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Par
Rachid ACHACHI
Docteur en Sciences économiques à l’Université Ibn Tofail de Kénitra
Master en macro-économie monétaire et financière à l’Université Mohamed V de Rabat
Sommaire
I. La crise ou l’éternel retour du concret : ...................................................................................... 2
II. La triplicité de la monnaie :...................................................................................................... 3
a. La dimension symbolique :......................................................................................................... 3
b. La dimension socio-politique : ................................................................................................... 4
c. La dimension économique : ....................................................................................................... 4
d. Se réapproprier la monnaie dans sa totalité : ............................................................................ 5
III. Repenser le rôle de Bank-Al-Maghrib : .................................................................................. 5
a. Une neutralité monétaire aux antipodes des impératifs de l’économie marocaine : ............... 5
b. Ne pas être plus libéraux que les libéraux : .............................................................................. 6
IV. Proposition de réforme de notre politique monétaire : .......................................................... 7
a. Redéfinir et élargir les objectifs de notre politique monétaire :................................................ 7
b. Création d’un « parlement économique » : ............................................................................... 8
c. Composition du « parlement économique » : ............................................................................ 8
d. Missions et prérogatives du « parlement économique » : ......................................................... 9
V. Conclusion :.................................................................................................................................. 10
1
I. La crise ou l’éternel retour du concret :
Cette proposition de réforme institutionnelle de la monnaie a été, disons le d’emblée,
rédigée dans l’urgence, bien que son contenu soit le produit de plusieurs années de réflexion
et de lutte intellectuelle sur le terrain des idées. Plus exactement depuis 2012, avec la
publication de mon premier article sur la question1 dans les pages de l’hebdomadaire
économique « La Vie Eco », et depuis 2016 jusqu’à aujourd’hui sur les ondes de « Luxe
Radio » où j’officie en tant que chroniqueur.
L’urgence de cette rédaction a été dictée par les circonstances exceptionnelles que vit
notre pays en ce moment du fait entre autres de la pandémie du Covid-19. Car l’heure est
grave, et le Maroc aura à vivre dans les mois, et peut-être les années à venir, une crise
économique sans commune mesure avec celle de 1983. D’autant plus qu’elle aura lieu dans
un contexte de crise économique mondiale.
Les conséquences économiques de cette pandémie et de sa gestion sanitaire
(confinement) seront nombreuses :
Pression de plus en plus accrue sur les réserves de changes (activités touristiques
réduites à zéro, baisse inévitables des IDE en raison de la récession économique
qui ne manquera pas de s’installer en Europe et aux Etats-Unis, réduction des
transferts des MRE pour les mêmes raisons, baisse du volume des exportations
attendue en raison du ralentissement du commerce international, récession
économique …).
…
Cependant, imputer ces difficultés uniquement à la crise sanitaire relève purement et
simplement de l’escroquerie intellectuelle. Car le Covid-19 n’est ni plus ni moins qu’une
variable exogène, dont le mérite certes tragique, fut de rendre manifeste ce qui jusque là était
larvé. Car les maux sont profonds, puisque trois décennies de pseudo-libéralisation de
l’économie marocaine n’ont pas manqué de semer les germes de plusieurs fragilités
structurelles. Une libéralisation de façade, dont l’ultime finalité fut de cacher un système
proto-capitaliste de rente, de connivence, de réseautage et de clientélisme, sur fond
d’effondrement éducatif, d’une compétitivité économique moribonde, d’un retard
technologique et surtout d’un vide idéologique dont la conséquence immédiate est un
athéisme politique quasi-généralisé.
1
https://www.lavieeco.com/chroniques/faut-il-reviser-le-statut-de-bank-al-maghrib-21933/
2
Une réalité qui a été occultée pendant plusieurs années par une apparente prospérité,
qui loin de profiter à tous, a contribué à mystifier une part considérable de notre intelligentsia
qui dans ce contexte de vide idéologique, a été presque totalement acquise à la doxa libérale.
Une doxa dont l’implantation au Maroc remonte au début des années 1990 avec le
tristement célèbre P.A.S (Plan d’Ajustement Structurel). Ce plan fut l’occasion de greffer un
paradigme, une grille de lecture et surtout un discours libéral (voire ordo-libéral) sur une
réalité qui ne s’y prête pas. La formule du FMI, résumée dans le « Consensus de Washington
» est quasiment partout la même : Privatisations, indépendance de la Banque Centrale et
perte de notre souveraineté monétaire, libéralisation du crédit, libre-échange, fin de la
compensation, austérité économique, libéralisation du taux de change,… Plus tard, des
concepts creux comme celui de la « bonne gouvernance » vinrent occulter la mise en place
d’un Etat « austéritaire » qui ne dit pas son nom, par la liquidité du politique. Un ensemble de
réformes douloureuses dont le résultat fut la mise en place d’une juxtaposition de deux
paradigmes antinomiques : un discours formellement libéral de modernisation, et une réalité
articulée autour de la rente, du clientélisme et de l’opportunisme. L’empire du profit à la
sauce marocaine a façonné une réalité où pour reprendre Michel Clouscard « tout est permis
mais rien n’est possible ».
