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Les 100 Portes du Proche-Orient:

1997 se présente, pour le Proche-Orient, comme une année décisive. Annoncé comme
imminent depuis plusieurs semaines, l'arrangement israélo-palestinien sur Hébron suffira-t-il à
sauver les accords d'Oslo ? Les fragiles acquis de la normalisation entre l'Etat juif et ses voisins
arabes seront-ils préservés ? La pax americana subira-t-elle, du Kurdistan au Golfe, de nouveaux
assauts ? Pour vous aider à vous y retrouver dans cette actualité, nous avons décidé de mettre en
ligne Les 100 Portes du Proche-Orient. Publié pour la première fois par Alain Gresh et
Dominique Vidal en 1986, ce livre vient d'être actualisé pour la quatrième fois aux Editions de
l'Atelier. Avec l'accord de l'éditeur et des auteurs, il se trouve ainsi à la libre disposition des
internautes fidèles au site du Monde diplomatique. Cette édition a été réalisée en septembre 1996.
Les textes seront régulièrement revus (la date de mise à jour sera alors indiquée).
AVANT-PROPOS SOMMAIRE
Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier. Réalisation : Philippe Rivière.

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IRAN

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Alain Gresh - Dominique Vidal


Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

AVANT-PROPOS
" Tournant " : voilà un de ces termes dont raffolent les médias, désireux de résumer d'un
mot une réalité complexe. Encore faut-il, s'agissant d'histoire, en user à bon escient. Seuls des
événements transformant durablement le paysage national, régional ou international méritent
cette caractérisation - ainsi la Révolution française, l'indépendance de l'Algérie ou la chute du
mur de Berlin. Au Proche-Orient, la création de l'État d'Israël, en mai 1948, marqua assurément
un tournant ; la prise du pouvoir, en Égypte, par les " Officiers libres ", en juin 1952, également -
encore qu'on ne s'en rendit compte que plus tard ; de même la défaite arabe dans la guerre des Six
Jours, en juin 1967. Il est sans doute trop tôt pour dire si la poignée de main entre Itzhak Rabin et
Yasser Arafat, le 13 septembre 1993, marque une étape décisive dans l'histoire des relations
israélo-arabes. Il aura en tout cas suffi de quelques mois au nouveau Premier ministre d'Israël,
Benyamin Netanyahou, pour remettre en cause les fragiles acquis du processus de paix et
provoquer une explosion de violence sans précédent depuis l'intifada... La guerre du Golfe a
assurément rebattu les cartes dans la région. Elle a, entre autres conséquences, mis sur les rails de
ce qu'on a appelé le " processus de paix " entre Israël et ses voisins arabes, en premier lieu les
Palestiniens. Rompant avec la ligne suivie depuis près d'un demi-siècle, l'État juif dût reconnaître
l'OLP, conclure avec elle un accord d'autonomie pour Gaza et la Cisjordanie, retirer ses troupes
des principales villes des Territoires occupés, transférer une partie de ses pouvoirs à une Autorité
élue au suffrage universel, etc. Paradoxalement, ces avancées se sont produites dans un rapport
de force plus défavorable que jamais au mouvement national palestinien et, plus généralement,
arabe - on pourrait même dire grâce à lui : par-delà les pressions de la Maison Blanche, ce qui a
décidé les dirigeants israéliens, c'est sans aucun doute la certitude de la supériorité écrasante,
économique, technologique et militaire de leur pays. D'emblée, la paix était piégée, même si l'on
n'en prit conscience qu'au fur et à mesure des reculades de Yasser Arafat face à un Itzhak Rabin
intransigeant. Le résultat, c'est l'accord dit Oslo II : l'Autorité palestinienne ne contrôle
pleinement, outre les deux tiers de Gaza, que 3 % du territoire de la Cisjordanie et gère une
économie totalement dépendante d'Israël, comme l'illustrera tragiquement le " bouclage " à
répétition des enclaves autonomes. Sans parler du report à 1999 de toute décision sur les
questions clés : colonies juives - le nombre de colons est passé en Cisjordanie, entre 1992 et
1996, sous le règne travailliste, de 105 000 à 145 000 -, réfugiés, statut définitif de la Cisjordanie
et de Gaza ainsi que de Jérusalem... C'est d'ailleurs aux limites de l'accord que le dirigeant du
Likoud dût de l'emporter au printemps 1996. Quatre ans plus tôt, le général Rabin avait passé un
contrat avec l'électorat : payez le prix - minimum - de la paix avec les Palestiniens, promettait-il
en substance, et vous aurez en échange la sécurité et la prospérité. Il n'en a rien été. Humiliée
politiquement et asphyxiée économiquement, l'Autorité palestinienne ne put empêcher les
islamistes radicaux de relancer leurs opérations armées. Dans une opinion israélienne troublée, la
droite la plus extrême redevint agressive - Itzhak Rabin est tombé sous ses balles. Et son
successeur, Shimon Peres, se suicida politiquement, le 5 janvier 1996, en donnant le feu vert à
l'assassinat du terroriste Yehia Ayache : il offrit ainsi à la direction extérieure du mouvement
Hamas le prétexte d'une vague d'attentats qui allaient, avec l'intervention au Liban, compromettre
les chances des travaillistes. D'autant que, si les perspectives de paix ont effectivement dopé la
croissance (+ 6 % par an, en moyenne, depuis 1990) d'une économie israélienne saisie par la
fièvre des nouvelles technologies, seule une mince couche de la population en a recueilli les
fruits... Porté par les peurs et les frustrations de la majorité des Israéliens, le nouveau Premier
ministre israélien pourra-t-il renverser le cours de l'histoire ? Là encore, parler de tournant serait
pour le moins prématuré. Fils du plus proche collaborateur de Zeev Jabotinsky, Américain autant
qu'Israélien, Benyamin Netanyahou a grandi dans le sérail du sionisme extrémiste. Le "
révisionnisme " se conjugue, chez lui, avec l'ultra-libéralisme. Il s'appuie sur les faucons
historiques du Likoud (Ariel Sharon en tête), les ultra-orthodoxes orientaux de Shas et l'extrême
droite laïque de Tsomet. Ses premiers mois au pouvoir ont confirmé qu'il entendait bloquer les
négociations avec l'Autorité palestinienne comme avec la Syrie, tout en relançant la colonisation
sur le terrain... Pourtant, aussi décidé qu'il puisse être, le Premier ministre doit compter avec les
conséquences envisageables, intérieures et extérieures, d'une détérioration rapide des relations
israélo-arabes. Si le désespoir des Palestiniens débouche sur un nouveau cycle de violence, à
l'instar des événements de la fin septembre 1996, l'électorat israélien demandera des comptes à
celui qui lui a promis la paix dans la sécurité. Comme il lui reproche d'ores et déjà amèrement
l'austérité mise en oeuvre : accélération des privatisations, coupes franches dans les budgets des
services publics et les programmes sociaux, démantèlement des acquis sociaux. Les gens, dans
leur grande majorité, s'indignent de voir accorder généreusement aux colons les budgets qui font
cruellement défaut à la vie quotidienne en Israël. De surcroît, si l'affrontement avec les
Palestiniens compromettait la normalisation en cours avec les pays arabes, Benyamin
Netanyahou devrait aussi s'expliquer avec cette nouvelle bourgeoisie avide de capitaux étrangers
et de marchés proche-orientaux - car l'afflux des uns et la pénétration des autres passe par la
stabilité régionale. Stabilité : c'est aussi le but de l'administration américaine. William Jefferson
Clinton passe, à juste titre, pour le président américain le plus favorable à l'État juif depuis 1948.
Quant au lobby pro-israélien, même s'il a perdu de son influence, il pèse d'un poids non
négligeable dans les décisions du Congrès. Toutefois, comme toujours, seuls comptent, en
dernière instance, les " intérêts vitaux " de l'Amérique. Après la disparition de l'URSS comme
acteur majeur sur la scène proche-orientale, les États-Unis, devenus superpuissance unique,
réaffirmèrent magistralement leur leadership, mondial et régional, à l'occasion de la guerre du
Golfe. Washington a travaillé depuis à en confirmer les acquis - c'est, vue d'outre-Atlantique, la
principale vertu de l'autonomie palestinienne. Pas question de laisser qui que ce soit menacer
l'ordre américain, ni Saddam Hussein, ni Hachémi Rafsandjani, ni... Benyamin Netanyahou. Une
nouvelle intifada - quelles qu'en soient les formes, nécessairement renouvelées - pourrait
déclencher des réactions en chaîne. L'embrasement des Terrioires occupés, fin septembre 1996, a
donné la mesure du danger. Et la révolte jordanienne contre le doublement du prix du pain, les
attentats en Arabie Saoudite ainsi que les troubles persistants à Bahreïn le rappellent : les régimes
arabes sont fragiles... Nous voici ainsi au coeur de notre problématique : si rien n'est irréversible
au Proche-Orient, c'est que la région subit un désordre chronique, structurel. La mondialisation,
c'est-à-dire l'adaptation forcée de toutes les économies à la loi des marchés financiers, bouscule
les sociétés. A constater les dégâts que ces changements occasionnent dans les sociétés
relativement solides d'Europe occidentale, on imagine sans mal les ravages qu'ils produisent
celles, fragiles, du Proche-Orient. Or tout concourt à les affaiblir plus encore. L'économie, car
leur croissance n'est pas suffisante pour les arracher au sous-développement - même dans le
Golfe, où le miracle pétrolier appartient au passé. Le social : généralisée à toute la région,
l'infitah (ouverture économique) a engendré la coexistence explosive d'une minorité
scandaleusement riche et d'une immense majorité s'enfonçant dans la misère. Idéologiquement,
l'échec du modèle libéral vient s'ajouter à celui, antérieur, du modèle néo-socialiste (nassérien ou
baasiste) pour ériger l'islam en seul recours. D'autant que, politiquement, l'autoritarisme de
régimes à bout de souffle exclut tout débat démocratique - ils préfèrent opposer la répression,
souvent sanglante, à un intégrisme qu'à terme ils renforcent ainsi. Pétrifiés : l'adjectif n'a rien
d'excessif pour qualifier des pouvoirs aussi immobiles - Saddam Hussein dirige seul l'Irak depuis
1979, Hafez Al Assad la Syrie, depuis 1970, Mouammar Kadhafi la Libye, depuis 1969, le roi
Hussein la Jordanie depuis 1953, le prince Sultan est ministre de la Défense d'Arabie Saoudite
depuis 1962... Le Moyen-Orient est la seule zone du monde où, malgré la chute du mur de
Berlin, les mêmes régimes se maintiennent aux affaires depuis les années 60, alors que la
majorité de la population a moins de vingt ans. À ces facteurs de déstabilisation s'ajoute la
question nationale et confessionnelle. De l'Empire ottoman puis des mandats occidentaux, le
Proche-Orient a hérité un extraordinaire imbroglio de peuples et de sectes. La rivalité entre
sunnisme et chiisme, leur rapport avec les religions minoritaires marquent toujours la région. À
l'exception de l'Égypte, aucun État ne correspond exactement à une nation historiquement
formée, aucune frontière n'a de légitimité incontestable. De plus, une rivalité permanente pour le
leadership régional oppose Riyad, Le Caire, Bagdad, et Damas. La violation persistante du droit
à l'autodétermination des peuples kurde et palestinien constitue une bombe à retardement - et si le
monde arabe s'accorde à abandonner les premiers à leur triste sort, il ne peut ignorer le deuxième.
Plus : l'avenir de la Palestine reste, dans les opinions publiques du Machrek et, à un moindre
degré, du Maghreb, une cause où se joue une partie de l'identité arabe. Il s'agit donc là d'une
question centrale. Autrement dit, si son règlement ne suffit pas à surmonter tous les problèmes de
la région, elle représente la condition sine qua non de leur solution. Brosser ainsi, à grands traits,
un tableau du paysage proche-oriental suffit à expliquer pourquoi le grand public, confronté à
une actualité qui fait si souvent la " une ", s'interroge sur des événements qu'il comprend mal. La
démarche qui nous guidait, voici dix ans, en concevant Les Cent Portes du Proche-Orient, a donc
gardé toute sa nécessité. L'accueil que presse et lecteurs réservèrent à ce livre - en 1986, comme
lors de la parution des éditions actualisées (1989 et 1992) et des éditions étrangères - a renforcé
notre conviction d'alors : le besoin de " points de repères " qui " n'ont pas pour vocation de
dissimuler la complexité du réel proche-oriental, mais d'aider à l'appréhender, en donnant les
moyens de sa compréhension ". D'où la conception de l'ouvrage : à travers les dates, les chiffres,
les noms, les faits et les textes, fournir le maximum d'informations de tous ordres dans le
minimum de place ; être accessible sans dénaturer pour autant la réalité ; offrir une vision
globale, mais en respectant les dimensions spécifiques ; mettre en rapport le présent et le passé,
en s'ancrant dans l'actualité tout en évitant l'éphémère. C'est pourquoi nous avons voulu, avec les
Éditions de l'Atelier, proposer ici une quatrième édition des Cent Portes. Pour actualiser
largement les " mots " qui le méritent à la lumière des événements survenus entre 1992 et 1996.
Pour compléter, grâce à Alexandre Darmon et Philippe Rekacewicz, l'appareil cartographique.
Pour ajouter de nouveaux documents en annexe, notamment la Déclaration de principes sur les
arrangements intérimaires d'autonomie du 13 septembre 1993. Pour prendre en compte les
remarques, critiques et les suggestions formulées par les recensions du livre ou par ses lecteurs.
Pour tenir compte des modifications des dernières années, avec l'introduction de treize nouvelles
entrées : " Autorité palestinienne ", " Deir Yassine ", " Expulsion ", " Frères musulmans ", "
Hamas ", " Hariri (Rafik) ", " Négociations finales " " Oslo (accords d') ", " Peres (Shimon) ", "
Rabin (Itzhak) ", " Russie ", " Sanctions " " Union européenne ". Sur le fond, la démarche qui
nous inspirait n'a pas changé : désenchevêtrer l'enchevêtrement proche-oriental, décoder ses
codes, démythifier les mythes. Comment ? Avant tout en faisant appel à l'ensemble des niveaux
d'analyse. Le national, le régional et l'international. L'économique, le social, le politique,
l'idéologique, le religieux, le stratégique, le militaire. Le minoritaire, l'ethnique et le
confessionnel. Le géographique et l'historique. L'historique, par-dessus tout : car le présent, au
Moyen-Orient plus sans doute qu'en aucune autre partie du monde, ne se comprend pas sans le
passé. Carrefour de trois continents, charnière entre le Nord et le Sud autant qu'entre l'Est et
l'Ouest, lieu de passage de tant de migrations, berceau de l'écriture et de quelques-unes des plus
prestigieuses civilisations, coeur battant des trois grandes religions monothéistes, c'est une région
dont chaque arpent de terre, chaque pierre, chaque visage aussi portent en eux des millénaires de
création - et de destruction - humaine. Les ignorer, c'est se priver de toute possibilité
d'intelligence de la réalité présente. C'est aussi pourquoi nous avons opté pour un ouvrage à
entrées multiples, afin que le lecteur puisse trouver, le plus simplement, son chemin :
chronologie des principaux événements survenus au Moyen-Orient depuis la Seconde Guerre
mondiale ; puis dictionnaire proprement dit, comportant cent quinze mots classés par ordre
alphabétique ; annexes, ensuite, reproduisant les principaux textes consacrés au conflit israélo-
arabe, de la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 à l'Arrangement sur le Sud-Liban du 27
avril 1996 ; index de tous les noms de personnes citées dans le livre ; biblio- graphie par thèmes
et pays ; enfin sites intéressants sur la Toile (le World Wide Web). Concluant notre préface, en
1986, nous formulions le souhait que le lecteur, spécialiste comme néophyte, constate, dans Les
Cent Portes, " un effort pour dépasser, non bien sûr les sensibilités qui sont les nôtres et dont
nous ne faisons pas mystère, mais les a priori et les passions souvent étalées dès lors qu'il s'agit
du conflit israélo-arabe ". À la sortie du livre, parmi les observations qui nous ont le plus
touchés, figure assurément la reconnaissance de cet effort. Nous l'avons poursuivi dans cette
quatrième édition. Pour des raisons de principe. Et parce que l'espoir de paix suscité, malgré les
dangers qui les menacent, n'a pas de meilleur aliment que la tolérance et la connaissance
réciproques. Comme le chante ce vers de Paul Éluard, qui nous sert d'exergue : Nous avons
accepté autrui Comme autrui nous a acceptés Nous avions besoin l'un de l'autre. Et maintenant,
c'est à vous d'ouvrir les portes !
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés

BRÈVE CHRONOLOGIE (1947-1996)


