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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

Journal des africanistes


85-1/2 | 2015 :
Sur les pas de Geneviève Calame-Griaule
Études et recherches

Patrimoine culturel et identité


nationale : construction
historique d’une notion au
Sénégal
Cultural Heritage and National Identity: historical construction of the concept in Senegal

A D
p. 312-357

Résumés
Français English
Cet article s’inscrit dans une réflexion engagée depuis plusieurs années, dans le cadre de mes
travaux académiques, sur le patrimoine (culturel et naturel) et les processus de
patrimonialisation au Sénégal. Cette présentation examine la trajectoire du patrimoine culturel
dans la construction de l’État sénégalais colonial et post-indépendance. Elle interroge les
politiques culturelles étatiques trop souvent déconnectées des réalités vécues par les populations.
Il s’agit ici d’essayer de comprendre la dualité dans l’appropriation de patrimoines culturels au
Sénégal. La discussion tourne autour des enjeux culturels ou politiques de mises en scène et de
normalisation du patrimoine. Elle tente de comprendre les logiques de patrimonialisation par les
différentes autorités politiques sénégalaises. Enfin, l’analyse interroge la représentation du
patrimoine culturel par les Sénégalais.

This article is part of an investigation initiated several years ago, as part of my academic research
into Senegal’s cultural and natural heritage and the process of heritagization in Senegal. The
paper examines the trajectory of cultural heritage during the construction of the Senegalese State
in the colonial and post-independence periods. It questions the government’s cultural policies,
which are all too often disconnected from the realities experienced by the population. The aim
here is to try to understand the duality in the appropriation of cultural heritage in Senegal. The
discussion focuses not only on the cultural or political stake-holders in the staging and legislation
of heritage, but also on the logic of heritagization pursued by various Senegalese political
authorities. Finally, the analysis looks at the Senegalese people’s representation of the concept of
heritage.

Entrées d’index
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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

Mots-clés : patrimoine, patrimonialisation, identité, mémoire, histoire, nation


Keywords : heritage, heritagization, identity, memory, history, nation

Texte intégral
1 Depuis la démolition volontaire des statues bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan en
2001 (par les talibans du mollah Mohamed Omar), la problématique de la préservation
du patrimoine culturel ainsi que celle de l’irrédentisme religieux sont des questions qui
font l’actualité, et plus particulièrement dans les pays en crise politique comme le Mali,
l’Égypte, le Nigéria, la Somalie, le Soudan, la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan. Les
partisans d’un certain irrédentisme religieux instrumentalisent, à leur manière, la
question de la préservation du patrimoine culturel – qui est déjà un enjeu international,
politique, médiatique, commercial, voire identitaire – au centre des discours, réflexions
et débats des médias, des recherches académiques, des instances officielles, des
décideurs et faiseurs d’opinion (dirigeants et opposants politiques, assemblée des
Nations unies, OTAN, Unesco). Ailleurs, comme au Sénégal, suivant des enjeux socio-
économiques, des destructions irréversibles de sites archéologiques et de monuments
historiques sont provoquées par des phénomènes d’origine anthropique. Les problèmes
de la préservation du patrimoine culturel ainsi que les logiques de repli identitaire,
souvent complexes et transversales, paraissent avoir, le plus souvent, des racines dans
les mémoires historiques. Les traitements négatifs et défavorables que des individus
font subir à des éléments du patrimoine culturel matériel incitent à interroger,
brièvement, la notion de patrimoine1.
2 Étymologiquement, le patrimoine est l’ensemble des biens que l’on tient par héritage
paternel. Il s’agit, à l’origine, de la propriété transmise de génération en génération : les
biens publics, le trésor ou le chef-d’œuvre, les choses rares et somptueuses n’en font
alors pas partie. La notion de patrimoine correspond à un legs qu’il convient de
préserver et de transmettre. La conservation de témoignages sensibles de cultures
anciennes, qualifiés de « monuments historiques », devient un enjeu politique et social
en Europe à partir du XVIe siècle (Sinou 2001). Au lendemain de la Révolution
française de 1789 et de son cortège de destructions de biens, singulièrement
ecclésiastiques et nobiliaires, s’opère une nouvelle conception patrimoniale se référant
à l’histoire et aux arts. Ainsi, par-delà leurs propriétaires en titres, certains biens
historiques et culturels appartiennent au patrimoine collectif de la nation (Thiesse
2005). Cette forme de patrimonialisation est née d’une prise de conscience de la
nécessité de préserver les témoignages du passé, essentiellement matériels et
monumentaux, expression du bien commun de la nation et de sa grandeur. Elle se
développe en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, avec une importante évolution de son
acception (Thiesse 1998, Desvallées 1998). Le concept de « patrimoine », qui émerge
dans un contexte spécifique, est donc lié, à l’origine, à un système culturel très
particulier, et ne prétend pas alors à l’universalité. La notion de patrimoine connaît son
apogée au courant du XXe siècle. À l’échelle des organismes internationaux2, se forge
l’idée de l’existence d’un patrimoine à valeur universelle, dépassant le cadre des
nations.
3 Le patrimoine, c’est ce qui constitue le bien matériel ou immatériel dont l’une des
caractéristiques est de permettre d’établir un lien entre les générations tant passées que
futures. Le patrimoine culturel recouvre des manifestations diverses, tant matérielles
(tels les sites et monuments, les paysages culturels, les objets d’art) qu’immatérielles
(tels les langues, les savoirs et savoir-faire, les folklores). Le mot « patrimoine », dans
son acception récente, réunit un ensemble d’objets naguère désignés séparément
(notamment les monuments historiques, les œuvres d’art, les sites, les folklores). Et le
mot « patrimoine » qui permet de rassembler des éléments relevant des monuments
historiques, de la défense des traditions, de la protection des sites ou du cadre de vie,
n’est utilisé que depuis quelques décennies (Desvallées 1998). Le « patrimoine
culturel » est une notion relative et complexe de par sa composition et l’usage qui peut
en être fait.

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4 Le modèle occidental de conception patrimoniale, tel qu’il a pu être projeté au


lendemain de la Révolution française, aujourd’hui mondialisé, reste déterminant sur
l’acception de la notion de patrimoine telle qu’elle a été développée dans les milieux
intellectuels et institutionnels, en dépit d’une prise en compte de plus en plus large des
cultures vivantes. Les enjeux actuels (politiques et socioculturels) d’instrumentalisation
du patrimoine, lisibles dans les revendications identitaires et l’irrédentisme religieux,
paraissent remettre en cause l’universalisation du modèle occidental de
patrimonialisation. Dans le cas spécifique du Sénégal, les dynamiques de revendication
autonomiste (conflit casamançais) ou de floraison d’associations communautaires
concurrentes sont-elles des conséquences des modèles d’intégration nationale et de
politiques culturelles ? Quelle place le patrimoine culturel occupe-t-il dans ces logiques
de recompositions territoriale, socioculturelle et hégémonique ? Cet article se propose
d’explorer en profondeur quelques pans du diptyque : « patrimoine culturel et identité
nationale » au Sénégal, susceptible d’éclairer la construction des politiques culturelles
étatiques durant les périodes coloniale et postcoloniale, et ses conséquences sur l’«
Homo Senegalensis3 » actuel. La discussion tourne, en premier lieu, autour de la
constitution d’un patrimoine public et des enjeux de patrimonialisation, dans un
contexte de domination coloniale. Le deuxième aspect de la réflexion est axé sur le
patrimoine culturel comme enjeu de construction, de développement et d’unité
nationale du Sénégal postcolonial. Enfin, on s’interroge sur la représentation du
patrimoine culturel par les Sénégalais.

Conception et exhibitions du patrimoine


sénégalais par les autorités coloniales

Genèse de la constitution de monuments


architecturaux et d’un patrimoine public
5 La fondation de la colonie du Sénégal4, à partir de 1816, est précédée puis poursuivie5
par la mise en place d’un important dispositif stratégique qui a pour but de faciliter
l’exploration profitable du territoire, sa conquête, sa défense et son organisation. Ce
dispositif se traduit d’abord par l’édification d’ouvrages de type militaire (tels les forts
et fortins, les postes militaires, les tours de guet ou autres ouvrages similaires) et la
réappropriation du patrimoine architectural construit pendant la période de la traite
atlantique. Les besoins de fonctionnement de la machine coloniale française6
entraînent alors la création d’infrastructures administratives, civiles, industrielles et
religieuses (à titre d’exemple, les bâtiments administratifs, écoles, voiries, chemins de
fer et gares, hôpitaux, églises et mosquées) – souvent analogues à celles en usage dans
la métropole –, notamment dans les zones qui offrent des avantages stratégiques et
économiques exploitables (Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque). Ces besoins
favorisent aussi l’importation et le développement d’une nouvelle culture, qualifiée de
coloniale7. Celle-ci se traduit par l’usage de nouveaux produits, techniques, matériaux,
conceptions spatiales ; et par l’adoption d’une nouvelle esthétique et d’un nouvel art
(culinaire, vestimentaire, ornemental, musical). L’objectif du colonisateur est de
modifier les habitudes profondes des « indigènes8 » et d’essayer de les rapprocher
sensiblement de sa conception des normes de vie socioculturelles.
6 Ces éléments nouveaux, importés de l’Europe ou des autres possessions coloniales
françaises, se sont imposés dans la colonie du Sénégal. Ils ont progressivement
concerné les conceptions et usages de l’espace urbain, les habitudes, les
comportements, les modes de vie, l’habillement, la parure, la parfumerie,
l’alimentation, l’art. Les nouvelles valeurs coloniales (architecturales, vestimentaires,
esthétiques et de vie morale) sont d’abord adoptées et/ou adaptées par la communauté
métisse ou les mulâtres, et par certains habitants des Quatre Communes du Sénégal
(Dakar, Saint-Louis, Gorée, Rufisque9) – habitants appelés les « originaires », les

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« évolués » ou les « assimilés ». Puis, progressivement, une frange importante de la


population urbaine autochtone s’approprie ces valeurs. L’importation et l’adoption de la
culture coloniale engendrent de nouvelles identités sociales, culturelles, mémorielles,
intellectuelles, spatiales, patrimoniales, à caractère essentiellement urbain. Ces
nouvelles identités, à leur tour, instaurent des distinctions au sein de la population
colonisée et des espaces de vie de chacun : citoyens et sujets français, lettrés
francophones et arabophones ou illettrés, ruraux et citadins, quartiers résidentiels et
banlieues, architecture moderne/européenne et architecture locale10.
7 Au fil du temps, certaines constructions réalisées au Sénégal pour des besoins
administratifs, militaires, civils ou industriels sont perçues par les colonisateurs comme
des biens patrimoniaux11. Ces derniers deviennent un rouage important dans la
politique coloniale de préservation du patrimoine historique et culturel. Ces
monuments architecturaux sont considérés comme patrimoine parce que témoins
d’une mémoire coloniale12. Ils sont ainsi classés – par le gouvernement colonial – sur la
liste des monuments naturels et des sites historiques de l’Afrique occidentale française
(AOF)13.

Il est établi dans chaque colonie, pays de protectorat ou territoire sous mandat,
relevant du ministère des Colonie, une liste de biens immobiliers, une liste de
monuments naturels ou de sites dont la conservation et la préservation présentent
un intérêt historique, artistique, scientifique, légendaire ou pittoresque14.

8 L’inscription sur ces listes est prononcée par arrêté du chef du territoire, sur
proposition de la Commission des monuments historiques et des arts indigènes. La liste
de classement des monuments et sites est publiée au Journal officiel de l’AOF.

Inventaire des traditions historiques orales


9 Par ailleurs, le souci de mieux connaître et faire connaître les sociétés à assimiler
conduit à la collecte, la transcription et l’étude des langues, coutumes et mœurs
indigènes (qui constituent les principaux traits du patrimoine culturel15), en tant que
matériau essentiel à cette démarche. Le besoin de satisfaire une curiosité intellectuelle
voire scientifique, associé aux nécessités de l’administration, ont amené des militaires
et des administrateurs coloniaux à se distinguer dans la recherche anthropologique et
ethnologique : on peut citer, à titre illustratif, les rapports et études de Roger (1828,
1829), Carrère et Holle (1855), Faidherbe (1859, 1882, 1887),
10 Bérenger-Féraud (1879, 1885), Delafosse et Gaden (1913), Labouret (1929), Vieillard
(1937). Les faits marquants de la vie quotidienne des sociétés soumises sont
inventoriés, traduits en français, étudiés et restitués dans des manuscrits, voire diffusés
dans des monographies, catalogues ou revues scientifiques renommées comme Le
Moniteur du Sénégal, la Revue d’ethnographie, le Bulletin de l’enseignement de
l’Afrique occidentale, le Bulletin du Comité d’études historiques et scientifiques de
l’AOF, le Bulletin de l’IFAN, les Notes africaines.
11 Cela traduit une nouvelle forme de patrimonialisation16 des langues, des us et
coutumes de différents groupes ethnolinguistiques. Ceux-ci sont désormais étudiés,
fixés sous la forme écrite, et archivés, en vue de permettre une meilleure connaissance
des autochtones et de constituer une mémoire coloniale. Certaines langues et coutumes
sont menacées d’altération en raison de la place prépondérante accordée à l’écrit par le
pouvoir colonial (notamment dans l’administration et l’enseignement) et, surtout, des
dynamiques profondes des sociétés soumises entraînées par les références et valeurs
importées. On peut remarquer les contradictions des colonisateurs par rapport aux
cultures africaines. D’une part, ils ont œuvré à étouffer, déstabiliser des symboles et
valeurs autochtones dans le but d’imposer le pouvoir colonial et la politique
d’assimilation culturelle. D’autre part, ils ont contribué à inventorier des langues et
coutumes en vue de connaître, mais aussi de parvenir à unifier et administrer, en les
classifiant, des populations dont les traditions orales étaient considérées par les
ethnologues comme vouées à disparaître.

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12 Au Sénégal, des militaires et des administrateurs coloniaux (notamment Faidherbe,


Binger, Houdas, Delafosse, Clozel, Gaden), en plus des chercheurs de l’IFAN
(particulièrement Théodore Monod, Raymond Mauny, Charles et Vincent Monteil) ont
grandement contribué à cette opération pionnière de patrimonialisation des sources
orales africaines. Leurs travaux constituent, entre autres, des sources incontestables
pour la recherche dans le domaine de l’histoire, de la sociologie et de la culture des
sociétés sénégalaises. L’IFAN de Dakar a l’honneur de conserver des fonds de
documents manuscrits, écrits ou recueillis par des administrateurs français ou par leurs
collaborateurs : il s’agit des fonds Brévié, Figaret, Vieillard et Kamara (Diallo 1966).

