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L’Ultime Elément
A cet Autre si convoité et tant redouté qui stimule continuellement
ma quête du sens.
A mon père qui m’a été d’une aide précieuse lors des corrections,
à ma mère et à mes frères qui ont été d’un grand soutien tout au
long de cette aventure.
A mon amour qui m’a beaucoup apporté en termes de valeurs
humaines et de connaissances que ce soit dans la vie commune ou
dans l’élaboration de cette œuvre qui me tenait très à cœur.
A mes chers enfants qui furent ma source d’inspiration.
A Adeline avec qui j’avance dans mon cheminement.
A mes proches et amis dont les encouragements m’ont permis de
persévérer.
A toutes mes rencontres, de toutes idéologies confondues, qui ont
participé de près ou de loin à faire mûrir mes réflexions.
Le vent soufflait dans les plaines caressant la terre qui a
porté en son sein l’histoire de la vie. Un paysage
paradisiaque se dessinait à l’horizon laissant planer une
sérénité sans égal et une vision du monde des plus
plaisantes. Les oiseaux chantaient en chœur une admirable
ritournelle, perchés sur des arbres qui s’inclinaient
respectueusement au passage du vent. La rivière traçait son
chemin comme à l’accoutumée saluant sur son passage les
habitants d’une autre vie. Les cieux épousaient les océans
enfantant des larmes de joie, applaudis par les témoins
présents et ravivant ainsi les âmes endeuillées…
9
manquait sur cette terre. Un élément qui donnerait enfin un
sens à son existence.
10
Les jours passèrent et le Questionnement arriva enfin
dans un village. Un faisceau émanant du ciel s’amusait à
créer des jeux d’ombres disparates dans ces lieux agités.
— Bonjour monsieur,
— Bonjour, répondit le Juif avec méfiance.
— Pourrais-je vous poser une question qui peut vous
paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Je vous écoute.
— Etes-vous Croyant ?
13
Le Juif, contrarié par cette question qui lui parut comme
une pure provocation, rétorqua :
— Je voulais juste…
— Et d’ailleurs, pourquoi me questionnez-vous ? Vous
pensez que je suis dans le faux ? Vous voulez me convertir,
c’est ça ?
— Je …
— De toute façon, je suis désolé pour vous que vous ne
soyez pas Juif, c’est la seule et unique vérité !
15
Le Juif dirigea sa face vers la porte des cieux8. Il recula
et avança de trois pas pour réciter l’Amida9 en soumettant
son corps à des mouvements d’inclinations et de
prosternations. La prière accomplie, il refit le même nombre
de pas lorsque ses yeux croisèrent ceux de l’importun. Le
fustigeant du regard, il se précipita sans détours vers la
sortie.
***
Le Questionnement emprunta la ruelle opposée lorsqu’il
aperçut un homme portant le signe de la confession
chrétienne. Confiant, il tenta d’approcher ce nouveau
passant.
— Bonjour monsieur,
— Bonjour, répondit le Chrétien avec réserve.
— Pourrais-je vous poser une question qui peut vous
paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Faites donc.
— Etes-vous Croyant ?
8 Jérusalem.
9 Ensemble de bénédictions.
16
— Bien sûr que je suis Croyant, un vrai ! Ne voyez-vous
donc pas que je porte le signe de ma confession religieuse ?
17
lui emboîta le pas à son insu puis il s’enfonça dans un
énorme portail en Vaugnérite.10
10 Roche magmatique composée de quartz et de lames de mica divergentes et miroitantes en tous sens
18
distinguer trois cloches que les prêtres sollicitaient pour
annoncer la prière ainsi que les autres événements
communautaires. De grandes statues taillées dans le plus fin
marbre ornaient ce lieu mystique que les visiteurs pouvaient
explorer au travers d’une vingtaine de portes capitonnées
d’or.
— Vous ?
— Je voudrais juste vous expliquer…
— M’expliquer quoi ? Vous devez sûrement être un
mécréant pour m’avoir posé pareille question. Plutôt que de
me suivre, je vous conseillerai de fréquenter plus souvent
l’église, cela vous permettra de faire partie des nôtres car
votre salut en dépend. Alors, trêve de palabres, je dois
partir !
***
20
Le Questionnement s’installa sur un banc, se persuadant
que la prochaine personne serait la bonne. C’est alors qu’il
rencontra une femme portant le signe de la confession
musulmane.
