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— Gérald Mouquin f F OF ee Docteur en droit La notion de rates jeu de hasard en droit public J Librairie Droz, Geneve, 1980 ae , Bai : Bement sous cris dyad Gérald Mouquin Docteur en droit La notion de jeu de hasard en droit public Essai axiomatique de lege ferenda 9"782600'054171 63-15 : La Notion de jeu de hasar ISBN CEuvre : 978-2-600-05417-1 Librairie Droz, Genéve, 1980 1.1 ANTIQUITE § 1 Les vestiges du jeu de hasard remontent a la plus haute antiquité', Sur une tablette égyptienne retrouvée dans la pyramide de Chéops a Gizeh, le dieu de la nuit joue aux plaques avec la lune. Le Musée de Berlin abrite un dé de 1573 AC prove- nant de Thébes”. Le Livre des Chansons témoigne qu’en Chine au II¢ millénaire AC, les ouvriers agricoles s’adonnaient 4 une espéce de loterie. A la méme époque les paris sur les courses de chars étaient fréquents en Inde?, Dans les deux Amériques précolombiennes, des tombes recélent des objets analogues a des dés. 1.1.1 Gréce § 2 Palaméde est glorifié d’avoir inventé les dés pour distraire les troupes grecques pendant le siége de Troie, et le jeu de dames pour abolir la sensation de la faim’. C'est aux dés que s’affrontent les prétendants a la main de Pénélope. Sur une am- phore attique de la premigre moitié du VIE s., Ajax et Achille langant les dés se mesurent-ils a une sorte de tric-trac ou interrogent-ils l'avenir®? Si dieux et héros jouaient tant, qu’en devait-il étre des hommes? Aprés la guerre du Péloponnése, il existait a Athénes des clubs de jeunes gens, dont le but principal était le jeu’. Les archontes étaient désigés par le sort”. § 3 Malheureusement, on ne connait pratiquement pas la réglementation juridique. Les joueurs subissaient-ils réellement une diminution au rang d’esclave? 1.1.2 Rome §4 Les dalles de la Basilique Julienne, sur le Forum, portent encore des marques de score gravées par les spectateurs qui comblaient les temps morts des procés par des parties de dés®, La passion du jeu était répandue parmi toutes les classes de la popu- lation. Outre les dés, étaient pratiqués le pile ou face (capita aut naves), la mourre, toujours en honneur actuellement en Italie, les paris sur les courses et les combats du cirque, méme une sorte de roulette (equi lignei)'°. Trés tot une législation sévére tenta de s'opposer cet engouement. Que Justinien ait di aggraver les peines renseigne sur leur efficacité! 1 Pioletti, 1955. 2 Wykes, 30s. 3 Neveux, 493. 4 Grimal, 337ss. 5 Neveux, 492 et Béart, 211. 6 Guidi, 576. 7 Cazeneuve, Esprit ludique, 764s. 8 Wykes, 35; Pioletti, 21; Neurisse, 20. 9 Guida di Roma e dintorni (TCI, Milano 1965), p. 128. 10 Neveux, 493; Neurrisse, 20ss; Pioletti, 21s; Notaristefani, 437ss. Sur les questions juridiques, ¥, en outre: Buttaro, 30ss; Valsecchi, 2ss; Funaioli, 39; Guidi, 577; Manenti, 585s et § 7575s; Notaristefani, 438; Belotti, Giuoco, 404ss; Manzini & Nuovolone, 861; Martinez Bello, 131; Fisch, 7ss; Jeanneret, 26ss; Teodoresco, Iss. § 5 Les sources, éparses et peu nombreuses, qui autorisent des interprétations divergentes voire contradictoires, ne permettent pas de reconstruire sGrement le systéme de réglementation relative au jeu. Il semble qu’a l’époque classique une action pénale infamante ait été délivrée contre le tenancier d'une maison de jeu, assortie d'une amende au quadruple. Frappaitelle également le simple joueur? L’existence d’une action pénale a ’époque justinienne est trés discutée. Deux textes"! traitent du sort des obligations nées du jeu. Il est certain que les jeux virnitis causa étaient sanctionnés par une action ordinaire en paiement. Ces jeux étaient ceux qui exergaient au maniement des armes. Justinien en a dressé une liste forclusive de cing, interdisant d’y risquer plus d’un sou: monobolos (lancé du javelot ou saut en hauteur”), Kontomonobolos (saut ala perche), quintomus contax sine fibula (lancer du javelot), perichytes (lutte?) et hippice (courses de chevaux). Fort vraisemblablement, l’action en paiement était accordée aussi aux simples spec- tateurs qui engageaient des mises sur l’issue du jeu. Il n’y a guére de doute non plus que les obligations relatives a des jeux de hasard falea) fussent tenues pour nulles et sans cause. Selon Edit de Septime Sévere, celui qui avait payé pouvait répéter; celui qui était actionné pouvait opposer l'exception. Les auteurs discutent pour savoir si cette régle s'appliquait aux jeux d’habileté autres que ceux virtutis causa. Des tirages au sort ou loteries sont attestés. Cer- tains empereurs en ont organisés'®. Les gagnants bénéficiaientils d’une action en paiement? On l'ignore. Le tenancier de maison de jeu était privé non seulement d'action en paiement contre les perdants, mais d'action en revendication contre ceux qui s’étaient emparé chez lui d’objets par violence ou vol, tandis qu'il était exposé a action en répéti- tion des perdants. Justinien porte la prescription de cette action 4 50 ans, et auto- tise les patres seu defensores loconum ou les procuratores a Vintenter si l’intéressé ou ses héritiers négligent de le faire. La doctrine dominante admet que les paris au sens traditionnel (enjeu sur une divergence d’opinion, 880ss), étaient conclus sous forme de sponsio et munis d’ac- tions ordinaires. Aucune définition du jeu de hasard n’est parvenue. 1.1.3 Germains §6 Tacite™ rapporte que les Germains jouaient avec une telle frénésie que lorsqu'lls avaient tout perdu, ils risquaient sur le dernier coup jusqu’a leur liberté ou leur vie. En 250 PC, quelques-uns d’entre eux défirent une patrouille romaine; ils proposé- rent de retoumer la situation aux dés, perdirent et se constituérent prisonniers"* 11 Digeste 11.5; Codex 3.43. 12 Boll, Loterie, 5; Belloni, 1063; Nina, 1197; Liccardo, 1087. 13 De Germania, 24. 14 Wykes, 38, 4 § 7 Lesdettes de jeu étaient exigibles et ne pas s’en acquitter était considéré comme honteux'S. La premiere restriction a l’exigibilité se trouve dans le Miroir des Saxons (entre 1287 et 1348). L’explication de cette rigide protection juridique serait, selon Vopinion de H. M. Schuster!®, exprimée en 1878, que les Germains ne jouaient pas sous empire d’une passion méprisable, mais pour accoutumer leur caractére a sup- porter les dangers incertains des combats et 4 ne se satisfaire que de la victoire; cette inclination vertueuse aurait disparu vers le XIII¢ s., quand les “escholiers” se mirent a parcourir I’Europe et en rapportérent les vices latins . 1.1.4 Eglise § 8 Jeu de hasard et pratiques religieuses sont liés (146 ss). Puissance aveugle, im- prévisible, le hasard est facilement confondu avec le destin et avec la divinité. L’Eglise chrétienne qui proclame Ia responsabilité individuelle et se donne pour devoir d’aider chaque homme 4 réaliser son salut'’, combattit le culte du hasard. Elle se dressa non seulement contre les jeux de hasard, qualifiés constamment de pratique paienne, quelquefois d'invention diabolique détournant du commerce de Dieu et provoquant misére et déchéance, mais encore contre toute forme de jeu sportif, par mépris du corps'®. Sous sa pression les Jeux olympiques furent abolis en 394. Pourtant A cette époque son rigorisme moral s’était déja quelque peu détendu’’. Mais I’Eglise resta durant toute I’Antiquité et le moyen-ige farouche ennemie des jeux de hasard™; se procurer un gain économique grace au hasard équivalait 4 insul- ter la majesté divine". Au concile de Mayence, en 813, elle les sanctionna par l'ex- communication. Elle s'appliqua en outre a tempérer la sévérité des droits barbares envers les perdants. Elle ne sut pourtant pas s'opposer a la pratique persistante de Pordalie, qui n'est interdite qu’en 1311 au concile de Vienne”, $9 Dans l'ensemble, le droit canon conserve les solutions de Justinien, qui avait déji. prévu des sanctions disciplinaires contre les ecclésiastiques s'adonnant aux jeux de hasard. 15 Sur aspect juridique : Zink, 2ss; Schuster 18s; Belotti, Giuoco, 406. 16 p. 3035 et 72ss. 17 Graviers, 20ss. 18 Quintano Ripollés, 885. 19 Trocmé, 276. 20 Le Goff, 777. 21 Buttaro, 40. 22 Le Goff, 785, 844, 1.2 MOYEN-AGE ET RENAISSANCE § 10 Dans le droit laic, les solutions romaines cédent devant les coutumes germani- que. Les périodes de tolérance des jeux de hasard oscillent avec celles de prohibi- tion, a laquelle échappent en général les jeux d’habileté!; ce balancement est parti- culiérement perceptible en Espagne’. La répression frappe surtout les tenanciers de tripots, rarement les simples joueurs. Les dettes de jeu sont pleinement exigibles; la prise par corps est donnée contre le débiteur®. § 11 Le mouvement communal a son influence aussi sur histoire des jeux. A court d'argent, certaines municipalités comprennent, dés le XIII¢ s., qu'il est plus profita- ble de donner a ferme un banc, voire une maison de jeux que de poursuivre les tri- pots. Quelques villes italiennes créent un monopole des jeux et en confient la police aux fermiers (barattieri), les autorisant 4 perquisitionner chez les particuliers pour surprendre les contrevenants*. D’abord données pour des périodes bréves et déter- minées, fétes ou foires, les concessions de maison de jeux tendent 4 devenir annuelles et reconductibles. Dans les pays germaniques, od la premiére maison de jeu publique apparait en 1379, a Francfort-sur-le-Main’, se développe l’institution du Pfantner®. C'est a l'ori- gine un tiers dépositaire des enjeux, chargé de les remettre au vainqueur; bient6t intéressé au jeu, il deviendra rapidement un tenancier ou un quasi-tenancier (7211). En France, od il n'y a pratiquement pas eu de mouvement communal, le pouvoir royal a constamment prohibé les jeux de hasard. Saint Louis alla jusqu’a interdire la fabrication des dés, portant un coup fatal aux déciers francais dont les produits étaient les plus réputés” § 12 Lexigibilité des dettes de jeu demeure stricte. A Vicence, le gagnant d’un jeu pratiqué dans une maison autorisée pouvait bastonner, mais pas jusqu’au sang, le perdant incapable de payer immédiatement, avant de le faire emprisonner jusqu’a ce qu'il s‘acquitte*. Mais sous l'influence de I’Eglise, la position du perdant s’adoucit. Certains statuts interdisent de jouer les vétements portés sur soi et refusent au gagnant le droit de s'en emparer’. D'une maniére générale se dégage la régle que seuls argent ou les biens que le joueur a sur lui peuvent étre misés et gagnés; si le vainqueur a accepté un enjeu sur parole, il ne peut obtenir ensuite l'exécution for- cée contre le perdant; mais celui-ci se déshonore en ne payant pas de son propre gré'°, Dans les auberges on joue volontiers I’écot", 1 Schuster, 1523s; Teodoresco, 393s. 2 Quintano Ripollés, 856; Martinez Bello, 13 ss. 3 Schuster, 395s. V. aussi Buttaro, 35ss; Pioletti, 23; Valsecchi, 43ss. 4 Zdekauer, 46. 5 Zink, 23. 6 ibid. 17s. 7 Neurrisse, 219s; Neveux, 499. 8 Statuts de Vicence, milieu du XIV° s., Art. XV, reproduit par Zdekauer, 70. 9 Wiener Stadt Rechtsbuch, cité par Zink, 15. 10 Zdekauer, 66ss. 11 Schuster, 72s. 6 § 13 Les jeux, dans les maisons autorisées ou dans les tripots, étaient presque uniquement des jeux de dés. Dés la fin du XIVE s., les cartes se propagent dans les. classes supérieures de la société, les classes inférieures restant fidéles aux jeux de dés, généralement plus simples", Les premigres cartes seraient apparues 4 Viterbe en 1379". La majorité des historiens avouent ignorer la provenance des cartes. Ce qui est sir, c’est que leur diffusion coincide avec l’invention de la gravure sur bois vers 1425. 12 Caillois, Cartes, 951s. 13 Neveux, 495. pacte entre les joueurs, est une dette d’honneur. Le régime des dettes de jeu devient trés proche de celui des obligations naturelles; nec petitio, nec repetitio. Le résultat pratique ne différe pas notablement de celui auquel aboutissait la solution habituel- lement retenue depuis la Renaissance, qui consistait 4 admettre la validité des dettes de jeu mais a interdire les enjeux sur parole (12). La loterie est comprise comme une espace de jeu ou pari, ainsi que, dés le milieu du XVIII¢ s., les emprunts a primes'?. Les juristes d’autres pays, notamment allemands, proposent des systémes analo- gues a celui de Pothier" § 20 En droit pénal, la doctrine va diviser les jeux en trois catégories'*: les jeux de pur hasard, c’est-d-dire ceux dont l’issue dépend totalement du hasard; les jeux Whabileté ou d’adresse, ceux dont Vissue dépend totalement de facultés personnel- les des joueurs; les jeux mixtes, ceux dont l’issue dépend pour partie du hasard et pour partie des facultés personnelles des joueurs. Les jeux de pur hasard sont par- tout interdits. Ceux d’habilet¢é, en tout cas ceux d’adresse ou de force corporelles, sont autorisés. Les jeux mixtes se scindent le plus souvent en deux classes: ceux qui sont assimilés aux jeux de hasard, donc interdits, parce que l’on considére que la part du hasard dans le résultat y est prépondérante, et ceux assimilés aux jeux dhabileté, donc autorisés ou toléré: Le prince peut déroger a la prohibition des jeux de hasard en délivrant des auto- risations qui suspendent les effets de la loi publique ordinaire, mais généralement pas ceux de la loi civile: les obligations nées d’un jeu autorisé restent sous l’empire de l’adage nec petitio, nec repetitio. On assiste dans certains pays a une “fiscalisation” de la répression. Les peines deviennent fiscales plus que pénales; on estime que les infractions portent atteintes surtout 4 un monopole du prince, qui accorde onéreusement ses dérogations!®, 13 Neveux, 529ss. 14 Schuster, 169ss. 15 Buttaro, 44ss; Valsecchi, 43ss; Funaioli, 39ss. 16 Quintano Ripollés, 856. 10 1.4 CODIFICATIONS ET EPOQUE CONTEMPORAINE 1.4.1 France 1. Evolution historique! § 21 La Loterie royale, symbole de la rapacité sans scrupule de l'absolutisme, fut abrogée par la Convention, qui, dans un élan de libéralisme, supprima toutes les interdictions frappant le jeu, n’en prohibant que la publicité, c’est-a-dire l'exploita- tion en un lieu ouvert au public. Seuls les propriétaires ou locataires étaient passi- bles d'une peine. Les maisons de jeu”, déguisées en cercles prétendument fermés, foisonnérent. L’Empire découvrit, comme tant de gouvernements avant lui et tant aprés, les vertus d’une intervention motivée par un dosage efficace de moralité et d'appétit fiscal: par un décret du 24 juin 1806, il interdit la tenue de maisons de jeu, sans en donner la définition, et attribua compétence au Ministére de la Police pour délivrer des dérogations en faveur “des lieux oi il existe des eaux, pendant la saison des eaux seulement” et de la région parisienne. Ensuite de quoi il eréa une ferme générale des jeux pour Paris, Il institua un monopole d’Etat sur les loteries avec lots en espéces et instaura la Loterie nationale selon le systéme du loto (16) qui était déji celui de I’ancienne Loterie royale. Les loteries avec lots en nature (tombolas) pouvaient étre autorisées par les autorités administratives locales a con- dition que la valeur d’émission restat dans des limites modestes. L’Empire transforma la Loterie nationale en “impériale”, mais ne modifia guére Ja situation administrative. § 22 Cependant les codes pénal et civil, publiés en 1810, réglementent les jeux. Le Code pénal fait, a l'article 410, un délit de la tenue de maison de jeu, et, dans sa partie consacrée aux contraventions, une contravention de I’établissement de jeux de hasard ou de loteries dans la rue ou en des lieux publics. Le Code civil (art. 1965s) reprend les solutions de Pothier: refus de l’action en paiement et refus de action en répétition. § 23 La doctrine et la jurisprudence ont beaucoup débattu pour savoir si et dans quelle mesure certaines spéculations boursiéres étaient assimilables a des jeux ou paris®. Elles repoussaient généralement l'exception du jeu quand le marché parais- sait sérieux et I’admettaient quand il semblait fictif. La loi du 28 mars 1885 dispose que l'exception de jeu doit toujours étre écartée en cas de marché a terme. § 24 La Loterie nationale et toutes loteries avec lots en espéces furent supprimées Je 21 juin 1836 et interdites pénalement. Seuls restérent licites les tombolas et les emprunts a lots condition qu’ils fussent autorisés et que leur but fat la bienfai- sance ou l’encouragement aux Beaux-Arts. 1 Maréchal, 15ss; Neveux, 500ss; Neurrisse, 19ss; Desmarais; Frérejouan du Saint; Léonnet, 33ss; Boll, Loterie, 8ss; Coste. 2 Certaines appelées “brelans”, du nom d’un jeu populaire qu’on y pratiquait. 