Nouveau regard sur la « culture matérielle » des


indigènes
13 Parallèlement au recueil des langues et traditions, sont effectuées des collectes
d’objets ethnographiques des populations locales, qui renforcent les premières
collections des « cabinets de curiosités » du XVIe ou du XVIIIe siècle. D’abord le fait des
missionnaires et des marchands des Compagnies commerciales européennes (du XVIe
au XVIIIe siècle), les collectes d’objets ethnographiques du Sénégal sont poursuivies par
des militaires et administrateurs coloniaux lors des expéditions militaires organisées
dans ce pays dans le cadre de la conquête, la défense et l’extension du territoire colonial
français. Ainsi se constituent des collections privées, symbolisant des prises de guerre,
ramassées dans les champs de bataille ou acquises (que ce soit par don, échange ou
« confiscation » : les trésors des souverains vaincus sont « confisqués »). Ces collections
de trophées de guerre, expédiées vers la métropole, sont ensuite remises en donation à
des institutions muséologiques françaises. Elles contribuent donc à renforcer les
collections africaines des établissements muséologiques français.
14 Suivant une dynamique visant à connaître et à évangéliser les populations locales, les
missionnaires17 ont constitué des collections privées d’objets ethnographiques, de
documents écrits et visuels (manuscrits, photographies). L’exemple du Musée africain
de Lyon est à ce titre illustratif. Créé en 1861 par le père Augustin Planque, ce musée
appartient à la Société des missions africaines, fondée en 1856 par Mgr Marion
Brésillac et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. Y sont conservés de
nombreux objets collectés en Afrique occidentale subsaharienne par des missionnaires,
puis rapatriés en France. On recommande aux missionnaires de collecter toute espèce
d’objet usuel ou d’armement des populations autochtones, et de les envoyer en France
accompagnés de quelques mots de notice (Bonemaison 2007). Parmi les collections
privées expédiées vers la métropole, citons les 62 objets collectés au Sénégal par le
lieutenant-colonel Faidherbe, et conservés au Muséum d’histoire naturelle de Lille18.
Indiquons également les donations de Cyprien Monborgne, Reichenberg, Archinard,
acquises par le musée des Arts africains et océaniens (qui prit la suite de l’Exposition
permanente des colonies), par le Musée ethnographique du Trocadéro (futur musée de
l’Homme) et par le Muséum d’histoire naturelle du Havre (Dembélé 2001 ; Mbaye
1995). Parmi les donations conservées au Muséum d’histoire naturelle du Havre,
notons la présence d’une partie des collections d’objets du « Trésor de Ségou », dont le
tambour de l’empire omarien (il servait à diffuser les messages), des armes, divers
matériels d’apparat ou de parade et d’accoutrement19. Ce patrimoine omarien est
capturé par Archinard, le 6 avril 1890, lors de la prise de la ville de Ségou sur Ahmadou,
fils d’El Hadj Omar Tall (1797-1864)20. Ces différentes collections privées et donations
muséologiques (par des missionnaires, militaires ou administrateurs coloniaux)
traduisent un regard nouveau sur ces objets de la culture matérielle indigène, qui se
retrouvent dans des institutions muséales pour y être conservés. Ils sont donc
considérés comme des biens culturels présentant un intérêt esthétique, historique,
scientifique ou artistique.

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Mise en scène et folklorisation des cultures et arts


indigènes
15 Les besoins de la politique coloniale, les projets muséographiques, les expositions
universelles et coloniales, le développement de l’ethnologie et le goût de l’exotisme
intensifient les « campagnes officielles » de collecte de ce qu’on appelle aujourd’hui le
patrimoine culturel africain. Le milieu du XIXe siècle et la première moitié du XXe
siècle correspondent à la glorification de l’entreprise coloniale (aussi bien dans les
colonies qu’en métropole), qui se manifeste par l’organisation d’expositions coloniales
nationales ou internationales21 dans les pays européens et par la création de musées
d’ethnographie22. Cette propagande officielle vise à sensibiliser l’opinion publique sur
l’intérêt économique et culturel de la colonisation, et à susciter le goût de l’exotisme. Il
s’agit de faire adhérer la population métropolitaine à l’idée coloniale, à ses vertus
civilisatrices et humanistes. Les expositions coloniales sont conçues comme de
véritables musées vivants où sont exhibés, dans de présupposés « villages africains »,
des artisans et leur famille, des musiciens, censés être en train de vaquer à leurs
occupations (David 2006). Les expositions coloniales, notamment celle organisée en
1931 à Paris (au bois de Vincennes), ainsi que les institutions muséales, contribuent au
discours de légitimation de la domination coloniale, et d’encouragement du tourisme
(de l’Estoile 2007).
16 Dans le cadre de la politique de mise en valeur des colonies françaises, édictée par le
ministre des Colonies Albert Sarraut, au début des années 1920 (Sarraut 1922), le
gouvernement donne l’impulsion pour la publication des premiers guides touristiques
de l’AOF23. On invite les touristes, en quête d’exotisme, à assister à des spectacles de
danse (à travers les « tam-tams », les « festivités et cérémonies locales »), à rencontrer
des dignitaires indigènes, à acheter des souvenirs artisanaux dans les marchés (tels
Sandaga et Kermel à Dakar), à visiter des monuments coloniaux et les musées (Dulucq
2009)24. La promotion du tourisme exotique est un appel à la découverte des indigènes,
à travers leur culture et leurs arts, à magnifier la politique impériale, mais aussi pour le
développement économique des possessions françaises (de l’Estoile 2007, Dulucq
2009). Dans le cadre des expositions universelles et de la promotion du tourisme
exotique, il y a cette dimension de folklorisation du patrimoine africain. Le colonisateur
sélectionne et fait la promotion de certaines particularités ou manifestations culturelles
qu’il juge être les plus visuelles. Il porte ainsi un regard « prévenu » sur les cultures
africaines, qui se traduit par un processus de simplification visant une vulgarisation des
traditions culturelles. Cette folklorisation de la culture populaire, tout en glorifiant « le
progrès culturel et humanitaire de la colonisation », a aussi pour but de transformer
celle-ci en un produit valorisé, susceptible de susciter le développement économique,
tout comme celui du tourisme culturel. On peut soutenir qu’il y a bien une
instrumentalisation de la culture populaire par les pouvoirs publics, qui tendent à
définir arbitrairement et à fixer leurs normes aux pratiques culturelles des
communautés.
17 Les exigences des établissements scientifiques français occasionnent l’organisation
de missions ethnologiques25 et engendrent une mise en scène des « races et des mœurs
indigènes », notamment à travers des expositions temporaires ou permanentes. Les
arts et cultures des populations se voient ainsi soumis à de nouveaux critères de
définition et de conservation, différents de ceux des autochtones qui les avaient
produits. Cet héritage culturel, qui est dynamique et fonctionnel dans le quotidien des
individus et des collectivités, fait l’objet d’une définition et d’une interprétation
obéissant à une approche scientifique qui se réfère à l’histoire, à la civilisation et aux
arts. C’est ainsi que des objets fonctionnels dans le cadre de traditions socioculturelles
se retrouvent dans un nouveau contexte, figés dans des institutions muséales. À titre
d’exemple, dans les collections du musée Théodore-Monod d’art africain de la place
Soweto, ex-musée de l’IFAN, sont présentés de nombreux objets de Côte d’Ivoire, qui,
ainsi qu’il est noté dans leur notice muséographique, viennent « d’enclos désacralisés
de la région de Korhogo ». Se produit donc un changement de culture, d’usage et de
conservation d’objets ethnographiques indigènes. Cette nouvelle pratique du

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patrimoine et les stratégies de protection des biens culturels s’y associant obéissent aux
mesures et normes en usage dans la métropole26.Elle s’inscrit dans la dynamique
politique, scientifique et culturelle de la France et des nations européennes aux XIXe et
XXe siècles.
18 La notion occidentale de patrimoine – c’est-à-dire allant dans le sens du réflexe de
protection de biens collectifs ou privés comme patrimoine public – traverse ainsi les
frontières sénégalaises par le biais du colonialisme qui tente de construire une nouvelle
identité indigène, à l’image de celle de la mère patrie. L’émergence au Sénégal de cette
notion de patrimoine traduit la reproduction, dans la colonie, du modèle français de
politique culturelle et de protection patrimoniale. Outre la collecte et la conservation
des traditions et coutumes locales, la politique coloniale de sauvegarde du patrimoine
se décline sous diverses formes, telles que la préservation des archives (administratives
et scientifiques) et du patrimoine bâti, les fouilles archéologiques et la muséologie, les
mesures d’appui aux arts indigènes, la création d’institutions culturelles27. Cette notion
de patrimoine introduit de nouveaux éléments, à savoir les objets archéologiques, les
éléments architecturaux, les archives et les musées.
19 On peut prétendre que cette notion de patrimoine n’a de signification et d’intérêt que
pour ceux qui l’ont introduite dans ce territoire. Dans sa politique de préservation du
patrimoine sénégalais ou de l’AOF, il semble que le colonisateur n’ait pas pris en
compte les réalités culturelles locales ainsi que les contextes et milieux d’usage qui
déterminent la valeur sociale, religieuse ou politique de certains objets
ethnographiques. Cela laisse supposer un manque de considération des besoins et des
aspirations des communautés, en vue de la conservation de leur héritage culturel. Le
pouvoir colonial n’admet d’ailleurs, dans aucun domaine de sa politique, de liberté
réelle pour la population indigène, toute autonomie présentant un danger pour
l’entreprise que ce pouvoir entend mener (Mbembé 2006). Ce qui laisse imaginer que
les colonisés ne sont pas, a priori, impliqués dans la préservation de leur héritage
culturel, désormais devenu un patrimoine public. Il semble qu’ils n’ont pas pu faire
paraître, ni faire passer leurs choix, leurs désirs et leurs idées au sujet de la nouvelle
gestion patrimoniale imposée par le pouvoir colonial. Peut-on prétendre vouloir
conserver le patrimoine culturel de différentes communautés, sans les associer à la
gestion de celui-ci, et sans tenir compte de leur propre perception du patrimoine ?
20 La nouvelle notion de patrimoine accorde aux biens culturels une autre valeur,
différente de celle de leur contexte de production et de fonctionnalité, sans réellement
tenir compte des réalités et des pratiques socioculturelles existantes. Les sociétés
sénégalaises sont caractérisées par l’oralité dans la transmission des savoirs, des
techniques, des valeurs, des traditions et des symboles culturels. Les chefs de
collectivités, les griots, les féticheurs, les devins, les gardiens de lieux de culte, les
artisans, les marabouts, les penseurs et les personnes âgées représentent les sages, les
artistes et les intellectuels ayant le privilège de conserver et de véhiculer le patrimoine
communautaire28. Mais dans ce mode oral de transmission des connaissances et des
pratiques, très souvent, les paroles invoquent et commandent des objets usuels, des
gestes, des espaces et des espèces qui leur sont intrinsèquement liés. Ce qui fait que le
patrimoine oral ou immatériel renvoie à une multitude d’éléments tangibles qui
relèvent du patrimoine technique, artistique ou architectural29. Par ailleurs, dans les
sociétés sénégalaises, l’espace n’est pas conçu avec des structures architecturales
durables, mais plutôt avec des matériaux périssables (végétaux, terre, bois) et
renouvelables30. Le modèle occidental de patrimonialisation importé et mis en œuvre
au Sénégal par le colonisateur traduit, là encore, une méconnaissance de la signification
profonde ainsi que du fonctionnement des signes culturels autochtones. Ceci n’est pas
étonnant, car la notion de patrimoine est transférée dans le territoire sénégalais non
pas pour promouvoir les éléments d’une culture locale – d’ailleurs longtemps niée et
étouffée par le colonialisme –, mais pour satisfaire d’abord les besoins et les ambitions
de l’impérialisme colonial. La gestion patrimoniale menée au Sénégal par l’autorité
coloniale relève de stratégies et mécanismes d’exploitation de la colonie, d’imposition
de nouvelles valeurs et de déstabilisation des références culturelles autochtones. Pour
dominer les autochtones et assurer le prestige impérial, il fallait réajuster leurs espaces
et repères culturels, développer un dispositif permettant de les assujettir, de mieux les
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connaître, de les assimiler. En ce sens, la protection et les mises en scène des signes
culturels locaux ne sont pas sans liens avec les visées coloniales ; elles s’inscrivent dans
le programme politique, intellectuel et artistique de la France. Le colonisateur introduit
au Sénégal le concept de patrimoine suivant des préoccupations d’ordre économique,
politique, ethnographique et pédagogique. Dans cette logique, il sélectionne et
détermine ce qui doit être préservé, valorisé comme patrimoine public, et impose ses
propres normes. L’étude et la préservation des cultures locales permettent de mieux
connaître les populations locales, d’administrer les territoires, de favoriser l’attrait des
touristes, d’instruire l’élite urbaine indigène et de faire la propagande de l’idéologie
coloniale. Ce modèle de politique culturelle est-il poursuivi ou remis en cause au sortir
de l’ère coloniale, avec l’accession du Sénégal à l’indépendance, en 1960 ?

Le patrimoine culturel comme socle de


construction de la nation indépendante

L’intégration nationale par la culture :


réappropriation sélective des héritages
21 Avec l’indépendance du Sénégal, l’élite intellectuelle et politique est soucieuse
d’assurer la cohésion des différentes communautés nationales. Elle se préoccupe aussi
d’asseoir la nouvelle identité de la nation indépendante sur d’autres bases, et non
uniquement sur celles léguées par le système colonial. L’un des objectifs principaux est
de revaloriser l’histoire précoloniale – notamment les traditions aristocratiques
glorieuses – et les valeurs identitaires marginalisées par la colonisation. À cet égard, la
culture reste mise en avant dans le discours politique et la devise du développement
national. La construction du nouvel État prend comme soubassement la réintégration
ou la réadaptation et la patrimonialisation officielle des symboles et valeurs
emblématiques hérités des ancêtres et du passé négro-africain. Il s’agit, à travers la
production de récits historiques légitimant la négritude senghorienne, d’affirmer une
identité collective enracinée dans un passé commun. La construction de la jeune nation
capitalise aussi le legs colonial dans le domaine socioculturel, administratif,
institutionnel, infrastructurel et intellectuel. Elle s’inscrit dans la dualité entre
construction et reconstruction à la fois des mémoires, des héritages et de l’identité du
Sénégal. Dans cette entreprise, les autorités ont mobilisé les patrimoines culturel et
identitaire.
22 Dans sa politique culturelle intense qui tourne autour de la dialectique
« enracinement et ouverture31 », Léopold Sédar Senghor – président élu en 1960, en
fonction jusqu’au 31 décembre 198032 – expérimente ses visions sur la négritude et le
panafricanisme. Son gouvernement s’attelle à la mise en valeur et à la restructuration
des mémoires historiques et des potentiels patrimoniaux. C’est ainsi que l’État
sénégalais indépendant se dote d’une nouvelle symbolique nationale qui se substitue à
celle qu’a imposée le colonisateur français. Cette nouvelle symbolique, tout en puisant
dans l’histoire et le patrimoine local, prône aussi l’unité par rapport à la diversité
socioculturelle sénégalaise. Les autorités créent alors une nouvelle devise (« Un peuple,
un but, une foi ») ; un autre drapeau33 ; un nouveau sceau (avec la symbolique du lion,
de l’étoile et du baobab) ; un hymne national et un hymne de la jeunesse (rédigés par le
poète-président Léopold Sédar Senghor). Les emblèmes de la jeune nation sénégalaise
peuvent avoir des significations différentes d’une communauté à l’autre. Les symboles
renvoient aux terroirs, aux divers systèmes de pensée et de croyance, aux ancêtres
(braves héros ou esprits bienveillants), à la nature34. À travers cette nouvelle
symbolique nationale, les autorités se réapproprient des mémoires historiques, des
identités et insignes socioculturels locaux.

