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simple : voir ce que fait IBM, ce qui rapporte et, ensuite, aller Gerstner a d'ailleurs été choisi pour sa connaissance du métier
rencontrer les clients. C’est grâce à cette approche qu’il a créé de CEO et son expérience passée et réussie dans des grandes
IBM Global Services. Cette stratégie résulte d’un réflexe de entreprises américaines. Jamais un constructeur automobile ne
manager, pas de technicien ! Citons un autre exemple : l’un confierait le développement d’un nouveau véhicule à quelqu’un
des gourous américains des systèmes d’information, Fred qui ne connaît pas la technique ! Donc le DSI doit connaître la
Lamond, a étudié les entreprises ayant acquis un avantage technique, pas nécessairement au point de savoir programmer,
compétitif se basant sur les technologies les plus innovantes. mais avec des connaissances suffisantes en matière de workflow,
Qu’a-t-il observé ? Il n’a recensé aucun cas d’entreprise de SOA, de Web 2.0, de développement rapide, d’organisation
qui ait obtenu un avantage compétitif en se basant sur les des équipes et de pilotage des sous-traitants… Combien de DSI
technologies les plus récentes. Il explique même que celles-ci ne savent même plus où sont leurs programmes, ou pensent
sont des anti-innovations. Pourquoi ? Parce que, en misant sur qu’il faut encore un big-bang pour faire évoluer les systèmes
les technologies très innovantes qui viennent de sortir, cela d’information ? Tout le monde sait, par expérience, qu’il ne
coûte d’abord cher, ne marche pas très bien, et il est difficile de faut pas s’engager dans cette voie. Un DSI qui ne connaît pas le
trouver des compétences. Surtout, les entreprises vont passer maniement des technologies éprouvera des difficultés…
l’essentiel du temps à régler le « comment » alors que ce qui
est différenciateur, sont le « quoi » et le « pourquoi ». Fred Christophe Legrenzi « Les DSI sont de plus en plus des
Lamond démontre qu'en réalité, ce n’est pas tant la technologie agents du changement. »
nouvelle qui est à la base d’avantages compétitifs, mais bel et Reprenons l’exemple de Google : ses architectures et ses infras-
bien une nouvelle idée, synonyme de valeur ajoutée et qui se tructures restent quand même très basiques. Avec des équipe-
base sur des technologies déjà éprouvées. Pour cette raison, il ments fiables et peu coûteux, Google a une logique industrielle,
faut être prudent en termes de veille technologique : la veille certainement pas une logique d’innovation technologique. La
métier est beaucoup plus importante que la veille technologique. vraie innovation de Google est une innovation d’usage : propo-
Ce qui compte aujourd’hui, c’est réinventer les modèles plutôt ser un service à une audience et la transformer en dollars. Dans
que de maîtriser les nouvelles technos. la même logique, eBay aussi est remarquable, mais les techno-
logies sont celles que n’importe quel DSI maîtrise. Aujourd’hui,
Philippe Tassin « Jamais un constructeur automobile ne ce sont les nouveaux services et les « fédérateurs information-
confierait le développement d’un nouveau véhicule à quelqu’un nels » comme YouTube, Picasa, Facebook, Viadeo, LinkedIn,
qui ne connaît pas la technique ! » etc., qui représentent une vraie valeur. La vraie question est la
Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Les exemples cités suivante : un DSI doit-il passer de 50 % à 80 % de son temps à