1947 * 29 novembre : L'Assemblée générale de l'ONU adopte, à la majorité des deux
tiers, le plan de partage de la Palestine (voir annexe). * 9-10 avril : Massacre du village
palestinien de Deir Yassine par les troupes de l'Irgoun. * 14 mai : Proclamation de la naissance
de l'État d'Israël. Les États arabes ont refusé le plan de partage et leurs armées pénètrent le 15 en
Palestine. * 1948-1949 : Guerre de Palestine, qui se termine par la victoire de l'État hébreu.
Armistices signés entre Israël et ses différents voisins arabes. 1949 * 11 mai : L'État d'Israël
devient membre de l'ONU. 1950 * 24 avril : Annexion de la Cisjordanie par la Transjordanie.
L'Égypte assure son contrôle sur Gaza. * Mai : Déclaration tripartite anglo-franco-américaine
sur le Proche-Orient. 1951 * 20 juillet : Assassinat du roi Abdallah de Jordanie. * Octobre :
Israël refuse le plan de paix de l'ONU, accepté par l'Égypte, la Syrie, le Liban et la Jordanie.
1952 * 23 juillet : Prise du pouvoir en Égypte par les " Officiers libres ". Deux ans plus tard,
Nasser devient le chef incontesté au Caire. 1955 * Février : Signature du pacte de Bagdad (le
24). Attaque israélienne contre Gaza (28 février). * Avril : La conférence de Bandoeng, qui
marque la naissance des Non alignés, soutient les " droits du peuple palestinien ". 1956 * Mars
: La pression nationaliste amène en Jordanie au renvoi du général britannique Glubb Pacha. *
26 juillet : Nationalisation du canal de Suez par Nasser. * Octobre-novembre : Agression
d'Israël, de la France et de la Grande-Bretagne contre l'Égypte. 1957 * Janvier : Présentation
de la " doctrine Eisenhower ". 1958 * 1er février : Union de l'Égypte et de la Syrie au sein de la
République arabe unie (RAU). * 14 juillet : Chute de la monarchie irakienne, suivie
d'interventions " préventives " (britannique à Amman, américaine à Beyrouth). 1959 * Octobre
: Premier congrès du Fath, créé au Koweït. 1961 * 29 septembre : Sécession de la Syrie d'avec
l'Égypte dans la RAU. 1962 * Septembre : Révolution au Yémen du Nord. 1963 * Mars : Un
coup d'État militaire porte le Baas au pouvoir à Damas. * Juin : Levy Eshkol succède à David
Ben Gourion à la tête du gouvernement israélien. 1964 * Janvier : Présentation du plan
Bourguiba pour la paix en Palestine. * 13-17 janvier : Premier sommet des chefs d'État arabes
au Caire. * 29 mai : Création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). 1965 *
1er janvier : Première action militaire du Fath contre Israël. 1967 * 5 juin : Israël attaque
l'Égypte, la Syrie et la Jordanie. À la suite d'une guerre éclair de six jours, occupation israélienne
du Sinaï, du Golan, de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem-Est. Dès l'été, leur colonisation
commence. * 22 novembre : Le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la résolution 242 (voir
annexe). 1968 * 21 mars : Bataille de Karameh, en Jordanie, entre les troupes israéliennes et
les Palestiniens. * 10-17 juillet : Réunion du quatrième Conseil national palestinien de l'OLP.
Modifications de la Charte nationale. * Juillet : Le Baas prend le pouvoir à Bagdad. 1969 *
1er-4 février : Cinquième Conseil national palestinien. Yasser Arafat devient président du
Comité exécutif de l'OLP. * 25 mai : Nemeiry prend le pouvoir à Khartoum. * 1er-8
septembre : Kadhafi prend le pouvoir à Tripoli. * Novembre : Accords du Caire entre le
gouvernement libanais et l'OLP à la suite de nombreux incidents au Liban. 1970 * Février :
Graves affrontements entre l'OLP et le gouvernement jordanien. * 30 mai-4 juin : Septième
Conseil national palestinien qui fixe l'objectif d'une " Palestine démocratique ". * Juillet :
Acceptation par Nasser et le roi Hussein de Jordanie du plan américain Rogers, qui prévoit
l'application de la résolution 242. * Septembre : Affrontements entre l'OLP et l'armée
jordanienne. Septembre noir. * 28 septembre : Mort de Nasser. * 16 novembre : Hafez Al
Assad s'empare du pouvoir à Damas. 1970-1971 * Expulsion de l'OLP de Jordanie. La
direction de la Résistance palestinienne s'installe au Liban. 1972 * 5-6 septembre : Massacre
des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich par un commando de l'organisation
palestinienne Septembre noir. 1973 * Avril : Opération israélienne à Beyrouth et assassinat de
trois importants dirigeants de l'OLP. Grandes manifestations de solidarité avec la Résistance
palestinienne au Liban. * Août : Constitution du Front national palestinien dans les Territoires
occupés. * 6 octobre : Offensive des troupes égyptiennes et syriennes contre Israël. Début de la
guerre d'Octobre, dite aussi guerre de Kippour. * 22 octobre : Adoption de la résolution 338 du
Conseil de sécurité. Les combats cessent quelques jours plus tard. * 26-28 novembre : Sommet
arabe d'Alger. L'OLP est reconnue comme " seul représentant du peuple palestinien ". La
Jordanie s'abstient sur cette résolution. 1974 * 1er-9 juin : Douzième Conseil national
palestinien. L'OLP accepte l'idée d'une autorité nationale sur " toute partie libérée de la Palestine
". Quelques semaines plus tard se crée le Front du refus. * 26-29 octobre : Sommet arabe de
Rabat. La Jordanie se rallie au point de vue majoritaire et reconnaît l'OLP (voir annexe). * 13
novembre : Discours de Yasser Arafat à l'ONU. L'ONU reconnaît le droit des Palestiniens à
l'indépendance et l'autodétermination. L'OLP obtient le statut d'observateur. 1975 * Avril :
Début de la guerre civile libanaise. 1976 * Janvier : Premières ingérences appuyées de la Syrie
au Liban. * 30 mars : Journée de la Terre en Galilée, avec de puissantes manifestations
violemment réprimées (six morts). * 13 avril : Élections municipales en Cisjordanie occupée.
Large victoire des candidats proches de l'OLP. * Juin : Intervention massive des troupes
syriennes au Liban contre l'OLP et le Mouvement national libanais. * 12 août : Reddition du
camp palestinien de Tal al Zaatar (Liban) après cinquante-sept jours de siège. * 6 septembre :
L'OLP est admise comme membre à part entière de la Ligue arabe. 1977 * 12-20 mars :
Treizième Conseil national palestinien de l'OLP au Caire. Acceptation de l'idée d'un État
palestinien indépendant édifié sur une partie de la Palestine. * 3-4 mai : Première rencontre
officielle entre l'OLP et le PC israélien à Prague. * 17 mai : La droite gagne pour la première
fois les élections en Israël. Son leader, Menahem Begin, devient Premier ministre. * 29 juin :
Le Sommet européen reconnaît à Londres la " nécessité d'une patrie pour le peuple palestinien ".
* 1er octobre : Déclaration américano-soviétique sur la paix au Proche-Orient ; elle bénéficie de
l'appui de l'OLP. * 19-21 novembre : Voyage du président égyptien Anouar Al Sadate à
Jérusalem. * 1er-5 décembre : Création à Tripoli du " Front de la fermeté " regroupant la Libye,
l'Algérie, la Syrie, le Yémen du Sud et l'OLP. 1978 * 14 mars : Israël envahit le Sud-Liban. *
17 septembre : Signature des accords de Camp David entre l'Égypte, Israël et les États-Unis (voir
annexe). * 5 novembre : Fin du sommet arabe de Bagdad qui condamne les accords de Camp
David. 1979 * 1er février : Retour de l'ayatollah Khomeyni à Téhéran. * 26 mars : Signature
du traité de paix entre l'Égypte et Israël à Washington. * 6 juillet : Rencontre entre Arafat, le
chancelier allemand Brandt et le chancelier autrichien Kreisky à Vienne. 1980 * 2 juin :
Attentats contre trois maires palestiniens ; ceux de Naplouse et Ramallah sont grièvement
blessés. * 30 juillet : Le Parlement israélien vote une loi fondamentale proclamant Jérusalem "
réunifiée " capitale d'Israël. * Septembre : Début du conflit irako-iranien. 1981 * Juin :
Attaque israélienne contre le réacteur nucléaire Osirak à Tamouz, en Irak. * Juillet : Guerre
israélo-palestinienne à la frontière libanaise. Bombardements israéliens de Beyrouth. * 7 août :
Plan de paix proposé par l'émir Fahd, prince héritier d'Arabie Saoudite. * 6 octobre : Assassinat
du président Sadate. * 25 novembre : Échec du sommet arabe de Fès, qui est suspendu sine die.
* 14 décembre : Au lendemain de la déclaration de l'" état de guerre " en Pologne, Israël annexe
le Golan. 1982 * Mars-avril : Insurrection palestinienne dans les Territoires occupés.
Destitution des maires élus. * 25 avril : Fin de l'évacuation du Sinaï par Israël. * 6 juin :
Début de l'invasion israélienne du Liban. Le siège de Beyrouth commence quelques jours plus
tard. * 21 août : L'OLP entame sous la protection de la Force multinationale l'évacuation de
Beyrouth. * 1er septembre : Discours du président américain Reagan présentant son " plan de
paix ". * 9 septembre : Adoption de la résolution finale du sommet arabe de Fès (voir annexe).
* 14-18 septembre : Assassinat du nouveau président libanais Bechir Gemayel. Entrée des
Israéliens à Beyrouth-Ouest. Massacres de Sabra et Chatila. * 15 septembre : Discours de
Leonid Brejnev présentant à Moscou son plan de paix. * 20 septembre : Proposition par le roi
Hussein de Jordanie d'une " Confédération jordano-palestinienne ". * 21 septembre : Élection
d'Amine Gemayel à la présidence du Liban. 1983 * Janvier : Rencontre entre Arafat et les
pacifistes israéliens Avnery et Peled à Tunis. * Février : Seizième Conseil national palestinien à
Alger avec adoption du plan de Fès et des propositions soviétiques. * Avril : Échec des
négociations entre Arafat et le roi Hussein. * 10 avril : Assassinat du Palestinien Issam Sartaoui
au Congrès de l'Internationale socialiste, réuni au Portugal. * 17 mai : Accord de paix libano-
israélien. * 25 mai : Début de la dissidence dans le Fath. * Août-septembre : Relance de la
guerre civile au Liban ; les druzes prennent le contrôle du Chouf. En Israël, Begin démissionne ;
il est remplacé par Itzhak Shamir. * Novembre : Début du siège de Tripoli par les Syriens et
leurs alliés palestiniens " dissidents ". * 24 novembre : Échange de six Israéliens contre près de
1 500 prisonniers palestiniens détenus par l'État juif. * 20 décembre : Dans les bateaux grecs et
sous protection française, départ de Tripoli des 4 000 " loyalistes " et de Yasser Arafat. * 22
décembre : Rencontre entre Arafat et le président égyptien Moubarak. 1984 * Février :
Débâcle d'Amine Gemayel. Démission du gouvernement Wazzan. Prise de Beyrouth-Ouest par
les milices d'Amal. Les combattants du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt
investissent la montagne. Départ de Beyrouth des marines, suivis par les contingents britannique
et italien. * 5 mars : Abrogation de l'accord israélo-libanais du 17 mai 1983 par Amine
Gemayel. * 19 mars : Chute du gouvernement Shamir après un vote de censure. * 27 mars :
Accords de réconciliation d'Aden entre le Fath, le FDLP, le FPLP et le PCP. * 1er avril :
Départ des soldats de la Force multinationale du Liban. * 16 mai : Formation à Beyrouth d'un
gouvernement d'union nationale. * 23 juillet : Élections législatives en Israël, dont les résultats
sont si serrés qu'ils contraignent les deux grands partis à former, après plusieurs semaines de
tractations, un gouvernement d'" union nationale ". * 22-29 novembre : Dix-septième Conseil
national palestinien à Amman, sans le FPLP, le FDLP, le PCP et les pro-Syriens. Yasser Arafat,
réélu président du Comité exécutif, sera reçu une semaine plus tard, à Rome, par le pape. 1985
* Janvier : Opération de transfert des Juifs éthiopiens, les Falachas, en Israël. * 15 janvier :
Annonce d'un retrait " par étapes " des troupes israéliennes du Liban. * 11 février : Adoption à
Amman par le roi Hussein et Yasser Arafat d'une déclaration commune, dite " accord-jordano-
palestinien " (voir annexe). * Printemps : Nouveaux massacres à Sabra et Chatila, et dans les
autres camps palestiniens du Liban, cette fois du fait des miliciens chiites d'Amal. * 6 avril :
Chute de Nemeiry au Soudan. * Juin : Fin du retrait israélien du Liban, à l'exception de la
bande frontalière au sud contrôlée par l'Armée du Liban-Sud du général pro-israélien Lahad. *
1er octobre : Raid de l'aviation israélienne sur le quartier général de l'OLP en Tunisie (70 morts).
* 7 octobre : Détournement du navire italien Achille Lauro (un mort). * 27 et 30 décembre :
Attentats terroristes contre les aéroports de Rome et Vienne. 1986 * 19 février : Les
négociations jordano-palestiniennes ne débouchent pas sur un ralliement de l'OLP à la résolution
242, faute de garanties américaines sur la participation de la Résistance à une conférence
internationale. Le roi Hussein abroge l'accord jordano-palestinien. * 15 avril : Raid américain
sur Tripoli et Benghazi, suivi de sanctions européennes contre la Libye, accusée par Washington
d'organiser le terrorisme anti-occidental. * 29 mai : Au Liban, début d'une nouvelle " guerre des
camps " déclenchée par la milice chiite Amal contre les Palestiniens " loyalistes ". *
Septembre : Vague d'attentats terroristes à Paris. Après le " clan Abdallah ", puis la Syrie, c'est
vers l'Iran que mèneront les pistes des enquêteurs. * 5 octobre : Publication dans le Sunday
Times des révélations de l'ingénieur atomiste israélien Vanunu, selon lequel l'État juif aurait déjà
fabriqué 100 à 200 bombes atomiques. Enlevé et ramené en Israël, il y sera condamné à dix-huit
ans de prison. 1987 * 20-26 février : Retour de l'armée syrienne à Beyrouth-Ouest, dont elle
avait été chassée en 1982. * 4 mars : Le président américain Ronald Reagan reconnaît que les
livraisons secrètes d'armes à l'Iran ont été une " erreur " et promet de mieux collaborer avec le
Congrès. C'est le début du scandale de l'Irangate. * 20-26 avril : Réunification de l'OLP (Fath,
FPLP, FDLP, PCP) lors du dix-huitième Conseil national palestinien, réuni à Alger. * 1er juin :
Le Premier ministre libanais, Rachid Karamé, est tué par l'explosion d'une bombe dans
l'hélicoptère qui le transportait. Selim Hoss lui succède. * 31 juillet : 402 personnes périssent
dans les affrontements entre pèlerins iraniens et police saoudienne à La Mecque. * 8-11
novembre : Sommet arabe à Amman : condamnation de l'Iran et relégation au second rang de la
question palestinienne. * Décembre : Début à Gaza, puis en Cisjordanie, de l'intifada,
soulèvement palestinien dans les Territoires occupés par Israël. 1988 * 9 avril : Recevant à
Moscou Yasser Arafat, Mikhaïl Gorbatchev invite l'OLP à la " reconnaissance de l'État d'Israël
et à la prise en compte de ses intérêts de sécurité ". * 16 avril : Un commando israélien
assassine le Numéro deux de l'OLP, Abou Jihad, à Tunis. * 4 mai : Libération de Marcel
Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann. Tous les otages français sont libres, sauf
Michel Seurat, mort dans les geôles des chiites intégristes de Beyrouth. * 31 juillet : Le roi
Hussein de Jordanie annonce, à la télévision, qu'il rompt " les liens légaux et administratifs " de
son pays avec la Cisjordanie, annexée par son grand-père Abdallah en 1950 et occupée depuis
1967 par Israël. * Août : Cessez-le-feu entre l'Irak et l'Iran, après huit années de guerre. * 1er
novembre : Élections en Israël, marquées par les progrès des partis religieux. Itzhak Shamir reste
Premier ministre d'un gouvernement d'union nationale qui sera formé à la mi-décembre. * 12-
15 novembre : Dix-neuvième session du Conseil national palestinien à Alger : l'OLP proclame
l'État de Palestine, reconnaît les résolutions 181, 242 et 338, et réaffirme sa condamnation du
terrorisme (voir annexe). * 15 décembre : Les États-Unis acceptent d'ouvrir un " dialogue
substantiel " avec l'OLP après que Yasser Arafat a reconnu explicitement le droit à l'existence de
l'État d'Israël et condamné formellement toute espèce de terrorisme. 1989 * 14 mars : Au
Liban, le général Aoun déclare la " guerre de libération contre la Syrie ". * 6 avril : Itzhak
Shamir présente son plan en quatre points - centré sur l'organisation d'élections dans les
Territoires occupés. * 2-4 mai : Visite de Yasser Arafat à Paris, au cours de laquelle le chef de
l'OLP déclare la Charte palestinienne " caduque ". * 1er juin : Mort de Khomeyni. * 30 juin :
Au Soudan, coup d'État militaire du général Omar Hassan Al Bechir, allié aux islamistes. * 1er
au 24 octobre : La réunion des députés libanais à Taëf (Arabie Saoudite) débouche sur un
document d'" entente nationale " prévoyant des réformes constitutionnelles. * 22 novembre : Le
nouveau président libanais, René Moawad, élu le 5 novembre, trouve la mort dans un attentat à la
voiture piégée, à Beyrouth-Ouest. Deux jours plus tard, Élias Hraoui le remplace. 1990 *
Janvier : L'émigration des juifs d'URSS vers Israël connaît une brusque accélération. Le nombre
mensuel d'arrivants ne cessera de croître jusqu'en décembre (34 000), portant le total pour l'année
à près de 200 000. * Février-mars-avril : De violents combats opposent, au Liban, l'armée du
général Aoun à la milice, chrétienne elle aussi, des Forces libanaises, faisant plusieurs milliers de
morts. * 15 mars : Devant le refus d'Itzhak Shamir de répondre positivement aux offres de
négociations américaines, le Parlement israélien censure le gouvernement d'union nationale. Mais
Shamir sera à nouveau investi par le Parlement, le 11 juin, à la tête d'un gouvernement unissant
droite, extrême-droite et religieux orthodoxes. * 1er avril : Dans un discours au
Commandement général des forces armées, le président irakien Saddam Hussein annonce : "
Nous avons l'arme chimique binaire. " Et de menacer : " Nous ferons en sorte que le feu dévore
la moitié d'Israël s'il tente quoi que ce soit contre l'Irak. " * 15 avril : Premier des 29 vols
d'Aeroflot prévus pour transporter un million d'exemplaires du Coran offerts par le roi Fahd
d'Arabie Saoudite aux musulmans soviétiques. * 22 mai : Proclamation de la République du
Yémen, fusion des Républiques du Nord et du Sud, avec Sanaa pour capitale. * 20 juin : Après
la tentative de débarquement d'un commando palestinien en Israël, le président américain George
Bush annonce la suspension du dialogue américano-palestinien. La crise et la guerre du Golfe
* 2 août : Après plusieurs semaines d'escalade contre le Koweït, les forces irakiennes
franchissent à deux heures du matin la frontière de l'émirat, dont elles occupent dans la matinée
la capitale. Le Conseil de sécurité de l'ONU - par sa résolution 660, adoptée par quatorze voix et
une abstention (celle du Yémen) - exige " le retrait immédiat et inconditionnel de toutes les
forces irakiennes ". Au total, d'ici à la fin novembre, le Conseil adoptera - de cette première
condamnation jusqu'à l'autorisation du recours à la force, en passant par le boycottage et
l'embargo - douze résolutions contre l'occupation irakienne et ses conséquences. Les États-Unis
et leurs alliés gèlent immédiatement les avoirs irakiens et koweïtiens en Occident. * 8 août :
Alors que l'Irak annonce l'annexion du Koweït, le président américain George Bush rend
publique la décision, prise dès le dimanche 5, d'envoyer dans la région des milliers de soldats
américains, appuyés par des avions de combat et des blindés. Par augmentations successives, ils
seront finalement plus de 500 000 en Arabie Saoudite - autant qu'au Viêt-nam. * 12 août :
Après la décision de la majorité de la Ligue arabe d'envoyer une force multinationale en Arabie,
Saddam Hussein, pour sortir de son isolement, propose " que tous les problèmes d'occupation,
actuels ou à venir, dans la région tout entière soient réglés sur la même base et selon les mêmes
principes énoncés par le Conseil de sécurité ". * 18 août : L'Irak annonce qu'il " a décidé d'être
l'hôte des ressortissants des nations agressives ". Plus de 10 000 Occidentaux se retrouveront
otages, dont certains seront emmenés sur des sites stratégiques pour y servir de " boucliers
humains ". * 31 août-2 septembre : Échec des entretiens d'Amman entre le secrétaire général de
l'ONU, Javier Perez de Cuellar, et le ministre irakien des Affaires étrangères, Tarek Aziz, malgré
la libération de 700 étrangers retenus en Irak - ces départs au " compte-gouttes " ne cesseront pas
jusqu'à l'annonce de leur libération totale, le 7 décembre. * 9 septembre : À l'issue du sommet
américano-soviétique d'Helsinki, George Bush et Mikhaïl Gorbatchev déclarent : " Nous serons
unis contre l'agression irakienne tant que la crise durera. (...) Si les mesures déjà prises
échouaient, nous sommes prêts à envisager des mesures supplémentaires conformes à la charte
des Nations unies. Nous devons démontrer sans aucun doute possible que l'agression ne peut pas
payer et ne paiera pas. " * 24 septembre : Neuf jours après avoir annoncé l'opération Daguet,
François Mitterrand déclare, dans un discours à l'Assemblée générale des Nations unies : " Que
l'Irak affirme son intention de retirer ses troupes, qu'il libère les otages, et tout devient possible.
" * 30 septembre : L'URSS et Israël décident de rétablir des relations consulaires et d'ouvrir une
ligne aérienne directe. Le consulat d'Israël à Moscou sera effectivement ouvert le 3 janvier 1991.
* 8 octobre : Tuerie des mosquées à Jérusalem (18 morts, 150 blessés). George Bush " déplore "
la fusillade de Jérusalem, mais " ne croit pas que Saddam Hussein réussira à utiliser ce
regrettable incident pour lier les deux questions ". Malgré le refus par Israël de la commission
d'enquête nommée par l'ONU, la délégation américaine aux Nations unies manoeuvrera durant
des semaines pour éviter - sans faire usage de son droit de veto - toute résolution évoquant une
conférence internationale de paix. * 13 octobre : Au Liban, le général Aoun, chassé de son
palais par l'armée syrienne, se réfugie à l'ambassade de France. Deux jours plus tard, le
gouvernement libanais annonce un plan de dissolution des milices qui sera mis en oeuvre tout au
long des mois suivants, pour aboutir fin juillet 1991, avec la reprise en main des Palestiniens du
Sud-Liban. * 29 novembre : Le Conseil de sécurité - par la résolution 678, adoptée à l'unanimité
moins deux voix contre (celles du Yémen et de Cuba) et une abstention (la Chine) - autorise le
recours à la force à partir du 15 janvier 1991 pour contraindre l'Irak à relâcher ses otages et à se
retirer du Koweït. Le lendemain, George Bush lance un appel au " dialogue " avec l'Irak,
proposant que Tarek Aziz vienne à Washington et que James Baker se rende à Bagdad. Saddam
Hussein accepte le 1er décembre. * 29 décembre : De nouveaux affrontements à Gaza portent à
730 le nombre de Palestiniens tués par des balles israéliennes depuis le début de l'intifada, 322
autres ayant été exécutés en tant que " collaborateurs ". 1991 * 9 janvier : Après une longue
polémique sur les dates de leurs rencontres, le secrétaire d'État américain James Baker et Tarek
Aziz se retrouvent à Genève pour huit heures de discussions sans résultat. Il en ira de même, le
14, de la " rencontre de la dernière chance " Perez de Cuellar-Saddam Hussein. * 15 janvier :
Assassinat, à Tunis, du Numéro deux de l'OLP, Abou Iyad, de son conseiller Abou Mohamed Al
Oumari et du responsable à la sécurité Hayel Abdel Hamid. * 17 janvier : Au lendemain de
l'expiration de l'ultimatum fixé par le Conseil de sécurité, vers deux heures du matin, début des
bombardements massifs sur l'Irak et le Koweït occupé. Ils dureront cinq semaines : jusqu'au
lancement de l'offensive terrestre. Le lendemain, les Irakiens ripostent en lançant les premiers
missiles Scud - on comptera au total 18 attaques de Scud sur Israël, qui feront deux morts et 304
blessés. * 24 février : Malgré les plans soviétiques de paix, finalement acceptés par l'Irak les 22
et 23 février, l'ultimatum des États-Unis débouche sur l'offensive terrestre. Dans la nuit, les
forces coalisées pénètrent en Irak et au Koweït. La résistance des troupes irakiennes étant des
plus limitées, les soldats alliés libèrent l'émirat et arrivent jusqu'à Bassora en trois jours. Le 26,
Saddam Hussein annonce à la radio le retrait des troupes irakiennes. Le 27, le drapeau koweïtien
flotte à nouveau sur Koweït-City. * 27 février : Le gouvernement irakien annonce aux Nations
unies qu'il accepte sans condition les douze résolutions de l'ONU. Les derniers combats
s'achèvent dans la nuit du 27 au 28. * 3 mars : Accord provisoire de cessez-le-feu entre les
commandements allié et irakien à Safwan (Irak). * Mars : Soulèvements populaires en Irak,
d'abord au sud (chiites), puis au nord (Kurdes). Le régime de Bagdad en viendra à bout au prix
d'une féroce répression, les Occidentaux s'étant contentés d'interventions humanitaires. * 11
mars : Première visite de James Baker à Jérusalem depuis la guerre. De nombreuses suivront
jusqu'à l'acceptation par Israël, le 2 août 1991, du principe d'une conférence régionale de paix. *
22 mai : Signature du Traité de fraternité et de coopération entre la Syrie et le Liban. * 18
octobre : Après l'accord donné le 3 octobre par le Conseil national palestinien et une dernière
tournée de consultations, James Baker, en compagnie de son homologue soviétique, annonce
depuis Jérusalem la convocation de la conférence de paix pour le 30 octobre à Madrid.
Simultanément, Boris Pankine et David Levy procèdent au rétablissement entre leurs deux pays
des relations diplomatiques, rompues par Moscou en 1967. * 30 octobre : Ouverture de la
Conférence de Madrid par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev, suivie, le 3 novembre, des
premières négociations bilatérales entre Israël et ses voisins arabes, y compris Palestiniens.
Celles-ci se poursuivront, non sans mal, en décembre et février, alors que les négociations
multilatérales s'ouvriront, à Moscou, le 28 janvier 1992, en l'absence des délégués palestiniens,
syriens et libanais. 1992 * Janvier : Reprise des négociations bilatérales et multilatérales sur le
Proche-Orient lancées par la Conférence de Madrid. Le Conseil de sécurité enjoint à la Libye de
coopérer dans les enquêtes sur les attentats terroristes contre le vol de la Pan Am 103 (dit de
Lockerbie) le 21 décembre 1988 et celui d'UTA le 19 septembre 1989. * 24 février : Le
secrétaire d'État américain James Baker lie l'octroi de garanties bancaires pour un prêt de 10
milliards de dollars à Israël à l'arrêt des implantations juives en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza. * 9 mars : Mort de Menahem Begin. Le bilan officiel, publié à Beyrouth, de quinze ans
de guerre civile libanaise fait état de 144 240 morts, 17 415 disparus et 197 506 blessés. * 7
avril : Yasser Arafat sort indemne d'un accident d'avion en Libye. * 15 avril : L'embargo aérien
contre la Libye décrété par le Conseil de sécurité de l'ONU en raison du refus de Tripoli de livrer
les deux auteurs présumés de l'attentat du 21 décembre 1988 contre le Boeing de la Pan Am entre
en vigueur. * 16 mai : Rachid Solh prend la tête du gouvernement libanais. * 19 mai 1992 :
Élections, sous le contrôle des Alliés, au Kurdistan irakien. * 23 juin : Itzhak Rabin et sa
coalition (Parti travailliste et Meretz) remportent les élections législatives israéliennes. * 12
août : George Bush annonce l'octroi de la garantie américaine à l'emprunt israélien de 10
milliards de dollars. * 27 août : Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France imposent à
l'Irak une zone d'exclusion aérienne au sud du 32e parallèle sous couvert de protéger les
populations chiites du sud du pays, réprimées par le régime de Saddam Hussein. En vertu de
cette décision, un F-16 américain abattra un MiG-25 irakien en décembre. * 6 septembre : Fin
des élections législatives libanaises, marquées par une très forte abstention. * 10 septembre :
Itzhak Rabin envisage un " retrait limité " du Golan en échange d'une " paix totale avec la Syrie
" . * 10 novembre : L'enquête sur les livraisons illégales d'armes à Bagdad en 1990, dites
Irakgate, met en cause John Major. * 24-26 novembre : Au cours d'un voyage en Israël et en
Jordanie, François Mitterrand défend le droit des Palestiniens à un État et appelle les autorités
israéliennes à considérer les dirigeants de l'OLP comme " des interlocuteurs qui s'imposent " . *
16 décembre : Suite à l'enlèvement et à l'assassinat d'un garde-frontière par le Hamas, le
gouvernement Rabin expulse vers le Sud-Liban 415 Palestiniens suspects de sympathie pour les
islamistes. Condamnée par le Conseil de sécurité, cette décision va bloquer le processus de paix
pendant plusieurs mois. 1993 * Janvier : En marge des négociations de Washington, dont
l'impasse est totale, des représentants du gouvernement israélien et de l'OLP commencent à
mettre au point un accord intérimaire d'autonomie pour les Territoires occupés. * 15-16 mars :
Les Territoires occupés connaissent deux journées de violences sans précédent depuis le
déclenchement de l'intifada en décembre 1987. * 11 juin : Réélection, avec 63 % des voix, de
Ali Akbar Hachemi Rafsandjani à la présidence de l'Iran. * 14 juin : Tansu Ciller devient
Premier ministre de Turquie. * 9-10 septembre : Israël et l'OLP se reconnaissent mutuellement.
* 13 septembre : Signature par l'OLP et le gouvernement israélien à la Maison Blanche, en
présence d'Itzhak Rabin et Yasser Arafat, de la Déclaration de principes sur l'autonomie
palestinienne (voir annexe). * 11 novembre : Le Conseil de sécurité de l'ONU renforce les
sanctions contre Tripoli en décidant de geler les avoirs libyens à l'étranger. * 13 décembre :
Suite à l'échec du sommet Rabin-Arafat au Caire, le début du retrait israélien de la bande de Gaza
et de la région de Jéricho est reporté. * 30 décembre : Le Vatican et l'État d'Israël concluent un
" accord fondamental " à la suite duquel des ambassadeurs seront échangés en janvier 1994.
1994 * 16 janvier : Le sommet américano-syrien relance les négociations entre Israël et la Syrie
sur la base d'un retrait israélien du Golan. * 25 février : Massacre au Caveau des Patriarches, à
Hébron, où le colon Baruch Goldstein assassine 29 Palestiniens. * 29 février : Accord de Paris
entre Israël et l'OLP sur les questions économiques. * Mai-juillet : Guerre civile au Yémen. *
4 mai : Accord du Caire entre Itzhak Rabin et Yasser Arafat sur les modalités d'applications de la
Déclaration de principes israélo-palestinienne. * 1er juillet : Retour de Yasser Arafat à Gaza.
* 25 juillet : Signature par Itzhak Rabin et le roi Hussein d'une déclaration mettant fin à l'état de
belligérance entre Israël et la Jordanie. * 29 août : Accord israélo-palestinien sur le transfert des
pouvoirs civils en matière de santé, d'impôts, d'affaires sociales, de tourisme, de jeunesse, de
sport et de coopération internationale. * 26 octobre : Signature du traité de paix entre Israël et la
Jordanie. * 18 novembre : Les affrontements entre policiers et manifestants palestiniens à Gaza
font une quinzaine de morts. 1995 * Janvier : " Bouclage " des territoires par Israël après
l'attentat commis par le Djihad islamique à Netanya. * Avril : Yasser Arafat fait arrêter 170
membres ou sympathisants du Hamas après trois attentats revendiqués par les islamistes. * 22
mai : Menacé d'une motion de défiance que voteraient à la fois les " partis arabes " et la droite, le
gouvernement Rabin renonce à s'approprier 53 nouveaux hectares de terres arabes à Jérusalem-
Est - malgré le veto opposé par les États-Unis à une résolution du Conseil de sécurité des Nations
unies condamnant cette confiscation. * 24 juillet : " Bouclage " total des territoires après
l'attentat de la veille, revendiqué par le Hamas, contre un autobus à Jérusalem. * 28 septembre :
Malgré un nouvel attentat à Jérusalem, le 21 août, Arafat et Rabin signent à Washington, en
présence des présidents Clinton et Moubarak ainsi que du roi Hussein, des accords sur l'extension
de l'autonomie, dits Oslo II. * 4 novembre : Assassinat d'Itzhak Rabin par l'étudiant d'extrême-
droite Yigal Amir. Il est remplacé par Shimon Peres. * 9 novembre : Yasser Arafat se rend pour
la première fois en Israël afin de présenter ses condoléances à Leah Rabin. * 13 novembre 1995
: Attentat à Riyad contre une installation de la Garde nationale. Cinq soldats américains sont
tués. * Novembre-décembre : Israël achève son retrait des villes palestiniennes - sauf Hébron.
1996 * 20 janvier : Yasser Arafat est élu président de l'Autorité palestinienne et ses partisans
emportent les deux tiers des 80 sièges au Conseil d'autonomie. * Mars : En guise de représailles
après l'assassinat du terroriste Yehia Ayache par les services secrets israéliens, le Hamas
organise, à Jérusalem, Tel Aviv et Achkelon, une série d'attentats sanglants qui déstabilisent le
gouvernement Peres. * Avril : Suite à des tirs de roquettes du Hezbollah contre le nord d'Israël,
Shimon Peres donne son feu vert à l'armée israélienne pour l'opération dite " Raisins de la colère
" contre le Liban. Le 18, 98 civils réfugiés dans le camp de l'ONU de Cana, au Sud-Liban,
périssent sous les bombes israéliennes. Un cessez-le-feu intervient le 27. * 24 avril : Réuni pour
la première fois en Palestine, à Gaza, le Conseil national palestinien élimine de sa Charte tous les
articles mettant en cause le droit à l'existence de l'État d'Israël. * 26 avril : Le Conseil de
sécurité des Nations unies prend des sanctions contre le Soudan, accusé de soutenir le terrorisme.
Khartoum refuse en particulier d'extrader les islamistes soupçonnés d'avoir tenté d'assassiner le
président égyptien Moubarak, en juin 1995, à Addis-Abeba. * Mai : Accord sur la mise en
oeuvre de la résolution 986 votée en 1995. Il doit permettre à l'Irak d'exporter pour 2 milliards de
dollars de pétrole tous les six mois et d'acheter de la nourriture. * 29 mai : Benyamin
Netanyahou et sa coalition regroupant la droite, l'extrême droite et les religieux remportent les
élections israéliennes. * 25 juin : Explosion d'un camion piégé, le 25 juin 1996 à El Khobar,
près de l'énorme base militaire de Dhahran, en Arabie Saoudite, qui coûte la vie à dix-neuf
soldats américains. * 8 juillet : En Turquie, Necmettin Erbakan, leader du parti islamiste Refah,
arrivé largement en tête des élections législatives du 24 décembre 1995, obtient la confiance de
l'Assemblée pour le gouvernement qu'il dirige en alliance avec le Parti de la juste de voie de
Tansu Ciller. * 5 août : Le président américain Clinton signe la loi qui prévoit des sanctions
contre les sociétés étrangères investissant dans le secteur pétrolier en Iran et en Libye. Vives
protestations des Européens. * Août : Début des élections législatives au Liban. * Septembre :
Affrontements au Kurdistan irakien. Intervention de l'armée irakienne. Bombardements
américains. * 3 septembre : Première rencontre Arafat-Netanyahou. * Fin septembre :
Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza connaissent la plus grave explosion de violence depuis
l'intifada. Les affrontements entre manifestants palestiniens et soldats israéliens font plusieurs
dizaines de morts. L'intervention de l'armée dans les Territoires autonomes provoque, à plusieurs
reprises, la réplique de la police palestinienne, qui fait usage de ses armes. C'est l'ouverture par la
municipalité juive de Jérusalem d'un tunnel sous Jérusalem-Est, en contrebas de l'esplanade des
mosquées, qui a mis le feu aux poudres - les Occidentaux, États-Unis compris, exigeront
d'ailleurs sa fermeture. Au-delà, ces journées tragiques expriment surtout la colère des
Palestiniens devant la violation systématique des accords d'Oslo par le gouvernement de
Benyamin Netanyahou. Quatre mois après son élection, on est loin de la " paix dans la sécurité "
chère au leader du Likoud... * 1er et 2 octobre : À l'initiative du président Bill Clinton, Yasser
Arafat et Benyamin Netanyahou se retrouvent à Washington, en présence du roi Hussein de
Jordanie pour négocier la poursuite du processus de paix. Face à l'intransigeance du Premier
ministre israélien, le président Hosni Moubarak est absent - seul le ministre égyptien des Affaires
étrangères participe, mais en observateur, à la rencontre.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés