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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

Une politique culturelle volontariste


23 Le gouvernement dirigé par le président Senghor est très dynamique dans la création
de nouvelles infrastructures culturelles et le renforcement des institutions héritées de la
colonisation. Il est également attentif aux recommandations des grandes organisations
du système des Nations unies, notamment l’Unesco, en matière de politique culturelle.
Certaines structures (telles l’École d’architecture et d’urbanisme, Les Nouvelles
Éditions africaines, l’université des Mutants) ont des vocations sous-régionales ou
africaines. Senghor, théoricien de l’idéologie « pan-nègre », se veut, en quelque sorte, le
porte-parole de la civilisation africaine et noire dans sa globalité, une civilisation qui
doit coûte que coûte être ouverte à la culture occidentale et à la modernité
technologique. Avec la création d’établissements culturels tels l’École des arts (devenue
l’Institut national des arts), la Compagnie nationale du théâtre Daniel-Sorano, le Musée
dynamique, la Manufacture nationale de tapisserie, l’École de danse Mudra-Afrique, le
président Senghor favorise la création de nouveaux arts plastiques, visuels et scéniques
issus d’une synthèse de l’art nègre ancien et de la culture occidentale. Ces arts nouveaux
entendent prendre source et inspiration de l’héritage ancestral (en l’occurrence le
rythme et la danse, l’émotivité et la sensibilité, l’image analogique et le parallélisme
asymétrique, le vécu socioculturel), tout en étant en harmonie avec les expressions et
méthodes artistiques occidentales et contemporaines. Ils doivent révéler et diffuser
l’identité culturelle et le patrimoine négro-africains.
24 Le président Senghor appuie aussi la préservation du patrimoine immatériel
sénégalais par la création d’institutions chargées du recueil de traditions orales de
différents groupes (les Archives culturelles du Sénégal, le Centre d’étude des
civilisations, le laboratoire des littératures et civilisations rattaché à l’IFAN). Il œuvre
en faveur de la promotion des langues nationales, en permettant la codification et
l’enseignement de six d’entre elles (wolof, sereer, pulaar, joola, manding et soninke),
bien que leur intégration dans le système éducatif scolaire s’effectue très timidement.
Les formes locales d’expression musicale et de danse se redynamisent grâce à la
création, en 1961, de l’Ensemble lyrique traditionnel, de l’Ensemble national et des
ballets la Linguère et Sira Badral35. Les musées hérités de la colonisation sont
réaménagés, et leurs collections s’enrichissent de nouveaux objets. Les expositions
muséales s’inscrivent dans la logique de mise en scène de la civilisation négro-africaine,
de l’histoire des grands empires africains et de celle des anciens royaumes sénégalais,
de la traite négrière (Gaugue 1997). L’Éducation nationale n’est pas en reste, dans la
politique de promotion du patrimoine culturel. Au cours des années 1965 à 1970, elle
s’est largement investie dans la révision des programmes scolaires et la construction de
l’historiographie africaine36. L’adaptation des contenus des programmes enseignés
(notamment dans les disciplines comme l’histoire, la géographie, les sciences
naturelles, le français) aux réalités sénégalaises et africaines est mise en œuvre.
25 Dans les années 1970, la Direction du patrimoine historique et ethnographique37
effectue des missions de recensement des sites et monuments historiques du Sénégal.
Poursuivant le travail déjà entamé pendant la période coloniale, ces missions
aboutissent à l’élaboration de nouvelles mesures juridiques et au classement de 48 sites
et monuments historiques sur la liste nationale38. L’île de Gorée39 est promue au rang
de patrimoine de l’humanité par l’Unesco en septembre 1978. La période senghorienne
est aussi faste en grandes manifestations culturelles40 dont certaines, comme le Festival
mondial des arts nègres de 1966, contribuent à faire du Sénégal le point de rencontre de
nombreux artistes et savants internationaux. Au cours de cette période, la proximité est
très étroite entre le culturel et le politique. En ce sens, les artistes servent de faire-valoir
et d’illustrateurs du concept d’affirmation d’une civilisation africaine, et de la volonté
des autorités politiques de sauvegarder et de promouvoir le patrimoine culturel, par
choix et stratégie.

Critique de la politique culturelle de Léopold Sédar


Senghor
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26 Quelle que soit sa volonté de se réapproprier le patrimoine local, la politique


culturelle senghorienne est – selon les mots des détracteurs du président Senghor41 –
élitiste et extravertie. La promotion et la diffusion d’un héritage culturel
institutionnalisé prennent surtout en compte l’élite intellectuelle formée à l’école
française, alors qu’au cours des premières années de l’indépendance du Sénégal, le taux
de scolarisation est de 36 % (Sylla 1992). Dans l’ensemble, la politique culturelle
senghorienne endosse l’approche conceptuelle ainsi que l’action et l’assimilation
culturelles développées par le colonisateur, en même temps qu’elle impose une
négritude dont les principes sont rejetés par de nombreux intellectuels (Diagne 2006 ;
Mbow 2003 ; Seck 2003). Elle s’édifie sur le double héritage négro-africain et
occidental ; elle promeut l’identité culturelle « nègre » et l’image de la jeune nation
sénégalaise à l’étranger. La négritude, focalisée sur la présence de l’Afrique et ses
diasporas au rendez-vous de l’universel, déborde les frontières nationales. Cette
idéologie, qui prône le métissage culturel, ne reflète pas réellement l’identité culturelle
et le patrimoine sénégalais. Très souvent, les standards utilisés, notamment dans les
arts scéniques, visuels et vivants, ne comprennent pas de modèles sénégalais. La
recréation du patrimoine artistique accorde un privilège au modèle culturel gréco-latin
et à la langue française. La culture populaire – considérée comme fondement de
l’identité sénégalaise supposée avoir gardé les valeurs dites traditionnelles – paraît être
reléguée à la périphérie des projets de développement culturel du gouvernement
senghorien. Il apparaît que cette politique culturelle, ainsi que les tentatives de
promotion du patrimoine ancestral, manquent de concertation, d’impulsion et de relais
populaires. En conséquence, l’orientation et le contenu des projets culturels ne
répondent pas à l’attente de la majorité de la population.
27 Par ailleurs, dans l’opération de promotion des symboles locaux, à travers leur
intégration dans les emblèmes de la République et les manuels scolaires, le président
Senghor semble avoir privilégié des référents culturels issus de son « royaume
d’enfance42 » sereer, et des traditions héroïques de l’aristocratie Wolof43. Dans sa
« refabrication » de l’histoire nationale, l’État semble avoir marginalisé certaines
figures historiques symboles d’une résistance radicale contre la colonisation. Cette
négligence a sans doute incité des mouvements contestataires à brandir d’autres
symboles emblématiques pour alimenter leur discours idéologique et rompre avec les
récits historiques officiels. C’est le cas du mouvement contestataire estudiantin de la fin
des années 1960 à 197044 qui, dans sa dénonciation de l’idéologie de la négritude et de
la politique « néocolonialiste » du gouvernement de Senghor, se réapproprie des figures
historiques radicales (peu connues du public sénégalais) telles que Lamine Arfang
Senghor45, Aline Sitoe Diatta46, Sidya Diop47, en tant que porte-étendard de la lutte
d’émancipation contre le colonialisme (Diop 1992). Les crises socio-économiques –
conséquences de la sécheresse des années 1970, qui accentue la baisse de la production
agricole et affecte les revenus des populations – et politiques48 ont contraint l’État
sénégalais à revoir les politiques de développement économique et l’organisation des
instances de gouvernement. La politique culturelle, que le gouvernement senghorien a
impulsée avec tant de foi, se voit freinée dans son essor. Les budgets des diverses
institutions sont réduits et par conséquent, celles-ci se sont peu à peu engourdies et
« ensommeillées », après le départ du président Senghor du pouvoir, le 31 décembre
1980.

La Casamance entre marginalisation et


revendications autonomistes
28 Dès le début des années 1980, les idéologues du nouveau Mouvement des forces
démocratiques de la Casamance (MFDC)49 inscrivent le territoire casamançais dans des
dynamiques conflictuelles. En décembre 1982 – par une marche indépendantiste
(organisée le 26 décembre à Ziguinchor50) dont la répression par les autorités publiques
sénégalaises a contribué au déclenchement d’une rébellion armée en Casamance –,
réapparaît le MFDC « sous l’impulsion présumée de l’abbé Augustin Diamacoune

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Senghor ». Il reprend le nom de l’ancien « parti politique régionaliste » ayant existé


entre 194751 et 1954. Le nouveau MFDC dénonce la marginalisation de la Casamance
dans les processus de constitution de l’État sénégalais (colonial et postcolonial) et les
représentations symboliques de la nation. Par ailleurs, d’autres facteurs contribuent au
déclenchement du conflit casamançais : on peut citer la crise socio-économique ayant
secoué le monde paysan à partir de la sécheresse des années 1970 ; une salinisation
croissante de l’estuaire et des nappes phréatiques, provoquée par la baisse des
précipitations ; les problèmes fonciers (telles les tensions liées à l’occupation des terres
agricoles par les Sénégalais venant des autres régions) ; une politique urbanistique
(notamment à Ziguinchor, foyer initial de la rébellion) jugée injuste et partiale par des
occupants de terrains ne possédant pas de titres de propriété ; la surexploitation des
ressources halieutiques et forestières (notamment la pêche et l’exploitation du charbon
de bois) ; les troubles et émeutes scolaires, en 1980 et 1981, dans les départements de
Ziguinchor et d’Oussouye (voir, entre autres, Darbon 1984 et 1988 ; Barbier-Wiesser
1994 ; Marut 2010 ; Manga 2012).
29 Les leaders du mouvement séparatiste brandissent des mémoires et traditions
historiques joola pour alimenter leurs revendications autonomistes : « retrouver les
frontières – territoriales et identitaires – anciennes précoloniales52 ». Les séparatistes
puisent leurs références symboliques dans un patrimoine culturel – négligé par les
récits historiques officiels – animiste, paysan et résistant : les bois et forêts sacrés, le
travail dans les rizières (avec le kadyendo – instrument aratoire) et les palmeraies, les
résistances face aux agressions extérieures et à la colonisation, les traditions initiatiques
encore vivantes (comme le bukut53). Les constructions narratives élaborées par le
mouvement indépendantiste s’inscrivent à contre-courant du processus de construction
hégémonique de l’État-nation, d’unité nationale, d’institutionnalisation de mémoires et
héritages culturels locaux s’appuyant sur des modèles sereer et islamo-wolof54. Le
MFDC s’insurge contre le manque d’intégration des fi historiques casamançaises dans
la promotion du panthéon national. Parmi les référents historiques revisités par le
mouvement indépendantiste, il y a la mémoire d’Aline Sitoe Diatta – « la reine de
Kabrousse » –, considérée comme l’une des héroïnes de la résistance casamançaise. La
construction historique du discours indépendantiste essaie de prendre en compte les
mémoires historiques des autres communautés casamançaises pour obtenir leur
adhésion au mouvement. C’est ainsi que des résistants coloniaux comme Alpha Molo
Baldé et son fi Moussa Molo (issus des Peuls du Fouladou, occupant la Haute-
Casamance), Fodé Kaba Doumbia (issu des Manding du Pakao ou Moyenne-
Casamance) sont exaltés par les leaders du MFDC, à côté des fi historiques du terroir
joola de la Basse-Casamance comme Djignabo Bassène, Sihalebé Diatta (Marut 2010,
Manga 2012).
30 La situation conflictuelle en Casamance – faisant apparaître les difficultés de
l’intégration nationale et remettant en cause les frontières de l’État issues du découpage
colonial – contraint les autorités sénégalaises à revoir le vide laissé par les programmes
officiels d’histoire et les politiques de développement économique. Il en résulte, sous la
présidence d’Abdou Diouf, une prise en considération des mémoires casamançaises et
celles d’autres contrées du Sénégal, dans la valorisation des héros locaux55, et des
investissements infrastructurels en vue de désenclaver le territoire casamançais56 et
d’exploiter ses atouts touristiques. Ces mesures, combinées aux accords conclus entre
l’État et le MFDC, n’ont pas suffi pour maîtriser encore totalement le conflit
casamançais.

Une politique culturelle à reculons et l’émergence


d’initiatives populaires
31 Sous la présidence d’Abdou Diouf – président ayant hérité du pouvoir par voie
constitutionnelle le 1er janvier 1981, en fonction jusqu’au 19 mars 200057 –, les
ajustements structurels des années 1980-1990 engendrés par la crise économique et
financière, auxquels s’ajoute la dévaluation du franc CFA (en janvier 1994), font

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obstacle à toute volonté de continuer la politique culturelle de son prédécesseur. À


l’instar des autres secteurs d’activité, la culture subit les contrecoups de la crise
économique et financière, ainsi que les rigueurs de la politique de sortie de crise. La
pénurie des ressources financières empêche la poursuite de l’édification du réseau des
infrastructures et rend hypothétique toute politique de maintenance, d’entretien, de
réhabilitation du patrimoine culturel et des équipements existants. Les différentes
institutions culturelles sont confrontées à des difficultés matérielles, financières, et à la
diminution de leurs personnels (qui se traduit par des départs volontaires, pour
certains agents, tandis que d’autres sont affectés à l’Éducation nationale). Dans une
logique de restriction des dépenses de l’État, certains établissements culturels créés
sous Senghor sont supprimés en 1990 (le Musée dynamique, le Centre d’étude des
civilisations, les Archives culturelles et le Commissariat général des expositions d’art
sénégalais à l’étranger) – sans traitement idoine de leurs fonds iconographiques et
documentaires, dont certains, tombés en déshérence, sont perdus à jamais.
32 Les restrictions budgétaires, le flottement et l’effacement du gouvernement dans bien
des secteurs, à commencer par celui de la culture obligent les artistes, les acteurs
culturels, les populations, et notamment les jeunes (à travers les mouvements set-setal,
hip-hop et bul-faale58), à se prendre en charge et à investir l’espace libéré par l’État
faute de ressources financières. On assiste à une multiplication d’ingénieuses initiatives
individuelle ou collective, une floraison d’associations et de journées culturelles
communautaires59. Celles-ci permettent d’assurer le dynamisme du secteur de la
culture, la réappropriation de valeurs préexistantes et la valorisation du patrimoine
ancestral. L’État, pour éviter les risques de fragmentation culturelle et identitaire,
capitalise ces initiatives individuelles ou collectives en rejoignant et en accompagnant
les différents acteurs ou même en anticipant sur les préoccupations des uns et des
autres. Il prend ainsi l’initiative d’organiser un grand colloque national dans le but de
recentrer la vision, de rationaliser le calendrier et l’organisation des journées
culturelles. Ce colloque, qui s’est tenu du 8 au 13 juin 1994 à Kaolack – ville-carrefour et
centrale du pays – réunissant des intellectuels, universitaires, traditionnistes et autres
experts, avait pour thème « Les convergences culturelles au sein de la nation
sénégalaise60 ». À sa suite, le gouvernement a pris la décision, en 1996, d’instaurer la
Journée nationale du patrimoine ; puis, en 1997, le Festival national des arts et cultures
(FESNAC)61 – les Journées nationales du patrimoine culturel comme le FESNAC ayant
pour objectifs fondamentaux la revalorisation et la mise en scène des cultures et
patrimoines du Sénégal.

Le « sursaut national » du président Abdou Diouf :


une propulsion de symboles locaux
33 Les difficultés économiques et financières qui ont marqué les deux décennies du
président Abdou Diouf ne doivent pas cacher les acquis de cette période dans le secteur
culturel. Malgré les restrictions budgétaires, il n’en demeure pas moins que ce secteur
s’est dynamisé et que d’importantes initiatives en direction de la culture ont été prises
par l’État.
34 Après une période de flottement liée à la crise économique et financière, des
décisions concrètes sont prises dans le cadre du développement culturel, conformément
à l’idéologie du sursaut national62 mis en œuvre par le gouvernement d’Abdou Diouf et
aux recommandations du Rapport général de la Charte culturelle nationale (élaborée
sous l’égide du président Diouf, et publiée en 1989). Ces décisions sont bien accueillies
par la communauté artistique et intellectuelle. À partir des années 1990, l’État renoue
avec le développement culturel, la promotion des langues nationales et l’amélioration
de leur transcription63, la valorisation du patrimoine et du panthéon national. Les
symboles et insignes nationaux sont revisités, et la fabrique de « héros nationaux et
locaux » est mise en marche.
35 Dans un contexte de crise économique et d’effritement des valeurs, les symboles
historiques sont promus comme modèles pour les générations nouvelles, et comme

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stratégie de légitimation de l’idéologie de sursaut national. Ces insignes sont perçus


comme vecteurs d’une conscience citoyenne, ainsi que de vertus : jom (l’honneur ou le
courage), muñ (la patience), kersa (la pudeur ou la dignité), teranga (l’hospitalité). Ils
ont historiquement joué un rôle fondamental dans la production d’une conscience de
soi fondée sur le sentiment de la grandeur du passé. C’est dans cette optique qu’on a
commémoré le centenaire de la mort de Lat Dior Ngoné Latyr Diop, en octobre 1986. Ce
personnage, déjà élevé au rang de héros national par le président Senghor à travers
l’hymne de la jeunesse, est revalorisé par le gouvernement d’Abdou Diouf dans le cadre
de ses stratégies de réappropriation des traditions historiques locales, de l’espace
politique et de la population (plus particulièrement la jeunesse).
36 Dans cette même optique, des rues, des places et des écoles sont baptisées ou
rebaptisées sous le nom de parrains locaux, figures considérées comme proches des
gens et distinguées dans leur communauté, voire à l’échelle nationale. Des statues
coloniales sont déboulonnées puis déplacées dans d’autres endroits moins exposés aux
regards du public. Elles sont remplacées par de nouvelles œuvres d’artistes sénégalais64.
37 La redynamisation du développement culturel par l’État favorise la création de
nouvelles infrastructures, ainsi que les initiatives culturelles. La Galerie nationale d’art
est inaugurée le 29 janvier 1983 ; le campement qui abritait la mission chinoise,
chargée de l’édification du stade Amitié, est transformé en Village des arts en 1989. Le
musée d’Art africain de Dakar est réaménagé. Il a bénéficié, en 1991, d’une extension
considérable, avec la construction d’un nouveau bâtiment imitant le style architectural
néo-soudanais de l’ancien palais. La résidence de Médina, qui servait à accueillir les
hôtes de la République pendant les années 1962 à 1996, devient la maison de la culture
Douta-Seck, en 1997. La section Art dramatique du conservatoire de Dakar est rouverte
en 1990 et assure à nouveau la formation des comédiens. Le Salon national du livre et
de la lecture, le Festival international de jazz de Saint-Louis, la Foire internationale du
livre et du matériel didactique, les Rencontres cinématographiques de Dakar (Recidak)
sont, entre autres, de nouvelles initiatives de développement culturel lancées par le
gouvernement d’Abdou Diouf. Les grands prix annuels du président de la République
pour les Arts et pour les Lettres sont institués en 1990. Puis vient l’extension du grand
prix aux arts scéniques, c’est-à-dire à la musique, à la danse et au théâtre. La même
année, l’État lance une manifestation culturelle qui renoue avec les années Senghor : la
Biennale des arts et des lettres de Dakar, devenue, à compter de 1996, la Biennale de
l’art africain contemporain ou Dak’Art (Konaté 2009).
38 Le gouvernement d’Abdou Diouf s’est beaucoup investi en faveur d’un retour aux
sources de valeurs sénégalaises et la promotion des figures historiques locales, comme
moyen d’affronter les défis engendrés par la crise économique. Ces mémoriaux du passé
sont aussi conçus comme autant de modèles de référence pour les jeunes générations,
et de pierres de touche pour les entreprises à venir. Mais malgré ces initiatives de
promotion des symboles d’une identité collective, la politique culturelle d’Abdou Diouf
ne s’est pas déconnectée du modèle de gestion patrimoniale et de développement
culturel établi par le colonisateur, puis repris par son prédécesseur Léopold Sédar
Senghor.

