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2,00 € Première édition. No 12032 Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.

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MENSTRUATIONS Les députés se mettent en règles pages 14-17


Claire Bretécher dans son atelier parisien vers 1977. Photo Michel Quenneville –Dessin éditions Dargaud

Bretécher
libre comme claire
La dessinatrice française, qui avait imposé
son trait ­satirique et féministe avec «les Frustrés»
ou «Agrippine», est morte lundi à 79 ans. pages 2-5

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA.
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Événement Libération Mercredi 12 Février 2020

culin où elle s’est hissée en pion- de leçons, hebdomadaire capable

éditorial nière et en femme libre. On sait


que ses courts dessins valaient
mieux qu’une thèse de sociolo-
de faire son étendard d’une BD
qui le moquait sans relâche. Dans
cet environnement d’un
Par gie, pour comprendre cette ­machisme courtois et discret,
Laurent Joffrin ­société qu’elle observait de son ­celui de la gauche intellectuelle,
tendre regard d’acier. Mais l’es- Bretécher dessinait la cause des
sentiel reste son talent, tout de femmes sans militer, par la seule
subtilité lucide, qui influence force du rire, libérait la parole

Ironie ­encore aujourd’hui la fine fleur


du neuvième art. Cellulite,
­Agrippine, les Frustrés, symboles
sans emphase, par la ­corrosion
douce-amère de l’ironie. Son
coup de crayon en disait plus
Un trait noir au laser, une langue d’une époque, ont traversé le et mieux que tous les coups
aussi colorée que ses planches, temps, personnages d’il y a vingt de gueule. Elle goûtait avant tout
des personnages plus vrais que la ou trente ans plus contemporains le calme de son Aventin, qui était
vie et, surtout, l’humour, cette que tant de nouveaux venus. une tour de guet. Indépendante,
arme absolue, le véritable C’était aux temps de la gauche distanciée, ennemie de l’esbroufe
­humour, qui consiste à se en ascension, quand le Nouvel et de la solennité, elle voyageait
­moquer de soi-même autant que Observateur («le Nouveau Snob- dans son époque ­en solitaire
des autres : telle était la ligne servateur», disait-on) donnait le ­entourée. Une génération fémi-
Claire. Bretécher rejoint le petit la, non du parisianisme, mais nine lui doit une hilarante péda-
panthéon de la BD, près de d’un humanisme plutôt bien- gogie de l’émancipation. Elle
­Goscinny, Cabu, Pétillon ou veillant, brillant et drôle, plus ­referme son carton à dessin.
­Wolinski, dans cet aréopage mas- ­curieux et incertain que donneur ­Celui qui a ouvert la voie. •

Bretécher, belles
bulles rebelles
De Cellulite aux «Mères», en passant par Agrippine
et les «Frustrés», l’auteure morte lundi a imprimé
une marque considérable dans le paysage de la BD
française, mêlant sans concession humour
et observations sociologiques acides.

Par rou et Pilote, ce qui n’était pas à la la gloire grand public de Claire Breté-
Mathieu Lindon portée de tout le monde. cher (elle partagea avec Georges Pe-
rec une ambiguïté : on ne savait ja-

C
laire Bretécher, morte lundi Frisée aux lardons mais sur quel «e» mettre un accent
à 79 ans (elle était née à Nan- Dans Libération, la féministe ra- aigu dans son patronyme. Eh bien
tes le 7 avril 1940), fut plus conte paradoxalement en 1998 : c’est sur le deuxième, alors que pour
qu’une auteure majeure de l’his- «J’ai toujours été bien reçue, sauf Perec c’est sur aucun). En une page
toire de la bande dessinée franco- à Elle. Ce fut horrible. J’aurais hebdomadaire, elle s’attaque aux
phone. Elle en fut un des personna- adoré bosser là-bas, mais elles m’ont ­ridicules de la bien-pensance de
ges. Non par ses frasques en dehors jetée sans ménagement.» Apparaît gauche, celle-là même qui est cen-
de son métier, mais, au contraire, en 1969 son personnage Cellulite, sée lire le Nouvel Observateur, ne
par la façon dont elle influença la fameuse princesse auprès de la- s’excluant pas de ses propres mo-
bande dessinée : par le rôle qu’elle quelle les princes charmants ne queries, en particulier quand elle
y attribua aux femmes qui n’en se bousculent pas. Et, en 1972, elle dessine l’auteure à sa table de tra-
étaient certes pas toujours les héros fonde avec Gotlib et Mandryka vail et prête à tout pour ne pas y res-
les plus récurrents, et par le rôle l’Echo des Savanes, ouvrant une ter (un petit verre, un petit tour aux
qu’elle attribua aux auteurs qui nouvelle aventure de presse. Elle toilettes) avant de s’y retrouver sans
étaient souvent entre les mains des dessine aussi à partir de 1973 les que ce travail ait avancé d’un pouce.
éditeurs avant qu’elle n’ait l’idée, le Amours écologiques du Bolot occi- Mais l’idée même de faire de la
courage et l’efficacité de s’autoédi- dental (le Bolot occidental étant bande dessinée un instrument de
ter en 1975 pour les Frustrés, sans une sorte de chien hypersexué) pure critique sociale est une nou-
doute son œuvre la plus célèbre, pour le Sauvage, magazine écolo­- veauté. Il n’y a pas d’autres aven­-
alors prépubliée hebdomadaire- gique précurseur faisant partie tures extraordinaires à côté des-
ment dans le Nouvel Observateur du même groupe que le Nouvel quelles cet aspect satirique apporte
(ancêtre de l’Obs). Dans les an- ­Observateur. une touche d’amusement supplé-
nées 60, la future auteure d’Agrip- Mais c’est évidemment les Frustrés mentaire : cette sociologie de ses
pine collabore à la fois à Tintin, Spi- qui va, dans les années 70, assurer personnages est le Suite page 4
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«On mesure
mal la modernité
de son travail»
Catherine Meurisse, Blutch, inégalable». Le maestro Blutch, lui, utilise le
Terreur graphique… mot «griffe». «Mais sensuelle. Il y a une vraie
science derrière ce trait sans fausse note.»
Les auteurs du monde Dans Variations, exercice de style dans le-
de la BD expliquent quel il se glissait dans le dessin de grands au-
l’influence considérable teurs, il avait repris deux pages des Frustrés.
de Claire Bretécher. «Ce n’était pas du gâteau. C’est toujours plus
difficile de reprendre un dessinateur qui est

«J’
avais une expression pour Claire dans une grande économie de moyens dans
Bretécher, je l’appelais “Notre- le traitement graphique. Mais Bretécher,
Dame-de-la-BD”. Parce qu’elle c’était aussi – surtout même – une verve. Des
était unique, parce que non seulement elle saillies incroyables. Elle écrit très très bien,
était grande mais c’était peut-être même la et ce n’est pas si courant en bande dessinée.»
plus grande.» Blutch parle de Claire Breté-
cher de façon saccadée, par à-coups. Avec «Phare». Quand on évoque le fait que,
prudence et émotion. Depuis une dizaine peut-être, après avoir été connue de tous, le
d’années, il la retrouvait régulièrement en phénomène Bretécher s’était un peu dissipé
compagnie de Catherine Meurisse, Martin pour les générations nées après les an-
Veyron et René Pétillon. Equipe réunie nées 80, Blutch s’emporterait presque.
en 2015 autour d’une grande rétrospective «Non, il n’y a jamais eu d’éclipse. En tout cas,
Bretécher à la BPI du centre Pompidou. pas autour de moi. On se trompe en la rédui-
sant souvent à son commentaire sociétal,
«Pionnière». Catherine Meurisse parle de mais elle va bien au-delà de ça, au-delà de
l’auteure des Frustrés avec la même révé- la chronique des années 70. C’est universel.
rence. «C’était un mo- Elle a atteint quelque
dèle. On peut puiser à chose du niveau de
l’infini dans son G oscinny. Au-
œuvre tellement il y a jourd’hui, j’ai l’im-
une acuité, une intel- pression que ce sont
ligence dans la façon des liens qui se dé-
dont elle traite des su- font. Il y a un an
jets du XXe siècle. Je et demi, on perdait
crois qu’on mesure Pétillon. Là, c’est dif-
mal la modernité de ficile de ne pas avoir
son travail. Dans le une pensée pour le
Destin de Monique, grand Pilote. Les
c’est stupéfiant : ça Uderzo, Christin,
paraît en 1983 et elle Mandryka auxquels
parle déjà de PMA, de s’accrocher encore.»
GPA… Autant d’intel- Meurisse : «C’est nor-
ligence et de comique, mal que Blutch vous
c’est forcément inspi- ait presque engueulé
rant. Mais ce que si vous pensez qu’elle
j’aime le plus chez elle, avait un peu disparu
c’est qu’elle n’était pas Agrippine. Editions Dargaud dans les années 90 !
militante. Son travail Claire Bretécher,
était féministe, ses personnages aussi, mais c’est vraiment un phare dans le milieu des
elle ne portait pas cette cause en bandou- auteurs, c’est tout sauf un effet de mode.
lière. C’était à la fois une pionnière et quel- Après, il est possible qu’avec le temps elle
qu’un qui montrait qu’on n’était pas obligé n’était plus aussi connue du grand public
de tout afficher, de tout souligner. Surtout, que dans les années 70-80. Mais elle a tou-
il ne faut pas réduire Claire au fait qu’elle jours été dans ma vie.» Pour le directeur ar-
était l’une des rares femmes connues du mi- tistique du festival d’Angoulême, Stéphane
lieu de la bande dessinée. C’était d’abord une Beaujean, cette «traversée du désert est pro-
auteure majeure, l’égale d’un Sempé ou d’un bablement liée à sa rupture avec les grosses
Cabu.» maisons d’édition, à son envie de reprendre
Assumant pleinement l’influence de Breté- le contrôle de ses droits. Elle a beaucoup
cher sur son travail, Terreur graphique parle fonctionné en autoédition, et à un moment
d’elle comme d’un modèle aussi décisif que il a été plus difficile pour elle d’être vue du
Pétillon et Lauzier : «Une artiste d’autant grand public. Mais son regard, sa singula-
plus exceptionnelle qu’en plus de surnager rité, était toujours là. Elle avait une in-
dans un milieu hyper masculin, elle avait croyable manière de capter la ­réalité en
­réussi à se hisser hors du seul monde de la quelques détails. Sa façon de saisir tous nos
bande dessinée. Ce n’est quand même pas défauts, nos énervements et petites trahi-
rien quand Roland Barthes parle d’elle sons. Cette simplicité apparente, ce senti-
comme de la première sociologue de France.» ment d’évidence, c’est le résultat d’un travail
«On était tous jaloux, on l’enviait d’avoir incroyable et d’un sens fou de la caractérisa-
­réussi à dépasser le ghetto de la bande dessi- tion. Cette façon de faire des poignets déten-
Éditions Dargaud

née, rigole le dessinateur Martin Veyron. dus, les bretelles de la salopette d’Agrippine
Mais elle était sacrément fortiche.» ou juste sa façon de dessiner une tête posée
Du dessin de Bretécher, Catherine Meurisse sur les épaules, tout chez elle était singulier.
retient «ce mélange d’indolence et d’insolence C’était l’éloquence en bande dessinée : tout
dans le trait. Derrière la langueur, il y a un ce qu’il faut, juste ce qu’il faut.»
travail de dessin phénoménal, une maîtrise Marius Chapuis
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Événement Libération Mercredi 12 Février 2020

l’héroïne sans gêne avoue tout sim- blier Astérix, deux ans après la mort
plement que, lorsqu’elle cherche à de René Goscinny avec qui Claire
séduire, elle ne mange pas de frisée Bretécher a travaillé dès 1963 et par
aux lardons. Autant Claire Breté- l’élégance tous azimuts duquel elle
cher se plaisait à dessiner des per- restera frappée.
sonnages dont la beauté n’était pas Agrippine est une série née en 1988
le trait dominant, autant elle-même et que son auteure tua en 2009, à
ne ressemblait certes pas à ses hé­- une période où la bande dessinée
roïnes sur ce point et on ne pouvait l’excitait manifestement moins et où
qu’être sensible à son charisme elle aurait préféré se consacrer à sa
quand elle entrait dans une pièce. peinture – une série qui vécut donc
juste un peu plus longtemps que
Élégance tous azimuts l’âge de son personnage ne le justi-
La libération de la femme est le su- fiait. L’héroïne est une adolescente
jet de Claire Bretécher parce qu’elle gâtée qui a du malheur une idée très
décrit la femme non libérée et que différente de celle qu’aurait une fille
cette description même est un acte de son âge dans une ­famille, un mi-
féministe dans la société des an- lieu ou un continent moins favori-
nées 70. Mais, en outre, la dessina- sés. Elle a des pro­blèmes avec tout
trice et scénariste met ses idées en et tout le monde, en particulier avec
action en autoéditant les Frustrés sa mère. Les Mères, au demeurant,
en 1975. Puisque la bande dessinée est le titre d’un album de 1982. Car,
paraît dans le Nouvel Observateur dans l’univers féministe de Claire
dont la diffusion d’albums de BD ne Bretécher, il ne faudrait pas croire
fait pas nécessairement partie du que parce qu’on est femme on n’a de
cahier des charges, Claire Bretécher pro­blèmes qu’avec les hommes. De
Claire Bretécher en 1974, en compagnie d’un très chic Marcel Gotlib. Photo William Karel. Gamma se retrouve pour le coup tout à fait toute façon, les arguments n’ont pas
libre quand vient le moment de re- besoin d’être bons pour s’en prendre
cueillir en volume ces pages hebdo- à qui que ce soit : c’est le propre des
Suite de la page 2 sujet même de personnages sont toujours à côté de rant toute la planche de manger de madaires. «A chaque nouvel album, frustrés de tout sexe que la mauvaise
l’œuvre. Et c’est à ce titre qu’elle put la plaque, ou plutôt font systémati- la frisée aux lardons avec toutes les je me dis que c’est la dernière fois», foi est susceptible de leur servir de
susciter des commentaires de Pierre quement ce qu’ils ne devraient pas, difficultés de l’entreprise, ne se pré- dira-t-elle toutefois plus tard, parce carburant, telle cette hypocondria-
Bourdieu et Umberto Eco. disent ce qu’ils feraient mieux de sentant pas ainsi sous son meilleur que c’est du boulot et des angoisses, que furieuse contre son médecin,
Dans leur Dictionnaire mondial de taire et cachent ce qu’ils feraient jour devant l’homme qui est en face quand même. En attendant, elle le «un incapable qu’est même pas spé-
la bande dessinée (chez Larousse), mieux de dire. La gaffe est leur d’elle et ne peut que constater les fait, et ça marche. Les plus grands cialiste». Claire Bretécher fut spécia-
Patrick Gaumer et Claude Moliterni mode d’expression naturel. Il faut contorsions permanentes de son noms la suivront. C’est après elle, liste du féminisme et de l’humour,
font d’elle «une sorte de Woody Allen se souvenir de cette page des Frus- ­visage pour ne rien perdre du plat, en 1979, qu’Albert Uderzo fondera son œuvre reste on ne peut plus
française et féminine». Parce que ses trés où une femme se contente du- avant que, dans la dernière case, les éditions Albert René pour pu- d’actualité. •

«Elle n’était pas on ne l’a quasi plus revue au


Nouvel Observateur. A mon
avis, elle s’en foutait un peu, je

le genre à ne sais même pas si elle le li-


sait encore.
«Avec moi, même si on faisait

se disperser»
partie de la même bande
d’humoristes, elle ne parta-
geait pas vraiment d’intimité,
mais il faut dire que je n’ai pas
d’intimité. Elle avait fait un
Le journaliste Delfeil Notre Epoque (Société), qui truc plutôt culotté : quand ils
de Ton, qui a côtoyé était sans doute alors le ser- ont tous quitté Pilote pour
Claire Bretécher vice le plus en pointe du jour- fonder l’Echo des savanes, en
au «Nouvel nal. Et Bretécher venait la voir laissant Goscinny tout seul,
Observateur», décrit une fois par semaine, elles elle s’est mise à autoéditer ses
­discutaient pendant des bouquins. Elle disait à tous les
une artiste discrète, ­heures, déjeunaient ensem- ­autres : “Faites-le aussi, je
en retrait, ble, et ces échanges ont pro­- m’en fous plein les poches.”
qui détestait bablement nourri pour une Sauf qu’elle n’a pas pu suivre
les emmerdements large part les Frustrés, la BD éternellement, c’était beau-
et les enterrements. qui a rendu Bretécher célèbre coup de boulot. C’est à ce
et qui mettait en boîte le lecto- ­moment-là qu’elle a cédé
rat même du Nouvel Observa- ses droits à Dargaud. C’était

A
ncien pilier de Hara teur. Je la connaissais d’avant, la Claire Bretécher femme
Kiri puis de Charlie par Hara Kiri, où elle avait ­d’affaires.
Hebdo, le journaliste bossé et où l’on trouvait la «Elle avait un côté très grande
satiriste Delfeil de Ton a crème des dessinateurs hu- bourgeoise ­bohème. Elle était
­commencé à travailler au moristiques de l’époque. Bre- très copine avec l’actrice
Nouvel Observateur en 1975, técher n’était pas le genre à ­Dominique Lavanant et aussi
soit grosso modo au moment se disperser, elle se créait son avec Sylvie Testud, qui avait
où Claire Bretécher y croquait petit marché et s’y cantonnait. joué deux de ses planches au
chaque semaine ses Frustrés. Elle s’entendait bien avec ­théâtre du Rond-Point.
Ils se sont côtoyés plus que Claude Perdriel [qui possédait «Elle n’allait jamais aux en­-
fréquentés, mais ils s’appré- alors le Nouvel Observateur, terrements, elle ne supportait
ciaient. ndlr] mais ne se considérait pas ça. D’ailleurs, je n’irai pas
«Au Nouvel Observateur, pas comme journaliste. Même au sien car elle ne serait pas
Claire Bretécher ne partici- quand elle travaillait à Pilote, ­allée au mien. Elle fuyait les
pait jamais aux comités de ré­- avant 1973, elle n’ouvrait pas la emmerdements. Un artiste, ça
daction. Elle n’était amie avec bouche dans les conférences a besoin de se préserver. Elle
personne – je crois qu’elle n’a de rédaction. Je crois qu’elle ne savait peut-être pas tout
pas serré la main des neuf s’emmerdait un peu dans la faire. Mais ce qu’elle faisait,
­dixièmes de l’équipe – sauf vie, c’était un mot qu’elle uti­- elle le faisait bien.»
avec Christiane Duparc, sa lisait beaucoup, d’ailleurs, Recueilli par
grande copine. Christiane a “emmerder”. Après le départ Alexandra «Petits Travers».
dirigé de 1973 à 1990 le service de Christiane Duparc, en 1990, Schwartzbrod Éditions Dargaud
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L’art du dialogue
à toute vitesse
et sans entrave
Rien d’affecté ou de ­ elles-ci, impossible de tricher, im-
c
forcé dans les réparties possible de raconter ce que dit un
personnage, sans le faire parler ef-
que s’envoient du tac au fectivement ; nous sommes au
tac les personnages de ­contact des mots. Et chez Bretécher,
Bretécher, qui savait jamais de temps mort. L’effet de
faire foisonner les mots fondu enchaîné est accentué encore
en équilibriste. par cette caractéristique absence de
ponctuation, également chérie

S
i on devait fonder une école des poètes, qui conjure l’aspect
française du dialogue, je ne ­concerté, affecté du dialogue. Là est
lui donnerais pas le nom de l’anti-Audiard, la décontraction
Michel Audiard. Trop léché, trop si prisée par nos nouveaux mar-
théâtral. Les personnages prennent chands de vannes qui rêvent de la
la pose, font complaisamment rou- voir enseignée, là est le détachement
ler les mots sur leur langue comme suprême. Et il n’est pas même ici le
des œnologues. Non ! Plutôt l’école fruit d’un apprentissage.
Bretécher, Claire de son prénom.
Cellulite, les Frustrés, Agrippine : Mikado
les personnages passent, le style Bretécher a tant à dire, les mots lui
Bretécher demeure, comme les brûlent les doigts. Les perles sont
fonds marins sous l’écume. Plu- dans les grandes bulles autant que
sieurs créatures, un seul dieu, ou dans les petites. D’aucuns se de-
une seule déesse, en l’espèce. On mandent : avec quoi remplir qua-
pense à Chevillard : «Le style est un rante-huit pages blanches ? Le
phénomène remarquable d’abord questionnement chez elle est in-
en cela que la spontanéité et la so- verse : comment faire entrer dans
phistication n’y sont point inconci- le rigide chemin de fer un tel
liables.» Spontanéité, sophistica- bouillonnement d’idées, de scènes,
tion, deux mamelles du style de la de vannes ? Le style comme souvent
Nantaise. Ça va si vite ! Et ce n’est en est une conséquence. L’artiste ne
jamais relâché. Comme les mem- manque pas de matériau, mais de
bres d’une grande famille, ses per- temps. Ainsi, les mots s’amputent,
sonnages ont des formulations se bousculent. Les apocopes fleu­-
communes et des idiosyncrasies. rissent. D’où le goût pour l’ado­-
Qu’on pense seu­lement à l’inoubli- lescence : principe de plaisir avant
able raté qu’est ­l’oncle Jean-Mil- toute chose. L’info passe ; pour le
lion, à qui Agrippine inflige un jour reste, pas le time, déso.
un sévère uppercut, au cri de Puis les images se mêlent au style,
«t’chulé d’oncle !». et le faux négligé reste. Les person-
nages sont esquissés, leurs couleurs
Pas de temps mort débordent un peu parfois, ce qui Pas le temps de s’étendre, ni de s’ex- un aspect isolé du reste, il perd aussi- «Conseils à ma
Dieu sait comme le dialogue est dif- donne au lecteur cette impression pliquer, zoum. L’art de Bretécher est tôt de son charme. Mais on apprend fille», les Frustrés.
ficile, au point que bien des roman- de flottement. Mariage de couleurs comme un jeu de mikado : chaque que de Bretécher, il n’y a plus ? Éditions Dargaud
ciers l’évitent, lui préférant les et de langages qui donne cette co- élément est garant de l’ensemble ; Darne de thon, dirait Agrippine.
­tournures indirectes. En bande hérence aux créatures, une colonne on n’en peut enlever un sans fragili- C’est le moment de tout relire.
­dessinée, et particulièrement dans vertébrale ou une forme d’éthique. ser le tout. Corollaire : examinez-en Clément Bénech

«C’est simple, il y a un avant et un après “Agrippine”»


«C’est notre mère à nous toutes. Elle est la filles qu’elle a amenés, les corps… Il faut voir quait être solidaire de tout ce que disait Gisèle
Claire Bretécher première à avoir été dans la lumière. Elle a qu’à l’époque, le corps des femmes était Halimi au début des années 70.
a ouvert la voie à une transcendé son “genre” à l’époque, parce qu’il hyper­érotisé, réifié, et Bretécher débarque «Chez elle, ce qui est le plus fascinant, c’est
génération de femmes n’y avait que des mecs dans le milieu de la avec les états d’âme d’une héroïne qu’elle ap- son humour. Elle est brillante et elle maîtrise
bande dessinée. Il y a eu des autrices avant pelle Cellulite… comme une virtuose son medium, mais
dans la BD, rappelle elle, mais ça a été la première avec un succès «Elle casse tous les codes. C’est simple, il y a un d’abord : elle est très très drôle. D’une finesse
Marie Gloris Bardiaux- aussi phénoménal, et une reconnaissance gé- avant et un après Agrippine, ou les Mères, qui dans l’ironie, dans le regard sur elle-même
Vaïentes, historienne nérale. Elle a influencé tout le monde avec a été un album super important, et ses person- et sur son milieu, implacable. Idéalement, si
son style à la limite du croquis, un trait libre nages souvent féminins des Frustrés, de ce mi- j’avais pu créer un personnage de BD, ç’aurait
et scénariste. et hyperpersonnel. lieu bourge parisien cadre sup qu’elle croque été Mafalda, mais sinon Bretécher c’est l’au-
«Sur le féminisme, elle répétait qu’elle n’était avec cet humour dévastateur, un brin cynique, trice idéale, j’avais tous ses albums, et le Nouvel

