , à travers notre corpus, l’auteure nous donne des
préjugés sur les classes sociales.
Dans le premier chapitre de son roman, elle situe son histoire dans un cadre spatio-
temporel bien défini « aujourd’hui, elle est rentrée plus tôt »73 chez elle dans « un bel
immeuble de la rue d’Hauteville, dans la deuxième arrondissement »74, à Paris.
Selon elle, Paul et Myriam appartiennent à la classe bourgeoise par rapport à Louise ,
qui est une femme d'origine très modeste , pauvre, elle vie dans la banlieue parisienne ,
dans un tout petit appartement : « L’appartement ne compte qu’une seule pièce , qui
sert à Louise à la fois de chambre et de salon . » 75 ; pour elle , « elle tourne en rond
dans la pièce qui ne lui a jamais paru si petite, si étroite. »76.
Slimani montre que Louise mène d’une manière discrète une lutte des classes, elle dit :
« Elle observe chaque pièce avec l’aplomb d’un général devant une terre à conquérir »
Ce combat dont le champ de bataille est l’éducation des enfants : « Louise qui la
regarde du haut de sa victoire, sa terreur se mue en une joie hystérique ».77
Dans Chanson douce, parfois dans la tête de Myriam, la maman, parfois dans la tête de
Louise, la nounou, le lecteur explore le psychisme de ces deux femmes.
La maman est une femme moderne, qui veut réussir, s'épanouir dans son travail comme
le fait son mari. Mais cette quête n'est possible qu'en mettant entre parenthèses sa
73
Ibid., p.15.
74
Ibid., p.14.
75
Ibid., p.31.
76
Ibid., p.32.
77
Ibid., p.61.
40
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
condition de maman. Myriam « était jalouse de son mari. Le soir , elle l’attendait
fébrilement derrière la porte .Elle passait une heure à se plaindre des cris des enfants,
de la taille de l’appartement , de son absence de loisirs. »78 . Avant de se retravailler, la
nuit, « Elle se laissait ronger par l’aigreur et les regrets . […]Même à Paul elle n’a pas
su dire à quel point elle avait honte .A quel point elle se sentait mourir de n’avoir rien
d’autre à raconter que les pitreries des enfants »79.
Quant à la nourrice, Louise souffre d’un complexe d’infériorité et est obsédée par la
perfection pour accéder à un rang social supérieur. C’est pourquoi, elle fait preuve
d’une abnégation. Ses maitres en sont les témoins, dans le passage suivant : « Ils ont le
sentiment d’avoir trouvé la perle rare, d’être bénis. »80
Pour elle, qui ne se contente pas seulement d’être une bonne d’enfant, l’auteure dit: «
Louise jouait les duègnes, les intendantes, les nurses anglaises »81, mais, elle est encore
apte à tout faire, à hausser ses ambitions sociales : « Vous jouez les grands patrons
avec votre gouvernante. Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ? »82.
La gouvernante prend une position de domination du fait qu’elle est mise en place dans
le monde bourgeois « Ce n'est pas tout à fait une domestique, ni vraiment un membre de
la famille, et elle est considérée comme appartenant à la bourgeoisie ».83
Sa relation avec ses patrons montre une hiérarchie renversée ; la nourrice a l’air d’une
dame bourgeoise : « Elle a toujours admiré les manières de Louise, ses gestes
compassés et polis, qui pourraient la faire passer pour une vraie bourgeoise. ».84
78
Ibid., p.20.
79
Ibid., p.20.
80
Ibid., p.18.
81
Ibid., p.112.
82
Ibid., p.71.
83
Dostoïevski, La douce, op. cit., p. 18.
84
Slimani , Chanson douce, op.cit., p.81.