Les grands chantiers culturels du président


Abdoulaye Wade : entreprises de légitimation du
pouvoir
39 La présidence d’Abdoulaye Wade (élu le 19 mars 2000, en fonction jusqu’au 25 mars
2012) est marquée par la relecture de la mémoire coloniale, une orchestration de sa
filiation avec le passé, une mise en scène autour de sa personnalité, de ses idées sur le
panafricanisme et le libéralisme démocratique65. Il puise, selon ses intérêts politiques,
ses références dans la culture populaire, les valeurs du mouridisme66 ou la « supposée
modernité ». À la faveur de ses stratégies de légitimation politique et idéologique, des
commémorations et d’ambitieux projets culturels sont initiés. Ceux-ci puisent leur
inspiration dans le répertoire des héritages colonial et senghorien. Sous la présidence
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d’Abdoulaye Wade, si les budgets alloués au secteur de la Culture connaissent une


tendance générale à la hausse, notamment de 2006 à 200967, le ministère de la Culture
connaît une certaine instabilité aussi bien dans l’option des appellations68 que dans le
choix des hommes (10 ministres sont nommés, de 2000 à 2010). Ces remaniements
freinent la mise en place d’une réelle politique culturelle, pourvue d’objectifs clairement
définis. Finalement, un Plan national de développement culturel (PNDC), étalé sur cinq
ans, est lancé en 2005 ; un Agenda culturel national est lui aussi élaboré en 2004. À
partir de 2001, la Direction du patrimoine culturel (DPC) lance des initiatives de
préservation et de valorisation du patrimoine national. Parmi celles-ci, on peut noter la
poursuite de l’inventaire du patrimoine culturel national, la numérisation du fonds des
Archives culturelles, de nouvelles inscriptions sur la liste du patrimoine national ainsi
que sur celle du patrimoine mondial de l’Unesco69.
40 Comme l’ont fait ses prédécesseurs, le président Wade sollicite le passé dans son
entreprise de légitimation du pouvoir. Il préconise, dans le cadre d’une réforme
territoriale, l’érection des départements en provinces et la dénomination des
collectivités selon les réalités historiques du Sénégal. Mais ce projet – qui a suscité une
controverse dans la presse, sans réussir à susciter de consensus au sein des populations,
qui ont du mal à s’entendre sur les noms des différentes provinces – est finalement
abandonné à l’issue du conseil des ministres du 19 juillet 2001 (Diop 2013). Avec la
première commémoration de la Journée du tirailleur (Mané 2004 ; Diouf 2004 ; Bâ
2004), le 23 août 2004, le président Wade se réapproprie la statue coloniale « Demba
et Dupont ». Cette statue – remisée sous la présidence d’Abdou Diouf – regagne le
décor de la cité dakaroise, tout en changeant d’emplacement et de thématique
mémorielle. Elle se dresse désormais sur l’ancienne place de la Gare, tel un témoin du
périple du chemin de fer Dakar-Niger, sous le nom de place du Tirailleur sénégalais.
L’idée de cette commémoration du tirailleur émerge au moment de la polémique sur la
« cristallisation des pensions », portée par d’anciens combattants sénégalais et africains
de l’ouest de la Deuxième Guerre. Par cette célébration, le président Wade capitalise les
revendications de ces anciens combattants. Il entend immortaliser et réhabiliter l’effort
méritoire de participation des Tirailleurs africains à la libération de la France de
l’emprise nazie. Saisissant l’opportunité que constituent pour lui ces revendications, il
cherche aussi – partant de la mémoire coloniale, du devoir de reconnaissance et de
justice aux anciens combattants africains (à la faveur d’une revalorisation de leurs
pensions) – à bâtir de nouvelles relations entre la France et l’Afrique. La composition
par le président Wade d’un « hymne aux Africains » (qu’il a voulu substituer à l’hymne
national), la relance du FESMAN (en décembre 2010, à Dakar), le renforcement du
Fonds d’aide à l’édition et du Fonds de soutien à l’initiative culturelle, l’aménagement
de la place du Souvenir africain, l’érection du monument de la Renaissance africaine
ainsi que le projet d’un « Parc culturel70 » renouent avec la promotion artistique et la
réhabilitation de l’identité culturelle négro-africaine prônées et largement amorcées par
le président Senghor.

Le monument de la Renaissance africaine :


dénaturation d’un patrimoine public
41 Inauguré le 3 avril 2010, le monument de la Renaissance africaine est conçu pour
rivaliser avec les grands monuments du monde (la statue de la Liberté à New York, la
tour Eiffel à Paris, ou encore le Christ rédempteur à Rio de Janeiro)71. Cette imposante
structure en bronze, d’une cinquantaine de mètres, est censée représenter une famille
africaine (un couple avec leur enfant) projetant un futur radieux et prospère pour leur
continent. Elle est érigée sur l’une des collines des Mamelles, elles-mêmes inscrites sur
la liste du patrimoine national protégé depuis l’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-
DSMH-BE en date du 15 octobre 1979, portant publication de la liste des monuments et
sites historiques du Sénégal, sous le nom : « Les Mamelles, site géologique ». La
question est de savoir si l’État a respecté les dispositions énoncées dans les articles 5 et
7 de la loi no 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le régime des monuments historiques et

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celui des fouilles et découvertes. Le texte de loi de 1971 précise en effet, dans son article
V : « Les monuments proposés pour le classement ou classés ne peuvent être détruits
en tout ou en partie, ni soumis à des travaux de restauration ou de réparation, ni
modifiés sans l’autorisation de l’autorité administrative qui en fixe les conditions et en
surveille l’exécution. » L’article 7 stipule : « Aucune construction nouvelle ne peut être
édifiée sur un terrain classé ni adossée à un immeuble classé sans l’autorisation
expresse de l’autorité administrative compétente. » La Commission supérieure des
monuments historiques du Sénégal a-t-elle été consultée, tel qu’il est énoncé dans le
texte de loi de 1971, avant les travaux de construction du monument de la Renaissance
africaine ?
42 Le monument de la Renaissance africaine est fortement décrié par une bonne frange
de l’opinion publique sénégalaise – notamment par l’artiste sculpteur Ousmane Sow
(qui serait l’auteur d’une maquette initiale et aurait suggéré l’idée à Me Wade) et par
des politiciens, des économistes, des membres de la société civile, des religieux72. Parmi
les controverses, il y a la contestation sur la « propriété intellectuelle » de la statue et la
dénonciation, par la population, des 35 % (revendiqués par le président Wade sur les
recettes touristiques qu’aura générées le complexe monumental). À quoi s’ajoute la
polémique relative aux opérations foncière et financière, jugées opaques, ayant permis
l’édification de ce monument. En outre, le projet est considéré comme un inutile
« gaspillage » financier, dans un contexte où la pauvreté, la précarité et les coupures
d’électricité minent les ménages sénégalais. Pour beaucoup de Sénégalais, ce
monument très coûteux n’était pas une priorité dans un pays où les retraités, les veuves,
les jeunes chômeurs, les étudiants et les syndicats de travailleurs sortent constamment
dans la rue pour protester contre leurs conditions de vie. Les imams ou associations
islamiques qui protestent contre l’édification du monument de la Renaissance
s’appuient, eux, sur l’idée selon laquelle une statue constitue, en Islam, une œuvre
satanique et une source d’idolâtrie. Ils en déduisent que ce monument majestueux ne
doit pas être édifié dans un pays où près de 95 % de la population est musulmane.
D’autres critiques considèrent que la fonction symbolique du projet de Renaissance de
Wade n’est en phase ni avec les valeurs identitaires africaines (la vêture de la femme et
sa position en arrière-plan du monument) ni avec la réalité actuelle des pays africains
(près de 50 ans après l’indépendance du Sénégal). D’un coût estimé à 16 milliards de
francs CFA, le monument de la Renaissance africaine s’inscrit dans les grands chantiers
du président Wade. Dans un « pays pauvre très endetté », de tels projets ébranlent le
prestige d’Abdoulaye Wade, son ambitieuse politique panafricaine et celle de la
modernisation infrastructurelle73.

La représentation du patrimoine culturel


par les sénégalais
43 Au Sénégal, depuis la décennie 1990, on assiste à une mise en scène vigoureuse des
valeurs, récits et expressions identitaires de diverses communautés : la valorisation des
langues, coutumes, chants, danses, traditions, mémoires, savoir-faire, objets, lieux de
mémoire. On note l’établissement d’un calendrier de manifestations culturelles, tout au
long de l’année, organisé par catégories : « traditionnelle », « religieuse » (liées aux
confréries maraboutiques ou aux croyances et rites ancestraux), « civique », ou bien
encore « locale » et « familiale ». Les manifestations se présentent sous la forme de
journées ou semaines culturelles communautaires, festivals, carnavals74, gamou, ziara,
magal, thiant75. Elles sont périodiquement (périodicité annuelle, biannuelle ou
triennale) organisées par des acteurs culturels ou politiques ; des associations de
ressortissants d’un village, d’une entité historique ou d’un groupe socioculturel76 ; des
associations confrériques ou dahira (mourides, tidjanes, layènes, khadres, niassènes).
Ces mobilisations mémorielles s’accompagnent de processus de patrimonialisation à
vaste échelle. Cette volonté de patrimonialisation se rapporte souvent à des enjeux
identitaires, territoriaux, symboliques et hégémoniques sous-jacents à une quête des
origines, à une volonté d’ancestralisation et d’ancrage mythique. Elle renvoie ce
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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

patrimoine à des questions de pouvoir et de relations au sein d’un territoire qu’il faut
valoriser à tout prix (Boursier 2010). Les expressions culturelles et artistiques
considérées comme confortant l’identité du groupe sont réappropriées et réinventées
par les communautés. Elles sont perçues et représentées comme un patrimoine culturel
qu’il convient de préserver et de transmettre. Cela amène à s’interroger sur la
signification de la notion de patrimoine culturel chez les Sénégalais. La réponse à cette
question n’est pas simple.

Patrimoine culturel en langues nationales


44 L’une des difficultés rencontrées lors de la collecte de sources orales77 est la
traduction du terme patrimoine, dans son acception récente, en langue wolof78. Le
problème qui se pose, lors des entretiens avec des personnes qui ne parlent pas ou ne
maîtrisent pas le français est qu’elles développent des propos souvent éloignés du sujet
sur lequel elles sont interpellées. Il a fallu, dans la plupart des cas, remodeler et
réajuster les questions pour obtenir de mon locuteur leur représentation de la notion de
patrimoine. Certaines personnes répondent plus clairement et amplement aux
questions lorsque je traduis en wolof le terme patrimoine par aada ak cosaan79 que par
ndono80. L’expression aada ak cosaan est appliquée à l’ensemble des éléments
significatifs vécus et souvent appropriés par les individus, qualifiés de « monuments
historiques » ou « richesses du passé81 » : tels la langue, le patrimoine oral ou ceux
artistique, musical ou sonore, les croyances, les traditions rituelles ou culinaires, les
métiers et techniques artisanaux, les modes de vie et d’habillement, les jeux
traditionnels, les valeurs (celles-ci se manifestent dans maintes pratiques, parmi
lesquelles la parenté à plaisanterie, les rites et traditions initiatiques, le dialogue et la
palabre, les dons et échanges de biens symboliques). Le terme ndono est appliqué à tout
héritage reçu ou acquis dans la sphère familiale ou la collectivité : tels la propriété
foncière, les pratiques et savoirs religieux, profanes ou ésotériques, les objets, les
coutumes et droits qui régissent la vie sociale, économique, politique et religieuse. Les
termes s’imbriquent et sous chaque mot, il existe plus d’une chose plus ou moins mal
nommée.
45 J’ai tenté de trouver la signification du terme « patrimoine », couvrant le sens de
l’expression wolof aada ak cosaan, dans d’autres langues sénégalaises, notamment
celles officiellement promues langues nationales : le pulaar, le sereer, le joola, le
manding, le soninke. En pulaar82, le patrimoine correspond à l’ensemble ngalu,
ndesari, pinal e gandal fulbe ou encore ko finaa tawaa, alors que le terme wolof
ndono, « héritage », correspond à ndonu. En sereer83, le patrimoine correspond à ke i
njegan na ou encore o mbaax in, et le terme « héritage » se traduit par ke i lamna ou
lamel. En joola-fogni84, le mot patrimoine se traduit par fubaj kumpai ou encore
mukaa-naayam mati ájoolaau, et l’« héritage » signifie bứtawo. En soninke85, la
notion de patrimoine correspond à o naame o laadani ou encore o ganni piini, tandis
que le mot héritage se traduit par o xeye. En manding86, le « patrimoine » correspond à
na aado ou mbe mbalo lakoo, et l’« héritage » se traduit par nke ; selon notre
informateur, Amadou Lamine Dramé, c’est ce terme qui a donné le patronyme Keita
(ke, « héritage » ; ta, « prendre ») porté par le souverain manding Soundjata Keita,
dont le nom de famille originel était Konaté.
46 Suivant les différentes recherches effectuées, on peut admettre que la notion de
patrimoine est bien présente chez les Sénégalais. La représentation du patrimoine
englobe tout un ensemble de biens matériels87, de traditions, de principes, mœurs et
valeurs88 qui conduisent le comportement de la personne dans la société (tels que
l’honneur, le courage, le respect de la hiérarchie et de la parole donnée, la solidarité, la
spiritualité89). Ces coutumes et pratiques sociales – un legs que les individus et les
communautés ont hérité des ancêtres – sont conçues et mises en œuvre pour renforcer
le lien social, les valeurs de tolérance, de solidarité et de convivialité entre individus et
entre communautés. Elles permettent de forger les individus en leur léguant les
expériences, les valeurs familiales et communautaires tirées du passé. Les « choses »,
« traditions », « croyances » et « valeurs » sélectionnées dans le répertoire des repères
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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

identitaires sont jugées particulièrement utiles, car elles ont des fonctions positives
dans la société et constituent des liens avec l’histoire, le passé et les ancêtres.
47 Ces symboles sont considérés comme emblématiques parce que révélateurs de
l’identité, de la culture et de l’histoire familiales ou communautaires. Ce patrimoine
culturel interpelle les consciences individuelles – sous la forme d’un contrat moral –
qui se l’approprient et ressentent le devoir de le transmettre aux générations suivantes
dans un but pédagogique et identitaire. Il permet de fixer une image et le passé idéalisé
d’une communauté. La notion de patrimoine couvre des significations en lien avec les
notions de tradition, de mémoire, d’héritage, de transmission et d’identité. Les
proverbes wolof (loo donnu mu dëgër), pulaar (ko rona’ka tiidata), sereer (mboxo tin),
manding (diŋo bee buka a faa ke ta), qui signifient littéralement « l’héritage acquis, de
ses ancêtres, s’enracine solidement », « transmettre l’héritage », « on s’approprie
profondément son héritage ancestral », ou encore « il n’est pas donné à tout enfant
d’hériter de son père », connotent l’importance de la transmission de l’héritage (ndono
en wolof, ndonu en pulaar, ke i lamna ou lamel en sereer, nke en manding) dans « la
philosophie morale » de ces communautés, et des Sénégalais globalement. De ce fait,
plusieurs aspects du patrimoine culturel sénégalais considérés comme héritages positifs
ont été fixés par les mémoires collectives comme « traditions » (aada ak cosaan, baaxu
maan).

