a@p@a@h@k";
Édition française de Scientific American
LES CRISTAUX
TEMPORELS
Un nouvel état
de la matière
POUR LA SCIENCE
Rédacteur en chef : Maurice Mashaal
Rédactrice en chef adjointe : Marie-Neige Cordonnier
Rédacteurs : François Savatier, Sean Bailly MAURICE
Stagiaire : Lucas Gierczak MASHAAL
Rédacteur
HORS-SÉRIE POUR LA SCIENCE en chef
Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin
DeS CriSTaUX
Directrice artistique : Céline Lapert
Maquette : Pauline Bilbault, Charlotte Calament,
Ingrid Leroy, Véronique Marmont, Raphaël Queruel
Réviseuse : Anne-Rozenn Jouble
DaNS La
Marketing & diffusion : Arthur Peys
Chef de produit : Charline Buché
Direction du personnel : Olivia Le Prévost
Secrétaire général : Nicolas Bréon
QUaTriÈMe
Fabrication : Marianne Sigogne et Zoé Farré-Vilalta
Directeur de la publication et gérant : Frédéric Mériot
Anciens directeurs de la rédaction : Françoise Pétry
et Philippe Boulanger
Conseiller scientifique : Hervé This
DiMeNSiON
Ont également participé à ce numéro :
Lydéric Bocquet, Maud Bruguière, Eric Buffetaut,
Georges Chapouthier, Christophe Chorro,
Pierre-Marc Delaux, Vincent Favier, Lilian Guillemeney,
L
Astrid Lamberts, Xavier Müller, Mathieu de Nauroi,
Thibaut Paumard, Christophe Pichon
e terme d’« espace-temps » est aujourd’hui familier :
PreSSe eT COMMUNiCaTiON
la théorie de la relativité, dont nous a gratifiés Einstein
Susan Mackie
susan.mackie@pourlascience.fr • Tél. 01 55 42 85 05 il y a environ un siècle, a habitué les physiciens au fait
PUBLICITÉ France peu intuitif que l’espace et le temps constituent deux
stephanie.jullien@pourlascience.fr
entités interdépendantes de notre Univers. Avec cette
ABONNEMENTS
Abonnement en ligne : https://boutique.pourlascience.fr interdépendance, les longueurs et les durées sont relatives
Courriel : pourlascience@abopress.fr à l’état de mouvement de l’observateur, et perdent ainsi le caractère
Tél. 03 67 07 98 17
Adresse postale : Service des abonnements – absolu que la physique classique leur attribuait.
Pour la Science, 19 rue de l’Industrie, BP 90053,
67402 Illkirch Cedex Mais les relations entre l’espace et le temps ne s’arrêtent pas là.
Tarifs d’abonnement 1 an (12 numéros) Le formalisme mathématique de la relativité les fait apparaître
France métropolitaine : 59 euros – Europe : 71 euros
Reste du monde : 85,25 euros comme deux grandeurs presque équivalentes, traitées sur un pied
DIFFUSION d’égalité. Ainsi, bien qu’il y ait des différences importantes entre
Contact kiosques : À Juste Titres ; Stéphanie Troyard les deux entités (par exemple, l’écoulement du temps ne se fait que
Tél. 04 88 15 12 48
Information/modification de service/réassort : dans un seul sens), une certaine symétrie prévaut entre elles.
www.direct-editeurs.fr
Or la notion de symétrie, qu’elle se rapporte à l’espace-temps
SCieNTiFiC aMeriCaN ou à d’autres grandeurs physiques, s’est révélée extrêmement
Acting editor in chief : Curtis Brainard
President : Dean Sanderson féconde pour la physique du xxe siècle. Et il semble que ce soit loin
Executive Vice President : Michael Florek
Toutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le public français ou d’être fini. En témoignent les « cristaux temporels » que le physicien
francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus
dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific American », dans
théoricien Frank Wilczek, lauréat du prix Nobel en 2004, a imaginés
les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à
« Pour la Science S.A.R.L. », 162 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris.
en 2012 et qu’il nous décrit dans ce numéro (voir pages 24 à 32).
© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction,
d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. La marque L’idée était presque simple. Dans un cristal ordinaire, les atomes
et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de
Scientific American, Inc. Licence accordée à « Pour la Science S.A.R.L. ».
ou molécules sont disposés de façon régulière : les motifs moléculaires
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire
intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de
se répètent de façon strictement périodique dans l’espace. Peut-on
l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20 rue alors, par esprit de symétrie, envisager des systèmes physiques dont
des Grands-Augustins, 75006 Paris).
l’agencement se répète à intervalles de temps réguliers ? Telle est,
Origine du papier : Autriche à quelques subtilités près, l’idée des cristaux temporels. Laquelle a fait
Taux de fibres recyclées : 30 %
« Eutrophisation » ou « Impact son chemin : les premières réalisations de tels systèmes, que certains
sur l’eau » : Ptot 0,007 kg/tonne
qualifient de « nouvel état de la matière », datent de 2017. Simples
curiosités scientifiques ou prémices d’une nouvelle branche
de la physique riche en applications, aux horloges ultraprécises
par exemple ? L’avenir nous le dira. n
P. 34
ÉGYPTOLOGIE
DANS LES
ENTRAILLES
DES MOMIES
Marie Zawisza
MOLIÈRE EST
BIEN L’AUTEUR
DE SES ŒUVRES
Florian Cafiero
et Jean-Baptiste Camps
On a longtemps soupçonné
• Les abeilles, championnes
de la glisse d’embaumement de pointe. Molière de ne pas avoir
Pour percer leurs secrets, écrit ses pièces, dont
les chercheurs s’appuient le véritable auteur serait
P. 16 aujourd’hui sur la Corneille. Mais l’étude
LES LIVRES DU MOIS scanographie. Fascinant. de la langue de Molière
et de ses contemporains
P. 18 rend à l’homme de théâtre
AGENDA ce qui lui est dû.
P. 20
HOMO SAPIENS
INFORMATICUS
Stocker sur
la durée, un défi !
Gilles Dowek
P. 22
QUESTIONS
DE CONFIANCE
Une assiette P. 44 P. 60
sans foie ni loi PALÉONTOLOGIE ÉCONOMIE
Virginie Tournay
LES MAÎTRES DU CIEL AUX SOURCES
MÉSOZOÏQUE MATHÉMATIQUES
LETTRE D’INFORMATION Michael Habib DES INÉGALITÉS
DE RICHESSE
NE MANQUEZ PAS Comment les ptérosaures, Bruce M. Boghosian
LA PARUTION DE créatures géantes à la tête
VOTRE MAGAZINE démesurée, pouvaient-ils Un modèle mathématique
GRÂCE À LA NEWSLETTER voler ? De nouveaux fossiles simple décrit la répartition
3’:HIKMQI=\U[^UW:?a@p@a@h@k";
En couverture :
Inscrivez-vous © Mark Ross Studio
www.pourlascience.fr Les portraits des contributeurs
sont de Seb Jarnot
P. 80
LOGIQUE & CALCUL
COMBINES
POUR TÉTRADES
Jean-Paul Delahaye
La combinatoire
géométrique exige une
patience et une minutie
dont souvent seul
l’ordinateur est capable.
Le cas des tétrades
est exemplaire.
P. 68
ÉTHOLOGIE P. 86
ART & SCIENCE
FILOU COMME La pierre idéale
UNE SEICHE du facteur Cheval
Barbara King Loïc Mangin
LES CRISTAUX P. 88
TEMPORELS IDÉES DE PHYSIQUE
DE LA MATIÈRE
Frank Wilczek
Jean-Michel Courty
et Édouard Kierlik
P. 92
En imaginant des cristaux présentant CHRONIQUES
DE L’ÉVOLUTION
un motif répété dans le temps plutôt Les gènes perdus
que dans l’espace, les physiciens créent des baleines
P. 74 de nouveaux états de la matière aux Hervé Le Guyader
HISTOIRE DES SCIENCES propriétés surprenantes. Une piste pour
concevoir des horloges ultraprécises. P. 96
LES BULLES SCIENCE & GASTRONOMIE
DE LA PENSÉE Des émulsions
Jean-Gaël Barbara riches en curcuma
Hervé This
Les neurones du cerveau
s’échangent des informations P. 98
en s’envoyant des messagers À PICORER
chimiques dans de
microscopiques bulles. C’est
ce que découvrit il y a soixante
ans le neuroscientifique
allemand Bernard Katz.
ASTROPHYSIQUE
UN TrOU NOir
SUrPreNaNT DaNS
La vOie LaCTÉe
P. 6 Échos des labos
P. 16 Livres du mois
P. 18 Agenda
P. 20 Homo sapiens informaticus
P. 22 Questions de confiance
Découvert récemment, le trou noir LB-1 a une masse compagnon est un trou noir. Grâce à cette
méthode, l’équipe de Jifeng Liu a repéré
estimée à 68 masses solaires. C’est bien plus que le système LB-1, composé d’une étoile
ne le prévoient les modèles… lumineuse de type B, ayant une période
E
orbitale de 78,9 jours, et d’un trou noir de
n dehors du trou noir super- En plus de sa masse hors normes, le 68 masses solaires. Ces mesures restent
massif central, fort d’une trou noir LB-1, distant de 15 000 années- à confirmer, mais si elles sont correctes,
masse de 4 millions de fois lumière, présente une autre originalité : il la masse du trou noir est bien trop élevée
celle du Soleil, la Voie lactée a été identifié d’une façon exceptionnelle. pour que cet astre soit né de l’effondre-
compterait de l’ordre de La plupart des trous noirs stellaires ment d’une étoile en fin de vie.
© Jingchuan Yu, planétarium de Beijing, 2019
100 millions de trous noirs découverts dans la Galaxie l’ont été grâce Récemment, les dispositifs Ligo et
dits « stellaires », chacun d’eux étant né à aux rayons X émis par la matière brûlante Virgo de détection d’ondes gravitation-
la suite de la mort d’une étoile. D’après les de leur disque d’accrétion. Mais la majo- nelles ont mis en évidence des fusions de
modèles d’évolution stellaire, ces trous rité des trous noirs, dénués d’un disque paires de trous noirs, chacun faisant entre
noirs atteindraient jusqu’à environ important, sont invisibles. 20 et 50 masses solaires. Ces coales-
25 masses solaires. Pourtant, Jifeng Liu, de Comment alors les détecter ? En cher- cences ont donné naissance à des trous
l’Académie chinoise des sciences, à Beijing, chant des étoiles lumineuses présentant noirs plus grands, ce qui pourrait être une
et ses collègues viennent d’identifier un un mouvement périodique (on parle de piste pour expliquer LB-1.
trou noir de 68 masses solaires. Comment vitesse radiale), qui indique leur apparte- Il faut cependant prendre en compte
résoudre l’énigme de sa formation ? nance à un système binaire où leur un autre paramètre : la « métallicité » des
on a un peu de matériel fossile, mais pas d’années, alors que les protéines les plus
tendent à rendre circulaire une orbite, assez pour que la comparaison permette anciennes que l’on ait extraites – celles
mais ils sont très lents, et bien trop lents de situer le gigantopithèque sur le plan du gigantopithèque – ont 1,9 million
phylogénétique à partir de sa seule d’années. C’est le record en Asie. En
par rapport à l’âge de notre étoile pour Europe, l’équipe d’Enrico Cappellini a pu
morphologie dentaire.
avoir été à l’œuvre ici. Bref, un trou noir extraire les protéines d’un rhinocéros de
de cette masse dans la Voie lactée est un Dès lors, comment avez-vous 1,77 million d’années, découvert à
vrai casse-tête. n établi sa parenté ? Dmanissi, en Géorgie. Mais il n’y a aucun
Comme il n’était pas possible d’utiliser doute : ces records seront battus.
la comparaison morphologique des dents,
SEAN BAILLY Frido Welker et Enrico Cappellini ont eu F. Welker et al., Nature, en ligne
Jifeng Liu et al., Nature, recours à la paléoprotéomique – l’analyse le 13 novembre 2019
vol. 575, pp. 618-621, 2019
ÉVOLUTION
I
l y a entre 480 et 450 millions d’années,
les premiers végétaux sont partis à la
conquête du milieu terrestre. Ce dernier
leur était très hostile car il fallait pouvoir
résister à la dessiccation, aux ultravio-
lets, à la gravité, etc. Aujourd’hui, les
continents sont le terrain privilégié des
embryophytes (mousses, fougères, conifères et
plantes à fleur), qui présentent tous les carac-
tères nécessaires pour y prospérer. Plusieurs
observations récentes ont cependant mis en
défaut l’hypothèse simple où l’ancêtre commun
des embryophytes aurait lancé la conquête des
continents. Shifeng Cheng, de l’Académie des
sciences agricoles, à Shenzhen, en Chine, et ses
collègues ont réexaminé ce scénario.
Il y a une vingtaine d’années, on pensait que
les embryophytes étaient des cousins proches
du groupe des coléochaetes, des algues
exemptes des adaptations nécessaires pour la
vie hors des océans. Dès lors, on pensait que la
conquête du milieu terrestre n’avait été réalisée
que par le seul groupe des embryophytes. Mais
entre 2012 et 2018, la découverte d’une proxi-
mité plus grande des embryophytes avec les Ces algues vertes du genre Cosmarium appartiennent au groupe des zygnématophycées.
Elles vivent dans l’eau douce, mais leurs ancêtres vivaient peut-être sur la terre ferme.
zygnématophycées, un groupe d’algues peu
étudié, a conduit à reposer la question. La
conquête s’est-elle faite avant ou après la diver- colonisé le milieu terrestre il y a 3,2 milliards
gence entre les embryophytes et les d’années, auraient joué un rôle non négligeable
zygnématophycées ? dans l’arrivée ultérieure des premiers végétaux
Pour y répondre, Shifeng Cheng et ses col- terrestres.
lègues ont séquencé le génome de différentes Dans cette conquête végétale, cependant,
espèces d’embryophytes, de zygnématophy- comment expliquer le succès des embryo-
cées et d’autres végétaux. Ils ont trouvé des phytes et le retour au milieu aquatique de la
gènes communs aux embryophytes et aux plupart des zygnématophycées ? L’étude géné-
zygnématophycées, notamment les gènes PYL tique révèle que les zygnématophycées, à la
et GRAS, qui interviennent dans la résistance à différence des embryophytes, ne possèdent pas
la dessiccation. L’ancêtre commun des embryo- certains gènes qui sont nécessaires à l’établis-
phytes et des zygnématophycées était donc sement de symbioses (associations) avec cer-
probablement adapté à un mode de vie ter- tains champignons du sol. Or ces symbioses
restre et aurait peut-être conquis ce milieu il y confèrent aux végétaux terrestres la capacité
a 580 millions d’années. de capter plus facilement de l’eau et des nutri-
Plus surprenant encore, en étendant leur ments du sol, moins accessibles qu’en milieu
analyse à des espèces non végétales, les biolo- aquatique. Une hypothèse séduisante pour
© Shutterstock.com/F.Neidl
gistes ont constaté que les gènes PYL et GRAS expliquer l’omniprésence actuelle des embryo-
sont très fréquents chez les bactéries du sol. Il phytes sur la terre ferme ! n
est donc très probable qu’il y ait eu des trans-
ferts de gènes de bactéries terrestres vers l’an- CORALINE MADEC
cêtre commun des embryophytes et des S. Cheng et al., Cell, vol. 179(5),
zygnématophycées. Ainsi, les bactéries, qui ont pp. 1057-1067, 2019
LA BONNE ALLURE
DES QUADRUPÈDES UN FaCTeUr
Beaucoup de quadrupèdes
ont une démarche adaptée aGGravaNT POUr
à chaque vitesse. Et
souvent, ils marchent, L’aNTarCTiQUe
trottent ou galopent, à peu
D
près tous de la même façon.
Rares sont les démarches epuis vingt-cinq ans, l’Antarctique
spécifiques à une espèce. aurait perdu près de 2 700 milliards de
Pour l’expliquer, Delyle tonnes de glace du fait du réchauffe-
Polet et John Bertram, ment climatique ; et l’occurrence d’événements
de l’université de Calgary,
au Canada, ont conçu
extrêmement chauds sera d’autant plus préoc-
un modèle physique simple cupante si le réchauffement dépasse les 3 °C à
pour le déplacement la fin du siècle. Jonathan Wille, de l’Institut des
d’un quadrupède et montré géosciences de l’environnement, à Saint-
avec des simulations Martin-d’Hères, et ses collègues ont montré
que les démarches
énergétiquement optimales que la fonte en surface de l’Antarctique occi-
sont celles observées dans dental est en partie aggravée par la formation Des épisodes de chaleur humide, dus à des rivières
la nature. de « rivières atmosphériques ». atmosphériques, accentuent la fonte de l’Antarctique.
PLoS Comput. Biol., vol. 15(11), Ce phénomène, bien étudié par les météo-
e1007444, 2019
rologues, se produit lorsque deux masses d’air et de façon corrélée avec des épisodes de fonte
proches forment entre elles un corridor où l’air affectant des barrières de glace, ces épaisses
LA MUSIQUE,
UN ART PARTAGÉ humide s’accumule. C’est par exemple le cas plateformes de glace qui s’avancent sur la mer.
Universelle, la musique ? Il lorsqu’une dépression et un anticyclone (des Les rivières atmosphériques chargées d’air
était difficile de répondre, zones de basse et de haute pression) entrent chaud du Nord donnent en effet lieu à des pré-
notamment en raison de la en contact. En raison des sens de rotation cipitations très intenses qui diminuent le pou-
diversité entre les cultures. opposés de ces deux systèmes, l’humidité est voir réfléchissant de la glace et à la formation
L’équipe de Samuel Mehr,
de l’université Harvard, alors poussée dans une seule direction, ce qui de nuages émettant vers le bas dans l’infra-
a analysé des textes la concentre et entraîne des précipitations rouge. Des événements qui seront rendus plus
ethnographiques liés intenses sur des zones restreintes. extrêmes par le réchauffement climatique… n
à la musique et des En analysant des données sur l’Antarctique
enregistrements sonores.
collectées entre 1979 à 2017, l’équipe de LUCAS GIERCZAK
Ils ont constaté que toutes
les sociétés développent Jonathan Wille a observé que des rivières J. Wille et al., Nature Geoscience,
une culture musicale et atmosphériques se sont formées régulièrement, vol. 12, pp. 911-916, 2019
associent des sentiments
ou comportements
humains précis (amour, MÉDECINE
danse, etc.) à certains
aspects de la musique
(tempo, rythme,
hauteur, etc.).
