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Un “devoir” de mémoire: l’enseignement de la Shoah dans les lycées

français de 1960 à nos jours


Under the direction of Monsieur Antoine Sabbagh: Professeur d’histoire; Université de Paris III
Sorbonne Nouvelle

Submitted by
Robert Michael Brutz

in partial fulfillment of the MA in French Cultural Studies

Columbia University Programs in Paris

August 23, 2010


Brutz 2

Table de matières

Page de titre...........................................................................................p. 1

Table de matières....................................................................................p. 2

Remerciements.......................................................................................p. 3

Introduction............................................................................................p. 4

Partie I: L’histoire d’un enseignement “refoulé” (1945-1995)...........p. 7

Partie II: Les canaux de diffusion de plus en plus nombreux...........p. 20

Partie III: Comment les professeurs envisagent-ils l’enseignement de la


Shoah?................................................................................p. 34

Conclusion............................................................................................p. 44

Bibliographie........................................................................................p. 48
Brutz 3

Remerciements

Je voudrais remercier mon directeur de mémoire, Antoine Sabbagh, de son temps et de ses

conseils généreux pendant la réalisation de ce projet. Son instruction n’a pas seulement contribué à

l’achèvement du mémoire, mais elle m’a guidé vers une pensée plus claire et plus profonde sur

l’histoire de la France du XXe siècle. Le soutien que m’ont fourni des enseignants à Reid Hall ne

sera pas bientôt oublié. Je remercie M. Christophe Prochasson, M. Florent Jakob, Mme. Sarah

Sasson, Mme. Claude Roquette et M. Peter Connor. Cette étude n’aurait pu être réalisée non plus

sans la participation de toute l’équipe de Reid Hall. Je remercie Danielle Haase-Dubosc, Brune

Biebuyck, Christine Valero, Chrisitne Babef, Laurence Gallu, Susannah Mowris, Chantale et Jean.
Brutz 4
Introduction

Le 16 juillet 1995, dans le quinzième arrondissement de Paris, Jacques Chirac, alors

Président de la République française, dépose une gerbe devant le mémorial à l'emplacement du

Vélodrome d’hiver en commémoration de la grande rafle des Juifs de France qui y a eu lieu

quarante-trois ans auparavant. Il s’approche ensuite de l’estrade pour prononcer un discours qui, en

avouant la complicité de l’Etat français dans la déportation des Juifs, rompra avec cinquante ans

d’histoire nationale, soutenue par Charles De Gaulle et tous les présidents qui l’ont suivi. “Il est,

dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire,” dit-il. “Il est difficile de les

évoquer... parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre

passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par

l'Etat français.” Cependant, ce discours n’est pas un aveu uniquement du passé de l’Etat, mais une

ouverture à l’avenir. Il continue, “Les plus jeunes d'entre nous, j'en suis heureux, sont sensibles à

tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de

Français décidés à regarder bien en face leur passé.” Le message est clair: “Sachons tirer les leçons

de l'Histoire. N'acceptons pas d'être les témoins passifs, ou les complices, de l'inacceptable.” Il

nous faut transmettre cette histoire pour que les maux du passé ne se répètent jamais.

Cette déclaration d'un président de la République nouvellement élu marquait un tournant.

Pour la première fois depuis l'après-guerre, un chef de l'Etat reconnaissait la responsabilité de la

France dans l'extermination des juifs. Responsabilité du pouvoir, responsabilité de l'administration.

Cette évolution, liée à l'histoire personnelle de Jacques Chirac, s'explique alors également par

l'action de plus en plus manifeste d'associations de victimes, le travail de Serge Klarsfeld ou de

Claude Lanzmann qui depuis le début des années 80 ont ravivé la mémoire la déportation.

Simultanément, le procès intenté à Klaus Barbie et les actions en justice entamées contre Maurice
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Papon, montrent l'évolution sensible de l'appareil judiciaire à l'égard des persécutions de la

deuxième guerre. Tout indique ainsi que la France des années 90 a définitivement rompu avec le

mythe résistentialiste pour reconnaître la réalité de la déportation. Cette évolution de l'opinion et du

pouvoir politique a eu d'inévitables conséquences dans la vision de l'histoire transmise par le monde

éducatif. Elle s'est traduite par une approche renouvelée de l'histoire de la Shoah dans les

programmes et les manuels ainsi que par de nouvelles approches dans la pratique même des

enseignants.

Jusqu'alors, L’enseignement de l’histoire de la Déportation des juifs de France ou la Shoah n'avait

pas été abordé frontalement à l'école. C'est pourtant dans la salle de classe que l'histoire du

génocide des juifs d'Europe pendant la deuxième guerre mondiale a pu pénétrer la mémoire

collective française.

L'objet de ce mémoire est donc l'étude de l'évolution de l'enseignement de la Shoah en

France depuis les années soixante. Pour cela, nous étudierons non seulement les liens entre le

pouvoir et l’enseignement au sein du monde éducatif visibles au travers des programmes d’histoire

fournis par le Ministère de l’Education nationale mais aussi les manuels scolaires, les “canaux de

diffusion” de cette histoire en dehors de la salle de classe et les opinions des professeurs eux-mêmes

qui l’enseignent.

Au lieu des difficultés méthodologiques que posent une analyse de la pédagogie (un sujet

constamment débattu) et la formation des professeurs (là aussi la méthodologie est problématique,

car il existe tant de chemins que l’on peut suivre pour devenir professeur), les manuels représentent,

à force de se conformer à la matière historique inscrite au programme du Ministère de l’Education

nationale, un corpus qui contient la version, toujours évoluante, de l’histoire soutenue par l’Etat.

Les “canaux de diffusion” nous permettent d’analyser les méthodes par lesquelles le professeur

offre à ses élèves un approfondissement de l’histoire apprise uniquement à partir des manuels

scolaires. Interroger les professeurs eux-mêmes sur leur propre enseignement nous permet de

montrer la difficulté épistémologique qu’existe entre les repères du programme d’histoire et


Brutz 6
l’enseignement qui a lieu dans chaque salle de classe dont les outils pédagogiques, les textes, voire

les faits sont sûrs de se différer. Nous verrons qu’à travers une soixantaine d’années, l’histoire de la

Shoah, tel qu’elle est représentée dans les manuels scolaires, se développe au fur et à mesure que la

société française (on pense là, à une mémoire collective) se transforme. Au carrefour de

l’enseignement d’histoire et le travail épistémologique de l’historien se trouve en effet la

transmission de la mémoire. Longtemps refoulée, au sens psychanlytique du terme, l 'histoire de la

Shoah a au fil des années progressxivement réémergé, non seulement dans les manuels scolaires

mais également par la mise en valeur des lieux de mémoire du génocide et par le développement

d'activités périscolaires, ateliers-conférences, visites, rencontres avec des témoins, concours

scolaires qui manifestent la place nouvelle du génocide non seulement dans l'enseignement mais

également dans la mémoire du pays.


Brutz 7

Partie I : L’histoire d’un enseignement “refoulé” (1945-1995)

Pendant la quarantaine d’années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale,

l’enseignement d’histoire en France est marqué par une absence totale de la Shoah du programme

scolaire. On aura beau chercher l’évidence du plus grand massacre de l’histoire humaine dans les

manuels scolaires avant le début des années 1960 ou dans les programmes avant le début des années

1980, il n’y est consacré aucune place. Alors que certains expliquent ce phénomène en termes

psychanalytiques du “traumatisme” et du “refoulement” des horreurs qui ont eu lieu pendant la

guerre, pour d’autres ce “traumatisme” ne sert que comme un euphémisme convenable pour

l'extermination des juifs d’Europe à laquelle l’Europe entière, d’une façon ou une autre, était

complice et de laquelle personne qui l’a vécue ou en a fait partie ne veut parler. Quelles qu’en

soient les raisons, “l’oubli” de cette histoire depuis 1945 et la reconnaissance qui l’a succédée dans

les quarante années après nous fournissent un serviable point de départ sur lequel nous pourrons

construire le reste de notre enquête.

L’une des scènes les plus mémorables de la fin de l’occupation nazie de la France est celle

du général De Gaulle, le 26 août 1944, marchant au pas sur l’avenue des Champs-Elysées,
Brutz 8

le jour après avoir reçu, avec le général Leclerc de la deuxième division blindée des FFI, la

reddition des forces nazies. Autour de lui s’amasse une foule de français bruyants, chantant la

Marseillaise et poussant le cri “Vive De Gaulle!” ou “God Bless America!” Cette scène, désormais

connue comme la libération de Paris, nous est très familière. Elle représente la conclusion définitive

des maux qui menaçaient le peuple français depuis le 22 juin 1940. Bientôt, ce souvenir fera une

arrière-pensée de ce qu’on a vécu pendant la guerre face au début des Trente Glorieuses. Mais pour

les historiens de la seconde guerre mondiale, surtout ceux qui travaillent sur la Shoah et le régime

de Vichy, cette scène représente aussi l’apparition de ce que l’on appelle aujourd’hui le

“résistancialisme” ou le “mythe résistancialiste.” Selon cette théorie conçue par l’historien Henri

Rousso dans son livre Le syndrome de Vichy, tous les français auraient résisté contre l’autorité nazie

pendant l'occupation. Parlant des Mémoires de guerre de De Gaulle, Rousso dit,

“Réduite à la saga d’une poignée d’individus, l’histoire de la France, entre 1940-1944, a changé de
nature : son centre de gravité s’est déplacé de Paris et de Vichy vers Londres et Alger. A la nullité des
actes de l’Etat français, l’ “autorité de fait”, décidée en 1944, correspond, dix ans plus tard, sa mise entre
parenthèses. La volonté politique transcende une réalité objective, et l’Histoire se confond avec la
morale.”1

Cela veut dire qu’à la suite de la guerre, De Gaulle préférait une conception de l’histoire qui se

construise en noir et blanc, juste et injuste, résistant et occupant. Le fait d’une collaboration d’un

nombre considérable de français (à l’exception de quelques individus culpabilisés dans la période

d’épuration immédiatement suivant la fin des hostilités : Louis Renault, Robert Brasillach et Céline,

pour des exemples très connus) était, à l’époque, impensable. Avec ce mythe, la France commence

à oublier une difficile vérité. Dans la période entre 1954-1971, “ le souvenir de Vichy se fait moins

conflictuel....les français semblent refouler cette guerre civile, aidés en cela par l’établissement d’un

mythe dominant : le résistancialisme.”2 Cette version de l’histoire de la France durant la guerre était

1
ROUSSO Henri, Le syndrome de Vichy; de 1940 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 280
2
Ibid. p. 19
Brutz 9
fermement soutenue par l’Etat jusqu’aux années 1990 (Le discours donné en avril 1995 par Jacques

Chirac est vu souvent comme l’aveu officiel du rôle de l’Etat français dans la déportation des juifs

envers les camps de concentration nazis). De nombreux commémorations et mémoriaux (le

Mémorial de la France combattante, inauguré par De Gaulle lui-même en 1960 et le transfert des

cendres du célèbre résistant Jean Moulin au Panthéon en 1964, par exemple) l’ont renforcée. La

mémoire de Vichy, et surtout le rôle de celui-ci dans la Déportation des juifs de France envers

l’Europe de l’est s’est trouvé cachée par l’histoire “officielle” de l’Etat français.

Cependant, entre 1971 et 1974, “le miroir se brise et les mythes volent en éclats...[Vichy]

se présente comme un retour du refoulé.”3 Le retour du refoulé prend la forme d’une nouvelle

génération, les baby boomers, qui commence à se poser des questions de ce que s’était passé

pendant la guerre et commence à se rendre compte que les réponses à ces questions ne seraient ni

facile à comprendre ni facile à accepter. Parmi ces nouvelles questions, se situe celle du rôle de

l’Etat français dans la déportation des juifs, un rôle qui sera désormais mis en question. La

traduction française de Vichy France de Robert Paxton, l’un des livres le plus puissant sur cette

période, paraît en 1973 et, en 1969, le documentaire Le chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sort au

cinéma. Dans le film, les interviews d’anciens combattants français et allemands, hommes

politiques et fonctionnaires suggèrent qu’il y a eu plus de collaboration avec les nazis que voudrait

avouer l’Etat français ; il est censuré à la télévision française pendant une période de dix années.

Néanmoins, ces premiers ouvrages éventeront la mèche que créera, pour cette nouvelle génération

de français, une véritable obsession de l’histoire de la seconde guerre mondiale. Aller dans

n’importe qu’elle librairie en France, on y trouvera, dans les rayons dédiés à la deuxième guerre

mondiale, les livres sur tous les aspects de la période: la Shoah et la Déportation, la Résistance,

Vichy et le militaire y ont tous leur propre place. Or, une question importante se pose:

L’illumination de la part de la société française sur cette nouvelle histoire du rôle de la France

durant la guerre se transmet-elle au sein des institutions scolaires?

3
Ibid. p.19
Brutz 10

Théoriquement, la scolarisation que reçoivent les enfants d’une société reflète la pensée

dominante de cette même société. Tel est le cas pour la France; depuis l’ère de Jules Ferry,

l’éducation des enfants français a été conçue comme un outil pour sensibiliser les élèves aux valeurs

républicaines françaises.4 De même, lorsque les faits honteux d’histoire courent le risque de faire

embarrasser l’Etat, ils ont tendance de ne pas apparaître dan les textes scolaires. En ce qui concerne

la seconde guerre mondiale, et surtout la Déportation et la Shoah, l’incrédulité avec laquelle la

mémoire collective française s’en souvenait va de pair avec son enseignement à l’école. Dans les

salles de classe, nous retracerons une route de cette histoire “refoulée” qui ne se distingue guère de

celle qu’a soutenue la population française entière.

En 1959, le programme d’histoire subit ces plus grands changements depuis la fin de la

guerre. Le ministère de l’éducation nationale, pour la première fois, inscrit l’étude des civilisations

au programme en essayant “de permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les

racines des problèmes du temps présent.”5 L’un des personnages qui y a joué un rôle important était

celui d’historien Fernand Braudel. En fait, le programme en est devenu “le programme Braudel.”

Pour lui, afin de “former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent,”

l’inscription d’une étude sur les civilisations mondiales au nouveau programme était le début d’une

“révolution.”6 A partir de la rentrée 1962, ce programme entre en vigueur. Alors que l’occasion

d’aborder la Shoah avec l’histoire de la montée du nazisme se révèle en ce moment (le programme

couvre la période de 1914 à 1945), il n’y a aucune place pour la Shoah, la Déportation ou Vichy.

Le manuel que cosigne Braudel lui-même ne fait référence à ces événements que dans une ligne qui

mentionne seulement, “les groupes ethniques pourchassés par les nazis, juifs, gitans.”7 L’histoire de

4
ALBERTINI, P. L’école en France de l’ancien régime à nos jours, de la maternelle à l’université, Paris, Hachette-
éducation, 2006.
5
BLAUSTEIN, A., La Shoah dans les manuels (1962-1976), Institut national de la recherche pédagogique [En ligne],
page consultée le 11 mai 2010.
6
DAGORN, R.E., “Fernand Braudel et la grammaire des civilisations (1963)”, EspacesTemps.net, 6 octobre 2003.
7
BAILLE, S., BRAUDEL, F., PHILIPPE, R., Le monde actuel, histoire et civilisations, Paris : Belin, 1963
Brutz 11
la France enseignée à l’école restera vague jusqu’en les années 1980. Elle ne deviendra inscrite au

programme qu’en 1983.