ABOU NIDAL
Sabri Al Banna (Abou Nidal) est né à Jaffa, en Palestine, en 1937, dans une riche famille
qui possédait plusieurs milliers d'hectares de terres. Réfugiés à Gaza après 1948, ses parents
s'installent ensuite à Naplouse. Le jeune Sabri émigre en 1960 en Arabie Saoudite, où il travaille
comme technicien. C'est là qu'il s'engage dans l'action politique, d'abord au Baas, puis au Fath
(voir Arafat). Arrêté, il est torturé, puis expulsé. Après la guerre de 1967, il rejoint les fedayin à
Amman. Le Fath l'envoie à Khartoum en 1969, puis il est nommé représentant de l'organisation
de Yasser Arafat et de l'OLP en Irak, en 1970. En 1974, il se prononce contre la politique "
réaliste " adoptée par l'OLP et pour la poursuite de la lutte à outrance contre Israël. Il fait alors
scission et crée le Fath-Conseil révolutionnaire, qui dispose à l'époque du soutien des dirigeants
de Bagdad. Depuis, ses alliances arabes ont évolué au gré des circonstances : il a trouvé appui
tour à tour en Irak, en Syrie et en Libye. Le Fath-Conseil révolutionnaire dispose d'une
influence limitée. Il participe à divers regroupements d'organisations hostiles à Yasser Arafat et
s'oppose, bien évidemment, aux accords d'Oslo. C'est surtout par l'efficacité de ses cellules
terroristes que le groupe d'Abou Nidal s'est forgé une réputation mondiale. À son " actif ",
l'assassinat de plusieurs cadres de l'OLP : Saïd Hammami, Ezedine Kalak, Issam Sartaoui et,
selon toute vraisemblance, celui d'Abou Iyad, le numéro deux de l'OLP, en janvier 1991. Il a été
également impliqué dans l'attentat de la rue des Rosiers, en 1982, et dans l'attaque contre la
synagogue d'Istanbul, en septembre 1986. On lui attribue aussi l'attaque, le 11 juillet 1988, en
Grèce, du City of Poros : une dizaine de personnes trouvent la mort durant cette action. À la fin
de l'année 1989, de violents conflits internes affaiblissent l'organisation ; son dirigeant principal
se réfugie, en 1991, en Libye. Depuis, on a perdu sa trace. Abou Nidal a été condamné à mort
par l'OLP, et plusieurs responsables de l'organisation d'Arafat ont régulièrement accusé le groupe
terroriste d'être infiltré par les services de renseignement israéliens.
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AMÉRICAINE (aide)
Le Proche-Orient a toujours tenu une place importante dans l'aide américaine, civile et
militaire, à la mesure de l'enjeu qu'il représente dans la stratégie des États-Unis. Selon les
statistiques officielles publiées par Washington (Statistical Abstract of the United States 1995-
1996, US Department of Commerce), les fonds consacrés à la région ont, récapitulés sur la
longue période, de 1946 à 1993, d'abord profité à Israël (environ 54 milliards de dollars), loin
devant l'Égypte (36 milliards) et la Turquie (14 milliards), soit un quart environ du total de l'aide
américaine, économique et militaire. Les dernières statistiques officielles disponibles, qui
portent sur 1993, consacrent d'ailleurs l'accentuation de ces priorités : Israël bénéficie de 3
milliards de dollars d'aide militaire (1,8) et économique (1,2) ; - l'Égypte touche pour sa part
2,05 milliards (respectivement 1,3 et 0,75) ; - la Turquie obtient, quant à elle, 653 millions de
dollars (453 et 200) ; - dans la liste figurent notamment aussi - mais beaucoup plus modestement
- la Jordanie (75 millions), la Cisjordanie et Gaza (30 millions), le Liban (10 millions), le Yémen
(4 millions) et Oman (1 million). C'est à partir des accords d'Oslo que les États-Unis
contribueront à l'aide internationale à l'Autorité palestinienne. Mais une partie des sommes
prévues en 1996 sera " gelée " par le Congrès. Ainsi Israël et l'Égypte, avec un total de 5,05
milliards de dollars d'aide directe, économique et militaire, trustent-ils à eux seuls près de la
moitié de l'aide étrangère totale des États-Unis (en pleine diminution, avec 11,2 milliards en
1993) contre moins de 40 % dix ans auparavant ! Bien qu'en recul, l'aide étrangère des États-
Unis paraît néanmoins excessive à leurs citoyens qui, tout en approuvant à 80 % son principe,
contestent à 75 % son montant. C'est sans doute pourquoi, lors de sa première visite aux États-
Unis, en juillet 1996, le nouveau Premier ministre israélien a pris les devants et insisté sur sa
volonté de réduire progressivement la dépendance de l'État juif à l'égard de l'aide américaine.
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ALIYA
" Montée " - traduction littérale de l'hébreu - des Juifs en Palestine. Après la Dispersion
(Diaspora en grec) consécutive à l'écrasement par les Romains, en 135 après J.-C., de la révolte
de Bar Kokhba, la présence juive en Palestine reste, en effet, des siècles durant, très limitée. Les
petites communautés de Jérusalem, Safed, Tibériade et Hébron vivent, surtout à partir du XVIIIe
siècle, de la charité (Haloukka) des Juifs éparpillés. Elles ont vu grossir leurs rangs, à la fin du
XVe siècle, de nombre de Juifs chassés de la péninsule Ibérique. En 1835, la Palestine n'abrite
cependant que 10 000 Juifs. Mais, d'idée religieuse, la renaissance d'Israël est alors devenue un
objectif politique. Après les appels de Bonaparte, des saint-simoniens et de lord Byron, le
mouvement sioniste en prend le relais. Avant même Theodor Herzl, c'est le Russe Léon Pinsker
qui imagine et organise, avec " Les Amants de Sion ", cette nouvelle " colonisation " des " terres
bibliques ". Plusieurs aliyot vont la mener à bien. Aux 25 000 Juifs - concentrés à Jérusalem,
Hébron, Safed et Tibériade - encore noyés, en 1880, parmi un peu moins d'un demi-million
d'Arabes, la première aliya, entre 1882 et 1903, apporte le renfort de 20 à 30 000 autres,
quasiment tous venus de l'Empire tsariste. De premières entreprises agricoles voient le jour, qui,
jointes aux dix-neuf nouvelles colonies que créera le baron Edmond de Rothschild, abritent plus
de 5 000 pionniers. Dans le même temps, des bourgeois juifs investissent en Palestine,
notamment dans la production d'agrumes. La seconde aliya, essentiellement russe mais d'origine
socialiste, draine, de 1903 à 1914, 35 à 40 000 nouveaux immigrants. Des dizaines de colonies
supplémentaires voient le jour. Tel Aviv surgit de terre, tandis que Jérusalem et Haïfa
grandissent. L'hébreu, de langue littéraire et liturgique, devient langage usuel. À ces Juifs issus
d'Europe orientale se mêlent les premiers Yéménites qui remplacent, dans les entreprises
agricoles, les fellahs arabes. Car les kibboutzim, dont le premier est fondé à Degania en 1911, ne
doivent employer que de la main-d'oeuvre juive. Ainsi, à la veille de la Première Guerre
mondiale, compte-t-on environ 80 000 Juifs en Palestine - 2 à 3 millions, à la même époque, ont
quitté la Russie et la Pologne pour l'Europe occidentale ou les Amériques... Des communautés
juives anciennes et des deux premières aliyot, il ne subsiste, en 1918, que 60 000 membres en
Palestine, soit moins de 10 % de la population totale. La " légalisation " de l'immigration par la
déclaration Balfour va permettre de tripler, en vingt ans, cette proportion. Le rythme est d'abord
lent. La troisième aliya, de 1919 à 1923, entraîne 35 000 Juifs originaires d'URSS, de Pologne et
des pays Baltes, en grand nombre militants socialistes, travailleurs et pionniers. S'y adjoignent,
avec la quatrième aliya, entre 1924 et 1931, qui rassemble 82 000 participants, des Juifs des
Balkans et du Moyen-Orient, et, plus généralement, des membres des classes moyennes. Fin
1931, 175 000 Juifs, soit 17,7 % de la population totale, sont présents en Terre sainte. C'est la
victoire du nazisme en Allemagne qui va stimuler l'immigration juive vers le Yichouv, et en
bouleverser les caractéristiques. De 1932 à 1939, la cinquième aliya apportera le renfort de 247
000 Juifs, soit 30 000 par an, quatre fois plus que depuis la fin du premier conflit mondial.
Procédant moins d'un " choix sioniste " que d'une fuite face aux menaces nazies, cette nouvelle "
colonisation " est en majorité allemande et bourgeoise - l'Organisation sioniste a, il est vrai,
conclu avec Berlin, en 1933, une convention autorisant l'exportation des capitaux juifs
d'Allemagne. En 1939, les Juifs sont, en Palestine, exactement 429 605, ce qui constitue 28 % de
la population totale. Malgré le blocus britannique, 118 338 autres - c'est la sixième aliya - les
rejoindront d'ici à l'indépendance, le 14 mai 1948, parmi lesquels maints rescapés du génocide,
venus souvent clandestinement pour éviter le drame de l'Exodus. Ainsi, lorsque l'État d'Israël voit
le jour, il comporte 650 000 citoyens juifs, un tiers des habitants de la Palestine. Ce nombre va
quintupler dans les vingt-cinq années suivantes, grâce à l'apport de nombreuses et massives
aliyot. Leurs caractéristiques seront cependant bien différentes des précédentes, en premier lieu
par l'origine de ces nouveaux Israéliens : jusqu'aux années 70, il s'agira dans leur immense
majorité de Juifs venus d'Afrique et d'Asie. La détente américano-soviétique favorisera
également l'afflux en Israël de Juifs venus d'URSS. Après un apogée en 1979, cette immigration
se tarira pour reprendre avec l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, puis la disparition de
l'Union soviétique. De 1987 à 1996, elle apportera à l'État juif plus de 700 000 nouveaux
citoyens - l'équivalent de l'arrivée, en France, en dix ans, de dix millions d'hommes, de femmes
et d'enfants ! Quantitativement important, leur rôle l'est également qualitativement : le haut
niveau d'éducation ainsi que la forte proportion de professeurs, de chercheurs et d'ingénieurs qui
caractérisent cette immigration en feront un atout majeur d'Israël dans le développement des
nouvelles technologies, coeur de son développement économique. Malgré le ralentissement de
cette aliya, la Russie et les autres Républiques qui composaient l'URSS demeurent - en l'absence
d'une large immigration en provenance d'Occident - le principal " réservoir " démographique
d'Israël.
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ARABE
On désigne par " Arabe " une ethnie (ou un peuple) composée des individus qui parlent
une des variantes de la langue arabe, s'identifient à l'histoire et à la culture qui se sont constituées
depuis l'émergence des grands empires omeyade et abasside au VIIe siècle - dont un des traits
caractéristiques est l'adhésion à l'islam - et ont conscience de leur identité arabe. S'il existe un
rapport étroit entre les Arabes et l'islam, il n'y a pas identification. Les musulmans ne sont pas
arabes dans leur écrasante majorité (mais indiens, pakistanais, indonésiens, etc.) et il existe des
Arabes chrétiens en Égypte, en Syrie, en Irak, au Liban, etc. Le berceau des Arabes est la
péninsule Arabique. De là, ils se lancent à la conquête du monde au nom de l'islam. Petit à petit,
ils s'assimilent aux populations dominées - qui se convertissent massivement à la nouvelle foi -
auxquelles ils empruntent bien des traits de ce que l'on désignera sous le terme de " civilisation
arabo-musulmane ". Aujourd'hui la zone de peuplement arabe se confond, grosso modo, avec
celle des États membres de la Ligue arabe. Des minorités arabes se perpétuent sur les franges
(Turquie, Afrique noire, Israël...), d'autres se sont installées en Europe ou en Amérique à la suite
de migrations. À l'intérieur des pays arabes se maintiennent des îlots non arabes : Kurdes,
Arméniens, Berbères, etc. L'émergence d'un nationalisme arabe est récente. Elle a été largement
influencée par les idées européennes. Entre le XVe et le XIXe siècle, les Arabes ont accepté
d'être sujets de l'Empire ottoman, à dominante turque mais musulman. La décadence de la
Sublime Porte et l'agressivité des " puissances chrétiennes " - qui ont conquis des territoires
arabes : Algérie, Égypte... - provoquent une crise chez les intellectuels. Abdel Rahman Al
Kawakibi, un musulman syrien, appelle à la restauration d'un khalifat arabe au début du siècle.
Un chrétien syro-libanais, Neguib Azoury, reprend ces idées, crée une Ligue de la patrie arabe et
fonde une revue, L'Indépendance arabe. Son disciple, Edmond Rabath, écrira : " Au vieil et
archaïque idéal de la communauté musulmane se substituera peu à peu, sous la pression des
faits, la conception grandiose de l'unité et de la grandeur arabes retrouvées. " Déjà apparaît la
contradiction entre " solidarité musulmane " et " solidarité arabe ". Elle explique que, à l'origine,
de nombreux propagandistes de l'arabisme ont été des chrétiens. Il faudra d'ailleurs attendre la
Première Guerre mondiale pour que les élites arabes se rallient largement à cette nouvelle
doctrine. La grande révolte arabe déclenchée en 1916 - durant laquelle s'illustre Lawrence
d'Arabie - permet d'envisager concrètement la constitution d'un royaume arabe uni. Londres et
Paris décideront finalement de diviser le Moyen-Orient en États distincts, mais la perspective
panarabe restera présente au coeur de nombreux nationalistes. Il faut toutefois souligner que, à
côté de ce nationalisme arabe (Qawmiya) naissant, un patriotisme local (Wataniya), lié à tel ou
tel État (Égypte, Tunisie, etc.), reste vivace. Après la Seconde Guerre mondiale et dans la lutte
contre la présence coloniale, le nationalisme arabe s'exprime avec une force nouvelle. Il acquiert,
avec le baasisme et le nassérisme, une coloration révolutionnaire. " La Voix des Arabes ", qui
émet du Caire, mobilise les peuples, du Golfe à l'Atlantique. Ce mouvement se traduit même par
la création d'un État unique entre l'Égypte et la Syrie, la République arabe unie (1958-1961).
Mais cette expérience, comme celle de la constitution de diverses fédérations, sera éphémère et
sans lendemain : les divisions sont bien difficiles à surmonter. La défaite de juin 1967 marque la
fin des grands rêves unitaires. L'idéologie du nationalisme arabe subit un double assaut. Le
nationalisme palestinien - un " patriotisme local " ! - et les fedayin mobiliseront les masses
arabes pendant plus de dix ans. La " poussée " islamiste, qui s'affirme surtout à partir de la fin
des années 70, rejette toute solidarité qui ne serait pas fondée sur l'islam. Pourtant, bien que les
organisations qui s'en réclament soient en profond déclin, le panarabisme reste une référence
obligée de tout discours politique au Machrek et au Maghreb. Un signe, parmi d'autres, qu'il
garde une grande emprise sur les peuples arabes, confirmée par leur mobilisation durant la guerre
du Golfe. Il faut remarquer que même les organisations islamistes - par exemple le Hamas - ont
un discours politique qui, sur de nombreux points, reprend le discours nationaliste arabe. Alors
que l'arabisme politique semble en déroute au début des années 90, on assiste au renforcement
d'une culture arabe commune qui englobe le Maghreb comme le Machrek, marquée par des
échanges humains et culturels plus fréquents, l'émergence d'une langue commune - de presse et
de télévision - au-delà des dialectes, et la multiplication d'échanges économiques informels
(contrebande).
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ARABES ISRAÉLIENS
Les Arabes d'Israël sont les Palestiniens qui n'ont pas fait partie de l'exode forcé de 1948-
1949 : 160 000 alors, et 900 000 en 1994. Ils sont pour l'essentiel regroupés dans trois régions :
la Galilée, le " grand triangle " autour de Oum al Fahm, le " petit triangle " autour de Taybé. En
1949, Israël a annexé ces zones que le plan de partage attribuait à l'État arabe, et ses habitants
sont devenus des citoyens israéliens, mais de seconde zone, dans un État qui se voulait avant tout
juif. Jusqu'en 1966, les Arabes d'Israël sont soumis à un gouvernement militaire qui les astreint à
des permis de déplacement, au couvre-feu, aux assignations à résidence... et qui favorise la
colonisation juive à travers la confiscation des terres arabes. La structure sociale de la population
a été bouleversée en trente ans. Rurale à plus de 75 % en 1960, elle devient majoritairement
urbaine à la fin des années 80. La force de travail palestinienne sert, à plus de 50 %, dans
l'industrie et la construction. Plus de 15 % des Arabes d'Israël sont chrétiens et environ 10 % sont
druzes. Ces derniers bénéficient d'un traitement à part puisque, seuls parmi les Palestiniens, ils
sont contraints de faire leur service militaire. L'utilisation des divisions religieuses par les
gouvernements d'Israël a été permanente. Elle n'a pas été suffisante pour arrêter le
développement du sentiment national palestinien. Il s'est renforcé après 1967 et s'est affirmé avec
éclat lors de la journée pour la défense de la terre, le 30 mars 1976, durant laquelle manifestèrent
des dizaines de milliers de Palestiniens. Une répression sanglante s'ensuivit, faisant 6 morts et des
dizaines de blessés. Dans les années 70, le PC israélien devient, progressivement, le porte-parole
de cette minorité nationale qui se bat pour la reconnaissance de ses droits : 40 % de la population
arabe vote pour ses candidats aux diverses élections, et il dirige la plupart des grandes villes
arabes, dont Nazareth. Le PC symbolise aussi la renaissance culturelle des Palestiniens à travers
sa presse en arabe (Al Itihad, Al Jadid) ou ses intellectuels (Émile Habibi, Émile Touma, Tawfik
Zayad...). Une autre force, moins importante, exprime ce nationalisme : la Liste progressiste pour
la paix de Mohamed Miari et Matityahou Peled. Les années 80 voient la montée en puissance du
mouvement islamiste. Aux élections municipales de 1989, ce dernier remporte de grands succès,
s'emparant notamment de la seconde ville arabe, Oum al Fahm. Pourtant, dans les années 90,
beaucoup d'observateurs mettent en avant l'" israélisation " des Arabes, marquée par une volonté
d'intégration et une revendication d'égalité avec les citoyens juifs. L'affaiblissement des
discriminations dont ils faisaient l'objet - le gouvernement travailliste a pris des mesures
significatives pour aider les villes arabes toutefois encore défavorisées - encourage ce
mouvement. Néanmoins, cette évolution ne contredit pas l'affirmation nationale palestinienne
dont témoignent les résultats des élections de mai 1996. Plus de 60 % des voix des Arabes
d'Israël se portent sur les deux listes nationales : celle formée par les communistes et leurs alliés -
notamment l'Alliance nationale démocratique de Azmi Bishara, qui prône l'autonomie des Arabes
israéliens - et celle constituée par le Parti démocratique arabe uni aux islamistes. Elles obtiennent
ainsi 9 sièges (sur 120), un chiffre record depuis l'indépendance d'Israël.
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ARABIE SAOUDITE
En 1744, un émir local du Najd - une région située dans la péninsule Arabique -,
Mohamed Ibn Saoud, signe avec un réformateur religieux un pacte pour faire triompher, " fût-ce
par les armes, le règne de la parole de Dieu " (Henri Laoust). Mohamed Ibn Abdel Wahhab a
commencé sa prédication quelques années plus tôt. Il aspire à restaurer l'islam sunnite dans sa
pureté première à un moment où s'accélère la décomposition de l'Empire ottoman et se renforce
le chiisme en Perse et en Irak. Il rejette toutes les sectes non sunnites, condamne les innovations
dangereuses et le culte des saints. Sa doctrine, connue sous le nom de wahhabisme, sera le
soubassement de toutes les tentatives de construction étatique par la famille Saoud, caractérisées
par l'alliance du sabre et du Coran. Le premier État wahhabite, qui s'étendra jusqu'à l'Irak, est
démantelé par Muhammad Ali, le sultan d'Égypte, en 1818. Le second, plus restreint, sera liquidé
en 1884. La troisième tentative fut la bonne. En 1901, Abdel Aziz, qui deviendra célèbre sous le
nom d'Ibn Saoud, conquiert l'oasis de Riyad, avant de s'emparer du Najd puis, à l'est, de la
province d'al Hasa. Après la Première Guerre mondiale, il s'attaque à son rival, Hussein, le chérif
de La Mecque. L'ensemble du Hedjaz, siège des deux villes saintes de La Mecque et de Médine,
est conquis entre 1924 et 1926. En 1932, Abdel Aziz prend le titre de roi d'Arabie Saoudite à
laquelle il rattache en 1934, après une guerre contre le Yémen, la province du Asir. La
découverte du pétrole dans les années 30 et la création de l'Arabian Oil Company (ARAMCO)
changent la face du royaume. Elles assurent à l'État - qui flotte sur une véritable mer d'or noir (un
quart des réserves mondiales) - des revenus substantiels et renforcent l'alliance avec les États-
Unis, dont les compagnies contrôlent l'ARAMCO (qui ne passe sous autorité saoudienne qu'en
1980). L'entrevue Roosevelt-Abdel Aziz, en 1945, consolide l'axe Washington-Riyad, qui est - la
guerre du Golfe le confirmera - la pierre de touche de la politique extérieure du royaume. À la
mort du souverain, en 1953, l'Arabie Saoudite traverse une zone de turbulences marquée par les
grèves de l'industrie pétrolière, l'affrontement avec le nationalisme arabe révolutionnaire et des
luttes à l'intérieur de la famille régnante qui ne se calmeront qu'avec l'intronisation de Faysal, le 2
novembre 1964. Le coup d'État qui met fin, en 1962, au régime royaliste au Yémen du Nord et
l'intervention des troupes de l'Égypte nassérienne aux côtés des républicains entraîneront l'Arabie
Saoudite dans un long conflit, qui ne trouvera de solution qu'après la guerre de juin 1967. Avec
l'affaiblissement du nationalisme arabe consécutif à la défaite de Nasser en juin 1967, le rôle du
royaume wahhabite dans les affaires régionales va croissant. Il dispose de deux atouts maîtres, le
pétrole et l'islam. Après la guerre d'octobre 1973, les recettes de l'or noir ont atteint des sommets
permettant au royaume - le troisième producteur mondial après l'Union soviétique et les États-
Unis, et le premier exportateur - un plan ambitieux de développement, l'achat de matériel
militaire ultra-moderne (plus de 20 % du PIB est consacré à la défense, contre 4 % pour la
France) et, surtout, l'investissement de sommes considérables à l'étranger : au sens propre, la
famille royale est devenue une partie intégrante du capitalisme occidental. Les ressources servent
aussi à " acheter " la sécurité du royaume en finançant aussi bien l'Irak que la Syrie, l'OLP que le
Fath. L'islam représente un second atout pour la dynastie. En 1987, en pleine guerre irako-
iranienne, le roi Fahd - qui est monté sur le trône le 13 juin 1982 - prend le titre de " Serviteur
des deux Lieux saints, La Mecque et Médine " (à partir d'août 1990, la propagande irakienne
transformera cette dénomination en " Traître aux deux Lieux saints "). Cette garde de La Mecque
et de Médine donne un prestige sans égal à la famille royale. Le pèlerinage - le hajj - est une des
cinq obligations fondamentales de l'islam que tout bon musulman doit accomplir au moins une
fois dans sa vie. En 1946, 60 000 pèlerins étrangers accomplissaient ce rite ; ils sont plus d'un
million en 1996. Djedda est aussi le siège de l'Organisation de la conférence islamique qui
regroupe plus de 50 États. Enfin, la Ligue islamique mondiale, fondée en 1965, constitue un
forum de diverses communautés musulmanes et couvre le financement d'organisations islamistes.
Ce rôle de " puissance islamique " va de pair avec les proclamations sur la défense de la Palestine
et notamment de Jérusalem, troisième ville sainte de l'islam. L'occupation de la Grande Mosquée
de La Mecque en 1979, puis plusieurs affrontements sanglants et accidents ont cependant porté
un coup au prestige de la dynastie. C'est toujours par l'alliance des Al Saoud et de la hiérarchie
religieuse - recrutée notamment dans la famille Al Cheikh, celle des descendants du fondateur du
wahhabisme - que le roi Fahd entend maintenir la stabilité de son règne. Gardiens du dogme - ils
se sont opposés jusqu'en 1960 à l'éducation des filles -, les oulemas veillent à la conformité
religieuse des décisions du roi, dont ils servent à légitimer le pouvoir. Ils ont ainsi promulgué une
fatwa approuvant la décision d'appeler les Américains à la rescousse en août 1990. Ils dirigent
aussi la redoutable moutawa, la police religieuse qui " commande le bien et interdit le mal " : elle
oblige les boutiquiers à fermer à l'heure de la prière, pourchasse les buveurs d'alcool ou les
femmes qui ne respectent pas la " décence ". Les oulemas font strictement appliquer la charia, la
loi religieuse : amputations, châtiments corporels et exécutions publiques sont monnaie courante.
Après une légère amélioration de la situation durant la guerre du Golfe, due à la présence
massive de la presse et de centaines de milliers de soldats, ces pratiques ont repris de plus belle :
le nombre de décapitations en 1995 a atteint le chiffre record de 192 - dont 7 femmes. Grâce à
ses ressources pétrolières, le pays a subi d'importantes mutations. En 1970, 26 % de la population
vivait dans les villes ; la proportion atteint 73 % en 1990. La mortalité infantile qui était de près
de 170 pour mille au début des années 60, serait tombée à 28 pour mille en 1993. Alors qu'en
1960, 2 % seulement des filles entraient à l'école, en 1981 ce taux grimpait à 41 % et dépassait
80 % dix ans plus tard. Elles représentent même la majorité des diplômés, même si le marché du
travail leur reste largement fermé. Leur confinement dans le milieu familial reste presque sans
équivalent dans le monde musulman. Malgré de nombreux atouts, la faiblesse de la dynastie
régnante est apparue à plusieurs reprises, notamment durant la guerre du Golfe où il a fallu plus
de 500 000 soldats étrangers pour " sauver le pays ". Depuis, au moins 5 000 soldats américains y
stationnent en permanence. En 1996, les relations avec l'Irak restaient tendues, tandis que les
rapports avec la Jordanie s'étaient améliorés. Avec le Yémen, malgré une nette embellie marquée
par la signature du " document d'entente " le 26 février 1995, les négociations sur la démarcation
des frontières étaient dans l'impasse. Le royaume ne compte, sur 2 240 000 kilomètres carrés,
que 18 millions d'habitants (dont 3,5 millions d'étrangers). L'armée, avec ses 65 000 hommes, est
tenue en suspicion et " doublée " par la Garde blanche ou Garde nationale, issue des tribus les
plus fidèles aux Al Saoud. Pour la première fois en juin 1988, l'Arabie Saoudite avait dû lancer
un emprunt d'État pour faire face à la baisse des cours du pétrole ; le coût de la guerre du Golfe a
aussi largement entamé les réserves du royaume. En 1995, la dette interne représentait près de 80
% du Produit national brut, le budget restait en déficit, comme la balance des paiements. Le
royaume a dû procéder à des baisses des subventions accordées à la consommation, ce qui risque
d'ébranler le pacte social tissé entre la monarchie et ses sujets. De plus, l'unité des quatre régions
qui forment le royaume - le Najd, al Hasa, le Hedjaz et le Asir - reste fragile, et chacune est
marquée par sa propre histoire et par des tendances séparatistes. Ainsi al Hasa a connu de
nombreuses grèves ouvrières, et la minorité chiite opprimée s'est plusieurs fois révoltée. Malgré
un accord signé en 1993 entre le pouvoir et l'opposition chiite, de nouveaux signes de tension
apparaissaient en 1996. Le Asir regarde vers le Yémen unifié. Quant au Hedjaz, qui joue un rôle
actif dans l'économie et le commerce modernes, il s'accommode mal du caractère rétrograde du
pouvoir. Enfin, depuis la guerre du Golfe, l'opposition a connu un essor important. En février
1991, 41 personnalités libérales lancent un appel au souverain pour une réforme. Pour répondre à
ces demandes modérées et aux pressions américaines, le roi promulgue, le 1er mars 1992, une Loi
fondamentale ainsi que deux lois définissant les attributions du Majliss al Choura (Conseil
consultatif) et le fonctionnement des régions. Après avoir rappelé que le Coran et la Sunna
(tradition du Prophète et de ses compagnons) sont la seule Constitution du royaume, la Loi
confirme les pouvoirs discrétionnaires du roi : il nomme et révoque les ministres, qui sont
responsables devant lui, nomme et révoque les soixante membres du Conseil consultatif, dont il
peut ignorer les avis, nomme et révoque les émirs à la tête de chaque province. Plus important
pour l'avenir, la Loi définit les règles de succession. Traditionnellement, celle-ci se faisait au
bénéfice d'un des fils - en principe le plus âgé - d'Ibn Saoud. Désormais le texte dispose que " le
roi choisit un héritier qu'il peut révoquer " et cette cooptation s'étend désormais aux petits-fils
d'Ibn Saoud. Par décret, le roi Fahd a confirmé le prince Abdallah, chef de la Garde nationale,
comme héritier. Ce dernier a déjà assuré la régence, pendant deux mois, au début de l'année
1996, à la suite de la maladie du roi Fahd. Ces réformes de façade ont permis à la monarchie
d'intégrer l'opposition libérale d'autant plus facilement que celle-ci était inquiète de la montée des
islamistes. En septembre 1992, 107 personnalités adressaient un mémorandum (non public) de
quarante-cinq pages au cheikh Abdelaziz ben Baz, le plus haut dignitaire religieux du royaume.
Bien que ne s'attaquant pas directement à la personne du roi, les signataires avançaient des
revendications révolutionnaires : égalité de tous devant la loi, responsabilité des officiels,
élimination de la corruption et de l'usure, redistribution des richesses, renforcement de l'armée et
de l'indépendance nationale, restriction des pouvoirs de la police. Ces demandes se mêlaient à
d'autres, empreintes d'un grand rigorisme musulman. Encore plus que leur plate-forme, c'est
l'origine des signataires qui inquiète les autorités : 72 % des pétitionnaires sont originaires de la
région du Najd ; la moitié d'entre eux sont des hommes de religion (autant possèdent un doctorat
universitaire). C'est donc au coeur même de la base sociale du pouvoir que se développe une
contestation radicalisée par le refus du pouvoir de véritables réformes. La constitution du Comité
de défense des droits légitimes (le nom arabe est la " défense des droits de la charia "), dont
Mohamed Al Masra'i devient le porte-parole depuis Londres, donne un écho sans précédent à la
contestation, amenant Riyad à exiger que le gouvernement britannique expulse le dissident : les
conservateurs tentent de le faire en janvier 1996, mais la justice casse leur ordre. Avec l'attentat
du 13 novembre 1995, qui visait un centre de communication de la Garde nationale à Riyad et
qui a fait cinq morts américains, une partie de l'opposition islamiste est passée à la lutte violente.
L'explosion d'un camion piégé, le 25 juin 1996 à El Khobar, près de l'énorme base militaire de
Dhahran, qui a coûté la vie à dix-neuf soldats américains, confirme ce choix, sans qu'il soit
encore possible d'identifier les commanditaires de ces attaques. Le PNB du royaume wahhabite,
largement déterminé par une production de pétrole de 8 millions de barils/jour en 1995, est
estimé, en 1994, à 7 240 dollars par habitant. Si d'énormes travaux d'infrastructures,
d'industrialisation (à Jubail et Yanbu) se poursuivent malgré les restrictions budgétaires, le
rythme en a été considérablement réduit. Par ailleurs, le gouvernement a fortement taillé dans ses
subventions à l'agriculture, notamment à la production de céréales.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ARAFAT (Yasser)
Né le 24 août 1929 au Caire, où il passe la plus grande partie de son enfance, Yasser
Arafat n'en est pas moins palestinien et lié, par son père, à la puissante famille des Al Husseini,
qui joue un grand rôle politique à Jérusalem durant la période du mandat britannique. Il
abandonne l'université du Caire, en 1948, pour participer aux combats en Palestine. Il sera
désarmé par les troupes arabes qui envahissent le pays après la proclamation de l'État d'Israël : un
souvenir qu'il n'oubliera jamais. Après la défaite, il se réfugie à Gaza, puis retourne au Caire en
1950 et reprend ses études supérieures, qui feront de lui un ingénieur des travaux publics. C'est
dans la capitale égyptienne qu'il rencontre ceux qui fonderont le Fath avec lui, et deviendront ses
adjoints à la direction de l'OLP : Khalil Al Wazir (Abou Jihad) et Salah Khalaf (Abou Iyad).
Ensemble, ils militent à l'Union des étudiants palestiniens - que Yasser Arafat préside de 1952 à
1956 - et qui édite un magazine, La Voix de la Palestine. Arafat est arrêté pendant quelques
jours, en octobre 1955, lors de la liquidation par le président Gamal Abdel Nasser de
l'organisation des Frères musulmans (dont Arafat est proche, mais non membre). En 1956, durant
la guerre de Suez, il participe aux combats comme sous-lieutenant dans l'armée égyptienne. C'est
dans la vallée du Nil que se modèlent les premiers fondements de ce que sera la doctrine du
Fath : une méfiance certaine à l'égard des dirigeants arabes qui refusent d'armer les Palestiniens
et souhaitent les garder sous un strict contrôle ; une grande foi dans la lutte armée, dont la
guérilla menée à Gaza en 1956-1957 contre les troupes israéliennes - qu'il a contribué à
coordonner avec Abou Jihad - sert de modèle. Menacé à nouveau d'arrestation, Arafat - dont le
nom de guerre sera Abou Ammar - s'installe au Koweït, un des rares pays arabes où, malgré le
protectorat de Londres jusqu'en 1961, les Palestiniens disposent d'une certaine marge de
manoeuvre. C'est là que, en 1959, il fonde le Fath (mot forgé à partir des initiales arabes de
Mouvement de libération nationale) et publie Falistinouna (Notre Palestine). Le point central de
la doctrine de cette nouvelle organisation stipule que la libération de la Palestine est avant tout
l'affaire des Palestiniens, et ne saurait être confiée aux régimes arabes ou reportée à une
problématique unité arabe. Cette doctrine est, à l'époque du panarabisme triomphant, quasiment
hérétique. Pourtant l'échec de la République arabe unie et la dissolution de l'union syro-
égyptienne en 1961 renforcent les thèmes du Fath. La victoire de la révolution algérienne, en
1962, confirme, aux yeux d'Arafat, le bien-fondé du principe " compter sur ses propres forces ".
La préparation de la lutte armée s'accélère, et le 1er janvier 1965 a lieu la première opération
militaire contre Israël. Mais le Fath, qui est un mouvement sans référence idéologique, a du mal
à s'affirmer... Il est condamné par la quasi-totalité des capitales arabes. Même le régime baasiste
syrien, qui aide ponctuellement l'organisation, n'hésite pas à s'attaquer à ses militants : Arafat
sera ainsi emprisonné en mai 1966. Ce n'est qu'après 1967, et la défaite des régimes arabes, que
les fedayin vont devenir le centre de la mobilisation palestinienne. Deux jours après la fin des
hostilités se tient à Damas un congrès du Fath. Après de longs débats, il décide, sous l'impulsion
de Yasser Arafat, de relancer la lutte armée. Ce dernier se rend à cette fin plusieurs fois en
Cisjordanie occupée. Il entame aussi, en novembre 1967, ses premiers contacts avec Nasser dont
l'aide lui sera décisive. Le 21 mars 1968 il participe à la bataille de Karameh (Jordanie) où les
commandos palestiniens tiennent tête à l'armée israélienne. Cet accrochage, qui a montré la
détermination des Palestiniens et sera répercuté dans le monde arabe, donnera au Fath et à Arafat
l'autorité nécessaire pour prendre en main la vieille OLP en crise. En février 1969, celle-ci est
rénovée, un nouveau comité exécutif est élu. Yasser Arafat en devient le président. À partir de
cette date, et jusqu'à la signature des accords d'Oslo, en 1993, sa vie se confond avec celle de
l'OLP. La mise en oeuvre des accords sur l'" autogouvernement " palestinien marque un tournant
important dans la vie de Yasser Arafat. Il rentre à Gaza, le 1er juillet 1994. Il est élu président de
l'Autorité palestinienne au suffrage universel, le 20 janvier 1996, mais conserve la présidence du
comité exécutif de l'OLP. Sa place dans l'histoire dépend désormais du résultat du pari fait en
1993.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ARMES (ventes d')