La devise du Maroc pour cette période pourrait ainsi être : « Il faut que tout change
pour que rien ne change ».
Aujourd’hui, nous faisons face à l’éternel retour du concret. Soit nous changeons
souverainement de paradigme, soit d’autres le feront pour nous comme en 1983. Soit nous
retrouvons notre souveraineté monétaire, soit nous sacrifierons notre économie sur l’autel de
l’orthodoxie monétaire.
Par conséquent, cette proposition de réforme du cadre de notre politique monétaire et
du statut de Bank-Al-Maghrib, s’inscrit dans la perspective plus large du développement d’un
modèle économique souverain et volontariste. Cependant, la temporalité de rédaction de la
dite proposition, fait que bon nombre d’aspects méritent un plus ample développement et
pourraient faire l’objet d’un débat plus large, puisqu’il est ici question d’un objet
éminemment politique : la monnaie.
Plan symbolique.
Plan Politique.
Plan économique.
a. La dimension symbolique :
Dans le cadre du commerce international, la monnaie porte le nom de devise, car elle
est le support des attributs de souveraineté d’un Etat. Dans sa forme fiduciaire, un billet ou
une pièce métallique indique la devise du pays. « Dieu, la Patrie, le Roi » pour le Maroc, « In
God we trust » pour les Etats-Unis, et « Liberté, Egalité, Fratérnité » à une certaine époque
pour le franc français. Elle affiche également l’effigie du dépositaire de la souveraineté (le
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Roi, le Président, …) et/ou celui de ses prédécesseurs, rappelant ainsi la continuité et la
légitimité historique de l’Etat. Elle comporte souvent un monument architectural (historique
ou non), qui renvoie au génie populaire et à la dimension édificatrice et civilisatrice de l’Etat.
Elle vient ainsi rappeler en tant qu’icône politique, que « battre monnaie » est le fait
du souverain. Cette dimension symbolique, souvent occultée par la nature de plus en plus en
dématérialisée de la monnaie, n’en demeure pas moins réelle et effective, et doit par
conséquent constituer un élément incontournable de toute réflexion sur la politique monétaire
d’un Etat.
b. La dimension socio-politique :
La monnaie est fondamentalement une institution politique portée par une « croyance
collective » formalisée par un contrat, tacitement adoubé par tous les citoyens et explicitement
garantie par l’Etat.
Autrement dit, le billet de 100 DH ne peut valoir 100 DH que parce qu’on y croit
collectivement. Il suffit pour un peuple de cesser d’y croire, et la valeur de sa monnaie fond
comme neige au soleil. Les exemples historiques sont aussi nombreux que dramatiques.
La dématérialisation de la monnaie par un double mouvement historique, celui de la
fin de l’étalon-or (démonétisation de l’or) et de la bancarisation massive (prédominance de la
monnaie scripturale), a fait que le support de la valeur monétaire a pris fondamentalement la
forme d’une croyance collective. Sa valeur n’est plus garantie par une contrepartie en or ou en
argent, mais par l’adhésion populaire et la garantie de l’Etat. Son ancrage n’est plus
métallique mais exclusivement politique.
Il en résulte que le peuple, en déléguant l’expression de sa souveraineté à ses
représentants, est donc pleinement en droit d’exiger un contrôle direct et indirect sur tous les
aspects de la souveraineté, dont la monnaie est un élément central.
Cependant, bien que le pouvoir d’achat de la monnaie soit tributaire de l’évolution des
prix (inflation, offre et demande, évolution de masse monétaire,…), toutes ses altérations
exogènes ne sont rendues possible que par l’existence au préalable d’un support politique,
autrement dit la monnaie.
Elle a une dimension sociale dans la mesure où la capacité d’un Etat à financer les
services sociaux et à soutenir le développement de la nation est conditionnée par sa capacité a
la drainer (impôts, taxes, …) et/ou à la créer.
c. La dimension économique :
L’aspect économique n’est que la forme d’expression opérationnelle et instrumentale
de la monnaie.
