Simone de Beauvoir
33. Jahrgang 2008
Herausgegeben von / édité par Wolfgang Asholt, Hans Manfred Bock, Alain Montandon, Michael Ner-
lich, Margarete Zimmermann. Wissenschaftlicher Beirat / comité scientifique: Réda Bensmaïa . Tom
Conley . Michael Erbe . Gunter Gebauer . Wlad Godzich . Gerhard Goebel . Roland Höhne . Alain
Lance . Jean-Louis Leutrat . Manfred Naumann . Marc Quaghebeur . Evelyne Sinnassamy . Jenaro Ta-
lens . Joachim Umlauf . Pierre Vaisse . Michel Vovelle . Harald Weinrich . Friedrich Wolfzettel
L’esperance de l’endemain
Ce sont mes festes.
Rutebeuf
Redaktion/Rédaction: François Beilecke, Corine Defrance, Andrea Grewe, Wolfgang Klein, Katja Mar-
metschke
Sekretariat/Secrétariat: Nathalie Crombée
Umschlaggestaltung/Maquette couverture: Redaktion/Rédaction
Titelbild: Hélène de Beauvoir, Simone de Beauvoir au chemisier jaune (1936), © Claudine Monteil
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ISSN 0170-3803
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ressort politique et sciences sociales: Prof. Dr. Hans Manfred Bock, Universität Kassel, FB 5, Nora Pla-
tiel-Straße 1, D-34109 Kassel, hansmanfredbock@web.de
Editorial ................................................................................................................. 3
Dossier
Thomas Stauder (ed.)
Forum
Hélène Yèche: La revue Rencontres franco-allemandes
de 1959 à 1989: images de la RDA en France ................................................. 120
Actuelles
Hans Manfred Bock: Modell oder Solitär? 45 Jahre
Deutsch-Französisches Jugendwerk ................................................................ 132
Entretien
Aïssatou Bouba/Natascha Ueckmann: „Ce qui nous rabaisse, c’est
la violence du discours sur l’Afrique“. Entretien avec Abdourahman A. Waberi 143
In memoriam
Hans Manfred Bock: Europäische Kulturpolitik als gesellschaftliche Praxis
(Robert Picht 1937 – 2008) ............................................................................... 156
Comptes rendus
Ch. Jérusalem: Jean Echenoz (Ch. v. Tschilschke) ........................................................... 165
P. W. Lakowski: Romanciers libertins du XVIIIe siècle (C. Fischer)..................................... 167
J.-P. Scot: ‘L’Etat chez lui, l’église chez elle’ comprendre la loi 1905 (C. Klünnemann)...... 169
C. Ruhe: Cinéma beur (E. Notard) .................................................................................... 172
A. Gide & J. Schiffrin: Correspondance/J. van Tuyl: André Gide
and the 2nd World War (St. Steele)..................................................................................... 174
3
Editorial
4
Editorial
tors infrage stellt: „Si je le suis, c’est dans d’honorer en 1985, avec Claude Simon,
le sens où je me suis indigné contre un Nouveau Romancier qui personnifiait
l’injustice et la violence.“ (Le Monde, la critique de cet engagement; au-
11.10.2008) War die Wahl des vorletzten jourd’hui, nous lisons ses romans comme
Nobelpreisträgers 1964 noch eine Entschei- une assimilation narrative du choc des
dung für die engagierte Literatur, auch civilisations du siècle dernier. Peut-être
wenn das Engagement Sartres so groß qu’avec Le Clézio commence la fin du
war, daß er den Preis ablehnte, so sollte purgatoire quadragénaire du Nobel de la
mit Claude Simon 1985 ein Nouveau Ro- littérature de langue française. Décrit
mancier geehrt werden, der die Kritik die- comme „l'auteur de nouveaux départs,
ses Engagements personifizierte; heute d'aventures poétiques et d'extases sen-
lesen wir seine Romane als narrative Ver- suelles, explorateur d'une humanité bien
arbeitung des Zivilisationsbruches des au-delà de la civilisation“ par le Comité
vergangenen Jahrhunderts. Vielleicht be- Nobel, on ne peut lui reprocher ni un
ginnt mit Le Clézio das Ende des vierzig- franco- ni un eurocentrisme. Le Clézio fait
jährigen Nobel-Purgatoriums der franzö- partie des signataires du manifeste „Pour
sischsprachigen Literatur. Als „Verfasser une littérature-monde en français“, dans
des Aufbruchs, des poetischen Abenteu- lequel on peut lire: „Le monde revient. Et
ers und der sinnlichen Extase, als Erfor- c’est la meilleure des nouvelles. N’aura-t-
scher einer Menschheit außerhalb und il pas été longtemps le grand absent de la
unterhalb der herrschenden Zivilisation“ littérature française?“ (Le Monde, 16/3/2007)
(Nobel-Komitee) lassen sich ihm weder Cette époque ne trouvera une fin que si
Franko- noch Eurozentrismus vorwerfen. une ou un auteur de la littérature de lan-
Le Clézio zählt zu den Unterzeichnern gue française des autres parties du
des Manifests „Pour une littérature-monde monde reçoit ce prix. Pour cela le Comité
en français“, in dem es heißt: „Le monde Nobel a apparemment manqué du cou-
revient. Et c’est la meilleure des nouvel- rage dont fait preuve Le Clézio avec ses
les. N’aura-t-il pas été longtemps le grand sujets.
absent de la littérature française?“ (Le Nous sommes heureux de pouvoir pré-
Monde, 16.3.2007) Beendet ist diese Epo- senter, à la fin de l’année consacrée à
che jedoch erst, wenn eine Autorin oder Simone de Beauvoir, un dossier conçu de
ein Autor der französischsprachigen Lite- manière internationale par Thomas Stau-
raturen aus anderen Teilen der Welt die- der. Ce dossier poursuit la série des dos-
sen Preis erhält. Dazu hat der Nobel-Jury siers dédiés à ce sujet. Nous le remer-
wohl der Mut gefehlt, den Le Clézio mit cions ainsi que Claudine Monteil qui a mis
seinen Themen unter Beweis stellt. à notre disposition l’illustration du titre de
Wir freuen uns, zu Ende des Simone de Hélène de Beauvoir.
Beauvoir-Jahres ein von Thomas Stauder
international konzipiertes Dossier vorle-
gen zu können, das die Reihe der ent-
sprechenden Schwerpunkte fortsetzt. Ihm
und Claudine Monteil, die die Titelillustra-
tion von Hélène de Beauvoir zu Verfü-
gung gestellt hat, sei dafür herzlich ge-
dankt. Wolfgang Asholt * Hans Manfred Bock
5
Dossier
Thomas Stauder (ed.)
Thomas Stauder
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Dossier
das andere Geschlecht. Comme son titre le laisse déjà comprendre, ce livre se
concentre sur l’ouvrage principal beauvoirien de 1949 et laisse en grande partie de
côté les autres textes ainsi que la biographie. Schönherr-Mann analyse la pensée
beauvoirienne selon sept catégories établies par lui-même: „Qu’est-ce que cela si-
gnifie d’être une femme?“, „Les femmes peuvent-elles se réaliser par l’amour?“,
„Les femmes peuvent-elles se réaliser par le mariage?“, „Les femmes peuvent-
elles se réaliser par la famille?“, „Les femmes peuvent-elles se réaliser à travers
les hommes?“, „Les femmes peuvent-elles se réaliser par l’émancipation?“ et
„Qu’est-ce que veut dire ‘épanouissement de la personnalité’?“. L’attrait de ce livre
consiste d’un côté en un discours d’un haut niveau intellectuel, et de l’autre en la
confrontation des réflexions beauvoiriennes de la fin des années quarante avec la
discussion actuelle en Allemagne au sujet du rôle social de la femme, en particulier
par rapport aux thèses néoconservatrices énoncées par la journaliste Eva Herman
(selon laquelle les femmes ne doivent pas faire concurrence aux hommes dans la
vie professionnelle, mais trouver leur accomplissement uniquement dans la fa-
mille) ou du directeur du FAZ Frank Schirrmacher (pour lequel les travaux ména-
gers non payés des femmes sont indispensables au bon fonctionnement de la so-
ciété). Schönherr-Mann est par contre d’avis que la revendication beauvoirienne –
basée sur la philosophie existentialiste sartrienne – de donner à toutes les femmes
la possibilité de choisir librement leur projet de vie est encore aujourd’hui valable; il
défend Beauvoir contre l’accusation de préconiser un individualisme déchaîné, en
mettant en évidence son „éthique de l’autodétermination responsable“,15 par la-
quelle son féminisme est intégré dans la communauté.
Ingrid Galster, professeur à l’Université de Paderborn, est probablement la meil-
leure experte actuelle de Simone de Beauvoir dans les pays de langue allemande;
elle est parvenue à la recherche beauvoirienne grâce à ses études antérieures – et
non moins importantes – sur Sartre.16 Ce recueil de 2007 n’est donc pas son pre-
mier livre consacré à Simone de Beauvoir.17 En 1999, elle avait déjà édité un dos-
sier pour lendemains à l’occasion du cinquantenaire du Deuxième Sexe. Le vo-
lume Beauvoir dans tous ses états, publié chez Tallandier à Paris, réunit des arti-
cles et des conférences datant des deux dernières décennies, qui n’ont rien perdu
de leur intérêt et qui sont aujourd’hui proposés de nouveau et pour la première fois
ensemble au lecteur. Très suggestif est par exemple l’essai „Le couple modèle?“,
où le mythe de l’amour libre et idéal entre Sartre et Beauvoir est soumis à une ré-
vision. Entre autres aspects, Galster y montre la motivation compensatoire de
l’érotomanie polygame sartrienne („en aimant de belles femmes, il croit échapper à
sa propre laideur“18) et fait remarquer que presque toutes les jeunes femmes qui
avaient consenti à un certain moment à vivre avec eux dans une relation à trois
souffraient sous cette constellation: „Les tiers réduits à l’état d’objet ont payé le prix
de leur pacte; Sartre et Beauvoir en étaient conscients: la connivence à leur pro-
pos compensait en quelque sorte la communion érotique perdue.“19 Très stimulant
semble aussi le raisonnement de Galster (laquelle s’appuie ici sur Michèle Le
Dœuff), selon lequel la fameuse distinction entre „amour nécessaire“ et „amour
9
Dossier
contingent“ inventée par Sartre n’est pas si révolutionnaire que ce que l’on était ac-
coutumé à penser: à y regarder de près, elle reproduit en grande partie la tradition-
nelle morale sexuelle de la bourgeoisie, selon laquelle le mari pouvait avoir, à côté
de son épouse légitime, des amantes qui changeaient souvent. Parmi le grand
nombre de contributions novatrices dans ce volume, je mentionne comme dernier
exemple l’article „Simone de Beauvoir face à l’Occupation allemande“, où Galster
compare les écrits autobiographiques beauvoiriens avec les lettres et journaux pu-
bliés après sa mort; elle parvient au résultat que d’un côté par son mode de vie
non conventionnel et ‘immoral’ Beauvoir était clairement une opposante idéologi-
que du régime de Vichy (ce qui est confirmé par sa révocation de l’enseignement);
et que de l’autre, elle s’est comportée en plusieurs occasions comme une sui-
veuse et une attentiste (il suffit de penser à son indifférence pour la question juive
ou à sa collaboration avec „Radio Nationale“). En résumé, il résulte de la lecture
de ces textes que Galster souhaite tracer un portrait différencié de Beauvoir, sans
l’idéaliser ni la condamner: „Nous approchons de la réalité dans la mesure où nous
parvenons à en montrer la texture complexe et contradictoire.“20
En revanche, la biographie rédigée en 2007 en allemand par Ingeborg Gleichauf,
Sein wie keine andere – Simone de Beauvoir: Schriftstellerin und Philosophin, ne
se considère pas comme une contribution à la recherche, mais comme une intro-
duction accessible à la vie beauvoirienne destinée à un public plus large. Grâce à
un style vif et concret, proche du roman, Gleichauf atteint pleinement cet objectif.
Toutefois, étant donné qu’elle se concentre sur le développement de la personna-
lité beauvoirienne, on apprend très peu de son œuvre.21 Quant aux faits biogra-
phiques rapportés, Gleichauf passe plutôt vite sur certains détails moins flatteurs,
comme ses relations avec ses jeunes élèves ou son attitude politique avant la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque Beauvoir est critiquée – ce qui arrive
rarement –, c’est surtout à cause de son „manque d’indépendance“22 envers Sar-
tre. Ce dernier est présenté comme une personne égoïste, qui a l’habitude
d’exploiter Beauvoir non seulement dans leur vie de couple mais aussi dans leur
activité littéraire commune.23 On note que Gleichauf se sent solidaire de la femme
oppressée. Dans la section finale de ce livre, on peut lire avec intérêt les remar-
ques de l’auteur sur la réception de Beauvoir en RDA, en comparaison avec celle
de RFA. Dans la partie socialiste de l’Allemagne, il n’était pas possible d’obtenir
légalement Le Deuxième Sexe jusqu’à la chute du mur en 1989, car la thématique
de l’émancipation féminine était considérée comme un problème uniquement bour-
geois, issu des sociétés capitalistes.
„L’essai biographique“ Simone de Beauvoir – Der Tod ist der Stachel des Le-
bens de Barbara Brüning, professeur à Hambourg, paru aussi en 2007, offre une
version encore plus raccourcie de la vie beauvoirienne, mais mentionne en pas-
sant presque toutes ses œuvres. Cet essai fixe son attention particulièrement sur
„l’attitude beauvoirienne envers la vieillesse, la maladie et la mort“;24 bien qu’il
s’agisse d’un tableau synoptique réussi, il ne dépasse pas le niveau d’une intro-
duction et peut être négligé par les spécialistes.
10
Dossier
laquelle elle admet explicitement avoir eu „des rapports physiques“33 avec Olga,
auxquels elle se permet à peine une allusion dans La force de l’âge et L’invitée.
Convaincantes, tout comme le reste de ce livre, sont aussi les réflexions de Salle-
nave sur l’éros pédagogique d’après le modèle de l’Antiquité, qui peut renfermer
une composante homosexuelle: „Tous ces termes correspondent assez étroite-
ment à la manière dont, dans la Grèce classique, l’homme fait (qui n’a pas forcé-
ment plus de trente ans) prend en charge l’éducation et la formation de son jeune
amant. L’histoire Castor-Olga relève de cet ‘amour grec’, c’en est la variante fémi-
nine: même si le corps y joue indéniablement son rôle, c’est la prise en charge de
tout l’être, c’est le projet d’établir en l’adolescent(e) les bases de sa liberté. De
même, encore à venir, l’histoire de Bianca ou celle de Sorokine.“34 Parmi tant
d’observations suggestives, je voudrais mentionner une dernière: Sallenave voit
dans Nelson Algren non seulement la tentation passagère pour Beauvoir de choisir
un type de relation amoureuse plus conventionnel que le ‘pacte’ avec Sartre, mais
aussi l’occasion de changer la nature de son engagement politique: „Avec Algren,
elle découvre la réalité des quartiers sordides de Chicago, une vie mêlée avec
celle des marginaux. Quelque chose d’autre encore que le rejet du modèle fran-
çais bourgeois traditionnel, qu’elle partage avec Sartre.“35
Le souci d’objectivité de Sallenave fait défaut à la biographie un peu trop hagio-
graphique Simone de Beauvoir – Ecrire la liberté de Sylvie Le Bon de Beauvoir et
Jacques Deguy dans la collection illustrée „Découvertes Gallimard“, parue elle
aussi à l’occasion du centenaire du 9 janvier 2008. Il est compréhensible d’un
point de vue sentimentale, mais pas satisfaisant d’un point de vue académique,
que la fille adoptive de Simone de Beauvoir ait cédé à la tentation d’embellir la vie
de sa belle-mère spirituelle. Elle interprète toutes les possibles expériences homo-
érotiques (par exemple, celle avec Nathalie Sorokine) comme simple „amitié“,36 et
cherche des excuses à son manque de vigilance à l’égard du fascisme,37 attesté
par son indifférence envers les régimes allemand et italien pendant les années
trente ou encore par son adaptation à l’antisémitisme du régime de Vichy: „Comme
beaucoup de fonctionnaires, elle signe en octobre [1940; T.S.] un formulaire qui
atteste de ses origines aryennes. Faisant vivre en partie sa famille ainsi que plu-
sieurs amis sans ressources, elle ne peut se permettre de perdre son traite-
ment.“38 Je ne voudrais certainement pas affirmer qu’on ne puisse pas expliquer
un tel comportement (à cette époque-là, un grand nombre d’écrivains39 et intellec-
tuels dans des pays fascistes ou occupés se voyait également forcé d’accepter
certains compromis contraires à leurs convictions); ce qui me déplaît, c’est que Le
Bon de Beauvoir et Deguy essaient de présenter systématiquement tous les dé-
tails de ce type sous un jour plus favorable. Ceci vaut aussi pour le domaine privé;
contrairement à l’idylle peinte par les deux auteurs („elle a le talent de susciter ces
amitiés, et de les faire durer, elle est fidèle“40), on sait que le comportement beau-
voirien envers certaines de ses jeunes amies – par exemple, Bianca Bienenfeld41
– n’était pas vraiment toujours glorieux. Dans ce récit édulcoré, Simone de Beau-
voir semble trop parfaite pour être crédible; elle serait apparue plus humaine –
13
Dossier
Gramatzki qui suivent ci-dessous ont tous été spécialement rédigés pour ce dos-
sier à l’occasion du centenaire; ils offrent une série de nouveaux regards sur cer-
tains aspects de la vie et de l’œuvre de Simone de Beauvoir, et en montrent
l’actualité tout comme les monographies présentées dans cette introduction. Je
voudrais remercier Aurélie Denoyer (Berlin) pour avoir contrôlé et corrigé une par-
tie de ces contributions et exprimer ma gratitude à Claudine Monteil (Paris) pour
avoir permis la reproduction sur la couverture de cette revue du portrait de Simone
de Beauvoir réalisé par sa sœur Hélène, dont elle est la propriétaire.
1 Cf. le commentaire de Christiane Zehl Romero dans sa biographie déjà un peu datée
mais toujours instructive Simone de Beauvoir, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 2005
(11978), 36.
2 Michel Kail: Simone de Beauvoir philosophe, Paris, PUF, 2006, 97.
3 Op. cit., 98.
4 Op. cit., 143.
5 „Beauvoir peut laisser échapper des arguments fort contestables, comme lorsqu’elle écrit:
‘[…] La dévaluation de la féminité a été une étape nécessaire de l’évolution humaine.’“
(op. cit., 152)
6 Claudine Monteil: Simone de Beauvoir. Côté femme, Boulogne, Timée-Editions, 2006.
Ouvrages antérieurs de la même auteur: Simone de Beauvoir, le mouvement des fem-
mes: mémoires d’une jeune fille rebelle, Montréal, Alain Stanké, 1995 (après Paris, Edi-
tions du Rocher, 1996); Les Amants de la liberté: L’aventure de Jean-Paul Sartre et Si-
mone de Beauvoir dans le siècle, Paris, Editions 1, 1999; Les sœurs Beauvoir, Paris,
Editions 1, 2003.
7 A la fin de son livre, elle reconnaît cette dette: „Merci aux auteurs des ouvrages suivants,
qui m’ont permis d’écrire cette biographie.“ Bernadette Costa-Prades: Simone de Beau-
voir, Paris, Maren Sell Editeurs, 2006, 141. (Dans sa bibliographie, Costa-Prades men-
tionne trois livres de Claudine Monteil, laquelle – à différence de Costa-Prades – offre
des informations biographiques de première main.)
8 A la page 64 on peut lire „Olga Kosackiewicz“ au lieu de la forme correcte „Kosakiewicz“;
des erreurs semblables se trouvent aussi à la page 67 avec „Lionel du Roulet“ (au lieu de
„de Roulet“) et à la page 84 avec „Dora Marr“ (au lieu de „Maar“).
9 Costa-Prades, op. cit., 81.
10 Doris Ruhe: Contextualiser „Le Deuxième Sexe“. Index raisonné des noms propres,
Frankfurt/M., Peter Lang, 2006, 10.
11 Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 2004 (11949), I, 27.
12 Monika Pelz: Simone de Beauvoir, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 2007, 107.
13 Op. cit., 45, 57, 59 et 98. (Ceci concerne aussi les relations homoérotiques toujours dé-
menties par Beauvoir; Pelz est convaincue qu’elles ont eu lieu: op. cit. 58.)
14 C’est particulièrement frappant dans le cas du nom de la jeune fille Xavière du roman
L’invitée, ici écrit par erreur plusieurs fois comme „Maxière“ (op. cit., 81sq.); quant au
nom de la spécialiste beauvoirienne Karen Vintges, il est défiguré de manières différen-
tes (op. cit., 121, 129, 145).
15 Hans-Martin Schönherr-Mann: Simone de Beauvoir und das andere Geschlecht, Mün-
chen, Deutscher Taschenbuch Verlag, 2007, 219.
15
Dossier
16 Sur Sartre, Ingrid Galster a publié les monographies suivantes: Le Théâtre de Jean-Paul
Sartre devant ses premiers critiques, Tübingen/Paris, Gunter Narr/Jean-Michel Place,
1986; Sartre, Vichy et les intellectuels, Paris, L’Harmattan, 2001; La Naissance du „phé-
nomène Sartre“, Paris, Seuil, 2001; Sartre devant la presse d’Occupation, Rennes, PUR,
2005; Sartre et les juifs, Paris, La Découverte, 2005.
17 Ouvrages antérieurs sur Beauvoir d’Ingrid Galster: Simone de Beauvoir: „Le Deuxième
Sexe“. Le livre fondateur du féminisme moderne en situation, Paris, Honoré Champion,
2004; „Le Deuxième Sexe“ de Simone de Beauvoir, Paris, PUP, 2004.
18 Ingrid Galster, Beauvoir dans tous ses états, Paris, Taillandier, 2007, 66.
19 Op. cit., 70.
20 Op. cit., 16.
21 Il faut dire que l’interprétation de l’œuvre beauvoirienne par Gleichauf n’est pas toujours
très fiable; dans son commentaire sur L’invitée, elle affirme qu’il s’agit d’„histoire contem-
poraine vécue“ et que Xavière est „la puissance occupante de l’Allemagne“, ce qui ne me
paraît pas du tout évident. Cf. Ingeborg Gleichauf: Sein wie keine andere – Simone de
Beauvoir: Schriftstellerin und Philosophin, München, dtv, 2007, 136.
22 Op. cit., 133.
23 Sartre est critiqué dans les pages suivantes: op. cit., 73, 117sq., 127, 143.
24 Barbara Brüning: Simone de Beauvoir – Der Tod ist der Stachel des Lebens, Leipzig,
Militzke, 2007 (tome 1 de la collection „Gelebte Philosophie“), 11.
25 Huguette Bouchardeau: Simone de Beauvoir, Paris, Flammarion, 2007, 8.
26 Marianne Stjepanovic-Pauly: Simone de Beauvoir – Une femme engagée, Gilly, Editions
du Jasmin, 2007, 175.
27 Danièle Sallenave: Castor de guerre, Paris, Gallimard, 2008, 11.
28 Op. cit., 14.
29 Op. cit., 16sq.
30 Dont font partie les Cahiers de jeunesse, que Danièle Sallenave a pu consulter avant leur
publication en 2008 grâce à l’autorisation de Sylvie Le Bon de Beauvoir.
31 Sallenave, op. cit., 19sq.
32 Dans une interview avec Le Magazine littéraire (n° 471, janvier 2008, 30-33, ici 30), Sal-
lenave explique qu’elle a observé les apparitions publiques de Beauvoir à partir de la fin
des années soixante: „J’appartiens à la génération pour laquelle Simone de Beauvoir a
incarné une figure tutélaire. […] J’avais 20 ans lors des grandes manifestations et ç’a été
pour moi le début d’une prise de conscience sur la nécessité d’une intervention des in-
tellectuels. Des années plus tard, j’ai voulu comprendre cette figure majeure.“
33 Sallenave, Castor de guerre, 140.
34 Op. cit., 156sq.
35 Sallenave dans Le Magazine littéraire, op. cit., 32.
36 Sylvie Le Bon de Beauvoir/Jacques Deguy: Simone de Beauvoir – Ecrire la liberté, Paris,
Gallimard, 2008, 26.
37 Ceci vaut aussi pour ses émissions avec une radio contrôlée par le régime de Vichy et
les Allemands; Le Bon de Beauvoir et Deguy exagèrent à mon avis lorsqu’ils tentent de
faire apparaître ce gagne-pain (devenu nécessaire après la révocation de
l’enseignement) comme un acte de résistance: „elle accepte, [...] en accord avec les
consignes des écrivains antinazis du CNE, le Comité national des écrivains, un contrat
pour des émissions culturelles à la radio.“ (op. cit., 27)
38 Op. cit., 26.
16
Dossier
39 Je rappelle le cas de l’auteur italien Cesare Pavese, qui au début des années trente tra-
vaillait comme professeur de lycée et qui malgré ses amitiés antifascistes était obligé de
devenir membre du Partie Fasciste pour ne pas perdre son poste.
40 Op. cit., 64sq.
41 Au sujet de Bianca, Beauvoir écrivait le 13 décembre 1945 à Sartre: „Elle est la seule
personne à qui nous ayons fait du mal, mais nous lui en avons fait.“ Cité d’après l’article
assez critique (pour ne pas dire hostile) de Jean Montenot „Simone de Beauvoir“, dans
Lire, n° 362, février 2008, 92-95 (ici 92).
42 Jean-Luc Moreau: Simone de Beauvoir – Le goût d’une vie, Paris, Editions Ecriture,
2008, 12.
43 Op. cit., 153.
17
Dossier
Gianluca Vagnarelli
18
Dossier
Dans L’être et le néant, l’être humain est considéré comme complètement libre
et indéterminable et ainsi, consciemment capable de construire son avenir. Ce der-
nier est donc le résultat exclusif de son libre projet et pas l’épiphénomène d’une
certaine structure sociale, économique ou politique. L’existence est, à chaque mo-
ment, un projet en cours de réalisation, un plan organisé et exécuté librement, qui
rencontre seulement les obstacles que nous nous donnons à nous-même.
L’autodétermination de l’individu ne devient jamais son hétérodétermination. Pour
Sartre, la liberté est une autonomie de choix, une condition ontologique des hom-
mes et des femmes. Selon lui, la femme, comme le juif ou le prisonnier, est tou-
jours libre de changer sa situation à chaque instant, en rencontrant comme obsta-
cle au processus de libération uniquement sa liberté même. La tentative sartrienne
reste donc celle de prouver que les hommes et les femmes, même dans la pire
situation de détermination, restent libres et il n’hésite pas à adopter cette convic-
tion jusqu’à l’extrême, ainsi on reste libre même devant le peloton d’exécution.
Il y a dans cette théorie de la liberté existentielle de Sartre la raison de sa cécité
à l’égard de la condition d’oppression des femmes, comme des autres formes
d’aliénations humaines. Il refuse le poids de l’histoire et de la politique, interprété
comme l’énième échec du destin humain. De plus, Kail dit que, dans sa dimension
absolue, la liberté n’est pas capable de comprendre la spécificité de l’oppression
sexiste que l’homme exerce sur la femme.2
Un changement significatif de cette attitude aura lieu suite à l’expérience vécue
pendant la seconde guerre mondiale. Celle-ci conduira Sartre à découvrir la di-
mension de la collectivité et ainsi, l’Histoire, pour la première fois, entrera dans son
horizon conceptuel. Toutefois, à ce changement de sa dimension politique ne cor-
respond pas une prise de conscience de l’oppression masculine. Son rapproche-
ment du marxisme, que l’on constate à travers des œuvres comme Marxisme et
révolution et Critique de la raison dialectique, amènera Sartre à indiquer la contra-
diction entre le capital et le travail comme la contradiction fondamentale et, ainsi
celle du genre l’y sera subordonnée. Un exemple évident est énoncé à la fin de
son entretien sur le féminisme où, en affirmant que la lutte pour la libération de
l’oppression masculine devrait se lier avec celle des ouvriers contre le capital, il
refuse à la lutte féministe une pleine autonomie politique. En effet, dès les premiè-
res questions posées par Simone de Beauvoir, la faible considération du philoso-
phe pour le thème de l’oppression de la femme est évidente. En effet, écrit celle-ci,
Sartre a parlé de toutes formes d’oppression, de l’oppression des travailleurs, des
Noirs dans L’Orphée noire, des Juifs dans les Réflexions sur la question juive,
mais il n’a jamais parlé des femmes: pourquoi? s’interroge-t-elle. La réponse est
plutôt décevante. Sartre renvoie sa faible sensibilité sur ce sujet à un aspect auto-
biographique: avoir grandi environné par des femmes sans être capable de pren-
dre conscience de leur condition. Comme le souligne Simone de Beauvoir avec
lucidité, cela n’aurait pas dû l’empêcher, à l’âge adulte, de prendre conscience de
ce problème. Cela n’a pas eu lieu, affirme Sartre, parce qu’il n’avait pas cons-
cience du phénomène dans sa généralité, parce qu’il ne voyait que des situations
19
Dossier
ment cette catégorie peut être utilisée dans les stratégies d’exploitation. Dans Le
Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir souligne l’objectivation au sein de la relation
patriarcale et c’est ce qui a déterminé le début de la réflexion féministe, aujourd’hui
orientée sur divers axes. Haslanger, par exemple, a exploré les moyens à travers
lesquels l’acceptation de l’objectivité peut être associée aux rôles sociaux mascu-
lins. Elle a montré, en particulier, comment dans la hiérarchie sociale la domination
masculine est fondée sur la woman’s nature et comment l’origine de cette convic-
tion est une neutralité présumée des faits, plutôt qu’une interprétation des produits
sociaux de la coercition masculine.3 D’autres auteures ont, au contraire, souligné
comment l’objectivation a souvent été traduite comme une identification de la
femme à des parties de son corps. Processus auquel elles ont répondu par
l’objectivation à travers des traitements esthétiques, comme ceux réservés aux
lèvres, aux seins et aux fesses, contribuant ainsi à la perpétuation de la domina-
tion masculine. La définition du thème de l’objectivation chez Sartre et, en particu-
lier, celle de l’objet considéré comme déterminé, passif et matière inerte, semble
donner des éléments utiles à cette analyse. Dworkin, enfin, évoquant le phéno-
mène de la pornographie, se réfère à des cas dans lesquels les femmes sont as-
sociées à des instruments à cordes dont la musique est produite par l’amour mas-
culin.4 De ce point de vue, la définition de Sartre du désir pour une femme comme
celui pour un objet sans âme est particulièrement frappante. A ces formes de domi-
nation-objectivation, on peut en ajouter une dernière, qui ne considère pas les fem-
mes comme des objets entiers ou partiaux mais qui les considère de manière plus
complexe. Dworkin, en reprenant une expression sartrienne, identifie les femmes
comme psychic objects. Ainsi, l’Autre féminin est perçu comme un être psychique
conscient avec des désirs et des attentes et, comme tel, dangereux. La subjecti-
vité masculine s’est structurée elle-même en se présupposant au centre de la
scène. La perception de l’Autre constitue ainsi un danger en décentrant cette
scène. La compétition masculine, dans ses pires formes, n’admet pas la naissance
de ces menaces. Pour Sutton Morris, l’exploration de la catégorie sartrienne de
l’objectivation montre comment celle-ci a eu des implications pratiques et théori-
ques dans le débat féministe, en reconnaissant à Sartre d’avoir contribué aux ré-
sultats de cette discussion.5
Sur l’objectivation, on peut ajouter la contribution apportée par la catégorie sar-
trienne de sérialité.6 La critique féministe a, par le passé, discuté l’opportunité et
les difficultés de considérer les femmes comme un groupe, en affirmant, en parti-
culier, que la recherche conceptuelle en indiquant des caractères communs au
groupe aurait eu un effet normalisant et d’exclusion. Pour régler ce dilemme,
Young a proposé de faire référence à la sérialité, décrite dans la Critique de la rai-
son dialectique. A travers elle, en effet, il serait possible de définir les femmes
comme une collectivité sans attributs communs, en les considérant comme une
partie du même social collective.7
En effet, la critique provenant du féminisme noir, asiatique, latin et indigène a
mis en évidence le caractère ethnocentrique du féminisme blanc d’origine euro-
21
Dossier
de caractères le plus souvent biologiques; tout comme l’effort d’attribuer des ca-
ractéristiques communes à l’être féminin conduit à l’exclusion des femmes qui re-
fusent ces catégories conceptuelles.11 L’idée du genre comme identité est asso-
ciable pour Young à la théorie essentialiste du féminin, qui finit par exclure une
partie importante du monde.12
Une issue au problème de la gender identity pourrait être la référence à la caté-
gorie de sérialité présente dans Critique de la raison dialectique. Elle permettrait
en effet de penser aux femmes comme à un social collective, sans avoir le pro-
blème d’indiquer, en même temps, les attributions communes à cette condition.
Avec cette catégorie, les individus se trouvent dans une condition d’isolement,
mais sans l’être entièrement parce qu’il y a une unité de la condition féminine, même
s’il s’agit d’une unité dans la passivité. La série est donc une collectivité dans la-
quelle les membres sont passivement unifiés par des relations communes avec la
réalité matérielle. Pour faire partie de la série, il n’est pas nécessaire de partager
des attributions communes, mais il est suffisant d’accomplir des faits et des actions
dans une même réalité objective. Cette appartenance va au-delà de la nécessité
d’une identité commune, car la série est un collectif indistinct, mobile, unitaire et
amorphe. Elle pourrait ainsi définir l’univers féminin.13 En appliquant le concept
sartrien de sérialité au genre, il serait donc possible de donner un sens théorique
unitaire à la condition des femmes sans devoir, dans le même temps, les considé-
rer comme un groupe strictement identitaire.
Les catégories d’objectivation et de sérialité, donc, ont apporté une contribution im-
portante aux études féministes. La philosophie sartrienne, même si elle a été défi-
nie patriarchal existentialism ou a veto to women, a joué un rôle dans les gender
studies, d’autant que son auteur a été défini comme une sorte d’unqualified femi-
nist.14
On peut esquisser ici une autre interrogation: celle de l’influence de l’œuvre de
Simone de Beauvoir sur celle de Sartre. Ainsi, on peut noter qu’une des caractéris-
tiques des études sartriennes a été d’analyser l’œuvre du philosophe parallèle-
ment à celles d’autres auteurs. Sartre avait même encouragé dans L’être et le
néant cette pratique à travers la référence aux similarités et aux divergences avec
des auteurs comme Hegel, Husserl et Heidegger. De plus, il avait rappelé que le
travail philosophique était essentiellement un processus de collaboration et que les
nouvelles idées apparaissaient rarement privées de filiation avec celles d’auteurs
précédents. Cette tradition des études sartriennes a été particulièrement visible
dans des textes comme The Cambridge Companion to Sartre qui a établi une compa-
raison avec des auteurs qui, d’une certaine manière, avaient influencé Sartre.
L’unique grande absente est, en effet, Simone de Beauvoir, ce qui témoigne d’une
sous-estimation de la critique sartrienne quant à la contribution théorique apportée
par la philosophe à l’œuvre de son compagnon.15 Historiquement, elle a surtout
été considérée comme une disciple de Sartre qui se bornait à utiliser les catégo-
ries conceptuelles de ce dernier en les appliquant à la condition féminine. Peut-on
accepter ce genre d’interprétation?
23
Dossier
Comme l’affirme Simons, il faut avant tout démentir l’idée que Simone de Beauvoir
ait commencé à s’intéresser à la philosophie seulement après sa rencontre avec
Sartre. Comme le montrent les cahiers que Sylvie Le Bon a donné à la BNF en
1990, pendant les années vingt, en particulier entre 1926 et 1930, soit deux ans
avant sa rencontre avec Sartre, Simone de Beauvoir, alors étudiante à la Sor-
bonne, s’intéressait déjà aux problèmes philosophiques en formulant, dans un de
ses écrits, une critique de l’intelligence abstraite qui devait constituer un aspect
caractéristique de sa production philosophique. Ceci contredit l’idée, largement
diffusée et accréditée par Simone de Beauvoir même, selon laquelle le vrai philo-
sophe était Sartre et que son œuvre aurait dû être lue exclusivement d’un point de
vue littéraire. Au contraire, comme beaucoup de recherches l’ont démontré, son
œuvre est caractérisée non seulement par une véritable dimension philosophique
mais aussi par une réelle autonomie et une indépendance vis-à-vis de l’œuvre de
Sartre.16 Dans les cahiers des années vingt, on voit surgir par exemple, la dynami-
que du Moi – Autre à l’origine de l’affirmation centrale dans Le Deuxième Sexe, se-
lon laquelle la femme est l’Autre, l’Autre absolue et que par conséquent, elle ne
peut pas être simplement reconduite à la phénoménologie sartrienne du soi et de
l’Autre.
Kail démontre, de plus, l’influence exercée sur Simone de Beauvoir par Mer-
leau-Ponty, en soulignant le contenu politique de son œuvre. Si, en effet, grâce à
la conviction phénoménologique qui impose de détacher la relation entre sujet et
objet, celui-ci approfondira avant tout l’analyse du concept de nature et Sartre celui
de sujet; Simone de Beauvoir, en choisissant d’analyser l’oppression des femmes,
fera quant à elle de la relation sujet-objet un élément privilégié de son analyse phi-
losophique.17 Elle approfondie l’analyse de la relation entre situation et liberté, que
Sartre avait manqué de décrire d’une manière rigoureuse, en affirmant que la li-
berté absolue, par sa nature dépourvue de relations, n’est concevable qu’en rap-
port à une situation concrète. C’est surtout dans cet élément que réside le carac-
tère politique de l’œuvre de Simone de Beauvoir qui, en pensant la relation, foca-
lise son attention sur la condition d’oppression. Alors que Sartre, après la seconde
guerre mondiale, modifiera sa conception individualiste de la liberté développée
dans L’être et le néant au profit d’une idée de liberté relationnelle, Simone de
Beauvoir avait déjà commencé à travailler dans cette direction aux débuts des an-
nées quarante. Elle ne s’était d’ailleurs pas limitée à reconnaître, à la différence de
Sartre, que toutes les situations ne peuvent se dire égales (parce qu’il y en a cer-
taines pour lesquelles l’exercice de la liberté est impossible), mais avait aussi
ajouté que les libertés ne sont pas autosuffisantes mais interdépendantes et c’est
justement à partir de cette condition que peut prendre source l’oppression. C’est
ce genre de conviction qui a permis à Simone de Beauvoir d’entretenir un rapport
original avec ce qui a été défini comme le mouvement social le plus créatif du 20e
siècle, le Mouvement de libération des femmes. Quand Sartre décide de s’engager
24
Dossier
politiquement il le fait d’une manière volontariste plus que sur la base d’argu-
mentations philosophiques. Simone de Beauvoir, au contraire, donne l’exemple
d’une articulation entre la réflexion et l’activité politique qui mérite d’être prise en
considération.18
Un autre trait d’originalité de la philosophie beauvoirienne, cette fois mis en évi-
dence par Delphy, est qu’en choisissant comme objet privilégié d’enquête
l’oppression et, en particulier, la condition d’oppression de la femme, elle a contri-
bué au renouvellement du féminisme. En effet, l’idéologie, le discours quotidien, le
sens commun ne faisaient pas référence au terme oppression mais préférait plutôt
parler de condition féminine ou condition de la femme. Ce concept est lié, dit Del-
phy, à une constriction de la physis, à une réalité extérieure et hors contrôle de la
subjectivité, non modifiable par l’action humaine. Le terme oppression, au
contraire, renvoie à l’arbitraire, à une explication et à une situation politique. Op-
pression et oppression sociale sont des termes synonymes qui renvoient à
l’origine sociale et politique du phénomène et rendent sans fondements les appro-
ches scientifiques qui, en omettant l’allusion à l’oppression, abandonnent le terrain
à la nature et au biologisme.19
En guise de conclusion, on peut faire référence à Gothlin, laquelle, en se déta-
chant des orientations opposées qui visaient à attribuer seulement à Sartre ou à
Simone de Beauvoir la paternité de certaines catégories philosophiques, a affirmé,
au contraire, comment celles-ci peuvent être considérées comme le fruit de deux
philosophies indépendantes et autonomes, dont l’intime interpénétration rend pres-
que impossible de décider qui a forgé une idée. Les deux œuvres devraient donc
être lues comme celles de deux philosophes en dialogue permanent, un dialogue
caractérisé par le fait d’être interprété et actualisé par celle ou celui qui en est le
récepteur. C’est le cas de la notion d’appel.
