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Biodiversité et savoirs
traditionnels : comment
les protéger ?
Claudio Chiarolla, Renaud Lapeyre (Iddri)
FONDATION D’ENTREPRISE HERMÈS Compte rendu de la conférence internationale organisée à Paris le 7 juin 2013 par la Fonda-
tion d’entreprise Hermès et l’Iddri, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France.
C
ette conférence, co-organisée par l’Iddri et la Fondation
d’entreprise Hermès, en collaboration avec la Bibliothèque
nationale de France, s’est tenue le vendredi 7 juin 2013
à Paris. Suivant une approche pluridisciplinaire, cette
conférence devait examiner les efforts visant à protéger
le patrimoine bioculturel et les connaissances traditionnelles se rap-
portant à la biodiversité. Elle avait ainsi pour objectif de fournir une
évaluation critique des outils juridiques et économiques pouvant être
utilisés afin d’améliorer la contribution potentielle de la diversité bio-
culturelle et des savoirs traditionnels aux moyens de subsistance des
communautés locales et à la conservation de la biodiversité.
Après des mots de bienvenue de Bruno Racine, président de la
Bibliothèque nationale de France, et de Catherine Tsekenis, direc-
trice de la Fondation d’entreprise Hermès (FEH), Claudio Chiarolla,
chercheur à l’Iddri, introduit les thèmes de la conférence. Dans le
contexte d’une spécialisation croissante des systèmes de production,
la diversité bioculturelle est menacée. Depuis 1992, avec l’adoption de
la Convention sur la diversité biologique (CDB), les progrès sont mal-
gré tout notables en droit international sur les outils de protection du
patrimoine bioculturel. En 2007, le Protocole de Nagoya à la CDB a
établi dans des termes juridiquement contraignants la nécessité pour
les États de reconnaître les droits des communautés autochtones et
locales (CAL) à leurs ressources génétiques et aux connaissances tra-
ditionnelles associées. Bien que d’une portée relativement faible, le
Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée Protocole a néanmoins insufflé un nouvel élan aux négociations sur
par l’Agence nationale de la recherche au titre du la protection des ressources génétiques, des connaissances tradition-
programme « Investissements d’avenir » portant nelles et du folklore, dans d’autres enceintes, au rang desquelles l’Or-
la référence ANR-10-LABX-01. ganisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Mais cette
évolution normative aura-t-elle un impact positif sur la gouvernance
au niveau local ?
Premier intervenant, Pierre du Plessis, du Centre for Research
Information Action in Africa – Southern African Development and
Consulting (CRIAA-SA-DC, Namibie), souligne l’importance capitale
de la protection des connaissances traditionnelles pour la conserva-
tion de la biodiversité. Bien que les connaissances traditionnelles aient
été largement documentées et qu’il existe de nombreuses banques de
gènes disponibles, la biodiversité ainsi que les savoirs traditionnels
restent des processus dynamiques qu’il faut continuer à protéger.
www.iddri.org
autochtones et leur fournir un soutien scientifique des savoirs traditionnels, par exemple au Maroc.
et technique pour la gestion durable des ressources. Hélène Ibert montre ainsi que les droits de pro-
Il faut enfin maintenir la fierté des détenteurs de priété sont le fruit d’arrangements sociaux anciens
ces savoirs traditionnels car elle est essentielle à et dynamiques. Plus qu’un instrument de marché,
leur motivation à conserver la biodiversité. l’indication géographique est une action collective
au niveau local pour défendre un lien au territoire
LES OUTILS JURIDIQUES DE PROTECTION et des manières de vivre. Au niveau international,
DU PATRIMOINE BIOCULTUREL ET DES l’indication géographique est pourtant probléma-
CONNAISSANCES TRADITIONNELLES tique. Alors que les pays méga-divers2 tentent, dans
le cadre de la CDB, de défendre les indications
Lors de la première session présidée par Sébas- géographiques comme un instrument de protec-
tien Treyer, directeur des programmes à l’Iddri, tion de leurs savoirs traditionnels, d’autres accords
sont discutés les outils juridiques disponibles pour font entrer ces outils juridiques dans le champ
la protection des connaissances traditionnelles des échanges commerciaux et attisent les rivali-
et des patrimoines bioculturels et leur capacité tés économiques entre les États-Unis et l’Union
à contribuer à la conservation de la biodiversité. européenne. Au total, de nombreuses appellations
Graham Dutfield, professeur de droit à l’univer- d’origine contrôlées (AOC), historiques mais de
sité de Leeds (Royaume-Uni), présente un certain faible portée, ne peuvent être protégées par une
nombre d’outils relatifs à la propriété intellec- loi (par exemple l’arganier marocain).
