Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
Submitted by
Robert Michael Brutz
Table de matières
Page de titre...........................................................................................p. 1
Table de matières....................................................................................p. 2
Remerciements.......................................................................................p. 3
Introduction............................................................................................p. 4
Conclusion............................................................................................p. 44
Bibliographie........................................................................................p. 48
Brutz 3
Remerciements
Je voudrais remercier mon directeur de mémoire, Antoine Sabbagh, de son temps et de ses
conseils généreux pendant la réalisation de ce projet. Son instruction n’a pas seulement contribué à
l’achèvement du mémoire, mais elle m’a guidé vers une pensée plus claire et plus profonde sur
l’histoire de la France du XXe siècle. Le soutien que m’ont fourni des enseignants à Reid Hall ne
sera pas bientôt oublié. Je remercie M. Christophe Prochasson, M. Florent Jakob, Mme. Sarah
Sasson, Mme. Claude Roquette et M. Peter Connor. Cette étude n’aurait pu être réalisée non plus
sans la participation de toute l’équipe de Reid Hall. Je remercie Danielle Haase-Dubosc, Brune
Biebuyck, Christine Valero, Chrisitne Babef, Laurence Gallu, Susannah Mowris, Chantale et Jean.
Brutz 4
Introduction
Vélodrome d’hiver en commémoration de la grande rafle des Juifs de France qui y a eu lieu
quarante-trois ans auparavant. Il s’approche ensuite de l’estrade pour prononcer un discours qui, en
avouant la complicité de l’Etat français dans la déportation des Juifs, rompra avec cinquante ans
d’histoire nationale, soutenue par Charles De Gaulle et tous les présidents qui l’ont suivi. “Il est,
dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire,” dit-il. “Il est difficile de les
évoquer... parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre
passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par
l'Etat français.” Cependant, ce discours n’est pas un aveu uniquement du passé de l’Etat, mais une
ouverture à l’avenir. Il continue, “Les plus jeunes d'entre nous, j'en suis heureux, sont sensibles à
tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de
Français décidés à regarder bien en face leur passé.” Le message est clair: “Sachons tirer les leçons
de l'Histoire. N'acceptons pas d'être les témoins passifs, ou les complices, de l'inacceptable.” Il
nous faut transmettre cette histoire pour que les maux du passé ne se répètent jamais.
Cette évolution, liée à l'histoire personnelle de Jacques Chirac, s'explique alors également par
Claude Lanzmann qui depuis le début des années 80 ont ravivé la mémoire la déportation.
Simultanément, le procès intenté à Klaus Barbie et les actions en justice entamées contre Maurice
Brutz 5
Papon, montrent l'évolution sensible de l'appareil judiciaire à l'égard des persécutions de la
deuxième guerre. Tout indique ainsi que la France des années 90 a définitivement rompu avec le
pouvoir politique a eu d'inévitables conséquences dans la vision de l'histoire transmise par le monde
éducatif. Elle s'est traduite par une approche renouvelée de l'histoire de la Shoah dans les
programmes et les manuels ainsi que par de nouvelles approches dans la pratique même des
enseignants.
pas été abordé frontalement à l'école. C'est pourtant dans la salle de classe que l'histoire du
génocide des juifs d'Europe pendant la deuxième guerre mondiale a pu pénétrer la mémoire
collective française.
France depuis les années soixante. Pour cela, nous étudierons non seulement les liens entre le
pouvoir et l’enseignement au sein du monde éducatif visibles au travers des programmes d’histoire
fournis par le Ministère de l’Education nationale mais aussi les manuels scolaires, les “canaux de
diffusion” de cette histoire en dehors de la salle de classe et les opinions des professeurs eux-mêmes
qui l’enseignent.
Au lieu des difficultés méthodologiques que posent une analyse de la pédagogie (un sujet
constamment débattu) et la formation des professeurs (là aussi la méthodologie est problématique,
car il existe tant de chemins que l’on peut suivre pour devenir professeur), les manuels représentent,
nationale, un corpus qui contient la version, toujours évoluante, de l’histoire soutenue par l’Etat.
Les “canaux de diffusion” nous permettent d’analyser les méthodes par lesquelles le professeur
offre à ses élèves un approfondissement de l’histoire apprise uniquement à partir des manuels
scolaires. Interroger les professeurs eux-mêmes sur leur propre enseignement nous permet de
les faits sont sûrs de se différer. Nous verrons qu’à travers une soixantaine d’années, l’histoire de la
Shoah, tel qu’elle est représentée dans les manuels scolaires, se développe au fur et à mesure que la
société française (on pense là, à une mémoire collective) se transforme. Au carrefour de
Shoah a au fil des années progressxivement réémergé, non seulement dans les manuels scolaires
mais également par la mise en valeur des lieux de mémoire du génocide et par le développement
scolaires qui manifestent la place nouvelle du génocide non seulement dans l'enseignement mais
Pendant la quarantaine d’années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale,
l’enseignement d’histoire en France est marqué par une absence totale de la Shoah du programme
scolaire. On aura beau chercher l’évidence du plus grand massacre de l’histoire humaine dans les
manuels scolaires avant le début des années 1960 ou dans les programmes avant le début des années
1980, il n’y est consacré aucune place. Alors que certains expliquent ce phénomène en termes
guerre, pour d’autres ce “traumatisme” ne sert que comme un euphémisme convenable pour
l'extermination des juifs d’Europe à laquelle l’Europe entière, d’une façon ou une autre, était
complice et de laquelle personne qui l’a vécue ou en a fait partie ne veut parler. Quelles qu’en
soient les raisons, “l’oubli” de cette histoire depuis 1945 et la reconnaissance qui l’a succédée dans
les quarante années après nous fournissent un serviable point de départ sur lequel nous pourrons
L’une des scènes les plus mémorables de la fin de l’occupation nazie de la France est celle
du général De Gaulle, le 26 août 1944, marchant au pas sur l’avenue des Champs-Elysées,
Brutz 8
le jour après avoir reçu, avec le général Leclerc de la deuxième division blindée des FFI, la
reddition des forces nazies. Autour de lui s’amasse une foule de français bruyants, chantant la
Marseillaise et poussant le cri “Vive De Gaulle!” ou “God Bless America!” Cette scène, désormais
connue comme la libération de Paris, nous est très familière. Elle représente la conclusion définitive
des maux qui menaçaient le peuple français depuis le 22 juin 1940. Bientôt, ce souvenir fera une
arrière-pensée de ce qu’on a vécu pendant la guerre face au début des Trente Glorieuses. Mais pour
les historiens de la seconde guerre mondiale, surtout ceux qui travaillent sur la Shoah et le régime
de Vichy, cette scène représente aussi l’apparition de ce que l’on appelle aujourd’hui le
“résistancialisme” ou le “mythe résistancialiste.” Selon cette théorie conçue par l’historien Henri
Rousso dans son livre Le syndrome de Vichy, tous les français auraient résisté contre l’autorité nazie
“Réduite à la saga d’une poignée d’individus, l’histoire de la France, entre 1940-1944, a changé de
nature : son centre de gravité s’est déplacé de Paris et de Vichy vers Londres et Alger. A la nullité des
actes de l’Etat français, l’ “autorité de fait”, décidée en 1944, correspond, dix ans plus tard, sa mise entre
parenthèses. La volonté politique transcende une réalité objective, et l’Histoire se confond avec la
morale.”1
Cela veut dire qu’à la suite de la guerre, De Gaulle préférait une conception de l’histoire qui se
construise en noir et blanc, juste et injuste, résistant et occupant. Le fait d’une collaboration d’un
d’épuration immédiatement suivant la fin des hostilités : Louis Renault, Robert Brasillach et Céline,
pour des exemples très connus) était, à l’époque, impensable. Avec ce mythe, la France commence
à oublier une difficile vérité. Dans la période entre 1954-1971, “ le souvenir de Vichy se fait moins
conflictuel....les français semblent refouler cette guerre civile, aidés en cela par l’établissement d’un
mythe dominant : le résistancialisme.”2 Cette version de l’histoire de la France durant la guerre était
1
ROUSSO Henri, Le syndrome de Vichy; de 1940 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 280
2
Ibid. p. 19
Brutz 9
fermement soutenue par l’Etat jusqu’aux années 1990 (Le discours donné en avril 1995 par Jacques
Chirac est vu souvent comme l’aveu officiel du rôle de l’Etat français dans la déportation des juifs
Mémorial de la France combattante, inauguré par De Gaulle lui-même en 1960 et le transfert des
cendres du célèbre résistant Jean Moulin au Panthéon en 1964, par exemple) l’ont renforcée. La
mémoire de Vichy, et surtout le rôle de celui-ci dans la Déportation des juifs de France envers
l’Europe de l’est s’est trouvé cachée par l’histoire “officielle” de l’Etat français.
Cependant, entre 1971 et 1974, “le miroir se brise et les mythes volent en éclats...[Vichy]
se présente comme un retour du refoulé.”3 Le retour du refoulé prend la forme d’une nouvelle
génération, les baby boomers, qui commence à se poser des questions de ce que s’était passé
pendant la guerre et commence à se rendre compte que les réponses à ces questions ne seraient ni
facile à comprendre ni facile à accepter. Parmi ces nouvelles questions, se situe celle du rôle de
l’Etat français dans la déportation des juifs, un rôle qui sera désormais mis en question. La
traduction française de Vichy France de Robert Paxton, l’un des livres le plus puissant sur cette
période, paraît en 1973 et, en 1969, le documentaire Le chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sort au
cinéma. Dans le film, les interviews d’anciens combattants français et allemands, hommes
politiques et fonctionnaires suggèrent qu’il y a eu plus de collaboration avec les nazis que voudrait
avouer l’Etat français ; il est censuré à la télévision française pendant une période de dix années.
Néanmoins, ces premiers ouvrages éventeront la mèche que créera, pour cette nouvelle génération
de français, une véritable obsession de l’histoire de la seconde guerre mondiale. Aller dans
n’importe qu’elle librairie en France, on y trouvera, dans les rayons dédiés à la deuxième guerre
mondiale, les livres sur tous les aspects de la période: la Shoah et la Déportation, la Résistance,
Vichy et le militaire y ont tous leur propre place. Or, une question importante se pose:
L’illumination de la part de la société française sur cette nouvelle histoire du rôle de la France
3
Ibid. p.19
Brutz 10
Théoriquement, la scolarisation que reçoivent les enfants d’une société reflète la pensée
dominante de cette même société. Tel est le cas pour la France; depuis l’ère de Jules Ferry,
l’éducation des enfants français a été conçue comme un outil pour sensibiliser les élèves aux valeurs
républicaines françaises.4 De même, lorsque les faits honteux d’histoire courent le risque de faire
embarrasser l’Etat, ils ont tendance de ne pas apparaître dan les textes scolaires. En ce qui concerne
mémoire collective française s’en souvenait va de pair avec son enseignement à l’école. Dans les
salles de classe, nous retracerons une route de cette histoire “refoulée” qui ne se distingue guère de
En 1959, le programme d’histoire subit ces plus grands changements depuis la fin de la
guerre. Le ministère de l’éducation nationale, pour la première fois, inscrit l’étude des civilisations
au programme en essayant “de permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les
racines des problèmes du temps présent.”5 L’un des personnages qui y a joué un rôle important était
celui d’historien Fernand Braudel. En fait, le programme en est devenu “le programme Braudel.”
Pour lui, afin de “former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent,”
l’inscription d’une étude sur les civilisations mondiales au nouveau programme était le début d’une
“révolution.”6 A partir de la rentrée 1962, ce programme entre en vigueur. Alors que l’occasion
d’aborder la Shoah avec l’histoire de la montée du nazisme se révèle en ce moment (le programme
couvre la période de 1914 à 1945), il n’y a aucune place pour la Shoah, la Déportation ou Vichy.
Le manuel que cosigne Braudel lui-même ne fait référence à ces événements que dans une ligne qui
mentionne seulement, “les groupes ethniques pourchassés par les nazis, juifs, gitans.”7 L’histoire de
4
ALBERTINI, P. L’école en France de l’ancien régime à nos jours, de la maternelle à l’université, Paris, Hachette-
éducation, 2006.
5
BLAUSTEIN, A., La Shoah dans les manuels (1962-1976), Institut national de la recherche pédagogique [En ligne],
page consultée le 11 mai 2010.
6
DAGORN, R.E., “Fernand Braudel et la grammaire des civilisations (1963)”, EspacesTemps.net, 6 octobre 2003.