Client numéro un des vendeurs d'armes, le Moyen-Orient l'était depuis longtemps. Après
une longue croissance, parallèle aux développements du conflit israélo-arabe et des autres
affrontements dont il fut - et, pour certains, reste - le théâtre, sa part a sensiblement reculé dans la
dernière période. Mais, simultanément, il s'est engagé dans deux nouveaux et inquiétants
domaines : ceux des missiles et, plus généralement, des armes de destruction massive. Au total,
de 1971 à 1994, la région a absorbé près de 45 % des armes vendues au tiers monde. Pour les
fournisseurs, il s'agit d'une affaire à la fois économique, politique et stratégique - bien que,
comme le montrent les expériences faites par l'URSS avec l'Égypte ou par les États-Unis avec
l'Iran, l'influence née d'une coopération militaire puisse se révéler précaire... Dans le total
d'armes conventionnelles majeures importées dans le monde, la part du Moyen-Orient, est passée
de 31 % en 1985 à 24 % en 1994. La région devance encore de loin l'Afrique et l'Océanie (1 %),
l'Amérique latine (3 %) et l'Amérique du Nord (6 %), mais est nettement distancée par l'Europe
(31 %) et l'Asie (34 %). Ce recul s'explique notamment par quatre facteurs : la fin du conflit
Irak-Iran, qui fut l'occasion de livraisons massives sur une longue période ; l'embargo touchant
l'Irak depuis la guerre du Golfe ; les conséquences de la baisse du prix du pétrole sur les
économies de l'Arabie Saoudite et des pays du Golfe ; et l'effondrement - temporaire - du rôle de
la Russie, qui comptait nombre de clients voraces dans la région. Les statistiques sont moins
loquaces quant à la manière dont les principaux fournisseurs se répartissent le gâteau. Mais il est
clair qu'un renversement s'est produit, au détriment de Moscou et au profit de Washington. La
Russie a dilapidé une bonne partie de l'héritage de l'URSS qui, dans la seconde moitié des années
80, était restée - avec plus de 29 % du marché moyen-oriental de 1986 à 1990 - le principal
vendeur au Moyen-Orient, par la quantité considérable d'armes fournies à quelques pays. Après
plusieurs années d'incertitude, Moscou semble à nouveau décidée - pour des raisons économiques
et politiques - à reprendre pied dans la région. À preuve les contrats passés avec l'Iran : chars T-
72, chasseurs MiG-29 et MiG-31, bombardiers SU-24 et TU-22M (armés de missiles de
croisière), avions de surveillance A-50, missiles sol-air SA-5. Les Russes envisagent également
de fournir l'Irak, mais aucune livraison importante n'est envisageable tant que Bagdad reste
l'objet de l'embargo édicté depuis la guerre du Golfe. Autre client, la Syrie, mais il reste peu
solvable, compte tenu de ses dettes (11 milliards de dollars). Les États-Unis, qui avaient talonné
l'URSS au cours des années 1986-1990 (avec 28 % du marché moyen-oriental), ont pris - et de
loin - la tête : " Tempête du Désert " a représenté pour les armements made in USA, une
formidable démonstration grandeur nature. Dans les trois mois qui suivirent la victoire de
Norman Schwarzkopf, les industries d'outre-Atlantique enregistrèrent pour 30 milliards de
dollars de commandes ! L'après-guerre du Golfe n'a pas déçu ces grandes espérances. Quant aux
autres fournisseurs, qui s'étaient affirmés dès la fin des années 80, ils ont su tirer leur épingle du
jeu. Après son " contrat du siècle " de 1987-1988, avec l'Arabie Saoudite, la Grande-Bretagne a
poursuivi sa percée. Malgré la concurrence américaine, la France continue de réaliser dans la
région près des deux tiers de ses ventes d'armes. Sans compter les nouveaux vendeurs, tant du
côté communiste (Chine, Corée du Nord) que du côté libéral (Argentine, Brésil)... Sur les dix
premiers importateurs d'armes conventionnelles du tiers monde de 1990 à 1994, selon le SIPRI
1995, quatre sont du Moyen-Orient : l'Arabie Saoudite vient largement en tête (9 milliards de
dollars), suivie de l'Inde et de l'Égypte (6 milliards chacune), de Taïwan (3,9), de l'Afghanistan
(3,7), d'Israël (3,6), du Pakistan (3,5), de l'Iran (3,2), de la Chine (2,9) et de la Thaïlande (2,7).
Parmi les exportateurs, de 1991 à 1993, les États-Unis - selon le Statistical Abstract of the United
States 1995-1996 - arrivent donc en tête (13,9 milliards de dollars d'armes conventionnelles
vendues au Moyen-Orient), concurrencés par le Royaume-Uni (10,3), avec loin derrière la
France (1,4), la Chine (1,2) et l'Allemagne (1,1). Chaque vendeur a son " portefeuille "
traditionnel. Du côté américain, l'Arabie Saoudite devance largement l'Égypte, suivie de la
Turquie et d'Israël - cinq moyen-orientaux parmi les neuf acheteurs essentiels d'armes
américaines. Du côté russe, Iran, Irak, Syrie et Libye demeurent, comme du temps de l'URSS, les
plus importants acheteurs régionaux. Quant à la France, elle a fait ses meilleures affaires avec
l'Arabie Saoudite, mais a bénéficié aussi de débouchés dans le Golfe, notamment dans les
Émirats arabes unis et au Qatar, en Égypte, en Turquie, au Liban et même, on le sait, en Libye.
La Chine, pour sa part, a traité avec l'Iran, l'Arabie Saoudite et la Syrie. On est loin, en tout cas,
de la frénésie de ventes suscitée, au cours des années 80, par la guerre entre l'Iran et l'Irak. Si
Bagdad, outre ses traditionnels fournisseurs soviétique et français, ainsi que les pays arabes, avait
traité avec l'Autriche, la Belgique, le Brésil, le Chili, la Corée du Nord, l'Espagne, la Hongrie,
l'Italie, le Maroc, la Pologne, le Portugal, la RDA, la RFA, la Suisse, la Tchécoslovaquie et la
Yougoslavie, Téhéran avait su trouver des armes en Algérie, en Argentine, au Brésil, au Chili,
dans les deux Corées, en Grande-Bretagne, en Israël, en Libye, en Syrie, à Taïwan et au Viêt-
nam. L'Irangate avait révélé comment les États-Unis et Israël livrèrent des armes à Téhéran pour
libérer les otages, se gagner les faveurs des " modérés " et... subventionner les contras
nicaraguayens. Au total, 53 pays, de 1980 à 1988, vendirent aux deux belligérants pour 50
milliards de dollars d'équipements militaires, soit un cinquième des armes fournies au tiers
monde durant cette période. La diversité des sources d'approvisionnement de la plupart des pays
du Moyen-Orient - à l'exception, essentiellement, d'Israël, de l'Égypte et de la Syrie - tient
également aux atouts dont dispose chaque vendeur : * en matière de chars modernes, la Russie
propose son T-72, la France ses AMX-30 et 30 B2 ainsi que son Leclerc, la RFA ses Léopard et
le Royaume-Uni ses Challenger et son Chieftain. Mais les États-Unis ont repris l'avantage avec
l'aboutissement de la série des M : le monstrueux M-1 Abrams ; * côté chasseurs, les
Américains dominent avec le Skyhawk et l'ensemble des F (notamment les F-15 Eagle, F-16
Falcon, FA-18 Hornet et F-104 Starfighter) ; les Russes proposent leurs MiG (en particulier les
MiG-29 Fulcrum et MiG-31 Foxhound) ainsi que la série des Sukhoï (spécialement le Su-27) ;
les Français la série des Mirage (le plus performant étant le 2000C) ; les Britanniques le Sea
Harrier, le Hawk et les Tornado (avec la RFA) ; la Chine les F-7 (MiG-21) et F-8 Finback ;
Taïwan le Ching-Kuo ; * les hélicoptères constituent un point fort de l'Hexagone, grâce aux
Gazelle, Puma, Super Puma, Dauphin, Alouette et aux Écureuil, mais aussi aux Cougar et
Panther franco-allemands, et malgré la concurrence des appareils britanniques (Lynx et Scout),
américains (Stallion, Cobra et Sea Cobra, Eagle, Chinook, Apache, Black Hawk, Sea Hawk,
Defender) ou anglo-américains (Wessex, Whirlwind) et russes (la série des Mi-), sans oublier les
productions italiennes (Hirundo et Mangusta), voire brésiliennes (Gaviao et Esquilo, fabriqués
avec l'Aérospatiale) ; * sur mer, États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne et Italie se
partagent le marché ; * dans le domaine des missiles (voir Armes de destruction massive), c'est
une véritable course de vitesse que se livrent d'un côté Israël, de l'autre la Syrie, l'Irak (avant sa
défaite de 1991), l'Iran, l'Égypte, l'Arabie Saoudite et la Libye. La concurrence est rude, sur ce
plan : pour les engins de courte portée entre le Lance américain, le FROG-7 et le SS-21 russes,
les CSS-7 et CSS-8 chinois, le Oghab iranien ; pour les engins de longue portée entre les Jericho
1, 2 et bientôt 3 israéliens, les Scud-B et C russes, nord-coréens et chinois, les CSS-2 et CSS-6
également chinois, sans compter le No-Dong et le Taepo-Dong que préparent les Nord-coréens ;
* l'équipement des armées en missiles fait également l'objet d'une âpre concurrence. Les armées
de terre se voient proposer des Sam (Surface to Air Missile) par la Russie, avec la série des SA-2,
3, 5, 6, 7, 8, 9, 13, 13, 16, 18 (portable) et 24. Les États-Unis, eux, ont placé dans toute la région
leurs Hawk, Chaparral, Tigercat, Rapier, Redeye, Blowpipe et Stinger portables, plus bien sûr
leur Patriot qui passera pour la vedette incontestée de la guerre du Golfe jusqu'à ce qu'on en
découvre... la totale inefficacité. Le Royaume-Uni défend son Javelin et son Starburst
(portables). La France est présente avec ses Roland ainsi que ses Crotale et Mistral portables. La
RFA a son SA-8bGecko. Du côté de l'aviation, AAM (Air to Air Missile) et ASM (Air to Surface
Missile) ne manquent pas : Sidewinder, Sparrow, Skyflash, Maverick, Walleye américains, les
MICA, Magic et Exocet français, du côté russe la gamme des AA (Atoll, Acrid, Apex, Aphid,
Alamo et Archer), plus le Python III israélien. Enfin, pour s'équiper en SAM et en SSM (Surface
to Surface Missile), la marine peut choisir entre l'Exocet, le Crotale et le MM-15 français, les
Harpoon, Otomat, Seasparrow et Seekiller américains, le Seawolf et Sea Skua britanniques, le
Styx, le Grail et le Sunburn russes et le C-802 chinois, auquels s'ajoutent les productions
israéliennes (Python III, Gabriel, AMDR, Barak) ; * même les armes de destruction massive
font l'objet d'une vive compétition. Si l'Irak a été le seul pays à faire usage de gaz chimiques
(contre l'Iran, mais aussi les Kurdes), l'Iran, Israël, la Syrie, la Libye et l'Égypte sont, à des
degrés divers, soupçonnés de s'en être dotés. De même, si Israël reste le seul dans la région à
détenir l'arme nucléaire, l'Irak, à la veille de la guerre du Golfe, était très avancé dans son
programme nucléaire ; quant à l'Iran, si l'Agence internationale de l'énergie s'affirme rassurée par
les inspections qu'elle y effectue régulièrement, Washington accuse le régime islamiste de
vouloir profiter des réacteurs nucléaires civils fournis par la Russie pour se doter d'une bombe
atomique. Les importations d'armes du Moyen-Orient ont cependant diminué à la suite du
développement d'industries d'armement locales indépendantes. C'est en particulier le cas d'Israël,
qui fabrique, entre autres, ses propres pistolets-mitrailleurs (Uzi), fusils d'assaut (Galil), chars
(Merkava), avions (Kfir, plus des hélicoptères et des avions de transport), missiles on l'a vu,
patrouilleurs (Osa, Komar, Reshef et Alya), etc. Non seulement l'État hébreu équipe son armée
avec ses productions, mais il les a vendues à de nombreux pays comme l'Afrique du Sud,
l'Argentine, l'Équateur, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Kenya, le Liberia, le Salvador ou le
Venezuela. Selon les statistiques du Rapport mondial sur le développement humain 1996, en
pourcentage du produit intérieur brut consacré à la Défense en 1994 comparé à 1985, Oman
venait en tête (15,9 % contre 20,8 %), devant l'Irak (14,6 % contre 25,9 %), puis le Koweït (12,2
% contre 9,1 %), l'Arabie Saoudite (11,2 % contre 19,6 %), Israël (9,5 % contre 21,2 %), la
Syrie (8,6 % contre 16,4 %), la Jordanie (7,1 % contre 15,9 %), Bahreïn (5,5 % contre 3,5 %),
les Émirats arabes unis (5,7 % contre 7,6 %), le Yémen (5,2 % contre 8,9 %), l'Iran (3,8 %
contre 36 %), l'Égypte (5,9 % contre 7,2 %), le Liban (4,4 % contre 9 %), Qatar (3,8 % contre 6
%), la Libye (3,7 % contre 6,2 %), le Soudan (3,5 % contre 3,2 %) et la Turquie (3,2 % contre
4,5 %). A l'exception de Bahreïn et du Soudan, la " décrue " est remarquable. TABLEAUX
@Légende = Source : Rapport sur le développement humain 1996, Éditions Économica, 1996.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ARMES DE DESTRUCTION MASSIVE