Mobilisations mémorielles, simulacres et catharsis


48 De nos jours, les symboles identitaires sont inscrits dans l’espace public (médias,
opérations de communication, cérémonies officielles, agenda culturel national) et dans
un nouveau circuit de reconnaissance, de valorisation et d’institutionnalisation. La
mondialisation, la crise des valeurs et l’avancée de ce que certains sociologues et
observateurs appellent le phénomène de « wolofisation90 » – qui a tendance à faire de
la langue, de l’identité et des mémoires historiques wolof une dominante nationale –
ont provoqué l’inquiétude des groupes socioculturels du Sénégal. Ces derniers se sont
mobilisés en faveur de la préservation et la revalorisation de leurs patrimoines
identitaires. Ces craintes ont généré une sorte de compétition des mémoires
identitaires, car chaque communauté est animée par une forte volonté de mettre en
évidence l’histoire, la culture et finalement la singularité de son groupe, née des
différences existantes entre celui-ci et les autres composantes de la nation sénégalaise.
Les mobilisations mémorielles servent à confronter les identités, en affichant une image
que le groupe estime être représentatif de sa propre culture et de son histoire.
49 Les rencontres culturelles relevant du traditionnel, de plus en plus fréquentes dans
les terroirs villageois, permettent aux ressortissants et notables locaux de se réunir
périodiquement, dans une ambiance festive assortie d’un décor haut en couleur. Dans
ces mobilisations autour de la revalorisation du patrimoine identitaire d’un groupe
socioculturel, on note que certaines communautés sénégalaises (c’est le cas des Joola,
Manjak, Basari, Bedik ; certains Peuls, Sereer, Lebu, Manding) continuent de préserver
quelques aspects de leur héritage culturel ancestral91. Mais d’autres groupes procèdent
à des fresques ou simulacres, souvent appelés cosaan, où l’on revisite ce que l’on se
figure d’un patrimoine culturel ancien. Les représentations présentent comme vivante
l’image d’une tradition séculaire revisitée, quitte à la ressusciter lorsqu’elle a été
interrompue. Elles évoquent la vie des sociétés villageoises « traditionnelles » et la
nostalgie du temps passé. Les mobilisations mémorielles constituent une sorte de
préservation opérationnelle du patrimoine qui se traduit par différentes formes
d’investigation et de mise en valeur, par un groupe de populations, des expressions
identitaires anciennes et endogènes. La mobilisation des Sénégalais en vue de la
préservation de patrimoines identitaires est bien établie et très active.

Un patrimoine culturel inégalement conservé et


valorisé : les patrimoines monumental et
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documentaire
50 On est tenté de s’interroger sur l’appropriation et la préservation, par les Sénégalais,
des autres types de patrimoines, notamment ceux prescrits et institués par l’État (les
patrimoines architectural, archéologique, muséologique, archivistique), qui sont aussi
des composantes de l’héritage culturel du Sénégal. Le constat est que la mobilisation
des Sénégalais pour la protection et la sauvegarde du patrimoine, notamment dans son
aspect matériel et monumental, est loin d’être effective. Les déprédations et périls qui
pèsent sur la préservation de ce patrimoine culturel – pourtant théoriquement protégé
par la loi no 71-12 du 25 janvier 1971, complétée et mise en vigueur par le décret
d’application no 73-746 du 8 août 1973 – sont en partie liés à des processus d’origine
anthropique.
51 Les exemples les plus flagrants d’endommagement du patrimoine archéologique,
mobilier ou monumental du Sénégal ne peuvent être cités de façon exhaustive, mais
quelques cas pourraient édifier le lecteur sur les périls. Il y a les effets de l’urbanisation
et de l’aménagement du territoire (extension anarchique des villes ou des villages,
édification d’infrastructures routières ou civiles) qui ont entraîné la disparition de
plusieurs sites archéologiques, géologiques ou historiques, situés dans les zones de
secteurs sauvegardés. Des sites archéologiques localisés dans la vallée du fleuve Sénégal
ont été détruits suite à des travaux d’aménagement routier, tout comme ceux des
barrages ou l’exploitation agricole des périmètres irrigués (Thilmans 1979). Ceux de la
région du Cap-Vert (Médina, Bel Air, Hann, Cambérène, Bopp, cap Manuel, Pointe de
Fann, Ouakam, Mamelles, Ngor, cap des Biches), cartographiés par Corbeil, Mauny et
Charbonnier, ont été mis en péril par l’extension urbaine de Dakar et les spéculations
foncières dans la capitale sénégalaise92. Il y a aussi le cas de l’exploitation en carrières
de coquillages ou de sable s’effectuant sur des sites archéologiques classés patrimoine
national et dont certains sont actuellement inscrits sur la liste du patrimoine mondial
de l’Unesco : les amas coquilliers du delta du Saloum93 ou les sites de Diack et
Diakité94. Pour le cas des amas coquilliers95, nos enquêtes systématiques96 ont prouvé
que les jeunes des villages insulaires, confrontés à des difficultés financières et un
chômage accentué, se livrent à l’exploitation et à la commercialisation des coquillages
vers les marchés de Kaolack et Banjul (en Gambie) afin de subvenir à leurs besoins
économiques immédiats. Les amas coquilliers du delta du Saloum ne sont pas
considérés comme un patrimoine culturel par les exploitants de coquillages issus des
communautés locales (Djigo 2000), parce qu’il n’y a pas de continuum historique direct
entre les populations insulaires actuelles et ceux qui ont créé ces amas97. S’il y a bien
une appropriation foncière des sites98, la question de la préservation des amas
coquilliers en tant que ressource archéologique, historique et culturelle n’est pas encore
envisagée par les exploitants. À ces traitements défavorables à la préservation des amas
coquilliers, s’ajoutent les destructions, dénaturations ou rénovations anarchiques de
bâtis anciens dans les villes historiques comme Saint-Louis, Gorée, Dakar, Rufisque
(Guèye 1985 ; Diop 1987). Il y a également un manque de prise de conscience des
citoyens sénégalais sur la nécessité de collecter et de conserver soigneusement des
documents d’archives (Mbaye 2006). Ces contraintes sont renforcées par la
« diminution drastique » des fonds d’objets de certains musées, comme c’est le cas du
musée Théodore-Monod d’art africain de Dakar (Diaw 1997, Biaya 1999).
52 Cet état de fait traduit les dysfonctionnements dans la protection et la gestion du
patrimoine des sites archéologiques et monuments historique au Sénégal. Il laisse
apparaître les difficultés des services administratifs, chargés de la gestion et du contrôle
de l’architecture et des monuments historiques, pour faire appliquer une législation
bafouée par tous et quelquefois même par l’État. La situation révèle un manque de
reconnaissance, de la part des populations locales, de la valeur historique et culturelle
de l’architecture ancienne, tout autant que des sites archéologiques. Elle manifeste une
insuffisance d’appropriation, par les Sénégalais, du patrimoine culturel prescrit et
institué par les instances officielles ou scientifiques, en même temps qu’un problème de
prise en compte du patrimoine monumental, archéologique ou archivistique. La
population ne se reconnaît pas tout à fait dans la mémoire et le patrimoine public

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(monumental, archéologique ou muséal) qu’on lui présente comme le sien. Les


nouvelles dynamiques que les populations ont développées pour s’approprier leurs
mémoires et les expressions identitaires, et le sort qu’elles réservent aux autres
héritages culturels, renforcent l’idée selon laquelle la conception et la représentation du
patrimoine restent liées à l’histoire, aux expériences et spécificités socioculturelles99.
Naguère – avant l’islamisation massive aux XVIIe-XIXe siècles, les rajustements
territoriaux, politiques, religieux (les développements contemporains de l’islam
confrérique et sunnite) et socioéconomiques de la période coloniale et contemporaine
–, la conception de la vie chez les populations « sénégalaises » donnait une tout autre
lecture de la culture et du patrimoine. L’interaction entre les valeurs sociologiques et
religieuses primait dans la détermination du patrimoine culturel. Les activités
culturelles étaient en étroite relation avec toutes les activités sociales du groupe. Ce qu’il
est convenu d’appeler les manifestations extérieures de la culture s’articulent sur les
autres secteurs de la vie. Par exemple, la danse n’était pas un moment séparé de la
globalité sociale, elle était liée aux travaux agricoles, aux grands moments de l’existence
sociale d’un individu. De même, le mil, le riz n’étaient pas de simples moyens de survie
matérielle, ils symbolisaient la vie, la fécondité et étaient liés à toutes les cérémonies
rituelles qui permettaient au groupe social de maîtriser les forces vitales. La jonction du
réel et du surréel était dominante dans ces sociétés. On peut convenir que ce système
culturel, et sa particulière conception du monde, est différent de celui des nations
européennes d’où naquit et se développa la notion de patrimoine, de jure, telle qu’elle
est véhiculée par les milieux scientifique et institutionnel. Par conséquent, la
conception euro centrique de la notion de patrimoine est loin de refléter la
représentation et les pratiques patrimoniales des Sénégalais. Pour la majorité des
Sénégalais, la notion de patrimoine englobe tout ce qui a été hérité des ancêtres sur le
plan social, religieux, intellectuel et matériel ; elle se rapporte surtout au patrimoine
vivant (les traditions familiales et communautaires).

Conclusion
53 La construction de l’identité nationale sénégalaise et les préoccupations de
développement du pays ont mobilisé les ressources culturelles du passé. Les dirigeants
politiques de l’État sénégalais colonial et post-indépendance ont successivement
instrumentalisé le patrimoine culturel dans leurs stratégies de contrôle et/ou de
consolidation du pouvoir, de légitimation d’une idéologie et de développement du
tourisme culturel. Les politiques culturelles relèvent de l’État, elles ont été inscrites à
l’enseigne des priorités du moment, des idéologies des autorités, et de l’insuffisance des
moyens budgétaires. Le gouvernement colonial a prôné une culture élitiste et
centralisée dans les grands centres urbains, et surtout dans la capitale dakaroise. Les
dirigeants de l’État post-indépendance – malgré leur volonté manifeste de glorifier les
valeurs ancestrales et le passé négro-africain – ont eu du mal à se soustraire au modèle
de définition de la culture, au patrimoine culturel importé par le colonisateur et relayé
ensuite par les instances internationales. En conséquence, il n’y a pas eu de stratégies
cohérentes permettant une gestion patrimoniale efficace et associant les acteurs de
base, notamment la population. Même si les politiques culturelles ont produit des
artistes (dans le domaine des arts visuels et vivants) de renommée nationale et
internationale, elles n’étaient pas tout à fait très adaptées au système culturel et aux
conceptions patrimoniales des populations.
54 L’État jacobin et son modèle de représentation et d’administration, même s’ils ont
contribué à renforcer la coexistence pacifique d’identités plurielles, ont été influents
dans la dynamique déstructurantes et conflictuelle en Casamance (sud du Sénégal).
Malgré les tentatives d’investissements infrastructurels (routes et pistes, campements
touristiques, université) et de décentralisation relativement récentes, s’est développé en
Casamance un discours politique qui convoque et valorise le particularisme culturel
créateur d’une identité joola. En même temps, ce discours casamançais instrumentalise
la mémoire d’un territoire partagé par une diversité de groupes socioculturels. Le

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modèle jacobin a généré une dualité dans la définition, l’appropriation et la


préservation de patrimoines culturels. Il y a, d’une part, une conception par la
population d’un patrimoine social ou communautaire (composés d’éléments
hétérogènes tels les traditions, pratiques, valeurs, lieux de mémoire), approprié,
préservé ou réinventé – mais qui semble être menacé par les nouvelles identités
urbaines, la mondialisation et le fondamentalisme religieux. D’autre part, il y a un
patrimoine institutionnel ou public (notamment archéologique, architectural,
muséologique et archivistique) – privilégié par les autorités dans leurs politiques
culturelles – dont la reconnaissance et la protection restent et relèvent pratiquement du
domaine de l’État. Se référant à l’héritage légué par ses prédécesseurs, le président
Macky Sall paraît vouloir renforcer le sens du civisme. Sa politique culturelle semble
s’inscrire dans la dynamique de restauration des symboles nationaux et des valeurs de
l’identité sénégalaise. Le décalage entre les politiques culturelles, les prescriptions
officielles et la représentation populaire du patrimoine amène à s’interroger sur les
solutions crédibles à mettre en action afin que toutes les richesses patrimoniales
bénéficient de la protection et de la valorisation par tous les acteurs – notamment par la
population – et qu’elles soient, de façon judicieuse, une ressource du développement
local.

