Sie sind auf Seite 1von 4

Raison présente

Conditions de l'objectivité scientifique


Georges Canguilhem

Citer ce document / Cite this document :

Canguilhem Georges. Conditions de l'objectivité scientifique. In: Raison présente, n°55, 2e trimestre 1980. Raisons rationalités
rationalismes. pp. 81-83;

doi : https://doi.org/10.3406/raipr.1980.2086

https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1980_num_55_1_2086

Fichier pdf généré le 15/03/2019


CONDITIONS DE L'OBJECTIVITÉ SCIENTIFIQUE

Georges Canguilhem

Mis à part quelques griefs de M. Vigier à l'égard de l'épistémologie


que je ne partage pas — et je dirai tout à l'heure pourquoi — , je
me ce
ici sens
soir.
d'accord avec la plupart des propositions qui ont été avancées

l'historicité
Le problème,
du savoir.
c'est l'objectivité scientifique dans ses rapports avec

Il est tout à fait clair, aujourd'hui, que l'objectivité scientifique ne


peut pas être déterminée, a priori, par la philosophie. Il y a peu de
philosophes au courant du travail proprement critique qu'une science
opère sur elle-même, qui ne l'accorderaient.
L'objectivité est donc, dans un domaine scientifique donné, définie
progressivement dans ses conditions effectives, définie progressivement
par la science elle-même. Dire de ces conditions d'objectivité — qu'elles
soient théoriques, expérimentales, et d'ailleurs inséparablement théori¬
ques et expérimentales, — dire qu'elles sont définies progressivement,
c'est donc reconnaître à la science une historicité qui la constitue en
tant que science. Une science qui n'a pas d'histoire, c'est-à-dire une
science dans laquelle il n'y a pas récusation de certaines conditions
d'objectivité, à un moment donné, et substitution de conditions d'objec¬
tivitéscience.
une plus objectivement
Le propre des
définies,
faussesune
sciences
discipline
est qu'elles
ainsi conçue
n'ont pas
n'estd'his¬
pas

toire, qu'elles
fisant et du moment
ne peuvent
qu'elles
pas n'ont
prétendre
pas d'histoire,
à l'objectivité.
cela est le signe suf¬

Comment se constitue une objectivité dans le moment? M. Vigier


l'a dit, de la manière la plus rigoureuse, elle se constitue par un système
de concepts
en relation en
d'interception,
relation avec c'est-à-dire
une expérience
que instituée.
l'histoireCesdeconcepts
l'un d'eux,
sont

l'histoire d'un concept ne peut pas être une histoire mélodique, mais
une histoire qui suppose le rapport avec ce système dans lequel les
concepts qui s'interceptent trouvent et se donnent réciproquement leur
sens.

Par exemple, prenons le concept d'espèce qui a dominé pendant


des siècles
sens par lui-même,
et des siècles,
s'il n'estl'histoire
pas prisnaturelle.
en rapportCe avec
concept
les individus,
n'a pas deet

81

6
d'autre part, avec celui de ces groupes d'êtres répartis en tableaux
qui essaient de représenter, d'exhiber une sorte d'échelle continue des
êtres.

Le jour où on récusera ce concept d'espèce, c'est-à-dire, le jour où


la biologie deviendra la science des individus, ce jour-là, une nouvelle
biologie naîtra, c'est celle de Darwin, et le jour où le concept d'individu
lui-même sera récusé, ce qui apparaîtra constitutif de l'organisme, c'est
une
où Mendel
certaine et
combinaison
le mendélisme
de caractères
retrouvé indépendants,
définissent la c'est-à-dire
structure dele jour
l'in¬