MUCOviSCiDOSe :
Science, vol. 366, eaax0868, 2019 UNe TriTHÉraPie
L
’OUMUAMUA, UN a mucoviscidose, maladie génétique héré-
© Wikimedia Commons/Emw (en bas) ; © Shutterstock.com/Steve Allen (en haut)
RECORD DE POROSITÉ
Vu en 2017, ’Oumuamua, le
ditaire causant des problèmes respira-
premier objet intersidéral toires et digestifs, touche environ
connu à visiter le Système 7 000 personnes en France. Malgré des avancées
solaire, est peut-être un médicales depuis les années 1960, l’espérance
mouton de poussière… de vie des malades reste faible – une quaran-
Il s’éloigne en effet
anormalement vite du taine d’années – et leurs conditions de vie dif-
Soleil. Un mouvement dû ficiles. Mais les équipes de Peter Middleton, de La mucoviscidose est causée par les mutations d’un gène,
à la pression de radiation, l’université de Sydney, en Australie, et de Harry entraînant le dysfonctionnement de la protéine CFTR.
d’après Eirik Flekkøy, de Heijerman, de l’université d’Utrecht, aux Pays-
l’université d’Oslo, et ses
collègues. Pour que cette
Bas, viennent d’effectuer deux nouveaux essais molécule, l’elexacaftor. La capacité respiratoire
force, due aux impacts cliniques prometteurs. des malades s’est grandement améliorée. La
cumulés d’une myriade de Un traitement alliant deux molécules – iva- seconde équipe a montré que cette trithérapie
© Shutterstock.com/F.Neidl
photons solaires, suffise à caftor et tezacaftor – améliorait déjà la vie de soigne aussi mieux les patients « classiques ». n
accélérer ’Oumuamua aussi nombreux patients atteints de la forme la plus
efficacement, sa densité L. G.
doit avoisiner les courante de la maladie, mais restait sans effet
10 grammes par mètre chez certains d’entre eux. La première équipe P. G. Middleton et al., New England Journal of Medicine,
vol. 381, pp. 1809-1819, 2019 ;
cube. a administré à de tels patients une trithérapie H. G. M. Heijerman et al., The Lancet, vol. 394,
ApJ. Lett., vol. 885(2), L41, 2019 associant à ces substances une nouvelle pp. 1940-1948, 2019
ARCHÉOLOGIE
DeS
aUTrUCHeS,
DeS MOUTONS
eT DeS
CHÈvreS
O
n retrouve souvent des perles en coquille
d’œuf d’autruche, utilisées pour des parures
(comme sur ce collier moderne ci-contre), dans
des sites archéologiques africains. En 1987,
Leon Jacobson, de l’université de l’État-Libre,
en Afrique du Sud, avait montré qu’en
Namibie les perles mises au jour dans des sites occupés par des
chasseurs-cueilleurs étaient plus petites, de quelques milli-
mètres, que celles retrouvées dans des sites d’éleveurs de
chèvres et de moutons – des populations arrivées de l’est il y a
2 000 ans environ. Depuis, les perles ont été utilisées comme
un indicateur, parmi d’autres, pour distinguer les occupants d’un
site archéologique. Toutefois, une étude systématique réalisée
par Jennifer Miller et Elizabeth Sawchuk, de l’institut Max-
Planck pour les sciences de l’histoire humaine, à Iéna, en
Allemagne, montre que la situation est à nuancer.
En étudiant les perles dans l’est de l’Afrique, les chercheuses
ont constaté que depuis plus de 5 000 ans, les populations
locales y fabriquaient des perles de grande taille. Dans le sud,
les perles de petite taille sont restées prédominantes (dans le
médaillon, deux petites perles retrouvées en Afrique du Sud, et deux
grandes mises au jour en Tanzanie). Mais il y a 2 000 ans, en
accord avec les observations de Leon Jacobson, des perles de
plus grande taille sont apparues. En d’autres termes, l’arrivée
des grandes perles a coïncidé avec celle des éleveurs de l’est
dans la région. Si les perles ne sont peut-être pas un indicateur
suffisant sur les occupants, elles constituent un bon marqueur
temporel des mouvements de populations et témoignent d’inte-
ractions culturelles. « Elles indiquent qu’il y a très certainement
eu un transfert de savoir-faire entre les éleveurs venant de l’est
et les populations locales », explique Solange Rigaud, paléoan-
thropologue à l’université de Bordeaux. n
S. B.
J. M. Miller et E. A. Sawchuk, Plos One,
vol. 14 (11), article e0225143, 2019
VIROLOGIE
La rOUGeOLe PrOvOQUe
UNe « aMNÉSie iMMUNiTaire »
Ce virus perturbe le système immunitaire et y induit une amnésie qui expose les individus
infectés à un risque accru face à d’autres pathogènes.
L
e virus de la rougeole, maladie très
contagieuse, tue encore près de
100 000 personnes par an dans le
monde. Les décès sont le plus sou-
vent dus à des complications telles
que des pneumonies. Selon l’OMS
(l’Organisation mondiale de la santé), depuis
janvier 2019, le nombre de cas dans le monde
a triplé par rapport à la même période en 2018.
Une augmentation qui s’explique en Europe
par une défiance vis-à-vis des vaccins. Or un
nouvel argument vient renforcer la nécessité
de cette vaccination. En 2015, lors d’études épi-
démiologiques, Michael Mina, de l’institut
médical Howard-Hugues, à Boston, et ses col-
lègues avaient identifié un lien entre la rou-
geole et une mortalité accrue pendant les
années suivantes chez les personnes ayant
contracté la maladie, mais les raisons en étaient
encore inconnues. Maintenant, le chercheur et
une équipe internationale ont montré que le
virus de la rougeole efface la mémoire immu-
nitaire des personnes infectées.
Cette mémoire immunitaire est présente
notamment sous la forme d’anticorps que l’or- Comme le virus du sida, celui de la rougeole (ici sur une vue d’artiste) s’attaque aux cellules
ganisme conserve après une première ren- immunitaires.
contre avec un pathogène. Michael Mina et ses
collègues ont comparé le stock d’anticorps immunitaire, elle a confirmé ce phénomène
mémoire dans le sang de 77 enfants non vacci- chez des macaques. Elle a aussi observé que
nés, avant et environ deux mois après une cette amnésie, contrairement à celle induite
infection par la rougeole. Ils ont montré que la par le virus du sida, n’est pas permanente : les
rougeole élimine entre 11 et 73 % du répertoire enfants reconstituent progressivement leur
d’anticorps présent avant l’infection. Non seu- mémoire immunitaire au fil de réinfections lors
lement certains ne sont plus représentés, mais de nouvelles épidémies d’autres virus.
la quantité d’anticorps contre de nombreux Par ailleurs, l’équipe a confirmé que cette
pathogènes est aussi considérablement réduite. amnésie ne se produit pas avec la vaccination.
Les individus qui ont la rougeole redeviennent Chez des enfants vaccinés contre la rougeole,
ainsi vulnérables à de nombreux pathogènes, elle n’a détecté aucune diminution d’anticorps,
comme le sont les nouveau-nés. « Il est déjà ni en diversité ni en quantité. « Cela est tout à
bien connu que la rougeole est une maladie qui fait cohérent avec ce qui était attendu. Le virus
induit un déficit immunitaire, avec des compli- utilisé pour la vaccination est atténué : il com-
cations fréquentes, surtout respiratoires, dans porte une cinquantaine de mutations qui lui
les deux mois après l’infection. Ce travail docu- ont fait perdre la capacité à infecter et à
© Shutterstock.com/Kateryna Kon
mente de façon précise l’amnésie immunitaire détruire les cellules du système immunitaire »,
sévère qui résulte d’une infection par ce virus », observe Frédéric Tangy, chercheur à l’institut
© Nicolas Coltice et al.
UNe ÉTOiLe
eN eXCÈS De viTeSSe LeS PLaQUeS
eNTraÎNeNT
D ParFOiS
ans la Voie lactée, les mouvements des
astres sont très rapides ; par exemple,
le Soleil (accompagné de ses planètes)
Le MaNTeaU
s’y déplace à 230 kilomètres par seconde. Mais
les astronomes ont remarqué des étoiles iso-
lées ayant une vitesse anormalement élevée.
Sergey Koposov, de l’université Carnegie-
Mellon, aux États-Unis, et ses collègues ont
observé une telle étoile, S5-HVS1, située à
29 000 années-lumière de la Terre. Elle
s’éloigne du centre de la Voie lactée à une
vitesse radiale de 1 020 kilomètres par
seconde, ce qui en fait une « étoile hyperra-
pide ». Les chercheurs pensent qu’elle a été
propulsée par le trou noir central avec un effet
de fronde et quittera irrémédiablement la
galaxie pour ne jamais y revenir. n
L. G.
S. E. Koposov et al., MNRAS,
en ligne le 4 novembre 2019
CHIMIE
La simulation montre, à gauche, la topographie d’un continent en train de se disloquer.
DeS MiCrOrOBOTS À droite, les panaches de magma.
L
DÉPOLLUeUrS a théorie de la tectonique des plaques décrit les mouvements de la
D’UraNiUM surface terrestre en considérant que sa couche externe rigide (la
lithosphère) est découpée en plaques qui se meuvent sur la couche
P
our dépolluer des milieux aqueux conta- inférieure ductile, l’asthénosphère. Comme le modèle n’explique pas
minés par des dérivés de l’uranium, ces mouvements, les géophysiciens ont proposé l’idée que les plaques
Yulong Ying, de l’université de Prague, sont entraînées par les phénomènes de convection animant l’asthé-
et ses collègues ont eu l’idée d’utiliser le ZIF-8, nosphère. Une hypothèse aujourd’hui remise en question. Grâce à une nouvelle
un réseau métalloorganique (matériau poreux simulation, l’équipe de Nicolas Coltice, du laboratoire de géologie de l’École
constitué d’ions métalliques reliés par des normale supérieure, à Paris, a mis en lumière des rôles plus symétriques pour
molécules organiques), capable d’adsorber en les plaques et la convection dans l’origine de la dérive des continents.
grande quantité des ions uranyles UO22+. D’après les chercheurs, il faut voir la Terre comme un système unique où
En modifiant des microparticules de ZIF-8, les grandeurs physiques (densité, pression, température, viscosité, etc.)
les chercheurs ont fabriqué des « microrobots » varient continûment, notamment avec la profondeur. Cela permet de prendre
autopropulsés. Dotés d’un revêtement de pla- en compte les interactions complexes entre les plaques tectoniques et l’asthé-
tine sur une face, les microrobots produisent nosphère. Nicolas Coltice et ses collègues ont alors modélisé la dynamique
des bulles de dioxygène en présence d’eau oxy- d’une planète fictive semblable à la Terre. En résolvant un système d’équations
génée (ajoutée au milieu), ce qui les met en différentielles, ils ont reproduit 1,5 milliard d’années d’évolution de la planète.
mouvement. Grâce à cette capacité motrice, les Les chercheurs ont alors noté qu’entre 60 et 80 % du temps (notamment à
microrobots gagnent en efficacité pour cher- proximité d’une zone de subduction), l’asthénosphère se déplace plus lente-
cher l’uranium dans l’eau. Avec l’addition d’une ment que la plaque qui la surplombe ; cela indique que, dans ce cas, ce sont en
couche de magnétite sur l’autre face, les micro- fait les plaques qui entraînent l’asthénosphère. Le reste du temps, les rôles
© Shutterstock.com/Kateryna Kon
robots sont collectés facilement avec un aimant sont inversés et correspondent à ce qui était supposé jusque-là : des mouve-
une fois l’uranium capté. n ments de convection dans l’asthénosphère entraînent lentement les plaques
© Nicolas Coltice et al.
ASTROPHYSIQUE EN BREF
L
orsqu’une étoile massive arrive en fin de Réfutant une légende
urbaine selon laquelle ces
vie, une formidable explosion se produit, oiseaux seraient malades,
visible même aux confins du cosmos. Frédéric Jiguet, du Centre
L’astre expulse de grandes quantités de gaz de d’écologie et des sciences
ses couches externes et son cœur s’effondre sur de la conservation, à Paris,
et ses collègues ont
lui-même, ce qui donne naissance à un trou montré que cela serait
noir. Le système émet alors deux jets de parti- plutôt dû à la pollution,
cules à des vitesses proches de celle de la notamment à des fils
lumière. Ce phénomène émet de la lumière ou cheveux s’enroulant
pendant environ une minute. Il est suivi de la autour de leurs doigts,
jusqu’à former un garrot
phase dite « rémanente », qui dure des mois, qui entraînerait leur
voire des années. Durant cette seconde phase, Vue d’artiste d’un sursaut gamma avec en premier plan nécrose. La faute, donc,
les jets provoquent des ondes de choc dans le l’un des jets produits lors de l’effondrement de l’étoile. aux humains.
gaz et la poussière environnant l’astre. Ces Biol. Conserv., vol. 240,
108241, 2019
chocs accélèrent notamment des électrons, qui ont capté les photons les plus énergétiques
de ce fait émettent un rayonnement dit « syn- jamais enregistrés et émis par deux sursauts
UN ENFER HOSTILE
chrotron ». Les astrophysiciens suspectaient gamma, notés GRB180720 et GRB190114 et À TOUTE VIE
qu’un autre processus, la diffusion Compton distants de 7 et 5,5 milliards d’années-lumière. La vie est coriace et l’on
inverse, soit aussi à l’œuvre dans les sursauts Ces photons ont des énergies allant de 100 à pensait que, sur Terre,
gamma et produise des photons plus énergé- près de 1 000 gigaélectronvolts. En outre, en la présence d’eau liquide
tiques : des électrons, également accélérés par analysant le spectre du rayonnement de ces suffisait à son
développement, même
les ondes de choc, interagissent et transfèrent sursauts gamma, les astrophysiciens confir- dans les conditions les plus
leur énergie à des photons des émissions syn- ment que la diffusion Compton inverse est bien extrêmes. Une croyance
chrotron. Mais ce mécanisme n’avait pas à l’œuvre lors de ces explosions cosmiques. n remise en cause par Jodie
encore été confirmé par l’observation, après Belilla, de l’université
Paris-Sud, à Orsay, et ses
une traque de plus de dix ans. S. B.
collègues : certaines mares
Le 20 juillet 2018 et le 14 janvier 2019 res- Collaboration MAGIC, Nature, vol. 575, pp. 455-458 et du site volcanique de
pectivement, les télescopes HESS et MAGIC pp. 459-463, 2019 ; Collaboration HESS, ibid., pp. 464-467 Dallol, en Éthiopie, ne
contiennent pas de vie.
D’après les chercheurs, cela
PLANÉTOLOGIE s’expliquerait par leur forte
salinité, leur température
(45 °C à l’ombre) et leur
eUrOPe : acidité (pH négatif).
Nat. Ecol. Evol., vol. 3,
UNe BaNQUiSe pp. 1552-1561, 2019
D
ans la décennie à venir, les sondes spa- Détecter la polyarthrite
tiales Juice et Europa Clipper rendront rhumatoïde par simple
visite à Europe, une lune de Jupiter. Ce imagerie thermique ? C’est
ce que proposent Alfred
satellite cache sous son épaisse surface de Gatt, de l’université de
glace un océan d’eau liquide difficile à
© Nasa/JPL-Caltech/SETI Institute ; © ESO/A. Roquette
thermale du fond de l’océan) issus de celui-ci nant en compte différents scénarios liés à asymptomatique, les
mais ayant migré à la surface en traversant la l’activité hydrothermale interne. Ces données chercheurs ont en effet
croûte glacée sur des temps géologiques. permettront d’éliminer les scénarios incom- montré que la peau des
malades était plus chaude
Alexis Bouquet, du laboratoire d’astrophysique patibles avec les mesures des sondes. n de deux ou trois degrés
de Marseille, et ses collègues viennent d’esti- que celle des personnes
mer les quantités de ces molécules, sous la L. G. saines, au niveau de la
forme de clathrates – des molécules « piégées » A. Bouquet et al., The Astrophysical Journal,
paume comme des doigts.
dans des cages formées de molécules vol. 885(1), article 14, 2019 Sci. Rep., vol. 9, 17204, 2019
La CHaLeUr
raPeTiSSe LeS aBeiLLeS,
LeS OiSeaUX CHaMPiONNeS
D
e nombreux effets du réchauffement
climatique sur des plantes ou des ani-
maux sont déjà connus, comme la
De La GLiSSe
modification de leur répartition géographique
ou une floraison précoce. Mais l’étude
conduite par l’équipe de Benjamin Winger, de
l’université du Michigan, aux États-Unis,
montre que la morphologie de certains
oiseaux migrateurs est également influencée
par la température. En mesurant les os de plus
de 70 000 corps d’oiseaux de 52 espèces diffé-
rentes, collectés durant quarante ans au pied
d’immeubles de Chicago que ces derniers
avaient heurtés, les chercheurs ont établi que
leur taille était corrélée aux fluctuations de la
température estivale moyenne : plus l’été était
chaud, plus les oiseaux étaient petits. n
L. G.
B. Weeks et al., Ecology Letters,
en ligne le 4 décembre 2019
NEUROSCIENCES
En battant des ailes, les abeilles créent à la surface de l’eau un motif de vagues présentant
MarCHer une symétrie latérale, mais avec une amplitude bien plus grande à l’arrière qu’à l’avant.
P
reNFOrCe La viSiON
eut-être avez-vous déjà, à la surface d’un lac, sauvé une abeille de la
PÉriPHÉriQUe noyade en la transportant au sec à l’aide d’une brindille. En fait, elle
s’en serait sûrement sortie toute seule ! Ces insectes savent en effet
V
oit-on mieux quand on est en mouve- « surfer » sur l’eau en battant des ailes, pour rejoindre un rivage
ment ? Pour le savoir, Liyu Cao et proche. Afin de comprendre ce mécanisme unique dans le règne
Barbara Händel, de l’université de animal, Chris Roh et Morteza Gharib, de Caltech (l’institut de tech-
Würzburg, en Allemagne, ont étudié les effets nologie de Californie), aux États-Unis, ont analysé en détail, à l’aide d’une caméra
de la marche sur la vision. Ils ont équipé ultrarapide, les mouvements d’ailes des abeilles et les perturbations engendrées
30 participants d’un casque mesurant les à la surface de l’eau.
ondes cérébrales, d’un capteur enregistrant les Les chercheurs ont constaté que les insectes, sur l’eau, avancent en ligne
mouvements oculaires et de lunettes vidéo droite à quelques centimètres par seconde. Pour atteindre cette vitesse, l’abeille
projetant au centre de leur champ de vision agite ses ailes et donne naissance, à la surface de l’eau, à des motifs de vagues,
une zone striée clignotante plus ou moins dont Chris Roh et Morteza Gharib ont étudié l’amplitude et la forme. Les vagues
contrastée. Les participants devaient repérer sont bien plus grandes derrière l’abeille que devant elle, ce qui suggère que
© Nasa/JPL-Caltech/SETI Institute ; © ESO/A. Roquette
l’apparition aléatoire d’une cible dans cette l’insecte, en transférant de la quantité de mouvement vers l’arrière sous forme
zone soit en restant immobiles soit en mar- de vagues, crée une force de poussée qui lui permet d’avancer, tel un nageur
chant dans une grande salle. Des données ramenant l’eau vers l’arrière pour progresser. Pour s’en assurer, les chercheurs
recueillies, les chercheurs ont déduit que mar- ont calculé d’une part la poussée nécessaire à l’abeille pour avancer et, d’autre
© Chris Roh et Mory Gharib/Caltech
cher augmente le traitement des signaux pro- part, l’intensité de la force appliquée par l’abeille sur le fluide – et donc par le
venant de la périphérie. n fluide sur l’abeille, par principe d’action-réaction. Les deux valeurs étaient du
même ordre de grandeur : quelques dizaines de micronewtons, ce qui confirme
F. S.
que c’est bien en créant des vagues que les abeilles avancent. n
L. Cao et B. Händel, Plos Biol.,
vol. 17(10), article e3000511, 2019
L. G.
C. Roh et M. Gharib, PNAS,
article 1908857116, 2019
MATHÉMATIQUES BIOLOGIE
NÎMES ET AUSSI
Jeudi 16 janvier, 19 h
Cité des sciences
et de l’industrie, Paris
www.cite-sciences.fr
Tél. 01 40 05 70 22
QUE DISENT
© Fonds Iconem – DOA – MAFL
LES OISEAUX ?