7
BAILLE, S., BRAUDEL, F., PHILIPPE, R., Le monde actuel, histoire et civilisations, Paris : Belin, 1963
Brutz 11
la France enseignée à l’école restera vague jusqu’en les années 1980. Elle ne deviendra inscrite au
l’éducation nationale pour enseigner l’histoire de ces événements, jusqu’alors ignorés par le
programme officiel de l’Etat. En avril 1979, un groupe d’enseignants, parmi eux plusieurs
pour discuter cet enseignement. Assistant au Colloque aussi sont Olga Wormser Migot, l’une des
premières historiennes de travailler sur la Shoah et la Déportation, et Léon Paliakov, l’un des
d’Orléans, qui incluent les sections intitulées; objectifs, méthodes et formation des maîtres, sont
publiées dans Historiens et géographes, la revue de l’APHG, par François Delpech, alors professeur
“malgré les efforts très réels d’un certain nombre d’enseignants, la place faite à l’étude des crimes
commis par les nazis, par leurs complices et par les divers régimes totalitaires reste très insuffisante dans
l’enseignement français à tous les niveaux.”8
années noires et, de même, à un nouvel ensiegnement du génocide juif n’est que le premier. A sa
suite, ont lieu à Paris en 1979 (“l’Etat, les églises et les mouvement de résistance pendant la
persécution des Juifs”), à Rennes en 1981 (“l’enseignement du génocide juif”) et à Paris à rue
l’extermination des Juifs au cours de la deuxième guerre mondiale”) d’autres colloques qui visent à
DELPECH, F., “La persécution nazie et l’attitude de Vichy”, Historiens et Géographes, no. 273, mai-juin
1979, p. 591-635.
Brutz 12
penser qui finira par l’inscription de la Shoah dans le programme d’histoire en 1985, lors du
l’histoire de la seconde guerre mondiale au programme scolaire. Sous le titre de “Le monde
contemporain,” les élèves apprendront, “la seconde guerre mondiale (1939-1945) et ses
conséquences.”9 Les premiers manuels qui s’y sont conformés ont été publiés dans le début des
années 1960. Le monde contemporain publié en 1962 par les Editions Fernand Nathan essaie
d’envisager globalement les problèmes du XXe siècle en dépassant par la notion de civilisation le
traditionnel exposé des conflits nationaux. Les manuels suivent en cela les analyses des historiens
de l’époque. Selon le texte, une nouvelle “conception scientifique” est née, en Europe, au début du
XXe, “non plus de la civilisation, mais des civilisations.”10 Cependant, le manuel s’arrête avant
d’aborder le sujet de la Shoah. Il n’y aucune mention sauf un extrait d’un livre, L’Europe sans
rivages de François Perroux, à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale qui y fait allusion:
“L’Europe est restée en deçà de son devoir qui était de civiliser le monde et de le gagner à une sagesse
haute et praticable ; c’est avec elle-même qu’elle se débat, ce sont des conséquences lointaines de demi-
bonnes actions et de fautes entières qui l’assaillent aujourd’hui ; elle découvre, peu à peu, que la barbarie
n’est pas aisément localisable et qu’il vaut mieux la considérer comme un mal humain que chacun doit
combattre d’abord en soi-même.”11
Même si cet extrait suscite, à la fois une auto-réflexion profonde sur les événements ou la
qu’il ne précise pas nettement qu’il s’agit de s’interroger sur la Shoah nous montre que, même au
9
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1959
10
BODIN, M., Le monde contemporain, T, Fernand Nathan, 1ère éd. 1962, 2e éd corrigée 1977, 351 p.
11
Ibid. p. 102
Brutz 13
début des années 1960, au niveau de l’éducation nationale, on n’est pas encore préparé à faire face à
situation internationale en 1939,” insiste sur le fait que “Hitler entend faire régner en Europe un
ordre raciste.”12 La page suivante est consacrée à “l’extermination des juifs.” Il n’y a pas beaucoup
de texte consacré par les auteurs du manuel eux-mêmes au génocide, mais ils complètent le cours
par de nombreux documents : la déclaration de Rudolf Höss au procès de Nuremberg dans laquelle
il parle de l’inefficacité des méthodes qu’il a observées à Treblinka et de la décision d’utiliser le gaz
zyklon B à Auschwitz. Les auteurs mettent en avant sa phrase, “nous savions que les victimes
étaient mortes lorsqu’elles cessaient de crier.”13 Un autre extrait vient du récit de Dr. Goude, La
monde” et le fait que la cause de décès pour les détenus était toujours “tentative d’évasion.”14
Cependant, en ce qui concerne le régime de Vichy, les auteurs admettent la culpabilité de Vichy
avec réticence: “la plupart des Français, qui avaient été favorables au début à Pétain, se détachent de
collaboration qui ne fait aucune référence à la Déportation des Juifs de France. On remarque le
progrès fait dans depuis le début de la décennie, mais les omissions restent encore nombreuses dans
les manuels scolaires. Même si le génocide est mentionné dans les textes, il n’est toujours pas
inscrit au programme d’histoire en 1969 qui, comme en 1959, exige l’enseignement de “la seconde
Les manuels que nous avons étudiés montrent une transformation nette du langage et une
tentative pour répondre aux nouveaux questionnements des années 1970. L’inscription de l’histoire
de la Shoah au programme d’histoire apparaît pour la première fois en 1985. Il s’agit, dans les
1
12
DANGUILLAUME Georges, ROUABLE Maurice-Charles, Histoire, Paris, Dunod, 1969, 246 p.
1
13
Ibid. p. 22
14
Ibid.
15
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1969
Brutz 14
classes de première de parler de “l’Occupation et la Résistance dans l’Europe hitlérienne” et “du
guerre mondiale.”16 En 1980, l’éditeur Bordas publie un nouveau manuel d’histoire appelé Histoire
(1914-1945). Le livre est paru avant le programme de 1985, mais l’évocation de la Shoah est déjà
manifeste, les mots pour évoquer la persécution sont désormais très précis. Par exemple, un
paragraphe titré “Les persécutions contre les Juifs.”17 Les extraits de ces lois, celle contre le
mariage entre un aryen et un juif y servent de supports documentaires. Un autre chapitre comprend
une partie appelée “La terreur nazie et camps d’extermination” où sont montrées des images du
En ce qui concerne Vichy, on se trouve plus proche que jamais de l’aveu qu’il a été
complice dans la déportation: “Des milliers de Juifs sont déportés de la zone occupée sans que le
fait suscite de protestation de la part de Vichy,” et “dans la zone non-occupée, Laval fait arrêter et
livrer aux Allemands des réfugiés politiques et des juifs étrangers.”18 Là aussi est montré un extrait
du “premier statut des juifs” du 3 octobre 1940. La partie du texte sur la seconde guerre mondiale
se termine en appelant la guerre “un désastre sans précédent” ajoutant qu’il y avait “une lourde
atmosphère de désespoir en Europe après la guerre.”19 On y voit bien que le langage commence à
se tourner vers la psychanalyse, mais il faudra attendre jusqu’aux années 1990 pour que ce
Un autre manuel, publié en 1988 et, donc, après que la Shoah a été inscrite au programme
génocide.” Deux pages y sont consacrées aux extraits de Mein Kampf, un discours de Himmler aux
1
16
concentration allemands (y figure, pour la première fois, le seul camp d’extermination en France au
Struthof) et des extraits du procès de Nuremberg sur les conditions dans les camps et les
expériences médicales qui y ont eu lieu. Une page est consacrée à la collaboration tandis que quatre
le sont à la Résistance. Les informations sont devenues plus précises : textes sur les expériences
Shoah en même temps au lycée qu’au collège. Il suggère en troisième, “une étude de l’Europe sous
la domination nazie...la politique d’extermination des Juifs et des Tziganes...les extraits du statut
des Juifs, témoignages sur la déportation et le génocide.”20 En terminale, “On insistera sur l'univers
guerre", défaite, régime de Vichy, Libération) permettra d'analyser la nature et le rôle du régime de
libre.”21 Un manuel publié en cette même année, en forme de tableau (tiré de l’ouvrage de R.
Hilberg, La destruction des Juif d’Europe), le nombre de victimes juives du génocide. Les auteurs
évoque le “devoir de mémoire” en demandant, “que faire pour empêcher qu’elle ne renaisse sous
une forme ou une autre?”22 On y parle des “responsabilités” de ce qui s’est passé et aussi du “choc
moral” de la guerre. Ce texte des années 1990 semble avoir entrepris l’auto-réflexion qu’a exigée
celui de 1962. On met le lecteur en garde contre le négationnisme, on plonge dans les détails
gouvernement de Vichy et les tenants de la Révolution nationale n’ont jamais eu pour objectif
l’extermination des Juifs, mais ils n’en ont pas moins été les instruments de la première étape du
génocide.”23 En 1998 on en va un peu plus loin. Une partie du chapitre consacré à la seconde guerre
mondiale avoue la culpabilité de la police française dans la grande rafle du Vel d’Hiv.
20
car, dans une partie titrée “Un monde ébranlé” on voit la phrase suivante: “La guerre a ébranlé en
profondeur les consciences et provoqué un traumatisme sans précédant dans l’histoire.”24 En 2003,
ce langage se répète, mais manière plus ouverte. Un chapitre titré “Le monde en 1945” dit, “le
traumatisme moral est profond après la découverte des camps de concentration et l’utilisation des
l’arme nucléaire.”25 Une autre partie intitulée “Un monde moralement traumatisé” parle du fait que
“jamais une guerre n’avait entraîné un tel traumatisme,” et que “peu à peu, le monde découvre la
réalité de la Shoah.”26 Le chapitre demande au lecteur de se poser des questions sur plusieurs
atomique). Pour conclure, il s’interroge sur une question plus ouverte, mais nous pouvons voir dans
reconnaissance difficile des crimes de guerre commis par les japonais en Asie, haines tenaces entre les
Serbes et Croates dans les Balkans. Encore aujourd’hui et plus que jamais, le devoir de mémoire
s’impose à tous.”27
Nous avons vu qu’elle est une transmission compliquée et que les revendications de certains
ne sont nécessairement pas acceptées par la société entière et que les réflexions de cette même
société sur la Shoah ou le rôle de Vichy pendant la guerre ne sont nécessairement pas traduites
24
ZANGHELLINI Valéry [ Dir ], Histoire terminale L, ES, S , Paris, Belin ,1998, 366 p., p.62
25
LAMBIN, Jean-Michel [Dir.], Histoire 1er S, Paris, Hachette Éducation, 2003, 240 p., p. 10
26
Ibid. p. 16
27
Ibid. p. 16
Brutz 17
d’emblée dans les textes scolaires. Rappelons que la première thèse à être écrite sur la Shoah en
France était publiée en 1951.28 Cependant, il a fallu attendre jusqu’aux années 1980 pour que
Les deux thèmes qui parcourent ces manuels s’opposent. Le “devoir de mémoire” exige que
l’on se souvienne à jamais de la tragédie des crimes nazis pour qu’ils ne renaissent ailleurs. Là
c’est un avertissement contre l’oubli. L’autre, la psychanalyse suppose que l’on avait déjà oublié ou
“refoulé” les horreurs ou “traumatisme” de la guerre dès qu’elle s’était terminée. Néanmoins, parler
de la Shoah en termes du “traumatisme” et du “refoulé” est inapproprié car, même s’il semble
responsabilité de la police française dans la Déportation, rappelons nous qu’il y a, jusqu’à nos jours,
ceux pour qui l’importance de cette histoire et le poids de sa transmission aux générations futures
Nous avons vu aussi comment l’enseignement d’histoire en France s’est développé depuis
la fin de la guerre. Les années 1950 sont marquées par le manque de l’histoire de la Shoah dans les
manuels scolaires. Pendant années 1960 nous voyons les indices à cette histoire dans le langage
avec la mention de la “barbarie” en 1962 et l’inclusion de “l’extermination des Juifs” en 1969. Les
années 1970 nous apportent la rupture entre la version d’histoire de ceux qui ont vécu la guerre et
celle des baby-boomers avec la publication des livres comme Vichy France de Robert Paxton.
Pendant les années 1980 nous voyons l’affirmation de ce que l’on revendiquait pendant les années
1970. L’histoire de la Shoah est finalement inscrite au programme. Les années 1990 et 2000 ont
montré que le débat sur la transmission d’histoire ne s’arrêtera jamais. Il existe toujours des
nouveaux courants de pensée, des nouvelles générations et des nouvelles formes de langage.
Aujourd’hui la continuation du débat prend une nouvelle dimension. Grâce à des vagues
BLAUSTEIN, A., Thèse: L’image des juifs, du judaïsme et d’Israël dans les manuels scolaires de 1959 à nos jours,
28
l’histoire “nationale” telle qu’elle a été enseignée jusqu’à la guerre s’est estompée. A sa place, on
retrouve actuellement la concurrence des mémoires, un phénomène qui se développait dès que la fin
de la guerre (c’est à dire dès que les rescapés ont commencé à témoigner) et qui a permit, par
exemple, des changements du programme scolaire pendant les années 1980. Cependant,
reproduit cet effet, mais sur une échelle plus grande. Les génocides en Arménie, en Bosnie, au
Rwanda revendiquent leur propre place dans l’histoire. Ce qui nous fait nous poser la question:
s’agit-il de mettre l’histoire de la Shoah à côté d’autres génocides afin qu’elle ne se reproduise pas?