Dans l’œuvre de Sartre la référence à l’appel est fréquente dans les Carnets de
la drôle de guerre et dans L’être et le néant, mais elle deviendra encore plus im-
portante dans Qu’est-ce que la littérature? Que s’est-il passé entre la publication
de L’être et le néant et Qu’est-ce que la littérature? Simone de Beauvoir publie
Pyrrhus et Cinéas où le concept d’appel joue un rôle majeur. Comme l’affirme Go-
thlin, dans Pyrrhus et Cinéas, ce concept semble être un signifiant de la relation
linguistique entre les hommes; cette idée est donc associée à la communication et
aux relations. Comme le dit Simone de Beauvoir: „Toute parole, toute expression
est appel“ et „On ne parle qu’à des hommes: le langage est un appel à la liberté de
l’autre puisque le signe n’est signe que par une conscience qui le ressaisit“.20
Pour elle, comme pour Jaspers, l’appel est quelque chose qui montre
l’interdépendance entre les hommes et la nécessité de l’intersubjectivité. Pour Sar-
tre, il signifie une situation de reconnaissance réciproque entre deux libertés, à tra-
vers l’appel quelque chose est créée qui n’existait pas auparavant.
Le concept d’appel a donc été conçu d’une manière à la fois semblable et diffé-
rente par Simone de Beauvoir et par Sartre. Ce qui met en évidence, qu’au mo-
ment où est soulignée l’originalité de la pensée aussi bien de Sartre que de Si-
25
Dossier
mone de Beauvoir, le dialogue continue entre ces deux philosophes.21 Pour ses
raisons, il est important de ne pas réduire l’œuvre de Beauvoir à un produit dérivé
de celle de Sartre, ou vice-versa; mais plutôt retenir que leurs écrits peuvent être
considérés, pour le moins à l’égard de certaines catégories conceptuelles, comme
le résultat d’un dialogue philosophique jamais interrompu et réciproquement enri-
chissant, quasi socratique, qui a marqué profondément la deuxième moitié du 20e
siècle.
1 Cf. Andrew N. Leak, „Femmes“, in: François Noudelmann – Gilles Philippe (sous la direc-
tion de), Dictionnaire Sartre, Paris, Honoré Champion éditeur, 2004, 185.
2 Michel Kail: Simone de Beauvoir philosophe, Paris, Puf, 2006, 32.
3 Cf. ibidem.
4 Cf. Andrea Dworkin: Pornography: Men Possessing Women, New York, Plume Books,
1981, 108.
5 Cf. Phyllis Sutton Morris, „Sartre on objectification. A feminist perspective“, in: Julien S.
Murphy, Feminist interpretations of Jean Paul Sartre, Pennsylvania, Pennsylvania State
University press, 1999, 64-89.
6 La sérialité désigne le mode d’être des rassemblements humains passifs (collectifs). Sar-
tre appelle en effet séries les groupements d’individus qui ne reçoivent leur unité que de
l’extérieur, comme une foule attendant le bus. Dans ces réalités collectives ce qui relie
l’individu aux autres individus, ce n’est pas la praxis, leur action, mais une même impuis-
sance face à leur environnement pratico-inerte. L’essence de la sérialité est donc la pas-
sivité. Pour cette raison, Sartre comprend la série comme rassemblements humains non
actifs qu’il oppose aux rassemblements actifs que sont les groupes. Si Sartre insiste tel-
lement sur la notion de sérialité, c’est parce que la série constitue le fondement et le type
même de la sociabilité. La classe sociale, par exemple, est une réalité complète qui est à
la fois passive et active, mais elle est fondamentalement sérielle parce qu’elle se consti-
tue à partir d’une réalité pratico – inerte, qui est l’ensemble des moyens de production qui
permettent de la définir. La série est donc une réalité ambiguë, puisqu’elle est à la fois
unité et séparation et elle constitue sûrement l’un des apports les plus originaux de Sartre
à la théorie de l’être social. Cf. Arnaud Tomes, „Sérialité“, in: François Noudelmann –
Gilles Philippe, op. cit., 460.
7 Cf. Iris M. Young, „Gender as Seriality. Thinking About Women as a Social Collective“, in:
Julien S. Murphy, Feminist interpretations of Jean Paul Sartre, Pennsylvania, Pennsyl-
vania State University press, 1999, 200-228.
8 Cf. Elizabeth V. Spelman: Inessential Woman, Boston, Beacon Press, 1988.
9 Cf. Iris M. Young, „Gender as Seriality. Thinking About Women as a Social Collective“, in:
op. cit., 209.
10 „Coalition politics precedes class and determines its limits and boundaries; we cannot
identify a group of women until various social, historical, political conditions construct the
conditions and possibilities for membership. Many anti-essentialists fear that positing a
political coalition of women risks presuming that there must first be a natural class of
women; but this belief only makes the fact that it is coalition politics which constructs the
category of women (and man) in first place“, Diana Fuss: Essentially Speaking, New
York, Routledge, 1989, 36.
11 Cf. Iris M. Young, „Gender as Seriality. Thinking About Women as a Social Collective“, in:
op. cit., 222.
26
Dossier
Resümee: Gianluca Vagnarelli, „Wurde Sartre dank Simone de Beauvoir zum Feminis-
ten?“ Bisher war man immer davon ausgegangen, dass in den philosophischen und literari-
schen Schriften Sartres die Frau zu einer Nebenrolle verdammt ist. Heute jedoch drängen sich
diesbezüglich neue Erkenntnisse auf, und in Werken wie L’être et le néant und Critique de la
raison dialectique lassen sich durchaus feministische Denkansätze finden, wobei sich die
Frage nach einem möglichen Einfluss von Simone de Beauvoir stellt. Diese wurde lange Zeit
als philosophische Schülerin Sartres betrachtet, deren einzige Leistung darin bestanden habe,
die Konzepte ihres Meisters auf die Lage der Frau anzuwenden; mittlerweile hat man jedoch
erkannt, dass sie durchaus eigenständige Gedanken produziert hat. Es erscheint folglich an-
gemessen, nicht mehr von geistiger Abhängigkeit zu sprechen (auch dort nicht, wo Sartre sich
womöglich umgekehrt von Beauvoir anregen ließ), sondern von einem wechselseitigen philo-
sophischen Dialog nahezu sokratischer Natur, der für beide gleichermaßen anregend war und
der das Geistesleben der zweiten Hälfte des 20. Jahrhunderts entscheidend geprägt hat.
27
Dossier
Claudine Monteil
C’est par le féminisme que j’ai rencontré, en 1970 à l’âge de vingt ans, Simone de
Beauvoir. L’auteure du Deuxième Sexe en avait 62. Nous allions travailler
ensemble pour la cause des femmes jusqu’à sa disparition, seize ans plus tard, en
1986.
teurs étrangers avaient amputé les premières traductions de plus de cent pages
évoquant la sexualité et l’avortement, y compris dans les pays nordiques et aux
Etats-Unis. Il aura donc fallu cinquante ans pour que, à travers le monde, l’on
puisse enfin avoir accès au texte intégral grâce à de nouvelles traductions. La
chute du mur de Berlin permit à des intellectuelles des pays ex-communistes de
pouvoir enfin lire cet ouvrage. Aucune traduction en arabe n’a pu à ce jour être ré-
alisée.
1.3. Soutien au Planning familial, pôle féministe français des années 1960
L’accès à la pilule et la contraception choisie par les femmes seules et sans autori-
sation préalable du père et du mari était un objectif aussi décrié que l’avortement.
Le poids de la morale chrétienne empêchait les femmes d’avoir accès à une ma-
ternité choisie. Simone de Beauvoir s’impliqua dans ce combat au sein du Mouve-
ment français pour le Planning familial, crée en 1960. En pionnière, elle appuya
son action tant décriée ainsi que celle du Dr Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé
pour obtenir l’autorisation de l’accès à la contraception et à la pilule pour les jeu-
nes filles.
30
Dossier
six mois, celle-ci subit les coups en gémissant. Une jeune pensionnaire, proche de
nous, tenta de la défendre. D’un geste brutal, la directrice de l’établissement l’en
empêcha: „On ne s’interpose pas entre un père et une fille!“ L’adolescente gisait
alors inanimée, à même le sol, sous les regards terrorisés des autres jeunes en-
ceintes.
Cela en était trop. En signe de protestation, et en dépit de leur grossesse, elles
entamèrent une grève de la faim et appelèrent au secours le MLF. Dans le brouil-
lard épais d’un dimanche matin, avec Simone et quelques féministes nous nous
sommes approchés discrètement du foyer perché en haut d’une colline, caché
dans les arbres. Des journalistes des radios privées nous accompagnaient. Sou-
dain nous avons surgi dans le hall, applaudies par les adolescentes affamées et
épuisées qui nous embrassèrent. D’une main ferme Simone de Beauvoir saisit un
des micros des journalistes, et interrogea en direct sur les ondes les adolescentes
sur leur condition.
Dans la France à peine éveillée de ce dimanche matin, on entendit à la radio les
témoignages de ces jeunes filles. Entre deux récits, Simone de Beauvoir dénonçait
l’hypocrisie de la société et exigeait un entretien avec le Recteur de Paris. Le len-
demain, elle fut reçue par un responsable de l’Education Nationale. Elle reçut des
garanties et donna une conférence de presse. Les jeunes filles pourraient retour-
ner au lycée et effectuer des études. Elles ne seraient plus des parias. Leur statut
de victime mineur était enfin reconnu.
Devant l’injustice du traitement infligé à ces adolescentes, de nombreux Fran-
çais furent bouleversés. L’opinion publique commença à nous tolérer. Aujourd’hui
encore cette action demeure l’une des plus populaires du mouvement féministe
français des années 1970.
Personne dans Paris n’acceptait de nous louer une salle. Finalement, avec
l’aide et la générosité de Simone de Beauvoir, de l’actrice Delphine Seyrig et
d’autres, nous réussîmes à louer la grande salle de la Mutualité. Mais nous étions
inquiètes: le public allait-il se déplacer?
Les 12 et le 13 mai 1972, à notre étonnement, nous avons vu en quelques mi-
nutes arriver plus de cinq mille personnes, dont beaucoup avec des enfants dans
les bras et des poussettes. Ils assistèrent le samedi, dans cette salle surchauffée
du Quartier Latin, aux témoignages de femmes brimées dans le monde du travail.
Plus les heures passaient, plus les interventions devenaient intimes. Les radios
rapportaient l’événement aux actualités. La rumeur s’enflait dans Paris. On pouvait
enfin découvrir le visage des ces féministes tant critiquées! Simone était stupéfaite
de notre succès, sans doute renforcé par la curiosité. Emue par l’affluence et les
témoignages, Simone appréhendait le lendemain où elle devait jouer un rôle clef.
Le dimanche 13 mai, la salle était surpeuplée. Alertés par les médias, les gens
se pressaient et certains, faute de place, se tenaient debout ou à même le sol.
Nous avons décidé d’éteindre les lumières. Dans le silence et la pénombre la foule
retint son souffle lorsque Simone de Beauvoir surgit dans la lumière sur l’estrade,
accompagnée d’une dizaine de femmes inconnues.
L’une après l’autre, les larmes aux yeux, les voix brisées, celles-ci racontèrent
leurs avortements clandestins, leurs souffrances, leurs mutilations, les insultes, la
peur d’être arrêtées pour crime. Assise à leurs côtés, Beauvoir prit la parole après
chaque intervention, dénonça l’hypocrisie de la société qui connaissait la condition
dramatique de ces femmes mais ne voulait pas s’occuper de cette question trop
sensible pour les politiques.
Elle rappela le pouvoir que s’arrogent les religions sur l’esprit et les corps des ci-
toyennes en les culpabilisant. Elle rappela les injustices et les souffrances infligées
dans l’intimité et l’obscurité des foyers où les filles puis les mères sont cantonnées
aux travaux domestiques. La salle se mit alors debout pour applaudir à tout rom-
pre. Ce fut plus qu’un succès immense, nous déclara-t-elle ensuite, mais un mo-
ment important dans l’histoire des femmes françaises.
Ces journées nous permirent de créer un lien avec la société civile, mais le
monde politique refusait de considérer la réalité. La partie n’était pas gagnée.
Comme les suffragettes nos aînées nous étions déterminées à poursuivre nos
combats.
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Dossier
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Dossier
Simone de Beauvoir a entretenu très tôt des relations avec des féministes de diffé-
rents pays. Elle recevait volontiers des délégations étrangères. Ces échanges se
sont accentués dans les années 1970 avec les mouvements féministes des diffé-
rents pays. Il est difficile à ce stade de les recenser. Les exemples proposés ici
sont soit les plus connus soit ceux que j’ai vécus auprès d’elle.
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Dossier
Diego, procuraient pour un montant modeste des soins médicaux et des conseils
en gynécologie. Ils dispensaient aussi avec des équipes de médecins des interrup-
tions volontaires de grossesse (IVG, terme pour désigner les avortements) dans
les conditions les plus humaines alors que la majorité des gynécologues améri-
cains ne transmettaient guère d’informations à leurs patientes sur cette question.
Les féministes apprenaient aux femmes à mieux connaître leur corps, à palper
elles-mêmes leurs seins, à utiliser un speculum en plastique pour découvrir leur
propre intimité que les médecins, soucieux de conserver leur pouvoir ne leur com-
mentaient pas. Carol Downer vint en France en 1974 pour exposer de manière
concrète et visuelle les pratiques et les réalisations de ces centres de santé. Si-
mone de Beauvoir les qualifia devant moi de „révolutionnaires“. Hélène de Beau-
voir m’accompagna à la clinique de Los Angeles pour apporter le soutien de sa
sœur à un moment où après l’élection de Ronald Reagan, les féministes furent
l’objet de menaces. Des cliniques furent plastiquées. Simone de Beauvoir intervint
à plusieurs reprises pour défendre ces Centres. L’influence politique des groupes
de pression anti-avortement fut cependant la plus forte. Les médecins pratiquant
l’IVG furent menacés physiquement. Il ne subsiste aujourd’hui que quelques clini-
ques à travers les Etats-Unis. L’avortement ne serait de facto plus pratiqué sur
80% de l’ensemble du territoire américain et la contraception commencerait à être
remise par les groupes les plus conservateurs.
Resümee: Claudine Monteil, Simone de Beauvoir und die französische sowie weltweite
Frauenbewegung. Claudine Monteil kämpfte als Mitglied der französischen Frauenbewegung
in den 70er Jahren an der Seite von Simone de Beauvoir und war mit ihr und ihrer Schwester
Hélène befreundet; der Beitrag beruht also in großen Teilen nicht auf nachträglich zusam-
mengetragenen Informationen, sondern basiert auf eigenen Erlebnissen und unmittelbarer
Mitwirkung, was ihm eine besondere Authentizität verleiht. Nachdem Simone de Beauvoir in den
50er Jahren zunächst nur über ihr Traktat Le Deuxième Sexe zur Frauenemanzipation beige-
tragen hatte, beteiligte sie sich in den 60er Jahren am Kampf der französischen Frauen für
den Zugang zu Verhütungsmitteln und in den 70er Jahre unterstützte sie die Forderung nach
einem neuen Abtreibungsgesetz. Auch des Problems der damals noch diskriminierten ledigen
Mütter nahm Simone de Beauvoir sich an; durch Artikel in der Presse und andere Formen von
öffentlichen Stellungnahmen kämpfte sie gegen jede Form von Sexismus, was in den 80er
Jahren unter Mitterand zu mehreren Gesetzesänderungen führte. Auch Simone de Beauvoirs
Kontakte zur internationalen Frauenbewegung, favorisiert durch ihre zahlreichen Reisen,
kommen zur Sprache, wobei ihre Rezeption am stärksten in den USA nachweisbar ist.
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Dossier
Chahla Chafiq
Farzaneh, une jeune femme iranienne de 32 ans vivant dans la grande région pé-
trolière et industrielle du Khouzestan, au sud de l’Iran, édite pendant près de 18
mois, entre décembre 2005 et septembre 2007, un weblog nommé L’Etang de
Beauvoir et pour lequel deux noms de rédactrices apparaissent: Farzaneh et Si-
mone. Sous une petite photographie en noir et blanc qui représente le reflet d’une
jeune femme dans un étang, nous lisons:
L’étang
Est cette subjectivité que se transforme ici en mots
Nus! Nus!
De Beauvoir
Est tout le désir que pour satisfaire
Je mets en scène, ici,
Mes efforts d’écriture
Pour qu’un jour
Mon moi tiré au clair
Accède au calme d’un étang.
Cette prose nous parle d’une subjectivité qui cherche la paix, telle une mer traver-
sée par des tempêtes qui rêve du calme d’un étang. Farzaneh nous dit vouloir tirer
au clair ce moi par l’écriture pour atteindre cette sérénité; et c’est Simone de Beau-
voir qui cristallise ce désir d’écriture qui la traverse: écrire pour se chercher et se
trouver à travers la rédaction de ce blog ouvert au monde, où elle témoigne de sa
vie quotidienne, et décrit avec humour et amertume toutes les tâches qui lui in-
combent en tant que femme et qui encombrent sa vie.
Je ne peux pas sortir du rôle de la bonne de la maison. Je ne dis pas être Cosette.
Non! Cosette ne mettait pas de vernis anti-UV sur ses ongles. Cosette ne conduisait
pas de voiture. Cosette n’avait pas d’ordinateur. Cosette n’avait pas de licence. Cosette
n’avait pas de bibliothèque. Cosette ne lisait pas Foucault. Cosette n’avait pas de
‘Jean’.
L’image de Cosette que Victor Hugo crée dans les Misérables, est invoquée par
Farzaneh pour se décrire comme une femme dont la vie n’est pas celle d’une
femme asservie: elle a poursuivi des études universitaires, se maquille, roule en
voiture et a un ‘Jean’. Bien évidemment, cette allusion ne renvoie pas à Jean Val-
jean, mais à Jean-Paul Sartre pour évoquer l’existence, dans la vie de l’auteure,
d’une relation telle que Simone de Beauvoir entretenait avec Sartre. L’identification
à Beauvoir permet à l’auteure de dire qu’elle vit et voudrait vivre librement. Elle
n’aborde cependant pas clairement cette relation ni ses sentiments intimes, et
s’interroge elle-même à ce propos:
Pourquoi n’écris-je pas à mon sujet?
J’avais écrit quelques paragraphes que j’ai effacés.
Je n’en ai pas encore l’audace: c’est la réponse la plus sincère.
40
Dossier
L’Etang de Beauvoir met en scène les conflits internes qui engagent l’esprit de Far-
zaneh au sujet du décalage entre son désir de liberté et d’autonomie et la réalité
vécue qui le remet continuellement en question. Elle note la différence des droits
et des devoirs entre elle et son frère qui non seulement a le droit à un double héri-
tage, mais aussi aux services de l’entourage, alors qu’elle assume en tant que fille
la responsabilité et le devoir de rendre ces mêmes services. Ainsi, un de ses tex-
tes décrit l’acte de cuisiner pour un nombre de personnes qui croît avec les an-
nées. Tout commence à 9 ans par une question qu’elle pose à sa sœur: „Comment
prépares-tu ces herbes pour qu’Agha joun1 en dise tant de bien?“ Le récit se pour-
suit par de petits dialogues qui valorisent sa capacité finalement acquise à faire
des plats, pour arriver à une conversation tenue lors de ses 34 ans, où elle se
vante de pouvoir cuisiner pour les cent personnes qui viennent le vendredi soir à la
cérémonie de la prière de Komeil.2 Le récit se termine par une recette détaillée du
Khoreshte Bamieh.3
A travers la description de ces scènes quotidiennes, Farzaneh trace une image
d’elle-même qui affirme sa singularité:
Je suis allée chez la coiffeuse. J’ai coupé mes cheveux, court, très court. La coiffeuse
me dit: ‘Quel culot! Une fille ne doit pas couper ses cheveux si court’. Je lui réponds en
mon for intérieur: ‘Ça ne va pas!4 Occupe-toi de tes ciseaux!’ Que d’autres aillent payer
des fortunes pour des mèches, des boucles et d’autres merdes. Qu’elles aillent acheter
des shampoings, les shampoings étrangers pour cheveux colorés, des crèmes pour les
cheveux, des fixateurs... Je n’applique qu’un peu de shampoing L’Oréal. C’est tout. Et
puis, une toute petite noisette de gel Nivea. Fini. Ohhhhh, il ne me reste qu’à choisir
une couleur fantaisie pour surprendre tout le monde demain soir, à la fête de mariage.
Tout le monde... Ce sont des femmes dont je parle: c’est un mariage islamique. Quoi-
que! Même si ce n’était pas le cas… Estaghforollâh.5 Je suis une mohajabeh.6 Je le
jure sur la vie de ma tante!7
Farzaneh revient fréquemment sur les contraintes symbolisées par le port obliga-
toire du voile et le contrôle des femmes, ainsi que toutes les humiliations qui
s’ensuivent. La scène suivante en est un exemple:
Dès que j’ai chaud ou honte de quelque chose, je rougis... Une hajkhanoum8 me dit
dans le taxi: ‘Es-tu obligée de te mettre autant de fard sur les joues?’ Je lui tends le
mouchoir avec lequel je viens d’essuyer mon visage en sueur, et lui dis: ‘En quoi cela
vous dérange-t-il?’ Elle qui n’a pas assez d’intelligence pour jeter un oeil au mouchoir
et y constater l’absence de toute couleur, continue à rouspéter: ‘Des gens comme vous
ne font que déshonorer toutes les femmes!’ J’étais en train de me demander comment
présenter cette scène dans mon weblog et n’ai donc pas riposté. Mais en descendant
du taxi, je l’ai remise à sa place: ‘Primo: chacun dormira dans sa propre tombe! Se-
condo: ce sont des gens comme vous qui déshonorent l’islam.’ Et je finis ma confé-
rence en reprenant ma monnaie: ‘Tertio, ça ne te regarde pas, bonne femme hypocrite,
abrutie et crétine!’ Heureusement, le chauffeur redémarre immédiatement son taxi et
part. Qu’aurais-je fait, si elle avait été l’épouse d’un de ces vendeurs d’hommes!9
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Dossier
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Dossier
but 2006, le persan compte parmi les 10 langues les plus utilisées par les blogeurs
de l’ensemble de la planète.11
Pourtant, tout en utilisant l’Internet à son profit, le pouvoir en place prend toutes
les mesures pour filtrer les sites et contrôler les weblogs indésirables. Les cyber-
cafés, très fréquentés par les jeunes, les étudiant(e)s et les intellectuel(le)s, sont
sous surveillance; et les blogeurs connaissent une répression importante. Dans
son rapport annuel 2004, Reporteurs Sans Frontières évoquent ces cyber-dissi-
dents toujours „harcelés et emprisonnés“ et soulignent la présence des femmes
parmi ces derniers.
Au-delà des sites considérés comme dissidents, comme ceux des féministes,
les weblogs constituent un univers d’expression de l’individualité et d’échange
entre les sexes. Ce fait banal dans une société démocratique revêt une importance
particulière dans une société où le pouvoir contrôle non seulement l’espace public,
mais également la vie privée.
islamistes au pouvoir s’est donc réalisée avec la négligente complicité des forces
non islamistes. La République islamique révéla très vite sa dimension anti-républi-
caine en verrouillant le pouvoir de façon à imposer l’autorité totale du guide su-
prême religieux. Les instances comme le Parlement furent vidées de sens, et la
répression étatique s’étendit aussi bien à l’espace public que privé afin de guider
les croyants sur le chemin de Dieu. Non seulement la confusion entre la volonté du
peuple et la volonté de Dieu censée être représentée par les gouvernants coupa
court aux droits démocratiques des citoyens, mais le pouvoir se fixa comme objec-
tif de formater de bons musulmans. Ainsi, l’utopie islamiste d’une société saine et
juste se révéla être un projet totalitaire dans lequel, comme dit Hannah Arendt, la
terreur ne constitue pas uniquement un moyen de pouvoir, mais en est la nature.
La référence au sacré faisant de toute dérive et de toute opposition un péché, attri-
buait un caractère totalisant à la répression. Les mœurs individuelles furent objet
de contrôle par les patrouilles circulant sur les voies publiques, comme dans les
maisons et les appartements. Le voile obligatoire devint un uniforme, et les gestes
et conduites des individus, hommes et femmes, dans l’espace public comme dans
le privé, furent mis sous contrôle. La contrepartie de ce projet dans cette société
engagée depuis plus d’un siècle dans la modernisation fut l'affermissement des
crises socioculturelles cristallisant encore plus la tension entre la tradition et la mo-
dernité.
Les résistances politiques face aux islamistes furent durement réprimées dans
un silence imposé à la société grâce à la guerre contre l’Irak (1980-1988). L’exil
devint un phénomène intrinsèque qui allait connaître des cycles successifs jusqu’à
nos jours. Face à une permanente répression, la voie de la résistance empruntait
des chemins sinueux. La dérision, par des millions d’Iranien(ne)s des règles et des
normes imposées par les gouvernants, attribua à la vie individuelle et collective
une étrangeté digne du surréalisme. La création littéraire et artistique persista en
essayant de contourner la censure. Le mauvais port du voile parmi les femmes
devint dès le début du voile obligatoire un des dangers socio-politiques repérés par
les gouvernants, et objet de maintes mesures de répression. Dans les années 90,
la mise à jour de l’échec flagrant des promesses des gouvernants en matière so-
ciale et économique fut à l’origine de scissions au sein des islamistes et donna lieu
à l’apparition des réformistes islamistes. La société civile trouva des moyens
d’exprimer sa pluralité par la voie d’une presse toujours en proie à la censure. Les
non-islamistes essaient d’y trouver un espace de parole plus ou moins déguisé se-
lon les circonstances; efforts sans cesse poursuivis aussi dans les champs des
activités artistiques et de l’édition de traductions. La traduction devint presque
l’espace d’expression dissident par excellence en promouvant la littérature, la phi-
losophie politique, et la psychologie. L’œuvre de Simone de Beauvoir prit une
place importante dans ce contexte. Les Mandarins13 et Une mort très douce,14
ainsi que le premier volume du Deuxième Sexe avaient déjà été traduits avant la
révolution. Mais son écho réel auprès des lecteurs en Iran semble être marqué par
la publication du Deuxième Sexe et de quatre tomes de ses mémoires: Mémoires
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Dossier
d’une jeune fille rangée, La force de l’âge, La force des choses, Tout compte fait.
Ayant eu une autorisation de publication officielle en 2000-2001, ces livres connu-
rent un grand succès, et furent édités à sept reprises.15 Auparavant, bon nombre
des romans de Beauvoir furent traduits et attirèrent l’attention du public: Le sang
des autres,16 Tous les hommes sont mortels,17 La femme rompue18 et Les belles
images.19
Les journaux, les sites et les weblogs reflètent la présence de Simone de Beauvoir
de diverses manières: comptes-rendus de livres, citations, récit de sa vie en diver-
ses occasions.
Dans les weblogs, cette présence revêt de multiples formes qui donnent
l’impression d’une étonnante actualité de Beauvoir. Elle est source d’identification
chez les jeunes femmes dont nous avons passé en revue un exemple très signifi-
catif avec L’Etang de Beauvoir. Ici et là, des citations de ses Mémoires servent de
maximes. Le récit de Tous les hommes sont mortels est repris pour parler d’un
deuil ou porter une réflexion sur la vie et la mort. La figure de Beauvoir évoque
aussi dans certains textes et poèmes une aura érotique probablement liée à son
image de femme libre. Un jeune homme dont les articles laissent entendre un pen-
chant pour la littérature surréaliste, écrit: „Hier soir, j’ai rêvé de Simone de Beau-
voir…“ Dans un autre weblog ouvert en 2006, Moi qui ai avoué mon propre meur-
tre, l’auteur, Kavan, probablement un jeune homme, livre un poème intitulé Alzhei-
mer dans lequel il fait ainsi allusion à Simone de Beauvoir:
Et mon dos moderne se gratte de savoir où se trouve Simone de Beauvoir
Et quand mon état tend vers la crève
Combien je suis seul ici debout
Et quand je m’assois
Je m’approche beaucoup plus de moi-même
Et le foulard de Beauvoir sens le parfum d’une gol mohammadi20…
Quand cette femme a ses règles
Combien se diffuse une odeur délicieuse de mes entrecuisses dans la chambre à cou-
cher
Halabtche sent la moutarde21
Quand l’odeur de Madame de Beauvoir ne me lâche pas.
Après avoir lu La femme rompue en 2002, un autre jeune homme, Atta, comédien
et auteur de pièces de théâtre, note dans son weblog, Fenêtre:
J’ai lu pour la deuxième fois La femme rompue de Simone de Beauvoir. Je suis en train
de travailler pour en faire une bonne pièce de théâtre. Quel livre! Combien d’amertume
et de profondeur! Je pense que ce qui arrive dans La femme rompue est ce qu’il y a de
plus amer pour un être humain.
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Dossier
Le plus intéressant à souligner dans ces propos est que le lecteur dépasse la per-
ception sexuée du personnage du roman pour se représenter la souffrance de La
femme rompue comme la plus amère expérience humaine. Ce fait ne traduit-il pas
une sensible évolution du regard sur la condition féminine chez les jeunes iraniens
instruits et qui vivent une rupture avec l’ordre dominant?
Si une réponse positive à cette question requiert des études plus approfondies,
nous pouvons cependant constater à travers l’image de Beauvoir dans les weblogs
des jeunes Iranien(ne)s d’importantes interrogations sur les rapports entre les
sexes. Mohamad, comme l’indique sa photographie et le contenu de son weblog,
est un jeune homme penché vers l’étude de la philosophie. Il lance en septembre
2006 un débat autour de la fameuse phrase de Beauvoir: „On ne naît pas femme,
on le devient“, et la commente:
Cette citation de Beauvoir fait allusion au fait que l’infériorité des femmes ne relève pas
de leur fonction biologique, mais des difficultés existant dans les sociétés humaines.
Par conséquent, pour Beauvoir, le premier pas pour défendre les droits de ce sexe est
de changer la culture de la société.
Vingt-cinq commentaires humoristiques ou sérieux répondent à l’appel de Moha-
mad. Une partie des participant(e)s conclut en interrogeant l’image des femmes au
sein de la société, et son accord sur le nécessaire changement de culture. Une
autre partie revient sur la critique de l’islam et ses enseignements pour attester de
la responsabilité de la religion islamique dans les inégalités sexuelles. Ce à quoi
d’autres répondent qu’il s’agit là de mauvaises interprétations de l’islam. D’autres
enfin soulignent que le premier pas pour changer la condition des femmes est de
changer la loi et de permettre aux citoyens de voter librement. Au milieu de ces
débats, une femme du nom de Firouzeh écrit son ras-le-bol de cette discussion:
N’écrivez plus au sujet des femmes…! Assez d’écrire au sujet des femmes…! Je ne
veux plus être à la vue de tout le monde! Je ne veux plus qu’on me fasse l’objet de sé-
minaires et de tables rondes, qu’on théorise sur moi. Je ne veux plus chercher pendant
mille ans une place pour en arriver au final à celle d’un champ de labour.22 Je ne veux
pas qu’on défende mes droits! Laissez-moi tranquille. Laissez-moi un peu être moi-
même! Nue! Nue! Sans voile. Laissez-moi en paix, que je puisse penser, philosopher,
chercher erfan.23 Ne me vendez pas pour un kabin!24
Firouzeh critique l’instrumentalisation de la question des femmes au service de la
domination masculine justifiée par la religion. En effet, le statut des femmes consti-
tue dans l’histoire contemporaine de l’Iran un important enjeu sociopolitique et cul-
turel. La mutilation de la modernité via le refus dictatorial des valeurs de la liberté
et de l’égalité favorise des stratégies identitaires fondées sur la religion. Les
femmes, éternelles gardiennes de la tradition communautaire, en sont au centre.
Le voile des femmes qui, lors de la révolution constitutionnelle iranienne du début
du 20e siècle, fut identifié par les progressistes à des prisons et des tombes pour
les femmes, se voit réattribuer, dans les années qui précédent la révolution de
1979, une valeur identitaire quasi-révolutionnaire. Rapidement après la révolution,
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Dossier
cette image devint fortement conflictuelle du fait de la résistance des femmes qui
ne cédaient pas au modèle islamiste dominant.25 Les contestations des femmes
contre l’islamisation étant violemment réprimées, certaines démarches réformistes
initiées par des femmes juristes non-islamistes furent engagées pour réclamer des
interprétations de la loi islamique plus favorables aux femmes. Celles-ci trouvèrent
des échos favorables parmi les rangs des femmes islamistes dont une partie se
désillusionnaient quant à la place valorisante qu’elles avaient cherchée dans le
retour de l’islam au pouvoir étatique. Dans ce contexte, la question de la place des
femmes se posa de plus en plus et à tous les niveaux de la société, aussi bien
dans les discours politiques officiels qu’en dehors des sphères de pouvoir; et cela
alors que d’autres femmes liées au pouvoir continuaient à jouer leur rôle dans la
consolidation du système en place. En outre, selon leur situation socioéconomique
et leur appartenance à des milieux plus ou moins traditionnels, les femmes ré-
agissent différemment au conditionnement imposé par le régime. L’image des
femmes iraniennes, variées et multiples, reflète aussi la profondeur de la crise
socioculturelle qui traverse la société entière. Face à cette crise, le pouvoir recourt
à une répression systématique des mouvements sociaux en les qualifiant de
leviers de l’Occident envahisseur.
Pour trouver des moyens d’expression et d’action légales, tout en défiant le ca-
dre idéologique des lois dominantes, un important mouvement féministe qui
s’affirme depuis 2006 sur la scène sociale à l’intérieur du pays, base ses réclama-
tions sur le constat d’un double décalage: celui entre la réalité de la présence ac-
tive des femmes au sein de la société et notamment dans les universités et leur
place de deuxième sexe au sein des lois en vigueur; et celui entre ces lois et les
conventions internationales qui prônent les droits fondamentaux humains et
l’égalité des sexes. Ce mouvement nommé Changement pour l’égalité a lancé une
campagne pour recueillir un million de signatures pour l’abrogation des lois discri-
minatoires envers les femmes.26 Dans son texte fondateur, il critique le statut de
deuxième sexe attribué aux femmes. En effet, l’expression deuxième sexe
s’emploie dans l’Iran contemporain comme un concept résumant l’infériorisation
des femmes. Bien avant le déclenchement de ce mouvement, Noushine Ahmadi
Khorassani, une jeune écrivaine féministe, avait lancé en 1998 une revue intitulée
Deuxième Sexe. Celle-ci fut éditée pendant 3 ans avant d’être interdite par la cen-
sure.
Ainsi, le miroir que tend l’Iran vers Simone de Beauvoir démontre avant tout la dy-
namique qui lie sa vie, ses romans et ses essais pour en faire une symphonie har-
monieuse qui chante la liberté de devenir face à tout ordre imposant l’être, ce qui
sauve son œuvre des limites conjoncturelles et lui offre une modernité presque
inépuisable.
1 Signifie: Père.
2 Cérémonie de prière évoquant les propos de l’imam Ali, le premier prophète chiite.
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Dossier
Resümee: Chala Chafiq, „Simone de Beauvoir im Spiegel des Iran“. Im heutigen Iran
spielt Simone de Beauvoir eine überraschend große Rolle, nachweisbar u.a. durch ihre Prä-
senz in den Weblogs, deren Zahl seit 2001 stark angestiegen ist. Verfasser dieser Weblogs
sind meist jüngere Leute, die in diesem Medium ihre Wünsche, Freuden, Schmerzen, Sorgen
und Hoffnungen manifestieren können. Angesichts der Einschränkung der Freiheit im privaten
und öffentlichen Raum durch das islamische Regime bietet diese zum Teil der staatlichen
Kontrolle entgehende virtuelle Welt eine der wenigen verbliebenen Möglichkeiten, frei von
Zwängen seine Individualität auszudrücken. Die mehrschichtige Bedeutung, die Simone de
Beauvoir in bestimmten iranischen Websites angenommen hat, ist eine Form des vor allem
von Frauen ausgehenden Widerstands gegen die politischen Machthaber. Auch außerhalb
des Universums der Weblogs dient Simone de Beauvoir dem aktuellen iranischen Feminis-
mus als Vorbild; ihre Rezeption in diesem Land zu untersuchen, kann folglich dazu beitragen,
das Geheimnis der fortwährenden Modernität ihres Werks zu entdecken.
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Dossier
Debra Bergoffen
Finitude et Justice:
Tous les hommes sont mortels, par Simone de Beauvoir
Publié en 1946, le roman Tous les hommes sont mortels fut peu apprécié en
France lors de sa sortie,1 et subit un sort similaire aux Etats Unis dès qu’il fut tra-
duit. Anthony West déclara dans le New Yorker qu’il était „difficile de croire que
cette présomptueuse et affreusement vulgaire pièce d’écriture puisse être un ro-
man sérieux“.2 Frances Keenes, en rédigeant un compte-rendu pour The New
York Times, le compara à Orlando de Virginia Woolf, auquel il était inférieur selon
lui: „[…] La modestie de cette esprit créatif [à savoir, Virginia Woolf] a développé
une action romanesque presque identique, avec comme résultat une œuvre d’art
vivante. Mais l’ouvrage présent échoue, parce que Mademoiselle de Beauvoir n’y
a pas mis tout son cœur.“3
Quelques années plus tard, les jugements sur ce roman devinrent plus favora-
bles. En 1962, Maurice Cranston jugea Tous les hommes sont mortels comme un
des romans beauvoiriens les plus réussis. Il explique ce succès artistique par le
lieu et le moment de sa création: un Paris occupé par la Gestapo, où on définissait
les gens selon leur appartenance ou leur hostilité envers la Résistance. Il lit le ro-
man en le plaçant dans le contexte de ces quelques phrases de Sartre énoncées
dans l’article „La République du Silence“ (publié dans Situations III): „Chaque se-
conde nous faisions l’expérience la plus complète possible de la signification de
l’expression ‘Tous les hommes sont mortels.’ Et la décision prise par chacun de
nous était librement choisie, parce que prise en présence de la mort et donc sus-
ceptible à être exprimée comme ‘Il vaut mieux mourir que…’“4 En 1998, Kate et
Edward Fulbrook rangent Tous les hommes sont mortels parmi les ouvrages éthi-
ques beauvoiriens de cette époque-là. Comme Keene, ils comparent ce roman
avec Orlando, mais cette fois-ci avec un jugement en faveur de la Française.5
Malgré cela, Tous les hommes sont mortels reste une œuvre négligée. Je suis
convaincue qu’il s’agit d’une erreur. Si on la compare à l’essai beauvoirien „Littéra-
ture et métaphysique“ paru la même année, on découvre qu’elle a été conçue
comme un roman métaphysique. Dans le contexte des ouvrages philosophiques
qui l’entourent, Pyrrhus et Cinéas de 1944 et Pour une morale de l’ambiguïté de
1947, ce roman développe les implications politiques de l’éthique existentialiste de
Simone de Beauvoir. Enraciné dans son époque intellectuelle et politique, Tous les
hommes sont mortels continue à nous parler. Si les habitants de la France oc-
cupée se catégorisaient par leur rapport avec la Résistance, Tous les hommes
sont mortels universalise cette manière de concevoir la personnalité humaine. Il
montre la manière dont la résistance à une vision politique absolutiste peut être im-
portante pour une politique de la justice.