Néanmoins, certains enseignants décident de ne pas attendre les instructions du ministère de

l’éducation nationale pour enseigner l’histoire de ces événements, jusqu’alors ignorés par le

programme officiel de l’Etat. En avril 1979, un groupe d’enseignants, parmi eux plusieurs

membres de l’Association des professeurs d’histoire et géographie (APGH), se réunissent à Orléans

pour discuter cet enseignement. Assistant au Colloque aussi sont Olga Wormser Migot, l’une des

premières historiennes de travailler sur la Shoah et la Déportation, et Léon Paliakov, l’un des

historiens de la Shoah et de l’antisémitisme le plus connu et co-fondateur du Centre de

documentation juive contemporaine (CDJC). Les douze propositions ou “thèses” du Colloque

d’Orléans, qui incluent les sections intitulées; objectifs, méthodes et formation des maîtres, sont

publiées dans Historiens et géographes, la revue de l’APHG, par François Delpech, alors professeur

à l’Université de Lyon II. Le préambule du document remarque,

“malgré les efforts très réels d’un certain nombre d’enseignants, la place faite à l’étude des crimes
commis par les nazis, par leurs complices et par les divers régimes totalitaires reste très insuffisante dans
l’enseignement français à tous les niveaux.”8

Le colloque à Orléans appelant à un nouvel enseignement de l’histoire de la France pendant les

années noires et, de même, à un nouvel ensiegnement du génocide juif n’est que le premier. A sa

suite, ont lieu à Paris en 1979 (“l’Etat, les églises et les mouvement de résistance pendant la

persécution des Juifs”), à Rennes en 1981 (“l’enseignement du génocide juif”) et à Paris à rue

d’Ulm en 1982 (“L’enseignement de la Choa : comment les manuels d’histoire présentent-ils

l’extermination des Juifs au cours de la deuxième guerre mondiale”) d’autres colloques qui visent à

réformer l’enseignement d’histoire à l’école. Nous pouvons constater un nouveau courant de

DELPECH, F., “La persécution nazie et l’attitude de Vichy”, Historiens et Géographes, no. 273, mai-juin
1979, p. 591-635.
Brutz 12
penser qui finira par l’inscription de la Shoah dans le programme d’histoire en 1985, lors du

quarantième anniversaire de la libération des camps de concentration nazis.

Les manuels scolaires

En 1959, un arrêté du Ministère de l’Education nationale inscrit, pour la première fois,

l’histoire de la seconde guerre mondiale au programme scolaire. Sous le titre de “Le monde

contemporain,” les élèves apprendront, “la seconde guerre mondiale (1939-1945) et ses

conséquences.”9 Les premiers manuels qui s’y sont conformés ont été publiés dans le début des

années 1960. Le monde contemporain publié en 1962 par les Editions Fernand Nathan essaie

d’envisager globalement les problèmes du XXe siècle en dépassant par la notion de civilisation le

traditionnel exposé des conflits nationaux. Les manuels suivent en cela les analyses des historiens

de l’époque. Selon le texte, une nouvelle “conception scientifique” est née, en Europe, au début du

XXe, “non plus de la civilisation, mais des civilisations.”10 Cependant, le manuel s’arrête avant

d’aborder le sujet de la Shoah. Il n’y aucune mention sauf un extrait d’un livre, L’Europe sans

rivages de François Perroux, à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale qui y fait allusion:

“L’Europe est restée en deçà de son devoir qui était de civiliser le monde et de le gagner à une sagesse
haute et praticable ; c’est avec elle-même qu’elle se débat, ce sont des conséquences lointaines de demi-
bonnes actions et de fautes entières qui l’assaillent aujourd’hui ; elle découvre, peu à peu, que la barbarie
n’est pas aisément localisable et qu’il vaut mieux la considérer comme un mal humain que chacun doit
combattre d’abord en soi-même.”11

Même si cet extrait suscite, à la fois une auto-réflexion profonde sur les événements ou la

“barbarie” de la guerre et des questions philosophiques sur la culpabilité et la complicité, le fait

qu’il ne précise pas nettement qu’il s’agit de s’interroger sur la Shoah nous montre que, même au

9
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1959
10
BODIN, M., Le monde contemporain, T, Fernand Nathan, 1ère éd. 1962, 2e éd corrigée 1977, 351 p.
11
Ibid. p. 102
Brutz 13
début des années 1960, au niveau de l’éducation nationale, on n’est pas encore préparé à faire face à

cette culpabilité dans la mémoire nationale.

Le manuel de Dunod améliore la situation en 1969. Le premier chapitre, intitulé “La

situation internationale en 1939,” insiste sur le fait que “Hitler entend faire régner en Europe un

ordre raciste.”12 La page suivante est consacrée à “l’extermination des juifs.” Il n’y a pas beaucoup

de texte consacré par les auteurs du manuel eux-mêmes au génocide, mais ils complètent le cours

par de nombreux documents : la déclaration de Rudolf Höss au procès de Nuremberg dans laquelle

il parle de l’inefficacité des méthodes qu’il a observées à Treblinka et de la décision d’utiliser le gaz

zyklon B à Auschwitz. Les auteurs mettent en avant sa phrase, “nous savions que les victimes

étaient mortes lorsqu’elles cessaient de crier.”13 Un autre extrait vient du récit de Dr. Goude, La

tragédie de la Déportation, dans le quel il mentionne, “les hommes complètement retranchés du

monde” et le fait que la cause de décès pour les détenus était toujours “tentative d’évasion.”14

Cependant, en ce qui concerne le régime de Vichy, les auteurs admettent la culpabilité de Vichy

avec réticence: “la plupart des Français, qui avaient été favorables au début à Pétain, se détachent de

lui et se tournent de plus en plus vers la Résistance.” Il y a seulement un paragraphe sur la

collaboration qui ne fait aucune référence à la Déportation des Juifs de France. On remarque le

progrès fait dans depuis le début de la décennie, mais les omissions restent encore nombreuses dans

les manuels scolaires. Même si le génocide est mentionné dans les textes, il n’est toujours pas

inscrit au programme d’histoire en 1969 qui, comme en 1959, exige l’enseignement de “la seconde

guerre mondiale et ses conséquences.” 15

Les manuels que nous avons étudiés montrent une transformation nette du langage et une

tentative pour répondre aux nouveaux questionnements des années 1970. L’inscription de l’histoire

de la Shoah au programme d’histoire apparaît pour la première fois en 1985. Il s’agit, dans les

1
12
DANGUILLAUME Georges, ROUABLE Maurice-Charles, Histoire, Paris, Dunod, 1969, 246 p.
1
13
Ibid. p. 22
14
Ibid.
15
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1969
Brutz 14
classes de première de parler de “l’Occupation et la Résistance dans l’Europe hitlérienne” et “du

système concentrationnaire,” mais, en terminale, on évoque seulement le “bilan de la seconde

guerre mondiale.”16 En 1980, l’éditeur Bordas publie un nouveau manuel d’histoire appelé Histoire

(1914-1945). Le livre est paru avant le programme de 1985, mais l’évocation de la Shoah est déjà

manifeste, les mots pour évoquer la persécution sont désormais très précis. Par exemple, un

chapitre intitulé “L’Allemagne nationale-socialiste,” en parlant des lois de Nuremberg, contient un

paragraphe titré “Les persécutions contre les Juifs.”17 Les extraits de ces lois, celle contre le

mariage entre un aryen et un juif y servent de supports documentaires. Un autre chapitre comprend

une partie appelée “La terreur nazie et camps d’extermination” où sont montrées des images du

Ghetto de Varsovie et l’arrivée d’un convoi à Auschwitz.

En ce qui concerne Vichy, on se trouve plus proche que jamais de l’aveu qu’il a été

complice dans la déportation: “Des milliers de Juifs sont déportés de la zone occupée sans que le

fait suscite de protestation de la part de Vichy,” et “dans la zone non-occupée, Laval fait arrêter et

livrer aux Allemands des réfugiés politiques et des juifs étrangers.”18 Là aussi est montré un extrait

du “premier statut des juifs” du 3 octobre 1940. La partie du texte sur la seconde guerre mondiale

se termine en appelant la guerre “un désastre sans précédent” ajoutant qu’il y avait “une lourde

atmosphère de désespoir en Europe après la guerre.”19 On y voit bien que le langage commence à

se tourner vers la psychanalyse, mais il faudra attendre jusqu’aux années 1990 pour que ce

vocabulaire apparaisse de manière ouverte.

Un autre manuel, publié en 1988 et, donc, après que la Shoah a été inscrite au programme

d’histoire, se vante de se conformer au nouveau programme de 1988 qui exige l’enseignement de

“l’occupation et de la résistance dans l’Europe hitlérienne et du système concentrationnaire et

génocide.” Deux pages y sont consacrées aux extraits de Mein Kampf, un discours de Himmler aux

1
16

Programmes et instructions (lycées) CNDP 1985


17
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1985
çoise, 1914-1945, Paris, Bordas, 1980, 446 p., p. 142
18
Ibid. p. 356
19
Ibid. p. 372
Brutz 15
officiers SS, une chronologie de mesures anti-juives (1933-1942), une carte montrant les camps de

concentration allemands (y figure, pour la première fois, le seul camp d’extermination en France au

Struthof) et des extraits du procès de Nuremberg sur les conditions dans les camps et les

expériences médicales qui y ont eu lieu. Une page est consacrée à la collaboration tandis que quatre

le sont à la Résistance. Les informations sont devenues plus précises : textes sur les expériences

médicales, sur la hiérarchie nazie des races.

Le programme de 1995 subit des grands changements à l’égard de l’enseignement de la

Shoah en même temps au lycée qu’au collège. Il suggère en troisième, “une étude de l’Europe sous

la domination nazie...la politique d’extermination des Juifs et des Tziganes...les extraits du statut

des Juifs, témoignages sur la déportation et le génocide.”20 En terminale, “On insistera sur l'univers

concentrationnaire et l'extermination des Juifs et des Tsiganes. L'étude de la France ("drôle de

guerre", défaite, régime de Vichy, Libération) permettra d'analyser la nature et le rôle du régime de

Vichy, les différentes formes de collaboration, le rôle de la Résistance intérieure et de la France

libre.”21 Un manuel publié en cette même année, en forme de tableau (tiré de l’ouvrage de R.

Hilberg, La destruction des Juif d’Europe), le nombre de victimes juives du génocide. Les auteurs

évoque le “devoir de mémoire” en demandant, “que faire pour empêcher qu’elle ne renaisse sous

une forme ou une autre?”22 On y parle des “responsabilités” de ce qui s’est passé et aussi du “choc

moral” de la guerre. Ce texte des années 1990 semble avoir entrepris l’auto-réflexion qu’a exigée

celui de 1962. On met le lecteur en garde contre le négationnisme, on plonge dans les détails

d’Auschwitz et on se demande quelle est la part de responsabilité de Vichy: “En France, le

gouvernement de Vichy et les tenants de la Révolution nationale n’ont jamais eu pour objectif

l’extermination des Juifs, mais ils n’en ont pas moins été les instruments de la première étape du

génocide.”23 En 1998 on en va un peu plus loin. Une partie du chapitre consacré à la seconde guerre

mondiale avoue la culpabilité de la police française dans la grande rafle du Vel d’Hiv.
20

Programmes et instructions (lycées) CNDP 1995


21
Ibid.
22
GAUTHIER André, HUSSON Jean-Pierre, Histoire, Paris, Bréal, 1995, 320 p.
23
Ibid. p. 24
Brutz 16
Cependant, la plus importante métamorphose dans les textes scolaires est celle du langage,

car, dans une partie titrée “Un monde ébranlé” on voit la phrase suivante: “La guerre a ébranlé en

profondeur les consciences et provoqué un traumatisme sans précédant dans l’histoire.”24 En 2003,

ce langage se répète, mais manière plus ouverte. Un chapitre titré “Le monde en 1945” dit, “le

traumatisme moral est profond après la découverte des camps de concentration et l’utilisation des

l’arme nucléaire.”25 Une autre partie intitulée “Un monde moralement traumatisé” parle du fait que

“jamais une guerre n’avait entraîné un tel traumatisme,” et que “peu à peu, le monde découvre la

réalité de la Shoah.”26 Le chapitre demande au lecteur de se poser des questions sur plusieurs

événements de la guerre (y compris, la Shoah, les crimes de guerre et l’utilisation de la bombe

atomique). Pour conclure, il s’interroge sur une question plus ouverte, mais nous pouvons voir dans

le langage, en même temps les deux thèmes 1) langage psychanalytique du “traumatisme” et du

“refoulement” et 2) le “devoir de mémoire” qui se trouvent prédominants dans les manuels

d’histoire depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

“...l’impossible oubli des déportés, refoulement du passé nazi et culpabilité en Allemagne,

reconnaissance difficile des crimes de guerre commis par les japonais en Asie, haines tenaces entre les

Serbes et Croates dans les Balkans. Encore aujourd’hui et plus que jamais, le devoir de mémoire

s’impose à tous.”27

Nous avons vu qu’elle est une transmission compliquée et que les revendications de certains

ne sont nécessairement pas acceptées par la société entière et que les réflexions de cette même

société sur la Shoah ou le rôle de Vichy pendant la guerre ne sont nécessairement pas traduites
24
ZANGHELLINI Valéry [ Dir ], Histoire terminale L, ES, S , Paris, Belin ,1998, 366 p., p.62
25
LAMBIN, Jean-Michel [Dir.], Histoire 1er S, Paris, Hachette Éducation, 2003, 240 p., p. 10
26
Ibid. p. 16
27
Ibid. p. 16
Brutz 17
d’emblée dans les textes scolaires. Rappelons que la première thèse à être écrite sur la Shoah en

France était publiée en 1951.28 Cependant, il a fallu attendre jusqu’aux années 1980 pour que

l’événement soit inscrit au programme scolaire.

Les deux thèmes qui parcourent ces manuels s’opposent. Le “devoir de mémoire” exige que

l’on se souvienne à jamais de la tragédie des crimes nazis pour qu’ils ne renaissent ailleurs. Là

c’est un avertissement contre l’oubli. L’autre, la psychanalyse suppose que l’on avait déjà oublié ou

“refoulé” les horreurs ou “traumatisme” de la guerre dès qu’elle s’était terminée. Néanmoins, parler

de la Shoah en termes du “traumatisme” et du “refoulé” est inapproprié car, même s’il semble

représenter la mémoire collective française à l’égard de la Shoah, la collaboration et la

responsabilité de la police française dans la Déportation, rappelons nous qu’il y a, jusqu’à nos jours,

ceux pour qui l’importance de cette histoire et le poids de sa transmission aux générations futures

n’ont jamais été refoulés.

Nous avons vu aussi comment l’enseignement d’histoire en France s’est développé depuis

la fin de la guerre. Les années 1950 sont marquées par le manque de l’histoire de la Shoah dans les

manuels scolaires. Pendant années 1960 nous voyons les indices à cette histoire dans le langage

avec la mention de la “barbarie” en 1962 et l’inclusion de “l’extermination des Juifs” en 1969. Les

années 1970 nous apportent la rupture entre la version d’histoire de ceux qui ont vécu la guerre et

celle des baby-boomers avec la publication des livres comme Vichy France de Robert Paxton.

Pendant les années 1980 nous voyons l’affirmation de ce que l’on revendiquait pendant les années

1970. L’histoire de la Shoah est finalement inscrite au programme. Les années 1990 et 2000 ont

montré que le débat sur la transmission d’histoire ne s’arrêtera jamais. Il existe toujours des

nouveaux courants de pensée, des nouvelles générations et des nouvelles formes de langage.