Sébastien Derégnaucourt,
éthologue à l’université
Paris-Nanterre, explique
jusqu’à quel point
les sifflements, chants
et gazouillis nous
renseignent sur ce que
les oiseaux pensent
et ressentent.
L e Genevois Marc-Auguste
Pictet (1752-1825)
s’évertuait à enseigner
C ette cinquième édition
de la Nuit des idées,
pilotée par l’Institut français,
un groupe frère de celui
des raies et dont les
premiers sont apparus
il y a quelque
la physique par la démons- a pour thème « Être vivant ». 400 millions d’années.
tration et l’expérience. En France et dans plus de
Les instruments qu’il a 80 pays, chercheurs, lanceurs Mercredi 29 janvier, 14 h
acquis à cette fin sont au d’alerte, artistes et autres UFR de droit, Poitiers
https://emf.fr
cœur de l’exposition, qui personnalités débattront
LES MÉTÉORITES
présente aussi des répliques avec le public de la question
Une conférence de Brigitte
et dispositifs interactifs des équilibres écologiques Zanda, spécialiste de ces
inspirés des démonstrations et de la relation de l’homme corps célestes au Muséum
classiques de physique. n au monde. n national d’histoire
naturelle.
Galerie
Mercredi 8 janvier, 14 h
Parc de la tête d’or, Lyon
Tél. 04 72 69 47 78
du Mae JARDIN BOTANIQUE
DE LYON
© Christian Heinrich / Biosphoto
L ion, tigre, panthère, jaguar, mais aussi caracal, ocelot, margay, exposées plus de 400 pièces Sainte-Marie-du-Mont
(Manche)
lynx, jaguarondi… : la famille des félidés compte aujourd’hui dans une scénographie Tél. 02 33 71 65 30
38 espèces, dont beaucoup sont menacées. L’exposition présente renouvelée, qui racontent LA RÉSERVE
ces animaux qui émerveillent nombre d’entre nous par leur les débuts de l’aviation ainsi DE BEAUGUILLOT
beauté, leurs capacités et leur comportement. Le visiteur pourra que son rôle dans la Grande Dans le Contentin,
admirer des spécimens de la riche collection du Muséum de Guerre. À cette galerie au cœur de la baie
Grenoble, complétés par des prêts d’autres musées, et appren- s’ajoutent huit autres salles des Veys, cette réserve
accueille chaque hiver
dra par exemple les différences entre les félidés et les autres et des espaces extérieurs, des milliers d’oiseaux
familles de carnivores, ou celles qui distinguent la sous-famille dédiés à la conquête de l’air d’eau. Découverte
des panthères de la sous-famille des chats. n et de l’espace. n en compagnie d’un
agent de la réserve.
Samedi 25 janvier, 14 h
PARIS
En bas à gauche : © Cédric Marendaz/ / Muséum Genève ; en bas à droite : © www.lanuitdesidees.com
De l’amour
Au carrefour de l’histoire,
de la botanique et de
l’écologie, une visite
guidée du cœur historique
du Jardin des Plantes
LA CHRONIQUE DE
GILLES DOWEK
STOCKer SUr
système d’exploitation fonctionne, de
même que si nous décidons de préserver
des bandes magnétiques, nous devons
L
pouvoir réaccéder à ses fichiers Lotus
es ordinateurs ont été inven- conserver, tel Software heritage (un projet 1-2-3 trente ans plus tard. De même, les
tés pour effectuer des calculs, soutenu par l’Unesco), afin que nous puis- bibliothèques œuvrent passionnément
c’est-à-dire pour transformer sions, dans le futur, y accéder. et dépensent beaucoup d’argent pour
de l’information. Mais nous Si nous voulons, en outre, les utiliser, que nous puissions lire, aujourd’hui, des
les utilisons aussi, et peut- c’est-à-dire les compiler et les exécuter, manuscrits médiévaux et même les jour-
être surtout, pour communi- nous devons conserver non seulement le naux du siècle dernier.
quer et conserver cette information, programme lui-même, mais aussi le com- Comme dans le cas de la conservation
c’est-à-dire pour la faire voyager dans pilateur du langage dans lequel il a été des textes imprimés, nous devons, pour
l’espace et dans le temps. finir, nous demander si nous voulons tout
L’information est fragile : elle peut être garder ou alors uniquement ce que nous
définitivement détruite lors d’un incen- considérons aujourd’hui comme impor-
die, d’une inondation, etc., qui endom- Conserver de l’information tant. L’histoire nous montre que décider
magent les ordinateurs et les disques sur aujourd’hui ce qui sera important demain
lesquels elle est stockée. C’est pourquoi
sur une longue durée est parfois périlleux : à la fin du Moyen Âge,
nous la dupliquons, parfois sur des ordi- demande une un moine copiste a gratté un parchemin
nateurs situés à plusieurs centaines de attention constante afin de le réutiliser (le parchemin étant à
kilomètres, afin qu’elle ne disparaisse pas,
même si la ville entière est engloutie.
Conserver cette information sur une
longue durée demande, de plus, une atten-
£
écrit et le système d’exploitation permet-
cette époque rare et cher). Le texte partiel-
lement effacé s’est révélé être l’unique
copie d’un texte d’Archimède qui anticipait
de deux millénaires les bases du calcul inté-
tion constante. Par exemple, les pro- tant de faire fonctionner ce compilateur. gral. La restauration de ce texte, commen-
© Shutterstock.com/aaekung
grammes développés par les informaticiens Ces programmes ont souvent existé dans cée en 1999, n’a été achevée qu’en 2008.
constituent une part de notre patrimoine plusieurs versions successives et nous Il vaut parfois mieux s’abstenir de choi-
culturel, mais ils disparaissent souvent dès devons les sauvegarder toutes, car ces sir et conserver tout ce qui peut l’être. n
qu’ils ne sont plus utilisés, car plus per- différentes versions sont rarement com-
GILLES DOWEK est chercheur à l’Inria
sonne ne s’en préoccupe. C’est pour cela patibles. Enfin, nous devons aussi conser- et membre du conseil scientifique
que se créent des structures destinées à les ver le modèle d’ordinateur sur lequel ce de la Société informatique de France.
en coproduction avec
RÉSERVATION
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LA CHRONIQUE DE
VIRGINIE TOURNAY
UNe aSSieTTe
Maire, alors ministre de l’Agriculture, qui
menace de boycotter l’inauguration de
cette foire alimentaire internationale. Sur
L
nalité de la préparation, contraste avec la
a cuisine est-elle une affaire nature et à la façon dont nous envisa- cuisine orientale, où chacun mélange les
d’État ? La municipalité de geons la cohésion sociale. plats à sa guise. Les mets orientaux,
New York vient d’interdire la Être végétarien devient un acte poli- simultanément offerts au regard, s’ap-
commercialisation et la déten- tique qui invite à relativiser la place de puient sur des recettes connues et
tion du foie gras à compter l’homme au sein des espèces animales. laissent peu de place à l’imprévu.
de 2022, sous la pression de Quand elle est couplée à une vision idyl- De telles différences culturelles dans
militants de la cause animale opposés au lique de la nature sauvage, la consomma- les repas partagés, qu’il s’agisse de céré-
gavage des oies et des canards. Elle rejoint tion de pâtés végétaux, substituts de foie monies familiales ou d’agapes républi-
la décision de la Cour suprême des États- gras, fait de nous des écologistes. Mais la caines, éclairent la structure de
Unis validant l’interdiction du foie gras nourriture ne constitue pas seulement un l’économie d’un État et les manières dont
en Californie. L’intervention du registre il se constitue en communauté politique.
public dans les préoccupations gastrono- Ainsi, les banquets publics sont l’expres-
miques résulte donc d’un rapport de sion la plus nette du rituel de représenta-
force. Elle peine à faire consensus dans la La cuisine et les manières tion politique, où les disparités sociales
population, tant les pratiques alimen- sont symboliquement gommées.
taires échappent au cartésianisme.
de table ne relèvent pas Faut-il en déduire qu’un repas n’est
Enjeu de morale publique, le rapport que de la sphère privée consacré qu’une fois les passions collec-
entre État et nourriture interroge la
place de l’espèce humaine dans le monde
vivant. On le voit avec la montée en puis-
£ tives maîtrisées ? À moins qu’il n’en soit
le déclencheur, comme le rappelle le film
italien Amore, où la femme d’un riche
sance de mouvements s’opposant à la marqueur identitaire, régional ou reli- industriel milanais, enfermée dans son
consommation de produits animaux ou gieux. Elle renvoie aussi, à travers la pro- sens du devoir, sort du sommeil des sens
avec les revendications antispécistes duction des aliments, à la force des après avoir goûté les mets préparés par
radicales, qui vont jusqu’à exiger le res- communautés nationales. un jeune cuisinier surdoué… Joyeuses
pect de la vie des moustiques. La Là encore, le foie gras, symbole phare fêtes de fin d’année ! n
confiance collective est loin d’être de la gastronomie française, l’illustre.
VIRGINIE TOURNAY biologiste de formation,
© Matyo
acquise, puisque la façon dont nous nous Quand le salon Anuga, à Cologne, lui est politologue et directrice de recherche
nourrissons renvoie à notre rapport à la ferme sa porte en 2011, c’est Bruno Le du CNRS au Cevipof, à Sciences Po, à Paris.
L’ESSENTIEL L’AUTEUR
> Les cristaux sont des états s’ils mettent en jeu une brisure
ordonnés de la matière, où les spontanée de la symétrie
atomes se disposent selon des temporelle, ce sont
motifs qui se répètent dans des cristaux temporels,
l’espace. Dans le langage de la un concept nouveau.
physique, ils se caractérisent
par une brisure spontanée > Imaginés en 2012, des FRANK WILCZEK
de symétrie spatiale. cristaux temporels ont été physicien théoricien
réalisés en laboratoire en 2017. au MIT, aux États-Unis,
> Des états de la matière dont Ces matériaux sont une piste et lauréat du prix Nobel
les motifs se répètent dans le pour concevoir des horloges de physique en 2004 pour
temps, plutôt que dans l’espace, ultraprécises. ses travaux sur la théorie
ne semblent pas être une idée de l’interaction forte
nouvelle. Cependant,
À l’heure
des cristaux
temporels
En imaginant des cristaux présentant un motif répété dans le temps plutôt que
dans l’espace, les physiciens créent de nouveaux états de la matière aux
propriétés surprenantes. Une piste pour concevoir des horloges ultraprécises.
D
epuis longtemps, l’homme est
fasciné par l’aspect esthétique
des cristaux et notamment
des pierres précieuses. À par-
tir du xixe siècle, les scienti-
fiques ont commencé à classer
les différentes formes de cristaux, qui sont les
matériaux les plus ordonnés de la nature : en leur
sein, atomes et molécules sont arrangés selon
des structures qui se répètent dans l’espace de
façon régulière. Il en résulte des solides stables,
rigides, aux propriétés électriques, optiques, etc.,
souvent intéressantes. Ces travaux ont suscité
des progrès importants en mathématiques et en
physique. Par exemple, au xxe siècle, l’étude du
comportement quantique des électrons dans les
© Mark Ross Studio
> Depuis quelques années, une nouvelle Le concept de symétrie est généralisable. Il
facette des cristaux se dessine. Elle prend sa est possible d’adapter l’idée de telle sorte qu’elle
source dans les principes de la théorie de la rela- s’applique aux lois de la physique. Nous disons
tivité d’Albert Einstein : l’espace et le temps qu’une loi est symétrique si nous pouvons chan-
sont intimement liés et, au bout du compte, ger le contexte dans lequel elle s’applique sans
sont à considérer sur un pied d’égalité. Il est changer la loi elle-même. Par exemple, l’axiome
donc naturel de se demander si certains objets fondamental de la relativité restreinte est que
présentent des propriétés temporelles qui les mêmes lois physiques s’appliquent dans
seraient analogues à celles des cristaux ordi- deux référentiels différents qui se déplacent à
naires habituellement définis dans l’espace. En vitesse constante (en grandeur et en direction)
explorant cette question, les physiciens ont l’un par rapport à l’autre. Ainsi, la relativité
découvert les « cristaux temporels ». Ce concept exige que les équations qui décrivent les lois de
inédit, qui a donné naissance à toute une classe la physique doivent être inchangées quand on
de matériaux nouveaux, a livré des éclairages applique certaines transformations représen-
passionnants sur la physique. Il offre aussi des tant un tel changement de référentiel.
perspectives d’applications innovantes, en par- Une classe différente de transformations
ticulier des horloges plus précises que toutes est importante pour les cristaux, y compris les
celles qui existent actuellement. cristaux temporels. Ce sont des transforma-
tions très simples et néanmoins d’une impor-
UNE QUESTION DE SYMÉTRIE tance capitale : les « translations ». La symétrie
Avant d’expliquer en détail cette idée de translation garantit que les lois physiques
récente, je dois clarifier ce qu’on entend exac- s’appliquent de la même façon en deux
tement par le terme de cristal. La définition la endroits différents. Si vous déménagez (ou
plus utile à des fins scientifiques fait intervenir « translatez ») votre laboratoire d’une ville à
deux notions fondamentales : la symétrie et la une autre, vous constaterez que les mêmes lois
brisure spontanée de symétrie. sont encore valables au nouvel emplacement.
Dans le langage courant, le terme de « symé- En d’autres termes, la symétrie de translation
trie » est utilisé dans de nombreuses situations spatiale affirme que les lois que nous décou-
et véhicule une idée d’équilibre, d’harmonie ou vrons quelque part s’appliquent partout à
même de justice. En physique et en mathéma- l’identique.
tiques, sa définition est plus précise. On dit La symétrie de translation temporelle
qu’un objet est symétrique ou possède une exprime une idée similaire, l’espace étant rem-
symétrie s’il existe des transformations qui, placé par le temps. Elle dit que les mêmes lois
quand on les applique à cet objet, conduisent à qui nous gouvernent maintenant s’appliquent
un résultat identique à la situation initiale. aussi aux observateurs dans le passé et dans le
Pour illustrer cette définition, prenons futur. En d’autres termes, les lois que nous
l’exemple du cercle. Quand on fait tourner un découvrons à un moment s’appliquent tout le
cercle autour de son centre, d’un angle quel- temps. Étant donné son importance majeure
conque, il reste visuellement identique, même dans ce récit, je noterai τ (la lettre grecque
si chaque point du cercle s’est déplacé : la figure « tau ») la symétrie de translation temporelle.
géométrique possède une symétrie de rotation. Sans symétrie de translation spatiale et tem-
Un carré présente aussi des symétries de rota- porelle, les expériences réalisées en des lieux
tion, mais pas autant qu’un cercle, car il faut différents ou à des moments différents ne
faire tourner le carré de 90 degrés pour qu’il seraient pas reproductibles. La science telle que
retrouve son apparence de départ. nous la connaissons serait alors impensable.
Jusqu’à présent, toutes les observations indiquent
que les règles de la physique valides ici et main-
SYMÉTRIE DE ROTATION tenant sont les mêmes que celles qui régissent
des galaxies lointaines, situées aux confins de
l’Univers et vues par nous telles qu’elles étaient
dans un passé reculé. Il est donc raisonnable
d’admettre la validité de ces symétries.
BRISURE DE SYMÉTRIE
Paradoxalement, si les symétries sont à
l’origine du caractère esthétique des cristaux,
c’est le manque de symétrie au sens mathéma-
tique de ces objets qui les définissent aux yeux
© Jen Christiansen
© Jen Christiansen
© Jen Christiansen
La rigidité est une autre de ces propriétés favorable énergétiquement (le nouvel état est
émergentes qui distinguent les cristaux des d’énergie inférieure). Si l’état de plus basse
liquides et des gaz. D’un point de vue micros- énergie brise la symétrie spatiale et que l’éner-
copique, la rigidité apparaît parce que le motif gie du système est conservée, alors l’état de >
L
a brisure spontanée globaux brisant la symétrie sensible aux paramètres a bien une période T.
de symétrie est par translation se forment du système et une petite Dans un système idéal, nous
un concept essentiel autour de ce point-selle. perturbation de ceux-ci n’observerions pas la
dans la compréhension des Pour un système favorise |Ψ1> ou |Ψ2>. Lors période 2T, mais comme dans
transitions de phase classique, une infime d’une expérience, seul l’état le cas du système spatial, ce
et donc dans la formation perturbation des paramètres |Ψ1> ou |Ψ2> est observé, système est très sensible aux
des cristaux, spatiaux du système fera choisir l’un mettant ainsi en évidence perturbations et la brisure
et temporels. En général, des deux minima globaux, un la brisure spontanée de spontanée de symétrie peut
un système physique adopte peu comme lorsqu’on pousse symétrie. être mise en évidence par
une configuration stable, légèrement une bille du haut Dans le cas des cristaux un petit changement
nommée état fondamental, d’une colline, qui roulera vers temporels, les interactions des paramètres du modèle,
où l’énergie du système est la vallée à gauche ou celle au sein du système brisent ce qui est le cas dans les
minimale. Mais quand un à droite. La situation est l’invariance temporelle. expériences. C’est ainsi
paramètre du système varie un peu différente dans le cas La façon typique d’obtenir que les cristaux temporels
(par exemple l’interaction d’un système quantique. ce genre de phénomène est peuvent être observés.
entre les particules, du fait En effet, dans ce cas, l’état de construire un système
d’une baisse de température fondamental |Ψ> qui décrit présentant une évolution ALEXANDRE DAUPHIN
ou autre), cette configuration le système est une périodique dans le temps, Institut des sciences photoniques
devient parfois instable superposition des deux états de période T, et tel que (ICFO), Barcelone
Configurations
possibles
|ψ1⟩ |ψ2⟩
|ψ⟩ Les atomes du Ces deux états d’énergie
x système présentent x x minimale brisent la symétrie
une configuration de translation initiale :
ayant une symétrie on a alors une brisure
spatiale. spontanée de symétrie.
t
T 2T 3T 4T
Configurations
possibles |ψ1⟩ |ψ2⟩
|ψ⟩ Les deux états de période 2T
sont plus stables que l’état
Le système de période T. On a alors
t oscille avec t t une brisure spontanée
T 2T 3T 4T une période T. T 2T 3T 4T T 2T 3T 4T de symétrie.