La course aux missiles, dont le Moyen-Orient a été le théâtre au cours des années 80, a
modifié profondément, avec de redoutables conséquences, les données militaires. Sept pays de la
région disposent aujourd'hui de missiles capables de transporter des charges nucléaires à plus de
300 km et jusqu'à 2 600 km. Israël dispose des Jéricho 1 (650 km de portée) et 2 (1 500 km) qu'il
fabrique : ils peuvent frapper n'importe quelle capitale moyen-orientale. L'un et l'autre seraient
susceptibles de transporter des charges nucléaires. En revanche, la petite taille des satellites
Offek, dont le troisième a été lancé par Israël en avril 1995, exclut selon les experts un usage
militaire direct. Avec l'aide des États-Unis, l'État juif produit depuis le début des années 90 le
missile antimissiles Arrow, capable d'intercepter jusqu'à 90 km un engin agresseur. Pour leur
part, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Irak (avant la guerre du Golfe), l'Iran, la Libye, la Syrie
et le Yémen disposent de Scud-B et -C d'origine soviétique, chinoise ou nord-coréenne, d'une
portée respective de 300 et 500 km. Mais l'Irak, par exemple - on l'a vu durant la guerre du Golfe
- avait réussi à " bricoler " ses Scud soviétiques, rebaptisés Al Husayn (600 km de portée) et Al
Abbas (900 km). Sans oublier le fameux " supercanon " que Bagdad a reconnu avoir tenté de
mettre au point avec l'aide de la Grande-Bretagne et dont les projectiles pourraient tomber à des
centaines de kilomètres. La Syrie aurait, en outre, acquis des CSS-6/M-9 chinois, dont la portée
est de 600 km. Chinois également, les CSS-2 de l'Arabie Saoudite peuvent frapper une cible à 2
700 km, donc aussi bien en Grèce qu'en Inde ou dans la CEI. Israël s'inquiète particulièrement de
l'arrivée au Moyen-Orient de ce missile, dont il connaît fort bien les performances puisque ses
techniciens ont secrètement aidé la Chine à le convertir du nucléaire au conventionnel, et à en
mettre au point le système de guidage. Comme on le voit, le temps est révolu où Washington,
Moscou, Londres et Paris monopolisaient la fabrication et la vente des armes, a fortiori des
missiles : de nouveaux producteurs, notamment la Chine et la Corée du Nord, se taillent une part
croissante du marché du Moyen-Orient, dont, en outre, plusieurs pays développent une industrie
d'armements indépendante (comme Israël, l'Irak avant la guerre du Golfe, l'Iran, l'Égypte, etc.).
Parmi les missiles en cours de développement figurent en Corée du Nord le No-Dong (1 000 km
de portée) et le Taepo-Dong (2 000 km, voire 3 500 km) ainsi qu'en Israël le Jéricho 3 (2 500
km). La " guerre des villes " à laquelle se sont livrés l'Irak et l'Iran au cours de leur long
affrontement a servi de banc d'essai. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale,
des missiles ont massivement frappé la population civile : Bagdad et Téhéran, durant le seul
hiver 1987-1988, " échangèrent " 417 Scud-B, dont ils avaient réussi à doubler la portée et qui
occasionnèrent plus de 2 000 victimes. Puis vint la guerre du Golfe, qui marqua une nouvelle et
redoutable étape dans l'escalade. Avec le tir de 93 Scud irakiens - sur les 819 fournis par l'URSS
- contre Israël comme contre l'Arabie Saoudite et Bahreïn, il est apparu clairement que le Moyen-
Orient était désormais mûr pour une guerre de missiles. Lesquels, au lieu d'armes
conventionnelles, pourraient transporter demain des armes de destruction massive... Si cette
surenchère des missiles au Moyen-Orient inquiète tant les responsables des grandes puissances,
c'est en effet qu'elle se double d'une redoutable course aux armes de destruction massive -
nucléaires, chimiques et biologiques - qui pourraient, un jour, équiper les ogives des engins
balistiques. En matière nucléaire, c'est Israël qui a ouvert la voie : en se dotant de la bombe A,
réalisée en 1966 grâce à l'aide française, puis de la bombe H, mise au point en coopération avec
l'Afrique du Sud et Taïwan à la fin des années 70. À en croire l'ingénieur Vanunu, enlevé par les
services secrets israéliens et condamné le 24 mars 1988 à dix-huit ans de prison pour l'avoir
révélé en 1986 au Sunday Times, le stock de l'État hébreu se montait alors à 200 bombes. On
l'évalue en 1996 à 300. " Nous ne pouvons pas écarter la possibilité que l'autre côté en fasse
autant, amenant le conflit à de nouvelles dimensions ", déclarait, dès 1987, Evgueni Primakov, le
conseiller de Mikhaïl Gorbatchev. De fait, l'Irak a tout tenté pour se procurer, lui aussi, l'arme
nucléaire. On sait que George Bush, en novembre 1990, lors du Thanksgiving Day passé sur le "
front " saoudien avec les GI's, avait déclaré : " Chaque jour, Saddam Hussein approche de la
réalisation de son but : un arsenal d'armes atomiques " - une manière, bien sûr, de justifier la
guerre. Plus prudentes, les sources israéliennes affirmaient que l'Irak posséderait déjà la bombe
si... l'armée israélienne n'avait pas détruit en 1981 les réacteurs nucléaires de Tamouz, construits
par la France et dont Paris a toujours assuré qu'ils ne se prêtaient qu'à un usage pacifique. De
même, selon les contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), auxquels
Bagdad continuait de se plier, rien ne permettait aux ingénieurs irakiens de détourner à des fins
militaires les technologies civiles dont ils disposent... En réalité, l'Irak avait avancé à grands pas
sur la voie de la fabrication d'armes nucléaires, comme on l'apprit en août 1995, à l'occasion de la
défection des deux gendres de Saddam Hussein. Parmi eux, le maréchal Hussein Kamel, " père "
des programmes d'armement de Bagdad. Selon lui, lors de la guerre du Golfe, les premiers tests
d'une bombe atomique étaient en vue. Du fait de l'embargo, Bagdad a dû renoncer -
provisoirement ? - à ses ambitions atomiques. Ce ne serait pas le cas de Téhéran. Si l'on ignore
tout de l'avancement de ses projets militaires, le développement de son nucléaire civil est, lui,
indiscutable. La Russie, malgré l'opposition des États-Unis, s'est engagée à fournir à l'Iran un
réacteur de 1 000 megawatts, auquel pourraient s'ajouter deux autres, de 1 000 et 400 megawatts.
La Chine s'est également proposée pour la construction de futures centrales. Or le pays compte
trois mines d'uranium, et Pékin a livré un séparateur isotope électromagnétique... Jusqu'ici,
cependant, les inspections de l'AIEA n'ont pas permis de mettre en évidence un programme de
construction d'armes nucléaires. Néanmoins, les services de renseignements israélien et américain
prétendent que celles-ci pourraient être au point d'ici à la fin du siècle. Téhéran, en tout cas, a
rejoint le Traité de non-prolifération nucléaire et passé en mai 1994 un nouvel accord avec
l'AIEA, qui se félicite de la coopération iranienne. À défaut d'engins atomiques, plusieurs pays
de la région se sont efforcés d'acquérir la " bombe atomique du pauvre " : l'arme chimique. L'Irak
fut sans doute le premier à s'en doter, avec l'aide d'entreprises d'Allemagne (poursuivies depuis
par leur gouvernement) mais aussi, semble-t-il, d'Autriche, d'Espagne, d'Inde, des États-Unis et...
de France. Et Saddam Hussein serait déjà passé de la théorie à la pratique, dès la guerre Iran-Irak
: il en aurait fait usage contre les troupes de Téhéran, mais également contre la population kurde
de Halabja. Sur le champ de bataille, à en croire les experts, l'effet d'un bombardement chimique
serait plus psychologique que tactique. C'est en tout cas en misant sur la peur que le régime
baasiste a joué cette " carte " durant la crise du Golfe : en menaçant d'utiliser son potentiel
chimique pour dissuader toute attaque contre l'Irak. Le ler avril 1990, le Numéro un irakien avait
promis de " brûler la moitié d'Israël " en cas d'agression de la part de celui-ci. Et, au fil de la
crise, il a répété ses mises en garde et les a élargies aux armes biologiques - les responsables
irakiens ont reconnu avoir procédé, quatre ans durant, à des expériences bactériologiques, dont
les inspecteurs ont trouvé la trace sur le site de Salman Park sous forme de bactéries capables
d'inoculer l'anthrax, le botulisme, la brucellose et la tularémie. Si elles n'ont aucunement rempli
leur rôle dissuasif, ces menaces marquèrent en revanche profondément l'escalade vers la guerre
du Golfe. Face à un arsenal irakien estimé par la CIA à 1 000 tonnes de gaz (moutarde, sarin et
tabun), soit 500 000 projectiles, les adversaires de Bagdad allaient prendre de spectaculaires
précautions. En Arabie Saoudite, les Américains amenaient des engins protégés, équipaient leurs
soldats de tenues antigaz et les vaccinaient. De son côté, dès octobre 1990, Israël distribuait des
masques à gaz à l'ensemble de sa population - les Palestiniens des Territoires occupés n'en
obtenaient que plus tard un nombre plus restreint et... payant ! Et, bien que leurs dirigeants aient
promis quasi explicitement à Bagdad des représailles nucléaires en cas d'attaque chimique, les
Israéliens allaient redouter, à chaque chute de Scud, l'idée d'une explosion chimique.
L'éventualité en semblait pourtant des plus improbables aux observateurs, compte tenu de la très
faible quantité de gaz que peut contenir une tête de missile, de l'imprécision du tir et du nombre
limité des Scud. Le fait est qu'au cours de l'affrontement, ni l'Irak ni les nations coalisées contre
lui n'ont finalement eu recours aux armes chimiques, a fortiori biologiques - bien qu'un rapport
américain de 1994 ait attribué à des attaques chimiques irakiennes le " syndrome " dont
souffraient de nombreux vétérans de la guerre du Golfe. Quoi qu'il en soit, le spectre agité
pendant des mois aura sans doute poussé les pays de la région à commander massivement des
équipements défensifs - ainsi l'Égypte, Israël, l'Arabie Saoudite, la Syrie et la Turquie -, voire à
accélérer la production d'armes offensives qu'ils possèdent tous déjà. D'où, vraisemblablement,
le nouvel élan donné par les grandes puissances à l'effort de désarmement, avec cette fois la
volonté de tenir compte de la tendance de nombreux pays du Moyen-Orient à lier désarmement
chimique et désarmement nucléaire. Ainsi, réunis à Paris en juillet 1991, les cinq membres
permanents du Conseil de sécurité de l'ONU se sont-ils prononcés pour une " zone libre d'armes
de destruction massive au Moyen-Orient " et ont décidé d'observer, dans ce but, des " règles de
retenue " dans leurs exportations d'armes. Et de prôner l'adoption par les pays de la région d'un "
programme global de contrôle des armements " comprenant à la fois : " le gel et, à titre
d'objectif final, l'élimination des missiles sol-sol ", " la soumission de l'ensemble de leurs
activités nucléaires aux contrôles de l'AIEA ", " l'interdiction d'importation et de production de
matières utilisables à des fins de fabrication d'armes nucléaires ", " l'engagement à devenir
parties de la convention sur les armes chimiques dès que celle-ci sera conclue en 1992 "... Ces
bonnes intentions sont, jusqu'ici, restées lettre morte. Soumise à la signature des États le 13
janvier 1993, la Convention sur les armes chimiques a été ratifiée, au 1er septembre 1996, par 61
des 159 États concernés : son entrée en vigueur nécessite 65 signatures. Parallèlement, la
destruction par les États-Unis et la Russie de leurs stocks chimiques se heurte à de nombreux
obstacles. Malgré l'utilisation, pour la première fois, du gaz sarin à des fins terroristes - en
l'occurrence au Japon, par la secte Aum -, l'urgence du problème demeure mal perçue. De même,
la conférence spéciale de septembre 1994 des États signataires de la Convention sur les armes
biologiques n'a pas débouché sur une réelle avancée, pas plus que les sessions du groupe ad hoc
tenues en juillet et novembre-décembre 1995. Au Moyen-Orient, plusieurs pays semblent même
poursuivre leur efforts, les uns pour se doter d'armes chimiques ou biologiques, les autres pour
renforcer leur arsenal dans ce domaine. Sur les listes du Service de recherche du Congrès des
États-Unis, figurent comme " détenteurs " d'armes chimiques l'Irak et l'Iran ; comme " détenteurs
probables " Israël et la Syrie ; comme " suspect " la Libye. Pour les armes biologiques, les
Américains ne retiennent que des " détenteurs probables " (Iran et Syrie) et des " suspects "
(Égypte et Libye). Dans le cas de cette dernière, après les usines de Rabta et de Sebna accusées
en 1990 de fabriquer des gaz chimiques, l'inquiétude concerne désormais celle de Tarthuna qui -
grâce aux fournitures allemandes, belges et britanniques - serait en état de produire 1 000 tonnes
de gaz moutarde, 90 tonnes de sarin et 1 300 tonnes de soman par an. Par ailleurs, en janvier
1994, un cargo allemand, le Asian Senator, a été mis en cause dans le transport vers l'Irak de
produits chimiques utilisés dans la fabrication d'armes, en violation de l'embargo des Nations
unies. L'année précédente, un navire chinois, le Yin He, avait fait l'objet d'accusations identiques,
mais la livraison aurait été destinée, cette fois, à l'Iran... À vrai dire, nul ne sait ce qui se trame
exactement dans les laboratoires clandestins des uns et des autres.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ASSAD (Hafez Al)


Né le 6 octobre 1930 à Kardaha, dans le nord de la Syrie, Hafez Al Assad appartient à la
minorité des alaouites - secte d'origine chiite, souvent considérée par les musulmans sunnites
comme hétérodoxe, et dont on ne trouve des représentants qu'au Liban et surtout en Syrie, où ils
constituent un peu plus de 10 % de la population. Assad a grandi dans une famille de paysans
aisés. Il poursuit ses études secondaires au lycée de Lattaquieh. À cette période, il adhère au parti
Baas et participe aux luttes étudiantes contre l'occupation française. Il entre en 1952 à l'école
militaire de Homs où il fait la connaissance de Moustapha Tlass, l'actuel ministre de la Défense.
Pilote de chasse, il effectue plusieurs stages de formation en URSS avant d'être envoyé en Égypte
durant l'éphémère République arabe unie (1958-1961). Là, avec plusieurs officiers syriens, dont
Salah Jdid, il forme le Comité militaire baasiste, acteur décisif dans la prise du pouvoir du Baas à
Damas en 1963. Nommé commandant en chef des forces aériennes en 1965, il aide l'année
suivante Salah Jdid à éliminer l'équipe au pouvoir, jugée trop à droite. Mais, chef de l'aviation et
ministre de la Défense, il s'oppose rapidement à la " radicalisation " qu'impose Salah Jdid ainsi
qu'à son " aventurisme ". Ainsi, durant les événements de septembre 1970 (voir Septembre noir)
en Jordanie, il refuse de fournir la couverture aérienne aux blindés syriens qui tentent de porter
secours à l'OLP. La lutte interne s'avive et, le 16 novembre 1970, un coup d'État porte Assad à la
présidence du Conseil. Il sera élu, dans les mois qui suivent, secrétaire général du parti Baas,
puis président de la République. En quelques années, Assad consolide un pouvoir devenu
autoritaire et s'appuie sur l'armée et les " brigades de défense " - une garde prétorienne dirigée
par son frère Rifaat. Il est à l'origine de toutes les grandes décisions prises depuis 1970 :
participation à la guerre d'octobre 1973, négociations avec Henry Kissinger en 1974-1975,
intervention au Liban en 1976, refus des accords de Camp David en 1978, négociations
bilatérales avec Israël sur la lancée de la conférence de Madrid... Adversaire redoutable, doté
d'une volonté de fer, il sait aussi faire preuve de souplesse quand cela s'avère nécessaire ; les
péripéties des relations avec ses voisins, ou avec la Maison Blanche, le prouvent abondamment.
À l'intérieur, il a impitoyablement éliminé toute contestation, y compris dans le parti Baas ou
dans l'armée. En novembre 1983, après une alerte cardiaque sérieuse qui le tient à l'écart des
affaires, une guerre de succession oppose son frère Rifaat à des généraux de l'armée, dont Chafik
Fayyad. Après une période de troubles et d'affrontements armés, le retour d'Assad - qui exile
provisoirement les protagonistes - met un terme aux discordes. Le président en profite pour
réorganiser le pouvoir, saper la puissance de son frère - qui, après avoir été nommé vice-
président aux côtés d'Abdel Halim Khaddam, ministre des Affaires étrangères responsable du
dossier libanais, est à nouveau exilé. Il confirme sa prééminence au huitième congrès du parti, en
janvier 1985. Dès la fin des années 80, Assad commence à pousser sur le devant de la scène son
fils aîné, Bassel Al Assad, mais la mort de ce dernier, le 21 janvier 1994, à l'âge de trente-deux
ans, repose avec force la question de la succession. L'autre fils, Bachar, prend en tout cas à partir
de cette date une place plus importante dans le pouvoir : il sera nommé commandant dans la
Garde présidentielle en 1995, à vingt-neuf ans, et assurera différentes missions, notamment au
Liban. La participation de la Syrie à la coalition anti-irakienne en 1990-1991 a permis à Assad
de sortir son pays de l'isolement, de confirmer son hégémonie au Liban et d'apparaître comme un
interlocuteur central au Proche-Orient. Depuis, et surtout après la signature des accords d'Oslo
puis de la paix israélo-jordanienne, le grand objectif que s'assignent le pouvoir et le président
Assad est de faire reconnaître la place de la Syrie dans le Proche-Orient de demain. Lors de sa
rencontre avec le président William Clinton, à Genève, le 16 janvier 1994, il affirmait : " Nous
sommes prêts à signer la paix, maintenant. " Mais cette paix, il faut qu'Israël et les Etats-Unis en
paient le prix fort : le retrait du Golan, la reconnaissance du rôle de la Syrie au Liban, une aide
économique accrue. La victoire de la droite aux élections israéliennes de mai 1996 et les
déclarations de Benyamin Netanyahou hostiles au retrait du Golan risquent de bloquer toute
avancée vers la paix. Et donc de reporter le défi sans précédent que représenterait, pour Hafez Al
Assad et son régime, un retour à la paix que la Syrie n'a pas connue depuis 1967. Le président
Assad mène une vie austère, qui tranche avec la corruption qui s'est largement installée dans les
allées du pouvoir, malgré des campagnes régulières pour la moralisation.
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AUTONOMIE
Le concept d'autonomie (self-government en anglais) est au coeur des négociations de
paix israélo-palestinien. Affirmé par la déclaration de Washington du 13 septembre 1993 et mis
en oeuvre par les accords d'Oslo I et de Taba (Oslo II), c'est le statut transitoire donné à la bande
de Gaza et à la Cisjordanie - Jérusalem exclue - jusqu'en 1999. A cette date, devra être défini, à
l'issue des négociations finales, un statut définitif pouvant, soit prolonger sous telle ou telle
variante l'autonomie en cours, soit, comme le souhaitent les Palestiniens, déboucher sur la
création d'un État indépendant. Ce schéma s'inspire directement des accords de Camp David de
1978 qui, dans leur second volet, précisaient que, pendant une période de cinq ans, serait
accordée " une pleine autonomie aux populations de Cisjordanie et de Gaza ". De plus, " le
gouvernement militaire israélien et l'administration civile israélienne cesseront d'exercer leurs
fonctions dès qu'une autorité autonome aura été librement élue par les habitants de ces régions
". L'Égypte, Israël et la Jordanie (qui n'avait pas été consultée) devaient se mettre d'accord sur les
" modalités d'établissement d'une autorité autonome élue ". Des Palestiniens des Territoires
occupés pourraient s'intégrer à des délégations arabes, à condition d'avoir l'aval d'Israël. Enfin, à
l'issue des trois premières années de la période transitoire commenceraient des négociations sur
l'avenir de la Cisjordanie et de Gaza, le texte restant muet sur le sort de Jérusalem. Dans une
lettre d'éclaircissement à Menahem Begin, jointe au traité, le président Jimmy Carter précisait
qu'il avait bien été informé que partout où figurait la mention " Palestinien " ou " peuple
palestinien ", le Premier ministre israélien " comprenait Arabes palestiniens " - autrement dit
qu'il rejetait la notion de " peuple palestinien ". Ce projet ne verra pas le jour. La Jordanie refuse
de participer aux négociations et l'accélération, dès 1979, de la colonisation israélienne des
Territoires occupés contredit l'esprit sinon la lettre des accords. Les interminables discussions
entre Le Caire et Tel Aviv ne pourront aboutir à une définition des pouvoirs de la future autorité
autonome palestinienne : le président Anouar Al Sadate lui-même, peu suspect d'extrémisme,
devra renoncer face à l'intransigeance israélienne, dont les raisons sont facilement identifiables.
Tout scrutin libre en Cisjordanie et à Gaza ne peut aboutir qu'à une victoire des partisans de
l'OLP, les élections municipales de 1976 l'avaient amplement démontré. Dans ces conditions, la
vision israélienne des " pouvoirs " de la future autorité élue est plus qu'étroite. Conformément à
sa conception selon laquelle l'autonomie concerne les habitants, non les territoires, Menahem
Begin, alors Premier ministre, considère que l'État hébreu devrait continuer à contrôler la sécurité
intérieure, l'ensemble des terres domaniales et la distribution de l'eau ; les colons et les colonies
ne dépendraient que de lui ; il superviserait également les postes et télécommunications, les
exportations et les importations, les voyages vers les pays arabes, les transferts de fonds à
l'étranger, etc. De plus, à l'issue des cinq années de transition, Israël ferait valoir sa souveraineté
sur la Cisjordanie et sur Gaza. À la différence du précédent de Camp David, l'autonomie
nouvelle manière a vu le jour le 4 mai 1994, d'abord à Jéricho et à Gaza. Malgré les retards
enregistrés dans son calendrier d'application, l'armée israélienne se retire de la plus grande partie
de la bande de Gaza, puis de sept grandes villes arabes de Cisjordanie : Jéricho, Ramallah,
Naplouse, Kalkilya, Jénine, Tulkarem, Bethléem ; en revanche, à Hébron, le retrait a été
plusieurs fois retardé. Une Autorité palestinienne est mise en place, à laquelle Israël transfère
l'essentiel des pouvoirs civils : maintien de l'ordre, économie, éducation, santé, etc. Elle sera
légitimée, le 20 janvier 1996, par l'élection d'un Conseil et de son président, aux termes de
laquelle Yasser Arafat et ses proches au sein du Fatah se voient confirmés dans leur contrôle des
nouvelles institutions. Quant à la police palestinienne, forte de quelque 27 000 hommes en 1996,
et aux divers services de renseignement, d'ailleurs rivaux, installés par Abou Ammar, ils assurent
le maintien de l'ordre, la répression des activités violentes hostiles aux accords de paix, mais
aussi l'intimidation de tous ceux qui s'opposent au pouvoir en place. Réduite, l'autonomie
version Oslo subit de sérieuses limitations qui - outre son caractère transitoire et l'absence de
règlement de questions décisives comme Jérusalem, les colonies, l'eau ou les réfugiés - risquent
de faire échouer l'expérience : * La première tient (voir carte, page 273) au cadre territorial
choisi : la zone de souveraineté palestinienne entière, dite A, ne représente que 3 % du territoire
et 20 % de la population de la Cisjordanie ; la zone B, où Israël conserve la responsabilité de la
sécurité, comprend 27 % du territoire et la quasi-totalité des 465 villages arabes ; la zone C, où la
mainmise israélienne demeure totale, totalise 70 % du territoire - et recèle des richesses
essentielles pour l'économie palestinienne, comme les nappes phréatiques et les terres agricoles
de la vallée du Jourdain. * La deuxième contrainte, c'est la colonisation qui, loin d'être remise
en cause, s'est poursuivie après le 13 septembre 1993 : on compte en 1995 150 000 colons,
auxquels s'ajoutent ceux du " Grand Jérusalem ". Dix fois moins nombreux que les Palestiniens,
ils accaparent deux fois plus de terres, bénéficient de ressources en eau proportionnellement bien
supérieures et n'ont de comptes à rendre qu'aux autorités israéliennes. " Arafat a été contraint de
signer à la Maison Blanche un accord qui inclut la reconnaissance de facto et de jure de
l'ensemble des colonies juives dans les territoires ", reconnaissait le ministre travailliste de la
police, Moshe Shahal, au lendemain de la signature d'Oslo II, le 28 septembre 1995... *
Troisième obstacle, de taille, les rapports économiques inégaux avec Israël. L'économie
palestinienne est sortie naturellement très affaiblie des longues années d'occupation israélienne,
durant lesquelles l'État juif, non content d'accaparer la majorité des terres et des ressources en
eau, prélevait quelque 20 % du PNB des territoires, 95,5 % de ses investissements allant... aux
implantations juives ! En 1993, la production de la Cisjordanie représente 2,5 % de celle d'Israël,
celle de Gaza 1 %, le PNB par an et par habitant s'y élevant respectivement à 2 040 dollars et 1
250 dollars contre 13 000 en Israël. Avec le sous-développement des territoires, le principal
résultat, c'est leur dépendance : 90 % des importations de Gaza et de Cisjordanie proviennent
d'Israël, qui reçoit 75 % de leurs exportations ; les dizaines de milliers d'emplois normalement
disponibles en Israël représentent 34 % de la population salariée des Territoires occupés et un
quart du PNB. " Israël a volontairement coupé les liens avec d'autres pays. Il a transformé les
territoires en marché captif et empêché la réalisation d'une centre économique autocentré ",
résume l'économiste palestinien Adel Samara. Or, les accords économiques dits de Paris, signés
le 29 avril 1994 - et légèrement modifiés lors de la signature des accords d'Oslo II - ne donnent
pas à l'Autonomie palestinienne les moyens de se dégager de cette emprise : ils ne prévoient ni
banque centrale ni monnaie propre ; en dépit de la création entre les deux partenaires d'une zone
de libre échange, ils imposent des quotas sur l'exportation vers l'État juif des principaux produits
agricoles palestiniens comme sur les importations en Cisjordanie et à Gaza de marchandises en
provenance des pays arabes ou d'ailleurs ; la fiscalité palestinienne est identique à l'israélienne, à
deux points de TVA près. Le bouclage des territoires palestiniens au lendemain des attentats de
Hamas, au printemps 1996, a mis le doigt sur cette terrible dépendance : chaque journée de
fermeture totale des frontières israéliennes aux travailleurs et aux produits palestiniens
représente, selon les statistiques de la Banque mondiale, une perte de 30 % de son revenu pour
Gaza et de 25 % pour la Cisjordanie. Sans parler des conséquences tragiques de la pénurie de
farine et de médicaments... C'est dire l'importance de l'aide internationale. La politique du
nouveau gouvernement de droite israélien qui, tout en proclamant son attachement à la paix,
réduit l'autonomie à sa plus simple expression. Le programme de l'équipe formée le 19 juin 1996
par Benyamin Netanyahou exclut en effet la création d'un quelconque État palestinien ainsi que
toute division de Jérusalem, et entend développer la colonisation juive dans les territoires
occupés. En septembre 1996, l'armée israélienne pénètrera dans les Territoies autonomes pour
réprimer les manifestations. Le concept d'autonomie a également joué un rôle en Irak où, dans
les années 60, les Kurdes se battent pour l'autonomie du Kurdistan à l'intérieur d'un État
démocratique. Ils obtiennent théoriquement gain de cause en 1970, mais l'interprétation de
l'accord que Saddam Hussein imposera finalement dans les années 70 et 80 le dépouille de toute
signification. Au lendemain de la guerre du Golfe les peshmerga et Bagdad entameront des
négociations sur l'autonomie kurde. Elles se heurteront à la définition exacte du territoire
concerné, à la répartition des richesses économiques entre les Kurdes et le centre, et enfin à la
définition des pouvoirs réels dont disposerait le conseil régional du Kurdistan. Elles échoueront
donc et les Kurdes, sous la protection occidentale, assureront une autonomie de facto sur le nord
du pays. Enfin, l'autonomie a été aussi appliquée au Soudan, pour tenter de régler la question
sudiste. Proposée par le Parti communiste dans les années 60, mise partiellement en oeuvre dans
les années 70, elle sera abrogée par Jaafar Al Nemeiry en 1983, ce qui provoquera une reprise de
la guerre civile.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

