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La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 14, 2 Avril 2007, 2081

La « guerre des juges » n'aura pas lieu


Commentaire par Guillaume Drago
professeur à l'université Panthéon-Assas Paris II
directeur de l'Institut Cujas

Hiérarchie des normes

Sommaire

Le Conseil d'État, dans sa formation de jugement la plus solennelle, définit les éléments du contrôle exercé par le juge
administratif sur les actes réglementaires de transposition d'une directive communautaire, lorsque les dispositions de cette
directive sont « inconditionnelles et précises ».

Il le fait tant au regard de la Constitution que des principes généraux du droit communautaire. Sa décision est largement
inspirée par les principes posés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en 2004 et 2006.

Se faisant, le Conseil d'État contribue au rapprochement et à l'harmonie entre l'ordre juridique français et l'ordre
juridique communautaire.

CE, ass., 8 févr. 2007, n° 287110, Sté Arcelor Atlantique et Lorraine et a. : Juris-Data n° 2007-071436 ; JCP A 2007,
act. 150

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bertrand Dacosta, maître des requêtes,

- les observations de Me Cossa, avocat de la société Arcelor atlantique et lorraine et autres,

- les conclusions de M. Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement ; (...)

Sur le cadre juridique du litige :

o Considérant qu'afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la directive 2003/87/CE du
Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 a établi un système d'échange de quotas d'émission de gaz à
effet de serre dans la Communauté européenne ; que l'annexe I de la directive fixe la liste des activités auxquelles
elle s'applique ; qu'aux termes de son article 4 : « Les États membres veillent à ce que, à partir du 1er janvier 2005,
aucune installation ne se livre à une activité visée à l'annexe I entraînant des émissions spécifiées en relation avec
cette activité, à moins que son exploitant ne détienne une autorisation (...) » ; qu'aux termes de son article 6,
l'autorisation d'émettre des gaz à effet de serre emporte notamment : « e) l'obligation de restituer, dans les quatre
mois qui suivent la fin de chaque année civile, des quotas correspondant aux émissions totales de l'installation au
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cours de l'année civile écoulée (...) » ; que l'article 9 de la directive prévoit que, pour la période de trois ans qui
débute le 1er janvier 2005, puis pour les périodes de cinq ans suivantes, chaque État membre doit élaborer un plan
national d'allocation de quotas précisant la quantité totale de quotas qu'il a l'intention d'allouer pour la période
considérée ; qu'aux termes de son article 10 : « Pour la période de trois ans qui débute le 1er janvier 2005, les
États membres allocationnent au moins 95 % des quotas à titre gratuit. Pour la période de cinq ans qui débute le
1er janvier 2008, les États membres allocationnent au moins 90 % des quotas à titre gratuit » ; qu'en vertu de son
article 11, il appartient à chaque État membre, sur la base de son plan national d'allocation des quotas, de décider,
pour chaque période, de la quantité totale de quotas qu'il allouera et de l'attribution de ces quotas à l'exploitant de
chaque installation, une partie de la quantité totale de quotas étant délivrée chaque année ; que son article 12 pose le
principe selon lequel les quotas peuvent être transférés d'une personne à l'autre dans la Communauté ;

o Considérant que l'ordonnance du 15 avril 2004 portant création d'un système d'échange de quotas d'émission de
gaz à effet de serre a procédé à la transposition en droit interne de celles des dispositions de la directive du
13 octobre 2003 qui relèvent du domaine de la loi ; qu'elle a, à cette fin, introduit au chapitre IX du titre II du livre
II du Code de l'environnement une section 2, intitulée « Quotas d'émission de gaz à effet de serre », comprenant les
articles L. 229-5 à L. 229-19, dont les modalités d'application sont renvoyées à un décret en Conseil d'État ; qu'a
été pris, sur ce fondement, le décret n° 2004-832 du 19 août 2004, modifié par le décret n° 2005-189 du 25 février
2005 ; que, par ailleurs, le plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour la période
2005-2007 a été approuvé par le décret n° 2005-190 du 25 février 2005 ;

o Considérant que la société Arcelor atlantique et lorraine et les autres requérants ont demandé le 12 juillet 2005 au
Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l'écologie et du développement durable et au
ministre délégué à l'industrie, à titre principal, l'abrogation de l'article 1er du décret n° 2004-832 du 19 août 2004 en
tant qu'il rend applicable ce décret aux installations du secteur sidérurgique et, à titre subsidiaire, celle des I et II de
l'article 4 et de l'article 5 de ce décret ; que la présente requête tend à l'annulation des décisions implicites de rejet
qui leur ont été opposées et à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes de procéder aux abrogations en cause ;

o Considérant que l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est
tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de
circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ;

Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger l'article 1er du décret :

o Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret du 19 août 2004 : « Le présent décret s'applique aux
installations classées pour la protection de l'environnement produisant ou transformant des métaux ferreux,
produisant de l'énergie, des produits minéraux, du papier ou de la pâte à papier et répondant aux critères fixés
dans l'annexe au présent décret, au titre de leurs rejets de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, à l'exception des
installations ou parties d'installations utilisées pour la recherche, le développement et l'expérimentation de
nouveaux produits et procédés » ; qu'aux termes du point II-A de l'annexe au décret, sont visées au titre des
activités de production et de transformation des métaux ferreux, les « installations de grillage ou de frittage de
minerai métallique, y compris de minerai sulfuré » et les « installations pour la production de fonte ou d'acier
(fusion primaire ou secondaire), y compris les équipements pour coulée continue d'une capacité de plus de 2,5
tonnes par heure » ;

o Considérant que la soumission des activités de production et de transformation des métaux ferreux au système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre est prévue par l'annexe I de la directive du 13 octobre 2003,
dont l'annexe au décret du 19 août 2004 se borne à reprendre, à l'identique, le contenu ; qu'ainsi qu'il a été dit, la
directive exclut la possibilité, pour un État membre, de soustraire des activités visées à l'annexe I au champ
d'application du système ;