M
arie Gloris Bardiaux-Vaïentes est pas une militante mais une individualiste for- et un regard comme son trait, acéré. Elle avait Obs à la maison. Il y a chez elle une subtilité in-
scénariste de bande dessinée et his- cenée. En revanche son travail, lui, est fé­- cette force, comme femme aussi, d’autodéri- croyable, quelque chose d’intellectuel assumé
torienne, membre du Collectif ministe. Et le modèle qu’elle est pour nous, sion décapante souveraine. Et puis elle avait dans cet art populaire, très colonie de vacan-
des créatrices de bande dessinée contre créatrices de BD, est féministe, fondamentale- beau répéter qu’elle n’était pas militante fémi- ces, de la BD. Elle avait bien conscience que ça
le sexisme. Dernier ouvrage paru : Champs ment. C’est la pionnière, celle qui nous a auto- niste, elle a illustré des affiches du Mlac (Mou- n’était pas pris au sérieux et donc elle en a pro-
d’honneur (5 tomes chez Delcourt) avec risées à penser qu’on avait une place à prendre vement pour la liberté de l’avortement et de la fité pour faire exactement ce qu’elle voulait.»
Thierry Gloris. dans ce monde masculin. Les personnages de contraception) et grosso modo elle revendi- Recueilli par Camille Nevers
6 u
monde www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

Soudan
Visé depuis
onze ans par
un mandat d’arrêt
de la Cour pénale
internationale,
l’ancien homme

Omar el-Béchir sur


fort de Khartoum,
déposé en avril
par un coup d’Etat,
doit être remis
aux juges par les

le chemin de La Haye
nouveaux dirigeants
du pays. Une
décision inattendue.
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 7

Par dès 2009, puis également de «géno- i­ mposé la loi islamique après son les 40 %. La contestation gronde, procès entamé au mois d’août
Maria Malagardis cide» un an plus tard, Omar el-Bé- accession au pouvoir. le régime répond en emprisonnant le condamne quatre mois plus
chir a ainsi eu le triste privilège Pendant trente ans, il a su esquiver les leaders. Mais à partir de décem- tard à deux ans de prison pour «cor-

O
mar el-Béchir à la Cour pé- d’être le premier chef d’Etat en les obstacles et les menaces. Et pas bre, le mouvement de protestation ruption» et «possession de devises
nale internationale (CPI) ? exercice poursuivi par la CPI, et seulement celles de la Cour pénale gagne plusieurs villes du pays avec étrangères», en l’occurrence en pro-
Voilà qui serait une énorme même le premier accusé du crime internationale. Il s’est notamment une ampleur inégalée en dépit de venance d’Arabie Saoudite.
prise pour la CPI, qui a engagé de- de génocide réclamé par cette juri- débarrassé de son allié l’islamiste la répression. Mais d’autres poursuites l’atten-
puis 2009 des poursuites contre diction basée aux Pays-Bas. Hassan al-Tourabi en 1999, lorsque Les mécontents, qui réclamaient daient au Soudan, où le procureur
l’ancien dictateur soudanais, lui- ce dernier cherchait à prendre sa surtout de meilleures conditions général avait ouvert en décembre
même renversé par un coup d’Etat Main de fer place. de vie, finissent par exiger la dé- une ­enquête sur les crimes commis
en avril. Après avoir longtemps Las, malgré deux mandats d’arrêt Dans les années suivantes, il enta- mission de celui qui était offi­- au Darfour. Jusqu’à présent, cepen-
­refusé de le livrer à la justice inter- internationaux, l’homme fort de mera également des négociations ciellement devenu président en dant, le nouveau pouvoir avait tou-
nationale, le gouvernement de tran- Khartoum bénéficiera jusqu’à sa avec les sécessionnistes du Sud, ­octobre 1993, avant d’être réélu à jours refusé de le livrer à la CPI,
sition qui lui a succédé en a finale- destitution de la protection de aboutissant en 2011 à la création deux reprises lors d’élections mul- ­estimant que ce serait au premier
ment pris l’engagement mardi lors ses pairs africains et arabes, qui de l’Etat indépendant du Soudan tipartites. Le 11 avril 2019, après gouvernement élu de décider s’il
de pourparlers de paix avec des ­l’accueilleront chez eux sans jamais du Sud, alors qu’il avait auparavant plus de trois mois de révolte popu- fallait le faire.
groupes rebelles du Darfour. accepter de le transférer à la CPI. On lui-même dirigé les opérations mili- laire, Omar el-Béchir est destitué Les négociations avec les rebelles
Or c’est précisément dans cette le verra ainsi parader tranquille- taires contre l’Armée populaire de et arrêté par l’armée, qui reprend du Darfour ont visiblement changé
­région tourmentée de l’ouest du Sou- ment au siège de l’Union africaine, libération du Soudan. C’était après la situation en main, court-circui- la donne, offrant à la CPI une
dan qu’El-Béchir, aujourd’hui âgé à Addis-Abeba (Ethiopie), comme son retour d’Egypte, où ce fils de tant dans la foulée la contestation ­victoire tardive mais opportune,
de 76 ans, est accusé d’avoir orches- à Johannesburg (Afrique du Sud) paysans modestes qui n’était pas de la rue. au moment où le bureau du pro­-
tré une campagne de meurtres et de ou à Tripoli (Libye). encore au pouvoir avait été formé à cureur de cette juridiction a pu
viols à caractère ethnique à partir Arrivé au pouvoir par un coup l’Académie militaire. Victoire tardive sembler ­affaibli par l’échec de sa
de 2003, lors d’un intermi­nable d’Etat en 1989, alors qu’il était colo- Finalement, c’est en se soumettant Emprisonné, Omar el-Béchir est procédure contre l’ancien président
­conflit contre des groupes rebelles nel au sein des forces armées sou- au plan d’austérité du Fonds moné- aussitôt accusé du meurtre d’un ivoirien Laurent Gbagbo, acquitté
qui a fait plus de 300 000 morts et danaises, El-Béchir semblait jouir taire international (FMI), en 2018, manifestant, puis de corruption, en janvier 2019. Mais un bémol tou-
2,5 millions de déplacés. d’une totale impunité et pouvait qu’Omar el-Béchir va précipiter après la découverte à son domicile tefois : à La Haye, c’est une fois de
Accusé de «crimes contre l’hu­- continuer de régner d’une main sa chute. Les prix du pain et de l’es- de plus de 100 millions de dollars plus l’Afrique qui se retrouve sur le
manité» et de «crimes de guerre» de fer dans son pays, où il avait sence s’envolent, l’inflation atteint (91 millions d’euros). Un premier banc des accusés. •

«Les faits reprochés à El-Béchir


sont d’une extrême gravité»
Pour le président d’honneur L a CPI avait même p erdu esp oir la CPI. Il est vrai, en revanche, que la Cour ne
de la Fédération internationale ­de pouvoir le juger… parvient pas à poursuivre d’autres respon­-
En effet, la procureure de la CPI, Fatou Ben- sables de crimes similaires sur d’autres conti-
pour les droits humains, souda, avait dû abandonner la procédure nents ou régions et d’Etats. On pense évidem-
Patrick Baudouin, le ­contre le responsable soudanais il y a ment à plusieurs dirigeants au Moyen-Orient
transfèrement prochain de l’ex- deux ans, ou plutôt la suspendre. Elle avait dû (en Syrie, en Irak, en Israël) mais aussi à la
dictateur soudanais pourrait faire le constat de l’absence de coopération des Chine, aux Etats-Unis ou encore la Russie.
redonner de la crédibilité à pays africains qui ont pourtant ratifié le traité Toutefois, des enquêtes préliminaires sont en
la Cour pénale internationale. de la CPI. Le mandat d’arrêt contre Omar el- cours et des investigations ouvertes sur
Béchir était toujours en vigueur, mais le dos- l’Ukraine dans le Donbass, ainsi que sur les

A
vocat spécialiste du droit pénal inter- sier était en panne. Cette décision est donc une Philippines et le Bangladesh, mais elles n’ont
national, président d’honneur de la très bonne surprise pour la CPI qui a connu ré- pas encore débouché sur des mandats d’arrêt
­Fédération internationale pour les cemment plus d’échecs que de succès. contre les responsables.
droits humains (FIDH), Patrick Baudouin Quelles sont les prochaines étapes pra­- Parce qu’il s’agit de pays qui n’ont pas
­connaît bien l’Afrique pour avoir mené plu- tiques après la décision du gouvernement ­ratifié le traité de la CPI ?
sieurs missions notamment au Maghreb, mais soudanais ? Oui, ce n’est pas le manque de motivation
également en Côte-d’Ivoire et au Rwanda. Il Omar el-Béchir et les autres responsables de la CPI qui est en cause, mais les possibilités
analyse les conséquences de la décision inat- ­accusés dans le même dossier devraient très ­juridiques dans certaines zones sont bloquées
tendue des autorités soudanaises de transférer rapidement arriver à La Haye pour être défé- car la compétence de la Cour ­pénale interna-
l’ex-président Omar el-Béchir à la Cour pénale rés devant la CPI. Ils seront pla- tionale n’est pas reconnue. La
internationale (CPI), qui siège à La Haye pour cés en détention provisoire dans non-ratification par les Etats-
poursuivre les plus graves crimes internatio- des conditions parfaitement pro- Unis, la Chine, la Russie et la plu-
naux commis depuis 2002. tectrices de tous les droits, y part des pays arabes, tout comme
Quelle est votre première réaction à la compris sur le plan ­médical, l’Iran empêche d’avancer dans
­décision des autorités soudanaises de re- puisqu’à 76 ans, Omar el-Béchir les dossiers les concernant. En
mettre l’ex-président Omar el-Béchir à la aurait des problèmes de santé. ­revanche, les pays africains sont
CPI ? Mais son âge n’entre nullement pour la plupart signataires du
C’est évidemment une excellente nouvelle en ligne de compte dans le dos- traité de Rome, comme les Euro-
AFP

contre l’impunité et un motif de satisfaction sier. Une procédure préliminaire péens. C’était une demande des
pour la justice internationale. Les faits repro- sera alors ouverte et l’instruc- Interview populations afri­caines de pou-
chés à Omar el-Béchir sont d’une extrême gra- tion pourra commencer au voir faire appel à la justice inter-
vité : génocide et crimes de guerre. Il est parmi terme d’une enquête qui devrait durer envi- nationale pour mettre fin au règne de l’impu-
les criminels au dossier le plus chargé. Le ron deux ans. Puis, il comparaîtra pour le nité. Le Sénégal avait été le premier pays
mandat d’arrêt international contre lui date ­jugement. à ratifier le statut de cette Cour pénale inter-
de plus de dix ans et il a réussi à passer entre La CPI est parfois critiquée pour ne juger nationale.
les mailles du filet tant qu’il était au pouvoir, que des responsables africains ? La relance de la procédure à l’encontre
tout en se baladant dans plusieurs pays L’impression qu’il y a deux poids deux mesu- d’Omar el-Béchir est-elle porteuse d’espoir
­africains et arabes (lire ci-dessus). C’était res pour la Cour pénale internationale est légi- pour d’autres dossiers ?
Omar el-Béchir un véritable pied de nez à la justice internatio- time, mais il faut aller au-delà. Il faut d’abord C’est en tout cas le moment pour la CPI
à Khartoum, nale et il a échappé à l’arrestation faute de observer si les dirigeants poursuivis méri- ­de retourner à des normes positives et de
en janvier 2019. Photo ­coopération des Etats où il allait en visite. taient bien de l’être et si les poursuites étaient ­retrouver sa crédibilité, et pour la justice inter-
Mohamed Nureldin La décision des autorités de Khartoum justifiées. Ce sont souvent ceux qui veulent nationale de reprendre espoir.
Abdallah. Reuters ­aujourd’hui permet enfin de relancer la procé- ­dédouaner les responsables africains de leurs Recueilli par
dure contre ce responsable. crimes qui entretiennent ce faux débat contre Hala Kodmani
8 u
Monde www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

LIBÉ.FR
New Hampshire :
une seconde chance
pour la primaire
Après les chaotiques caucus de l’Iowa la semaine
dernière, le deuxième scrutin démocrate devrait
à nouveau faire émerger deux candidats opposés :
le socialiste Bernie Sanders et le centriste Pete
Buttigieg. Retrouvez le reportage et l’analyse de
notre correspondante, Isabelle Hanne. Photo AFP

branche syrienne d’Al-


Qaeda. Des formations
­rebelles, moins puissantes,
sont également présentes.
Pour appliquer l’accord, l’ar-
mée turque avait ins-
tallé 12 postes ­d’observation
militaire. Mais ­l’accord n’a ja-
mais été respecté. «La Russie
reproche à la Turquie de ne
pas avoir affaibli HTS, et la
Turquie reproche à la Russie
de ne pas avoir respecté le ces-
sez-le-feu et d’avoir repris les
bombardements», explique
Ziad Majed, professeur à
l’université américaine de
Paris.

«Châtiment». Ankara a
longtemps assisté sans réagir
à l’avancée des troupes sy-
riennes, laissant plusieurs de
ses avant-postes passer der-
rière les lignes de front et être
­encerclés par des soldats du
régime de Bachar al-Assad.
Jusqu’à la semaine dernière,
après la mort de treize de ses
soldats, dont cinq pour la
seule journée de lundi.
­Ankara a affirmé avoir ri-
posté par des bombarde-
ments massifs. «Le régime a
reçu son châtiment, mais ce
n’est pas assez, il y aura une
Des Syriens traversent Hazano, une ville au nord d’Idlib, mardi. Photo Aref Tammawi. AFP suite. Car plus ils attaqueront
nos militaires, plus ils le paie-
ront cher, très cher», a déclaré

A Idlib, la Turquie hésite,


Erdogan mardi.
En parallèle, l’armée turque
a envoyé à Idlib un millier
de chars et de blindés, ainsi

les civils fuient que des soldats de ses forces


spéciales. Elle a également
fourni de l’armement aux re-
belles qu’elle chapeaute. Sans
que pour l’heure il n’y ait
En une semaine, camps sont déjà saturés, ils quand l’offensive a démarré. après plusieurs mois de ­ arant, côté rebelle, de l’ac-
g de contre-offensive massive.
100 000 personnes s’installent quand ils le «Il s’agit du nombre de dé­- bombardements intensifs cord de Sotchi, signé en sep- «La Turquie reste hésitante,
­peuvent dans des bâtiments placés le plus élevé sur une dans le sud de la province. tembre 2018 avec Moscou. elle donne l’impression de ne
ont fui vers en ruine ou en construction, telle période depuis que la Face aux frappes, les villes Le texte prévoyait une zone pas vraiment savoir quoi
la frontière turque dans des caves crise syrienne a telles Maarat al-Nouman ­démilitarisée autour de la faire. La Russie en a profité
pour échapper ou des tentes de L'histoire commencé il y a et Saraqeb se sont vidées province. Les autoroutes M4 pour bombarder et faire
à l’escalade de fortune. Parfois, du jour près de neuf ans», de leurs habitants. Au et M5 qui la traversent de- avancer les soldats syriens au
violences entre ils n’ont rien. Ils a déclaré à l’AFP moins 350 civils ont été tués, vaient rouvrir, sous super­- sol. Elle veut créer un fait ac-
le régime syrien dorment dehors, avec les David Swanson, porte-parole selon l’Observatoire syrien vision russe, tandis que les compli et négocier un nouvel
et l’armée russe. couvertures qu’ils ont em- du Bureau de coordination des droits de l’homme. ­jihadistes devaient reculer. accord, qui remplacera celui
portées après avoir aban- des affaires humanitaires La Turquie, soutien affiché Idlib est aujourd’hui contrôlé de Sotchi, aujourd’hui mort»,
Un exode record en donné leur maison, plus de l’ONU. de la rébellion anti-Assad par les combattants de Hayat explique Ziad Majed.
neuf ans de conflit. au sud. mais qui s’est rapprochée de Tahrir al-Sham (HTS), ex- Le prochain objectif russo-sy-
En neuf ans de conflit, jamais Mur de béton. L’armée sy- la Russie, est en première rien est l’autoroute M4, qui va
une offensive n’a provoqué rienne, aidée par son allié ­ligne. Le président turc, Re- jusqu’à Lattaquié, sur la côte
Par
Luc Mathieu
un tel exode. En une semaine, russe, continue, elle, à pro-
environ 100 000 personnes gresser dans la dernière pro-
cep Tayyip Erdogan, répète
depuis des mois qu’il ne lais-
Depuis le début méditerranéenne. Mardi, les
rebelles ont commencé à
ont quitté leur ville ou village vince contrôlée par l’opposi- sera pas les déplacés syriens de l’offensive ­riposter en abattant un héli-

I
l gèle à Idlib. La nuit, la pour échapper aux bombar- tion. Mardi, elle a atteint l’un qui se massent à la frontière, coptère de l’armée syrienne.
température tombe sous dements du régime syrien et de ses objectifs prioritaires : matérialisée par un mur
en avril, près Ils ont également avancé
les moins 5°C. Ce n’est pas de l’armée russe, et se rappro- récupérer le contrôle de l’au- de béton de plusieurs mètres d’un million dans la région de Saraqeb,
exceptionnel. Mais ce qui cher de la frontière turque, toroute dite «M5» qui relie de haut, la franchir. Il me- ville qui vient d’être reprise
l’est, c’est l’afflux ininter- selon les Nations unies. De- Alep, la grande ville du Nord, nace aussi parfois à l’inverse de personnes par le régime. Damas a répli-
rompu de civils qui tentent
de se réfugier dans le nord de
puis le 1er décembre, le total à Damas, la capitale. Il ne lui
passe à près de 700000. Et un manquait plus qu’un tronçon
de l’ouvrir, ce qui provoque-
rait une nouvelle crise migra-
ont quitté leur qué qu’il répondrait aux atta-
ques turques. Les civils, eux,
la province syrienne. Les million depuis le mois d’avril, de 2 kilomètres. Elle l’a fait toire en Europe. Ankara est le ville ou village. continuent de fuir. •
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 9

Ai Weiwei taille
LIBÉ.FR Berlin L’artiste chi-
nois, qui a vécu quatre
ans en Allemagne, est de retour dans la ca-
pitale allemande. Et attaque le pays au
­Kärcher. Amateurs de propos nuancés,
s’abstenir. Chaque mercredi, retrouvez no-
tre chronique sur la vie vue d’Allemagne,
«Miroir d’outre-Rhin». Photo AFP

Bangladesh Des Rohingyas morts


dans le naufrage de leur embarcation «Diamond Princess» : le Covid-19
Au moins 15 personnes sont mortes noyées et une cinquan-
taine sont portées disparues dans le naufrage mardi, au large
du Bangladesh, d’un bateau surchargé de Rohingyas. Les
a atteint sa vitesse de croisière
138 passagers, principalement des femmes et des enfants, sont
montés à bord d’une embarcation de pêche dans l’espoir de «Bonjour à tous. C’est votre sentant mal. Mais les autori-
gagner la Malaisie. Le naufrage a eu lieu à proximité de l’île capitaine qui vous parle tés insistent sur la nécessité
bangladaise de Saint-Martin, proche des côtes du district de ­depuis le pont. J’espère que de limiter les risques de pro-
Cox’s Bazar, où près d’un million de réfugiés rohingyas, mino- vous avez bien dormi. Une pagation du virus à l’exté-
rité musulmane persécutée en Birmanie voisine, vivent dans autre journée a commencé rieur «pour ne pas inquiéter
des camps dont ils ont l’interdiction de sortir. «Il a coulé à qui va nous forcer à affron- la population nippone». Le
cause de la surcharge. Le bateau était conçu pour transporter ter d’autres défis. Mais nous ministre de la Santé a laissé
un maximum de 50 personnes», a déclaré Hamidul Islam, por- sommes préparés à cela, res- entendre que tous les passa-
te-parole des gardes-côtes du Bangladesh. Soixante et onze tant forts et unis.» C’est gers et membres d’équipage
personnes ont été secourues, dont 46 femmes. par ces mots que les quel- seraient ­testés avant de dé-
que 3 600 passagers (dont barquer (à une date qui n’est
1 000 membres d’équipage) pas fixée, après le 19 février).
Algérie Le frère de Bouteflika du Diamond Princess, ce «Il n’y a que 3 600 personnes
condamné à quinze ans de prison ­paquebot de croisière en à prendre en charge. Pour-
quarantaine près du port A bord du Diamond Princess, lundi. Photo Reuters quoi c’est si difficile de tester
Le verdict a été confirmé en appel : Saïd Bouteflika, le frère ­japonais de Yokohama, ont tout le monde, de laisser les
du président déchu Abdelaziz Bouteflika, et deux anciens entamé la journée de mardi. Les passagers issus de plu- mais il y a beaucoup de per- gens sortir sur le pont
chefs du renseignement algérien ont été condamnés lundi La veille, ils avaient appris sieurs dizaines de nationa­- sonnes âgées qui semblent deux fois par jour ou encore
soir à quinze ans de prison par un tribunal militaire pour que 65 d’entre eux avaient lités différentes (dont quatre avoir du mal à se tenir au de leur ­livrer des tablettes,
«complot contre l’autorité de l’armée et de l’Etat». Le parquet été testés positifs au coro­- Français selon le Quai d’Or- courant», raconte un pas­- des journaux ou des médica-
avait requis vingt années de prison à l’encontre de Saïd Boute- navirus, ce qui porte le total say) restent confinés dans sager japonais joint via une ments ?» critique l’éditoria-
flika, le puissant conseiller de son frère, ainsi que contre le gé- à 135. «Au moins 10 mem- les cabines, leur journée messagerie. Des Japonais, liste Osamu Aoki.
néral Mohamed Lamine Mediene, alias «Toufik», l’ancien pa- bres d’équipage ont été in- rythmée par les annonces du mécontents des conditions Mardi en fin de journée, sous
tron du Département du renseignement et de la sécurité, et fectés», avance le New York capitaine, la distribution des à bord, ont créé un «réseau un ciel clair, le navire devait
son ex-bras droit, le général Tartag, qui lui avait succédé. ­Times. repas. De temps à autre, une d’urgence pour ceux qui quitter le port pour une sor-
Un ballet d’ambulances, porte s’ouvre et des silhouet- ­vivent dans Diamond Prin- tie en mer d’où il ne revien-
pour évacuer les malades, tes sortent sur le pont pen- cess» afin de protester ­contre drait que mercredi. Depuis
Maroc Amnesty dénonce la répression se poursuivait mardi devant dant quelques minutes. Puis une situation «qui s’ag- Genève, l’OMS a jugé que
de la liberté d’expression l’imposant vaisseau. Après on perçoit le son d’une an- grave». Ils se plaignent de «si nous investissons main­-
quatorze jours de croisière, nonce et elles disparaissent. n’avoir que peu d’informa- tenant […], nous avons une
Amnesty International a dénoncé mardi la campagne de «ré- le cauchemar du Diamond «Le plus dur est de ne pas sa- tions, qui plus est contradic- chance réaliste de stopper» la
pression» du régime marocain contre des voix critiques, via Princess a commencé le voir quand on pourra rentrer toires. Le gouvernement en- propagation du nouveau
une «vague d’arrestations et des poursuites arbitraires». L’ONG ­3 février lorsqu’un passa- chez soi, rien n’est décidé. visagerait de débarquer les ­virus rebaptisé Covid-19, un
a répertorié depuis novembre au moins dix personnes ger de 80 ans, débarqué du Ceux qui peuvent utiliser un personnes âgées (il y a à bord nom non stigmatisant et fa-
­condamnées à des «peines sévères» pour avoir critiqué sur les ­navire à Hongkong quelques smartphone arrivent à s’oc- plusieurs dizaines d’octo­- cile à prononcer.
réseaux le roi Mohammed VI, des institutions ou des fonction- jours plus tôt, a été ­détecté cuper et à rester informés sur génaires et nonagénaires), Alice Nagato
naires, dont deux youtubeurs, un rappeur et un lycéen. ­positif. ce qu’il se dit à l’extérieur, ainsi que les individus se (à Yokohama)