— Bonjour madame,
— Bonjour !
— Pourrais-je vous poser une question qui peut vous
paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Oui ?
— Etes-vous Croyante ?
— Bien entendu que je suis Croyante, une vraie ! Ne voyez-
vous donc pas que je porte le signe de ma confession
religieuse ? rétorqua la femme d’un ton railleur.
11 Plâtre.
12 Chaire où prêche l’imam.
23
Les fidèles s’évertuaient à combler la première rangée.
C’est alors que la prière put commencer. Une fois celle-ci
accomplie, le Questionnement s’élança vers le portail
lorsqu’il discerna la jeune femme dans la mêlée.
***
24
Le Questionnement emprunta une allée austère bordée
de quelques habitations et végétations. Il s’assit sur un tronc
d’arbre face à un étal lorsqu’une dispute éclata entre deux
hommes. Le client tourna le dos au patron de l’échoppe
déclenchant par son attitude les vociférations de ce dernier.
— Bonsoir !
— Bonsoir ! Que puis-je pour vous ? répondit l’homme sur
un ton sec.
— J’ai assisté à votre querelle. J’espère qu’il n’y a rien de
grave ?
— Ce Croyant ne me paie pas ses dettes et il me saigne
davantage à chaque fin de mois !
— Je compatis. Pourrais-je vous poser une question qui
peut vous paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Oui ?
— Etes-vous Croyant ?
***
26
Le Questionnement s’engagea dans une voie
commerçante à la recherche d’une buvette qu’il ne mit pas
longtemps à trouver.
28
— Pourrais-je vous poser une question qui peut vous
paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Oui ?
— Etes-vous Croyant ?
— Maintenant, on ferme !
13 Monument bouddhiste commémorant la mort du fondateur du bouddhisme Gautama qui contient des
reliques de Bouddha.
14 Rite où l’on tourne autour d’un symbole.
15 Symbole du premier sermon du bouddha à Sarnath.
16 Déités courroucées du bouddhisme, défenseurs du dharma.
30
forme humaine avec leurs corps dotés de bras et de visages
multiples, d’autres prenaient une apparence animale. Une
vision de la mort et du châtiment émanait de ces protecteurs
du dharma17 dont les couronnes qui les paraient présentaient
des gravures de crânes humains. Leurs yeux globuleux
empreints de courroux semblaient contraster avec les
tintements du Rin18 utilisé pour distiller les ondes positives.
Les dévots se prosternaient devant les icônes en présentant
leurs offrandes malgré l’indigence qui se lisait sur leurs
corps affaiblis, corps qu’ils peinaient à dissimuler derrière
leurs oripeaux.
***
17 Enseignement
18 Cloche utilisée dans le bouddhisme.
31
place à ceux de la nuit. Soudain, il remarqua une scène
étrange. A cette heure tardive, l’enfant prénommé Fitrah se
releva de son tapis retenu par de petites pierres puis il
rangea soigneusement sa marchandise. Les passants
l’ignoraient. L’enfant avait l’air malheureux. D’un pas
réfléchi, il s’élança vers la sortie du village.
33
Les deux voyageurs parcoururent le désert sous une nuit
étoilée qui faisait scintiller le sable fin sous leurs pieds
racornis. Le Questionnement laissait le soin au petit garçon
de prendre les initiatives. Fitrah, coutumier des environs,
lui proposa de camper sous un palmier qu’il aperçut en
cours de route.
36
Devant la mine attristée du Questionnement, Fitrah se
souvint de son malheur puis levant les yeux au ciel, il dit
d’une voix presque inaudible :
37
— Voilà ! Nous sommes à Passage.
— Passage ? C’est le nom de ton village ?
— Oui ! Je vous avais dit auparavant que j’étais de Passage.
39
Troublé, le Questionnement accorda ses pas à ceux de
Fitrah et s’enferma dans un long silence.
— Votre fils m’a dit que vous n’étiez pas Croyants dans ce
village, mais j’ai aperçu un temple, une synagogue, une
église et une mosquée.
— En effet, nous ne sommes pas Croyants ici.
— Mais comment vous définissez-vous ?
— Je suis musulmane et j’aspire un jour à faire partie des
Croyants.
— Vous voulez dire que vous souhaiteriez déménager dans
le village des Croyants ?
— Non. Je voudrais l’être dans l’autre vie.