o Considérant, en premier lieu, que le pouvoir réglementaire ne pouvait donc, en l'espèce, se livrer à aucune
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appréciation quant au champ d'application du décret ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que celui-ci serait entaché
d'erreur manifeste d'appréciation ne peut qu'être écarté ;

o Considérant, en deuxième lieu, qu'est invoqué le moyen tiré de ce que l'article 1er du décret méconnaîtrait le
principe de sécurité juridique en tant que principe général du droit communautaire ; que, toutefois, la circonstance
que les entreprises du secteur sidérurgique ne pourraient prévoir à quel prix elles devront, le cas échéant, acheter
des quotas ne saurait caractériser une méconnaissance de ce principe ;

o Considérant, en troisième lieu, que les sociétés requérantes soutiennent que l'article 1er du décret méconnaîtrait
plusieurs principes à valeur constitutionnelle ;

o Considérant que si, aux termes de l'article 55 de la Constitution, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou
approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou
traité, de son application par l'autre partie », la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne
saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et dispositions à valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux
dispositions de l'article 88-1 de la Constitution, selon lesquelles « la République participe aux communautés
européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont
instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences », dont découle une obligation constitutionnelle de
transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement cette
transposition est appelé à s'exercer selon des modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions
précises et inconditionnelles ; qu'alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas
affecté, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un
principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit
communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du
juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe
constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la
constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce
principe général du droit communautaire ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen
invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des communautés européennes d'une question
préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu'en
revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du
respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner
directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées ;

o Considérant que les sociétés requérantes soutiennent que seraient méconnus le droit de propriété et la liberté
d'entreprendre, dès lors que l'inclusion des entreprises du secteur sidérurgique dans le système les placerait dans
une situation où elles seraient contraintes d'acquérir des quotas d'émission de gaz à effet de serre ; qu'en effet, le
taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui leur est imposé serait supérieur aux possibilités de
réduction effective des émissions de gaz à effet de serre dont elles disposent en l'état des contraintes techniques et
économiques ;

o Considérant que le droit de propriété et la liberté d'entreprendre constituent des principes généraux du droit
communautaire ; qu'ils ont, au regard du moyen invoqué, une portée garantissant l'effectivité du respect des
principes et dispositions de valeur constitutionnelle dont la méconnaissance est alléguée ; qu'il y a lieu, dès lors,
pour le Conseil d'État, de rechercher si la directive du 13 octobre 2003, en tant qu'elle inclut dans son champ
d'application les entreprises du secteur sidérurgique, ne contrevient pas elle-même à ces principes généraux du droit
communautaire ;

o Considérant que la seule circonstance que les entreprises du secteur sidérurgique soient incluses dans le système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre ne saurait être regardée comme portant atteinte aux principes
généraux du droit communautaire qui garantissent le droit de propriété et la liberté d'entreprendre, dès lors qu'une
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telle atteinte ne pourrait résulter, le cas échéant, que du niveau de réduction des émissions de gaz à effet de serre
assigné à ce secteur dans le cadre du plan national d'allocation des quotas prévu par l'article 8 de la directive et
approuvé par un décret distinct du décret contesté ;

o Considérant que les sociétés requérantes mettent en cause également la méconnaissance du principe à valeur
constitutionnelle d'égalité ;

o Considérant qu'elles font valoir, tout d'abord, que les entreprises du secteur sidérurgique se trouveraient placées
dans une situation différente de celles des autres entreprises soumises au système d'échange de quotas d'émission de
gaz à effet de serre et ne pourraient, dès lors, faire l'objet du même traitement ; que, cependant, le principe
constitutionnel d'égalité n'implique pas que des personnes se trouvant dans des situations différentes doivent être
soumises à des régimes différents ; qu'il suit de là que le moyen ne saurait être utilement invoqué ;

o Considérant, toutefois, que les sociétés requérantes soutiennent en outre que l'article 1er du décret attaqué
méconnaît le principe d'égalité au motif que les entreprises relevant de secteurs concurrents, notamment du
plastique et de l'aluminium, et émettant des quantités équivalentes de gaz à effet de serre, ne sont pas assujetties au
système d'échange de quotas ;

o Considérant que le principe d'égalité, dont l'application revêt à cet égard valeur constitutionnelle, constitue un
principe général du droit communautaire ; qu'il ressort de l'état actuel de la jurisprudence de la Cour de justice des
communautés européennes que la méconnaissance de ce principe peut notamment résulter de ce que des situations
comparables sont traitées de manière différente, à moins qu'une telle différence de traitement soit objectivement
justifiée ; que la portée du principe général du droit communautaire garantit, au regard du moyen invoqué,
l'effectivité du respect du principe constitutionnel en cause ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'État, de
rechercher si la directive du 13 octobre 2003, en tant qu'elle inclut dans son champ d'application les entreprises du
secteur sidérurgique, ne contrevient pas à cet égard au principe général du droit communautaire qui s'impose à elle ;

o Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les industries du plastique et de l'aluminium émettent des gaz à
effet de serre identiques à ceux dont la directive du 13 octobre 2003 a entendu limiter l'émission ; que ces industries
produisent des matériaux qui sont partiellement substituables à ceux produits par l'industrie sidérurgique et se
trouvent donc placées en situation de concurrence avec celle-ci ; qu'elles ne sont cependant pas couvertes, en tant
que telles, par le système d'échange de quotas de gaz à effet de serre, et ne lui sont indirectement soumises qu'en
tant qu'elles comportent des installations de combustion d'une puissance calorifique supérieure à 20 mégawatts ;
que si la décision de ne pas inclure immédiatement, en tant que telles, les industries du plastique et de l'aluminium
dans le système a été prise en considération de leur part relative dans les émissions totales de gaz à effet de serre et
de la nécessité d'assurer la mise en place progressive d'un dispositif d'ensemble, la question de savoir si la
différence de traitement instituée par la directive est objectivement justifiée soulève une difficulté sérieuse ; que,
par suite, il y a lieu pour le Conseil d'État de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre le
refus d'abroger l'article 1er du décret contesté jusqu'à ce que la Cour de justice des communautés européennes se
soit prononcée sur la question préjudicielle de la validité de la directive du 13 octobre 2003 au regard du principe
d'égalité en tant qu'elle rend applicable le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre aux
installations du secteur sidérurgique, sans y inclure les industries de l'aluminium et du plastique ;