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Notes
1 Il ne s’agit pas ici de revenir sur les notions générales de patrimoine et de patrimonialisation.
Le lecteur soucieux de tels détails peut se reporter aux nombreux travaux consacrés à ces
questions. Voir la bibliographie dans Djigo 2015.
2 On peut citer la Société des nations (SDN), la Commission internationale de coopération
intellectuelle (CICI), l’Office international des musées (OIM), l’Organisation des Nations unies
pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
3 Ce terme est emprunté à la littérature consultée (documents officiels ou académiques) ; il
désigne, comme l’a théorisé le président Léopold Sédar Senghor, un type de sénégalais « enraciné
dans les valeurs de sa culture originaire mais ouvert aux valeurs positives des autres continents et
civilisations » (voir Senghor 1980 ; Mbengue 1973 ; Tambadou 1996).
4 Comme l’a noté Diouf (2001 : 15), le Sénégal est un territoire produit par les logiques de la
conquête coloniale et de la formation de l’empire colonial français. Ce mode de production de la
colonie qui deviendra, en 1960, un État indépendant et souverain, s’est traduit par une pratique
administrative et un gouvernement des hommes et des choses dont les effets sont indéniables.
L’espace colonial a assemblé les terroirs discontinus des communautés précoloniales.
5 La première habitation fixe des Français à l’embouchure du fleuve Sénégal (l’île de Bocos),
construite par Thomas Lambert (un marchand qui, depuis 1628 au moins, voyageait en Afrique),
date de 1638. La construction de l’habitation définitive dans l’îlot de Saint-Louis date de 1659. Ce
nouvel établissement, de proportions assez vastes et aménagé en enceinte fortifiée, prend le nom
de fort de Saint-Louis. Il répond largement aux exigences du commerce atlantique de l’époque.
En 1677, le roi envoie dans l’Atlantique une flotte, en partie armée par son commandant, le vice-
amiral d’Estrées. Celui-ci s’empare de Gorée qui appartenait aux Hollandais (ces derniers y étant
établis à la date de 1588) ; il en rase les deux forts établis par les Hollandais cependant que
Ducasse, le futur gouverneur de Saint-Domingue, avec le navire L’Étendu, s’empare de Rufisque,

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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
de Portudal et de Joal, et conclut avec les chefs du pays des traités qui assurent aux Français le
monopole du commerce, moyennant le paiement d’une coutume. En 1698, André Brüe (nommé
directeur de la compagnie du Sénégal en 1697) ordonne les travaux de réparation pour les forts de
Gorée. En 1780, les Français disposent au Sénégal de deux comptoirs principaux : Saint-Louis et
Gorée. Ces comptoirs font l’objet de convoitises entre puissances française et anglaise, et passent
alternativement sous le commandement des deux. Par le traité de Paris du 30 mai 1814, Saint-
Louis, Gorée et leurs dépendances sont restitués à la France. Mais ce n’est qu’en 1816 que la
France entreprend de s’installer effectivement au Sénégal, jusqu’à l’indépendance, en 1960, et y
met en place une administration de type européen. Nommé gouverneur le 25 avril 1816, le colonel
Schmaltz prend le commandement du territoire après l’épisode tragique du naufrage de la
Méduse au large du banc d’Arguin. Le drapeau français flotte à nouveau sur Saint-Louis le 25
janvier 1817. À cette date, on entend, par « Sénégal et dépendances », le Sénégal, c’est-à-dire
Saint-Louis, les dépendances étant Gorée et les établissements de la Petite-Côte, Rufisque, Joal et
Portudal. De part et d’autre de la colonie du Sénégal, l’espace comprend une diversité d’entités
politiques et sociales : les royaumes wolof comme le Walo, le Djolof, le Cayor et le Baol ; ceux,
sereer, du Sine et du Saloum ; celui, pulaar, du Tékrour ou le Fouta Tooro ; ceux, soninke, comme
le Khasso et le Gadiaga ou le Galam ; ceux, manding, comme le Niani, le Wouli, le Bambouk, le
Badibou ; et les différentes principautés de la Casamance : joola, manding, balant, baïnuk. Voir
Cultru 1910, Mbaye 1991, Diouf 2001.
6 La nomination de Faidherbe à la tête du gouvernement du Sénégal, le 16 décembre 1854,
marque une phase importante de la conquête du pays. Cette nomination n’est pas fortuite, car il
fallait « s’apprivoiser » les Noirs et les Maures du Trarza et du Brakna : ce gouverneur a étudié le
monde musulman pendant six ans en Algérie, a été en contact avec les Noirs pendant deux ans à
la Guadeloupe (où il a assisté à la proclamation de la liberté), et en deux ans, au Sénégal, il a
parcouru toute la colonie, il a fait partie de l’expédition du commandant Baudin à Grand-Bassam,
et s’est tenu informé des questions en instance. Faidherbe parvient à imposer la reconnaissance
de l’autorité française à des régions qui l’avaient jusque-là contestée (comme le Walo, le Fouta, le
Djolof, le littoral). Après le départ de Faidherbe (mai 1865), ses successeurs continuent la
politique expansionniste. Ils mènent des campagnes au Cayor, au Djolof, au Fouta, dans le Haut-
Fleuve, au Saloum et en Casamance. Le découpage administratif colonial parachève le
démantèlement des anciens royaumes précoloniaux et le remplacement des oligarques locaux. Un
nouvel ordre colonial se substitue à l’ancien, avec des hiérarchies revisitées (voir Brunel 1892).
7 Sur le plan démographique, Saint-Louis et Gorée présentaient la particularité d’avoir une
population hétérogène. Outre ceux qu’on appelait les « habitants » (les mulâtres, signares,
gourmets, musulmans, plus importants en nombre, à Saint-Louis, et comprenant plusieurs
identités sociolinguistiques), cette population compte des Européens (Français, Antillais ou
autres Européens) et des esclaves ou captifs libérés, selon les périodes. Au contraire, la
population des communes de Dakar et de Rufisque était beaucoup plus homogène dans sa
composition, majoritairement lebu et wolof, comptant notamment, aux côtés d’autres minorités
linguistiques, quelques Gourmets, Sereer, et Hal-pulaaren. La concentration des structures
coloniales dans les capitales administratives – de la colonie du Sénégal et de l’Afrique occidentale
française (AOF) – Saint-Louis puis Dakar favorisait le flux de migrants venus de contrées
voisines et lointaines (Fouta-Tooro, Walo, Djolof, Mauritanie, Sierra Léone, Niger, Maroc,
Antilles). Cette composition hétérogène de la population favorisait la production et le
développement d’une culture hybride avec des influences européennes, arabo-musulmanes,
africaines (voir Boilat 1984 ; Johnson 1991 ; Diouf 2001).
8 Le terme indigène est utilisé dans la littérature de l’époque coloniale pour désigner l’autochtone
et tout ce qui s’attache à lui ; jusqu’à la fin du XIXe siècle, il l’est souvent de façon péjorative, pour
justifier l’impérialisme français et sa politique d’assimilation culturelle.
9 Dans ces villes, nommées les Quatre Communes du Sénégal, la politique, selon le modèle
européen, s’implante dès le XVIIIe siècle. Saint-Louis et Gorée ont déjà des maires africains, au
moment de la Révolution française, et élisent un député à l’Assemblée nationale à Paris, en 1848.
La loi municipale métropolitaine de 1872 accorde aux centres urbains de Gorée et de Saint-Louis
le statut de communes. Rufisque et Dakar accèdent respectivement au statut de communes de
plein exercice en 1880 et 1887. Les habitants des Quatre Communes élisent un conseil municipal
et un député sénégalais à l’Assemblée nationale à Paris. Ils sont pourvus des mêmes droits civils
et politiques que les métropolitains, à condition de se soumettre aux codes culturels et civils
français (voir Johnson 1991).
10 Voir Djigo 2012.
11 On peut citer l’île de Gorée (elle fut, pendant la période de traite atlantique, briguée par les
compagnies commerciales portugaises, néerlandaises, anglaises et françaises), chargée de
mémoire pour les Français qui l’avaient prise sur les Hollandais en 1677. L’île de Gorée tout
entière avait été déclarée site historique et inscrite sur la liste des Monuments naturels et des
sites relevant du ministère des Colonies par l’arrêté no 2272 du 15 novembre 1944. Cette mesure
permettait à Gorée de sauvegarder son cachet colonial et de conserver le style XVIIIe-XIXe siècle
qui fait une bonne partie de son charme. D’autres monuments coloniaux, des sites naturels ou
archéologiques, des objets d’art et lieux de mémoire indigènes furent également inscrits sur la
liste officielle ou proposés au classement. Il s’agissait de la presqu’île dite « pointe des Almadies »
(classée par arrêté no 223 du 10 août 1942) ; d’une collection d’objets anciens en or de style
baoulé-ashanti du XVIIe ou XVIIIe siècle (acquise par l’IFAN de Dakar en 1945 et classée par
arrêté no 1791 du 14 mai 1946) ; de la tour de guet de Dialakhar (située à environ 40 km au sud-

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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
est de Saint-Louis et construite en 1856) ; d’arbres sacrés et lieux de mémoire de la communauté
lebu à Dakar, de sites archéologiques découverts à Dakar et Saint-Louis. Voir Djigo 2012.
12 Du point de vue législatif, le décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites à caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies, étend en AOF
la protection du patrimoine historique monumental. Mais la récupération et la restauration, par
les Français, du patrimoine bâti ancien, pour les besoins du commerce ou de l’administration,
remontent à bien avant les mesures juridiques de protection patrimoniale : on peut citer, à titre
illustratif, les travaux de réparation des forts de Gorée en 1698 (ordonnés par André Brüe), ceux
du fortin de Portudal au XVIIIe siècle, la réappropriation, à Ziguinchor, des bâtiments ayant
abrité l’ex-maison de commerce Maurel et Prom ainsi que l’ex-hôtel de ville. Voir Djigo 2015.
13 Lettre de Théodore Monod (no 580/IFAN), adressée à Monsieur le Directeur des affaires
politiques, administratives et sociales du gouvernement français, datée du 26 février 1947.
Archives nationales du Sénégal, sous-série O 625 (31).
14 Journal officiel, article 2 du décret du 25 août 1937, tendant à la protection des monuments
naturels et des sites de caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque des colonies,
pays de protectorat et territoires sous mandat relevant du ministère des Colonies (Journal officiel
AOF no 1744 du 16 octobre 1937 : 1063-1065) ; article 1er, loi no 561106 du 3 novembre 1956
ayant pour objectif, dans les territoires relevant du ministère de la France d’Outre-mer, la
protection des monuments naturels, des sites et monuments à caractère historique, scientifique
ou ethnographique, et la réglementation des fouilles. Journal officiel de l’AOF du 12 janvier 1957 :
53-57
15 Les langues, les coutumes, la littérature orale (contes, légendes, proverbes, récits épiques ou
initiatiques) avaient des fonctions pédagogiques, morales, identitaires et historiques. Ces
composantes du patrimoine culturel ont longtemps occupé une place de choix dans les sociétés
sénégalaises. Elles permettaient de former les individus en leur léguant les expériences, les
techniques et les valeurs tirées du passé. Elles étaient de ce fait appropriées et transmises
oralement de génération en génération. Voir infra.
16 Bien que l’objectif des recherches ethnographiques coloniales soit de connaître et faire
connaître les populations autochtones et leurs cultures (l’ethnographie descriptive et la
linguistique y ont occupé une place de choix) en vue de mieux les comprendre, de faciliter
l’administration pacifiée de la colonie (inventaire exhaustif des sociétés et des richesses
matérielles et humaines) et l’assimilation culturelle, elles traduisent aussi une nouvelle forme de
patrimonialisation de l’héritage culturel – la communication orale étant le moyen habituel de
transmission des règles de fonctionnement des sociétés, des faits du passé et des traditions
culturelles –, dans la mesure où des traditions historiques orales sont systématiquement
collectées, traduites en français, interprétées et relatées dans des manuscrits, voire vulgarisées
dans des revues scientifiques. « Patrimonialisation » renvoie ici aux nouvelles procédures
d’identification, de connaissance, d’inventorisation, de conservation et de valorisation (à travers
les publications) des éléments du patrimoine culturel qui sont ciblés.
17 Les représentants de congrégations religieuses, dotés d’un idéal d’évangélisation, sont envoyés
au Sénégal à partir du début du XIXe siècle, bien que la présence de prêtres soit attestée dans les
comptoirs dès le XVIIIe siècle. En accord avec l’administration coloniale, les congrégations
religieuses n’ont fait que peu ou pas de prosélytisme dans les zones fortement musulmanes. Les
missions d’évangélisation sont plus actives sur le littoral et à l’intérieur, chez les Sereer de la
Petite-Côte et ceux du Nord-Est, chez les Joola et autres communautés casamançaises, ainsi que
chez les Malinke et les Basari (Robinson 2004).
18 Cette collection de Faidherbe est constituée d’objets d’usage domestique, de parures et
d’armement appartenant aux guerriers et à l’aristocratie en place dans les royaumes voisins de
Saint-Louis ou situés en amont du fleuve Sénégal, et tombés sous le joug français à la suite de
multiples traités de paix et de concessions territoriales. Ces 62 objets faisaient partie auparavant
des anciennes collections du musée des Beaux-Arts de Lille, ils ont été acquis, depuis 1991, par le
Muséum d’histoire naturelle de Lille. Cf. Dembélé 2001.
19 En 1994, le khalife Thierno Mountaga Tall avait obtenu des autorités françaises la mise à
disposition de manuscrits de la bibliothèque omarienne, convertis et sauvegardés en microfiches.
Le sabre du combattant Cheikh El Hadj Omar fut exposé, en 1997, à Dakar, lors de la
commémoration du bicentenaire de la naissance de cette figure historique. Voir Diallo 2011.
20 Voir Mbaye 2006.
21 En France, plusieurs expositions nationales et universelles sont organisées à Paris (en 1855,
1867, 1878, 1895, 1889, 1900, 1907, 1931, 1937), à Lyon (en 1894, 1914), à Marseille (en 1906,
1922), et la plus triomphale est l’Exposition coloniale qui s’est tenue à Paris en 1931.
22 En France, Ernest Théodore Hamy crée, en 1879, le Musée ethnographique du Trocadéro à
Paris (il devient le musée de l’Homme en 1938). En 1931 est inauguré le Musée permanent des
colonies qui devient, en 1933, musée de la France d’Outre-mer, ensuite musée des Arts africains
et océaniens en 1960, puis Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie (MNAAO) en 1991.
L’essentiel des collections du musée de l’Homme, ainsi que celles du MNAAO sont transférées,
entre 2002 et 2004, au musée du Quai Branly, à Paris, ouvert au public en juin 2006. Le MNAAO
est supprimé en janvier 2003 ; le musée de l’Homme a fermé ses portes en 2010 ; il a rouvert,
après avoir été rénové, le 17 octobre 2015. En Afrique occidentale française, Louis Faidherbe crée,

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en 1863, à Saint-Louis (Sénégal), un Musée industriel, ethnographique et d’histoire naturelle.
Lorsque ce premier musée disparaît, les fonds sont transférés à Dakar, en 1869, et rassemblés
dans ce qui prend alors le nom de musée de Dakar. Ces collections sont intégrées à l’institut de
recherche scientifique nommé Institut français d’Afrique noire (IFAN), créé en 1936 à Dakar.
Elles sont par la suite enrichies de collections conséquentes provenant des différentes colonies
d’AOF et d’AEF ; des expositions temporaires sont régulièrement organisées. En 1954 est
inauguré le Musée historique de l’Afrique occidentale française à Gorée. Un nouveau musée
ethnologique, le musée Michel-Adanson, est aussi ouvert à Saint-Louis, en 1956.
23 C’est sous l’égide du gouverneur général Jules Cardes qu’est publié, en 1924, le Bréviaire du
tourisme en Afrique occidentale française, édité par les services du gouvernement général et
imprimé par les services centraux de l’AOF. En 1926, le gouvernement général de l’AOF a édité le
Guide du tourisme en Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose. Ce guide fut
régulièrement réédité et augmenté puis relayé par les Guides bleus Hachette à partir des années
1950. D’après Dulucq (2009 : 28), l’activité touristique, difficile à quantifier en l’état actuel des
recherches et compte tenu de l’imprécision structurelle des sources, ne cesse de progresser tout
au long de la période coloniale, passant de quelques centaines de voyageurs dans les années 1920
à quelques milliers dans la décennie 1950.
24 Comme l’indique Dulucq (2009 : 42), l’émergence d’un patrimoine africain inventorié,
collectionné, étudié, éventuellement sauvegardé et mis en musées, est l’un des aspects culturels
que les guides de l’époque coloniale promeuvent dès qu’ils en ont la possibilité.
25 Les missions scientifiques d’Henri Labouret (1932-1936), de Lhote (1933-1941), de Georges
Waterlot (1935-1937), ainsi que celles de Marcel Griaule (principalement l’expédition
ethnographique de Dakar-Djibouti, en 1931-1933) ont occasionné des collectes importantes
d’objets du patrimoine culturel sénégalais et de l’Afrique francophone. Cf. Archives nationales du
Sénégal : sous-série O604(31). Voyages et missions scientifiques (1932-1942) ; sous-série
O606(31). IFAN, Musée et organisation de la recherche scientifique et ethnographique en AOF
(1933-1942) ; sous-série O625(31). Entrée des missions scientifiques en AOF (1945-1948) ; O626
(31). IFAN : missions scientifiques (1945-1953). Voir aussi les travaux de Féau 2001 et Doquet
1999.
26 La protection du patrimoine culturel et la régulation des fouilles archéologiques dans les
colonies ou protectorats français relevaient du ministère des Colonies. À part la question du
transfert des biens culturels indigènes hors de leur milieu, les mesures et normes de protection
patrimoniale étaient théoriquement calquées sur celles de la France. Du point de vue législatif, un
ensemble de textes réglementaires avait été adopté dans l’optique d’accompagner les mesures de
protection du patrimoine culturel. Pour de plus amples informations concernant l’ensemble des
dispositifs juridiques régulant le patrimoine culturel du Sénégal sous domination coloniale, se
référer à Djigo 2012 ; on retrouve, en annexes du document cité, les textes de loi.
27 Une des institutions les plus prestigieuses est l’Institut français d’Afrique noire (IFAN), fondé
en 1936 à Dakar, et qui rayonna en Afrique occidentale française avec des centres locaux créés
dans les capitales des colonies de la fédération. En 1942 est créé l’Office de la recherche
scientifique coloniale qui deviendra Office de recherche scientifique d’Outre-mer (ORSOM) puis
Office de recherche scientifique et technique d’Outre-mer (ORSTOM) en 1944-1953, rebaptisé
plus tard (en 1998) Institut de recherches pour le développement (IRD). Dans les années 1940,
des Français avaient mis sur pied, au Sénégal, des structures de promotion des artistes locaux :
en exemple, on peut citer les initiatives de Me Causson qui avait monté une sorte d’académie des
arts plastiques africains couvrant l’AOF ; celles de Paul Richez qui avait créé, en 1948, un
établissement privé d’enseignement artistique nommé Conservatoire de musique et d’art
dramatique de Dakar ; à la même époque existait également un institut pour la formation des
plasticiens africains. À partir de 1953, sous l’impulsion du haut-commissaire Bernard Cornut-
Gentil, les centres culturels se développèrent dans plusieurs localités du Sénégal. Voir Djigo 2015.
28 Nous reviendrons sur cette question dans la dernière partie.
29 Pour plus de détails concernant la relation entre le patrimoine immatériel et celui, matériel,
du Sénégal, voir l’analyse dans Djigo 2015.
30 Les concessions ou maisons entourent, le plus souvent, un espace à peu près circulaire, c’est la
grande place centrale. Cette place publique centrale, appelée penc en wolof et diŋgiral en pulaar,
structure l’espace, c’est le lieu de rencontre où se règlent les affaires sociales et culturelles de la
collectivité. Cet espace, en tant que lieu de convivialité et de dialogue, est important aux yeux de
la communauté. Il possède son arbre à palabre, ce lieu symbolique devenant celui d’un
enrichissement mutuel « réel ».
31 Ce couple de notions vise l’enracinement des Sénégalais dans leurs valeurs identitaires
ancestrales, allié à une ouverture aux autres civilisations.
32 À propos de la biographie et de la politique culturelle de Senghor, voir Mbengue 1973 ;
Senghor 1980 ; Vaillant 1990 ; Sylla 1998 ; Mbow 2003 ; Diagne 2007.
33 Le drapeau sénégalais est composé de trois bandes tricolores, verticales et égales, de couleur
verte, jaune et rouge ; il porte au centre de la bande jaune une étoile verte à cinq branches.
34 Pour plus de détails sur les significations de la nouvelle symbolique nationale sénégalaise, cf.
Djigo 2015.