3 Toedoresco, 225ss. La Loterie nationale fut réintroduite par la loi du 31 mai 1930. Primitivement prévue pour une année, elle a été prorogée et dure encore. Elle fonctionne selon le systéme au tableau (895). En 1970 a été créé le Loto, qui est une loterie au totalisateur. § 25 Les courses de chevaux ne devinrent populaires en France qu’ partir de 1870. Aprés une période de flottement jurisprudentiel, oles tribunaux faisaient de sub- tiles distinctions entre divers types de paris et de joueurs, et rendaient des juge- ments souvent contradictoires, fut votée la loi du 2 juin 1891 qui interdit les paris aux courses, mais donne licence aux sociétés hippiques d’organiser un pari mutuel sur leurs champs de courses, pour autant qu’une partie du bénéfice soit affectée a la bienfaisance ou 4 I’amélioration de la race chevaline. Par décret du 16 avril 1930, les sociétés de courses ont recu I’autorisation d’orga- niser les paris mutuels hors des champs de courses (Pari Mutuel Urbain ou PMU). En 1954 est né le célébre tiercé. § 26 Tout au long du XIX€ s., le Ministére de l’Intérieur a octroyé des autorisa- tions pour ouvrir des maisons de jeu dans les villes d’eaux, en se fondant sur le décret du 24 juin 1806. II faudra attendre le 18 avril 1902 pour que dans un arrét célébre le Conseil d’Etat s’avise qu'un simple décret est impuissant a déroger a une prohibition légale, surtout s’il est antérieur 4 cette prohibition. Or l'art. 410 du Code pénal date de 1810! Toutes les autorisations administratives données depuis Vintroduction du Code pénal étaient donc nulles et non avenues. Trop d’intéréts économiques dépendaient de la prospérité des casinos pour que se prolonge une situation juridique dans laquelle n’importe quel administrateur, directeur ou employé dune maison de jeu autorisée était sous la menace d’une con- damnation pénale. Issue de travaux préparatoires nourtis, la loi du 15 juin 1907 prévoit expressément la validité des dérogations administratives 4 l'art. 410 du Code pénal et en fixe les conditions parmi lesquelles un prélévement fiscal 2. Situation actuelle* a) Droit pénal § 27 Les jeux de hasard ne sont pas interdits en eux-mémes. Ce qui est prohibé, C'est la tenue publique d’un jeu de hasard et seuls sont punissables les tenanciers et leurs complices. Aucune peine ne frappe les simples joueurs 4 raison de leur partici- pation. La tenue d’une maison de jeu est un délit (art. 410 CPF), tandis que celle d’un jeu de hasard ou d’une loterie dans la rue ou en des lieux publics n’est qu'une con- travention de deuxiéme classe (art. 30 des Réglements d’administration publique et décrets en Conseil d’Etat, 2¢ partie du Code pénal). Lorsque le jeu s'est déroulé dans un café, la jurisprudence le qualifie de délit de maison de jeu s'il est habituel, et de contravention si les faits ne sont qu’isolés et accidentels. 4 Dalloz, Jeux; Maréchal; Arexy; Delest; Pelissié de Castro. 12 § 28 Deux conditions sont nécessaires 4 la réalisation du délit ou de la contraven- tion. Premiérement, le jeu tenu doit étre un jeu de hasard. La notion de jeu de hasard nest pas définie dans la loi. La jurisprudence qualifie de jeux de hasard ceux od prédomine le hasard sur ’intelligence ou l’adresse. Du point de vue pénal, le pari est assimilé au jeu ainsi que les loteries; ce sont, dans la terminologie frangaise, des jeux de hasard au sens large, mais pas des jeux de hasard au sens strict. Les loteries sont, selon la loi du 21 mai 1836, des opérations, supposant une offre publique, qui ont pour objet de faire naitre Vespérance d'un gain a réaliser, moyennant un sacrifice pécuniaire sans proportion avec l'enrichissement espéré, par le recours 4 un tirage au sort. Secondement, le jeu doit étre offert au public. Le jeu en cercle strictement fermé nest pas punissable. § 29 Les autorités administratives peuvent, sous certaines conditions, délivrer des autorisations d’exploiter publiquement des jeux de hasard, en dérogation 4 la pro- hibition générale. Ces autorisations sont discrétionnaires. Il n’existe pas de droit subjectif a les obtenir. § 30° L’exploitation de jeux de hasard stricto sensu peut étre autorisée dans les casinos et dans les cercles. Les casinos sont des établissements commerciaux comportant trois activités: le spectacle, la restauration et le jeu; aucune ne peut étre affermée. L’autorisation de jeu n’est accordée que pour les stations balnéaires, thermales ou climatiques. Elle est temporaire, limitée 4 la saison touristique, telle qu'elle est déterminée par le Ministre de I’Intérieur; elle est toujours révocable sans motifs, normalement pour inobservation des conditions stipulées par l’autorité. Les jeux pratiqués, les heures d’ouverture, sont fixés dans l’acte d’autorisation. Les cercles sont des associations 4 but non lucratif qui, 4 cété de leur activité principale, sportive, littéraire, sociale ou autre, tiennent des jeux accessibles seule- ment a leurs membres. Ils peuvent exploiter le jeu eux-mémes (cercles fermés) ou Vaffermer (cercle ouvert). Les jeux ne peuvent étre que des jeux de cercle, au sens de la terminologie frangaise, jamais des jeux de contrepartie (896). Cercles et casinos doivent laisser libre accés en tout temps aux fonctionnaires chargés de la surveillance des jeux (255). § 31 L'autorisation administrative n'est nécessaire qu’autant que les jeux pratiqués sont des jeux de hasard. Si ce ne sont pas des jeux de hasard, le tenancier n’est obligé qu’a déclaration a l’Administration des Finances. Les lieux oi se déroulent des jeux qui ne sont pas de hasard sont appelés maisons de jeu. La déclaration a laquelle elles sont tenues a un but fiscal (36). 5 Réglementation des jeux dans les casinos; Dalloz, Cercles et casinos; Neveux, 510ss; Neur- risse, 318s; Laurent. 13 § 32° La loi de 1891 reconnait le droit des sociétés hippiques d’organiser des paris mutuels. Néanmoins V’autorisation administrative est indispensable pour l'exercice de ce droit; elle est annuelle, révocable en cas de violation des conditions imposées par 'arrété d’autorisation. Les paris sont obligatoirement au totalisateur. Ils peuvent étre pris aussi bien sur les champs de course (Paris mutuels sur les hippodromes, ou PMH) qu’ extérieur des enceintes (PMU, 25). Un réglement prévoit des paris sur les courses de Iévriers. Il n’a jamais été abrogé, mais de telles courses ne se disputent plus depuis longtemps, si bien qu'il n'y aen France de paris aux courses que sur des compétitions hippiques. § 337 La Loterie nationale est régie par la loi de 1933. Diverses dispositions d’appli- cation en déterminent le fonctionnement. Elle est gérée directement par I’Etat. Les loteries d’objets, mobiliers ou immobiliers (tombolas), poursuivant des buts de bienfaisance ou d’encouragement aux arts peuvent étre autorisées selon art. 5 de la loi de 1836. L’autorité compétente est administrative, d’autant plus élevée hiérarchiquement que la valeur d’émission de la loterie est plus grande. Elle controle si la tombola est exploitée selon les conditions prévues et si son produit est utilisé conformément aux déclarations contenues dans la demande d’autorisation La prohibition générale des loteries frappe aussi les loteries de foire, c’est-a-dire celles tenues par des forains, dans un but lucratif. D’éventuelles autorisations ou tolérances administratives sont impuissantes a les rendre licites; toutefois, les lote- ries de foire traditionnellement tolérées par l’administration en certains endroits, ne sont pas punissables si les mises n’excédent pas des limites modestes, fixées par cir- culaire ministérielle, et si elles ne sont pas tirées plusieurs fois dans l'année. Les loteries commerciales sont interdites en principe. Une autorisation peut étre accordée condition que le client ait le choix entre un escompte ou un nombre de billets d’une valeur correspondante, ou puisse acheter des billets indépendamment de la conclusion de tout autre contrat. § 34 Seule une loi spéciale peut autoriser les emprunts a primes. La vente tem- pérament des valeurs a lots est interdite (Loi du 14.12.1926). §35 Les appareils automatiques de jeu qui distribuent un gain moyennant une mise sont interdits, que le jeu doit d’adresse ou de hasard (Décret-loi du 31.8.1937). b) Droit fiscal § 36 Toute autorisation délivrée en dérogation d'une prohibition de jeu emporte un prélévement fiscal. Le droit fiscal ne s’embarrasse pas de nuances entre jeu de hasard, jeu mixte et jeu d’habileté: il considére tout jeu d'argent exploité publiquement comme un jeu de hasard soumis a un régime fiscal particulier. 6 Dalloz, Courses de chevaux et lévriers; Neveux, 5353s. 7 Dalloz, Loterie; Neveux, 522ss; Boll, Loterie, 20ss; Coste. 14 Jusqu'a unification, les Iégislations varient d'un Etat a autre. Selon certains codes, les jeux de hasard sont ceux dont I'issue dépend exclusivement du hasard, pour les autres, ceux dont I’issue dépend principalement du hasard. Pour le reste, les divergences ne portent que sur des détails. En droit pénal le principe est partout celui de la prohibition des jeux de hasard; mais les pouvoirs publics ont compétence d’autoriser l'exploitation de certains jeux de hasard a certaines conditions et moyennant un prélévement fiscal. En droit civil, partout triomphe la solution de obligation imparfaite, telle que la connait le Code Napoléon, § 41 Le droit unifié aprés 1871 reprend les solutions communes tant en droit privé qu’en droit public; il adopte la notion large de jeu de hasard (jeu dont lissue dépend principalement du hasard). Quant au loto, le premier mouvement du Iégislateur fut de le supprimer. Mais le jeune Etat avait trop besoin de son apport financier pour se laisser entrainer au moralisme actif. Une loi du 27 septembre 1863 prévoyait une réglementation uni- fige pour exploitation des loteries et du loto, dont l’existence était déclarée provi- soirement maintenue. Un texte unique pour l'ensemble de I'Italie ne verra le jour que le 19 juillet 1880, le loto continuant d’étre “provisoirement maintenu”. é sans interruption et qu’on n’envisageait plus de l'abo- lir, il fut qualifié d'institution permanente par le décret-loi du 19 octobre 1938, transformé en loi le $ juin 1939. Il est toujours aussi populaire et la question de sa suppression est périodiquement agitée'® § 42 Le Code pénal interdit les maisons de jeu, et ne prévoit aucune dérogation. Cependant, cédant a des motivations d’économie et de tourisme, le pouvoir fasciste permit par le décret4oi du 27 avril 1927 aux communes qui abritaient depuis plus de dix ans des stations climatiques, balnéaires ou hydrominérales et ne se trouvant pas 4 proximité d’un centre de plus de 200000 habitants, d’ouvrir des maisons de jeu dans lesquelles étaient aussi autorisés les jeux de hasard. Seuls les décrets autori- sant les casinos de San Remo, Campione et Venise ont été transformés en loi et ont donc acquis une force dérogatoire au Code pénal. Le casino de St-Vincent d’Aoste a été autorisé par le Gouvernement régional sans base légale. Mais la part de bénéfices que la société concessionnaire doit verser 4 la Région a été comprise dans la Loi nationale concernant les finances de la région valdotaine. La Cour de cassation" a, en conséquence, considéré que l’exercice de maison de jeu a St-Vincent d’Aoste correspondait l'accomplissement d’un devoir légal et échappait a ce titre a la sanc- tion pénale en vertu de l'art. $1 du Code pénal. Seules les maisons de jeu de hasard susmentionnées peuvent fonctionner légalement. A la fin de la demiére guerre les administrations locales autorisérent une série de casinos. Le gouvernement en février 1946 révoqua ces autorisations et décréta qu’aucune nouvelle autorisation ne pourrait étre délivrée. Par deux fois un casino a été autorisé par le Gouvernement sicilien, et a fonc- tionné quelques mois 4 Taormina. La Cour constitutionnelle a rendu divers arréts 10 Panorama, 22.8.1972, “Aboliamo iMotto”. 11 Cass.Sez.Un. 7.12.1963. 16 sur cette affaire'?, réaffirmant qu'une autorité régionale n’avait pas le pouvoir de prendre des dispositions allant a l'encontre des normes figurant dans une loi natio- nale"?, Ces derniéres années, plusieurs propositions de loi ont été faites en vue d’autori- ser l’exploitation de nouvelles maisons de jeu'*; aucune n’aboutit. 2. Situation actuelle a) Droit pénal'* § 43 Comme le Code frangais, le Code pénal italien ne prohibe pas le jeu de hasard en soi, mais seulement certaines de ses manifestations publiques (CPI, art. 718 ss.). Les dispositions sur les jeux de hasard figurent dans la partie qui traite des contra- ventions de police. Sont punies: la tenue de jeux de hasard, la favorisation du jeu de hasard (CPI, art. 718) et la participation a un jeu de hasard en public (CPI, art. 720, al. 1). Le code prévoit quatre circonstances aggravantes pour la contravention de tenue ou de favorisation de jeu de hasard: jeu pratiqué dans une maison de jeu, dans un établissement public, mises importantes et participation de mineurs de 18 ans (CPI, art. 719); il en prévoit deux pour la contravention de participation: jouer dans une maison de jeu, 4 condition d’y étre surpris en flagrant délit, et y jouer des sommes importantes (CPI, art. 720, al. 2). Selon le code, les jeux de hasard sont ceux qui comportent un dessein de lucre et dont le gain ou la perte est entigrement ou quasi entiérement aléatoire; les mai- sons de jeu sont les lieux de rencontre destinés au jeu de hasard, méme s’ils sont privés et méme si le but du jeu est dissimulé d’une maniére quelconque (CPI, art. 721). Pratiquement, un jeu se déroule toujours dans un endroit oi on se rencontre et dont on peut dire qu'il est destiné au jeu puisqu’on y joue; a l'instar de la juris- prudence francaise, les tribunaux italiens admettent la circonstance aggravante de maison de jeu dés que les faits présentent une certaine continuité, et la repousse quand les faits sont isolés. Ainsi curieusement, le participant est puni davantage, non quand il joue d'habitude, mais quand il prend part 4 un jeu tenu habituelle- ment. $44 Dans les “salles de billard ou de jeu”, ne sont autorisés que les jeux qui ne sont pas de hasard. Mais I’autorité peut, dans un but d’intérét public, interdire la pratique de jeux qui ne sont pas de hasard. La liste forclusive de ceux-ci est dressée 12 C.cost. 28.7.1959; 26.11.1959; 1.12.1959; 12.5.1961; 6.2.1962; 14.6.1967; 15.11.1967; 968. 34.1968. 13 Sur les problémes relatifs aux maisons de jeu autorisées en Italie: Pioletti, 415s; Manzini & Nuovolone, 879ss; Ruocco, 359. 14 V. notamment les propositions de loi: Scaglia, etc., du 6.2.1969 (Atti parlamentari, Camera dei Deputatt, V legislatura, N. 1022); Casola, du 29.4.1969 (ibid., N. 1375); Riccio, etc., du 10.6.1969 (ibid., N. 1565), Ciccardini & Molé, du 10.12.1969 (ibid,, N. 2108); Frau, du 2.8.1972 (ibid., VI legislatura, N. 658); Sgarlata, du 2.8.1972 (ibid., N. 684); Riccio Stefano, du 27.9.1972 (ibid., N. 811); Perrone, du 27.1.1973 (i N. 1560). 15 Pioletti; Manzini & Nuovolone, 864s; Sabatini, 924ss; Jannitti-Piromallo, 362ss; Ravizza, 360ss; Conti, 219ss; Ruocco, 3585s. 17 par le questeur de arrondissement et doit étre affichée dans les lieux publics. En cas d’infraction, seul le tenancier du local est punissable (CPI, art. 723, al.1; T.USP.,art. 110). § 45 Ainsi sont interdits tous les jeux de hasard et les jeux non de hasard qui sont spécialement désignés par l’autorité. La liste de ces jeux varie d’une région a l'autre. Ce sont des jeux dont on craint qu’ils donnent lieu a des disputes ou du tapage; la mourre, quoique qualifiée de jeu d’habileté'®, est souvent interdite pour cette raison. L’exploitation d’appareils automatiques et semi-automatiques de jeu est exclue, car la définition légale est si large qu’elle les comprend tous; ce sont “ceux qui peuvent donner lieu a des paris ou permettent le gain d’un prix quelconque en argent ou en nature, méme sous la forme de consommation ou de répétition de partie” (T.U.S.P., art. 110, al. 3 & 4) (366). § 46 Les maisons de jeu sont interdites sans possibilité de dérogation. Celles qui existent officiellement doivent leur licéité 4 des particularités historiques (42). 6) Droit fiscal” § 47 Les lois ur le loto public, les loteries et les concours de pronostics sont des lois spéciales par rapport au Code pénal. Ce sont des lois fiscales: le loto, les loteries, les concours de pronostics a titre onéreux, les opérations 4 prime sont des monopoles fiscaux (privative) de l’Etat. L’exploitation de ces jeux ou paris exige une autorisa- tion émanant de I’Administration des Finances. Le Loto public est tenu directement et exclusivement par I’Administration des Finances. Les loteries ou tombolas nationales ne peuvent étre autorisées que par une loi nationale spéciale. Il y a actuellement quatre loteries nationales dans I’année. L'autorisation de loterie ou tombola a caractére local peut étre délivrée 4 des personnes morales qui poursuivent un but d’assistance publique, d’éducation ou de culture; la valeur d’émission en est limitée (Legge sul lotto pubblico, art. 39ss.). Les loteries commerciales nécessitent aussi une autorisation. La loi distingue les concours 4 prix, ot un prix sera distribué seulement 4 certains participants, 4 raison de leur habileté ou du hasard, et les opérations prix, par lesquelles sont offerts des prix a ceux qui acquiérent onéreusement certains produits (ibid. , art. 43ss.). § 48 L’exploitation de “jeux d’habileté ou de concours de pronostics” qui offrent Vespoir d’un gain quelconque moyennant une participation onéreuse, est réservée al’Etat qui peut l'affermer (Disciplina dei givochi di abilita e dei concorsi pronostici, art. 1 & 2). Les grands concours de pronostics sportifs sont gérés par des personnes privées: le Totocalcio (paris sur les matches de football) et le Totosport (paris sur le Tour cycliste d’Italie) par le Comitato Olimpico Nazionale Italiano (CONI); \'Enalotto 16 Guidi, 595. 