Aujourd’hui la continuation du débat prend une nouvelle dimension. Grâce à des vagues

d’immigration d’ouvriers maghrébins immédiatement après la guerre et, plus récemment,

l’élargissement de l’Union Européenne et l’ouverture des frontières, la population française est

BLAUSTEIN, A., Thèse: L’image des juifs, du judaïsme et d’Israël dans les manuels scolaires de 1959 à nos jours,
28

Université de Montpellier III, 2008.


Brutz 18
devenue plus hétérogène. Cette hétérogénéité se reflète dans l’enseignement. Il n’y a plus de

l’histoire “nationale” telle qu’elle a été enseignée jusqu’à la guerre s’est estompée. A sa place, on

retrouve actuellement la concurrence des mémoires, un phénomène qui se développait dès que la fin

de la guerre (c’est à dire dès que les rescapés ont commencé à témoigner) et qui a permit, par

exemple, des changements du programme scolaire pendant les années 1980. Cependant,

l’intégration du monde aujourd’hui, à travers des nouvelles technologies (télévision et internet)

reproduit cet effet, mais sur une échelle plus grande. Les génocides en Arménie, en Bosnie, au

Rwanda revendiquent leur propre place dans l’histoire. Ce qui nous fait nous poser la question:

s’agit-il de mettre l’histoire de la Shoah à côté d’autres génocides afin qu’elle ne se reproduise pas?

Faut-il lui garder son identité spécifique? La question reste ouverte. Au fur et à mesure que les

nouvelles théories sur l’enseignement d’histoire naissent, les nouveaux manuels apparaissent et

notre histoire se laisse interpréter par ceux qui nous suivront.


Brutz 19

Partie II : Les canaux de diffusion de plus en plus nombreux

Bien que l’enseignement de l’histoire de la Shoah ait lieu principalement dans la salle de

classe, aujourd’hui, la mémoire de la déportation et du génocide juif en Europe se diffuse dans les

endroits de plus en plus nombreux. L’établissement scolaire n’est plus le seul endroit à travers

lequel cette transmission peut s’effectuer. A la disposition du professeur sont de nombreux musées,

mémoriaux, centres pédagogiques et concours académiques qui permettent un approfondissement,

dans un deuxième temps, de l’enseignement initial à l’école. Pour le professeur, il s’agit de profiter

de ces divers outils pédagogiques; pour l’historien, leur abondance aujourd’hui suscite plusieurs

questions sur lesquelles nous devrions nous interroger. Non seulement est-il important d’analyser

l’histoire de ces institutions éducatives, mais aussi leur raison d’être. Car, les avis sur l’utilité et

l’efficacité des institutions sont aussi variés que les élèves qui y apprennent l’histoire. A mesure

que l’enseignement de cette histoire se développait depuis les années 1960, ces canaux de diffusion,

eux aussi, ont changé. En choisissant quatre de ces “canaux de diffusion” nous essayerons de

montrer leur diversité en même temps que d’en poser des questions sur leurs objectifs.

Le Mémorial de la Shoah et le Centre de documentation juive contemporaine

En avril de 1943 à Grenoble, Isaac Schneersohn et une quarantaine d’autres responsables de

la communauté juive fondèrent le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC). A la base

de la fondation furent deux motifs. Le premier visa à protéger la culture juive. Les persécutions
Brutz 20
contre les Juifs étaient devenues si angoissantes pendant la guerre qu’une perte totale de la culture

juive fut une peur réelle. Le deuxième voulut rassembler toutes les preuves de ces persécutions et

du génocide pour que, dès la fin de la guerre, ils ne pussent pas être niés. Ses archives furent

indispensables pendant les procès de Nuremberg et ce fut un document fourni par le CDJC qui

vérifia la culpabilité de Klaus Barbie, le Chef du Gestapo de Lyon, de crimes contre humanité en

1987. Logé depuis 1956 au Mémorial de la Shoah, le CDJC tient toujours une place importante

dans l’histoire de l’extermination des Juifs d’Europe.

La construction d’un mémorial dédié aux victimes juives des crimes nazis commença en

1953 et fut complétée en 1956. A son début, le Mémorial du Martyr Juif Inconnu ne se composa

que d’un bâtiment dans lequel se situa une crypte contenant des cendres des victimes de tous les

camps de concentration et d’extermination nazis. Sur le fronton du bâtiment furent gravées deux

inscriptions:

En français: “Devant le Martyr Juif Inconnu incline ton respect ta piété pour tous les martyrs, chemine en pensée avec

eux le long de leur voie douleureuse, elle te conduira au plus haut sommet de justice et de vérité.” -Justin Godard

En hébreu: “Souviens-toi de ce que t’as fait l’Amalek de notre Génération qui a exterminé 600 myriades corps et âmes

sans qu’il y ait eu guerre.” - Zalman Shneour

Le parvis contint aussi un cylindre de bronze qui représente les cheminées des camps

d’extermination. Devenu monument historique en 1991, le Mémorial du Martyr Juif Inconnu

fonctionne aujourd’hui comme l’un des lieux principaux de cérémonies commémoratives chaque

année.

En 2005, après l’achèvement d’un projet d’agrandissement, le Mémorial de la Shoah a

ouvert ses portes au public. Aujourd’hui, le mémorial consiste d’une exposition permanente sur

l’histoire de la Shoah, les salles de lecture pour les chercheurs, un espace multimédia, un auditorium

et, à l’entrée, “le Mur des noms” sur lequel sont écrits les noms de tous les juifs de France déportés

pendant la seconde guerre mondiale.


Brutz 21
Le Mémorial de la Shoah accueille des milliers de visiteurs chaque année et sert comme un

lieu de mémoire très accessible au professeur. J’ai eu l’occasion de parler de l’histoire de la

fonction pédagogique du Mémorial, le rôle qu’elle joue actuellement et les problèmes auxquels elle

devra faire face dans l’avenir avec Claude Singer, l’auteur de plusieurs livres sur l’histoire de la

Shoah et directeur de l’équipe pédagogique du Mémorial depuis 1994.29 En effet, en 1994, M.

Singer fut le seul membre de l’équipe pédagogique, mais depuis cette année-là, il a remarqué une

forte croissance dans l’intérêt fait au Mémorial. Le Mémorial accueillit entre 1 000 et 2 000

visiteurs pendant sa première année. En 2009, il accueillit 35 000 visiteurs. Actuellement, sept

membres permanents de l’équipe pédagogique et dix-huit guides qui sont professionnellement

formés s’occupent de l’enseignement de l’histoire de la Shoah au Mémorial.

Chaque année, de nombreux groupes d’élèves y vont avec leur professeur d’histoire,

français, allemand ou littérature pour approfondir le savoir qu’ils ont obtenu à l’école. Selon M.

Singer, la majorité des élèves sont des collégiens, suivis par les lycéens et ensuite les élèves de CM2

qui ne représentent que cinq pour cent du total des visites scolaires. Deux tiers des élèves viennent

de la région parisienne (Ile-de-France et banlieues) tandis que le dernier tiers vient des provinces. Il

est intéressant de noter que, d’après M. Singer, plus de lycéens pourraient fréquenter le mémorial si

l’enseignement de l’histoire de la seconde guerre mondiale n’avait pas lieu en même temps que les

préparatifs du baccalauréat, c’est à dire à la fin de l’année scolaire.

Les options du professeur au Mémorial lorsqu’il décide d’y emmener ses élèves sont

nombreuses et diverses. Menée par un guide, une classe peut participer aux activités suivantes:

Visite générale:

- Le Mur des Noms


- La crypte
- Le musée de l’histoire des Juifs pendant la seconde guerre mondiale

29

SINGER, Claude, entretien personnel, réalisé le 21 janvier 2010.


SINGER, C., Le Juif Süss et la propagande nazie. L’Histoire confisquée, Les Belles Lettres, 2003.
SINGER, C., L'Université libérée, l'Université épurée (1943-1947), Les Belles lettres, 1997.
Brutz 22
- Les thèmes de l’antisémitisme, les grandes phases du crime génocidaire, le processus de la Shoah et l’évolution de la
mémoire sont abordés.

En commençant par le Mur des noms, nous sommes confrontés d’emblée par la gravité de cet

événement. Sur le mur sont écrits les noms des 76 000 juifs de France qui furent déportés pendant

la guerre, dont seulement 2 000 revinrent. Souvent les élèves, ayant étudié une victime notoire

comme Hélène Berr ou un rescapé connu comme Simone Veil, essaient de retrouver leur nom sur le

mur. En entrant la crypte, la faiblesse des lumières rend sombre la salle en même temps que

l’atmosphère dans laquelle la visite a lieu. Nous passons aussi par un petit coin du mémorial qui

contient les milliers de “fichiers juifs” utilisés à la foi par les Allemands et le régime de Vichy pour

rafler les Juifs de France pendant l’occupation. Le musée qui couvre l’histoire des Juifs avant et

durant la guerre est plein d’affiches de la propagande nazie (mais aussi française, hongroise,

italienne, etc.). L’histoire de l’étoile jaune est expliquée et nous commençons à comprendre que

cette histoire n’a pas eu lieu que pendant les années 1930 et 1940, mais qu’il s’agit plutôt de

l’aboutissement d’une longue succession d’événements historiques qui ont créé l’antisémitisme. Le

monde concentrationnaire est abordé et nous voyons les vêtements des déportés, leurs cuillères et

leurs étoiles. Alors que nous sommes entrés l’exposition dans l’atmosphère sombre de la crypte,

nous en sortons par la lumière en passant par les milliers de photos des enfants juifs déportés

pendant la guerre. Ce changement d’ambiance nous donne l’impression d’être passé par le noir et

le désespoir afin d’arriver à la lumière et l’espérance.

Visite-rencontre:

- Une visite générale


- Une “rencontre-débat” avec un témoin

- Une rencontre avec un témoin permet les élèves d’apprendre l’histoire telle qu’elle est racontée

par une personne qui l’a vécue. Qu’il soit enfant caché, résistant ou ancien déporté, le témoin rend

les événements plus réels aux élèves. Selon la brochure du Mémorial, “de cette manière, la
Brutz 23
rencontre n’est perçue ni comme une leçon de morale ni comme un cours d’histoire, s’inscrivant

différemment dans la mémoire des participants.”30 A cause de la nature réelle de la connexion du

témoin avec le passé, la visite rencontre nous semble la plus bénéfique pour les élèves. Cependant,

comme nous le verrons, aujourd’hui, la question de la disparition des témoins est omniprésente.

Visite thématique:

- Une brève présentation de l’institution


- Une visite du Mémorial axée sur l’un des thèmes suivants:
- La propagande, l’antisémitisme nazi, les ghettos, Vichy et les Juifs, Drancy, Auschwitz-Birkenau, le sauvetage des
enfants, les diverses formes de résistance.

En abordant l’histoire de la Shoah d’un point de vue thématique, les élèves peuvent se concentrer

sur un événement ou un phénomène particulier. Appliquer les faits qu’ils ont appris dans leur

enseignement principal, les élèves seront à même d’approfondir leur étude avec une étude de cas.

La disponibilité des lieux de mémoire tel que Drancy, Auschwitz ou même des mémoriaux dédiés

aux enfants déportés devants des écoles dans le quartier juif de Paris, permet au professeur de

coupler une visite au Mémorial avec un autre voyage scolaire.

Visite-activité:

- Le témoignage littéraire (Aharon Appelfeld, Hélène Berr, Georges Perec)


- Réflexions philosophiques (la soumission à la loi, la responsabilité, le pardon)
- Etude de témoignages
- Initiation à la recherche de documents d’archives (Etude d’une famille juive pendant la guerre)
- Mémoire et mémoriaux (l’usage de mémoire de 1945 à nos jours)
- Les actualités cinématographiques de guerre (La propagande, le discours antisémites du cinéma)

A la suite d’une visite, le professeur peut faire participer ses élèves à une activité qui s’appuie sur

les fonds du CDJC. L’appui des archives permet des élèves non seulement de faire un travail

documentaire, mais de se familiariser avec les sources du Mémorial, ainsi renforçant leur

enseignement et approfondissant leur savoir.


30
Brochure: Activités pédagogiques 2009-2010 du Mémorial de la Shoah, 2009.
Brutz 24

Bien que le Mémorial soit un lieu de mémoire dont de nombreux professeurs se servent pour

effectuer un enseignement approfondi, l’avenir apparaît apporter des inévitables problèmes qui

peuvent compliquer l’enseignement futur qui y aura lieu.

L’un des problèmes les plus pressants, et peut-être le plus évident, est la disparition des

témoins. Actuellement, une cinquantaine de témoins donnent de leur temps pour parler aux élèves

de leur expérience pendant la guerre. Alors que de grands efforts sont faits pour enregistrer ces

témoignages avant que les témoins ne disparaissent, le manque d’un témoignage direct de celui qui

a vécu la guerre est un fait inévitable. Un autre problème est le volume de visiteurs au Mémorial

chaque année. M. Singer m’a dit que l’équipe pédagogique ont dû commencer à refuser des classes

qui veulent participer aux activités pédagogiques, faute d’espace, d’employés et de témoins. Pour

lui, il vaut mieux refuser des groupes que baisser le niveau d’enseignement offert aux élèves.

Néanmoins, il demeure que le Mémorial est un outil incontournable pour le professeur qui

veut y effectuer une visite. Comme nous avons vu dans les descriptions des visites, l’objectif du

Mémorial n’est pas de faire de la morale, mais de “sensibiliser” les élèves à l’histoire du génocide

juif. Lorsque je lui ai posé la question “quand vous pensez de l’enseignement de la Shoah au sein

du Mémorial, quels sont vos buts pour ceux qui viennent?”, Monsieur Singer m’a répondu, “Que les

visiteurs reçoivent ce qu’ils cherchent, quelque chose en plus de ce qu’ils ont déjà appris sur la

Shoah.”

Voyage d’Auschwitz-Birkenau

En avril 1940, la construction d’un camp de concentration pour l’internement des détenus

politiques polonais fut lancée autour de l’ancienne caserne de l’armée polonaise à Auschwitz.

L’agrandissement du camp fut ordonné par Heinrich Himmler un an plus tard et le deuxième camp

de Birkenau fut construit. A partir du printemps 1942, les convois des Juifs arrivèrent au complexe,

c’était la mise en vigueur de la “solution finale.” Après une sélection, les détenus considérés comme
Brutz 25
aptes au travail furent séparés des autres qui étaient emmenés directement aux chambres à gaz et

exterminés. La Solution finale à l’oeuvre, quatre nouveaux crématoriums furent bâtis en 1943; le

camp atteignit son plus haut degré d’expansion en 1944. En juillet de cette année-là, 95 208

détenus furent recensés, en août, il y en eut 105 168.31 Avec l’arrivée imminente des troupes

soviétiques au début de 1945, les soldats allemands tentèrent à détruire l’évidence du génocide en

échappant vers l’Allemagne. Certains baraquements furent mis à feu et les crématoriums

dynamités. Sur les 1,3 million personnes déportées à Auschwitz, 1,1 million y moururent avant que

le camp ne fût libéré le 27 janvier 1945.