dividu par une sorte de formule mathématique transmissible. A ce


moment alors, de nouveau, mais par conjonction avec le darwinisme,
la biologie moderne se trouve fondée une seconde fois.
Par conséquent, on ne peut pas faire l'histoire d'un certain nombre
de conceptions, disons pré-biologiques, en laissant de côté le moment
où la biologie se constitue comme science. Tout ce qui est pré-biolo¬
gique et dans lequel nous trouvons un certain nombre de concepts sur
l'hérédité, l'hybridation, les monstruosités, les changements possibles
de formes, tout cela, c'est précisément cette période d'une discipline qui
ne mérite pas encore le nom de science. Par conséquent, le jour où
quelqu'un introduit dans l'histoire des sciences, cette idée que ce qui
compte, ce sont des cohérences ou des ensembles (je reprends les ter¬
mes par lesquels le doyen Roger a minoré, si je puis dire, pour le dé¬
samorcer, le concept de structure), le jour où l'on explique qu'il n'est
pas possible de faire l'histoire d'un concept dans une période déterminée,
sans tenir compte de cet ensemble d'intersections qui constituent une
façon commune et collective de penser, tout change. On a rendu possible
non seulement une histoire des sciences qui ne suppose pas que la
science se trouve constituée de toujours, mais on a rendu possible la
conception d'une histoire des sciences qui, parce qu'elle peut montrer
quelles mutations se sont opérées du fait de la substitution de ces cohé¬
rences ou de ces ensembles, permet de justifier une certaine science,
la science actuelle à partir de laquelle l'autre est jugée, permet de la
constituer comme science objective. Donc il n'y a pas, a priori, d'in¬
certaine
compatibilité
visionentre
de cohérences
l'introduction,
ou dedans
structures
l'histoire
dansdes
la mentalité
sciences, scien¬
d'une

tifique d'une époque, et la reconnaissance de l'objectivité du savoir à


un moment historique donné.
Ainsi l'histoire est constituée sous la norme, sinon sous l'impératif
d'une méthode que personnellement je répugne à appeler structuralis¬
me, pour la bonne raison que « structuralisme », cela ne signifie rien.
Le concept de structure a un sens précis, comme l'a dit très bien M.
Vigier,
d'une structure
à certainsdeniveaux.
la macromolécule
On peut parler
des d'une
acidesstructure
aminés, mathématique,
mais il n'est

pas possible de parler d'un structuralisme qui serait un amalgame de


structures. C'est un concept de journaliste, mais ce n'est pas un con-

82
cept
a affaire,
de savant
c'est àqui,
deslui,
structures,
sait très mais
bien, qu'il
sur son
définit
terrain,
d'une que
manière
ce à donnée
quoi il

en mathématiques, en biologie, en linguistique, etc. Par conséquent,


le structuralisme est peut-être une mode, mais je me permets de dire
que l'introduction du concept de structure dans une discipline ne doit
pas
le rationalisme.
être considérée comme une sorte de péché contre la raison et contre

Je prendrai un exemple précis. J'ai pris celui de l'espèce, après tout,


j'aurais dû le laisser à M. Roger qui en a fait l'histoire pour le xvne et
le xviii® siècles, et je prendrai un exemple pour permettre à M. Vigier
deété
a metrès
reprendre.
difficile deC'est
définir,
celui,
au début
par exemple,
du xvne du
siècle,
courant
l'électricité
électrique.
commeIl
un courant. Alors, la constitution progressive de ce concept suppose
précisément toute une histoire dont on ne peut pas nier l'historicité. La
question est de savoir s'il n'y a pas eu une certaine attitude de la physi¬
que en général, qui tendait à considérer tous les êtres de la nature
comme des fluides. Question dont on peut se demander, aujourd'hui,
ce qu'elle est devenue dans la physique moderne, c'est-à-dire dans une
physique où le concept d'information se trouve prédominant. Donc,
on ne peut pas faire l'histoire d'une science comme la physique, à la
recherche de son objectivité spécifique, en supposant qu'en somme, il
ne s'est rien passé. Il s'est passé quelque chose au sens historique du
terme, c'est-à-dire qu'il y a des formes de pensée dépassées. Ces formes
de pensée
unes avec dépassées
les autres à? une
Y a-t-il
certaine
une époque,
cohérence
sont-elles
interne en
de rapport
toutes ces
les
cohérences ?
C'est un sujet qui vaut la peine d'être examiné. Je pense finalement
que l'introduction d'un point de vue que l'on nomme indûment « struc¬
turalisme », dans l'histoire des sciences, n'interdit pas de concevoir la
spécificité propre de l'objectivité de la science. Je dirais volontiers
qu'elle est la seule façon de la fonder à un moment donné.

83

Das könnte Ihnen auch gefallen