Faut-il lui garder son identité spécifique? La question reste ouverte. Au fur et à mesure que les
nouvelles théories sur l’enseignement d’histoire naissent, les nouveaux manuels apparaissent et
Bien que l’enseignement de l’histoire de la Shoah ait lieu principalement dans la salle de
classe, aujourd’hui, la mémoire de la déportation et du génocide juif en Europe se diffuse dans les
endroits de plus en plus nombreux. L’établissement scolaire n’est plus le seul endroit à travers
lequel cette transmission peut s’effectuer. A la disposition du professeur sont de nombreux musées,
dans un deuxième temps, de l’enseignement initial à l’école. Pour le professeur, il s’agit de profiter
de ces divers outils pédagogiques; pour l’historien, leur abondance aujourd’hui suscite plusieurs
questions sur lesquelles nous devrions nous interroger. Non seulement est-il important d’analyser
l’histoire de ces institutions éducatives, mais aussi leur raison d’être. Car, les avis sur l’utilité et
l’efficacité des institutions sont aussi variés que les élèves qui y apprennent l’histoire. A mesure
que l’enseignement de cette histoire se développait depuis les années 1960, ces canaux de diffusion,
eux aussi, ont changé. En choisissant quatre de ces “canaux de diffusion” nous essayerons de
montrer leur diversité en même temps que d’en poser des questions sur leurs objectifs.
de la fondation furent deux motifs. Le premier visa à protéger la culture juive. Les persécutions
Brutz 20
contre les Juifs étaient devenues si angoissantes pendant la guerre qu’une perte totale de la culture
juive fut une peur réelle. Le deuxième voulut rassembler toutes les preuves de ces persécutions et
du génocide pour que, dès la fin de la guerre, ils ne pussent pas être niés. Ses archives furent
indispensables pendant les procès de Nuremberg et ce fut un document fourni par le CDJC qui
vérifia la culpabilité de Klaus Barbie, le Chef du Gestapo de Lyon, de crimes contre humanité en
1987. Logé depuis 1956 au Mémorial de la Shoah, le CDJC tient toujours une place importante
La construction d’un mémorial dédié aux victimes juives des crimes nazis commença en
1953 et fut complétée en 1956. A son début, le Mémorial du Martyr Juif Inconnu ne se composa
que d’un bâtiment dans lequel se situa une crypte contenant des cendres des victimes de tous les
camps de concentration et d’extermination nazis. Sur le fronton du bâtiment furent gravées deux
inscriptions:
En français: “Devant le Martyr Juif Inconnu incline ton respect ta piété pour tous les martyrs, chemine en pensée avec
eux le long de leur voie douleureuse, elle te conduira au plus haut sommet de justice et de vérité.” -Justin Godard
En hébreu: “Souviens-toi de ce que t’as fait l’Amalek de notre Génération qui a exterminé 600 myriades corps et âmes
Le parvis contint aussi un cylindre de bronze qui représente les cheminées des camps
fonctionne aujourd’hui comme l’un des lieux principaux de cérémonies commémoratives chaque
année.
ouvert ses portes au public. Aujourd’hui, le mémorial consiste d’une exposition permanente sur
l’histoire de la Shoah, les salles de lecture pour les chercheurs, un espace multimédia, un auditorium
et, à l’entrée, “le Mur des noms” sur lequel sont écrits les noms de tous les juifs de France déportés
fonction pédagogique du Mémorial, le rôle qu’elle joue actuellement et les problèmes auxquels elle
devra faire face dans l’avenir avec Claude Singer, l’auteur de plusieurs livres sur l’histoire de la
Singer fut le seul membre de l’équipe pédagogique, mais depuis cette année-là, il a remarqué une
forte croissance dans l’intérêt fait au Mémorial. Le Mémorial accueillit entre 1 000 et 2 000
visiteurs pendant sa première année. En 2009, il accueillit 35 000 visiteurs. Actuellement, sept
Chaque année, de nombreux groupes d’élèves y vont avec leur professeur d’histoire,
français, allemand ou littérature pour approfondir le savoir qu’ils ont obtenu à l’école. Selon M.
Singer, la majorité des élèves sont des collégiens, suivis par les lycéens et ensuite les élèves de CM2
qui ne représentent que cinq pour cent du total des visites scolaires. Deux tiers des élèves viennent
de la région parisienne (Ile-de-France et banlieues) tandis que le dernier tiers vient des provinces. Il
est intéressant de noter que, d’après M. Singer, plus de lycéens pourraient fréquenter le mémorial si
l’enseignement de l’histoire de la seconde guerre mondiale n’avait pas lieu en même temps que les
Les options du professeur au Mémorial lorsqu’il décide d’y emmener ses élèves sont
nombreuses et diverses. Menée par un guide, une classe peut participer aux activités suivantes:
Visite générale:
29
En commençant par le Mur des noms, nous sommes confrontés d’emblée par la gravité de cet
événement. Sur le mur sont écrits les noms des 76 000 juifs de France qui furent déportés pendant
la guerre, dont seulement 2 000 revinrent. Souvent les élèves, ayant étudié une victime notoire
comme Hélène Berr ou un rescapé connu comme Simone Veil, essaient de retrouver leur nom sur le
mur. En entrant la crypte, la faiblesse des lumières rend sombre la salle en même temps que
l’atmosphère dans laquelle la visite a lieu. Nous passons aussi par un petit coin du mémorial qui
contient les milliers de “fichiers juifs” utilisés à la foi par les Allemands et le régime de Vichy pour
rafler les Juifs de France pendant l’occupation. Le musée qui couvre l’histoire des Juifs avant et
durant la guerre est plein d’affiches de la propagande nazie (mais aussi française, hongroise,
italienne, etc.). L’histoire de l’étoile jaune est expliquée et nous commençons à comprendre que
cette histoire n’a pas eu lieu que pendant les années 1930 et 1940, mais qu’il s’agit plutôt de
l’aboutissement d’une longue succession d’événements historiques qui ont créé l’antisémitisme. Le
monde concentrationnaire est abordé et nous voyons les vêtements des déportés, leurs cuillères et
leurs étoiles. Alors que nous sommes entrés l’exposition dans l’atmosphère sombre de la crypte,
nous en sortons par la lumière en passant par les milliers de photos des enfants juifs déportés
pendant la guerre. Ce changement d’ambiance nous donne l’impression d’être passé par le noir et
Visite-rencontre:
- Une rencontre avec un témoin permet les élèves d’apprendre l’histoire telle qu’elle est racontée
par une personne qui l’a vécue. Qu’il soit enfant caché, résistant ou ancien déporté, le témoin rend
les événements plus réels aux élèves. Selon la brochure du Mémorial, “de cette manière, la
Brutz 23
rencontre n’est perçue ni comme une leçon de morale ni comme un cours d’histoire, s’inscrivant
témoin avec le passé, la visite rencontre nous semble la plus bénéfique pour les élèves. Cependant,
comme nous le verrons, aujourd’hui, la question de la disparition des témoins est omniprésente.
Visite thématique:
En abordant l’histoire de la Shoah d’un point de vue thématique, les élèves peuvent se concentrer
sur un événement ou un phénomène particulier. Appliquer les faits qu’ils ont appris dans leur
enseignement principal, les élèves seront à même d’approfondir leur étude avec une étude de cas.
La disponibilité des lieux de mémoire tel que Drancy, Auschwitz ou même des mémoriaux dédiés
aux enfants déportés devants des écoles dans le quartier juif de Paris, permet au professeur de
Visite-activité:
A la suite d’une visite, le professeur peut faire participer ses élèves à une activité qui s’appuie sur
les fonds du CDJC. L’appui des archives permet des élèves non seulement de faire un travail
documentaire, mais de se familiariser avec les sources du Mémorial, ainsi renforçant leur
Bien que le Mémorial soit un lieu de mémoire dont de nombreux professeurs se servent pour
effectuer un enseignement approfondi, l’avenir apparaît apporter des inévitables problèmes qui
L’un des problèmes les plus pressants, et peut-être le plus évident, est la disparition des
témoins. Actuellement, une cinquantaine de témoins donnent de leur temps pour parler aux élèves
de leur expérience pendant la guerre. Alors que de grands efforts sont faits pour enregistrer ces
témoignages avant que les témoins ne disparaissent, le manque d’un témoignage direct de celui qui
a vécu la guerre est un fait inévitable. Un autre problème est le volume de visiteurs au Mémorial
chaque année. M. Singer m’a dit que l’équipe pédagogique ont dû commencer à refuser des classes
qui veulent participer aux activités pédagogiques, faute d’espace, d’employés et de témoins. Pour
lui, il vaut mieux refuser des groupes que baisser le niveau d’enseignement offert aux élèves.
Néanmoins, il demeure que le Mémorial est un outil incontournable pour le professeur qui
veut y effectuer une visite. Comme nous avons vu dans les descriptions des visites, l’objectif du
Mémorial n’est pas de faire de la morale, mais de “sensibiliser” les élèves à l’histoire du génocide
juif. Lorsque je lui ai posé la question “quand vous pensez de l’enseignement de la Shoah au sein
du Mémorial, quels sont vos buts pour ceux qui viennent?”, Monsieur Singer m’a répondu, “Que les
visiteurs reçoivent ce qu’ils cherchent, quelque chose en plus de ce qu’ils ont déjà appris sur la
Shoah.”
Voyage d’Auschwitz-Birkenau
En avril 1940, la construction d’un camp de concentration pour l’internement des détenus
politiques polonais fut lancée autour de l’ancienne caserne de l’armée polonaise à Auschwitz.
L’agrandissement du camp fut ordonné par Heinrich Himmler un an plus tard et le deuxième camp
de Birkenau fut construit. A partir du printemps 1942, les convois des Juifs arrivèrent au complexe,
c’était la mise en vigueur de la “solution finale.” Après une sélection, les détenus considérés comme
Brutz 25
aptes au travail furent séparés des autres qui étaient emmenés directement aux chambres à gaz et
exterminés. La Solution finale à l’oeuvre, quatre nouveaux crématoriums furent bâtis en 1943; le
camp atteignit son plus haut degré d’expansion en 1944. En juillet de cette année-là, 95 208
détenus furent recensés, en août, il y en eut 105 168.31 Avec l’arrivée imminente des troupes
soviétiques au début de 1945, les soldats allemands tentèrent à détruire l’évidence du génocide en
échappant vers l’Allemagne. Certains baraquements furent mis à feu et les crématoriums
dynamités. Sur les 1,3 million personnes déportées à Auschwitz, 1,1 million y moururent avant que
mémoire se fit très rapidement après la libération. Même en 1945, les groupes de visiteurs (en
particulier les familles de victimes) venaient pour voir ce qui en restait. En 1946, le camp accueillit
100 000 visiteurs et, en 1947, 170 000.32 Cette même année, une cérémonie marquant l’ouverture
du musée eut lieu. L’exhibition permanente du musée, peu changé depuis une cinquantaine
d’années, fut créée en 1955. Dans ses dix premières années, deux millions de visiteurs et de
pèlerins y passèrent. En 2009, le Musée Auschwitz accueillit 1,3 million de visiteurs, dont 48 000
français.33
Visiter le site de l’ancien camp d’extermination est une expérience émouvante, voire
difficile. Nous permettant de comprendre ce qui s’y passa il y a soixante-dix ans de manière plus
concrète et personnelle, le musée et mémorial à Auschwitz reste un poignant témoignage aux crimes
nazis. Avec un groupe d’étudiants universitaires français, j’ai eu l’occasion d’y aller pour voir ce
qui attend les élèves qui y sont emmenés par leur professeur. Cette visite, organisée par le
3
31
Site web officiel du musée d’Aushwitz: en.auschwitz.org.pl (2010), page consultée le 18 juin 2010,
http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=620&Itemid=49
33
Memorial Auschwitz-Birkenau Annual Report 2009. en.auschwitz.org.pl (2010), page consultée le 18 juin 2010,
http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=620&Itemid=49
Brutz 26
Mémorial de la Shoah, a été effectuée le premier février 2010. Après notre arrivée à l'aéroport de
Cracovie, nous avons voyagé en bus jusqu’à environ trois cents mètres du camp d’Auschwitz II -
Birkenau. C’est là, juste en dehors du camp, que la majorité des détenus français descendaient des
convois arrivés depuis l’Europe occidentale (Ce ne fut qu’en 1943 que les convois arrivaient à
l’intérieur du camp). Nous y avons rencontré une guide francophone et, ensuite, elle nous a fait
suivre le même parcours qu’avaient fait les détenus, entrant le camp à pied au dessous de la tour de
laquelle les gardes allemands surveillaient les nouveaux arrivés. Comme l’avaient fait les détenus
pendant la guerre, nous avons marché à côté de la voie ferrée jusqu’au point de sélection au milieu
du camp. Ici, les détenus jugés “aptes au travail” ont été envoyés envers le bâtiment de stérilisation
et puis aux baraques; ceux jugés de ne pas être capables de travailler ont été envoyés envers les
chambres à gaz. Voir les conditions de vie dans les baraques, les lits partagés entre plusieurs
détenus, les latrines et la pure maigreur des murs qui devait permettre d’entrer la froide et le vent
Après avoir vu les baraques et ensuite le bâtiment de stérilisation, nous avons avancé vers
l’arrière du camp. Là, situé au milieu d’un petit bois tranquille se trouve un panneau sur lequel on
voit trois photos. Ce sont les seules photos connues aujourd’hui du camp lorsque la solution finale
était en marche. Les photos montrent les femmes nues étant forcées envers la chambre à gaz et les
corps des détenus déjà gazés brûlant en plein air. Les photos ont été prises depuis le même endroit
que nous nous trouvions. Bien que les copies de ces trois images fassent partie du musée au
Mémorial de la Shoah à Paris, être là dans le même endroit où elles ont été proses ajoute une
profondeur à l’expérience que l’on ne peut guère trouver dans la salle de classe.
du panneau “Arbeit macht frei” (le travail rend libre), nous nous sommes trouvés encore une fois
derrière le barbelé. Nous avons vu des expositions nationales créées par chaque pays duquel des
citoyens ont été déportés. (L’exposition nationale française fut construite en 1979.) Ensuite nous
sommes allés voir l’exposition permanente qui est logée dans l’ancien hôpital du camp. Cette
Brutz 27
fameuse exposition comprend les tas d’objets pris des détenus lors de leur arrivée au camp.