17 Torre, Lotto pubblico, 1090ss; Funaioli, Lotterie, 1079ss et Cavalli, 908ss; Funaioli & Trevisan, 4393s; Funaioli & Galli, 759ss; Liccardo, 1085. 18 (qui n’est d’ailleurs pas un concours de pronostics, mais une organisation de paris liés aux extractions du loto public) par l'Ente Nazionale Assistenza Lavoratori (ENAL), le Totip (paris sur les courses de chevaux) par l'Unione Nazionale Incre- mento Razze Equine (UNIRE). §49 Lautorisation du Ministére des Finances est également nécessaire aux collec- tivités publiques ou privées qui entendent émettre des emprunts a prime dans un but d’utilité publique (Legge sul Lotto pubblico, art. 42). §50 Les contraventions aux lois fiscales sus-mentionnées sont de deux sortes: tenue d’un jeu ou pari clandestin, c’est-a-dire non autorisé, et tenue d'un jeu ou pari autorisé en infraction aux dispositions légales ou réglementaires. La participation n’est jamais punissable. § 51 Toutes les autorisations d’exploitation de jeux ou de paris sont soumises a taxes fiscales. Le droit fiscal s’applique seul pour tous les jeux et paris compris dans le mono- pole de I’Etat /47). ¢) Droit civil!® § 52 Le statut des obligations de jeux ou paris est proche de celui du droit fran- ais. L’action en paiement est refusée. L’action en répétition l'est aussi pour autant que le perdant ait payé volontairement aprés l'issue du jeu et qu'il n’y ait pas eu de fraude (CCI, art. 1933). Les loteries autorisées donnent naissance a des obligations pleinement valides (CCI, art. 1935). Tous les marchés de bourse, y compris les marchés dits différentiels, sont civile- ment valides pour autant qu’ils aient été conclus selon les formes légales, notam- ment qu'ils soient revétus du timbre fiscal adéquat. § 53 La différence la plus importante d’avec le droit francais est extension de la notion de jeux virtutis causa: toute compétition sportive donne lieu & action en jus- tice. Le juge peut rejeter ou réduire les demandes qui lui paraissent excessives. L’exclusion de l'exception de jeu vaut aussi pour les parieurs qui n’ont pas pris part personnellement 4 la compétition (CCI, art. 1934). § 54 Quant a la portée de l'exception de jeu, la doctrine discute pour savoir si elle s’étend aussi aux jeux interdits par la loi publique, ou si les obligations relatives a ces jeux doivent étre considérées comme nulles par illicéité de la cause’. La doctrine dominante estime que le régime de l'exception de jeu s’applique aussi aux jeux ou paris interdits, mais non aux loteries. L’action en enrichissement illégitime serait ainsi possible contre Vorganisateur d’une loterie non autorisée. 18 Buttaro; Funai 19 Sur cette question, 1ussi Giuoco e scomessa, 930ss; Valsecchi. notamment Buttaro, 109ss. 19 La doctrine admet aussi que la faculté du juge de rejeter ou réduire la demande est exclue pour des paris sportifs exploités officiellement a grande échelle (Toto- calcio, Totip, etc.)°. § 55 Lexception de jeu est de droit public. L’obligation imparfaite ne peut étre transformée en obligation civile par novation, reconnaissance de dette, etc. Le prét en vue du jeu vaut créance de jeu. 1.4.3 Espagne 1. Evolution historique § 56 La loterie nationale espagnole justifie d'une longue tradition: elle fut instituée en 1763. Son systéme était alors celui du loto italien. En 1811 est apparue la loterie dite moderne, fonctionnant selon le systéme du tableau des lots. Les loteries primi- tive et modeme coexistérent jusqu’en 1867, date a laquelle la loterie primitive fut abolie. Depuis 1881 , la loterie est explicitement un monopole de I’Etat. $57 Le premier code pénal, de 1822, ne faisait pas référence aux jeux de hasard, mais seulement 4 la loteric. Des lois spéciales prohibaient nommément certains jeux. Le code de 1848 s'est inspiré du Code pénal francais. Il punissait la tenue de mai- son de jeu et de loterie non autorisée et ne sanctionnait les simples participants que par la confiscation de leurs mises. Son originalité a été de traiter la tricherie comme un délit en soi (art. 261), et non, comme le font la plupart des autres droits, comme un cas particulier d’escroquerie. Avec le code de 1848, le droit espagnol a renoncé aux interdictions par lois spéciales et posé le principe de la prohibition générale des jeux de hasard. La réforme de 1850 a étendu la répression aux partici- pants 4 un jeu tenu dans une maison de jeu. Le code de 1870 aggrava les peines, notamment en cas de récidive. Le code de 1928 a conservé la méme systématique; il a ajouté la circonstance aggravante de participation de mineurs. Il a, pour la premiére fois, inclu une défini- tion des jeux de hasard, qui n'est qu’une reprise de celle que la jurisprudence avait formulée: les jeux de hasard sont ceux dont V'issue dépend plus du hasard que des qualités personnelles des joueurs (art. 743). La réforme de 1944 n’a pas modifié matériellement le régime pénal des jeux, méme si la définition des jeux de hasard en a disparu. § 58 Les codes pénaux n’ont jamais prévu de dérogation en faveur de maisons de jeu officiellement autorisées. Jusqu’a trés récemment l’Espagne ne comptait pas de casinos autorisés. Elle en posséde depuis qu’a été promulgué, pour les motifs touris- tiques, le décret-loi du 7.3.1977. 20 Funaioli, Cavalli, 909. 21 Quintano Ripollés, 856 Cuello Calén, 332; Riera Aisa, 846; Castin Tobefias, 670; Bernaldo de Quirés, 1418s; Buxadé, 484ss; Martinez Bello, 132; Coste. 20 §59 existe des concours de pronostics sportifs sur les matches de football et les courses de chevaux. § 60 Le Code civil espagnol a accueilli la solution modeme de l’obligation impar- faite. Dans l’ancien droit foral, la Catalogne, les Baléares et la Navarre connaissaient le systéme romain de la nullité absolue du contrat du jeu de hasard. En Aragon, lobli- gation imparfaite s’appliquait aux jeux tolérés, la nullité aux jeux expressément interdits. 2. Situation actuelle a) Droit pénal™™ § 61 Le jeu n'est pas frappé en soi mais seulement en certaines de ses manifesta- tions. Le Code pénal (art. 349) punit, comme auteurs de délits, les tenanciers et pro- priétaires de maisons de jeu de hasard, et les joueurs qui fréquentent ces maisons de jeu. Le code parle de “juego de suerte, envite o azar”; cette tripartition n’a aucune ‘conséquence; la locution, dans son entier, signifie jeu de hasard, c’est-a-dire confor- mément 4 la jurisprudence et a I’ancien article 743 (57), jeu dont l'issue dépend plus du hasard que des qualités des joueurs. Dans le livre III consacré aux contraventions, le code, a son art. 575, punit ceux qui, dans un lieu ou un établissement public, dirigent n’importe quel jeu de hasard qui ne soit pas un pur passe-temps, ou qui y prennent part. Le critére déterminant selon la jurisprudence pour décider entre la contravention ou le délit, est ’habitude; en outre, la notion de maison de jeu suppose une habita- tion séparée. Si les faits sont habituels, et qu’ils déroulent dans un local séparé, il y a délit de maison de jeu; sinon, il y a contravention, Il faut encore que le jeu soit public; pour cela il suffit que l’accés en soit permis a ceux qui s’y adonnent habi- tuellement. § 62 Les appareils automatiques de jeu sont interdits dés qu’ils proposent, comme récompense de la victoire, un gain économique moyennant une mise, méme si le jeu n’est pas de hasard. Selon le lieu ot 'appareil est entreposé, l'infraction sera un délit ou une contravention. § 63 La loi sur le vagabondage (art. 2, No 5) permet au juge de déclarer d’“état dangereux” les personnes qui exploitent des jeux interdits ou coopérent l’exploi- tation; pour les simples joueurs, la participation réguliére a des jeux de hasard est un fait que le juge peut retenir pour qualifier la conduite d’inclination au délit (art. 2, No 10) et décider l’emprisonnement administratif. § 64 La tricherie est un délit spécial (CPE, art. 529, 7%). 22 Quintano Ripollés, 859ss; Cuello Calén, 332ss. 21 b) Droit fiscal § 65 L'exploitation des loteries, tombolas (rifas) et des paris organisés est un monopole d’Etat. Les infractions concernant ces jeux ou paris ressortissent au droit fiscal. Le droit espagnol les considére comme analogues 4 des actes de contrebande. Le principe du monopole est énoncé l'art. 4 de la Ley de Contrabando y Defrau- dacién. La loterie nationale est exploitée directement par |’Etat et ses revenus entrent dans le budget général de I’Etat. Elle est considérée comme une rente publique. Les billets en sont des titres au porteur, garantis par Etat. De petites loteries locales peuvent étre autorisées administrativement. Les concours de pronostics doivent étre approuvés par la direction générale de la loterie. ¢) Droit civil™ § 66 Le Code civil établit une distinction fondamentale entre les jeux de hasard, qui sont soumis au régime de Pobligation imparfaite (art. 1798 & 1799) méme s'ils sont interdits pénalement, et les jeux virtutis causa, “contribuant 4 ’exercice du corps”, qui produisent des obligations civilement valides (art. 1800 & 1801). Pour les jeux qui ne sont pas virrutis causa et ne sont pas considérés de hasard, action en paiement est exclue, de méme que 'action en répétition sauf en cas Wirrégularités. Les dettes de jeux virtutis causa sont exigibles, mais le juge peut les réduire lorsque V’enjeu a dépassé la mesure a laquelle doit se tenir un bon pére de famille. Les obligations relatives a des jeux exploités dans le cadre du monopole public sont pleinement valides. 1.4.4 Autriche 1. Evolution historique®™ § 67 Les nombreuses interdictions que le pouvoir fulmina contre les jeux de hasard ne Pempéchérent jamais d’en autoriser pour des motifs de bienfaisance ou de néces- sité fiscale. Sous 'empereur Rodolph II, en 1585, fut tirée la premiere loterie publique. Une loterie par classes fut exploitée a Vienne dés 1721, mais 25 ans plus tard, elle fit faillite; il faut dire que les loteries de ’ancien régime étaient beaucoup moins favorables 4 Vorganisateur que celles de nos régimes démocratiques. En 1753 débute le Zahlenlotto, sur le modéle des lotos italiens. Géré directement par Etat 23 Buxadé, 4848s. 24 Riera Aisa, 8463s; Puig Pefia, 1041ss; Espin, 636ss; Castin Tobefias, 6693s; Albaladejo, 9455s. 25 Foregger & Serini, 236; Brutschadel, 6ss; Kimmel, 282ss; Malaniuk, 334ss; Altman & Jacob, 101555; Seclig, 110ss; Coste. 2 Le § 168 ne s‘applique pas si le but du jeu de hasard est l'utilité publique ou le pur divertissement et si les mises sont modestes. La modicité des mises doit étre appréciée objectivement, eu égard a l’ensemble de la situation économique, et non subjectivement par rapport 4 la situation personnelle de chacun des joueurs. J Droit fiscal § 72 Les paris (enjeux sur une contestation d’opinion), les concours de pronostics et les loteries ne relévent pas du Code pénal, mais de la législation administrative””. § 73 Le § 2 de la Ghicksspielgesetz pose le principe que, sauf disposition légale con- traire, toute exploitation de jeu de hasard entre dans le monopole de I’Etat”’, Seuls y échappent les jeux dans lesquels n’intervient pas un organisateur ou un banquier chargé de recueillir les mises et de payer les gains, pour autant que les mises n’excé- dent pas 2 6S (env. Fr. 0.20). Les appareils automatiques de jeu sont compris dans le monopole, 4 moins qu’ils ne distribuent que des marchandises et que la mise n’excéde pas 2 6S. Les appareils automatiques de jeu d’argent ne peuvent étre exploités que dans des maisons de jeu autorisées. L’administration du monopole des jeux appartient au Ministére fédéral des Finances. § 74 Le Zahlenlotto, la Loterie par classes, le Sporttoto et le Pferdetoto sont gérés directement par le Ministére des Finances. Les casinos sont exploités par des socié- tés anonymes aprés autorisation donnée par le Ministére des Finances; le préléve- ment fiscal peut s’élever jusqu’a 80% du bénéfice brut. Les loteries commerciales sont autorisées pour autant qu’elles ne contrevien- nent pas aux dispositions sur la concurrence déloyale. La collecte de mises pour une loterie étrangére est prohibée. Plus généralement, il est interdit de participer, de l’intérieur du pays, 4 un jeu de hasard étranger (Ghicksspielgesetz , § 51). ¢) Droit civil § 75 Le § 1271 de ABGB dispose que les paris, tenus de bonne fois et autorisés, obligent pour autant que le prix ait été payé et non simplement promis. C’est, autrement exprimée, la solution de l’obligation imparfaite: le gagnant n’a pas d’ac- tion contre le perdant qui avait simplement promis sa mise, mais il peut garder le prix qui lui a été payé. Le perdant a l’action en enrichissement illégitime s%l y a eu dol. 27 Glucksspielgesetz, du 27.6.1962; Sporttoto-Gesetz, du 18.12.1948; Pferdetoto-Gesetz, du 25.6.1952. 28 Brutschadel, 8ss. 29 Klang, ad § 1267ss. 24 Le § 1270 définit le pari: convention par laquelle deux parties promettent un prix déterminé 4 celle d’entre elles qui aura prévu le résultat d’un événement non encore connu d’elles. Pour le § 1272, le jeu est une catégorie de pari et en suit le méme régime. Les jeux ou paris interdits sont civilement nuls. Le perdant qui a payé a l’action en répétition. Mais s’il connaissait la nature illicite du jeu ou pari, il peut se voir opposer exception de turpitude. § 76 Les loteries privées obéissent aux normes concernant le pari. Les loteries d’Etat sont soumises au régime civil prévu par les lois spéciales qui les instituent; celles-ci leur donnent pleine validité civile. Les tirages au sort destinés a trancher d’un partage ou dune contestation ne sont pas considérés comme paris et sont pleinement valides. Les concours a prime, les emprunts a prime et les loteries commerciales sont assimilés aux paris. § 77 La doctrine dominante considére les marchés boursiers différentiels comme des paris, Elle qualifie de marché différentiel les marchés a terme quand la livraison effective des marchandises est exclue par les parties qui n’entendent s’acquitter que de la différence entre le prix stipulé et le prix en bourse au jour du terme. L’Ordon- nance sur le marché boursier n’admet pas la validité des marchés différentiel. 1.4.5 Allemagne (République fédérale) 1. Evolution historique” § 78 A partir du XVIII¢ s., la plupart des Etats allemands ont leur grande loterie, presque toutes selon le systéme par classes. Les casinos apparaissent a la fin du XVIII€ s., ou au début du XIX€ s.: Wiesbaden dés 1771, Baden-Baden dés 1806. La majorité des concessionnaires étaient francais. Dans un élan de vertu patriotique miatinée de xénophobie, la Diéte de Francfort décida la fermeture des maisons de jeu sises dans la Confédération germanique, pour le 1¢T mai 1849. Laissant passer cette date, Hambourg procrastinait; on y envoya des troupes qui contraignirent le célébre casino que Frangois Blanc tenait depuis 1840, a fermer. Mais, ce méme été 1849, la Prusse se retira de la Diéte, la privant de ses forces coercitives. Les roulettes se remirent 4 tourer. A la fin des années 60, le Parlement prussien vota une loi ordonnant la fermeture des maisons de jeu pour 1872 au plus tard. Aprés la pro- clamation de Empire, cette loi s’appliqua a toute I’Allemagne qui, dés minuit, le 31 décembre 1872, fut délivrée de ses casinos officiels. Francois Blanc ne s’était pas laissé prendre de court: en avril 1863, il avait racheté la concession du minuscule casino de Monte-Carlo, dont il allait bient6t faire la Mecque du jeu’. 30 Jagusch, 568; Zink, 27ss; Schuster, 195ss; Coste; Fischer. 