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Mardi 11 février 2020

Cérémonie de remise du prix du Roman des étudiants à Emma BECKER pour La Maison

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le directeur général du CROUS de Paris, cher Denis Lambert,

Madame la Directrice de France culture, chère Sandrine Treiner,

Madame la Directrice de la rédaction de Télérama, chère Fabienne Pascaud,

Chers jurés étudiants,

Chère Emma Becker,

Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureuse d’être avec vous ce soir pour cette nouvelle édition du roman des étudiants. J’ai
en effet une affection particulière pour ce prix, parce qu’il est en lui-même une aventure, une
histoire d’amour et de rencontre, d’alchimie entre une œuvre et ses lecteurs, qui en dit aussi long
sur la littérature contemporaine que sur la jeunesse d’aujourd’hui.

Et ce que trahit votre choix en faveur de La Maison d’Emma Becker, chers jurés étudiants, c’est votre
immense exigence et votre immense appétit ; à l’instar de la narratrice, vous êtes allés là où vous
avez flairé, non pas l’odeur du soufre ou du sexe, mais celle de l’humanité, livrée dans toute sa
complexité, dans toute sa vulnérabilité, dans toutes ses nuances, avec ce tact dont la littérature a le
secret.

Car la Maison est d’abord et avant tout une grande œuvre littéraire. Ceux qui en ont fait un
manifeste en faveur de la prostitution, un objet de polémique, sont passés, me semble-t-il, à côté de
l’essentiel. Ceux qui, attirés par le parfum de scandale qui l’entoure depuis sa sortie, ont entrouvert
ses pages à la recherche de sensationnel et de stupre en ont été pour leurs frais. Ceux qui, en
revanche, y cherchait de la littérature et de la poésie auront été comblés, par sa puissance
esthétique, sa capacité à faire son miel des scènes les plus crues, à rendre beau le laid, à saturer le
texte d’odeurs, de couleurs, de sensations et d’émotions décrites avec une plume si sensible qu’elle
enregistre le moindre frémissement et donne aux mots une densité physique et intellectuelle peu
communes.

Si votre roman a quelque chose d’impur, chère Emma Becker, c’est tout au plus dans sa forme : entre
journal intime, recueil de nouvelles, enquête littéraire, autofiction, compte rendu d’expérience, La
Maison un troublant mélange des genres, qui déborde même les frontières de la littérature
puisqu’elle a aussi sa bande son, dont nous allons d’ailleurs avoir un écho ce soir avec les White
Stripes ; il y aurait sans doute – mais peut-être les étudiants et leurs enseignants se sont-ils déjà
prêtés à l’exercice – une analyse à faire de la playlist, très rock, de la Maison, qui s’interrompt durant
les semaines passés au Manège, et qui s’achève sur une version sans paroles de Bold as love de
Jimmy Hendrix , faisant du roman tout entier un texte de chanson sur 400 pages, une œuvre « bold
as love », « hardie comme l’amour » : car oui, il en fallait de l’audace pour se prostituer durant deux
ans et demi dans une maison close à Berlin ; et oui, il en fallait de l’amour, de l’amour dans tous ses
états – passion, bienveillance, empathie, tendresse - pour chercher dans cette expérience, par-delà
les clichés, les fantasmes et la réprobation publique, une vérité nue sur l’humain et sur la femme.

Car finalement, c’est bien son mystère qui fait la matière première de votre roman, bien davantage
que la prostitution. Loin d’avoir l’assurance d’une apologie, La Maison a la fragilité d’une quête.
Vous n’affirmez pas, vous cherchez. Entre immersion et analyse, vous décortiquez vos expériences
et les confidences que vous recueillez, dans l’espoir de cerner, comme un laborantin devant son
microscope, l’essence du féminin. Je dois dire que la scientifique en moi s’est assez bien retrouvée
dans cette volonté farouche de comprendre un phénomène qui nous échappe, dans cette frustration
« de n’avancer que d’un demi-centimètre en quelques centaines de pages » et de devoir « se
satisfaire de ce demi-centimètre comme d’une découverte majeure » !