Sur les conclusions dirigées contre le refus d'abroger les I et II de l'article 4 et l'article 5 du décret :

o Considérant qu'il résulte du sursis à statuer sur les conclusions principales des sociétés requérantes prononcé par
la présente décision qu'il y a lieu pour le Conseil d'État, dans l'attente de la réponse de la Cour de justice des
communautés européennes à la question préjudicielle qui lui est posée, de différer son examen des conclusions de
la requête dirigées contre le refus d'abroger les I et II de l'article 4 et l'article 5 du décret du 19 août 2004 ;

Note :
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La « guerre des juges » n'aura pas lieu. On aurait, à vrai dire, hésité à employer cette formule assez exagérée si elle
n'avait été expressément utilisée, pour la récuser d'ailleurs, par le commissaire du gouvernement Mattias Guyomar dans
ses conclusions sous l'arrêt d'assemblée du Conseil d'État du 8 février 2007. Mais elle souligne le contexte et les
enjeux au coeur desquels l'arrêt a été rendu. Il se situe en effet, cinquante ans après la signature du traité de Rome, dans
un paysage jurisprudentiel varié dans lequel évoluent les juridictions françaises, d'autres juridictions constitutionnelles
d'Europe et la juridiction communautaire. Et ce paysage est fort bien dessiné par le commissaire du gouvernement pour
expliquer et justifier ses conclusions.

La question générale à laquelle répond l'arrêt du 8 février 2007 est celle de la conciliation entre l'ordre juridique français
fondé sur la Constitution et le respect des exigences communautaires tirées de la participation de la France à l'Union et
aux communautés européennes. Le Conseil d'État y répond avec le souci de ne pas adopter de position qui viendrait
contrecarrer et la position prise par le Conseil constitutionnel et celle des autres juridictions européennes, tant nationales
que communautaire, concernant le difficile problème de la cohérence des systèmes juridiques nationaux et
supranationaux.

En l'espèce, le contentieux portait sur les questions environnementales. La directive communautaire du 13 octobre 2003
établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la
directive n° 96/61/CE du Conseil (PE et Cons. UE, dir. n° 2003/87/CE, 13 oct. 2003 : JOUE n° L 275/32, 25 oct. 2003)
avait été transposée en droit français par une ordonnance du 15 avril 2004 (Ord. n° 2004-330 : Journal Officiel 17 Avril
2004) pour les dispositions de nature législative. Le décret du 19 août 2004 (D. n° 2004-832 : Journal Officiel 21 Aout
2004) prévoyait les modalités d'application de ce texte. Il rendait applicables les obligations de la directive aux
installations du secteur sidérurgique. La société Arcelor Atlantique et Lorraine contestait l'application du système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre aux activités sidérurgiques et avait donc demandé l'abrogation des
dispositions du décret sur ce point au président de la République, au Premier ministre, au ministre de l'Écologie et du
Développement durable et au ministre délégué à l'Industrie. Le silence gardé par ces autorités avait fait naître des
décisions implicites de rejet de la demande, attaquées par la société Arcelor devant le Conseil d'État. Celle-ci
demandait l'annulation des décisions implicites de rejet, d'enjoindre à l'Administration d'abroger les dispositions
critiquées du décret et, à tout le moins, de surseoir à statuer sur les conclusions principales de la requête, dans l'attente
d'une décision du juge communautaire sur la question. La société requérante estimait que l'obligation ainsi imposée par
le décret portait atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre, ainsi qu'au principe d'égalité, l'obligation ne
s'imposant pas à certaines entreprises de secteurs concurrents.

Le décret du 19 août 2004 se borne à reprendre à l'identique les dispositions de la directive de 2003 en soumettant les
entreprises du secteur sidérurgique au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. Comme le précise
le commissaire du gouvernement, aucune disposition législative ne vient s'intercaler entre la directive et le décret ce qui
conduit à porter le débat contentieux devant le Conseil d'État directement sur la directive et son contenu. Cette
situation est l'une de celles évoquées par le président B. Genevois, comme conséquence de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel de 2004 sur le contrôle des lois de transposition de directives communautaires (B. Genevois, Le Conseil
constitutionnel et le droit communautaire dérivé : RFD adm. 2004, p. 651, spéc. p. 659). Il revient en effet au juge
administratif de contrôler le respect d'une directive lorsque le texte réglementaire français est une exacte réplique du
dispositif communautaire. Dans ce cas, la norme de référence sera la directive communautaire. C'est bien le cas dans la
présente espèce. Le Conseil d'État va ici décider de surseoir à statuer afin de saisir la Cour de justice des communautés
européennes à titre préjudiciel sur le point de savoir si la directive porte atteinte au principe d'égalité.