31 Herald & Radin, 12ss. 25 Des intéréts économiques travaillérent a obtenir des tempéraments a la prohibi- tion, dénongant le scandale de argent allemand aspiré par les casinos que des voi: sins moins scrupuleux, France et Belgique, égrenaient le long de la frontiére, et fai- sant valoir quels avantages fiscaux et touristiques le Reich retirerait de la réautorisa- tion de maisons de jeu officielles. Une loi du 14 juillet 1933 * permit 4 l’adminis- tration d’autoriser, sous certaines conditions, I’exploitation de maisons de jeu dans les villes d’eaux. Divers casinos naquirent. Ils interrompirent leurs activités pendant la guerre; mais la majorité, en République fédérale, les reprirent ensuite. Ainsi, l'un des plus fameux, celui de Baden-Baden, réouvrit en grande pompe en 1950 et, en 1951, installa a l’intention de la Suisse une succursale a Constance. Depuis 1961, le Land de Baviére tient les casinos situés sur son territoire en régie directe. Ailleurs, l'exploitation est généralement concédée a des personnes privées. Il n’y a pas de maisons de jeu officielles en République démocratique. § 79 Le Code pénal du 15 mai 1871, a son origine, ne punissait que I’exploitation professionnelle non autorisée du jeu de hasard. Cette solution subsiste en matiére de loterie, Mais les jeux de hasard au sens strict sont soumis depuis 1919 a de nou- velles dispositions®. Selon la terminologie allemande, les jeux de hasard au sens large sont tous les jeux ou paris dont I'issue dépend principalement du hasard; ils comprennent les paris, les loteries, les jeux de bourses, les concours primes et les jeux de hasard au sens strict, comme les dés, la roulette, etc... 2. Situation actuelle a) Droit pénal™ § 80 Le § 284 du Code pénal interdit 'installation et la tenue publiques d'un jeu de hasard sans autorisation officielle, ainsi que Ia mise a disposition du matériel ou des locaux nécessaires. Il précise que les jeux de hasard pratiqués dans des associa- tions ou des sociétés fermées sont considérés comme publics dés lors qu’ils sont habituels. La condition de publicité est réalisée quand l'accés au jeu est possible a pratiquement n’importe qui. Le § 284a sanctionne la participation a un jeu de hasard public, Les deux infrac- tions sont des délits. Ainsi, un jeu tombe sous le coup de la loi pénale s'il est de hasard et sil est pratiqué ou en public, ou en privé de maniére habituelle. La définition du jeu de hasard ne figure pas dans le code; elle a été posée par la jurisprudence : jeu dans lequel la décision quant au résultat dépend principalement du hasard. La participation est réalisée dés qu'une mise économique a été exposée au jeu. § 81 Le jeu de hasard professionnel est un délit en soi (§ 285) dont peut se rendre coupable le participant ou le tenancier pour autant qu'il prenne part personnelle- ment au jeu. La notion de profession suppose I’habitude et le dessein de se procurer 32 Gesetz iiber die Zulassung Offentlicher Spielbanken, RGBI 1933.1.480ss. 33 Gesetz gegen das Ghticksspiel, du 23.12.1919, RGBI 1919.2145ss. 34 Jagusch, 568ss; Schénke & Schréder, ad § 284ss. 26 un revenu régulier au moyen du jeu. Le § 285 ne s’applique qu’aux jeux de hasard au sens strict (79). Néanmoins, il frappe aussi le bookmaker non autorisé. § 82 L’autorisation officielle d’exploiter des jeux de hasard en rend licites Pexploi- tation et la participation. Elle n’empéche pas les participants de commettre le délit de jeu de hasard professionnel § 83 Les loteries et tombolas, ainsi que les paris professionnels, sont régis par une loi pénale spéciale, la Rennwett- und Lotteriegesetz du 8 avril 1922 °§. Ces jeux ou paris sont interdits. Ils ne peuvent étre exploités sans une autorisation officielle spéciale. La participation une loterie, tombola ou pari professionnel non autoris¢s n’est pas punissable. Les paris ne peuvent étre tenus que selon le systéme du totalisateur. Les simples paris entre particuliers ne sont pas des jeux de hasard au sens strict et ne relévent pas de la loi du 8.4.1922. Ils ne sont donc pas interdits. Les loteries commerciales suivent le méme régime que les autres loteries, 4 moins quelles ne soient complétement gratuites, c’est-a-dire que la participation n’y soit accompagnée d’aucune mise économique, méme cachée, dans le prix de vente d'un objet. Les concours a primes dont le résultat dépend principalement du hasard sont traités comme les loteries ou paris professionnels. § 84 Les appareils automatiques de jeu, dont le résultat dépend principalement du hasard et qui distribuent des lots économiques, pour autant qu’ils ne soient pas assi- milables a des loteries, sont soumis a une réglementation spéciale**. [ls ne peuvent tre installés qu’aprés autorisation, sur les marchés ou autres places de fétes si les lots sont en nature, ou dans des locaux spéciaux (salons de jeux) ou des auberges si les lots sont en espéces. § 85 Les marchés boursiers différentiels, s'ils ont un but de jeu, sont considérés comme des jeux de hasard au sens strict et punis a ce titre. b) Droit fiscal § 86 Le droit fiscal n'intervient qu’en ce qui conceme les taxes d’autorisation ou les prélévements sur le produit de jeux. ¢) Droit civil” § 87 Le § 762 du BGB, qui traite des obligations de jeu ou de pari, porte en sous- titre “obligation imparfaite”. Il exclut l’action en paiement et celle en répétition, sans faire allusion a I’hypothese de jeu irrégulier. La doctrine admet que l'action en enrichissement sans cause est possible en tout cas s'il y a eu escroquerie. 35 RGBI 1922.393. 36 Gewerbeordnung, § 33d ss; Verordnung iiber Spielgerite und andere Spiele mit Gewinn- moglichkeit, du 6.2.1962, BGBI 1962.153. 37 Gritschneder, 189, 273, 395 & 5148s; Oegg, 5363s. 7 obligation imparfaite sanctionne toute convention passée en vue d’un jeu ou dun pari, notamment les reconnaissances de dettes. Le droit civil allemand ne fait pas de différence de traitement entre le jeu et le pari. Les jeux et paris interdits par le droit public sont nuls civilement en vertu du § 134 BGB. L’action en enrichissement illégitime sera le plus souvent paralysée par l'exception de turpitude. Le mineur de 18 ans peut toujours répéter. § 88 Les loteties, tombolas et paris professionnels (83) autorisés engendrent des obligations pleinement valides (§ 763 BGB). § 89 Les marchés différentiels sont assimilés aux jeux ou paris s'ils ne poursuivent pas un but économique, juridiquement reconnu (§ 764 BGB). C'est le cas, notam- ment, lorsque les contractants ne sont pas des professionnels (Bérsengesetz, § 50ss**), Les autres marchés boursiers sont des contrats normalement valides. 1.4.6 Suisse 1. Evolution historique® § 90 La premiere disposition fédérale concemant les jeux de hasard date de la République helvétique, en 1802. C’était une prohibition générale. Aprés la chute de la République helvétique, la compétence des cantons redevint totale. Uri et Schwytz possédaient chacun une loterie d’Etat instituée pour venir en aide aux pauvres. Mais la plus grande partie des bénfices semble avoir profité aux particuliers qui en avaient pris la ferme. Les autres cantons prohibaient en général les loteries, mais admettaient certaines exceptions fondées sur des motifs d'utilité publique ou de bienfaisance. $91 En 1847, les autorités valaisannes accordérent pour une durée de 30 ans une concession de maison de jeu a Saxon. Ce casino s’ouvrit en 1855. Il devint rapide- ment fort fréquenté parce qu’on y pouvait jouer sans limitation de mise. Dostoiev- ski et Tehaikovski y perdirent. La maison de Saxon fut violemment critiquée par une partie de l’opinion. AGeneve, de 1856 a 1864, un “Cercle des étrangers” exploita des jeux de hasard. § 92 Les autorités fédérales, 4 qui s’adressaient les censeurs de ces maisons de jeu, congurent d’abord de laisser les cantons, par voie de concordat, trouver une régle- mentation des jeux de hasard qui satisfit opinion publique. Devant limpuissance des cantons a s’entendre, la Confédération décida d'insti- tuer des prescriptions fédérales. Un premier projet d’article constitutionnel (59) 38 RGBI 1908.2155ss. 39 Message du Conseil fédéral pour la modification de Vart. 35 CF, 88s; Message du Conseil fédéral sur le projet de LLP: Message du Conseil fédéral sur le projet de LMJ; Daeniker, 6ss; Stachelin, 238s; Lacly,, 24ss. 28 image not available de jeu officielles allemandes (Lindau, Constance, Baden-Baden), francais (Divonne, Evian), italiennes (St-Vincent d’Aoste, Campione) et autrichienne (Kleinwalsertal) proches de la frontiére. La probabilité que le peuple et les cantons acceptent une telle modification constitutionnelle est faible. Aussi aucune initiative n’a-t-elle été déposée. L’Association suisse des Casinos-Kursaals propose seulement des adapta- tions mineures pour la prochaine révision totale de la Constitution fédérale. § 97 Actuellement, la boule est exploitée dans une dizaine de kursaals. Trois gran- des loteries sont en activité: la Loterie romande dans les cantons romands, la Seva dans celui de Berne, et I’Interkantonale Landeslotterie (ILL) dans les autres cantons. Un pari sur les matches de football est tenu dans toute la Suisse par la Société du Sport-toto. Les quatre sociétés prénommées exploitent ensemble, dans tous les cantons, une loterie 4 numéro. Les trois grandes sociétés de loterie viennent d’intro- duire, provisoirement pour instant, un pari tiercé (TRIO) sur les courses de che- vaux. En outre, une foule de petites loteries et tombolas sont autorisées par les autorités cantonales. 2. Situation actuelle a) Droit pénat® § 98 Les dispositions pénales ne se trouvent pas dans le Code pénal fédéral, puisque celui-ci n’a été adopté qu’en 1938, postérieurement aux lois sur les loteries et les maisons de jeu, qui s’appliquent a titre de lois pénales spéciales. Le droit cantonal peut édicter des normes pénales (contraventions) s'il décide de soumettre le jeu ou le pari a des conditions plus sévéres que celles du droit fédéral, § 99 La LMJ interdit d’ouvrir et d’exploiter des maisons de jeu (art. 1). Les mai- sons de jeu sont toute entreprise exploitant des jeux de hasard (art. 2, al. 1). L'ex- tension de la notion de maison de jeu est trés vaste, puisqu’elle comprend non seu- lement T'installation (et l’exploitation) d’appareils automatiques de jeu de hasard (art. 3), mais les simples réunions de joueurs, s'ls se livrent habituellement au jeu de hasard et si quiconque peut y participer (art. 4). La loi définit les jeux de hasard (art. 2, al. 2): “jeu qui offrent, moyennant une mise, la chance de réaliser un gain en argent, cette chance dépendant, uniquement ou essentiellement, du hasard”. Le terme “argent” doit s’entendre comme toute valeur économique capable de s’échanger. Les infractions a la LMJ sont des contraventions; mais la récidive est un délit (art. 9). Les simples participants ne sont pas punissables. Les kursaals peuvent exploiter le jeu de la boule avec I’autorisation du gouverne- ment cantonal et l'approbation du Conseil fédéral (art. 1 OJK). Les mises ne peu- vent dépasser Fr. 5.— par personne et par tour‘, et I’allure du jeu 6 tours en 2 mi- nutes (art. 7 OJK). Le quart des recettes brutes va en préciput 4 la Confédération CF; art. 2, al. 2, art. 6, art. 34 LLP: art. 13 LMJ. CF art. 9 OJK. 31 qui doit V'affecter a des couvres d’utilité publique (art. 35, al. 5 CF); le reste du pro- duit, aprés constitution de réserves conformément aux régles d’une administration prudente, et de l'attribution d'un dividende de 5% au plus, doit servir a développer le tourisme ou contribuer a des ceuvres d’utilité publique (art. 3 OJK). § 100 Linstallation d’appareils automatiques de jeu dont le résultat ne dépend pas principalement de adresse, et qui délivrent des lots en argent, est interdit sans exception (art. 3 LMJ, 1/38). § 101 Les loteries sont en principe prohibées. Ce sont “toute opération qui offre, en échange d’un versement ou lors de la conclusion d’un contrat, la chance de réa- liser un avantage matériel consistant en un lot, acquisition, l'importance ou la nature de ce lot étant subordonnées, d’aprés un plan (904), au hasard d’un tirage de titres ou de numéros ou de quelque procédé analogue” (art. 1 LLP). Les tombolas (petites loteries a lots en nature, tirées lors de réunions récréati- ves), ne sont pas comprises dans la prohibition (art. 2 LLP). Les loteries servant a des fins d’utilité publique ou de bienfaisance peuvent étre autorisées par I’autorité cantonale (art. 3 LLP). Les loteries commerciales”, sitét que la participation suppose une mise ou la conclusion d’un contrat, ainsi que tout concours 4 prime dont I'issue dépend prin- cipalement du hasard, sont interdits. Le commerce des valeurs a lots est interdit, sauf autorisation officielle. § 102 Les appareils automatiques de jeu de hasard délivrant des lots en marchandi- ses sont considérés comme des loteries. § 103 Les emprunts a primes ne peuvent étre offerts au public sans une autorisa- tion cantonale et fédérale, qui ne sont données qu’a condition que le but soit 'uti- lité publique et les émetteurs une collectivité politique (art. 17ss LLP). $104 Les paris exploités professionnellement sont interdits (art. 33 LLP). Les paris sur les compétitions sportives peuvent étre autorisés par Ia Iégislation cantonale. Ils doivent étre pris au totalisateur. § 105 Les infractions a la LLP sont de deux sortes (art. 38 ss LLP): l’exploitation de loteries ou paris non autorisés, qui est un délit, et exploitation de loteries ou paris autorisés en violation des conditions d’autorisation, qui est une contravention. Les simples participants ne sont pas punissables, b) Droit fiscal § 106 Le droit fiscal fédéral ou cantonal n’est concerné que par les prélévements ou taxes accompagnant les autorisations officielles. 46 Klein. 32 image not available image not available déduire qu’¥van non plus n’a pas joué, arguant que, puisque le jeu doit grouper au moins deux personnes (333), un rapport qui lie deux personnes ne saurait étre un jeu quand il est exclu que l'une joue? Non! Yvan a eu l'intention de commettre Pinfraction de jeu. Il a agi pour qu’elle soit commise. Il n’était pas impossible que Xavier finalement joue, par exemple en con- sentant a étre payé s'il gagnait. Il serait choquant que la condamnation pénale d’Yvan dépende du consentement discrétionnaire de son partenaire, alors qu'il le ctoyait acquis. Dans sa conscience, la convention existait. Il pensait qu'il jouait, au sens juridique. Il a développé une activité appropriée au jeu. Il ne se serait pas com- porté différemment en cas de consentement effectif de Xavier. Toutes les condi- tions sont done réunies pour que l'infraction de jeu soit dite réalisée en ce qui le concerne. Il n'y a eu ni délit impossible, ni tentative, ni délit putatif au sens d’agis- sement autorisé pénalement mais imaginé interdit par auteur. Putative, seule I’était la convention. C'est précisément l’existence d’une convention putative qui a permis la réalisation du jeu au sens du droit public répressif. Si Yvan avait compris que Xavier rejetait tout jeu d'argent, il aurait renoncé a la partie d’écarté ou V’aurait faite sans enjeu, c’est-i-dire n’aurait pas joué au sens juridique. Mais il a cru a Vexis- tence d’une convention, aussi a-t.il joug. § 355 Ces considérations** montrent que par essence le jeu est une convention, Ne peuvent jouer que ceux qui pensent qu’ils ont conclu avec les autres participants une convention portant notamment sur les mises et espoirs de gain. Il n'est pas indispensable que la convention soit parfaite par l'accord exprés et conscient de tous. Il suffit, pour étre auteur d'une infraction de jeu, d’y avoir cru, de l’avoir envisagé a titre éventuel ou de s'étre mis fautivement en état de devoir y adhérer (352). § 356 Les diverses situations examinées dans les § 35/ss recoupent les hypotheses traditionnelles de vices du consentement en matiére de formation des contrats: erreur essentielle, dol, crainte fondée”*. Les vices du consentement n’empéchent pas la naissance du contrat. Simple- ment, les parties dont le consentement a été vicié ont la faculté de déclarer qu’elles ne se considérent point comme obligées, annulant par I le contrat. Si elles ne le font pas dans les délais légaux, ou si elles entreprennent des actes qui impliquent leur agrément au contrat, celui-ci est validé et est censé déployer ses effets dés le moment de la conclusion viciée, non dés celui de I'agrément. Le contrat conclu sous Tinfluence de l’erreur essentielle, du dol ou de la crainte fondée existe méme s'il est “boiteux”. Les conventions 4 consentement vicié vues aux § 351, 353 et 354 ont donc existé civilement, en tout cas jusqu’au moment od la partie qui en avait la faculté, a mani festé son intention de se tenir pour dégagée d’obligations. Sil’on exigeait que la ré lisation de l’infraction de jeu, en droit public, soit subordonnée a l’existence d'une convention selon le droit privé, on pourrait toutes les qualifier d’'infraction, la ques- tion de la culpabilité ou de la punissabilité des divers intéressés restant ouverte. 25 Qui rejoignent celles que je serai amené 4 faire a propos de I’incertitude subjective (565). 26 Sur ’hypothése de la crainte fondée et des menaces, v. encore § 398. 