A l’ONU, l’isolement palestinien


«Ce n’est pas un Etat, c’est un compte des voix manquan- la dissonance entre les décla- brutal limogeage de l’ambas-
morceau de gruyère ! Qui tes, les Palestiniens ont pré- rations de principe énoncées sadeur tunisien à l’ONU, ven-
parmi vous pourrait l’accep- féré retirer le texte pour s’évi- au niveau de la Ligue arabe dredi. Le diplomate était
ter ?» Cartes à portée de main, ter une nouvelle humiliation, ou de l’Union européenne, et l’une des plumes de la pre-
le président palestinien, quinze jours après la présen- les réactions individuelles mière mouture de la résolu-
Mahmoud Abbas, était mardi tation de la «vision» trum- des nations, bien plus timo- tion, jugée trop véhémente
à New York devant le Conseil piste en direct de la Maison rées. De quoi donner au fa- par Washington qui l’a fait sa-
de sécurité des Nations unies, Blanche. Du côté de Ramal- meux «consensus interna­- voir au nouveau président
dans ce qui ressemblait à un lah, on refuse néanmoins de tional» l’air d’une façade Kaïs Saïed – lequel a cédé. Au
match perdu d’avance face à parler de «re- craquelée par le micro, Abbas a laissé poindre
l’administration Trump et trait», arguant Analyse bulldozer améri- de l’agacement («Quelle est
son «deal du siècle», censé ré- que le texte, of- cain. Des «fissu- l’utilité des résolutions de vo- Iran Mobilisation pour la libération
soudre le conflit israélo-pa- ficiellement porté par la Tu- res en cascade» – y compris tre auguste conseil si celles-ci de deux chercheurs français
lestinien. Malgré un discours nisie et l’Indonésie, n’a pas au sein de l’UE –, dont s’est sont méprisées ?»), voire un
aussi combatif que stéréo- encore été présenté et doit félicité Jared Kushner, le aveu d’impuissance face au Depuis 252 jours, deux universitaires français sont détenus
typé, le raïs octogénaire a, sur être finalisé. Interrogé par Li- gendre de Donald Trump «plan conceptuel» américain : en Iran. Fariba Adelkhah, anthropologue, également de na-
le front diplomatique, été lâ- bération, un cadre de l’OLP responsable du service après- «Chaque fois que je vois cette tionalité iranienne, et son compagnon Roland Marchal, re-
ché en rase campagne, ou dit encore croire à un vote vente du plan. Le résultat de carte, mon espoir disparaît. connu pour son travail sur la corne de l’Afrique, ont été ar-
plutôt en plein Manhattan. positif plus tard dans la se- pressions et menaces, no- Les Palestiniens méritent-ils rêtés le 5 juin à Téhéran. Leur situation n’a fait qu’em­pirer
Car ce discours devait à l’ori- maine. Vœu pieux. tamment financières, des cela ? Ces petits îlots de terres depuis, comme l’ont rappelé leurs soutiens rassemblés
gine appuyer le vote d’une ré- Ce nouveau revers diploma- Américains sur quelques séparés les uns des autres ?» mardi sur le parvis du Trocadéro, à Paris. «Fariba est très
solution rejetant le plan amé- tique souligne l’isolement Etats clés. Parmi les exem- Guillaume Gendron affaiblie physiquement. Roland est détenu à l’isolement»,
ricain. Las, après avoir fait le palestinien. Et met en relief ples les plus frappants, le (à Tel-Aviv) a alerté Béatrice Hibou, une de leurs collègues. Photo AP
10 u
Municipales Libération Mercredi 12 Février 2020

Par
Dominique Albertini

C
ette fois, le pire n’est pas sûr.
Trois ans de macronisme et
d’échecs électoraux ont im-
primé chez Les Républicains une
modestie de bon aloi, voire un élé-
gant scepticisme quant à l’avenir du
parti. Mais à moins de cinq semai-
nes des municipales, ­serait-il enfin
permis d’y croire ? «C’est quand
même la seule élection où être sor-
tant est un atout», chantent à l’unis-
son les cadres du parti. «Si tu es sor-
tant et pas trop mauvais, tu peux
écrire “McDonald’s” ou “Tasse à
café” sur ton affiche, ça passe», es-
time un député.
Et des ­sortants, la droite en a à re-
vendre, forte de la «vague bleue» des
municipales de 2014 (lire ci-contre).
Conservant ses trophées mar-
seillais, niçois et bordelais, elle y
avait ajouté de nombreuses villes
grandes et moyennes, comme Tou-
louse, Reims, Limoges ou Saint-
Etienne. Avec le centre, la droite di-
rige aujourd’hui plus de 60 % des
communes de plus de 9 000 habi-
tants. A lui seul, le parti Les Répu-
blicains en tient un petit tiers. Le
moral des troupes est aussi entre-
tenu par la bonne campagne pari-
sienne de Rachida Dati : certes pas
­favorite, celle-ci peut au moins es-
pérer figurer honorablement dans
un scrutin que certains au sein du
parti disaient perdu d’avance.

«Un peu préoccupé»


La concurrence, juge-t-on chez LR,
ne serait pas en situation de lui dis-
puter le morceau. Ni une gauche
mal remise de ses propres échecs ;
ni un Rassemblement national tra-
ditionnellement faible à cet échelon
(même si le moindre gain de sa part
ferait événement) ; ni, croit-on en-
fin, La République en marche. Mal
implanté, le parti présidentiel a
souvent renoncé à des candidatures
autonomes pour soutenir des sor-
tants, majoritairement issus de la
droite et parfois, comme à Nice et
Toulouse, encartés chez LR. Seule
inconnue : l’ampleur d’un vote écolo

La droite de
qui pourrait faire passer plusieurs
villes moyennes au vert. «Deux ou Récit
trois cas du genre masqueraient le
fait que la droite reste assez haut»,
redoute un maire francilien.
Si la droite maintient ses positions, Fort de sa victoire
elle abordera en confiance le
­prochain renouvellement partiel de 2014, le parti
du Sénat, en septembre, et les scru-
tins régionaux et départementaux Les Républicains

nouveau
de 2021. De quoi continuer de se
poser, jusqu’à la fin du quinquen-
aborde
nat, en digne représentante des
«territoires», terme aussi imprécis
avec sérénité le
que valorisant, qu’elle oppose
­depuis trois ans à un Macron jugé
scrutin de mars,
«déconnecté» des réalités locales. qui avantage
Un succès, enfin, serait le premier
­acquis électoral de la nouvelle souvent les maires
sortants. Mais

en vague ?
équipe dirigeante de LR, ­présidé
depuis octobre par Christian ­Jacob.
Gare à l’excès de confiance, pré-
viennent pourtant quelques
certains cadres
­Cassandre. «Je suis un peu préoc-
cupé par cette musique d’ambiance
craignent un excès
qui dit que tout va bien se passer,
­témoigne une figure de LR. Dans
de confiance.
notre plus grande ville, Marseille, on
a tous les ingrédients pour lll
Libération Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

A LR, l’incertain destin


de la «génération 2014»
Aux dernières m’a bluffé, explique Jacob. Ils ­ anettes, si on se plante, on
m à l’image du secrétaire général
municipales, ils ont ont la trentaine, ils sont se plante. Mais on a envie de adjoint Fabien Di Filippo,
gagné par surprise ­passionnés de politique, ils montrer une autre image du 33 ans. A droite, ces élus sont
avant d’être viennent du terrain, où ils parti», résume Dumont. La aussi la première génération
confrontés à la ont souvent gagné à contre- création d’un «comité du re- à devoir envisager qu’elle
déroute de leur camp. courant, et ils ont envie d’en nouvellement», dans les der- n’accédera peut-être jamais
Aujourd’hui ils sont découdre.» Tout cela en fe- niers jours de la présidence au pouvoir. Affaires, défaites
rait, raille le patron de LR, de Laurent Wauquiez, est un électorales et querelles stra-
à la direction du parti,
«exactement le contraire des moyen de pression. Plusieurs tégiques ont ravagé la droite
députés ou tentent jeunes issus d’En marche», en de ses membres intégreront et découragé certains de ses
de se faire réélire. tout cas la meilleure des vitri- l’équipe Jacob. «Sans ce coup cadets.
nes pour un parti réputé de semonce, il n’y aurait pas Parmi les nouveaux maires

«D
e ce que l’on sait, à bout de souffle. Au sein des l’organisation qu’on a au- de 2014, trois – Gérald Dar-
il s’agit vraiment instances, ces jeunes élus jourd’hui», juge Gil Avérous manin, Sébastien Lecornu et
des conditions prônent souvent un ravale- – placé en avril 2018 par Wau- Jean-Baptiste Lemoyne – ont
d’une vague bleue.» Il l’ignore ment intellectuel de LR, quiez à la tête du «comité des embrassé le macronisme et
encore, mais ce dimanche qu’ils souhaitent ouvrir maires» de LR. intégré le gouvernement.
30 mars 2014, Jean-François à d’autres thèmes que la tri- Plus jeune maire de France
Copé vit son dernier moment nité sécurité-immigration- Cadets en 2014, l’élu de Juvisy Robin
de bonheur à la tête de comptes publics. découragés Reda a quitté LR en 2018 dans
l’UMP. L’affaire Bygmalion Cette réussite n’était pas ac- Quel avenir pour cette géné- les pas de la présidente d’Ile-
emportera dans quelques se- quise en 2014, juge le maire ration, dans un contexte ra- de-France, Valérie Pécresse,
maines le patron de la droite. de Châteauroux (Indre), Gil dicalement différent de celui dont il est un fidèle.
Mais ce soir-là, à l’issue du Avérous, 40 ans à l’époque. qu’ont connu ses aînés ? Elle Tombé, en termes électoraux
second tour des élections Certes, au sommet du parti, est, par exemple, la première et militants, à son plus bas
muni­cipales, c’est en prési- on fête et reçoit la jeune à n’avoir jamais ou presque niveau historique, le parti
dent comblé – et en candidat garde. Mais «l’UMP, parti de expérimenté le cumul des pourra-t-il renouveler la
victorieux, à Meaux – qu’il gouvernement, tourne à l’épo- mandats. «Entre renoncer moisson de 2014 le 22 mars ?
­apparaît sur les écrans. Oui, que autour des élus natio- à l’Assemblée ou à sa mairie, «Des gens comme Aurélien
son parti l’a emporté dans naux, des parlementaires, il n’y a pas de bon choix, dé- [Pradié] ou Robin [Reda] sau-
des proportions historiques : même si ceux-ci pouvaient plore un cadre expérimenté vent la face de la droite, mais
un élan qui a porté, aux encore être des maires», es- de LR. Trop d’élus locaux ce n’est pas une génération
­quatre coins du territoire, de time l’édile : «Il n’y avait pas n’ont pas émergé.» Mais, sou- spontanée, avertit un de
jeunes ­can­didats d’abord d’instance ­propre aux élus lo- ligne Pierre-Henri Dumont, leurs camarades. Ils ont été
promis au ­casse-pipe. Cer- caux. Notre génération devait le non-cumul a aussi «accé- formés pendant dix ans par
tains n’ont pas 30 ans, à jouer des coudes. On nous di- léré certains parcours, ceux le ­mouvement avant d’émer-
l’image de ­Robin Reda, sait : “Vous avez toute votre de jeunes députés élus en 2017 ger. Et aujourd’hui, cela
22 ans, victorieux ­à Juvisy place.” Mais dans les faits, on parce que leurs prédécesseurs fait cinq ans qu’on n’a formé
(Essonne) ou de Pierre-Henri voyait bien que ça tournait préféraient, eux, conser- ­personne…»
Dumont, 26 ans, à Marck autour des anciens.» ver leurs mandats locaux», D.Al.
(Pas-de-Calais). Grossies trois ans plus tard de
néodéputés, les jeunes clas-
«Le plus vaste ses s’organisent. «Beaucoup
renouvellement» se connaissaient : ils avaient
Six ans plus tard, ces cadets milité ensemble, fourni des Retrouvez
ont fait du chemin. Les uns cadres à notre organisation de
travaillent ces jours-ci à leur jeunesse, les Jeunes pop»,
réélection ; d’autres sont en- ­souligne le député Raphaël
lll perdre car on se présente di- A droite, trés en 2017 à l’Assemblée na- Schellenberger, 29 ans, en
visés. Si on perd là, cela masquera Christian Jacob, tionale, ­sacrifiant leur mandat charge de la formation.
tout ce qu’on ­conservera ailleurs.»
Donnée favorite, la candidate LR
Martine Vassal est en effet confron-
président de LR.
A sa droite
en arrière-plan,
local pour respecter le non-
cumul; certains, enfin, ont in-
tégré la direction du parti Les
­Dîners, visites, vacances
communes et messageries
instantanées structurent un
dans 28 minutes
tée à la dis­sidence du sénateur
Bruno Gilles à Marseille. Le parti
Aurélien Pradié,
secrétaire
Républicains, comme l’élu du
Lot Aurélien Pradié, 33 ans,
réseau informel : pas toujours
uni sur le fond – en témoi-
presente par elisabeth quin
multiplie, sans succès, les tentatives général du parti. nouveau secrétaire général gnent les choix effectués dans du lundi au jeudi a 20h05 sur
de rapprocher les deux listes de Photo Julien du parti. L’avenir national est la primaire de 2016 –, celui-ci
droite. MUGUET. Hans toutefois incertain pour cette pousse d’abord pour un
Lucas «génération 2014», mûrie au ­renouvellement des visa-
«Oxygène artificiel» rythme des scandales et des ges. Conscient de sa valeur
D’autres veulent prévenir leur défaites de son camp, puis ­symbolique… et électorale :
camp… des périls de la victoire, les éclipsée par le chamboule- «Quand vous faites basculer
succès locaux n’étant pas forcément ment macroniste. un chef-lieu de canton aux
prédictifs d’un regain national. «Un «Le plus vaste renouvellement municipales, le canton bas-
bon résultat sera comme une bouffée interne a eu lieu à droite mais cule aux départementales, fait
d’oxygène artificiel, redoute un élu. une génération de nouveaux valoir un jeune député. Et
Après quoi tout le monde va se faire députés est passée sous les ra- quand un nouveau maire est
plaisir pendant deux ans en fan­- dars», constate Pierre-Henri candidat aux régionales, ça se
tasmant la candidature Baroin.» Dumont. Ces jeunes élus sont voit aussi dans les urnes.»
Même avertissement chez un parle- pourtant à l’honneur sous la Au lendemain des législati-
mentaire : «La victoire municipale présidence de Christian Ja- ves, puis du désastre des
sera liée à des personnalités, pas à cob, élu en octobre à la tête ­européennes, la génération
notre discours national. Si l’on assi- de LR. Comme Pradié et montante réclame d’être
mile la présidentielle à une canto- ­Dumont, ils sont plusieurs ­associée à la «refondation»
nale, on passera à côté de beaucoup à avoir rejoint les instances du mouvement. «Le mes-
de choses.» • du parti. «Cette génération sage était : donnez-nous les
12 u
MUNICIPALES
Libération Mercredi 12 Février 2020

LIBÉ.FR
A Hénin-Beaumont,
le grand parachutage
d’une proche des Le Pen
Huguette Fatna, la «nounou des enfants» de Marine
Le Pen et conseillère régionale d’Ile-de-France,
devrait faire partie de la liste RN de Steeve Briois.
La femme de 71 ans s’est installée à Hénin-Beaumont
avant la fin de l’année dernière pour avoir une adresse
à temps pour s’inscrire sur les listes électorales.

La Clusaz : des citoyens défient le tout-ski


ropéenne née à La Clusaz,
embraie : «Il y a un aveugle-
ment total à la mairie, une
culture du secret et beaucoup
de clientélisme. Les Cluses
sont intéressés par notre dé-
marche. C’est un tournant.»
La preuve : dans la dernière
­ligne droite, 110 habitants
se sont inscrits sur les listes
électorales en un mois. La
tête de liste, Alexandre Ha-
melin, calcule : «Il nous faut
600 voix. J’y crois ! Face aux
changements climatiques, so-
ciétaux et touristiques, il faut
de la jeunesse, des idées neu-
ves.» Concepteur de snow-
parks, animateur dans l’évé-
nementiel, il ajoute : «On
peut développer raisonnable
et raisonné, sans liaisons in-
terstations ni résidences hôte-
lières.» Pour 1 800 habitants,
La Clusaz aligne 23 000 lits
touris­tiques, dont 8 000 seu-
lement «professionnels»…

«Clientèle». Face à la liste


ADN, Didier Thevenet, assu-
reur de 63 ans et ex-président
de l’office du tourisme, mène
une liste du cru où les profes-
sionnels de la station pèsent
lourd. Il a intégré la nouvelle
donne – exit l’arrivée du Club
Des colistiers de la liste ADN en lice pour les municipales de La Clusaz. Au centre, la tête de liste, Alexandre Hamelin. Med – et assure qu’on n’é­-
quipera pas la Creuse, une
En découvrant cette rencontre. Car en quel- bauge, snowboardeuse et Cathy Neyrinck, animatrice muel Pollet-Villard, 29 ans, combe sauvage vouée à être
de futurs projets ques mois, le collectif est de- journaliste. Face aux boule- du collectif. Les municipales gronde : «Il faut préserver le aménagée dans le Scot. S’il
touristiques, venu incontournable. versements climatiques, c’est ne pouvaient pas mieux tom- village ! Nous devons diversi- insiste sur «la consultation
des habitants Tout commence l’été dernier un pari économique extrê­- ber : les candidats sentent que fier nos activités, travailler des habitants sur les projets
d’une vallée de quand un nouveau schéma mement risqué, autant qu’une les habitants sont concernés sur les nouvelles façons de ve- importants», l’ancien adjoint
de cohérence territoriale prédation de sites intacts et qu’il va falloir faire avec nir à la mon­tagne, sur les chargé du tourisme à la mai-
Haute-Savoie ont
(Scot) est validé par les douze et très prisés des habitants eux.» D’autant que, si au quatre saisons. Cette mobili- rie dans les années 90 est
créé un collectif. municipalités de l’inter­- comme des touristes.» A l’ou- Grand-Bornand ou à Saint- sation contre le Scot m’a mis clair : pour «aller chercher la
L’engouement suscité communalité des vallées de verture de l’enquête publique Jean-de-Sixt personne n’ose des frissons : je veux une poli- clientèle étrangère», il faut
par leur groupe ­Thônes. Dans cet indigeste sur le Scot, début décembre, défier les édiles en place, le tique éthique, horizontale.» «raisonnablement» créer des
influence le cours document, quel- les créateurs du maire sortant (sans éti- Julie Desnoulez, 40 ans, résidences hôtelières et
des municipales. ques citoyens L’histoire collectif Fier Ara- quette) de La Clusaz, André ­Lilloise d’origine installée ­«étudier une liaison avec
avertis décou- du jour vis sont prêts : ils Vittoz, jette l’éponge. L’occa- dans le village ­depuis dix- le Grand-Bornand afin
Par vrent des projets ont décrypté le sion est toute trouvée : l’en- neuf ans, n’a pu résister à «cet ­d’atteindre le standard
François Carrel touristiques stupéfiants : document, rédigé des fiches, gouement suscité par Fier élan, cette volonté des gens des 200 km de ­pistes». «Les
Envoyé spécial à La Clusaz deux résidences hô­telières du mobilisé via les réseaux so- Aravis attire des ci- de se ­réappro­- aspects envi­ronnementaux,
Photo Club Med de 1 500 lits, une ciaux, avec l’aide de l’ONG toyens de tous hori- SUISSE prier leur terri- financiers et techniques se-
Lac Léman
Pablo Chignard liaison par remontées méca- Mountain Wilderness. En un zons, c’est la nais- toire». La liste ront soigneusement pris en
niques et ­pistes entre les sta- mois, près de 3 000 habitants sance de la liste comporte à compte», assure le candidat,
Genève HAUTE-

«U
n vent frais s’est tions phares des Aravis, des douze communes inscri- ADN – pour AIN SAVOIE
SUISSE parité natifs de avec un slogan tout trouvé :
levé : nous vou- le Grand-Bornand et La Clu- vent leur avis, presque tou- Avenir, démo­- La Clusaz La Clusaz «On ne veut ni défigurer le
lons peser sur les saz, pour former un vaste do- jours négatif, au registre d’en- cratie et na- Mont-Blanc et nouveaux village ni devenir une réserve
(4 810 m)
élections.» Vendredi soir, maine skiable ­connecté par quête. Un record national. ture. A 36 ans, Annecy venus, une d’Indiens.»
E I
AL

­Jacques Agnellet, membre de nouvelles remontées aux le ­conseiller mu- ­catégorie jus- A un mois du premier tour,
IT

SAVOIE
du collectif citoyen «Fier villages de Manigod, de «Elan». Dans la foulée, réu- nicipal sortant qu’ici absente du Cathy Neyrinck, du collectif
10 km
Aravis», n’y va pas par quatre Saint-Jean-de-Sixt et à la ville nions d’information et fo- Alexandre Hamelin conseil municipal. Fier Aravis, reste très pru-
chemins face à des candidats de Thônes… «J’ai été horrifiée rums d’idées réunissent des est l’un des deux élus muni- «Nous ne sommes pas des ­ dente sur l’issue du scrutin
aux municipales de La Clu- par cette vision passéiste, centaines de personnes. cipaux à avoir voté contre pièces rapportées mais des mais elle a foi en l’éveil ci-
saz, station-village du massif tournée vers le tout-ski et «D’un coup, il y a quelque le Scot. Il est élu tête de liste. valeurs ajoutées», sourit-elle. toyen du massif : «On va dé-
des Aravis (Haute-Savoie). Ils le tourisme international, chose de possible, beaucoup Membre du staff de l’équipe Laurence Pistre, ambassa- placer des montagnes. Un au-
ont eux-mêmes sollicité ­témoigne Sandra Stavo-De- d’espoir et d’idées, témoigne de France de ski-cross, Sa- drice retraitée de l’Union eu- tre tourisme est possible.» •
Libération Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

A Marseille, premiers pas


tourmentés pour les novices
d’En marche
Pas facile par les temps qui courent de défendre
les couleurs de la majorité présidentielle dans une
campagne. Libé a suivi Yvon Berland (photo), le chef
de file de LREM pour la mairie de Marseille et Mathieu
Grapeloup, candidat dans les 4e et 5e arrondissements.
Photo Patrick GHERDOUSSI

Brisefeux
Une semaine en Seine-Saint-Denis

A Saint-Ouen, les
En 2007, un certain
socialistes s’y voient déjà
Benjamin Griveaux (as- Mardi : deux femmes tapo- ques semaines, au Parti so- sur son parcours. De sa nais-
tent sur leur ordinateur à cialiste, la ville de Saint- sance dans le coin à ses pre-
socié à un Sean Chris- l’intérieur du QG de Karim Ouen ne figurait pas dans miers pas en politique. Il
tian qui reste à dé­- Bouamrane. Les photos la liste des «victoires poten- avait à peine 22 ans. Le can-
masquer) publiait sur du candidat socialiste à tielles». Aujourd’hui, c’est didat a débuté avec les com-
Internet Deux Ans ­Saint-Ouen sont partout. On tout ­l’inverse. munistes, avant d’atterrir
­entre, la tête d’affiche est La montée de Karim chez les socialistes. Le père
après, roman politique
absente. Elles font le boulot. Bouamrane fait causer, for- de trois enfants a passé
Bordeaux Duel serré entre Nicolas à clés à la teneur très La première, une avocate, cément. Une jeune insou- de nombreuses années à
Florian le LR et Pierre Hurmic le Vert anti-Sarkozy exhumé parle de l’épopée actuelle mise souffle que le quadra- l’ombre des éléphants, dont
par Streetpress. «Je ne suis avec une belle génaire est élu Jean-Christophe Cambadé-
A Bordeaux, le match s’annonce serré. Un nouveau sondage
pas certain que le livre ait voix. «Karim» a Série 3/6 depuis le siècle lis. Il tente de nous expliquer
Ifop, publié mardi, conforte la position du maire sortant un «super» état dernier. Et qu’il que son heure est venue :
LR, Nicolas Florian (photo à gauche). Sa liste, qu’il a souhai- fait beaucoup d’émules», d’esprit et il est «toujours a eu des responsabilités au «Pourquoi on doit toujours
tée sans étiquette, est donnée gagnante à 38 % au premier explique au magazine le souriant». Elle souligne PS pendant que Manuel compter sur les autres? Oui je
tour. Mais si son score a grimpé (il se hissait à 33 % lors du candidat macroniste à la aussi les «belles rencontres» Valls logeait à Matignon. suis né ici, et je peux prendre
dernier sondage), il reste loin, très loin des 60 % de voix re- avec les «ano­nymes» qui «Personne n’a aimé ce PS et le pouvoir.» Le socialiste fait
mairie de Paris, alors pro-
cueillies par son mentor, Alain Juppé, en 2014. Depuis le passent une tête pour filer personne n’a oublié, surtout un pas dans le passé.
départ de ce dernier au Conseil constitutionnel en che de DSK. C’est l’his- un coup de pouce. La se- dans les coins populaires», En 2014, lors des dernières
mars 2019, le fauteuil de maire n’a jamais été aussi ­convoité. toire d’un mouvement de conde, membre d’EE-LV, ex- tonne-t-elle. Une élue com- municipales, il ne s’ima­-
L’héritier juppéiste est ainsi talonné par l’écolo Pierre Hur- résistance qui s’organise plique que son parti s’est muniste prévient : «Karim ginait pas derrière le grand
mic (photo à droite), stable avec 30 % des intentions de vote. ­contre un président ultra- rangé derrière «Karim» en joue sur la proximité avec les bureau de la mairie. «Cette
Le candidat, qui rassemble une partie de la gauche (PS, douceur. Elle ajoute : «C’est quartiers, l’enfant du pays fois, je suis prêt et je ne veux
PCF, PRG et d’autres formations), continue de surfer sur libéral s’acoquinant avec un enfant de Saint-Ouen, il qui veut prendre la ville mais pas prendre la ville pour
les bons scores de son parti aux européennes. Au second l’extrême droite. Où l’on est né ici. Franchement, il le il a déjà essayé lors de la der- ­battre la droite mais pour la
tour, l’écart se réduirait encore entre ces deux listes, croise des person­nages mérite.» nière municipale et il a raté transformer», dit-il. Le can-
avec 44 % pour celle du maire sortant et 40 % pour la verte. aux patronymes ne trom- La situation locale est ou- son coup.» Insoumis et com- didat reçoit de nombreux
Le macroniste Thomas Cazenave, qui avait fait grincer des verte pour le socialiste : munistes partent di­visés appels des gradés socia­-
dents au parti de François Bayrou, allié avec Florian, recule
pant personne : en guise le maire sortant, William mais ils espèrent bien se re- listes. Il se marre: «Ils sentent
quant à lui de 3 points, à 13 %. De quoi éclipser, pour le mo- de Brice Hortefeux, on Delannoy (UDI), avance à grouper entre les deux tours l’odeur du barbecue donc
ment, la lutte fratricide qui semblait se profiler au centre trouve la directrice de ­contre-courant, La Républi- pour prendre la ville. ils se rapprochent.» Il ne doit
droit. Un autre candidat vient toutefois brouiller un peu ­prison Hortense Brise- que en marche a du mal à se Karim Bouamrane s’installe pas oublier que la politique
plus le jeu : Philippe Poutou (NPA) pointe à 11 % et crée la faire entendre alors que à l’heure du déjeuner au est un sport dangereux où
feux, une «grosse femme
surprise. Son union avec LFI pourrait lui permettre de se les insoumis et les commu­- ­Ripailleur, un restaurant l’on peut très vite se cramer.
maintenir au second tour. La porte est donc ouverte pour aux cheveux jaunes et nistes ont réussi à se divi- tout près de son QG. Il a l’air Rachid Laïreche
un match à quatre. Photos Valentino Belloni. Hans Lucas ras». ser en trois listes. Il y a quel- à l’aise. Le socialiste revient Jeudi, épisode 4 : Saint-Denis.