42
— Mais pourquoi ne pas réaliser votre rêve en rejoignant le
village des Croyants ?
— Cela ne m’intéresse pas. Avez-vous pu échanger avec
eux ?
— Non. Ils m’ont tous fermé la porte.
— Comment se fait-il ?
— Le diable croit en l’existence de Dieu mais il n’a pas foi
en Lui et ne fait pas partie des Croyants.
45
Pris au débotté par cette réplique apologétique20, le
Questionnement demanda des éclaircissements.
46
ressentir la peur du lendemain surtout avec un enfant à
charge. Il m’arrivait de songer au pire s’il n’y avait pas eu
cette petite voix qui m’appelait à l’apaisement.
— Regarde, maman !
***
50
Ressentant les effluves de la sentence, l’homme
tressaillit, le cœur au bord des lèvres asséchées qui
laissèrent échapper une timide interjection :
— Euh, oui ?
— Etes-vous Croyant ?
52
— Ma foi, oui ! Dans notre cité, tout le monde rêve un jour
d’être Croyant. D’ailleurs, nombre de nos habitants l’ont
quittée.
— Je reviens du village des Croyants.
53
Le Questionnement s’éclipsa abandonnant l’homme à sa
plaidoirie. Dans les limbes24, des voix se disputaient son
affaire tantôt l’incitant à réparer son tort tantôt l’en
dissuadant. D’un geste agacé, il les interrompit pour
n’écouter que celle de son propre instinct. Venant à
résipiscence, il fonça sans plus tarder restituer l’objet de son
tourment.
54
vérifia derechef s’il n’avait pas rêvé. Un mot glissa sur le
sol.
***
Le Questionnement s’arrêta devant un magnifique jardin
garni de fleurs variées. Il s’assit sur un banc quand une
dame d’un certain âge portant le signe de la confession
chrétienne vint se joindre à lui.
56
— Vous sentez-vous bien dans notre village ?
— Oui.
— Alors, vous êtes des nôtres cher ami ! Vous verrez, cela
vous plaira. Nous apprécions les étrangers, nous aimons
découvrir et discuter. D’ailleurs, je saisis cette occasion
pour vous convier au mariage de ma fille. Je serai heureuse
de vous avoir à ma table.
***
La nuit s’annonçait glaciale. La neige se mit à tomber,
parsemant de ses fines volutes les ruelles et les toitures
mansardées des demeures.
57
Le Questionnement se rendit à l’auberge du village. Il
essuya ses pieds sur le paillasson puis tira la corde de la
clochette. Un individu s’empressa d’accueillir le visiteur.
C’était un homme au sourire charmeur et à la silhouette
élancée. Il portait sur lui le signe de la confession juive.
***
Le Questionnement s’allongea sur le lit douillet, le
regard tourné vers la fenêtre. Des flocons de neige glissaient
lentement sur les carreaux apaisant son corps harassé par le
voyage. Soudain, un son guttural vint interrompre son
repos. D’un bond, il se dirigea vers le couloir pour en
connaître la provenance. Ses pas le menèrent à la chambre
huit du palier où un chant s’apparentant fort bien au
Fanbai25 s’y fit entendre.
— Qui-est-ce ?
61
— Je viens du village des Croyants. Mes parents décidèrent
de me faire moine. Je le devins à contre cœur car depuis
mon enfance, je rêvais d’emprunter un autre chemin.
— Quel est cet autre chemin ?
— Je souhaitais vivre mes propres expériences sans que
l’on me contraigne dans une voie. C’est la raison pour
laquelle je n’ai pas encore atteint la foi.
— Que voulez-vous dire ?
— Bouddha a dit cette parole sage « Apprenez par vous-
même ». La foi, selon la vision bouddhiste, n’est ni un don
ni une révélation mais une relation de confiance qui
s’établit en suivant le dharma26 et le sangha27 et qui n’est
confirmée que par l’expérience. Or, cette dernière me fait
défaut. Mes parents, soucieux de mon devenir, ne m’ont
rien laissé expérimenter par moi-même. Ils m’ont tracé le
chemin à suivre et m’ont dicté la ligne de conduite.
— Pourquoi ne pas avoir contesté leur décision ?
— Dans notre religion, la piété filiale prévaut. Néanmoins,
j’ai toujours gardé par devers moi mes ambitions.
— De quelle manière ?
63
et de s’éloigner des tensions existantes. Ils récupéreront
ainsi leur vue floutée par la pensée unique de leur croyance.