41
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
II.2.5.3. La servitude:
Bien que les deux écrivains s’impliquent dans deux siècles différents , ils abordent à
leurs façons le sujet de la servitude . Partant de Dostoïevski qui évoque ce thème dans la
manière dont la tante se comporte avec sa nièce , en disant que : « Elle , elle donnait
les leçons aux enfants de sa tante, elle cousait les habits, et , à la fin, pas seulement les
habits , mais , et avec les poumons qu’elle avait, elle récurait les sols […]A la fin , ces
bonnes femmes voulaient la vendre. »87
Chez Slimani , la nourrice est optée pour faire le tout :elle endosse le rôle de la mère
sans abandonner son rôle de serveuse. Dès le premier jour, sa maitresse , « lui donne
quelques consignes. Elle lui montre comment fonctionnent les appareils. Elle répète, en
désignant des objets ou un vêtement : « Ça, faites-y attention . J’y tiens beaucoup. » »88.
II.2.5.4. La moralité
Malgré l’écart de temps qui sépare l’œuvre de Dostoïevski de celle de Slimani ,et
malgré les divergences des conditions de la production de ces deux œuvres, liées aux
spécificités de chaque époque, nous pouvons observer plusieurs similitudes existantes
entre elles au niveau de la moralité.
85
Dostoïevski, La douce, op. cit., p.10.
86
Ibid., p.17.
87
Ibid., p. 18.
88
Slimani ,Chanson douce , op. cit., p.34.
42
Chapitre II : Les composantes intertextuelles
dans l’œuvre de Leila Slimani
Si nous comparons les deux œuvres, nous constatons que Slimani reprend d’une
manière ingénieuse les grandes idées de Dostoïevski.
Dans son roman de Crime et châtiment, Dostoïevski confirme qu’ : « il faut que tout
homme puisse aller quelque part. »89 . L'une des idées forces de Dostoïevski ; il
construit l’histoire de sa nouvelle La douce en s’appuyant sur cette pensée pour
justifier le mariage de cette adolescente avec le prêteur sur gage .Cette douce était
menacé d’être vendue par ses tantes pour se marier avec un riche boutiquier .Alors, sans
avoir un travail, elle était obligée de l’épouser et ce mariage était donc la seule solution
pour fuir son destin et avoir un abri. C’est ce que Slimani reprend dans son roman : la
quête de Louise d’un abri familial auquel elle appartient.
Deuxièmement, et d’une manière générale, les deux auteurs font allusion à l’idée que
même les personnes les plus douées peuvent se tromper lourdement car nous ne
pouvons pas garantir l’essence psychologique des gens, comme dit le proverbe « les
apparences sont souvent trompeuses ».
Finalement, nous pouvons comprendre à travers les deux récits que le pouvoir de
l’argent a poussé les personnages principaux à tout supporter et à endurer des difficultés
gigantesques pour réaliser leurs aspirations. Mais en fait, l’argent ne peut pas toujours
faire le bonheur car l’âme , la vie, l’amour , la bonté ne peuvent être achetés avec de
l’argent.
89
Ibid., p.11.
43
CONCLUSION
5
Conclusion
Tout au long de ce travail, nous avons essayé de répondre à notre problématique de base
que nous avons posée: quels sont les procédés intertextuels utilisés par Slimani dans son
roman Chanson douce en s’inspirant de la nouvelle de Dostoïevski ?
Pour répondre à cette problématique, nous nous sommes concentrés sur le notion de
l’intertextualité comme une nouvelle théorie apparue récemment dans le champ de la
critique littéraire moderne , une théorie relevée de la relation d’assimilation et de
transformation que tout texte entretient avec un ou plusieurs autres textes contemporains
ou antérieurs constituant l’« intertexte ».
Nous n’avons pas abordé cette théorie d’une manière profonde et détaillée, mais nous
avons tenté d’amener une vue d’ensemble sur ce phénomène en vue de délimiter les
grands axes de cette théorie en fonction du besoin de notre analyse.
L'intertextualité est ainsi un outil par lequel un texte nouveau s'écrit à partir d'un autre
texte. Il l'insère dans son espace et le modifie, se l'approprie, l'assimilant tout en le
transformant.