AUTORITÉ PALESTINIENNE
La Déclaration de principes sur les arrangements intérimaires d'" autogouvernement " (ou
d'autonomie), signée le 13 septembre 1993 à Washington, premier volet des accords d'Oslo, fixe
le but immédiat de l'OLP et d'Israël : " Établir une Auto- rité intérimaire palestinienne de
l'autonomie, le Conseil élu, pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, pour une période
transitoire de cinq ans menant à un arrangement permanent fondé sur les résolutions 242 et 338
du Conseil de sécurité de l'ONU ." L'Autorité palestinienne va se mettre en place en deux étapes.
La première s'ouvre avec le retrait des troupes israéliennes de Gaza et de Jéricho, en mai 1994 et
l'instauration d'une autonomie limitée à ces zones. Le pouvoir qui s'installe émane directement de
l'OLP - en fait de Yasser Arafat lui-même, qui s'installe à Gaza le 1er juillet 1994 ; il ne rayonne
que sur une faible fraction des Palestiniens. La seconde phase commence avec l'élection du
Conseil législatif et de son président, le 20 janvier 1996, et l'extension de l'autonomie à la
majorité de la population de la Cisjordanie. Désignée par le Conseil, l'Autorité nationale dispose
désormais de la crédibilité du suffrage universel. Dès l'origine, les pouvoirs de la nouvelle
Autorité sont très sévèrement limités par le contenu des accords signés avec Israël. Non
seulement des domaines entiers échappent à sa juridiction - colonies, relations étrangères,
installations militaires, Israéliens -, mais dans les secteurs où elle devient compétente, le contrôle
des autorités d'occupation reste fort. Plus qu'une séparation entre Palestiniens et Israéliens, c'est
la dépendance des premiers par rapport aux seconds qui est institutionnalisée. Dans ce contexte
très difficile, marqué de plus par la difficulté de construire une administration après plus de
vingt-cinq ans d'occupation, Yasser Arafat, dès son retour à Gaza, installe une Autorité composée
de vingt-quatre " ministères " dont les titulaires sont originaires soit de l'exil, soit de l'intérieur.
Très vite, les principaux défauts de fonctionnement de l'OLP se retrouvent dans les nouvelles
institutions : concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qui contrôle les
nominations et les finances ; permanence du clientélisme ; multiplication des services secrets et
des pouvoirs de la police. Il est possible de dresser un bilan de l'activité de l'Autorité dans trois
champs essentiels : l'économie, la création d'un État de droit, le renforcement de la société
politique palestinienne. Dans le domaine économique, la première année a été marquée par des
difficultés à établir un équilibre budgétaire dont la responsabilité incombe en fait aux trois
protagonistes principaux : Palestiniens, Israéliens et bailleurs de fonds internationaux. Dès le
départ, les rivalités entre le ministère de l'économie et celui de la planification, le statut flou du
Conseil économique pour le développement et la reconstruction ont rendu difficile tout
programme cohérent de développement. D'autre part, le retard pris dans la mise en oeuvre de la
Déclaration du 13 septembre 1993 a privé l'Autorité de nombreuses ressources fiscales. Enfin, les
bailleurs de fonds internationaux, réticents à financer les dépenses courantes et récurrentes,
incapables de coordonner leur action, ont mis un temps à s'adapter. Finalement, à la fin de 1995,
ces problèmes semblaient en passe d'être résolus, les performances de l'administration
palestinienne s'amélioraient et l'aide internationale, désormais coordonnée et relayée sur place par
des structures gérées par les Nations unies et la Banque mondiale, commençait à affluer - elle
devrait représenter, pour la période 1994-1998, 2,5 milliards de dollars. Un accord était conclu,
en janvier 1996, pour financer un déficit budgétaire de 75 millions de dollars pour l'année, le
budget de 1997 devant être équilibré. Mais ni le retour à l'équilibre budgétaire, ni l'aide
internationale, ni les efforts faits pour le renforcement du secteur privé, ne peuvent résoudre les
deux problèmes cruciaux : * la réduction dramatique du nombre de Palestiniens autorisés à
travailler chaque jour en Israël. Entre 1992 et 1995, il est passé de 120 000 à 30 000. Le bouclage
répété des territoires a réduit à la misère des dizaines de milliers de Palestiniens (en 1995, le PNB
de la Cisjordanie et de Gaza a chuté de 8,5 % et le pourcentage de chômeurs dépasse, en juin
1996, 28 %). Le coordinateur spécial des Nations Unies, Terje Larsen, évalue le coût du
bouclage durant une année à 750 millions de dollars, soit plus que l'aide internationale. *
l'impossibilité, dans le cadre défini par les accords d'Oslo, de gérer un développement autonome
de " bantoustans ", sans continuité territoriale et totalement dépendants d'Israël. L'émergence
d'une classe de " nouveaux riches ", liée au pouvoir et à l'aide internationale, ne peut masquer la
situation de la majorité des Palestiniens. Pour 1996, les dépenses pour la police (194 millions de
dollars) représenteront environ 30 % des dépenses courantes de l'Autorité. Ce niveau témoigne
des priorités fixées, dès le départ, par le gouvernement israélien : la sécurité. Les autorités de Tel
Aviv acceptent, encouragent et encadrent la mise en place d'un impressionnant appareil de
répression : avant même l'extension de l'autonomie à la Cisjordanie, les forces de police
palestiniennes comptaient 20 000 hommes. Leur nombre devait être porté à 27 000 en 1996.
Aucune législation ne limite leur action et l'impunité semble devenir la règle : arrestations
arbitraires, tortures, morts suspectes en détention, etc. Et toutes ces violations des droits de
l'homme sont passées sous silence par la communauté internationale au nom de la lutte contre le
Hamas. La coopération avec les services israéliens a atteint un tel niveau que le chef des services
de renseignement israélien mettait en garde Benyamin Netanyahou, au lendemain de sa victoire,
contre toute remise en cause de la coopération sécuritaire avec l'Autorité palestinienne : elle seule
a permis les arrestations de cadres du Hamas et du Jihad islamique. De plus, selon des sources
concordantes, les différents services secrets palestiniens seraient manipulés par leurs homologues
israéliens et utilisés pour contrôler l'Autorité et, éventuellement, la succession de Yasser Arafat.
Mais la répression ne frappe pas que les " terroristes ". Elle se traduit par l'intimidation de toute
opposition ou de toute velléité de critique du pouvoir et notamment de Yasser Arafat. Pourtant,
les élections du conseil législatif et du président de l'Autorité, le 20 janvier 1996, ont montré la
grande diversité de la société et sa volonté de faire émerger un modèle démocratique. Le taux de
participation a atteint près de 80 % - il n'a été faible qu'à Jéusalem, en raison des pressions
israéliennes, et à Hébron, où se poursuivait l'occupation. Même si Yasser Arafat a obtenu près de
88 % des suffrages exprimés (avec toutefois près de 20 % de bulletins blancs) et si 51 candidats
présentés sur listes officielles du Fath l'ont emporté (sur un total de 88 sièges), plusieurs facteurs
témoignent de la volonté démocratique des Palestiniens : la victoire de nombreux candidats
dissidents du Fath disposant d'une légimité acquise durant l'intifada et entrés en concurrence
avec des hommes imposés par Arafat ; l'élection de plusieurs candidats indépendants connus pour
leur vision critique des accords d'Oslo (le docteur Haydar Abdel Chafi à Gaza, Hanane Achraoui
à Jérusalem, Abdel Jawad Saleh à Ramallah, etc.) ; la victoire d'autres candidats indépendants
proches du Hamas (notamment à Gaza) ou du FPLP. Malgré les nombreuses irrégularités
constatées par les 1 500 observateurs internationaux, malgré les pressions directes et indirectes,
voire dans certains cas les trucages, le scrutin du 20 janvier 1996 a été saisi par les Palestiniens
comme une occasion d'exprimer leurs aspirations. D'où l'échec des consignes de boycottage du
Hamas, du FPLP et du FDLP (malgré l'avis contraire, pour des deux dernières de leurs militants
de l'intérieur). L'Autorité - ou gouvernement - mise en place à l'issue de ce scrutin inclut de
nombreux opposants, comme Abdel Jawad Saleh, Hanane Achraoui ou encore Bachir Barghouti
(du Parti populaire, ex-communiste), etc. Pourtant, les pratiques de Yasser Arafat ne changent
pas...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

BAAS
Le mouvement baasiste (du mot arabe baas, renaissance) a été créé à Damas dans les
années 40 par le chrétien orthodoxe Michel Aflak et le sunnite Salah Al Din Bitar. Le premier
congrès du parti se tient en 1947 dans la capitale syrienne. En 1953, il fusionne avec le Parti
socialiste arabe d'Akram Hourani et prend le nom de Parti Baas arabe socialiste. Il est le premier
à considérer le monde arabe dans son ensemble comme son champ d'action ; des sections "
régionales " se créent en Transjordanie (1948), au Liban (1949-1950) et en Irak (1951). Mais la "
région " syrienne reste la plus importante. Le Baas connaît son apogée dans les années 60, et
devient l'une des principales expressions - avec le nassérisme - du nationalisme arabe
révolutionnaire. Pourtant, même à son apogée, il ne disposera pas de la base populaire d'un
Nasser, et son influence se concentre dans l'armée, parmi les intellectuels et dans certaines
couches urbaines. Parti très idéologique, le Baas adopte comme mot d'ordre " Unité, libération,
socialisme ". L'unité arabe est au centre de sa doctrine et prime tout autre objectif. Selon son
fondateur, Michel Aflak, les peuples arabes forment une seule nation aspirant à constituer un État
et à jouer un rôle spécial dans le monde. De sensibilité laïque - il rejette la répartition
confessionnelle des sièges au Parlement syrien -, il admet cependant le rôle que l'islam a joué
comme élément constitutif de l'arabisme. L'appel au socialisme dans les années 50 reste vague, et
le Baas se prononce en faveur d'une démocratie pluraliste et d'élections libres. Enfin, la question
palestinienne, si elle le préoccupe, est loin de constituer un point central de son idéologie. Le
Baas se manifeste très tôt à la vie politique de la Syrie, où militaires et civils se succèdent au
pouvoir après l'indépendance. Mais le tournant dans l'histoire du parti date de 1958 et de la
Constitution de la République arabe unie (RAU) entre l'Égypte et la Syrie. Le Baas, qui partage
les analyses de Nasser sur la politique arabe et internationale, accepte de dissoudre sa section
syrienne. Ses membres participent au pouvoir mais, de plus en plus marginalisés, se démettent de
leurs responsabilités à la fin de l'année 1959. L'autodissolution de l'organisation, puis l'échec de
la RAU en septembre 1961 provoquent une longue crise interne. Celle-ci s'accentue alors même
que le parti accède au pouvoir en Irak en février 1963 et en Syrie en mars de la même année.
Une mutation se produit dans l'idéologie et l'organisation même du parti à la suite de longues
périodes de clandestinité. Il multiplie les attaques contre la démocratie libérale alors que les
militaires jouent un rôle accru dans l'appareil. Les revendications de caractère socialiste
s'affirment. Et surtout, l'échec de la RAU amène certains cadres à remettre en cause le dogme de
l'unité arabe. En Syrie, ceux qu'on appelle les " régionalistes " - le Dr Nouredine Al Atassi, Hafez
Al Assad, Salah Jdid - par opposition aux " nationalistes " favorables à un dessein arabe
affirment progressivement leur domination à partir de la prise de pouvoir par le Baas en 1963.
Puis, par un coup d'État, ils chassent leurs rivaux baasistes du pouvoir en février 1966. Les
fondateurs du parti, dont Michel Aflak, sont contraints à l'exil. Deux directions panara- bes -
avec chacune ses sections régionales - se mettent en place : l'une à Damas, l'autre à Bagdad
(après la prise du pouvoir par le Baas en juillet 1968). Les divergences idéo- logiques initiales
s'estompent pour laisser place à un antagonisme politique aigu. Les deux partis se transforment
alors en instrument des politiques d'État. Et, lors de la guerre du Golfe, l'armée syrienne se
retrouvera aux côtés des troupes américaines contre l'Irak. Paradoxalement, c'est arrivé au faîte
du pouvoir - avec la direction de deux grands États - que le baasisme entame son déclin comme
idéologie. La défaite de 1967 a accentué la crise du panarabisme, au profit de l'appui à la
Résistance palestinienne d'abord, puis de l'islamisme. Les politiques " régionales " de l'Irak et de
la Syrie, dictées par leurs intérêts d'État, ne suscitent aucune adhésion massive dans le monde
arabe. Le baasisme imprime pourtant, dans les années 70 et 80, une marque spécifique en
politique intérieure - avec l'application de mesures socialistes (ou plutôt l'instauration d'un
capitalisme d'État) et un certain laïcisme, mais aussi avec une répression policière d'une violence
extrême.
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BAGDAD (pacte de)


Nom officieux donné au " Pacte de coopération mutuelle " conclu entre l'Irak et la
Turquie le 24 février 1955, rallié par la Grande-Bretagne, le Pakistan et l'Iran, mais dont la
révolution républicaine à Bagdad en 1958 sonnera le glas : l'Irak s'en retirera formellement en
1959. Dans la guerre froide naissante, la stratégie des États-Unis consiste à forger, tout autour de
l'Union soviétique (voir Russie), une chaîne d'organisations régionales de défense, sur le modèle
de l'OTAN créée en Occident. Mais l'affaire, au Moyen-Orient, s'avère délicate, pour trois
raisons essentielles : d'une part, la Grande-Bretagne y défend ses intérêts de puissance
occidentale dominante face aux ambitions américaines ; d'autre part, le conflit israélo-arabe
brouille les cartes, empêchant les pays arabes de s'allier aux... alliés d'Israël ; enfin, chaque pas
en direction d'une structure régionale pro-occidentale alimente la vague nationaliste qu'elle
entend - au moins autant que la " menace soviétique " - endiguer. Dans un premier temps, face
aux réticences de Londres devant les projets de pacte régional, Washington se contente de
l'adhésion de la Turquie à l'OTAN, effective en mai 1951 - ils ont également signé en mai 1950,
avec le Pakistan, un accord de défense mutuelle. Le 10 novembre 1951, Américains,
Britanniques, Français et Turcs fondent le " Commandement suprême allié au Moyen-Orient "
auquel ils invitent les pays de la région, et notamment l'Égypte, à prendre part. Mais le rêve
s'évanouit avec la révolution des Officiers libres, qui prennent le pouvoir au Caire en juillet 1952.
<182> la même période, la CIA intervient en Iran - sous la direction de Norman Schwarzkopf
père - pour mettre fin au gouvernement nationaliste du Dr Mossadegh : c'est chose faite en août
1953. La reprise en main à Téhéran réveille les projets américains. Le président Eisenhower,
dans son discours de janvier 1953, et son secrétaire d'État, John Foster Dulles, proposent en
substance aux pays de la région un accord d'un nouveau genre : en échange de leur participation à
une structure régionale antisoviétique, ils verraient leurs exigences nationales mieux accueillies,
et pourraient en premier lieu espérer une attitude américaine plus " objective " dans le conflit
israélo-arabe. Première étape, comme toujours pour conforter le " mur du Nord " (Northern
Tier) : en avril 1954, accord turco-pakistanais, suivi en mai d'un ensemble d'accords bilatéraux
d'aide militaire entre États-Unis, Turquie, Irak et Pakistan. Seconde étape, décisive : quatre mois
après la signature du traité égypto-britannique, la Turquie et l'Irak ratifient, le 24 février 1955, un
traité de défense " ouvert à l'accession de tout État membre de la Ligue arabe ou de tout autre
État effectivement intéressé à la paix et à la sécurité dans la région ". La Grande-Bretagne y
adhère en avril, le Pakistan en septembre et l'Iran en novembre. Si bien que la première réunion
se tient à Bagdad, les 21 et 22 novembre 1955 ; un Conseil et un Comité militaire permanent sont
mis en place, avec la participation d'un représentant des États-Unis. Mais l'espoir d'élargir le
pacte à d'autres pays arabes que l'Irak se brisera à nouveau sur l'attitude de l'Égypte de Gamal
Abdel Nasser, qui y voit à la fois l'introduction des rivalités des grandes puissances dans la
région, un facteur de division du monde arabe et une manoeuvre d'encerclement contre lui. Ce
faisant, il rejoint les craintes de l'Union soviétique qui - déclare-t-elle en avril 1955 - " ne peut
rester indifférente à l'évolution de la situation au Moyen-Orient puisque la formation de blocs et
l'établissement de bases militaires étrangères sur le territoire des pays du Proche et du Moyen-
Orient touchent directement la sécurité de l'URSS ". Conçu pour faire face aux menaces
communiste et nationaliste, le pacte de Bagdad aura donc paradoxalement pour effet de renforcer
l'une et l'autre, en accélérant le rapprochement entre l'Égypte et l'URSS. Faute d'obtenir de
Washington les armes dont il a besoin pour équilibrer la puissance israélienne, le Raïs se tourne
en effet vers Moscou : le 27 septembre, une déclaration rend offficielle la livraison par Prague au
Caire d'avions, de chars et d'armes... De la même manière, perçu à Damas comme une menace, le
pacte de Bagdad accélère le rapprochement de la Syrie et de l'Égypte, tandis que les troubles au
Liban et en Jordanie empêchent ces pays de s'y joindre. Ainsi la stratégie américaine s'est-elle
retournée contre les États-Unis : un effet boomerang dont profite l'Union soviétique, qui prend
ainsi pied - pour deux décennies - dans un monde arabe dont elle s'était isolée par son soutien
sans nuance aux forces juives, puis israéliennes, durant la guerre de 1948-1949... Le 21 août
1959, après le retrait irakien, le pacte de Bagdad se transformera en Organisation du traité central
(CENTO), plus tournée vers la coopération économique, avec à partir de 1964 un groupe de
Coopération régionale pour le développement (RCD). La révolution khomeyniste, en entraînant
le retrait de l'Iran, portera un coup définitif à ce lointain héritier du pacte de Bagdad.
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BALFOUR (déclaration)
Nom donné à la lettre du 2 novembre 1917 par laquelle lord Arthur James Balfour,
ministre britannique des Affaires étrangères, annonce à lord Walter Rothschild, représentant des
Juifs britanniques, que " le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement
en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif " - on en lira le texte intégral en annexe. Avec
ce document s'ouvre à nouveau, pour la première fois depuis l'écrasement par les Romains de la
dernière révolte juive, en 135 après J.-C., la perspective d'un État juif en Terre sainte. " Une
nation, écrira Arthur Koestler, a solennellement promis à une seconde le territoire d'une
troisième... " Les raisons qui amènent la Grande-Bretagne à cet engagement relèvent à la fois du
court et du long terme. Dans l'immédiat, Londres, en plein conflit mondial, pense améliorer ses
positions en se conciliant le mouvement sioniste qui, depuis sa création en 1897, a grandi en
force et en autorité parmi les communautés juives d'Europe et d'Amérique. La promesse d'un "
foyer national " pourrait - pensent les stratèges britanniques - faire des Juifs un atout : en
Palestine où ils appuieraient les troupes d'Allenby, aux États-Unis où ils accentueraient
l'engagement du pays, en Allemagne et en Autriche-Hongrie où ils se détacheraient de leur
gouvernement, en Russie où ils freineraient la radicalisation de la Révolution - beaucoup de
dirigeants bolcheviks et mencheviks sont d'origine juive - et éviteraient la défection de l'allié
oriental. Mais ces vues dépassent la seule conjoncture. Obsédée par la sécurité de son système
colonial, la Grande-Bretagne redoute l'emprise sur la Palestine d'une grande puissance
européenne - la France, évidemment - qui " si près du canal de Suez serait une permanente et
formidable menace pour les lignes de communication essentielles de l'Empire " (sir Herbert
Samuel, futur premier haut commissaire britannique en Palestine). Dès lors, le projet sioniste
paraît d'autant plus intéressant qu'il est habilement présenté : " Une Palestine juive, explique
Haïm Weizmann, le principal dirigeant de l'Organisation sioniste, serait une sauvegarde pour
l'Angleterre, particulièrement en ce qui concerne le canal de Suez. " Les sionistes en sont
parfaitement conscients dès l'origine : la Grande-Bretagne n'agit pas par sympathie à leur égard,
mais pour défendre ses intérêts au Moyen-Orient. C'est ce que soulignent d'ailleurs certaines
études historiques récentes. Ainsi le chercheur israélien Mayir Vereté balaye-t-il l'interprétation
traditionnelle, qui voyait dans la lettre de lord Arthur James Balfour le résultat du lobbying de
Haïm Weizmann - celui-ci, souligne-t-il, n'eut, dans les deux ans et demi précédant la
déclaration, aucun contact avec les responsables britanniques en matière de politique étrangère. Il
s'agit plutôt, montre l'historien, d'une initiative du gouvernement de Sa Majesté, conçue pour
compenser les concessions que Marc Sykes a dû faire à son homologue François Georges-Picot,
début 1916, dans les négociations sur le partage futur de l'Empire ottoman : le Royaume-Uni ne
se résout pas à l'internationalisation de la Palestine, même s'il se voit attribuer une enclave au
nord comprenant Haïfa et Saint-Jean d'Acre, et des zones d'influence à l'est sur la Transjordanie,
au sud entre Rafah et Akaba. Partager la terre sainte avec la France, c'est perdre le contrôle d'un
espace stratégiquement décisif pour la protection des intérêts britanniques en Égypte d'une part,
en Irak, en Iran et dans le golfe Arabo-persique de l'autre. Avec la promesse d'un Foyer national
juif, Londres entend, à long terme, mettre les communautés juives de son côté dans la bataille
pour la maîtrise de la Palestine et donner, du même coup, du poids et de la légitimité à ses
prétentions. A court terme, en même temps, elle les incite, on l'a vu, à s'engager en faveur des
Alliés dans la guerre mondiale en cours. Les sionistes n'ignorent pas pourquoi la Grande-
Bretagne s'est engagée, et donc la pression qu'il faudra ne jamais relâcher pour qu'elle tienne
parole : mais la carte britannique s'avère, de loin, la plus payante. Londres, de son côté, sait bien
que le mouvement sioniste à d'autres ambitions. Ainsi lord Curzon, successeur de lord Balfour : "
Pendant que Weizmann vous dit une chose, et que vous pensez "foyer national juif", il a en vue
quelque chose de très différent. Il envisage un État juif, et une population arabe soumise,
gouvernée par les Juifs. Il cherche à réaliser cela derrière l'écran et la protection de la garantie
britannique. " Encore faut-il, se gagnant les Juifs, ne pas perdre les Arabes qui pour l'heure,
constituent l'écrasante majorité de la population palestinienne, sans parler de la plupart des pays
du Moyen-Orient colonisés directement ou indirectement par Sa Majesté. La déclaration Balfour
contredit-elle d'évidence les assurances données au chérif Hussein et à Ibn Saoud ? Les
diplomates y ont pensé : les " efforts " auxquels s'astreint l'autorité britannique pour favoriser le "
foyer national juif " sont tempérés, dans le texte même, par l'obligation de ne rien faire " qui
puisse porter préjudice aux droits civils et religieux des communautés non juives en Palestine ".
Ce flou coûtera cher...
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BEGIN (Menahem)
Dirigeant de la droite israélienne, il a mené celle-ci pour la première fois au pouvoir en
1977. Il exerça la charge de Premier ministre jusqu'à sa démission, consécutive à la guerre du
Liban. Menahem Begin est né le 13 août 1913 en Russie, à Brest-Litovsk, une ville à majorité
juive où le mouvement sioniste est déjà très actif. Il en devient militant dès l'âge de douze ans,
d'abord à gauche (à l'Hachomer Hatzaïr), puis à droite, au Betar, l'organisation de jeunesse
paramilitaire des révisionnistes - une scission du sionisme à caractère hypernationaliste,
autoritaire, voire fascisante, créée dans les années 20 par Zeev Jabotinsky. C'est à seize ans que
Begin fait la connaissance de celui que ses adversaires socialistes surnomment " Vladimir Hitler
" et qui prêche la " transformation de ce pays (y compris la Transjordanie) en un État
indépendant sous la direction d'une majorité juive bien établie " (Zeev Jabotinski, Principes de
base du révisionnisme). Enthousiaste, il devient dirigeant du Betar au cours de ses études de droit
à Varsovie, puis permanent de l'organisation. Mais c'est l'invasion allemande, et Begin fuit vers
l'Est : arrêté par la police secrète soviétique, interné dans un camp de travail du cercle polaire, il
devra sa libération à l'accord passé par Staline avec le gouvernement polonais en exil à Londres -
Brest-Litovsk était polonais entre les deux guerres. Enrôlé dans l'armée polonaise du général
Anders, Begin, au printemps 1942, rejoint sa femme en Palestine, où il est nommé commissaire
du Betar et chef de l'armée secrète révisionniste, l'Irgoun. Avec ses troupes, en 1944, il se lance -
un an après ses propres scissionnistes du Lehi, dit " groupe Stern " - dans la lutte armée contre
l'occupant britannique. Ses attentats lui valent de sérieux affrontements avec les organisations
majoritaires, en premier lieu la Haganah dont il dénonce l'" attentisme " : de novembre 1944 à
septembre 1945, celle-ci, sous le nom d'" Opération saison ", conduit une véritable chasse aux
partisans de Begin. L'union cependant l'emporte lorsque, à son tour, la Haganah décide de s'en
prendre violemment aux représentants britanniques et, plus encore, à partir de 1947, dans les
affrontements qui les opposent aux Arabes, et qui se généralisent après l'entrée des troupes arabes
en Palestine, le 15 mai 1948 (voir Guerre de 1948-1949). Au cours de cette période, c'est à
l'Irgoun de Menahem Begin qu'on doit quelques-unes des actions terroristes les plus condamnées
par l'opinion, y compris juive : l'attentat du 22 juillet 1946 contre l'hôtel King David de
Jérusalem, siège du QG britannique, qui fait 200 morts et blessés dont de nombreux Juifs, le
massacre du village palestinien de Deir Yassin le 9 avril 1948 où périssent 250 civils et qui
pousse les populations arabes à l'exode, etc. L'affaire de l'Altalena - un bateau affrété par l'Irgoun
pour se procurer des armes en grande quantité - sera qualifiée par le Premier ministre Ben
Gourion de " tentative pour déborder l'armée et assassiner l'État "... Cette réputation
d'aventurisme, de nationalisme hystérique et de tendances factieuses pèse lourd sur l'Irgoun. La
guerre terminée, Begin dissout donc son organisation militaire pour se reconvertir dans le combat
politique : il fonde le parti Herout (Liberté, en hébreu). Begin s'est installé au printemps 1947
dans un appartement à Tel Aviv, et c'est là que, trente ans plus tard, au soir du 17 mai 1977, il
apprend sa victoire. Entre-temps, une " longue marche " patiemment menée sur quatre terrains :
la violente polémique - jusqu'à l'émeute devant le Parlement - contre la reprise des relations avec
l'Allemagne de l'Ouest, la dénonciation de la mainmise des socialistes sur l'État et de leur faillite
souvent scandaleuse, le rassemblement de tous les mécontents, en premier lieu les Juifs
orientaux, et bien sûr le discours chauvin sur les droits du peuple juif à toute sa terre de part et
d'autre du Jourdain. Mais l'ascension de Menahem Begin tient moins à ses propres efforts qu'aux
cadeaux que ne cessent de lui faire les travaillistes. De tous, le plus beau est assurément la
logique de guerre et d'occupation dans laquelle les gouvernements socialistes s'installent. "
Désormais, écrit Eytan Haber dans sa biographie de Begin, tout ce que prêchait Begin ne
paraissait plus de l'extrémisme. L'abîme apparemment infranchissable qui s'ouvrait entre Begin
et ses adversaires n'existait plus. (...) Le consensus national s'était considérablement élargi, et
Menahem Begin y tenait une place d'honneur. " Traumatisée par le choc de Kippour (voir
Guerre de 1973) qui questionne la politique menée depuis vingt-cinq ans, et lasse en outre d'un
pouvoir travailliste en place depuis autant, la société israélienne ne voit d'autre issue que de
tenter l'expérience. L'homme dont Ben Gourion ne prononçait jamais le nom n'est-il pas, de paria
méprisé, devenu respectable et respecté et, qui plus est, considéré comme le meilleur orateur
d'Israël ? Le Premier ministre socialiste Levy Eshkol ne lui a-t-il pas, le ler juin 1967, offert un
portefeuille de ministre ? Dix ans plus tard, il est Premier ministre, le Likoud ayant rassemblé en
1977 33,4 % des voix, alors que le Herout de 1949 en récoltait à peine 11,5 %... Le quasi-
mutisme dans lequel Menahem Begin s'est enfermé de son départ de la scène politique, en 1983,
jusqu'à sa mort, le 9 mars 1992, en dit cependant long sur l'échec qu'a constitué son passage au
pouvoir. Après le succès de Camp David, il s'est en effet lancé dans une fuite en avant
sanctionnée par une double faillite : celle de l'économie israélienne, et celle de la guerre du
Liban. En 1938, Begin avait, lors d'un congrès, affronté son maître Jabotinsky, et obtenu une
modification du serment du Betar : " Je préparerai mes armes pour la défense de ma nation et je
ne les porterai que pour sa défense " était devenu, à la demande du jeune sioniste de Brest-
Litovsk : " Je préparerai mes armes pour la défense de ma nation et la conquête de ma patrie. "
Plus qu'une nuance...
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BEN GOURION (David)