— A quelles tensions faites-vous allusion ?
— Les Croyants prétendent avoir acquis la foi. L’orgueil
s’est emparé de leur être. Ils se critiquent entre eux, chacun
se proclamant être le détenteur de la vérité. Il y a beaucoup
de souffrance dans les cœurs de mon village.
— Insinueriez-vous que la foi n’est pas un acquis ?
— C’est plutôt un idéal auquel on aspire.
— Y a-t-il un texte religieux qui concorde avec votre vision
de la foi ?
— Oui. L'Abhidharmakosha 29 nous apprend que :
64
— Mais comment se fait-il qu’il y ait des souffrances dans
les cœurs s’ils sont convaincus de leur vérité ?
— Le fait de détenir une vérité devrait suffire à les apaiser
et à la leur faire apprécier. Cependant, leur souffrance
s’explique par l’absence de l’une des plus nobles vertus.
— Laquelle ?
— La sagesse.
— Pouvez-vous m’en dire davantage ?
— Bien souvent, l’être humain croit que seul le savoir suffit
à éclairer son monde. Or, une science sans sagesse devient
destructrice pour le corps et l’esprit.
— Comment développer cette sagesse ?
— A travers l’expérience continuelle et donc la
connaissance de soi qui mène vers l’éveil. Une fois la
sagesse pleinement développée, il n’y a plus de souffrance.
— Pensez-vous que les habitants de Passage partagent votre
philosophie ?
— Certainement. Bien que nous empruntions des chemins
qui peuvent paraître singuliers, nous aspirons tous un jour à
atteindre une foi qui apaisera nos âmes tourmentées.
65
Ces propos retentirent jusqu’au tréfonds de l’être du
Questionnement qui se rappela son propre tourment.
***
L’aubergiste sortit du comptoir et se dirigea vers la
réserve à boissons.
66
— Je vous sers un breuvage ? C’est la maison qui offre.
— Simplement de l’eau. Merci.
67
Le juif fixa le sol un instant puis s’épancha sur sa propre
croyance.
69
côté. Plus personne ne recherche Dieu. Il me revient à
l’esprit ce verset :
***
70
Dans la pénombre, le Questionnement sillonna les
ruelles désertes. Une immense bâtisse éclairée par une
douce réverbération retint toute son attention. Une mosquée
à forme cubique semblait avoir pour minaret, une église
rectangulaire bâtie tout en hauteur. Celle-ci s’adossait à une
synagogue à structure hexagonale qui s’appuyait à son tour
sur un temple octogonal. Les religions de ce village se
tenaient fraternellement la main mettant à l’honneur les
points convergents et les projets communs de leurs
croyances.
30 Hivernal.
71
louanges en égrenant les perles d’un chapelet. Certains
fidèles, adossés aux colonnes de l’édifice, lisaient à voix
basse leurs livres Saints. D’autres actionnaient les moulins
à prière. Un mélange d’émotions parfumait cet endroit où
chaque être faisait sa propre introspection.
***
72
Le Questionnement se fondit dans la foule qui essaima
sur une clairière parsemée de roses blanches. Le soleil,
habillé pour la circonstance, rendit aux arbres chenus leur
apparence festive. L’herbe verdâtre pointa le bout de son
nez sous la couche enneigée de la veille. Un mariage aurait
donc lieu hic et nunc31. Un grand buffet était disposé à
l’intention des convives qui s’installèrent aux tables
gracieusement décorées. Une tape sur son épaule le fit
virevolter.
31 Ici et maintenant.
32 Marque portée sur le front.
73
d’un Déiste33. Il scruta cet endroit qui dévoilait la présence
d’autres croyances. Nulle distinction d’origine ou de milieu
social ne se ressentait. Tous étaient conviés à célébrer
l’union, particularité propre à ce village. Soudain, sous un
tonnerre d’applaudissements les mariés surgirent sur la
piste de danse.
33
Personne qui reconnait l’existence de Dieu en dehors de toute religion.
74
radieux et sourires contagieux, il resta contemplatif. La
vieille dame l’extrait de ses pensées :
75
même plus plaisir à vous parler. La foi n’est pas un acquis,
c’est une chose à laquelle on aspire.
— Je vous comprends, répondit le Questionnement
songeur. Votre religion s’accorde-telle avec votre
perception de la foi ?