Listes Hidalgo : «conquête» pour Grenoble Le candidat socialiste


Olivier Noblecourt viré de Wikipédia

les femmes, confort pour les hommes Selon le Dauphiné libéré, les administrateurs de Wikipédia
ont décidé de supprimer la page consacrée à Olivier Noble-
court «en raison du manque de notoriété» du candidat so-
Dix-sept têtes de liste : neuf cha, labellisé «société civile», cinq ans ; Diana Filippova preuve de confiance», veut cialiste lancé dans la bataille contre le maire écolo sortant,
femmes, huit hommes. brigue le IXe, dirigé par une ­défiera Rachida Dati dans croire Anouch Toranian (XVe) Eric Piolle. «Cet article, hors critère, a été créé à des fins
Lundi, les candidats de Paris maire de droite. le VIIe ; Athénaïs Michel est qui copilote «Fortes», un col- électorales», estime l’encyclopédie en ligne qui ne veut pas
en commun, la plateforme Du côté des femmes, la tâche investie contre l’actuelle édile lectif qui promeut «la voix des être utilisée comme une «vitrine» promotionnelle.
chargée de propulser Anne s’annonce nettement plus Jeanne d’Hauteserre dans femmes» au sein de Paris en
Hidalgo vers un ­ardue. A l’exception le VIIIe; Anouch Toranian de- commun.
nouveau mandat, Billet d’Alexandra Corde- vra sortir l’inamovible Phi- Tout cela manque un peu Baroque A Pontault-Combault, le chef
ont déposé leur bard et Carine Petit, lippe Goujon dans le XVe ; d’ambition pour une can­- des LR soutient le maire sortant… PS
candidature en préfecture. maires sortantes du Xe et ­Béatrice Marre hérite du XVIe, didate qui, maire, a fait de
Ça fait bien pour la photo, du XIVe, et candidates à leur bastion de la droite par excel- l’égalité entre les femmes et Entre les soutiens variables de LREM,
d’autant plus que si la loi réélection, les femmes ont été lence ; et enfin, Karen Taieb les hommes «un axe central les alliances diverses à gauche et les
­i mpose une alternance investies dans des arrondis- concourt dans le XVIIe face de la politique conduite pour dissidences, les municipales s’annon-
­hommes-femmes sur chaque sements gérés par la droite et au sortant Geoffroy Boulard… les Parisiennes et les Pari- cent baroques. Nouvel exemple à
liste, rien ne contraint à la pa- donc plus difficilement ga- et à Benjamin Griveaux. siens». Aujourd’hui, Paris Pontault-Combault, en Seine-et-Marne, où le maire sortant
rité entre les dix-sept têtes de gnables, voire carrément im- Des «arrondissements de compte onze hommes maires PS, Gilles Bord, a reçu le soutien «à titre personnel» de son
­liste. Mais en y regardant de prenables. Marie-Christine ­conquête», dixit Hidalgo… et d’arrondissement contre neuf principal opposant et patron des élus LR au conseil muni-
plus près, on constate que sur Lemardeley affrontera la des combats le plus souvent femmes. A gauche : sept cipal, Jean-Pierre Tordjemann. Lequel dézingue le candi-
les huit hommes can­didats, ­sortante Florence Berthout perdus d’avance. «Ça montre ­hommes et quatre femmes. dat investi par LR et l’UDI dans le Parisien : «Il n’a rien fait
sept se lancent à la ­conquête dans le Ve ; Céline Hervieu qu’on n’a pas peur de nous A droite : quatre hommes et pendant cinq ans. Nous sommes en désaccord total sur la
de mairies déjà ­acquises à la fera face à Jean-Pierre Lecoq, mettre dans des arrondisse- cinq femmes. politique à mener sur la commune. […] Quand on a un bon
gauche. Seul Arnaud Ngat- maire du VIe depuis vingt- ments difficiles, c’est une Charlotte Belaich maire, on le garde.»
14 u
France www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

RÈGLES
Les députés
ne s’en
tamponnent
plus Récit

Toxicité des protections hygiéniques,


précarité menstruelle… La question des
règles, sujet tabou et ignoré jusqu’à peu par
le débat politique, fait l’objet d’un rapport
inédit remis mardi à l’Assemblée nationale.
Extrait du clip les Passantes, de Charlotte Abramow, sorti à l’occasion de la journée

Par des problématiques liées». «On ne parle pas faci- agir concrètement sur la vie des femmes. Plu- i­ ndiquent-elles, appelant à davantage de
VIRGINIE BALLET lement des règles en société. C’est notre rôle en sieurs d’entre elles portent sur la composition transparence.
tant qu’élues de mettre en lumière les questions des protections périodiques : dans un avis

D’
emblée, elles préviennent : oui, la qui nous semblent devoir être portées», défend rendu en juin 2018, l’Agence nationale de sécu- Nécessité de mieux informer
décision de travailler sur les mens- Bénédicte Taurine auprès de Libération. rité sanitaire de l’alimentation, de l’environne- Autre point, les «risques dus à une mauvaise
truations à l’Assemblée nationale Quitte à envoyer bouler «un certain nombre ment et du travail (Anses) avait pointé du doigt utilisation des produits de protection intime»,
peut paraître «surprenante, voire déroutante». de blocages et de réticences» : comme le rap­- la présence de substances ­chimiques (dioxines, principalement le syndrome du choc toxique.
Mais les députées Laëtitia Romeiro Dias pellent les auteures en préambule, il n’est pas phtalates, pesticides) dans plusieurs types de Ce phénomène, relativement rare, est dû à la
(LREM, Essonne) et Bénédicte Taurine (LFI, si loin le temps où on pensait les femmes ré- produits, bien ­qu’aucune d’entre elles ne dé- présence d’un staphylocoque doré produc-
Ariège) la défendent haut et fort : elles ont glées capables de faire pourrir la viande et passe les seuils sanitaires. Le rapport préconise teur d’une toxine particulière appelée TSST-1
­remis mardi à la délégation aux droits des même d’éloigner chenilles et sauterelles… «d’exiger des fabricants qu’ils procèdent à des dans le microbiote vaginal. Si une femme por-
­femmes du Palais-Bourbon un rapport parle- Avec ce travail, les rapporteures espèrent analyses régulières de leurs produits à la re- teuse de cette toxine garde trop longtemps
mentaire d’information sur les règles. Leurs «normaliser le sujet» et, surtout, améliorer cherche de ces substances», analyses qui se- une coupe menstruelle ou un tampon, la bac-
travaux résultent de plusieurs mois d’audi- ­significativement le quotidien des femmes. raient contrôlées à intervalles réguliers par la térie peut proliférer dans le vagin, ce qui peut
tions et de déplacements sur un sujet «d’inté- «Force est de constater que la prise en charge répression des fraudes et l’Anses, et rendues entraîner de lourdes complications, voire
rêt général», pointent les auteures, qui insuffisante de la question des menstruations publiques en précisant le seuil détecté pour la mort si ce trouble aux symptômes diffus­
­constatent «qu’il suscite de multiples interro- contribue à perpétuer les inégalités entre les chacune d’entre elles. (fièvre, vomissements, diarrhées, éruption
gations et qu’il comporte des enjeux impor- hommes et les femmes», martèlent-elles. Face aux inquiétudes légitimes des cutanée) n’est pas diagnostiqué à temps. Mi-
tants, tant en matière de santé que sur le plan ­consommatrices, le rapport a analysé le janvier, une adolescente belge de 17 ans y a
économique». Inquiétudes Légitimes ­marché de produits labellisés «biologiques», succombé. En 2014, une vingtaine de syn­-
Bien que de plus en plus présentes dans le dé- L’affaire est d’importance: la moitié de l’huma- prétendument plus «propres». Or, estiment dromes du choc toxique ont été recensés dans
bat public (lire ci-contre), jamais les règles nité a ses règles en moyenne plus de 450 fois les corapporteures, ce label peut s’avérer l’Hexagone. Actuellement, chaque fabricant
n’avaient fait l’objet d’un rapport aussi com- au cours de sa vie. Les deux élues ­soumettent ­trompeur, voire mensonger : «Seul le coton est indique dans la notice la durée maximale de
plet, qui dresse en 100 pages un «panorama une cinquantaine de recommandations pour bio», pas la protection dans son intégralité, port conseillé, mais celle-ci peut varier (de
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 15

pour la journaliste et auteure féministe Elise


Thiébaut (1), «la révolution menstruelle est
en train d’advenir».
En juin 2018, la députée travailliste britanni-
que Danielle Rowley avait osé affirmer, de-
vant la Chambre des communes : «J’ai mes
règles.» Une manière d’alerter sur la préca-
rité menstruelle. «C’est un défi politique pour
ma génération non seulement de briser les ta-
bous, mais aussi de briser le cycle de cette
pauvreté menstruelle», a-t-elle déclaré par
la suite. En France, pareil niveau d’audace
n’a pas encore été recensé, mais les signes
d’une mutation frémissante sont bien là. La
preuve en quatre actes.

ACTE I
La «taxe tampon»
au Parlement
Des tampons géants, des slogans choc («ras
la moule», «la cup est pleine») et même des
serviettes souillées au ketchup tapissées aux
abords de l’Assemblée nationale : en cet au-
tomne 2015, la colère gronde autour de la
taxation des protections périodiques. Em-
menées par le collectif féministe Georgette
Sand, les manifestantes réclament que soit
abaissée la TVA sur ces produits, de 20 %
à 5,5 %, au motif que c’est le tarif appliqué
aux biens de première nécessité. Partie d’une
réflexion plus vaste sur la «taxe rose» (un sur-
coût appliqué par les industriels sur les pro-
duits censément destinés aux femmes), la
mobilisation a «dépassé les espérances» des
Georgette Sand, selon Marie-Paule Noël,
membre du collectif. Et pour cause : le débat
a fini par agiter jusqu’à l’Assemblée natio-
nale, à la faveur d’un amendement déposé
par Catherine Coutelle, alors députée socia-
liste. «Au départ, j’ai craint que la ­mesure soit
source de plaisanteries peu fines ou de déra-
pages. D’autant qu’à ma connaissance, ce su-
jet n’avait jamais été abordé dans l’hémicy-
cle», se souvient l’ex-élue. «Au final, ça ne
s’est pas si mal passé, probablement parce
qu’on abordait le sujet sous un angle fiscal. Et
on était alors en pleine remise en question du
sexisme, notamment à l’Assemblée», analyse-
t-elle. Retoquée au Palais-Bourbon, la baisse
de la TVA sur les protections hygiéniques est
finalement réintroduite au Sénat, et entre of-
ficiellement en vigueur le 1er janvier 2016.

ACTE II
L’impensé ­de la
précarité menstruelle
La bagatelle de 1 500 euros. C’est le coût
moyen estimé des serviettes et tampons
pour une femme au cours de sa vie, selon les
internationale des droits des femmes, en 2018. Photo Charlotte Abramow calculs des Georgette Sand. Soit l’équivalent
d’un smic brut mensuel (1539,42 euros au
1er janvier 2020). Dans le sillage de la polémi-

«La cup est pleine» :


quatre à huit heures). D’où la nécessité, selon que autour de la taxe tampon émerge une
les deux députées, d’harmoniser les recom- évidence : toutes les femmes ne peuvent se
mandations et de mieux informer les ­femmes, permettre de se procurer le nécessaire. Cette
en saisissant la Haute Autorité de santé afin précarité menstruelle serait le lot d’environ
d’émettre des bonnes pratiques claires. Via
un pictogramme sur les emballages ?
Enfin, la lutte contre la précarité menstruelle
les menstruations au 500 millions de personnes à travers le
monde. En France, 39 % de femmes ont déjà
manqué de ces précieux cotons (2). «Cette

cœur du débat public


doit être une «priorité absolue», il en va de la problématique est doublement taboue, parce
«dignité des femmes», estiment les auteures, que liée aux règles et à la pauvreté», déplore
qui suggèrent d’installer des distributeurs la sénatrice LREM du Haut-Rhin Patricia
dans les gares, stations de métro, bains-dou- Schillinger, auteure d’un rapport parlemen-
ches ou pharmacies, accessibles par CB ou via taire sur le sujet, remis en octobre au gouver-
des cartes prépayées mises à disposition par Sensibilisation, précarité, pub, tour de ce sujet. Alors qu’il concerne la moitié nement. Avec ces travaux menés auprès de
des associations pour les utilisatrices les plus de l’humanité», observe Laëtitia Romeiro femmes vivant dans la rue, en hébergement
TVA : les associations féministes
précaires. Dias, députée LREM de l’Essonne et corap- d’urgence, auprès de travailleurs sociaux ou
De manière générale, le rapport insiste sur
ont réussi à faire des règles porteure de la mission parlementaire sur les de personnels de l’éducation nationale,
la nécessité de «mieux informer» sur les un vrai enjeu de société, menstruations, qui vient de remettre ses l’élue vise à faire évoluer un «impensé des
­menstruations, pourquoi pas au moyen d’une en particulier depuis 2015. conclusions à la délégation aux droits des ­politiques publiques». «Il faut se rendre
grande campagne ou en sensibilisant les éco- femmes. «Rien que quand l’idée est évoquée compte que certaines femmes doivent choisir

A
liers dès la sixième (en moyenne, le sujet n’est u commencement, il y avait un cons- à l’Assemblée, on voit des collègues rougir, entre se nourrir et acheter un paquet de ser-
abordé qu’en quatrième, alors que nombre tat : oui, il pèse encore une forme être gênés, ou arborer des petits sourires», ob- viettes», insiste-t-elle.
de filles sont réglées bien avant). «Il est néces- de tabou autour de la question des serve-t-elle. Pour autant, ces dernières an- Fin 2019, un amendement au projet de loi de
saire de réhabiliter les menstruations et le sexe règles. Mais surtout, «il y a encore très peu de nées, les menstrues ont opéré une véritable finances a consacré un budget d’un million
féminin», insiste le rapport. • réflexion en termes de politique publique au- percée dans le débat public. Au point que, d’euros à la lutte contre la Suite page 16
16 u
France www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

Suite de la page 15 précarité menstruelle,


qui devrait servir à expérimenter la mise
à disposition gratuite de protections périodi-
ques dans certains lieux tels que les écoles ou
universités, comme cela se fait déjà de ma-
nière sporadique, à Lille ou à Rennes.
Les Georgette Sand, elles, bataillent désor-
mais pour endiguer la précarité menstruelle
en prison. En janvier, elles ont été reçues au
ministère de la Justice pour échanger sur le
sujet : selon leurs travaux, lorsqu’elles
­doivent «cantiner», les femmes en prison
peuvent payer ces produits jusqu’à trois fois
plus cher qu’en grande surface. Résultat :
«Certaines femmes ne sortent pas de leurs
­cellules quand elles ont leurs règles, ou sont
contraintes d’utiliser des serviettes éponge en
guise de protections de fortune», alerte Marie-
Paule Noël.

ACTE III
Au revoir les «ragnagnas»,
bonjour le rouge
Fini les circonvolutions : celles qui se sont
saisies de la problématique des règles n’hési-
tent plus à employer le mot (jusqu’au gouver-
nement). Ainsi, la sénatrice Patricia Schillin-
ger a choisi de l’afficher dès le titre de son
rapport : «Changeons les règles.» «Je fais par-
tie d’une génération qui disait “ragnagnas”
ou “bidules”. Mais non, ce sont les règles !» lâ-
che-t-elle. Le bouleversement est aussi vi-
suel : il aura fallu attendre 2019 pour qu’une
marque de serviettes se décide enfin à mettre
fin à l’hypocrisie bleutée en montrant du
sang rouge dans ses publicités diffusées en
France, le tout en représentant des vulves de
manière imagée (non sans susciter un millier
de signalements au CSA)…
Autre étape marquante : en février 2019,
­l’oscar du meilleur court métrage documen-
taire est décerné à Period. The End of Sen-
tence (les Règles de notre liberté, en français),
qui raconte le combat de femmes indiennes
pour installer dans une zone reculée une
machine à fabriquer des serviettes. Recevant Le portrait de Donald Trump que Sarah Levy a peint avec son propre sang menstruel. Sarah Levy En 1971, Judy Chicago réalise une
son prix, la réalisatrice irano-américaine
Rayka Zehtabchi s’est exclamée : «Je ne peux

Des artistes impliquées


pas croire qu’un film sur les règles ait un os- Sa démarche a sans doute ins-
car !» C’était loin d’être gagné : l’un des mem- piré Sarah Levy. En 2015, l’artiste
bres de l’Académie avait auparavant déclaré activiste épate la galerie en réa­-

à sang pour sang


anonymement dans The Hollywood Reporter lisant un portrait du candidat
qu’il doutait que les membres du jury ­votent Donald Trump avec son propre
pour un sujet aussi «dégoûtant» pour les sang menstruel (voir ci-dessus) :
hommes. Un rejet qui n’étonne pas l’auteure voilà pour toi, vieux sexiste…
Elise Thiébaut : «Nombre d’hommes parlent par exemple, un homme ne doit gés. Ce travail s’intègre dans l’ex-
ouvertement de leur digestion ou de leur caca, Certaines œuvres pas consommer la même nourri- position «Womanhouse» (qu’elle «Croyances»
et ce sont pourtant les mêmes qui sont ou happenings ture qu’une femme menstruée) a elle-même initiée avec l’artiste En France, John Anna, auteure
écœurés par les règles. Dans ce cas, pourquoi ont participé à briser et l’évitement du sujet. Le mot féministe canadienne Miriam d’un projet intitulé «Woman­-
il n’y a pas de tabou sur le sperme ?» ques- «règles» n’a été utilisé dans la Schapiro). C’est l’une des toutes struation», multiplie les œuvres
tionne-t-elle. le tabou autour pub qu’à partir de 1985, tandis premières expos d’art fémi­- réalisées avec son propre sang.
des règles. que le rouge du sang a longtemps nistes, elle comprend 17 projets La photographe portraitiste Ma-
ACTE IV été remplacé par du liquide bleu. qui illustrent des expériences rianne Rosenstiehl (voir ci-des-

A
Le signe d’une réflexion u petit matin, le 11 oc­- de femmes dans une société sus) s’est, elle, attelée à démonter
sur le corps féminin tobre 2017, l’eau d’une Ironique ­discriminante en écho au livre le tabou dans une expo intitulée
«Parler des règles, ce n’est pas juste évoquer quinzaine de fontaines Dans ce combat voué à décom- de Betty Friedan la Femme «The Curse, la malédiction» (au
un phénomène biologique, se plaindre ou parisiennes a viré rouge sang. plexer, libérer en montrant, ­mystifiée (1963). Royaume-Uni, ­certaines fem-
faire tourner des tampons au-dessus de nos Sur des draps blancs accrochés nombreuses sont celles qui ont A compter des années 2000, mes appellent ainsi leurs règles)
têtes», décrypte Elise Thiébaut. Pour elle, il à ces fontaines, le collectif fémi- procédé dans les règles… de l’art. le mouvement s’amplifie. Et tant elle était «intriguée» depuis
s’agit aussi «d’évoquer des questions de santé niste Insomnia a signé son acte Parmi les pionnières, chapeau voici des femmes qui clament son ado­lescence «par l’invisibi-
et d’environnement». En ce sens, ces trois avec ces slogans : «Le sang de la bas à l’artiste américaine Judy faire de «l’art menstruel» ou lité des règles».
dernières années, les campagnes de sensibi- violence ne choque pas, le sang Chicago (de son vrai nom Judy «menstrala», terme forgé par Lancée dans un grand œuvre
lisation à l’endométriose ou au syndrome du des règles dégoûte» ou «Nos Gerowitz). Dès 1971, elle ose une l’Amé­ricaine ­Vanessa Tiegs qui sur l’histoire de la misogynie, la
choc toxique se sont multipliées. «Plus large- ­règles, ils s’en tamponnent». En lithographie au titre aussi ironi- allie menstrues et mandala. ­photographe-plasticienne espa-
ment, parler des règles, c’est aussi poser la résumé : à bas le tabou des mens- que que culotté : Red Flag («dra- L’idée ? Représenter la mens­- gnole Laia Abril démonte de son
question de la place du corps des femmes dans trues et un peu de considération, peau rouge»). L’œuvre est crue : truation et /ou utiliser le sang côté les «croyances menstrueu-
la vie sociale», estime l’auteure féministe. s’il vous plaît, pour ce phéno- on y voit deux cuisses écartées, menstruel comme «médium» ses» avec des symboles (type
Après tout, n’est-ce pas dans la lignée du mène naturel. avec une main qui retire du va- (façon encre rouge). Et Tiegs in- un pichet de sang rouge sur fond
mouvement #MeToo ? D’autres militantes aussi, tel gin un tampon imbibé de sang vite à réfléchir aux symbolismes bleu) et une mise en scène de
Virginie Ballet Osez le féminisme en 2015, ont menstruel (voir ci-dessus). du sang de la femme : fertilité pensées absurdes qui viennent
bataillé ferme contre les super- En 1972, rebelote. Dans l’une de ­renouvelable, tabou profondé- de loin : au XVIIIe siècle à Saigon,
(1) Auteure de Ceci est mon sang, petite histoire des stitions, les préjugés et l’igno- ses installations, Menstruation ment conditionné, le plus ancien les femmes ne pouvaient tra-
règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font rance crasse qui collent aux Bathroom, elle met en scène une mais le moins compris ; chagrin vailler dans le monde de l’opium,
(La Découverte, janvier 2017). ­règles ; les mots «impur» et salle de bains immaculée. Mais pour les femmes essayant de de crainte que leurs règles ne
(2) «Hygiène et précarité en France», Ifop pour l’as- «souillure» accolés par les reli- la poubelle déborde de tampons concevoir, opportunité cyclique rendent la drogue trop amère…
sociation Dons solidaires, mars 2019. gions ; les interdits (en Ethiopie et de serviettes périodiques usa- d’autointrospection profonde… Catherine Mallaval
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 17