La transformation du camp de sa fonction génocidaire à un musée, un mémorial et un lieu de

mémoire se fit très rapidement après la libération. Même en 1945, les groupes de visiteurs (en

particulier les familles de victimes) venaient pour voir ce qui en restait. En 1946, le camp accueillit

100 000 visiteurs et, en 1947, 170 000.32 Cette même année, une cérémonie marquant l’ouverture

du musée eut lieu. L’exhibition permanente du musée, peu changé depuis une cinquantaine

d’années, fut créée en 1955. Dans ses dix premières années, deux millions de visiteurs et de

pèlerins y passèrent. En 2009, le Musée Auschwitz accueillit 1,3 million de visiteurs, dont 48 000

français.33

Visiter le site de l’ancien camp d’extermination est une expérience émouvante, voire

difficile. Nous permettant de comprendre ce qui s’y passa il y a soixante-dix ans de manière plus

concrète et personnelle, le musée et mémorial à Auschwitz reste un poignant témoignage aux crimes

nazis. Avec un groupe d’étudiants universitaires français, j’ai eu l’occasion d’y aller pour voir ce

qui attend les élèves qui y sont emmenés par leur professeur. Cette visite, organisée par le

3
31

Livret d’accompagnement, Voyage d’étude Auschwitz, Mémorial de la Shoah, 2008.


3
32

Site web officiel du musée d’Aushwitz: en.auschwitz.org.pl (2010), page consultée le 18 juin 2010,
http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=620&Itemid=49
33
Memorial Auschwitz-Birkenau Annual Report 2009. en.auschwitz.org.pl (2010), page consultée le 18 juin 2010,
http://en.auschwitz.org.pl/m/index.php?option=com_content&task=view&id=620&Itemid=49
Brutz 26
Mémorial de la Shoah, a été effectuée le premier février 2010. Après notre arrivée à l'aéroport de

Cracovie, nous avons voyagé en bus jusqu’à environ trois cents mètres du camp d’Auschwitz II -

Birkenau. C’est là, juste en dehors du camp, que la majorité des détenus français descendaient des

convois arrivés depuis l’Europe occidentale (Ce ne fut qu’en 1943 que les convois arrivaient à

l’intérieur du camp). Nous y avons rencontré une guide francophone et, ensuite, elle nous a fait

suivre le même parcours qu’avaient fait les détenus, entrant le camp à pied au dessous de la tour de

laquelle les gardes allemands surveillaient les nouveaux arrivés. Comme l’avaient fait les détenus

pendant la guerre, nous avons marché à côté de la voie ferrée jusqu’au point de sélection au milieu

du camp. Ici, les détenus jugés “aptes au travail” ont été envoyés envers le bâtiment de stérilisation

et puis aux baraques; ceux jugés de ne pas être capables de travailler ont été envoyés envers les

chambres à gaz. Voir les conditions de vie dans les baraques, les lits partagés entre plusieurs

détenus, les latrines et la pure maigreur des murs qui devait permettre d’entrer la froide et le vent

d’hiver, nous a fait sentir l’horreur qu’ont vécue ces détenus.

Après avoir vu les baraques et ensuite le bâtiment de stérilisation, nous avons avancé vers

l’arrière du camp. Là, situé au milieu d’un petit bois tranquille se trouve un panneau sur lequel on

voit trois photos. Ce sont les seules photos connues aujourd’hui du camp lorsque la solution finale

était en marche. Les photos montrent les femmes nues étant forcées envers la chambre à gaz et les

corps des détenus déjà gazés brûlant en plein air. Les photos ont été prises depuis le même endroit

que nous nous trouvions. Bien que les copies de ces trois images fassent partie du musée au

Mémorial de la Shoah à Paris, être là dans le même endroit où elles ont été proses ajoute une

profondeur à l’expérience que l’on ne peut guère trouver dans la salle de classe.

La deuxième moitié de la journée s’est déroulée au camp Auschwitz I. Passant au dessous

du panneau “Arbeit macht frei” (le travail rend libre), nous nous sommes trouvés encore une fois

derrière le barbelé. Nous avons vu des expositions nationales créées par chaque pays duquel des

citoyens ont été déportés. (L’exposition nationale française fut construite en 1979.) Ensuite nous

sommes allés voir l’exposition permanente qui est logée dans l’ancien hôpital du camp. Cette
Brutz 27
fameuse exposition comprend les tas d’objets pris des détenus lors de leur arrivée au camp.

Derrière des vitrines on voit des cheveux, des poêles, des lunettes et des chaussures, la taille des

piles de biens personnels nous démontrant à la fois l’énormité et la manière industrielle du

génocide. Le dernier arrêt de la visite était la chambre à gaz. Ce lieu, peut être le symbole le plus

sensible aux visiteurs, semblait nous attendre et s’est avéré être une expérience qui a exigé une

réflexion profonde sur le génocide des Juifs.

Cependant, le voyage scolaire au camp d’Auschwitz pose de nombreuses questions. Quel

est l’objectif d’une telle visite? Cette expérience, quels effets peut-elle avoir sur l’élève? Est-elle

nécessaire pour que l’histoire et la mémoire du génocide juif soient transmises? Les réponses à ces

questions ont toujours fait objet de débat. Dans la communauté juive même, l’utilité du camp en

tant que musée est souvent mise en cause. Je ne parle donc que de mon expérience personnelle à ce

lieu de mémoire.

Se trouver dans le même endroit où des milliers de personnes se sont trouvés avant d’être

exterminés, a évoqué des émotions et des sentiments intimes que l’étude principale que j’ai reçue à

l’école ne savait produire. La visite à Auschwitz m’a rendu plus conscient de cette histoire. Car, il

s’agit non seulement de mieux “comprendre” l’histoire qui s’y est passée, mais de reconnaître sa

réalité. Aujourd’hui, une distance à la fois géographique et temporelle nous sépare de ce qui s’est

passé à Auschwitz. Mais, lorsque nous entrons la chambre à gaz soixante-dix ans après qu’elle a

cessé de fonctionner, nous ressentons l’inquiétude, le désespoir, l’horreur. Nous ne savons

comment y réagir parce que le fait que nous allons y échapper nous est lucide en même temps que

nous songeons aux autres qui n’ont pas pu faire de même. L’impuissance que nous ressentons

devant cette double certitude paradoxale pèse sur nous ainsi qu’elle nous fait réfléchir à ce qu’ont

ressenti les déportés pendant leurs derniers moments de vie. Elle nous fait comprendre

l’importance de la transmission de cette histoire dont le professeur porte la responsabilité. Or, c’est

là, dans cette réflexion, que le voyage scolaire à Auschwitz démontre son efficacité. Que le
Brutz 28
professeur puisse provoquer ces sortes de pensées profondes dans les esprits de ses élèves est une

occasion incontournable en ce qui concerne l’enseignement de l’histoire.

Le Prix Annie et Charles Corrin

Créé en 1990 par rescapé Charles Corrin et son épouse Annie au sein du Fonds Social Juif

Unifié, le prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, “se veut avant

tout un outil pour préserver la mémoire de la Shoah, sa spécificité et son universalité, pour

contribuer à faire comprendre pourquoi et comment Auschwitz, lieu de Mémoire, doit inciter les

nouvelles générations à une réflexion morale et spirituelle.”34 Chaque année les classes de lycéens

et de collégiens soumettent leurs projets à un jury qui leur décerne le prix. Ce jury, composé des

noms notoires de la communauté juive française. (Georges Bensoussan, historien; Philippe Joutard,

historien; Vice-président Yad Vashem France, Annette Wieviorka, historienne) Un comité de

parrainage inclut dans ses rangs, Luc Chatel, le ministre de l’Education Nationale, Simone Veil,

rescapée et femme politique française, Serge Klarsfeld, historien et Président de l’Association des

Fils et Filles Déportés Juifs de France, Claude Lanzmann, cinéaste et écrivain et Elie Wiesel,

écrivain. Ce concours fournit le professeur et sa classe l’occasion de se commettre à un projet à

longue durée qui se concentre sur une sorte d’étude de cas sur la Shoah, ainsi permettant un

approfondissement de l’enseignement de la salle de classe.

En 2009 il y avait trente-cinq classes qui ont participé au concours dont deux lauréats, une

classe de lycée et une de collège ont été choisies. La cérémonie de la remise du prix, à laquelle j’ai

pu assister, a eu lieu à la Sorbonne le 28 janvier 2010. Avant de recevoir leur prix, chaque groupe

d’élèves a expliqué son projet avec un court exposé. Les collégiens, une classe de troisième du

collège Edmée Jarlaud à Acheux-en-Amiénois, a présenté son projet intitulé “La déportation des
3
34

Brochure officielle de la remise du Prix Annie et Charles Corrin 2009, 28 janvier 2010.
Brutz 29
enfants juifs de la Somme.” Une vidéo, ce projet a été créé par neuf élèves après une rencontre

avec un témoin, et un voyage scolaire à Auschwitz (à laquelle le témoin a participé). Selon un

article paru dans un journal régional, “Ce voyage a donc reposé sur plusieurs approches :

mémorielle, citoyenne et culturelle. Cette confrontation à la réalité permet de montrer aux jeunes

qu’ils ont un devoir de mémoire afin d’éviter que de tels actes se reproduisent.” La vidéo des

élèves a retracé l’histoire de trois enfants juifs (Cécile, Georges et Jean-Louis), originaires de la

Somme, de leur arrestation jusqu’à leur mort à Auschwtiz. Elle a mis en avant l’occupation nazie

de la France, la complicité des autorités de Vichy dans la déportation des juifs et les conditions de

vie à Auschwitz ainsi que les processus de sélection, désinfection et extermination.

Un groupe de lycéens du lycée Pierre Bourdieu à Fronton a effectué un projet basé sur Le

journal d’Hélène Berr, une jeune étudiante parisienne et juive qui a été arrêtée et ensuite déporté à

Auschwitz et puis finalement à Bergen-Belsen où elle est morte en 1945. Le projet intitulé “Hélène

Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation,” a visé à retracer les pas d’Hélène dans un

Paris occupé pendant un voyage pédagogique de trois jours en avril 2009. Avec les supports du

Mémorial de la Shoah et une rencontre avec Mariette Job, la nièce d’Hélène Berr, la classe a créé un

reportage d’une centaine de pages sur leur voyage. Une partie de ce reportage se compose des

récits des élèves du voyage. Nous y lisons:

“Ce voyage nous a donc permis de retracer le quotidien d’une jeune femme vivant à
Paris, ayant la même vie que des millions de jeunes de son âge, mais ayant le malheur d’être
juive. Ce quotidien que des millions d’hommes et de femmes ont vécu, mais que peu ont
racontés par leurs écrit, jusqu’à leur déportation, et souvent leur extermination.”
- Marion Abella, 1° ES 2

“Elle peut être considérée comme le porte-parole de tous les autres juifs, tziganes…, qui n’ont pas pu laisser de traces
de leur existence et de leurs douleurs. Des hommes et des femmes que nous avons le devoir de ne de ne pas oublier.”
- Fatiha Afkir, 1° ES 2

“J'imagine la vie d'Hélène Berr dans ce Paris de 1942, une étudiante de 21 ans au
commencement de sa vie, avec ses amours, ses envies. Je comprends son attirance pour le
Jardin du Luxembourg, un endroit qui m'a paru très calme et où j'aurais aimé rester, ainsi que
sa tristesse lorsque ses promenades sont gâchés part le port de l'étoile jaune comme dans le
petit square derrière Notre Dame.”
- Lucie Antagnac, 1° ES2

“La rencontre avec Mariette Job, la nièce d'Hélène Berr, a également été riche en
Brutz 30
enseignements sur sa quête pour retrouver le journal... Ce voyage aura donc été très intéressant et le souvenir d'Hélène
Berr restera pour toujours gravé dans un coin de ma mémoire.”
- Céline Brunet, 1° ES°2

“L'appartement d'Hélène Berr a l'air si paisible, dans un quartier si calme, il est


difficile de s'imaginer qu'à cet endroit même la vie d'une famille a été arrêtée pour être
conduite à la mort.”
- Jérémy Durantet,1°ES2

“Une fois entré au Mémorial [de la Shoah], on a visité une salle où était affichée les photos d'environ 3000 bébés et
enfants déportés, on réalise alors l'indifférence, la cruauté des troupes nazies envers les familles déportées... Au final,
on se rend compte grâce à ce voyage qu'il s'agissait d'une jeune fille, comme toutes les autres, qui voulait profiter de sa
vie, de sa jeunesse, et surtout qui était bien intégrée dans la société française.”35
- Ilhame Hadi, 1° ES 2

Les effets positifs de ces deux projets sur l’histoire de la Shoah sont évidents; ils exigent à la fois

une compréhension profonde des événements et une réflexion individuelle sur la déportation et

l’extermination des Juifs qui n’auraient pas eu lieu dans un enseignement effectué uniquement à

l’école. Etudier la Shoah à travers les événements qui se sont passés dans les mêmes locaux où

vivent actuellement ces élèves, c’est apprendre l’histoire de manière plus personnelle. La réalité de

la Shoah, souvent rendue floue par le décalage du temps, s’éclaircit avec cette sorte d’enseignement

supplémentaire.

Le Concours national de la Résistance et de la déportation

Créé en 1961 par Lucien Paye, alors Ministre de l’Education Nationale, le Concours

national de la Résistance et de la Déportation est un concours pédagogique auquel les élèves de

collège et de lycée peuvent participer. A la différence du Prix Annie et Charles Corrin qui se

concentre uniquement sur l’histoire de la Shoah, chaque année un thème portant sur la Résistance

ou sur la déportation est choisi par un comité et traité par les participants. Selon le site internet du

Ministère de l’Education Nationale, ce concours “propose aux élèves de travailler sur l’histoire de

la Résistance et de la déportation. Il est un vecteur essentiel de transmission de la mémoire et

d’éducation civique.”36 Le premier thème portant sur la déportation voit le jour en 1965 pour le
35
Hélène Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation, projet de classe de première du Lycée Pierre Bourdieu,
page consultée le 15 juin 2010, http://www.prixcorrin-fsju.org/jury/downloads/pierre-bourdieu/pierre-bourdieu-
projet.pdf
36
Brutz 31
vingtième anniversaire de la libération des camps de concentration. Depuis cette année-là, la

déportation ou la Shoah a paru comme thème du concours tous les deux ans. Nous avons inclus ci-

dessous tous les thèmes et consignes depuis 1995.37

1995: La victoire alliée et la libération de camps


- La libération des camps de concentration et d'extermination nazis par les alliés victorieux en 1945 prouve qu'une
certaine idée de l'homme constituait l'enjeu essentiel du conflit. Montrez que la Résistance, sous toutes ses formes, est
porteuse de cette valeur. Ce combat a-t-il encore des résonances aujourd'hui ?

1998: Les lieux de mémoire


- Des plaques, des stèles, des monuments évoquent le souvenir des actions de résistance et la mémoire des victimes des
persécutions et des répressions de la période de 1940 à 1945. Recherchez et commentez l'histoire de ces femmes, de ces
hommes, de ces enfants.

2000: L’univers concentrationnaire dans le système nazi


- Les camps de concentration et d'extermination font partie intégrante du système totalitaire nazi.
Quelles furent les causes, le fonctionnement et les conséquences de ce phénomène concentrationnaire ?

2002: Connaissance de la déportation et production littéraire et artistique


- Recherchez et analysez des témoignages et des documents de différente nature vous permettant d'approfondir vos
connaissances sur l'histoire de la déportation et de la résistance dans les camps de concentration nazis.
En particulier, l'étude des productions littéraires et artistiques réalisées par des déportés durant ou après leur
détention, ou par des non déportés, vous paraît-elle susceptible de contribuer à la transmission de la mémoire de ce qui
constitue un crime contre la personne humaine ?