Pour aboutir à cette conclusion, le Conseil d'État développe un raisonnement en plusieurs temps dont les principaux
éléments s'inscrivent dans un contexte jurisprudentiel précis, national et européen. C'est ce contexte qu'il faut d'abord
rappeler pour comprendre la décision (1). Le raisonnement suivi par le Conseil d'État mérite ensuite une analyse
particulière, pas à pas en quelque sorte (2). Enfin, il faudra envisager les conséquences plus générales de l'arrêt, en
termes de relations tant entre les ordres juridiques qu'entre les ordres juridictionnels (3).
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1. Contexte jurisprudentiel national et européen


L'arrêt du 8 février 2007 intervient à un moment opportun dans la mesure où il se place dans un contexte jurisprudentiel
national et européen en voie de stabilisation. En effet, les relations entre l'ordre juridique national, et particulièrement la
Constitution, et l'ordre juridique supranational, communautaire et européen, trouvent aujourd'hui une cohérence par un
dépassement des oppositions entre ces ordres juridiques. On ne s'intéressera ici qu'aux relations entre la Constitution et
les normes du droit communautaire dérivé parce que c'est la question posée et résolue dans l'arrêt du Conseil d'État.

A. - Jurisprudence du Conseil constitutionnel

La question de la compatibilité entre droit communautaire dérivé et Constitution a trouvé, entre 2004 et 2006, une
réponse dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Confronté à plusieurs reprises à des lois de transposition de
directives communautaires soumises à son contrôle, le Conseil constitutionnel a énoncé les principes d'une relation
non-conflictuelle entre la Constitution et le droit communautaire dérivé. Jusque là, en effet, une loi transposant une
directive communautaire ne faisait pas l'objet d'un traitement particulier sur le plan du contrôle de constitutionnalité.

En 2004, fondant son raisonnement sur l'article 88-1 de la Constitution selon lequel « la République participe aux
communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui
les instituent, d'exercer en commun certaines de leurs compétences », le Conseil constitutionnel en a tiré la conclusion
que « la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle
il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse de la Constitution » (Cons. const., 10 juin 2004,
n° 2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l'économie numérique : Rec. Cons. const. 2004, p. 101, § 7 ; JCP A 2004,
1620, note O. Gohin). Par conséquent, est inopérant tout grief invoqué par une saisine, lorsqu'il porte sur des
dispositions législatives se bornant à « tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises
d'une directive sur lesquelles il n'appartient pas au Conseil de se prononcer » (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496
DC, préc., § 9. - Pour une application dans plusieurs décisions de 2004, V. Cons. const., 1er juill. 2004, n° 2004-497
DC, Loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle : Rec. Cons. const.
2004, p. 107, § 18. - Cons. const., 29 juill. 2004, n° 2004-498 DC, Loi relative à la bioéthique : Rec. Cons. const. 2004,
p. 122, § 4 et 7. - Cons. const., 29 juill. 2004, n° 2004-499 DC, Loi relative à la protection des personnes physiques à
l'égard des traitements de données à caractère personnel : Rec. Cons. const. 2004, p. 126, § 7 et 8).

L'expression « disposition expresse de la Constitution » ayant donné lieu à un certain nombre de critiques à raison de
son imprécision (V. par exemple, B. Genevois, Le Conseil constitutionnel et le droit communautaire dérivé, préc.,
p. 651. - J. Arrighi de Casanova, La décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 et la hiérarchie des normes : AJDA
2004, p. 1534. - P. Cassia, Le juge administratif, la primauté du droit de l'Union européenne et la Constitution
française : RFD adm. 2005, p. 465. - O. Dupéré, Le contrôle de constitutionnalité du droit dérivé de l'Union
européenne. Lectures croisées par le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel : RFD const. 2005, n° 61, p. 147), le
Conseil a reformulé les éléments de son contrôle à l'occasion de plusieurs décisions de l'année 2006. Le Conseil rappelle
d'abord que « si la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle,
il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution,
d'examiner la compatibilité d'une loi avec les dispositions d'une directive communautaire qu'elle n'a pas pour objet de
transposer en droit interne » (Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, Loi pour l'égalité des chances, § 28 :
Journal Officiel 2 Avril 2006), se plaçant dans la ligne classique qui est la sienne, consistant à ne pas contrôler une loi
au regard du droit communautaire, y compris dérivé, lorsque cette loi n'en est pas la transposition.

En 2006, le Conseil constitutionnel va préciser son contrôle des lois de transposition. Dans sa décision du 27 juillet
2006 (Cons. const., n° 2006-540 DC, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information,
§ 17 à 20 : Journal Officiel 3 Aout 2006 ; JCP A 2006, act. 711), le Conseil rappelle que « la transposition en droit
interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle » en application de l'article 88-1 de la
Constitution, il lui appartient de « veiller au respect de cette exigence » lorsqu'il est saisi d'une loi de transposition d'une
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directive communautaire.

Mais, il fixe deux limites à l'exercice de son contrôle. Reprenant l'expression employée par l'article I-5 du traité
établissant une Constitution pour l'Europe énonçant que « l'Union respecte l'identité nationale des États membres
inhérente à leurs structures fondamentales, politiques et constitutionnelles », le Conseil précise que « la transposition
d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la
France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ».

La seconde limite fixée par le Conseil est procédurale et contentieuse : « devant statuer avant la promulgation de la loi
dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des
communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l'article 234 du traité instituant la Communauté
européenne ; qu'il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition
législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer ; qu'en tout état de cause, il
revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des communautés
européennes à titre préjudiciel » (Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, préc., § 17 à 20. - Même formulation,
Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC, Loi relative au secteur de l'énergie : Journal Officiel 8 Décembre 2006,
§ 6 et 7 ; JCP A 2007, 2014, note G. Drago). En effet, le délai d'un mois maximum dans lequel doit statuer le Conseil
constitutionnel ne peut lui permettre de saisir la Cour de justice des communautés européennes et d'obtenir d'elle la
réponse à une question préjudicielle. Il faut y voir également la volonté du juge constitutionnel de ne pas soumettre son
contrôle à celui du juge communautaire. En conséquence, le Conseil estime devoir limiter son contrôle à ce qui, dans la
loi, est manifestement et clairement incompatible avec la directive communautaire, utilisant là la technique de l'erreur
manifeste d'appréciation.