> symétrie brisée, une fois acquis, persistera. Ici, bien que le dispositif physique ne varie
C’est ainsi que les scientifiques expliquent, par pas dans le temps (en d’autres termes, il res-
exemple, la cristallisation ordinaire. pecte τ), le comportement résultant varie dans
Mais cette explication fondée sur l’énergie le temps. La symétrie de translation tempo-
n’est pas applicable dans le cas de la brisure de relle globale du système a été réduite aux
τ, parce qu’il n’est alors pas possible de définir seules symétries de translation temporelle
une énergie pour le système. Dans ces condi- multiples de la période ℏ/(2eV). Ainsi, l’effet
tions, le concept de cristal temporel semble Josephson alternatif incarne le concept le plus
dépourvu de sens. Il existe cependant une voie basique de cristal temporel. Mais à certains
plus générale conduisant à une brisure spon- égards, il n’est pas idéal. Les jonctions
tanée de symétrie, qui s’applique aussi à la Josephson ne sont pas aussi stables que l’on
brisure de τ. voudrait : les circuits où passe un courant
Plutôt que de se réorganiser spontanément alternatif dissipent de la chaleur et émettent
en un état de plus basse énergie, un matériau des ondes électromagnétiques.
peut se réorganiser en un état qui est plus
stable pour d’autres raisons. Par exemple, des
motifs ordonnés qui s’étendent sur de longues EFFET JOSEPHSON ALTERNATIF
Tension
portions d’espace ou de temps et qui impliquent constante
de nombreuses particules sont plus difficiles à
défaire parce que la plupart des forces de per-
turbation agissent localement, à petite échelle.
Supraconducteur Isolant Supraconducteur
Ainsi, un matériau gagnera une plus grande
stabilité en adoptant un nouveau motif qui se
réalise sur une échelle plus vaste que dans son
état précédent.
Au bout du compte, évidemment, aucun
état ordinaire de la matière ne peut se maintenir
en résistant à toutes les perturbations. Par
exemple, les diamants ne sont pas un état stable
du carbone aux températures et pression
atmosphérique ordinaires : ils ne sont pas « éter-
nels » ! Ils sont créés à des température et pres-
sion très élevées et, une fois formés, se Courant alternatif traversant la jonction
maintiennent longtemps même à pression ordi-
naire. Mais si vous attendez assez, votre dia-
mant finira par se transformer en graphite. En Depuis, les cristaux temporels fondés sur
pratique, ce que nous entendons par « état de la les jonctions Josephson ont été améliorés pour
matière » (comme le diamant) est une organi- réduire leurs défauts et d’autres approches ont
sation d’une substance qui possède un degré été imaginées. Néanmoins, tous ces dispositifs
utile de stabilité le protégeant d’un éventail non partagent une idée physique qui était déjà
négligeable de changements extérieurs. implicite dans les travaux de Josephson, qui
datent de 1962. Il semble donc approprié de
CRISTAUX TEMPORELS parler, dans ce cas, de cristaux temporels « à
ANCIENS ET NOUVEAUX l’ancienne ».
Forts de ces ingrédients théoriques, les Les « nouveaux » cristaux temporels sont
physiciens ont commencé à concevoir de arrivés en 2017. Les premiers ont été conçus
vrais cristaux temporels. Pour y parvenir, ils par deux équipes indépendantes. Dans la pre-
se sont d’abord intéressés à l’effet Josephson mière expérience, le groupe de Christopher
alternatif qui a servi de base pour une grande Monroe, de l’université du Maryland à College
famille de cristaux temporels. Cet effet se Park, a créé un cristal temporel dans un sys-
produit quand on applique une tension élec- tème artificiel constitué d’une chaîne de dix
trique constante V à une jonction où deux ions ytterbium. Dans l’autre expérience,
matériaux supraconducteurs sont séparés par Mikhail Lukin, de l’université Harvard, et ses
une couche mince d’isolant (on parle de jonc- collègues ont réalisé un cristal temporel dans
tion Josephson, du nom du physicien britan- un système constitué de milliers de défauts
nique Brian Josephson). Dans cette situation, cristallins dans un diamant.
un courant alternatif traverse la jonction par Dans les deux systèmes, la direction du spin
effet tunnel (un phénomène quantique) et sa (le moment cinétique quantique) des
© Jen Christiansen
fréquence vaut 2eV/ℏ, où e est la charge d’un « atomes » (les ions ytterbium ou les défauts du
électron et ℏ la constante de Planck réduite, diamant) change de façon régulière, et les
une grandeur caractéristique des phéno- atomes reviennent périodiquement à leur
mènes quantiques. configuration de départ.
L
les physiciens ont utilisé deux lasers ; le pre- es cristaux ordinaires brisent la
mier servait à inverser le spin des ions et le symétrie de translation spatiale car
second à faire interagir les spins les uns avec leurs atomes occupent des positions
les autres de façon aléatoire et pour produire
FaBriQUer fixes, et semblent différents lorsqu’on
un certain désordre. Avec la bonne configura- UN CriSTaL les translate d’une distance quelconque.
Ils présentent aussi une rigidité et résistent
tion, le spin des ions oscillait à la moitié de la TeMPOreL à toute perturbation de leur structure
cadence des impulsions laser. spatiale. Les cristaux temporels brisent
Dans le projet de Mikhail Lukin, les scien- la symétrie de translation temporelle :
tifiques ont utilisé des impulsions microondes ils changent d’un moment à un autre, tout
en répétant un motif qui est également
pour inverser le spin des défauts du diamant. robuste. En 2017, aux États-Unis, deux
Ils ont observé des cristaux temporels séparés équipes, celle de Christopher Monroe, de
de deux et trois fois l’intervalle entre impul- l’université du Maryland, et celle de Mikhail
sions successives. Dans ces deux expériences, Lukin, de l’université Harvard, ont produit
les premiers cristaux temporels.
les matériaux ont subi une excitation exté-
rieure (des impulsions laser ou microondes),
mais ils ont affiché une période différente de
celle de l’excitation : en d’autres termes, ils L’équipe de Christopher Monroe a
ont spontanément brisé la symétrie tempo- fabriqué des cristaux temporels en
bombardant une chaîne d’ions
relle du système. Laser avec des lasers. L’impulsion d’un
Ces expériences ont servi de déclencheurs d’inversion premier laser inverse l’orientation
pour de nombreux autres travaux. Ainsi, du spin du spin de chaque atome de 180°.
d’autres matériaux utilisant les mêmes prin- Avec une seconde impulsion, on
retrouve l’orientation initiale.
cipes généraux (qui ont acquis le nom de « cris-
taux temporels de Floquet ») sont entrés en
scène depuis.
> système sont trop séparés les uns des autres de quasi-cristaux temporels et une sorte de
pour permettre un échange d’énergie avec le liquide temporel ont déjà été identifiés.
dispositif d’entraînement. Le système est alors Jusqu’à présent, nous avons considéré la
piégé dans un état hors équilibre qui oscille. symétrie τ uniquement dans les phases de la
C’est bien cet état nouveau de la matière qu’on matière. Il est possible de pousser cette idée
nomme cristal temporel. dans des domaines plus spéculatifs, en réflé-
Comme pour les cristaux spatiaux, ces nou- chissant au rôle de τ en cosmologie et dans les
veaux cristaux temporels présentent une impor- trous noirs. Actuellement, la théorie qui décrit
tante rigidité et une grande stabilité de leurs le mieux l’histoire de l’Univers d’après les
motifs. Cela signifie qu’une petite variation dans
la période du dispositif d’entraînement ou la
présence d’une autre perturbation n’altère pas
la période des oscillations des cristaux tempo-
rels, qui reste parfaitement régulière.
Cette caractéristique offre un moyen de
diviser le temps très précisément, et la pers-
Les cristaux temporels
pective de fabriquer de futures horloges de
constituent un nouvel
£
grande précision. Les horloges atomiques
état de la matière
modernes sont déjà des merveilles de préci-
sion, mais il leur manque la garantie de stabilité
à long terme des cristaux temporels. Des hor-
loges plus précises et moins encombrantes
fondées sur ces états de la matière rendraient
possibles d’excellentes mesures de distance et
de temps, avec des applications pour des sys- observations est celle du Big Bang : l’Univers
tèmes de géolocalisation améliorés. Ces hor- serait né d’une singularité de densité infinie.
loges seraient aussi très sensibles à des Par conséquent, la symétrie τ ne s’appliquerait
variations du champ gravitationnel (qui influe pas à l’Univers. Mais certains cosmologistes
sur l’écoulement du temps, d’après les lois de ont aussi suggéré que l’Univers serait cyclique,
la relativité générale) : elles pourraient donc ou qu’il a peut-être connu une phase d’oscilla-
détecter des anomalies gravitationnelles tion rapide. Ces hypothèses très spéculatives
locales correspondant à des grottes souter- nous rapprocheraient du cercle d’idées entou-
raines ou à des gisements de minerais. Il est rant les cristaux temporels.
aussi possible d’imaginer des détecteurs Enfin, les équations de la relativité générale
d’ondes gravitationnelles. incarnent notre meilleure compréhension
actuelle de l’espace-temps. Mais on sait que
UN CRISTAL TEMPOREL cette théorie n’est plus valide dans les condi-
BIBLIOGRAPHIE
COSMOLOGIQUE tions extrêmes d’au moins deux situations :
Les cristaux temporels et la brisure spon- quand nous extrapolons la cosmologie du Big N. Y. Yao et C. Nayak, Time
tanée de τ constituent un sujet encore jeune, Bang à l’instant initial et à l’intérieur des trous crystals in periodically
qui soulève de nombreuses questions. Et, à noirs. Dans les autres champs de la physique, driven systems,
Physics Today, vol. 71(9),
l’instar des cristaux ordinaires dont l’étude a les limites de validité des équations qui pp. 40-47, 2018.
permis la découverte des semi-conducteurs et décrivent un état donné de la matière sont sou-
l’avènement de l’électronique moderne, quelles vent le signal annonciateur d’une transition de J. Zhang et al., Observation
surprises nous réservent les cristaux tempo- phase du système. Se pourrait-il que l’espace- of a discrete time crystal,
Nature, vol. 543,
rels ? Ont-ils un effet particulier sur les photons temps lui-même, dans des conditions extrêmes
pp. 217-220, 2017.
ou les électrons qui les traversent ? Il est encore de haute pression, de haute température ou de
trop tôt pour le dire. changement rapide, brise τ ? Soonwon Choi et al.,
Les cristaux ordinaires ont aussi conduit à Si ces dernières idées sont très spécula- Observation of discrete
l’idée de quasi-cristaux (des matériaux très tives, le concept de cristal temporel laisse time-crystalline order
in a disordered dipolar
ordonnés mais dont les motifs ne se répètent entrevoir des possibilités de progrès à la fois many-body system,
pas). Serait-il possible aussi de concevoir des théoriques (en termes de compréhension de la Nature, vol. 543,
quasi-cristaux temporels ? De la même façon, cosmologie et des trous noirs avec une pers- pp. 221-225, 2017.
on peut s’interroger sur la possibilité de conce- pective différente) et pratiques. Les formes
F. Wilczek, Quantum time
voir des liquides temporels (matériaux dans nouvelles de cristaux temporels qui seront sans
crystals, Phys. Rev. Lett.,
lesquels la densité des événements dans le doute développées dans les années à venir vol. 109(16), art. 160401,
temps est constante, mais pas la période), des devraient nous rapprocher d’horloges plus pré- 2012.
verres temporels (qui ont un motif apparem- cises, et présenteront peut-être d’autres pro-
ment parfaitement rigide, mais avec en réalité priétés utiles. Et dans tous les cas, ils sauront A. Shapere et F. Wilczek,
Classical time crystals,
de petites déviations). Les chercheurs nous surprendre en nous offrant l’occasion Phys. Rev. Lett.,
explorent activement ces possibilités et d’élargir nos idées sur les façons dont la matière vol. 109(16),
d’autres encore. Et, effectivement, des formes peut s’organiser. n art. 160402, 2012.
DES SCIENCES
DE LA CURIOSITÉ
DE L’AVENTURE
Crédit photo : © Christophe Abramowitz
E
lles semblaient muettes. Pourtant, deux conserva-
teurs du British Museum, l’anthropologue Daniel
Antoine et l’égyptologue Marie Vandenbeusch, ont
réussi à les faire parler. Leur arme ? Le scanner. Cet
outil médical non invasif leur a permis d’observer
virtuellement l’intérieur de momies, sans les abîmer.
Ces recherches s’inscrivent dans un vaste programme mené par le
British Museum, qui possède des antiquités égyptiennes, depuis sa
fondation en 1753. À cette époque, on débandelettait les corps
embaumés pour les étudier. Mais déjà l’institution londonienne se
refusait à le faire. Au cours du xxe siècle, la maîtrise des rayons X a
révélé, sans les détruire, quelques images – fort imprécises – de
l’intérieur de ces vénérables dépouilles. Depuis quelques années, les
progrès de l’imagerie ont permis aux chercheurs de visualiser même
les couches les plus molles de ces corps et les plus infimes détails
– comme des incisions sur des plaques de métal. Pour l’instant, le
British Museum a ainsi étudié une vingtaine des quatre-vingts
momies égyptiennes de sa collection. Six d’entre elles se dévoilent
aux visiteurs de l’exposition « Momies égyptiennes : passé retrouvé,
mystères dévoilés », au Musée des beaux-arts de Montréal. n
IMAGERIE 3D
Le scanner passé par Irthorrou dans un hôpital de
Chelsea spécialisé dans le cœur a duré à peine plus
d’une minute. Mais il a fallu ensuite des centaines
d’heures d’analyse pour exploiter les données
numériques obtenues ! Et ainsi observer les textiles
et les tissus mous, de même que le squelette et
des amulettes. « Jusqu’à présent, notre compréhension
de la momification était basée sur un ensemble limité
de connaissances, car peu de momies ont été analysées
scientifiquement. Notre objectif est de mieux
comprendre la pratique de l’embaumement – son
évolution dans le temps, comme ses variantes
géographiques », explique l’anthropologue Daniel
Antoine, commissaire de l’exposition. Ci-dessus,
apparaît le crâne d’Irthorrou. Les os du nez ont été brisés
© The Trustees of the British Museum/© Benjamin Moreno
Cartonnage : momie
de Tamout, Troisième
Période Intermédiaire,
début de la
XXIIe dynastie,
vers 900 avant notre ère.
British Museum EA 22939.
>
Visualisation de
la momie en mode
translucide révélant
le cœur de
Nestawedjat (en rose).
BIBLIOGRAPHIE
D. Antoine et al., Egyptian
mummies : Exploring
ancient lives, Museum of
Applied Arts and Sciences,
Sydney, Australie, 2016 © The Trustees of the British Museum/© Benjamin Moreno
© The Trustees of the British Museum
Sarcophage de la momie
d’un enfant, époque romaine,
vers 40-60 avant notre ère,
Hawara, Égypte.
British Museum EA 22108.
EXPOSITION
Exposition « Momies
égyptiennes : passé
retrouvé, mystères
dévoilés », Musée des
beaux-arts de Montréal.
© The Trustees of the British Museum/© Benjamin Moreno
Prolongée jusqu’au
DERNIERS SOINS MATERNELS 29 mars 2020.
Des boucles, un masque doré, un bouquet de roses et de myrte à la main, des sandales aux
pieds, des scènes religieuses au dos du cartonnage, parmi lesquelles la pesée du cœur,
témoignant que même les enfants devaient rendre compte aux dieux de leurs actions bonnes
ou mauvaises… Les embaumeurs n’ont pas retiré le cerveau de l’enfant d’Hawara,
probablement en raison du jeune âge de l’individu et de la fragilité de ses os mais ils ont replié
sa tête sur sa poitrine, selon une tradition de la période romaine. Sa dentition indique que cet
enfant avait entre un an et demi et deux ans au moment de son décès. Et les tissus mous, bien
conservés, prouvent qu’il s’agissait d’un petit garçon. Aucun élément ne permet de déterminer
la cause de sa mort prématurée. Le très grand soin apporté à sa momification et l’excellente
conservation de son fragile squelette indiquent qu’il appartenait à l’élite, et témoigne de
l’amour des parents pour ce fils dont ils ont voulu assurer la meilleure conservation possible
du corps pour une vie meilleure dans l’au-delà. La qualité de l’embaumement infirme aussi
l’idée selon laquelle ce savoir-faire déclinait à l’époque romaine.
Les maîtres
du ciel
mésozoïque
Comment les ptérosaures, créatures géantes à la tête démesurée,
pouvaient-ils voler ? De nouveaux fossiles et la modélisation
mathématique donnent des réponses.
© Chase Stone
L
e Mésozoïque, l’ère géologique 300 kilogrammes. À titre de comparaison,
qui s’est terminée il y a 66 mil- Argentavis, un oiseau fossile argentin de
lions d’années après avoir duré quelque 6 millions d’années – le plus gros à
186 millions d’années, est consi- avoir jamais volé sans doute – ne pesait que
déré comme l’âge des dinosaures. 75 kilogrammes environ.
Mais les « terribles lézards » ne L’écart de taille entre les plus grands indi-
dominaient que les milieux terrestres. D’autres vidus des deux groupes est d’ailleurs si impor-
créatures fort différentes régnaient dans les tant, que pour moult chercheurs, les
cieux : les ptérosaures. gigantesques ptérosaures étaient tout simple-
Ces reptiles volants furent les premiers ver- ment incapables de voler (une opinion surpre-
tébrés à développer un vol actif au lieu de seu- nante, si l’on considère le nombre de leurs
lement planer, cela très longtemps avant les traits adaptés au vol). D’autres les voient
oiseaux. Prédominants dans les airs pendant capables de traverser les airs, mais seulement
plus de 160 millions d’années, ils disparurent dans des conditions particulières – avec une
en même temps que la quasi-totalité des dino- atmosphère plus dense que celle d’aujourd’hui,
saures – à la fin du Crétacé il y a 66 millions par exemple. D’ailleurs des oiseaux de 12
d’années. Durant leur règne, ils avaient déployé mètres d’envergure voleraient-ils ?
certaines des adaptations anatomiques les plus Probablement pas. Plusieurs études récentes
spectaculaires de toutes celles qui sont (dont une des miennes) démontrent en effet
connues. Le plus petit de ces animaux avait que de tels colosses ne disposeraient pas d’as-
l’envergure d’un moineau ; le plus grand celle sez d’énergie pour quitter le sol.
d’un chasseur F-16 (soit 10 mètres environ).