49
Dossier
sez complexe. Ceux qui pensent qu’il s’agit d’un roman important (et j’appartiens à
ce groupe-là) l’ont lu dans le contexte des essais philosophiques beauvoiriens.
Cela signifie que les personnages de ce roman métaphysique atteignent toute leur
profondeur seulement à l’aide de l’essai philosophique. Il signifie également que la
réalité vécue qu’on trouve dans le roman est un défi aux interprétations trop faciles
des essais. Par exemple, dans Pour une morale de l’ambiguïté, l’homme sérieux,
le personnage qui s’enfuit devant sa liberté à cause de sa croyance dans des va-
leurs qu’il suppose comme objectivement existantes, est identifié soit comme
l’origine d’une politique terroriste, soit comme un être susceptible d’être manipulé
par des idéologies totalitaires. Mais dans Tous les hommes sont mortels, la politi-
que de la terreur est attribuée à quelqu’un qui sait qu’il peut donner un sens au
monde et qui croit avoir le droit de lui imposer un sens choisi par lui-même. En ou-
tre, ceux qui adoptent la vision de Fosca ne sont pas nécessairement convaincus
de sa validité objective; ils acceptent cette vision parce que Fosca a le pouvoir de
les terroriser. Dans le roman, la conception unidimensionnelle de la liberté déve-
loppée dans l’essai devient plus compliquée. Ici, le tyran n’est pas caractérisé par
la fuite devant la liberté, mais par le désir de posséder le pouvoir absolu. Pareille-
ment, ce n’est pas la fuite devant la liberté mais le désir de préserver sa dignité
face au pouvoir qui pousse l’homme sérieux à croire dans l’objectivité revendiquée
par le tyran. A travers la combinaison des essais avec le roman, nous découvrons
la complexité de la pathologie de la tyrannie.
Nous pouvons discerner les qualités singulières du roman métaphysique en sui-
vant ces commentateurs qui comparent le livre que Beauvoir a écrit – Tous les
hommes sont mortels – avec le livre qu’elle n’a pas écrit: Orlando. Les deux ro-
mans semblent traiter le même thème: les conséquences de la transformation de
notre condition mortelle dans une condition immortelle. En réalité, c’est seulement
Beauvoir qui réfléchit vraiment sur l’immortalité; pour Woolf, il s’agit d’un simple
moyen de préparer l’action de son personnage principal. Orlando n’a pas vraiment
besoin de l’immortalité, il ne connaît aucune dimension métaphysique; mais de
cette manière il peut multiplier infiniment les possibilités normalement limitées de
la finitude. Compte tenu des essais beauvoiriens, de sa conception de la respon-
sabilité de l’écrivain et de son expérience personnelle dans la France occupée et
d’après-guerre, nous pouvons supposer que si Beauvoir avait écrit Orlando, elle
aurait examiné le refus d’Orlando de devenir un écrivain engagé, en abordant des
questions de complicité et de liberté. Le roman de Virginia Woolf n’est pas discré-
dité par l’absence de ce questionnement; mais nous percevons ainsi la particula-
rité du roman métaphysique et comprenons qu’il serait superficiel de comparer
deux ouvrages complètement différents.
Pour Fosca, le personnage principal du livre que Beauvoir a décidé d’écrire,
l’immortalité est définitive. Ce n’est pas un accident qui lui arrive, c’est au contraire
quelque chose que lui-même a choisi. Il croit qu’en devenant immortel, il surmon-
tera l’obstacle majeur à son désir tyrannique d’être universel: le manque de temps.
Quand Beauvoir nous présente Fosca comme étant l’unique personne à prendre
52
Dossier
en fera tout ce qui lui plaira. Il faut d’abord les délivrer.“20 Fosca insiste sur le fait
que le futur dont Armand rêve ne se produira jamais, mais ce dernier réplique: „Ce
que nous décrivons comme un paradis, c’est le moment où les rêves que nous
formons aujourd’hui seront réalisés. Nous savons bien qu’à partir de là d’autres
hommes auront des exigences neuves…“21
Armand et ses amis nous donnent des traductions politiques de ce que Beau-
voir dans Pour une morale de l’ambiguïté appelle l’éthique de la protestation et de
l’engagement. Comme raconté dans Tous les hommes sont mortels, il s’agit d’une
politique de la finitude, qui rejette les illusions d’objectifs absolus défendus par
Fosca. Dans le cadre de cette politique, l’imprévisibilité de mon projet est le signe
distinctif de ma liberté et est essentielle pour la liberté des autres. Si comme être
humain je me sens attiré par le futur, ceci exige que je me sente aussi attiré par
ses possibilités en perpétuel renouvellement.
Pour revenir à la dispute entre Fosca et Catherine, je pense qu’Armand incarne
une manière de penser que Kristeva appellerait l’humilité: une pensée qui accepte
ses limitations, reconnaît notre mortalité et se réjouit de l’incertitude du futur. Dans
Tous les hommes sont mortels, cette manière de penser assume dans la personne
d’Armand un caractère androgyne: comme Fosca, il calcule le succès de son pro-
jet; comme Catherine, il confirme les bornes de l’engagement. Ses calculs pren-
nent comme point de référence la relation entre les nécessités de la finitude et les
contingences du futur. Dans sa lutte pour un futur qui ne peut pas être garanti, au
lieu d’une vision utopique, Armand se bat pour la liberté des générations à venir. Il
retient le projet d’un futur ouvert, qui assurera la constante renaissance de
l’humanité.
Ces conflits entre Fosca, Catherine et Armand nous conduisent vers le principe
d’une politique de la finitude: en dépit de notre passion pour certains projets, nous
devons nous rappeler qu’ils n’appartiennent pas à nous seuls; ils appartiennent
aussi aux autres, qui peuvent soutenir, modifier ou remettre en question nos vi-
sions. Cette politique commence par une interrogation: Qui possède le présent et
le futur? La réponse est que le présent appartient à nous tous, mais le futur
n’appartient à personne, ce qui transforme une constatation éthique en des projets
politiques. Ces projets acceptent la tâche difficile de matérialiser notre manière
d’exister à l’intersection entre le particulier et l’universel. Cette tâche, identifiée
dans Pour une morale de l’ambiguïté, est celle de formuler des lois non seulement
valables pour tous, mais aussi respectueux des limitations de la finitude. Par ce
respect, cette politique évoque la relation universelle et indissoluble entre moi et
les autres, qui implique aussi la différence: aucune existence ne trouvera son ac-
complissement si elle reste limitée à elle-même.
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Dossier
Resümee: Debra Bergoffen, „Endlichkeit und Gerechtigkeit: Tous les hommes sont
mortels, von Simone de Beauvoir“ Im Zentrum von Simone de Beauvoirs Roman Tous les
hommes sont mortels stehen zwei Auseinandersetzungen. Die erste findet zwischen Fosca,
einem Mann, der sich für die Unsterblichkeit entscheidet, und seiner sterblichen Frau Cathe-
rine statt und betrifft den Umgang mit den Anderen, die gesellschaftliche Solidarität und das
Engagement. Der zweite Streit, hier zwischen Fosca und seinem sterblichen Urenkel Armand,
betrifft die zwischenmenschliche Kommunikation, das Begehren und die Freiheit. Diese Mei-
nungsverschiedenheiten lassen erkennen, dass die zum Wesen des Menschen gehörende
Endlichkeit auch eine Voraussetzung für die irdische Gerechtigkeit darstellt. Indem sie aus der
Sterblichkeit die politische Verpflichtung zur Respektierung der Eigenheiten des Anderen so-
wie gegenseitige Verantwortlichkeit ableitet, zeigt Beauvoir auf, dass politische Ideologien, die
einen Allgemeingültigkeitsanspruch erheben, notwendig ungerecht sind. Durch die in Tous les
hommes sont mortels etablierte Verbindung zwischen Gerechtigkeit der Freiheit und Gerech-
tigkeit des Begehrens definiert der Roman das Wesen der Menschenwürde auf eine Weise,
die Julia Kristevas Konzept der Revolte vorwegnimmt.
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Dossier
Ce titre n’est pas un jeu de mots et, en même temps, c’en est un: ce n’en est pas
un puisque le propos de cet article est d’analyser l’influence du célèbre essai de
Beauvoir sur un de ses romans les plus connus et les plus aimés par elle; c’est un
jeu de mots car, en fin de compte, je m’occuperai principalement des femmes dans
les lignes qui vont suivre.
Mon but principal est donc, en mettant face à face Les Mandarins et Le
Deuxième Sexe, d’analyser dans quelle mesure l’émancipation féminine prônée et
rendue possible par l’essayiste fait partie de la fiction proposée par la romancière.
Je veux savoir si la narration remet en question le statu quo que le genre a établi
dans le petit noyau de l’intelligentsia parisienne des années 40 ou si, au contraire,
elle le renforce. Il s’agit donc là d’une lecture comparée des deux ouvrages, de
façon à interroger l’imbrication des propos de l’essai dans le roman.
Deux points déterminent mon choix méthodologique: primo, Le Deuxième Sexe
plonge très profondément dans la psychanalyse freudienne; secundo, mon but ul-
time est d’analyser une production littéraire. Une lecture psychocritique, telle que
l’entendait Charles Mauron (auteur du célèbre Métaphores obsédantes au mythe
personnel, en 1966), me semble valable pour atteindre cet objectif. A travers la
superposition des deux textes, j’envisage de mettre en évidence les mythes per-
sonnels de l’écrivain, essayant de tisser de la sorte un réseau d’associations repé-
rable dans une partie importante de la production beauvoirienne.
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Dossier
vante histoire: l’après-guerre“.3 Pour ce faire, elle s’est projetée elle-même dans le
portrait des deux personnages principaux qui mènent la narration: Anne, psycha-
nalyste mondaine à succès mariée à Dubreuilh, homme politique; et Henri Perron,
journaliste et auteur dramatique – en qui certains ont cru reconnaître Albert Ca-
mus. „[Henri] me ressemble autant qu’Anne au moins, et peut-être davantage“.4
Beauvoir se raconterait donc elle-même, projetant ses obsessions et ses idées
dans la fiction romanesque. Toutes? Peut-être pas, puisque pour ce faire elle a
privilégié sa production mémorialistique stricto sensu. Lejeune, auteur du célèbre
Pacte autobiographique, aurait pu qualifier LM de roman autobiographique – où
l’identification explicite entre les trois instances narratives ne se produit pas –, à
double tranchant, car la romancière se raconte autant en une narration à la pre-
mière personne (les chapitres narrés par Anne) qu’à la troisième personne (les
chapitres où Henri Perron est le protagoniste). Récit, par conséquent, personnel
d’un côté et impersonnel de l’autre côté, dans le classement de Lejeune.5 Cet au-
teur propose l’inclusion d’un „pacte fantasmatique“ à travers lequel le lecteur est
invité à lire un texte qui comprendrait les „fantasmes révélateurs d’un individu“. Ce
point est important car la technique décrite permettrait à tout écrivain de devenir le
fétiche de lui-même, et de se reconnaître à travers un simple „je suis tout cela“. Le
sociologue Richard Sennett signale l’importance de ce procédé dans la construc-
tion de la biographie personnelle, où l’on contribue à l’appréhension de soi en se
plaçant à l’extérieur du moi pour s’observer du dehors. Beauvoir semble l’affirmer
lorsqu’elle dit, dans LDS, que „l’existant ne réussit à se saisir qu’en s’aliénant“.6
Elle ne se bornera pas à présenter ses expériences de l’après-guerre, mais elle
recréera l’histoire d’amour qu’elle a eu avec l’un des hommes de sa vie: „Lorsque
j’ai commencé à écrire Les Mandarins, je songeais seulement à rendre hommage
à Nelson Algren en écrivant notre histoire d’amour“ – confesse-t-elle à Deirdre
Bair.7 Et elle l’expose de la sorte en une lettre à Algren lui-même: „Je raconterai un
peu notre histoire, parce que c’est une histoire très moderne et que j’aime me re-
mémorer toutes ces choses, même si cela me rend infiniment triste“.8
L’héroïne, et par conséquent Beauvoir elle-même, se présentera comme une
simple „amoureuse“, avec toute la signification négative qu’a ce terme pour
l’auteur de LDS. Les motivations des deux ouvrages sont par conséquent très dif-
férentes. LDS est le fruit de l’étude et de l’analyse objective, alors que LM est, au
contraire, un travail beaucoup plus personnel et intime: une analyse aussi, mais de
la propre vie dans des coordonnées vitales très spécifiques.
Sur les rapports amoureux, Beauvoir s’est suffisamment expliquée dans LDS.
D’une part, je crois qu’elle a tenté de rendre son histoire avec Algren dans LM
équivalente à l’exemple de rapport égalitaire entre deux amants que Stendhal
proposait – plein de difficultés et hanté par l’éloignement géographique: „Deux
êtres séparés, placés en des situations différentes, s’affrontant dans leur liberté et
59
Dossier
Le corps
Ainsi, Anne se trouve „simple et joyeuse de devenir une femme entre ses bras“29
lors de la première étreinte avec son amant étatsunien, après cinq ans de chasteté
absolue; jusqu’alors elle avait cru que „[sa] vie de femme [était] finie“.30 C’est cer-
tainement le désir masculin qui re-crée la femme en la corporéisant – circonstance
61
Dossier
complètement acceptée par Anne: „Son désir me transfigurait. Moi qui depuis si
longtemps n’avais plus de goût, plus de forme, je possédais de nouveau des seins,
un ventre, un sexe, une chair“.31
Une domination non seulement acceptée, mais aussi recherchée par les
femmes? S’il en était ainsi, cela ne ferait que souligner ce que dit Beauvoir dans
LDS à propos de la corporisation obligatoire de la femme. D’une part, elle affirme
que la femme „refuse de se cantonner dans son rôle de femelle parce qu’elle ne
veut pas se mutiler“;32 mais elle dit aussi que „ce serait aussi une mutilation de
répudier son sexe“, parce que „renoncer à sa féminité, c’est renoncer à une part
de son humanité“. On peut dire que, d’après Beauvoir, cela ne peut se produire
que dans l’acceptation des catégories patriarcales masculines; nier cela serait
comme nier les circonstances socio-historiques du temps où Beauvoir a écrit ses
œuvres.
L’affaire du corps n’a pas une importance moindre dans toute discussion
contemporaine sur le genre. Si l’identité féminine était limitée et restreinte au
corps, la femme serait la seule à se voir décerner une marque de genre – le genre
masculin serait alors incorporel et, par conséquent, propriétaire exclusif d’une li-
berté radicale. Judith Butler signale à propos de l’incarnation sociale des corps que
le sujet masculin est une espèce d’abstraction, car il ne se reconnaît pas comme
étant sanctionné par cette incarnation, la projetant sur le domaine du féminin. Elle
en vient à dire que l’association du corps avec le féminin fonctionne sur des rap-
ports magiques de réciprocité à travers lesquels le sexe féminin se limite à son
corps, et le corps masculin, complètement nié, devient paradoxalement l’instru-
ment incorporel d’une liberté unique.33
D’un autre côté, si l’identité féminine réside principalement en son corps (en son
essence, si l’on veut), il existe le danger que la conscience de soi féminine soit
limitée aux confins de ce corps. Il faudrait savoir si la féminité telle que la conçoit
Beauvoir admet la synthèse de corps et pensée grâce à laquelle la conscience est
une condition inéquivoque de la liberté. Sans cette synthèse intégratrice, Butler
affirme que les hiérarchies de la pensée sur le corps, et du masculin sur le féminin,
sont maintenues telles que les a établies le patriarcat.34 Et Beauvoir le signale
aussi dans LDS, où elle dit que „les doctrines qui réclament l’avènement de la
femme en tant qu’elle est chair, vie, immanence, qu’elle est l’Autre, sont des idéo-
logies masculines qui n’expriment aucunement les revendications féminines“35 –
quoique cette affirmation semble être démentie dans certains passages cités plus
haut. Elle niait cependant, dans une interview de 1972, l’existence d’une nature
exclusivement féminine.36
Si la conscience de l’individu féminin synthétise vraiment le corps et la pensée,
il s’exerce comme sujet, sans éliminer pour autant ses possibilités d’être considéré
comme un objet dans un rapport d’égal à égal. Malgré cela, Henri, dans LM (l’un
des deux personnages pour lequel l’auteur a donné le plus d’elle-même), se de-
mande si Lucie Belhomme est élégante ou non; la narratrice répond: „Henri n’avait
jamais compris le sens de ce mot; pour lui, il y avait des femmes désirables et
62
Dossier
d’autres qui ne l’étaient pas; celle-ci ne l’était pas“.37 Cette narratrice semble affir-
mer par là que la seule possibilité accordée aux personnages féminins dans le dra-
matis personae est d’accepter leur rôle d’objet dédié à la contemplation des per-
sonnages masculins. Je crois que Beauvoir se sert de cette possibilité comme s’il
s’agissait d’un avertissement, en disant à ses lecteurs et à ses lectrices que seules
les femmes n’exploitant que leurs capacités objectuelles ne sont pas tenues
comme des sujets à part entière: Anne chez qui se produit la synthèse entre corps
et pensée, en est la preuve. Cela l’élève à la catégorie d’individu autonome et
auto-conscient.
Le corps maternel
Ce sujet occupe un espace important dans LDS, au point de l’élever jusqu’à la ca-
tégorie de mythe personnel; et ce plus particulièrement au niveau de la dynamique
du rapport maître-esclave et de ses conséquences sur l’activité libre de l’individu.
D’un côté, Beauvoir parle, dans des termes différents de ceux utilisés par Bour-
dieu,45 de socialisation différenciée, à interpréter dans le sens d’une éducation
spécifique pour chaque genre, préparant ainsi les individus à des conduites socia-
les différentes. Par exemple, dans LM, l’avenir de Nadine est comparé à celui de
n’importe quel jeune homme; ses parents comprennent que son ami reporter est
dans l’obligation de montrer sans trêve son courage: „être un homme, ce n’est pas
plus commode. On demande tellement à un homme aujourd’hui: toi la première. Ils
ont encore du lait plein la bouche, et ils doivent jouer aux héros. C’est découra-
geant“.46 Il s’agit là d’un processus par lequel les communautés traditionnelles fai-
saient passer les adolescents afin qu’ils puissent montrer leur pleine disposition
pour atteindre le statut d’homme: le processus des rites de passage dont parle la
sociologie, assurant les capacités essentielles et normatives de la moitié mascu-
line de la société. Une situation qui se produit encore à l’époque de Beauvoir: „Chez
nous aussi, pour acquérir la dignité d’adulte, il faut qu’un mâle sache tuer, faire
souffrir, se faire souffrir. On accable les filles d’interdits, les garçons d’exigences,
ce sont deux espèces de brimades également néfastes“.47
Cette situation, bien que réprouvée par Beauvoir, n’est pas pour autant absolu-
ment abhorrée par l’écrivain: l’agressivité dans laquelle sont éduqués les jeunes
mâles de la société peut être un privilège dont les jeunes femmes ne bénéficient
pas. Beauvoir dit à cet égard dans LDS: „La situation privilégiée de l’homme vient
de l’intégration de son rôle biologiquement agressif à sa fonction sociale de chef,
de maître“.48 Pourquoi considère-t-elle cette puissance socialement apprise
comme un privilège, alors qu’elle donnait à Anne une opinion négative à ce sujet?
Il est possible que la raison réside en ce que, grâce à l’usage de la force, l’individu
se rend capable d’acquérir la catégorie de maître et d’atteindre ainsi une autono-
mie seulement réservée aux exemplaires les plus décidés de la communauté.
En suivant Hegel dans sa distinction entre maître et esclave,49 Beauvoir voit
dans le retrait domestique des femmes l’une des plus néfastes conséquences de
leur soumission à l’espèce. A cause de leur physiologie constamment soumise aux
cycles des menstrues, grossesse et convalescence puerpérale, les femmes furent
probablement exclues des expéditions guerrières dans les communautés primiti-
ves. Beauvoir affirme que cette circonstance-là a plongé la moitié de l’humanité
dans sa situation d’esclavage, car en tant que force de reproduction et non de pro-
duction, le corps féminin ne serait pris que comme réceptacle des desseins politi-
ques du groupe humain. „Ce n’est pas en donnant la vie, c’est en risquant sa vie
que l’homme s’élève au-dessus de l’animal; c’est pourquoi dans l’humanité la su-
périorité est accordée non au sexe qui engendre mais à celui qui tue“, ajoute
Beauvoir.50 C’est pourquoi le maître, violent et autoritaire grâce à l’emploi de la
64
Dossier
Emancipation et politique
Il est donc manifeste que Beauvoir n’a pas créé d’héroïnes positives pour ne pas
forcer la vraisemblance des portraits; et cela parce que, malgré le chemin plus ou
moins ouvert que trouvent les femmes dans le travail pour assurer leur émancipa-
tion économique, l’émancipation émotionnelle ne vient pas que de l’autonomie fi-
nancière: les obstacles que la société patriarcale a traditionnellement mis à
l’indépendance des femmes sont trop nombreux. Dans LDS, Beauvoir affirme que
c’est seulement dans un système socialiste que le travail organisé assurerait la
65
Dossier
liberté d’action des femmes: „Un monde où les hommes et les femmes seraient
égaux“.58 Un monde où, ajoute l’écrivain, „les femmes élevées et formées exacte-
ment comme les hommes travailleraient dans les mêmes conditions et pour les
mêmes salaires; la liberté érotique serait admise par les mœurs, mais l’acte sexuel
ne serait plus considéré comme un ‘service’ qui se rémunère; la femme serait
obligée de s’assurer un autre gagne-pain; le mariage reposerait sur un libre enga-
gement que les époux pourraient dénoncer dès qu’ils voudraient; la maternité se-
rait libre, c’est-à-dire qu’on autoriserait le contrôle des naissances et l’avorte-
ment“.59
Beauvoir niera quelques années plus tard l’exclusivité de l’association socia-
lisme-émancipation féminine. Ce n’est pas qu’il ne soit pas possible de la rendre
vraie, mais l’attente serait trop longue à cause de l’urgence avec laquelle il faut
mettre fin à la domination de la femme par l’homme. L’écrivain raconte comment,
dans une conférence qu’elle a donnée à l’Ecole Emancipée, les marxistes et les
staliniens lui ont dit que lorsque la révolution serait installée „le problème de la
femme ne se poserait plus“. „Soit – a ajouté Beauvoir; mais, en attendant? Les
temps présents ne semblaient pas les intéresser“.60
La pensée de Beauvoir à cet égard semble avoir changé avec le temps. Si à la
fin de LDS elle disait ne pas se considérer féministe parce qu’elle espérait elle-
même que les problèmes des femmes se résoudraient dans l’avènement d’une
société socialiste, elle a aussi dit vers 1980 qu’elle a cessé de se dire féministe
après une analyse plus fine des circonstances politiques. La lutte des classes, as-
sociée à la construction socialiste et égalitaire, devait être présentée indépendam-
ment du combat menant au changement de la situation des femmes.61
Voilà donc une Beauvoir enfin persuadée de son militantisme féministe, au-delà
des couleurs politiques déterminées, plongée dans la lutte pour l’égalité des droits,
des opportunités et de la considération d’hommes et de femmes. En ne limitant
pas la possibilité d’atteindre cette égalité au seul socialisme marxiste, Beauvoir
ouvre le féminisme à tout l’évantail politique réellement existant dans la société
occidentale contemporaine.
Fin
1 Deirdre Bair: Simone de Beauvoir, a Biography, New York, Summit Books, 1990 (version
française: Simone de Beauvoir, trad. de Marie-France de Paloméra, Paris, Fayard, 1991,
371).
2 Simone de Beauvoir: La Force des choses, Paris, NRF-Gallimard, 1963, 210.
3 Ibid., 211.
4 Ibid., 288.
5 Philippe Lejeune: Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975, 25.
6 Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I „Les Faits et les Mythes“, Paris, Galli-
mard-Folio, 1949 et 1976, 103.
7 Deirdre Bair: Simone de Beauvoir, a Biography, op. cit., 475.
8 Ibid., 491.
9 Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. I, op. cit., 389.
10 Simone de Beauvoir: Le Deuxième Sexe, Vol. II „L’Expérience vécue“, Paris, Gallimard-
Folio, 1949 et 1976, 617.
11 Simone de Beauvoir: La Force des choses, op. cit., 285.
12 Toril Moi signale à propos du personnage de Paule: „these characters [...] she writes, are
representations of her own personal ‘death’s head’ [tête de mort]“. Toril Moi: Simone de
Beauvoir, The Making of an Intellectual Woman, Cambridge, Mass., Blackwell Publishers,
1994, 218.
13 Simone de Beauvoir: Les Mandarins, Paris, Gallimard, 1954, Vol. II, 148.
14 Ibid., 148.
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Dossier
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Dossier
Resümee: Francisco Domínguez González, „Le Deuxième Sexe in Les Mandarins“ Der
Verfasser dieses Beitrags hat untersucht, welche Spuren des Traktats Le Deuxième Sexe sich
in der narrativen Fiktion des Romans Les mandarins finden lassen. Auf den ersten Blick
scheint das Bild der Frau in den beiden Werken widersprüchlich, da dem in Le Deuxième
Sexe formulierten Anspruch auf weibliche Emanzipation die nach wie vor untergeordnete
Stellung der Frau in Les Mandarins gegenübersteht. Dies lässt sich jedoch dadurch erklären,
dass Simone de Beauvoir mit den Frauenfiguren dieses Romans keine idealisierten Vertreter
ihres Geschlechts, sondern Abbilder der damaligen gesellschaftlichen Situation schaffen
wollte; der Erfolg des Romans – gekrönt durch den Prix Goncourt im Jahre 1954 – beweist,
dass dieser Realismus von der Leserschaft durchaus verstanden wurde.
69
Dossier
Martine Guyot-Bender
70
Dossier
découvre par le biais d’une nouvelle amie plus âgée et plus mûre qu’elle (Brigitte),
que beaucoup de gens souffrent par delà le monde et commence à poser des
questions existentielles auxquelles Laurence ne parvient pas à répondre; le mari
de Laurence perçoit cette amitié comme préjudiciable pour sa fille et veut éloigner
Brigitte. Au même moment, Dominique, la mère de Laurence, cinquante et un ans,
sûre d’elle mais aussi très vulnérable, est abandonnée par son compagnon de lon-
gue date pour une jeune femme de vingt ans. De son côté, pour préserver sa fa-
mille, Laurence rompt avec un amant de qui, pourtant, elle se sent intellectuelle-
ment et physiquement très proche. Pour couronner le tout, lors d’un voyage en
Grèce, elle se rend compte que son père, un humaniste attaché à des vieilles va-
leurs et pour qui elle a une grande admiration, est aussi insensible aux injustices
que sa mère imprégnée de mondanités: passionné par la Grèce antique, il se mon-
tre passablement indifférent à la pauvreté de la Grèce moderne. En fait, chaque
fois que Laurence tourne la tête, c’est l’égoïsme de son milieu qui éclate un peu
plus au grand jour, jusqu’au jour où, au réveil d’une crise d’anxiété particulièrement
prononcée, elle décide que seul un engagement personnel, qu’aujourd’hui on ap-
pellerait humanitaire, tel que celui qu’envisagent sa fille et Brigitte peut réfréner la
misère; contre l’avis de son mari, elle autorise Catherine à fréquenter Brigitte au
risque que Catherine soit prématurément confrontée à la réalité.
Récit introspectif et parcours initiatique donc, que les chapitres organisés autour
d’une série de thèmes (cercles sociaux mondains; éducation; famille et travail pour
les femmes; modernité et valeurs traditionnelles; science et religion; etc.) et les
personnages type extrêmement prévisibles rapprochent du roman feuilleton, une
forme qui semble avoir pris de court une partie du public qui, s’arrêtant à la dimen-
sion fictive et au niveau littéral du roman a d’une certaine manière devancé la dési-
gnation de „sottisier“ que Beauvoir a elle-même donné aux Belles Images quel-
ques années plus tard.6
De manière presque ironique, on peut aussi attribuer le peu de retentissement
des Belles Images à l’engouement que suscitaient depuis de nombreuses années
les positions féministes de Beauvoir, et dans un passé plus proche, ses séjours et
déclarations politiques à l’étranger (URSS, Japon), sa défense de Jean-François
Steiner, auteur de Treblinka (1966) accusé d’antisémitisme, ainsi que la publication
de Simone de Beauvoir ou l’entreprise de vivre (1966) de Francis Jeanson. Té-
moin du phénomène Simone de Beauvoir, l’abondant courrier que celle-ci reçoit de
la part de lecteurs qui lui disent, jour après jour, leur fascination pour ses prises de
position ainsi que pour sa personne privée: „vos luttes et les luttes de vos héroïnes
m’ont aidée à me former et m’aideront encore“, „vos impressions de pays étran-
gers me guideront dans mes voyages […] maintenant, j’attends vos prochains li-
vres“, ou plus révélatrice encore, cette carte de bon rétablissement (et
d’avertissement) qu’elle reçoit après son accident de voiture en 1965: „il y a de par
le monde des inconnus […] pour qui vos livres sont une raison de vivre: ne roulez
pas trop vite.“
71
Dossier
Sans s’interroger sur le fait que sa famille ait une employée de maison, Lau-
rence ne supporte plus la mesquinerie de son mari envers Goya, leur bonne espa-
gnole; tout en se raillant de la mythique prolétaire de Mona, son assistante, elle
regrette que celle-ci n’ait pas le luxe, comme elle, de se reposer le week-end à la
campagne. Bien que peu sûre de ses affirmations, lors d’une conversation entre
architectes et avocats renommés, elle ose s’ingérer contre le phénomène des
villes nouvelles telles que Brasilia, sans âme, et dont le luxe ne profite qu’aux
riches. De même, elle semble la seule dans son „minuscule système clos“17 à
remarquer l’hypocrisie de la course à l’armement sensée empêcher la guerre.
Mentalement, elle récite les titres de reportages télévisés comme une litanie figu-
rant l’inévitabilité des crises internationales et de leurs conséquences humaines –
„La famine aux Indes? Des massacres au Viêtnam? Des bagarres racistes aux
U.S.A?“18 –, bien consciente pourtant que „les horreurs du monde, on est obligé
de s’y habituer.“19 Plus intolérable encore pour cette mère protectrice, la souf-
france des enfants qu’elle découvre sur l’affiche de sensibilisation à la famine au
Biafra ou dans le récit que fait Brigitte d’un reportage télévisé sur des fillettes qui
posent des ronds de carottes sur des filets de harengs toute la journée.
C’est avec le même cynisme que Laurence observe les effets de la mondialisa-
tion et de la modernisation qui ravissent son entourage mais dont elle pressent la
perversité à long terme, les symptômes d’un mal de vivre collectif que la seule
consommation ne suffit pas à enrayer et le développement du tourisme en pays en
voie de développement, privilégié par sa mère qui „traverse l’océan pour prendre
des bains de soleil“20 C’est en effet à cette époque que ce nouvel eldorado écono-
mique promu par le tout nouveau Club Méditerranée et les compagnies aériennes
en pleine expansion commençait à transformer les régions pauvres du sud en
produits de consommation: „Avec UTA on consomme son tout premier tour du
monde comme un fruit délicieux, bouchée après bouchée, jour après jour, sans
fatigue“, titre explicitement un encart publicitaire dans Le Monde du 14 décembre
1966. Sans réussir à mettre de termes exacts sur ce développement, Laurence
pressent les dangers de cette nouvelle conquête néocolonialiste qui, constate-t-
elle, fait perdurer au lieu de faire reculer les stigmatisations culturelles. Inconscient
de ses propres contradictions, son mari peut soutenir, un jour, qu’en 1990 „la terre
ne formera plus qu’un seul monde“21 et énoncer quelques jours plus tard les sté-
réotypes les plus rebattus qu’„il est bien connu que les enfants juifs sont d’une
précocité inquiétante et d’une émotivité excessive.“22 Même contradiction entre
ouverture et protectionnisme chez son père, qui d’un côté s’oppose à tout secta-
risme mais de l’autre regrette que „la vision sur le monde et le caractère de sa
nièce avaient été transformés lorsque celle-ci s’était liée d’amitié avec une jeune
fille dont la mère était malgache.“23 Dans l’entourage de Laurence, la culture pla-
nétaire n’est acceptable que tant que l’autre se maintient dans les limites de son
territoire. Ajoutons à cela sa critique de certains aspects des sciences et de la
technologie qui en même temps qu’elles promettent d’éradiquer tous les maux
dans le monde accroissent la dépendance et les besoins et favorisent l’effritement
73
Dossier
des liens sociaux. D’autres misères moins publiques mais tout aussi tragiques
l’assaillent: l’opposition entre un désir à jamais inassouvi de mieux vivre qui accen-
tue le mal de vivre, la peur de la solitude et la tyrannie de la jeunesse dont sa
mère, „la parfaite, l’idéale image d’une femme qui vieillit bien“,24 est la première
victime, la solution religieuse aux malaises existentiels et, finalement, le fait que
toute une génération d’enfants juifs comme Brigitte vit avec l’ombre des camps
d’extermination comme contexte familial. Un monde de la texture et de la fragilité
d’un château de sable que les médias en pleine expansion exposent quotidienne-
ment au point de banaliser les crises et d’anesthésier les sensibilités: pour Lau-
rence, on n’a jamais autant parlé des misères du monde et si peu fait pour lutter
contre elles.
Laurence se méfie aussi des solutions hâtives que propose son entourage. Au
rationalisme d’un Jean-Charles avide de lectures sociologiques et pour qui les
technologies nouvelles sont des panacées –„Grâce aux protéines synthétiques, à
la contraception, à l’automation, à l’énergie nucléaire, on peut considérer que vers
1990 sera instaurée la civilisation de l’abondance et des loisirs“25 – ou d’un Gilbert
pour qui la croissance économique est l’unique moyen d’éviter la guerre – „Il n’y
aura pas la guerre. La distance entre les pays capitalistes et les pays […] parce
qu’à présent produire est plus important que posséder“26 –, s’ajoutent d’autres
utopies, de type humaniste pour son père et religieux pour sa sœur Marthe – „et si
tous les peuples consentaient ensemble à se désarmer“.27 Si tout ne va pas pour
le mieux aujourd’hui, l’information et la technologie vont forcément arranger les
choses pour demain. C’est d’ailleurs à ce type de solutions irréalistes que Lau-
rence elle-même recourt pour apaiser les angoisses de Catherine – „Si tu connais
des gens malheureux, nous essayerons de faire quelque chose pour eux. On peut
soigner les malades, donner de l’argent aux pauvres, on peut faire un tas de cho-
ses.“28 –, jusqu’au moment où, à la fin du livre, elle imagine déléguer la responsa-
bilité de redresser le monde à la génération suivante, celle de Catherine et Brigitte.
C’est sur ce fantasme que se termine l’impressionnant inventaire de drames par
lesquels Beauvoir a choisi de représenter son époque.
On peut avancer plusieurs hypothèses au fait que le paradigme politique des
Belles Images, aussi considérable soit-il, ait été globalement ignoré par un public
par ailleurs réceptif aux autres engagements de son auteur. D’une part, contraire-
ment à ses autobiographies, plus linéaires, moins ambiguës, et exprimaient claire-
ment ses positions, la veine politique des Belles Images a pu paraître presque in-
cestueusement mêlée à une trame fictive quantitativement plus importante, trop
terre à terre, à la limite du sordide, pour être perçue comme significative. D’autre
part, la rapidité avec laquelle les injustices apparaissent dans le texte et disparais-
sent sans approfondissement donnait aux Belles Images l’aura d’un roman cir-
constanciel au premier niveau qui vieillirait mal. Finalement, dans une réaction
d’autoprotection de la part d’un public embarrassé de voir ses propres comporte-
ments pris à partie par leur révérée Simone de Beauvoir, ce détachement pouvait
n’avoir été que feint; alors que les autobiographies parlaient du passé et du triom-
74
Dossier
phe d’une narratrice assurée de ses positions avec qui il était tentant de
s’identifier, Les Belles Images peignait l’ambiguïté et l’échec d’une société qui était
la leur: s’identifier à Laurence n’était certes ni valorisant ni encourageant. Cepen-
dant, pour autant qu’elles puissent expliquer la nature de la résistance du public
aux Belles Images, ces hypothèses contredisent sensiblement le projet d’écriture
qu’énonçait Simone de Beauvoir elle-même à ce moment particulier.
L’hypothèse d’une trame fictive trop envahissante ne tient pas compte par
exemple du fait que le mélange réel/fictif constituait un choix déterminé pour Beau-
voir, qui „en 1964, réaffirm[ait] les rapports de la littérature et de l’existence, et sou-
lign[ait] le rapport grandissant de la littérature et de l’information […]“.29 Se décri-
vant en tant que lectrice, elle déclarera d’ailleurs plus tard que „ce qui importe
dans la littérature, c’est d’être fasciné par un monde singulier qui se recoupe avec
le mien.“30 Que le personnage corresponde à une personne existante identifiable
(comme dans l’autobiographie) ou soit une construction fictive (comme dans Les
Belles Images), le roman peut (doit?) fonctionner comme réflexion sur le global
tout en faisant appel au monde présumé du lecteur. Comme ce fut le cas pour la
levée de l’amnésie sur les camps de concentration, Beauvoir considérait la littéra-
ture comme moyen efficace de prendre possession de toutes sortes d’enjeux, y
compris des enjeux politiques et sociaux.31 Si, d’autre part, le public n’a pas été
convaincu par la précipitation avec laquelle est évoqué le paysage social de
l’époque, on ne peut nier que de ce survol, pour superficiel qu’il puisse paraître,
émerge la complexité et l’interconnexion des crises importantes qui avaient fait
dire à Beauvoir quelques années plus tôt qu’elle en était „ arrivée à cette conclu-
sion sur la condition humaine: les deux tiers de l’humanité a faim,“32 paroles
qu’elle attribue d’ailleurs à Laurence, créant ainsi un rapprochement indéniable
entre la protagoniste et l’auteur qui mériterait d’être examiné plus en profondeur.33
Les Belles Images invitait donc le public à réfléchir à la responsabilité collective
comme le faisaient, au même moment, d’autres romans sur les ravages de
l’industrialisation, et parmi lesquels Les Choses de Georges Perec et Le Procès-
Verbal de Jean-Marie Le Clézio.34 Les Belles Images s’inscrivait donc dans un
paysage littéraire existant, destiné à un public large – populaire? – de romans
engagés mais qui pouvaient se lire vite et avaient la capacité de mettre à nu les
travers de la société tout comme l’avaient fait un siècle plus tôt Balzac et Zola. Fi-
nalement, bien que pour Beauvoir „demander aux lecteurs de lire entre les lignes
[soit] dangereux,“35 il est clair que son projet, en tout cas tel qu’elle le décrit dans
l’interview au Monde, était bien de confronter la rigidité et l’indifférence de la tech-
nocratie repliée sur elle-même, et de l’inviter à une autocritique: en refusant son
invitation à se reconnaître, le public refusait de changer de comportement.