La conclusion tirée par le Conseil constitutionnel nous rapproche de l'espèce ici commentée. En renvoyant au juge
ordinaire national la décision de saisir la Cour de justice des communautés européennes à titre préjudiciel, il confirme le
juge administratif et judiciaire français en tant que juge d'application du droit communautaire dérivé. Le commissaire du
gouvernement M. Guyomar en tire d'ailleurs une conséquence assez radicale en ce qui concerne le Conseil
constitutionnel : « le contrôle spécifique qu'exerce le Conseil constitutionnel aboutit, sous couvert d'un contrôle de
constitutionnalité systématique du droit communautaire dérivé, à renoncer, dans la majeure partie des cas, à contrôler la
conformité de la loi à la Constitution. Certes, cet abandon du contrôle ne concerne pas le « noyau dur » du bloc de
constitutionnalité. Il est en outre compensé par le contrôle que la Cour de justice des communautés européennes est à
même d'exercer à l'échelle de l'ensemble de la Communauté pour apprécier la validité de la directive. Mais il n'y en a
pas moins, dans une certaine mesure, un abandon du contrôle ». Il revient donc, en toute logique, au juge ordinaire
d'exercer ce contrôle, dans les limites de sa propre compétence.

B. - Jurisprudence des cours européennes

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est en cohérence avec celle d'autres juridictions en Europe, comme le
rappelle le commissaire du gouvernement, qu'il s'agisse de juridictions constitutionnelles ou de la Cour européenne des
droits de l'homme, ces juridictions vérifiant que la protection apportée par le droit communautaire trouve au moins une
équivalence dans le droit constitutionnel des États membres ou n'acceptant la primauté du droit communautaire que s'il
n'est pas contraire aux principes fondamentaux de l'ordre constitutionnel national (V. par exemple, Cour const.
italienne, 8 juin 1984, Granital : RTDE 1985, p. 313. - Cour const. italienne, 8 juin 1984, Sté Fragd : RUDH 1989,
p. 258. - Cour const. allemande, 29 mai 1974, dite « Solange I ». - Cour const. allemande, 22 oct. 1986, dite « Solange
II ». - Cour const allemande, 7 juin 2000, dite « Solange III »). La Cour européenne des droits de l'homme utilise le
même raisonnement de l'équivalence des protections entre la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales et le droit communautaire (CEDH, gde ch., 30 juin 2005, Bosphorus). Ainsi, se
dessine un clair mouvement de convergence des jurisprudences des différents ordres juridictionnels européens,
nationaux et supranationaux, pour permettre l'intégration du droit communautaire, sans pour autant abdiquer la
protection conférée par leur constitution nationale.
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2. L'arrêt du Conseil d'État : entre « pluralisme ordonné » et « équivalence des


protections »
Le commissaire du gouvernement rappelle utilement le cadre jurisprudentiel national dans lequel se place le contentieux
examiné. On n'y insistera pas dans la mesure où ces éléments sont aujourd'hui bien connus, qu'il s'agisse de la
jurisprudence Nicolo (CE, ass., 20 oct. 1989, n° 108243 : Juris-Data n° 1989-645117 ; Rec. CE 1989, p. 190), de la
jurisprudence dite « des tabacs » (CE, ass., 28 févr. 1992, n° 56776, SA Rothmans International France et SA Philip
Morris France : Juris-Data n° 1992-040237 ; Rec. CE 1992, p. 80) sur l'autorité des directives communautaires à
l'égard des lois même postérieures, de la nécessité d'abroger tout règlement illégal (CE, ass., 3 fév. 1989, n° 74052, Cie
Alitalia : Juris-Data n° 1989-604067 ; Rec. CE 1989, p. 44), ou encore la règle selon laquelle toute règle de droit
interne incompatible avec les objectifs d'une directive cesse de s'appliquer à l'expiration du délai de transposition (CE,
ass., 6 fév. 1998, n° 138777, Tête : Juris-Data n° 1998-050008 ; Rec. CE 1998, p. 30). L'arrêt du 8 février 2007 ne
reprend en définitive que le principe d'abrogation des règlements illégaux, tiré du décret du 28 novembre 1983, et
rappelé dans l'arrêt Alitalia, selon lequel « l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un
règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité
résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ».

La société requérante soutenait aussi que le décret était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où
il avait inclus les entreprises sidérurgiques dans le champ d'application du décret. Mais l'arrêt répond que, le décret
reprenant à l'identique les dispositions de la directive communautaire, le pouvoir réglementaire « ne pouvait donc, en
l'espèce, se livrer à aucune appréciation quant au champ d'application du décret ». Même si le commissaire du
gouvernement admet, qu'en l'espèce, le pouvoir réglementaire n'est pas en situation de compétence liée, il n'en demeure
pas moins que les normes de référence du contrôle de légalité alors exercé sont à rechercher, non dans la loi qui ici ne
fait pas écran (le décret était édicté sur le fondement de l'article 229-5 du Code de l'environnement, issu de l'ordonnance
du 15 avril 2004, elle-même ratifiée par la loi du 9 décembre 2004, ces textes habilitant le pouvoir réglementaire à
mettre en oeuvre la directive), mais dans le droit communautaire et le bloc de constitutionnalité. La voie était donc
ouverte pour accueillir ces deux types de moyens.

Les requérants articulaient en effet leur argumentation sur la violation de plusieurs principes et droits : d'abord le
principe de sécurité juridique en tant que principe général du droit communautaire ; ensuite le droit de propriété et la
liberté d'entreprendre ; enfin le principe d'égalité, tous principes et droit de valeur constitutionnelle. Ils cherchaient donc
à jouer sur les deux tableaux du droit communautaire et du droit constitutionnel. La réponse du Conseil d'État tient en
plusieurs points.