116 On aboutirait ainsi a la méme solution que celle obtenue par un raisonnement limité a des arguments de droit pénal. § 357 En conséquence, en droit tant privé que public, le jeu est par nature une convention au sens d’accord de volonté. Cette conclusion est d’ailleurs intuitive: il est évident que le rapport entre au moins deux personnes qu’établit le jeu ou le pari procéde de consentements réci- proques, fussent-ils viciés; il ne résulte pas, comme les rapports entre volés et voleurs ou assasinés et assassins, des atteintes que portent seulement une ou quel- ques-unes d’entre elles a l’autre ou aux autres (402). Pour que le jeu se déroule, il a bien fallu convenir des régles a observer, des mises et des espoirs de gain?” § 358 A propos des conventions de jeu annulables pour vice du consentement, en particulier pour dol, la jurisprudence et la doctrine allemandes”, suivies par quel- ques auteurs italiens”, distinguent structures abstraite et concrete. Concrétement le rapport vicié ne serait pas une convention de jeu; elle n’aurait pu se nouer vu que le consentement des victimes était abusé. Mais abstraitement, il serait quand méme un jeu, en possédant tous les caractéres apparents™”. Cette construction branlante méconnait la théorie correcte de l’annulabilité, non de Ja nullité, des contrats pour vice du consentement, et interpréte mal les inten- tions réciproques des participants. C’est concrétement que la victime a l’intention de jouer ainsi que le tricheur, c’est concrétement que celui qui se méprend sur les déclarations de son adversaire croit a la conclusion de la convention. La “structure abstraite” est invoquée pour empécher que les responsables du vice du consente- ment échappent a l’inculpation de jeu. Ce résultat est assuré par une juste apprécia- tion des situations concrétes (356). L’opposition “structure concréte - structure abstraite” est inutile autant qu’erronnée. § 359 Le droit suisse punit non les participants, mais ceux qui offrent publiquement de jouer’! (99 & 105). Le jeu, en droit suisse, est donc quelque chose qui peut s’of- frir. Il est clair que dans l’expression “offrir de jouer”, “offrir” a le sens civil d”“ap- peleracontracter” et non le sens commun de “faire présent”. Le jeu, en droit suisse, est toujours concu comme un contrat, indépendamment d’éventuels malentendus ou visées dolosives. § 360 L’argument de Pelaggi selon lequel une compétition ne peut pas étre une convention, parce que compétition et accord de volonté se contredisent, est com- plétement sophistique. Ce n’est pas parce qu’on lutte simultanément pour un méme trophée qu’on n’a pas pu se mettre d’accord préalablement sur les modalités de la 27 Poursuivant un but de droit public, je n’examinerai pas le contenu des conventions de jeu du point de vue civil (578). 28 V. notamment: BGHSt 21, 107; RGSt 61, 15; Jagusch, 569. 29 V. notamment Pioletti, 29. 30 Manenti, 783ss et Muller, 72ss, vont jusqu’d soutenir que le rapport ne serait pas un jeu du tout, singuliérement en droit pénal, si bien que les participants 4 un jeu (au sens commun) entaché de tricherie ne pourraient pas étre inculpés 4 raison du jeu au sens pénal. Lacte du tricheur serait un vol dans opinion de Manenti, une escroqucrie dans celle de Muller. Pour la doctrine dominante, ce rapport reste un jeu en droit répressif; & cette infraction peuvent concourir d'autres infractions comme l'escroquerie, le vol, etc. (403). 31 Daeniker, 200. 117 lutte et sur le trophée, ni s’engager qu’on laisserait le vainqueur s’en emparer. La convention de jeu, comme toute convention, est un accord de volonté sur des points précis, et non un engagement a vivre généralement dans la concorde et la fraternité. Quand Portalis s’écrie: “A la différence des contrats ordinaires qui rap- prochent les hommes, les promesses contractées au jeu les divisent et les isolent”*?, il déraisonne. Un patron et son employé, un bailleur et son locataire, quoique liés par contrat ordinaire, peuvent avoir des intéréts divergents, voire se hair bien plus que des joueurs unis par une inclination commune. La vérité appartient a Hui- zinga®® pour qui dans la compétition, la solidarité et I’hostilité se confondent. Mais la psychologie moderne n’a-t-elle pas appris que tous les rapports humains étaient ambivalents ? Y compris les conventions de jeu d’argent. 3.2.6 Convention onéreuse § 361 Les conventions de jeu peuvent se diviser en conventions onéreuses et en conventions gratuites, selon que chaque partie doit fournir une prestation ayant valeur patrimoniale, ou non. § 362 Le caractére onéreux de la convention de jeu selon le droit public et privé, se déduit de l'engagement réciproque des mises en contrepartie des espoirs de gain (345). Le vainqueur n’acquerra pas son gain a titre gratuit, mais parce qu'il a risqué un enjeu. L’organisateur ne deviendra pas propriétaire de la mise du perdant a titre gratuit, mais parce qu'il s’est engagé a lui payer un lot, déterminé ou déterminable selon des critéres préfixés, au cas ot il gagnerait. Compte non tenu des dispositions civiles qui font de la mise un di seulement lorsqu’elle a été payée, il n'y a techniquement pas de différence entre l’enjeu exposé et l’enjeu sur parole /89/). Tout se passe comme si, au début de la partie, avant que Je résultat ne soit connu, chaque participant, organisateur compris, déposait sa mise coté de celle des autres, promettant de laisser le ou les gagnants se saisir du tout (335). Dans les jeux au totalisateur, organisateur ne peut pas, matériellement, déposer sa mise 4 cOté de la mise correspondante du ponte, puisque la mise de Vorganisateur, c’est-i-dire le gain promis au ponte, ne sera fixé qu’aprés connais- sance du total des enjeux et du nombre des pontes pouvant prétendre a la méme classe de lots; dans de tels jeux, l’organisateur ne peut déposer a cdté de la mise du ponte que son engagement a lui payer un lot, déterminé in abstracto (897), s'il gagne. Tout se passe comme si, indépendamment de l'exigibilité civile, chaque parti- cipant fournissait au début du jeu une prestation de nature patrimoniale. § 363 La convention de jeu au sens juridique est done onéreuse. § 364 Tl faut examiner deux types de jeux prohibés ott le caractére onéreux est dis- cutable, 32 Rapporté par Troplong ad motifs des art. 1965-1966 CCF. Un argument semblable était sou- tenu par J. Martinez Bello, 132s. 33 p. 105. 118 § 365 Ce sont d’abord certaines loteries en droit suisse. Légalement, “est réputée loterie toute opération qui offre, en échange d’un ver- sement ou lors de la conclusion d’un contrat, la chance de réaliser un avantage matériel...” (art. 1, al. 2 LLP). Selon la jurisprudence et la doctrine, il y a loterie dés que, pour participer, il faut conclure un contrat (autre que celui de loterie), méme si la prestation exigée de celui qui conclut pour participer a la loterie n’est pas majorée par rapport 4 la prestation de celui qui conclut sans participer a la lote- rie™, Si donc, pour prendre part a un concours publicitaire, il faut acheter un objet sans supplément de prix, il y a loterie prohibée, pour autant que soient réunis les autres éléments constitutifs, notamment que le résultat dépende principalement du hasard. L’absence de supplément de prix signifie absence de mise économique. Le droit suisse semble donc admettre l’existence de jeux gratuits. Mais la ratio de cette dis- position est que le législateur a craint qu’au cas ot de telles loteries commerciales gratuites seraient tolérées, la prohibition des loteries onéreuses ne fit tournée par Yinstitution de mises cachées dans un prix de vente. Il a en quelque sorte présumé irréfragablement que toute obligation de passer un contrat pour participer a une loterie cachait une mise. Loin de nier la nature onéreuse du jeu, la prohibition suisse de toute loterie com- merciale exigeant de conclure un contrat (autre que celui de loterie) l'affirme au contraire, puisqu’elle présume qu’il ne peut pas y avoir de loterie organisée de telle maniére, qui soit véritablement gratuite. § 366 Le second cas est celui des appareils automatiques de jeu que le droit italien interdit ds “qu’ils peuvent donner lieu a des paris ou permettent le gain d’un quel- conque prix, en argent ou nature, méme sous la forme de consommation ou de répétition de partie” (45). A premiére vue, il semblerait qu'il suffise, pour qu'un appareil automatique soit prohibé, qu’il offre un “trophée” quelconque au gagnant, méme en l'absence de mise. Mais il résulte des travaux préparatoires de la loi et des commentaires de la doctrine®s que l’expression “des qu’ils peuvent donner lieu des paris” signifie que le pari doit étre compris dans l'appareil méme, c’est-a-dire que Vappareil propose un “trophée” contre une mise introduite par le participant. Des lors, ces appareils de jeu n’échappent pas ala nature onéreuse des conventions de jeu. § 367 Il reste cependant le probléme de savoir si le prix proposé par l'appareil, que j'ai prudemment nommé “trophée”, a une valeur patrimoniale lorsqu’il consiste en une simple répétition de partie. La valeur d’échange est trés douteuse: contrairement 4 des consommations, il est difficile de négocier des parties gagnées 4 un “flipper”. Mais la partie supplé- mentaire gagnée ne constitue-t-elle qu’une pure satisfaction morale? Pour le joueur peut-ttre. Mais pour l’exploitant de l'appareil? Elle lui codite une dépense d’énergie (électricité, etc.) et peut lui occasionner un manque a gagner si pendant qu’elle se déroule, d'autres joueurs attendent de pouvoir jouer a des parties qu’ils 34 Klein, 90ss. 35 Pioletti, 109ss. 36 Ibid., 107. 119 3.3.8 Activité improductive §.456 Le jeu serait une activité qui ne produirait pas. I convient d’abord de préciser de quelle production on veut parler. § 457 Le jeu satisfait des besoins secondaires des joueurs (414). Pour eux, il produit done une satisfaction, d’une maniére apparemment efficace, puisque la plupart de ceux qui ont joué continuent 4 jouer. Si l’on tient compte des satisfactions secondaires des participants, le jeu n’est pas improductif. § 458 E. Valsecchi*™ tient le jeu pour un fait instinctif, mais inutile au sens écono- mique. I ne définit pas ce qu'il entend par “‘au sens économique”. Si, comme les philosophes de I’école dite “globaliste”, on qualifie d’économique toute activité qui satisfait un besoin, le jeu est une activité économique, ou, autrement dit, utile au sens économique, utile 4 l'économie humaine, puisqu’elle satisfait des besoins secondaires, instinctifs selon Valsecchi'™, ressentis, en ce qui concerne les jeux argent, par la majorité de la population (163s). § 459 Dans le méme passage, Valsecchi écrit: “Considérant le jeu d’un point de vue social, on'®® a découvert que sa caractéristique était son inutilité, ce qui ’op- pose au travail, qui s’en distingue pour étre dirigé vers une fin d’utilité”. L’inutilité économique semble se confondre avec linutilité sociale, le tout étant précisé (?) par le recours au lieu rhétorique du contraire, représenté par le travail. Je crois comprendre que Valsecchi qualifie le jeu d’inutile parce qu’il estime qu’il ne produit pas de biens économiques, au sens que donne a cette locution l’écono- mie, “science qui a pour objet la connaissance des phénoménes concernant la pro- duction, la distribution et la consommation des richesses, des biens matériels dans Ia société humaine!™”, L’inutilité “au sens économique” serait donc une improduc- tivité au sens de l'économie politique, c’est-i-dire l’incapacité 4 produire des biens économiques. § 460 Valsecchi n’est pas le seul auteur qui mélange les notions d’“utile”, de “so- cial”, d’“économique”,. de “productivité”. Une bonne partie de la doctrine en matiére de jeu, civiliste'” ou publiciste'™ la jurisprudence allemande"™ et suisse", cédent a la méme confusion, Or il est nécessaire de distinguer. Une activité étant un moyen en vue d’une fin (453), elle est toujours susceptible détre utile & quelque chose; que ce quelque chose soit bien ou mal estimé dans un systéme de valeurs déterminé ne modifie pas le caractére “utile” de lactivité. En 103 p, 5ss. Mais Valsecchi ne considére pas la convention de jeu d'argent comme un jeu (864). 104 Valsecchi cite ar ais pour Huizinga (p. 16), le jeu est plus qu’une activité instinctive, il est une activité intentionnelle 105 Ce “on” renvoie i Manenti (p. $83). 106 Petit Robert: “Economie”, I, mod. 107 V. notamment: Funaioli, 25; Giovanoli, 280; Oegg, 537. 108 V. notamment: Stachelin, 13 & 26; Jagusch, 568; Muller, 54 et la bibliographie citée par Wolf, 5s. 109 V. notamment RGZ, 60, 384. 110 V. notamment RO. 75. If. 45. 147 admettant qu’effectivement le jeu soit improductif au sens de l'économie politique, on peut le qualifier dinutile économiquement, a condition de préciser que “éco- nomique” signifie ici “relatif 4 l'économie politique”; mais cette inutilité économi- que n’entraine pas l’inutilité sociale. Beaucoup d'activités sont inutiles économique- ment, qui ne sont pas, habituellement, jugées inutiles socialement; ainsi, Ia pratique religicuse, les manifestations de soutien un régime politique, les exercices sportifs, etc. Le jeu, au sens juridique, qui satisfait un besoin largement répandu dans la population, n’est vraisemblablement pas inutile socialement; c’est plutot son inter- diction qui, par ses conséquences, est nuisible socialement (261). De toutes facons, la notion d’inutilité sociale, comme celle d’asociabilité, est si floue et contestable quelle ne sert qu’a masquer l'absence d’arguments solides (209) ou 4 faciliter Varbitraire du pouvoir politique (788) § 461 Au contraire, le critére de l'improductivité (459), ou celui d'inutilité écono- mique, dans la mesure oi il Iui est synonyme, parait pouvoir étre clarifié, puisqu’il est fondé sur des termes définis par la science économique. § 462 Activité improductive, dit Caillois'"’, “ne créant ni biens, ni richesse, ni élé- ment nouveau d’aucune sorte; et, sauf déplacement de propriété au sein du cercle des joueurs, aboutissant 4 une situation identique a celle du début de la partie”. improductivité consisterait en l’incapacité de créer une richesse nouvelle, s’ajoutant aux autres, au sens de l’économie politique’. § 463 Toute la question est de savoir ce qui mérite la qualification de richesse nou- velle. Pour y répondre, il faut définir ce qu’est une richesse et élaborer une théorie expliquant comment une richesse se crée. On sait que les économistes sont loin d’avoir, sur cette définition et cette théorie, des opinions unanimes. Je ne suis pas économiste et je ne prétends pas apporter de solution 4 leurs disputes. Mais le pro- bléme de l'improductivité du jeu étant posé, je dois analyser les conséquences éco- nomiques''? du jeu et me prononcer sur l’acceptation ou non de l’attribut “impro- ductif” dans la définition du jeu au point de vue juridique. § 464 Personne ne conteste que les activités des secteurs primaire et secondaire™ soient productives: le paysan tire de la terre des biens consommables qui n’existe- raient pas, ou en quantité et qualité inférieures, sans son activité; l’artisan ou I’in- dustriel transforment des biens non immédiatement consommables en biens immé- diatement consommables ou utilisables; ils ajoutent ainsi de la valeur aux biens qu’ils transforment, créant une richesse supplémentaire. § 465 La productivité des activités tertiaires est généralement admise, ne fit-ce que parce que les auteurs qui en dissertent se livrent, ce faisant, 4 une activité tertiaire, 111 Jeux des adultes, 1$5. V. aussi: Jeux et sports, 7 et Jeux, 245. 112 Méme opinion formellement exprimée par Buttaro, 7, 113 Cet adjectif est entendu avec Ie sens que lui donne l'économie polit la locution “bien économique”. 114 Secondaire, lig a secteur, s'entend dans le sens de "économie politique. Lié a satifaction ou a besoin, il s’entend dans le sens que je lui ai donné au § 413, de “non nécessaire a la survie’ jue, notamment dans 148 voire quaternaire™S, Mais I’évaluation de la valeur ajoutée par le service rendu, c’est- a-dire de la richesse nouvelle créée, suscite des controverses. Quelle valeur un ven- deur ajoute-+t-il au produit fini dont il favorise la diffusion ? Quelle valeur l’assureur ajoute-til au bien qu'il couvre de son assurance? Quelle valeur l'instituteur crée- til en instruisant des enfants? Quelle valeur le juriste crée-t-il en donnant un avis de droit? § 466 Une discussion sur la valeur économique souléve toujours le probléme de savoir si les biens ont une valeur en eux-mémes ou si leur valeur est fonction de Pattitude des “sujets économiques” envers eux. Etant donné 'impossibilité pour quiconque de trancher cette alternative sans étre soi-méme un sujet économique, ou vivre au sein d’une société de sujets économiques, le choix ne peut résulter que de présupposés dogmatiques ou idéologiques. Je me range parmi ceux qui estiment que la valeur économique d’une chose n'est pas un de ses attributs intrinséques, mais découle du jugement que portent sur la chose les sujets économiques, qu'il dépend notamment de la satisfaction que les sujets économiques attendent de la possession de la chose et du prix qu’ils sont préts a sacrifier pour obtenir; ce prix est luiméme une valeur résultant du juge- ment des sujets économiques. En d'autres termes, la valeur d'une chose nait des échanges dans lesquels cette chose est impliquée. Cette position de principe me sem- ble étre conforme a lidéologie libérale, cadre dans lequel s’insére ma recherche (143): a valeur d'une chose est égale au prix auquel elle se négocie. § 467 Lors de négociations singuliéres, la valeur peut subir des distorsions. Le ven- deur, s’apercevant qu’il traite avec un naif, surfait le prix; ou, parce qu’ll est soumis la pression de la concurrence, ou espére une “contre-affaire”, baisse le prix, méme en deca de son propre prix de revient. Pour jauger correctement la valeur, il faut tenir compte de nombreux échanges. La valeur d’une chose sera égale 4 la moyenne des prix auxquels les choses individuelles appartenant au méme genre auront été négociées au cours d'une période déterminée. La valeur qu’une personne aura ajou- tée a l'ensemble des richesses préexistentes, sera égale son revenu net pendant un temps précisé, c’est-A-dire aux prix qu’elle aura touchés pour les biens ou les services qu'elle aura fournis, moins les prix quelle aura payés pour pouvoir fournir ces biens ou services. J'admets ainsi que la richesse qu’ont créée en une année, par leur acti- vité professionnelle, un vendeur, un assureur, un instituteur ou un juriste, repré- sente leur revenu net annuel. § 468 On peut reprocher 4 ce critére d’évaluation son formalisme. Mais son mérite est de reposer sur des éléments quantifiables et indépendants de jugements subjec- tifs et irrationnels du type : les juristes sont beaucoup trop payés vu leur embrouille, les instituteurs vu leurs longues vacances, les assureurs vu leur rapacité ou les ven- deurs vu leur roublardise. 