Le recul historique et certaines caractéristiques narratives permettent, quarante
ans plus tard, une nouvelle grille de lecture libérée de l’aura envahissante de
l’auteur et d’un contexte dans lequel l’audience présumée était impliquée à des
degrés plus ou moins grands, une grille de lecture dont émerge avec plus de net-
teté la centralité et l’ampleur de l’axe politique du roman.
75
Dossier
Images durant les mois entourant le centenaire de sa naissance, elle aurait certaine-
ment trouvé autant – voire plus – de modèles plausibles pour ses personnages
qu’elle aurait pu placer dans des situations semblables, avoir le même type de
conversations, faire preuve de la même indifférence, et imaginer des solutions
aussi aléatoires que celles que proposaient Jean-Charles, Gilbert et Marthe en
1966. Comme elle a pour créer ses personnages puisé dans les magazines de
1965, elle aurait pu s’inspirer, par exemple, du numéro spécial cadeaux daté de
décembre 2007 de Libération, quotidien né justement des événements de 1968,
qui stéréotype avec un humour cynique qui ressemble fort à celui de Laurence des
habitudes de consommation des nouvelles classes sociales en France (symbolique-
ment surnommées tribus): „bio chic (ou bobo verts), néoclassique, fashion,
techno“; ses personnages auraient pu faire partie, comme ceux des Belles Images,
du milieu technocrate, fiers de tenir entre leurs mains, finalement, le tout nouvel i-
phone tout en ressantant „l’angoisse [qui] risque de reprendre le dessus“ parce qu’
„il paraît qu’à Cupertino, siège de Apple, ils travaillent déjà sur une nouvelle
version.“37 (Libération, 41) – ou encore chez les bio chic, „qui jouent à fond la
‘green attitude’ en réconciliant dandysme et éthique. Papa avec ses chaussons
fourrés et maman […] avec son sac en chèvre. “38
Le scénario des Belles Images version 2008 pourrait donner ceci. Jetant un re-
gard distrait à la une des journaux ou sur Internet, Laurence constaterait que le
fossé entre les riches et les pauvres qu’elle observait entre elle et Mona s’est ac-
centué et que des termes comme SDF, quart monde et banlieues enclavées, en-
trés dans le vocabulaire quotidien, choquent peu de monde. Elle se rendrait
compte que le tourisme en pays en voie de développement est effectivement de-
venu un produit de consommation de masse qui a transmuté de nombreuses so-
ciétés traditionnelles pour satisfaire les besoins d’exotisme occidentaux. Comment
l’économie du Maroc, de la Grèce, de la Thaïlande, évoluerait-elle sans le tou-
risme? N’est-il pas plus rentable, au Népal, de travailler dans le tourisme que
d’être médecin? La dépendance des pays pauvres envers les régions industriali-
sées et le processus d’uniformisation culturelle sur le mode occidental (combien de
McDonald’s dans le monde?) se poursuit sur fond de méfiance envers l’immi-
gration en provenance des ces mêmes pays. (Combien de boat people morts en
traversée? Combien de réfugiés à Sangatte? Que sous-entendent des termes
comme ‘immigré de la deuxième génération’ ou ‘beurette’?) La question de la reli-
gion qui l’agaçait chez sa sœur Marthe a pris les proportions que l’on sait. A son
désarroi face à la surconsommation, Laurence ajouterait certainement de nou-
velles inquiétudes sur le réchauffement de la planète maintenant clairement imputé
aux activités humaines, et remarquerait silencieusement qu’au lieu de diminuer, la
dépendance des pays industriels sur les carburants sert de modèle aux pays dits
émergeants. En même temps qu’elle continuerait à appréhender les images de
terreur et d’horreurs de la télévision dont elle essayait de protéger ses filles, elle
redouterait plus encore Internet, la nouvelle version de l’illusion d’une culture pla-
nétaire mais qui donne accès à bien d’autres dysfonctionnements (sites pornogra-
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Dossier
78
Dossier
La portée d’un texte sur la modernité, circonstanciel par nature, n’est-elle pas
ainsi condamnée à n’émerger qu’une fois le texte en question envisagé en dehors
de son contexte? C’est ainsi que seul l’avenir pourra dire si dans quarante ans 99
Francs d’un Beigdeber ou Plateforme d’un Michel Houellebecq, tous deux des ro-
mans à propos des développements contestables de la modernité, le premier sur
la publicité, le second sur le tourisme sexuel, qui ont, comme Les Belles Images,
simultanément fait l’événement littéraire et été raillés, seront encore perçus
comme inutilement pessimistes.43 Et si les théories du Deuxième Sexe et des Mé-
moires d’une jeune fille rangée, textes modernes et écoutés au moment où ils ont
vu le jour, paraissent en 2008 quelque peu périmées et ceci même pour une partie
de la critique féministe qui les traite comme textes historiques, Les Belles Images
émerge en ce début de millénaire aux prises avec d’innombrables crises interna-
tionales, de problèmes de société et d’environnement, comme un livre actuel: mo-
derne et digne de relecture. Malgré la résistance et l’indifférence de l’audience à
qui il était destiné, pour Les Belles Images, en 1966, les jeux n’étaient pas faits.
1 Simone de Beauvoir, Les Belles Images, Paris, N.R.F., 1966. L’édition utilisée pour cet
article est celle de Folio.
2 Pour détacher mon analyse d’une lecture féministe, j’ai délibérément choisi le masculin
neutre pour parler de Simone de Beauvoir – auteur, écrivain – ainsi que des lecteurs.
3 Simone de Beauvoir; Les Mandarins, Paris, N.R.F., 1954.
4 Son interview dans Le Monde du 16 décembre 1966 fait maintenant image de plaidoyer
pour encourager une meilleure appréciation des Belles Images.
5 Ce statut de roman mal aimé m’a été confirmé de nombreuses fois, par exemple, par la
rareté avec laquelle le titre paraît dans les publications du Simone de Beauvoir Society,
mais de manière encore plus frappante le jour où je vérifiais des citations pour cet article
et où j’ai découvert que des trente cinq livres de et sur Beauvoir que possède la biblio-
thèque André Malraux à Paris, tous avaient été empruntés sauf Les Belles Images. Fai-
sait-il pitié, ce livre „le plus littéraire“ de Simone de Beauvoir, tout seul entre
L’Archéologue de Philippe de Beaussant et Un(e) de Béatrix Beck.
6 Simone de Beauvoir, Tout Compte fait, Paris, N.R.F., 1972. Dans son article du Monde,
Beauvoir déclare s’être inspirée de The Lonely Crowd (1950) du sociologue américain
David Riessman.
7 Francis Jeanson; Simone de Beauvoir ou l'entreprise de vivre. Paris: Seuil, 1966.
8 Signature illisible, lettre du 29 février 2007.
9 Lettre de Helen Wenk, 29 mars 1967.
10 Tout Compte Fait, 140.
11 Op. cit., 142.
12 J’ai repris ici la définition de cette évolution de Jean-Christophe Rufin dans Un Léopard
sur le Garrot, Paris, Gallimard, 2008.
13 Voir l’étude détaillée de Terry Keefe sur la narration, dans Simone de Beauvoir: A Study
of her Writings, 120-126.
14 Les Belles Images, 24.
15 Op. cit, 25.
16 Op. cit, 29.
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Resümee: Martine Guyot-Bender, „Les Belles Images: Eine Sammlung von Stilblüten,
eine Warnung vor künftigen Entwicklungen oder ein Universalroman?“ In diesem Beitrag
wird der gesellschaftliche Kontext des Jahres 1966, in dem Les Belles Images erschien, mit
dem des Jahres 2008, in dem des 100. Geburtstags von Simone de Beauvoir gedacht wird,
verglichen; die Verfasserin zeigt auf, dass dieser wenig erfolgreiche Roman eine universelle
Botschaft enthält, die von der damaligen Leserschaft nicht hinreichend verstanden wurde. Die
politischen Fragen, die am Rande der Handlung auftauchen oder von den Figuren diskutiert
werden, beziehen sich nicht nur auf die internationalen Krisen der 60er Jahre, sondern sind
von grundlegender philosophischer und soziologischer Relevanz und somit auch noch auf die
Gegenwart anwendbar. Es ist sogar zu vermuten, dass Les Belles Images losgelöst von der
allzu einseitigen Erwartungshaltung des Publikums der 60er Jahre, das von Simone de Beau-
voir eine andere Art von literarischem Engagement gewohnt war, heutzutage endlich die ver-
diente Anerkennung finden kann.
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Dossier
Susanne Gramatzki
I. Introduction
81
Dossier
joui d’un revenu assez élevé pendant leur vie active pour pouvoir vivre confortable-
ment de leur retraite, problème plus pressant encore pour les générations qui sui-
vront.
Selon Beauvoir une raison importante de l’appauvrissement dans l’âge est le fait
que même ceux des aînés qui se sentent en parfaite santé sont privés de la possi-
bilité de continuer leur activité professionnelle. La discrimination liée à l’âge dans
le monde du travail, que l’écrivaine dénonce, a été, dans la pratique, entre-temps
interdit dans l’Union Européenne7 mais existe encore dans les faits. En dépit de
l’augmentation de la durée moyenne de la vie et du maintien des moyens physi-
ques et cognitifs, à partir de 50 ans, les personnes rencontrent de grandes diffi-
cultés sur le marché du travail. L’analyse de Beauvoir selon laquelle la vieillesse a
perdu de son prestige dans les technocraties, ces dernières n’estimant plus la va-
leur de l’expérience, et que celle-ci soit ressentie plutôt comme une disqualification
(V 223) est encore – et toujours plus – vraie dans l’économie dynamisée et globali-
sée du 21e siècle. Puisque le travail procure de la sécurité matérielle et qu’il sert à
l’estime de soi, Beauvoir plaide pour une retraite graduelle au lieu de la „retraite
guillotine“ (V 291) indiquant ainsi la solution qu’on avance aujourd’hui par égard à
la pyramide des âges: Après qu’il y eut pendant de longues années une législation
généreuse sur la préretraite, qui recommandait aux salariés de prendre leur re-
traite avant d’avoir atteint la limite d’âge – ce qui fortifiait le paradoxe des retraités
„jeunes“ (V 290) – on assiste aujourd’hui à un tournant qui essaie de tenir compte
du développement démographique, de la prolongation de la durée de la vie profes-
sionnelle et de la flexibilisation des horaires du travail et des champs d’activité.8 Si
des personnes plus âgées peuvent (ou doivent) continuer d’exercer une profession
salariée, c’est à cause d’une pure nécessité socio-économique et pas à cause
d’une nouvelle valorisation de l’âge. De ce point de vue se confirme à première
vue l’opinion ‘scandaleuse’ de Beauvoir selon laquelle les soi-disants peuples pri-
mitifs et les sociétés industrielles modernes traitent leurs anciens de la même ma-
nière en leur donnant une position plutôt fortuite (V 87sq.). Les modifications de
l’attitude des responsables politiques sur la durée de la vie professionnelle et l’âge
du droit à une pension ne se fondent pas sur des impératifs moraux ou sur des
conceptions humanistes; ce sont les données démographiques et économiques
qui décident si les personnes plus âgées doivent se retirer du monde du travail ou
pas.
La place importante que Beauvoir accorde aux aspects socio-économiques de
la vieillesse est vérifiée par la gériapsychatrie. Une vie digne et autodéterminée
demande de la sécurité matérielle, d’autant plus qu’une image positive de soi dans
l’âge avancé est menacée par de maintes restrictions physiques, mentales, émo-
tionnelles et sociales. Une étude scientifique publiée en 1999 montre que les per-
sonnes âgées ont une expérience plus négative de leur propre corps que les au-
tres tranches d’âge et qu’il y a une corrélation non-négligeable entre le montant du
revenu et une perception plus positive de soi.9 Quand Beauvoir fait appel aux
aînés pour qu’ils restent actifs et se tournent vers des fins nouvelles (V 567), elle
83
Dossier
les jeunes et les vieux qui, comme tous les autres mythes, sert au bout du compte
à remplacer la question gênante des relations causales par une narration palliative
transhistorique. La personne âgée chez Beauvoir tient lieu d’une représentation
métonymique de l’homme abusé en général; pour cette raison, il n’est plus seule-
ment question d’un „relèvement des pensions“, de „logements sains“ ou de „loisirs
organisés“ mais c’est „tout le système qui est en jeu“ (V 570). L’engagement de
Beauvoir pour la cause des personnes âgées se laisse interpréter, et sous un
angle marxiste, et sous un angle existentialiste comme postulat d’une vie
autodéterminée permettant à l’homme de dépasser la pure existence de créature:
„La revendication ne peut être que radicale: changer la vie“ (V 570).
Que „la vieillesse n’existerait pour ainsi dire pas“ (V 569) dans la société idéale ne
change rien au fait que la vieillesse est non seulement une construction sociocultu-
relle mais aussi une réalité biologique. Quoique Beauvoir – en accord avec la gé-
rontologie – ait conscience du fait qu’on ne peut pas parler de la vieillesse
(V 16sq.), elle ne peut s’empêcher de parler d’une manière générale de l’âge
avancé afin de pouvoir formuler son point de vue sur ce phénomène. Dans le pré-
ambule de son livre, elle écrit de manière laconique et apodictique: „La loi de la
vie, c’est de changer. C’est un certain type de changement qui caractérise le
vieillissement: irréversible et défavorable, un déclin“ (V 17). Sur les centaines de
pages qui suivent, elle décrit la vieillesse comme une lutte, souvent admirable
mais la plupart du temps pénible et au bout du compte, toujours vaine, que
l’individu doit mener pour compenser des pertes de toutes sortes: des pertes phy-
siques, mentales, émotionnelles, sociales et matérielles. Malgré des exemples
d’artistes, qui ont produit des efforts créateurs surprenants pour leur âge avancé –
comme Michel-Ange ou Verdi –, elle dresse à la fin de son livre le bilan amer que
la vieillesse est en opposition avec la vie, voire qu’elle en est la parodie (V 565).
Derrière cette conclusion pessimiste, on peut lire le credo existentialiste de la si-
tuation particulière de l’homme qui se voit entouré d’un monde vide de sens.
L’absurdité de l’existence ne se laisse surmonter que par l’exécution individuelle
de la liberté humaine, par le dépassement de soi vers l’avenir. Or les maintes res-
trictions que la vieillesse entraîne limitent les possibilités d’agir et donc la liberté de
l’individu: infirmités physiques, manque de ressources matérielles et surtout un
espace de temps se réduisant de plus en plus sont de grands obstacles pour tous
ceux qui, tout en étant vieux, désirent encore se projeter dans l’avenir. L’horizon de
vie se restreignant de plus en plus et l’„à-venir“ se transformant en simple présent,
le vieillissement est ressenti comme une offense narcissique, un skandalon per-
sonnel, d’autant plus que le procès de vieillir est vécu comme quelque chose
d’étranger par rapport au moi: „En nous c’est l’autre qui est vieux“ (V 306). C’est le
regard de l’autre qui nous contraint à prendre conscience de notre vieillissement.
85
Dossier
La „contradiction indépassable entre l’évidence intime qui nous garantit notre per-
manence et la certitude objective de notre métamorphose“ (V 309) ne se laisse
pas résoudre mais doit être supporté par tout à chacun. Cette divergence entre
l’image intérieure et l’image extérieure est confirmée par les recherches de la gé-
riapsychatrie qui, à ce propos, souligne aussi le danger que les personnes âgées
renoncent aux expériences qu’ils aimeraient faire seulement pour répondre aux
normes sociales.14 Mais ce sont justement les activités et les projets qui selon
Beauvoir aident à venir à bout de l’absurdité15 de la vieillesse: „Pour que la vieil-
lesse ne soit pas une dérisoire parodie de notre existence antérieure, il n’y a
qu’une solution, c’est de continuer à poursuivre des fins qui donnent un sens à
notre vie: dévouement à des individus, des collectivités, des causes, travail social
ou politique, intellectuel, créateur“ (V 567).
Avec ce plaidoyer pour une vieillesse active et engagée Beauvoir déconstruit un
autre mythologème, le mythologème de la „belle vieillesse“ qui libère l’homme de
ses passions, le remplissant de sagesse et de tranquillité: „[...] les ‘belles vieilles-
ses’ ne vont pas de soi, jamais; elles représentent d’incessantes victoires et des
défaites surmontées“ (V 336). Si l’écrivaine vise à „briser la conspiration du si-
lence“ (V 8), elle brise ici un autre tabou en détruisant le cliché commode d’une
vieillesse sereine: „Depuis l’Antiquité, l’adulte a tenté de voir sous un jour optimiste
la condition humaine; il a attribué aux âges qui n’étaient pas le sien les vertus qu’il
ne possédait pas: l’innocence à l’enfant, la sérénité aux vieillards“ (V 510). En dé-
construisant le mythe de l’altérité essentielle de l’enfant et du vieillard, Beauvoir
fait appel à la responsabilité de l’individu et de la société: la société doit apporter
les conditions nécessaires afin que les personnes âgées aient la possibilité
d’atteindre un état de sérénité et de tranquillité; chaque individu doit assumer lui-
même la responsabilité de pouvoir mener une vie pleine de sens dans l’âge
avancé. Une vieillesse heureuse n’est pas l’accumulation simple des années et
des expériences, mais un équilibre précaire qu’il faut garder chaque jour de nou-
veau: „La vieillesse n’est pas la ‘somme’ de notre vie. Le temps d’un même mouve-
ment nous donne et nous vole le monde. Nous apprenons et nous oublions, nous
nous enrichissons et nous nous dégradons“ (V 403). Le point de vue désillusionné
de Beauvoir sur la vieillesse est sans doute douloureux mais aussi libérateur,
parce que le désillusionnement, pris au pied de la lettre, écarte les idées fausses
et donne libre espace pour une expérience authentique de soi dans la vieillesse.
Là où les gérontologues tiennent fermement à l’image d’une vieillesse comme
summa de la vie, ils le font dans le même sens que Beauvoir, dans le cadre d’une
conception individualiste dans laquelle la dignité et la volonté de l’individu sont au
premier plan.16
Cependant la gérontologie et la gériapsychatrie contrarient l’image plutôt pessi-
miste de la vieillesse individuelle que l’écrivaine dresse dans la deuxième partie de
son essai comme dans ses textes littéraires. A l’offense existentialiste, c’est-à-dire
à la déception face à l’échec du projet de transcender le moi aux limites de la phy-
sis, la recherche scientifique oppose le concept de la plasticité. Par „plasticité“ on
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Dossier
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Dossier
Dans son étude publiée en 1970, Simone de Beauvoir n’a pas pu prévoir la dif-
férenciation entre le troisième et le quatrième âge qui est devenue nécessaire au-
jourd’hui. Tout de même, elle semble avoir vécue elle-même l’expérience de deux
vieillesses, l’une sereine et l’autre moins sereine. La lecture de ses deux derniers
tomes de mémoires suggère cette conclusion: tandis que La force des choses
(1963) se termine par une réflexion amère et mélancolique sur la vieillesse, on
peut retirer de Tout compte fait (1972) une attitude plus calme et plus sûre de soi
envers le processus de vieillissement.20 On pourrait qualifier cette attitude d’un
„optimisme défensif“21 qui permet à l’individu d’opposer les gains aux pertes es-
suyées et d’accepter des limites nouvelles sans perdre néanmoins la joie de vivre.
IV. Conclusion
A bien des points de vue, l’essai de Beauvoir n’a rien perdu de sa force explosive
sur le plan politique et socio-économique: aujourd’hui encore, beaucoup d’aînés
manquent de moyens matériels nécessaires; des maisons de retraite, où des per-
sonnes âgées sont négligées à cause d’un personnel insuffisant, ne semblent pas
avoir tellement changées. Le thème de la sexualité des personnes âgées, auquel
Beauvoir accorde une place importante dans son livre, persiste à être un tabou
dans le discours social et paraît encore être sous-représenté dans la recherche
gérontologique. D’un autre côté, il y aussi certaines considérations de Beauvoir qui
sont devenues obsolètes à cause des changements sociopolitiques, démographi-
ques et médicaux. Notamment le matériel statistique abondant et la focalisation
des situations locales françaises semblent rendre caduque certains passages de la
première partie du livre: l’impression qui pourrait s’en dégager est que la philoso-
phe ne s’est pas attendue à un succès sur le long-terme et au-delà de la France.
Mais le livre prend quand même part à l’évolution des mentalités qui a mené à une
attitude modifiée envers les personnes âgées: la vieillesse n’est plus regardée
comme un phénomène marginal de la société et l’on a commencé à fixer les droits
des aînés.22 Dans La vieillesse, Beauvoir intervient en faveur des personnes
âgées comme elle l’a fait deux décennies auparavant pour les femmes. Il se peut
que le temps n’était pas encore venu pour une revendication des droits des per-
sonnes âgées, d’autres sujets étant sur l’agenda politique en ce temps-là.23
L’avenir nous montrera s’il faut ajouter un nouveau chapitre à l’histoire de la récep-
tion de l’œuvre.
Néanmoins La vieillesse est, comme Le Deuxième Sexe, soumise à une
certaine ambivalence: dans l’intention de libérer l’âge avancé des préjugés et des
stéréotypes négatifs, Beauvoir reprend le mythe de la vieillesse. En définissant la
sénescence comme contraire et comme parodie de la vie, elle la fixe comme
étrangère, comme écart de la norme, comme l’Autre absolu. La relation étroite et
quasi symbiotique que Beauvoir dresse entre la vie et la mort exclut la vieillesse
comme un tiers incompatible: „La mort transforme la vie en destin; d’une certaine
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Dossier
1 [...] „das Buch [La vieillesse] müsste heute nicht nur ein Klassiker, sondern ein Bestseller
sein“. Voss, Julia: „Man kommt nicht als Frau zur Welt, man wird es“, dans: Frankfurter
Allgemeine Zeitung, 7, 09.01.2008, 29.
2 Sur cette dichotomie du livre cf. aussi: Monique Streiff Moretti: „La vecchiaia secondo
Simone de Beauvoir“, dans: Sergio Rufini, Clara Mucci (ed.): „O Sir! you are old ...“. Ri-
flessioni sulla vecchiaia a partire da Shakespeare, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane,
1999, 135-145, 143 et Oliver Davis: Age Rage and Going Gently: Stories of Senescent
Subject in Twentieth-Century French Writing, Amsterdam / New York, 2006, 33-61.
3 Sur la situation actuelle des personnes âgées en France cf. le dossier „Vieillir en France“
dans lendemains, 116, 2004.
4 Simone de Beauvoir: La vieillesse, Paris, Gallimard, 1970 [signalée V dans le texte], 8.
5 Cf. Bernard Ennuyer: „L’objet ‘personne âgée’“, dans: Bernadette Veysset-Puijalon (ed.),
Être vieux, Paris, Autrement, 1992, 14-28.
6 Cf. dans ce contexte l’article de Patrice Bourdelais qui dénie la valeur heuristique de la
notion de vieillissement et qui souligne que les discours actuels ne correspondent plus à
la réalité de la vieillesse. Patrice Bourdelais: „Le Vieillissement de la population: question
d’actualité ou notion obsolète?“, dans: Le Débat, 82, 1994, 173-192. Sur le discours fata-
liste sur le vieillissement démographique des populations européennes cf. aussi Anne-
Marie Guillemard: „Faut-il avoir peur?“, dans: Bernadette Veysset-Puijalon, 1992, op. cit.,
29-40.
7 Cf. la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre
général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, Art. 25.
8 Cf. Susanne Wurm: „Gesundheitliche Potenziale und Grenzen älterer Erwerbspersonen“,
dans: Deutsches Zentrum für Altersfragen (ed.): Förderung der Beschäftigung älterer Ar-
beitnehmer. Voraussetzungen und Möglichkeiten, Berlin, Lit Verlag, 2006, 7-97; Corinna
Barkholdt: „Umgestaltung der Altersteilzeit von einem Ausgliederungs- zu einem
Eingliederungsinstrument“, dans: ibid., 169-260. Dans la contribution de Barkholdt on
trouve des tableaux qui montrent le développement de la politique des limites d’âge sur le
plan européen, 253-260. Sur la relégation croissante des salariés vieillissants du monde
du travail en France à partir des années 70 cf. Anne-Marie Guillemard, 1992, op. cit.,
38sq.
9 Cf. Thomas Gunzelmann, Christa Brähler, Aike Hessel, Elmar Brähler: „Körpererleben im
Alter“, dans: Zeitschrift für Gerontopsychologie und -psychiatrie, 12, 1999, 40-54.
10 Cf. Ursula Lehr: Psychologie des Alterns, Wiebelsheim, Quelle & Meyer, 200711, 174-176.
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Dossier
economy of her problem. Perhaps this book will also come to be seen as the tocsin of
some new liberation mouvement, this time of the old.“ T. H. Adamowski: „Death, Old Age,
and Femininity: Simone de Beauvoir and the Politics of La Vieillesse“, dans: Dalhousie
Review, 50, 1970, 394-401, 394.
24 A juste titre la critique met l’accent sur l’image sombre de la vieillesse dans l’essai de
Beauvoir – cf. Woodward, 1988, op. cit., 105; Betty Halpern-Guedj: Le temps et le trans-
cendant dans l’œuvre de Simone de Beauvoir, Tübingen, Narr, 1998, 112; Bethany La-
dimer: Colette, Beauvoir, and Duras: Age and Women Writers, Gainesville et al., Univer-
sity Press of Florida, 1999, 119 – toutefois il ne faut pas négliger cette nuance positive
orientant le regard vers l’avenir.
Resümee: Susanne Gramatzki, Das Skandalon des Alters: Eine kritische Relektüre von
Simone de Beauvoirs Essay La vieillesse fragt vor dem Hintergrund der vorrangig problem-
orientierten diskursiven Konjunktur der Altersthematik in Politik und Publizistik nach der Gül-
tigkeit der Thesen in Simone de Beauvoirs umfangreicher Studie La vieillesse (1970), die bis
heute im Schatten ihres feministischen Standardwerks Le Deuxième Sexe steht. Leitender
Gesichtspunkt hierbei ist Beauvoirs Perspektivierung des Alters als skandalon sowohl auf der
individuellen als auch auf der gesellschaftlichen Ebene.
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Dossier
Debra Bergoffen est professeur de philosophie à la faculté de „Women’s Studies and Cultural
Studies“ à l’Université George Mason de Virginia, Etats-Unis. Elle est l’auteur du livre The
Philosophy of Simone de Beauvoir: Gendered Phenomenologies, Erotic Generosities (Albany,
State University of New York Press, 1997). Parmi ses articles les plus récents, il faut mention-
ner: „Toward a Politics of the Vulnerable Body“ (dans Feminist Philosophy and the Problem of
Evil), „Between the Ethics and Politics of Innocence“ (dans The Australian Feminist Law Jour-
nal). Sa contribution à ce dossier fait partie d’une recherche plus large et actuellement en
cours sur les concepts d’échec et de finitude chez Simone de Beauvoir. Bergoffen est aussi
en train de préparer un essai avec le titre „Between Rape and Justice“ („Entre viol et justice“),
où elle étudie l’importance du genre dans les décisions de la justice relatives aux violences
génocidaires interprétées comme des crimes contre l’humanité.
Essayiste et nouvelliste, Chahla Chafiq est exilée en France depuis 1982, après avoir quitté
l’Iran pour des raisons politiques. Ayant mené des études en sociologie, elle travaille dans le
domaine de la sensibilisation et de la formation des adultes sur les problématiques liées à
l’interculturel en contexte migratoire. Au début des années 90, elle a commencé à publier des
essais en langue française et des nouvelles en langue persane publiées par des éditions ira-
niennes à l’extérieur du pays. Ses essais portent sur les sujets concernant l’islam politique et
ses conséquences sur la vie des sociétés, des groupes et des individus. Certains ont ensuite
été publiés en langue persane, toujours à l’extérieur du pays, mais ont pu être lus en Iran
grâce notamment à l’Internet. Quant à ses écrits littéraires, plusieurs de ses nouvelles ont été
traduites et publiées en langue française. Ouvrages publiés: Chemins et Brouillard, recueil de
nouvelles traduites du persan par Zeinab Zaza. Genève, Ed. Métropolis, 2005; Le Nouvel
Homme islamiste: la Prison politique en Iran. Paris, Editions du Félin, 2002; Femmes sous le
voile, face à la Loi islamique (avec Farhad Khosrokhavar). Paris, Editions du Félin, 1995; La
Femme et le retour de l’Islam. L’expérience iranienne. Paris, Editions du Félin, 1991.
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Dossier
Martine Guyot-Bender est professeur de littérature française à Hamilton College aux Etats-
Unis depuis 1991. Elle a publié une monographie en 1998 et un compilation en 1999 sur Pa-
trick Modiano, ainsi que plusieurs articles sur Amélie Nothomb et d’autres romanciers et réali-
sateurs contemporains ainsi que sur des sujets ayant trait à la culture populaire (Tourisme,
Internet etc.) Ceci est son premier article sur Simone de Beauvoir. Cependant, depuis ses
études doctorales à l’université d’Oregon à Eugene, et sous l’influence de sa directrice de
thèse, Françoise Calin, elle base certains de ses cours de langue française au niveau inter-
médiaire avancé entièrement sur Les Belles Images. Elle a conçu sur ce roman un manuel
complet qui propose aux étudiants une grande variété d’exercices de lecture, d’écriture et
d’introduction à l’analyse littéraire.
Claudine Monteil a été la plus jeune militante pour les droits des femmes en France dans les
années 1970. Après avoir rencontré Jean-Paul Sartre dans les mouvements étudiants de
1968, elle se lie d’amitié avec Simone de Beauvoir et sa sœur l’artiste peintre Hélène de
Beauvoir jusqu’à leur disparition. Titulaire d’un doctorat de troisième cycle sur „L’engagement
féministe de Simone de Beauvoir dans son œuvre et dans sa vie“ (Université de Nice 1984),
elle est aussi l’auteure de quatre ouvrages sur Sartre, Beauvoir et sa famille, tous traduits en
plusieurs langues: Simone de Beauvoir, le Mouvement des Femmes, Mémoires d’une Jeune
fille rebelle (Editions Alain Stanké 1995, Editions du Rocher 1996); Les Amants de la Liberté,
Sartre et Beauvoir dans le siècle (Editions 1/Calmann-Levy 1999); Les Sœurs Beauvoir (Edi-
tions 1/Calmann-Levy 2003); Simone de Beauvoir, côté femme (avec des photos, Timée-Edi-
tions 2006). Elle a aussi publié des articles dans Le Monde pour le soixante-dixième anniver-
saire de Simone de Beauvoir et sa nécrologie lors de sa disparition. Enfin Dr Monteil a écrit
une biographie sur Chaplin avec les témoignages des enfants Chaplin, Les Amants des
Temps Modernes (Editions 1/Calmann-Levy 2002).
Après des études en lettres modernes à Erlangen, Canterbury et Sienne, Thomas Stauder a
passé son doctorat en littérature comparée en 1992; le sujet de sa thèse portait sur le traves-
tissement littéraire en Allemagne, Angleterre, France et Italie. Par la suite, il a été professeur
assistant et chargé de cours en lettres romanes aux Universités de Kiel et d’Erlangen-Nurem-
berg. Après son habilitation en 2002 portant sur la poésie engagée en France, Espagne et
Italie au XXe siècle, il fut nommé „Privatdozent“ en automne 2002. Après cela, il a enseigné
comme professeur invité de littérature française, espagnole et italienne aux Universités de
Vienne, d’Innsbruck et de Mayence (et aussi, de nouveau, à Erlangen). Il s’occupe de „gender
studies“ depuis plusieurs années; ses derniers livres publiés sont: Intellettuali italiani del se-
condo Novecento (2007, avec Angela Barwig) et Negociando identidades, traspasando fronte-
ras. Tendencias en la literatura y el cine mexicanos en torno al nuevo milenio (2008, avec Su-
sanne Igler).
Gianluca Vagnarelli déroule son activité de recherche dans le bureau de philosophie politique
de l’Université de Macerata, en Italie. En 2007 il a passé son doctorat de recherche en Théo-
rie du droit et de la politique avec une thèse sur La philosophie politique de Sartre. Membre du
GES (Groupe d’Études Sartriennes) et de la Simone de Beauvoir Society, pendant les der-
nières années il a travaillé en Italie et à l’étranger sur l’œuvre de Sartre et de Beauvoir en
participant à divers colloques et conférences. Parmi ses publications, il faut mentionner: „Para
una filosofía del derecho en la obra de juventud de Sartre“, in Al Margen, n. 15-16, 2005, 255-
271; „La destrutturazione della sovranità: Sartre e il contemporaneo“, in Diritto a rischio? (a
cura di C. B. Manghi), Torino 2007, 83-112.
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Aurélie Barjonet
Louis Ulbach, qui avait adopté le pseudonyme de Ferragus, a écrit ces lignes en
1868 dans Le Figaro, en réaction à Thérèse Raquin (TR), le roman de Zola paru
un an auparavant. L’actualité de cette diatribe lancée contre une „école mons-
trueuse de romanciers“ (qui ne s’appelait pas encore naturaliste) est frappante. Et
au sein de la littérature contemporaine, elle rappelle particulièrement les argu-
ments avancés à l’encontre des phénomènes de deux rentrées littéraires de sep-
tembre: Michel Houellebecq en 1998 avec Les Particules élémentaires (PE)2 et
Jonathan Littell en 2006 avec Les Bienveillantes (B)3. Plus d’un siècle après Zola,
ces nouveaux peintres de „l’égout“ ont été accusés de pratiquer un voyeurisme
malsain.
Les deux romans sont des récits sans complaisance du mal. Le premier est
l’histoire de deux demi-frères issus de la classe moyenne: Michel et Bruno, tout
deux abandonnés par leur mère hippie. Tandis que Michel mène une carrière pro-
metteuse de biologiste, Bruno est un écrivain raté qui enseigne la littérature au
lycée. Le roman prend pour objet ces deux vies misérables, brisées par le monde
né de la libération sexuelle de 1968,4 un „monde régi par les lois et les réflexes du
marché (performance, violence, satisfaction immédiate, consommation)“.5 Michel,
solitaire et incapable d’empathie, n’a développé aucune compétence sociale;
Bruno, dans la crise de la quarantaine, s’enfonce dans une quête sexuelle déses-
pérée et pathétique. Avec Les Bienveillantes, Jonathan Littell donne sur près de
900 pages une voix à un officier nazi fictif appelé Maximilien Aue. De mère fran-
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çaise et de père allemand, Aue a pu, à la fin de la guerre, fuir l’Allemagne, se faire
passer pour un Français et faire sa vie en France, sans jamais devoir répondre de
sa participation à l’extermination des Juifs. L’auteur a brassé une documentation
colossale6 pour imaginer le parcours de Max Aue à Paris, Berlin, sur le front de
l’Est, à Stalingrad, rythmé par ses rencontres avec des personnages historiques et
parfois fictifs. Dénué de remords, cet antihéros somatise en revanche amplement
sa traversée de l’enfer. Ce n’est pas, comme chez Houellebecq, un individu banal.
Littell a choisi d’en faire un docteur en droit pétri de culture littéraire et philosophi-
que. D’autre part, le personnage vit mal son homosexualité et souffre de son
amour exclusif pour sa sœur jumelle Una, avec laquelle, devine-t-on (lui-même
refoulant cette évidence), il a eu des jumeaux.
Dans la suite de son article, Louis Ulbach avance qu’il est „plus facile de faire un
roman brutal, plein de sanie, de crimes et de prostitutions, que d’écrire un roman
contenu, mesuré, moiré, indiquant les hontes sans les découvrir, émouvant sans
écœurer […]“, car
Attacher par le dégoût, plaire par l’horrible, c’est un procédé qui malheureusement ré-
pond à un instinct humain, mais à l’instinct le plus bas, le moins avouable, le plus uni-
versel, le plus bestial. Les foules qui courent à la guillotine, ou qui se pressent à la mor-
gue, sont-elles le public qu’il faille séduire, encourager, maintenir dans le culte des
épouvantes et des purulences?7
D’après Ulbach, la littérature putride n’est pas seulement facile et populaire, elle
est aussi particulièrement répréhensible par sa systématisation de la représenta-
tion de l’abject, ou comme il le définit plus loin par la „monotonie de l’ignoble“:
Je ne prétends pas restreindre le domaine de l’écrivain. Tout, jusqu’à l’épiderme, lui ap-
partient: arracher la peau, ce n’est plus de l’observation, c’est de la chirurgie; et si une
fois par hasard un écorché peut être indispensable à la démonstration psychologique,
l’écorché mis en système n’est plus que de la folie et de la dépravation.8
Dans le cas de Zola, Ulbach s’insurge en plus contre la représentation du „physi-
que“, du „charnel“ au détriment de l’âme des personnages. Certes, une partie de
cette critique est aujourd’hui dépassée (essentiellement le dernier argument: pein-
dre des „tempéraments“ et non des „caractères“, pour reprendre la distinction zo-
lienne); mais le terme de „littérature putride“, ainsi qu’une grande partie des accu-
sations lancées par Ulbach, se retrouvent quasiment à l’identique en 1998 (comme
l’a montré Rita Schober)9 et en 2006. La putridité exposée par les deux roman-
ciers contemporains est plus intense que celle d’un Zola (ou disons que celle de
Zola ne nous choque plus). La comparaison d’un passage de Thérèse Raquin, sé-
lectionné par Ulbach, avec un passage similaire sur le plan thématique, pris dans
chacun des deux autres romans suffira à en donner une idée:
Ils poussèrent un cri et se pressèrent davantage, afin de ne pas laisser entre leur chair
de place pour le noyé. Et ils sentaient toujours des lambeaux de Camille, qui s’écrasait
ignoblement entre eux, glaçant leur peau par endroits, tandis que le reste de leur corps
brûlait. (TR, 172)
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Il replaça sa tête plus confortablement et caressa le clitoris de l’index. Ses petites lè-
vres commençaient à gonfler. Pris d’un mouvement de joie, il les lécha avec avidité.
Christiane poussa un gémissement. L’espace d’un instant il revit la vulve, maigre et ri-
dée, de sa mère; puis le souvenir s’effaça, il continua à masser le clitoris de plus en
plus vite tout en léchant les lèvres à grands coups de langue amicaux. (PE, 176)
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du Second Empire, que date la mise en place d’un appareil de production cultu-
relle sur les bases duquel nous fonctionnons encore.30
Quelle position nos auteurs adoptent-ils sur le réalisme et à quel type de ré-
alisme avons-nous affaire?