A. - Suprématie de la Constitution dans l'ordre interne

Le Conseil d'État reprend les principes tirés de la jurisprudence Sarran et Levacher (CE, ass., 30 oct. 1998 :
Juris-Data n° 1998-106575 ; Rec. CE 1998, p. 368) pour les engagements internationaux de façon générale et de la
jurisprudence Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (CE, 3 déc. 2001, n° 226514 et 226571 : Juris-Data
n° 2001-063346 ; Rec. CE 2001, p. 624) pour le droit communautaire, principes selon lesquels « si, aux termes de
l'article 55 de la Constitution, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la
suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et
dispositions à valeur constitutionnelle ». Cette position de principe, reprise ici à l'identique, ne conduit pourtant pas le
Conseil d'État à la conclusion logique d'une révision préalable de la Constitution avant transposition, conclusion qui
avait pourtant été celle de son assemblée générale à propos du mandat d'arrêt européen (CE, ass., avis, 26 sept. 2002,
n° 368282 : EDCE 2003, p. 192) et qui avait conduit à la révision constitutionnelle du 25 mars 2003 l'introduisant dans
la Constitution (L. const. n° 2003-267 : Journal Officiel 26 Mars 2003). Mais, évidemment, la logique contentieuse
n'est pas celle de la fonction consultative.
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B. - Transposition de dispositions communautaires précises et inconditionnelles

Dans un second temps, le Conseil d'État, se plaçant dans la ligne du Conseil constitutionnel et de sa jurisprudence de
2004 à 2006, fait une place particulière au droit communautaire, reprenant à son compte l'interprétation de l'article 88-1
de la Constitution en ces termes : « eu égard aux dispositions de l'article 88-1 de la Constitution, selon lesquelles "la
République participe aux communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi
librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences", dont découle
une obligation constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires
assurant directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des modalités particulières dans le cas où sont
transposées des dispositions précises et inconditionnelles ». Reprenant le critère du Conseil constitutionnel des
« dispositions inconditionnelles et précises », qui ne fait pourtant pas l'unanimité (V. la critique de D. Simon, L'obscure
clarté de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la transposition des directives communautaires : Europe
2006, alerte 42 qui ne voit pas le lien entre le contenu de la directive et son obligation de transposition), la Haute
Juridiction administrative tient le même raisonnement dans le cadre du contrôle de la légalité. Il est vrai que le Conseil
constitutionnel lui avait ouvert la voie, auto-limitant son contrôle en déclarant que « les dispositions critiquées [par la
saisine] se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises de la directive sur
lesquelles il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer » (Cons. const., 29 juill. 2004, n° 2004-498 DC,
préc., § 7). Le Conseil d'État tire donc la même obligation de transposition de l'article 88-1 de la Constitution, mais, là
où le Conseil constitutionnel pratique l'autolimitation du contrôle, le Conseil d'État exerce un contrôle des actes
réglementaires de transposition en rapprochant exigences constitutionnelles et communautaires. Mais il ne le fait que
pour les actes réglementaires assurant « directement » cette transposition, laissant logiquement au Conseil
constitutionnel le contrôle préventif de constitutionnalité, tant pour les traités (Const. 4 oct. 1958, art. 54) que pour les
lois (Const. 4 oct. 1958, art. 61). La cohérence des contrôles est recherchée, autant que la protection du justiciable.

C. - Recherche d'une « équivalence des protections » entre Constitution et droit


communautaire

En effet, le Conseil d'État recherche la cohérence entre la Constitution et le droit communautaire, prenant acte du
« pluralisme ordonné » des deux ordres juridiques, selon l'expression de M. Delmas-Marty, pour aller vers un système
de contrôle de la légalité dans lequel « l'équivalence des protections » (JCP G 2007, II, 10049, note P. Cassia, portant
sur l'arrêt ici commenté) est recherchée, en terme de droits fondamentaux, entre ceux inscrits dans la Constitution et
ceux tirés du droit ou des principes généraux du droit communautaire. Cette recherche ne touche pas le contrôle de la
légalité externe - règles de compétence, de forme et de procédure - qui doit continuer à être respectée et contrôlée, ce
que rappelle l'arrêt (« si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas affecté (...) »), suivant en
cela le commissaire du gouvernement, conformément à la jurisprudence antérieure (CE, 30 juill. 2003, n° 245076,
Assoc. Avenir de la langue française : Juris-Data n° 2003-065803 ; Rec. CE 2003, p. 347. - CE, 27 juill. 2006,
n° 281629, Assoc. Avenir de la langue française : Juris-Data n° 2006-070603. - CE, sect., 27 oct. 2006, n° 260767, Sté
Techna : Juris-Data n° 2006-070935 ; JCP A 2007, 2001, note. F. Melleray).

Mais pour le contrôle de la légalité interne, le Conseil d'État, selon les termes du commissaire du gouvernement,
procède à une « opération de translation qui conduit à ce que votre contrôle de constitutionnalité s'effectue, pour partie,
sous le timbre du droit communautaire ».

L'arrêt le dit ainsi, « il appartient alors au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une
disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du
droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du
juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel
invoqué ; dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de
rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit
communautaire ; il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire,
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de saisir la Cour de justice des communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par
l'article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe
général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel
invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires
contestées ».

Le Conseil d'État fait le constat que de nombreuses dispositions inscrites dans la Constitution française trouvent leur
équivalent dans le droit communautaire. C'est donc au regard de ce droit que le contrôle peut être exercé, sans s'éloigner
de la Constitution puisque le contenu des droits fondamentaux est proche et la protection équivalente. L'analyse faite par
le Conseil se place beaucoup plus sur le plan de l'étendue de la protection accordée par le droit communautaire en cause
que selon une analyse littérale du contenu du droit. Soucieux de l'effectivité du droit communautaire, il assure par voie
de conséquence l'effectivité de la Constitution. Ainsi, comme l'indiquent les auteurs de la chronique de jurisprudence
administrative française, commentant l'arrêt (AJDA 2007, p. 577, chron. F. Lenica et J. Boucher), « lorsque ne sont
utilement invoqués que des règles et principes de valeur constitutionnelle ayant un équivalent dans le droit
communautaire primaire, le conflit entre la Constitution et l'acte de transposition se résorbe en un conflit entre le droit
communautaire primaire et la directive que, conformément aux principes régissant la coopération entre juridictions
nationales et juridiction communautaire, le Conseil d'État laisse à la Cour de justice des communautés européennes le
soin de trancher ».