C’est cette quête sans relâche du féminin qui vous conduit au bordel. Votre projet, c’est de sortir la
prostituée de cette alternative dans laquelle nos représentations l’ont enfermée, entre paria et
figure mythique, entre victime et fille perdue, pour lui redonner toute sa réalité, toute son humanité,
toute sa dignité. A travers elles, c’est la femme en général que vous voulez délivrer de cette
ambivalence où le désir masculin l’a placée, entre « les soupirs de la sainte et les cris de la fée », pour
le dire avec les mots de Gérard de Nerval. On peut ne pas adhérer à ce projet, tout comme on peut
rejeter le postulat sur lequel il est fondé et qui fait de la prostituée l’archétype de la femme, sous
prétexte qu’elle serait réduite à son sexe. On peut être choqué par l’éclairage que vous portez sur la
prostitution, parce qu’en révélant la toute-puissance là où nous voyons ordinairement la soumission,
la grandeur là où nous voyons la misère, « la noblesse [où nous voyons] l’ordure », le plaisir où nous
voyons le dégoût, il prend à revers nos conceptions de l’intégrité de la personne, de l’émancipation
des femmes, des rapports entre les sexes.

Ce contrepied bouscule, dérange, heurte, mais je crois qu’au-delà de ses propriétés esthétiques et
littéraires, il est également utile. Parce qu’il relève d’une volonté, salutaire, de penser la
complexité, d’aller voir le dessous du dessous des cartes, de mettre à l’ épreuve les évidences et de
rappeler, au fond, que les choses ne sont jamais aussi simples qu’on l’imagine, qu’il faut savoir les
regarder avec d’autres yeux pour en percevoir des facettes insoupçonnées, que nos convictions,
notre éthique et nos lois ont peut-être laissé dans l’ombre ; car ces dernières ressortiront toujours
grandies d’un face-à-face avec le réel dans toute son étendue.

D’ailleurs, votre roman ne prétend jamais à la vérité absolue ni à la généralisation. Il s’offre sans
prosélytisme et sans manières, et de sa collection d’expériences et de portraits ne se dégage aucune
certitude, mais bien davantage un miroitement après lequel on court sans jamais réussir à
l’attraper, une « ombre claire » qui trahit simultanément tout ce que la condition de prostituée a
de profondément humain et d’irrémédiablement inhumain.

Car il ne prétend pas davantage masquer l’autre réalité, celle de la prostitution forcée, celle de
l’esclavage moderne, celle de la sauvagerie, de la violence, de la peur et de la honte qu’aucune
femme ne devrait avoir à subir et qu’aucun Etat de droit ne devrait pouvoir tolérer sans se renier.
Cette réalité, il la laisse même affleurer parfois, tout comme il laisse affleurer la fragilité, la
vulnérabilité de votre expérience, qui menace à plusieurs reprises de tourner court, rattrapée par le
doute ou l’écœurement. Car votre ambition n’est pas de livrer une vision univoque de la prostitution,
un contrechant en mode majeur, mais bien au contraire d’en restituer toutes les variations : c’est un
roman choral, polyphonique, qui redonne de l’épaisseur à un objet qu’on voudrait réduire à une
seule dimension, qu’on voudrait circonscrire tout entier dans un jugement définitif, parce que c’est
sans doute plus simple, plus confortable, plus rassurant.

Ce refus de la facilité, cet effort de complexité, c’est une force que la littérature et la recherche ont
en commun et qu’il me semble particulièrement essentiel de cultiver aujourd’hui. La tentation
d’aller au plus rapide et au plus simple, de se réfugier dans la croyance ou la « bienpensance », ne
cesse de gagner du terrain alors même qu’il n’y a pas de réponse plus inadaptée au monde dans
lequel on vit. Bien sûr, on peut parfois se sentir dépassé par les défis que l’avenir nous réserve : tirer
un fil, que ce soit celui du réchauffement climatique, des migrations, des inégalités, de la santé, c’est
invariablement tomber sur un écheveau qu’on peine à démêler. Pourtant, je suis convaincue qu’il ne
faut pas chercher à se dérober devant cette complexité, qu’il ne faut pas chercher à la réduire en
chaussant les œillères de la pensée unique, en refusant la contradiction ou en muselant les voix
discordantes, comme cela a pu être le cas ces derniers mois lorsque des pressions ont été exercées
sur des manifestations culturelles ou scientifiques au sein des universités ; je pense à l’annulation de
la première représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne ou aux perturbations du colloque
de l’EHESS sur la nouvelle école polonaise d'histoire de la Shoah.