— Assurément. Il est dit ceci :
76
Tout bon auditeur qu’il était, le Questionnement se
claustra dans un mutisme qu’il ne tarda pas à briser par une
interrogation qui le taraudait.
79
Le Questionnement caressa le village du regard puis il
continua sa percée dans des prairies verdoyantes d’une
beauté nitescente qui contrastaient avec les faîtes enneigés
des montagnes alentours. Le friselis d’une rivière offrait à
ses sens une douce mélopée qui accompagnait ses pas.
Après une longue marche, le voyageur s’allongea sur la
terre rase, ses yeux rivés sur le ciel azur. Il ferma les
paupières, son corps enseveli sous l’épaisse chevelure de
l’astre luisant puis, sans crier gare aux blandices de ce doux
paysage, se laissa emporter par le monde des songes.
***
Le Questionnement longea un couloir profond, descendit
quelques marches et se retrouva face à une imposante
84
bibliothèque. Exalté, il s’introduisit dans ce lieu désempli à
cette heure-ci de ses lecteurs. Le fonds documentaire
obéissait à une rigoureuse classification thématique et
alphabétique. Le rayon central mettait en exergue les
sciences exactes, celui de gauche faisait figurer les sciences
expérimentales et, du côté droit, venaient se greffer à cette
importante collection savante les sciences humaines. Deux
rangées de livres, placées à l’opposé, attisèrent la curiosité
du Questionnement. En les examinant de plus près, il y
découvrit des ouvrages théologiques.
— Bonjour monsieur.
— Bonjour, répondit le bibliothécaire en ajustant ses
lunettes.
— Pourrais-je vous poser une question qui peut vous
paraître indiscrète mais qui me perturbe ?
— Je vous écoute.
— Etes-vous Croyant ?
85
Contre toute attente, le bibliothécaire lui répondit :
34
Parodie de religion, le « pastafarisme » dont la divinité est décrite comme étant un monstre en spaghettis
volants.
86
dans lequel son interlocuteur l’avait plongé. Il parcourut
brièvement ces manuscrits qui prétendaient avoir résolu le
mystère de la vie. Tracassé par une question, il revint vers
le bibliothécaire.
87
— Comment se fait-il qu’il y ait chez vous des livres du
village des Croyants ?
— C’est à cause du nouveau Directeur. C’est une grosse
erreur que de l’avoir nommé à ce poste.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Il est Agnostique et ici, le village appartient aux Athées.
Les Agnostiques sont minoritaires et malgré cela, il a réussi
à accéder à cette fonction ! Bientôt, nous serons envahis par
les Agnostiques et nous ne serons plus chez nous ! dit-il
indigné.
88
— Ceux-là n’ont rien compris à la Science. Ils sont trop
attachés à leurs croyances ancestrales et essaient tant bien
que mal de préserver leur idéologie. Ils se servent de la
Science non pas pour se remettre en question mais tout au
contraire pour prouver que leurs religions disent la vérité.
Cela s’appelle le concordisme.
— Est-ce que tous les Athées sont aussi catégoriques que
vous ?
— Non. Hélas, il y aura toujours des faibles d’esprit parmi
nous qui finiront par rejoindre les Agnostiques.
***
Le Questionnement se rendit au bureau du Directeur et
frappa à la porte.
90
L’homme laissa transparaître un léger rictus à la
commissure de ses lèvres.
93
— Est-il possible que deux mondes qui s’opposent en tout
puissent agir de manière identique ?
— Oui. Méditez l’exemple du miroir35. Il conjoint la
différence et l’identique.
35 Le reflet de l’Homme, réfléchi par le miroir, s’oppose à ce dernier par sa constitution (sans âme, sans
sentiments…). Mais il agit de façon identique à lui en reproduisant ses gestes par exemple.
94
situent dans des positions extrêmes. Ils basent leur vie sur
ce qu’ils considèrent comme un acquis. L’orgueil pénètre
les cœurs à ce moment-là.
— Et c’est ainsi que les conflits commencent, murmura le
Questionnement enfoui dans ses réflexions.
— Oui. Vous remarquerez que les deux mondes ne se
questionnent plus, trop occupés à se critiquer et à se
détester.
36 L’inconnu.
96
longtemps prisonnier ? Appréhendait-il de délaisser son
confort, de bousculer ses croyances et de se questionner ?