https://journals.openedition.org/africanistes/4617#text 27/33
6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
35 Ces ensembles se chargent de la promotion et de la diffusion (au niveau national et
international) de la culture populaire, notamment les musiques, danses, chants et folklores du
Sénégal. Toutes les composantes ethnolinguistiques du pays y sont représentées et les artistes
choisis, issus de différentes régions du pays, sont solidement enracinés dans le terroir.
36 Cf. Rapport sur les résultats…, 1969.
37 Créée en 1968 sous le nom de Direction du patrimoine historique, ethnographique et
artistique, elle devient la Direction du patrimoine national (DPN) en 1970, puis la Direction du
patrimoine historique et ethnographique (DPHE) par le décret no 70-093 du 27 janvier 1970,
rebaptisée Direction du patrimoine culturel (DPC) par le décret no 2003-464 du 24 juin 2003.
38 À l’issue de ces missions, deux nouveaux textes de loi (abrogeant la loi coloniale no 56-1106 du
3 novembre 1956) régissent le patrimoine culturel : la loi no 71-12 du 25 janvier 1971 fixant le
régime des monuments historiques et celui des fouilles et découvertes ; le décret d’application no
73-746 du 8 août 1973 qui permet une inscription sur la liste nationale en fonction de l’intérêt
historique, scientifique, légendaire ou pittoresque. L’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-
DSMH-BE en date du 15 octobre 1979 porte publication de la liste des quarante-huit monuments
et sites historiques classés. Cf. Journal officiel de la République du Sénégal du 17 novembre
1979 : 1200.
39 L’île de Gorée est réappropriée et instrumentalisée par les autorités de l’État sénégalais
postcolonial en tant que symbole des préjudices subis par la race noire (la traite négrière et la
colonisation). Sur cette question, cf. Quashie 2009.
40 Le Festival mondial des arts nègres est organisé à Dakar en 1966, plusieurs colloques et
expositions, initiés par le président Senghor, sont tenus à Dakar.
41 Des critiques virulentes sont formulées par les adversaires politiques de Senghor et les
intellectuels marxistes. On peut citer Abdoulaye Ly (il a fait parti des dirigeants du Parti du
regroupement africain) ; Majhmout Diop (partisan du marxisme, il a été le secrétaire général du
Parti pour l’indépendance du peuple) ; Cheikh Anta Diop (égyptologue, marxiste et défenseur de
la littérature wolof, il a été le secrétaire général du Bloc des masses sénégalaises puis du Front
national sénégalais – ces deux partis politiques sont dissous par des arrêtés du gouvernement de
Senghor –, et enfin du Rassemblement national démocratique) ; le linguiste Pathé Diagne ; le
romancier et cinéaste Ousmane Sembène.
42 Par exemple, sur les sceaux de la République du Sénégal, on peut remarquer que le lion,
symbole de majesté, de dignité et de puissance, se retrouve dans le nom même de Diogoye (le
lion, en sereer), le père du président Senghor (Diogoye Basile Senghor était un riche propriétaire
terrien et un commerçant renommé qui recevait les visites du Buur – roi sereer – Sine Coumba
Ndofène Diouf). Léopold Sédar Senghor a fait du lion l’emblème de son parti, le Bloc
démocratique sénégalais (BDS), fondé en 1948. Plus tard, au cours de sa présidence de la
République, il institue l’ordre du Lion comme la plus haute distinction que le Sénégal peut
décerner. Quant à la symbolique du baobab, qu’on retrouve sur les sceaux de la République, on
peut dire qu’en milieu sereer (groupe d’origine du président Senghor), c’est un arbre sacralisé qui
matérialise, très souvent, un lieu de culte s’il est le réceptacle des pangool ou esprits ancestraux.
Chez les Sereer, le baobab symbolise aussi le lieu d’intronisation du roi et, selon la tradition, les
buur livraient, très souvent, des batailles autour de cet arbre sacré. Cf. Diouf et Diop 1990 : 11-12.
43 Dans l’entreprise de construction nationale, le poète-président incite la jeunesse, à travers
l’hymne de la jeunesse du Sénégal, à faire référence à « Nos ancêtres [qui], depuis leurs
tendresses noires – Ont tracé droit le chemin – Et forgé notre destin… Tel Lat Dior Ngoné Latyr –
Tendant nos jeunes cœurs vers ton soleil – Oui, s’il le fallait – Demain, nous offrirons notre
souffle – Pour te défendre – Ô notre patrie ! » En fait, le texte de l’hymne de la jeunesse est une
réadaptation par le président Senghor du chant traditionnel dont le titre est « Ñaani bañena ».
Cette chanson a été composée par Samba Coumba Kalado, qui jouait au xalam et la chantait en
l’honneur de Lat Dior, notamment lors de sa bataille contre le buur Ñaani (« roi du Ñaani », le
Ñaani était un royaume manding situé dans l’actuel Sénégal Oriental). Par la suite, elle a été
reprise par beaucoup de chanteurs et joueurs de xalam. Cf. Samb 1986 : 20.
44 De 1960 à 1970, l’université de Dakar est marquée par l’existence d’organisations
estudiantines fortes. Sous la poussée de pressions nationalistes des indépendances, le
mouvement estudiantin a inscrit son action dans le champ d’une lutte contre le
« néocolonialisme » et ceux qui sont considérés comme ses représentants locaux. La plupart des
membres de ces associations estudiantines sont imprégnés du marxisme et actifs dans le Front
culturel du Sénégal (FCS), un mouvement culturel révolutionnaire et patriotique (très actif à la
fin des années 1970) lié aux partis politiques clandestins, notamment celui, maoïste, And Jëf
(dont le secrétaire général, Landing Savané, est d’origine casamançaise et joola). Le FCS s’est
lancé dans la production, en wolof écrit en caractères latins, de poésies et chansons culturelles
révolutionnaires et patriotiques, et de textes de vulgarisation scientifique. Parmi les brochures en
langue wolof (l’usage de cette langue de communication au Sénégal, par le FCS, lui permettait
une meilleure diffusion de ses idées) du FCS, on peut citer : Teerebtannu taalifu xare Sénégal
(Anthologie de la poésie sénégalaise de combat), paru en mai 1977 ; et la parution, en juillet 1978,
de Tànn ci mbindum Maawo Se Tun (traduction de trois textes de Mao Tsé-Toung : De la
pratique (Ci mbiri jëf) ; Servir le peuple (Jariñ askan wi) ; D’où viennent les idées justes (Fan la
xalaat yu jub yi di sosoo ?). Le FCS avait aussi publié des brochures en langue française,
notamment « Lamine Senghor : vie et œuvres » et « Aliin Sitoé Diatta : vie et œuvres ».