En l'espèce, les requérants soutenaient que le droit de propriété et la liberté d'entreprendre étaient méconnus par le
décret attaqué. Le Conseil d'État fait d'abord le constat que ce droit et cette liberté constituent des principes généraux
du droit communautaire, le commissaire du gouvernement faisant référence à la jurisprudence de la Cour de justice des
communautés européennes, confortée par les articles 16 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, même si elle n'a pas (encore) de valeur contraignante. Puis le Conseil énonce que ces droits fondamentaux
« ont, au regard du moyen invoqué, une portée garantissant l'effectivité du respect des principes et dispositions de valeur
constitutionnelle dont la méconnaissance est alléguée ». L'équivalence des protections ici constatée, le moyen est rejeté.

La requête soulevait enfin le moyen de l'atteinte au principe d'égalité, les entreprises du secteur sidérurgique étant
placées dans une situation différente de celles des autres secteurs d'activité soumis au système d'échange de quotas
d'émission de gaz à effet de serre, et devant donc bénéficier d'un traitement différent. Le raisonnement faisait donc appel
à une conception très classique du principe d'égalité. Le Conseil d'État répond que « le principe constitutionnel
d'égalité n'implique pas que des personnes se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des
régimes différents » (V. CE, ass. 28 mars 1997, n° 179049, Sté Baxter : Juris-Data n° 1997-050046 ; Rec. CE 1997,
p. 115), rejetant sur ce point le moyen. Mais il remarque cependant, avec les requérants, que les entreprises de secteurs
concurrents (plastique et aluminium) ne sont pas assujetties au système d'échange de quotas. Et reportant (le
commissaire du gouvernement emploie les mots « transporter » et « translation ») le principe constitutionnel d'égalité à
son équivalent en droit communautaire, le Conseil d'État constate « qu'il ressort de l'état actuel de la jurisprudence de
la Cour de justice des communautés européennes que la méconnaissance de ce principe peut notamment résulter de ce
que des situations comparables sont traitées de manière différente, à moins qu'une telle différence de traitement soit
objectivement justifiée ; que la portée du principe général du droit communautaire garantit, au regard du moyen
invoqué, l'effectivité du respect du principe constitutionnel en cause ».

La conclusion contentieuse tirée par le Conseil est la recherche de la conformité du décret attaqué au principe de droit
communautaire. Constatant une « difficulté sérieuse » d'interprétation de la directive, relative à l'application du principe
d'égalité, le Conseil d'État décide de surseoir à statuer et de saisir, par la voie de la question préjudicielle de
l'article 234 CE (curieusement non cité dans les visas), la Cour de justice des communautés européennes de la question
de la validité de la directive du 13 octobre 2003 au regard du principe d'égalité.

Ainsi, lorsque l'équivalence des protections est constatée entre le droit communautaire et le droit constitutionnel, le
moyen soulevé par les requérants est rejeté car la cohérence des deux ordres juridiques conduit à protéger les droits en
cause de la même manière et assurer un même degré d'effectivité, on dira même d'efficacité vis-à-vis du justiciable.
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Mais, lorsque cette équivalence de protection fait défaut, il appartient alors au juge ordinaire français de solliciter le
juge communautaire afin d'obtenir de lui la signification de la règle ou du principe de droit communautaire, respectant
en cela le monopole de l'interprétation qui revient, de par les traités, à la Cour de justice des communautés européennes.
La cohérence recherchée doit être signalée, mais elle laisse certaines questions en suspens et doit être appréciée en
termes de conséquences plus générales.

3. Conséquences générales en termes de relations entre les ordres juridiques et


les ordres juridictionnels
L'arrêt du Conseil d'État doit être replacé dans le contexte plus général des relations entre les ordres juridictionnels
constitutionnel et administratif d'une part, et entre les ordres juridiques français et communautaire d'autre part.

A. - Relations entre les ordres juridictionnels administratif et constitutionnel

Faisons d'abord le constat que l'article 88-1 de la Constitution est devenu la matrice commune du contrôle de
constitutionnalité et de légalité des actes de transposition du droit communautaire. La généralité des termes employés
par la Constitution fixe les obligations de la France dans sa participation aux communautés et à l'Union européenne,
particulièrement l'obligation de transposition des directives et d'exécution des règlements, bref de tout ce qui fait le droit
communautaire dérivé.

La cohérence recherchée entre le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État conduit à une répartition des rôles dans le
contrôle entre les deux juges : au Conseil constitutionnel le contrôle préventif des traités selon l'article 54 de la
Constitution et des lois de transposition par l'article 61 de la Constitution ; au Conseil d'État le contrôle de légalité a
posteriori des actes réglementaires de transposition, dans les conditions et limites indiquées dans l'arrêt du 8 février
2007. Mais le requérant joue ici une fonction de révélateur dans la mesure où il lui revient de se prévaloir d'un droit ou
d'un principe de valeur constitutionnelle ayant un équivalent (ou non) en droit communautaire, pour que le Conseil
d'État exerce (ou non) son contrôle de l'équivalence des protections constitutionnelle et communautaire. Alors que,
pour le Conseil constitutionnel, moyens et conclusions soulevés d'office lui permettent de rapprocher Constitution et
droit communautaire, ainsi qu'il l'a fait par exemple lors de l'examen de la loi relative au secteur de l'énergie en 2006, à
propos de la privatisation de GDF (V. notre commentaire précité relatif à la décision du 30 novembre 2006, JCP A
2007, 2014).