Né à Plonsk (Pologne) le 16 octobre 1886, David Grin émigre en 1906 en Palestine où,
devenu, sous le nom de Ben Gourion, dirigeant du Mapaï (Parti des travailleurs du pays d'Israël)
et président de l'Exécutif sioniste, il proclame, quarante-deux ans plus tard, l'indépendance de
l'État d'Israël, dont il sera longtemps le Premier ministre. Fils d'un fondateur des " Amants de
Sion ", qui organisent la première aliya juive en Palestine, David Grin adhère en 1905 aux thèses
sionistes-socialistes du Poalei Sion (Le Travailleur de Sion). L'année suivante, il se rend en
Palestine. Ouvrier agricole durant quatre ans, il entre en 1910 à la rédaction du journal socialiste
Ahdout (l'Unité) : il y rédige ses premiers articles, sous la signature de Ben Gourion - du nom du
leader du gouvernement juif indépendant au temps de la révolte contre Rome. Mais bientôt le
jeune homme vogue vers Salonique, puis Constantinople. C'est qu'il croit atteindre son objectif,
la renaissance d'un État juif, par l'" ottomanisation " de la Palestine. La Première Guerre
mondiale ruine cet espoir. Banni de l'Empire ottoman, Ben Gourion s'embarque pour les États-
Unis. Après une vaine tentative pour y lever une armée de pionniers juifs, il publie son premier
livre, Eretz Israël (le Pays d'Israël). C'est après son mariage avec Paulina Monbaz qu'il prend
connaissance de la fameuse déclaration Balfour. Si la plupart des sionistes fêtent cette victoire,
Ben Gourion, lui, prévient : " Seul le peuple hébreu peut transformer ce droit en fait tangible et
lui seul doit, par son corps et par son âme, par sa force et par son capital, construire son "Foyer
national" et mener à bien sa rédemption " - ce texte, comme les suivants, est cité par Michel Bar
Zohar dans sa biographie : Ben Gourion. De retour, fin 1918, en Palestine " libérée " par les
Britanniques, Ben Gourion reprend sa lutte pour l'unification des socialistes et, pour contourner
les blocages sectaires, choisit le terrain syndical. Gravissant rapidement les échelons de la
Histadrout, il se révèle meneur d'hommes. Non seulement il décuple le nombre d'adhérents du
syndicat, mais il en élargit considérablement l'influence, notamment grâce à la création d'un
réseau d'entreprises et de services liés à lui. Coup double. En 1929, les membres des différents
partis socialistes approuvent l'unification. Ben Gourion devient secrétaire général du Mapaï, qui
obtient 42,3 % des suffrages du Yichouv en 1934, puis la moitié des mandats au XIXe Congrès
sioniste mondial en 1935. Son chef accède ainsi à la présidence de l'Exécutif sioniste et de celui
de l'Agence juive. Des incidents encore limités de 1920, 1921 et 1929, la résistance arabe à la
construction du Foyer national juif passe, en 1936, au stade de révolte généralisée. La Grande-
Bretagne fait alors machine arrière, et propose la partition de la Palestine. Le Yichouv unanime
refuse, mais Ben Gourion, lui, accepte, non sans calcul. " Un État hébreu partiel n'est pas une
fin, mais seulement un début. (...) Nous y ferons venir tous les Juifs qu'il sera possible d'y
amener. (...) Nous créerons une économie polyvalente. (...) Nous organiserons une défense
nationale moderne (...) et alors je suis certain qu'on ne nous empêchera pas de nous installer
dans d'autres parties du pays, soit en accord avec nos voisins, soit par tout autre moyen... " Ce
mot d'ordre d'État juif, le président de l'Exécutif l'imposera trois ans plus tard au mouvement. Le
Livre blanc britannique de 1939 et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale l'en ont
persuadé : ce n'est plus sur la Grande-Bretagne, mais sur les États-Unis que les sionistes doivent
miser. Arrivé fin 1941 outre-Atlantique, il prépare la conférence de Biltmore qui prônera, en mai
1942, la constitution d'un " commonwealth juif ". En six mois, toutes les instances sionistes
entérinent le tournant, même en Palestine, malgré l'influence des tenants d'une solution
binationale. Oscillant entre les révisionnistes engagés dans le terrorisme antibritannique et les
opportunistes prêts à se plier aux conditions de Londres, Ben Gourion impose sa personne et sa
ligne à la tête du mouvement, jusqu'au tournant qu'il orchestre : la proposition de partage.
Formulée en août 1946 par l'Exécutif de l'Agence juive, elle inspire le plan qu'adopte l'ONU, le
29 novembre 1947. Ben Gourion concentre alors en ses mains toutes les rênes. Président de
l'Exécutif, il rédige et lit, le 14 mai 1948, la déclaration d'indépendance. Premier ministre, il
impose l'autorité du nouvel État, y compris par la force lorsque l'Irgoun se fait factieuse. Ministre
de la Défense, il dirige les forces juives durant la guerre de 1948-1949. Avec le renfort des armes
tchécoslovaques, il lance la contre-offensive du printemps 1948, puis crée Tsahal, l'armée
israélienne, dont il assure la victoire. Sa stratégie, appuyée sur une entente tacite avec le roi
Abdallah de Jordanie : profiter de l'agression arabe pour empêcher la naissance de l'État arabe
palestinien, étendre à son détriment le territoire de l'État juif et vider ce dernier de l'essentiel de
sa population arabe. " Nous avons libéré un très grand territoire, bien davantage que nous ne
pensions, confie-t-il en 1949. Maintenant, il nous faudra travailler pendant deux ou trois
générations. Quant au reste, nous verrons plus tard. " Le calendrier changera, pas le
programme... De 1949 à 1953, le Premier ministre s'attelle donc à la transformation d'Israël : il
en double la population en organisant la venue de 700 000 nouveaux immigrants, impulse un
vigoureux développement économique, bâtit un système complet d'enseignement, et s'assure de
la multiplication des colonies de peuplement, y compris dans le Néguev. C'est là d'ailleurs, au
kibboutz Sde Boker, que Ben Gourion se retire en 1953, après avoir passé le relais à Moshe
Sharett. Alors éclate l'" affaire Lavon " : accusé d'avoir ordonné une série d'attentats provocateurs
anti-britanniques en Égypte qui, à défaut de faire des victimes, coûteront la vie à plusieurs des
agents israéliens, Pinhas Lavon, le ministre auquel Ben Gourion a " légué " le portefeuille de la
Défense, doit démissionner. Ce désastre permet au " Vieux ", comme on l'appelle alors, de
revenir aux affaires. Dès 1955, il prépare la guerre de 1956 : celle de Suez. En 1949, Israël
abandonnait sa neutralité originelle pour s'engager dans la guerre froide naissante. " Nous devons
expliquer, reconnaissait Ben Gourion en 1952, que l'ensemble d'Israël (...) est une base
disponible pour le monde libre. " Mais, cette fois, l'alliance avec l'Occident se scelle sur le
terrain, militairement : après les opérations de Kibya (1953) et de Gaza (1955), Tel Aviv lance
son armée contre l'Égypte, figure de proue de la vague nationaliste arabe, contre laquelle Londres
et Paris envoient leurs propres soldats. Le but ? " Naturellement, éliminer Nasser ", affirmait Ben
Gourion à la conférence israélo-franco-britannique de Sèvres, quelques jours plus tôt... Une
double pression - américaine et soviétique - contraint Tsahal à se retirer. " Israël, après la
campagne du Sinaï ne sera plus jamais le même ", confie Ben Gourion aux soldats. L'échec de
l'aventure le pousse néanmoins à tenter, mais en vain, de contacter secrètement les dirigeants
arabes. Il veille en même temps au renforcement de l'armée israélienne, avec, en particulier,
l'aide précieuse de la France - elle assiste même l'État juif dans la construction d'un réacteur
nucléaire. Pour " raisons personnelles ", le " Vieux " démissionne en 1963. En mauvais termes
avec son successeur, Levy Eshkol, et les principaux dirigeants du Mapaï, il va jusqu'à faire
scission, en 1965, en constituant le Rafi. Après la guerre de 1967, dont il désapprouve Israël
d'avoir pris l'initiative, Ben Gourion se tient à l'écart de la réunification des forces travaillistes. Il
prône la restitution de tous les territoires arabes occupés - sauf Jérusalem-Est. Lors des élections
de 1969, il prend encore la tête d'une " Liste d'État ", qui n'obtient que quatre sièges. Ce revers
précipite sa retraite définitive, l'année suivante, à Sde Boker. Il y mourra le 1er décembre 1973.
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CAMP DAVID (accords de)
Nom de la résidence d'été du président des États-Unis, où Jimmy Carter, le 17 septembre
1978, obtient d'Anouar Al Sadate et de Menahem Begin la signature de deux " accords-cadres ",
l'un concernant la " conclusion d'un traité de paix " entre leurs deux pays, l'autre fixant un " cadre
de la paix au Proche-Orient " (dont on lira le texte en annexe). Les accords de Camp David
constituent l'aboutissement d'une longue marche vers la paix séparée égypto-israélienne, à
l'initiative des États-Unis. Au lendemain de la guerre d'octobre 1973, la conférence de paix de
Genève, sous la coprésidence d'Henry Kissinger et d'Andreï Gromyko, échoue. Le Raïs, qui avait
déclenché le conflit d'octobre pour forcer l'ouverture d'une négociation internationale, choisit
alors les " petits pas " que lui propose le secrétaire d'État américain, offrant à l'Égypte une " issue
honorable ", avec la perspective d'alléger enfin le fardeau économique insupportable d'un choc
trentenaire. Toutes tendances confondues, les dirigeants israéliens se réjouissent, de leur côté, de
l'espoir d'une paix entre leur pays et le plus grand pays arabe, laquelle n'impliquerait pas de
concession sur la question palestinienne. " Dear Henry ", méthodiquement, progresse : accord dit
du " kilomètre 101 " en novembre 1973, convention de désengagement du canal en janvier 1974,
et enfin, le 1er septembre 1975, premier accord global. L'état de guerre entre Israël et l'Égypte est
aboli, Jérusalem se retirant à 50 kilomètres du canal de Suez et restituant les puits de pétrole du
Sinaï, Le Caire renonçant au blocus maritime et rouvrant le canal de Suez aux navires israéliens.
Les troupes des Nations unies s'installent dans une zone démilitarisée. Après une nouvelle
tentative avortée de négociation internationale, dont l'URSS et les États-Unis, par leur déclaration
commune du 1er octobre 1977, ont donné le coup d'envoi, Anouar Al Sadate reprenait sa
recherche bilatérale. " Il nous fallait trouver - explique-t-il dans son autobiographie - une
méthode complètement nouvelle, propre à court-circuiter toutes les formalités. " Le voyage du
président égyptien à Jérusalem, le 19 novembre 1977, est en effet spectaculaire et novateur. Pas
assez, cependant, pour vaincre l'obstination du Premier ministre israélien. Porté au pouvoir le 17
mai 1977 par une vague réactionnaire, la première depuis 1948 à avoir battu le Parti travailliste,
Menahem Begin entend incarner le nationalisme ombrageux de ses supporters. L'accélération de
l'implantation des colonies juives en Cisjordanie est au centre du dispositif destiné, à long terme,
à reconstituer le " Grand Israël ". Mais Sadate est décidé à forcer la conviction du chef du
Likoud, comme il est déterminé à passer outre les harangues du Front de la fermeté, qui dénonce
la " trahison " égyptienne : " J'irai jusqu'au bout des négociations de paix, même si les autres
États arabes refusent de s'y associer ", assure le président égyptien. L'habileté - et les moyens de
pression - de la diplomatie américaine feront le reste... Le premier des deux accords-cadres
préparait le traité de paix entre Israël et l'Égypte. Prévu pour être élaboré dans les trois mois, ce
traité devait attendre cependant le 26 mars 1979 pour être signé. Le 25 avril 1982, en application
de ses dispositions, et une fois les dernières colonies israéliennes démantelées, le Sinaï est libéré :
pour la première fois depuis 1967, l'Égypte a rétabli sa souveraineté sur l'ensemble de son
territoire, à l'exception de la zone contestée de Taba. Israël, de son côté, peut se targuer de
relations diplomatiques normales, pour la première fois depuis 1948, avec un pays arabe, et non
le moindre. Le second texte (voir en annexe) - confiait le sort de la Cisjordanie et de Gaza à des
négociations égypto-israélo-jordano-palestiniennes devant déboucher sur une autonomie gérée
par une autorité élue, avant d'aboutir à un statut définitif, lui-même négocié à quatre. Jamais ces
tractations n'iront au-delà des fastidieux débats d'une commission égypto-israélienne... Cette
contradiction, apparente, entre un accord appliqué et l'autre resté lettre morte n'a rien d'étonnant.
Règlement séparé, l'accord n'engageait aucun des autres pays arabes, a fortiori l'OLP :
l'élargissement proposé par Tel Aviv et Le Caire se révélait d'emblée impossible. Constitué de
deux volets, il ne liait pas l'un à l'autre : contrainte de mettre en oeuvre le premier pour récupérer
le Sinaï, l'Égypte n'avait pas de moyen d'imposer à Israël une véritable solution du problème
palestinien. Conçu par les États-Unis sans l'Union soviétique, le texte suscitait naturellement
l'hostilité de Moscou et de ses alliés dans la région. Mais la solution envisagée pour les
Territoires occupés était aussi et surtout impraticable, représentant, pour les protagonistes, trop
ou trop peu. Trop pour Begin qui, à peine son paraphe apposé sur un texte évoquant le retrait
israélien d'une entité promise à l'autonomie, voire à un statut définitif d'indépendance, martèle à
nouveau son refus de toute restitution de la Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est ainsi que de
tout État palestinien indépendant ! Et l'implantation des colonies juives s'accélère. Trop peu pour
les Palestiniens, qui devraient renoncer à tout avenir étatique, leur représentant, l'OLP, étant déjà
écarté de la négociation. Camp David revêt une grande portée pour le Proche-Orient, dont il
bouleverse le paysage. Le plus peuplé, le plus puissant économiquement, le plus fort
militairement des pays arabes se retrouve isolé, exclu par ses " pairs ". Israël, en revanche, son
flanc sud assuré, se sent les mains libres pour agir au nord et à l'est. Les Palestiniens, du même
coup, doivent faire face à un adversaire plus sûr de lui, tandis que leurs alliés sont, eux, plus
divisés. Bref, avec le recul, il semble bien que les accords de Camp David aient retardé l'heure
d'un règlement global plutôt qu'ils ne l'aient avancée, ainsi qu'on le disait volontiers à l'époque.
Ce qui n'empêchera pas les États-Unis et l'URSS, treize ans plus tard, au lendemain de la guerre
du Golfe, de relancer la paix sur des rails bien similaires...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

CANAL DE SUEZ
Reliant la Méditerranée (Port-Saïd) à la mer Rouge (Suez), cette voie d'eau a toujours
constitué un enjeu économique et stratégique de première importance. Le premier canal remonte
à 2000 av. J.-C., lorsque le pharaon Sénousret III relie les lacs Amers, qui formaient alors un
golfe sur la mer Rouge, au Nil et, de là, à la Méditerranée. Abandonné et remis en état à plusieurs
reprises, il s'ensable au VIIIe siècle de notre ère. C'est Bonaparte qui, lors de sa campagne
d'Égypte, imagine à nouveau une voie d'eau, mais cette fois directe, entre les deux mers. Le
projet sera mené à bien, sous Napoléon III, par Ferdinand de Lesseps : la Compagnie universelle
du canal maritime de Suez est créée le 19 mai 1855, les travaux commencent le 25 avril 1859, et
l'inauguration a lieu le 17 novembre 1869. Pour la Grande-Bretagne, le canal de Suez constitue
une ligne de communication vitale entre Londres et ses possessions outre-mer, aux Indes
notamment - il abrège alors de moitié le trajet des ports britanniques à Bombay. C'est pourquoi le
gouvernement britannique, en 1875, profite d'une crise financière égyptienne pour racheter les
177 000 actions (sur 400 000) que possédait le Khédive. À ce contrôle financier s'ajoutera, à
partir de 1882, un contrôle physique : l'armée de Sa Majesté occupe l'Égypte et la zone du canal.
Dans cette dernière, les soldats britanniques resteront jusqu'en... 1954 : c'est à cette date
seulement qu'un accord d'évacuation du canal est signé entre Le Caire et Londres. Gamal Abdel
Nasser, dans un geste qui marque l'émergence politique du tiers-monde, nationalise la
Compagnie du canal le 26 juillet 1956. Voie de communication décisive, le canal est
naturellement un enjeu pour les belligérants des guerres proche-orientales. Il est fermé un jour
durant la Première Guerre mondiale, à la suite d'une incursion turque, et soixante-seize jours
durant la Seconde, à la suite de raids allemands. La " bataille du canal ", que livrent aux
Britanniques les nationalistes égyptiens, le rend très peu sûr en 1951 et 1952. L'opération israélo-
franco-britannique de Suez en entraîne la fermeture pour cinq mois et demi, du 29 octobre 1956
au 15 avril 1957 - après le retrait des dernières troupes de l'armée israélienne (voir Guerre de
1956). Mais le canal sera surtout hors d'usage entre le 5 juin 1967, déclenchement de la guerre
des Six Jours, et le 5 juin 1975. Il aura fallu, pour le rendre à la navigation, les accords de
désengagement conclus par Israël et l'Égypte à partir de janvier 1974, suivis de plus d'un an de
travaux, en premier lieu de déminage : plus de 730 000 engins et explosifs dans le canal, et près
de 690 000 mines antitanks et antipersonnel sur les berges... Rouvert le 5 juin 1975, le canal
accueille, pour la première fois, des navires israéliens, avant que ceux-ci soient placés (par le
traité de paix israélo-égyptien du 26 mars 1979) sur un pied d'égalité avec tous les autres usagers
de la voie d'eau. La remise en état du canal aura également permis d'en améliorer la navigabilité.
Sa largeur ayant été portée à 160 mètres et le tirant d'eau à 16,2 mètres, 90 navires peuvent
passer en une seule journée. À l'issue de l'élargissement, des navires de 150 000 tonnes en
charge, de 260 000 en charge partielle et de 370 000 à vide peuvent traverser le canal. D'où,
après la réouverture, une progression sensible du tonnage net annuel : de 274 millions de tonnes
en 1966, il est passé à 410 millions en 1990 - mais pour retomber à 360 millions en 1995. C'est
que le canal souffre, malgré son aménagement, du recul relatif des transports pétroliers. De
nouveaux travaux ont donc été entrepris pour en porter la profondeur à 18 mètres, ce qui devrait
permettre le passage des navires de fort tonnage qui contournent jusqu'ici le cap de Bonne
espérance. En outre, le général Ahmed Ali Fadel, nommé en janvier 1996 président de l'Autorité
du canal de Suez, a immédiatement décidé de consentir aux navires géants une réduction de 20
%, afin qu'il " demeure la voie d'eau internationale la moins chère". Le canal a rapporté à
l'Égypte, en 1995, près de deux milliards de dollars - soit autant que le tourisme (deux milliards),
plus que le pétrole (un milliard et demi), mais moins que les transferts de fonds des expatriés
(cinq milliards). Outre l'adaptation de la voie d'eau, l'Égypte a décidé d'en aménager
économiquement les rives : construction d'usines, développement de villégiatures au bord de la
Méditerranée et de la mer Rouge, réalisation de nouvelles installations portuaires à Port-Saïd - y
compris une zone franche chinoise, destinée au rassemblement et au chargement des produits de
la République populaire de Chine vers l'Europe et l'Afrique. Enfin un tunnel passe, depuis 1980,
à cinquante-et-un mètres de profondeur sous le canal de Suez. Il relie l'Égypte à la péninsule du
Sinaï, évacuée par Israël en 1982, où les autorités entendent installer dans les deux prochaines
décennies trois millions de personnes - elle ne compte actuellement que 160 000 habitants...
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CHIISME
Le chiisme est la principale branche dissidente de l'islam : les divergences avec le
sunnisme majoritaire sont moins importantes que les éléments communs, et d'abord la croyance
dans un Dieu unique et dans le message de Mahomet. Le chiisme s'est constitué autour d'une
question capitale, celle de la succession du prophète Mahomet. Les premiers califes, après la
mort de Mahomet, sont désignés parmi les proches de celui-ci. Ali, cousin et gendre du prophète,
quatrième calife, règne de 656 à 661. Déposé par une révolte, il est assassiné. La Chi'a, le " parti
" (de Ali), défendit les droits de ses descendants contre les califes officiels. Ils sont, pour
reprendre une expression de Louis Massignon, " les légitimistes de l'islam ". Le chiisme a
grandement évolué au cours de l'histoire : il s'est divisé en plusieurs tendances qui se définissent
à partir des imams - les successeurs de Ali - auxquels elles se réfèrent. La place des imams est
centrale pour le chiisme, puisque ceux-ci continuent le cycle des prophètes qui, pour les sunnites,
est clos avec Mahomet. Parmi ces imams, Hussein, fils de Ali et le troisième des imams, occupe
une place importante. Poursuivi par Yazid, le calife omeyade, il fut cerné à Kerbala, en octobre
680. Il résista longtemps, malgré la soif, avec ses soixante-douze compagnons, mais fut
finalement tué. Le martyre de Hussein et sa résistance au " mauvais " calife jouent un rôle crucial
dans la mythologie chiite. Ils ont même été utilisés dans la lutte contre le Chah d'Iran. Tous les
ans, durant le mois de mouharram, des cérémonies spectaculaires, expiatoires, retracent la geste
de Hussein. Les divisions dans le chiisme tiennent non seulement à la définition de la lignée des
imams, mais aussi à leur rôle. Pour le plus grand nombre - en particulier les Iraniens, les chiites
irakiens et libanais -, appelés Imamites ou Duodécimains, douze imams se sont succédé tenant
leur pouvoir de Dieu, ce qui les rend infaillibles. Le dernier, Mohamed, a disparu en 874. Après
avoir communiqué, à travers des messagers, avec le monde extérieur, il s'est " retiré ", mais reste
vivant : c'est la grande occultation. " La communauté n'a plus de chef visible absolu, jusqu'à la
fin des temps où le Mahdi attendu reviendra instaurer un règne de justice et de vérité " (Yann
Richard). Le zaydisme représente une autre branche, plus modérée, du chiisme. Il ne reconnaît
que cinq imams, dont la désignation tient surtout à leurs qualités personnelles ; il ne s'enferme
donc pas dans le légitimisme rigide des Imamites et rejette le dogme de l'imam caché. Plusieurs
dynasties zaydites ont régné dans l'histoire, en particulier au Yémen, à Sanaa, de 1592 à 1962.
Quant aux Ismaéliens, ils firent scission sur le problème de la succession du sixième imam. Ils
furent à l'origine des États Karmates, de la brillante dynastie fatimide au Xe siècle en Égypte, de
la fameuse Secte des assassins, fondée, dans la forteresse d'Alamut, à la fin du XIe siècle, et de la
doctrine druze. Aujourd'hui, c'est l'Aga Khan qui dirige la principale communauté ismaélienne
présente en Iran, en Afghanistan, au Tadjikistan, en Inde, au Pakistan, etc. Le chiisme a joué un
grand rôle dans l'histoire de l'islam. Souvent dans l'opposition, il fut l'étendard de nombreuses
révoltes contre l'autorité du calife. Mais, dans de nombreux cas aussi, il n'a pas hésité, au nom de
tel ou tel aspect de la doctrine, à pactiser avec le pouvoir en place. Écartés des centres de
décision en Irak, au Liban, au Pakistan, les chiites constituent encore aujourd'hui des
communautés turbulentes. En Iran, où les Safavides ont fait du chiisme la religion d'État depuis
le XVIe siècle, les oulemas chiites soutinrent souvent les dynasties régnantes. Mais leur
participation à des mouvements de contestation a été plus grande que celle des religieux sunnites
- ils disposaient, il est vrai, d'une relative indépendance économique par rapport à l'État. La
révolution islamiste en Iran et la prise du pouvoir par l'ayatollah Khomeyni ont représenté une
importante victoire du chiisme militant, dont l'appel a toutefois rencontré peu d'écho dans un
monde islamique dominé par le sunnisme. On compte aujourd'hui plus de cent millions de
chiites, concentrés principalement en Iran, en Inde, au Pakistan, en Irak, en Afghanistan, au
Yémen du Nord, dans le Golfe, en Turquie et en URSS. En Syrie, les Alaouites sont parfois
répertoriés comme chiites.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