«
lithographie intitulée ironiquement Red Flag («drapeau rouge»). Donald Woodman. ARS. NY. ADAGP Débarquement des Anglais, de Marianne Rosenstiehl. M. Rosenstiehl

«La domination masculine a connoté


de façon négative ­les règles»
Pour la sociologue Aurélia téresser aux règles est une préoccupation très Mais, au moins, les mères interrogées des conférences. C’est un sujet qui est dans
Mardon, un paradoxe existe récente. On prend enfin cette question à bras- pour votre thèse abordaient-elles le sujet ? l’agenda d’aujourd’hui. Et il y a enfin une
le-corps, ce qui n’était pas du tout le cas Oui. En gros, ces mères étaient des post­- prise de conscience sur la façon dont la domi-
toujours entre la valorisation ­lorsque j’ai soutenu ma thèse en 2006. Mon soixante-huitardes qui ont baigné dans nation masculine a connoté de façon négative
des règles comme signe sujet faisait alors complètement figure d’ovni. de nouvelles normes éducatives incitant ­les règles.
de fécondité et la honte En tout cas, ce qui ressort de mes travaux, les parents à informer leurs filles sur cette Pourquoi a-t-il fallu tant de temps ?
et le dégoût qui y sont liés. c’est surtout une ambivalence. ­manifestation corporelle et Le féminisme a beaucoup réfléchi sur
Alors que les règles sont perçues à les y préparer. Certaines ­les inégalités au travail et de nombreuses

«H
onte et dégoût dans la fabrication comme un signe valorisant de fé- de ces mères n’avaient pas ­recherches ont suivi. La question du corps,
du féminin, l’apparition des minité et de fécondité, il y a aussi ­forcément été aussi informées, la façon dont se construit une représentation
menstrues.» Voilà ­un intitulé une dimension de honte et de ­les règles étant associées à la inégalitaire du corps féminin, n’était pas
on ne peut plus clair. Aux commandes de dégoût. Je voulais ­signaler ce pa- sexualité. Un autre tabou. ­abordée. Or le corps aussi est un sujet
­l’article (1), la sociologue Aurélia Mardon, radoxe. D’autant que cette honte Et les pères, là-dedans ? ­politique. Et des projections négatives
maîtresse de conférences à l’université de pousse les ­jeunes filles à avoir Les discussions ont très majo­- ­influent sur les jeunes filles. Dans ce combat
Lille. Auteure d’une thèse sur la socialisation une vision négative de leur ritairement lieu entre femmes, pour ­sortir les règles de la honte, les artistes
DR

corporelle des préadolescentes, dans ­laquelle corps, qui a quand même le pou- mères et filles, sœurs, grands- ont joué un grand rôle. En mettant en scène
elle analyse la place de la puberté et de l’appa- voir ­extraordinaire de donner la Interview mères… Les pères sont placés leurs propres règles ou en les représentant,
rence dans la construction de l’identité fémi- vie ! Autrement dit, les mères va- en position d’extériorité. On ne elles ont posé la question du tabou et l’ont
nine, elle s’est très logiquement penchée sur lorisent l’arrivée de ce phénomène naturel, les informe que plus tard et de façon discrète. rendu visible. Quel autre tabou pèse encore
les règles. Précisément l’apparition des ­elles offrent un ­livre, une fleur, un gâteau, Cela renvoie à un tabou à ne pas partager sur le corps des femmes ? La ménopause.
­premières menstrues (la ménarche) en s’ap- mais dans le même temps, elles expliquent avec le sexe opposé. Comme s’il fallait pro­- Comme l’a montré ma collègue sociologue
puyant sur une enquête auprès de jeunes qu’il faut cacher le sang. De même que la pilo- téger les hommes de cela. J’ai conduit cette Cécile Charlap, sur la ménopause, il y a
filles et de leurs mères. sité, d’ailleurs. Elles vont par exemple dire ­enquête il y a une dizaine d’années. Je pense ­b eaucoup de traités de médecine qui
Les jeunes filles sont-elles plus à l’aise à leur fille de ne pas laisser leurs serviettes que cela n’a pas beaucoup changé. ­renvoient à une… maladie. Une connotation
­aujourd’hui avec leurs règles ? ­périodiques ou leurs tampons de peur que Ce qui a changé, c’est que l’on parle publi- très ­négative.
Il n’est pas simple de répondre à cette question le frère, par exemple, ne tombe dessus… En quement des règles. Recueilli par C.Ma.
car nous n’avons justement aucune ­enquête vérité, le sang d’une blessure n’est pas tabou, Oui, je suis par exemple sollicitée par des as-
sur la façon dont cela se passait ­autrefois. S’in- pourquoi celui des menstruations le serait-il ? sociations d’étudiant·e·s, par exemple, pour (1) Dans Ethnologie française, janvier 2011 (Vol. 41).
18 u
France www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

LIBÉ.FR
Linky : la Cnil met hors
tension les méthodes
d’EDF et Engie
Au sujet des compteurs électriques, les deux
fournisseurs d’énergie embrouillent l’usager
en ne lui permettant pas de choisir quelles
informations il est prêt à partager avec eux.
Tous deux se sont engagés à corriger leurs
pratiques. Photo GARO. PHANIE

Le Président a C’est bien de viser ambitieux,


dévoilé mardi mais le budget voté en 2020
les trois axes de est ­minuscule. Il faudra que
le gouvernement mette le
son plan : l’école, les ­paquet sur celui de 2021 s’il
places en structures veut atteindre son objectif.
et l’amélioration ­Chiche !»
dans l’accès aux Dernier axe : l’amélioration
aides. Des mesures dans l’accès aux droits et aux
ambitieuses aides financières. Comme
qui méritent des prévu, le chef d’Etat a an-
noncé la mise en place, pour
«moyens adéquats». janvier 2021, d’un numéro
d’appel unique – le 360 – pour
Par répondre au désespoir des
Anaïs Moran ­familles en manque de so­-
lutions. Et pris l’engagement

I
l aura fallu attendre trois de réduire, dès l’année pro-
années post-promesses chaine, les délais d’examen
de campagne et la date des demandes pour l’alloca-
symbolique du 11 février tion adulte handicapé (AAH)
(exactement quinze ans à «trois mois maximum».
après l’adoption sous Chirac L’Etat allouera 25 millions
de la loi sur «l’égalité des d’euros annuels en 2021
droits et des chances, la par­- et 2022 pour aider les Mai-
ticipation et la citoyenneté sons départementales des
des personnes handicapées») personnes handicapées à
pour qu’Emmanuel Macron ­gérer l’abondance des dos-
expose sa stratégie nationale siers qui s’accumulent. Par
à propos de la «Grande Cause ailleurs, Emmanuel Macron
Handicap». Mardi matin, à a assuré que cette AAH ne
l’occasion de la cinquième sera «jamais transformée, di-
conférence nationale du luée ou supprimée» au béné-
handicap, le chef de l’Etat fice du futur revenu universel
s’est exprimé durant presque d’activité – une déclaration
une heure pour décliner les plus que bienvenue face aux
mesures de sa «philosophie inquiétudes de plus en plus
radicalement nouvelle». Con- vives des associations à ce­
crètement, ça veut dire quoi ? ­sujet.
A priori, le projet veut mettre
le paquet sur trois «priori- «Objectifs forts». L’autre
tés» : l’école, les places en bonne nouvelle vient de l’ex-
structures et l’amélioration tension envisagée pour la
dans l’accès aux aides. prestation de compensation
du handicap (PCH). Actuelle-
Vigilance. Pour l’école, ment, ce dispositif englobe
l’objectif du Président sem- principalement les aides fi-
ble limpide : «Plus aucun en- nancières médicales (presta-
fant ne doit être laissé sans tions à domicile notamment)
solution de scolarisation» en Emmanuel Macron, lors de ses annonces de mardi à l’Elysée. Photo GONZALO FUENTES. AFP et techniques (fauteuil, lit
septembre. A la rentrée 2019, médicalisé, porte-personne).
ils étaient 8 000 élèves à ne Le gouvernement souhaite-
bénéficier d’aucun accom-
pagnement, privés de facto
de leur droit d’aller à l’école.
«Ce 8 000 doit passer à zéro»,
Handicap : Macron voit grand, rait que cette PCH intègre
dès 2021 l’aide à l’alimenta-
tion, mais aussi l’assistance
apportée par un tiers à un pa-
a insisté le chef de l’Etat.
Pour atteindre sa promesse,
le gouvernement veut intro-
les assos l’attendent au tournant rent handicapé pour s’occu-
per de son enfant.
Globalement, donc ? «Les pa-
duire un «module handicap» roles du Président sont mobi-
dans la formation initiale recruter et à les stabiliser métier d’AESH n’est même pas 0 à 6 ans, devrait être étendu taires en établissements spé- lisatrices, les objectifs forts,
des professeurs des écoles dans l’emploi», a martelé encore lancé par le gouverne- aux 7-12 ans ainsi qu’à l’en- cialisés. «On ne peut pas res- c’est vrai qu’on s’y retrouve,
et des enseignants du se­- Emmanuel Macron. ment. Il n’y a pour l’heure au- semble des «troubles Dys» ter dans cette situation. Moi mais on attend de voir si les
condaire. Et entend sur- Pour Marion Aubry, vice-pré- cune piste concrète. De même, (dyslexie, dysphasie, dys- je ne veux plus d’ici à fin 2021 annonces vont être suivies de
tout créer 11 500 postes sidente de l’association Tous on nous annonce des forma- praxie). de départ contraint à l’étran- moyens adéquats», résume
supplémen­taires d’accom- pour l’inclusion (Toupi), ces tions spécifiques, mais elles ne Pour pallier le manque criant ger. Ce n’est pas décent pour Arnaud de Broca, président
pagnants d’élèves en situa- mesures annoncées «vont concernent que les futurs en- de places en structures et une nation comme la nôtre», du collectif Handicaps, qui
tion de handicap (AESH) dans le bon sens» mais restent seignants. Que fait-on de ceux ­enrayer le phénomène d’exil a-t-il admis. Des paroles sa- regroupe les plus grosses
d’ici à 2022, en misant sur largement insuffisantes pour qui sont actuellement dans les en Belgique (où 1 500 enfants luées par Alain Rochon, pré- ­associations du secteur,
une politique de revalorisa- atténuer sa vigilance. «J’ai du classes de nos enfants ?» et 6 500 adultes seraient pris sident de l’association APF ­telles que l’Unafam et l’Una-
tion de la profession : «Nous mal à croire que tout sera ré- Autre mesure dévoilée pour en charge à l’heure actuelle), France Handicap, qui reste pei. «Emmanuel Macron était
devons offrir à ces personnes glé en sept mois, dit-elle. Le les enfants : le «forfait diag- le chef d’Etat a également pourtant sur ses gardes : dans son rôle. On demande à
des contrats dignes. C’est le groupe de réflexion sur les nostic», instauré par le plan ­c onfirmé la création de «Deux ans pour créer autant voir les traductions concrètes
seul moyen de continuer à les problèmes d’attractivité du autisme pour les enfants de 3 500 places supplémen­- de places ? Je demande à voir. de ce beau discours.» •
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 19

Violente interpellation à Bordeaux : l’IGPN saisie


Le parquet de Bordeaux a annoncé mardi avoir saisi l’Inspection générale de la police
nationale (IGPN) après une interpellation mouvementée lors d’une manifestation de gilets
jaunes, samedi, dont les images sont largement diffusées sur Internet. La vidéo de
48 secondes montrait un jeune homme interpellé sans ménagement au milieu
de voyageurs alignés devant les parois vitrées de la gare de Bordeaux, dont des enfants.
Contacté par CheckNews dimanche, le service de communication de la police nationale
avait justifié l’interpellation par un jet de projectile et assuré que l’homme avait été identifié
en amont. Capture d’écran du compte Facebook de AB7 News

Quand le rappeur Sadek dérape


Des images d’une rare vio- Le tout est documenté sur nis, aurait parcouru plu- parquet de Lyon pour «vio-
lence : un homme à terre, le les réseaux sociaux. La vic- sieurs centaines de kilomè- lences volontaires aggra-
visage en sang. Autour de time s’appelle Bassem Bra- tres pour venir le passer à vées», confiée au ­service de
lui, au moins trois hommes ïki. Blogueur à Vénissieux ­tabac. Les images sont aussi- la sûreté départementale du
le tabassent, à coups de (Rhône), il est adepte des tôt balancées sur les réseaux, Rhône. A l’origine de la bas-
poing et de matraque. Les coups de gueule et des prises Twitter s’embrase : des ton : la tentative du blogueur
cris de douleur de la victime, de bec. Dans la nuit de lundi teams Sadek et Bassem se de faire annuler un showcase
qui peine à se relever, sont à mardi, Sadek, rappeur ori- créent. Depuis, une enquête du rappeur à Vénissieux.
entrecoupés par des insultes. ginaire de Seine-Saint-De- a été ouverte mardi par le Donia Ismail

Ciara Incendies en Corse et alerte


orange dans cinq départements

FORUM
Forêts en proie aux incendies et mer déchaînée : la Corse a subi
mardi des vents violents (219 km /h relevés au sémaphore du
cap Corse) au lendemain du passage de la tempête Ciara qui a
fait sept morts en Europe. La nuit de lundi à mardi a été mar-
quée par des départs de feu, notamment à Olmeta-di-Tuda, près
de Bastia. Les rafales ont entraîné l’interruption du trafic mari-
time et l’annulation de tous les vols dans les aéroports de Bastia
et Calvi. Plus au nord, 5 départements restaient mardi en vigi-

RÉMUNÉRATIONS
lance orange «vagues submersions»: l’Ille-et-Vilaine, la Manche,
le Pas-de-Calais, la Somme et la Seine-Maritime. Photo AFP

Retraites : un peu LES INÉGALITÉS


plus de sérieux ! METTENT-ELLES EN PÉRIL
On a envie de leur demander cateur» permettra de «pren-
pourquoi. Pourquoi le gou- dre en compte» à la fois l’évo-
vernement et sa majorité ont- lution des salaires dans le
ils martelé pendant des mois privé, mais aussi celui des
NOTRE DÉMOCRATIE ?
que les «euros cotisés» dans fonctionnaires et les «reve-
le futur système universel nus» des indépendants, tous

MERCREDI 4 MARS
de retraite seront indexés sur concernés par le futur ré-
les «salaires» et non plus, gime. Il peut aussi pointer
comme aujourd’hui, sur les que les revenus de ces der-
prix ? Et finir par inventer niers grimpent plus vite que
une «évolution annuelle du les salaires et, donc, que ce
revenu moyen par tête» dans futur «agrégat» devrait être
le projet de loi ? «plus dynamique»
À 19H30
Pourquoi conti- Billet que l’inflation. On
nuer ensuite à peut l’entendre.
s’embourber en précisant en Mais comment imaginer
commission spéciale à l’As- faire voter un élément aussi
semblée via un amendement central du futur système uni-
UNE SOIRÉE DE DÉBATS
des rapporteurs – qui sem- versel – la revalorisation
blaient découvrir ce change- dans le temps des points ac-
À LIBÉRATION
ment – qu’il s’agit des «reve- quis – tout en admettant que
nus d’activité» pour ne pas y l’indicateur… «n’existe pas» ?
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intégrer, par exemple, les re- Ce n’est pas sérieux. Une fois
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venus du capital ? Et pour- de plus, sur le chemin chao-
2 RUE DU GÉNÉRAL ALAIN DE BOISSIEU, 75015 PARIS
quoi faire voter ensuite cette tique de cette réforme, ce
nouvelle indexation des fu- manque de clarté alimente
turs points du système uni- les procès en «entourlou-
#ForumLibeRemunerations
versel sur un indicateur qui, pes», en «flou» et en «impré-
de l’aveu même du secrétaire paration». Des critiques
d’Etat, Laurent Pietraszew- ­portées par les oppositions
ski, reste «à créer» et dont, dit que l’avis sévère du Conseil
le texte, les «modalités de d’Etat est venu consolider.
­calcul [seront] déterminées Après la bataille de l’opinion,
par décret en Conseil d’Etat»? le gouvernement risque de
Le gouvernement et sa majo- perdre celle du Parlement.
rité peuvent bien expliquer Elle débute lundi.
que la création d’un tel «indi- Lilian Alemagna
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Jusqu’ici tout va bien. Film. Enquêtes criminelles. Jean-Toussaint Bernard.
Rédacteurs en chef VII
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ARTE NRJ12 tueuses. Magazine. (édition), Christophe
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RMC STORY
Boulard (technique), VIII
Policier. Avec Fares Fares, attaque. Action. Avec Sam Sabrina Champenois
Ger Duany. 22h45. Hissa Hilal. Jaeger, Adrianne Palicki. 20h55. Enquête sur la nourri- (société), Guillaume
Launay (web)
Documentaire. Une voix der- 23h00. Vice. Film. ture low-cost. Documentaire. IX
rière le voile. 22h40. Dans quelle France on Directeur artistique
C8 vit. Documentaire. Nicolas Valoteau
M6 21h15. Enquête sous haute
LCP Rédacteurs en chef adjoints
X
21h05. Maison à vendre. tension. Magazine. Pilotes
Jonathan Bouchet-
Magazine. Marion / Rose et fortunés vs forces de l’ordre : 20h30. Le prix de la déraison. Petersen (France),
Marc. Présenté par Stéphane au cœur du rallye des milliar- Documentaire. Suivi d’un Lionel Charrier (photo), XI
Plaza. 23h00. Maison à daires sans limites - 1. 23h00. débat. 22h00. Allons plus Cécile Daumas (idées),
vendre. Magazine. Enquête sous haute tension. loin. Magazine. Vittorio De Filippis
(monde), Gilles Dhers
(web), Fabrice Drouzy
Grille n° 1443 / Claire Bretécher
(spéciaux), Matthieu HORIZONTALEMENT
Ecoiffier (web), Christian I. Près des étoiles que Bretécher rejoint, le 236463 porte son nom
Losson (enquêtes), II. Petit Grand Prix # Causai du tort III. Vague, il pousse contre la
Catherine Mallaval grève # Lettres de Bretécher IV. Fit rougir la joue V. Levée # Etre en
MERCREDI 12 JEUDI 13 (société), Didier Péron
(culture), Sibylle marche, sans but VI. Qui sont au plus mal # Pousse à bout VII. De
Le temps sera à l'accalmie, mais avec du Le temps sera à nouveau dégradé sur le Vincendon (société) riches espagnols suivent son cours # Mathématicien chinois, élève
froid bien en place. Il pourra geler dans Nord. Le vent soufflera fort et les averses de Noether VIII. Indice qu’un pas approche # Fait le plein comme
l'Est, avec quelques brouillards possibles. seront parfois fortes. Il fera un peu froid une limousine IX. Elle joint le futile au désagréable X. Existes # Ce
Abonnements que l’argent ne possédera jamais XI. Comme Claire Bretécher
L’APRÈS-MIDI Le temps sera majoritairement dans l'Est, avec quelques gelées matinales. abonnements.liberation.fr
VERTICALEMENT
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sec et ensoleillé, avec des températures de L’APRÈS-MIDI Les pluies de la matinée tarif abonnement 1 an 1. Les lecteurs de Bretécher ont aimé la détester 2. Après sup # Telle
saison. rentreront un peu plus sur le Nord-Ouest France métropolitaine : 384€ la femme qui ne lit que Bretécher dans le Nouvel Obs 3. Homme
tél. : 01 55 56 71 40 de main # Mobile 4. Triolet de lettres # Assemblage de planches
avec un temps toujours venté et automnal.
5. Lettres classiques # Soleil d’Egypte 6. Un homme en or # Désor-
Sur le Sud, quelques averses pourront mais mi-chaud mi-froid 7. Elle donne sens aux machines # Bobos
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déborder mais elles resteront rares. Altice Media Publicité - et soixante-huitards désormais orphelins 8. Si vous avez un léger
Libération problème de pied, elle peut vous aider # Option post-bac 9. Belle,
1 m/9º Lille 2,5 m/9º Lille
2, rue du Général Alain elle est la rime féminine de Bretécher pour la chanteuse Juliette
de Boissieu, 75015 Paris
tél. : 01 87 25 85 00 Solutions de la grille précédente
0,3 m/10º 2,5 m/10º Horizontalement I. BAASISTES. II. ANNE-LAURE. III. UKASE. BIP.
Caen
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Caen
Paris
IV. DAN. OMEGA. V. ARNO. ER. VI. USSÉ. IKEA. VII. CP. NASA.
Brest Strasbourg Brest Strasbourg Petites annonces VIII. HEIDI. CPI. IX. ALU. KAHLO. X. RÉFLEXION. XI. DOMINANTS.
Carnet Verticalement 1. BAUDRUCHARD. 2. ANKA. SPÉLÉO. 3. ANANAS.
Orléans Orléans Team Media
10, bd de Grenelle CS 10817 IUFM. 4. SES. REND. LI. 5. ILÉON. AIKEN. 6. SA. MOIS. AXA. 7. TUBE.
Dijon Dijon
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Bordeaux Bordeaux Impression 8 7 9 1 4 3 1 6
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80064. ISSN 0335-1793.
Origine du papier : France 9 1 4 2 8 6
2 1 5
34 7 2 9 3 1
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-10/0° 1/5° 6/10° 11/15° 16/20° 21/25° 26/30° 31/35° 36/40°
7 9 3 3 2 35 61 1 4 7 5
7 9 3 2 5 1 4 7 5 3
7 1 9 6 6
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Soleil Éclaircies Nuageux Pluie Couvert Orage Pluie/neige Neige
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100 % Papier détenteur de
Agitée Peu agitée Calme Fort Modéré Faible l’Eco-label européen 6 6
8 8 4 44 5 6 47 1 5 6 7
N° FI/37/01
15 Indicateur
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FRANCE MIN MAX FRANCE MIN MAX MONDE MIN MAX PTot 0.009 kg/t de papier SUDOKU
1 6 2 4 5 4200
7 3 8 9MOYEN
7 8 9 6 1 3 2 4 5
2 7 3 9 8 1 4 5 6
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SUDOKU 4200 DIFFICILE
Lille 2 8 Lyon 4 9 Alger 15 20 31 4 65
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1 9 6 4
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8 9 6 1 8 4 5 7 2
7 3 5 2 6 9 8
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7 3 9 8 1 4 5 6
Caen 3 8 Bordeaux 7 12 Berlin 2 5 87 9 86 97 264 15 33 1 2 4 5 4 2 9 5 1 8 3 657 9 4 6 3 2 1 7 8
La responsabilité du 23 1 44 58 395 87 92 6 6 1 7 8 6 1 3 7 4 5 962 1 8 4 5 7 2 3 9
Brest 8 9 Toulouse 8 12 Bruxelles 2 7 journal ne saurait être 4 5 8
323 67198 919 7 3
Solutions des 91 45 67 18 29 53 76
8 3
65 2 71 56 4 4 2 8 7
2 4 3 5 2 6 9 8 4 1
Nantes 4 10 Montpellier 7 13 Jérusalem 8 14 engagée en cas de non- 98 3 97 65 471 28 64 2 5 grilles
3 1 d’hier 3 8 2 7 4 6 9 145 2 9 5 1 8 3 6 7
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Paris 3 9 Marseille 10 12 Londres 2 8
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par mail : initiale du
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22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