Elle est un instrument d’échange, un support de pouvoir d’achat, un étalon de mesure,
un instrument de validation, de hiérarchisation et d’expression des richesses créées, et une
reconnaissance de dette puisque la création monétaire dans le monde contemporain se fait
principalement par la création de crédits à travers un jeu de double écriture comptable au
niveau du bilan de la banque commercial émettrice du crédit. Cette création n’étant
naturellement pas illimité, elle est encadrée et limitée par la Banque Centrale à travers un
certain nombre de contraintes et de canaux (effet de levier, taux directeur, réserves
obligatoires, …).
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d. Se réapproprier la monnaie dans sa totalité :
Il est nécessaire de comprendre que ces trois dimensions (symbolique, socio-politique,
économique) ne s’excluent pas mais doivent coïncident, et qu’une monnaie à qui manquerait
l’une de ces trois dimensions serait nécessairement une monnaie bancale et à terme
dysfonctionnelle.
Quand la monnaie échappe au contrôle citoyen à travers ses représentants (pouvoir
législatif et exécutif), elle peut constituer un frein au développement économique et social de
la nation, au profit des marchés financiers qui en finançant la dette publique, phagocyte sa
souveraineté de l’Etat et réduisent ses marges de manœuvre. De même, quand elle est
intégralement soumise sans cadre et sans contrôle à la dimension partisane du politique, elle
peut saper les fondements politiques (perte de confiance et de légitimité de l’Etat,…) et
économiques (inflation, …) de l’Etat. Ainsi, repenser la monnaie dans sa dimension intégrale
est indispensable en vue de développer des mécanismes de financement monétaire qui, tout en
extirpant l’Etat de la mainmise et de l’influence des marchés financiers, le préserve des abus
et dérives d’une création monétaire hors contrôle.
III. Repenser le rôle de Bank-Al-Maghrib :
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gouvernement dont il est question dans l’article 6, est conditionnée par l’objectif principal de
BAM qu’est la stabilité des prix. C’est ce que BAM qualifie avec euphémisme de « cohérence
de la politique macro-prudentielle ». Autrement dit, si la mise en place d’une politique
d’investissement public s’inscrivant dans une perspective de développement d’un secteur
industriel, ou de financement d’une politique de relance ou encore de financement de grands
projets d’infrastructure, devait se traduire par une augmentation contingente et temporaire de
l’inflation, la Banque Centrale ne pourra aucunement l’accompagner par une politique
monétaire accommodante (abaissement du taux directeur,…).
Nous pouvons également lire au début du premier alinéa de l’article 69 du même
statut :
La facilité de caisse est limitée à cinq pour cent (5%) des recettes fiscales réalisées
au cours de l’année budgétaire écoulée. »
Il en résulte que pour financer ses investissements par un creusement du déficit, et
donc par de la dette publique, l’Etat ne pourra recourir qu’aux marchés financiers nationaux et
internationaux moyennant des intérêts dont le taux est largement supérieur à celui de
l’inflation.
Elle a pour mission de cibler trois objectifs majeurs comme stipulé par le Federal
Reserve Act :
- Recherche du plein emploi
- La stabilité des prix
- Des taux d’intérêt à long terme peu élevés.
Quant à la Banque Centrale Européenne (BCE), bien que mettant l’accent sur la stabilité des
prix, elle se voit fixée pour mission comme clairement spécifié sur le site officiel2 de la BCE :
Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux
politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la
réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur
l’Union européenne.
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https://www.ecb.europa.eu/ecb/tasks/html/index.fr.html
6
L’UE poursuit de nombreux objectifs (article 3 du traité sur l’Union européenne),
au nombre desquels figure le développement durable de l’Europe fondé sur une
croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix et une économie
sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès
social.
Il en va de même selon différentes modalités pour la Banque du Japon et la Banque
d’Angleterre. Toutes ces banques centrales n’ont pas hésiter à recourir à toutes ces
prérogatives notamment en mettant en place des politiques d’assouplissement quantitatif (QE
aux Etats-Unis, LTRO en Europe, …). Rappelons que contrairement au Maroc, la FED a la
possiblité d’acheter des bons du Trésor américains afin de soutenir les efforts du
gouvernement, comme elle n’a pas hésité à le faire durant la crise de 2008, en mettent en
place des opérations mensuelles d’achat massif de bons de Trésor US. En mars 2020, pour
faire face à la crise économique actuelle, la FED a annoncée la mise en place d’un programme
d’achat d’actifs de 700 milliards de dollars dont 500 milliards sur les bons du trésor.