115 Pour les économistes qui distinguent les secteurs tertiaire et quarternaire, le tertiaire représente les activités de service, le quaternaire, les activités de création ou de spécula- tions intellectuelles ou artistiques. 116 Concept que je me contente ici de confondre avec celui de sujet de droit, c’est-a-dire per- sonne capable d°étre titulaire de droit et de s’obliger. 149 § 469 Je propose de qualifier une activité de productive si elle permet la constitu- tion d’un revenu net positif"”, La mesure de la valeur d’un bien, et de la valeur y ajoutée, dépendant des échanges négociés dans lesquels le bien est impliqué, ce cri- tére de la productivité n'est appliquable qu’aux activités liées a des échanges négo- cigs, c’est-d-dire aux activités résultants de conventions: contrat de travail, contrat de vente, contrat d’assurance, contrat de mandat, etc. L’activité délictuelle du voleur, quoique dégageant des revenus, n’est pas productive au sens défini ci-dessus. Puisque le jeu est une activité conventionnelle (357), sa productivité est suscep- tible d’étre appréciée a l’aune du revenu net. § 470 Que le jeu produise des bénéfices, je I’ai déji montré (247ss). Des bénéfices énormes, dés que lexploitation a une certaine importance. Cette forte productivité du jeu est a Porigine d’une des deux rationes legis possibles du monopole étatique: empécher l'utilisation des bénéfices du jeu a des fins criminelles (275). Elle n’est pas nécessaire la ratio legis purement fiscale (283): ’assiette de imposition peut étre simplement les transferts de biens économiques 4 l'occasion d’un jeu, indépen- damment de l’existence de revenus. § 471 Car il faut distinguer les revenus provenant du jeu des gains du jeu. Un revenu n’est pas un simple gain ou bénéfice; c'est un gain ou un bénéfice qui revient avec régularité, Les gains, ou les pertes, d'un ponte a la roulette ou au baccara, ne sont, que des allées et venues d’argent!'®, au gré des fluctuations du hasard, et dont le retour est hypothétique et en aucun cas régulier (639). Mariant aux jeux d'argent le jeu de mot, je dirai que le gain est un venu, non un revenu. Pour qu’une activité produise un revenu net positif sur une période déterminée (par exemple une année), elle doit amener des bénéfices suffisamment réguliére- ment pour qu’au terme de la période les entrées comptables dépassent les sorties, rebus sic stantibus'”®. Lerevenu des activités consistant en la conclusion de conventions aléatoires, pour une période déterminée, ou pour un nombre d’opérations déterminé, est évaluable grice au calcul de I’espérance mathématique (804s). § 472 Du point de vue de lespérance mathématique, il y a deux sortes de jeux d’ar- gent : les jeux équitables et les jeux inéquitables. Dans les jeux équitables, I’espérance mathématique de chaque participant” est égale zéro. La participation a un jeu équitable est donc une activité improductive, puisque le revenu net mathématique estimé n’est pas positif (n’est pas supérieur d 2610). 117 Au sens mathématique : supérieur 4 zéro. 118 Sic: Martello, 7 119 Cestaiire 4 condition que tout se passe selon des prévisions raisonnables. Ainsi, il est rai- sonnable de prévoir que les clients d'une maison de jeu ne trouveront pas un systéme effi- cace, honnéte ou malhonnéte, pour remonter leur désavantage mathématique. Si d’aucuns en découvraient et étaient en mesure de 'appliquer, lespérance mathématique de la ban- que pourrait devenir négative. L’hypothése que les clients n’utilisent pas de tels systémes est raisonnable parce qu’effectivement les cas sont rares (7089). Lintrusion de tricheurs rend partiquement impossible la prévision du résultat d’un jeu (Borel, 16). 120 En fait, ce sont les mises qui ont une espérance mathématique. Les mises étant risquées par des joucurs, on peut, par hypallage attribuer a ceux-ci l’espérance mathématique. 150 § 640 La “loi des grands nombres” est le fondement des probabilités statistiques, puisqu’elle justifie ’égalité: probabilité = fréquence (627). Elle se déduit, comme dit au § 638, de la loi de Laplace-Gauss. Cette loi est considérée comme la loi nor- male des statistiques, a cause de son caractére de grande généralité. La plupart des lois ou formules statistiques sont des développements de la loi normale de Laplace- Gauss, ou des adaptations a des circonstances particuliéres. § 641 Tout événement incertain a une probabilité (60). Si on entreprend de le réa- liser en une série d’épreuves, la fréquence observée sera égale a la probabilité si le nombre d’épreuves est infini (loi des grands nombres). A I’échelle humaine, un nom- bre d’épreuves infini est impossible. Lorsque le nombre d’épreuves est fini, Ia fré- quence observée sera comprise dans un intervalle de valeurs centré sur la moyenne théorique qui est le produit de la probabilité par le nombre d’épreuves. Le résultat R d'une série de N épreuves d’un événement de probabilité p sera donc égal la moyenne plusunécarte: R=u+e (927). La valeur de cet écart sera positive s'il est par excés, ou négative s'il est par défaut. Elle sera comprise entre 0 (la fréquence est égale a la moyenne théorique) et la différence entre le nombre d’épreuves et la moyenne (N ~ x2) ou entre la moyenne et 0 (u — 0). § 642 Ainsi, la fréquence du point six lors d'une série de 120 jets d’un dé, parfaite- ment construit ni pipé, sera la moyenne théorique 20 * plus un écart variable de 0 4 100 (différence entre N et #1) ou moins un écart variable de 0 a 20 (différence entre 1 et 0). En d’autres termes, le point six pourra apparaitre entre 0 fois et 120 fois. Mais chacune de ces 120 valeurs de l’écart n’a pas la méme probabilité de se pro- duire. Plus I'écart est grand et plus sa probabilité est faible (loi exponentielle des écarts, 637). Par exemple, un écart de 1 (19 ou 21 six apparus) a plus de 80% de chances d’étre dépassé; un écart de 2, plus de 30%; l’écart de 20 (40 fois ou 0 fois un six), une chance sur un million seulement; quant a écart de 100 (120 fois six sur 120 jets, sa probabilité est si faible, qu’on peut dire avec Borel (732) qu'il est rigoureusement impossible. § 643 On congoit que Vécart de 20, s'il se vérifie, sera considéré avec beaucoup de suspicion par un statisticien. Un écart d’une aussi petite probabilité pose le proble- me: est-il dd au hasard, auquel cas il avait 10° chances de se réaliser, ou est-il da a une autre cause? Dé mal construit (653)? Dé pipé™? Habile manipulateur? Erreur de recensement? Les hypothéses ne manquent pas. Celle que les statiticiens appel- lent I“hypothése nulle™, selon laquelle le résultat observé est imputable au hasard seul, est la plus improbable. La confrontation entre les résultats observés et les résultats théoriques batis selon les lois du hasard, c’est-a-dire les résultats correspondant a I'“hypothése nulle”, est un test statistique®®. La fonction d’un tel test est de déterminer si les écarts 33 La probabilité de n'importe quel point est $, puisqu’un dé a 6 faces, W=z - 120 = 20. 34 Par exemple, le dé a deux faces six; dans ce cas, 40 apparitions de six correspond exactement 4 la moyenne théorique, Ou le dé n’a aucune face portant six, et le défaut d'apparition d'un six cor- respond a la certitude! 35 Vessereau, 60ss. 203 constatés peuvent étre attribués au hasard ou si, cette attribution étant peu proba- ble, il faut chercher d'autres causes. Le test statistique ne permet pas de dire si un résultat est dd au hasard ou non, ou a quelle autre cause il est dd, mais 4 quel degré il est probable qu’l soit di au hasard. A partir de quel “‘seuil” de probabilité un résultat sera-t-il tenu pour peu probablement imputable au hasard? La fixation de ce seuil est arbitraire. Communément, les statisticiens estiment qu'un seuil de $% est significatif. Dans le langage des statistiques, on qualifie de “significative” une mesure qui, si elle est dépassée, fait douter que les événements considérés soient dus au hasard. Si un écart a moins de 5%de chance d’apparaitre selon l’hypothése nulle, ‘on estime qu'il est probable qu'une autre cause est intervenue et on la recherche. Dans l’exemple de la partie de 120 jets d’un dé, I’écart (en plus ou en moins de la moyenne théorique) qui a une probabilité inférieure a 5% d’étre dépassé est 8. Ny a 95 chances sur 100 pour que dans une série de 120 jets d'un dé, le point six (ou n'importe quel autre point, chacun ayant une probabilité de 3) apparaisse entre 12 et 28 fois. Le ponte qui observerait que le méme dé a donné plus de 28 fois (ou moins de 12 fois) six en 120 coups serait avisé d’examiner de plus prés ce dé ou de suivre attentivement les gestes du lanceur! Un écart supérieur a 11 (moins de 9 fois ou plus de 31 fois le point six) n'a qu'une probabilité de 1%; un écart de 13 ou plus, moins de 1 %o, etc. § 644 Il faut bien distinguer la probabilité p de I’événement considéré en général (656) et la probabilité n d’écart d'une de ses apparitions par rapport a la moyenne. La probabilité p du point six est 4 la probabilité n d’un écart supérieur a 8, sur 120 jets, est de 0,05. La valeur d’un écart en, positif ou négatif, correspondant a une probabilité 7 étre dépassé, est fonction de la probabilité (p) de l’événement considéré en géné- ral et du nombre d’épreuves (N) (638) selon la relation: en= ky VNp(—p) *. Le résultat (R) d’une suite de N épreuves est égal a la moyenne théorique (u) plus un écart (641). Le résultat conjecturé, c’est-A-dire calculé avant les épreuves, pourra s’exprimer par la moyenne théorique plus ou moins un écart de probabilité n fixée; en effet, un tel écart peut se produire aussi bien par excés que par défaut (637): R = w+ en. La moyenne théorique est le produit du nombre d’épreuves par la probabilité de I’événement: = pN (636). Ils’ensuit que le résultat d’une série de N épreuves dans lesquelles peut se pro- duire un événement incertain, est déterminé dés que I’on connait la probabilité p, la probabilité 1 et le nombre N d’épreuves: R = w + ey = pN + ky VNp( —p). La probabilité n est une grandeur arbitraire, décidée par le sujet évaluant. Je peux aussi bien affirmer que le point six sortira 20 + 8 fois, avec une probabilité de 0,95 (n = 0,05), que 20 + 11 fois avec une probabilité de 0,99 (7 = 0,01), ou 20 + 13 fois avec une probabilité de 0,999 (n = 0,001), etc. Le nombre d’épreuves 36 Np C—p) est I'“écart-type" (0, 937) pour une série de N épreuves. kp est I"*écart-réduit™ correspondant un € fixé. I vaut £.0n trouve la relation entre k et 1) dans des tables, appelées habituellement “tables de la loi de Laplace-Gauss”. Pour k = +1, 7) = 0,32; pour k = 42,1)» 0,05, pour k = +3, 7 = 0,003; ete. 204 est arbitraire aussi, dépendant de 1a volonté de l’expérimentateur, ou accidentel, lié aux contraintes de I’expérience. Il est donc légitime de dire que la structure des événements aléatoires est essentiellement définie par la probabilité (p) de I’événe- ment considéré généralement. § 645 Connaissant la probabilité d'un événement, on peut prévoir dans quelle limi- tes il sera distribué lors d’épreuves effectives. Inversément, quand on ignore la pro- babilité d’un événement, on peut I’évaluer a partir de la fréquence observée lors ’épreuves passées. C’est ainsi que I’on établit les probabilités statistiques. Diverses lois ou formules permettent de passer des résultats recensés la probabilité cher- chée, en tenant compte de la dispersion que peuvent présenter les résultats relevés. Des lois ou formules a fonction semblable sont utilisées pour évaluer la probabi- lité d’événements non répétables. La dispersion des mesures ne concement plus des apparitions antérieures de l’événement, puisque celui-ci sera unique, mais les diverses estimations subjectives. § 646 Un événement futur, par exemple l’apparition de la face six d’un dé, dont on connait la probabilité est prévisible. Naturellement, il ne s’agit pas d’une prévision en terme de certitude (le six sortira certainement, ou le six ne sortira certainement pas), mais d’une prévision probabiliste (le six a cinq fois plus de chances de ne pas sortir que de sortir). La belle affaire! ironisera-t-on. Ce qui intéresse, c'est de savoir si au prochain coup de dé le six sortira ou non. Dire que sa probabilité est de n’apprend rien utile. Cette objection triviale néglige le fait qu'une évaluation numérique permet des prévisions raisonnées, ce qu’empéche l’aveu d’ignorance compléte. Tant que je dis: ‘on ne peut rien savoir sur le prochain jet de dé, je ne peux faire aucune prévision, ni entreprendre aucune action raisonnée. Je ne peux que m’engager ou m’abstenir “au petit bonheur”. Dés que je sais que la probabilité du point six est de 4, je peux donner consistance a mes conjectures et m’engager ou m’abstenir en sachant non pas simplement que je prends un risque, mais quel*” risque je prends. Je peux, par exemple, calculer l’espérance mathématique. Si mon partenaire me promet 6 pour 1 au cas oti le six sort, je sais que le pari m’est avantageux de 16,7% *8; s'il me promet 5, que le pari est équitable**; s'il me promet 4, qu’il m’est désavantageux de 16,7%*°, etc, Je sais ainsi que si j’accepte ce dernier pari, je paierai en moyenne mon plaisir de jouer par le 16,7% de mes enjeux (496). § 647 Dés qu’en plus de la probabilité, je connais le nombre d’épreuves (638), je peux faire des prévisions qui sont d’autant plus précises que le nombre d’épreuves est plus élevé. Elles deviennent rapidement des quasi-certitudes. Si j’admets qu’une probabilité de 9999/1000 est quasiment la certitude, je suis quasi-certain qu’en 120 jets d'un dé le six sortira entre 4 et 36 fois, entre 19 et 65 fois en 250 jets, entre 51 et 116 fois en 500 jets, entre 121 et 212 fois en 1 000 jets, entre 731 et 37 “Quel” a entendre ici, en dépit de 1’étymologie, dans le sens quantitatif. 38d. 6)— G- 1) =416,7% 39 G-5)-E.1)=0. 40 G+4)— G1) = -16,7%. 