Pourtant, n’était-il pas plus à même d’entreprendre cette
démarche, lui qui portait l’illustre nom du
Questionnement ? Ou pensait-il se prémunir d’un danger
jugé imminent en dehors des frontières qu’il s’était lui-
même tracées ? Ce faisant, n’avait-il pas construit sa propre
prison mentale en s’inébriant de sa seule vision du monde
durant de si longues années ? Comment peut-on être
aveuglé au point de ne plus se sentir exister puis parvenir,
par quelques coïncidences fortuites, à retrouver la vue ?
97
être constamment stimulés pour progresser en fonction de
leurs découvertes.
— Qui sont ces autres ?
— Certains Agnostiques et les habitants de Passage.
— Les habitants de Passage ?
— Oui. Les habitants de Passage ne sont pas obtus. Ils
acceptent de passer d’une croyance à une autre en fonction
des arguments présentés. Leur porte est toujours ouverte à
la connaissance.
— Vous voulez dire que le village de Passage représente un
idéal ?
— Oui. Beaucoup d’Agnostiques rêvent de rejoindre le
village de Passage. En ces lieux, les gens sont pleins de vie.
Ils évoluent dans le respect des croyances. Le dialogue y est
serein et les échanges, constructifs.
99
au sein de notre université. Les enseignants et les étudiants
ne pourraient qu’en tirer profit.
***
100
Le Questionnement, absorbé par ses pensées, se retrouva
sur une aire de jeux. Une petite fille le heurta.
103
— Et à qui profite le crime ? On joue beaucoup sur les peurs
que ce soit dans notre village ou dans celui des Croyants.
Tout est fait pour que les deux mondes se détestent et ne se
réconcilient jamais. Heureusement qu’il reste des gens
sages qui aspirent à la paix.
— Ces gens sages, que font-ils pour rapprocher les deux
mondes ?
— Avez-vous visité la grande bibliothèque universitaire ?
— Oui.
— Vous avez dû remarquer la présence de livres
théologiques sur les étagères.
— En effet.
— Ces ouvrages ont été introduits pour tenter de
comprendre le mode de pensée des Croyants. C’était du
jamais vu ici. Cela a provoqué un remous. Il y eut une
manifestation pour s’opposer à ce projet.
— Pourquoi la manifestation n’a-t-elle pas abouti ?
— Notre chef sait pertinemment que ce village a besoin des
Agnostiques. Appréhendant leur départ, il a accepté la
demande du Directeur de l’université quant à l’introduction
d’ouvrages concernant une autre vision du monde.
— Pourquoi avez-vous besoin des Agnostiques ?
104
— Comment se prémunir d’une attaque ennemie si l’on
ignore ce qui se trame en dehors de nos frontières ? Compte
tenu du fait que les Athées refusent de se déplacer chez les
Croyants et inversement, il revient aux Agnostiques et aux
habitants de Passage de véhiculer les informations.
— Ces informations passent-t-elles correctement ?
— Non, hélas. Le chef du village les filtre et occulte toutes
celles pouvant nuire à ses projets.
— Il subsiste beaucoup de conflits entre les deux villages…
— Hélas, oui. Et lors des conflits passés, les habitants de
votre village ont toujours été pris pour cible.
— Vous faites référence au village de Passage ?
— Oui. N’êtes-vous pas de ce village ?
— Je suis plutôt un simple voyageur.
— Ma fille a cru que vous étiez de Passage…
— Comment le village de Passage a été impliqué dans ce
conflit ?
— Dans le souci de maintenir leur progrès, les Croyants et
les Athées avaient mené leur guerre dans le village de
Passage, détruisant tout ce qui se trouvait à leur portée.
Vous avez dû en remarquer les stigmates.
105
Se remémorant certaines habitations misérables, les
sans-abri, le manque de structures éducatives et
l’émigration vers les villages voisins, le Questionnement ne
put contester les propos de l’Agnostique.
107
— Comment cela ?
— Ce sont les gens qui croient en ces écrits qui
m’intéressent. J’aimerais regarder dans leur miroir pour
accéder un jour à la vérité.
108
Le Questionnement revint à son rocher. Accueillante et
magnanime, la nature coquettement vêtue de couleurs
chatoyantes offrit à ses sens un spectacle féérique. Une
musique émanant du ciel, de la terre et des océans s’élevait
à l’unisson pour célébrer le retour de celui qu’ils estimaient
tant. Les fleurs se bousculaient en ouvrant grandement leurs
pétales pour voir ce revenant. Les arbres s’empressèrent de
servir leurs meilleurs fruits et la rivière son meilleur festin.