Idées/
François Jarrige
«L’histoire de l’énergie est
le summum de l’histoire
écrite par les vainqueurs»
Recueilli par mentation de la puissance de moteur à explosion, l’électricité, le
Nicolas Celnik l’énergie, qui va de pair avec une ex- nucléaire. Il faut rectifier deux cho-
plosion de notre consommation. ses. D’abord, les innovations mira-

F
ace à la crise écologique, les Pendant longtemps, cette puissance culeuses ne remplacent pas le sys-
réponses semblent parfois énergétique a été corrélée au bon- tème précédent mais s’y ajoutent :
simples. Il faudrait opérer heur des sociétés. Mais on sait au- il ne s’agit pas d’un processus de
une transition énergétique : le pé- jourd’hui que la dépendance à la transition, mais d’addition. Ensuite,
trole a réchauffé le climat, les éo- puissance est à l’origine du réchauf- cette fascination invisibilise toute
liennes se chargeront de le rafraî- fement climatique, de l’effondre- une série d’autres manières de pro-
chir. Trop simple ? L’historien des ment de la biodiversité, des inégali- duire de l’énergie, au profit des in-
techniques François Jarrige, maître tés sociales. Cela nous amène à novations techniques les plus spec-
de conférences à l’université de réinterroger ce qu’on appelle le taculaires. La vapeur était promue
DR

Bourgogne, propose de complexi- «mieux» : on pourrait relire l’his- par les gens les plus visibles, ceux
fier notre ­vision du passé et de met- toire de l’énergie à l’aune de l’adap- qui s’expriment dans l’espace pu-
Selon l’historien tre en doute celle d’un futur renou- tation des sociétés à leur milieu de blic. A l’inverse, toute une série de
des techniques, velable et radieux. Dans Face à la vie. L’énergie nous relie au monde, techniques n’attiraient pas l’atten-
les innovations en puissance. Une histoire des énergies c’est pour ça que qu’elle est au cœur tion parce qu’elles étaient déjà lar-
matière d’énergie alterna­tives à l’âge industriel (La de tous les enjeux économiques, po- gement répandues. Surtout, elles
Découverte, février 2020), coécrit litiques et sociaux contemporains. apparaissaient comme des techno-
ne remplacent pas les avec Alexis Vrignon, il poursuit une Par ailleurs, l’idée qu’on vit mieux logies du passé, et ne permettaient
systèmes précédents. minutieuse étude des techniques qu’avant repose sur une vision très donc pas de se projeter dans l’avenir.
Plus qu’une transition marginalisées et alternatives com- misérabiliste du passé. Les histo- Les manèges à chevaux, qui sont
énergétique il faudrait mencée dans Technocritiques. Du riens montrent que ce dernier est concrètement des moteurs ac-
parler d’une addition. refus des machines à la contestation beaucoup plus riche et complexe tionnés par l’énergie d’un che-
Chaque choix des techno­sciences (La Découverte, que la vision simpliste qu’on s’en val, en sont un bon exemple.
énergétique produit un 2014). Réunissant les contributions fait. Avant de dire que nous vivons On les imagine comme une techno-
d’une dizaine de chercheurs, les mieux, demandons-nous ce que l’on logie archaïque, mais ce sont eux
système social, il s’agit deux auteurs montrent que l’his- sait du bonheur d’un paysan qui ont porté l’essor de l’industrie
donc d’une décision toire de l’énergie a elle aussi sa du XVIIIe siècle ! textile jusqu’en 1860, bien plus que
politique, surtout grande hache, comme n’importe Cette conception du mieux est la vapeur. Pour un certain nombre
quand on considère quelle autre histoire, et qu’elle char- peut-être forgée par ce que vous d’usages, ils étaient plus rentables,
la multiplicité rie son lot de marginalisés et d’ou- appelez «l’imaginaire technicien plus pratiques à utiliser. Ils sont
des options. bliés. Et suggèrent, en creux, que dominant». D’où vient ce dis- marginalisés lorsque le grand capi-
d’autres futurs énergétiques sont cours ? talisme s’empare du secteur ; ils se
possibles. Le XIXe siècle est un âge producti- réimplantent alors un peu partout,
Vous présentez l’histoire des viste marqué par une fascination notamment dans l’artisanat rural.
énergies comme une série d’ad- pour la technologie, où l’innovation Ce sont des technologies qui néces-
ditions plutôt que de transi- est perçue comme vecteur du futur. sitent moins d’investissement ini- cas où un fabricant installe une ma-
tions : le charbon s’est ajouté au Lorsqu’elle apparaît, la machine à tial et peuvent suffire pour certai- chine à vapeur pour remplacer ses
bois, a été complété par le pé- vapeur est présentée comme une in- nes utilisations. Ces activités ne chevaux, et revient en arrière l’an-
trole, puis par le nucléaire. novation de rupture qui doit résou- sont pas scrutées par les statisti- née suivante : la vapeur nécessite de
Est-ce une progression vers le dre les problèmes écologiques anté- ciens et les enquêteurs. mobiliser une infrastructure trop
«mieux» ? rieurs. C’est à ce moment que naît le Mais filer du coton est moins lourde pour un artisan. Un manège
C’est une question d’ordre philoso- «solutionnisme technologique», la coûteux avec une machine à va- coûte moins cher à produire, peut
phique, sur laquelle j’ai assez peu de croyance que la technique est une peur qu’avec un manège à che- être fabriqué à l’aide des artisans du
prise en tant qu’historien : qu’appel- solution à des problèmes écono­- vaux. Il est donc logique qu’ils voisinage, mobilise un cheval qu’on
le-t-on «le mieux ?». Si le mieux, miques, sociaux et politiques. soient remplacés ? a déjà sous la main. Surtout, l’arti-
c’est de produire le plus d’énergie Du fait de cette grille de lecture, D’un point de vue abstrait, pour san n’a pas besoin de la production
dans un minimum de temps, la ré- l’histoire de l’énergie est écrite faire la même tâche, la vapeur est continue d’énergie qu’assure la va-
ponse est «oui». L’histoire de l’in- comme une série d’innovations suc- supérieure. Mais cela dépend de ce peur, qui est plus adaptée à la ratio-
dustrialisation est celle de l’aug- cessives : la machine à vapeur, le que l’on prend en compte. Il y a des nalité capitaliste. La machine à va-
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 23

A l’usine Ford de
Dearborn (Michigan),
vers 1938. Photo Archives
Underwood. Leemage

Le problème des fumées est récur-


rent dans la seconde moitié
«Le pétrole produit technologies autoritaires, celles qui
impliquent pour fonctionner un
du XIXe siècle. Les cartons d’archi- un monde social : système hiérarchisé, avec un con-
ves sont remplis de plaintes des ri-
verains qui demandent l’interdic-
le charbon est trôle social actif, dans lequel les ac-
teurs n’ont pas d’autonomie dans la
tion des machines à vapeur. Mais dépendant de la gestion des systèmes techniques.
les Etats sont devenus dépendants Timothy Mitchell montre comment
de la vapeur, cette révolution tech- main-d’œuvre le pétrole produit un monde social :
nique qui annonce joie et abon-
dance pour tous, ils ne vont pas l’in-
(on doit compter le charbon est extrêmement dépen-
dant de la main-d’œuvre – il faut
terdire. Il a alors fallu apporter des avec les ouvriers, des ouvriers qui l’extraient, d’autres
réponses.
La question de la dépollution fait
politisés), tandis qui le transportent, on doit compter
avec les dockers, qui sont les ou­-
émerger le discours du solution- que le pétrole se vriers les plus politisés et syndi-
nisme technologique : il y a des pro- qués – tandis que le pétrole est un
blèmes de pollution, mais ce n’est transporte presque fluide qui peut être transporté pres-
pas grave parce qu’on va leur trouver
des solutions techniques. On voit
sans intervention que sans intervention humaine.
Pour autant, les énergies alter-
apparaître des innovations comme humaine.» natives ne contiennent pas en
le «fourneau fumivore», qui doit ab- ­elles le germe d’une société
sorber la fumée avant qu’elle soit meilleure : il y a une différence
évacuée par la cheminée. La pollu- L’automobile en est un bon exem- entre une éolienne isolée pour
tion n’est pas traitée comme un pro- ple. Dans les années 70, il y avait subvenir aux besoins d’une
blème social, qui serait résolu par aux Etats-Unis des manifestations ferme et un champ d’éoliennes.
un choix de société, mais comme un massives contre les pollutions émi- C’est le problème aujourd’hui. Face
problème technique. Une autre ré- ses par les automobiles. Les fabri- à la situation écologique, on réactive
ponse apportée est le développe- cants ont reconnu qu’ils n’avaient le vieux solutionnisme technologi-
ment de l’économie du recyclage : pas bien pris en compte le problème que. Il y a d’un côté l’ancienne pro-
dans les années 1870-1880 naît des particules fines, et ont cherché messe d’une énergie gratuite et infi-
l’idée qu’il n’y a pas de pollution, une solution technique. Les mo- nie –c’était le mouvement perpétuel
mais uniquement des déchets in- teurs sont devenus plus au XIX e , c’est au-
suffisamment valorisés. Déjà, on performants, ce qui au- jourd’hui la fusion nu-
avance qu’une économie circulaire rait dû réduire drasti- cléaire avec ITER. De
parfaite consisterait à faire des dé- quement la consomma- l’autre, on avance les
chets et des pollutions des sources tion d’essence. Mais la énergies renouvelables.
de richesse. Une des impasses dans voiture de l’an 2000 ne Mais elles sont prises en
lesquelles nous sommes encore au- consomme pas signifi- charge par l’imaginaire
jourd’hui est que l’on continue de cativement moins que de la puissance : on veut
fonctionner sur la base de ce solu- celle de 1970, parce faire avec elles ce qu’on
tionnisme technologique. Cela nous qu’elle est plus lourde et faisait avec les sources
empêche de poser les questions qui plus puissante. On a d’énergie antérieures. Il
fâchent, à commencer par : «Quel loupé l’opportunité de faudrait un sacré paquet
mode de vie voulons-nous ?». construire des voitures d’éoliennes et de pan-
Ces innovations entraînent ce avec un moteur à François neaux solaires pour
qu’on appelle aujourd’hui le meilleur rendement, Jarrige et remplacer ce qu’on pro-
«paradoxe de Jevons». une vitesse bridée, une Alexis Vrignon duit avec le pétrole
William Stanley Jevons est un éco- carrosserie plus légère. Face à quasi gratuit, le charbon
nomiste qui, dans son ouvrage Sur On a choisi la puissance la puissance. qu’on extrait facilement
la question du charbon (1865), a sou- des SUV, la vitesse des Une histoire et le nucléaire. On
levé un paradoxe devenu fameux. autoroutes. Il s’agit là des énergies pense, on construit et
Les machines à vapeur sont infini- d’un effet rebond magis- alternatives on met en place le re-
ment plus efficaces en 1865 qu’elles tral : la pollution de l’air à l’âge nouvelable sur le mo-
ne l’étaient en 1800, et pourtant, on aux particules fines s’est industriel dèle de la centrale nu-
consomme plus de charbon à accrue malgré un La Découverte, cléaire, c’est-à-dire
l’échelle nationale ! Ce n’est pas meilleur rendement des 400 pp., 25 €. comme un réseau cen-
vraiment un paradoxe, quand on y moteurs. tralisé organisé en gran-
réfléchit deux minutes : l’améliora- Plus globalement, quelles sont des exploitations. Je ne sais pas ce
tion des rendements fait baisser les les relations entre les sources que ça donnera à l’avenir ; mais en
coûts de production, et rend l’utili- d’énergie dont dispose une so- tant qu’historien, ce que je peux
sation plus intéressante pour les ac- ciété et la manière dont elle va se dire, c’est que ce type de projet n’a
teurs économiques. Donc il y a plus structurer ? jamais fonctionné comme leurs pro-
peur ne devient plus rentable que cants pour gérer la ressource en de machines. Même si une machine L’énergie, c’est ce qui connecte le moteurs le disaient. Le renouvelable
dans un contexte industrialisé. eau, via les barrages. Scruter non consomme moins individuel­- monde social au monde naturel. On est donc un équipement matériel
Toutefois, le chercheur en écologie pas la grande industrie du textile lement, puisqu’il y a plus de machi- avait avant un rapport très intime à qui accompagnera notre transfor-
humaine Andreas Malm montre mais l’activité rurale révèle alors nes, la quantité finale de charbon l’énergie : celui qui coupe du bois mation pour que le monde reste vi-
que ce n’est pas la rentabilité qui a une chronologie décalée, un autre utilisée est plus importante. Cet «ef- pour se chauffer se rend compte de vable, mais ce n’est pas la solution ;
motivé les industriels à abandonner monde social et un autre rapport au fet rebond» est valable pour tout, la manière dont elle est transformée c’en est une, parmi une multitude
l’énergie hydraulique pour la va- temps, qui ont été oubliés. L’histoire tout le temps : une amélioration de plus que celui qui appuie sur l’inter- d’autres. Il faudrait d’abord un
peur. La vapeur est une technologie de l’énergie, c’est le summum de la manière dont une ressource est rupteur pour être éclairé. Il n’y a pas changement d’imaginaire global de
adaptée à l’individualisme de l’épo- l’histoire écrite par les vainqueurs. consommée entraîne une hausse fi- de société sans système énergéti- notre rapport au monde, de notre
que, parce qu’elle permet au fabri- Il y avait, dès le XIXe siècle, une nale de la consommation de la res- que, et chaque système énergétique notion de confort, ou de mobilité.
cant de gérer son énergie de façon conscience des maux associés à source. Cela contredit le solution- détermine des formes d’organisa- Ce n’est que parallèlement à une
individuelle et autonome. A l’in- la production d’énergie. Quelles nisme technologique, qui ne pense tion sociale et politique. L’historien transformation massive de cet ima-
verse, l’énergie hydraulique impli- sont les solutions apportées à pas la complexité de l’infrastructure Lewis Mumford différencie ainsi les ginaire et de nos pratiques que le re-
que des coordinations entre fabri- l’époque ? dans lequel la machine s’inscrit. technologies démocratiques des nouvelable peut trouver sa place. •
24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

Idées/ C
harles Enderlin est un juif pelle d’abord le lien intime qui a ré- lidarité avec Israël, tandis que la
de gauche – il en reste. uni tant de juifs français à la Répu- «politique arabe» de la France
Après le mouvement blique, en qui ils voyaient à la fois heurte une partie de la commu-
de 1968, séduit par les idéaux du un idéal et une protection. Son ad- nauté. Les attentats palestiniens
sionisme socialiste, il émigre en miration peu dissimulée va d’abord visant des civils juifs dans le
­Israël pour travailler dans un kib- à ces personnalités françaises émi- monde attisent l’inquiétude.
boutz. Il prend la nationalité israé- nentes que furent Crémieux, Na- Après l’échec des tentatives de
lienne, puis devient journaliste, quet, ­Netter, et bien d’autres, qui compromis avec Arafat et l’OLP,
pour tenir pendant plus de ont contribué au premier rang, l’assassinat de Rabin, les attentats-
trente ans la correspondance de avec Gambetta, Clemenceau, Ferry, suicides en Israël, les espoirs de la
La cité des livres France 2 en Israël. A la différence
de tant d’anciens de 68, il a gardé
à l’établissement du régime répu-
blicain. En 1870, Crémieux est de
gauche sont ébranlés, pendant que
les instances communautaires se
les idées de sa jeunesse. Auteur de ceux qui proclament la République rallient de plus en plus à la poli­-
nombreux ouvrages sur l’histoire à la chute de Napoléon III et il est le tique de la droite israélienne. Le
de la région, il est revenu en France promoteur d’un décret histo­rique, tournant une fois pris, cette identi-
sur le tard, pour constater que les celui qui confère la nationalité fication non seulement à Israël,
Français juifs, de toute évidence, française aux juifs d’Algérie. Puis mais aussi à la politique de gouver-
Par sont nombreux à avoir suivi un iti- arrive l’épreuve dramatique de l’af- nements de plus en plus à droite,
Laurent Joffrin néraire politique différent du sien, faire Dreyfus, qui défie l’attache- s’accentue au fil des années, si bien
en tout cas ceux qui se sentent re- ment immémorial des juifs fran- qu’au grand dam d’Enderlin, ni le
présentés par les institutions offi- çais au vieux pays. Theodor Herzl, Crif ni le Consistoire n’émettent
cielles de «la communauté», le Crif dit-on, en tira l’idée que les juifs, at- plus de réserves devant la poli­-
Les juifs, le sionisme, ou le Consistoire. Pour retracer
cette évolution et la comprendre,
taqués même dans ce pays qui les
avait émancipés à la Révolution et
tique annexionniste du Likoud et
de ses alliés religieux. «Jews turn

la République il livre une histoire érudite et enga-


gée des juifs de France (selon son
où ils semblaient exempts, sous la
République, des antiques discrimi-
right», disent les Anglo-Saxons.
Nous y sommes, même si les orga-
expression), «entre République et nations, ne seraient jamais en sécu- nisations communautaires ne re-
sionisme». rité s’ils ne disposaient d’un Etat flètent pas forcément les sen­-
Cette évolution, Enderlin la résume qui leur soit propre. Même si Herzl, timents de l’ensemble de la
Charles Enderlin, correspondant de France 2 en deux formules: les Français juifs journaliste autrichien, était surtout communauté. Entre judaïsme
à Jérusalem durant plus de trente ans, retrace sont passés, au fil des événements épouvanté par la résurgence des identitaire et principes universa-
l’histoire des juifs de France, du franco-judaïsme tragiques qui ont rythmé leur his- pogroms dans l’Est de l’Eu- listes ou républicains, Enderlin a
dominant sous la IIIe République au virage toire, du «franco-judaïsme» au rope, c’est ainsi que naît le mouve- fait son choix, fidèle au rêve sio-
franco-sioniste d’aujourd’hui. «franco-sionisme». Enderlin rap- ment sioniste. niste d’origine, en France comme
Après une féroce bataille où les en Israël, ce qui lui vaut les foudres
Drumont, Guérin et consorts se de la droite israélienne.
déchaînent contre les juifs, la Ré- En revanche, il manque sans doute
publique l’emporte in fine, sous une explication à cette fresque mi-
l’impulsion des Picquart, Zola, nutieuse. Pourquoi la gauche juive
Clemenceau, Jaurès ou Bernard a-t-elle échoué ? Pourquoi, en Is-

L'œil de Willem Lazare. Ainsi, malgré les attaques,


la communauté juive reste pro­-
fondément attachée à son pays,
raël et en France, est-ce la droite
qui domine désormais ? Evolution
endogène, montée des nationa­-
patriote à l’égale des autres Fran- lismes partout dans le monde,
çais, comme en témoigne son ­repli religieux ? Certes. Mais com-
comportement pendant la Grande ment ne pas voir aussi, au cours
Guerre, où Enderlin rappelle que des dernières décennies, l’action
les pertes humaines subies par les meurtrière des mouvements isla-
Français juifs sont égales en pro- mistes dans le monde, le Hamas
portion à celles qu’endura le reste compris, proclamant leur haine
de la population française. des juifs, leur volonté de détruire
Cela ne prévient en rien la terrible l’Etat d’Israël, leur détermination
montée de l’antisémitisme dans à attaquer par le terrorisme à la
les années 30, qui culmine avec les fois Israël et les juifs d’Europe. Par-
crimes de Vichy, les mesures de re- tisane d’un accord avec les Etats
légation et de confiscation, l’im­- arabes et les Palestiniens, la gau-
position de l’étoile jaune, puis l’en- che fut régulièrement entravée,
fermement, la déportation et contredite, désavouée aux yeux
l’assassinat dans les camps nazis d’une partie de l’opinion, par l’ex-
de plus de 75 000 juifs étrangers et trême violence des factions
français. Pourtant, après la guerre, ­islamistes acharnées à ruiner toute
l’identification juive à la Répu­- possibilité d’accord, renforçant par
blique reste intacte, doublée d’un là même les partis les plus hostiles
lien particulier avec la gauche, et à toute paix de compromis, à tout
les départs vers Israël restent en Etat palestinien. Les extrêmes se
nombre très limité. renforcent mutuellement. C’est un
Vient le temps des ruptures. L’arri- autre ressort de l’histoire. •
vée massive des juifs d’Algérie,
chassés avec les autres «pieds-
noirs» par l’indépendance modifie
la démographie de la commu-
nauté. La guerre des Six Jours en-
gendre un second choc. Les Fran-
çais juifs ont tremblé pour Israël,
puis communié à la victoire éclair
du jeune Etat sur les armées arabes
coalisées. Raymond Aron lui-
même, froid commentateur, sent
renaître son identité particulière
dans la République et réagit avec
virulence à l’admonestation du Charles Enderlin
­général de Gaulle qui parle du peu- Les Juifs de France.
ple juif «sûr de lui et dominateur». Entre République
La guerre du Kippour, plus incer- et sionisme
taine et meurtrière, redouble la so- Seuil, 448 pp., 22,50 €.
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 25

Le sport, cet entre-soi encore très masculin


Patinage, équitation… les scandales qui éclatent ne sont sexuelles, sexistes, homophobes, trans- ­ nvers les personnes trans, les femmes qui
e
qu’un pas timide pour sortir l’espace sportif d’une phobes y ont lieu, mais qu’elles sont tues, ne rentrent pas dans certains critères phy-
tolérées ou niées. L’espace sportif de- siques, les hommes qui ne participent pas
masculinité dominatrice. Le sport reste une activité meure un lieu où se performe une mascu- aux blagues convenues.
genrée et sexualisée. Un «club» encore loin de la mixité. linité conquérante, qui se traduit notam- Les institutions, fédérations, clubs, les
ment par la dévalorisation des femmes et différents collectifs sportifs doivent trou-
la mise à l’écart, plus ou moins violente, ver les moyens pour poursuivre et ampli-

L
es scandales qui se multiplient Mais le mouvement de spécialisation des des personnes homosexuelles, inter- fier considérablement le timide, trop fai-
dans le milieu sportif, la libération sites sportifs et de rationalisation de la pra- sexuées (pensons à Caster Semenya) ou ble ­encore, mouvement d’ouverture qui
de la parole concernant les tique referme les espaces sportifs sur eux- trans. Le sexisme et l’homophobie y sont commence à se faire jour dans le sport,
­violences sexuelles dans ce monde du mêmes. S’y développe une culture de l’en- une composante d’un type d’affirmation en France comme à l’international. Afin
sport, le coming out d’athlètes de plus tre-soi qui – les derniers témoignages de virile qui autorise la violence symbolique que ces espaces deviennent des espaces
en plus nombreux soulignent l’extrême victimes de violences sexuelles en attes- voire physique envers celles et ceux qui ne de sécurité pour toutes et pour tous, que
besoin d’ouverture, et, par contraste, tent – au lieu d’être protectrice, s’est révé- se conforment pas à ce système. la circulation s’y fasse sans risque pour
­l’extrême degré de fermeture des espaces lée destructrice et violente. Le vestiaire, au Comment s’étonner, dans ces conditions, les plus vulnérables, que le plaisir d’y
sportifs. Malgré leur exposition, lieu d’être un lieu convivial d’acceptation que la ligne soit aussi dramatiquement jouer autorise les corps à y évoluer
­notamment ­lorsqu’ils sont conçus pour respectueuse des corps différents, peut ­ténue entre la performance de la masculi- sans crainte. •
le spectacle, ces ­espaces possèdent ­devenir un espace clos et inquiétant, où se nité et l’accomplissement de rituels de
leurs lieux ­intérieurs coupés du regard, reproduisent des processus de domina- ­domination masculine, sexualisée, envers
leurs ­interstices, leurs trajectoires par- tion, de discrimination, de violences. les femmes ? La violence et les agressions Par
fois sombres. Il en va de même pour tous les espaces qui sexuelles dans le sport procèdent de la
Le sport a inventé des lieux spécifiques, se referment à coups d’abus de confiance, conjonction entre les agissements d’indi- Antoine le Blanc
créé des infrastructures. Ces lieux sont d’abus de pouvoir, d’abus d’autorité, iso- vidus, dotés de libre arbitre, et les proces- Géographe, Laboratoire territoires, villes
structurés par des règles propres qui qua- lant les victimes, les livrant aux agres- sus bien huilés d’un système qui fabrique environnement et sociétés (TVES),
drillent l’espace, en répartissent les accès. seurs : local à matériel, transports et hôtel des espaces clos, prévus pour être protec- université du Littoral-Côte d’Opale (Ulco)
Les espaces sportifs sont distincts d’au- lors des déplacements, entraînements teurs, mais qui peuvent se transformer en
tres espaces de convivialité ou d’éduca- ­individuels. lieux d’emprise, isolants, tunnels bien
tion comme l’école ; ils ne façonnent pas Rappelons que le sport est une activité sombres de trajectoires sans issue pour de
les mêmes groupes, et ils composent des genrée et sexualisée. Dans la plupart des trop nombreuses victimes.
relations particulières entre les individus, espaces sportifs, les genres sont séparés, Il faut ouvrir les espaces sportifs. Les ou-
fondées sur des critères et des valeurs la mixité limitée et les compétitions cloi- vrir physiquement, mais surtout symboli-

dr

DR
propres. Ils sont censés être protecteurs et sonnées. Cette séparation selon le genre quement et sur le plan institutionnel. Il
formateurs : ils se justifient comme des ­entretient certaines formes de masculi- faut briser l’entre-soi masculin des instan-
lieux d’épanouissement personnel, de nité et de féminité qui permettent d’exer- ces sportives. Essayer de moduler certai- etPhilippe Liotard
­développement des corps, d’ouverture cer des processus de contrôle social et de nes règles, qui gravent dans un marbre Sociologue, Laboratoire sur
aux autres dans un engagement porteur ­reproduction de normes genrées et ­oppressant les différences biologiques, les vulnérabilités et l’innovation
d’une éthique du respect. ­sexuelles. C’est ainsi que des violences et aboutissent à des violences indicibles dans le sport (Vi), université Lyon-I