45
Conclusion
Au terme de cette modeste recherche, nous tenons à préciser que celle-ci ne représente
qu’une tentative d’étude qui soulève quelques composantes intertextuelles dans le
roman de Leila Slimani, Chanson douce ; laquelle étude permettra aux autres de la
développer et d’approfondir la recherche dans les notions abordées.
46
BIBLIOGRAPHIE
5
Bibliographie
1- Corpus :
- DOSTOIEVSKI Fiodor, La douce, éd. Babel, 1992.
2- Ouvrages théoriques :
- BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Coll. Tel, Paris,
1987.
48
Bibliographie
4- Thèse :
5- Références électroniques :
- http://www.cnrtl.fr/definition/polyphonie
- http://www.fabula.org/atelier.php?Polyphonie_%3A_le_concept_bakhtinien
- https://journals.openedition.org/slavica/348?lang=en
- http://www.fabula.org/atelier.php?Paratexte
- http://www.100pour100culture.com/le-billet/le-titre-dune-oeuvre-litteraire/
- https://www.youtube.com/watch?v=hbesRCk_hHc
- http://www.ecrire-un-roman.com/articles/rubriques/boite-a-outils/lincipit-dun-
roman/
- www.ac-toulouse.entmip.fr/lectureFichiergw.do?ID_FICHIER=8704
49
Table des matières
Introduction ………………………..………………..………………………….. 4
Chapitre I : L’intertextualité, origine et développement ..........................8
I.5.1. L’intertextualité…………………………………………………….19
I.5.2. La paratextualité……………………………………………………19
I.5.3. La métatextualité……….……………………..………...…………..19
I.5.4. L’architextualité………...……...…………………………………...20
I.5.5.1. Relation de coprésence ……….……..……....………………......21
I.5.5.2. Relation de dérivation ..…………….………………….…......... 21
I.5.6. Les transpositions …………………….…….………………. 22
50
II. 2.4 . Analyse des personnages …………….……………...…..………………35
II.2.4.1. Similarité des personnages principaux …..………...……………......…35
II.2.4.2. Ressemblance des relations ………...……………………………...…….37
Conclusion ………………………………………………………..……………44
Bibliographie...…………………………………………………………………47
51
RÉSUMÉ :
Cette étude intertextuelle de l’œuvre de Leila Slimani , menée dans le cadre d’un
mémoire de master, repose sur la pratique de la transposition formelle de l’histoire de
La douce de Fiodor Dostoïevski comme forme d’intertextualité qui s’explique
notamment par le jeu de miroir et l’interaction entre ces deux ouvrages de deux
époques historiques différentes ; elle confirme que l’écriture de Slimani, dans Chanson
douce , est principalement intertextuelle et son mérite de son œuvre revient
principalement à son souci d’ancrer son référent historique dans une autre réalité «
littéraire » afin d’ouvrir d’autres angles d’interprétation. Ainsi, la façon de Slimani
d’introduire dans son roman le texte de Dostoïevski participe à la création de sa propre
œuvre littéraire.
:ملخص
على ممارسة التحويل الرسمي، كجزء من أطروحة الماستر، تستند هذه الدراسة التناصية حول عمل ليلى سليماني
والتي يمكن تفسيرها على وجه، لقصة فيودور دوستويفسكي " الناعمة" كصورة من أشكال التداخل النصي
من خالل لعبة المرايا ومن خالل التفاعل بين هذين العملين اللذين ينتميان الى فترتين تاريخيتين.الخصوص
وأن جدارة عملها، عبارة عن نص متداخل،" مختلفتين ؛ و تؤكد أن كتابة سليماني في عملها " أغنية ناعمة
.ترجع في األساس إلى اهتمامها بترسيخ مرجعه التاريخي في واقع "أدبي" آخر من أجل فتح زوايا أخرى لتفسيره
. فإن طريقة سليماني في إدخال نص دوستويفسكي إلى روايتها شارك في إنشاء عمل أدبي خاص بها، وهكذا
52