2005: 1945: Libération de camps et découverte de l’univers concentrationnaire; crime contre


l’humanité et génocide
- Ce thème, choisi à l’occasion du 60ème anniversaire de la Libération des camps de concentration nazis, est destiné à
permettre une réflexion sur la prise de conscience universelle de la réalité concentrationnaire, et plus largement, sur
l’instauration de notions juridiques internationales, définissant les notions de crimes contre l’humanité et de génocide.

2007: Le travail dans l’univers concentrationnaire nazi

2009: Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi

Les prix du concours sont remis par un jury sélectionné dans chaque département français (y

compris les DOM-TOM). Ensuite les projets gagnants sont envoyés au jury national à Paris où un

gagnant national et choisi. Il est évident qu’un tel concours national permet aux élèves et leur

professeur d’entreprendre un projet qui, sans doute, approfondira leur connaissance de la Shoah et

de la seconde guerre mondiale. Cependant, en ce qui concerne les “canaux de diffusion” de cette

histoire, il est important de noter que le Concours de la Résistance et de la Déportation, ayant été

Concours national de la Résistance et de la Déportation, site officiel du Ministère de L’Education nationale,


page consultée 17 juin 2010, http://www.education.gouv.fr/cid28354/mene0911459n.html
37
Le concours nationale de la Résistance et de la déportation, CRDP Reims, page consultée 21 juin 2010,
http://www.crdp-reims.fr/memoire/concours/themes/autres.htm
Brutz 32
créé en 1961, est le premier concours pédagogique de cette sorte. A cause d’une cinquantaine

d’années d’histoire, ce concours tient une place très importante dans l’enseignement de la Shoah à

l’école. En 2010, 810 lycées, soit 9 791 lycéens y participèrent.38 Les organisations qui le parrainent

sont divers et nombreux et fournissent des supports annuels dont le concours jouit. Parmi les

parrains sont une quarantaine d’associations départementales, nationales et internationales dont le

Comité français de Yad Vashem, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, la Fondation pour la

mémoire de la déportation et la Fondation de la Résistance.

Il va sans dire qu’à l’instar des autres canaux de diffusion, le Concours national de la

Résistance et de la Déportation offre un approfondissement de l’instruction entreprise dans la salle

de classe. Le fait d’être le plus grand concours pédagogique portant sur l’enseignement de la Shoah

nous permet de reconnaître l’impact positif que ce type d’étude peut avoir sur les élèves. Cadrés au

sein d’un concours national, les travaux des élèves sont inspirés à la fois par l’histoire qu’ils

étudient et l’esprit de compétition. Cette occasion de faire travailler les élèves plus profondément

sur un thème s’agissant de la Shoah.

38

www.france-libre.net, site d’une association qui parraine le Concours national de la Résistance et de la


Déportation, page consultée le 3 juillet, 2010, http://www.france-libre.net/actualites/toutes-les-actus/participation-2010-
cnrd.php
Brutz 33

Partie III: Comment les professeurs envisagent-ils l’enseignement de la Shoah?

En 2008, le Ministère de l’Education Nationale publia un guide pédagogique intitulé

Histoire et mémoire de la Shoah à l’école, destiné aux professeurs d’histoire.39 Dans ce texte,

élaboré avec la participation de nombreux historiens et personnalités, les directives sont disposées

en forme des “orientations pédagogiques.” L’avant-propos, écrit par Simone Veil, est adressé

directement aux professeurs et il esquisse les enjeux qu’ils doivent considérer dans leur

enseignement:

J’ai trop de respect pour les enseignants et pour la mission essentielle qu’ils accomplissent pour ne pas savoir
combien l’enseignement n’est pas seulement une affaire de théorie pédagogique, mais bien un travail, souvent collectif,
qui prend en considération les réalités sociales et culturelles dans lesquelles il intervient. C’est pourquoi je suis
convaincue que vous saurez transmettre notre histoire en évoquant le destin des enfants victimes de la barbarie nazie
comme celui des enfants qui furent cachés et sauvés par les « Justes ». Vous montrerez ainsi que l’Histoire est constituée
d’une longue chaîne de responsabilités, individuelles et collectives, et que chacun de nous en est un maillon précieux.

Parmi les autres directives sont les exigences que le professeur ait, “un niveau de connaissances tel

qu’il puisse faire face aux questions, aux affirmations comme aux incompréhensions des élèves,”

qu’il comprenne les notions historiographiques du “crime contre l’humanité,” du “consentement,”

de la “passivité” et du “génocide” et qu’il insiste sur les valeurs républicaines françaises qui sont

“inscrites dans l’histoire nationale,” et “sont symbolisées dans la devise républicaine et sont

inscrites dans les articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.”

L’appel au témoin est fait, disant que “cette parole et capitale” en même temps que l’appel à

une “pédagogie ouverte” insiste sur un regard plus large sur le monde:

39

Histoire et mémoire de la Shoah à l’école, Guide pédagogique (Ministère de l’Education nationale.), CNDP,
2008, 39 p.
Brutz 34
“S’il est possible de conjuguer une éducation au jugement inhérente à toute leçon d’histoire avec une éducation à l’éveil
critique sur le monde environnant, la vigilance contre les retours possibles de la barbarie ne saurait se réduire à cette
seule somme de connaissances et de conscience critique patiemment édifiée, que l’on nomme culture ; il faut de surcroît
penser autrement l’autre et l’ailleurs, et appréhender la diversité culturelle comme l’essence même de l’humanité. Une
éducation ouverte sur le monde, sur l’autre et l’ailleurs est un des meilleurs remparts contre les préjugés et le racisme.”

Vers la fin du document se trouve les recommandations des lieux de mémoire, y compris la Maison

d’Izieu, le Mémorial de Caen, le Mémorial de la Shoah et le Musée d’art et d’histoire du judaïsme

mais aussi les institutions s’agissant de l’enseignement de l’histoire de la Shoah, y compris le

Concours national de la Résistance et de la Déportation, le Fonds Annie et Charles Corrin (le prix

Corrin pour l’enseignement de la Shoah) et Yad Vashem. Faisant référence aux majeurs problèmes

historiographiques, aux institutions qui lui sont disponibles et aux enjeux globaux de

l’enseignement du sujet, ces repères pédagogiques fournit le professeur d’une base solide sur

laquelle il peut construire son cours d’histoire

Cependant, dans une étude qui porte sur l’enseignement, l’un des éléments à la fois le plus

important et le plus ardu à cerner est celui du rôle que joue le professeur dans sa salle de classe.

Nous insistons sur le “sa salle de classe” car, derrière les portes fermées, le professeur se comporte

et enseigne ce qu’il veut, quand il veut, en tant qu’individu, ainsi rendant toute mesure de son

exercice forte compliquée. Une étude de cette sorte aura donc un niveau d’incertitude lié à la liberté

que possède le professeur. Cette liberté peut se manifester de manières très différentes. Les formes

pédagogiques qu’il emploie sont aussi diverses que ses élèves et, souvent, il en emploiera une ou

plusieurs en même temps. Alors, une myriade de questions s’y posent: Enseigne-t-il directement du

manuel scolaire? Exploite-il d’autres ressources pédagogiques comme des films, des romans ou

même des bandes dessinées? Pratique-t-il des approches interdisciplinaires? Quelles sont ses

propres opinions sur le sujet qu’il enseigne? Pense-t-il que le traitement du sujet soit suffisant? Le

but de clarifier toutes, cela n’est pas simple.


Brutz 35
Néanmoins, il faut que nous essayions de répondre à ces questions afin d’analyser

l’enseignement du plus près que possible. Songeant à la meilleure manière d’interroger le

professeur, nous nous sommes résolus à élaborer un questionnaire et puis à l’envoyer à une

trentaine de professeurs (les noms et adresses ont été fournis par l’équipe pédagogique du Mémorial

de la Shoah) traitant le sujet de la Shoah lors de leurs cours d’histoire. Basé sur celui qu’ont créé

Henry Rousso et Eric Conan dans leur livre, Vichy, un passé qui ne passe pas, notre questionnaire

va au delà des contraintes de ce dernier.40 Ayant été fait il y a quinze ans, le questionnaire de Rousso

et Conan ignore que les nouvelles technologies ont fait évoluer l’enseignement profondément.

L’essor de l'internet comme intermédiaire à l’information a donné naissance à une véritable

explosion de ressources, bonnes et mauvaises, sur l’enseignement de la seconde guerre mondiale.

L’accès qu’ont les élèves ont aujourd’hui à cette histoire est presque illimité. La parution des

nouveaux livres, films et théories, l’évolution du débat public font que des nouvelles questions sont

nécessaires. Voici les deux questionnaires, on mesurera leurs ressemblances et leurs différences.

Questionnaire Conan Rousso (1994)


1.) Avez-vous le sentiment que cet enseignement changé de nature 7.) La présence continuelle de cette période dans l’actualité (procès,
depuis une dizaine d’années, tant par rapport au contenu des manuels et commémorations, scandales...) en particulier à la TV, a-t-elle des effets
des programmes que par rapport à la réaction des enseignants en général, sur votre enseignement, sur la réaction des élèves et celle des parents?
des élèves et des parents d’élèves? Si oui, lesquels?

2.) Diriez-vous par exemple que cette période est mieux traitée qu’avant 8.) Que pensez vous de certaines directives ministérielles
ou non? AU plan qualitatif? Au plan quantitatif, c’est à dire quant à sa conjoncturelles (diffusion systématique de certains films comme Nuit et
place dans le programme et dans l’enseignement effectif? Brouillard, leçons ad hoc...) face à en événement d’actualité lié à la
mémoire de l’Occupation : procès Barbie, arrêt Touvier, mort de
Bousquet...? L’Education nationale vous semble-t-elle en phase avec ce
qu’il conviendrait de faire de votre point de vue pour sensibiliser les
élèves?

3.) Les reproches récurrents sur la “faible” part de cette période dans 9.) Que pensez-vous du Concours général de la Résistance et de la
l’enseignement secondaire vous semblent justifiés? Déportation? Vos élèves y participent-ils?

4.) Y consacrez-vous vous-même une part substantielle lorsque vous 10.) Dans votre académie, des sujets concernant la guerre ont-ils été
avez à l’enseigner ou êtes-vous pris dans la logique du programme et des donnés souvent au bac ces dernières années? Avec quels effets (trop
examens? Cette période est-elle plus volontiers que d’autres l’occasion difficiles, trop brûlants, trop peu étudiés en amont ou au contraire en
de travaux en dehors de la classe, ou de travaux en commun avec phase avec le contenu des enseignements...) ?
d’autres enseignants?

5.) Quels manuels utilisez-vous de préférence, et que pensez-vous de la 11.) Vous êtes vous-même spécialiste de ces questions donc
manière dont cette période y est traitée? Existe-t-il encore des tabous, certainement plus attentif à la place de la seconde guerre mondiale dans
des silences, des sujets peu explorés, ou au contraire des sujets qui l’enseignement. Avez-vous l’impression que vos collègues pourraient
occupent une trop grande place? Bref, pensez-vous que le traitement des répondre de la même manière à ce questionnaire (le cas échéant, vous
faits est équilibré - sinon “objectif” - en regard de votre propre pouvez bien entendu le leur communiquer?
connaissance d’historien de la période.

6.) Quelle est l’attente des élèves sur ces questions? La curiosité, d’un
côté, l’ignorance ou la persistance de clichés, de l’autre, sont-elles plus
importantes, égales, inférieures que pour d’autres périodes de l’histoire
40

ROUSSO, H., CONAN, E., Vichy un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994. p. 362-363.
Brutz 36

Questionnaire Brutz (2010)


1.) Avez-vous le sentiment que l’enseignement de la Shoah a 9.) Que pensez-vous du Concours général de la Résistance
change de nature depuis une dizaine d’années (contenu des et de la Déportation? Vos élèves y participent-ils?
manuels et des programmes, la réaction des enseignants, des
élèves et des parents d’élèves)? La disparition des témoins
va-t-elle modifier cet enseignement?

2.) Diriez-vous que cette période est mieux traitée 10.) Quels livres conseillez-vous à vos élèves pour aborder la
qu’auparavant ou non? Au plan qualitatif? Au plan Shoah?
quantitative, quant à sa place dans le programme et dans - un livre d’histoire?
l’enseignement effectif? - un témoignage? Si oui, lequel?
- un roman ou un récit? Si oui, lequel?

3.) Y consacrez-vous vous-même une part substantielle 11.) Quels films citeriez-vous par ordre d’importance sur le
(combine de séances par exemple) lorsque vous avez à sujet?
l’enseigner ou êtes-vous pris dans le logique du programme
et des examens? Cette période est-elle plus volontiers que
d’autres l’occasion de travaux en dehors de la salle de classe,
ou de travaux avec d’autres enseignants?

4.) Quels manuels utilisez-vous de préférence et que pensez- 12.) Quelle différence faites-vous entre la présentation de la
vous de la manière dont cette période y est traitée? Existe-t-il Shoah au collège et au lycée?
encore des tabous, des silences, des sujets peu explorés, ou au
contraire des sujets qui occupent trop grande place? Bref,
pensez-vous que le traitement des faits est équilibré en regard
de vos propres connaissances de la période?

5.) Employez-vous d’autres outils en dehors de la salle de 13.) Selon vous, la rafle du vélodrome d’hiver, qui en porte
classe pour sensibiliser vos élèves au sujet, voyages la responsabilité?
mémoriaux, musées ou lieux de mémoire par exemple? Si
oui, lesquels?

6.) Pratiquez-vous les approches interdisciplinaires? Si oui, 14.) Est-il pertinent ou judicieux de mettre en perspective la
lesquelles? Shoah avec un génocide plus contemporaine et pourquoi?

7.) Selon vous, faut-il emmener vos élèves à Auschwitz et 15.) Si vos élèves disent que la Shoah est une vieille histoire
pourquoi? et qu’aujourd’hui il se passe en Afrique des choses plus
graves, que leur dites-vous?

8.) La présence continuelle de cette période dans l’actualité, 16.) Y a-t-il dans la vie courante, dans votre milieu
en particulier à la télévision et sur internet, a-t-elle des effets professionnel ou dans la société en général, un phrase, une
sur votre enseignement, sur la réaction des élèves et celles réflexion que vous trouvez particulièrement inacceptable
des parents? Si oui, lesquels? lorsqu’on parle de la Shoah?

Les questions posées dans notre questionnaire portent sur trois grands thèmes: le sentiment du

professeur à l’égard du traitement actuel de l’histoire de la Shoah; les pratiques pédagogiques qu’il
Brutz 37
emploie lui-même; son avis sur l’avenir de cet enseignement. (Différences des deux

questionnaires?)

Les questions portant sur les sentiments personnels du professeur ont produit des réponses

très variées, voire contradictoires. Pour une professeur, “les manuels scolaires me semblent parler

davantage de la deuxième guerre mondiale, de la résistance au Nazisme comme un totalitarisme,”

mais ils “oublient tant de choses,” tandis qu’une autre dit, “les manuels sont plus précis, l’appel aux

témoins est recommandé par le rectorat, les parents y sont favorables, les élèves sont très intéressés,

certains enseignants trouvent qu’on en fait trop!” L’influence des médias a montré d’autres

différences d’opinion. Alors qu’un professeur évoque le côté négatif de la disponibilité des

informations diffusées à la télévision et sur internet, une autre dit “le cinéma peut concrétiser cette

période” et une autre dit qu’elle y a “un intérêt positif car il m’arrive souvent de m’en servir.”