Beaucoup possédaient des têtes plus longues
que leur corps, ce qui les transformait en de
d’envergure !
registre fossile. Ce registre est malheureuse-
ment si fragmentaire, qu’il ne nous livre qu’une
parcelle de la réalité passée. Nous en sommes
donc réduits à nous poser une foule de ques-
tions sur leur anatomie bizarre et sur leur dis-
parition. Heureusement, après des décennies
de perplexité, l’arrivée de nouveaux vestiges Mais les ptérosaures n’étaient pas des
relance les progrès des paléontologues. Et oiseaux ! Mon équipe accumule depuis dix ans
depuis l’amélioration de modèles bioméca- les calculs sur la puissance nécessaire à l’envol
niques du vol et de la marche des ptérosaures de ces titans, et nous parvenons à la conclusion
qui reconstituent de façon plus plausible leurs ferme qu’ils pouvaient s’envoler de n’importe
poids, les forces et les vitesses mises en jeu où puis se maintenir en vol. Sans imaginer des
pendant ces mouvements. Les chercheurs se conditions particulières qui n’existaient pas :
font désormais une idée plus réaliste de leur l’analyse géochimique des roches sédimen-
locomotion et comprennent qu’ils menaient taires du Crétacé (145 à 66 millions d’années)
une vie bien plus étonnante que ce que l’on et l’étude de l’anatomie des plantes de cette ère
avait imaginé. géologique qui vit l’apogée des grands ptéro-
L’une des énigmes les plus difficiles à saures prouvent que son atmosphère n’était
résoudre est la question de l’envol des ptéro- guère différente de la nôtre. Il est clair que
saures géant. Quetzalcoatlus (nom formé l’originalité de ces énormes reptiles est avant
d’après Quetzalcoatl, le « serpent à plumes » tout leur anatomie.
des Mésoaméricains), retrouvé au Texas, ou Un animal même gigantesque peut voler à
encore Hatzegopteryx, découvert en Roumanie, trois conditions. La première est que son sque-
avaient en effet la taille d’une girafe et de 9 à lette ait un rapport force/poids élevé (grand
12 mètres d’envergure. Les mâchoires de cer- volume, faible densité). Les oiseaux ont de
tains spécimens de ces ptérosaures étaient plus telles ossatures. Les ptérosaures aussi : la plu-
titanesques que celles d’un Tyrannosaurus rex ; part de leurs os sont creux. L’humérus de
leurs bras presque aussi larges que le torse d’un Quetzalcoatlus illustre cette nécessité : de seu-
humain adulte. Il s’agissait de véritables lement 3 millimètres, son épaisseur était com-
monstres, dont le poids pouvait dépasser les parable à celle d’une coquille d’œuf d’autruche,
> phylogénétique des ptérosaures illustre parfai- série Game of Thrones) possède des vertèbres
tement cette particularité. David Hone de cervicales presque aussi longues et deux fois
l’université Queen-Mary, à Londres, François plus solides que ne l’est son humérus, cet os
Therrien, du Royal Tyrrell Museum, en du « bras-aile » des ptérosaures sur lequel s’ac-
Alberta, au Canada, et moi-même avons crochaient la plupart des muscles qui travail-
dévoilé dans le Journal of Vertebrate laient pendant le vol. Chez certaines espèces,
Palaeontology, les premiers fossiles d’une le cou est trois fois plus long que le torse, et la
espèce découverte en Alberta. Cryodrakon taille de la tête triple, de sorte que l’ensemble
borealis – c’est-à-dire le « dragon gelé du Nord » tête-cou représente plus de 75 % de la longueur
(en hommage à Viserion, un des dragons de la totale du ptérosaure ! Comment un animal
L
es ptérosaures avaient tous des proportions
étranges. Leur quatrième doigt soutenait les
DeS aNiMaUX ailes. Leurs têtes étaient très grandes par
rapport à leur corps. Au cours de l’évolution, certains
GraNDS ont développé des plans d’organisation encore plus
extrêmes, avec des têtes et des cous gigantesques,
eT BiZarreS représentant jusqu’à 75 % de la longueur du corps.
Il est probable que la grande taille des ptérosaures
a contribué à leur disparition à la fin du Crétacé.
MÉSOZOÏQUE
TRIASSIQUE JURASSIQUE CRÉTACÉ
250 millions d’années 190 160 130 100 70
Tropeognathus
Crétacé
Dimorphodon Rhamphorhynchus
Jurassique Jurassique
Pterodactylus
Jurassique
Eudimorphodon
Triassique
1 mètre
Jeholopterus
Jurassique
Nemicolopterus
Crétacé
Pterodaustro
Crétacé
Pteranodon
Crétacé
Quetzalcoatlus
Crétacé
© Chase Stone
M
ême les plus grands ptérosaures d’une position quadrupède, poussant
volaient, Leurs poids dépassaient d’abord sur les membres postérieurs, puis
MarCHer probablement 300 kilogrammes, avec leurs bras-ailes. D’après la modélisation
eT DÉCOLLer soit beaucoup plus que les plus gros des
oiseaux connus ayant jamais volé. Comment
physique, cela leur aurait procuré assez de
puissance au décollage pour s’envoler.
de tels géants pouvaient-ils décoller ? Contrairement aux oiseaux, les ptérosaures
Contrairement aux oiseaux, bipèdes, les pouvaient décoller en profitant des
ptérosaures se lançaient dans les airs à partir puissants muscles de leurs bras-ailes.
Tendon
du muscle
long fléchisseur
Les « bras-ailes » des ptérosaures semblent avoir des doigts
été dotés d’un mécanisme de catapulte. Le tendon
du muscle long fléchisseur des doigts (Musculus
flexor digitorum longus) aurait été coincé pendant
la phase d’appui préalable au décollage, puis aurait
brusquement glissé dans une rainure du quatrième Quatrième os
os métacarpien, ce qui aurait libéré de l’énergie métacarpien
© Chase Stone
Certains ptérosaures
certains oiseaux d’aujourd’hui.
Cependant, même relativement légères,
les têtes des ptérosaures étaient souvent si
> portance s’évanouit. Or le fait que les pointes d’assez bonnes conditions météorologiques.
des ailes décrochent est particulièrement Or l’explosion qui a suivi le choc a fracassé et
catastrophique : cela perturbe immédiatement projeté dans l’espace les masses de la météorite
le sillage de l’aile, ce qui, en augmentant beau- et d’une partie de la croûte terrestre. Lorsque
coup la traînée (la résistance de l’air), compro- cette énorme quantité de roches pulvérisées
met gravement la propulsion et le contrôle. La est retombée, elle a mis le ciel en feu tout
capacité de retarder l’effondrement de la por- autour de la planète et rendu tout vol plané
tance rendait sans doute les atterrissages et impossible. Cet état de l’atmosphère aurait
décollages bien plus doux. Nous voyons donc
que, chez un gros animal volant à ailes flexibles,
posséder une énorme tête pouvait avoir des
avantages : cela décalait le centre de gravité vers
l’avant, ce qui amenait l’animal à avancer ses
ailes, ce qui à son tour entravait les décro-
chages. Au final, cela signifiait qu’un ptérosaure
pouvait voler plus lentement et se permettre
d’être plus grand.
£
groupe comprenait des espèces à quatre ailes
morts de faim
tels Microraptor et Anchiornis, ainsi que des ani-
maux volants accomplis : les oiseaux ! Au
Crétacé inférieur, une bonne variété d’entre
eux partageait le ciel avec les ptérosaures.
Malgré ce bouleversement dans la niche
aérienne, les moyennes et grandes « mâchoires
volantes » sont restées les animaux volants duré tout un mois, bien assez longtemps pour
dominants, en particulier dans les habitats affamer tous les ptérosaures, puisqu’ils
ouverts. Les oiseaux restant confinés aux zones devaient voler pour manger.
de végétation, où leur petite taille et leur agilité À l’évidence, le fait d’être un petit animal
étaient avantageuses, les ptérosaures mainte- volant n’assurait pas la survie, et la plupart des
naient leur suprématie dans le ciel. oiseaux ont succombé. Ceux qui ont résisté
Mais quand un astéroïde a percuté la Terre auront mangé des aliments pouvant résister à
il y a 66 millions d’années, tuant pratiquement l’équivalent d’un hiver nucléaire, comme les
tous les dinosaures, le règne des ptérosaures a graines par exemple. Ils savaient peut-être
également pris fin. Jusqu’à présent, les décou- BIBLIOGRAPHIE aussi creuser des terriers, comme le font beau-
vertes paléontologiques suggèrent qu’aucune D. Ksepka et M. Habib, coup d’oiseaux aujourd’hui. Les ptérosaures
espèce de ces étranges reptiles n’a franchi la Pelagornis, les géants n’étaient pas granivores et ne semblent pas non
limite du Crétacé ; toutes ont péri, comme la du ciel, Pour la Science, plus avoir été capables d’excaver. Et pourquoi
majorité de celles des oiseaux. Une seule lignée n° 471, janvier 2017. l’auraient-ils été ? Un monstre volant de plus
de dinosaures aviens – les néornithes, ou « nou- D. Hone et al.,
de 4 mètres d’envergure n’avait pas besoin de
veaux oiseaux » – s’est perpétuée mais elle a The wingtips of the s’enterrer pour se mettre hors de danger : le
suffi, puisqu’elle a produit ensuite des milliers pterosaurs : Anatomy, danger, c’était lui.
et des milliers de nouvelles espèces. De fait, aeronautical function and Même si elle se termine par une extinction
aujourd’hui, avec ses quelque 9 900 espèces ecological implications, rapide, la saga des ptérosaures est celle d’un
Palaeogeography,
connues, les néornithes représentent le deu- Palaeoclimatology, grand succès évolutif. Leurs caractéristiques
xième plus grand groupe de vertébrés, après les Palaeoecology, vol. 440, anatomiques stupéfiantes leur conservent le
poissons osseux et leurs 12 000 espèces. pp. 431-439, 2015. statut de géants du ciel. Leur étude nous a
Pourquoi les ptérosaures ont-ils disparu beaucoup appris sur les limites des formes ani-
M. Witton et M. Habib,
alors que les néornithes ont survécu ? Pour les On the size and flight
males et de leur fonction. Les leçons que nous
plus costauds ce n’est pas étonnant puisqu’au- diversity of giant en tirons nous aident à comprendre l’histoire
cun animal terrestre de masse corporelle supé- pterosaurs, the use de la Terre et la complexité écologique. Elles
rieure à 20 kilogrammes n’a survécu à of birds as pterosaur inspirent aussi des technologies aujourd’hui,
l’apocalypse météoritique. Leur dépendance au analogues and notamment de nouveaux aéronefs. Leur
comments on pterosaur
vol pour se nourrir explique peut-être le reste, flightlessness, registre fossile ouvre une fenêtre sur un monde
car les animaux volants – surtout les grands – Plos One, vol. 5(11), disparu plein de monstres volants, pas seule-
utilisent beaucoup le vol plané, ce qui exige article e13982, 2010. ment phénoménaux mais exceptionnels. n
Molière est
bien l’auteur
de ses œuvres
On a longtemps soupçonné Jean-Baptiste Poquelin de ne pas avoir écrit ses pièces,
dont le véritable auteur serait Corneille. Mais l’étude de la langue de Molière
et de ses contemporains rend à l’homme de théâtre ce qui lui est dû.
I
l y a maintenant cent ans, le poète et Très discutée, cette thèse a pris une nou-
romancier Pierre Louÿs lançait une velle dimension lorsque, au début des
polémique : plusieurs articles de lui, années 2000, des travaux en linguistique quan-
notamment le 16 octobre 1919 dans titative de Dominique Labbé, de l’IEP de
le quotidien français Le Temps, soute- Grenoble, et Cyril Labbé, de l’université
naient que l’auteur d’Amphitryon Grenoble 1, ont soutenu que les vocabulaires
n’était pas Molière, mais son illustre contempo- des pièces de Corneille et Molière sont trop
rain Pierre Corneille. Depuis, le soupçon n’a proches pour que ces œuvres aient été écrites
cessé de peser sur la paternité des pièces signées par deux auteurs différents, et, par conséquent,
de Molière. Comment un comédien présumé que Corneille aurait bien écrit les pièces de
sans grande éducation littéraire, qui plus est fort Molière. La nouvelle a été reprise par la presse
occupé entre ses charges de valet de chambre du mondiale, évoquée ou défendue dans différents
roi et de directeur de troupe de théâtre, aurait-il reportages et documentaires, et a même donné
pu écrire tant de chefs-d’œuvre ? son sujet à un téléfilm.
Au cours des décennies qui ont suivi, plu- Mais la popularité de cette thèse ne doit pas
sieurs ouvrages sont parus sur ce problème, masquer les nombreuses réactions défavo-
défendant l’idée que Molière n’était en fait rables qu’elle a suscitées dans le monde de la
que l’acteur principal des comédies qu’on lui recherche littéraire et linguistique. Pour tenter
attribue. Le vrai génie littéraire, Pierre de trancher la question, nous avons récemment
Corneille, serait resté dans l’ombre, profitant réalisé de nouvelles analyses des textes de
des revenus de la pièce sans ternir sa réputa- Molière, de Corneille et de leurs contempo-
tion d’auteur sérieux, et sans s’exposer aux rains. D’après leurs résultats, qui viennent
controverses que ces comédies souvent polé- d’être publiés, la théorie niant à Molière la
miques ont pu susciter. paternité de ses pièces est erronée. >
© Shutterstock.com/Georgios Kollidas
£
mun que deux textes écrits par des auteurs
© Shutterstock.com/Georgios Kollidas
Ces méthodes reposent sur l’analyse statis- que « navire », d’utiliser le verbe « voir » plutôt
tique des habitudes d’écriture et des tics de que « regarder ». La conjugaison, le pluriel, etc.
langage. En écrivant un texte, nous laissons ne seraient qu’accidentels par rapport au
involontairement des empreintes qui tra- terme choisi. Dans ce cas, on travaille non pas
hissent notre identité : chaque individu utilise sur le mot, mais sur le lemme : un usage de
avec une fréquence particulière des mots, des « vois », « voit » ou « voyons » est alors consi-
expressions ou des structures grammaticales. déré dans le calcul comme un usage de « voir »,
En les relevant systématiquement, on peut se un usage de « galères » comme un usage de
faire une excellente idée de qui a écrit un texte. « galère », et ainsi de suite. Mais cette >
e_mar, _marq, etc. Et pour la seconde, nous Molière ait servi de prête-nom à Corneille ou à pas écrit Dom Juan,
aurions : D’amo, ’amou, mour_, etc. On réplique d’autres dramaturges célèbres de son temps. Max Milo, 2009.
alors nos calculs en travaillant non sur des Faute de génie pouvant le détrôner dans les H. Wouters et C. de Ville
mots, mais sur ce type de séquences. cœurs et les esprits, le français devrait donc de Goyet, Molière
Dernière option explorée : la syntaxe des rester encore pour quelque temps « la langue ou l’auteur imaginaire ?,
auteurs. Écrire des phrases uniquement selon de Molière ». n Complexe, 1990.
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© Hanna Barczyk
Aux sources
mathématiques
des inégalités
de richesse
Un modèle mathématique simple décrit la répartition de la richesse
dans les économies modernes avec une précision sans précédent.
De quoi remettre en question quelques idées reçues sur le libre marché.
L
’inégalité en matière de richesse qui mesurent la richesse dans leurs enquêtes
s’accroît à un rythme alarmant sur les ménages indiquent qu’elle est de plus
non seulement aux États-Unis en plus concentrée.
et en Europe, mais aussi dans Bien que les origines des inégalités de
des pays aussi divers que la richesse fassent l’objet de vifs débats, une
Russie, l’Inde et le Brésil. Selon approche élaborée par des physiciens et des
la banque d’investissement Crédit Suisse, la mathématiciens, dont mon groupe à l’université
part du patrimoine global des ménages détenue Tufts, aux États-Unis, suggère qu’elles se
par le 1 % le plus riche de la population mon- trouvent depuis longtemps sous nos yeux
diale est passée de 42,5 à 47,2 % entre la crise – dans une bizarrerie arithmétique bien connue.
financière de 2008 et 2018. Pour le dire autre- Cette méthode utilise des modèles de
ment, en 2010, 388 individus détenaient autant répartition de richesse à base d’agents, fondés
de richesses que la moitié la plus pauvre de la sur des transactions deux à deux entre agents
© Hanna Barczyk
population mondiale, soit environ 3,5 milliards ou acteurs économiques, dont chacun cherche
de personnes ; aujourd’hui, l’organisation non à optimiser ses propres résultats financiers.
gouvernementale Oxfam estime ce nombre Dans le monde moderne, rien ne peut sembler
à 26. Et les statistiques de presque tous les pays plus juste ou plus naturel que deux personnes >
> qui décident d’échanger des biens, de s’en- même s’ils sont fondés sur des échanges équi-
tendre sur un prix et de se serrer la main. En tables entre acteurs égaux.
effet, la stabilité apparente d’un système éco- En 2002, Anirban Chakraborti, à l’institut
nomique résultant de cet équilibre de l’offre et Saha de physique nucléaire de Calcutta, en
de la demande entre les différents acteurs est Inde, a introduit ce qui est devenu le « modèle
considérée comme un sommet de la pensée des du vide-grenier », ainsi nommé parce qu’il pré-
Lumières, à tel point que de nombreuses per- sente certaines caractéristiques de transactions
sonnes en sont venues à associer le libre mar- économiques réelles entre deux individus. Il a
ché à la notion même de liberté. également utilisé des simulations numériques
Nos modèles, qui sont déroutants de sim- pour montrer que dans ce modèle, la richesse
plicité et qui reposent sur des transactions se concentre inexorablement dans les mains de
volontaires, suggèrent cependant qu’il est quelques-uns et fait émerger une oligarchie
temps de réexaminer sérieusement cette idée. (voir l’encadré page ci-contre).
Pour comprendre comment cela se produit,
supposons que vous soyez invité à jouer à un
jeu au casino. Vous devez miser sur la table une
la richesse se concentre
17 % de votre mise et il vous restera donc
83 euros. Vous pouvez jouer autant de fois que
£
vous le souhaitez. À chaque fois, vous gagnez
L
détienne une certaine somme initiale (qui e modèle du vide-grenier, un modèle
simple développé par le physicien
pourrait être exactement la même pour tous). Anirban Chakraborti, suppose que la
Choisissons deux agents au hasard et deman- richesse se déplace d’une personne à l’autre
dons-leur d’effectuer des transactions, puis lorsque la première commet une « erreur » 1o €
faisons de même avec deux autres agents, et dans une transaction. Si le montant payé
11
€
pour un bien est exactement égal à ce que €
ainsi de suite. En d’autres termes, ce modèle celui-ci vaut, aucune richesse ne change
suppose des transactions séquentielles entre de mains. Mais si une personne paie trop
des paires d’agents choisies au hasard. Notre cher ou si l’autre accepte moins que la
plan est d’effectuer des millions ou des mil- valeur de l’article, une part de richesse
est transférée. Comme personne ne veut
liards de transactions de ce genre dans notre
risquer d’être ruiné, Anirban Chakraborti
11
€
groupe de 1 000 personnes et de voir comment a supposé que le montant qui peut
la richesse sera finalement distribuée. potentiellement être perdu est une fraction
À quoi ressemble une transaction entre de la richesse de la personne la plus pauvre.
deux agents ? Comme les gens évitent naturel- Il a constaté que même si l’on choisit
au hasard, par un tirage à pile ou face,
lement d’être ruinés, nous supposons que le le résultat de chaque transaction,
montant en jeu, que nous noterons Δw (se la multiplication de ces ventes et achats
prononce « delta w »), ne représente qu’une entraîne inévitablement la concentration
€
> Si des inégalités sont présentes dès le Dans des articles indépendants parus
départ, la richesse de l’agent le plus pauvre en 2015, mes collègues et moi, à l’université
diminuera probablement le plus rapidement. Tufts, et Christophe Chorro, de l’université
Au profit de qui ? Elle doit aller à des agents plus Panthéon-Sorbonne, à Paris, ont prouvé
riches, puisqu’il n’y a pas d’agents plus pauvres. mathématiquement ce que les simulations
La situation n’est pas bien meilleure pour le d’Anirban Chakraborti avaient découvert, à
deuxième agent le plus pauvre. À long terme, savoir que le modèle de vide-grenier déplace la
tous les participants à cette économie, sauf les richesse inexorablement d’un côté à l’autre.
plus riches, verront leur richesse décroître Cela signifie-t-il que les agents les plus
exponentiellement. pauvres ne gagnent jamais ou que les agents les
entre la courbe de Lorenz et la f < 1, la courbe de Lorenz est la le coefficient de Gini pour
diagonale est ce qu’on nomme droite horizontale d’ordonnée la richesse est égal à
le coefficient de Gini, une nulle. Mais quand f = 1, environ 0,70, d’après le
mesure couramment utilisée l’oligarque est inclus, et rapport 2019 du Crédit Suisse.