Derrière des vitrines on voit des cheveux, des poêles, des lunettes et des chaussures, la taille des
génocide. Le dernier arrêt de la visite était la chambre à gaz. Ce lieu, peut être le symbole le plus
sensible aux visiteurs, semblait nous attendre et s’est avéré être une expérience qui a exigé une
est l’objectif d’une telle visite? Cette expérience, quels effets peut-elle avoir sur l’élève? Est-elle
nécessaire pour que l’histoire et la mémoire du génocide juif soient transmises? Les réponses à ces
questions ont toujours fait objet de débat. Dans la communauté juive même, l’utilité du camp en
tant que musée est souvent mise en cause. Je ne parle donc que de mon expérience personnelle à ce
lieu de mémoire.
Se trouver dans le même endroit où des milliers de personnes se sont trouvés avant d’être
exterminés, a évoqué des émotions et des sentiments intimes que l’étude principale que j’ai reçue à
l’école ne savait produire. La visite à Auschwitz m’a rendu plus conscient de cette histoire. Car, il
s’agit non seulement de mieux “comprendre” l’histoire qui s’y est passée, mais de reconnaître sa
réalité. Aujourd’hui, une distance à la fois géographique et temporelle nous sépare de ce qui s’est
passé à Auschwitz. Mais, lorsque nous entrons la chambre à gaz soixante-dix ans après qu’elle a
comment y réagir parce que le fait que nous allons y échapper nous est lucide en même temps que
nous songeons aux autres qui n’ont pas pu faire de même. L’impuissance que nous ressentons
devant cette double certitude paradoxale pèse sur nous ainsi qu’elle nous fait réfléchir à ce qu’ont
ressenti les déportés pendant leurs derniers moments de vie. Elle nous fait comprendre
l’importance de la transmission de cette histoire dont le professeur porte la responsabilité. Or, c’est
là, dans cette réflexion, que le voyage scolaire à Auschwitz démontre son efficacité. Que le
Brutz 28
professeur puisse provoquer ces sortes de pensées profondes dans les esprits de ses élèves est une
Créé en 1990 par rescapé Charles Corrin et son épouse Annie au sein du Fonds Social Juif
Unifié, le prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, “se veut avant
tout un outil pour préserver la mémoire de la Shoah, sa spécificité et son universalité, pour
contribuer à faire comprendre pourquoi et comment Auschwitz, lieu de Mémoire, doit inciter les
nouvelles générations à une réflexion morale et spirituelle.”34 Chaque année les classes de lycéens
et de collégiens soumettent leurs projets à un jury qui leur décerne le prix. Ce jury, composé des
noms notoires de la communauté juive française. (Georges Bensoussan, historien; Philippe Joutard,
parrainage inclut dans ses rangs, Luc Chatel, le ministre de l’Education Nationale, Simone Veil,
rescapée et femme politique française, Serge Klarsfeld, historien et Président de l’Association des
Fils et Filles Déportés Juifs de France, Claude Lanzmann, cinéaste et écrivain et Elie Wiesel,
longue durée qui se concentre sur une sorte d’étude de cas sur la Shoah, ainsi permettant un
En 2009 il y avait trente-cinq classes qui ont participé au concours dont deux lauréats, une
classe de lycée et une de collège ont été choisies. La cérémonie de la remise du prix, à laquelle j’ai
pu assister, a eu lieu à la Sorbonne le 28 janvier 2010. Avant de recevoir leur prix, chaque groupe
d’élèves a expliqué son projet avec un court exposé. Les collégiens, une classe de troisième du
collège Edmée Jarlaud à Acheux-en-Amiénois, a présenté son projet intitulé “La déportation des
3
34
Brochure officielle de la remise du Prix Annie et Charles Corrin 2009, 28 janvier 2010.
Brutz 29
enfants juifs de la Somme.” Une vidéo, ce projet a été créé par neuf élèves après une rencontre
article paru dans un journal régional, “Ce voyage a donc reposé sur plusieurs approches :
mémorielle, citoyenne et culturelle. Cette confrontation à la réalité permet de montrer aux jeunes
qu’ils ont un devoir de mémoire afin d’éviter que de tels actes se reproduisent.” La vidéo des
élèves a retracé l’histoire de trois enfants juifs (Cécile, Georges et Jean-Louis), originaires de la
Somme, de leur arrestation jusqu’à leur mort à Auschwtiz. Elle a mis en avant l’occupation nazie
de la France, la complicité des autorités de Vichy dans la déportation des juifs et les conditions de
Un groupe de lycéens du lycée Pierre Bourdieu à Fronton a effectué un projet basé sur Le
journal d’Hélène Berr, une jeune étudiante parisienne et juive qui a été arrêtée et ensuite déporté à
Auschwitz et puis finalement à Bergen-Belsen où elle est morte en 1945. Le projet intitulé “Hélène
Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation,” a visé à retracer les pas d’Hélène dans un
Paris occupé pendant un voyage pédagogique de trois jours en avril 2009. Avec les supports du
Mémorial de la Shoah et une rencontre avec Mariette Job, la nièce d’Hélène Berr, la classe a créé un
reportage d’une centaine de pages sur leur voyage. Une partie de ce reportage se compose des
“Ce voyage nous a donc permis de retracer le quotidien d’une jeune femme vivant à
Paris, ayant la même vie que des millions de jeunes de son âge, mais ayant le malheur d’être
juive. Ce quotidien que des millions d’hommes et de femmes ont vécu, mais que peu ont
racontés par leurs écrit, jusqu’à leur déportation, et souvent leur extermination.”
- Marion Abella, 1° ES 2
“Elle peut être considérée comme le porte-parole de tous les autres juifs, tziganes…, qui n’ont pas pu laisser de traces
de leur existence et de leurs douleurs. Des hommes et des femmes que nous avons le devoir de ne de ne pas oublier.”
- Fatiha Afkir, 1° ES 2
“J'imagine la vie d'Hélène Berr dans ce Paris de 1942, une étudiante de 21 ans au
commencement de sa vie, avec ses amours, ses envies. Je comprends son attirance pour le
Jardin du Luxembourg, un endroit qui m'a paru très calme et où j'aurais aimé rester, ainsi que
sa tristesse lorsque ses promenades sont gâchés part le port de l'étoile jaune comme dans le
petit square derrière Notre Dame.”
- Lucie Antagnac, 1° ES2
“La rencontre avec Mariette Job, la nièce d'Hélène Berr, a également été riche en
Brutz 30
enseignements sur sa quête pour retrouver le journal... Ce voyage aura donc été très intéressant et le souvenir d'Hélène
Berr restera pour toujours gravé dans un coin de ma mémoire.”
- Céline Brunet, 1° ES°2
“Une fois entré au Mémorial [de la Shoah], on a visité une salle où était affichée les photos d'environ 3000 bébés et
enfants déportés, on réalise alors l'indifférence, la cruauté des troupes nazies envers les familles déportées... Au final,
on se rend compte grâce à ce voyage qu'il s'agissait d'une jeune fille, comme toutes les autres, qui voulait profiter de sa
vie, de sa jeunesse, et surtout qui était bien intégrée dans la société française.”35
- Ilhame Hadi, 1° ES 2
Les effets positifs de ces deux projets sur l’histoire de la Shoah sont évidents; ils exigent à la fois
une compréhension profonde des événements et une réflexion individuelle sur la déportation et
l’extermination des Juifs qui n’auraient pas eu lieu dans un enseignement effectué uniquement à
l’école. Etudier la Shoah à travers les événements qui se sont passés dans les mêmes locaux où
vivent actuellement ces élèves, c’est apprendre l’histoire de manière plus personnelle. La réalité de
la Shoah, souvent rendue floue par le décalage du temps, s’éclaircit avec cette sorte d’enseignement
supplémentaire.
Créé en 1961 par Lucien Paye, alors Ministre de l’Education Nationale, le Concours
collège et de lycée peuvent participer. A la différence du Prix Annie et Charles Corrin qui se
concentre uniquement sur l’histoire de la Shoah, chaque année un thème portant sur la Résistance
ou sur la déportation est choisi par un comité et traité par les participants. Selon le site internet du
Ministère de l’Education Nationale, ce concours “propose aux élèves de travailler sur l’histoire de
d’éducation civique.”36 Le premier thème portant sur la déportation voit le jour en 1965 pour le
35
Hélène Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation, projet de classe de première du Lycée Pierre Bourdieu,
page consultée le 15 juin 2010, http://www.prixcorrin-fsju.org/jury/downloads/pierre-bourdieu/pierre-bourdieu-
projet.pdf
36
Brutz 31
vingtième anniversaire de la libération des camps de concentration. Depuis cette année-là, la
déportation ou la Shoah a paru comme thème du concours tous les deux ans. Nous avons inclus ci-
Les prix du concours sont remis par un jury sélectionné dans chaque département français (y
compris les DOM-TOM). Ensuite les projets gagnants sont envoyés au jury national à Paris où un
gagnant national et choisi. Il est évident qu’un tel concours national permet aux élèves et leur
professeur d’entreprendre un projet qui, sans doute, approfondira leur connaissance de la Shoah et
de la seconde guerre mondiale. Cependant, en ce qui concerne les “canaux de diffusion” de cette
histoire, il est important de noter que le Concours de la Résistance et de la Déportation, ayant été
d’années d’histoire, ce concours tient une place très importante dans l’enseignement de la Shoah à
l’école. En 2010, 810 lycées, soit 9 791 lycéens y participèrent.38 Les organisations qui le parrainent
sont divers et nombreux et fournissent des supports annuels dont le concours jouit. Parmi les
Comité français de Yad Vashem, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, la Fondation pour la
Il va sans dire qu’à l’instar des autres canaux de diffusion, le Concours national de la
de classe. Le fait d’être le plus grand concours pédagogique portant sur l’enseignement de la Shoah
nous permet de reconnaître l’impact positif que ce type d’étude peut avoir sur les élèves. Cadrés au
sein d’un concours national, les travaux des élèves sont inspirés à la fois par l’histoire qu’ils
étudient et l’esprit de compétition. Cette occasion de faire travailler les élèves plus profondément
38
Histoire et mémoire de la Shoah à l’école, destiné aux professeurs d’histoire.39 Dans ce texte,
élaboré avec la participation de nombreux historiens et personnalités, les directives sont disposées
en forme des “orientations pédagogiques.” L’avant-propos, écrit par Simone Veil, est adressé
directement aux professeurs et il esquisse les enjeux qu’ils doivent considérer dans leur
enseignement:
J’ai trop de respect pour les enseignants et pour la mission essentielle qu’ils accomplissent pour ne pas savoir
combien l’enseignement n’est pas seulement une affaire de théorie pédagogique, mais bien un travail, souvent collectif,
qui prend en considération les réalités sociales et culturelles dans lesquelles il intervient. C’est pourquoi je suis
convaincue que vous saurez transmettre notre histoire en évoquant le destin des enfants victimes de la barbarie nazie
comme celui des enfants qui furent cachés et sauvés par les « Justes ». Vous montrerez ainsi que l’Histoire est constituée
d’une longue chaîne de responsabilités, individuelles et collectives, et que chacun de nous en est un maillon précieux.
Parmi les autres directives sont les exigences que le professeur ait, “un niveau de connaissances tel
qu’il puisse faire face aux questions, aux affirmations comme aux incompréhensions des élèves,”
de la “passivité” et du “génocide” et qu’il insiste sur les valeurs républicaines françaises qui sont
“inscrites dans l’histoire nationale,” et “sont symbolisées dans la devise républicaine et sont
L’appel au témoin est fait, disant que “cette parole et capitale” en même temps que l’appel à
une “pédagogie ouverte” insiste sur un regard plus large sur le monde:
39
Histoire et mémoire de la Shoah à l’école, Guide pédagogique (Ministère de l’Education nationale.), CNDP,
2008, 39 p.