Cependant, certaines réponses se ressemblent de manière très uniforme, surtout à l’égard de la

responsabilité de Vichy. A la question, “selon vous, la rafle du Vélodrome d’Hiver, qui en prote la

responsabilité?” tous ont eu des réponses semblables, par exemple “les autorités françaises”, “l’Etat

français, incontestablement” ou, simplement, Vichy.

Quant aux méthodes pédagogiques pratiquées par les professeurs, nous y voyons une

confirmation de la difficulté posée par une étude de cette sorte. Chaque professeur nous a fournis

une liste de lectures qu’ils proposent à leurs élèves; en dépit de certains chevauchements, il existe

un désaccord par rapport au niveau de l’adéquation pour les élèves. Une professeur cite les

ouvrages de Fred Uhlman, Hélène Berr ou Wladyslaw Szpilman tandis qu’une autre cite les

ouvrages de Francine Christophe, Charlotte Schapira et Frania Eisenbach. Un troisième cite Primo

Lévi et des ouvrages de Georges Bensoussan. Une explication simple de ces contrastes de choix de

la part du professeur est la disponibilité aujourd’hui de toute un gamme d’ouvrages, mais en

réfléchissant au genre de ces livres, nous pouvons déterminer, même si cela n’est pas explicitement

dit dans les réponses, que les conceptions de cet enseignement spécifique diffère selon les
Brutz 38
enseignants. Certains de ces livres sont de la fiction qui porte sur une expérience vécue, tandis qui

d’autres sont des vrais récits de la France occupée ou du camp d’extermination à Auschwitz. Ce

phénomène se retrouve aussi dans le choix de films que font les enseignants. Les films varient des

“classiques” comme Au revoir les enfants Louis Malle, Nuit et brouillard d’Alain Resnais, De

Nuremberg à Nuremberg de Frédéric Rossif et Shoah de Claude Lanzmann aux nouveaux comme

La rafle de Roselyne Bosch (sorti en 2010). Encore une fois, cette variété de choix peut s’expliquer

par la diffusion massive de films aujourd’hui41 mais il ne faut pas ignorer l’influence de la volonté

du professeur.

Un autre domaine des méthodes pédagogiques utilisées dans l’enseignement de la Shoah est

l’emploi des ressources qui se trouvent en dehors de la salle de classe. Là aussi, les opinions des

enseignants divergent. Bien que l’accès à toutes ces ressources ne soit pas tout à fait égal (pour les

raisons financières, géographiques, etc.), les réponses du questionnaire nous indiquent qu’en dépit

des inégalités devant ces ressources, le choix entre l’un ou l’autre est strictement lié au désir et à

l’avis du professeur. A la question portant sur les voyages scolaires à Auschwitz, un professeur a

répondu qu’il est nécessaire “pour qu’ils soient davantage sensibilisés” tandis qu’une autre réplique,

“Auschwitz est fondamental, mais ne peut être imposé à tous.” Pour un troisième, l’ambiguïté est

évidente: “Je ne l’ai pas encore fait, mais pourquoi pas?” Deux professeurs ont fait référence à la

participation de leurs élèves au Concours national de la Résistance et de la Déportation, mais un

autre nous dit, “non, et je trouve cela dommage.” Parmi d’autres réponses, Drancy, le Mémorial de

la Shoah, le Mémorial de Caen et le cinéma sont souvent cités comme des sorties extérieures les

plus souvent effectuées.

Les réponses à la question concernant l'interdisciplinarité indiquent que cette pratique,

relativement nouvelle à tout niveau du système éducatif français, est bien à l’oeuvre dans les

établissements scolaires. Bien évidement, toutes ces méthodes interdisciplinaires se diffèrent selon

41

La Shoah à l'écran. Crimes contre l'humanité et représentation, Conseil de l'Europe, La Documentation


française, 2004.
Brutz 39
l’école, mais pour donner un exemple, nous citerons la réponse d’une professeur qui décrit son

travail interdisciplinaire avec un professeur de français:

“Je travaille ce sujet en interdisciplinarité avec l’enseignant de français. Cette année, nous avons travaillé sur ce

sujet sur deux classes: histoire (moi), plus deux professeurs de français, un professeur d’anglais et le chef de

l’établissement, partant du film allemand La vague, pour aboutir à la projection du film La rafle, les élèves ont

bien compris la problématique et ont beaucoup apprécié ce travail.”

Il n’y avait qu’un professeur qui a admis le manque de l’interdisciplinarité à son établissement.

L’avenir de l'enseignement est l’un des sujets qui suscitent de vifs débat aujourd’hui.

Plusieurs des questions du questionnaire portent sur ce thème et les réponses démontrent une

dissension très marquée parmi les répondants. La première question sur l’inévitable disparition des

témoins reçoit des réponses peu éloignées. Une enseignante dit,

“Je pense que cependant que la vigilance mieux organisée qu’ailleurs, par les victimes de la Shoah et par leur
descendants, préserve son oubli. Je constate que tout s’oublie (ce qui fait parmi d’autres raisons, qu’elles se répètent)
mais j’espère que l’opiniâtreté des vigiles s’accentue dans toutes les tragédies. Cependant, quand les enfants et les
petits enfants des déportés disparaîtront, je crains l’oubli.”

Un autre réplique, “Les témoins tiennent une grande place dans l’intérêt des élèves et leur prise de

conscience; leur “disparition” se fera sentir, il faut déjà y réfléchir.” Cependant, lorsqu’il s’agit de

la relativisation de la Shoah (Est-il pertinent ou judicieux de mettre en perspective la Shoah avec un

génocide plus contemporain et pourquoi?), les réponses deviennent disparates. Pour un professeur

la spécificité du génocide juif est nette. “La Shoah a une spécificité: planifiée, massive,

scientifique...” mais pour d’autres la réponse est plus ouverte:

“Oui, même si quantitativement le nombre des victimes est égal ou inférieur, ma même logique les détermine,”
réplique-t-elle. “Ce qui me frappe, c’est que les éveilleurs de l’esprit critique se limitent à la Shoah, ce qui être limitatif,
voire discriminatoire. Il devraient se faire les défenseurs plus ciblés de toute victime d’un totalitarisme. Mais les
enjeux actuels ne les ouvrent pas aux autres victimes.”
Brutz 40
Selon un autre, “oui pour sensibiliser les élèves à la vigilance.” Nous y apercevons les deux côtés

du spectre d’un vif débat actuel dans le monde de l'enseignement et nous voyons bien les

complexités de l’argumentation.

Les résultats de ce questionnaire témoignent, comme nous l’avons déjà dit, de la difficulté

de quantifier les pratiques qu’emploie le professeur dans sa salle de classe. En dépit de ce qui est

inscrit dans le programme d’histoire du Ministère de l’Education Nationale, lorsque les portes se

referment derrière l’enseignant, la transmission de cette histoire repose sur sa volonté et sa liberté

comme professeur. L’enseignement de l’histoire de la Shoah variera de l’une classe à une autre,

quels que soient les films, les livres, les voyages scolaires ou autres ressources choisis, rendant une

“norme” pédagogique inévitablement impossible à cerner.

A la lumière des entretiens que nous avons eus avec différents enseignants, il nous semble

qu'aujourd'hui, l'explication historique de la Shoah comme point ultime d'un mécanisme totalitaire

est de plus en plus accompagnée de récits de parcours individuels, d'Anne Franck à Primo Levi,

Ette Hilsum ou Hélène Berr. Insensiblement l'analyse cède le pas à une évocation mémorielle dont

la force émotionnelle est sans égal. Enjeu d'enseignement, la Shoah se trouve ainsi au carrefour de

l'Histoire et de la mémoire. Ce que rappelle Philippe Joutard dans le fascicule du CNDP consacré à

l'enseignement de la Shoah:

“La mémoire et l’histoire sont deux approches du passé que la Shoah sollicite dans leurs différences

et leurs complémentarités. La mémoire a un rapport direct, affectif avec le passé, puisqu’elle est

d’abord individuelle. La mémoire abolit la distance temporelle, à plus forte raison quand une

personne a subi un traumatisme qui marque à jamais sa vie, ce qui est le cas non seulement des

quelques rescapés des camps d’extermination, mais aussi des enfants cachés, de ceux qui n’ont

jamais revu leurs parents. La mémoire trans-mise aux enfants transforme une mémoire personnelle

en mémoire familiale. Cette transformation peut s’effectuer dans un groupe plus large par des

témoins et/ou des acteurs directs, des récits, oraux, écrits, mis en images fixes ou animées, et

contribue à cimenter l’unité du groupe. On parle alors d’une mémoire collective ou partagée. La
Brutz 41
contre-partie de la proximité est l’extraordinaire sélectivité de la mémoire. L’oubli est donc la

condition même de la mémoire, soit parce que le fait apparaît comme insignifiant ou au contraire

trop lourd et trop difficile à porter. Lorsqu’on n’occulte pas un fait on peut aussi le déformer. Ce qui

est vrai

de la mémoire individuelle, l’est aussi de la mémoire collective. L’histoire instaure une distance ;

dans la très grande majorité des cas, l’historien n’a pas vécu le passé qu’il décrit, le lien affectif et

personnel n’est pas spontané. Mais surtout sa démarche d’étude l’oblige à prendre du recul, à se

défaire de ses préjugés, à déceler le vrai du faux. Il doit utiliser toutes les sources, toutes les traces

possibles de la réalité et les croiser et les confronter pour tenter de reconstituer le déroulement des

faits. Il doit ensuite placer les faits dans leur contexte, mettant en valeur continuités et ruptures. Il

lutte ainsi contre un des dangers majeurs de la perception du passé ; l’anachronisme, autrement dit,

l’impression trompeuse d’une similitude absolue de situations et de sentiments comme si le temps

n’existait pas, comme si les gens d’hier pensaient comme ceux d’aujourd’hui. S’il y a une réalité qui

impose une collaboration étroite entre ces deux approches du passé, c’est bien le génocide des Juifs.

Les témoins n’apportent pas seulement le fruit de leur expérience et de leurs émotions, mais ils

révèlent le fonctionnement véritable de l’entreprise d’extermination et sa dramatique originalité, la

volonté d’humiliation et pire de déshumanisation précédant la mort. Ils révèlent en particulier la

perversité du système qui associe les victimes à leur propre destruction morale et physique. Sans la

mémoire, des phénomènes comme l’accueil des enfants cachés risquaient de passer inaperçus. Mais

l’histoire est tout aussi nécessaire. Elle est établissement de la vérité, croisant les preuves et les

témoignages, recherchant les différentes sources d’archives. Elle permet de démonter des

entreprises de falsification, de mettre en garde contre quelques récits très minoritaires de pure

fiction. Le travail historique systématique donne aux témoignages tout leur prix en les replaçant

dans leur contexte historique qui place l’extermination au centre d’un système idéologique et

politique.”
Brutz 42

Ce commentaire sur le rôle que jouent l’histoire et la mémoire dans leur ensemble fait partie

du livret pédagogique que le Ministère de l’Education nationale offre aux professeurs. A partir de

ce texte nous pouvons déduire que les pistes sur lesquelles la mémoire collective se construit sont

bien placée à la disponibilité du professeur. Alors, qu’en fera-t-il? Là, comme le questionnaire

l’atteste, tout repose sur la volonté de celui qui obtient le droit d’entrée dans la salle de classe.
Brutz 43

Conclusion

Au cours de la cinquantaine d’années que cette étude a suivie, plusieurs grands thèmes sont

apparus. A la fois historiques, politiques et culturels, les conséquences de cet enseignement sur la

société française nous font remarquer les profondes transformations qu’a subies cette société au fur

et à mesure que l’histoire de la Shoah, en particulier le rôle de l’Etat français, s’est diffusée pendant

la deuxième moitié du vingtième siècle. Parmi ces thèmes, il y en a deux qui nous semblent

importants à signaler.

L’histoire de l’enseignement de la Shoah nous a montré d’abord l’évolution des canaux de

transmission de la mémoire qui se sont multipliés au cours des vingt dernières années. (Une preuve

évidente en est la forte hausse de la fréquentation des visites scolaires au Mémorial de la Shoah

entre 1994 et 2009.) Cette période est notamment marquée par trois événements fondamentaux.

Le premier a lieu en 1985 avec l’inscription de la shoah dans les programmes scolaires du

Ministère de l’Education nationale. Le second, dix ans plus tard, est le discours de Président

Jacques Chirac en juillet 1995 commémorant la grande rafle du Vélodrome d’Hiver : pour la

première fois, un chef de l’Etat français reconnait la complicité de l’Etat dans la déportation des

Juifs de France vers les camps de concentration et d’extermination nazis pendant l’occupation de

1940 à 1944. Le troisième, enfin, réside dans la proposition très controversée faite par le président

Sarkozy en 2008 de faire “adopter” par chaque élève de CM2, un enfant déporté pour retracer son

histoire, de l’avant guerre jusqu’à son extermination à Auschwitz. Cette initiative de l’Elysée

montre la trace profonde que la mémoire de la shoah laisse en ce début de siècle sur la société

française. La tempête médiatique soulevée par cette incroyable proposition, le refus de la

communauté juive d’y souscrire ont enterré le projet mais ont également mis en lumière la place

désormais centrale accordée à la Shoah dans la constitution de la mémoire officielle de la France.

Parallèlement, la réussite des institutions de la mémoire de la Shoah en France et ailleurs,


Brutz 44
l’essor des concours scolaires (le Concours général de la Résistance et de la Déportation, et le Prix

Charles et Annie Corrin,) et des musées français comme la Maison d’Izieu à Lyon, le Mémorial de

la Shoah à Paris, le Mémorial de Caen) et à l’étranger -Yad Vashem en Israël musée d’Auschwitz

en Pologne, The United States Holocaust Memorial Museum à Washington D.C.)- ont contribué à

façonner le paysage de la mémoire en démultipliant les ressources disponibles pour l’enseignant

qui entreprend cette histoire avec ses élèves et qui désormais n’est plus guidé comme le passé par

les seules instructions Officielles ou les manuels scolaires.

Mais, la réussite même de ces institutions de la mémoire, la place désormais incontournable

de l’histoire de la Shoah dans l’enseignement français conduit en fin de compte à se poser la

question suivante: cette “réussite” n’a pas seulement modifié la vision de l’histoire de la guerre en

mettant en valeur les responsabilités françaises dans l’extermination, n’a-t-elle pas également

modifié le propos initial de ceux qui dès le lendemain de la guerre souhaitaient que l’évocation de

l’extermination serve à la dénonciation de tous les génocides et de tous les totalitarismes? A la fin

des années 1950, le programme “radical” d’historien Fernand Braudel, avait proposé d’inclure

l’histoire européenne dans un contexte mondial. Dans les textes scolaires des années 1960, les

chapitres traitant du génocide lui donnaient un caractère universel, sinon européen Au cours des

années 1970, l’éclatement du mythe résistancialiste a amené simultanément le monde enseignant (le

colloque à Orléans en 1979) et la communauté juive à exiger une nouvelle version de l’histoire de la

seconde guerre mondiale rectifiant la part de l’administration française dans la collaboration et la

spécificité de la persécution des juifs.

Les historiens voulaient mettre en lumière le rôle du régime de Vichy dans la déportation

des juifs de France, la communauté juive, de son côté, tout en faisant connaître le rôle génocidaire

de Vichy, ira un peu plus loin, visant à donner au génocide une spécificité juive. Nous avons vu

dans les manuels scolaires, depuis l’inclusion du génocide au programme de 1985, l’évolution du

langage dans les textes. Aujourd’hui, la focalisation sur l’extermination des juifs présentée à juste

titre comme le plus grand génocide du siècle a eu également comme conséquence l’oubli ou du
Brutz 45
moins la mise en retrait des autres génocides du siècle souvent ainsi qualifiés du bout des lèvres et

en tout état de causes toujours considérées comme fondamentalement différents du génocide juif.