Je crois que c’est au contraire en cultivant la diversité des points de vue, en exerçant pleinement nos
libertés de chercher et de créer sans s’interdire aucun territoire d’expérimentation, en faisant vivre
le débat, qu’il soit intérieur ou public, qu’on trouvera les réponses et l’inspiration nécessaires pour
faire l’avenir à notre main et nous inventer un destin commun.

C’est pourquoi je n’ai eu de cesse depuis mon arrivée à la tête du MESRI de donner à chaque jeune
toutes les clés pour déchiffrer et transformer le monde qui l’entoure. Cette ambition passe par des
réformes sociétales profondes, comme la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, que
je présenterai au Parlement dans les prochaines semaines afin de remettre la science, en tant que
somme de connaissances et en tant que force critique, au cœur de nos décisions, de nos discussions,
de nos préoccupations. Mais l’art a également son rôle à jouer dans ce projet de société : parce que
comprendre le monde, c’est aussi y être sensible et parce que le changer, c’est d’abord l’imaginer
autre. C’est la raison pour laquelle je soutiens toutes les initiatives qui permettent aux étudiants de
développer une pratique artistique, d’aller au contact des œuvres et des artistes et d’affûter leur
sensibilité. Dans la droite ligne du souhait du Président de la République, je porte l’ambition de la
formation de 100% de notre jeunesse à l’éducation artistique et culturelle, [notamment à travers la
création d’un Institut National Supérieur de l’EAC, qui accompagnera les enseignants et les artistes
dans leur rôle essentiel de passeur].

Le roman des étudiants est porté par cette même volonté de démocratisation culturelle et je
voudrais à nouveau remercier France culture et Télérama d’avoir fait le pari, il y a plusieurs années
maintenant, d’ouvrir un prix littéraire aux étudiants, et de faire ainsi dialoguer la littérature en train
de se faire et la jeunesse en train de se former. Je crois que chacune des rencontres organisées sur le
territoire comptabilise suffisamment de passion dans les débats, de mines réjouies et d’étoiles dans
les yeux des étudiants, pour que vous soyez pleinement convaincues, si vous ne l’étiez pas déjà,
chère Fabienne Pascaud et Sandrine Treiner, que ce choix était assurément le bon.

D’autant plus que ce prix rencontre un écho grandissant auprès des étudiants et des établissements
d’enseignement supérieur qui sont chaque année plus nombreux à participer, entraînant avec eux
des enseignants chercheurs, des personnels de bibliothèques, de services culturels et de CROUS qui
ne comptent ni leur temps ni leur énergie pour accompagner les jurés dans cette belle aventure.

Mais pour que la magie de la rencontre opère il faut être deux, et je crois que l’enthousiasme et la
sincérité des étudiants a trouvé une formidable résonance en vous, chère Emma Becker : vous avez
fait bien plus que « jouer le jeu », vous vous êtes engagée avec beaucoup de générosité et de
franchise dans ces échanges, et je tiens à vous remercier très chaleureusement pour tout ce que vous
y avez apporté de profondeur et de sincérité.

Maupassant – un auteur qui vous est cher je crois – disait que « les grands artistes sont ceux qui
imposent à l’humanité leur illusion particulière ». Je crois que nous vous reconnaissons tous dans ces
mots, chère Emma Becker, tant nous avons été séduits par votre Maison et ses prestiges, et touchés
par l’humanité et l’authenticité qui s’y logent.

Merci beaucoup à tous.

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