205 935 fois en 5.000 jets, entre 1 522 et 1 812 fois en 10.000 jets, etc. Et cette connais- sance se transformera en quasi-certitude de jeu irrégulier si ces limites sont dépas- sées (643). Je ne puis estimer qu’une probabilité de 9999/10 000 est trop incertaine pour que je m’y fie; sinon, je devrais renoncer a tout projet au dela de 15 jours, car j'ai une probabilité inférieure 4 0,9999 d’étre encore en vie dans deux semaines. § 648 Entre la simple ignorance si un événement se produira ou non et la connais- sance de la valeur numérique de sa probabilité il y a une différence. L’ignorance laisse toujours dans l’ignorance. La connaissance de la probabilité conduit 4 des pré- visions précises a un degré choisi et su. Que le nombre de fois od le point six appa- raitra quasi-certainement dans une partie de N jets d’un dé ne soit pas un chiffre unique, mais varie entre des valeurs limites n’enléve pas toute utilité au calcul des probabilités. Grace a cette prévision, le tenancier d’un jeu peut fixer le maximum des mises qu’il tolérera a ses tables, en fonction du capital dont il dispose et de son avantage mathématique. Il est concevable qu’un tenancier a la petite semaine soit peu au fait du calcul des probabilités et lutte contre d’éventuels écarts négatifs par des manipulations douteuses. Mais un tenancier sérieux, en particulier celui qui est agréé officiellement et, par la, soumis 4 un contréle strict et une forte imposition fiscale, serait dans limpossibilité de gérer son entreprise s'il n’avait pas le secours de la science du hasard. Sans probabilités numériques, point d’exploitation de jeux autorisés officielle- ment. Point de commerce des assurances non plus (618). § 649 Parler de prévision probabiliste, c’est user d'une locution redondante. Une prévision rationnelle (725, n. 80) ne peut étre que probabiliste. Une prévision en terme de certitude n’existe pas, car une prévision concerne des faits futurs (604), et les faits futurs sont incertains. Selon Borel (732), des faits futurs, dont la probabi- lité est trés proche de l’unité, sont certains; mais pour les qualifier de certains, il faut procéder a une estimation probabiliste. Dés lors, il n’y a pas de prévision rationnelle qui ne soit probabiliste. § 650 La logique aristotélicienne est bipolaire parce qu’elle ne considére que deux poles (existence et non-existence) et soutient qu'une chose est ou n’est pas sans tierce possibilité (principe du tiers exclu). Elle ne laisse raisonner que sur des faits certains, donc passés et conus. Elle est impuissante en matiére de conjecture. Tout ce qu’Aristote pouvait dire a propos du probléme de la bataille navale était : demain, nécessairement ou il y aura une bataille navale, ou il n'y en aura pas; mais il n'est pas nécessaire qu’il y en ait une. La logique probabiliste remplace la formule pure- ment qualitative “il n’est pas nécessaire” par une probabilité numérique et ouvre ainsi la voie au raisonnement rigoureux sur les faits futurs. Quant au principe du tiers exclu, exprimé par “ou il y aura une bataille ov il n'y en aura pas”, qui garan- tit la non-contradiction, elle I'applique non aux choses elles-mémes mais 4 leur pro- babilité: une chose est avec une telle probabilité, et elle n’est pas avec la probabilité complémentaire’’. Ainsi, dans I’exemple de l'apparition du point six d’un dé: la 41 Soit q la probabilité complémentaire, la relation entre p (probat ‘babilité que l’événement ne se produira pas) s'écrit: p= 1 ~q. de Vrévénement) et q (Pro 206 Et les juges comment évalueront-ils eux-mémes? Avec quelle précision? Les experts éventuels s’accorderont-ils entre eux? Les justiciables vraisemblablement plaideraient souvent avec succés I’erreur sur les faits, argueraient constamment de leur incapacité 4 calculer leur indice. Le légis- lateur obligerait-il alors les parieurs & connaitre les principes de la science des proba- bilités, a maitriser l’extraction de racine ou a posséder une calculatrice de poche? Instituerait-il un permis de parier délivré aprés examen? Les tribunaux manifestent beaucoup d'incompréhension quant aux probabilités (773 & 1104ss); pourront-ils condamner des personnes qui de bonne foi sont inaptes A apprécier l’aléa de leurs paris? Ils devraient fréquemment, constatant le défaut de la culpabilité subjective, libérer. Une réputation @impunité entourerait Vinfraction de “participation de hasard 4 un pari”. La jurisprudence serait plus incertaine qu’actuellement, et peut-étre plus propice encore aux agissements de pro- fessionnels avisés (772). § 984 En outre, pourrait-on vraiment condamner quelques parieurs et pas les autres? Chaque participant est co-responsable de I’aléa des autres (963). Daniel ne com- mettrait pas d'infraction quand il parie équitablement contre Ernest et Fernand (981), qui eux seraient punissables. Mais si l’indice d’Ernest et de Fernand dépasse la valeur critique, c’est parce que Daniel est partie au pari. S'ils jouaient, toujours équitablement, 'un contre Vautre, ils auraient un indice de 3} - $= 1,41 et ne seraient pas inquiétés pénalement. Ne devrait-on pas envisager, Daniel n’étant pas auteur de linfraction, de le condamner pour complicité? En généralisant ce pro- cédé, on en viendrait 4 punir, a un titre ou a un autre, tous les participants dés que Laléa de l'un serait trop élevé légalement. Indirectement, c’est la notion subjective de “jeu de hasard”, qui prévaudrait: la conclusion d’une convention de pari serait prohibée ou non selon qui y participe et a quelles conditions (972). § 985 Une demniére objection acheve de convaincre de 'inopportunité de la solution de linfraction de “participation de hasard” (980). Les participations tolérées seraient celles a des paris ot! la somme du gain espéré et de la mise serait faible, c'est-i-dire a cotes peu éloignées de 1 (957). Les cotes sont inversément proportionnelles aux probabilités de gain (960). A supposer un indice critique de 2,80, on ne pourrait guére parier licitement avec des probabilités de gain inférieures a 4 et des cotes supérieures a 8: sila probabilité de gain est telle, Ia cote équitable est 8, donc le terme (950, formule I) G*M in = 9 VE> $= 2,83; ou, inversément (955), on ne pourrait parier avec des probabi- lités de gain dépassant $0u des probabilités de pertes en dessous de 4 En particulier, on ne pourrait participer a un pari plurilatéral groupant plus de 9 personnes ayant, des chances 4 peu prés équivalentes, et misant chacune 1. Ou alors les paris a proba- bilité de gain moindre (ou probabilités de perte excédant 9), devraient étre inéquita- bles @'autant plus gravement que les probabilités se rapprocheraient de 0 ou 1. Par exemple, le cheval a la roulette ne pourrait étre payé plus de 11 fois la mise (oy, = 12 VE > H = 2,71), ce qui infligerait au ponte un désavantage de 35,1% au lieu des 2,7% actuels; le numéro plein devrait avoir une cote de 16:1 9,et l'indice 321 903), abaisse Vattrait en diminuant l’aléa (957). Si le loto était équitable, le gain sur Te quine serait payé environ 44 millions de fois la mise, et l'indice serait de 6 629. Tout le probléme pour le tenancier est de trouver le point ot, pour le public, Penvie de parier 'emporte encore sur la répulsion a se sentir pressurer (833). § 988 En fait, il n'y a pas un point unique, mais une série de points correspondant des portions de public. Entre les acheteurs distraits de dixiémes de loterie, incons- cients de leurs chances de gain ou de perte, et les professionnels trés attentifs aux espérances mathématiques', se déploie l’éventail de divers types de parieurs de moins en moins tolérants a V'inéquitabilité (297). Chaque fois qu'une organisation officielle aggrave le désavantage mathématique des paris qu’elle exploite, elle perd une partie de sa clientéle qui en majorité va a la concurrence clandestine plutot que de cesser de jouer. § 989 La valeur critique de l’indice qualifiant une “participation de hasard” serait vraisemblablement basse, si bien que les paris rendus inéquitables pour demeurer licites seraient nombreux, et leur inéquitabilité souvent considérable. Un tel prin- cipe de réglementation renforcerait la position des tenanciers liés au milieu criminel. § 990 Linstitution d'une infraction de “participation de hasard” est ainsi haute- ment inopportune. Elle placerait les juges dans la délicate alternative de libérer la plupart des justiciables pour erreur excusable sur les faits (983) ou de les condam- ner presque tous, soit comme auteurs, soit comme complice (984). Et elle aurait pour conséquence d’abandonner au milieu criminel le bénéfice énorme de I’exploi- tation des paris attractifs (985). § 991 De semblable inopportunité serait la solution consistant a n’appliquer le cri- tere de I'indice d’aléa de pari qu’aux “jeux de pur hasard” (979). Quoique dans ces jeux les probabilités soient de nature mathématique ou statisti- que, elles ne sont guére mieux appréhensibles pour la majorité des parieurs (et des juges) que les probabilités estimatives; l'erreur sur les faits resterait fréquemment plaidable. Les “jeux d’habileté” ou “mixtes” ne reléveraient plus du principe de la quantité d'aléa, La nécessité de n’interdire ni autoriser l'ensemble de ces paris (1150) oblige- rait de toute fagon a inventer pour eux un ou d’autres critéres de prohibition. Il est préférable que les critéres de prohibition ne varient pas en fonction de catégories de probabilités (634) que le public ne sait pas reconnaitre Enfin les paris tolérés seraient aussi ceux a faible aléa, done a moindre attracti- vité, ce qui favoriserait les exploitations illicites. §992Ce demier effet est d'ailleurs inhérent a toute réglementation interdisant certains paris 4 raison de ’importance de leur aléa. Méme si V’aléa des paris était généralement objectif (977), il ne pourrait étre retenu comme critére de prohibition parce que deviendraient prohibés les paris les plus attractifs, qui ainsi se conclueraient dans la clandestinité au profit principal de la haute criminalité (985). 12 Crest parce qu'il offre quelquefois des paris absolument équitables que le pharaon a été un des jeux de prédilection des pontes professionnels. 323 non influengable, ou ni imprévisible ni influencable. L’imprévisible et le non-influ- encable ne sont pas interdépendants, ni exclusifs l'un de l'autre (601 & 794). Il faut trancher entre les deux sens proposés par la doctrine. Jai rattaché la notion de hasard a celle d’imprévisible, ce qui m’a conduit 4 poser que le hasard était spécifiquement la cause des écarts entre les diverses valeurs réali- sables d’un événement et sa valeur moyenne (927). Cette valeur moyenne, elle, est rattachable a des causes physiques, connues ou a découvrir. § 999 Mais, quoique rien ne soit clair dans le discours des auteurs ou des juges sur le hasard, on a ’impression que la doctrine ou la jurisprudence tiennent les résultats moyens de la roulette, ou de pile ou face, pour dus au hasard, mais non les résultats moyens de parties d’échecs, alors méme que la probabilité d'une victoire aux échecs serait identique 4 celle de la sortie de rouge ou de pile (789 & 975). La raison de cette opinion semble étre qu'un résultat de roulette ou de pile ou face n'est pas influencable par les participants, tandis que celui d'une partie d’échecs l'est. En dépit de leur référence a l’imprévisible, les pénalistes conféreraient 4 “hasard” lacception de “cause des événements non influengables”. Mais ils professent que les paris sur des compétitions sportives, conclus par des personnes qui ne participent pas 4 la compétition elle-méme, ne sont pas entiérement de hasard parce que les parieurs, en se renseignant sur les concurrents, peuvent plus ou moins prévoir les résultats de la compétition bien qu’ils ne puissent les influencer (1091). Confusion fondamentale! § 1000 Deux questions liées se posent: la prémisse est-elle admissible, que le hasard, du point de vue de l'infraction de “jeu de hasard”, signifie “cause des événements non influengables” (ou “cause non influengable”)? Si oui, la notion de “jeu de hasard” est-elle susceptible de cohérence? § 1001 A la premiére question, il faut répondre négativement, pour un motif que j'ai déja énoncé (799): aucune ratio legis ne justifie d’'interdire des paris parce que les résultats n’en seraient pas influencés ou influengables par les participants. Les deux seules rationes legis recevables sont fondées sur la considération des transferts économiques que provoquent les “jeux de hasard”. Il faut empécher que ces mouvements profitent au milieu criminel, ou les utiliser pour percevoir un impét. La nature ou le mode opératoire de la cause qui produit l’événement auquel sont liés les résultats du pari est sans aucune relation avec les transferts économi- ques. Ceux-ci sont la conséquence exclusive de la volonté des parieurs de mettre en jeu des valeurs économiques, c’est-i-dire de les soumettre 4 un aléa (927). La prémisse que le hasard dans les paris est lié au caractére non influengable des résultats serait en contradiction avec les rationes legis, donc incohérente (311). Partant, la notion de “jeu de hasard” le serait aussi. § 1002 Cette constatation dispense de répondre plus longuement la deuxiéme question du § 1000. Mais la conviction qu’ll existe des “jeux de hasard” et d’autres qui ne le sont pas grice a l'activité déployée par les participants, est trés répandue. Je dirai méme qu'elle est pour la quasi-totalité des gens une “vérité” intuitive. C'est pourquoi je mastreindrai dans le chapitre suivant (1085s) expliciter les notions de “jeu de 325 Le pari étant équitable, le résultat moyen du joueur autorisé a étre habile est done nul si Mhabileté est sans influence et d’autant plus haut qu’élle est plus effi- cace; éventuellement plus bas si l'habileté s'est égarée (1027). Ce résultat moyen peut servir ainsi de mesure du degré de potentialité de V'efficacité de Vhabileté du joueur testé. C'est pourquoi il est opportun, en vue de l’évaluation statistique du degré H (1036s & 1042), de rendre préalablement le pari équitable. § 1061 Sil est pris sur un événement étranger aux paricurs, la cote devra respecter exactement le rapport £ Ainsi, a la roulette la cote du pari sur le numéro devrait étre, pour le ponte, de 36:1 Comment évaluer les probabilités de gain (g) et de perte (p) lorsqu’elles sont de type estimatif (879)? Cette opération souffre toujours d’une marge d’incertitude (633) et les erreurs, plus ou moins étendues, sont fréquentes. Les détecter et en tirer parti témoigne d’habileté (1086). Ce qui rend cette habileté efficace, c’est que, dans cette hypothése, les cotes sont fonction de probabilités inexactement évaluées. Linfluence d'une telle habileté doit apparaitre dans la mesure de H; il faut donc comptabiliser la différence entre le résultat tel qu’il se vérifiera et celui qui était faussement attendu. Conséquemment, les valeurs des probabilités g et p 4 considé- rer pour calculer la cote équitable sont celles admises par les co-parieurs ignorants de V’erreur. Souvent cette valeur n’est pas chiffrable précisément, les parieurs, sauf les tenan- ciets, se souciant peu d’apprécier objectivement (737) les probabilités et les espé- rances (833). Quand le pari est tenu (899), on pourra déduire directement la cote équitable de la cote offerte si l'on sait le désavantage des pontes™. Si le pari n'est pas tenu, ou que le désavantage n’est pas connu siirement, une part d'incertitude entoure ce qu'il faut regarder comme cote équitable. C'est un facteur supplémen- taire (1058) d'imprécision de la mesure de H. § 1062 Lorsque les parieurs peuvent intervenir dans le processus de I’événement sur lequel ils misent (7029), le probléme du calcul de la cote équitable est simple 4 résoudre. Toujours dans 'hypothése d'un pari bilatéral, elle est obligatoirement de 1:1, les 2 participants misant la méme somme. Poser une cote différente reviendrait 4 admettre qu'un des antagonistes a, au départ de l'expérience, un avantage sur autre, que la cote doit compenser (821), done qu’il est plus habile. Le but de I’ex- périence étant de déterminer si V’habileté est efficace et a quel degré, on ne peut, sous peine d’incohérence, présupposer que Vhabileté est efficace ni qu’un joueur est plus habile que l'autre. § 1063 Quant aux paris multilatéraux, ’évaluation statistique de H y est fort com- plexe. x age Z =36. v.§ 834 a 22 Grice i la relation: egq = {*§ ~1. egg est la cote Equitable, ot d le désavantage du ponte a cote effectivement offerte 342 Faut-il introduire un joueur “au hasard” parmi les autres qui jouent sans con- trainte, ou un joueur autorisé a étre habile parmi les autres qui tirent au sort? La réponse ne saurait étre générale. Pour chaque pari particulier, il convient d’examiner quelles sont les relations entre participants, s’il existe des convergences ou des diver- gences d'intéréts, des coalitions stables ou occasionnelles. La encore il est néces- saire que les conditions de l’expérience soient clairement explicitées pour que la mesure de H obtenue puisse étre correctement interprétée (1043). Si les parieurs peuvent intervenir dans le processus de I’événement, ils doivent tous bénéficier de la méme cote® s’ils misent une somme identique, pour la raison dite au paragraphe précédent. § 1064 Je propose donc comme mesure de la potentialité de lefficacité de Phabi- leté d’un parieur individuel (H;), la valeur de son résultat moyen relatif (y;), obtenu en pariant équitablement conire un (ou) des parieurs “au hasard” (1046s): H; = 4. § 1065 Les écarts formés par les résultats de parties singuliéres relativement au résultat moyen ne sont pas en soi pertinents. L’efficacité de l’habileté d'un joueur est instable; un jour il est en forme, un autre en déveine. Ces variations sont expli- cables par le hasard au sens des sciences stochastiques (926). Le résultat moyen traduit l’efficacité de I’habileté dans ce qu’elle a de perma- nent pour une personne donnée et durant une période d’une certaine longueur. § 1066 Le rapport entre le résultat moyen relatif du joueur en position normale et celui du joueur au hasard (ithasarq) Mest pas apte 4 renseigner sur le degré Hj. Le 4 ‘hasar¢ que les résultats des adversaires sont de méme valeur absolue mais de signe contraire; s'ils sont exactement égaux, donc nuls l'un et autre, "expression est dépourvue de signification. Dans les paris plurilatéraux les résultats comparés ne sont pas for- cément contraires, mais celui qui figurerait au dénominateur pourrait étre nul, ce qui rendrait le quotient indéfini. § 1067 Dans "hypothése oi les résultats considérés sont des victoires 4 un jeu, le quotient (ou son inverse) est toujours de —1 dans les paris bilatéraux, puis- d Vv. rapport entre le nombre de victoires Viena est utilisable comme indice de supé- sar riorité (ou d’infériorité) du joueur en situation normale face a un joueur “au hasard” (1059). Si sur 100 parties, le joueur habile en gagne 80 et celui “au hasard” 20, on peut dire que 'habileté est 4 fois plus efficace que le hasard. Si le joueur “au hasard” ne gagne aucune partie, I"habileté est infiniment plus efficace. § 1068 Juridiquement, ce n’est pas le nombre de victoires du jeu qui importe, mais le résultat économique moyen du pari (919 & 1009). Un joueur habile misant sur 1 concurrent a des courses de 20 partants perdra contre un joueur “au hasard” qui ‘miserait sur les 19 autres beaucoup plus souvent que lui, quelle que soit son habi- leté; mais compte tenu des cotes attachées aux concurrents sur lesquels il mise, il gagnera peut-étre économiquement en moyenne; cela est déterminant. 