Brutz 34
“S’il est possible de conjuguer une éducation au jugement inhérente à toute leçon d’histoire avec une éducation à l’éveil
critique sur le monde environnant, la vigilance contre les retours possibles de la barbarie ne saurait se réduire à cette
seule somme de connaissances et de conscience critique patiemment édifiée, que l’on nomme culture ; il faut de surcroît
penser autrement l’autre et l’ailleurs, et appréhender la diversité culturelle comme l’essence même de l’humanité. Une
éducation ouverte sur le monde, sur l’autre et l’ailleurs est un des meilleurs remparts contre les préjugés et le racisme.”
Vers la fin du document se trouve les recommandations des lieux de mémoire, y compris la Maison
Concours national de la Résistance et de la Déportation, le Fonds Annie et Charles Corrin (le prix
Corrin pour l’enseignement de la Shoah) et Yad Vashem. Faisant référence aux majeurs problèmes
historiographiques, aux institutions qui lui sont disponibles et aux enjeux globaux de
l’enseignement du sujet, ces repères pédagogiques fournit le professeur d’une base solide sur
Cependant, dans une étude qui porte sur l’enseignement, l’un des éléments à la fois le plus
important et le plus ardu à cerner est celui du rôle que joue le professeur dans sa salle de classe.
Nous insistons sur le “sa salle de classe” car, derrière les portes fermées, le professeur se comporte
et enseigne ce qu’il veut, quand il veut, en tant qu’individu, ainsi rendant toute mesure de son
exercice forte compliquée. Une étude de cette sorte aura donc un niveau d’incertitude lié à la liberté
que possède le professeur. Cette liberté peut se manifester de manières très différentes. Les formes
pédagogiques qu’il emploie sont aussi diverses que ses élèves et, souvent, il en emploiera une ou
plusieurs en même temps. Alors, une myriade de questions s’y posent: Enseigne-t-il directement du
manuel scolaire? Exploite-il d’autres ressources pédagogiques comme des films, des romans ou
même des bandes dessinées? Pratique-t-il des approches interdisciplinaires? Quelles sont ses
propres opinions sur le sujet qu’il enseigne? Pense-t-il que le traitement du sujet soit suffisant? Le
professeur, nous nous sommes résolus à élaborer un questionnaire et puis à l’envoyer à une
trentaine de professeurs (les noms et adresses ont été fournis par l’équipe pédagogique du Mémorial
de la Shoah) traitant le sujet de la Shoah lors de leurs cours d’histoire. Basé sur celui qu’ont créé
Henry Rousso et Eric Conan dans leur livre, Vichy, un passé qui ne passe pas, notre questionnaire
va au delà des contraintes de ce dernier.40 Ayant été fait il y a quinze ans, le questionnaire de Rousso
et Conan ignore que les nouvelles technologies ont fait évoluer l’enseignement profondément.
L’accès qu’ont les élèves ont aujourd’hui à cette histoire est presque illimité. La parution des
nouveaux livres, films et théories, l’évolution du débat public font que des nouvelles questions sont
nécessaires. Voici les deux questionnaires, on mesurera leurs ressemblances et leurs différences.
2.) Diriez-vous par exemple que cette période est mieux traitée qu’avant 8.) Que pensez vous de certaines directives ministérielles
ou non? AU plan qualitatif? Au plan quantitatif, c’est à dire quant à sa conjoncturelles (diffusion systématique de certains films comme Nuit et
place dans le programme et dans l’enseignement effectif? Brouillard, leçons ad hoc...) face à en événement d’actualité lié à la
mémoire de l’Occupation : procès Barbie, arrêt Touvier, mort de
Bousquet...? L’Education nationale vous semble-t-elle en phase avec ce
qu’il conviendrait de faire de votre point de vue pour sensibiliser les
élèves?
3.) Les reproches récurrents sur la “faible” part de cette période dans 9.) Que pensez-vous du Concours général de la Résistance et de la
l’enseignement secondaire vous semblent justifiés? Déportation? Vos élèves y participent-ils?
4.) Y consacrez-vous vous-même une part substantielle lorsque vous 10.) Dans votre académie, des sujets concernant la guerre ont-ils été
avez à l’enseigner ou êtes-vous pris dans la logique du programme et des donnés souvent au bac ces dernières années? Avec quels effets (trop
examens? Cette période est-elle plus volontiers que d’autres l’occasion difficiles, trop brûlants, trop peu étudiés en amont ou au contraire en
de travaux en dehors de la classe, ou de travaux en commun avec phase avec le contenu des enseignements...) ?
d’autres enseignants?
5.) Quels manuels utilisez-vous de préférence, et que pensez-vous de la 11.) Vous êtes vous-même spécialiste de ces questions donc
manière dont cette période y est traitée? Existe-t-il encore des tabous, certainement plus attentif à la place de la seconde guerre mondiale dans
des silences, des sujets peu explorés, ou au contraire des sujets qui l’enseignement. Avez-vous l’impression que vos collègues pourraient
occupent une trop grande place? Bref, pensez-vous que le traitement des répondre de la même manière à ce questionnaire (le cas échéant, vous
faits est équilibré - sinon “objectif” - en regard de votre propre pouvez bien entendu le leur communiquer?
connaissance d’historien de la période.
6.) Quelle est l’attente des élèves sur ces questions? La curiosité, d’un
côté, l’ignorance ou la persistance de clichés, de l’autre, sont-elles plus
importantes, égales, inférieures que pour d’autres périodes de l’histoire
40
ROUSSO, H., CONAN, E., Vichy un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994. p. 362-363.
Brutz 36
2.) Diriez-vous que cette période est mieux traitée 10.) Quels livres conseillez-vous à vos élèves pour aborder la
qu’auparavant ou non? Au plan qualitatif? Au plan Shoah?
quantitative, quant à sa place dans le programme et dans - un livre d’histoire?
l’enseignement effectif? - un témoignage? Si oui, lequel?
- un roman ou un récit? Si oui, lequel?
3.) Y consacrez-vous vous-même une part substantielle 11.) Quels films citeriez-vous par ordre d’importance sur le
(combine de séances par exemple) lorsque vous avez à sujet?
l’enseigner ou êtes-vous pris dans le logique du programme
et des examens? Cette période est-elle plus volontiers que
d’autres l’occasion de travaux en dehors de la salle de classe,
ou de travaux avec d’autres enseignants?
4.) Quels manuels utilisez-vous de préférence et que pensez- 12.) Quelle différence faites-vous entre la présentation de la
vous de la manière dont cette période y est traitée? Existe-t-il Shoah au collège et au lycée?
encore des tabous, des silences, des sujets peu explorés, ou au
contraire des sujets qui occupent trop grande place? Bref,
pensez-vous que le traitement des faits est équilibré en regard
de vos propres connaissances de la période?
5.) Employez-vous d’autres outils en dehors de la salle de 13.) Selon vous, la rafle du vélodrome d’hiver, qui en porte
classe pour sensibiliser vos élèves au sujet, voyages la responsabilité?
mémoriaux, musées ou lieux de mémoire par exemple? Si
oui, lesquels?
6.) Pratiquez-vous les approches interdisciplinaires? Si oui, 14.) Est-il pertinent ou judicieux de mettre en perspective la
lesquelles? Shoah avec un génocide plus contemporaine et pourquoi?
7.) Selon vous, faut-il emmener vos élèves à Auschwitz et 15.) Si vos élèves disent que la Shoah est une vieille histoire
pourquoi? et qu’aujourd’hui il se passe en Afrique des choses plus
graves, que leur dites-vous?
8.) La présence continuelle de cette période dans l’actualité, 16.) Y a-t-il dans la vie courante, dans votre milieu
en particulier à la télévision et sur internet, a-t-elle des effets professionnel ou dans la société en général, un phrase, une
sur votre enseignement, sur la réaction des élèves et celles réflexion que vous trouvez particulièrement inacceptable
des parents? Si oui, lesquels? lorsqu’on parle de la Shoah?
Les questions posées dans notre questionnaire portent sur trois grands thèmes: le sentiment du
professeur à l’égard du traitement actuel de l’histoire de la Shoah; les pratiques pédagogiques qu’il
Brutz 37
emploie lui-même; son avis sur l’avenir de cet enseignement. (Différences des deux
questionnaires?)
Les questions portant sur les sentiments personnels du professeur ont produit des réponses
très variées, voire contradictoires. Pour une professeur, “les manuels scolaires me semblent parler
mais ils “oublient tant de choses,” tandis qu’une autre dit, “les manuels sont plus précis, l’appel aux
témoins est recommandé par le rectorat, les parents y sont favorables, les élèves sont très intéressés,
certains enseignants trouvent qu’on en fait trop!” L’influence des médias a montré d’autres
différences d’opinion. Alors qu’un professeur évoque le côté négatif de la disponibilité des
informations diffusées à la télévision et sur internet, une autre dit “le cinéma peut concrétiser cette
période” et une autre dit qu’elle y a “un intérêt positif car il m’arrive souvent de m’en servir.”
responsabilité de Vichy. A la question, “selon vous, la rafle du Vélodrome d’Hiver, qui en prote la
responsabilité?” tous ont eu des réponses semblables, par exemple “les autorités françaises”, “l’Etat
Quant aux méthodes pédagogiques pratiquées par les professeurs, nous y voyons une
confirmation de la difficulté posée par une étude de cette sorte. Chaque professeur nous a fournis
une liste de lectures qu’ils proposent à leurs élèves; en dépit de certains chevauchements, il existe
un désaccord par rapport au niveau de l’adéquation pour les élèves. Une professeur cite les
ouvrages de Fred Uhlman, Hélène Berr ou Wladyslaw Szpilman tandis qu’une autre cite les
ouvrages de Francine Christophe, Charlotte Schapira et Frania Eisenbach. Un troisième cite Primo
Lévi et des ouvrages de Georges Bensoussan. Une explication simple de ces contrastes de choix de
réfléchissant au genre de ces livres, nous pouvons déterminer, même si cela n’est pas explicitement
dit dans les réponses, que les conceptions de cet enseignement spécifique diffère selon les
Brutz 38
enseignants. Certains de ces livres sont de la fiction qui porte sur une expérience vécue, tandis qui
d’autres sont des vrais récits de la France occupée ou du camp d’extermination à Auschwitz. Ce
phénomène se retrouve aussi dans le choix de films que font les enseignants. Les films varient des
“classiques” comme Au revoir les enfants Louis Malle, Nuit et brouillard d’Alain Resnais, De
Nuremberg à Nuremberg de Frédéric Rossif et Shoah de Claude Lanzmann aux nouveaux comme
La rafle de Roselyne Bosch (sorti en 2010). Encore une fois, cette variété de choix peut s’expliquer
par la diffusion massive de films aujourd’hui41 mais il ne faut pas ignorer l’influence de la volonté
du professeur.
Un autre domaine des méthodes pédagogiques utilisées dans l’enseignement de la Shoah est
l’emploi des ressources qui se trouvent en dehors de la salle de classe. Là aussi, les opinions des
enseignants divergent. Bien que l’accès à toutes ces ressources ne soit pas tout à fait égal (pour les
raisons financières, géographiques, etc.), les réponses du questionnaire nous indiquent qu’en dépit
des inégalités devant ces ressources, le choix entre l’un ou l’autre est strictement lié au désir et à
l’avis du professeur. A la question portant sur les voyages scolaires à Auschwitz, un professeur a
répondu qu’il est nécessaire “pour qu’ils soient davantage sensibilisés” tandis qu’une autre réplique,
“Auschwitz est fondamental, mais ne peut être imposé à tous.” Pour un troisième, l’ambiguïté est
évidente: “Je ne l’ai pas encore fait, mais pourquoi pas?” Deux professeurs ont fait référence à la
autre nous dit, “non, et je trouve cela dommage.” Parmi d’autres réponses, Drancy, le Mémorial de
la Shoah, le Mémorial de Caen et le cinéma sont souvent cités comme des sorties extérieures les
relativement nouvelle à tout niveau du système éducatif français, est bien à l’oeuvre dans les
établissements scolaires. Bien évidement, toutes ces méthodes interdisciplinaires se diffèrent selon
41
“Je travaille ce sujet en interdisciplinarité avec l’enseignant de français. Cette année, nous avons travaillé sur ce
sujet sur deux classes: histoire (moi), plus deux professeurs de français, un professeur d’anglais et le chef de
l’établissement, partant du film allemand La vague, pour aboutir à la projection du film La rafle, les élèves ont
Il n’y avait qu’un professeur qui a admis le manque de l’interdisciplinarité à son établissement.
L’avenir de l'enseignement est l’un des sujets qui suscitent de vifs débat aujourd’hui.