MeSUrer pour mesurer l’inégalité
(le coefficient de Gini pour
l’ordonnée de la courbe de
Lorenz prend brutalement la
Les quatre petits
graphiques de B montrent
L’iNÉGaLiTÉ la richesse est à distinguer valeur 1. L’aire comprise entre la correspondance entre
du coefficient de Gini pour cette courbe de Lorenz (en le modèle affine de richesse
les revenus, que l’on rencontre orange) et la diagonale est la et les courbes de Lorenz
plus fréquemment dans les moitié de l’aire du carré, réelles pour les États-Unis
données statistiques). c’est-à-dire 1/2 ; le coefficient en 1989 et 2016, ainsi que
Examinons d’abord le cas de Gini est donc égal à 1. pour l’Allemagne et la Grèce
égalitaire. Si chaque individu En somme, le coefficient en 2010. Les données
Au début du xxe siècle, détient exactement la même de Gini pour la richesse peut proviennent de la Réserve
l’économiste américain Max richesse, toute fraction varier de 0 (égalité absolue) fédérale des États-Unis et de la
Lorenz a conçu une méthode donnée de la population à 1 (concentration extrême Banque centrale européenne.
utile pour quantifier l’inégalité détient précisément la même de la richesse). Sans surprise, L’écart entre la courbe
de richesse au sein d’une fraction de la richesse totale. la réalité correspond à une de Lorenz du modèle et celle
population. Il a proposé Par conséquent, la courbe valeur intermédiaire. La ligne correspondant aux données
de tracer la part de richesse de Lorenz est la diagonale (en rouge montre la courbe de réelles est inférieur à 0,2 %
détenue par les individus dont vert dans A), et le coefficient Lorenz de la richesse aux pour les États-Unis et à 0,33 %
la richesse est inférieure à w de Gini est égal à 0. États-Unis en 2016, d’après pour les pays européens. On
© Graphiques de Jen Christiansen, d'après Federal reserve bank’s survey of consumer finances (données empiriques étatsuniennes) ;
en fonction de la proportion En revanche, si un des données de la Réserve voit aussi que le coefficient
des individus dont la richesse oligarque détient toute la fédérale. Le double de l’aire de Gini pour les États-Unis a
est inférieure à w. Comme les richesse et que tout le reste (en jaune) comprise entre cette augmenté entre 1989 et 2016,
deux quantités sont des de la population n’a rien, courbe et la diagonale est égal ce qui reflète l’augmentation
fractions comprises entre 0 la fraction ƒ la plus pauvre à environ 0,86 ; c’est l’un des des inégalités.
et 1, le graphique s’intègre de la population n’a aucune coefficients de Gini les plus B. B.
dans un carré de côté 1. richesse pour tout f inférieur élevés des pays développés
Le double de l’aire comprise à 1 ; il s’ensuit que pour tout pour la richesse. En France,
(coefficient de Gini = 0)
Données
0,50
0
Allemagne 2010 Grèce 2010
Coefficient de Gini = 0,76 Coefficient de Gini = 0,55
1
Richesse cumulée
0
0 0,25 0,50 0,75 1,00 0
Population cumulée (fraction de la population totale)
© Hanna Barczyk
0 1 0 1
Population cumulée Population cumulée
nous avons imposé que chaque agent fasse, physiciens Jean-Philippe Bouchaud, président
après chaque transaction, un pas vers la de la société Capital Fund Management et pro-
richesse individuelle moyenne. La taille de ce fesseur à l’École polytechnique, à Palaiseau, et
pas était une fraction, notée χ (la lettre grecque Marc Mézard, de l’École normale supérieure, à
chi), de la différence entre la richesse de l’agent Paris. Dans notre modèle, quand ζ est inférieur
et la richesse moyenne. Cela équivaut à un à χ, le système n’a qu’un seul état stable,
impôt sur la fortune pour les riches (le taux dépourvu d’oligarchie ; lorsque ζ est supérieur
d’imposition par unité de temps est χ) et à une à χ, un nouvel état, oligarchique, apparaît et
subvention complémentaire pour les pauvres. devient l’état stable (voir l’encadré page 66). Le
L’effet est de transférer de la richesse de ceux modèle du vide-grenier à deux paramètres
qui sont au-dessus de la moyenne à ceux qui (χ et ζ) ainsi obtenu est capable de reproduire >
sont au-dessous.
Nous avons constaté que cette simple modi-
Banque centrale européenne (données empiriques allemandes et grecques)
> à 1 ou 2 % près les données empiriques sur la diminution de χ) par leurs gouvernements et
répartition de la richesse aux États-Unis et en un bond concomitant de l’avantage lié à la
Europe entre 1989 et 2016. richesse (augmentation de ζ) sous l’effet com-
Une telle transition de phase a peut-être biné des soudaines privatisations et dérégle-
joué un rôle crucial dans la concentration de mentations. La baisse de la « température » χ/ζ
richesse qui a suivi l’éclatement de l’Union qui en a résulté a provoqué, dans les anciens
soviétique en 1991. L’imposition aux anciens pays communistes, une concentration de la
États de l’URSS d’une « thérapie de choc », richesse, et ces pays sont devenus oligarchiques
comme on a surnommé cette stratégie écono- presque du jour au lendemain. À ce jour, on
mique, a entraîné une forte diminution de la peut qualifier d’oligarchies au moins 10 des
redistribution de la richesse (c’est-à-dire une 15 anciennes républiques soviétiques.
Aimantation
De L’iNÉGaLiTÉ aimantation non nulle
apparaît soudainement et sa Aimantation non nulle
Aimantation
direction est aléatoire (plus nulle
précisément, cette direction
dépend de fluctuations Faible Point de Curie
microscopiques
incontrôlables, que la 0
modélisation macroscopique Faible Température de Curie Élevée
L
orsque l’eau bout à 100 °C du ferromagnétisme ignore). Température
et se transforme en Les systèmes économiques
vapeur d’eau, elle subit peuvent également présenter
une transition de phase des transitions de phase.
B TRANSITION DE PHASE DANS UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE
– un changement soudain et Lorsque le paramètre de
(paramètre de biais lié à la richesse)
2,0 Grèce
spectaculaire. Par exemple, le richesse ζ du modèle affine Espagne Slovénie
Oligarchie partielle Belgique
volume qu’elle occupe (à une de richesse est inférieur au
1,5 Malte Pays-Bas
pression donnée) augmente de paramètre de redistribution χ Italie
façon discontinue. De façon (voir le texte principal), la Lituanie
similaire, l’aimantation d’un répartition de la richesse n’est 1,0 Finlande
Portugal
matériau ferromagnétique même pas partiellement France
devient nulle (courbe orange oligarchique (région en bleu 0,5 Pas d’oligarchie
Chypre
du graphique A) lorsque sa du graphique B). Cependant, Allemagne
température dépasse un lorsque ζ dépasse χ, une 0 Autriche
seuil TC, la « température de fraction finie de la richesse
0 0,5 1,0 1,5 2,0
Curie ». Autrement dit, au-delà de l’ensemble de la population
de TC, le matériau n’est pas « se condense » dans les mains (paramètre de redistribution de la richesse)
aimanté. La courbe de d’une fraction infinitésimale
l’aimantation en fonction de des agents les plus riches.
la température est continue au Ainsi, le rapport χ/ζ joue un (c’est-à-dire où T = (TC)2/T). La recalculée pour tenir compte
point de transition, mais elle y rôle analogue à celui de la théorie de la dualité joue un de cette perte).
présente un coude prononcé température : la richesse « se rôle de plus en plus important Fait significatif, la plupart
(sa dérivée est discontinue). condense » lorsqu’il devient en physique théorique, des pays sont très proches de
Inversement, lorsque la inférieur à 1. notamment en théorie l’état critique. Un graphique
notre connaissance, il décrit les données sur la c’est précisément parce que les niveaux
répartition de la richesse avec plus de précision actuels d’inégalité sont si extrêmes que les
que tout autre modèle existant. bénéficiaires seraient beaucoup plus nom-
breux que les payeurs.
RUISSELLEMENT VERS LE HAUT Étant donné la complexité des économies
Il est remarquable que le modèle de répar- réelles, nous trouvons gratifiant qu’une
tition de la richesse qui s’ajuste le mieux aux approche analytique simple développée par des
données empiriques soit un modèle qui serait physiciens et des mathématiciens décrive les
complètement instable sans redistribution, distributions réelles de richesse de plusieurs
plutôt qu’un modèle fondé sur un supposé pays avec une aussi grande précision. Il est éga-
équilibre des forces du marché. En fait, ces lement assez curieux de constater que ces dis-
modèles mathématiques démontrent que, loin tributions présentent des caractéristiques
de « ruisseler » vers les pauvres, la tendance subtiles mais essentielles de systèmes phy-
naturelle de la richesse est de s’écouler vers le siques complexes. Et surtout, le fait qu’une
haut, de sorte que la répartition « naturelle » de esquisse aussi simple et plausible du libre mar-
la richesse dans une économie de marché cor- ché fasse apparaître qu’il est tout sauf libre et
respond à une oligarchie totale. Seule la redis- équitable devrait être à la fois un motif d’in-
tribution fixe des limites à l’inégalité. quiétude et un appel à l’action. n
L’ESSENTIEL L’AUTRICE
> Les humains ne sont pas > Lorsque les faux signaux
les seuls dans le monde animal sont émis intentionnellement,
à savoir tromper. on parle de tromperie tactique
– une stratégie déployée
> De nombreuses espèces entre autres par les seiches
mystifient leurs semblables et les chiens.
ou des membres d’autres BARBARA KING
espèces grâce au camouflage professeuse émérite
ou au mimétisme. d’anthropologie au collège
de William-et-Mary, en
Virginie, aux États-Unis
Filou comme
une seiche
Homo sapiens n’est pas la seule espèce qui mente.
La tromperie règne dans le monde animal.
L
e monde animal regorge de bons l’altruisme dans le règne animal contrebalance
sentiments ces temps-ci. Les cette vision dépassée de la nature. Mais à force
preuves de coopération et de de s’ébahir devant la gentillesse des animaux,
compassion chez les animaux on risque de pousser trop loin ce mouvement
s’affichent dans quantité de et d’éclipser une partie de l’histoire. De nom-
spectaculaires documentaires breux animaux effectuent des campagnes de
télévisés. Dans les océans, mérous, labres et désinformation envers leurs congénères, de la
anguilles s’entraident entre espèces pour chas- même espèce ou d’autres. Ils induisent en
ser leurs proies. Dans le ciel australien, le erreur, trichent et mentent en usant de mul-
mérion de Lambert (une espèce de passereau) tiples stratégies de tromperie.
et le mérion splendide se reconnaissent
mutuellement, forment des partenariats UNE TROMPERIE
stables et défendent ensemble leur habitat TACTIQUE OU NON ?
dans les broussailles du maquis. Sur terre, les La tromperie chez les animaux non humains
poules manifestent une détresse empathique est définie comme l’émission de faux signaux
lorsqu’elles voient leurs poussins souffrir d’un qui modifient le comportement d’autrui en
léger inconfort. Les chimpanzés s’empressent faveur de l’émetteur. Les seiches excellent dans
de consoler le perdant d’un combat, même s’ils cet art. Parentes de la pieuvre, elles ont la capa-
n’ont eux-mêmes joué aucun rôle dans l’alter- cité de changer rapidement de couleur grâce
cation. Et dans un acte sacrificiel ultime, les aux cellules pigmentaires de leur peau appelées
rats sont prêts à renoncer à une récompense « chromatophores ». Des mâles utilisent même
en chocolat pour aller sauver un semblable sur cette faculté de camouflage pour s’accoupler
le point de se noyer dans une petite piscine. avec des femelles récalcitrantes, comme l’a rap-
Pendant des siècles, les spécialistes du porté en 2017 une équipe de biologistes marins
comportement animal ont exagéré le rôle de la dirigée par Justine Allen, de l’université Brown,
© Lisk Feng
rivalité et de la violence chez les animaux. aux États-Unis. Alors que les chercheurs plon-
L’attention que l’on porte aujourd’hui à geaient dans la mer Égée au large de la Turquie, >
> ils ont observé un mâle de l’espèce commune Le biologiste Culum Brown, de l’université
européenne s’approcher d’une femelle. La Macquarie, à Sydney, et son équipe qualifient
femelle, qui semblait indifférente aux charmes ce double signal de « tromperie tactique »,
du mâle, s’est alors éloignée, mais cela n’a pas parce qu’il correspond à un acte délibéré. Ce
dissuadé ce dernier. Il s’est camouflé dans le comportement se déroule dans un contexte
décor pendant six minutes, se faisant apparem- spécifique (lorsqu’un mâle courtise une
ment oublier de la femelle, avant de sauter sur femelle en présence d’un seul rival). Le camou-
elle et de l’attraper. Les deux seiches se sont flage, le mimétisme et la tromperie tactique
ensuite accouplées face à face. sont trois types clés de tromperie animale, les
frontières entre ces catégories étant floues
comme l’illustrent les exemples avec les
seiches. Quand les tentatives d’induire en
Sur son côté gauche, le erreur sont intentionnelles, que ce soit par
camouflage, mimétisme ou un autre compor-
tement, il s’agit de tromperie tactique.
mâle seiche séduit une LE DRONGO BRILLANT
£
nous avons peut-être plus tendance à repérer
>
£
des chiens avaient appris à interagir avec deux
LES
TROUS NOIRS
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L’HORIZON DES TROUS NOIRS
BRÛLE-T-IL ?
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L’INTRICATION EST-ELLE
UN TROU DE VER ?
Matière noire
LA PISTE DES TROUS NOIRS
PRIMORDIAUX
les numéros en pdf
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L’ESSENTIEL
L’AUTEUR
JEAN-GAËL BARBARA
historien des sciences au
CNRS dans les laboratoires
Neuroscience Paris-Seine
(Sorbonne Université) et
Sphere (Sorbonne-Paris-Cité)
S
i vous ouvrez un livre de neuros- niveau de la synapse. Le quantum désigne une
ciences, vous trouverez obligatoi- quantité minimale de neurotransmetteurs relâ-
rement le schéma d’une synapse. chée – et en dehors de cela, il n’a donc pas grand
Autrement dit, un point de raccor- chose à voir avec la physique quantique des
dement entre deux neurones. ondes et des particules élémentaires…
C’est là que les neurones commu-
niquent : celui par où arrive le signal nerveux À LA JONCTION DU NERF
(le neurone présynaptique) relâche des messa- ET DU MUSCLE
gers chimiques appelés « neurotransmetteurs », Cette précision établie, la nature quantique
qui traversent l’espace de la synapse et vont se de la transmission nerveuse est une des plus
fixer sur des récepteurs à la surface du neurone élégantes découvertes des neurosciences au
situé en aval de la synapse, le neurone post- xxe siècle. Mais pour la réaliser, il a fallu la
sypnatique. Ce qui suscite l’apparition d’un conjonction de plusieurs innovations tech-
nouveau signal nerveux. niques et conceptuelles, et l’apport décisif d’un
Si votre manuel de neuroscience est assez homme, Bernard Katz (que vous connaissez
bien fait, il précisera davantage le mécanisme déjà si vous avez lu cette rubrique dans le
de libération des neurotransmetteurs. Un n° 503 de Pour la Science, où il avait démontré
mécanisme qui ressemble à l’éclosion de bulles la nature chimique de la neurotransmission).
de champagnes à la surface d’une coupe. On En 1930, Katz est un jeune médecin juif alle-
trouve, dans le neurone présynaptique, les neu- mand, dont le père a fui l’antisémitisme en
rotransmetteurs empaquetés dans de petites Russie et qui a décidé d’étudier la médecine,
bulles lipidiques appelées « vésicules ». Chaque pressentant qu’il devrait un jour fuir l’Alle-
bulle se dirige vers l’extrémité du neurone et magne à son tour. Il commence par étudier la
« crève », libérant les molécules de neurotrans- biophysique à Londres, auprès du Prix Nobel
metteurs dans l’espace de la synapse. La quan- de médecine Archibald Hill, puis rejoint le
tité de neurotransmetteurs libérée dépend laboratoire du neurobiologiste John Eccles, en
alors uniquement du nombre de bulles crevées. Australie. Dans les années 1940, on découvre
Une bulle, deux bulles, trois bulles… Plus le peu à peu les mécanismes par lesquels les neu-
nombre de bulles qui éclatent est élevé, plus le rones échangent des informations et les pre-
signal nerveux transmis est intense. À propos mières études portent sur une « synapse » un
© Lison Bernet
de ces bulles on parle de « quanta » de neuro- peu particulière, localisée non pas dans le cer-
transmetteurs, un quantum étant la quantité veau, mais au niveau des muscles. C’est ce
minimale de messagers chimiques libérés au qu’on appelle la « jonction neuromusculaire », >
> point de contact où les extrémités des nerfs Les « quanta » de la pensée sont deux comparses voient apparaître de petites
moteurs, qui commandent nos mouvements, de petites poches de lipides sautes désordonnées.
appelées « vésicules », contenues
rejoignent les fibres musculaires et déclenchent dans l’extrémité des neurones
Un comportement bien étrange… Comme
leur contraction. présynaptiques. Ces vésicules un simple « bruit » électrique que l’on peut
Les neurobiologistes cherchent alors à com- contiennent des neurotransmetteurs observer dans les microcomposants élec-
prendre comment l’information est transmise qui sont relâchés dans la synapse et triques. Rien qui laisse présager un signal. Au
entre le nerf moteur et le muscle. Dès 1939, transmettent l’influx nerveux au premier abord, Katz et Fatt assimilent ces
neurone postsynaptique.