par Christophe Legrenzi sont anciens. Regardez Google : son maîtriser le « comment » ou à montrer quels sont les nouveaux
activité repose sur une nouvelle technologie et l’avantage com- usages possibles et les nouveaux business models ? C’est un travail
pétitif est évident ! C’est vrai, le DSI ne doit pas se jeter sur tout de management et de vision, mais pas de technologue. Les DSI
ce qui sort, mais il doit savoir comment adopter une nouvelle sont de moins en moins des bâtisseurs et des technologues mais
technologie. Et savoir prendre des paris. L’exemple d’IBM est de plus en plus des agents du changement qui doivent mon-
intéressant, mais je parle d’un DSI qui n’est pas PDG. Louis trer une perspective d’avenir, pas simplement intégrer des outils
non différenciateurs. Un ERP n’a jamais été différenciateur pour Un chirurgien est avant tout un expert. Un directeur d’hôpital est
une entreprise, cela n’apporte pas de nouveaux business models. un manager. Un chirurgien ne fait pas forcément un bon directeur
d’hôpital, et vice-versa. La DSI a besoin d’un manager à sa tête
Philippe Tassin « Connaitre les interfaces Windows ne et d’experts sur lesquels elle va s’appuyer. Dans le bâtiment,
fait pas un DSI. » quand je choisis un maître d’œuvre pour construire un ouvrage,
Tout dépend de ce que l’on appelle un technologue. Connaître je ne recherche pas en premier lieu sa compétence technique,
les interfaces Windows ne fait pas un DSI : la technologie est mais bel et bien sa capacité de gérer un projet. D’ailleurs, je
indissociable des usages, nous sommes d’accord sur ce point. ne lui demande jamais quelles sont ses connaissances et quel
Mais l’usage est quand même lié à une manière d’utiliser la est son cursus professionnel. était-il peintre, maçon, architecte,
technologie et de la mettre en œuvre. Et cela ne s’invente pas ! Je ingénieur béton, etc. Mais plutôt combien de projets a-t-il
ne connais pas une seule entreprise qui puisse se vanter d’avoir menés ? Ses succès, ses échecs ainsi que les raisons… C’est
nommé un directeur financier qui ne connaisse pas les techni- aussi cela qu’il faudrait demander à son chirurgien ! Plus
ques de la finance ! généralement, il n’existe pas de formation pour être DSI, sauf
pour la partie strictement informatique. Mais l’enjeu n’est plus sur
4/ Une question de formation la technologie. Pour l’entreprise, l’enjeu est le suivant : comment
gérer les connaissances et les modes de travail ? Il existe des
Christophe Legrenzi « On ne confie jamais une autre gisements de productivité énormes entre les outils qui ont été
fonction au DSI qui vient de la filière informatique. » plaqués plus ou moins artificiellement dans les organisations et
Une étude portant sur le monde hospitalier a montré qu’entre les utilisateurs qui ont été plus ou moins bien formés. Je suis
un DSI qui vient de la technique et un autre qui vient de la convaincu que les entreprises ont besoin de DSI capables de
gestion, ce dernier a, dans un cas sur deux, une autre fonction montrer les nouvelles façons de travailler. Or, dans les grandes
dans son périmètre de responsabilités, comme par exemple le écoles, celles qui fourniront les plus gros bataillons de dirigeants
contrôle de gestion ou la logistique. L’étude indique clairement en France, à l’instar de Polytechnique et de l’ENA, on n’explique
qu’on ne confie jamais une autre fonction au DSI qui vient de toujours pas aux étudiants ce qu’est un système d’information
la filière informatique. Il est grave et préoccupant de constater et comment le manager.