Zola distribuait dans ses romans un savoir encyclopédique, préalablement con-
signé dans un système de fiches, pour accroître l’effet de réel. Le naturaliste
croyait infiltrer habilement un savoir exact dans le discours littéraire et rendre ce
dernier „scientifique“. Houellebecq n’a pas cette naïveté. Il a lu Barthes et a trouvé
chez Lovecraft une parade pour dire le monde de façon nouvelle, qui de surcroît –
par son talent quasi proustien de grand pasticheur – lui permet de montrer la va-
cuité de certains discours sur le monde. Rita Schober a étudié l’intégration, chez
Houellebecq, de „discours pragmatiques“ et le „mélange des discours, notamment
en provenance du domaine des sciences exactes“ (réflexions théoriques, digres-
sions scientifiques, rapports de recherche, débats, notices encyclopédiques, con-
versations…) visant à un roman total à la Novalis.31 Eric Bordas s’est plongé dans
le fonctionnement de l’ironie houellebecquienne, toute postmoderne.32
Chez Littell, l’intégration de la documentation ne se fait absolument pas sur le
mode ludique, en revanche, vu la masse d’informations récoltées sur le réel né-
cessaire au „montage“ du livre, l’ampleur du récit et les différents „niveaux de ré-
alité“ sur lesquels son roman fonctionne,33 son projet s’inscrit lui aussi dans une
ambition de totalité. Dans le même temps, cette „documentation revécue de
l’intérieur“ et cette „sorte d’imprégnation intime de chacun des lieux, de chacune
des situations, de chacun des personnages“ produit – aux yeux de Pierre Nora –
un „rendu historique […] confondant“.34 Les deux auteurs assument leur ambition
totalisante en plaçant à la fin (Houellebecq) et au début (Littell) deux phrases qui
incitent de surcroît à trouver dans leur œuvre un message „sérieux“:
Ce livre est dédié à l’homme (excipit de PE, 394)
Pour les morts (exergue de B, 7)35
Mais étrangement, alors que Les Particules élémentaires semble plus du côté du
jeu36 et Les Bienveillantes viser plutôt l’hyperréalisme, c’est l’auteur du premier
roman qui va plutôt se revendiquer de l’action et le second de l’esprit. Houellebecq
veut „mettre le doigt sur la plaie“ (ce qui encourage Rita Schober à parler
d’activisme destructeur),37 le second revendique le silence du romancier sur son
propre projet, s’en remet aux jugements des lecteurs et de la postérité, ce qui est
toujours un peu frustrant, et presque démesurément courageux pour un tel livre.
Houellebecq, comme Zola, montre les ravages du monde moderne sur des tem-
péraments et revendique son réalisme en invoquant la puissance de la vérité:
Zola:
Lorsque L’Assommoir a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans
exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d’expliquer ici, en
quelques lignes, mes intentions d’écrivain? J’ai voulu peindre la déchéance fatale
d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de
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La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque
chose à dire.42
Zola veut dire la vérité pour expliquer un monde en transition et susciter des réfor-
mes, Houellebecq veut dire la vérité pour attaquer le monde. Jonathan Littell se
met en revanche résolument sous la double autorité de la littérature et de la vérité
et revendique son livre comme une expérience:43 choisissant de se glisser dans la
peau d’un nazi,44 parce qu’à la différence des témoignages des victimes, dans les
„textes de bourreaux, […] il n’y avait rien“,45 il explique:
[…] un nazi sociologiquement crédible n’aurait jamais pu s’exprimer comme mon narra-
teur. Ce dernier n’aurait jamais été en mesure d’apporter cet éclairage sur les hommes
qui l’entourent. Ceux qui ont existé comme Eichmann ou Himmler, et ceux que j’ai in-
ventés. Max Aue est un rayon X qui balaye, un scanner. Il n’est effectivement pas un
personnage vraisemblable. Je ne recherchais pas la vraisemblance, mais la vérité. Il
n’y a pas de roman possible si l’on campe sur le seul registre de la vraisemblance. La
vérité romanesque est d’un autre ordre que la vérité historique ou sociologique.
La question du bourreau est la grande question soulevée par les historiens de la Shoah
depuis quinze ans. La seule question qui reste est la motivation des bourreaux.46
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après. Cette neutralité est choquante,53 elle déclenche instinctivement notre ré-
flexion morale,54 elle nous force à nous positionner à nouveau sur un sujet essen-
tiel, que l’auteur a réussi à „déjudaïser“ pour en faire „un problème beaucoup plus
universel […] un problème humain“.55
A la neutralité extrêmement perturbante du narrateur des Bienveillantes corres-
pond une méchante ironie dans les récits de Houellebecq. Elle nous met en revan-
che à distance et fait „passer“ le réel putride que l’auteur a décidé de nous servir.
Le réel, chez Houellebecq, n’est pas comme chez Littell un passé bien connu, un
passé cependant inconcevable. Houellebecq dresse un bilan exacerbé de notre
époque moderne qui s’achève par une utopie. Les travaux de Michel Djerzinski, un
des deux frères dont on suit le parcours, ont „permis“ la disparition de l’humanité
au profit d’une nouvelle espèce asexuée et immortelle. L’épilogue s’ouvre sur un
aveu du narrateur (un mutant issu de cette nouvelle ère): „Sur la vie, l’apparence
physique, le caractère des personnages qui ont traversé ce récit, nous connais-
sons de nombreux détails; ce livre doit malgré tout être considéré comme une fic-
tion, une reconstitution crédible à partir de souvenirs partiels, plutôt que comme le
reflet d’une vérité univoque et attestable.“ (PE, 383) Le récit putride n’est pas seu-
lement „au second degré“, il a aussi une fonction dans la logique même du récit. Il
est la mémoire des mutants. Comme le disciple de Djerzinski dont les travaux ont
permis la mutation, ceux-ci sont redevables aux hommes d’avoir organisé eux-mê-
mes leur propre remplacement:
[…] l’ambition ultime de cet ouvrage est de saluer cette espèce infortunée et coura-
geuse qui nous a créés. Cette espèce douloureuse et vile, à peine différente du singe,
qui portait cependant en elle tant d’aspirations nobles. Cette espèce torturée, contra-
dictoire, individualiste et querelleuse, d’un égoïsme illimité, parfois capable
d’explosions de violence inouïes, mais qui ne cessa jamais pourtant de croire à la
bonté et à l’amour. (PE, 394)
Dans un article récent du Monde des livres, Nancy Huston s’insurge contre l’auteur
des Bienveillantes qui, selon elle, prend au sérieux la prose de l’étudiant meurtrier
de Virginia Tech. Pourtant, Jonathan Littell écrivait:
A leur lecture, nul ne pourra dire que Cho Seung-Hui avait du talent; pourtant, ces brè-
ves pièces, maladroites et juvéniles, bien mieux que de nombreuses œuvres publiées,
nous disent crûment la vérité d’une rage sans fond; et si nous voulons bien faire nôtre
la définition de la littérature que nous propose Georges Bataille, celle de textes aux-
quels ‘sensiblement leur auteur a été contraint’, alors, d’une certaine manière, nous de-
vons reconnaître qu’il y a ici littérature, une forme de littérature: quelque chose qui se
dit.56
L’écrivaine canadienne commente ironiquement: „il est vrai que ces phrases de
Cho Seung-Hui ressemblent étrangement à celles de certains écrivains adulés de
notre époque. De Michel Houellebecq par exemple […]“.57 Nancy Huston dénonce
la conception bataillienne de la littérature, revendiquée par Littell, comme une im-
posture. Réduisant le message de son confrère à une défense des „fous“, elle es-
time, pour sa part, que la folie ne suffit pas, le „geste fondamental de l’artiste“ n’est
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1 Ferragus, „La littérature putride“, Le Figaro, 23 janvier 1868, cité dans: Emile Zola, Thé-
rèse Raquin, éd. par Philippe Hamon, Paris, Pocket, 1998, 266-272, ici 266-267.
2 Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires. Roman, Paris, Flammarion, 1998.
3 Jonathan Littell, Les Bienveillantes. Roman, Paris, Gallimard, 2006.
4 Dans un essai de 1991, Michel Houellebecq expliquait: „Le capitalisme libéral a étendu
son emprise sur les consciences; marchant de pair avec lui sont advenus le mercanti-
lisme, la publicité, le culte absurde et ricanant de l’efficacité économique, l’appétit exclusif
et immodéré pour les richesses matérielles. Pire encore, le libéralisme s’est étendu du
domaine économique au domaine sexuel. […] La valeur d’un être humain se mesure au-
jourd’hui par son efficacité économique et son potentiel érotique […]“ H.P. Lovecraft.
Contre le monde, contre la vie (1991), Paris, J’ai lu, 1999, 144.
5 Christian Authier, Le Nouvel Ordre sexuel, Paris, Bartillat, 2002, 53. Plus loin, l’auteur
trouve la formule adéquate pour ce thème houellebecquien dominant: la „convergence
entre les ‘libéraux’ et les ‘libertaires’“, 58.
6 Les historiens ont commenté ses erreurs historiques, les germanistes ses erreurs linguis-
tiques, les puristes son français.
7 Ferragus, „La littérature putride“, 268.
8 Ibid.
9 Rita Schober, „Renouveau du réalisme? ou de Zola à Houellebecq“, dans: Monique Gos-
selin-Noat et Anne-Simone Dufief (dir.), La Représentation du réel dans le roman. Mé-
langes offerts à Colette Becker, Paris, Orséa, 2002, 333-344. En plus de la similarité des
arguments avancés par la critique, Rita Schober constate que Zola et Houellebecq vivent
tous deux à une époque de transition et qu’ils entretiennent un rapport positif avec les
sciences exactes modernes.
10 Voir Jean-Pierre Bertrand, „Haro sur l’idéologie“, COnTEXTES, février 2007. Disponible à
cette adresse: http://www.revue-contextes.net/document.php?id=218.
11 Dominique Viart et Bruno Vercier, La Littérature française au présent. Héritage, moder-
nité, mutations, Paris, Bordas, 2005, 214.
12 Philippe Muray et Lakis Proguidis, „Avant-propos“, dans: id. (dir.), Le Roman, pour quoi
faire?, Paris, Flammarion, 2004, 7-8, ici 7.
13 Pascal Durand énumère les „propriétés délétères“ de cette littérature, d’après Sainte-
Beuve qui l’emploie pour la première fois en 1839 dans la Revue des Deux Mondes:
„instrumentalisation de l’imagination au service de la presse, surabondance, vénalité, re-
dondance, stéréotypie, distension du style“. „De la ‘littérature industrielle’ au ‘poème po-
pulaire moderne’“, dans: Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli, François Vallotton
(dir.), Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques 1860-
1940, Paris, PUF, 2006, 23-36, ici 27 et 30.
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14 Vincent Jouve, „Qu’est-ce qui fait la valeur des textes littéraires?“, Revue des sciences
humaines, n° 283, juillet-septembre 2006, n° sur La Valeur dirigé par Dominique Vau-
geois, 63-77, ici 66.
15 J’emprunte cette formule, qui inverse la phrase bien connue de Roland Barthes, à Rita
Schober („Schreiben ist wieder transitiv“), dans son compte-rendu de l’ouvrage de Michel
Collomb (voir note 19), dans lendemains, n° 125, 2007, 150-161, ici 153.
16 Dans sa leçon inaugurale, Antoine Compagnon pose la question: après l’ère de
„l’impouvoir sacré“ de la littérature, „le moment n’est-il pas venu de passer du discrédit à
la restauration et du reniement à l’affirmation?“ La Littérature, pour quoi faire?, Paris,
Fayard / Collège de France, 2007, 59.
17 Jean Bessière, Qu’est-il arrivé aux écrivains français? D’Alain Robbe-Grillet à Jonathan
Littell, Loverval, Labor, 2007, 6-8, 42, 58.
18 Ibid., 59.
19 Rita Schober, „Vision du monde et théorie du roman, concepts opératoires des romans
de Michel Houellebecq“, dans: Bruno Blanckeman, Marc Dambre, Aline Mura-Brunel
(dir.), Le Roman français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses Sorbonne nouvelle,
2004, 505-515, ici 515. Dans le collectif récent de Michel Collomb, le phénomène Houel-
lebecq est envisagé sous l’angle du retour du social: L’Empreinte du social dans le roman
depuis 1980, Publication du Centre d’études du XXe siècle, Université Paul Valéry, Mont-
pellier III, 2005.
20 Tandis que les écrivains nihilistes sont l’objet du livre de Nancy Huston, Todorov ne s’y
intéresse que ponctuellement, voir par exemple 34-35.
21 Nancy Huston fait cependant remonter la tradition négativiste à Schopenhauer et évoque,
avant Houellebecq, Samuel Beckett, Emil Cioran, Jean Améry (et dans ce chapitre éga-
lement Charlotte Delbo et Imre Kertész), Thomas Bernhard, Milan Kundera et Elfriede
Jelinek. Après Houellebecq, trois „femmes tentées de noir: Sarah Kane, Christine Angot,
Linda Lê“ ferment la marche.
22 Le Magazine littéraire de décembre 2006 qui fait le point sur 40 ans de littérature ne fait
pas des PE le livre emblématique de l’année 1998, mais il est mentionné dans la chro-
nologie „recensant les livres qui ont fait date“ (25). Dans son résumé, la revue met des
gants puisqu’elle écrit: „En rupture avec les esthétiques officielles, l’auteur provoque une
polémique en évoquant un sujet sensible, le clonage qui conduit, selon lui, l’humanité à
son extinction.“ (109)
23 Pierre Jourde, La Littérature sans estomac, Paris, L’Esprit des péninsules, 2002.
24 D’après Alain Beuve-Méry qui a interrogé les libraires, „Le phénomène ‘Les Bienveillan-
tes’“, Le Monde des livres, 22 septembre 2006, 11.
25 Daniel Lindenberg, Le Rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris,
Seuil, 2002.
26 Edouard Husson et Michel Terestchenko, Les Complaisantes. Jonathan Littell et l’écriture
du mal, Paris, François-Xavier de Guibert, 2007, 13.
27 Ibid., 38.
28 Voir son entretien avec Richard Millet („Conversation à Beyrouth“, 4-24), puis avec Pierre
Nora „Conversation sur l’histoire et le roman“, 25-44, dans Le Débat, n° 144, mars-avril
2007.
29 Frank-Rutger Hausmann, „Voyage au bout de l’Holocauste. Bemerkungen zu Jonathan
Littells Buch Les Bienveillantes“, lendemains, n° 125, 2007, 162-168, ici 168.
30 C’est „un appareil de production culturelle caractérisé par l’industrialisation, la communi-
cation accélérée et massifiée, un contrôle idéologique neutralisant, l’insistance sur le
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39 Zola, „Préface“ (1er janvier 1877), L’Assommoir, Paris, Presses Pocket, 1990, 521-522.
40 Lettre de Zola au Bien public du 13 février 1877, ibid., 524.
41 Michel Houellebecq, „Frapper là où ça compte“, dans: Rester vivant. Méthode (1991),
dans: id., Rester vivant et autres textes, Paris, Librio, 2001, 23-27, ici 26-27. Les étapes
précédant celle-ci, la dernière dans la „méthode“, sont: „D’abord, la souffrance“, „Articu-
ler“ et „Survivre“.
42 Michel Houellebecq, Interventions, Paris, Flammarion, 1998, 53.
43 „Un livre est une expérience. Un écrivain pose des questions en essayant d’avancer dans
le noir. Non pas vers la lumière, mais en allant encore plus loin dans le noir, pour arriver
dans un noir encore plus noir que le noir de départ.“ Entretien de Jonathan Littell avec
Samuel Blumenfeld, „Il faudra du temps pour expliquer ce succès“, Le Monde, 17 no-
vembre 2006, 2. Et auparavant, à la même personne, sur le choix du „je“: „C’était le seul
choix possible, car l’objet qui m’intéresse est le meurtre politique de masse. C’était le seul
moyen de comprendre ces gens.“ „Jonathan Littell: ‘La parole vraie d’un bourreau
n’existe pas’“, Le Monde des livres, 1er septembre 2006, 3.
44 Les raisons invoquées pour ce choix sont triples: son expérience de l’humanitaire (et sa
rencontre avec des bourreaux de notre époque), le souvenir traumatisant du Vietnam et
la photo de Zoya Kosmodemianskaïa, une paysanne russe pendue par les nazis. „Ce qui
est extraordinaire dans cette image, c’est qu’on perçoit à quel point cette femme a pu
être belle. Cela m’a beaucoup travaillé, et en même temps c’était insupportable.“ „Jona-
than Littell: ‘La parole vraie d’un bourreau n’existe pas’“.
45 „Il faudra du temps pour expliquer ce succès“, Le Monde, 17 novembre 2006 et „Jona-
than Littell: ‘La parole vraie d’un bourreau n’existe pas’“.
46 J. Littell, „Il faudra du temps pour expliquer ce succès“.
47 J. Littell, P. Nora, „Conversation sur l’histoire et le roman“, 30.
48 V. Jouve, „Qu’est-ce qui fait la valeur des textes littéraires?“, 75. Tzvetan Todorov s’est
interrogé brillamment dans un essai sur comment se comporter Face à l’extrême, Paris,
Seuil, 1991.
49 V. Jouve, „Qu’est-ce qui fait la valeur des textes littéraires?“, 75.
50 Claude Lanzmann, „Une documentation impeccable mais… Lanzmann juge ‘les Bienveil-
lantes’“, propos recueillis par Marie-France Etchegoin, Le Nouvel Observateur, n° 2185,
21-27 septembre 2006, 27.
51 C’est ce qu’il dit à Pierre Nora, „Conversation sur l’histoire et le roman“, 39.
52 V. Jouve, „Qu’est-ce qui fait la valeur des textes littéraires?“, 75.
53 Littell se revendique d’ailleurs de Maurice Blanchot et Max aussi lit ce dernier. Max Aue
est intelligent, il comprend tout, analyse tout, il ressent l’horreur: „Je suis sorti de la
guerre un homme vide, avec seulement de l’amertume et une longue honte, comme du
sable qui crisse entre les dents“, B, 19 ou encore: „Vous devez trouver que je vous entre-
tiens bien froidement de tout ça […]“, B, 616. Mais il ne formule ni remords ni excuses:
„Je ne regrette rien: j’ai fait mon travail, voilà tout […]“, B, 12 et il rédige ces souvenirs
„pour me remuer le sang, voir si je peux encore ressentir quelque chose, si je sais encore
souffrir un peu. Curieux exercice“, B, 19. Jean Bessière explique: „Jonathan Littell […]
s’attache à décrire la bureaucratie de la guerre et de l’extermination et ce qu’elle vise et
permet: la production sociale de l’indifférence morale – de la part des agents allemands –
et de l’invisibilité morale – celle des Juifs. […] Il y a là cependant plus. Le roman décrit un
maximum d’organisation sociale, un maximum de définition d’une identité sociale, qui
participe, comme il a été dit du partage entre les amis et les ennemis, ceux qui agissent
sans responsabilité et ceux qui sont responsables sans qu’ils agissent nécessairement. Il
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est ainsi le roman qui dit le plus explicitement ce qu’est une société sans référent.“
Qu’est-il arrivé aux écrivains français?, 88-89.
54 Et à ce titre, le livre est bien, comme le dit Max Aue dès les premières lignes de son récit,
„un véritable conte moral, je vous l’assure“, B, 11. Pour une position opposée, voir Fran-
çois Dufay, „Les Bienveillantes, un an après“, Le Magazine littéraire, n° 467, septembre
2007, 30-33, ici 32 et 33 et au même endroit: Daniel Mendelsohn, „Retracer l’histoire
d’une famille exterminée“, 39-40, ici 40.
55 J. Littell, „Conversation sur l’histoire et le roman“, 44.
56 Jonathan Littell, „Cho Seung-hui, ou l’écriture du cauchemar“, Le Monde, 22 avril 2007.
57 Nancy Huston, „Art, folie, responsabilité“, Le Monde des livres, 4 mai 2007, 2.
58 A. Compagnon, La Littérature, pour quoi faire?, 66-67.
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Resümee: Aurélie Barjonet: Die neue „angefaulte Literatur“ – ein Gewinn? Michel
Houellebecqs Particules élémentaires (1998) und Jonathan Littells Les Bienveillantes
(2006). Ausgangspunkt des Aufsatzes ist ein Artikel aus dem Jahre 1868, in dem Zolas Thé-
rèse Raquin als „angefaulte Literatur“ bezeichnet wird. Damalige Argumente finden sich auf
frappierende Weise in den kritischen Stimmen zu zwei Romanen wieder, die mehr als ein Jahr-
hundert später erschienen sind: Les Particules élémentaires von Michel Houellebecq und Les
Bienveillantes von Jonathan Littell. Den drei Romanen sind detaillierte Beschreibungen des
Bösen oder Obszönen gemeinsam, und so müssen sie sich den Vorwurf des Voyeurismus
gefallen lassen. Eine Analyse der Rezeption der beiden zeitgenössischen Werke zeigt den
Fortbestand bestimmter Argumente in der Literaturkritik. Dennoch können Houellebecqs und
Littells Romane aus literaturgeschichtlicher Perspektive als Fortschritt angesehen werden. Am
Ende des Aufsatzes steht die Frage, welcher intellektuelle Gewinn aus der Lektüre dieser
‘angefaulten Literatur’ zu ziehen ist.
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Arts & Lettres
Margarete Zimmermann
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Arts & Lettres
transformé par la mondialisation: ceci est le cas, à des degrés différents, des ro-
mans Globalia (2004) de Jean-Christophe Rufin,5Acide sulfurique (2005) d’Amélie
Nothomb, qui met en scène le sadisme de la société médiatique, et Possibilité
d’une île (2005) de Michel Houellebecq qui va jusqu’au bout du clonage humain.
Enfin, d’autres écrivains imaginent un univers ‘intermédiaire’, déjà fortement sous
l’emprise de la mondialisation, mais où la mémoire de l’état antérieur est encore
vive. C’est le cas du dernier roman de Marie Darrieussecq, Le Pays, paru en au-
tomne 2005.
Cet état intermédiaire est peut-être le plus intéressant des trois parce qu’il mon-
tre le glissement d’un monde vers un autre et qu’il véhicule encore la mémoire du
‘vieux monde’ tout en étant déjà impliqué dans un présent bien différent. Aussi, je
propose d’examiner plus attentivement ce roman et de le lire à la lumière de quel-
ques réflexions sociologiques et philosophiques sur la mondialisation. Je commen-
cerai cependant par une brève présentation de Marie Darrieussecq et de son évo-
lution depuis son premier roman Truismes (1996).
II
„Je suis d’une lignée de sorcières basques. La légende familiale dit que mon ar-
rière-grand-mère a fait tourner les tables, que ma grand-mère cache encore le se-
cret des potions, que ma mère sait faire lever en elle les rêves prémonitoires. Moi,
je les raconte. De nos jours, les sorcières sont des femmes qui écrivent. Mon pre-
mier manuscrit, envoyé aux éditions de Minuit en 1990, s’appelait ‘Sorguina’, la
‘sorcière’, en basque. Il ne sera fait usage ici de potions acides, ni de venins, ni
d’aspics, ni de griffes. Il ne sera question ici que de littérature, et de la façon dont
montent en moi les textes. Il y a l’air du temps. Il y a les jeunes femmes qui écri-
vent dans la zone du fantastique, pour mieux parler du réel. Il y a Kafka.“6
C’est ainsi que se présente, non sans ironie, l’écrivaine Marie Darrieussecq, née
en 1969 et aujourd’hui l’un des auteurs majeurs de sa génération. Elle doit ce suc-
cès surtout à son premier roman Truismes, publié chez P.O.L. en 1996, traduit
dans une trentaine de langues et vendu à plus d’un million d’exemplaires.7 En dé-
pit des éléments autofictionnels et des intertextualités multiples qui renvoient à la
formation universitaire de Marie Darrieussecq et malgré l’ambiguïté profonde et
consciemment construite de ce roman plurivocal, Truismes est tout d’abord la
satire d’une certaine société occidentale des années 2000. Au premier plan: la
France (Paris et sa banlieue) dans un futur proche, un pays qui baigne dans une
atmosphère ‘fin de siècle‘ où tout se dégrade et est corrompu. La protagoniste
sans nom qui se métamorphose en truie au fil du récit évolue également dans un
pays où règnent avidité, corruption et racisme.
C’est donc un récit de transformations et de métamorphoses à des niveaux di-
vers: un corps féminin se métamorphose en corps de truie et parallèlement, une
société se transforme en un corps social fasciste.8 Tout cela est mêlé à des échos
intertextuels faisant référence à Homère/Ovide (les compagnons d‘Ulysse changés
110
Arts & Lettres
III
111
Arts & Lettres
comme c’est souvent le cas dans les textes de cette auteure: “La narration elle-
même, finalement, est rythmée par les ‘absences’. Le flux ininterrompu des mots
passe sous silence l’essentiel, ce qui ne peut être dit: les raisons de la ‘fuite’, du
choix du refuge, de la séparation à venir.“20
Par la suite, deux voix féminines, celle, intradiégétique de la narratrice-protago-
niste et une autre voix, celle-ci extradiégétique et neutre, racontent le ‘retour au
pays’ (basque) de Marion Rivière, une jeune écrivaine, accompagnée de son mari
Diego Herzl, d’origine judéo-argentine, et de leur fils Tiot. Au cours de cette lente
réinstallation dans son pays natal, la narratrice-protagoniste écrit un roman intitulé
Le Pays et découvre qu’elle est enceinte d’une fille qu’elle nommera Epiphanie.
C’est donc à la fois l’histoire d‘un retour en province, de la gestation d‘un roman,
d’une grossesse et d‘une tentative d’“écriture moderne“.21 Le Pays porte les traits
d’un pays basque où se sont achevés les rêves d’indépendance des autonomistes,
un pays qui est en train de faire vivre une utopie réactionnaire et où règne la post-
histoire, un éternel présent sans futur22 et sans perspective politique. La fin du
roman – dont la genèse est aussi souvent évoquée que la lente croissance de
l’enfant dans le ventre de la jeune mère-écrivaine-narratrice – coïncide avec la
naissance de l’enfant. Tout le récit est marqué par un va-et-vient constant entre le
présent du ‘retour au pays’ et un passé – Paris, le ‘monde ancien’ – qui s’efface de
plus en plus. La phrase „il était temps de rentrer au pays“ ou „je rentre au pays“
revient de manière lancinante et structure toute la première séquence de ce ro-
man.23 Finalement, la narratrice-protagoniste constate: „Un jour [...] j’ouvris mon
cahier et j’écrivis une phrase qui me tournait dans la tête, une phrase comme un
air de chanson: ‘Il était temps de rentrer au pays.’ Ça faisait un programme, un
rythme, un horizon, ça faisait une première phrase.“24 Ainsi, cette phrase-refrain
finit par s’imposer comme la première phrase, l’incipit, du roman à venir, comme
une phrase programmatique et apte à générer le récit suivant.
A travers la réflexion de la narratrice sur le processus de la création romanes-
que, Le Pays entretient un rapport d’intertextualité avec le roman Les Faux-Mon-
nayeurs (1926) d’André Gide, roman sur l’écriture d’un roman qui reflète, tout
comme celui de Marie Darrieussecq, les tendances avancées de l’art narratif
contemporain.25 Avec cette intertextualité majeure, Marie Darrieussecq pratique
une mise en abyme de son propre projet romanesque.
Les noms propres des protagonistes renvoient au même procédé en ce qu’ils
sont ‘parlants’ et se réfèrent à des mondes et des temporalités divers:
- Marie/Marion Rivière: „Marie“ n’évoque pas seulement le prénom de l’auteure,
mais aussi la figure emblématique de la mère de Jésus et de la maternité en
général; „Marion“, une dérivation et un diminutif de „Marie“, renvoie aux rap-
ports mère-fille en ce qu’il permet un jeu de mots hautement révélateur pour
les rapports entre la fille Marion et sa mère Miren Zabal:26 cette dernière apos-
trophe sa fille comme „Marion, ma petite marionnette“.27 Le prénom „Miren“ est
une forme basque de „Marie“. Par conséquent, il s’agit ici d’une mise en abyme
de la maternité.
112
Arts & Lettres
- Le nom de famille „Rivière“ évoque le mouvement et la fluidité; „la vie est une
rivière“.28
- Le nom du mari Diego Herzl: Diego est la forme espagnole de „Jacob“, un des
pères fondateurs du peuple d’Israël, et Herzl renvoie à l’un des fondateurs du
sionisme, Theodor Herzl (1860-1904); Herzl signifie „petit cœur“ en allemand
d’Autriche.
- Les prénoms des enfants:
- Tiot: une abréviation de „petiot“; esp. „tio“ („oncle“; „homosexuel“);29 ou: ana-
gramme de „toit“?
- Epiphanie: du grec: apparition; apparition de J.C. aux trois rois mages venus
pour l’adorer (le 6 janvier); cf. les scènes d’apparition de l’enfant à
l’échographie dans Le Pays.
La même hybridité s’observe au niveau du texte, hétérogène tout d’abord par sa
mise en page. Deux types d’impression (gras/non gras) y alternent et correspon-
dent à deux modes de narration (Je/elle). En outre, le roman est truffé
d’expressions de langues étrangères comme l’anglais, l’espagnol, la „vieille lan-
gue“ ou du français hybride de Diego.30 Cette diversité linguistique est renforcée
par une foule de noms topographiques ‘exotiques’ comme ceux des fjords islan-
dais.31 Finalement, l’auteure intègre à son récit des sujets proprement linguisti-
ques comme la traduction, la comparaison32 et l’apprentissage des langues,33 les
relations entre langue et gender34 ou la réflexion sur les langues en général et en
particulier sur les langues minoritaires ou menacées de disparition.35 Ainsi, le
roman de Marie Darrieussecq témoigne d’une forte hybridité générique car il se
situe à une intersection des discours littéraires et scientifiques (linguistiques et
autres). Il participe ainsi à une discussion étroitement liée au phénomène de la
mondialisation, sur la contradiction entre l’ouverture vers une infinité de mondes et
la perte de la diversité linguistique.
IV
113
Arts & Lettres
114
Arts & Lettres
VI
115
Arts & Lettres
* Cet article est la version écrite et remaniée d’une conférence tenue le 10 mars 2006 à la
Maison des Sciences de l’Homme. Je tiens à remercier ici tout particulièrement Karin
Becker de m’y avoir invitée.
1 Je me permets de renvoyer ici aux publications d’André Schiffrin: Le contrôle de la pa-
role. L’édition sans éditeurs, suite, Paris, La Fabrique éditions 2005 et de Laurence San-
tantonios: Tant qu’il y aura des livres, Paris, Bartillat 2005.
2 Cf. à ce sujet aussi Monika Schmitz-Emans: „Globalisierung im Spiegel literarischer Re-
aktionen, in: Manfred Schmeling/Monika Schmitz-Emans/Kerst Walstra (eds.): Literatur
im Zeitalter der Globalisierung, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2000, 285-315.
3 Zaki Laïdi: Malaise dans la mondialisation. Entretien avec Philippe Petit, Paris, Les Edi-
tions Textuel, 1997.
4 Cf. à cet égard de nouveau Schmitz-Emans, 2000, 289: „Literarische Texte thematisieren
jene Prozesse, die man als global bezeichnet, stellen sie dar, reflektieren sie, sei es kri-
tisch oder affirmativ.“
5 „[...] le monde de Globalia, n’est autre que celui d’une démocratie poussée aux limites de
ses dangers“ (Jean-Christophe Rufin: Globalia, Paris, Folio, 2004, 499).
6 Libération, 10 mars 1998.
7 Dans l’entretien Marie Darrieussecq parle des Editions P.O.L., réalisé par Fanny Clou-
zeau et Karine La Bricquir (Paris, Presses Universitaires de Paris, 10, 2006), l’auteure
précise l’importance de son premier roman pour cette maison d’édition ainsi que ses rap-
ports avec son éditeur. Pour une analyse détaillée voir Colette Sarrey-Strack: Fictions
contemporaines au féminin: Marie Darrieussecq, Marie NDiaye, Marie Nimier, Marie Re-
donnet, Paris, L’Harmattan, 2002.
8 Cf. Anat Pick: „Pigscripts The Indignities of Species in Marie Darrieussecq's Pig Tales“,
in: Parallax, vol 12,1, january 2006, 43-56.
9 Jeannette Gaudet: „’Des livres sur la liberté’: conversation avec Marie Darrieussecq“, in:
Dalhousie French Studies, 59, 2002, 108sq.
10 Gaudet, 2002, 109.
11 Cette tendance culmine dans White (2003), une variation sur le blanc.
12 Catherine Rodgers: „’Entrevoir l’absence des bords du monde’ dans les romans de Marie
Darieussecq“, in: Nathalie Morello/Catherine Rodgers (eds.): Nouvelles écrivaines, nou-
velles voix, Amsterdam/New York, Rodopi, 2003, 83-103: citation 99.
13 Voir son texte Dans la maison de Louise, Bordeaux, capMusée d’art contemporain de
Bordeaux, 1998, et sa contribution au catalogue Annette Messager. Hors-jeu, Nantes/
Arles, Musée des Beaux-Arts de Nantes/Actes Sud, 2002, 69-71.
14 Marie Darrieussecq: Zoo, Paris, P.O.L., 2006, 8.
15 Cf. l’article de même titre d’Alain Beuve-Méry dans Le Monde du 7 septembre 2007, 11.
116
Arts & Lettres
16 Pour cette controverse, cf. Le Monde des livres à partir du 24 août 2007 ainsi que Ca-
mille Laurens, „Marie Darrieussecq ou le syndrome du coucou“, disponible sur Internet
(www.leoscheer.com).
17 Cf. les comptes-rendus de Serge Sanchez dans Le Magazine Littéraire, 445, septembre
2005, 71, et d’Agnès Vaquin dans La Quinzaine Littéraire 906, 1-15 septembre 2005, 9-
10.
18 Vaquin, 2005, 10.
19 Le Pays, 50. Ce „retour au pays“ renvoie également à une tendance actuelle dans la so-
ciété française, à l’exode des familles d’un Paris devenu difficile à vivre et à la revalorisa-
tion des grandes villes de province ou de la province tout court. Mais là ne réside pas
l’intérêt principal du roman.
20 Fieke Schoots: „Le bien et Le Mal de mer de Marie Darrieussecq“, in: Sjef Houpper-
mans/Christine Bosman Delzons/Danièle de Ruyter-Tognotti (eds.): Territoires et terres
d’histoires. Perspectives, horizons, jardins secrets dans la littérature française
d’aujourd’hui, Amsterdam, Rodopi 2005, 205.
21 Cf. Le Pays, 257: „Les livres m’invitaient à continuer les livres, à chercher la nuance, le
présent, à tenter l’écriture moderne.“
22 Voir à ce sujet François Hartog: Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du
temps, Paris, Le Seuil, 2003.
23 Cf. Le Pays, 14, 17, 19 (“Elle était rentrée au pays“), 30 („Je suis venue lui dire que je
rentre au pays“), 32 („Je rentre au pays“), 44 („Ils rentraient au pays pour échapper aux
squares, à la torpeur des squares et des jardins publics.“).
24 Le Pays, 84sq.
25 Voir Le Pays, 78sq., et aussi: 100, 117, 178, 191, 224sq., 256sq. On peut également
considérer Le Pays comme une forme d’écriture-palimpseste par rapport au roman
d’André Gide ou comme une réécriture de ce texte. Pour une définition de ces deux ter-
mes, cf. le dictionnaire édité par Renate Kroll, Gender Studies. Geschlechterforschung,
Stuttgart/Weimar, Metzler 2002, art. „Palimpsest“ et „Ré-écriture/ré-writing“.
26 „Zabal“ renvoie éventuellement à un village espagnol à population basque dans la région
de Navarre.
27 Le Pays, 93.
28 Le Pays, 155.
29 Une des premières paroles de Tiot est en effet „ton-ton“ (Le Pays, 14).
30 Cf. Le Pays, 118.
31 Cf. Le Pays, 85: „Táalknafjördur, Bolungarvík, Ísafjördur, font une oreille à l’Islande [...].“
32 Cf. Le Pays, 144sq.
33 Cf. Le Pays, 217.
34 Cf. Le Pays, 133.
35 Cf. Le Pays, 146: „Chaque jour une langue se perd dans le monde. Chaque jour meurt un
vieux quelconque qui connaissait une dernière phrase de kek ou de nimiche.“ Sont men-
tionnés en outre l’indien (47), „le chinois, l’urdu ou le bambara“ (53), le galicien (74); à
voir aussi dans ce contexte le passage suivant: „Quant à la langue, les Français sont des
enfants“ (141); „l’espéranto de cinq cents mots anglo-saxons“ (147); à propos de
„l’anglais international“: cf. 241.
36 Le Pays, 114.
37 Je me réfère ici à son livre Was ist Globalisierung? Munich 1997. Cf. également
l’entretien d’Ulrich Beck avec Catherine Halpern: „Le nouveau visage du cosmopoli-
tisme”, in: Sciences Humaines, 176, novembre 2006, 30-32.
38 Beck, 1997, 81: „Que ce soit en Basse-Bavière ou à Calcutta, à Singapour ou dans les
favelas de Rio de Janeiro, on consomme partout la série télévisée Dallas, on porte des
jeans et on fume des Marlboro, symboles d’une nature libre et sauvage. Bref, l’industrie
117
Arts & Lettres
culturelle globale est de plus en plus synonyme d’une convergence de symboles culturels
et de modes de vie.“ [Traduction de Béatrice De March]
39 Beck, 1997, 85.
40 Beck, 1997, 86.
41 Beck, 1997, 87.
42 Beck, 1997, 87.
43 Beck, 1997, 90.
44 La narratrice constate combien les différences entre les régions géographiques
s’estompent et que l’entreprise suédoise Ikéa conquiert également les marchés du Sud –
„J/étais venue […] pour revoir comment le soleil, le soir, transformait les chênes en bou-
leaux [...] et comment de pays du Sud devenait scandinave“ (Le Pays, 13). En même
temps, elle souligne qu’Ikéa impose partout ses espaces normés qui invitent à des com-
portements standardisés: „Les magasins Ikéa sont tous conçus, je crois, de la même fa-
çon: une grande maison qui aurait plusieurs salons, plusieurs cuisines et salles de bain,
sans parler des chambres et des bureaux. Au rez-de-chaussée, une salle de jeu pour
enfants, une quincaillerie-bazar, un rayon plantes vertes et une cafétéria suédoise“ (Le
Pays, 15).
45 Le Pays, 131.
46 Voir 92sq. (la description de la maison de la mère): „Dans le hall d’entrée, appelons ça un
hall d’entrée, on passe sous une de ces araignées monumentales qui ont fait sa célé-
brité, paraît-il, dans le monde entier. [...] D’autres araignées sont dans le parc.“
47 Elle partageait sa vie entre Londres, l’Argentine et l’Australie.
48 Beck, 1997, 129.
49 Beck, 1997, 129. Cf. à cet égard aussi les personnages hybrides dont les composantes
indiquent une telle „polygamie géographique“: „Il portait un petit bonnet comme en por-
tent les jeunes artistes partout en Europe, il était habillé à la mode de Reykjavík et de Pa-
ris, et il s’exprimait en espagnol; dans ce que je reconnus pour de l’espagnol, car il était
lent, bègue, et précautionneux“ (Le Pays, 68); cf. aussi ibid.,137; 158; 254sq.; 255: „Où
habiter, voilà leur conversation préférée avec Walid. Quelle ville peut remplacer le
monde, puisqu’on ne peut habiter le monde entier?“.
50 Hartog, 2003, 204.
51 Le Pays, 199sq.
52 Cf. Le Pays, 114, 215, 227.
53 Le Pays, 127.
54 Cf. Le Pays, 67, 75,169, 192sqq., 199, 218sq., 227sq.
55 Laïdi, 2000, 7.
56 An., Spirit, octobre 2005.
57 An., Spirit, octobre 2005.
58 Cf. Schmitz-Emans, 2000, 285.
118
Arts & Lettres
Regina Keil-Sagawe
Daß Mohammed Dib, der Doyen der algerischen Literatur, Grand Prix du Roman
de la Ville de Paris und erster maghrebinischer Grand Prix de la Francophonie der
Académie Française, sich primär als Lyriker verstand, blieb weitgehend unbe-
merkt. Viele Leser fanden keinen Zugang zu seinen sprachlich verknappten, spie-
lerisch verrätselten Gedichten.