Pour récapituler et revenir à notre problématique, il est utile ici de rappeler que la FED
et la BOE (la Banque d’Angleterre) ont la possibilité et le droit d’acheter directement, c'est-à-
dire sur le marché primaire, des bons du Trésor, ce qui constitue un moyen de financement
direct de l’Etat par sa Banque Centrale. Tout cela sans que ce mode de financement ne donne
lieu à une hyperinflation, argument qui revient systèmatiquement dès que nous osons affirmer
que ce financement direct est possible, et même dans certains contextes indispensables.
Quant à la BCE dont la vision est façonnée par le paradigme ordo-libéral allemand,
elle a le droit et la possibilité d’acheter des bons du Trésor des différents Etats membres de
l’UE sur le marché secondaire.
Quant à nous au Maroc, je me contenterais de citer à nouveau l’alinéa 1 de l’article 69
du statut de BAM en vous laissant libre d’apprécier la différence :
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reformulé comme suit : « L’objectif de la Banque est d’apporter son soutien au
développement économique du pays, aux investissements productifs de l’Etat, et de
maintenir la stabilité des prix sur le long terme ».
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qualité des publications scientifiques dans le domaine du développement économique,
expérience auprès d’institutions internationales,…).
Les membres de cette structure auront un mandat de 6 ans, renouvelable une fois.
De même, et pour consacrer une souveraineté nationale qui, bien qu’étant une et
indivisible, pourra prendre une forme d’expression bicéphale, le Wali de BAM devra
être choisi et nommé par le Roi sur proposition du « parlement économique », et
confirmé par vote par le parlement, qui aura la possibilité de le convoquer afin
d’exiger des éclaircissements concernant la politique monétaire, et de le révoquer
d’un commun accord avec le Roi à la demande de l’une de ces deux institutions.
Cette structure devra jouir d’une légitimité constitutionnelle, et donnant lieu par
conséquent à un amendement de la constitution.
Cette architecture exprime un mécanisme qui englobe la pluralité dimensionnelle de la
monnaie évoquée précédemment (Symbolique, politique, socio-économique) à travers ce que
nous qualifierons de « carré monétaire » :
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Juger de la pertinence des besoins de financement exprimés par l’exécutif auprès de la
Banque Centrale. Ne pourront être autorisés que les financements à finalités
productives (infrastructures, industrialisation, développement des capacités
productives des secteurs jugés stratégiques, …), s’inscrivant dans le cadre du modèle
de développement économiques adopté par la Nation. Des critères strictes et rigoureux
devront être établies par voix législatives afin d’évaluer la pertinence de la demande
de financement des politiques publiques par BAM.
Concernant les taux directeurs, ces derniers pourront être changés à la baisse comme à
la hausse, sur proposition du Wali de BAM ou du parlement économique. Dans l’un
ou l’autre cas, cette décision devra obtenir un vote à la majorité des deux tiers au
niveau du « parlement économique ».
Possibilités accrues pour l’Etat de mettre en place une vraie politique sociale (réforme
de l’éducation, de la santé, salaires indexés sur l’inflation, augmentation du SMIG,
…).
V. Conclusion :
Il est dans l’ordre naturel des choses que la monnaie soit au service de l’économie et non
l’inverse. Cette proposition de réforme vise en plus de répondre à l’urgence immédiate d’une
crise systémique, à re-souverainiser la monnaie en vue d’en faire un instrument au service
d’un Etat providence qu’il s’agit de construire, et d’un Etat stratège qu’il s’agit de libérer des
marchés financiers. Car le paradigme actuel fait que, étant confronté à une double pince, celle
d’une dette publique en continuelle croissance d’un coté, et une politique monétaire limité à la
stabilité des prix de l’autre, l’Etat marocain ne peut que prendre de plus en plus la forme d’un
Etat « austéritaire », en sacrifiant le social sur l’autel de la monnaie. Une monnaie qui au lieu
de soutenir et libérer l’économie, l’enferme dans le carcan d’une orthodoxie monétaire en
totale inadéquation avec la réalité objective du Maroc.
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En cherchant à ramener la « monnaie » dans le giron de la souveraineté populaire, cette
proposition entend s’inscrire dans ce qui pourrait devenir un modèle de développement
économique souverain, solidaire et ambitieux. Le passage du paradigme étroit de la
« politique économique » à celui de « l’économie politique », ne pourra se faire que par un
saut qualitatif : « la re-souverainisation de la monnaie ».
Ainsi, soit nous sauvons le Maroc de l’effondrement économique, soit nous sauvons
l’orthodoxie monétaire.
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