que les directions générales voient d’abord les DSI comme des
techniciens et non comme des managers. Le DSI doit être un manager non seulement du changement mais
aussi de la complexité. Ayons le courage de le dire : la fonction
Philippe Tassin « Un bon DSI est celui qui n’est plus de DSI est la plus complexe à gérer de l’entreprise. Pour deux
DSI ! » raisons : d’une part, sur le plan des outils et des méthodes, il y
Je ferais un parallèle avec l’expression « un bon Indien est un In- a pas un seul domaine dans lequel autant de nouveautés sortent
dien mort ». Le bon DSI, qui a bien évolué, est celui qui n’est plus sur le marché, avec une durée de vie aussi faible, alors que les
DSI ! On peut bien sûr devenir DSI sans nécessairement avoir dé- industriels raisonnent sur plusieurs années, voire une dizaine
veloppé en Cobol, mais à condition d’avoir la volonté d’apprendre d’années. D’autre part, l’application des outils technologiques
à comprendre la technique. Le mépris pour la technique fait que concerne toute l’entreprise. Le DSI doit par conséquent être
l’on a des DSI généralistes. Mais quand je me fais opérer à l’hôpital, capable de parler avec un DRH, un patron de la recherche,
je choisis un chirurgien, un vrai, et pas un chirurgien manager ! un patron de production ou un DAF, en étant pertinent et en
comprenant son métier. Je ne connais pas d’autres professions à
Christophe Legrenzi « La DSI est la fonction la plus com qui l’on demande toutes ces compétences. Conclusion : le DSI
plexe à gérer de l’entreprise. » doit non seulement avoir une sensibilité technique, mais il devient
Je crois qu’il est dangereux de confondre expertise et management. le premier manager de l’entreprise, au sens où c’est celui qui doit
le mieux maîtriser les dernières méthodes de management et de l’ère industrielle sont fondamentalement différentes en termes de
gestion. Sinon il n’a aucune chance d’appréhender la complexité management mais aussi de concepts organisationnels. Dans l’ère
de son entreprise. industrielle, un modèle de management particulier a émergé : la
mono-responsabilité, où un domaine est associé à un responsable.
5/ Le positionnement du DSI Toute la hiérarchie des organigrammes des entreprises est basée
sur ce principe. Avec les systèmes d’information, nous sommes
Philippe Tassin « Beaucoup de DSI ont perdu tout pouvoir .» dans une logique de copropriété. La vraie question est de savoir
Mais le DSI a-t-il vraiment la possibilité de se positionner de qui est le propriétaire des solutions transversales. Je plaide pour
cette façon ? Certains DSI maîtrisent des méthodes comme Six une maîtrise d’ouvrage globale de l’entreprise pour les solutions
Sigma, mais ils ne viennent pas de la technique. Le DSI moyen systèmes d’information : le seul légitime, c’est le DG, mais il
ne connaît pas Six Sigma. Que devient la fonction de DSI si n’a pas le temps. Alors, le mieux placé est le DSI. Qui ne doit
l’entreprise n’investit que dans des progiciels et que tout est d’ailleurs plus être qualifié de DSI mais de DG délégué aux SI.
externalisé ? S’il ne s’occupe pas de la mise en place, de l’orga- C’est cohérent et légitime.
nisation, de l’optimisation des processus, de la promotion de
l’innovation, son poste se rétrécit inévitablement. C’est le cas Philippe Tassin « La fonction de DSI n'est pas position
aujourd’hui : beaucoup de DSI s’entourent d’équipes de taille née pour être un tremplin. »
réduite et ont perdu tout pouvoir. L’avenir du métier de DSI Le DSI sera-t-il légitime ? Pour quelqu’un qui a la stature, l’intel-
est à un élargissement progressif de la fonction, à l’étude des ligence, la volonté et l’ambition, cela ne pose aucun problème.
usages, de l’organisation... Une fois qu’une application est mise Mais, pour l’heure, la plupart des DSI n’ont pas ces qualités.
en œuvre, si on ne s’occupe pas de la formation, de l’organisation Interrogez un DSI brillant : en moins de cinq minutes, il vous
et des processus, cela ne fonctionnera jamais ! Si le DSI n’en a affirmera que son poste n’est qu’une fonction transitoire et que
pas la responsabilité, sa fonction disparaît. Aujourd’hui, c’est dans trois ans, il ne sera plus DSI. En réalité, la fonction de DSI
un exécutant de second ordre : s’il continue à rester dans cette n’est pas positionnée pour être un tremplin. Simplement parce
position, la fonction aura disparu dans dix ans en tant que telle, que l’on y nomme pas des managers qui ont un potentiel suffisant.