Un Collège de France en chaires et en hommes


Combien de fet de rattrapage, ni de politique
d’affichage opportuniste. «Le Collège
professeurs hommes pourrait être plus à l’avant-garde,
dans la vénérable admet bien volontiers son adminis-
maison ? 81 %. trateur, Thomas Römer. Nous som-
La féminisation mes conscients de ce déséquilibre,
des postes n’est pas nous en parlons, mais cela prend du
encore la priorité temps.» Signe de bonne volonté,
de l’institution. l’institution espère pouvoir accueillir
très prochainement une chercheuse
vietnamienne. Et dans des discus-
Léo Caillard

C’
Retrouvez est le graal de tout profes- sions informelles est abordée la
chaque dernier seur ayant consacré sa vie question des études de genre et des
samedi du mois, au savoir et aux idées : en- sexualités, qui n’est pas enseignée au
L (Elle, Lui, seigner au Collège de France. Comme Collège. L’établissement préfère met-
L’autre, Liberté, Roland Barthes ou Michel Foucault… tre en avant sa politique de diversité :
LGBTQIA +), la la consécration. Le dernier admis, en Alain Mabanckou a été, en 2016, le
newsletter Idées janvier, à la chaire de littératures premier écrivain à occuper la chaire
de Libération sur comparées, s’appelle William Marx. juriste Samantha Besson, spécialiste par des femmes. Dans sa présenta- de création artistique, et l’Indien
le féminisme, Avant lui ? Le sociologue Didier Fas- du droit international des institu- tion, l’établissement insiste sur sa Sanjay Subrahmanyam donne des
le genre et les sin, invité à parler pendant un an de tions, intégrera en mars ce qui s’ap- vocation exemplaire d’enseigner «le cours sur l’histoire connectée des
sexualités, en «l’inégalité devant la vie». Et avant parente à un boy’s club du savoir. savoir en train de se constituer dans empires. Thomas Römer tente de se
vous abonnant encore ? L’historien spécialiste de Combien d’hommes au Collège de tous les domaines des lettres, des rassurer : «On ne peut pas laisser dire
sur Libé.fr. l’Afrique François-Xavier Fauvelle, France ? 81 %. Sur les 47 chaires pé- sciences ou des arts». Une modernité que le Collège de France est un club de
entré au Collège à l’automne… Et une rennes de l’institution (sciences, ma- masculine, visiblement. L’effet #Me- vieillards qui ne serait pas touché par
femme ? Une femme, oui, sur les thématiques, humanités, sciences Too n’a pas vraiment ébranlé la véné- les questions de société.»
douze nominations de 2019-2020. La sociales…), 9 seulement sont tenues rable maison créée en 1530. Pas d’ef- Cécile Daumas
26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

Cinéma/
Un des plans-
séquences les plus
éprouvants du film
met en scène une
enfant et son chat.
Carlotta Films

BÉLA TARR
Par
Grégory Schneider

L
es araignées ont-elles une odeur ? Et si
oui, laquelle ? Une éducatrice canine
nous racontait avoir récupéré, un jour,
un chien noir dont les oreilles étaient section-
nées en deux dans le sens de la longueur. Les
enfants de la famille de ses maîtres avaient en-

En attendant
trepris, par jeu, de les découper aux ciseaux.
Comme le chien hurlait, un des parents avait
tenté de lui agrafer la bouche ; les stigmates
restant visibles des mois plus tard sur la
gueule de l’animal. En Espagne, une tradition
encore vivace veut qu’un lévrier ayant perdu
une course soit humilié en ­public : la même
éducatrice canine a vu l’un d’eux attaché par
le cou à une voiture dévalant les rues.

le démiurge
Œuvre monumentale affichant sept heures
et vingt minutes au compteur et adaptation
du premier roman de l’écrivain et ami László
Krasznahorkai, le Tango de Satan, du ciné-
aste hongrois Béla Tarr, sort en salles ce mer-
credi, un quart de siècle après sa présentation
au festival de ­Berlin, en 1994, où il avait reçu
le prix du jury œcuménique. Cette histoire
d’araignée et d’odeur le traverse de part en
part : elle est dans la tête des personnages,
c’est l’araignée au plafond. Le vortex du film
Présenté à la Berlinale en 1994, est un chemin de croix de cinquante-trois mi-

«le Tango de Satan», fresque crépusculaire nutes ; celui d’une gosse d’une douzaine d’an-
nées qui, au fil d’une série de plans-séquen-
du cinéaste hongrois inédite en France, ces parmi les plus éprouvants qu’il nous ait
été donné de voir, torture un chat avant de
déploie sur sept heures et vingt minutes une l’empoisonner à la mort-aux-rats avec un mé-
lange apparent de désœuvrement, de cru-
impressionnante cosmologie de la douleur auté, d’inconscience, de sentiment de toute-

dans une campagne communiste embourbée. puissance (le chat ne peut pas se défendre,
elle le lui dit) et de désir confus de faire payer
à quelqu’un ou quelque chose non pas les
horreurs qu’elle subit – elle est plutôt pei-
narde, pour ce que l’on peut en voir – mais
l’impasse où elle se trouve, elle.

Noir et blanc crayeux La question l’a embarrassé : la Bible pourquoi


Elle se donnera la mort ensuite en serrant pas, mais une Bible sans Dieu. Les anges
contre elle le chat raide comme un bout de n’existent que dans la tête de ceux qui les
bois, des extraits du livre de Krasznahorkai voient. Depuis sa sortie, le Tango de Satan est
lus en voix off exprimant une sorte d’élan cos- accompagné d’une renommée performative :
mique accompagnant sa silencieuse agonie : la durée mais pas que, des conditions de pro-
«Elle se sentait sereine et les arbres, la route, duction épiques, avec deux ans de tournage
la pluie et la nuit, tout respirait la tranquillité. et deux années supplémentaires de montage,
“Tout ce qui arrive est bon”, se dit-elle. Tout est les paysages désolés noyés sous les trombes
simple, en fin de compte. Elle se souvint de d’eau comme si l’Apocalypse s’abattait sans
la veille [dont le film ne montre rien, ndlr] et, discontinuer, le noir et blanc crayeux, la
souriant, elle réalisa combien les choses étaient crasse, les plans-séquences dépassant parfois
liées. Elle sentit que ces événements n’étaient la dizaine de minutes, ses acteurs sortis de
pas survenus accidentellement mais qu’il y nulle part et qui y sont retournés depuis la
avait une belle signification à les connecter. Et ­retraite programmée du cinéaste en 2011,
elle sut qu’elle n’était pas seule, car toutes ces après la sortie du Cheval de Turin.
choses et ces gens, son père là-haut, sa mère,
ses frères, le médecin, ce chat, les acacias, le «Je ne mens pas»
chemin boueux, le ciel, la nuit, tout ça dépen- Ce virage définitif pris à 56 ans a donné au
dait d’elle autant qu’elle dépendait de tout ça. ­natif de Pécs, dans le sud du pays, une aura
Elle n’avait pas de raison de s’inquiéter. Les particulière : une autorité puisque personne
anges agissaient pour elle.» En 2011, alors qu’il n’a décidé à sa place, même si le metteur en
racontait sur France ­Culture son chemine- scène n’avait jamais fait mystère des difficul-
ment personnel depuis la croyance en une tés grandissantes à monter des films dans un
cause sociale dans le ­malheur des hommes contexte où le faible marché intérieur hon-
jusqu’à la certitude d’une cause ontologique, grois – 10 millions d’habitants – l’obligeait à
là dès le départ, ­appartenant en quelque sorte se financer à l’extérieur du pays, au moins
à leur espèce, Béla Tarr s’est vu lancé sur «la pour partie. Ce retrait aura aussi montré sa
Béla Tarr à Budapest en octobre 1999. Photo Hugues de Wurstemberg. VU portée biblique» de ses films. conscience aiguë d’une limite temporelle
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 27

dans son expression d’artiste. C’est-à-dire, en


creux, de sa propre importance : à une journa-
Ces fameux à l’alcoolisme et à l’obésité, prostitution pour
des motifs variés («Il dort avec ma sœur, on lui
la forme de deux hommes revenus d’entre les
morts – encore que personne n’en soit sûr –
liste qui voulait savoir pourquoi il lâchait plans-séquences devait de l’argent pour les semences»), sa- et s’attribuant une stature démiurgique que
ainsi la barre, Béla Tarr lui a demandé en disme, voyeurisme. «Quand je fais un film, je le petit peuple leur supplie pratiquement
­retour si elle avait vu le Cheval de Turin, ma- sont une liberté : loin n’écoute qu’une seule chose : je ne mens pas, ex- d’accepter, renonçant ainsi à de maigres pos-
nière de considérer sa propre production d’instaurer un rapport pliquait le cinéaste en 2011. C’est ça, le princi- sessions terrestres qui ne seront pas perdues
comme un corpus autonome, se suffisant pal. Le reste vient ensuite. Ma sensibilité, mes pour tout le monde.
à lui-même, avec un début, un milieu et une de force entre le film nerfs doivent se connecter à ce que ressentent Le second point est plus remarquable encore :
fin. Ajouté au jansénisme apparent de ses
films, au noir et blanc et au fait qu’on y pro-
et celui qui le regarde, les gens. Si je ne suis pas capable de ressentir
votre chagrin, votre douleur, autant s’abstenir
c’est l’indécision que Béla Tarr arrive à mettre
au cœur de chaque scène, balancier fragile
nonce un mot par quart d’heure, on obtient la longueur du plan fixe et ne pas faire de film. Si je vois quelqu’un en contredisant le déterminisme écrasant qui lui
Dracula multiplié par la créature de Fran­- train de se faire humilier, ça me fait souffrir. est pourtant si souvent accolé. Le suicide de
kenstein : ces prétendus «films-monde». Un l’attention du spectateur Et tout est là. C’est le point de départ. Voilà le la jeune fille change après coup le sens du
cinéaste pour festivals, c’est-à-dire prisonnier tout en la ­diluant. thème récurrent qui m’a guidé depuis le début, meurtre du chat, ou peut le modifier : une po-
de l’ornière de l’élitisme, de la prétention et et je n’ai jamais cessé de refaire le même film, litesse rendue in fine à des personnages par
du culte. un peu différemment à chaque fois, mais c’est un cinéaste qui se vantait de travailler sans
Les réalisations de Béla Tarr valent infini- l’état d’esprit supposé d’un personnage… la la dignité de l’homme qui m’a porté tout ce scénario écrit, n’utilisant celui-ci que pour
ment mieux. On conçoit que tout le monde liste des courses… les devoirs des gosses… temps.» convaincre des producteurs en amont du
n’a pas sept heures et vingt minutes devant Cependant, par la force de la persistance du tournage. Il est vrai que ses personnages ne
lui pour dévaler le Tango de Satan. Pour plan, il est encore là quand on a fait le tour Saut quantique font pas grand-chose de ce libre arbitre. Au
­autant, ces fameux plans-séquences qui font de la question du souvenir ou des courses. Si on le compare aux Harmonies Werckmeis- moins a-t-il essayé de le leur restituer. Mais
la durée de l’œuvre sont une liberté : loin Il attend son heure. ter, autre mur porteur de l’œuvre du cinéaste tout est confusion. Et attente, comme l’ex-
d’instaurer un rapport de force entre le film Sur le fond, il pave une vaste cosmologie non adapté d’une partie d’un autre roman de prime un protagoniste : «Un ménage cosmi-
et celui qui le regarde, la longueur du plan pas du mal mais de la douleur que l’on inflige Krasznahorkai (la Mélancolie de la résis- que. Mon ouïe s’affaiblit.» •
fixe l’attention du spectateur tout en la aux autres ou à soi-même : adultère, espion- tance), le Tango de Satan est plus net sur deux
­diluant. On s’en échappe quand on veut : un nage sans but ni raison où l’on consigne des points : la prise de conscience par les person- Sátántangó (le Tango de Satan)
souvenir de sous-pente dans une grange res- années de quotidien à hauteur de chaussées nages de la nécessité d’un saut quantique de Béla Tarr
semblant à celle du film, la sensation physi- défoncées de ses voisins dans des cahiers à pour les arracher à leur condition ; l’espoir avec Mihály Víg, Putyi Horváth,
que du froid, une situation vécue en lien avec spirale, mensonges, pénibilité physique liée d’un changement de paradigme prenant ici László Lugossy… (1994), 7 h 20.
28 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

à 20 ans est de ceux-là, premier


long métrage d’un Soudanais né
aux Emirats arabes unis et retourné
dans son pays, où il organise
des ateliers d’apprentis ­cinéastes
et programme un festival de films
à Khartoum.

Jouisseur. Traversé par de belles


séquences qui semblent viser la
matérialité du songe, le film d’Abu
Alala fait retentir haut le désir
d’émancipation d’un peuple cerné
par les interdits religieux. Un
homme aux mœurs de jouisseur qui
Le film d’Abu Alala fait retentir haut le désir d’émancipation d’un peuple cerné par les interdits religieux. Photo Pyramide Distribution vit en ermite à la lisière du village se
fera ainsi receleur de rêves pour le
jeune Muzamil, qui contracte à son

«Tu mourras à 20 ans», tragique d’influence contact le virus du cinéma et se


prend à fantasmer d’ailleurs. L’ar-
tillerie du récit d’apprentissage
tend à lui donner des allures d’apo-
La fable du Soudanais ble d’un questionnement philo­- par l’oracle du village pour le jour de duite à l’ascèse religieuse dans la- logue qu’il s’agit de décoder clés en
Amjad Abu Alala sophique. Peut-il vivre, vraiment, ses 20 ans – noircit ainsi les murs quelle il se laisse dissoudre, réfléchit main. Mais la force du film, dédié
sur un enfant lié à celui qui aurait devant les yeux d’une maison sarcophage. Et le le drame d’une jeunesse tenue sous aux résistants de la dictature sou-
l’heure de sa mort, et s’y préparerait jeune homme, qu’une mère en habit l’emprise des prêcheurs d’arrière- danaise, vient de ce qu’il paraît
une prophétie funeste tous les jours ? de deuil s’affaire à ­enterrer dans ses monde au Soudan, et dès lors hantée ainsi tenaillé par la question de la
interroge l’emprise des Nous sommes dans la province d’Al- pensées tous les jours, chemine par l’idée de sa propre mort. croyance, ouvrant une lucarne sur
religieux dans son pays. Jazirah, dans une ­petite cité du Sou- dans le film comme un gisant en Au printemps, le pays se délivrait l’expérience d’une génération
dan arrosée par le Nil Bleu. Frappé puissance. du joug d’Omar el-Béchir. De la ­exsangue.

T
u mourras à 20 ans investit par une prophétie de mort à sa nais- chambre forte dans laquelle s’était Sandra Onana
une idée vieille comme la sance, Muzamil semble avoir été an- Prêcheurs. Une forme de vécu vu cadenasser la liberté d’expres-
tragédie antique : le pouvoir nulé dès l’origine, expulsé de l’in- soudanais semble s’exprimer là, sion commencent à s’échapper Tu mourras à 20 ans
le plus néfaste d’une prophétie tient souciance dans laquelle folâtrent passé au tamis de la fable, et dé- quelques récits de cinéastes, nou- d’Amjad Abu Alala
à celui qu’on veut bien lui accorder. ceux qui ignorent le jour de leur tré- graissé de sorte à ce qu’il n’en reste velles voix avec lesquelles compter avec Mustafa Shehata,
Ici inscrite dans le bel imagier d’un pas. Le compte à rebours qui le sé- que les lignes claires. L’existence (et conter) dans la résurrection Islam Mubarak, Mahmoud
conte du Sahel, la réflexion se dou- pare de son dernier souffle – prédit carcérale de Muzamil, bientôt ré- d’un art sinistré. Tu mourras Elsaraj… 1 h 45.

«La Fille au bracelet», l’amour flou


Autour du procès d’une adolescente, ces plus ou moins à charge
du dossier judiciaire. Et par
Stéphane Demoustier aborde de façon delà l’inquiétude que pro-
trop moralisatrice l’incommunicabilité duisent leurs amours et
entre les générations. leurs pratiques sexuelles,
pourtant bien peu
­choquantes (on apprend

S’
inspirant du film se sentir obligé de gonfler aussi que les deux amies
argentin Acusada sa mise en scène d’effets et ­couchaient parfois ensem-
de Gonzalo Tobal, de musique (comme c’était ble, ma bonne dame). En
sorti l’an dernier, la Fille au le cas pour Acusada). Mais transformant un film à
bracelet tourne autour du cette économie montre ses procès en une réflexion
procès d’une adolescente limites dès que, hors du peu nuancée sur l’incom-
(Mélissa Guers) accusée ­tribunal, elle confine le municabilité entre généra-
d’avoir violemment poi- film dans une suggestion tions à l’heure du porno et
gnardé sa meilleure amie psychologique pesante de Facebook, le film de-
après la diffusion par cette et sans risque. vient non seulement moins
dernière d’une vidéo la Dans les années 50, un tel captivant mais aussi plus
montrant en train de prati- scénario aurait accouché clairement puritain. Il n’y a
quer avec un ami ce qui d’un film paternaliste, type pas d’âge pour faire des
semble être une fellation. la Vérité de Clouzot, sur films de vieux.
La première partie nous l’amoralité d’une jeunesse Marcos Uzal
tient un peu par sa so­- sans repères. Aujourd’hui
briété. Stéphane Demous- l’écart entre les générations Lise (Mélissa Guers) est accusée d’avoir poignardé sa meilleure amie. M. Ponchel La Fille au bracelet
tier sait accorder du temps se traduit par le silence de Stéphane
aux prises de parole et ébahi d’un père (Roschdy en secret. Il n’en reste pas ce film, face à une jeunesse dans les non-dits et le flou Demoustier
­déchiffrages d’images am- Zem, toujours bon en tai- moins que c’est encore le maintenue à l’état de sulfu- trahit alors un refus de fil- avec Roschdy Zem,
biguës ou peu lisibles qui seux) n’en revenant pas de point de vue des parents et reux mystère, de trou- mer véritablement ces jeu- Mélissa Guers,
nourrissent le procès, sans ce dont sa fille est capable des magistrats qu’adopte blante étrangeté. Rester nes gens, au-delà des piè- Anaïs Demoustier… 1 h 36.
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 29

cinéma/
Elégant road-movie
malgré sa fin convenue,
le premier film de
Mélina Matsoukas suit
deux Afro-Américains
dont le rendez-vous
amoureux vire à la
course-poursuite après
un contrôle policier
qui tourne mal.

L’
on pardonne plus facile-
ment à un film de commen-
cer moyennement et de finir
en beauté que le contraire, de com-
mencer fort et de terminer plusieurs
tons au-dessous. Probablement une
question d’habitude, préférer rester
sur une bonne impression. Dans
Queen & Slim, c’est criant qu’à com-
parer le premier moment – la belle
scène, pas pressée, de rencontre
Tinder dans le diner – et le dernier
– de l’hélicoptère, des ralentis et de
la postérité («legacy») –, on a perdu
quelque chose en route. La question
suivante est de se demander si c’est
une bonne ou mauvaise habitude,
des cinéastes importants ratant
leurs fins (Spielberg, Eastwood),
que la dernière impression paraisse Daniel Kaluuya et Jodie Turner-Smith. Photo Universal Pictures International France
la plus juste, la plus valide à juger
d’un film dans son ensemble. Cela

«Queen & Slim», speed dating


dépend, comme ici, de la façon qu’a
une fiction de s’échafauder, à quoi
elle conspire en chemin, dans une
continuité mobile, nomade, fluide,

et traque infernale
sans se fixer d’horizon, le but reste
une potentialité, la fatalité d’une
­issue par conformité au genre du
road-movie hors-la-loi.
Queen & Slim va vers sa destinée à
la manière d’autres échappées mal çant quelque chose qui, dans le cas de brève rencontre et de drague ra- Clyde). C’est assez beau dès le début, au policier à l’ouïe fine, et au pire ça
barrées, la question n’est pas là : le contraire, en serait resté là. Lui, ti- tée, Queen & Slim bifurque dès lors cette façon qu’a le film de laisser renâcle un peu, mais nul ne songe
premier long métrage de Mélinda mide et courtois, aurait reconduit dans une randonnée presque se- faire les circonstances, selon qu’on à les dénoncer. La vraie référence à
Matsoukas est nettement plus beau chez elle cette fille magnifique reine d’amour fou. appelle ça la chance (Queen) ou le chercher à Queen & Slim est du côté
de ses commencements à répétition ­et remontée jeune avocate à la Venue du clip, Matsoukas s’adonne destin (Slim). De se laisser porter. de Cimino avec le Canardeur, ou de
que de son dénouement. C’est un ­conscience civique trempée, et elle à une forme de mise en scène re- Nicholas Ray, celui des Amants de
continuum qui est rite de passage et n’aurait jamais rappelé le gentil gar- marquablement classique, qu’elle Périple. Tout ce qui touche au la nuit. A cette différence que le duo
plaisir du voyage amoureux, l’éva- çon qui prie et dit le bénédicité – pas relance sans cesse de questions de «grand sujet» – le racisme endémi- de Matsoukas n’est pas en butte à
sion en figure libre pour raconter la son genre, elle l’athée. Emballer le «liant», le temps rendu du décou- que, les bavures commises par des la paranoïa du monde et à l’alté-
naissance d’un amour entre deux film, c’est donc emballer la fille, ou page, les mouvements relais du policiers qui descendent des Afro- rité hostile. C’est l’inverse dans
fugitifs. Tomber amoureux, cette le garçon – puisqu’il est assez beau montage qui assurent une adhé- Américains – est judicieusement Queen & Slim. Pas de danger immi-
façon plus intense de s’alentir et de de voir chacun des deux, chacun rence au trajet parcouru – enfin des laissé en arrière-plan, comme cau- nent à intensifier, mais une tran-
faire connaissance, de se répartir le son tour, charmer l’autre, se méta- questions de premier film s’émer- tion naturaliste du film, marquage quillité d’ensemble où trouve à
temps et l’espace synchrones, dont morphoser sous le regard séduit, y veillant de ses possibilités d’agen­- politique renvoyant à la réalité in- s’épanouir le sentiment calme
la parfaite métaphore au cinéma est compris à ses propres yeux. cement, de métamorphoses élé- cessante de la police flinguant des aussi, difficile à rendre sans mi­-
celle du road-movie qui sinue et ses La scène primitive est proche (stra- mentaires (se couper les cheveux). Noirs, des adultes désarmés ou des nauder, de la tendresse. La méta­-
escales clandestines. Queen & Slim tégiquement) de celle dans Psy- Queen & Slim est d’une sobriété par- enfants. S’étant d’une certaine fa- morphose de l’actrice (puissante,
ou l’anatomie d’un rapport inadver- chose, l’arrestation de Marion Crane faite, dans la continuité soucieuse çon débarrassé du problème (la splendide) Jodie Turner-Smith est
tant qui se dessine en cours de par le policier aux lunettes aussi que tout plan contienne un point de charge de représentativité commu- garante de ce que le road-movie po-
route, déployé dans l’attention de noires que la mauvaise conscience contact avec le précédent et le sui- nautaire), le film s’aventure à tout litique devient un trip romantique
chaque instant à cette séduction ré- de la voleuse. Mais ici la tonalité en vant, raccorde, comme un tracé autre chose avec une élégance ex- – «a sentimental journey» : ce qu’on
ciproque. Deux êtres qui n’avaient est radicalement revue – le flic ra- d’itinéraire sur une carte IGN. Alors trême (pour preuve, la très belle sème, ce qu’on s’aime.
rien à faire ensemble : une reine et ciste ferait se sentir coupable n’im- ce traquenard providentiel – du scène du dancing, ou l’attention Camille Nevers
un gringalet. porte quel Afro-Américain d’être «concours de circonstances» recon- portée au moindre second rôle, et
noir. Dans les deux films, ce sont duit – devient la condition du film, d’abord les «poules» sublimes qui Queen & Slim
Panique. Au principe il y a ce «tra- des scènes vaguement grotesques, sa fuite en avant de bout en bout, tê- entourent Oncle Earl) : au cours du de Mélina Matsoukas
quenard», ce mauvais plan, ou cette et étirées volontairement, qui exa- tue, se fichant de la vraisemblance périple, aucune des rencontres n’est avec Daniel Kaluuya,
mauvaise idée qu’on plaque (de scé- cerbent en toute logique la tension, et sans démonstration héroïque- raciste, après le flic. Même, tous Jodie Turner-Smith,
nario), qui emballe le film en for- la panique, puis la fuite. De la soirée symbolique (très loin de Bonnie and sont de leur côté, du gosse gavroche Chloë Sevigny… 2 h 12.
30 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 12 Février 2020

cinéma/
tesse d’une société, il s’atta- lisme fantasque d’un imam-
che à un seul individu, exem- guérisseur-exorciste, qui
plaire parce que souveraine- semblerait parfaitement bur-
Rouge Distribution

ment singulier : Kojin, jeune lesque s’il n’était pas bien réel
homme aussi doux que droit et très influent dans sa com-
dans ses bottines. Parmi tous munauté, en passant par de
ceux qu’a rencontrés le ciné- jeunes hommes qui seraient
aste, il est le seul homosexuel prêts à tuer leur frère s’ils
kurde à avoir eu le courage ­découvraient qu’il était «un
d’être filmé. Il faut dire que enculé».
les menaces qui pèsent sur
eux sont terribles : tabassa- Miroir. La dernière partie,