119
13:41:21
Forum
Hélène Yèche
120
Forum
Exemple d’association fondée sur base privée et dont la création anticipe sur les
sociétés d’amitié avec la RDA chapeautées par la Ligue pour l’amitié entre les
peuples dans le cadre de la politique étrangère de la RDA à partir de 1961,8 les
EFA représentent un canal particulier de rapprochement entre la France et la RDA
par le biais d’une société d’échanges culturels qui insiste sur des valeurs
humanistes générales de paix et de tolérance, comme le rappelle encore le Doyen
Chatelet: „L’Association des Echanges franco-allemands s’adresse à vous tous qui
êtes ici ce soir, en demandant votre adhésion à l’oeuvre de fraternité qu’elle
poursuit. Elle s’adresse à tous les Français qui pensent comme elle qu’au-dessus
des frontières, en dehors des structures politiques, il y a des liens possibles entre
les hommes qui font les mêmes travaux, aspirent aux mêmes joies, livrent les
mêmes combats contre la misère, la maladie, les calamités naturelles, ces seuls
ennemis que les nations devraient connaître.“9
Durant trente ans, de 1959 à 1989, les EFA, plus connus à partir de 1973 sous
le nom de „France-RDA“,10 œuvrent à la connaissance réciproque et au
rapprochement entre la France et l’Autre Allemagne. Bulletin de liaison national
entre les différents comités des EFA, la revue Rencontres franco-allemandes a
contribué depuis 1959 à façonner une certaine image de la RDA, ce „pays
méconnu“ selon le titre de l’ouvrage que lui consacra Gilbert Badia en 1963.11 Si
la fonction du bulletin est en premier lieu de rendre compte des activités de
l’association12 et de faire le lien entre les différents comités locaux, départe-
mentaux et le Comité national des EFA, il constitue – au-delà de cet aspect
purement fonctionnel – un témoignage précieux sur l’élaboration, la constitution et
l’évolution de l’image de la RDA en France.
Tirée d’abord à 300 exemplaires pour atteindre les 6 000 exemplaires en
196613 et plus encore au début des années 1970, la revue Rencontres a
considérablement évolué dans le temps, tant dans la présentation générale de sa
maquette qu’au niveau des rubriques proposées. Et même si l’on trouve
régulièrement insérés des encarts publicitaires pour la voix officielle de la RDA, la
RDA-Revue,14 force est de constater que le bulletin Rencontres franco-
allemandes demeure incontestablement autonome par rapport au gouvernement
est-allemand dans ses choix éditoriaux. De manière générale, la revue Rencontres
est de facture plus modeste que la RDA-Revue publiée depuis 1955 par les
autorités de RDA à l’intention des pays étrangers par l’intermédiaire des Editions
d’État Zeit im Bild à Dresde. Paraissant mensuellement en allemand, anglais,
français, suédois, danois, finlandais et italien, la RDA-Revue propose par exemple
en mars 1968 un fort magazine à couverture rigide d’une soixantaine de pages,
agrémenté d’une couverture en couleur et de nombreux documents icono-
graphiques, en noir et blanc et en couleur. Intitulée „Magazine de la République
Démocratique Allemande“, la RDA-Revue présente une image résolument
moderne et positive de l’Allemagne socialiste. Le sommaire du numéro de mars
1968 est à cet égard tout à fait représentatif de la „politique d’image“15 que mène
le gouvernement socialiste à travers cette publication. Un premier article intitulé „Ils
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ont trouvé une patrie“ est consacré au „petit peuple sorabe16 de Lusace“ qui „jouit
depuis plus de 20 ans de l’égalité des droits en RDA“ tout en cultivant ses
traditions et son folklore. Les deux dossiers suivants sont dédiés au progrès
industriel et agricole en RDA. Le troisième reportage concerne le projet
„Sanatorium en haute mer“ qui salue le „travail de pionnier“ accompli dans le
domaine de la santé publique par les autorités socialistes. Enfin un dernier article
présente „Le sport en RDA dans l’année olympique“ et fait le portrait d’un jeune
athlète modèle, qui a pourtant échoué de peu à se qualifier pour les Jeux
Olympiques de Mexico, mais qui est décrit comme un idéal d’équilibre entre le
corps et l’esprit: „Max Klauss, né le 27 juillet 1947, étudie la physique à l’Université
technique de Dresde, pèse 85 kg et mesure 1,86 m, distractions: lit volontiers un
bon livre (auteurs classiques de préférence), va au cinéma et au théâtre aussi
souvent que ses loisirs très mesurés le lui permettent“. Les autres articles
concernent à la fois la vie culturelle du pays avec la Foire de Leipzig, la VIe
exposition allemande d’art à l’Albertinum de Dresde, l’exposition à Berlin de
quelque 150 tableaux du peintre réaliste français André Fougeron qui s’efforce „de
représenter un monde fraternel, le monde de demain“ et la vie politique de la RDA
avec un compte rendu du Xe Congrès du LDPD „Internationalement très remarqué“
et de la Ve Assemblée de la Ligue pour l’amitié entre les peuples. Enfin la page de
couverture invite à la découverte d’une jeune bergère, incarnation tout à fait
particulière de ce que l’Allemagne socialiste présente sous le titre „Jeunesse 68“.
Le magazine comporte également une rubrique de mode qui fait la publicité des
tissus écossais fabriqués par l’entreprise d’Etat VEB Textil-Werke à Hartha en
Saxe et livrés „dans plus de 30 pays“ grâce un grand nombre de qualités: „grande
résistance, dessins originaux, structure moderne, prix très modiques“. Il propose
également à l’intention des plus jeunes une double page de jeux et bricolages ainsi
qu’un concours à base de calcul pour gagner entre autres des livres illustrés sur la
RDA. La propagande envers l'opinion publique française s'appuie sur un magazine
illustré décrivant la construction du socialisme en RDA. De nombreux reportages
de la RDA-Revue sont consacrés aux crèches modèles, aux maternités modernes,
aux écoles nouvelles, lumineuses et bien organisées, aux universités re-
construites.17 Les autorités socialistes mettent ainsi en scène l'ordre, le progrès
technique, la modernité, le respect des individus. Il s'agit de promouvoir
l'humanisme socialiste, qui est l’inverse de l’individualisme capitaliste. Résolument
distrayante et ludique, la RDA-Revue vise à diffuser l’image idéale d’un pays
moderne en plein essor économique.
La même année, le numéro correspondant de la revue Rencontres est un
numéro triple pour Mars-Avril-Mai 1968 consacré au 3e Congrès et au 10e
anniversaire des EFA. L’ampleur de ce numéro fort de 80 pages ne doit pas faire
illusion. En moyenne, le bulletin Rencontres comprend entre 5 et 15 pages à la
présentation plutôt austère: la couleur ne fera son apparition qu’à la fin des années
1960, en monochromie pour égayer la page de couverture seulement. Les photos,
uniquement en noir et blanc, sont utilisées avec parcimonie et réservées
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bonne foi qui se rend en RDA“, il est difficle „de deviner, à voir les gens dans la
rue, s’il se trouve en République Fédérale ou en République Démocratique“ (42).
Quelques photos en noir et blanc de Willy Ronis22 illustrent ce numéro spécial et
présentent une image attractive de la RDA comme ces „Congés payés sur la
Baltique“ (43) où l’on voit une famille avec quatre enfants blonds paisiblement
installés sur une plage. La revue propose d’ailleurs régulièrement des reportages
illustrés sur la RDA (économie, transports, agriculture, vie sociale, jeunesse, Berlin
capitale...) qui visent à renforcer la connaissance de la RDA chez les lecteurs
français. Mais l’image de la RDA qui est véhiculée à travers ces reportages ainsi
que par le biais des fiches historiques rédigées par le professeur Castellan ou
d’autres historiens comme Henri Smotkine, n’est toutefois pas exempte de critique:
ainsi on peut lire dans la Fiche de documentation n° 9 sur l’Historique de la
République Démocratique Allemande(1956-1961) que „on assiste à une
déstalinisation fort limitée“ en RDA et que „le SED fut le premier à reconnaître le
régime Kadar, tandis qu’il critiquait ouvertement certains aspects du ‚révisionnisme’
polonais, en particulier la dissolution des coopératives agricoles de production“.23
Dans le numéro 65, Georges Castellan propose un article de trois pages sur les
„Problèmes en voie de règlement et problèmes qui restent à régler“.24 Et c’est ce
regard plus nuancé qu’admiratif qui fait toute la valeur du bulletin Rencontres. Car
la RDA ainsi présentée aux Français offre un visage moins lisse, moins
parfaitement conforme au discours et à l’idéal socialiste, plus humain. Ainsi relève-
t-on fréquemment des moments de réflexion critique dans les articles de la revue
Rencontres. La rubrique: L’opinion des Ardennes offre un exemple type de ce
genre de réflexion: „La direction du comité et plusieurs congressistes ont
néanmoins fait état d’une démobilisation des adhérents compte tenu de la non-
venue de citoyens de la RDA et exprimé leurs regrets qu’un jumelage promis entre
Charleville-Mézières et Nordhausen n’a pas été accepté par les partenaires de la
RDA“.25 L’indépendance relative de la publication garantit aux lecteurs une vision
de la RDA fondée sur l’expérience individuelle, préférée à la position officielle du
gouvernement français vis-à-vis de la RDA (refus de la reconnaissance diplo-
matique), même si le ton est parfois un peu trop enthousiaste,26 surtout dans les
premières années. La revue Rencontres demeure avant tout l’organe de publi-
cation de l’Association Echanges franco-allemands, c’est pourquoi finalement de
nombreux bulletins sont dédiés à la communication en interne. C’est le cas par
exemple du numéro spécial d’avril 1963, sorti juste après la signature du Traité de
l’Elysée entre le Général de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer, et consacré
exclusivement à la constitution d’un grand comité parisien des EFA: dans ce
numéro, il est rappelé que „ce n’est pas oeuvrer à la véritable réconciliation franco-
allemande que de prétendre ignorer toute une partie du peuple allemand 18 ans
après la fin de la guerre“.27
Si de nombreux échanges artistiques ont eu lieu depuis la fin des années 1950
entre la France et la RDA, du point de vue culturel les EFA s’efforcent de faire
connaître la littérature de RDA très peu traduite et enseignée en France. Jean
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Resümee: Hélène Yèche, Die Rencontres franco-allemandes von 1959 bis 1989: Bilder
der DDR in Frankreich untersucht das Bild der DDR in Frankreich von den frühen 60er
Jahren bis zum Mauerfall. Als Sprachrohr eines neuen Deutschlands fungiert die am 22. April
1958 in Paris gegründete Freundschaftsgesellschaft Echanges franco-allemands. Association
pour les échanges culturels avec l’Allemagne d’aujourd’hui (EFA). Ab November 1959
versuchte deren Publikationsorgan: die Zeitschrift Rencontres franco-allemandes durch
Reportagen, wissenschaftliche Studien und Fotos die Wahrnehmung des zweiten deutschen
Staates und seiner Kultur beim französischen Publikum zu fördern. Dank ihrer unpolitischen
Fassade gewann die EFA immer neue Mitglieder und entwickelte sich zum wichtigsten
Sprachrohr für die diplomatische Anerkennung der DDR in Frankreich in den 70er Jahren.
Nach 1973 aber setzte sie ihre Aktion fort und bemühte sich stets durch kulturelle
Veranstaltungen und Informationskampagnen die unterschiedlichen Akteure und Sektoren der
französischen Zivilgesellschaft zu mobilisieren.
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Hans Manfred Bock
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Als de Gaulle und Adenauer im Rahmen des Elysée-Vertrages 1963 die Schaffung
eines „Austausch- und Förderungswerks“ für die Jugendlichen beider Nationen
festgeschrieben, folgten sie allem Anschein nach dem historischen Impuls, durch
das frühe wechselseitige Kennen- und Verstehenlernen der nachwachsenden Be-
völkerung beider Nationen künftig Konflikte zu vermeiden und Kooperation zu er-
möglichen. Dieser politische Gestaltungswille machte eine Institution erforderlich,
die nicht ohne weiteres in eines der Ressorts der traditionellen Ministerien einge-
fügt werden konnte. Umso weniger, weil diese neue Einrichtung einen binationalen
Charakter haben sollte. Die Lösung dieses juristischen Problems wurde schließlich
bei der Ausarbeitung des Abkommens vom 5. Juli 1963 über die Schaffung des
DFJW gefunden: Nach Artikel 3 des Abkommens besitzt die Institution eine eigene
Rechtspersönlichkeit und ist in Geschäftsführung und Verwaltung autonom. Für sie
gelten in beiden Ländern die Vorrechte und Befreiungen, die am 21. Nov. 1947 für
die UNO-Sonderorganisationen vereinbart wurden. Diese Regelung wurde auch
beibehalten in der Neufassung des Abkommens zur Gründung des DFJW, die im
April 2005 verabschiedet wurde. Sie macht das DFJW zu einer prinzipiell autono-
men internationalen Institution, obwohl es ganz überwiegend bilaterale Arbeit lei-
stet. Der internationale Aktionsradius der Institution wurde im Laufe ihrer Entwick-
lung jedoch mehrfach erweitert.
Eine erste Stufe der Erweiterung bedeutete der 1976 gefaßte Beschluß, prinzipi-
ell Drittländer aus der Europäischen Gemeinschaft in die Begegnungsaktivitäten
einzubeziehen, allerdings mit der Maßgabe, daß deren Anteil 5% der Austausch-
maßnahmen nicht überschreitet.7 Nach dem Ende des Kalten Krieges ab 1989
wurde in einer zweiten Stufe diese Erweiterung des Bilateralismus vorgenommen,
indem die Beschränkung der Drittländer-Kooperation auf die Europäische Gemein-
schaft aufgehoben, die 5%-Grenze für die Beteiligung anderer Nationen allerdings
beibehalten wurde. Diese Entscheidung ermöglichte das verstärkte Engagement
des DFJW in Ost-Europa (wo Polen einen großen Teil der Austauschkapazitäten
bindet) und gegen Ende der 1990er Jahre in den Balkan-Staaten, wo teilweise
ganz neuartige Herausforderungen zu bewältigen waren und sind.8 Eine weitere
Schwerpunktbildung der Drittländer-Aktivitäten des DFJW (immer im Rahmen der
5%-Grenze) zeichnet sich bei den südlichen Anrainerstaaten des Mittelmeeres ab.
In einigen dieser Drittländer-Programme deuten sich Ansätze einer praktischen
gemeinsamen Auswärtigen Kulturpolitik Frankreichs und Deutschlands an, über
deren Wünschbarkeit es bei den Akteuren dieses Politikfeldes allerdings in
Deutschland und Frankreich keinen politischen Konsens gibt.
In der Langfristperspektive ist gerade im Drittländer-Programmbereich ein deutli-
cher Trend erkennbar, der auf eine zunehmende Einbeziehung des DFJW in das
internationale Handlungsfeld auf nationaler wie auf europäischer Ebene gerichtet
ist. Dieser Trend wurde maßgeblich gefördert durch die Veränderungen in der in-
ternationalen Konstellation. Eine erste Station auf diesem Wege war die Beratung,
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Die Formulierung im neugefaßten Abkommen vom April 2005, die in Art. 2 dem
DFJW die Funktion als „Berater und Mittler zwischen verschiedenen staatlichen
Ebenen sowie den Akteuren der Zivilgesellschaft“ in beiden Ländern zuschreibt,
verweist nachdrücklich auf das zentrale Tätigkeitsfeld der binationalen Institution.
Diese Tätigkeit besteht darin, den jungen Franzosen und Deutschen bis zu 30 Jah-
ren die Möglichkeit anzubieten, Kenntnisse und Kontakte zum Nachbarland zu er-
werben. In der Version von 1963 wurde die Zweckbestimmung des DFJW knapp
definiert: Es habe die Aufgabe, „die Bande zwischen der Jugend der beiden Län-
der enger zu gestalten und ihr Verständnis füreinander zu vertiefen“.12 Dazu habe
es „die Jugendbegegnung und den Jugendaustausch anzuregen, zu fördern und,
soweit notwendig, selbst durchzuführen“. In der Fassung vom April 2005 ist die
Zweckbestimmung des Jugendwerks wesentlich stärker ausdifferenziert. In dieser
Version spiegeln sich die Ergebnisse intensiver Diskussion über die Notwendigkeit
und die Voraussetzungen interkultureller Kommunikation wider, die innerhalb und
außerhalb des DFJW seit den sechziger Jahren geführt wurde.13 Nunmehr heißt
es im Abkommen vom April 2005: „Das Jugendwerk hat die Aufgabe, die Bezie-
hungen zwischen der deutschen und der französischen Jugend innerhalb eines
erweiterten Europas zu fördern“. Es habe (Art. 2) die besonderen Zielsetzungen
„die Beziehungen zwischen Kindern, Jugendlichen, jungen Erwachsenen und für
die Jugendarbeit Verantwortlichen in beiden Ländern zu vertiefen“. „Zu diesem
Zweck trägt es zur Vermittlung der Kultur des Partners bei, fördert das interkultu-
relle Lernen, unterstützt die berufliche Qualifizierung, stärkt gemeinsame Projekte
für bürgerschaftliches Engagement, sensibilisiert für die besondere Verantwortung
Deutschlands und Frankreichs in Europa und motiviert junge Menschen, die Part-
nersprache zu erlernen.“14 Das DFJW soll also durch die Mobilisierung innerge-
sellschaftlicher Kräfte zur Verwirklichung eines außenpolitischen Ziels, der Stabili-
sierung der deutsch-französischen Beziehungen, beitragen.
Eine solche Institution bezieht ihre Mobilisierungskapazität nicht allein aus ihren
bürokratischen Ressourcen oder durch ihre abgeleitete Macht aus der staatlichen
Bürokratie. Sie ist vielmehr grundsätzlich angewiesen auf die Stärke der organi-
sierten gesellschaftlichen Kräfte. Die Struktur des DFJW ist deshalb geformt durch
das Zusammenwirken eines gouvernemental eingerichteten, wenig umfangreichen
Apparates aus hauptberuflichen Mitarbeitern und einer breiten Basis aus zivilge-
sellschaftlichen Organisationen mit jugendpolitischer Zielsetzung. Dies Zusam-
menwirken funktioniert nach dem Grundsatz der Subsidiarität, d.h. gemäß der
Übereinkunft, daß die untersten Einheiten dieses institutionellen Gefüges ihre Auf-
gaben nach Maßgabe ihrer Möglichkeiten aus eigenen Kräften erledigen und die
übergeordneten Strukturelemente erst dann tätig werden, wenn derer Kräfte über-
fordert sind. So kommt das DFJW seit den 1970er Jahren mit einem aus beiden
Ländern rekrutierten Mitarbeiterstab von 70 Personen aus, während die zivilgesell-
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Actuelles
schaftliche Basis viele hundert öffentliche oder private Organisationen der Jugend-
pflege umfaßt.15 Im wichtigsten Entscheidungsgremium des DFJW, dem Kurato-
rium, hatten über vierzig Jahre lang die Vertreter der zivilgesellschaftlichen Organi-
sationen – ganz dem Grundsatz der Subsidiarität entsprechend – die Mehrheit der
stimmberechtigten Mitglieder inne, die ministeriell-gouvernementale Seite hinge-
gen war dort in der Minderheit (allerdings mit einer Sperrminorität).
In der Zusammensetzung des staatlichen Anteils im Kuratorium gab es ab 1983
eine verstärkte Repräsentanz der Gebietskörperschaften. Insbesondere im födera-
len System der Bundesrepublik hatten die Städte und Gemeinden von Anfang an
einen Sitz im Entscheidungsgremium des DFJW, also dem Kuratorium, gefor-
dert,16 u.a. mit dem Hinweis auf ihre tragende Rolle in den deutsch-französischen
Städtepartnerschaften (die heute annähernd 2000 Kommunen umfassen). In der
Zusammensetzung der (alle 2 bis 3 Jahre im Kuratorium wechselnden) zivilgesell-
schaftlichen Organisationen mit jugendpolitischer Orientierung bildete sich über die
Jahre auf deutscher wie auf französischer Seite ein Cluster von etwa zwei Dutzend
Vereinigungen heraus, die den größten Teil der finanziellen Subventionen des
DFJW erhielten. Diese Clusterbildung hing ursächlich weniger mit der Durchset-
zungsfähigkeit dieser Vereinigungen im Verteilungskampf zusammen als mit ihrer
besonders ausgeprägten jugendpolitischen Kompetenz und Schwerpunktsetzung.
Diese ungleiche finanzielle Mittelverteilung zugunsten weniger großer Jugendver-
bände spielte in der institutionellen Reform des DFJW vom April 2005 eine wich-
tige Rolle. Besonders die ad-hoc eingerichtete Parlamentarierkommission aus Mit-
gliedern des Bundestages und der Assemblée Nationale leitete aus diesem Sach-
verhalt die Notwendigkeit ab, haushaltstechnisch klar zu trennen zwischen Ent-
scheidungsträgern und Subventionsempfängern an der Spitze des DFJW.17 Da-
raus resultiert die institutionelle Neuregelung, daß im neuen Entscheidungsgre-
mium, dem Verwaltungsrat, überwiegend staatliche Vertreter (Jugend-, Außen- und
Finanzministerium) sitzen und im Beirat, der nur noch eine beratende Funktion hat,
eine Mehrheit von Vertretern der gesellschaftlichen Institutionen und Organisatio-
nen.
Historisch gesehen ist diese Reform, die mit der Neufassung des Abkommens
über das DFJW vom 26. April 2005 auf den Weg gebracht und am 15. Februar
2006 durch die Billigung im französischen Senat abgeschlossen wurde, eine Zä-
sur. Der heftigste Widerspruch gegen die Neuverteilung der Rollen (Entschei-
dungskompetenz bei den staatlichen und Beratungskompetenz bei den organisier-
ten gesellschaftlichen Kräften) kam von den Vertretern der Zivilgesellschaft vor al-
lem in Deutschland. Seit Inkrafttreten der Reform ab Mitte Februar 2006 gestaltete
sich die Zusammenarbeit zwischen Verwaltungsrat und Beirat allerdings ohne grö-
ßere Konflikte.18 Ob das so bleibt, ist abzuwarten. Denn die konstitutive Interde-
pendenz zwischen staatlicher Verwaltung und gesellschaftlicher Organisationsar-
beit (das Grundgesetz, nach dem das DFJW 1963 angetreten war) ist durch die
neue Rollenverteilung zwischen beiden Interaktionspartnern keineswegs sicherge-
stellt. In der Geschichte der binationalen Institution lag die Funktion des Wächters
136
Actuelles
über die Qualität der Austauschprogramme stets bei den gesellschaftlichen Ju-
gendorganisationen, da sie über die erforderlichen technischen, organisatorischen
und didaktischen Kompetenzen verfügen. Sollten die auf dieser Grundlage gene-
rierten Begegnungs- und Evaluations-Programme, die vom neuen Beirat vorgelegt
werden, wiederholt und mit nicht nachvollziehbaren Argumenten im neuen Verwal-
tungsrat abgeblockt werden, so ist der interne Konflikt und die Paralysierung des
DFJW vorprogrammiert. Hier fallen den beiden (nach der Reform von 2005/06
gleichgestellten) Generalsekretären wichtige neue Aufgaben zu.
Unter dem Gesichtspunkt der Transferierbarkeit des Beispiels des DFJW ist es
von besonderem Interesse herauszustellen, daß eine binationale Institution mit
transnationaler Aufgabenstellung seiner Art ohne die Übernahme von realer Ver-
antwortung durch die gesellschaftlichen Organisationen bzw. Verbände der betei-
ligten Nationen nicht lebensfähig ist. Andernfalls würde eine solche Institution zu
einem bloßen Annex der staatlichen Akteursebene mit Entlastungsfunktion für ei-
nige Ministerien und das gesellschaftliche Beteiligungspotential an der Lösung
transnationaler Aufgaben bliebe ungenutzt. Im Falle der Entstehung der deutsch-
französischen Institution für die Jugendbegegnung lagen die Verhältnisse günstig
für eine starke Gewichtung und Einbeziehung der gesellschaftlichen Organisatio-
nen. Denn bevor das DFJW 1963 gegründet wurde, gab es bereits in den fünfziger
Jahren ein Netz bilateral engagierter privater Verbände und Vereine, das auf fran-
zösischer wie auf deutscher Seite rund 30 Organisationen umfaßte und das seit
Mitte der der 1950er Jahre schon zwei Dachverbände für das politische Lobbying
gegründet und ein Reservoir an Ideen zur interkulturellen Begegnung geschaffen
hatte.19 Die zivilgesellschaftlichen Vereine mit transnationaler Wirkungsabsicht
sind die prädestinierten Schrittmacher für die Schaffung binationaler Austausch-
organisationen.
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Actuelles
sich dieser funktionale Dualismus immer wieder in der Festsetzung einer Höchst-
grenze des Verwaltungshaushaltes (der 25% des Budgets nicht überschreiten darf)
im Verhältnis zum Interventionshaushalt (dessen Volumen also 75% beträgt und
aus dem die konkreten Begegnungsmaßnahmen finanziert werden). Die Kompe-
tenzzuweisung an die beiden Akteursebenen des DFJW, die in der Gründungsakte
der Institution vorgenommen wird, weist eine gewisse Erweiterung des Gestal-
tungsbereichs zugunsten des Verwaltungsorganismus auf, wenn man die Texte
beider Abkommen vom 5. Juli 1963 und vom 26. April 2005 vergleicht. Im Ur-
sprungstext hieß es dazu, das DFJW habe für die Verbesserung des Verständnis-
ses zwischen Deutschen und Franzosen zu sorgen, die Aufgabe, „die Jugendbe-
gegnung und den Jugendaustausch anzuregen, zu fördern und, soweit notwendig,
selbst durchzuführen.“ (Art. 2). Im neuen Text von April 2005 entfällt die Einschrän-
kung „wenn notwendig“ und die aktive Rolle der Institution in der Programmgene-
rierung wird deutlicher umrissen: „Das Jugendwerk gewährt Zuwendungen an öf-
fentliche Einrichtungen und an private Zusammenschlüsse. Das Jugendwerk kann
selbst auf dem Gebiet der Zusammenarbeit und des Austausches Programme
durchführen.“ Auch in qualitativer Hinsicht hat sich die Eigenaktivität des DFJW
stärker konturiert im Lauf der Jahrzehnte. Neben der Anregung und Durchführung
eigener operativer Programm-Maßnahmen konzentrierte sich die Eigenaktivität
des DFJW von Anfang an auf die Querschnittaufgaben der Qualitätsverbesserung
der Sprachkenntnisse des Nachbarlandes und der interkulturellen Lernvorgänge in
der Jugendbegegnung.20 In beiden zentralen Bereichen der Eigenaktivität des
DFJW ist seit den 1980er Jahren eine deutliche Steigerung der Priorität und Inten-
sität entsprechender Dienstleistungs- und Forschungsaktivitäten zu verzeichnen,
die dem praktischen Bedarf der Träger der konkreten Begegnungsprogramme
dienlich sein sollen. Hier ist besonders auf die Sprach-Glossare und die Studien
zur interkulturellen Kommunikation hinzuweisen.21
Die fortschreitende Professionalisierung der Analyse interkultureller Lernvor-
gänge spiegelt sich deutlich in den Zieldefinitionen und Programminstrumentarien
wider, die das DFJW bisher hervorgebracht hat.22 Die Formulierung von Zielvor-
stellungen und Richtlinien für die Vergabe von Förderungsmitteln ist eine der wich-
tigsten Aufgaben des Verwaltungsrates der binationalen Institution. In den Richtli-
nien wird die allgemeine Zielsetzung des Art. 2 aus dem Text des Gründungsab-
kommens gleichsam operativ ausformuliert und für die konkrete Praxis handhab-
bar gemacht. In den ganz frühen „Richtlinien“ haben diese verbindlichen Hand-
lungsprinzipien noch die Merkmale abstrakter Regeln. In den Richtlinien von 1965
heißt es z.B., das Ziel der Förderungsmaßnahmen sei es, nachhaltige Verbindun-
gen zwischen jungen Franzosen und Deutschen zu stiften, den Sinn für Verantwor-
tung zu schärfen, den Einblick in die Lebenswelt des Nachbarlandes zu ermögli-
chen und dem Erwerb bzw. der Vertiefung der Kenntnisse der Sprache des ande-
ren Landes zu dienen.23 Unter dem Einfluß der sozial-, kultur- und erziehungswis-
senschaftlichen Expertisen, die teilweise vom DFJW angeregt wurden, veränderte
sich der Duktus der Richtlinien erheblich. In der seit Anfang 1974 im wesentlichen
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* Der vorliegende Text ist die Ausarbeitung eines Vortrags, den der Verfasser im April
2008 in der Maison franco-japonaise in Tokio gehalten hat im Rahmen der Veranstaltung
„Europäische Union und Ostasiatische Gemeinschaft“.
1 Zu seiner Entwicklung liegen bislang folgende Monographien vor: Hans Manfred Bock,
Corine Defrance, Gilbert Krebs, Ulrich Pfeil (dir.): Les Jeunes dans les relations transna-
tionales. L’Office franco-allemand pour la jeunesse 1963-2008, Paris 2008; Deutsch-
Französische Arbeitsgruppe: Evaluation des Deutsch-Französischen Jugendwerks. Juni
2004. Bericht zur Vorlage beim ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie asso-
ciative und beim Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend, o.O.
2004, 156 p; Bericht der Arbeitsgruppe der Assemblée nationale und des Deutschen
Bundestages, 3 juin 2004, in: Bundestags-Drucksache 15/3326. Deutscher Bundestag,
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17 Cf. dazu Bericht der Arbeitsgruppe der Assemblée nationale und des Deutschen Bundes-
tags, op.cit., p. 23.
18 Cf. dazu die Protokolle der 1. Sitzung des Verwaltungsrates am 22. Mai 2006 in Berlin,
sowie die Protokolle seiner 2. Sitzung am 14. Februar 2007 in Paris und seiner 3. Sitzung
am 12. November 2007 in Berlin.
19 Cf. dazu Hans Manfred Bock: Les racines de l’OFAJ dans la société civile. Les initiatives
privées de rapprochement en République fédérale et en France de 1949 à 1964, in:
Bock, Defrance, Krebs, Pfeil (dir.), op.cit., p. 15-38; cf. auch das Lendemains-Dossier:
Gesellschaftliche Neubegründung interkulturellen Austauschs. Zur Vorgeschichte und
Struktur des DFJW 1949-1963, in: Lendemains, 2002, n° 107/108, p. 139-224.
20 Interessant ist ein vergleichender Blick auf die verschiedenen Versionen der Richtlinien
für die konkrete Tätigkeit des DFJW, die auf der CD-Rom enthalten sind, welche dem
Band Bock, Defrance, Krebs, Pfeil beigefügt ist.
21 Cf. ib. das vollständige Verzeichnis der Glossare und Interkulturalitäts-Studien in der Bi-
bliographie.
22 Cf. CD-Rom des Bandes „Les Jeunes dans les relations transnationales“, op.cit.
23 Ib.: Directives de l’OFAJ. Date d’entrée en vigeur 1er janvier 1965.
24 Ib.: Directives de l’OFAJ. Mise en vigeur au 1er janvier 1974.
25 OFAJ/DFJW: Accord. Abkommen, op.cit., p. 2.
26 Cf. dazu Guido Müller: Europäische Gesellschaftsbeziehungen nach dem Ersten Welt-
krieg, München 2005; Ina Belitz: Befreundung mit dem Fremden. Die Deutsch-Französi-
sche Gesellschaft in den deutsch-französischen Kultur- und Gesellschaftsbeziehungen
der Locarno-Ära, Frankfurt/Main 1997.
27 Cf. Bock, Defrance, Krebs, Pfeil (dir.), op.cit., p. 27 sq.: La „notion élargie de culture“
comme base du consensus des organisations privées d’échange en République fédérale
et en France.
28 Cf. ib., p. 199 sq. und den Beitrag von Dominique Bosquelle: L’OFAJ et les „Jeunes défa-
vorisés“, ib., p. 293 sq.
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Entretien
„Ce qui nous rabaisse, c’est la violence
du discours sur l’Afrique“
Entretien avec Abdourahman A. Waberi
Propos recueillis par Aïssatou Bouba et Natascha Ueckmann1
Nous avons rencontré Abdourahman A. Waberi au mois de janvier 2007, lors d’une
conférence sur la littérature contemporaine donnée à l’université de Brême et
d’une lecture publique à l’Institut Français de Brême. Waberi, né 1965 à Djibouti,
est nouvelliste, romancier, poète, essayiste et journaliste. Il est devenu l’un des
écrivains les plus prometteurs d’une nouvelle génération d’écrivains africains, et
occupe une place importante dans la littérature francophone.
Bouba: Vous avez actuellement beaucoup de succès avec votre dernier et troi-
sième roman Aux Etats-Unis d’Afrique (2006) qui est en train d’être traduit dans
plusieurs langues. Nous aimerions commencer notre entrevue par un rappel du
commencement de votre écriture. Dans vos ouvrages précédents appartenant à
d’autres genres littéraires comme la poésie, la nouvelle, la chronique, vous mêlez
également au conte, à la parole poétique une charge politique. Quelle dimension
donnez-vous à ce mélange? Est-ce là une volonté de votre part de rendre hom-
mage – à l’instar de vos aînés – à la civilisation de l’oralité propre à diverses ré-
gions d’Afrique et de participer à l’écriture de l’engagement? Ou bien faut-il y voir
une tendance à renouveler l’écriture qui commande d’autres stratégies d’écriture
dont l’une des caractéristiques principales est le croisement non seulement de
genres, mais aussi de formes littéraires africaines traditionnelles et celles dites
expérimentales?
Waberi: Je suis très heureux d’être à Bremen et d’être en votre compagnie.
C’est une question à trois volets dont chacun mériterait un développement assez
long. Alors essayons de répondre à la première question, charge politique et forme
esthétique qui vont ensemble. Quelle dimension je donne à ce mélange? Voyez,
dans la vie réelle évidemment la dimension politique et la dimension esthétique
vont souvent ensemble. C’est une vue de l’esprit que de vouloir toujours décompo-
ser – ce qu’on nous apprenait à l’école – le fond et la forme. On n’a jamais vu de
fond qui se promène tout seul et des formes vides qui se promènent toutes seules.
Par exemple, un griot qui veut exprimer une question politique précise qui
concerne la communauté, il ne dit pas: écoutez, on va faire des élections. Il prend
une forme. Il va rappeler les ancêtres, il va chanter les louanges de celui-ci ou de
celui-là et après, il revient à la question. Tout le monde a bien compris que les pre-
miers développements, l’introduction ou le prologue ne sont qu’une manière d’en
venir à la question politique. Donc, il mêle déjà fond et forme. Le mélange est tout
à fait naturel. Cependant un chercheur, un critique qui dissèque l’œuvre construite
143
Entretien
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Entretien
Waberi: Mais non, ce n’est pas par hasard. Il y avait des avantages très techni-
ques. Quand on est jeune écrivain, la nouvelle me paraît être un exercice très fa-
cile parce qu’on peut expérimenter sur des choses. […] le roman c’est fastidieux.
Si je rate une nouvelle, je peux la jeter à la poubelle, ça fait dix pages. Alors que si
je rate un roman, ça fait trois cents pages à détruire.
Ueckmann: Donc c’était une question pragmatique?
Waberi: Oui. Et puis les premières nouvelles que j’ai écrites – ce n’était même
pas de vraies nouvelles à la Maupassant, avec une chute – c’était presque des
instantanées photographiques, politiques et elles avaient les avantages d’être pu-
bliées en revue, d’être dans des anthologies. C’est très consciemment que j’ai uti-
lisé cette forme, par pragmatisme. J’étais à une conférence il y a quelques années
et Werewere Liking, une femme bassa3 forte, parlait de l’esthétique de la néces-
sité. Elle avait tout à fait raison. […] Il n’y a qu’une seule esthétique que je res-
pecte c’est l’esthétique de la nécessité, ce que j’appelle le pragmatisme qui me
pousse à faire tantôt une nouvelle, tantôt un roman. […] Donc la nouvelle me per-
mettait de publier, de faire des essais et de le faire à la main.
Ueckmann: Ce qui frappe par ailleurs, c’est l’importance de la chronique dans
votre œuvre. Votre livre L’Œil nomade. Voyage à travers le pays Djibouti (1997) qui
conjugue photos et texte, révèle des côtés inédits de Djibouti, des images au-delà
de la douleur et du désespoir. Par contre dans Moisson de crânes (2000) vous té-
moignez des atrocités du génocide rwandais. Pourquoi vous êtes-vous plusieurs
fois décidé pour le genre de témoignage, des chroniques?
Waberi: J’ai un intérêt pour la forme courte, ça me plaît. Si je vais prendre un
exemple terre à terre, dans l’athlétisme: il y a des gens qui sont meilleurs pour les
courses à pieds, de longue durée et de longue distance. […] Et je me demande si
je ne suis pas plutôt dans la forme courte, plutôt explosif et le roman long il
m’intéresse toujours moins.
Ueckmann: Vous avez aussi un côté journaliste.
Waberi: Oui. Quoique je n’aie jamais été journaliste, je n’ai jamais appartenu à
une rédaction, donc je collabore avec des journaux. Je fais des chroniques notam-
ment littéraires pour Le Monde diplomatique et pour la Lettre internationale à Ber-
lin et bien d’autres. En fait, ce sont des aptitudes différentes selon l’ambition qu’on
a et le public qu’on peut toucher. Si je vous donne un exemple, Mongo Béti roman-
cier n’a rien à voir avec le Mongo Béti essayiste. […]
La chronique m’intéresse. Pour revenir concrètement à L’Œil nomade, c’était
une commande du Centre culturel français qui avait donné une carte blanche à
huit photographes non-djiboutiens qui m’avaient demandé si ça m’intéressait. Je
voulais aussi travailler avec d’autres artistes. Je crois à l’interdisciplinarité, donc j’ai
fait un accompagnement. Je voyais comment ils travaillaient et j’ai essayé de faire
un lien. Donc, j’ai inventé un personnage qui est l’œil de la caméra et qui fait une
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Entretien
espèce de visite […]. Pour le Rwanda, c’est différent. J’ai fait des chroniques ponc-
tuelles. Pour moi, c’est un geste politique. Je suis le seul – avec peut-être Véroni-
que Tadjo – à vouloir pas seulement venir sur scène, mais dire d’où je parlais: je
l’ai dit dans la chronique, qui j’ai vu, même si j’ai un peu masqué les choses, mais
dans les trois récits de nouvelles qui s’appellent Coulin, Non Kigali n’est pas triste,
Bujumbura plage j’ai fait un vrai récit de travel writer en disant que je suis un visi-
teur. Alors que par exemple – ce n’est pas pour m’opposer – Boris Boubacar Diop
et Thierno Monénembo ont fait des romans. Il n’y a en aucun moment l’instance
Diop, l’instance Monénembo qui n’apparaît dans le roman. Ils peuvent le signaler
par des avant-textes, mais on ne voit en aucun moment le pourquoi du comment.
C’est un autre choix esthétique. Il me semblait très important de dire d’où je par-
lais.