Plusieurs des questions du questionnaire portent sur ce thème et les réponses démontrent une
dissension très marquée parmi les répondants. La première question sur l’inévitable disparition des
“Je pense que cependant que la vigilance mieux organisée qu’ailleurs, par les victimes de la Shoah et par leur
descendants, préserve son oubli. Je constate que tout s’oublie (ce qui fait parmi d’autres raisons, qu’elles se répètent)
mais j’espère que l’opiniâtreté des vigiles s’accentue dans toutes les tragédies. Cependant, quand les enfants et les
petits enfants des déportés disparaîtront, je crains l’oubli.”
Un autre réplique, “Les témoins tiennent une grande place dans l’intérêt des élèves et leur prise de
conscience; leur “disparition” se fera sentir, il faut déjà y réfléchir.” Cependant, lorsqu’il s’agit de
génocide plus contemporain et pourquoi?), les réponses deviennent disparates. Pour un professeur
la spécificité du génocide juif est nette. “La Shoah a une spécificité: planifiée, massive,
“Oui, même si quantitativement le nombre des victimes est égal ou inférieur, ma même logique les détermine,”
réplique-t-elle. “Ce qui me frappe, c’est que les éveilleurs de l’esprit critique se limitent à la Shoah, ce qui être limitatif,
voire discriminatoire. Il devraient se faire les défenseurs plus ciblés de toute victime d’un totalitarisme. Mais les
enjeux actuels ne les ouvrent pas aux autres victimes.”
Brutz 40
Selon un autre, “oui pour sensibiliser les élèves à la vigilance.” Nous y apercevons les deux côtés
du spectre d’un vif débat actuel dans le monde de l'enseignement et nous voyons bien les
complexités de l’argumentation.
Les résultats de ce questionnaire témoignent, comme nous l’avons déjà dit, de la difficulté
de quantifier les pratiques qu’emploie le professeur dans sa salle de classe. En dépit de ce qui est
inscrit dans le programme d’histoire du Ministère de l’Education Nationale, lorsque les portes se
referment derrière l’enseignant, la transmission de cette histoire repose sur sa volonté et sa liberté
comme professeur. L’enseignement de l’histoire de la Shoah variera de l’une classe à une autre,
quels que soient les films, les livres, les voyages scolaires ou autres ressources choisis, rendant une
A la lumière des entretiens que nous avons eus avec différents enseignants, il nous semble
qu'aujourd'hui, l'explication historique de la Shoah comme point ultime d'un mécanisme totalitaire
est de plus en plus accompagnée de récits de parcours individuels, d'Anne Franck à Primo Levi,
Ette Hilsum ou Hélène Berr. Insensiblement l'analyse cède le pas à une évocation mémorielle dont
la force émotionnelle est sans égal. Enjeu d'enseignement, la Shoah se trouve ainsi au carrefour de
l'Histoire et de la mémoire. Ce que rappelle Philippe Joutard dans le fascicule du CNDP consacré à
l'enseignement de la Shoah:
“La mémoire et l’histoire sont deux approches du passé que la Shoah sollicite dans leurs différences
et leurs complémentarités. La mémoire a un rapport direct, affectif avec le passé, puisqu’elle est
d’abord individuelle. La mémoire abolit la distance temporelle, à plus forte raison quand une
personne a subi un traumatisme qui marque à jamais sa vie, ce qui est le cas non seulement des
quelques rescapés des camps d’extermination, mais aussi des enfants cachés, de ceux qui n’ont
jamais revu leurs parents. La mémoire trans-mise aux enfants transforme une mémoire personnelle
en mémoire familiale. Cette transformation peut s’effectuer dans un groupe plus large par des
témoins et/ou des acteurs directs, des récits, oraux, écrits, mis en images fixes ou animées, et
contribue à cimenter l’unité du groupe. On parle alors d’une mémoire collective ou partagée. La
Brutz 41
contre-partie de la proximité est l’extraordinaire sélectivité de la mémoire. L’oubli est donc la
condition même de la mémoire, soit parce que le fait apparaît comme insignifiant ou au contraire
trop lourd et trop difficile à porter. Lorsqu’on n’occulte pas un fait on peut aussi le déformer. Ce qui
est vrai
de la mémoire individuelle, l’est aussi de la mémoire collective. L’histoire instaure une distance ;
dans la très grande majorité des cas, l’historien n’a pas vécu le passé qu’il décrit, le lien affectif et
personnel n’est pas spontané. Mais surtout sa démarche d’étude l’oblige à prendre du recul, à se
défaire de ses préjugés, à déceler le vrai du faux. Il doit utiliser toutes les sources, toutes les traces
possibles de la réalité et les croiser et les confronter pour tenter de reconstituer le déroulement des
faits. Il doit ensuite placer les faits dans leur contexte, mettant en valeur continuités et ruptures. Il
lutte ainsi contre un des dangers majeurs de la perception du passé ; l’anachronisme, autrement dit,
n’existait pas, comme si les gens d’hier pensaient comme ceux d’aujourd’hui. S’il y a une réalité qui
impose une collaboration étroite entre ces deux approches du passé, c’est bien le génocide des Juifs.
Les témoins n’apportent pas seulement le fruit de leur expérience et de leurs émotions, mais ils
perversité du système qui associe les victimes à leur propre destruction morale et physique. Sans la
mémoire, des phénomènes comme l’accueil des enfants cachés risquaient de passer inaperçus. Mais
l’histoire est tout aussi nécessaire. Elle est établissement de la vérité, croisant les preuves et les
témoignages, recherchant les différentes sources d’archives. Elle permet de démonter des
entreprises de falsification, de mettre en garde contre quelques récits très minoritaires de pure
fiction. Le travail historique systématique donne aux témoignages tout leur prix en les replaçant
dans leur contexte historique qui place l’extermination au centre d’un système idéologique et
politique.”
Brutz 42
Ce commentaire sur le rôle que jouent l’histoire et la mémoire dans leur ensemble fait partie
du livret pédagogique que le Ministère de l’Education nationale offre aux professeurs. A partir de
ce texte nous pouvons déduire que les pistes sur lesquelles la mémoire collective se construit sont
bien placée à la disponibilité du professeur. Alors, qu’en fera-t-il? Là, comme le questionnaire
l’atteste, tout repose sur la volonté de celui qui obtient le droit d’entrée dans la salle de classe.
Brutz 43
Conclusion
Au cours de la cinquantaine d’années que cette étude a suivie, plusieurs grands thèmes sont
apparus. A la fois historiques, politiques et culturels, les conséquences de cet enseignement sur la
société française nous font remarquer les profondes transformations qu’a subies cette société au fur
et à mesure que l’histoire de la Shoah, en particulier le rôle de l’Etat français, s’est diffusée pendant
la deuxième moitié du vingtième siècle. Parmi ces thèmes, il y en a deux qui nous semblent
importants à signaler.
transmission de la mémoire qui se sont multipliés au cours des vingt dernières années. (Une preuve
évidente en est la forte hausse de la fréquentation des visites scolaires au Mémorial de la Shoah
entre 1994 et 2009.) Cette période est notamment marquée par trois événements fondamentaux.
Le premier a lieu en 1985 avec l’inscription de la shoah dans les programmes scolaires du
Ministère de l’Education nationale. Le second, dix ans plus tard, est le discours de Président
Jacques Chirac en juillet 1995 commémorant la grande rafle du Vélodrome d’Hiver : pour la
première fois, un chef de l’Etat français reconnait la complicité de l’Etat dans la déportation des
Juifs de France vers les camps de concentration et d’extermination nazis pendant l’occupation de
1940 à 1944. Le troisième, enfin, réside dans la proposition très controversée faite par le président
Sarkozy en 2008 de faire “adopter” par chaque élève de CM2, un enfant déporté pour retracer son
histoire, de l’avant guerre jusqu’à son extermination à Auschwitz. Cette initiative de l’Elysée
montre la trace profonde que la mémoire de la shoah laisse en ce début de siècle sur la société
communauté juive d’y souscrire ont enterré le projet mais ont également mis en lumière la place
Charles et Annie Corrin,) et des musées français comme la Maison d’Izieu à Lyon, le Mémorial de
la Shoah à Paris, le Mémorial de Caen) et à l’étranger -Yad Vashem en Israël musée d’Auschwitz
en Pologne, The United States Holocaust Memorial Museum à Washington D.C.)- ont contribué à
qui entreprend cette histoire avec ses élèves et qui désormais n’est plus guidé comme le passé par
question suivante: cette “réussite” n’a pas seulement modifié la vision de l’histoire de la guerre en
mettant en valeur les responsabilités françaises dans l’extermination, n’a-t-elle pas également
modifié le propos initial de ceux qui dès le lendemain de la guerre souhaitaient que l’évocation de
l’extermination serve à la dénonciation de tous les génocides et de tous les totalitarismes? A la fin
des années 1950, le programme “radical” d’historien Fernand Braudel, avait proposé d’inclure
l’histoire européenne dans un contexte mondial. Dans les textes scolaires des années 1960, les
chapitres traitant du génocide lui donnaient un caractère universel, sinon européen Au cours des
années 1970, l’éclatement du mythe résistancialiste a amené simultanément le monde enseignant (le
colloque à Orléans en 1979) et la communauté juive à exiger une nouvelle version de l’histoire de la
Les historiens voulaient mettre en lumière le rôle du régime de Vichy dans la déportation
des juifs de France, la communauté juive, de son côté, tout en faisant connaître le rôle génocidaire
de Vichy, ira un peu plus loin, visant à donner au génocide une spécificité juive. Nous avons vu
dans les manuels scolaires, depuis l’inclusion du génocide au programme de 1985, l’évolution du
langage dans les textes. Aujourd’hui, la focalisation sur l’extermination des juifs présentée à juste
titre comme le plus grand génocide du siècle a eu également comme conséquence l’oubli ou du
Brutz 45
moins la mise en retrait des autres génocides du siècle souvent ainsi qualifiés du bout des lèvres et
en tout état de causes toujours considérées comme fondamentalement différents du génocide juif.
Peu à peu on a ainsi quitté l’universalité du génocide du départ pour arriver à définir une spécificité
d’un génocide qui diffère des autres. De même, dans la dénomination française du génocide, le mot
“Shoah”, un mot hébreu signifiant cataclysme ou catastrophe, l’a progressivement enfermé dans son
La transformation qu’a subie l’enseignement de la Shoah de 1945 à nos jours est ainsi
symptomatique d’une plus grande transformation sociale occidentale qui s’éloigne de l’universalité
européenne qui était au cœur de l’enseignement des années 1950 et dans l’esprit même de la
hétérogène des habitants de l’Hexagone. Nous retrouvons un bon exemple dans le succès remporté
par les Euro-palestiniens lors des élections européennes de 2004, récoltant parfois plus de 20% des
suffrages dans certaines villes des banlieues parisiennes. Le discours antisioniste, antisémite et
négationniste de leurs candidats comme l’humoriste Dieudonné montrent un rejet d’une histoire de
la Shoah spécifiquement juive. La Shoah devient donc un objet de dérision, un mensonge. D’où
nous constatons les sentiments convergents qui forment le fondement de la concurrence des
mémoires. Maghrébins, Noirs ou Arméniens ont tous réclamé des lois mémorielles reconnaissant
des génocides et l’inclusion dans les manuels des références à leur propre histoire.
dans l’immédiat après-guerre, est celle de la constitution d’une mémoire républicaine unifiée, la
deuxième, entre 1970 et 2000 est celle d’une mémoire qui s’est peu à peu focalisée sur la
spécificité juive du génocide; la troisième et la plus récente est celle de la mémoire multipolaire,
dans laquelle se retrouve une panoplie de groupes qui réclament l’intégration dans la mémoire
collective de leur propre histoire, indigènes de la république évoquant les crimes de l’esclavage ou
Brutz 46
de la colonisation, maghrébins revendiquant la reconnaissance des crimes de l’armée Française, etc.
L’évolution de l’enseignement de la Shoah se révèle ainsi comme le prisme d’une société française
peu à peu amenée à reconnaitre les facettes multiples d’une mémoire longtemps tenue pour unique
Bibliographie
BROWNING, C., Les origines de la solution finale: L’évolution de la politique antijuive des nazis
setembre 1939-mars 1942, Paris : Les Belles Lettres, 2007, 1023 p.
PALIAKOV, L., Auschwitz, Paris : Julliard, 1964, 317 p.
PAXTON, R. O., La France de Vichy, Paris : Seuil, 1973, 375 p.
SINGER, C., Le Juif Süss et la propagande nazie. L’Histoire confisquée, Les Belles Lettres, 2003.
WIEVIORKA, A., L’ère du témoin, Paris : Hachette, “pluriel”, 2002
La Shoah à l’école
ALBERTINI; P., L’école en France de l’ancien régime à nos jours, de la maternelle à l’université,
Paris, Hachette-éducation, 2006.
BLAUSTEIN, A., Thèse: L’image des juifs, du judaïsme et d’Israël dans les manuels scolaires de
1959 à nos jours, Université de Montpellier III, 2008.