«Toutes les vies de Kojin» ges, viols, exécutions. Ne se


contentant pas de composer
un portrait, le ­cinéaste ac-
dans laquelle on retrouve Ko-
jin à quelques milliers de ki-
lomètres de chez lui, re-

touche le Kurde sensible


compagne et protège amica- tourne le miroir vers nous,
lement Kojin, il partage les spectateurs européens : qu’en
risques qu’il prend à ­chaque est-il de cette liberté qui nous
coming out ou excès de ma- rend le fanatisme si intoléra-
quillage, il l’aide à s’assumer, ble ou comique, et que vaut
Dans un documentaire à la fois tendre les jeunes Kurdes héritent rité est bien peu face à la lutte à s’épanouir. Le film ­devient notre prétendue tolérance si
et impertinent, Diako Yazdani interroge par tradition clanique et d’un peuple, il rétorque ainsi le lieu, fragile et éphé- Kojin, après avoir souffert de
­religieuse. qu’être opprimé n’autorise mère, où il peut enfin s’es- plusieurs guerres, viols et
la violente homophobie culturelle Yazdani ne cache pas qu’il fut aucunement à être oppres- sayer à la liberté. menaces de mort, est con-
de son peuple à travers le parcours lui-même homophobe jus- seur, et que la liberté politi- Plutôt que de désigner des damné depuis trois ans à
d’un jeune qui cherche à s’assumer en Irak. qu’à ses 18 ans, avant qu’un que n’a de sens que si elle coupables, ­Yazdani et Kojin n’être qu’un sans-papiers en
film (Harvey Milk de Gus Van s’accompagne de la liberté ont l’art de savoir mettre attente d’une nouvelle vie

L
e cinéaste Diako Yaz- tourne voir les siens, au Sant) et surtout la souffrance des corps. ­constamment les autres face dans un camp de réfugiés en
dani, Kurde iranien, Kurdistan irakien, parce que d’un ami lui fassent prendre à leurs contradictions, para- Allemagne ?
est réfugié politique en le territoire iranien lui est in- conscience que l’homosexuel Courage. En se maintenant doxes et refoulements. Ils se Marcos Uzal
France depuis 2011. Mais terdit, c’est au contraire pour n’était pas cette figure per- dans une inflexible imperti- confrontent pour cela à di-
n’attendez pas de lui qu’il mettre le doigt là où ça fait verse, prédatrice et démonia- nence qui ne manque sou- vers degrés d’intolérance : de Toutes les vies
joue au martyr, au représen- mal. Toutes les vies de Kojin que qu’on lui avait enseignée. vent pas d’humour, Yazdani la gêne de la famille du ciné- de Kojin
tant plaintif de tous les mal- se penche sur la violente et A ceux qui lui signifieraient ne se perd pas dans de grands aste, très religieuse mais hu- de Diako Yazdani
heurs kurdes. Lorsqu’il re- archaïque homophobie dont que la défense d’une mino- discours. Pour révéler l’étroi- maniste, au fondamenta- (1 h 27).

«Plogoff», noyau dur anti-atomique


Sorti en 1980, résistance et de révolte en laissant n’anime les images, parce qu’il
ses participants en expliquer libre- n’anime pas ceux qu’elles représen-
le documentaire de
ment, par leurs paroles et par leurs tent. Le film comme les habitants
Nicole Le Garrec relate gestes, les raisons profondes. ne défendent rien d’autre que la ré-
le combat victorieux alité tangible qu’ils ont chaque jour
des habitants de la Clarté. Celles-ci relèvent d’une sous les yeux : les habitants contre
commune bretonne évidence que le cinéma semble ici sa destruction atomique, le film
contre un projet de absolument en mesure de capter, contre sa falsification étatique et
centrale nucléaire. avec des images et des sons : Plo- médiatique, même combat.
goff… montre, sans aucune ambi-
guïté à tous ses spectateurs, que les Mortifère. Plogoff, des pierres

«N
on au nucléaire, oui au personnes qu’il filme n’ont pas c­ ontre des fusils fait partie des films
soleil», affirme en let- d’autre choix, dans ces conditions, décrivant comme une question de
tres capitales un plan que de se battre contre la police et vie ou de mort le conflit entre une
sur un mur du village breton de Plo- contre l’Etat. Cette clarté n’est peut- communauté de corps vivants et un
Eugène Le Droff

goff où le génie du tag, qui a l’art de être pas le lot de tous les films poli- Etat policier mortifère : The Silent
se déclarer à chaque époque, avait tiques ni de tous les documentaires. Village de Humphrey Jennings
une fois de plus frappé. Tourné en Elle semble naître ici de la rencon- (1943, sur l’impérialisme de tout
grande partie sous le ciel gris de tre entre deux évidences, celle de la bord), Front de libération du Japon :
l’automne 1978 à quelques kilomè- lutte et celle de l’acte de la filmer. Il l’été à Sanrizuka du collectif Ogawa
tres de la pointe du Raz, Plogoff, des fallait pour cela Nicole Le Garrec, Pro (1968, sur la lutte contre un pro-
pierres contre des fusils de Nicole accompagnée de l’opérateur et ci- jet d’aéroport), ou l’Héroïque Lande
Le Garrec, terminé en 1980, est bien néaste Félix Le Garrec, son mari, de les et parachutistes déployés pour comme symbole du combat en de Nicolas Klotz et d’Elisabeth Per-
un film solaire, lumineux dans tous l’ingénieur du son Jakez Bernard, garder la risible camionnette abri- cours contre Goliath. On voit les ceval (2017, sur la guerre contre les
les sens du terme. Racontant pas à des monteuses Claire Simon et tant la commission d’une enquête hommes, en majorité des marins, étrangers à Calais). Façons filmées
pas la lutte victorieuse des habitan- Nelly Quettier. Car Plogoff… a tout publique à laquelle le village refuse pêcheurs et militaires à la retraite, de dire oui au soleil.
tes et habitants de la commune l’air d’être, et plus que d’autres, un de répondre. On les entend encou- bloquer chaque nuit les accès au vil- Luc Chessel
contre le projet de construction film fait par des gens et pour des rager les jeunes à lancer des pierres lage et tenir bon sous les nuages de
d’une centrale nucléaire par l’entre- gens. On y voit les femmes du vil- sur la police, et on les voit reprendre lacrymogène. Plogoff, des pierres
prise d’Etat EDF, ce documentaire lage aller harceler, chaque jour et leurs lance-pierres, portés en col- Ce faisant, aucun vain effet rajouté contre des fusils
fait le portrait d’un mouvement de méthodiquement, les gardes mobi- liers lors d’un rassemblement, d’indignation ou d’héroïsme de Nicole Le Garrec (1980), 1 h 50.
Libération Mercredi 12 Février 2020 u 31

Film Semaine Écrans Entrées Entrées /écran Cumul


Ticket Le Voyage du Dr Dolittle
Ducobu 3
1
1
514
503
339 069
323 213
660
643
339 069
323 213
Avec 88 390 entrées sur une combinaison de 387 écrans,
­la comédie sentimentale #Jesuislà avec Alain Chabat lost in
­Séoul ne fait pas recette. Cata totale aussi pour Notre-Dame
d’entrée Birds of Prey
The Gentlemen
1
1
593
368
339 151
187 484
572
509
339 151
187 484
du Nil d’Atiq Rahimi (10 002 spectateurs sur 70 écrans) ou
la Dernière Vie de Simon de Léo Karmann (10 756 entrées sur
Jojo Rabbit 2 171 69 826 408 201 880 49 écrans). Le marché est globalement mou. Birds of Prey, la
Adam 1 73 27 396 375 27 396 fantaisie Warner sans star, apparaît d’ores et déjà comme un
Bad Boys for Life 3 536 195 785 365 1 256 816 échec international dans le rapport entre son coût et les recet-
La Voie de la justice 2 208 62 619 301 175 772 tes escomptées. (Source «écran total», chiffres au 9 février)

«Mickey
and the Bear»,
portrait social
mal léché
Schématique et poussif,
le film d’Annabelle Attanasio
sur une jeune fille aux prises
avec son père violent révèle
cependant le charisme
de son actrice principale.

M
ickey and the Bear regroupe
­quelques figures récurrentes du
cinéma indépendant américain :
vie en mobile home et caméra à l’épaule,
misérabilisme transcendé par un appel à
la liberté, portrait d’une jeunesse oppres-
sée et aspirant à prendre la route.
Ce drame social et psychologique, centré
sur une jeune fille vivant seule avec
son père vétéran de guerre, présente,
par exemple, quelques évidents points
­communs avec le récent Leave No Trace Père protecteur et cool, Djibi va perdre de sa superbe aux yeux de sa fille, Sofia, entrée au collège. Pathé Studiocanal TF1
de Debra Granik. Si bien qu’en se voulant
cru et spontané, ce film donne surtout
l’impression de ressasser des situations
et une mythologie pas vraiment nouvelle.
Puisque ce ne devrait pas être qu’une
«Le Prince oublié», conte défait
­affaire de scénario, il suffirait sans doute
d’un peu plus de souffle dans la mise en
scène pour que ce sentiment de déjà-vu
Malgré les efforts d’Omar susceptibles à tout moment d’être relégués
au second ou troisième plan, puis «jetés aux
On voit que le souci, ce n’est pas Omar Sy,
dont la plasticité de jeu est suffisante pour
se dissipe. L’ensemble est au contraire Sy en père veuf et héros oubliettes». Le film alterne la chronique du passer sans problème du registre natura-
alourdi par le schématisme du propos : imaginaire, le film de passage de la gamine de l’enfance à l’ado- liste aux fantaisies du conte. Le malaise
une critique du patriarcat filmée au ras
de la violence d’un père et de ses pulsions
Michel Hazanavicius sur lescence au moment où elle va entrer au
collège, son père protecteur, cool et un peu
vient bel et bien des choix de mise en
scène, tout particulièrement la direction
incestueuses, tandis que la jeune femme le passage à l’adolescence naïf continuant d’agir comme si elle était artistique du monde parallèle où officient
se débat entre des garçons un peu lâches, d’une gamine se noie dans encore en classe élémentaire, bichonnée de des centaines de figurants et protagonistes
des symboles appuyés et une caméra trop
collante. Outre les paysages arides du
les bons sentiments. jeux, d’histoires d’animaux bizarres et de
prince héroïque, de goûter sur le pouce à la
­costumés comme si les rêveries d’un père
contemporain devaient nécessairement
Montana, dans les rares moments où le sortie du bahut. Le postulat de début du ressembler aux coulisses d’un studio hol-

«G
­cadre s’élargit, l’intérêt réside essentielle- randir est la plus belle aven- film est étonnant car il s’agit de représenter lywoodien ou aux pires obsessions bon-
ment dans le charisme de Camila ture» : cette conviction n’est joyeusement une cellule familiale resserrée bons chimiques des entrepreneurs de
­Morrone, très prometteuse actrice, bien pas le nouveau slogan d’une autour du couple père-fille après la mort parcs de loisirs.
plus captivante que le film lui-même. start-up surendettée mais l’accroche de l’af- précoce de la mère en constatant peu à peu
M.U. fiche du Prince oublié, le film familial de que tout, dans le récit du monde onirique, Axe déséquilibré. L’accoutrement du
Michel Hazanavicius positionné pour com- conduit en direction des tunnels où erre Prince lui-même a du sens quand, au dé-
Mickey and the Bear bler parents et enfants en déshérence va- sans fin le peuple des limbes, les désormais but, il est donné comme un peu à la ra-
d’Annabelle Attanasio cancière. Une maxime étrange pour un sans-grade, les ringards, les disparus, vieux masse, mais dès lors qu’il doit affronter des
avec Camila Morrone, James Badge Dale, conte et qui prend explicitement le contre- jouets, amours anciennes. situations plus dramatiques, on se dit que
Calvin Demba… 1 h 29. pied de Peter Pan, l’histoire originelle de Mais quand on fait en France un film avec les moyens numériques mis en œuvre ser-
J.M. Barrie où le personnage principal re- Omar Sy qui a coûté plus de 25 millions vent uniquement à compenser la courte
fuse de sortir de l’enfance et s’épanouit d’euros, il faut tenir une note qui n’accentue vue du projet ou son axe déséquilibré. On
dans le Pays imaginaire où précisément pas trop fort les éléments perturbants ou n’est pas surpris que tout ça soit à nouveau
«grandir est contraire au règlement». inquiets du script. Hazanavicius a évidem- un éloge des «histoires», si nécessaires
ment vu les films de Tim Burton et a identi- (mais lesquelles ? tout le monde s’en fout),
Limbes. Ici, pourtant, l’imaginaire est fié tout ce qu’il y a de morbide chez Pixar, rengaine qui était déjà le fond de sauce de
aussi hanté par la thanatophobie comme mais il n’est quand même pas prêt à aller son film sur Godard, le Redoutable, accusé
chez Peter Pan – sa peur de devenir adulte, dans ce sens, la blagounette, l’optimisme d’avoir perdu le public pour avoir renoncé
donc de vieillir, donc de mourir – puisque méthode Coué et la joliesse inoffensive lui aux bons scénarios.
le monde fantasmatique où Djibi, père veuf tenant lieu de principe de cruauté. Didier Péron
élevant seul sa fille unique, Sofia, évolue en Au fond, le problème de Michel Hazanavi-
raconteur d’histoires quotidiennes prénoc- cius, c’est le réglage entre le premier degré Le Prince oublié
turnes, fonctionne comme le monde com- et tous les autres degrés de distance possi- de Michel Hazanavicius
pétitif d’un studio à l’américaine ou d’un bles avec lesquels on peut aborder cette his- avec Omar Sy, Bérénice Béjo,
Camila Morrone séduit. Wayna Pitch parc d’attractions où les personnages sont toire et ce genre de film assez casse-gueule. Keyla Fala, François Damiens… 1 h 41.
Libération Mercredi 12 Février 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

Filet droit
franchir, de vaincre ma timidité. Il fallait assumer mon statut
et l’argent que je prenais. Il fallait supporter l’hyperprofession-
nalisme, apprendre la langue. L’italien, c’est l’espéranto du vol-
ley, tout le monde le parle. Ça m’a ouvert», assure-t-il.
Laurent Tillie L’entraîneur de l’équipe de France «C’est un homme génial, il peut être adorable, dur mais droit.
A la maison, je m’occupe de tout, je bricole, et son orgueil
de volley, au charisme tranquille, s’avère exigeant, d’homme en prend parfois un coup. On est comme deux capitai-
autant pour lui que pour son entourage. nes, on a parfois du mal… Il pense qu’il fait mieux que tout le
monde parce qu’il y réfléchit des semaines», raille Caroline
Keulen-Tillie.
Son mari a filé rencard à l’AppartCity, une résidence hôtelière,
tout près de la BNF François-Mitterrand, dans le XIIIe arron-
dissement parisien. On se croirait dans l’Alphaville de Godard
ou dans un film de SF américain, skyline rutilante et larges
artères à angle droit. Loin de Paris, en tout cas. Avant de s’en
retourner à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), le bastion
­familial, Tillie règle les affaires courantes et se démultiplie
pour faire exister son sport. Il devise d’un flow mezza voce
qui dissimule son caractère d’airain. «Rien ne l’énerve plus
que lorsqu’on prend les matchs à la légère. Il veut qu’on se
donne à fond du début à la
fin. Longtemps, il nous a
passé le speech de l’Enfer du 1er décembre 1963
dimanche [où Al Pacino, Naissance à Alger.
coach d’une équipe de foot 15 juillet 1988
américaine, harangue ses Naissance de Kim
troupes, ndlr] avant les à Cagnes-sur-Mer.
matchs», affirme Kevin, son 2 novembre 1990
volleyeur de fils, qui joue Naissance de Kevin
sous ses ordres en Bleu. à Cagnes-sur-Mer.
Vers la fin de sa longue car- 5 mars 1998 Naissance
rière de joueur (1979-2002), de Killian à Paris.
Laurent Tillie est devenu en- 11 janvier 2020
traîneur, tout en conservant Qualification pour
son cabinet de kiné («choisi les JO de Tokyo.
en face de la mer»), où il ne
met plus guère les pieds.
En 2003, toute la famille est partie pour une sorte de voyage
fondateur dans l’Ouest américain. Laurent Tillie voulait com-
prendre, entre autres, comment les Américains «performaient
tant avec un si faible bassin de volleyeurs».
Les parents affirment n’avoir jamais poussé leurs trois gar-
çons à faire du sport. Raté. Kim (31 ans, 2,10 m) joue au bas-
ket et vient de s’engager à Podgorica (Monténégro). Kevin
(29 ans, 1,99 m) fait le volleyeur en Pologne. Killian (21 ans,
2,08 m), le cadet, basketteur, est toujours à l’université Gon-
zaga, dans l’Etat de Washington, où il s’apprête à disputer
la phase finale du championnat national américain en mars,
avant de postuler à la Draft NBA en juin. Les trois frangins
ont en commun d’avoir réalisé le rêve de leur daron en rejoi-
gnant une fac américaine comme sportifs de haut niveau.
Chez les Tillie, il n’était pas question d’éduquer des Tanguy,
bien au contraire. «A 16 ans, ils étaient déjà dans des centres
nationaux loin de Cagnes. Mes parents me disaient :
“A 18 ans, nous ne te voulons plus à la maison. Tu te dé-
brouilles.” Jeune, on est insouciant, la vie nous appartient.
Si on ne part pas, on ne le fera jamais. Pour l’expérience de
vie, c’est exceptionnel», assure le père. «En partant loin de
chez toi, tu ne vas pas mourir. Au contraire, tu te développes»,
renchérit la mère.
Sur son salaire, le natif d’Alger répond sans ciller, comme un
Américain : «80 000 euros à l’année.» En politique, il paraît

L
aurent Tillie arrive tout juste de Pologne où il est allé jouent au volley avec d’autres pieds-noirs mélancoliques. un poil plus confus. «On manque d’esprits libres, capables
voir Olivia, le premier enfant de Kevin, son fils cadet, Peu après, la famille déménage à Nice, où Guy cofonde un de s’affranchir des partis. L’histoire de Macron pouvait être
volleyeur à l’Onico Varsovie. Larges épaules, billes club dont Laurent sera le premier licencié. Stéphane, lui, belle, car hors parti elle était plus ouverte, mais malheureuse-
bleues translucides et haute stature (1,93 m), le sélectionneur ­arpente les piscines dans l’équipe de water-polo, puis devient ment…» dit-il, sans achever sa réflexion. En 2017, il n’a voté
de l’équipe de France de volley, 56 ans, trimbale son aura ostéo­pathe. ni au premier ni au second tour sans qu’on comprenne pour-
bonhomme sans jamais vraiment la ramener. Sous sa man­- Comme il n’est pas encore question de gagner sa vie avec le quoi («le duel du second tour ne me faisait pas rêver»). Il sem-
dature, les Bleus viennent de se qualifier pour les Jeux olym- volley, l’aîné passe une licence d’EPS, avant d’obtenir son di- ble néanmoins pencher à gauche quand il affirme que «pas-
piques de Tokyo pour la cinquième fois plôme de kiné, un lustre plus tard. Une ser les retraites minimales à 1 000 euros [lui] semble une grosse
de leur histoire. Pour lui, ce seront ses
quatrièmes. Le Portrait constante dans la tribu. «Dans les an-
nées 80, les gars de ma génération étaient
avancée.» Et s’il est «baptisé, confirmé», il se sent détaché
de la religion. Le côté «laïque français [lui] paraît important
Chez les Tillie, tout tourne autour du profs, médecins, dentistes ou kinés. On tou- à défendre».
sport, du goût de l’aventure et de la dévotion au collectif. Guy, chait un défraiement dérisoire en club comme en sélection.» Quand il ne s’abîme pas les yeux sur les vidéos de ses joueurs
son paternel mort il y a un an, a été champion de France avec Au sortir des championnats du monde dans l’Hexagone – disséminés un peu partout dans le monde –, l’Azuréen fait
la BNCI Alger en 1959. «Mes grands-parents maternels sont en 1986, où les Français ont été mobilisés pendant un an et du paddle, se promène dans le Mercantour ou escalade le baou
partis en vacances en Algérie, ils ont trouvé ça tellement beau demi, il rêve d’université américaine, de grand voyage. «On de Saint-Jeannet, en dépit d’une opération à la hanche. «Il est
qu’ils ont décidé de rester. Ma mère, qui est née là-bas, a ren- m’a dit que j’étais trop vieux. Ça m’a miné, c’est pour ça que je en panne de partout, souffle Caroline, son épouse. Il ravage
contré mon père dans le Nord et ils sont retournés vivre de l’au- suis parti en Italie, vivre une aventure à l’étranger.» son corps mais il vit bien. C’est l’homme de ma vie, je suis bien
tre côté de la Méditerranée. Après l’indépendance, ils vou- Mieux, l’année précédente, il a rencontré une internationale tombée. C’est le seul bon Français…» •
laient rester, mais ça n’a pas été possible. On est rentrés après néerlandaise à l’Euro. Caroline Keulen, également kiné, joue
la naissance de mon frère Stéphane, en 64», se souvient-il. à Bologne, pas trop loin de Falconara où il évolue. Ils ne se Par rico rizzitelli
A Lyon, Guy et Colette, sa mère, secrétaire de direction, quitteront plus. «Aller en Italie, c’était une manière de m’af- Photo Roberto Frankenberg

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