Face à cette foule en liesse, le visiteur reconnaissant, leur
narra pour la toute première fois de son existence, le récit
de ses aventures.
109
s’était saisi chez Fitrah puis le contempla longuement. Bien
qu’il ne renvoie que le reflet de son visage déformé par la
pluie, étrangement, le Questionnement n’y aperçut que
celui des habitants de Passage. Pensant que ses yeux lui
jouaient un mauvais tour, il les referma un instant puis
regarda de nouveau.
110
A l’orée d’une forêt, le Questionnement assista à un
cortège de plantes multicolores. Des amaryllis au bord de la
sente, entourées d’hibiscus et de nivéoles, annonçaient à la
trompette la venue du printemps. Les prunus accueillirent à
fleurs déployées les hirondelles sous le regard sage et
bienveillant des baobabs.
111
virent le jour, donnant ainsi à son village un extraordinaire
dynamisme économique.
***
Le Questionnement s’assit sur le banc de ses souvenirs
lorsqu’une jeune fille au visage familier, s’installa près de
lui. Curieux, il l’aborda :
***
Le Questionnement emprunta l’allée qui menait à
l’auberge. Le personnel s’occupait des nombreux
voyageurs qui affluaient des villages voisins. Il s’assit sur
une chaise et attendit son tour. Il releva la présence de
petites attentions destinées à la clientèle : des friandises
gratuites, des produits de soins, des porte-clés en guise de
souvenir de ce beau village. Soudain, un homme désemparé
entra et se précipita vers le comptoir.
115
Au même moment, un quinquagénaire surgit d’une porte
attenante au comptoir. Il s’agissait de l’homme de
confession juive qui avait abrité le Questionnement
autrefois. Il donna quelques consignes à son personnel
avant de s’éclipser.
***
Une construction étrange à l’allure imposante se dressait
au cœur du village. Des gens, venant de toutes directions,
s’y rendaient.
116
— Pour la raison qu’on y enseigne la sagesse par le savoir
et l’expérience.
— Etes-vous du village ?
— Non. Moi, je viens du village des Croyants.
— Quant à moi, fit l’autre, je suis issu du village des Athées.
Stupéfait, le Questionnement demanda :
— Comment avez-vous connu cette école ?
— Me concernant, fit le Croyant, j’en ai entendu parler par
le bouche à oreille, le moine étant originaire de notre
village. Certains l’ont grandement critiqué tandis que
d’autres, impressionnés par son initiative pleine de courage,
l’y ont rejoint.
— Pour ma part, dit l’Athée, j’en ai eu connaissance lors
d’une conférence organisée par un Directeur Agnostique de
mon village qui avait introduit des ouvrages religieux dans
sa bibliothèque. Souhaitant découvrir d’autres horizons et
tenter ma propre expérience, j’ai rejoint les habitants de
Passage.
— Vous plaisez-vous dans ce village ?
— Ô que oui ! affirmèrent en chœur les deux camarades.
Ici, nous sommes libres d’être ce que nous sommes et de
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penser comme bon nous semble sans être critiqués ni
rejetés.
***
Promenant son regard dans les lieux, il croisa l’homme
accablé qu’il venait d’apercevoir à l’auberge.
***
Saisi par la fatigue, le Questionnement, ne trouvant pas
de banc où s’asseoir, se laissa glisser à terre au coin d’une
rue. Face à lui, une adolescente l’observait avec insistance
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puis se mit à tracer quelques lignes sur un papier tandis que
son grand-père feuilletait tranquillement son journal.
Malgré un corps marqué par le temps, le Questionnement
reconnut en l’homme l’Athée qui avait rejoint les
Agnostiques autrefois. Le vieil homme se redressa pour
s’en aller lorsque la jeune fille s’élança en direction du
Questionnement.
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Je fais ce geste pour vous consoler et vous dire qu’il y
aura toujours des gens bien en ce monde.
Je me suis dit que cette pièce serait plus utile à une
personne dans le besoin.
Ma détermination a fait que je ne fus pas tentée de la
dépenser, mais plutôt de la conserver jusqu’à atteindre
mon objectif.
Ma curiosité a conduit mon regard à vous rechercher.
J’ai longuement hésité avant de vous la remettre, mais
j’y suis enfin parvenue.
L’Ultime Elément