Le système résultant de la décision du Conseil d'État ouvre une brèche dans la théorie dite du « traité-écran », en
permettant de renvoyer, pour l'exercice du contrôle de la légalité, à la règle constitutionnelle tout en rapprochant cette
dernière de la règle communautaire de droit originaire. Cette ouverture peut se justifier, compte tenu de l'absence de
contrôle préalable de constitutionnalité des directives.

Une difficulté d'une autre nature peut cependant provenir de l'application de la théorie de la « loi-écran ». En effet, dans
l'espèce ici commentée, la directive était en quelque sorte transposée « directement » par l'acte réglementaire. Mais quid
en présence d'une loi faisant écran entre la directive et l'acte réglementaire ? Le juge administratif ne sera-t-il pas
conduit, nolens volens, à comparer la loi à la Constitution, par le canal de l'équivalence des protections entre règle
constitutionnelle et règle communautaire ? Les auteurs de la chronique précitée (AJDA 2007, spéc. p. 583) estiment que,
le Conseil constitutionnel s'abstenant d'exercer en pareil cas le contrôle de constitutionnalité de la loi, « il y a là un appel
discret mais ferme aux juridictions ordinaires à prendre le relais, dans leur champ de compétence, d'un contrôle de
constitutionnalité réduit, à son niveau, aux seuls règles et principes « inhérents à l'identité constitutionnelle de la
France » » (selon l'expression du Conseil constitutionnel).

Pourtant, le Conseil d'État conserve la position de principe, depuis son célèbre arrêt Arrighi de 1936 (CE, sect., 6 nov.
1936 : Rec. CE 1936, p. 966), selon laquelle l'inconstitutionnalité de la loi « en l'état actuel du droit public français, n'est
pas un moyen de nature à être discuté devant le Conseil d'État statuant au contentieux », position trouvant une
Page 12

expression plus contemporaine dans l'arrêt Deprez et Baillard (CE, 5 janv. 2005, n° 257341 et 257534 : Juris-Data
n° 2005-067963 ; Rec. CE 2005, p. 1 ; JCP A 2005, 1075, concl. D. Chauvaux ; JCP A 2005, act. 1168) selon laquelle
« l'article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d'apprécier la conformité
d'une loi à la Constitution et ce contrôle est susceptible de s'exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation » et
en tirant la conclusion que « les modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de
son application ». Le commissaire du gouvernement M. Guyomar, constatant qu'il n'existe pas de juge chargé de
s'assurer de la constitutionnalité des directives à l'occasion de leur transposition directe par le pouvoir réglementaire,
pense, s'adressant au Conseil d'État « qu'il vous appartient d'exercer ce contrôle, à l'instar de ce que fait le Conseil
constitutionnel lorsque la transposition est assurée par le législateur ». Ce constat et ce contrôle, s'ils se confirmaient,
sonneraient définitivement la mort de la théorie de la loi-écran et la reconnaissance malgré tout d'un contrôle de la loi au
regard de la Constitution, par le canal du droit communautaire, la Constitution s'avançant en quelque sorte « masquée »
par les principes du droit communautaire (c'est l'une des conclusions d'un colloque, à paraître : G. Drago (dir.),
L'application de la Constitution par les Cours suprêmes. Conseil constitutionnel, Conseil d'État, Cour de cassation :
Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires »).

B. - Relations entre l'ordre juridique français et l'ordre juridique communautaire

Plus généralement, la décision du 8 février 2007 conduit à repenser les relations entre l'ordre juridique français et l'ordre
juridique communautaire. Certes, il faut distinguer, dans le contrôle exercé par les juges français, la question de
l'application d'une norme juridique dans l'ordre interne, selon l'ordre constitutionnel et celle de la transposition d'une
directive communautaire dans un État membre de l'Union européenne, deux contrôles qui relèvent d'exigences
différentes. Du point de vue communautaire, l'exigence fondamentale est d'assurer une pleine effectivité à la norme
communautaire, nonobstant l'existence des constitutions nationales, comme l'a indiqué très tôt le juge communautaire
(V. les jurisprudences Costa de 1964 et Simmenthal de 1978) s'agissant de la primauté du droit communautaire, inscrite
à l'article I-6 du traité établissant une Constitution pour l'Europe et qui demeurera un principe fondateur du droit
communautaire, quel que soit l'avenir du traité.

Du point de vue constitutionnel, l'exercice de transposition d'une directive « ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou
d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » dit le
Conseil constitutionnel en 2006 (Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, préc.). La réserve de constitutionnalité
ainsi indiquée constitue-t-elle une barrière puissante à la suprématie du droit communautaire ? L'analyse de cette
expression conduit à penser que les cas de méconnaissance d'une telle règle ou d'un principe constitutionnel de ce type
par une directive devraient être rares, le commissaire du gouvernement citant les articles 1er et 3 de la Constitution, le
principe de laïcité ou la définition du corps électoral politique. Ceci revient à dire que la « barrière » constitutionnelle,
identitaire pour tout dire, risque de céder la plupart du temps. On doit en faire le constat lucide en matière de droits
fondamentaux de la personne ou de droits collectifs, particulièrement dans le domaine économique, parce que la volonté
de rapprochement des ordres juridiques sur ce point est ancienne et procède tant des textes que de la jurisprudence.

Mais l'identité constitutionnelle française ne se limite pas à ces éléments. Elle s'exprime par des droits politiques, une
certaine conception de la souveraineté et de la représentation issue de notre histoire politique et constitutionnelle. C'est
le « noyau dur » de notre identité constitutionnelle, à laquelle le droit communautaire s'intéresse peu aujourd'hui parce
que l'Union européenne est une communauté politique balbutiante. Mais elle prendra forme certainement dans l'avenir.
Que restera-t-il alors de l'identité constitutionnelle française ? Les juges français, constitutionnel et ordinaire, devront
nous le dire. Lourde responsabilité...

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