BLAUSTEIN, A., La Shoah dans les manuels (1962-1976), Institut national de la recherche
pédagogique [En ligne], page consultée le 11 mai 2010, http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/enjeux-de-
memoire/Shoah-et-deportation/reflexions-generales/la-shoah-dans-les-manuels.
BORNE, D., “L’histoire du XXe siècle au lycée. Le nouveau programme scolaire de terminale.
Vingtième siècle, no. 21, janvier-mars 1989, p. 101-110.
DAGORN, R.E., "Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963).", EspacesTemps.net,
06.10.2003, page consultée le 20 mai 2010, http://espacestemps.net/document639.html
Brutz 48
DELPECH, F., “La persécution nazie et l’attitude de Vichy”, Historiens et Géographes, no. 273,
mai-juin 1979, p. 591-635.
ERNST, Sophie, Quand les mémoires déstabilisent l’école, Lyon : INRP, 2008, 344 p.
SINGER, C., L'Université libérée, l'Université épurée (1943-1947), Les Belles lettres, 1997.
WIEVIORKA, A., Auschwitz expliqué à ma fille, Paris : Seuil, 2009
Témoignages et récits
ALDEBERT Jacques CARBONELL Charles-Olivier, RIVES Jean [et al], Histoire, première, 1880-
1945, naissance du monde contemporain, Delagrave Charles, 1988, 383p
BAILLE, S., BRAUDEL, F., PHILIPPE, R., Le monde actuel, histoire et civilisations, Paris : Belin,
1963
BIARD Pierre [et al], Histoire, Coll. « PROST », Paris, Armand COLIN, 1982, 320 p.
BODIN M , Le monde contemporain, T, Fernand Nathan, 1ère éd. 1962, 2e éd corrigée 1977, 351
p.
BOUILLON Jacques, SOHN Anne-Marie, BRUNEL Françoise, 1914-1945, Paris, Bordas, 1980,
446 p.
DANGUILLAUME Georges, ROUABLE Maurice-Charles, Histoire, Paris, Dunod, 1969, 246 p.
GAUTHIER André, HUSSON Jean-Pierre, Histoire, Paris, Bréal, 1995, 320 p .
LAMBIN, Jean-Michel [Dir.], Histoire 1er S, Paris, Hachette Éducation, 2003, 240 p.
MORAZE, C., Wolff. P, Histoire contemporaine (1852-1948), Paris, A. Colin, 1948, 394p.
ZANGHELLINI Valéry [ Dir ], Histoire terminale L, ES, S , Paris, Belin ,1998, 366 p.
Programmes d’histoire
Entretiens
CORRIN, Eliane, de la famille Corrin du Prix Corrin, entretien personnel, réalisé le 14 mars 2010.
SINGER, Claude, Directeur de l’équipe pédagogique du Mémorial de la Shoah, entretien personnel,
réalisé le 21 janvier 2010.
TEICHER, Frabrice, Membre de l’équipe pédagogique du Mémorial de la Shoah, entretien
personnel, réalisé le 29 janvier 2010.
construise en noir et blanc, juste et injuste, résistant et occupant. Le fait d’une collaboration d’un
d’épuration immédiatement suivant la fin des hostilités : Louis Renault, Robert Brasillach et Céline,
pour des exemples très connus) était, à l’époque, impensable. Avec ce mythe, la France commence
à oublier une difficile vérité. Dans la période entre 1954-1971, “ le souvenir de Vichy se fait moins
conflictuel....les français semblent refouler cette guerre civile, aidés en cela par l’établissement d’un
était fermement soutenue par l’Etat jusqu’aux années 1990 (Le discours donné en avril 1995 par
Jacques Chirac, Président de la République est vu souvent comme l’aveu officiel du rôle de l’Etat
français dans la déportation des juifs envers les camps de concentration nazis). De nombreux
commémorations et mémoriaux (le Mémorial de la France combattante, inauguré par De Gaulle lui-
même en 1960 et le transfert des cendres du célèbre résistant Jean Moulin au Panthéon en 1964, par
exemple) l’ont renforcée. La mémoire de Vichy, et surtout le rôle de celui-ci dans la Déportation
des juifs de France envers l’Europe de l’est s’est trouvé cachée par l’histoire “officielle” de l’Etat
français.
Cependant, entre 1971 et 1974, “le miroir se brise et les mythes volent en éclats...[Vichy]
se présente comme un retour du refoulé.”43 Le retour du refoulé prend la forme d’une nouvelle
42
43
génération, les baby boomers, qui commence à se poser des questions de ce que s’était passé
pendant la guerre et commence à se rendre compte que les réponses à ces questions ne seraient ni
facile à comprendre ni facile à accepter. Parmi ces nouvelles questions, se situe celle du rôle de
l’Etat français dans la déportation des juifs, un rôle qui sera désormais mis en question. La
traduction française de Vichy France de Robert Paxton, l’un des livres le plus puissant sur cette
période, paraît en 1973 et, en 1969, le documentaire Le chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sort au
cinéma. Dans le film, les interviews d’anciens combattants français et allemands, hommes
politiques et fonctionnaires suggèrent qu’il y a eu plus de collaboration avec les nazis que voudrait
avouer l’Etat français ; il est censuré à la télévision française pendant une période de dix années.
Néanmoins, ces premiers ouvrages éventeront la mèche que créera, pour cette nouvelle génération
de français, une véritable obsession de l’histoire de la seconde guerre mondiale. Aller dans
n’importe qu’elle librairie en France, on y trouvera, dans les rayons dédiés à la deuxième guerre
mondiale, les livres sur tous les aspects de la période: la Shoah et la Déportation, la Résistance,
Vichy et le militaire y ont tous leur propre place. Or, une question importante se pose:
L’illumination de la part de la société française sur cette nouvelle histoire du rôle de la France
Théoriquement, la scolarisation que reçoivent les enfants d’une société reflète la pensée
dominante de cette même société. Tel est le cas pour la France; depuis l’ère de Jules Ferry,
l’éducation des enfants français a été conçue comme un outil pour sensibiliser les élèves aux valeurs
républicaines françaises.44 De même, lorsque les faits honteux d’histoire courent le risque de faire
embarrasser l’Etat, ils ont tendance de ne pas apparaître dan les textes scolaires. En ce qui concerne
mémoire collective française s’en souvenait va de pair avec son ensiegnement à l’école. Dans les
salles de classe, nous retracerons une route de cette histoire “refoulée” qui ne se distingue guère de
guerre. Le ministère de l’éducation nationale, pour la première fois, inscrit l’étude des civilisations
au programme en essayant “de permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les
racines des problèmes du temps présent.”45 L’un des personnages qui y a joué un rôle important
était celui d’historien Fernand Braudel. En fait, le programme en est devenu “le programme
Braudel.” Pour lui, afin de “former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils
vivent,” l’inscription d’une étude sur les civilisations mondiales au nouveau programme était le
début d’une “révolution.”46 A partir de la rentrée 1962, ce programme entre en vigueur. Alors que
l’occasion d’aborder la Shoah avec l’histoire de la montée du nazisme se révèle en ce moment (le
programme couvre la période de 1914 à 1945), il n’y a aucune place pour la Shoah, la Déportation
ou Vichy. Le manuel que cosigne Braudel lui-même ne fait référence à ces événements que dans
une ligne qui mentionne seulement, “les groupes ethniques pourchassés par les nazis, juifs,
gitans.”47 L’histoire de la France enseignée à l’école restera vague jusqu’en les années 1980. Elle
l’éducation nationale pour enseigner l’histoire de ces événements, jusqu’alors ignorés par le
programme officiel de l’Etat. En avril 1979, un groupe d’enseignants, parmi eux plusieurs
pour discuter cet enseignement. Assistant au Colloque aussi sont Olga Wormser Migot, l’une des
premières historiennes de travailler sur la Shoah et la Déportation, et Léon Paliakov, l’un des
d’Orléans, qui incluent les sections intitulées; objectifs, méthodes et formation des maîtres, sont
publiées dans Historiens et géographes, la revue de l’APHG, par François Delpech, alors professeur
45
46
47
Les manuels scolaires
l’histoire de la seconde guerre mondiale au programme scolaire. Sous le titre de “Le monde
contemporain,” les élèves apprendront, “la seconde guerre mondiale (1939-1945) et ses
conséquences.”48 Les premiers manuels qui s’y sont conformés ont été publiés dans le début des
années 1960. Le monde contemporain publié en 1962 par les Editions Fernand Nathan essaie
d’envisager globalement les problèmes du XXe siècle en dépassant par la notion de civilisation le
traditionnel exposé des conflits nationaux. Les manuels suivent en cela les analyses des historiens
de l’époque. L’un des personnages qui joue alors un rôle important est Fernand Braudel. En fait, le
programme de 1959 en est devenu “le programme Braudel.” Pour lui, afin de “former des hommes
capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent,” l’inscription d’une étude sur les
civilisations mondiales au nouveau programme marque le début d’une “révolution.”49 Selon le texte
une nouvelle “conception scientifique” est née, en Europe, au début du XXe, “non plus de la
civilisation, mais des civilisations.”50 Cependant, le manuel s’arrête avant d’aborder le sujet de la
Shoah. Il n’y aucune mention sauf un extrait d’un livre, L’Europe sans rivages de François
Perroux, à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale qui y fait allusion:
Même si cet extrait suscite, à la fois une auto-réflexion profonde sur les événements ou la
qu’il ne précise pas nettement qu’il s’agit de s’interroger sur la Shoah nous montre que, même au
début des années 1960, au niveau de l’éducation nationale, on n’est pas encore préparé à faire face à
48
49
50
Le manuel de Dunod améliore la situation en 1969. Le premier chapitre, intitulé “La
situation internationale en 1939,” insiste sur le fait que “Hitler entend faire régner en Europe un
ordre raciste.”51 La page suivante est consacrée à “l’extermination des juifs.” Il n’y a pas beaucoup
de texte consacré par les auteurs du manuel eux-mêmes au génocide, mais ils complètent le cours
par de nombreux documents : la déclaration de Rudolf Höss au procès de Nuremberg dans laquelle
il parle de l’inefficacité des méthodes qu’il a observées à Treblinka et de la décision d’utiliser le gaz
zyklon B à Auschwitz. Les auteurs mettent en avant sa phrase, “nous savions que les victimes
étaient mortes lorsqu’elles cessaient de crier.”52 Un autre extrait vient du récit de Dr. Goude, La
monde” et le fait que la cause de décès pour les détenus était toujours “tentative d’évasion.”53
Cependant, en ce qui concerne le régime de Vichy, les auteurs admettent la culpabilité de Vichy
avec réticence: “la plupart des Français, qui avaient été favorables au début à Pétain, se détachent de
collaboration qui ne fait aucune référence à la Déportation des juifs de France. On remarque le
progrès fait dans depuis le début de la décennie, mais les omissions restent encore nombreuses dans
les manuels scolaires. Même si le génocide est mentionné dans les textes, il n’est toujours pas
inscrit au programme d’histoire en 1969 qui, comme en 1959, exige l’enseignement de “la seconde
Pendant les années 1970, le mythe résistancialiste est détruit. Selon Henry Rousso, “le
miroir se brise et les mythes volent en éclats.”55 L’apparition du livre de l’historien Robert Paxton
en 1973, Vichy France, soutient la thèse que le régime de Vichy avait implicitement collaboré avec
les nazis et que cette collaboration n’était pas menée comme le “bouclier” contre l’occupation dans
Orléans pour parler de l’importance de l’enseignement des crimes nazis. Tout au long de la
51
52
53
54
55
décennie ces mouvements de pensée et sentiments d’une nouvelle génération, des baby boomers, à
l’égard de la seconde guerre mondiale provoqueront des nouvelles interrogations sur l’histoire et
Les manuels que nous avons étudiés montrent une transformation nette du langage et une
tentative pour répondre aux nouveaux questionnements des années 1970. L’inscription de l’histoire
de la Shoah au programme d’histoire apparaît pour la première fois en 1985. Il s’agit, dans les
guerre mondiale.”56 En 1980, l’éditeur Bordas publie un nouveau manuel d’histoire appelé Histoire
(1914-1945). Le livre est paru avant le programme de 1985, mais l’évocation de la Shoah est déjà
manifeste, les mots pour évoquer la persécution sont désormais très précis. Par exemple, un
paragraphe titré “Les persécutions contre les Juifs.”57 Les extraits de ces lois, celle contre le
mariage entre un aryen et un juif y servent de supports documentaires. Un autre chapitre comprend
une partie appelée “La terreur nazie et camps d’extermination” où sont montrées des images du
En ce qui concerne Vichy, on se trouve plus proche que jamais de l’aveu qu’il a été
complice dans la déportation: “Des milliers de Juifs sont déportés de la zone occupée sans que le
fait suscite de protestation de la part de Vichy,” et “dans la zone non-occupée, Laval fait arrêter et
livrer aux Allemands des réfugiés politiques et des juifs étrangers.”58 Là aussi est montré un extrait
du “premier statut des juifs” du 3 octobre 1940. La partie du texte sur la seconde guerre mondiale
se termine en appelant la guerre “un désastre sans précédent” ajoutant qu’il y avait “une lourde
atmosphère de désespoir en Europe après la guerre.”59 On y voit bien que le langage commence à
56
57
58
59
se tourner vers la psychanalyse, mais il faudra attendre jusqu’aux années 1990 pour que ce
Un autre manuel, publié en 1988 et, donc, après que la Shoah a été inscrite au programme
génocide.” Deux pages y sont consacrées aux extraits de Mein Kampf, un discours de Himmler aux
officiers SS, une chronologie de mesures anti-juives (1933-1942), une carte montrant les camps de
concentration allemands (y figure, pour la première fois, le seul camp d’extermination en France au
Struthof) et des extraits du procès de Nuremberg sur les conditions dans les camps et les
expériences médicales qui y ont eu lieu. Une page est consacrée à la collaboration tandis que quatre
le sont à la Résistance. Les informations sont devenues plus précises : textes sur les expériences
Shoah en même temps au lycée qu’au collège. Il suggère en troisième, “une étude de l’Europe sous
la domination nazie...la politique d’extermination des Juifs et des Tziganes...les extraits du statut
des Juifs, témoignages sur la déportation et le génocide.”60 En terminale, “On insistera sur l'univers
guerre", défaite, régime de Vichy, Libération) permettra d'analyser la nature et le rôle du régime de
libre.”61 Un manuel publié en cette même année, en forme de tableau (tiré de l’ouvrage de R.