https://journals.openedition.org/africanistes/4617#text 28/33
6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
45 Pour une biographie de Lamine Senghor, voir Sagna 1986 et la brochure publiée en juillet 1979
par le FCS.
46 À propos de ce personnage, cf. Girard 1969.
47 Sidya Diop est le fils héritier de la dernière souveraine du Walo, la reine Ndatté Yalla. Il a été
envoyé à l’« École des otages » de Saint-Louis (créée en 1856 par le gouverneur Faidherbe et
appelée par la suite « École des fils de chefs et des interprètes »), puis au lycée d’Alger, en 1861,
pour y effectuer ses études secondaires. À son retour d’Alger, il a passé quelque temps à l’école
des frères et s’y est fait discrètement chrétien ; Faidherbe a été son parrain et il a été baptisé
Sidya Léon Diop. Par une décision du 18 mars 1871, Sidya Léon Diop est nommé chef supérieur
du Walo. Devenu l’âme d’une résistance antifrançaise, il fut déporté au Gabon au début de 1876,
où il mourut, le 26 juin 1878, âgé de 30 ans. Cf. Bouche 1975 : 336-338.
48 L’une des crises politiques qui secoue le gouvernement est celle qui éclate le 17 décembre
1962, opposant les deux ex-compagnons : le président Senghor et le Premier ministre Mamadou
Dia. Voir Hesseling 1985, Mbaye 2012.
49 Avec l’ouverture politique de l’après-guerre, a été créé (en 1947) un mouvement politique
casamançais appelé Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), animé par
des intellectuels casamançais, dont les principaux leaders ont été Émile Badiane et Ibou Diallo.
Plusieurs travaux ont été consacrés à la question casamançaise : voir, parmi les auteurs ayant
travaillé sur cette question : Darbon 1988 ; Barbier-Wiesser 1994 ; Foucher 2002 ; Awenengo
Dalberto 2005 ; Marut 2010 ; Diédhiou 2011 ; Manga 2012.
50 L’initiative et l’organisation d’une marche indépendantiste porte la marque de Mamadou Sané
dit « Nkrumah » (originaire du Blouf, dans le département de Bignona, il a quitté la Casamance
en 1964 pour la Mauritanie, puis le Maroc, avant de s’installer à Paris à partir de 1967), appuyé
par les leaders locaux de la contestation. Des réunions préparatoires ont lieu dans les bois sacrés
(de Bourofaye et de Diabir, en périphérie de Ziguinchor), où sont échangés les serments
traditionnels. Le 26 décembre, des centaines de personnes partent de Mangagoulak, sur la route
d’Oussouye, et marchent vers le centre-ville. Devant la gouvernance de Ziguinchor (siège de
l’autorité administrative), les manifestants – avec « des femmes nues en tête, suivies des hommes
armés d’arcs et de flèches empoisonnées et arborant des fétiches » – parviennent à hisser un
drapeau blanc (présenté comme emblème de la Casamance) à la place du drapeau du Sénégal
(Darbon 1984 ; Marut 2010).
51 Certains auteurs retiennent l’année 1949 comme étant celle de la création du MFDC historique
(voir Awenengo Dalberto 2005).
52 C’est l’argumentaire historique utilisé par les idéologues du MFDC pour légitimer leur
discours séparatiste.
53 À propos du bukut, voir Thomas 1959 : 697-709.
54 Voir, sur cette question, Diouf 2001.
55 Voir infra, p. 335.
56 En 1984, une réforme administrative a divisé le découpage colonial de la région de Casamance
en deux régions : celle de Ziguinchor (la ville de Ziguinchor était la capitale administrative de la
région de Casamance depuis 1909) et celle de Kolda.
57 Cf. Diop et Diouf 1990.
58 Cf. Enda 1991 ; Diouf 1992 et 2003 ; Havard 2005.
59 On revient sur cette floraison des journées culturelles.
60 Pour plus de détails, voir Tambadou 1996.
61 Le FESNAC est une manifestation biennale qui se déroule durant quatre jours dans une
capitale régionale différente en vue de faire découvrir et de valoriser le patrimoine et les
spécificités culturelles et artistiques de la région.
62 L’idéologie du sursaut national prône un enracinement aux valeurs dites sénégalaises.
63 Un ministère délégué chargé de l’Éducation de base et de la promotion des langues nationales
du Sénégal est créé en 1991.
64 C’est le cas, à Dakar, de la statue coloniale communément appelées « Demba et Dupont »,
représentant deux soldats : l’un français, l’autre sénégalais. Elle a été érigée en 1923 à la mémoire
des morts des troupes de l’AOF ayant participé à la Première Guerre mondiale ; elle se dressait au
rond-point de l’Étoile, ex-place Tascher, rebaptisée place Soweto. La mesure a concerné aussi la
statue représentant Faidherbe, qui se dressait devant le palais de la République. Ces statues sont
démontées dans la nuit du 13 au 14 août 1983 et transférées au cimetière catholique de Bel-air ;
celle représentant Faidherbe est actuellement conservée au musée des Forces armées (créé en
1997, il est devenu musée de la Direction des archives et du patrimoine historique des forces
armées du Sénégal). Celle de « Demba et Dupont » est récupérée sous la présidence d’Abdoulaye
Wade (je reviens un peu plus bas sur cette statue). À propos de l’histoire de ces statues, voir
Archives nationales du Sénégal, sous-séries 4P1501à 4P1507. Voir aussi « Les statues de la place
Tascher et de Faidherbe enlevées », Le Soleil du 17 août 1983, p. 3.
65 Diop (2013 : 38-42) remarque que « l’action d’Abdoulaye Wade a été structurée par une
logique puisant, selon ses intérêts politiques ou les opportunités qu’il savait si bien exploiter, ses
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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
références dans la “tradition” ou la supposée modernité. Sa prétention de soi insiste sur son
expérience : il est celui qu’on ne peut pas surprendre, tellement il est malin (naandite, muus,
baripexe). Elle recourt parfois aux valeurs dites traditionnelles wolof, comme on l’a noté au
travers de ses références fréquentes au courage (fit). Les valeurs guerrières, le grand courage, la
virilté (goor fit, fit mooy goor : c’est le courage qui fait l’homme) structurent ses propos […].
Mais ce recours aux vertus dites traditionnelles est sélectif. […]. Son territoire de prédilection
n’est pas l’Université ou le débat d’idées qu’affectionnaient Senghor, Mamadou Dia et le
majestueux Cheikh Anta Diop. Son souci majeur a été de fréquenter d’abord les lieux permettant
de renforcer son pouvoir, d’affiner sa technologie de commandement en vue de s’imposer, de
provoquer et d’anéantir ses adversaires ».
66 La posture du taalibe (disciple) et la récupération de la mystique du travail de l’idéologie
mouride.
67 Le budget est presque de 6 milliards de francs CFA en 2006 et d’environ 17 milliards de francs
CFA en 2009 ; ce gonflement est lié à l’organisation du Festival mondial des arts nègres
(FESMAN), plusieurs fois reporté, et qui s’est tenu du 10 au 31 décembre 2010 à Dakar.
68 Il y a eu différentes options pour le choix des appellations du ministère chargé de la Culture,
depuis 2000. Ainsi, on a eu successivement l’existence des ministères suivants : Culture et
Communication ; Culture ; Culture et Loisirs ; Culture et Patrimoine historique classé ; Culture,
Patrimoine historique classé, Langues nationales et Francophonie ; et fi Culture et Cadre de vie.
69 Le centre historique de la ville de Saint-Louis est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de
l’Unesco en décembre 2000 (la procédure de préparation du dossier de nomination du site est
entamée en 1998), le rituel initiatique manding ou Kankurang en janvier 2006, les cercles
mégalithiques de Sénégambie en juillet 2006, le delta du Saloum en juin 2011, les paysages
culturels bassari, peul et bedik en juin 2012.
70 Le « Parc culturel » devrait abriter les « sept merveilles architecturales » : la Bibliothèque et
les Archives nationales, la place de la Musique, l’École des arts, l’École d’architecture, le musée
des Civilisations noires et un Grand Théâtre (construit sur financement du gouvernement de la
République populaire de Chine, il est fonctionnel depuis avril 2011).
71 Cf. De Jong et Foucher 2010 : 187-204.
72 Source : Débats sur les chaînes de télévision sénégalaises publique (RTS) et privées (Walfadjri,
2STV), la presse écrite et Internet.
73 Abdoulaye Mbaye Pekh, le griot « officiel » du président Wade, l’a surnommé « Président des
inaugurés », une expression composée de mots français « wolofisés ». Ce surnom met en
évidence le développement infrastructurel mis en œuvre par Abdoulaye Wade, le « bâtisseur »,
qui lui-même préside pratiquement toutes les cérémonies d’inauguration largement médiatisées.
74 Sans prétendre épuiser les exemples de ce genre de manifestations culturelles, on peut citer les
Journées culturelles de Bakel, initiées par des responsables politiques (maires, conseillers
municipaux) et coutumiers issus de cette localité située dans le Sénégal oriental (région de
Tambacounda, ancienne capitale du royaume soninke de Gadiaga) ; le Festival des ethnies
minoritaires (Basari, Jalonke, Bedik) de Bandafassi (département de Kédougou, région de
Tambacounda), initié par le conseil régional ; les Journées culturelles sereer, organisées dans un
village (désigné) circonscrit dans le terroir sereer du Sine-Saloum par l’ONG Ndef Leng, qui
fédère plusieurs villages ; les Journées culturelles de Sédhiou (dans la région sud du Sénégal,
pays manding et balant ; localité inscrite dans l’empire précolonial du Gabou) ; le carnaval de
Ziguinchor (région sud du Sénégal), initié par les autorités municipales de cette région ; le
Festival des blues du fleuve à Podor (dans le terroir pulaar du Fouta, vallée du fleuve Sénégal),
initié par le chanteur Baaba Maal ; les Journées culturelles lebou, initiées par différentes
collectivités lebou du Cap-Vert et organisées à Ouakam, Rufisque, Yène. Ces manifestations font
revivre les traditions, les rites et les cultes du passé des terroirs précoloniaux. Des fresques
grandioses mobilisent des milliers d’acteurs, reconstituant les scènes du passé : circoncision,
initiation, mariage, lutte traditionnelle, rite funéraire, cérémonie de sacrifice dédiée aux ancêtres,
aux génies ou aux esprits du clan ; et cela, même dans des régions où certains rites et/ou
cérémonies restent d’actualité.
75 Les gamou, ziara, magal, thiant sont des manifestations culturelles, animées par des chants
soufis et des récits coraniques ou confrériques, tenues par des marabouts ou disciples d’une
confrérie religieuse musulmane du Sénégal (mouride, tidjane, khadre, layène, niassène).
Lorsqu’elles sont organisées dans les capitales confrériques (comme Touba, Tivaoune, Médina
Baye à Kaolack, Cambérène ou Yoff Layène à Dakar, Ndiassane, Thiénaba) ou les endroits
marqués par le passage de marabouts confrériques, elles donnent l’occasion aux fidèles ou taalibe
de visiter les zawiyya (chaque confrérie se rattache à une zawiyya, qui est à la fois la maison
mère de celle-ci et son siège social, un centre d’études coraniques et de litanies ou invocations
propres à la confrérie, et un lieu de pèlerinage), mosquées et tombeaux de leurs guides religieux.
76 Un groupe socioculturel renvoie ici à une communauté identitaire ethnique : Sereer,
HalPulaar, Joola, Soninke, Lebu, Manding et autres.
77 Dans le cadre de ma thèse, j’ai effectué deux voyages au Sénégal : du 18 juillet au 5 septembre
2003, puis du 19 janvier au 11 avril 2005. Dans cette thèse, la réflexion sur le patrimoine matériel
et immatériel s’est également servie des données de terrain (en mémoires de maîtrise et de DEA)
issues d’enquêtes systématiques auprès des populations riveraines des sites archéologiques et
historiques du delta du Saloum au Sénégal (Djigo 2001 et 2000). Du 23 mai au 7 juin 2015, lors
https://journals.openedition.org/africanistes/4617#text 30/33
6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
d’un séjour au Sénégal, j’ai effectué des enquêtes complémentaires sur le patrimoine culturel en
langues wolof, pulaar, sereer, joola, manding et soninke, promues au rang de « langues
nationales » par le décret présidentiel no 71-566 du 21 mai 1971.
78 Si le wolof est une des langues nationales du Sénégal, à côté du français qui est retenu comme
étant la langue officielle, il est dans les faits la principale langue vernaculaire du pays. À ce titre,
j’ai utilisé le wolof, et parfois le français, au cours de mes entretiens avec des personnes
ressources, autour de la question du patrimoine culturel et naturel, dans le cadre de mes travaux.
79 Terme wolof, le aada renvoie à un rituel, une coutume qui remonte à un passé lointain, c’est-
à-dire le baax (une bonne valeur) ou baaxu maam (les bonnes valeurs des ancêtres) et qui est
reconnu, perpétué, respecté par les héritiers. L’importance du aada ou baaxu maam au regard de
la communauté, des individus adhérents, qui se l’approprient, en fait un mythe, au risque,
parfois, de l’entacher de superstition. Cosaan : origine, cause, substantif du verbe sos qui signifie
« créer ». Le cosaan renvoie, généralement, à une tradition, une valeur ou une pratique qui se
serait formée depuis le passé, par les ancêtres, et qui se serait fossilisée à un certain moment de
l’histoire à partir duquel elle aurait continué d’être transmise, jusqu’à devenir une habitude.
80 Terme wolof, le ndono est l’héritage reçu des ancêtres ; il englobe l’ensemble des aada ak
cosaan et va au-delà de ces champs.
81 Ces « monuments historiques » ou « richesses du passé » sont constitués d’un ensemble de
données que les sociétés ont tenté de conserver en les inscrivant dans l’espace ou en les
mémorisant dans les cadres de référence identitaires qu’elles ont mises en place : les
« traditions ». Elles relèvent de divers domaines : le droit (règles de succession, appropriation du
sol et règles de gestion foncière) ; l’histoire (généalogie des familles, histoire de lieux ou
d’événements) ; les techniques artisanales (art du cuir, tissage et teinture du textile, poterie,
vannerie, bijouterie) ; les traditions initiatiques diverses dans le cadre des rites de passage
(circoncision, initiations, excision, tatouages) ; les harmonies musicales (berceuses, chants
funéraires ou initiatiques, incantations) ; les jeux traditionnels (mbappat, lambi golo, baay gaal,
langaa buri, jal bi jalaan, yaa kabati kabati yaa, wure, tam). Le propos, ici, n’est pas de faire
une recension de symboles politiques ou mythiques, de la structuration socioprofessionnelle chez
certains groupes (Wolof, Manding, Pulaar, Soninke, Sereer du Sine), de traditions et référents
identitaires spécifiques de différentes communautés socioculturelles du Sénégal. Une large
analyse a été consacrée à la représentation et au fonctionnement de la notion de patrimoine
culturel à travers les mémoires historiques et traditions rituelles de divers groupes linguistiques
du Sénégal. Je renvoie le lecteur à Djigo 2015 pour des exemples précis à ce sujet.
82 Entretien avec Amadou Seydou Datt, agent de programmes, présentateur du journal pulaar à
la RTS, interrogé le 1er juin 2015 à la RTS.
83 Entretiens avec Abdoulaye Ndiaye, agent de programmes, présentateur du journal en sereer ;
Djiby Ndiaye, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages en langues sereer et wolof, présentateur du
journal et d’émissions culturelles sereer à la RTS et à Radio Ndefl interrogés le 2 juin 2015.
84 Entretien avec Gaston Sambou. Formateur dans la transcription du joola, il a participé à
l’élaboration du dictionnaire joola-français ; il est agent de programmes et présentateur du
journal en joola à la RTS ; interrogé le 1er juin à la RTS et le 4 juin au quartier Ouest-Foire Dakar.
85 Entretiens avec Ousseynou Dianka et Ablaye Tandian, agents de programmes, présentateurs
du journal en soninke à la RTS, interrogés le 1er juin 2015.
86 Entretien avec Amadou Lamine Dramé, écrivain en langues française, manding, et wolof ;
agent de programmes et présentateur du journal en manding à la RTS, interrogé le 4 juin à la
RTS.
87 On peut distinguer différentes sphères : politique (comme les lieux d’intronisation des
dignitaires locaux, les anciennes capitales de royaumes précoloniaux, les champs de bataille),
religieuse et mythique (comme les bois, arbres, puits et forêts sacrés ; les mosquées et églises
anciennes ; les lieux de passage de saints musulmans ou chrétiens, les manuscrits produits par
des érudits musulmans), sociale (comme les places publiques, les lieux et arbres à palabre).
88 Voir, à ce propos, Ly 1966, Sylla 1978.
89 Il y a une implantation de la spiritualité chez les Sénégalais, une appropriation du patrimoine
religieux. Dans un pays où près de 95 % de la population est musulmane, l’Islam a inscrit ses
empreintes dans la société sénégalaise. Le système culturel arabo-musulman est ancré dans la
structure sociopolitique, les langues locales, les comportements, l’habillement, les cérémonies
(naissance, mariage, décès) et l’éducation familiale des Sénégalais. Voir Djigo 2015.
90 Dans le processus de constitution de l’État sénégalais postcolonial, la logique mise en œuvre a
privilégié le modèle wolof au détriment des logiques des autres communautés qui sont mises à
l’écart. Cette hégémonie wolof trouve sa source dans le système colonial qui, en déplaçant le
centre de l’autorité et du commandement vers les villes (les Quatre Communes), a accordé un
privilège au groupe des Wolof. La logique coloniale a procédé, volontairement ou non, à
l’affaiblissement des institutions rurales. Parmi celles-ci, seules les confréries ont pu résister. Ces
résistances ne peuvent s’expliquer, dans le cas des communautés wolof, que par les nécessités de
la consolidation de l’économie arachidière, culture qui s’est développée dans le pays wolof. Les
principales villes coloniales s’étant établies en zones wolof, ce phénomène favorisa, de fait, cette
communauté. « Langue hégémonique urbaine, le wolof est aussi l’instrument du commerce ; c’est

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6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal
la langue de l’arachide, de la radio, langue parallèle de l’administration et de l’école. » Cf. O’Brien
2002 ; Diop et Diouf 1990 ; Diouf 1994 ; Hilary 2011.
91 On peut citer l’exemple des rites de possession comme le ndëp chez les Lebu et le lup chez les
Sereer ; le xooy sereer (cérémonie au cours de laquelle des saltige – médiateurs entre le monde
des humains et celui des esprits dits supérieurs – de différents horizons sont invités à faire des
déclarations publiques et à dresser le bilan de l’année écoulée et des prévisions, pour l’année à
venir, sur l’hivernage et les risques de calamités) ; les rites de fécondité comme le kañalen chez
les Manding et les Joola, le gamond chez les Bedik ; les rites initiatiques des circoncis comme le
kankurang chez les Manding, le ndut chez les Sereer, le nitch chez les Basari, le bukut chez les
Joola, les Baïnuk et certaines autres communautés de la Casamance.
92 Cf. Corbeil et al. 1948 : 378-460 ; Bocoum 2002 : 185-213 ; Niang 2011 : 157-168 ; Sy et al. sd.
93 Les amas coquilliers sont des dépôts artificiels de coquillages de dimensions variables obtenus
par suite de l’accumulation de coquilles après consommation de la chair. Au Sénégal, ils sont
localisés le long du littoral atlantique, notamment dans les deltas du Sénégal et du Saloum mais
aussi en Casamance. Ils sont identifiés comme des sites archéologiques originaux. Les amas
coquilliers localisés dans le delta du Saloum sont très particuliers, du fait de la présence de
tumulus édifiés sur certains d’entre eux (tertres en coquilles renfermant un ou plusieurs défunts).
Les amas coquilliers du delta du Saloum constituent une des provinces les plus originales de la
protohistoire sénégambienne. Le delta du Saloum, avec ses paysages naturels et culturels (les
amas coquilliers) est classé sur la liste nationale, depuis l’arrêté ministériel no 12619 MC-DPN-
DSMH-BE en date du 15 octobre 1979 portant publication de la liste des monuments et sites
historiques du Sénégal. Le delta du Saloum est inscrit en tant que paysage culturel sur la liste du
patrimoine mondial de l’Unesco, le 24 juin 2011.
94 Il s’agit de gisements néolithiques situés dans la région de Thiès. Classés sur la liste du
patrimoine national, ils sont pourtant exploités en tant que carrières de sable par des riverains et
par la Direction des travaux publics. Cf. Corbeil et al. 1948 : 434-435 ; Kane 2001 : 28.
95 Cf. les travaux de Thilmans et Descamps 1982 ; Thilmans 1997 ; Thiobane 1998 ; Mbow 1999 ;
Boucal 2000 ; Djigo 2000 ; Mbaye 2000.
96 Dans le cadre de la réalisation d’un mémoire de maîtrise, une équipe de recherche –
supervisée par Marie-Amy Mbow (IFAN) et Paul Ndiaye (département de géographie UCAD),
financée par l’UICN –, constituée de deux géographes et d’une historienne, avait mené, en 1999
des enquêtes systématiques sur l’exploitation et la commercialisation des amas coquilliers dans le
delta du Saloum. À propos des résultats de cette équipe de recherche, voir Boucal 2000, Djigo
2000, Mbaye 2000.
97 Les vestiges archéologiques contenus dans les amas coquilliers du delta du Saloum ont prouvé
que ces derniers sont d’origine anthropique. Ils sont le résultat d’une activité de collecte de
mollusques effectuée par un peuplement ancien protohistorique. Alors que le peuplement actuel
des îles du Saloum serait issu d’une migration de Manding originaires du Gabou. Cf. à propos de
l’histoire de cette migration, Pélissier 1966 : 407-411 ; Martin et Becker 1979 : 722-772 ; Gravrand
1983 : 173-185.
98 Les sites exploités en carrière se trouvent dans le territoire villageois, et les exploitants
résident généralement dans la localité à laquelle les amas coquilliers sont administrativement et
historiquement rattachés. L’exploitation est libre pour tout natif du village, les amas coquilliers
étant considérés comme un bien commun à l’échelle villageoise. Dans le cas où l’équipe
d’exploitants d’un amas coquilliers (la compagnie) réside dans une autre localité, il faut au
préalable recueillir l’autorisation de l’autorité coutumière villageoise qui est supposée être le
garant du foncier.
99 Voir les travaux dirigés par Den Boer et Frihoff 1993 ; Chrétien et Triaud 1999, Gaultier-
Kurhan 2001 ; de Jong et Rowlands 2007.

Pour citer cet article


Référence papier
Adama Djigo, « Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au
Sénégal », Journal des africanistes, 85-1/2 | 2015, 312-357.

Référence électronique
Adama Djigo, « Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au
Sénégal », Journal des africanistes [En ligne], 85-1/2 | 2015, mis en ligne le 07 juillet 2016,
consulté le 06 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/africanistes/4617

Auteur
Adama Djigo
Chercheuse associée à l’African Studies Centre Leiden (Pays-Bas)

https://journals.openedition.org/africanistes/4617#text 32/33
6/2/2020 Patrimoine culturel et identité nationale : construction historique d’une notion au Sénégal

Droits d’auteur
Société des africanistes

https://journals.openedition.org/africanistes/4617#text 33/33

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