23 Qui est de (N~1) :1, sile lot est unique. N est le nombre de participants. 343 § 1069 La qualification du pari devant étre objective (318), il faut calculer le degré H pour l'ensemble du public (Hp). Le public d'un pari défini par ses régles est formé par les personnes qui ont con- clu un tel pari ou qui veulent le faire. Celles qui ne s'y adonnent pas en sont exclues. II serait absurde d’intégrer a la mesure de Hp des résultats qui n’adviennent ja dans la réalité pratique. Délimiter le public ét en tirer un échantillon représentati (780) est une autre des nombreuses difficultés de la mesure statistique de Hp. § 1070 On s’attend que la disparité de résultats entre joucurs médiocres et “virtuo- ses” soit d’autant plus grande que le jeu laisse un champ plus vaste a l’influence de Vhabileté (1036). Ainsi, le degré H, est non seulement proportionnel au résultat moyen relatif (1032) (u,) de Pensemble des personnes en situation normale oppo- sées a un (ou des) joueurs(s) “au hasard”, mais encore a la différence entre les résul- tats moyens de ces diverses personnes. Les écarts entre les résultats moyens indivi- duels et le résultat moyen du public ne sont pas imputables au hasard, comme le sont les écarts de résultats pour un méme joueur (/065/, mais aux inégalités d’habi- letés individuelles. L’évaluation statistique doit en tenir compte. C'est pourquoi Vexpert calculera d’abord les résultats moyens relatifs de chacun des parieurs testés, puis établira la moyenne de ces résultats (up) et exprimera I’écart-type qui lui est lié (py, 931s). $1071 Il se peut que la moyenne des résultats testés soit nulle, mais que certains résultats soient positifs, d'autres négatifs. Un tel pari n’est pas de pur hasard, puis- que des individus ont pu réaliser des résultats positifs en moyenne, donc pas simple- ment par hasard (1065). Si l'on ne retenait que la valeur du résultat moyen de l'en- semble du public, on aurait un Hp nul et on serait faussement amené & conclure que Vhabileté est sans influence dans le pari. L’écart-type des résultats moyens indivi- duels par rapport au résultat moyen de ensemble du public est, lui, positif, mon- trant que des différences significatives (643) d’habileté se sont manifestées. Il se peut aussi que les écarts entre les résultats moyens individuels soient trés faibles, mais que la moyenne des résultats du public soit haute. L'influence de Vhabileté est forte dans ce pari, bien que peu différenciée d'un participant a autre, parce que, vraisemblablement, les qualités personnelles mises en ceuvre sont trés courantes dans la population. Rattacher Hp au seul écart-type reviendrait & considé- rer ce pari comme de peu d'habileté. L'emploi, méme trés efficace, de capacités répandues serait pénalisé. Le degré H,, ne mesurerait alors plus la potentialité d'in- fluence de ’habileté en général (1036s), mais de facultés personnelles spéciales, ennoblies en quelque sorte par leur dispersion inégale chez les individus. Il parait conforme au sentiment commun d’apprécier le degré d'influence de Vhabileté du public selon le double point de vue de importance de la modification qu’apporte en général et en moyenne Tusage de Vhabileté, et de l'ampleur de la disparité entre les résultats moyens relatifs des joueurs. Les deux facteurs se cumu- lent: de deux paris ott les résultats varient beaucoup d'un participant a Pautre, c'est celui od Phabileté moyenne est la plus efficace qui est ressenti comme étant le plus d’“habileté”. 344 §1072 L'importance de la modification produite en moyenne par I’habileté est mesurée par la moyenne des résultats individuels moyens relatifs (11,,, 1070), et T'ampleur de la disparité entre résultats moyens individuels par l’écart-type (oy) qui est associé @ yp. En additionnant ces deux grandeurs (1071), on exprime quantita- tivement le degré H, de potentialité d’influence de I’habileté dans un pari défini par ses régles (946). Eventuellement, le résultat moyen du public pourrait étre négatif (1027). La somme Hp + dp deviendrait dans ce cas une différence, ce qui fausserait la mesure de Fefficacité tan dicapante) de lhabileté. C’est pourquoi il faut prendre Ja valeur absolue de Hp: On a ainsi Ja relation Hy =, + op. Pour savoir si l'influence de I’habileté est avantageuse ou défavorable, il suffit de considérer le signe de tip, § 1073 Le degré H,, ainsi établi est une valeur statistique, une moyenne. Pour tous ceux dont le degré H; individuel (1064) excéde la somme lupl* op le pari est plus “dhabileté” ou moins “de hasard” que pour la moyenne du public. Si, parce que son indice H,, est inférieur 4 lindice critique (1037), un pari est qualifié de “jeu de hasard”, il est possible qu’il ne le soit pas pour quelques person- nes particuli¢rement habiles. L’indice Hp,.calculé par méthode statistique n'est pas objectif au sens désiré en droit pénal (3i8é& 785). Il n’est pas intersubjectif absolu- ment, il n'est pas un attribut du pari vérifié pour chaque participation (940) sin- guliére. Liindice Hp évalué a priori selon la relation Hp = & (x;X;) (1039) est objectif au sens strict; mais cette évaluation n'est réalisable qu’exceptionnellement (1042). Le plus fréquemment est seule 4 disposition |’évaluation statistique, si bien que la qua- lification de “jeu de hasard” en fonction du degré d’influence de I’habileté doit étre écartée pour subjectivité, outre qu’elle est injustifiée par les rationes legis (1008). § 1074 Cependant, la valeur statistique de H, est objective en moyenne. Quelles que soient les prouesses des “virtuoses”, le degre efficacité moyen de Mhabileté pour l'ensemble du public reste inchang, Pour autant que ces prouesses aient été prises en compte dans le calcul statistique. Un législateur, désireux d’imposer ce type de qualification, malgré absence de ratio legis, pourrait arguer qu'il prohibe les “jeux de hasard” parce que, la poten- tialité d’influence de Vhabileté y étant insuffisante pour la moyenne du public, il entend protéger la majorité des intéressés contre la “passion du hasard”. La démar- che serait semblable a celle qui consiste 4 prescrire des vitesses maximales 4 tous les automobilistes parce qu’au-dela la plupart d’entre eux mettent en péril la circula- tion; mais la sanction est une condamnation pour dépassement de vitesse et non pour conduite dangereuse. Analogiquement, si les paris prohibés sont ceux dont le degré H,, est inférieur a la valeur critique, les personnes qui s'y livrent doivent étre condaninées pour participation 4 un pari interdit, non a un “jeu de hasard”, sauf a prouver qu’en l'espéce leur habileté est effectivement trop peu efficace Ce législateur devrait nommer les paris qu’il prohibe “paris interdits” ou “prohi- bés”, non “jeux de hasard” (784). 345 savoir quelle est importance de Vinfluence de 'habileté, un “test d’habileté suffi- sante” est adéquat. Mais alors, l’expérience doit étre entreprise comme I’a congue (semble-t-il) 'OVG, non comme I’a envisagée (semble-t.il) le BVerwG: il faut attri- buer au joueur prétendiment plus habile une probabilité de victoire égale au mini- mum correspondant & une influence suffisante et vérifier si, sur un nombre correc- tement choisi d’épreuves, cette hypothése est statistiquement plausible. § 1114 — 3) Quoi qu’il en soit, la potentialité de V'efficacité de lhabileté ne peut tre testée que face 4 un joucur “au hasard” (1046); ce role ne saurait étre tenu par un joueur prétendu inhabile ou novice (1049). Il n’y a que deux solutions. La premiere est d’employer un étre humain qui a ordre d’effectivement tirer au sort (1058) toutes les conduites possibles. Deux dif- ficultés surgissent: comment fera-t-il pour dresser, dans toutes les situations, le tableau complet des choix possibles (7/20)? Ainsi, dans un jeu d’échec, il lui fau- drait inventorier toutes les piéces susceptibles d’étre mues, et pour chacune toutes les positions qu’elle pourrait occuper. Comment empécher que son adversaire, le joueur libre dutiliser ses facultés, ne recueille des informations supplémentaires fournies par le processus méme du tirage au sort, en particulier par le temps de réponse et soit ainsi en posture plus avantageuse que normalement? Au bridge, il pourrait déduire d’une réponse immédiate que le joueur aléatoire n’avait qu'une carte de la couleur jouée, d’une réponse lente, qu’il lui reste une longue dans cette couleur. La deuxiéme solution éliminerait ces difficultés: construire un ordinateur pro- grammé pour jouer au hasard tout en respectant les régles, et pourvu d’un tempori- sateur égalisant les temps de réponse. Mais un nouvel obstacle, pratique, surgit: le colt, qui pourrait souvent dépasser la centaine de milliers de francs. On voit mal un tribunal gonfler si démesurément les frais de justice pour asseoir sa décision. § 1115 4) faut encore neutraliser les différences d’habileté entre les joueurs en position normale (1059 & 1070). Il est évident que si le jeu est d’habileté (2020), plus un joueur est habile et plus il a d’avantage. Choisir pour l’expérience un joueur médiocre ou trés doué n’est pas équivalent. Or, préalablement, on ne peut se faire une idée précise de son degré d’habileté (1045). Tant que l’expérience portera sur un seul joueur habile, ses résultats n’offriront aucune sécurité: on ignorera toujours s'il était trés habile, peu habile, moyenne- ment habile. Il est donc nécessaire de soumettre a l’expérience plusieurs joueurs choisis selon des méthodes statistiques pour éviter que l’expérimentateur n’inflé- chisse subjectivement les résultats (666). On obtient ainsi une mesure objective statistiquement, mais pas au sens du droit pénal (1073s). § 1116 E. Selig et B. Wolf, ont proposé des définitions non statistiques, mais mathématiques"’, déduites d'une analyse exhaustive, ou du moins voulue telle, des situations de jeu et des tactiques possibles. Cette méthode @ priori a ’avantage, si elle est réalisable (1041), d’étre centrée sur le jeu uniquement et de ne pas dépendre de circonstances propres a des joueurs particuliers, ni a la moyenne des joueurs. 43 Femploie ces deux adjectifs analogiquement avec le sens qu’ils ont en calcul des probabilités (634). 358 § 1117 E. Selig compare les variations de résultats en fonction de diverses situa- tions aléatoirement distribuées, et celles en fonction de diverses conduites** de jeu. Pour sa démonstration, il recourt 4 5 situations aléatoirement distribuées (donnes de cartes) et 5 conduites qu'il fait figurer dans une matrice a double entrée (de 25 cases), ainsi qu’a deux types de moyennes, le mode et la moyenne arithmétique, dont I’emploi est d’ailleurs contestable. Le lecteur curieux pourra consulter le texte original. Pour expliquer le principe du raisonnement de Seelig, une matrice 4 4 cases suffit. Soit deux situations aléatoirement distribuées / et /, et deux conduites A et B. Les cases de la matrice portent les résultats obtenus en fonction des distributions et des conduites : Conduites Distributions A B I +1 +3 Hr 6 0 La distribution / améne un gain de 1 a qui suit la conduite A, et de 3 4 qui appli- que B; la distribution // entraine respectivement une perte de 6 ou une partie nulle. La variation en fonction des conduites est de 2 pour la distribution / et de 6 pour la distribution J; moyenne: 4. La variation en fonction des distributions est de 7 avec la conduite A et de 3 avec la conduite B; moyenne: 5. Selig déduit que le hasard des distributions a, avec une variation moyenne de 5, plus d’influence sur les résultat du jeu que le choix des conduites dont la variation moyenne est de 4, donc que le hasard a une influence prépondérante par rapport 4 Vhabileté. § 1118 Cette déduction est sophistique. Seelig raisonne comme si les joueurs tiraient pile ou face leurs conduites, ou en tout cas employaient chacune une fois sur deux. Or l’habileté consiste 4 choisir judicieusement les conduites (1079). Celui qui choisit B et qui s'y tient, est sir de ne jamais perdre. Le gain moyen que lui procurera le jeu sera le fruit de son choix habile. Outre cette critique qui en ruine le principe méme, la démarche de Seelig suscite au moins deux autres objections: $1119 — 1)Pas plus qu’il ne s'est inquiété de la probabilité d’emploi des conduites de jeu, Seetig n’a envisagé la fréquence d’apparition des distributions. Il calcule la 44 p. 48ss, V. aussi exposé qu’en donne Wolf, 47ss, et ses critiques. 45 Seclig ne différencie pas tactiques et stratégie (1015), ni ne distingue entre jeu et pari (850). En particulier, il ne précise pas si les résultats sont des résultats de jew ou de pari. admets que ce sont des réultats de jew, ou de paris bilatéraux a cote 1:1 entre les participants a un jew qui misent sur leur victoire (1062). 359 moyenne mathématique simple, c'est-a-dire non pondérée, des variations de résul- tats comme siles distributions / et IJ se produisaient aussi souvent l'une que l'autre, ce qui est peu vraisemblable. §1120 2)Pratiquement,ilest exclu d’établir une matrice de jeu, sauf recours d un ordinateur. J'ai présenté une matrice 4 4 cases, Seelig une matrice 4 25 cases. En fait, pour la plupart des jeux de cartes, la matrice devrait comporter plus d’un mil- lion de cases. Dans un jeu simple comme l’écarté, il y a 201 376 mains possibles*; comme la main posséde 5 cartes, celui qui joue en premier a 5 choix possibles, L’analyse de son seul premier coup nécessite donc une matrice 4 201 376 * 5 cases, soit 1006 880 cases. Pour le jass 4 4 partenaires, ce chiffre se monte 4 8,5 - 10° 7; pour le bridge, 48,3 + 10!? #8, Seelig le reconnait. Il soutient qu’il est facile de diminuer considérablement le nombre des cas a analyser en ne retenant que ceux qui offrent un intérét pour les joueurs. I] est vrai que la possibilité de 6,4 - 10" mains au bridge n’a pas empéché toute une floraison d’analyses de ce jeu, qui regroupent les mairis en un nombre limité de classes a raison de leur composition (répartition des couleurs, des hon- neurs, etc.). Mais pour opérer cette réduction, il faut étre un théoricien du jeu, a tout le moins, le bien connaitre. Les juges, qui habituellement ignorent les jeux quills doivent qualifier, ou feignent de les ignorer"®, devraient donc s’en remettre a des experts. Incons¢quemment Seelig®, avec la doctrine dominante (120), déclare le recours a l’expertise inadmissible. § 1221 Le critére de définition des “jeux de hasard” posé par Seelig est théorique- ment et pratiquement inacceptable § 1122 B. Wolf reproche a Seelig de considérer les conduites d’un joueur seulement en fonction des distributions, sans tenir compte des réponses des adversaires. Aussi fait-il appel 4 la “théorie des jeux”, dont objet est précisément de déterminer quelles sont les tactiques ou les stratégies‘! les plus avantageuses, eu égard aux réac- tions probables des antagonistes. s 16 Cy 479°C, 48.13 °CR. 49 Utsch, 20, le déplore. Manenti estime que c’est tout @ leur honneur. Je trouve admirable qu’on félicite des juges parce qu’lls tranchent d'affaires auxquelles ils ne comprennent rien. 30 p. $4. SI Les théoriciens des jeux ne donnent pas tous la méme extension aux concepts de “tactique” et de “stratégie”. Chacun est d’accord qu'un acte isolé de jeu est une tactique, et qu'un sys- téme ordonné de choix entre divers actes x est une stratégie. Les positions divergent quant aux ensembles intermédiaires: une suite ordonnée d’actes, dépendant du choix initial est-elle une tactique (complexe) ou une stratégie”? C'est une stratégie pour Woitschach (p. 50) et, semble-t-il, pour Boutizat, mais pas pour Barbut (p. 850) qui s’en tient a la définition stricte de Neumann et Morgenstein (617): une stratégie est une distribution de probabilités entre diverses tactiques (au sens large). On parle dans cette acception de “stratégie aléatoire™” (1132). Je n’emaploierai le terme “stratégie™ que dans ce sens strict, et conserverai celui de conduite //015) pour tout acte ou ensemble d’actes de jeu qui ne sont pas des stratégies ainsi définies (c’est-d-dire qui sont des tactiques simples ou complexes), 360

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