tuelle qui pourraient protéger les droits des CAL. Dans ce contexte, Brendan Tobin, chercheur à
Tout d’abord, les marques déposées (trademarks) la Griffith Law School (Australie), explique qu’il
peuvent protéger tout signe qui distingue les biens est essentiel de reconnaitre les connaissances tra-
et services d’un individu, d’une entreprise ou d’un ditionnelles et les droits coutumiers des peuples
groupe par rapport à d’autres. Détenu par une autochtones dans le cadre des débats sur l’inno-
entreprise (marque déposée individuelle), un vation et la propriété intellectuelle, en particu-
groupement (marque déposée collective) ou une lier les brevets et les indications géographiques.
entité séparée (certification), ce droit, exclusif et Deux logiques s’opposent ici. D’un côté, les droits
aliénable, permet de protéger les intérêts des pro- de propriété, même associés à des connaissances
ducteurs et de fournir une information essentielle faisant partie du domaine public, sont exclusifs
pour les consommateurs. De leur côté, les indica- et peuvent être opposés aux peuples autoch-
tions géographiques sont un autre outil juridique tones ; ainsi ces derniers se trouvent-ils parfois
de propriété intellectuelle qui relie un terroir, une dépossédés de leurs propres savoirs traditionnels.
localité ou une région à un produit qui en porte le De l’autre, les peuples autochtones élaborent
nom et présente des distinctions notables du fait des espaces fluides de partage des droits et des
de son origine géographique. Récemment, une connaissances. Certes, des licences conjointes
proposition alternative est apparue : un système entreprise-peuple autochtone sont parfois
d’« indication du patrimoine bioculturel » pour les signées, mais les rapports et les capacités tech-
innovations associées au patrimoine bioculturel, niques et financières restent très déséquilibrés.
valorisant les valeurs culturelles et spirituelles et Face à ce défi, le Protocole de Nagoya réaffirme
le droit coutumier des CAL et reconnaissant leur les obligations contraignantes de reconnaître les
rôle dans la promotion de la biodiversité. Cet outil droits coutumiers et d’obtenir des accords pré-
reste cependant à définir et à opérationnaliser1. alables avec les populations locales. Mais leur
Précisant la réalité sur le terrain de tels instru- application se heurte à des difficultés : la Com-
ments, Hélène Ilbert, agro-économiste à l’Insti- mission européenne a par exemple préparé un
tut agronomique méditerranéen de Montpellier texte pour l’application du Protocole de Nagoya
(CIHEAM-IAMM, France), présente les principaux au sein des pays de l’Union qui ne reconnaît que
enjeux et résultats du projet MicroMegas, projet les connaissances traditionnelles qui sont définies
lauréat en 2012 de l’appel conjoint FEH-Iddri. Au dans des contrats et régies par la législation dans
travers de recherches-action, de formations desti- le pays d’origine ; or, ces deux conditions n’étant
nées aux femmes, mais aussi grâce à la pratique que rarement remplies, ce texte reste peu favo-
du conte, le projet vise à restituer des trajectoires rable aux peuples autochtones.
contribuant à la protection et à la valorisation