Bouba: Vous avez utilisé le terme générique „enfants de la postcolonie“4 pour
définir la nouvelle génération transcontinentale d’écrivains francophones d’Afrique
noire née – comme vous d’ailleurs – après les années 60. Les caractéristiques
principales des „enfants de la postcolonie“, telles que vous les avez définies dans
votre article de 1998, restent-elles encore valables? Forment-ils un mouvement
littéraire? Si oui, a-t-il développé une nouvelle esthétique et une autre façon de
négocier l’imaginaire?
Waberi: C’est un article que j’avais écrit en 1998 comme vous l’avez dit. Au dé-
part, c’était une conférence que j’avais donnée à l’institut néerlandais de Paris et
qui a été publié plusieurs fois. C’est un article qui a eu beaucoup de fortune au dé-
part. Mon propos était assez modeste et c’était un constat d’écrivain, d’ancien étu-
diant de l’académie, d’enseignant. C’était un article qui n’avait pas une grande am-
bition au départ mais c’était simplement un constat. J’avais noté qu’il y avait quel-
que chose qui se dessinait et qu’on pouvait rattacher à d’autres aires culturelles.
Je pensais très clairement à ce qu’on appelle l’anglophonie, les „enfants de la
postcolonie“ et à Salman Rushdie: Les enfants de minuit. On connaît très bien ce
roman Les enfants de minuit, qui sont tous nés la nuit des indépendances de 47.
J’ai pris comme frontière la naissance de l’auteur et post 60. Je pense que c’était
juste une intuition. Puisque aujourd’hui on peut dire que les „enfants de la post-
colonie“ sont non seulement de plus en plus nombreux mais ils sont devenus, ils
ont atteint éclat puisqu’ils sont en pleine maturité et les institutions littéraires en ont
pris conscience. Je donnerai juste un exemple, cette année, Alain Mabanckou ou
Léonara Miano ont eu l’un et l’autre un grand prix littéraire en France, Renaudot et
Goncourt. Je pense que Miano et Mabanckou sont pour moi ce que j’appellerai
cette quatrième génération. […] D’ailleurs j’ai pris la précaution de signaler que les
„enfants de la postcolonie“, ce n’est pas seulement la date de naissance, c’est
juste une indication. Mais cela ne signifie pas que si on est né en 58 ou en 56 on
n’appartient plus à cette génération. Je pense que Tierno Monénembo tout en
étant né en 47, tout en vivant en exil, dialogue autant avec sa génération, il est à
cheval entre Mabanckou et Mongo Béti. Il fait cette transition parce qu’il s’est
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Entretien
donné les moyens d’aller au-delà de ses frontières. Ce que j’entendais par les „en-
fants de la postcolonie“: j’ai signalé ce qu’on appelle maintenant la diasporisation.
La situation s’est aggravée et ce que j’entendais aussi c’était cette rupture avec
une certaine esthétique qui était ce qu’on a appelé l’esthétique du désenchante-
ment national tel que Jacques Chevrier l’a signalé. Il signalait dans les années 70
qu’après les mouvements de la négritude qui se sont eux battus contre les colons,
après les indépendances, il y a eu des ‘manuels scolaires’ qui sont toujours aussi
reproducteurs. En 1968 a commencé la crise de l’état national et on prend les
exemples de Le soleil des indépendances, d’une part et d’autre part de Yambo
Ouologuem.
Pour continuer ce genre de débat, on peut dire que les anglophones l’ont fait
avant, chez Armah, The Beautiful Ones are not yet born. C’est normal que très vite
dix, douze, quatorze ans après les indépendances, il y eut déjà la critique des in-
dépendances. On peut compliquer en disant que Soyinka (La danse de la forêt)
qui était une commande pour les fêtes nationales de l’indépendance en 1960 était
déjà dans la critique. C’est une pièce très compliquée qui était à la fois une critique
sociale et politique mais aussi une espèce de plongée à la fois dans les mythes
Yoruba mais aussi dans les mythes grecs. On pourrait reprocher aux gens qui affir-
ment que la critique commence au milieu des années 60, en disant que Soyinka a
fait ce geste tout à fait exceptionnel qui est un geste inaugural, puisque c’est une
pièce qui a été choisie pour la célébration de la fête nationale.
Si on en revient à mes découpages tout à fait scolaires, 68 c’est la crise pour les
lettres francophones. Moi, j’ai signalé que dès les années 80 - et je pense que je
n’ai pas tort - on était déjà à un dépassement de cet espace-là parce que l’écrivain
Kourouma critiquait en 68 avec Le soleil des indépendances. Aujourd’hui Véroni-
que Tadjo n’a même plus cette critique-là parce qu’il y a eu beaucoup d’eau qui a
déjà coulé sous le pont, parce que d’autres gens l’ont fait avant. Un écrivain de 90
qui écrirait comme en 68, il serait stupide. On est déjà dans une autre problémati-
que, notamment la diasporisation, l’exil et aussi une espèce de rupture, disons
d’une distanciation des problèmes nationaux que j’ai noté dans cet article.
Bouba: Comment voyez-vous la question de l’engagement des „enfants de la
postcolonie“? Est-ce qu’ils le pratiquent ou le repoussent-ils?
Waberi: Evidemment, ils sont engagés. Si j’ai dit distanciation avec le pays cela
ne signifie pas reniement. L’engagement a des formes diverses. […] Un écrivain
ne peut plus jouer l’espèce d’engagement des face-à-face. Le pouvoir d’un Sékou
Touré, d’un Ahidjo, d’un Houphouët-Boigny, à la limite c’était encore des gens ho-
norables à qui on pouvait s’opposer, avoir une espèce de face-à-face. Par exem-
ple Ahidjo contre Mongo Béti. Aujourd’hui, Biya, il est invisible, qui va s’opposer?
Les pouvoirs sont atomisés. Si on prend l’image des chevaleresques, la nature de
pouvoir a changé, l’engagement est plus diffus, il prend des formes tout à fait diffé-
rentes. Cela ne signifie aucunement que parce qu’ils sont éloignés, ce sont des
postmodernes. Mongo Béti a vécu en exil depuis 59 et il était le meilleur opposant.
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Entretien
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Entretien
définit. On peut très bien vivre à Cotonou et à Bamako. […] Le meilleur exemple
de l’engagement esthétique et politique est Mongo Béti, lui, il vivait en France. […]
Bouba: Revenons à la littérature d’immigration en général: Vous êtes angliciste
de formation. Pourriez-vous nous dire si l’imaginaire postcolonial anglophone dif-
fère de celui des écrivains francophones?
Waberi: Il diffère sans doute, […] parce qu’il y a des problématiques différentes,
parce que, évidemment, d’une part la langue française, elle est en France et la
langue anglaise d’autre part, elle est au Royaume Uni. Pour les écrivains
anglophones ces histoires de langues sont tout à fait réglées. La langue anglaise
n’appartient plus aux seuls anglais. C’est pourquoi un jeune écrivain kenyan n’a
pas toutes nos histoires schizophréniques avec la francophonie. La France est
presque une exception alors qu’elle se croit être la règle. La France a cette exem-
plarité en tant qu’exception d’avoir une langue, un territoire et une nation qui coïn-
cident. […] La France est exceptionnelle parce qu’elle a une continuité historique,
linguistique et nationale qui est différente. C’est la France qui est monolingue.
Alors qu’en Espagne, il y a plusieurs langues, en Italie, il y a plusieurs variétés de
langues, en Allemagne, il y a plusieurs fédérations, il y a plusieurs régions.
Bouba: Et les Basques, les Bretons, les Occitans?
Waberi: Ils sont à la périphérie. Il n’y a qu’une langue, une nation, un drapeau,
et un destin presque politique. Alors par exemple quand on dit les Français n’ont
pas permis l’expression des langues africaines à Bamako, ailleurs ou à Djibouti,
c’est un évidence. Elle n’a pas permit ça aux Basques, aux Bretons qui sont dans
les territoires français puisque si elle renonçait à ça, la France ne serait plus la
France. Ils ont fait ça déjà à leurs périphéries, comment voulez-vous qu’ils le con-
cèdent aux Algériens et aux Guinéens?
Bouba: Vous vivez hors d’Afrique, – on pourrait dire en exil – et cela depuis vo-
tre vingt-deuxième année. Et pourtant elle, et surtout votre pays d’origine, Djibouti,
sont très présents dans votre œuvre. Pourquoi cette préoccupation constante?
Quelle image de Djibouti – et partant de l’Afrique – désirez vous ainsi esquisser?
Ou envisagez-vous plutôt de dévoiler l’interaction spécifique entre l’Afrique et
l’Europe, le croisement des différences culturelles? Quels genres de questionne-
ments sous-tendent ces représentations?
Waberi: Je vis un exil accepté, plus ou moins douloureux, mais ça n’a jamais
empêché que je sois Djiboutien. Je dirais qu’enfin Mongo Béti avec un exil beau-
coup plus violent, beaucoup plus politique n’a jamais cessé de parler du Came-
roun. C’est bien compliqué les gens. Si demain je vais faire un roman breton, on
va dire „Ah! il n’est plus djiboutien.“
Ueckmann: Voulez-vous dire que vous n’avez pas le droit d’écrire un roman sur
l’Italie?
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Waberi: Voilà! Le roman que je suis en train d’écrire il est en partie allemand
parce que je m’intéresse au destin de Walter Benjamin. Si vous faites autre chose,
on dit mais pourquoi vous n’êtes plus djiboutien et quand vous le faites, on dit mais
pourquoi vous êtes restés djiboutien puisque vous n’êtes plus à Djibouti. Au
contraire, moi je dirais que l’exil vous rend plus africain que vous ne l’étiez. Pour
m’en sortir je pourrais prendre d’autres exemples: Tchicaya U’ Tamsi disait à un
jeune congolais, vous habitez à Paris, vous êtes jeune homme, vous, vous habitez
le Congo, moi, c’est le Congo qui m’habite. […] C’est pas parce qu’il est exilé, il
peut réinventer son Congo. En tant qu’écrivain, on invente un espace autre et on a
tendance à le ramener au réel. Nuruddin Farah disait qu’ il habite dans le pays de
son imaginaire. Je déteste inventer des pays qui n’existent pas. […] Ce n’est pas
forcément du Djibouti réel dont je parle, c’est un territoire imaginaire […]. Je fais
une œuvre de fiction. Est-ce que le Dublin de Joyce c’est le Dublin de 2007?
Ueckmann: Vous êtes né en 1965 à Djibouti ville, alors sous l’autorité de la
France. Vous naissiez français, mais à peine votre enfance achevée vous deve-
niez, après l’accès de votre pays à l’indépendance en 1977, Djiboutien. Depuis
1985 vous vivez en France, pour l’instant vous séjournez à Berlin en tant que bour-
sier du DAAD. Pourrait-on considérer ce genre de vie comme expérience de tran-
sit, de passage comparable à celle de la protagoniste de votre roman Aux Etats-
Unis d’Afrique qui se transforme de Maya à Malaïka et se retransforme en Ma-
rianne?
Waberi: Malaïka, je le voyais comme un diminutif de Maya comme si on
s’appelait Timothée et on devient Tim. Malaïka c’est un prénom d’origine arabe qui
est devenu musulman et qui est devenu swahili. Donc, Malaïka, Malac en arabe,
c’est l’ange. Donc, il y a plein de jeux. Et Malaïka ça renvoie aussi à la chanson
très célèbre de Myriam Makeba. Tout africain sait. Et Marianne, elle dit à un mo-
ment qu’elle s’appelle Marianne. Le fait que je sois transnational, que j’ai vécu
dans beaucoup de pays, ce n’est pas exceptionnel à moi. Ça renvoie même dans
le négatif, puisque j’ai inventé un autre espace qui est aux Etats-Unis d’Afrique. Ce
sont des créations, ce sont des espaces de fiction qui empruntent à la réalité. Je
ne photocopie pas la réalité bien évidemment. Ce qui m’intéressait dans ce cas
précis c’était d’inventer un espace qui était continental, qui était hégémonique,
aussi pour critiquer la situation actuelle. Donc, c’est une espèce de critique en mi-
roir mais c’était aussi très intéressant du point de vue littéraire parce qu’on décrit
Asmara comme si c’était Manhattan. J’ai pris partie de la réalité en jouant sur le
mimétisme même géographique avec les Etats-Unis d’Amérique que tout le monde
connaît. Donc le triangle Boston, New York, Chicago renvoie par symétrie à mon
triangle Djibouti, Asmara, Addis-Abeba dont je parle, puisque je viens de l’Afrique
de l’est. Je vais pas pousser le bouchon jusqu’à dire que Djibouti était la capitale
de ce monde nouveau sinon on risque de m’accuser d’être trop nationaliste djibou-
tien. Donc, je dérive dans les pays voisins, que je ne connais pas d’ailleurs. Un
créateur invente de nouvelles manières de nommer le monde, de nouvelles carto-
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Entretien
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Entretien
comme la réalité n’existent pas. Il est écrit dans une pseudo-langue africaine qui
est le somali puisque de temps en temps, il y a quelques phrases qui sont dites
dans le texte puisque le médecin humanitaire africain parle dans cette langue-là
qui est la langue normale qui est un peu la lingua franca de l’humanité et qui est
cette langue africaine et de ce point de vue je suis libre. La langue française dans
laquelle j’écris n’est pas celle de Molière puisque je la détruis en même temps.
Bouba: Pourquoi décrivez-vous le retour au pays natal d’une Normande adop-
tée par des Africains par un narrateur qui représente une sorte de subconscient de
la protagoniste?
Waberi: Toute l’astuce du roman repose sur un narrateur inactantiel. Il parle en
Maya, par moment il est même amoureux de Maya, il fait des petits clins d’œil et
des compliments sur ses très belles mains. A d’autres moments, il a une espèce
d’affection, on a l’impression que c’est un grand frère voire un père ou un grand-
père. C’est un narrateur inactantiel donc qui n’existe pas. C’est pourquoi je déteste
le didactisme, je déteste aussi le narrateur omniscient qui connaît tout sur les per-
sonnages et qui dirige, qui est ex cathedra, une espèce de Dieu. Donc, j’ai essayé
de trouver un narrateur qui sait tout et en même temps qui est dans une posture
affectueuse et par moment amoureuse. Si j’étais dans un roman américain ou un
roman populaire, j’aurais pu inventer une petite scénette, trois paragraphes pour
justifier l’existence de ce narrateur. Il suffit qu’on le raconte à la fin ou au début, je
lui aurait donné un nom, par exemple celui d’un grand-père ou d’un amant. […]
J’aurai pu faire un prologue en expliquant, mais ça ne me paraissait pas intéres-
sant.
Bouba: Vous n’aimez pas les romans classiques?
Waberi: Un écrivain écrit ce que lui-même aimerait lire. Et le roman linéaire,
classique en lecteur, […]. Vous savez, une œuvre que ce soit en musique ou en
peinture pour quelqu’un qui essaie de créer, il est obnubilé, il a une espèce
d’obsession pendant trois à quatre ans sur un projet, donc il faut bien qu’il trouve
des champs, des choses qui l’intéressent, alors il va peut-être communiquer ce
plaisir au lecteur [….].
Ueckmann: Nous vous remercions chaleureusement de l’intérêt que vous avez
apporté à l’entretien.
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Bibliographie
Romans
Aux Etats-Unis d’Afrique (Lattès, 2006)
[Die Vereinigten Staaten von Afrika (Nautilus, 2008)]
Transit (Gallimard, 2003)
Balbala (Serpent à plumes, 1998)
Nouvelles
Dernières nouvelles de la Françafrique (collectif, Vents d’ailleurs, 2003)
Rift, routes, rails (Gallimard, 2001)
Moisson des crânes (Serpent à plumes, 2000)
Cahier nomade (Serpent à plumes, 1996 – Grand Prix littéraire d’Afrique Noire)
Le pays sans ombre (Serpent à plumes, 1994 – Grand Prix de la nouvelle francophone
de l’Académie Royale de Langue et Littérature Française de Belgique)
[Die Legende von der Nomadensonne, Erzählungen (Marino-Verlag, 1998)]
Poésie
Les nomades, mes frères vont boire à la Grande Ourse, 1991-1998 (Hachette, 2000)
L’œil nomade, voyage à travers le pays Djibouti (L’Harmattan, 1997)
Conte
Bouh et la vache magique (Edicef/Hachette Livres, 2002, avec Pascale Bougeault)
1 Nous tenons à remercier Elise Nathalie Ngo Bakonde qui fut une aide précieuse pour la
transcription.
2 Waberi et beaucoup d’autres écrivains ont réclamé récemment dans un manifeste et
ensuite dans une publication dans l’édition renommée Gallimard la reconnaissance des
voix francophones mondiales en tant qu’une partie d’une nouvelle „littérature-monde“. Il
s’agit d’une „littérature-monde“ innovatrice portant sur des identités plurielles ou bicultu-
relles, nomades ou diasporiques qui résultent de situations transculturelles. La revendi-
cation de l’acceptation de l’existence d’une „littérature-monde“ de la langue française est
formulée très consciemment au contexte postcolonial et émancipateur, car on peut lire
dans le manifeste: „Le centre, ce point depuis lequel était supposé rayonner une littéra-
ture franco-française, n’est plus le centre. Le centre jusqu’ici, même si de moins en
moins, avait eu cette capacité d’absorption qui contraignait les auteurs venus d’ailleurs à
se dépouiller de leurs bagages avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son
histoire nationale: le centre […] est désormais partout, aux quatre coins du monde. Et
naissance d’une littérature-monde en français“ („Pour une littérature-monde en français:
Manifest“, in: Le Monde des Livres, 15.03.2007, http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-
0@2-3260,36-883572@51-883; cf. Le Bris, Michel/Rouaud, Jean (eds.): Pour une litté-
rature-monde, Paris, Gallimard, 2007).
3 Ethnie du Cameroun.
4 Waberi, Abdourahman A. (1998): „Les Enfants de la postcolonie. Esquisse d’une nou-
velle génération d’écrivains francophones d’Afrique noire“, in: Notre Librairie. Revue des
littératures du Sud, no. 135, 8-15.
5 Chevrier, Jacques (2004): „Afriques(s)-sur-Seine: autour de la notion de migritude, in:
Notre Librairie. Revue des littératures du Sud, no. 155-156, 96-100.
6 Mbougou, Vitraulle/Waberi, Abdourahman A. (2006): „Aux Etats-Unis d’Afrique. Abdou-
rahman Waberi revisite notre monde (entretien)“, dans: Afrik.com, 31 mars,
http://www.afrik.com/article9677.html.
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In memoriam
Hans Manfred Bock
Seinen Lebensentwurf hat Robert Picht mit größerer Bestimmtheit und mehr prak-
tischen Folgen als andere Intellektuelle seiner Generation der Intensivierung der
deutsch-französischen Beziehungen und der Verdichtung der Kommunikation zwi-
schen den europäischen Gesellschaften gewidmet. Ausgestattet mit einem ererb-
ten sozialen Kapital, das in seiner Familie über zwei Generationen gespeichert
worden war, und mit einem erworbenen kulturellen Kapital, das er in seiner akade-
mischen Ausbildung und Lehrtätigkeit in mehreren europäischen Metropolen sich
angeeignet hatte, vermochte er eine Tätigkeit auszuüben, die wir heute (mit guten
Gründen) nicht mehr als internationale, sondern als transnationale Mittlerfunktion
bezeichnen. Sie ist angesiedelt im Zwischenbereich zwischen europäischen bzw.
internationalen Institutionen und gesellschaftlichen Organisationen, zwischen mi-
nisteriellen Entscheidungszentren und soziokulturellen Trägerorganisationen, die
diese großen politischen Richtungsentscheidungen in konkrete gesellschaftliche
Praxis übertragen und dabei durchaus eine eigene (wenngleich abgeleitete) Ge-
staltungsfunktion ausüben. Robert Pichts Biographie, die über fast ein halbes Jahr-
hundert eine deutsch-französische Vita ist, kann als Abfolge von Versuchen gele-
sen werden, den bilateralen und europäischen Mittlerstrukturen im politisch-gesell-
schaftlichen Zwischenbereich die materiellen Ressourcen und die konzeptionellen
Impulse zu geben, die sie erst instand setzen, von ihrer abgeleiteten Gestaltungs-
möglichkeit einen verantwortungsvollen und effizienten Gebrauch zu machen.
Robert Picht wurde 1937 in Berlin geboren als Sohn des späteren Reformpäda-
gogen und Religionsphilosophen Georg Picht (1913-1982) und der Pianis-
tin/Cembalistin Edith Axenfeld (1914-2001). Aus der Familientradition wurden für
ihn nicht allein die verpflichtende Bildungsatmosphäre und die kulturpolitischen
Beziehungen prägend. So war z.Bsp. sein Großvater Schüler von Alfred Weber
und Mitarbeiter des preußischen Kultusministers Carl Heinrich Becker, sein Vater
u.a. Student von Martin Heidegger, Freund von Carl Friedrich von Weizsäcker und
langjähriger Leiter der Forschungsstätte der Evangelischen Studiengemeinschaft
in Heidelberg, sein Großonkel hieß Ernst Robert Curtius. Überdies wurde ihm aus
der Familientradition die Verbindung von Offenheit zum europäischen Ausland und
Erwachsenenbildung nahegelegt. Namentlich sein Großvater war in der Locarno-
Ära Leiter der Hochschulabteilung im Pariser Internationalen Institut für geistige
Zusammenarbeit gewesen. Nach dem Studium der Romanistik, Philosophie und
Soziologie u.a. in Freiburg, München, Madrid und Paris trug Robert Picht diese
Tradition weiter, indem er ab 1965 Lektor für Deutsch an einigen Grandes Ecoles
in Paris wurde, und indem er die Aufgabe des interkulturellen Lernens in die
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In memoriam
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In memoriam
gesellschaftliche Praxis umzusetzen. Eben diesem Zweck war auch seine Mitwir-
kung in vielen Stiftungen untergeordnet, die einen Großteil der Finanzen all der
Institutionen decken, die in seinem Schaffen als Kulturpolitiker und Wissenschaftler
eine große Rolle spielten. Ihr Reigen erstreckte sich von der Robert-Bosch-Stif-
tung, deren Völkerverständigungs-Programm viele Initiativen des DFI zu verwirkli-
chen half, bis hin zur Allianz Kulturstiftung, die 2000 mit einem fördernden und ei-
nem operativen Europa-Programm gegründet wurde und deren Kuratoriumsvorsit-
zender Picht war. Auch hier stand die Förderung des wissenschaftlichen und
künstlerischen Nachwuchses in der Spitze der Prioritäten.
Für Robert Picht fielen Beruf und Neigungen jederzeit zusammen und diese
Verbindung war die Energiequelle für sein vielgestaltiges Schaffen an der Schar-
nierstelle zwischen Politik und Wissenschaft. Die Festschrift, die er exakt ein Jahr
vor seinem Tode überreicht bekam (Frank Baasner, Michael Klett (Hrsg.): Europa.
Die Zukunft einer Idee, Darmstadt 2007, Wissenschaftliche Buchgesellschaft) spie-
gelt zuverlässig die Breite seiner Gesprächs- und Interaktionspartner. Er war kein
Kulturmanager, der sich von Event zu Event hangelt und dabei seine Person in
den Vordergrund rückt. Vielmehr verkörperte er eine neue Art von Kulturpolitiker,
der erst in der zweiten Hälfte des 20. Jahrhunderts Gestalt annehmen konnte in
dem sich ausfächernden Spektrum gesellschaftlicher Organisationen mit transna-
tionaler Wirkungsabsicht und der im Spannungsfeld von administrativer Politik und
eigenaktiver Bürgergesellschaft eine Chance zur stillen und geduldigen Verbesse-
rung der Beziehungen zwischen den europäischen Nationen sieht. Von dieser Art
europäischer Kulturpolitik als gesellschaftliche Praxis hängt die sinnvolle Weiter-
führung der europäischen Integration mindestens ebenso ab wie von den intergou-
vernementalen Verträgen und Vereinbarungen.
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In memoriam
Regina Keil-Sagawe
Nein, es war kein Aprilscherz: Driss Chraïbi, Doyen und seit mehr als 50 Jahren
erklärtes enfant terrible der marokkanischen Literatur, erlag am 1. April 2007 uner-
wartet einem Herzschlag – im südfranzösischen Crest (Drôme), wo er seit 1986
mit Sheena McCullion, seiner schottischen Frau, und fünf seiner zehn Kinder lebte.
Beigesetzt wurde er unter großer nationaler und internationaler Anteilnahme am 6.
April 2007 auf dem Cimetière des Chouhada in Casablanca.
Sein Tod löste eine Lawine an Nachrufen2 aus. Tahar Ben Jelloun pries ihn als „le
meilleur d’entre nous“, „notre maître à tous“, „un homme engagé et courageux qui
a ouvert la voie à plusieurs générations d’écrivains maghrébins“, „un grand écri-
vain qui a su mieux que quiconque témoigner sur sa société’“3 Und sogar Moham-
med VI., Marokkos junger König, dessen Vater, Hassan II., von Chraïbi einst als
„moyenâgeux assis sur son trône“4 verhöhnt worden war, attestierte ihm eine
Virtuosität in der Sprache Molières, die sein Werk einschreibe in die Weltliteratur.5
Das war ihm kaum an der Wiege gesungen, die an der marokkanischen Atlantik-
küste stand, in El-Djadida, dem kolonialen Mazagan. Dort erblickt er Mitte der
1920er zur Zeit der Weizenernte das Licht der Welt, wie er in seinen Memoiren
notiert. Erst später wird sein Geburtsdatum auf den 15. Juli 1926 fixiert, als ihn der
Vater am französischen Gymnasium in Casablanca einschreibt. Dort, am Lycée
Lyautey, nimmt Chraïbi die Werte des abendländischen Humanismus in sich auf,
der aus dem Sproß einer konservativen Teehändlerdynastie aus Fez einen der re-
bellischsten marokkanischen Autoren macht.
Unvergessen die Aufregung um Le Passé Simple, das furiose Romandebüt des
jungen Chemikers: eine ätzende Abrechnung mit Papas Marokko, die 1954 wie
eine Bombe einschlugt, mitten hinein in Marokkos Ringen um die Unabhängigkeit,
ihm den Vorwurf der Nestbeschmutzung eintrug und bis 1977 verboten blieb. Er-
staunlich, dass dieser Roman, ein Klassiker der modernen Maghrebliteratur, den
Benjelloun vom Stellenwert her mit Camus’ Der Fremde vergleicht,6 bis heute nicht
auf Deutsch vorliegt, während andere Pionierromane der 1950er Jahre, Memmis
Salzsäule etwa oder Dibs Algerien-Trilogie, längst übersetzt sind.
Von der Chemie ist Driss Chraïbi, dem Meister der „vitriolgetränkten Feder“,7
der 1945 zum Studium nach Paris geht, doch nach dem Examen auf Literatur und
Journalismus umsteigt, vor allem eines geblieben: die Freude am Knalleffekt. Er
dekliniert die Thematik des Kulturkonflikts, die seine eigene ist, die Auseinan-
dersetzung zwischen Orient und Okzident, Tradition und Moderne, in von Buch zu
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In memoriam
Buch wechselnden Konstellationen durch und zeigt sich als fortwährender Neue-
rer, als jener „commenceur“, den Abdellatif Laâbi schon 1967 in ihm erblickt.8
1954, im Passé Simple, führt er den Generationenkonflikt in die junge Literatur
des Maghreb ein; 1955 lanciert er mit Les Boucs, das „wie eine literarische Version
von Frantz Fanons Die Verdammten dieser Erde“ (NZZ) daherkommt, das Genre
des Pariser Migrantenromans; 1972 wird er mit La Civilisation, ma mère! zum Vor-
läufer eines Feminismus à la marocaine, und 1967 und 1975 wagt er sich, mit Un
ami viendra vous voir bzw. Mort au Canada, an Beziehungsromane, die erstmals
überhaupt – und bis heute selten genug in der maghrebinischen Literaturge-
schichte – den Maghreb als Bezugsrahmen hinter sich lassen.
Doch der Name des marokkanischen Globetrotters steht nicht nur für Rebellion,
sondern auch für Rückbesinnung. Er fühle sich Autoren wie Vargas Llosa, Borges,
García Márquez, Chirbés, Umberto Eco verwandt.9 So wie diese10 treibe auch ihn
die Frage nach dem Sinn des Schicksals und der Geschichte11 um, die Frage
auch nach der wahren Botschaft des Islam.12 Als „dépositaire“ seiner Ahnen sieht
der Weltenbummler sich, der seiner Heimat zeitlebens eng verbunden blieb, als
Anwalt ihrer Hoffnungen und (unerfüllten) Sehnsüchte. Das Französische habe bei
all dem eher als „réactif“ fungiert, den Horizont geweitet, den Blick geschärft.13
In den 1980ern – weltabgewandt lebt Chraïbi auf den Inseln Ré und Yeu – ver-
senkt er sich ins marokkanische Mittelalter und legt zwei opulente historische Ro-
mane vor, in denen er von der ersten Begegnung zwischen arabo-islamischer und
archaischer Berberkultur im 7. Jahrhundert erzählt (La mère du printemps/ L’Oum
er-Bia, 1982) und vom goldenen andalusischen Zeitalter im 14. Jahrhundert (Nais-
sance à l’aube, 1986). 1995 dann folgt eine Vita des Propheten, L’homme du livre,
in der er Mohammeds Leben vor der Offenbarung des Koran imaginiert: ein Ver-
such, die Schönheit der Sprache des Koran im Französischen wiederzugeben,
eine Handreichung aber auch für den Westen zu Zeiten islamistischen Terrors:
„Nous sommes dans un monde où il faut tendre la main.“14
Dies auch der tiefere Sinn der berüchtigten Inspektor-Ali-Serie, in der sich
Chraïbi als genialer Krimiautor outet, der für den Maghreb das Genre des postkolo-
nialen, mit westlichen Orientklischees spielenden Krimis etabliert. Dem Leser be-
reits durch Une enquête au pays (1981) bekannt, wo Staatsbürokratie und Pro-
vinzberbertum auf bizarre Weise aneinandergeraten, entwickelt sich Ali, ein
urmarokkanischer, sehr sinnenfroher und politisch ganz und gar unkorrekter Zwil-
lingsbruder von Pepe Carvalho, in den 1990ern eindeutig zu Chraïbis Lieblings-
figur. Er läßt ihn an geopolitischen Brennpunkten des Globus agieren, in Großbri-
tannien (L’Inspecteur Ali à Trinity College, 1996), den USA (L’Inspecteur Ali et la
CIA, 1997) und sogar Afghanistan: L’homme qui venait du passé (2004). Dorthin
verschlägt es Ali in dieser Krieg-der-Kulturen-Persiflage, nachdem in einem Brun-
nen in Marrakesch die Leiche eines Islamistenführers aufgetaucht ist.
Richtig verstanden, „[r]établis dans le bon sens“, seien all seine Bücher politi-
sche Romane, „un cri d’alarme, une révolte pour l’accession immédiate à la vie
immédiate“,15 doch richtig wird Chraïbi nur selten verstanden – davon weiß Lucien
161
In memoriam
Leitess, sein Zürcher Verleger, ein Lied zu singen. Mit Wonne hat er zeitlebens
seine Leser gefoppt, hat, um mit Inspektor Ali zu sprechen, „les insectuels“ verulkt
und die Literaturkritiker hinters Licht geführt, die seine 17 Romane bisweilen für
autobiographischer halten als seine beiden Memoirenbände.16
L’humour est la meilleure arme qui soit. Ma façon de plaisanter est de dire la vérité. Et
je plaisante tout le temps.17
Chraïbis spezieller Humor, der permanent die Grenze zwischen Ernst und Scherz
verwischt, zwischen Fakt und Fiktion, wurzelt darin, dass der mehrfache Vater und
Verfasser etlicher Kinderbücher, die alle einen kleinen marokkanischen Esel zum
Protagonisten haben,18 zeitlebens nicht erwachsen werden mochte. In Marokko
hat Chraïbi eine riesige jugendliche Fangemeinde.19 Zeitlebens blieb er unange-
paßt, ließ sich weder von Literaturpreisen noch herrschenden Meinungen ködern
und wurde dafür geliebt und gehasst. Omar Mounir bringt es auf den Punkt:
C’était un écrivain authentique. A ma connaissance, il n’est pas écrivain marocain que
sa vocation des lettres a fait souffrir autant que Chraïbi. Ce qui est terrible à troublant
chez lui, c’est que, en dépit d’une francité inégalée dans le paysage littéraire marocain,
il est resté encore plus marocain que le boulanger de son quartier d’enfance à El Ja-
dida. On dirait qu’il se plaisait à parler le français avec l’accent marocain. A chacun de
ses mots, à chacune de ses phrases, il rappelait sa marocanité. On dirait qu’il le faisait
exprès. Chraïbi était l’enfant-écrivain. Il aura rencontré une difficulté et une seule dans
son art: devenir adulte. Ce garçon ne parvenait pas à avoir dix-huit ans et ne cherchait
pas à les avoir. Quand on connaît l’écrivain Chraïbi et Chraïbi tout court, la première
idée qui nous vient en apprenant sa mort: c’est l’étonnement. Ses quatre-vingts ans, il
ne les a jamais eus dans les esprits et les cœurs. A la relecture de ces lignes, je me
suis demandé si finalement je ne viens pas de dépeindre sommairement l’écrivain
idéal.20
Ein literarischer Nachfolger ist kaum in Sicht, der es an subversiver Fabulierlust mit
ihm aufnehmen könnte, es sei denn Fouad Laroui, der in Amsterdam lebt, und in
dem Chraïbi seinen „fils spirituel“21 sieht, seinen Sohn im Geiste des Humanismus
und der Satire…
Bibliographie:
Romane:
Le passé simple, Paris, Denoël, 1954.
Les boucs, Paris, Denoël, 1955.
Dt. von Stephan Egghart, Mainz, Kinzelbach, 1994.
L’âne, Paris, Denoël, 1956.
La foule, Paris, Denoël, 1961.
Succession ouverte, Paris, Denoël, 1962.
Un ami viendra vous voir, Paris, Denoël, 1966.
La civilisation, ma mère!, Paris, Denoël, 1972.
Dt. von Helgard Rost, Diese/Die Zivilisation, Mutter!, Leipzig/Zürich, Reclam/Union,
1982.
Mort au Canada, Paris, Denoël, 1975.
Une enquête au pays, Paris, Seuil,, 1981.
Dt. von Angela Tschorsnig, Ermittlungen im Landesinnern, Basel, Lenos, 1992.
162
In memoriam
Weblinks:
http://www.limag.refer.org/Volumes/Chraibi.htm
http://drisschraibi.forumparfait.com/ (gegründet nach Chraïbis Tod)
163
In memoriam
1 Zit. nach: Leonor Merino: „Coups de cœur en liberté: Interview avec Driss Chraïbi“, in:
Expressions maghrébines, vol. 3, n° 2, hiver 2004, „Driss Chraïbi“, dossier coordonné par
Jeanne Fouet, 29-33; hier: 32.
2 Vgl. das Sammeldossier in Le Journal Hebdomadaire, Décryptage N° 297 du 07 au 13
Avril 2007; zit. nach: http://drisschraibi.forumparfait.com/dossier-sur-d-chraibi-publie-
dans-le-journal-hebdomadaire-vt18.html?highlight= (vom 15.04.2007).
3 http://www.aufaitmaroc.com/fr/loisirs/litterature/nouvelles/03/avril/2007/article/le-maroc-
pleure-un-des-plus-grand-ecrivain-de-ce-siecle-driss-chraibi/.
4 Zit. nach Lara Mace: „Panégyrique de Driss Chraibi“, 10 avril 2007, in: www.bakchich.info/
article979.html, vom 15.04.2007.
5 Meldung der MAP vom 5.4.2007, vgl. http://www.avmaroc.com/pdf/rapatriement-jeudi-
actualite-a76907-d.pdf, 23.06.2007.
6 In: „Le Maroc pleure un des plus grands écrivains de ce siècle“, in: Aufait, mercredi 4 avril
2007, 10, zit. nach: http://www.aufaitmaroc.com/pdf/aufait040407.pdf, vom 23.06.2007.
7 Vgl. Omar Mounir, Dans l’intimité de l’écriture, Rabat: Marsam, 2007, 32.
8 A. Laâbi: „défense du ‘Passé Simple’“, in: Souffles 5 (1967): „driss et nous“, 18-21.
9 Vgl. Leonor Merino 2004: 30.
10 „Ils partent du passé pour comprendre le présent. J’essaie de faire comme eux. Mais je
ne suis pas passéiste. J’aime remonter à la source d’un événement, d’une culture“, ebd.
11 „Comment relier le présent au passé? Toute ma vie et toute mon œuvre n’ont eu qu’un
seul et même thème: la trajectoire du destin. Le destin des êtres et des peuples“, Driss
Chraïbi: Vu, lu, entendu, Paris 1998, 50.
12 „Quelles sont nos origines? Quel a été notre apport? Pourquoi sommes-nous dans cette
situation d’existence? Quel est véritablement le message du Prophète? Ces questions
me passionnent“, Interview von 2006 mit Abdeslam Kadiri; vgl.: www.telquel-online.com/
268/arts1_268.shtml, 15.4.2007.
13 „Tout homme est appelé à mourir. Où souhaiterais-je être enterré? La réponse vient
d’elle-même: au Maroc. C’est une question extrêmement émotionnelle qui est là: le ratta-
chement au pays. Pas le pays aux montagnes, au sable chaud, et au beau désert. Ce
sont les gens qui me bouleversent. Je suis dépositaire de tous les espoirs et de toutes
les désillusions de mes ancêtres. Ils ont tous déposé leurs rêves dans mon sang. La lan-
gue française, quant à elle, a été un réactif, une distanciation par rapport à mon pays et à
moi-même. Cela a élargi mon horizon mais je reste très attaché à mon pays. Ce qui me
touche le plus, ce sont ces jeunes, dial el médina, qui m’accueillent, comme à Oujda, il y
a deux ans. Ils m’interrogent, les yeux pleins d’attentes et avec un appétit de croire qui
tourne à vide. Parfois, je suis pris à la gorge. Que leur répondre?“ (Interview mit Kadiri
2006, zit. nach http://papalagi.blog.lemonde.fr/2007/04/03).
14 Zit. nach F. Noiville: „Driss Chraïbi, l’homme libre“, in: Le Monde du livre, 19 mai 1995, V.
15 In L. Merino (2004): „Coups de cœur en liberté: Interview avec Driss Chraïbi“, 31.
16 Vgl. Guy Dugas: „Une mémoire en train de se constituer: Interview avec Driss Chraïbi“,
in: Expressions maghrébines, 3/2 (2004), 153-177 (Interview vom 29. März 1999).
17 Zit. nach Leonor Merino, a.a.O., 32 (vgl. hier Anm. 1).
18 Vgl. Jeanne Fouet: „Les Contes pour enfants de Driss Chraïbi, ou du bon usage d’un
âne“, in: Expressions maghrébines, 3/2 (2004), 135-149.
19 Dazu passt, dass das erste Chraibi-Gedächtnis-Colloque (Ouarzazate, 1.-4. April 2008),
von der Association Marocaine des Enseignants de Français organisiert, ganz unter di-
daktischem Vorzeichen stand (vgl. http://www.fabula.org/actualites/article22431.php).