Peu à peu on a ainsi quitté l’universalité du génocide du départ pour arriver à définir une spécificité

d’un génocide qui diffère des autres. De même, dans la dénomination française du génocide, le mot

“Shoah”, un mot hébreu signifiant cataclysme ou catastrophe, l’a progressivement enfermé dans son

exception spécifiquement juive.

La transformation qu’a subie l’enseignement de la Shoah de 1945 à nos jours est ainsi

symptomatique d’une plus grande transformation sociale occidentale qui s’éloigne de l’universalité

européenne qui était au cœur de l’enseignement des années 1950 et dans l’esprit même de la

fondation de l’Union Européenne.

Dans le contexte français, l’actualité met régulièrement en lumière cette transformation.

La visibilité croissante d’une population française d’origine musulmane a dévoilé la nature

hétérogène des habitants de l’Hexagone. Nous retrouvons un bon exemple dans le succès remporté

par les Euro-palestiniens lors des élections européennes de 2004, récoltant parfois plus de 20% des

suffrages dans certaines villes des banlieues parisiennes. Le discours antisioniste, antisémite et

négationniste de leurs candidats comme l’humoriste Dieudonné montrent un rejet d’une histoire de

la Shoah spécifiquement juive. La Shoah devient donc un objet de dérision, un mensonge. D’où

nous constatons les sentiments convergents qui forment le fondement de la concurrence des

mémoires. Maghrébins, Noirs ou Arméniens ont tous réclamé des lois mémorielles reconnaissant

des génocides et l’inclusion dans les manuels des références à leur propre histoire.

La mutation de la “mémoire républicaine” s’est ainsi effectuée en trois phases: la première,

dans l’immédiat après-guerre, est celle de la constitution d’une mémoire républicaine unifiée, la

deuxième, entre 1970 et 2000 est celle d’une mémoire qui s’est peu à peu focalisée sur la

spécificité juive du génocide; la troisième et la plus récente est celle de la mémoire multipolaire,

dans laquelle se retrouve une panoplie de groupes qui réclament l’intégration dans la mémoire

collective de leur propre histoire, indigènes de la république évoquant les crimes de l’esclavage ou
Brutz 46
de la colonisation, maghrébins revendiquant la reconnaissance des crimes de l’armée Française, etc.

L’évolution de l’enseignement de la Shoah se révèle ainsi comme le prisme d’une société française

peu à peu amenée à reconnaitre les facettes multiples d’une mémoire longtemps tenue pour unique

mais de plus en plus vécue comme diffractée et plurielle.


Brutz 47

Bibliographie

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Programmes et instructions (lycées) CNDP 1959


Programmes et instructions (lycées) CNDP 1969
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1985
Programmes et instructions (lycées) CNDP 1995

Entretiens

CORRIN, Eliane, de la famille Corrin du Prix Corrin, entretien personnel, réalisé le 14 mars 2010.
SINGER, Claude, Directeur de l’équipe pédagogique du Mémorial de la Shoah, entretien personnel,
réalisé le 21 janvier 2010.
TEICHER, Frabrice, Membre de l’équipe pédagogique du Mémorial de la Shoah, entretien
personnel, réalisé le 29 janvier 2010.

Autres sources variées

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Livret d’accompagnement, Voyage d’étude Auschwitz, Mémorial de la Shoah, 2008.
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www.france-libre.net, site d’une association qui parraine le Concours national de la Résistance et de la
Déportation, page consultée le 3 juillet, 2010, http://www.france-libre.net/actualites/toutes-les-
actus/participation-2010-cnrd.php
Cela veut dire qu’à la suite de la guerre, De Gaulle préférait une conception de l’histoire qui se

construise en noir et blanc, juste et injuste, résistant et occupant. Le fait d’une collaboration d’un

nombre considérable de français (à l’exception de quelques individus culpabilisés dans la période

d’épuration immédiatement suivant la fin des hostilités : Louis Renault, Robert Brasillach et Céline,

pour des exemples très connus) était, à l’époque, impensable. Avec ce mythe, la France commence

à oublier une difficile vérité. Dans la période entre 1954-1971, “ le souvenir de Vichy se fait moins

conflictuel....les français semblent refouler cette guerre civile, aidés en cela par l’établissement d’un

mythe dominant : le résistancialisme.”42 Cette version de l’histoire de la France durant la guerre

était fermement soutenue par l’Etat jusqu’aux années 1990 (Le discours donné en avril 1995 par

Jacques Chirac, Président de la République est vu souvent comme l’aveu officiel du rôle de l’Etat

français dans la déportation des juifs envers les camps de concentration nazis). De nombreux

commémorations et mémoriaux (le Mémorial de la France combattante, inauguré par De Gaulle lui-

même en 1960 et le transfert des cendres du célèbre résistant Jean Moulin au Panthéon en 1964, par

exemple) l’ont renforcée. La mémoire de Vichy, et surtout le rôle de celui-ci dans la Déportation

des juifs de France envers l’Europe de l’est s’est trouvé cachée par l’histoire “officielle” de l’Etat

français.

Cependant, entre 1971 et 1974, “le miroir se brise et les mythes volent en éclats...[Vichy]

se présente comme un retour du refoulé.”43 Le retour du refoulé prend la forme d’une nouvelle

42

43
génération, les baby boomers, qui commence à se poser des questions de ce que s’était passé

pendant la guerre et commence à se rendre compte que les réponses à ces questions ne seraient ni

facile à comprendre ni facile à accepter. Parmi ces nouvelles questions, se situe celle du rôle de

l’Etat français dans la déportation des juifs, un rôle qui sera désormais mis en question. La

traduction française de Vichy France de Robert Paxton, l’un des livres le plus puissant sur cette

période, paraît en 1973 et, en 1969, le documentaire Le chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls sort au

cinéma. Dans le film, les interviews d’anciens combattants français et allemands, hommes

politiques et fonctionnaires suggèrent qu’il y a eu plus de collaboration avec les nazis que voudrait

avouer l’Etat français ; il est censuré à la télévision française pendant une période de dix années.

Néanmoins, ces premiers ouvrages éventeront la mèche que créera, pour cette nouvelle génération

de français, une véritable obsession de l’histoire de la seconde guerre mondiale. Aller dans

n’importe qu’elle librairie en France, on y trouvera, dans les rayons dédiés à la deuxième guerre

mondiale, les livres sur tous les aspects de la période: la Shoah et la Déportation, la Résistance,

Vichy et le militaire y ont tous leur propre place. Or, une question importante se pose:

L’illumination de la part de la société française sur cette nouvelle histoire du rôle de la France

durant la guerre se transmet-elle au sein des institutions scolaires?

Théoriquement, la scolarisation que reçoivent les enfants d’une société reflète la pensée

dominante de cette même société. Tel est le cas pour la France; depuis l’ère de Jules Ferry,

l’éducation des enfants français a été conçue comme un outil pour sensibiliser les élèves aux valeurs

républicaines françaises.44 De même, lorsque les faits honteux d’histoire courent le risque de faire

embarrasser l’Etat, ils ont tendance de ne pas apparaître dan les textes scolaires. En ce qui concerne

la seconde guerre mondiale, et surtout la Déportation et la Shoah, l’incrédulité avec laquelle la

mémoire collective française s’en souvenait va de pair avec son ensiegnement à l’école. Dans les

salles de classe, nous retracerons une route de cette histoire “refoulée” qui ne se distingue guère de

celle qu’a soutenue la population française entière.


44
En 1959, le programme d’histoire subit ces plus grands changements depuis la fin de la

guerre. Le ministère de l’éducation nationale, pour la première fois, inscrit l’étude des civilisations

au programme en essayant “de permettre aux élèves de comprendre l’actualité en leur montrant les

racines des problèmes du temps présent.”45 L’un des personnages qui y a joué un rôle important

était celui d’historien Fernand Braudel. En fait, le programme en est devenu “le programme

Braudel.” Pour lui, afin de “former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils

vivent,” l’inscription d’une étude sur les civilisations mondiales au nouveau programme était le

début d’une “révolution.”46 A partir de la rentrée 1962, ce programme entre en vigueur. Alors que

l’occasion d’aborder la Shoah avec l’histoire de la montée du nazisme se révèle en ce moment (le

programme couvre la période de 1914 à 1945), il n’y a aucune place pour la Shoah, la Déportation

ou Vichy. Le manuel que cosigne Braudel lui-même ne fait référence à ces événements que dans

une ligne qui mentionne seulement, “les groupes ethniques pourchassés par les nazis, juifs,

gitans.”47 L’histoire de la France enseignée à l’école restera vague jusqu’en les années 1980. Elle

ne deviendra inscrite au programme qu’en 1983.

Néanmoins, certains enseignants décident de ne pas attendre les instructions du ministère de

l’éducation nationale pour enseigner l’histoire de ces événements, jusqu’alors ignorés par le

programme officiel de l’Etat. En avril 1979, un groupe d’enseignants, parmi eux plusieurs

membres de l’Association des professeurs d’histoire et géographie (APGH), se réunissent à Orléans

pour discuter cet enseignement. Assistant au Colloque aussi sont Olga Wormser Migot, l’une des

premières historiennes de travailler sur la Shoah et la Déportation, et Léon Paliakov, l’un des

historiens de la Shoah et de l’antisémitisme le plus connu et co-fondateur du Centre du

documentation juive contemporaine (CDJC). Les douze propositions ou “thèses” du Colloque

d’Orléans, qui incluent les sections intitulées; objectifs, méthodes et formation des maîtres, sont

publiées dans Historiens et géographes, la revue de l’APHG, par François Delpech, alors professeur

à l’Université de Lyon II. Le préambule du document remarque,

45

46

47
Les manuels scolaires

En 1959, un arrêté du Ministère de l’Education nationale inscrit, pour la première fois,

l’histoire de la seconde guerre mondiale au programme scolaire. Sous le titre de “Le monde

contemporain,” les élèves apprendront, “la seconde guerre mondiale (1939-1945) et ses

conséquences.”48 Les premiers manuels qui s’y sont conformés ont été publiés dans le début des

années 1960. Le monde contemporain publié en 1962 par les Editions Fernand Nathan essaie

d’envisager globalement les problèmes du XXe siècle en dépassant par la notion de civilisation le

traditionnel exposé des conflits nationaux. Les manuels suivent en cela les analyses des historiens

de l’époque. L’un des personnages qui joue alors un rôle important est Fernand Braudel. En fait, le

programme de 1959 en est devenu “le programme Braudel.” Pour lui, afin de “former des hommes

capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent,” l’inscription d’une étude sur les

civilisations mondiales au nouveau programme marque le début d’une “révolution.”49 Selon le texte

une nouvelle “conception scientifique” est née, en Europe, au début du XXe, “non plus de la

civilisation, mais des civilisations.”50 Cependant, le manuel s’arrête avant d’aborder le sujet de la

Shoah. Il n’y aucune mention sauf un extrait d’un livre, L’Europe sans rivages de François

Perroux, à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale qui y fait allusion:

Même si cet extrait suscite, à la fois une auto-réflexion profonde sur les événements ou la

“barbarie” de la guerre et des questions philosophiques sur la culpabilité et la complicité, le fait

qu’il ne précise pas nettement qu’il s’agit de s’interroger sur la Shoah nous montre que, même au

début des années 1960, au niveau de l’éducation nationale, on n’est pas encore préparé à faire face à

cette culpabilité dans la mémoire nationale.

48
49

50
Le manuel de Dunod améliore la situation en 1969. Le premier chapitre, intitulé “La

situation internationale en 1939,” insiste sur le fait que “Hitler entend faire régner en Europe un

ordre raciste.”51 La page suivante est consacrée à “l’extermination des juifs.” Il n’y a pas beaucoup

de texte consacré par les auteurs du manuel eux-mêmes au génocide, mais ils complètent le cours

par de nombreux documents : la déclaration de Rudolf Höss au procès de Nuremberg dans laquelle

il parle de l’inefficacité des méthodes qu’il a observées à Treblinka et de la décision d’utiliser le gaz

zyklon B à Auschwitz. Les auteurs mettent en avant sa phrase, “nous savions que les victimes

étaient mortes lorsqu’elles cessaient de crier.”52 Un autre extrait vient du récit de Dr. Goude, La

tragédie de la Déportation, dans le quel il mentionne, “les hommes complètement retranchés du

monde” et le fait que la cause de décès pour les détenus était toujours “tentative d’évasion.”53

Cependant, en ce qui concerne le régime de Vichy, les auteurs admettent la culpabilité de Vichy

avec réticence: “la plupart des Français, qui avaient été favorables au début à Pétain, se détachent de

lui et se tournent de plus en plus vers la Résistance.” Il y a seulement un paragraphe sur la

collaboration qui ne fait aucune référence à la Déportation des juifs de France. On remarque le

progrès fait dans depuis le début de la décennie, mais les omissions restent encore nombreuses dans

les manuels scolaires. Même si le génocide est mentionné dans les textes, il n’est toujours pas

inscrit au programme d’histoire en 1969 qui, comme en 1959, exige l’enseignement de “la seconde

guerre mondiale et ses conséquences.”54

Pendant les années 1970, le mythe résistancialiste est détruit. Selon Henry Rousso, “le

miroir se brise et les mythes volent en éclats.”55 L’apparition du livre de l’historien Robert Paxton

en 1973, Vichy France, soutient la thèse que le régime de Vichy avait implicitement collaboré avec

les nazis et que cette collaboration n’était pas menée comme le “bouclier” contre l’occupation dans

le souhait que la France achève sa “révolution nationale.” En 1979 un groupe de cinquante

personnes de diverses disciplines (historiens, enseignants, hommes politiques, etc.,) se réunit à

Orléans pour parler de l’importance de l’enseignement des crimes nazis. Tout au long de la
51
52
53
54

55
décennie ces mouvements de pensée et sentiments d’une nouvelle génération, des baby boomers, à

l’égard de la seconde guerre mondiale provoqueront des nouvelles interrogations sur l’histoire et

son enseignement à l’école.

Les manuels que nous avons étudiés montrent une transformation nette du langage et une

tentative pour répondre aux nouveaux questionnements des années 1970. L’inscription de l’histoire

de la Shoah au programme d’histoire apparaît pour la première fois en 1985. Il s’agit, dans les

classes de première de parler de “l’Occupation et la Résistance dans l’Europe hitlérienne” et “du

système concentrationnaire,” mais, en terminale, on évoque seulement le “bilan de la seconde

guerre mondiale.”56 En 1980, l’éditeur Bordas publie un nouveau manuel d’histoire appelé Histoire

(1914-1945). Le livre est paru avant le programme de 1985, mais l’évocation de la Shoah est déjà

manifeste, les mots pour évoquer la persécution sont désormais très précis. Par exemple, un

chapitre intitulé “L’Allemagne nationale-socialiste,” en parlant des lois de Nuremberg, contient un

paragraphe titré “Les persécutions contre les Juifs.”57 Les extraits de ces lois, celle contre le

mariage entre un aryen et un juif y servent de supports documentaires. Un autre chapitre comprend

une partie appelée “La terreur nazie et camps d’extermination” où sont montrées des images du

Ghetto de Varsovie et l’arrivée d’un convoi à Auschwitz.