Bernard Katz se lance donc dans l’étude de ces sautes de potentiel à des parasites liés à la
phénomènes. Dans le laboratoire de John Eccles, mesure, qu’on appelle « artefacts ». Elles se pro-
Katz découvre une invention étonnante : de très duisent de façon imprévisible et spontanée, et
fines électrodes en verre que l’on implante à ne semblent pas représenter un quelconque
l’intérieur d’une seule fibre musculaire pour étu- signal biologique. À première vue, rien qui
dier les variations du potentiel électrique dans explique comment un neurone moteur commu-
ces fibres, d’après l’idée que la contraction des nique avec une fibre nerveuse !
fibres musculaires est provoquée par des chan-
gements de potentiel électrique, eux-mêmes DES SIGNAUX NERVEUX
induits par l’arrivée d’un signal nerveux à l’extré- MINIATURES
mité du neurone moteur. Mais Katz et Fatt augmentent encore le gain
Ses tribulations ne sont pas finies et, dès la de l’amplificateur. Et là, leur perplexité franchit
fin de la Seconde Guerre mondiale, il retourne un nouveau cap. Ils raconteront qu’ils ont
à Londres dans le laboratoire de Hill pour uti- d’abord cru que les sautes d’intensité sur l’écran
liser les nouvelles électrodes sur des lambeaux étaient dues à des tremblements du sol provo-
vivants de muscle de grenouilles. On lui a qués par le pas lourd de leur patron Archibald
adjoint un jeune collègue américain, Paul Fatt. Hill, lequel avait pour habitude de s’enfuir dans
Les yeux rivés aux enregistrements du les couloirs lorsqu’il ne souhaitait pas répondre
potentiel électrique mesuré par leurs fines élec- à une personne lancée à sa recherche. Mais
trodes dans les fibres musculaires de grenouille, cette hypothèse est vite démentie.
Katz et Fatt restent perplexes. Fatt vient d’aug- Car une fois agrandis au maximum, les
menter fortement le gain de l’amplificateur. A minuscules pics d’activité apparaissent comme
priori, c’est un geste insensé, comme d’augmen- une forme réduite d’une véritable onde élec-
ter le son de votre chaîne audio lorsque vous trique, telle celle provoquée par la transmission
êtes branché sur une station qui n’émet que des d’un influx nerveux à une synapse. Un profil de
© Lison Bernet
parasites. Mais à ce moment-là, sur la ligne for- variation appelé « potentiel synaptique ».
tement grossie représentant le potentiel élec- Il s’agit donc de potentiels synaptiques
trique inerte de l’écran de l’oscilloscope, les miniatures, survenant spontanément et de
£
10 000 molécules d’acétylcholine. Pour lui, ces
des parasites !
paquets sont les briques élémentaires de la neu-
rotransmission. Impossible d’imaginer une
quantité moindre, car les potentiels synap-
tiques miniatures ont tous à peu près la même
taille, de sorte que le « quantum » (l’unité mini-
male) de neurotransmission se situerait autour les « paquets » de neurotransmetteur… En tout
de ce seuil de 10 000 molécules de neurotrans- état de cause, l’essentiel est que dans cette série
metteurs. Et, les potentiels miniatures surve- d’études, Katz vient de démontrer que les
nant de manière aléatoire, Katz s’attend à ce potentiels du bruit synaptique sont en réalité
que ces quanta soient libérés spontanément, des potentiels unitaires (des décharges
selon une probabilité faible. uniques) obéissant à une loi du « tout ou rien »,
Deuxièmement se pose la question de la et représentant les blocs élémentaires des
fonction de ces potentiels synaptiques minia- potentiels de plus grande taille de la neuro-
tures. On pourrait penser qu’ils représentent transmission musculaire. Une mécanique quan-
une activité synaptique de base, et que la fibre tique de la neurotransmission est née.
musculaire serait équipée de détecteurs d’acé- Mais justement. De premiers doutes fusent.
tylcholine afin de réagir par un événement élec- La vision de Katz n’est-elle pas trop inspirée de
© Lison Bernet
trique à la moindre libération d’un quantum de la physique quantique, très en vogue à l’époque,
neurotransmetteur. Il s’agirait alors d’un méca- et éloignée du monde de la biologie ? Un neu-
nisme assurant un couplage fonctionnel très rone a-t-il quelque chose à voir avec un >
Q
l’on voit alors apparaître les synapses pour de uand un influx nerveux est transmis d’un neurone à son
vrai… C’est là que l’on découvre, dans les ter- voisin au niveau d’une synapse, il prend la forme, dans
minaisons nerveuses des neurones présynap- le neurone postsynaptique, d’un potentiel d’action de large
intensité (tracé du haut). Ce que Bernard Katz et Paul Fatt ont
tiques, de petites billes toutes de même taille. découvert, c’est que même dans une synapse inactive, de tout
Il se trouve que de semblables « bulles » ont petits potentiels d’action (miniatures) sont émis de façon aléatoire
déjà été observées dans des cellules de la glande (tracé inférieur). La faute à de microscopiques vésicules contenant
médullosurrénale (qui synthétise de nom- des quantités minimales de neurotransmetteurs, qui traversent
breuses hormones, dont l’adrénaline), où l’on accidentellement la synapse. Quand la synapse est active, un grand
nombre de vésicules sont émises et, cumulant leurs potentiels
a déterminé qu’elles contiennent un neuro- miniatures, créent le large potentiel d’action capable de se
transmetteur. Pendant ce temps, à l’université propager à longue distance.
de Washington, deux autres chercheurs,
Eduardo De Robertis et Stanley Bennett,
émettent l’idée que certains neurotransmet-
– 55
teurs peuvent être associés dans certaines Potentiel principal
on observait
éclatement lors de leur fusion à la membrane
© Pour la Science, d’après Meriney / Wikimedia commons
£
mode du “tout ou rien” et produire les poten-
les synapses
tiels synaptiques miniatures. »
Tout semble ensuite s’organiser autour de
cette vision novatrice. Le neuroanatomiste et
9 janvier
Langages, langues, dialectes animaliers :
les dictionnaires des animaux
avec Astrid Guillaume, maître de conférences
en sciences du langage, Sorbonne Université.
16 janvier
Sifflements, chants et gazouillis,
mais que disent les oiseaux ?
avec Sébastien Derégnaucourt, éthologiste,
professeur à l’université Paris-Nanterre.
23 janvier
Le langage n’est pas le propre de l’Homme,
parole de singe !
avec Alban Lemasson, éthologiste, professeur,
université de Rennes 1, université de Caen
Normandie, CNRS.
© Pour la Science, d’après Meriney / Wikimedia commons
30 janvier
Des clics et des clangs : le langage
énigmatique des cachalots
© GettyImages
COMBiNeS
POUr
P. 80
P. 86
P. 88
Logique & calcul
Art & science
Idées de physique
TÉTraDeS
P. 92 Chroniques de l’évolution
P. 96 Science & gastronomie
P. 98 À picorer La combinatoire géométrique exige une patience
et une minutie dont souvent seul l’ordinateur est capable.
Le cas des tétrades est exemplaire.
L’AUTEUR
T
JEAN-PAUL DELAHAYE
professeur émérite homas Cabaret, un lecteur de la Deux exemples de tétrade sont donnés
à l’université de Lille
et chercheur au rubrique, m’a signalé un article de dans l’encadré 1. Notons bien que chaque
laboratoire Cristal Juris Čerņenoks et Andrejs exemplaire de la forme touche les trois autres.
(Centre de recherche Cibulis, du département de Que quatre formes planaires d’un seul
en informatique, signal
et automatique de Lille)
mathématiques de l’université de tenant, identiques ou non, puissent se toucher
Lettonie, à Riga. Bien que publié deux à deux sur le plan est un maximum. Il est
dans une revue assez confidentielle, l’article est en effet impossible de trouver cinq formes du
très amusant et associe raisonnements géomé- plan d’un seul tenant se touchant deux à deux.
triques astucieux pour certaines questions et C’est une conséquence du théorème de théo-
calculs informatiques pour d’autres. Quelques rie des graphes qui stipule que le graphe com-
résultats de ce bel article seront présentés ici, plet non orienté K5 (cinq nœuds, chacun relié
accompagnés d’autres sur le thème des groupes aux quatre autres) n’est pas planaire, c’est-à-
de formes géométriques ayant de multiples dire ne peut pas être dessiné sur le plan sans
contacts. que deux arcs se croisent (voir l’encadré 1). En
Le mot « tétrade » existe en français et effet, si cinq formes d’un seul tenant du plan
signifie une suite de quatre notes musicales, se touchaient deux à deux, en les contractant
un groupe de quatre bits d’information, un chacune en un point et en représentant
alignement de quatre objets astronomiques, chaque contact entre deux formes par un arc
etc. Si nous voulons suivre les progrès récents joignant les points correspondants, on obtien-
en géométrie combinatoire, il faut ajouter à drait une représentation planaire de K5 sans
Jean-Paul Delahaye cette liste la définition suivante : une tétrade croisement des arcs... ce qui est impossible.
a notamment publié : est une association de quatre formes planaires
Les mathématiciens identiques et d’un seul tenant, chacune en À TROIS DIMENSIONS
se plient au jeu, contact avec toutes les autres par au moins un À trois dimensions, la situation est très
une sélection de ses
chroniques parues segment de droite ou de courbe. Le mot anglais différente, puisque pour tout entier n, il existe
dans Pour la Science tetrad a été introduit en anglais avec ce sens dans l’espace une forme F d’un seul tenant, et
(Belin, 2017). en 1975 par Michael Buckley. une disposition de n exemplaires de F telle >
U
n exemple de tétrade (a) :
les quatre formes a b
composant la figure sont
identiques (on passe de l’une à
l’autre par translation, rotation
ou symétrie axiale) et chaque
forme touche toutes les autres. Il
est impossible de faire la même
chose dans le plan avec
5 formes, car on en déduirait
une représentation planaire
sans croisement du graphe K5 c d
(chacun des cinq nœuds est lié à
tous les autres), ce qui est
impossible (b).
Dans l’espace, il existe des
configurations de n formes
identiques se touchant toutes.
L’image d, due à Francisco De
Comité, montre la solution pour
n = 5 : la configuration est
constituée de 5 formes, chacune
étant la réunion de deux barres
de la même couleur (c). Cela se
généralise à n formes.
2
LeS PLUS PeTiTeS TÉTraDeS eN POLYOMiNOS
T
outes les tétrades
faites avec des
polyominos les plus
petits possible (8 carrés
par polyomino) sont
montrées ici. On peut noter
que certains polyominos
donnent plusieurs tétrades
distinctes.
© Francesco De Comité (figure d de l’encadré 1)
3 L
TÉTraDeS eN POLYOMiNOS SaNS TrOU
e plus petit polyomino donnant un tétrade sans trou est celui utilisé pour le dessin a.
La série de dessins a, b, c se prolonge de manière évidente et montre donc qu’il existe
une infinité de tétrades sans trou faites de polyominos.
La série d, e se prolonge aussi de manière évidente et montre qu’il existe une infinité de
tétrades sans trou faites de polyominos dont aucun n’est retourné pour assembler la tétrade.
a b c
d e
8 369 8 14 0
9 1 285 42 83 0
10 4 655 187 341 0
11 17 073 739 1 388 1
12 63 600 2 871 5 648 10
13 238 591 11 300 22 688 1
14 901 971 44 440 90 243 11
15 3 426 576 172 984 352 243 36
16 13 079 255 670 107 1 373 595 66
17 50 107 909 2 599 478 5 384 209 70
C
collés en ligne ; on colle perpendiculairement es dessins (de Juris Čerņenoks et Andrejs Cibulis)
les deux barres par leur cube central. On dis- montrent que pour tout entier n ≥ 17, il existe des
pose alors sans mal n copies de F en s’arran- tétrades sans trou formées de polyominos de
n carrés exactement. Les pointillés dans b représentent
geant pour que chacune touche par un un nombre quelconque de carrés unités.
morceau de surface toutes les autres (voir
l’encadré 1, d).
On remarquera que cet assemblage dans
l’espace montre que si l’on voulait colorier des a b
cellules d’un seul tenant d’une partie de l’es-
pace sans que deux cellules en contact portent
la même couleur, le nombre de couleurs
nécessaires serait infini. Le théorème des
quatre couleurs du plan (on peut colorier
toute carte plane avec quatre couleurs sans
que deux pays voisins portent la même cou-
leur) n’est donc généralisable dans l’espace ni
5
avec 5 couleurs, ni avec n couleurs quel que
soit l’entier n.
TÉTRADES DE POLYOMINOS
Concentrons-nous maintenant sur le plan
et plus particulièrement sur les polyominos,
qui sont les formes d’un seul tenant obtenues
en accolant côté contre côté des carrés de
même taille.
La figure a de l’encadré 1 montre une
tétrade dont la forme de base est un polyo- TOUTeS LeS FOrMeS
mino de 9 carrés. Peut-on faire mieux, c’est- De TrOUS SONT POSSiBLeS
à-dire trouver une tétrade faite à partir de
I
quatre polyominos utilisant chacun moins de l est évident qu’un trou dans une tétrade faite de polyominos sans trou
9 carrés ? La réponse est positive et une a nécessairement la forme d’un polyomino sans trou. La réciproque (« Tout
recherche par ordinateur donne la liste polyomino sans trou peut être un trou dans une forme constituant une
exhaustive de toutes les tétrades utilisant tétrade ») est vraie, comme Juris Čerņenoks et Andrejs Cibulis l’ont démontré
par un élégant raisonnement (voir la bibliographie) dont voici les détails.
quatre polyominos identiques comportant Considérons un polyomino sans trou quelconque, par exemple celui
8 carrés chacun (voir l’encadré 2). dessiné en a.
L’ordinateur indique aussi qu’il n’existe Repérons son carré le plus à gauche et le plus bas. Il est dessiné en noir.
pas de polyominos plus petits permettant de Prenons maintenant un polyomino ayant la forme dessinée en b, et assez
grand pour que, en plaçant le polyomino a avec le carré noir comme indiqué,
composer une tétrade.
tout le polyomino a soit dans le polyomino b.
Le travail de l’ordinateur pour arriver à ces Creusons le polyomino b en lui enlevant le polyomino a placé comme
dessins et résultats est presque instantané, car on vient de l’indiquer.
il n’y a que 369 polyominos faits de 8 carrés et Le polyomino obtenu permet de construire une tétrade (c) avec un trou
beaucoup moins pour les polyominos plus qui a exactement la forme du polyomino a.
petits. Un humain voulant obtenir la liste
complète de l’encadré 2 devrait sans doute
a
travailler des jours entiers, et la démonstra-
tion complète qu’il n’y a pas d’autre solution c
que celles indiquées serait très longue. On ne
peut cependant pas considérer que la réponse
donnée par l’ordinateur sans justification b
constitue une démonstration, mais si plu-
sieurs programmes indépendants arrivent au
même résultat, personne ne doutera que nous
disposons de la liste complète de tétrades
faites de polyominos de 8 carrés ; l’utilisation
d’ordinateurs en mathématiques conduit à un
consensus sur les résultats, mais ils sont par-
fois d’une nature différente de celui que
donnent les démonstrations. >
> Précisons que l’on considère que deux – Une première copie du polyomino P étu-
polyominos sont identiques si l’un s’obtient à dié est déposée sur le plan à un endroit quel-
partir de l’autre par translation, rotation ou conque. Une seconde copie P’ de P est ajoutée
symétrie par rapport à une droite (retourne- et placée de toutes les façons possibles où
ment du polyomino). Le décompte des polyo- P’ touche P au moins par un segment corres-
minos est un problème difficile et on ne pondant au côté d’un carré. De même, une
connaît, grâce à des calculs par ordinateur, le troisième copie P’’, puis une quatrième
nombre de polyominos de n carrés que pour copie P’’’ sont placées de toutes les façons
n compris entre 1 et 28. Ces nombres sont possibles touchant P.
donnés par la suite https ://oeis.org/A000105 – On examine si les quatre copies consti-
de l’encyclopédie des suites numériques de tuent une tétrade : pas de chevauchement des
Neil Sloane. Le record de calcul, pour 28, a été copies de P, et chacune touche les trois autres
établi par le chercheur portugais Tomás par au moins un segment.
Oliveira e Silva : il y a 153 511 100 594 603 polyo- – Si la configuration P-P’-P’’-P’’’ est une
minos composés de 28 carrés. Pour créer et tétrade, on contrôle qu’elle n’est pas déjà pré-
6
étudier les tétrades faites de polyominos à sente dans la liste que le programme construit,
n carrés, Juris Čerņenoks et Andrejs Cibulis ni une configuration s’en déduisant par trans-
ont mis au point un algorithme qui fonctionne lation, rotation ou symétrie axiale (retourne-
de la façon suivante. ment de la configuration). Si la configuration
– La liste complète des polyominos P à est vraiment nouvelle, le programme l’ajoute
n carrés est engendrée et on envisage chacun à la liste qu’il constitue.
séparément. Le tableau résultant du calcul est repro-
duit page 82. Comme on l’a vu pour le cas n = 8,
on observe que le nombre de tétrades obte-
nues est toujours plus grand que le nombre de
polyominos donnant des tétrades. La raison
est simple : certains polyominos se disposent
DeS TrOUS, DeS PeTiTS TrOUS... de plusieurs façons en tétrades.
Le rapport entre le nombre de tétrades et
P
our tous les trous possibles de 1 carré, 2 carrés, 3 carrés (2 cas), et 4 carrés le nombre de polyominos donnant au moins
(5 cas), voici la tétrade utilisant les polyominos les plus petits possible et une tétrade augmente avec n. On pense que
dotés d’un tel trou. C’est un programme de Juris Čerņenoks et Andrejs ce rapport tend vers l’infini, mais c’est une
Cibulis qui a donné ces résultats.
conjecture. Le calcul pour arriver à traiter
complètement le cas n = 17 a demandé
30 heures à la machine utilisée (un processeur
Intel® CoreTM i7-3820 à 3,60 GHz).
immédiat en considérant les dessins, de les Énigme 1. Quel est le plus petit polyo-
prouver sans son aide, contrairement aux mino ayant un axe de symétrie et permettant BIBLIOGRAPHIE
énoncés sur les décomptes qui restent tou- la construction d’une tétrade sans trou ?
J. Čerņenoks et A. Cibulis,
jours liés à la confiance accordée aux pro- Deux solutions sont connues, sans que l’on Tetrads and their
grammes écrits et à leur fonctionnement. sache si on peut faire mieux. La première est counting, Baltic J. Modern
L’énoncé suivant est très joli et, là encore, due à Juris Čerņenoks et utilise un polyo- Computing, vol. 6(2),
sa démonstration astucieuse se fait sans ordi- mino de 48 carrés. La seconde, trouvée indé- pp. 96-106, 2018
nateur. Il concerne les trous dans les tétrades à pendamment par Frank Rubin et Karl Scherer, (https://doi.org/10.22364/
bjmc.2018.6.2.01).
base de polyominos. On peut souhaiter qu’il n’y utilise un polyomino de 34 carrés. Il faut soit
ait pas de trou comme précédemment, mais on prouver que ce record actuel est indépas- J. Čerņenoks et A. Cibulis,
peut aussi se demander s’il est possible de faire sable, soit l’améliorer (voir l’encadré 7). Application of IT in
un trou d’une forme donnée à l’avance. Bien sûr, Énigme 2. Existe-t-il des polyominos ayant mathematical proofs and
in checking of results
un trou dans une tétrade faite de polyominos a un axe de symétrie et donnant une tétrade sans of pupils’ research, Proc.
nécessairement la forme d’un polyomino lui- trou qui a elle-même un axe de symétrie ? of the 6th Intern. Conf. on
même sans trou. Le très beau résultat de Juris Énigme 3. Existe-t-il des polyominos ayant Applied Inform. and Comm.