20 Omar Mounir in einer E-Mail an die Vf. vom 15. April 2007.
21 Laut MAP-Meldung vom 02.04.2007, vgl. http://www.avmaroc.com/actualite/grand-ecri-
vain-a76383.html; s. F. Laroui, „Le Marchand de Babouches“, in: Expressions maghrébi-
nes 3/2 (2004), 25-27.
164
Comptes rendus
CHRISTINE JERUSALEM: JEAN ECHENOZ: GEOGRAPHIES DU VIDE. PARIS, 2005
Spätestens seit der Verleihung des Prix Goncourt im Jahr 1999, die das Interesse des
Publikums und der Literaturkritik noch einmal sprunghaft ansteigen ließ, darf Jean
Echenoz als Klassiker der französischen Gegenwartsliteratur gelten. Nach Jean-
Claude Lebruns essayistischer Annäherung an das Werk von Echenoz aus dem Jahr
1992 und nach einer ganzen Reihe von Arbeiten, die Echenoz zusammen mit anderen
Autoren – je nach Sichtweise des Verfassers – als Vertreter eines minimalistischen,
ambivalenten, ironisch-spielerischen, neo- bzw. hyperrealistischen, inauthentischen,
postmodernen oder postliterarischen Erzählens präsentieren, ist Christine Jérusalems
Buch die erste Veröffentlichung – wenn auch nicht die erste Dissertation –, die sich
ausschließlich Echenoz widmet. Durch die verhältnismäßig späte Publikation der Ar-
beit – die zugrunde liegende Dissertation wurde bereits im Jahr 2000 verteidigt – er-
klärt sich auch, dass Echenoz’ Romane nur bis zu Je m’en vais (1999) Berücksichti-
gung finden und Au piano (2003) nicht mehr erwähnt wird. Das Erscheinungsdatum
suggeriert damit eine Aktualität gegenüber früheren Veröffentlichungen, die der Band
nicht wirklich besitzt – was an der Qualität seiner Aussagen zu den bis 1999 von Eche-
noz veröffentlichten Texten indessen nichts ändert. Christine Jérusalem, die am Uni-
versitätsinstitut für Lehrerausbildung (IUFM) in Lyon unterrichtet, ist sicherlich eine der
besten Kennerinnen des Werks von Echenoz überhaupt. Ein Resultat dieser Vertraut-
heit ist offenbar auch die in ihrer Arbeit zu beobachtende Tendenz, den Selbstauskünf-
ten des Autors in Interviews und Briefen oberste Autorität einzuräumen.
Von einer Äußerung des Autors sind dann auch der Titel, Géographies du vide, und
der thematische Fokus der Arbeit, die Verknüpfung von Raum- und Referenzproble-
matik, inspiriert. In einem Interview mit der Zeitung Libération hatte Echenoz einmal
erklärt: „J’écris des romans géographiques, comme d’autres écrivent des romans histo-
riques.“ An sich liegt es nahe, das Werk von Echenoz im Hinblick auf die Kategorie
des Raums zu untersuchen. Welche Bedeutung Echenoz selbst dem Raum beimisst,
lässt sich ja bereits an den Titeln seiner Texte ablesen, angefangen mit Le méridien de
Greenwich (1979) über L’équipée malaise (1986), L’occupation des sols (1988) und
Lac (1989) bis hin zu den kurzen essayistischen Texten „Le sens du portail“ (1989)
und „Souvenirs du triangle“ (1997). Dabei scheint Echenoz’ Privilegierung des Raums
in ähnlicher Weise mit der postmodernen Abkehr von einer dominant zeitorientierten
Moderne in Verbindung zu stehen wie Jérusalems Themenwahl mit der sich seit eini-
gen Jahren in den Kultur- und Sozialwissenschaften abzeichnenden Hinwendung zu
räumlich-geographischen Kategorien.
Allerdings darf man sich von Jérusalem keinen stringenten, theoretisch fundierten
Beitrag zur Analyse des literarischen Raums im Allgemeinen und bei Echenoz im Be-
sonderen erwarten. Vielmehr dient ihr der Begriff „géographie“ als Universalmetapher
und thematische Klammer für eine umfassende Analyse des Gesamtwerks von Eche-
noz, die vieles von dem, was bereits – nicht zuletzt von ihm selbst – über seine Werke
gesagt wurde, aufgreift, neu ordnet und um eigene Beobachtungen und Beispiele er-
gänzt – und sich dabei teilweise sehr weit von räumlichen Bezügen im engeren Sinne
entfernt. Jérusalem schätzt die topographische Metaphorik vor allem wegen ihres heu-
ristischen Potenzials (10). Im Anschluss an Philippe Hamon beschreibt sie ihr Vorha-
ben als „poétique des sites“ (11). Die literarischen und ideologischen Merkmale des
Werks gelten ihr als Konstituenten eines Spannungsfeldes, das in letzter Instanz von
165
Comptes rendus
166
Comptes rendus
sich ganz auf den „espace textuel“ (193), den sie in erster Linie durch Fragmentierung
und Diskontinuität gekennzeichnet sieht.
Jérusalems Studie eröffnet keine grundsätzlich neuen Perspektiven auf das Werk
von Echenoz. Dafür entfernt sie sich zu wenig von den Texten, und dafür geht sie nicht
weit genug bei der Einordnung und Kontextualisierung der Ergebnisse. Auch das
durchaus viel versprechende Raumkonzept bleibt letztlich zu vage und metaphorisch.
Als fundierte poetologische Auseinandersetzung mit dem Gesamtwerk von Echenoz
besitzt die Arbeit gleichwohl ihren Wert. Ihre Stärken liegen vor allem im Detail: in der
Vielfalt der behandelten Aspekte, in der Überzeugungskraft ihrer Beispielanalysen und
in der Gründlichkeit, mit der Motivketten verfolgt und intertextuelle Bezüge aufgedeckt
werden.
Wer sich vor fünfzehn Jahren mit dem roman libertin beschäftigen oder einzelne der
höchst heterogenen, unter diesem Begriff zusammengefaßten Werke lesen wollte, war
dankbar, daß Fayard zwischen 1984 und 1988 immerhin sieben Bände aus dem kurz
zuvor geöffneten Enfer de la Bibliothèque Nationale publiziert hatte. In den 90ern er-
schienen dann viele Romane und Romänchen, 1993 der verdienstvolle Sammelband
Romans libertins du XVIIIe siècle, ein Dutzend Texte herausgegeben von Raymond
Trousson (Bouquins, Robert Laffont). Gleichzeitig haben die Arbeiten von Robert
Darnton aufgezeigt, welch wesentlichen Anteil der literarische Untergrund und die
ebenfalls als „livres philosophiques“ bezeichneten Erotika an der Verbreitung aufkläre-
rischen Gedankenguts hatten. Inzwischen ist auch der Marquis de Sade in die Reihe
der Pléiade-Autoren aufgenommen (Ed. Michel Delon) und Crébillon fils zum Thema
der agrégaton auserkoren worden. Da ist es gewissermaßen eine logische Konse-
quenz, daß nun den unbekannteren Romanciers libertins du XVIIIe siècle in der Bibli-
othèque de la Pléiade zwei Bände gewidmet wurden, von denen im Jahre 2000 derje-
nige zur ersten Jahrhunderthälfte erschienen ist und nun auch der zweite mit Werken
von 1750 bis 1800.
Der Herausgeber, Patrick Wald Lasowski, hat bereits in den 80er Jahren Essays
über die Libertines, die Syphilis sowie über L’ardeur et la galanterie verfaßt. Hier setzt
er sich einleitend erst mit dem Begriff der „libertinage“ in seiner historischen Entwick-
lung auseinander, dann mit der Gattung des „roman libertin“, um mit einigen Ausfüh-
rungen über die Produktion und Verbreitung klandestiner Literatur sowie über die Zen-
sur zu schließen. Dabei greift er weitgehend auf bereits vorliegende Forschungsergeb-
nisse zurück, so daß der eingeweihte Leser wenig Neues erfährt, doch liefert diese
Préface viele Informationen mit klugen Gedanken (so wird die Gattung des Romans
als „essentiellement libertin“ bezeichnet) in einem dem Sujet durchaus angemessenen
Stil. Sehr hilfreich ist am Ende des zweiten Bandes die Zusammenstellung von mehr
als vierzig Definitionen der Begriffe „libertin/libertinage“ aus Wörterbüchern und Nach-
167
Comptes rendus
168
Comptes rendus
wesentlichen Bestandteil des Textes bilden. Bedauerlich ist indes, daß Dubost den
erregenden Reiz dieser Bilder beinahe zu negieren versucht.
Wie diese Romane und die „tableaux voluptueux“ die Libido von Leser/innen und
Betrachter/innen stimulieren sollten, steht in den Texten selbst und wird auch im neun-
ten Kapitel von Michel Delons Le savoir-vivre libertin ausführlich dargestellt. Vier Jahre
nachdem Delon den Dictionnaire européen des Lumières ediert hat, scheint er hier die
Summe seiner vielgestaltigen Auseinandersetzung mit dem roman libertin zu ziehen.
Daß es sich dabei auch um eine äußerst umfangreiche Materialsammlung handelt,
fällt dank der thematischen Gliederung und der sprachlichen Eleganz keineswegs ne-
gativ auf, wenngleich es nicht völlig zu vermeiden ist, einzelne Szenen in verschiede-
nen Kapiteln wiederholt anzuführen.
Natürlich beginnt auch Delon mit Überlegungen zum Begriff der „libertinage“ und den
damit bezeichneten Verhaltensmuster. Seine Schlußfolgerung, daß es sich auch um
den „refus d’un sens fixe“ handelt, läßt ihn von reduzierenden Definitionen Abstand
nehmen. Stattdessen präsentiert er uns die ungeheure Bandbreite sowohl der Gattung
als auch der Handlungsweisen, die von der Vergewaltigung bis zur subtilsten „grada-
tion“ der Verführung, von der „discrétion mondaine“ bis zur „crudité pornographique“
reichen. Die enge Verbindung zwischen Literatur und Leben macht er an den Polizei-
berichten fest, die dem Einfluß des fiktionalen „récit“ unterlagen. Die aristokratische
Seite der Libertinage offenbart sich in der allseits geforderten Nonchalance sowie im
Luxus, der das Leben zum Fest für alle Sinne, die Delon einzeln analysiert, werden
läßt; so formiert sich eine „équivalence entre libertinage, luxe et élitisme“. Werke wie
Margot la ravaudeuse spielen in diesem Kontext folglich keine Rolle, trotzdem brau-
chen wir bei Delon nicht zu befürchten, daß uns lediglich ein galantes 18. Jahrhundert
vorgeführt würde. Selbstverständlich steht regelmäßig Sade als Schlußstein einzelner
Themenbögen. Doch auch weniger radikalen Autoren weist Delon einen im höchsten
Maße eigenwilligen Umgang mit Raum und Zeit nach. Und er widerspricht dem hart-
näckigen Gerücht über die fast grenzenlose Freiheit, die Frauen im 18. Jahrhundert
genossen haben sollen: „le libertinage consacre une différence des rôles sexuels.
L’homme peut afficher ce que la femme doit dissimuler.“ Entsprechend beschreibt er,
wie selbst die Merteuil einen Liebhaber mit gesenktem Blick und gespielter Scham
empfängt. Außerdem rückt er das Bild von zwei der berühmtesten Verführer der Zeit,
Richelieu und Casanova, insofern gerade, als er an ihre gelegentlichen homosexuel-
len Eskapaden erinnert. So breitet Michel Delon ein schillerndes Panorama dieser
„production littéraire polymorphe“ aus, für die selbst auf einem eigens im September
2002 in Grenoble veranstaltetem Colloquium (Du genre libertin au XVIIIe siècle. Hg. v.
Jean-François Perrin u. Philip Stewart. Paris 2004) keine stringente Gattungsdefinition
gefunden werden konnte.
In den Augen vieler Franzosen gehört die Laїcité immer noch wie nur weniges andere
zu den Charakteristika ihres Landes; besiegelt wurde sie durch die vor hundert Jahren
169
Comptes rendus
im Gesetz vom 9. Dezember 1905 vollzogene strikte Trennung von Kirche und Staat.
An dieser Einschätzung der Laїcité haben auch die jüngsten Unruhen in den von vie-
len Muslimen der zweiten und dritten Einwandergeneration bewohnten Vorstädten nur
wenig geändert; der kollektive Aufstand wird allerdings von immer mehr Beobachtern
nicht nur als Resultat einer verfehlten Einwanderungspolitik angesehen, sondern auch
als Folge der laizistischen Reduzierung von Religion auf eine Privatangelegenheit,
welche das Feld jugendlicher Suche nach Orientierung radikalen Predigern überläßt.
Zu dieser Kritik am Prinzip der Laїcité, welche durch die Ereignisse der letzen Wochen
zugenommen hat, kommt ein zunehmendes Bewußtsein für das Paradox, daß die
klare Abgrenzung zwischen der Sphäre der Religion und der des Staates gleichzeitig
als ein Beispiel für die exception française und als Teil der universellen Sendung der
französischen Zivilisation herhalten muß. Ganz so unbestrittener Grundwert der fran-
zösischen Republik, wie viele seiner Verteidiger suggerieren, ist der Laizismus also
keinesfalls mehr.
Seit 1789 mühen sich seine Theoretiker, die säkulare Gesellschaft gegen die An-
sprüche religiöser Weltbilder zu verteidigen – wobei seit dem Dezember 1905 der
Streit über das Verhältnis zwischen religiös und säkular geprägten Lebensentwürfen
nur noch ein akademischer zu sein schien, ist die Trennung zwischen Kirche und
Staat doch vor hundert Jahren per Gesetz vollzogen und später auch nie wieder ernst-
haft in Frage gestellt worden. Spätestens seit Pius XI. 1924 seinen Frieden mit dem
französischen Modell gemacht hat, flackern – so scheint es – die religiösen Konflikte
im Land der ‘ältesten Tochter der Kirche’, das der Soziologe Bruno Etienne einmal mit
einem Wortspiel „La France catho-laїque“ genannt hat, nur noch bei Auseinanderset-
zungen über die (meist kirchlichen) Privatschulen auf. Und so zeichnet das jüngst er-
schienene Buch des Historikers Jean-Paul Scot hundert Jahre nach der gesetzlichen
Trennung zwischen Kirche und französischem Staat ein eher versöhnliches Bild: L’Etat
chez lui, l’Eglise chez elle heißt es im Titel unter Anspielung auf die Rede Victor Hu-
gos vom Januar 1850, in welcher der große Nationaldichter der jungen und – wie sich
zeigen sollte – zerbrechlichen II. Republik den laizistischen Rücken stärken wollte, der
indes immer noch durch die napoleonischen Konkordatsvereinbarungen mit dem
Papst gekrümmt war. Die Republik ist, so eine der Thesen des Buches, erst zu sich
selbst gekommen, als sie sich definitiv von klerikaler Bevormundung gelöst hat, und
dies sei letztlich auch zum Nutzen der Kirchen gewesen, haben sie sich doch erst seit
der Trennung um ihre eigentlichen, nämlich spirituellen Aufgaben kümmern können. In
Anlehnung an den Gesetzestext von 1905 spricht Scot konsequenterweise in der Plu-
ralform, aber im Frankreich des Jahres 1905 ging es natürlich vor allem um die katho-
lische Kirche und um den Einfluß des Papstes.
Die These, daß der Laizismus als Kern republikanischen Denkens anzusehen sei,
durchzieht sämtliche in den vergangenen Monaten erschienene Literatur zum anste-
henden Jahrestag und so auch die nicht zuletzt durch die vielen Quellenverweise sehr
anschauliche Studie Jean-Paul Scots. In drei Hauptkapiteln zeichnet er die Ursprünge
der Laїcité, die Vorbereitungen zum Gesetz von 1905 sowie – unter offenkundiger An-
spielung auf den Aufklärer Montesquieu – den Geist des Gesetzes nach und wirbt für
Sympathie mit diesem Gesetz, das letztlich nichts als Frieden und Toleranz in die Ge-
sellschaft gebracht habe (vgl. S. 337). Als Initiator des Gesetzes von 1905 nennt
Jean-Paul Scot insbesondere Aristide Briand, der in Deutschland vor allem wegen sei-
ner intensiven Zusammenarbeit mit Gustav Stresemann in den 1920er Jahren bekannt
170
Comptes rendus
ist und der in der Tat neben Jean Jaurès als der eigentliche Verfechter der konsequen-
ten Trennung zwischen Religion und Politik angesehen werden muß. Beim Lob Jean-
Paul Scots für Briands Wirken zeigt sich indes die einst von Alexis de Tocqueville beo-
bachtete französische Kontinuität vom Ancien Régime zu jeder postrevolutionären
Regierung: Auch im demokratischen Frankreich ist das siècle classique des Sonnen-
königs Referenz und Maß für politische Karrieren, und so wundert es nicht, daß Scots
Hommage an den Republikaner Aristide Briand den Vergleich mit Richelieu nicht
scheut (S. 348). Allerdings wäre hier ein Ansatzpunkt gewesen, die im ersten Haupt-
kapitel reflektierte Genese des Laizismus einer kritischen Revision zu unterziehen.
Für Jean-Paul Scot ist der Laiszismus ein eindeutiges Erbe der Revolution (die im
Anhang angeführte Chronologie über das Verhältnis von Kirche und Staat beginnt
konsequenterweise im Jahr 1789), und wegen dieser scheinbaren Evidenz widmet er
der historischen Reflexion nur wenige Seiten; vor allem beschränkt er sich darauf, den
seinerzeit von Briand erstellten Bericht zu referieren, den dieser dem Parlament vor-
legte. Auch wenn Scot auf das berühmte Wort aus dem Matthäus-Evangelium („Gebt
dem Kaiser...“ Mt 22,15-21), auf den Dictatus papae von 1075 sowie auf die Formulie-
rungen der gallikanischen Freiheiten eingeht, greift diese historische Analyse letztlich
zu kurz, insofern sie den engen Zusammenhang zwischen der Genese des Absolutis-
mus und dem Entstehen des Laizismus ignoriert: Seit François I. unterwarfen die fran-
zösischen Könige den Klerus ihres Landes ihren politischen Interessen, und mit dieser
Säkularisierung der religiösen Überzeugungen, welche – in der Öffentlichkeit geäußert
– als ein das Land in seiner Einheit bedrohendes Delikt galten, ging eine zunehmende
Sakralisierung der politischen Macht einher: Für die Vertreter der Kirche blieb dabei
letztlich nur die Alternative, sich entweder den Ansprüchen der Politik zu unterwerfen
oder diese sich – zum eigenen Vorteil – zu eigen zu machen. Letzteres war die Strate-
gie eines Richelieu, in dessen Händen religiöse und politische Macht ganz verschmol-
zen, und somit entbehrt der Vergleich Aristide Briands mit dem Kardinal nicht einer
unfreiwilligen Ironie.
Dort, wo sich Scots Studie vom Bericht Aristide Briands löst und die Konflikte zwi-
schen einem sich dem modernen Verfassungsstaat verweigernden Klerus einerseits
und einer zunehmend kirchenfeindlichen Öffentlichkeit andererseits nachzeichnet, ist
sie eine wertvolle Hilfe, das Gesetz vom 9. Dezember 1905 und seine Initiatoren wirk-
lich zu verstehen, wie es der Titel des Buches ankündigt. Gerade die Darstellung der
mühevollen Versuche Napoleons III., die Katholiken über die Lösung der römischen
Frage für sein Regime zu gewinnen, die differenzierte Analyse der Rolle, welche die
Kirche im Kontext der Pariser Commune spielte, und nicht zuletzt die Schilderung der
Bedeutung der Dreyfus-Affäre für das Gesetz über die Trennung von Kirche und Staat
machen aus Jean-Paul Scots Buch einen wichtigen Beitrag zum Verständnis der Ent-
stehungsbedingungen dieses Gesetzes, das in der Tat seit hundert Jahren als ein
Eckpfeiler der französischen Republik – der Dritten, der Vierten wie der Fünften –
betrachtet wurde und wird.
Zu fragen bleibt indes, warum sich diese Studie jeglicher Darstellung der Rolle des
Laizismus im gegenwärtigen Frankreich versagt und statt dessen die Vorbildfunktion
des französischen Modells der Trennung von Politik und Religion für Länder wie die
Türkei hervorhebt. Angesichts einer in Frankreich inzwischen marginalisierten katholi-
schen Kirche, aber eines nicht zu verkennenden ‘retour du religieux’, der sich vor al-
lem in den französischen Vorstädten in Form einer aggressiven Variante islamischer
171
Comptes rendus
Frömmigkeit zeigt, wäre es wünschenswert gewesen, hundert Jahre nach seiner Ver-
abschiedung das Gesetz über die Trennung von Kirche und Staat einer kritischen Ana-
lyse zu unterziehen. Denn wenn der (französische) Staat auf die Integration gerade
derer setzt, deren Identität auch durch eine starke religiöse Orientierung geprägt ist,
dann bedarf es anderer Mittel als jener einst gegen die angebliche Gefahr einer päpst-
lich geprägten Theokratie beschworenen strikten Neutralität, welche das Victor-Hugo-
Zitat im Titel preist, welche gleichwohl oftmals mit Ignoranz verwechselt wird. Ohne
sich um dogmatische Angelegenheiten einzelner Religionen kümmern zu können und
zu sollen, darf der moderne Verfassungsstaat die Augen eben nicht vor den religiösen
Orientierungen seiner Bürger verschließen oder lediglich durch restriktive Kleiderord-
nungen in der Schule zu regeln versuchen. Die Einführung des Schulfaches ‘faits reli-
gieux’ (im Sinne von Religionskunde) und die Suche des derzeitigen Innenministers
Sarkozy, durch die Förderung von Gremienbildung Ansprechpartner in den muslimi-
schen Gemeinden zu finden, sind zweifellos Ansätze, die – angesichts einer völlig ver-
änderten gesellschaftlichen Situation – das Gesetz von 1905 im Kern revidieren. Lei-
der geht Jean-Paul Scot auf diese Entwicklung und die sich aus ihr ergebenden Kon-
flikte nicht ein, obwohl dies doch erst ermöglichen würde, das Gesetz von 1905 in sei-
ner ganzen Tragweite und auch in seinen Grenzen zu verstehen.
Le 27 septembre 2006 sortait dans les salles françaises Indigènes, un film de Ra-
chid Bouchareb avec les quatre acteurs „beurs“ les plus reconnus du cinéma français:
Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila. Ce film dévoile un
pan méconnu de l’histoire française, à savoir l’engagement de soldats originaires des
colonies françaises lors de la seconde guerre mondiale. Cette même année sortait
une étude rédigée en allemand par Cornelia Ruhe (Université de Constance): Cinéma
beur. La France „Black Blanc Beur“ était encore à l’affiche un an après les émeutes en
banlieue et quelque mois après la ‘réécriture’ de l’article 4 de la loi du 23 février 2005
„portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français
rapatriés“. En effet, le 2ème alinéa de cette loi sur les programmes scolaires et de re-
cherche universitaire „reconnaissant en particulier le rôle positif (sic) de la présence
française outre-mer, notamment en Afrique du Nord“ a fait esclandre jusqu’à ce que ce
paragraphe litigieux soit abrogé par décret le 16 février 2006!1
Le livre de Ruhe consiste en une analyse du genre beur, qu’elle comprend comme
un nouveau genre filmique français. Son travail se divise en trois parties: la 1ère est
consacrée à la notion du genre, la 2nde à celle du genre beur et la 3ème à six films re-
présentatifs de ce genre: Le thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef (1985), La
haine de Matthieu Kassovitz (1995), L’autre côté de la mer de Dominique Cabrera
1 Cf. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=DEFX0300218L pour le texte
original de la loi et http://www.legifrance.gouv.fr/texteconsolide/PJEFS.htm pour le texte en vigueur.
172
Comptes rendus
(1997), Bye-Bye de Karim Dridi (1995), Salut Cousin! de Merzak Allouache (1996) et
Nés quelque part de Malik Chibane (1997).
En avançant la thèse d’un genre beur, Ruhe s’expose à deux problèmes: s’il est dif-
ficile de définir ce qu’est un genre, il est encore plus difficile de le qualifier d’un adjectif
contesté dans certains milieux à cause de son emploi ambigu dans les médias et la
politique. Dès le titre, l’auteur souhaite attirer l’attention sur un genre cinématographi-
que peu reconnu dans le paysage cinématographique français, et en élevant le ci-
néma beur au rang de genre, elle cherche à le débarrasser de ses catégories réductri-
ces (films autobiographiques/de témoignage) afin de le considérer comme un objet
esthétique à part entière. Le but de son analyse est de montrer à quel point certains
schémas de narration, certains types de personnages et leur évolution, mais aussi
des lieux comme les cités des banlieues ont marqué et marquent encore la mémoire
culturelle française.
Dans sa 1ère partie, Ruhe présente le cinéma beur comme un nouveau genre, ce
qui l’amène à la question du genre. Etroitement liée à d’autres concepts de classifica-
tion, tels que mode, style, cycle, la notion de genre est un ensemble de critères nés
de caractéristiques empiriques communes. Afin de définir ces critères, Rick Altman,
David Bordwell, Olaf Schwarz et Jörg Schweinitz ont eu recours à un procédé de caté-
gorisation linguistique: la sémantique du prototype. Ce phénomène de catégorisation
dépasse le système rigide d’Aristote et aboutit à l’idée que toute catégorie ne peut
être clairement définie (John R. Taylor). Par analogie, les catégories du genre filmique
ne sont que „fuzzy boundaries“ (D. Bordwell), un film pouvant appartenir à plusieurs
genres à la fois.
Les genres ne naissent pas uniquement de concepts filmiques abstraits définis par
la production, ils sont le produit des mécanismes de la réception par le public. Les
genres sont créateurs de groupe: ils éveillent chez les uns une curiosité scientifique,
un besoin de classifier, de définir (cf. les chercheurs sur le genre beur); chez les au-
tres, une sensation d’appartenance à un groupe. (cf. Azouz Begag et son „sentiment
communautaire“ à sa lecture du Thé au harem d’Archi Ahmed de Mehdi Charef).
Qu’il s’agisse de la littérature ou du cinéma issu(e) de l’immigration maghrébine, le
genre beur est le produit d’une génération née en s’identifiant à des stéréotypes litté-
raires et filmiques qui ont fondé et les caractéristiques du genre beur et un mythe. Sur
ce point, Ruhe suit la sémiotique culturelle de J. Lotman définissant le mythe comme
„central text-formating mechanism“ qui, selon Thomas Schatz, permet de réguler les
„conflits élémentaires inhérents à la culture moderne“ et participe à la „projection d’une
image personnelle collective idéalisée.“ Grâce au mythe, le genre est capable de
s’adapter aux processus culturels et de réagir par rapport à eux. Le genre fait ainsi
partie intégrante d’un système culturel. Sachant que toute culture ou sémiosphère est
automatiquement reliée et donc influencée par d’autres cultures, le genre est lui aussi
marqué par l’intertextualité et la transtextualité (cf. J. Lotman), par un réseau com-
plexe de structures thématiques, temporelles, spatiales et stylistiques. Elever le ci-
néma beur au rang de genre permet de passer de la perspective périphérique de la
marginalité à celle de la normalisation de ces produits esthétiques. Alors que ce sys-
tème binaire semble très structuraliste, il suit cependant le „Third Space“ de Homi K.
Bhabha: la frontière entre deux sémiosphères. La culture beur est située entre deux
systèmes culturels, d’une part celui de la France, d’autre part celui des immigrés; elle
est en cela une frontière, un lieu du bilinguisme et de la négociation et donc un lieu
173
Comptes rendus
particulièrement actif d’un point de vue sémiotique. C’est là où ont lieu des ‘hybridisa-
tions’: elle est un système culturel hybride.
Après ces quatre chapitres très théoriques, Ruhe nous invite à une réflexion esthé-
tique. Son but étant de dévoiler le réseau transculturel du genre beur, elle présente les
références filmiques du cinéma beur et ainsi une partie de l’intertextualité marquant le
genre beur. Tout d’abord, elle constate que les réalisateurs puisent dans une tradition
de l’immigration et des immigrants qui n’est pas uniquement européenne. Les modè-
les américains jouent un rôle prépondérant dans ce système transculturel. S’appuyer
sur des genres reconnus permet aux régisseurs de légitimer leur travail et de s’inscrire
dans une ligne traditionnelle dépassant de loin celle du cinéma français. Afin de mieux
expliquer le contexte dans lequel le cinéma beur thématise le problèmes de
l’immigration et de l’intégration, Ruhe expose rapidement ce qui s’est passé dans le
même domaine en Angleterre, avec des films de Hanif Kureishi et Gurinder Chadha;
en Allemagne, avec des films de Rainer Werner Fassbinder, Tevfik Başer, Jan
Schütte, Doris Dörrie, Fatih Akin, Thomas Arslan et Lars Becker et aux USA, avec des
films de Martin Scorsese, John Singleton, Matty Rich, Mario Van Peeble et Spike Lee,
lui permettant de comparer le cinéma de banlieue aux Hood films, films américains de
ghetto.
Dans la 2nde partie de son livre, Ruhe dément catégoriquement toute définition d’un
film beur disant que l’origine ethnique du réalisateur détermine non seulement les thè-
mes du film mais son public et son horizon d’attente (Christian Bosséno, Dina Sher-
zer, CarrieTarr). Elle retrace l’évolution d’un genre mal compris depuis Le thé à la
menthe de Abdelkrim Bahloul (1984) tout en introduisant les six films dont il est ques-
tion dans la 3ème partie.
Son livre s’ouvre alors sur six analyses de films représentatifs du genre beur. Cha-
que film est traité séparément, mais Ruhe se permet des renvois, tissant ainsi le ré-
seau générique intertextuel du genre beur. Elle présente brièvement chaque réalisa-
teur et chaque synopsis pour ensuite étudier des points-clés traitant de la problémati-
que du genre beur, tels que périphérie/centre, racisme/violences, banlieue/cités, dialo-
gues/symboles, clichés/réalité et surtout intertextualité/métissage qui lui permettent de
mettre en exergue des références cinématographiques, musicales et littéraires,
d’illustrer le discours transculturel du genre beur et de montrer son évolution allant des
prototypes vers l’autoréflexion et la parodie.
JOCELYN VAN TUYL: ANDRE GIDE AND THE SECOND WORLD WAR – A
NOVELIST’S OCCUPATION. ALBANY: STATE UNIVERSITY OF NEW YORK PRESS,
2006, XII + 268 P. ISBN 0-7914-6713-9. 65,00 $
Une lecture conjointe de ces deux ouvrages s’impose, si ce n’est qu’en raison de leurs
dates de parution très rapprochées. La correspondance des années de guerre, soit
environ un tiers des lettres échangées entre Gide et Schiffrin, apporte une source di-
recte d’informations qui peut être intégrée aux analyses de Van Tuyl. Ce contact épis-
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Comptes rendus
tolaire ainsi que les rapports entre Gide et l’un de ses éditeurs privilégiés, duquel il est
séparé par la guerre, ne semblent pas avoir été trop pris en compte dans André Gide
and the Second World War, sans doute du fait du statut encore inédit des lettres au
moment de la recherche de Van Tuyl, dont l’ouvrage a pour source nombre de docu-
ments d’archives. Le livre mentionne brièvement Schiffrin, co-fondateur et éditeur de
la Pléiade, qui, avec sa famille, a pu recevoir l’aide de Gide pour quitter la France,
comme d’autres amis de Gide dans la même situation dramatique, dont Jean Mala-
quais, juif comme Schiffrin, polonais de naissance mais donné pour yougoslave par
Van Tuyl (24).2 Le détail du départ en exil de Jacques Schiffrin avec sa femme et son
fils André (celui-ci écrit le touchant Avant-propos à la correspondance et figure lui-
même souvent dans les lettres) est fourni par la lettre du 2 mai 1941 de Jacques
Schiffrin à Gide et la lettre suivante de Gide, le 27 juin 1941 (164-169). Le fils est
accueilli l’été 1949 par Gide lors d’un séjour en France. Il effectue la traversée seul,
son père, qui vit avec un grave emphysème depuis plusieurs années, étant bloqué à
New York. L’idée de retour pour les Schiffrin, néanmoins, n’est pas abandonnée tout
au long de l’après-guerre et est liée au désir de Jacques Schiffrin de retrouver un
poste dans l’édition en France (243), d’être „repr[is] à la NRF-Pléiade“ (324), ou même
d’établir une librairie à Nice, tous projets qui restent en suspens jusqu’à sa mort en
1950, dans le plus fort sentiment d’exil. Alban Cerisier, qui a établi l’édition de la cor-
respondance, donne à lire en note une lettre déjà publiée de Roger Martin du Gard à
Gide discutant des faibles possibilités ouvertes à Schiffrin pour recommencer une acti-
vité en France, les frères Gallimard ne souhaitant pas le reprendre, contre l’avis de
Gide (327), et le monde de la librairie traversant une mauvaise passe (325).
A New York, Schiffrin poursuit, non sans difficulté, une partie du travail d’éditeur
qu’il avait entrepris à Paris avant la guerre, et qu’on peut suivre dès 1922 dans les
lettres échangées avec Gide, où il est d’abord question, dans les années vingt, d’une
traduction de Pouchkine, puis de l’édition de Numquid et tu...? et de la parution de
l’Essai sur Montaigne. Les relations entre les deux hommes demeurent quelque peu
distantes pour Schiffrin, qui continue de s’adresser à Gide d’un „Cher maître“, jusqu’au
lendemain du voyage en U.R.S.S. de 1936, auquel participe aussi Schiffrin, en dépit
du fait qu’il y soit persona non grata, expatrié né à Bakou. La mort d’Eugène Dabit
durant le voyage, qui fait l’objet de deux lettres de Gide, l’une d’une véritable ten-
dresse (79-80), l’autre présentant une image piquante d’Aragon (81), et sans doute le
voyage lui-même, semblent avoir rapproché Schiffrin et Gide, Schiffrin recourant dé-
sormais à l’appellation „Cher ami“ à l’endroit de Gide. La voix de Schiffrin s’ajoute au
cercle intime de Gide avec un appel à la prudence dans sa rédaction du Retour de
l’URSS (82-84). Jusqu’à l’Armistice de 1940, c’est l’édition du Journal de Gide qui oc-
cupe beaucoup les lettres. Rendu à New York, Schiffrin publie, pour Pantheon Books,
les Interviews imaginaires de Gide, ses Pages de Journal 1939-1942 et la traduction
d’Hamlet, qui leur tenait à cœur à tous les deux. Après-guerre paraissent encore Thé-
sée puis l’Anthologie de la poésie française, que Gide a longtemps souhaité pouvoir
concevoir avec Schiffrin, mais que Schiffrin, éloigné, devra se contenter de publier.
2 Le nom de Malaquais flotte un peu dans l’imprécis ces dernières années, comme on peut le voir
aussi avec son identification en tant que „poète“ uniquement, dans l’édition de la Correspondance
– 1942-1975 entre Alain Bosquet et Saint-John Perse, ed. Michèle Aquien et Roger Little. Paris:
Gallimard, 2004, 34. La poésie représente une petite partie, parmi la moins connue aujourd’hui
d’ailleurs, de l’œuvre de Malaquais qui a écrit dans différents genres, le roman, la nouvelle, le
journal de guerre, l’essai, le scénario, le pamphlet, la thèse universitaire.
175
Comptes rendus
A trois reprises dans la correspondance, en 1944 et 1945, il est fait allusion par
Gide à sa volonté d’expurger son Journal de quelques passages rédigés en 1940,
soigneusement repérés dans la lettre du 13 février 1944 (212-213), jugés inopportuns
et compromettants à la fin de la guerre. Venus s’ajouter à sa participation à la Nou-
velle Revue Française de Drieu La Rochelle, ces passages et d’autres n’épargnent
pas à Gide les attaques à partir de 1944 à Paris, comme le rappelle Van Tuyl, en reve-
nant nettement sur chaque contexte, montrant même certains parallélismes dans
l’égarement des idées de Gide au moment de la Première et de la Deuxième Guerres
(9-11, par exemple). Le soin apporté, a posteriori, par Gide à l’image que ses écrits et
ses engagements peuvent projeter, perceptible dans quelques lettres de Gide à Schif-
frin, est abondamment décrit dans l’ouvrage de Van Tuyl. Ce travail d’auto-reconstruc-
tion chez Gide, ou „Repositionings“, selon le titre du chapitre cinq, est présent, indique
Van Tuyl, sous différentes formes dans Interviews imaginaires et Thésée, et prend
toute sa force avec Ainsi soit-il (1952), où Gide réinvente son personnage comme ré-
sistant et comme premier intermédiaire entre Boris Vildé et le Réseau du Musée de
l’Homme (145). Se basant sur l’orthographe inusuelle que Gide donne au nom russe
de Vildé, „Wilde“, Van Tuyl rapproche de manière intéressante l’initiation de Gide à la
Résistance (la guerre), grâce à une visite de Vildé à Cabris, de la rencontre avec Os-
car Wilde en 1895 à Alger (la sexualité), où Wilde procure à Gide un jeune musicien
(146-147). La même opération est faite par Van Tuyl, en plus de détails, sur le Journal
de novembre 1942 à mai 1943, avec cette fois la guerre lisible dans la sexualité,
l’agresseur étant Gide et le résistant, Victor, personnage du jeune François Reymond,
avec qui Gide vit un „conflit domestique“ (88) à Tunis. L’Envers du Journal de Gide, de
François Reymond, publié après la mort de Gide, en 1951, souvent rejeté d’un haus-
sement d’épaules par les critiques de Gide (93), est examiné ici avec un peu plus
d’attention que d’ordinaire.
Les deux ouvrages de 2005 et 2006 offrent aussi l’occasion une nouvelle fois de re-
visiter l’antisémitisme de Gide auquel l’Epilogue de Van Tuyl donne un large contexte,
qui reste beaucoup en surface, en plaçant Gide auprès de Sartre et Paul de Man, dont
certaines remarques auraient mis Gide „into relative oblivion“ (149), deux personnali-
tés qui, avec Simone de Beauvoir aussi, auraient des similarités avec Gide dans leurs
écrits et leurs comportements durant la Guerre. Ailleurs dans l’ouvrage, et alors qu’elle
discute le retour un peu différé de Gide à Paris début mai 1945, Van Tuyl note avec
précision l’affaiblissement des propos antisémites chez Gide quand il s’agit pour lui de
se refaire un visage inattaquable, mais, dès qu’il retrouve une position plus sûre, les
vieilles formules réapparaissent, notamment en 1948, en réponse différée aux Ré-
flexions de 1946 de Sartre (136-137). Dans une lettre de 1949, Jacques Schiffrin re-
vient sur le passage très connu du Journal de Gide de 1931 sur la „littérature juive“
„avilissante“ (340), interpellant Gide en lui écrivant: „votre déclaration ne me paraît ni
très juste ni très sérieuse“ (340). Quelques jours plus tard, sans les délais et pertes de
courrier occasionnés par la guerre, Gide répond à Schiffrin par l’envoi de „quelques
pages de [son] Journal“, dont il se dit „loin d[‘être] satisfai[t]“ (342). Il est possible, indi-
que la note, que ces pages, qui n’ont pas été conservées avec la lettre, datent du 8
janvier 1948, avec le portrait de Schiffrin mêlé à la croyance persistante de Gide, à
travers Schiffrin et contre Sartre, aux stéréotypes antisémites (342). Sur ce point et
sur d’autres, la correspondance Gide-Schiffrin et l’étude de Van Tuyl s’enrichissent
d’une lecture en commun.
Stephen Steele (Burnaby-Vancouver)
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