En ce qui concerne Vichy, on se trouve plus proche que jamais de l’aveu qu’il a été

complice dans la déportation: “Des milliers de Juifs sont déportés de la zone occupée sans que le

fait suscite de protestation de la part de Vichy,” et “dans la zone non-occupée, Laval fait arrêter et

livrer aux Allemands des réfugiés politiques et des juifs étrangers.”58 Là aussi est montré un extrait

du “premier statut des juifs” du 3 octobre 1940. La partie du texte sur la seconde guerre mondiale

se termine en appelant la guerre “un désastre sans précédent” ajoutant qu’il y avait “une lourde

atmosphère de désespoir en Europe après la guerre.”59 On y voit bien que le langage commence à

56

57

58

59
se tourner vers la psychanalyse, mais il faudra attendre jusqu’aux années 1990 pour que ce

vocabulaire apparaisse de manière ouverte.

Un autre manuel, publié en 1988 et, donc, après que la Shoah a été inscrite au programme

d’histoire, se vante de se conformer au nouveau programme de 1988 qui exige l’enseignement de

“l’occupation et de la résistance dans l’Europe hitlérienne et du système concentrationnaire et

génocide.” Deux pages y sont consacrées aux extraits de Mein Kampf, un discours de Himmler aux

officiers SS, une chronologie de mesures anti-juives (1933-1942), une carte montrant les camps de

concentration allemands (y figure, pour la première fois, le seul camp d’extermination en France au

Struthof) et des extraits du procès de Nuremberg sur les conditions dans les camps et les

expériences médicales qui y ont eu lieu. Une page est consacrée à la collaboration tandis que quatre

le sont à la Résistance. Les informations sont devenues plus précises : textes sur les expériences

médicales, sur la hiérarchie nazie des races.

Le programme de 1995 subit des grands changements à l’égard de l’enseignement de la

Shoah en même temps au lycée qu’au collège. Il suggère en troisième, “une étude de l’Europe sous

la domination nazie...la politique d’extermination des Juifs et des Tziganes...les extraits du statut

des Juifs, témoignages sur la déportation et le génocide.”60 En terminale, “On insistera sur l'univers

concentrationnaire et l'extermination des Juifs et des Tsiganes. L'étude de la France ("drôle de

guerre", défaite, régime de Vichy, Libération) permettra d'analyser la nature et le rôle du régime de

Vichy, les différentes formes de collaboration, le rôle de la Résistance intérieure et de la France

libre.”61 Un manuel publié en cette même année, en forme de tableau (tiré de l’ouvrage de R.

Hilberg, La destruction des Juif d’Europe), le nombre de victimes juives du génocide. Les auteurs

évoque le “devoir de mémoire” en demandant, “que faire pour empêcher qu’elle ne renaisse sous

une forme ou une autre?”62 On y parle des “responsabilités” de ce qui s’est passé et aussi du “choc

moral” de la guerre. Ce texte des années 1990 semble avoir entrepris l’auto-réflexion qu’a exigée

celui de 1962. On met le lecteur en garde contre le négationnisme, on plonge dans les détails

60

61

62
d’Auschwitz et on se demande quelle est la part de responsabilité de Vichy: “En France, le

gouvernement de Vichy et les tenants de la Révolution nationale n’ont jamais eu pour objectif

l’extermination des Juifs, mais ils n’en ont pas moins été les instruments de la première étape du

génocide.”63 En 1998 on en va un peu plus loin. Une partie du chapitre consacré à la seconde guerre

mondiale avoue la culpabilité de la police française dans la grande rafle du Vel d’Hiv.

Conclusion

Dans les soixante-cinq années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale, nous nous

interrogeons encore sur les événements, nous nous débattons encore sur l’usage de certains mots

comme “holocauste,” “génocide” et “Shoah” et nous n’en sommes pas encore d’accord. Autour de

l’enseignement de la Shoah, les débats sont plus vifs aujourd’hui que jamais. La transmission de

cette histoire, pour la plupart de la population française a lieu à l’école, ce qui fait que le

microcosme que nous fournissent les manuels scolaires est intéressant.

Nous avons vu qu’elle est une transmission compliquée et que les revendications de certains

ne sont nécessairement pas acceptées par la société entière et que les réflexions de cette même

société sur la Shoah ou le rôle de Vichy pendant la guerre ne sont nécessairement pas traduites

d’emblée dans les textes scolaires. Rappelons que la première thèse à être écrite sur la Shoah en

France était publié en 1951.64 Cependant, il a fallu attendre jusqu’aux années 1980 pour que

l’événement soit inscrit au programme scolaire.

Les deux thèmes qui parcourent ces manuels s’opposent. Le “devoir de mémoire” exige que

l’on se souvienne à jamais de la tragédie des crimes nazies pour qu’ils ne renaissent ailleurs. Là

c’est un avertissement contre l’oubli. L’autre, la psychanalyse suppose que l’on avait déjà oublié ou

“refoulé” les horreurs ou “traumatisme” de la guerre dès qu’elle s’était terminée. Néanmoins, parler

63

64
de la Shoah en termes du “traumatisme” et du “refoulé” est inapproprié car, même s’il semble

représenter la mémoire collective française à l’égard de la Shoah, la collaboration et la

responsabilité de la police française dans la Déportation, rappelons nous qu’il y a, jusqu’à nos jours,

ceux pour qui l’importance de cette histoire et le poids de sa transmission aux générations futures

n’ont jamais été refoulés.

Nous avons vu aussi comment l’enseignement d’histoire en France s’est développé depuis

la fin de la guerre. Les années 1950 sont marqués par le manque de l’histoire de la Shoah dans les

manuels scolaires. Pendant années 1960 nous voyons les indices à cette histoire dans le langage

avec la mention de la “barbarie” en 1962 et l’inclusion de “l’extermination des Juifs” en 1969. Les

années 1970 nous apporte la rupture entre la version d’histoire de ceux qui ont vécu la guerre et

celle des baby-boomers avec la publication des livres comme Vichy France de Robert Paxton.

Pendant les années 1980 nous voyons l’affirmation de ce que l’on revendiquait pendant les années

1970. L’histoire de la Shoah est finalement inscrite au programme. Les années 1990 et 2000 ont

montré que le débat sur la transmission d’histoire ne s’arrêtera jamais. Il existe toujours des

nouveaux courants de pensée, des nouvelles générations et des nouvelles formes de langage.

Aujourd’hui la continuation du débat prend une nouvelle dimension. Grâce à des vagues

d’immigration d’ouvriers maghrébins immédiatement après la guerre et, plus récemment,

l’élargissement de l’Union Européenne et l’ouverture des frontières, la population française est

devenue plus hétérogène. Cette hétérogénéité se reflète dans l’enseignement. Il n’y a plus de

l’histoire “nationale” telle qu’elle a été enseignée jusqu’à la guerre s’est estompée. A sa place, on

retrouve actuellement la concurrence des mémoires, un phénomène qui se développait dès que la fin

de la guerre (c’est à dire dès que les rescapés ont commencé à témoigner) et qui a permit, par

exemple, des changements du programme scolaire pendant les années 1980. Cependant,

l’intégration du monde aujourd’hui, à travers des nouvelles technologies (télévision et internet)

reproduit cet effet, mais sur une échelle plus grande. Les génocides en Arménie, en Bosnie, au

Rwanda revendiquent leur propre place dans l’histoire. Ce qui nous fait nous poser la question:
s’agit-il de mettre l’histoire de la Shoah à côté d’autres génocides afin qu’elle ne se reproduise pas?

Faut-il lui garder son identité spécifique? la questions reste ouverte. Au fur et à mesure que les

nouvelles théories sur l’enseignement d’histoire naissent, les nouveaux manuels apparaissent et

notre histoire se laisse interpréter par ceux qui nous suivront.

Partie II : Les canaux de diffusion de plus en plus nombreux

Visite générale:

- Le Mur des Noms


- La crypte
- Le musée de l’histoire des Juifs pendant la seconde guerre mondiale
- Les thèmes de l’antisémitisme, les grandes phases du crime génocidaire, le processus de la Shoah et l’évolution de la
mémoire sont abordés.

En commençant par le Mur des noms, nous sommes confrontés d’emblée par la gravité de cet

événement. Sur le mur sont écrits les noms des 76 000 juifs de France qui furent déportés pendant

la guerre, dont seulement 2 000 revinrent. Souvent les élèves, ayant étudié une victime notoire

comme Hélène Berr ou un rescapé connu comme Simone Veil, essaient de retrouver leur nom sur le

mur. En entrant la crypte, la faiblesse des lumières rend sombre la salle en même temps que

l’atmosphère dans laquelle la visite a lieu. Nous passons aussi par un petit coin du mémorial qui

contient les milliers de “fichiers juifs” utilisés à la foi par les Allemands et le régime de Vichy pour

rafler les Juifs de France pendant l’occupation. Le musée qui couvre l’histoire des Juifs avant et

durant la guerre est plein d’affiches de la propagande nazie (mais aussi française, hongroise,

italienne, etc.). L’histoire de l’étoile jaune est expliquée et nous commençons à comprendre que

cette histoire n’a pas eu lieu que pendant les années 1930 et 1940, mais qu’il s’agit plutôt de
l’aboutissement d’une longue succession d’événements historiques qui ont créé l’antisémitisme. Le

monde concentrationnaire est abordé et nous voyons les vêtements des déportés, leurs cuillères et

leurs étoiles. Alors que nous sommes entrés l’exposition dans l’atmosphère sombre de la crypte,

nous en sortons par la lumière en passant par les milliers de photos des enfants juifs déportés

pendant la guerre. Ce changement d’ambiance nous donne l’impression d’être passé par le noir et

le désespoir afin d’arriver à la lumière et l’espérance.

En abordant l’histoire de la Shoah d’un point de vue thématique, les élèves peuvent se concentrer

sur un événement ou un phénomène particulier. Appliquer les faits qu’ils ont appris dans leur

enseignement principal, les élèves seront à même d’approfondir leur étude avec une étude de cas.

Le Prix Annie et Charles Corrin

Créé en 1990 par rescapé Charles Corrin et son épouse Annie au sein du Fonds Social Juif

Unifié, le prix Annie et Charles Corrin pour l’enseignement de l’histoire de la Shoah, “se veut avant

tout un outil pour préserver la mémoire de la Shoah, sa spécificité et son universalité, pour

contribuer à faire comprendre pourquoi et comment Auschwitz, lieu de Mémoire, doit inciter les

nouvelles générations à une réflexion morale et spirituelle.”65 Chaque année les classes de lycéens

et de collégiens soumettent leurs projets à un jury qui leur décerne le prix. Ce jury, composé des

noms notoires de la communauté juive française. (Georges Bensoussan, historien; Philippe Joutard,

historien; Vice-président Yad Vashem France, Annette Wieviorka, historienne) Un comité de

parrainage inclut dans ses rangs, Luc Chatel, le ministre de l’Education Nationale, Simone Veil,

rescapée et femme politique française, Serge Klarsfeld, historien et Président de l’Association des

65
Fils et Filles Déportés Juifs de France, Claude Lanzmann, cinéaste et écrivain et Elie Wiesel,

écrivain. Ce concours fournit le professeur et sa classe l’occasion de se commettre à un projet à

longue durée qui se concentre sur une sorte d’étude de cas sur la Shoah, ainsi permettant un

approfondissement de l’enseignement de la salle de classe.

En 2009 il y avait trente-cinq classes qui ont participé au concours dont deux lauréats, une

classe de lycée et une de collège ont été choisis. La cérémonie de la remise du prix, à laquelle j’ai

pu assister, a eu lieu à la Sorbonne le 28 janvier 2010. Avant de recevoir leur prix, chaque groupe

d’élèves a expliqué son projet avec un court exposé. Les collégiens, une classe de troisième du

collège Edmée Jarlaud à Acheux-en-Amiénois, a présenté son projet intitulé “La déportation des

enfants juifs de la Somme.” Une vidéo, ce projet a été créé par neuf élèves après une rencontre

avec un témoin, et un voyage scolaire à Auschwitz (à laquelle le témoin a participé). Selon un

article paru dans un journal régional, “Ce voyage a donc reposé sur plusieurs approches :

mémorielle, citoyenne et culturelle. Cette confrontation à la réalité permet de montrer aux jeunes

qu’ils ont un devoir de mémoire afin d’éviter que de tels actes se reproduisent.”66 La vidéo des

élèves a retracé l’histoire de trois enfants juifs (Cécile, Georges et Jean-Louis), originaires de la

Somme, de leur arrestation jusqu’à leur mort à Auschwtiz. Elle a mis en avant l’occupation nazie

de la France, la complicité des autorités de Vichy dans la déportation des juifs et les conditions de

vie à Auschwitz ainsi que les processus de sélection, désinfection et extermination.

Un groupe de lycéens du lycée Pierre Bourdieu à Fronton a effectué un projet basé sur Le

journal d’Hélène Berr, une jeune étudiante parisienne et juive qui a été arrêtée et ensuite déporté à

Auschwitz et puis finalement à Bergen-Belsen où elle est morte en 1945. Le projet intitulé “Hélène

Berr, une jeune étoile dans le Paris de l’Occupation,” a visé à retracer les pas d’Hélène dans un

Paris occupé pendant un voyage pédagogique de trois jours en avril 2009. Avec les supports du

Mémorial de la Shoah et une rencontre avec Mariette Job, la nièce d’Hélène Berr, la classe a créé un

reportage d’une centaine de pages sur leur voyage. Une partie de ce reportage se compose des

récits des élèves du voyage. Nous y lisons:


66
Les effets positifs de ces deux projets sur l’histoire de la Shoah sont évidents; ils exigent à la fois

une compréhension profonde des événements et une réflexion individuelle sur la déportation et

l’extermination des Juifs qui n’auraient pas eu lieu dans un enseignement effectué uniquement à

l’école. Etudier la Shoah à travers les événements qui se sont passés dans les mêmes locaux où

vivent actuellement ces élèves, c’est apprendre l’histoire de manière plus personnelle. La réalité de

la Shoah, souvent rendue floue par le décalage du temps, s’éclaircit avec cette sorte d’enseignement

supplémentaire.

- La libération des camps de concentration et d'extermination nazis par les alliés victorieux en 1945 prouve qu'une
certaine idée de l'homme constituait l'enjeu essentiel du conflit. Montrez que la Résistance, sous toutes ses formes, est
porteuse de cette valeur. Ce combat a-t-il encore des résonances aujourd'hui ?

1998: Les lieux de mémoire


-

Partie III: Comment les professeurs envisagent-ils l’enseignement de la Shoah?

“S’il est possible de conjuguer une éducation au jugement inhérente à toute leçon d’histoire avec une éducation à l’éveil
critique sur le monde environnant, la vigilance contre les retours possibles de la barbarie ne saurait se réduire à cette
seule somme de connaissances et de conscience critique patiemment édifiée, que l’on nomme culture ; il faut de surcroît
penser autrement l’autre et l’ailleurs, et appréhender la diversité culturelle comme l’essence même de l’humanité. Une
éducation ouverte sur le monde, sur l’autre et l’ailleurs est un des meilleurs remparts contre les préjugés et le racisme.”
Questionnaire Conan Rousso (1994)
“Je travaille ce sujet en interdisciplinarité avec l’enseignant de français. Cette année, nous avons travaillé sur ce

sujet sur deux classes: histoire (moi), plus deux professeurs de français, un professeur d’anglais et le chef de

l’établissement, partant du film allemand La vague, pour aboutir à la projection du film La rafle, les élèves ont

bien compris la problématique et ont beaucoup apprécié ce travail.”

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