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Le corps de l’imaginaire : approches de l’institution

socio-historique

Anne Gleonec
Institut de Philosophie, Académie des Sciences de la République Tchèque

Notre intention est ici, sans préambule, d’ouvrir la discussion sur l’institu-
tion socio-historique à partir de l’imagination, en un double sens, et dans une
circularité que tout notre propos visera à éclairer. Dans le sens, d’abord, du
poids de la faculté qu’est l’imagination dans l’approche – tant scientifique que
commune – de l’institution et plus généralement de la société. L’histoire sécu-
laire de l’analogie et/ou de la métaphore dite du corps politique, dans ses
variantes multiples sur lesquelles nous reviendrons dans un premier temps,
montre en effet au mieux comment l’imagination a longtemps permis la circu-
lation de concepts expliquant l’origine et le devenir du social, jusqu’à Rousseau,
Kant, et bien sûr l’Idéalisme allemand. Mais cette analogie elle-même, bien
que constamment et encore aujourd’hui usée – nous pesons le mot – par de
nombreuses disciplines scientifiques, plus encore dans leurs rapports inter-
disciplinaires, s’est vue largement contestée dans le champ politique et social
par les nouvelles théories de la démocratie. Des théories qui se sont même
développées contre les ontologies du corps politique, et furent en grande part
influencées par la phénoménologie. Et ce, alors même, et c’est là le premier
paradoxe à questionner, que l’imaginaire devenait un objet privilégié de
la pensée du social, avec notamment et peut-être surtout les fondateurs de la
revue Textures : Claude Lefort, Marc Richir, et Miguel Abensour.
Or, et ce sera là le second sens et temps de notre propos, si l’analogie fût
elle-même déniée comme méthode d’accès à l’institution et au commun,
c’est d’avoir été considérée comme en dépendance d’une imagination dont le
pouvoir de vérité s’est comme lui-même tu, avec les analogies qu’il mettait en
branle. Pourtant, second paradoxe, il n’en revient pas moins, ce pouvoir ana-
logique, au centre des théories phénoménologiques les plus novatrices dans
le champ politique et social dans un implicite que nous tenterons de décon-
struire ; pas seulement comme objet donc, mais bien comme méthode d’accès
à ce même champ.
Notre question est alors somme toute simple, même si nous allons voir ses
implications multiples et non moins complexes : s’agit-il ici d’une ignorance
toute secondaire de la méthode, qui aurait de plus pour elle d’indéniables
raisons politiques, ou la reconnaissance de ce double paradoxe ne pour-

© koninklijke brill nv, leiden, ���6 | doi ��.��63/9789004322516_019


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rait-elle être au contraire la voie d’un dépassement des ententes actuelles de


l’institution, via l’assomption de la circularité de la méthode et de l’objet qu’y
est l’imagination ?
Pour tenter d’y répondre, il nous faudra d’abord revenir brièvement sur ce
que nous nommerons le « destin politique de l’imagination », c’est-à-dire sur
le sens non seulement politique, mais bien aussi épistémologique, de l’histoire
des analogies et métaphores dans le champ de l’institution, avant d’y déceler
comme une erreur de fond, et de questionner, dans un troisième temps, les
lieux d’un possible retour à l’analogie.

1 Le destin politique de l’imagination

« De tous les liens, le plus beau, disait Platon (. . .) c’est l’analogie (analogia) »
(Timée, 31c). Ces mots du Timée ont ici, comme incipit, double droit de cité,
parce que la trace qu’ils constituent dévoile deux choses essentielles : d’abord la
spécificité du lien qu’est l’analogie, et ensuite la trame souterraine de son refus
politique. La spécificité, en ce sens que si Platon va jusqu’à dire ce lien « le plus
beau », il indique que l’analogie n’est pas le nom d’un lien quelconque, voire
de tout lien, comme on le croit souvent en l’identifiant à une simple, vague,
et omniprésente comparaison ; étonnamment, si la phantasia se voit rejetée
hors les murs de la cité, c’est pourtant bien par une pensée qui décrit celle-ci
depuis un autre pouvoir de l’imagination. Mais les mots du Timée dévoilent
aussi, disions-nous, la trame souterraine de son refus, en ce sens, cette fois, que
le nom de Platon lui-même condense mieux que tout autre l’origine négative
que nombre de pensées attribuent à l’analogie entre le corps et le corps
politique. Cela, parce que celle-ci, malgré – ou à cause de ? – sa séculaire et
riche histoire, serait le lieu et le langage d’une même tentation, et tentative,
en politique. Dans les mots de Platon encore : faire de l’Un avec du multiple.
Lestée du poids d’une telle tentation, que certains, comme Claude Lefort, diront
« phantasme », l’analogie entre le corps et le corps politique ne semble alors
pouvoir être prise en vue que de deux manières : l’une, analytique, consistant à
en retracer l’origine et la variété des usages afin de comprendre les fins des ana-
logies du corps politique – avec en leur centre, la fameuse analogie chrétienne
des deux corps du roi analysée par Ernst Kantorowicz1 – ; l’autre, polémique,
consistant à dessiner, contre ce passé même de l’analogie et ses politiques

1  Ernst Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge,
Gallimard (Paris, 1989).

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