Čerņenoks et Andrejs Cibulis est : « Tout polyo- un centre de symétrie et donnant une tétrade Technologies, Jelgava,
mino sans trou est la forme d’un trou pour une sans trou ? Latvia, pp. 172-177, 2013
(http://alephfiles.rtu.lv/
tétrade faite de polyominos » (voir l’encadré 5 Avant d’attaquer les énigmes 2 et 3, notez TUA01/000040029_e.pdf).
pour la démonstration). bien les tétrades déjà connues et présentant
des symétries. Le dessin a de l’encadré 8 A. Cibulis et J. Čerņenoks,
TROUS SIMPLES montre une tétrade ayant un axe de symétrie, Tetrads – it is not so easy,
MCG Newsletter, n° 3,
Toujours à propos des trous d’une tétrade mais le polyomino qui l’engendre n’en a pas. pp. 23-28, 2012 (www.
formée de polyominos, on peut considérer les Le dessin b montre le plus petit polyomino brgkepler.at/~geretschlaeg/
trous les plus simples possible et rechercher ayant un axe de symétrie et pouvant engendrer MCG_Newsletter_3.pdf).
pour chacun le polyomino le plus petit pos- une tétrade, mais celle-ci a des trous. Le des-
sible permettant la construction d’une tétrade sin c montre le plus petit polyomino doté d’un M. Gardner, Penrose tiles to
trapdoor ciphers, chap. 9,
ayant ce trou. Pour tous les trous de 1, 2, 3 et centre de symétrie, mais la tétrade a des trous. The Mathematical
4 carrés, l’encadré 6 donne la réponse, trouvée L’objectif d’améliorer les résultats du Association of America, 1997.
par ordinateur. tableau donné plus haut, pour aller au-delà
Comme tout bon sujet de mathématiques, de 17, semble accessible. Si vous y parvenez Pages web de G. Sicherman :
www.recmath.org/PolyCur/
celui des tétrades a ses énigmes non résolues. ou si vous résolvez l’une des trois énigmes, tetrads/tetrads.html,
En voici trois d’une difficulté raisonnable que prévenez-moi, vos résultats seront publiés https://userpages.
nous invitons les lecteurs à attaquer. dans une prochaine rubrique. monmouth.com/~colonel/
L’AUTEUR
LOÏC MANGIN
rédacteur en chef adjoint
à Pour la Science
La Pierre
iDÉaLe DU
FaCTeUr
CHevaL
l’art naïf, le « Palais idéal du facteur
Une pierre particulière fut le déclencheur de la
Cheval », de 12 mètres de hauteur et 26 de
construction du chef-d’œuvre de l’art naïf le Palais longueur, fut admiré par Pablo Picasso,
idéal du facteur Cheval. Qu’a-t-elle de si étonnant ? mais aussi André Breton, Jean Tinguely,
Max Ernst, Robert Doisneau…
A
Attardons-nous sur celle par qui tout
de Tersanne, petite commune de quelques a commencé, la pierre dite « d’achoppe-
centaines d’habitants, l’employé des ment » par Ferdinand Cheval. Elle res-
Postes trébuche et tombe à terre. semble à une série de piles d’assiettes,
Son pied vient de heurter une pierre. dont les couleurs s’étirent du gris à l’ocre.
Il notera plus tard : « Elle représente une De quel minéral s’agit-il et quels proces-
sculpture aussi bizarre qu’il est impos- sus géologiques ont pu présider à une
sible à l’homme de l’imiter. » La pierre telle formation ?
scellera le destin de l’homme, car elle Selon Didier Nectoux, directeur du
fera de lui, Ferdinand Cheval, un archi- musée de l’École des mines, à Paris, ce
tecte et un maçon qui passera 33 ans de serait un grès. Il témoigne de dépôts
sa vie à bâtir à la chaux, au mortier et au sableux successifs dans une dynamique
ciment un monument hors normes, régulière et assez tranquille. Cet empile-
vril 1879, dans la Drôme, à deux pas du mélange détonnant d’inspirations ment a ensuite été enfoui et a subi une
Vercors, un facteur effectue sa longue et biblique, hindoue, égyptienne… nourries diagenèse, c’est-à-dire un ensemble de
harassante tournée à pied sur des che- par les premières cartes postales que le processus physicochimiques par lesquels
mins escarpés autour d’Hauterives. Près préposé distribuait. Chef-d’œuvre de il se transforme en une roche. Plus
donc plus fragiles. sel, sans doute daté du Trias, que Rhône- Pour plus d’informations :
www.facteurcheval.com
Plus largement, en quoi consiste le Poulenc a utilisé pour produire du chlore.
contexte géologique local ? Le territoire Cela a laissé place à d’immenses vides
d’Hauterives, où cette pierre a été trouvée, représentant plusieurs millions de mètres
L’auteur a publié :
et bien d’autres similaires recueillies par cubes. Aujourd’hui, la société Engie Pollock, Turner, van Gogh,
la suite par le facteur, se situe à la limite stocke dans ces réservoirs naturels vermeer et la science…
nord de la formation argilocaillouteuse de étanches du gaz naturel sous pression. (Belin, 2018)
LES AUTEURS
DU GraNiTÉ
POUr BieN
PaTiNer
Un bon lubrifiant est un fluide de viscosité élevée.
Ce n’est le cas ni de la glace ni de l’eau liquide. Et pourtant,
on glisse sur la glace comme sur une couche d’huile !
Des expériences récentes ont résolu l’énigme.
D
epuis le xixe siècle, on soit par de l’huile. Chacun aura constaté
avait l’intuition que, qu’il est bien plus facile de remuer de
lorsqu’on glisse sur de la l’eau avec une cuillère que de l’huile. La
glace, la surface de celle- raison en est que la viscosité, la grandeur
ci se couvre d’un film très physique qui exprime combien un fluide
mince d’eau liquide qui résiste à sa mise en mouvement quand on
évite le contact solide-solide et le lubrifie, le « cisaille », est bien plus faible pour
même lorsque la température est infé- l’eau (1 millième de pascal · seconde) que
rieure à 0 °C. Pourtant, pour les physi- pour l’huile (environ 0,08 pascal · seconde
ciens, ce phénomène restait mal compris pour l’huile d’olive à 20 °C, par exemple, Plutôt qu’une semelle de chaussure,
car l’eau, contrairement à l’huile, est en soit 80 fois plus !). trop souple et dont la déformation vien-
pratique un très mauvais lubrifiant. drait compliquer la situation, considé-
Les expériences toutes récentes du LUBRIFICATION À L’HUILE rons un cube de métal posé sur un sol plat
groupe de Lydéric Bocquet, physicien du OU À L’EAU ? et horizontal, métallique lui aussi pour
CNRS à l’École normale supérieure, à Pourtant, un piéton, par exemple, simplifier l’analyse.
Paris, résolvent le paradoxe. Elles risque bien plus de glisser sur une flaque Lorsque les surfaces en contact sont
montrent que le film n’est pas aussi d’huile que sur une flaque d’eau. sèches, le frottement est un « frottement
liquide que l’on croyait, mais a une Autrement dit, l’huile frotte davantage solide ». Cela signifie que si l’on pousse le
© Illustrations de Bruno Vacaro
consistance proche du granité, mélange sur un solide (la cuillère), mais réduit cube avec une force trop faible, il ne glisse
de glace pilée et d’eau. Cela en fait un bien mieux le frottement entre deux pas, mais reste bloqué sur le sol. Ce phé-
meilleur lubrifiant, comme nous allons solides (le sol et la chaussure), ce qui en nomène a pour origine la rugosité des
l’expliquer. fait un meilleur lubrifiant. Pour com- surfaces à l’échelle microscopique. À
Pour bien saisir le paradoxe, exami- prendre pourquoi et être plus quantitatif, l’échelle du millième de millimètre,
nons quelques situations où la surface il est nécessaire de s’intéresser à ce qui se même les surfaces qui nous apparaissent
d’un solide est mouillée soit par de l’eau, passe à l’échelle microscopique. lisses présentent des aspérités. Aussi,
Plaque
en mouvement
Vitesse de la plaque
Fluide
Vitesses au sein
du fluide
Plaque immobile
lorsqu’on pose un solide sur un autre, faible, est plus grande que la hauteur Pour une surface de 250 centimètres car-
sommets et creux des deux surfaces s’im- maximale des rugosités, il n’y a plus rés (celle d’un pied), une vitesse de dépla-
briquent en partie, d’où une résistance au aucun contact entre les solides, donc cement de 1 mètre par seconde, typique
glissement. C’est lorsque la force exercée plus de blocage. Dans ce cas, même la de la marche, et une épaisseur de fluide
devient suffisante pour déformer ces plus infime force mettra le bloc en de 2,5 millimètres, la force de frottement
aspérités que le glissement se produit. mouvement. visqueux vaut 0,01 newton pour de l’eau
Lorsque les surfaces ne sont pas Ce mouvement crée aussi un écoule- et 0,8 newton pour de l’huile d’olive (soit
sèches, tout dépend de la quantité de ment dans le fluide, puisqu’au niveau du le poids de 80 grammes).
fluide présente (voir l’encadré page sui- sol, sa vitesse est nulle, tandis qu’au Ainsi, pas de doute : l’huile frotte plus
© Illustrations de Bruno Vacaro
vante). S’il y a trop peu de fluide, celui-ci niveau de la face inférieure du bloc, elle que l’eau. Mais attention, c’était sans se >
se loge dans les cavités logées entre les est égale à la vitesse du bloc. La résistance
deux surfaces. La situation n’est finale- au mouvement est alors due uniquement
ment guère changée et l’on reste dans une à la viscosité du fluide. La force engen- Les auteurs ont
récemment publié :
situation de frottement solide. drée est proportionnelle à la surface de en avant la physique !,
En revanche, lorsque l’épaisseur de la contact, à la viscosité et à la variation de une sélection de leurs
couche fluide entre les surfaces, quoique vitesse du fluide (voir l’encadré ci-dessus). chroniques (Belin, 2017).
N° 506 (déc. 19) N° 505 (nov. 19) N° 504 (oct. 19) N° 503 (sept. 19) N° 502 (août 19) N° 501 (juillet 19)
réf. PL506 réf. PL505 réf. PL504 réf. PL503 réf. PL502 réf. PL501
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L’AUTEUR
HERVÉ LE GUYADER
professeur émérite de biologie
évolutive à Sorbonne Université,
à Paris
LeS GÈNeS
PerDUS
DeS BaLeiNeS
Comment les cétacés se sont-ils adaptés à une vie
exclusivement marine ? En perdant certaines fonctions
avantageuses pour les mammifères terrestres, grâce
à une extinction très ciblée de certains gènes.
E
n 1943, André Lwoff, microbio- facteurs n’était autre qu’une molécule
logiste à l’institut Pasteur et produite par la plupart des cellules, le
futur Prix Nobel, publia un nicotinamide adénine dinucléotide
ouvrage qui lui attira de nom- (NAD), et intervenant dans le métabo-
breuses critiques parmi les lisme cellulaire.
évolutionnistes français. Sous Lwoff avait alors compris que tous ces
le titre L’Évolution physiologique : étude des facteurs sont des molécules indispen- La baleine à bosse
pertes de fonctions chez les microorganismes, sables à n’importe quelle cellule, mais que est une espèce de cétacé
à fanons.
il y démontrait que, chez les microorga- seules certaines cellules les synthétisent.
nismes, l’évolution s’accompagne sou- Les autres doivent les trouver dans leur
vent d’une perte de capacités. Comment milieu. Dans son livre, il postulait donc
en était-il arrivé là ? Pour étudier les orga- que ces dernières avaient perdu la capa-
nismes unicellulaires – les « protistes » –, cité de synthétiser ces molécules. L’idée
il faut les cultiver. Or, si certaines espèces affronta une grande hostilité, car pour la
© Dolly Holmes/the Noun Project
milieu de culture, d’autres ne prospé- devait être que progrès, c’est-à-dire ajout
raient que si l’on ajoutait à ce milieu ou amélioration. Depuis, elle a été large-
diverses molécules, nommées « facteurs ment confirmée chez les protistes.
de croissance ». En s’intéressant à ces Toutefois, son élargissement aux ani- Hervé Le Guyader
a récemment publié :
facteurs, Lwoff avait montré tout d’abord maux et aux végétaux restait anecdo- L’Aventure de
que beaucoup étaient des vitamines. tique… jusqu’à ce qu’une récente étude la biodiversité,
Puis il avait trouvé que l’un de ces sur les cétacés la réanime. (Belin, 2018).
2
En plongée, la fréquence cardiaque
de la baleine bleue peut descendre
jusqu’à 2 battements par minute,
selon une récente étude menée par Jeremy
Goldbogen, à l’université de Stanford,
et ses collègues. On estime que le cœur
d’une baleine de 70 tonnes pèse
319 kilogrammes et éjecte environ
80 litres de sang par battement.
« bipède » aquatique, laquelle s’est produite tère. En guise de validation, les cher-
au cours de l’Éocène, il y a environ 50 mil- cheurs ont ensuite vérifié que ces 85 gènes
lions d’années. Toutefois, les fossiles n’ont étaient bien inactivés chez deux autres
Baleine à bosse
évidemment rien révélé sur l’évolution odontocètes (le béluga et le dauphin de
(Megaptera novaeangliae)
Longueur : 13-14 m (mâle) physiologique de ces singuliers animaux. Chine) et un mysticète (la baleine
et 15-16 m (femelle) C’est à l’étude de cette évolution que boréale). Les fonctions de ces 85 gènes
Poids : 25 à 30 t en moyenne s’est récemment attelée une équipe étant connues chez l’homme et la souris, >
L
es cétacés (baleines, Chiroptères
guine, favorisent la formation du caillot.
dauphins, cachalots…)
Or, au cours de la plongée, les cétacés pré- sont des mammifères Périssodactyles
sentent une baisse de leur rythme car- qui appartiennent à l’ordre
diaque, une réduction du débit sanguin et des cétartiodactyles, où ils Scrotifères
côtoient les tylopodes Carnivores
une vasoconstriction périphérique. La
(chameaux, dromadaires…),
fréquence de ces phénomènes augmente Ferae
les suines (porcs, Pholidotes
le risque de thrombose, c’est-à-dire de for- pécaris…), les ruminants Fereongulés
mation d’un caillot dans les vaisseaux san- (bovins, caprins,
guins. Chez la souris, inactiver ces deux girafes, cerfs…) et Tylopodes
gènes diminue le risque de thrombose. La les hippopotames, dont
ils sont les plus proches.
perte de fonction de ces deux gènes chez Les cétacés sont ainsi Cétartiodactyles Suines
les cétacés leur est donc bénéfique, d’au- plus proches des chameaux
tant plus qu’elle n’empêche pas la forma- que d’autres mammifères Ruminants
tion de caillot lors d’une blessure. aquatiques, comme
les lamantins (hors
de l’arbre ci-contre), Cétruminants Hippopotamidés
DES POUMONS PLUS ÉLASTIQUES ou semi-aquatiques,
Autre exemple : lors d’une plongée comme les phoques. Whippomorphes
Cétacés
profonde, les poumons des cétacés col-
lapsent. Ainsi, le volume des poumons
d’un grand cachalot de 15 mètres n’est
que de 7,5 litres à 1 000 mètres de profon-
deur, alors qu’il est de 750 litres en sur- que les cétacés ne peuvent dormir comme
face. De plus, ces animaux réalisent, à leur les mammifères terrestres, puisqu’ils
remontée, une « expiration explosive » : ils doivent venir régulièrement respirer à la
vident 90 % du volume de leurs poumons surface. On sait comment le problème a
en un souffle. Or Michael Hiller et ses col- été résolu : un seul hémisphère cérébral
lègues ont remarqué qu’un gène jouant dort, tandis que l’autre assure les fonc-
un rôle spécifique dans le système respi- tions essentielles de survie (voir Pour la
ratoire, le gène MAP3K19, est devenu Science n° 506). Or les gènes AANAT,
inactif chez les cétacés. ASMT, MTNR1A et MTNR1B, indispen-
© The Noun Project/Tatyana, Matthew S Hall, Abby, Samsul Rizal, Ealancheliyan s, Pariphat Sinma, TRAVIS BIRD, parkjisun
Chez l’humain, ce gène s’exprime sables pour la synthèse et l’action de la
dans diverses cellules des bronches et sa mélatonine, l’hormone du sommeil, ont
surexpression est impliquée dans le carrément été perdus chez les cétacés.
développement de la bronchopneumo- Ces pertes ont rendu possible ce mode de
pathie chronique obstructive, une mala- sommeil et ont entraîné un découplage
die due à la cigarette. Or l’inflammation entre le cycle jour-nuit et le cycle som-
induite entraîne la dégradation de l’élas- meil-veille qui, suivant des études sur les
tine, une protéine qui confère son élasti- dauphins, est plutôt corrélé à celui de
cité aux tissus pulmonaires. Le vidage présence-absence des proies. BIBLIOGRAPHIE
des poumons est alors très incomplet, vu
M. Huelsmann et al., Genes
la perte d’élasticité des tissus. Chez les DES GÈNES PERDUS
lost during the transition
cétacés, en revanche, l’inactivation du INDÉPENDAMMENT from land to water
gène MAP3K19 préserve le réseau colla- D’autres fonctions sont touchées par in cetaceans highlight
gène-élastine et donc le souffle. le même processus évolutif : réparation genomic changes
Ce gène est aussi surexprimé chez les de l’ADN, sécrétion de la salive… associated with aquatic
adaptations, Science
patients atteints de fibrose pulmonaire, Impossible de tout décrire. Mais n’ou- Advances, vol. 5,
un excès de tissu conjonctif dans les pou- blions pas un fait capital remarqué par article eaaw6671, 2019.
mons qui serait dû à une réparation anar- Michael Hiller et son équipe : indépen-
chique. Or, si l’on inhibe le gène chez des damment, d’autres mammifères aqua- R. Albalat et C. Cañestro,
Evolution by gene loss,
souris, elles développent moins de tiques (les lamantins) ou semi-aquatiques
Nat. Rev. Genet., vol. 17,
fibroses. Son inactivation chez les cétacés (les pinnipèdes, tels que les phoques) ont pp. 379-391, 2016.
les protégerait donc, eux dont les pou- perdu certains de ces gènes (on parle de
mons sont particulièrement sujets aux convergence). Assurément, on va main- M. R. McGowen et al.,
microblessures du fait de l’amplitude de tenant rechercher un tel processus évo- Molecular evolution
tracks macroevolutionary
leurs mouvements respiratoires. lutif à chaque fois que le génome complet transitions in Cetacea,
Le sommeil des cétacés est aussi le d’un animal assujetti à un environnement Trends Ecol. Evol.,
fruit de pertes de fonctions. Il est évident particulier sera séquencé. n vol 29(6), pp. 336-346, 2014.
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