pour devenir une composante des moyens généraux. Résultat : ils se nécrosent dans leur fonction.
rement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’un modèle franco- pour créer leur entreprise, à l’image de Michael Bloomberg ou
français. Dans tous les pays, il y a toujours un « sponsor » pour de Maurice Lévy. Si ces derniers ont aujourd’hui cette aura dans
les projets systèmes d’information. En revanche, ce qui est spé- leurs métiers, n’est-ce pas en partie parce qu’ils sont passés par
cifique à notre pays, c’est cette dichotomie absurde entre ceux la case DSI ? Même s’ils n’osent plus avouer qu’ils ont été DSI…
qui pensent, les seigneurs, et les soutiers, ceux qui réalisent et Enfin, la troisième catégorie est celle des DSI qui restent dans
à qui l’on donne des spécifications, à charge pour eux de réali- leur entreprise et qui sont porteurs du changement. Le risque,
ser sans poser de questions, avec le budget attribué et le délai pour eux, est de faire peur à leurs directions générales et que
imparti ! Problème : on ne peut plus aujourd’hui élaborer des celles-ci leur « coupe la tête » car ils sont potentiellement dan-
spécifications sans une collaboration étroite entre les utilisateurs, gereux pour les pouvoirs et les « baronnies » en place. Mais
les responsables du projet et les développeurs. Dans ce contexte, dans les « sociétés du troisième type », qui ont su acquérir un
le modèle MOA-MOE ne fonctionne plus. réel avantage compétitif, le DSI fait partie des trois managers
les plus importants de l’organisation.
Christophe Legrenzi « Le DSI fait partie des managers les
plus importants de l’organisation. »
C’est effectivement l’application du modèle MOA-MOE qui pose 7/ De l’analphabétisme technologique des
problème. Il faut tordre le cou à la notion de projet informati- directions générales
que pour privilégier le projet d’entreprise, seul différenciateur.
Cantonner les informaticiens à des projets informatiques n’a Philippe Tassin « Jamais un DG n’a passé une demi-heure
aucun sens. Un projet a un manager, quelle que soit son origine. avec moi pour discuter d’informatique. »
L’entreprise a-t-elle compris ce dont elle a besoin en matière de
compétences ? J’ai les plus gros doutes, il n’y a pas de conscience J’ai siégé à de nombreux comités de direction de grandes en-
collective, même si la communication et le lobbying des associa- trprises. Jamais l’informatique n’y est traitée comme un sujet
tions de DSI ont des effets positifs. On observe un retournement de fond, ce qui montre la grande difficulté de l’osmose en-
de tendance, notamment dans le monde anglo-saxon, avec des tre la DSI, les directions générale et les métiers. Il ne suffit
DSI qui se retrouvent de plus en plus sous la coupe des DAF donc pas de faire partie du comité de direction : il faut que la
et qui siègent de moins en moins aux comités de direction, ce culture d’entreprise permette au DSI d’évoluer vers des pro-
qui va dans le sens du scénario décrit par Philippe Tassin. Pour blématiques plus larges que sa fonction et vers des relations
ma part, je discerne trois voies d’évolution pour les DSI, en de confiance avec les directions métiers. J’ai l’expérience des
fonction de leur positionnement actuel. Je ne vois pas les DSI situations de crise, où l’entreprise est même au bord de la
technologues faire carrière dans leur entreprise mais plutôt chez faillite : jamais un DG n’a passé, a posteriori, une demi-heure
les fournisseurs, qui ont besoin de managers connaissant bien le avec moi pour discuter d’informatique. L'informatique n'inté-
monde de l’entreprise. Pour les DSI innovants, qui identifient les resse pas les DG. Ils n’ont pas pris la mesure des enjeux. C’est
nouveaux business models, le conseil est de sortir de la fonction très grave. Heureusement, cela va changer avec d’autres géné-
rations qui comprendront mieux que la génération actuelle.