Hilberg, La destruction des Juif d’Europe), le nombre de victimes juives du génocide. Les auteurs
évoque le “devoir de mémoire” en demandant, “que faire pour empêcher qu’elle ne renaisse sous
une forme ou une autre?”62 On y parle des “responsabilités” de ce qui s’est passé et aussi du “choc
moral” de la guerre. Ce texte des années 1990 semble avoir entrepris l’auto-réflexion qu’a exigée
celui de 1962. On met le lecteur en garde contre le négationnisme, on plonge dans les détails
60
61
62
d’Auschwitz et on se demande quelle est la part de responsabilité de Vichy: “En France, le
gouvernement de Vichy et les tenants de la Révolution nationale n’ont jamais eu pour objectif
l’extermination des Juifs, mais ils n’en ont pas moins été les instruments de la première étape du
génocide.”63 En 1998 on en va un peu plus loin. Une partie du chapitre consacré à la seconde guerre
mondiale avoue la culpabilité de la police française dans la grande rafle du Vel d’Hiv.
Conclusion
Dans les soixante-cinq années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale, nous nous
interrogeons encore sur les événements, nous nous débattons encore sur l’usage de certains mots
comme “holocauste,” “génocide” et “Shoah” et nous n’en sommes pas encore d’accord. Autour de
l’enseignement de la Shoah, les débats sont plus vifs aujourd’hui que jamais. La transmission de
cette histoire, pour la plupart de la population française a lieu à l’école, ce qui fait que le
Nous avons vu qu’elle est une transmission compliquée et que les revendications de certains
ne sont nécessairement pas acceptées par la société entière et que les réflexions de cette même
société sur la Shoah ou le rôle de Vichy pendant la guerre ne sont nécessairement pas traduites
d’emblée dans les textes scolaires. Rappelons que la première thèse à être écrite sur la Shoah en
France était publié en 1951.64 Cependant, il a fallu attendre jusqu’aux années 1980 pour que
Les deux thèmes qui parcourent ces manuels s’opposent. Le “devoir de mémoire” exige que
l’on se souvienne à jamais de la tragédie des crimes nazies pour qu’ils ne renaissent ailleurs. Là
c’est un avertissement contre l’oubli. L’autre, la psychanalyse suppose que l’on avait déjà oublié ou
“refoulé” les horreurs ou “traumatisme” de la guerre dès qu’elle s’était terminée. Néanmoins, parler
63
64
de la Shoah en termes du “traumatisme” et du “refoulé” est inapproprié car, même s’il semble
responsabilité de la police française dans la Déportation, rappelons nous qu’il y a, jusqu’à nos jours,
ceux pour qui l’importance de cette histoire et le poids de sa transmission aux générations futures
Nous avons vu aussi comment l’enseignement d’histoire en France s’est développé depuis
la fin de la guerre. Les années 1950 sont marqués par le manque de l’histoire de la Shoah dans les
manuels scolaires. Pendant années 1960 nous voyons les indices à cette histoire dans le langage
avec la mention de la “barbarie” en 1962 et l’inclusion de “l’extermination des Juifs” en 1969. Les
années 1970 nous apporte la rupture entre la version d’histoire de ceux qui ont vécu la guerre et
celle des baby-boomers avec la publication des livres comme Vichy France de Robert Paxton.
Pendant les années 1980 nous voyons l’affirmation de ce que l’on revendiquait pendant les années
1970. L’histoire de la Shoah est finalement inscrite au programme. Les années 1990 et 2000 ont
montré que le débat sur la transmission d’histoire ne s’arrêtera jamais. Il existe toujours des
nouveaux courants de pensée, des nouvelles générations et des nouvelles formes de langage.
Aujourd’hui la continuation du débat prend une nouvelle dimension. Grâce à des vagues
devenue plus hétérogène. Cette hétérogénéité se reflète dans l’enseignement. Il n’y a plus de
l’histoire “nationale” telle qu’elle a été enseignée jusqu’à la guerre s’est estompée. A sa place, on
retrouve actuellement la concurrence des mémoires, un phénomène qui se développait dès que la fin
de la guerre (c’est à dire dès que les rescapés ont commencé à témoigner) et qui a permit, par
exemple, des changements du programme scolaire pendant les années 1980. Cependant,
reproduit cet effet, mais sur une échelle plus grande. Les génocides en Arménie, en Bosnie, au
Rwanda revendiquent leur propre place dans l’histoire. Ce qui nous fait nous poser la question:
s’agit-il de mettre l’histoire de la Shoah à côté d’autres génocides afin qu’elle ne se reproduise pas?
Faut-il lui garder son identité spécifique? la questions reste ouverte. Au fur et à mesure que les
nouvelles théories sur l’enseignement d’histoire naissent, les nouveaux manuels apparaissent et
Visite générale:
En commençant par le Mur des noms, nous sommes confrontés d’emblée par la gravité de cet
événement. Sur le mur sont écrits les noms des 76 000 juifs de France qui furent déportés pendant
la guerre, dont seulement 2 000 revinrent. Souvent les élèves, ayant étudié une victime notoire
comme Hélène Berr ou un rescapé connu comme Simone Veil, essaient de retrouver leur nom sur le
mur. En entrant la crypte, la faiblesse des lumières rend sombre la salle en même temps que
l’atmosphère dans laquelle la visite a lieu. Nous passons aussi par un petit coin du mémorial qui
contient les milliers de “fichiers juifs” utilisés à la foi par les Allemands et le régime de Vichy pour
rafler les Juifs de France pendant l’occupation. Le musée qui couvre l’histoire des Juifs avant et
durant la guerre est plein d’affiches de la propagande nazie (mais aussi française, hongroise,
italienne, etc.). L’histoire de l’étoile jaune est expliquée et nous commençons à comprendre que
cette histoire n’a pas eu lieu que pendant les années 1930 et 1940, mais qu’il s’agit plutôt de
l’aboutissement d’une longue succession d’événements historiques qui ont créé l’antisémitisme. Le
monde concentrationnaire est abordé et nous voyons les vêtements des déportés, leurs cuillères et
leurs étoiles. Alors que nous sommes entrés l’exposition dans l’atmosphère sombre de la crypte,
nous en sortons par la lumière en passant par les milliers de photos des enfants juifs déportés
pendant la guerre. Ce changement d’ambiance nous donne l’impression d’être passé par le noir et
En abordant l’histoire de la Shoah d’un point de vue thématique, les élèves peuvent se concentrer
sur un événement ou un phénomène particulier. Appliquer les faits qu’ils ont appris dans leur
enseignement principal, les élèves seront à même d’approfondir leur étude avec une étude de cas.
Créé en 1990 par rescapé Charles Corrin et son épouse Annie au sein du Fonds Social Juif
Unifié, le prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, “se veut avant
tout un outil pour préserver la mémoire de la Shoah, sa spécificité et son universalité, pour
contribuer à faire comprendre pourquoi et comment Auschwitz, lieu de Mémoire, doit inciter les
nouvelles générations à une réflexion morale et spirituelle.”65 Chaque année les classes de lycéens
et de collégiens soumettent leurs projets à un jury qui leur décerne le prix. Ce jury, composé des
noms notoires de la communauté juive française. (Georges Bensoussan, historien; Philippe Joutard,
parrainage inclut dans ses rangs, Luc Chatel, le ministre de l’Education Nationale, Simone Veil,
rescapée et femme politique française, Serge Klarsfeld, historien et Président de l’Association des
65
Fils et Filles Déportés Juifs de France, Claude Lanzmann, cinéaste et écrivain et Elie Wiesel,
longue durée qui se concentre sur une sorte d’étude de cas sur la Shoah, ainsi permettant un
En 2009 il y avait trente-cinq classes qui ont participé au concours dont deux lauréats, une
classe de lycée et une de collège ont été choisis. La cérémonie de la remise du prix, à laquelle j’ai
pu assister, a eu lieu à la Sorbonne le 28 janvier 2010. Avant de recevoir leur prix, chaque groupe
d’élèves a expliqué son projet avec un court exposé. Les collégiens, une classe de troisième du
collège Edmée Jarlaud à Acheux-en-Amiénois, a présenté son projet intitulé “La déportation des
enfants juifs de la Somme.” Une vidéo, ce projet a été créé par neuf élèves après une rencontre
article paru dans un journal régional, “Ce voyage a donc reposé sur plusieurs approches :
mémorielle, citoyenne et culturelle. Cette confrontation à la réalité permet de montrer aux jeunes
qu’ils ont un devoir de mémoire afin d’éviter que de tels actes se reproduisent.”66 La vidéo des
élèves a retracé l’histoire de trois enfants juifs (Cécile, Georges et Jean-Louis), originaires de la
Somme, de leur arrestation jusqu’à leur mort à Auschwtiz. Elle a mis en avant l’occupation nazie
de la France, la complicité des autorités de Vichy dans la déportation des juifs et les conditions de
Un groupe de lycéens du lycée Pierre Bourdieu à Fronton a effectué un projet basé sur Le
journal d’Hélène Berr, une jeune étudiante parisienne et juive qui a été arrêtée et ensuite déporté à
Auschwitz et puis finalement à Bergen-Belsen où elle est morte en 1945. Le projet intitulé “Hélène
Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation,” a visé à retracer les pas d’Hélène dans un
Paris occupé pendant un voyage pédagogique de trois jours en avril 2009. Avec les supports du
Mémorial de la Shoah et une rencontre avec Mariette Job, la nièce d’Hélène Berr, la classe a créé un
reportage d’une centaine de pages sur leur voyage. Une partie de ce reportage se compose des
une compréhension profonde des événements et une réflexion individuelle sur la déportation et
l’extermination des Juifs qui n’auraient pas eu lieu dans un enseignement effectué uniquement à
l’école. Etudier la Shoah à travers les événements qui se sont passés dans les mêmes locaux où
vivent actuellement ces élèves, c’est apprendre l’histoire de manière plus personnelle. La réalité de
la Shoah, souvent rendue floue par le décalage du temps, s’éclaircit avec cette sorte d’enseignement
supplémentaire.
- La libération des camps de concentration et d'extermination nazis par les alliés victorieux en 1945 prouve qu'une
certaine idée de l'homme constituait l'enjeu essentiel du conflit. Montrez que la Résistance, sous toutes ses formes, est
porteuse de cette valeur. Ce combat a-t-il encore des résonances aujourd'hui ?
“S’il est possible de conjuguer une éducation au jugement inhérente à toute leçon d’histoire avec une éducation à l’éveil
critique sur le monde environnant, la vigilance contre les retours possibles de la barbarie ne saurait se réduire à cette
seule somme de connaissances et de conscience critique patiemment édifiée, que l’on nomme culture ; il faut de surcroît
penser autrement l’autre et l’ailleurs, et appréhender la diversité culturelle comme l’essence même de l’humanité. Une
éducation ouverte sur le monde, sur l’autre et l’ailleurs est un des meilleurs remparts contre les préjugés et le racisme.”
Questionnaire Conan Rousso (1994)
“Je travaille ce sujet en interdisciplinarité avec l’enseignant de français. Cette année, nous avons travaillé sur ce
sujet sur deux classes: histoire (moi), plus deux professeurs de français, un professeur d’anglais et le chef de
l’établissement, partant du film allemand La vague, pour aboutir à la projection du film La rafle, les élèves ont