CISJORDANIE
Territoire situé sur la rive ouest du Jourdain, la Cisjordanie fait partie de la Palestine sous
mandat britannique. Occupée par les armées du roi Abdallah de Transjordanie durant la guerre de
1948-1949, elle est officiellement annexée le 24 avril 1950. D'une superficie de 5 800 kilomètres
carrés, la rive ouest (West Bank) comprend la partie orientale de Jérusalem et les villes de
Naplouse, Jénine, Tulkarem, Kalkiliya, Jéricho, Ramallah, Hébron et Bethléem. Occupée par
l'armée israélienne lors de la guerre des Six Jours en 1967, la Cisjordanie n'est pas annexée
(contrairement à la partie arabe de Jérusalem). Mais ses 660 000 habitants (recensement de 1967,
y compris Jérusalem) - en 1987, leur nombre est estimé par le West Bank Data Project du Dr
Meron Benvenisti à 1,2 million - vont vivre une occupation qui bouleversera leur mode de vie et
leur conscience politique. Quant aux 250 000 personnes qui ont fui vers la Jordanie, en juin
1967, seules quelques milliers d'entre elles seront autorisées à rentrer. Tout en pratiquant une
politique dite des " ponts ouverts ", qui autorise certains contacts et le commerce entre la
Cisjordanie et la Jordanie, Israël accélère l'intégration économique des Territoires occupés. La
Cisjordanie se mue en un marché décisif pour les exportations de l'État juif. Dans l'autre sens,
chaque jour, des dizaines de milliers de Palestiniens se rendent en Israël pour vendre à bas prix
leur force de travail. De 5 000 en 1968, leur nombre passe à 25 000 en 1971, puis à 40 000 en
1979, et se stabilise autour de 45 000 dans les années 80 et au début des années 90. Les
conséquences sociales sont fortes : le prolétariat industriel constitue 40 % de la population active,
alors que les personnes employées dans l'agriculture n'en représentent plus que 25 %. Cette
inversion a stimulé l'effritement de la société traditionnelle, paysanne et rurale. Les valeurs
morales et le mode de vie se transforment. Les relations fondées sur le clientélisme - qui était le
mode de domination des élites projordaniennes avant 1967 - se fissurent. Le rajeunissement de la
population et un taux de scolarisation important accentuent ces évolutions. En quelques années,
une nouvelle élite intellectuelle, plus nationaliste, s'affirme, remplace ses aînés plus modérés et
confirme son soutien à l'OLP. D'autant que la politique israélienne ne laisse pas beaucoup de
place à la " collaboration ". L'implantation des colonies de peuplement, l'affirmation des droits
historiques juifs sur " la Judée et la Samarie ", l'annexion de Jérusalem (ville sainte aussi pour
les musulmans et les chrétiens - n'oublions pas qu'une minorité non négligeable de Palestiniens
sont chrétiens) dressent autant d'obstacles. La répression, menée aussi bien contre des éléments
projordaniens, les nationalistes favorables aux fedayin et les communistes, achève d'isoler ceux
que la population considère comme les " occupants ". De 1967 à 1970, toutes les tendances
politiques réclament le retour au statu quo d'avant juin 1967 ; mais, avec Septembre noir et le
développement de la conscience nationale palestinienne, les éléments projordaniens sont isolés.
En août 1973 se constitue le Front national palestinien (FNP), qui regroupe nationalistes et
communistes et reconnaît l'OLP comme " seul représentant légitime des Palestiniens ". Le FNP
affirme son hégémonie, au printemps 1976, lors des élections municipales : il obtient 80 % des
sièges et la plupart des postes de maire. Le FNP, durant cette période, permet à la fois d'affirmer
l'identité nationale (contre Israël, mais aussi contre la Jordanie) et de peser pour que l'OLP
adopte des positions réalistes, c'est-à-dire favorables à une solution politique et à l'édification
d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza. Ce sont les Palestiniens " de l'intérieur " qui
s'opposent le plus vigoureusement aux accords de Camp David de 1978 et à l'" autonomie ". C'est
qu'ils vivent concrètement la politique de colonisation et d'expropriation des terres, accélérée
depuis la victoire de Menahem Begin. La répression politique s'intensifie avec la destitution, en
1982, de la plupart des maires élus et leur remplacement par des administrateurs israéliens. Elle
accompagne les mesures " ordinaires " prises contre les Palestiniens : assignations à résidence,
expulsions vers la Jordanie, internements administratifs... Il y a, à la veille de l'intifada, 4 000
prisonniers politiques venant de la Cisjordanie et de Gaza. Seul espace, relatif, de liberté : la
presse. Paraissant à Jérusalem-Est, elle bénéficie des lois israéliennes, mais subit toutefois une
censure rigoureuse. Le déclenchement, en décembre 1987, du soulèvement de la Cisjordanie et
de Gaza marque l'aboutissement d'une prise de conscience, reflète une forte identité nationale et
confirme le rôle central de l'" intérieur " dans la lutte palestinienne. Le roi Hussein en a pris acte
en rompant, le 31 juillet 1988, tous les liens " légaux et administratifs " avec la Cisjordanie. La
Cisjordanie est au coeur des accords d'Oslo et de la mise en place de l'autonomie palestinienne.
Signé le 28 septembre 1995 à Washington, l'accord de Taba (dit aussi accord d'Oslo II) définit la
période transitoire qui doit durer jusqu'en mai 1999. La Cisjordanie est divisée en trois zones :
<195> la zone A comporte les grandes villes palestiniennes (Jéricho, Jénine, Naplouse,
Tulkarem, Kalkiliya, Ramallah et Beethléem) qui sont désormais sous autorité palestinienne ; elle
couvre 3 % du territoire. Hébron, avec ses 120 000 habitants palestiniens et ses 400 colons
restait, fin septembre 1996, sous occupation israélienne ; <195> la zone B couvre 27 % de la
Cisjordanie et la quasi-totalité des 465 villages palestiniens ; l'Autorité palestinienne y dispose de
pouvoirs municipaux, mais l'armée israélienne y est responsable de la sécurité et peut y pénétrer
à tout moment ; <195> la zone C, qui s'étend sur 70 % de la Cisjordanie - dont l'ensemble des
colonies israéliennes - reste sous contrôle israélien. A la fin de l'année 1995, les troupes
israéliennes se sont retirées des grandes villes palestiniennes (à l'exception de Hébron) où
s'installe l'Autorité palestinienne. Si les élections du 20 janvier 1996 confirment la grande
mobilisation des Palestiniens, les attentats du printemps 1996 mettent en lumière la fragilité de
l'autonomie : le bouclage systématique des territoires autonomes empêche les Palestiniens d'aller
travailler en Israël ; la circulation des marchandises et des hommes entre les différentes villes est
devenue plus difficile, rendant impossible la constitution d'une entité économique viable ; les
raids israéliens, notamment dans les villages, se multiplient durant le premier semestre 1996,
aboutissant de facto à la réoccupation des villages situés en zone B. La population de la
Cisjordanie (Jérusalem-Est inclus) est de 1,6 million - dont 500 000 réfugiés - et le PNB par
habitant de 2 040 dollars.
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COLONISATION
La colonisation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem et des autres
territoires arabes occupés a commencé dès le lendemain de la guerre de juin 1967. En juillet, la
première colonie de peuplement est établie sur le Golan ; en septembre, c'est le tour de la
Cisjordanie avec Kfar Etzion, dans la région de Hébron. Dans le même temps, le gouvernement,
à direction travailliste, de Levy Eshkol entreprend la " judaïsation " de Jérusalem annexée.
L'élément central de cette stratégie a été la dépossession des Palestiniens et la confiscation de
leurs terres. Utilisant, suivant les cas, des raisons de sécurité, des lois datant du mandat
britannique ou même de l'Empire ottoman, les Israéliens se sont approprié plus de 65 % des
terres disponibles en Cisjordanie et plus de 40 % à Gaza. En plus d'un rôle militaire (face à la
Syrie ou dans la vallée du Jourdain), le maillage très dense de la Cisjordanie ou de Gaza a une
fonction de contrôle et de surveillance de la population palestinienne. Les colons armés, parfois
membres des groupes d'extrême droite, n'hésitent pas à prêter main forte aux troupes
d'occupation ou à faire eux-mêmes la police. On peut distinguer deux phases dans la politique de
colonisation après 1967. La première s'est déployée suivant les lignes du plan Allon - du nom du
vice-Premier ministre travailliste israélien - présenté dès le mois de juillet. Il soulignait
l'importance vitale du Jourdain dans la défense de l'État juif : c'est là que furent installées les
premières colonies. Israël ne visait pas prioritairement les zones arabes fortement peuplées,
même si, déjà, des mouvements religieux débordaient largement - avec l'aval du gouvernement -
le cadre de la politique officielle. En 1977, le nombre des colons est réduit : 5 000 pour toute la
Cisjordanie. Un sort à part fut réservé à Jérusalem, dont la partie arabe, largement étendue puis
annexée, se vit encerclée de quartiers juifs dont la population atteignit 50 000 personnes en 1977.
En 1974 se crée le Gouch Emounim (Bloc de la foi), un mouvement revendiquant le droit des
Juifs à s'installer partout en Eretz Israël. Il multiplie les coups de main et les occupations "
illégales " dans des zones de fort peuplement arabe. À la veille de la victoire de Menahem Begin,
en 1977, cinq colonies s'étaient ainsi constituées, et leur existence avait été entérinée par le
gouvernement d'Itzhak Rabin et Shimon Peres. L'accession de la droite au pouvoir accéléra
considérablement le mouvement. Les implantations sont créées dans les zones à fort peuplement
arabe, et le nombre de colons grimpe à 44 000 en 1984. Alors que, entre 1967 et 1977, 750
millions de dollars ont été investis dans la colonisation, cette somme passe à 1,67 milliard pour la
décennie suivante. Mais l'esprit pionnier des années 30 et 40 s'est bien essoufflé, en dehors d'une
poignée de fanatiques. Dès le début des années 80, on utilisera à fond, pour " remplir " les
colonies, le ressort de la crise du logement. Les jeunes couples, ne pouvant trouver d'habitation
abordable dans les grandes villes israéliennes, se voient proposer de s'installer dans des colonies
urbaines en Cisjordanie. Certaines sont situées à moins de 30 kilomètres de Tel Aviv, et les prix
y sont deux à trois fois inférieurs. La formation du gouvernement d'union nationale, en 1984, a
abouti à la limitation de la construction de nouvelles colonies. Mais la croissance du nombre de
colons continue : les implantations peuvent accueillir un million de personnes. Avec la victoire
des travaillistes aux élections législatives de juin 1992, on s'attend à un tournant de la politique
israélienne dans ce domaine. Devenu Premier ministre, Itzhak Rabin annonce le gel de la
colonisation. Il n'en sera rien. Fin 1995, la Cisjordanie compte 130 colonies avec 150 000
habitants (contre 112 000 en 1992), Gaza 16 colonies abritant 6 000 âmes, le Golan 33 colonies
regroupant 16 000 personnes, sans oublier les quelque 170 000 habitants juifs des neuf colonies
de Jérusalem-Est : " Les prochaines années, déclarera même Rabin, seront marquées par
l'extension de la construction du Grand Jérusalem. " Les accords d'Oslo n'ont pas changé le
statut des colonies qui ne doit être discuté que durant les négociations finales. Pour préparer
l'annexion de nombre d'entre elles, le gouvernement travailliste israélien a décidé la construction
de 26 nouvelles routes " de contournement " pour les relier directement à Israël. Il a également
laissé les implantations existantes poursuivre l'annexion de terres et la construction de nouveaux
logements - sauf dans le cas des 53 hectares de Jabal Abou Gheneim, Beit Hanina et Beit Safafal
qu'il doit geler le 22 mai 1995, les députés des partis arabes menaçant de joindre leurs voix à
celles du Likoud pour faire passer une motion de défiance au parlement. Même le massacre de
vingt-neuf Palestiniens de Hébron par Baruch Goldstein, le 25 février 1994, n'a pas suffi à
convaincre le Premier ministre de sévir contre les colons, faiblesse qu'il paiera de sa vie, le 4
novembre 1995. L'assassin n'a pas agi en vain : le 29 mai 1996, la droite et l'extrême-droite
reviennent au pouvoir. Avec elles, la colonisation est à nouveau à l'ordre du jour. Le programme
du gouvernement formé par Benyamin Netanyahou prévoit " le renforcement, l'élargissement et
le développement " de la colonisation juive " sur les hauteurs du Golan, la vallée du Jourdain, la
Judée, la Samarie et Gaza ". Et de préciser qu'il " allouera, dans ces régions, les ressources
nécessaires à cette entreprise ". Et c'est Ariel Sharon, placé à la tête d'un " super-ministère ", qui
est chargé de cette relance...
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COMMERCE EXTÉRIEUR
Enjeu stratégique et politique, le Moyen-Orient représente également un objectif
économique considérable. Sa population est importante : plus de 250 millions d'hommes et de
femmes. Ses besoins de tous ordres, à la mesure de ce peuplement, sont accentués par la
dépendance de ses économies : orientées pour la plupart vers l'exportation de matières premières,
elles doivent importer l'essentiel des produits manufacturés nécessaires. Et ces importations, la
grande majorité des États de la région ont pu longtemps les financer sans difficultés majeures
grâce aux ressources de leur sous-sol, en premier lieu le pétrole. Plus même, dans les années 70
et jusqu'au milieu des années 80 se sont dégagés des surplus que, faute de vouloir les investir
localement, bien des pays de la région choisissent de placer à l'étranger. Pour préciser l'ordre de
grandeur des caractéristiques ainsi résumées, quelques chiffres s'imposent - ils sont tirés pour
l'essentiel de The Middle East and North Africa 1996. L'ensemble des importations des États
concernés (Arabie Saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Irak, Iran, Israël, Jordanie,
Koweït, Liban, Libye, Oman, Qatar, Syrie, Turquie et Yémen) dépasse les 167 milliards de
dollars, dont environ 75 % de produits manufacturés. Le total de leurs exportations frôle les 160
milliards de dollars, aux deux tiers des hydrocarbures. En plus du pétrole, on trouve également
au Moyen-Orient de l'or, des phosphates, du soufre, de l'amiante, du charbon, du lignite, du fer,
de la chromite, du cuivre, du manganèse, du plomb, du zinc, de l'antimoine, du nickel, etc.
Absents en Israël, en Jordanie, au Liban et en Turquie, le pétrole et ses dérivés représentent
environ 40 % des exportations de l'Égypte et de l'Iran, 58 % pour les Émirats, 60 % pour la
Syrie, 69 % pour Qatar, 85 % pour le Koweït, 76 % pour Bahreïn, 79 % pour Oman, le Qatar, 91
% pour l'Arabie Saoudite, 94 % pour la Libye, 95 % pour le Koweït. Jusqu'en 1982 on assiste à
une croissance des ressources pétrolières : 2,8 milliards de dollars en 1966, 4,1 en 1970, 13,5 en
1973, 89 en 1977, 177 en 1981, environ 100 en 1984. Quant aux surplus, ils se sont montés, de
1974 à 1984, à près de 450 milliards de dollars, dont 5 % sont revenus aux institutions
financières internationales, 15 % aux pays en voie de développement, et 80 % aux pays
développés, les États-Unis ayant drainé 65 à 70 % de ces divers placements. Aux dires du
président de l'Union des banques arabes et françaises, le montant des dépôts, publics et privés,
des banques arabes à l'étranger se montait fin 1989 à plus de 670 milliards de dollars. Le recul
du pétrole et la chute de son prix ont cependant tempéré bien des illusions : les exportations
totales des pays du Moyen-Orient, Israël exclu, sont retombées de 159 milliards de dollars (dont
130 de pétrole) en 1982 à 79 milliards (dont 56 de pétrole) en 1986 pour remonter à 135
milliards (dont plus de 100 de pétrole) en 1993... Les cinq principaux importateurs du Moyen-
Orient sont - en 1993 - l'Arabie Saoudite (33,3 milliards de dollars), la Turquie (29,4), Israël
(20,5), les Émirats arabes unis (19,8) et l'Iran (18,7). Quant aux cinq plus gros exportateurs, ils se
classent dans l'ordre suivant : Arabie Saoudite (44,4), Émirats arabes unis (23,5), Turquie (15,4),
Israël (14,8) et Libye (11,8). Du côté des partenaires, les États-Unis arrivent le plus souvent loin
en tête, suivis (dans un ordre différent selon les pays) de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la
France et de l'Italie, avec ici ou là l'Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis. Autre percée
notable, celle du Japon, qui se ravitaille en pétrole mais vend également nombre de ses produits.
Pour les États-Unis en particulier, les relations commerciales avec le Moyen-Orient sont
stratégiquement significatives, mais également économiquement importantes. En 1993, les États-
Unis ont exporté vers les pays du Moyen-Orient pour plus de 23 milliards de dollars, soit environ
5 % de leurs exportations totales (contre 13,8 milliards soit 6 %, en 1983). Et ils en ont importé
pour 17,2 milliards de dollars, soit 3 % de leurs importations totales (contre 19,2 milliards, soit 7
%, il y a dix ans). Leur bénéfice commercial s'y monte donc à 5,8 milliards, un chiffre presque
exactement inverse à celui de 1980 : le commerce américain avec la région était déficitaire de 5,4
milliards, de dollars. Voilà une traduction chiffrée de la victoire que la guerre du Golfe a
représentée pour les États-Unis, sur le plan commercial aussi. Le coup porté à Saddam Hussein
se doublait pour Washington d'un avantage non négligeable dans la concurrence avec Européens
et Japonais. A noter également que les échanges avec Israël ont représenté, en 1993, 16 % des
exportations et 30 % des importations moyen-orientales de l'Amérique. D'après les chiffres du
Statistical Abstract of the United States 1995, les plus gros clients de Washington au Moyen-
Orient étaient, en 1993, l'Arabie Saoudite (6,7 milliards de dollars), Israël (6,5), la Turquie (3,4),
l'Égypte (2,8) et les Émirats arabes unis (1,8). Et ses principaux fournisseurs étaient alors Israël
(13,2 milliards de dollars), l'Arabie Saoudite (7,7), le Koweït (1,8) et la Turquie (1,2). Si les
échanges américano-arabes sont plutôt en recul, le commerce entre les États-Unis et Israël a crû
massivement, suite à l'accord de libre-échange négocié entre les deux pays. La Russie est loin
d'avoir retrouvé l'influence de l'ex-URSS dans la région et l'intensité des rapports commerciaux
qu'elle y entretenait. A défaut de statistiques fiables, il semble que Moscou s'efforce
prioritairement de récupérer les marchés qui étaient ceux de l'Union soviétique, en particulier en
Irak, en Iran, en Syrie, en Égypte et en Libye. Mais, à la moitié des années 90, c'est l'Union
européenne qui arrive en tête des fournisseurs de l'Arabie Saoudite, de l'Égypte, de l'Irak,
d'Israël, de la Jordanie, du Koweït, de la Libye, d'Oman, du Qatar, de la Syrie et de la Turquie, et
des clients de l'Égypte, de la Libye, de la Turquie et du Yémen. Les États-Unis ne la devancent
comme fournisseur que dans le cas d'Israël et comme client dans le cas de l'Arabie Saoudite.
Quant au Japon, il est le premier client des Émirats arabes unis, d'Oman, de Qatar et de la Syrie.
En tête des fournisseurs des Émirats arabes unis, de la Jordanie et du Yémen arrivent les pays en
voie de développement, qui l'emportent également comme clients de Bahreïn, de l'Irak, du Liban
et de la Jordanie. Si l'Union européenne, les États-Unis, le Japon et la Russie figurent parmi les
partenaires essentiels des pays de la région, la part du tiers monde dans les échanges du Moyen-
Orient n'est pas pour autant négligeable : plus de 30 % de ses importations et près de 50 % de ses
exportations.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

CONFÉRENCES DE PAIX
Des balbutiements de l'implantation juive en Palestine jusqu'à la Conférence de Madrid,
les relations israélo-arabes se sont développées sous le signe de l'affrontement - elles ont même
connu, on le sait, cinq guerres généralisées. Convaincus que l'intégration de l'État juif dans son
environnement moyen-oriental était d'abord affaire de rapport de forces militaires, mais
également économiques et idéologiques, les dirigeants du Yichouv, puis d'Israël n'ont pas pour
autant négligé les armes de la diplomatie. À plusieurs reprises, de leur propre volonté ou parce
qu'ils y étaient contraints, ils ont négocié avec leurs voisins arabes. L'histoire montre toutefois
qu'ils ont toujours préféré inscrire ces relations avec sur le mode bilatéral, par opposition à toute
négociation de caractère multilatéral. La principale constante de la diplomatie sioniste, de ce
point de vue, c'est la recherche d'une entente avec la dynastie hachémite, également principal
interlocuteur de la Grande-Bretagne. La première prise de contact sera sans lendemain : en
janvier 1919, le dirigeant sioniste Haïm Weizmann obtient l'approbation de la Déclaration
Balfour - donc de la constitution d'un Foyer national juif en Palestine - par le fils de l'émir
Hussein, Faysal... qui, trois mois plus tard, niera jusqu'à l'existence de cette rencontre. Mais
Faysal accède finalement au trône d'Irak, et c'est Abdallah qui hérite en 1922 de l'émirat,
fraîchement créé, de Transjordanie : Weizmann le rencontre alors. Des historiens lui prêtent -
déjà - l'intention de miser sur les sionistes pour renforcer la Transjordanie au détriment des
Palestiniens. Ces premiers contacts faciliteront sans doute l'engagement de négociations secrètes,
en 1947, entre Golda Meir et Abdallah, désormais roi. L'accord intervenu visant à partager la
Palestine (et Jérusalem) entre le futur État d'Israël et la future Jordanie, fidèlement respecté,
malgré les vicissitudes des combats, par les deux parties, constituera le principal résultat de la
guerre de 1948-1949. Il faudra l'engagement de la Jordanie aux côtés de l'Égypte et de la Syrie, à
la veille de la guerre de 1967, pour que l'État juif reprenne la Cisjordanie et Jérusalem-Est au
petit fils d'Abdallah, le roi Hussein. Ce qui n'empêchera pas, dans les années 70 et 80, les deux
principaux courants politiques israéliens d'envisager chacun leur " option jordanienne " : pour les
travaillistes, dans l'hypothèse d'une " fédération jordano-palestinienne " ; pour certains dirigeants
du Likoud, notamment Ariel Sharon, dans l'hypothèse d'une " palestinisation " de la Jordanie -
conformément à la thèse révisionniste selon laquelle le partage de la Palestine a déjà eu lieu en
1922, la Jordanie tenant lieu d'État palestinien. A peine la déclaration israélo-palestinienne sur
l'autonomie signée, la Jordanie sera la première à en tirer les conclusions par la signature d'un
traité de paix en bonne et due forme avec Israël, le 26 octobre 1994. Longtemps démonisée,
l'Égypte fut - après, il est vrai, qu'Anouar Al Sadate a succédé à Gamal Abdel Nasser - l'autre
partenaire privilégié d'Israël. La visite du Raïs à Jérusalem (1977), puis les accords de Camp
David (1978) et enfin le traité de paix égypto-israélien (1979) font du pays arabe le plus redouté
d'Israël le premier à avoir fait la paix avec lui. La normalisation, elle, reste à réussir... Une autre
capitale arabe avait bien failli - c'est beaucoup moins connu - précéder Le Caire dans ce rôle :
Damas. En mars 1949, à l'issue de la première guerre israélo-arabe et en pleines tractations sur
les termes de l'armistice, le chef de l'armée syrienne, le colonel Husni Zaim, prend le pouvoir à
l'issue d'un coup d'État d'ailleurs pacifique. Soucieux d'obtenir les moyens de renforcer son
armée face à toute menace extérieure ou intérieure, il compte sur l'aide occidentale. Et comment
mieux plaire à l'Ouest qu'en se montrant flexible à l'égard d'Israël ? De fait, en juillet 1949, Zaim
propose à Ben Gourion de négocier, non un armistice, mais un véritable traité de paix. Et de se
déclarer prêt à accueillir 300 000 réfugiés palestiniens qui ne pourraient - ou ne voudraient - pas
être rapatriés en Israël. Mais le Premier ministre israélien, satisfait du partage de la Palestine
entre lui et le roi Abdallah, balayera l'offre d'un revers de main. Zaim ayant été renversé en août
1949 par un autre officier, on ne saura jamais si le Proche-Orient n'est pas passé, alors, à côté de
la paix qu'il recherche encore... Malgré sa préférence pour les relations bilatérales, l'État juif a
néanmoins été amené à prendre part à des négociations de caractère multilatéral. Souvent ignorée
des historiens, la conférence de Lausanne est la première du genre. Elle se tient, avec des
interruptions, du 27 avril au 14 septembre 1949, à l'initiative de la Commission de conciliation
sur la Palestine - cet organisme de médiation a été mis en place, le 11 décembre 1948, par
l'Assemblée générale de l'ONU pour succéder au Comte Bernadotte, assassiné par des terroristes
du Lehi cinq mois plus tôt. La Commission est mandatée pour favoriser - sur la base des
résolutions des Nations unies, notamment 181 (29 novembre 1947) et 194 (11 décembre 1948) -
les négociations entre les parties au conflit, soit directement, soit sous ses auspices, concernant le
sort des réfugiés (voir Expulsion et Palestiniens), les frontières et le statut de Jérusalem. Après
quatre mois de consultations au Proche-Orient, où la conclusion des armistices est en cours, la
Commission convoque l'ensemble des belligérants à Lausanne. Tous répondent favorablement :
les Palestiniens et les États arabes pour tenter de regagner autour de la table une partie du terrain
perdu pendant la guerre, Israël par peur qu'un boycottage de la conférence ne compromette ses
chances d'être admis au sein des Nations unies. Pour les mêmes raisons, la délégation israélienne
devra signer le 12 mai un protocole également ratifié par les représentants arabes : tous déclarent
accepter le plan de partage de novembre 1947 et la résolution de décembre 1948 sur les réfugiés
comme base des négociations à venir. C'est un tournant considérable, pour les Arabes amenés à
réviser - dix-huit mois plus tard - leur rejet du partage, donc à reconnaître de facto Israël et à
négocier avec lui, mais aussi pour l'État juif dont les acquis territoriaux et démographiques au
terme de la guerre seraient remis en cause par l'application des résolutions 181 et 194 : retour aux
frontières dessinées par l'ONU, rapatriement des réfugiés et même création éventuelle d'un État
palestinien, internationalisation de Jérusalem... Exceptionnel, ce consensus restera pourtant lettre
morte. Jusqu'au bout, les dirigeants israéliens refuseront en effet de faire, sur la question du
rapatriement des réfugiés palestiniens, le geste que les États arabes présentent comme le
préalable à toute négociation - l'offre, en juillet 1949, d'accueillir 100 000 exilés (sur 750 000)
sera jugée insuffisante, y compris par les États-Unis, dont elle visait à desserrer l'étau. Car
Washington exerce, à l'époque, sur Tel Aviv une pression sans précédent - et sans équivalent
ensuite : dans une note au Premier ministre israélien, le président Harry Truman ira, en juin
1949, jusqu'à menacer de " considérer comme inévitable une révision de son attitude à l'égard
d'Israël. ". Onze mois plus tard, Américains, Français et Britanniques finiront toutefois, avec leur
" Déclaration tripartite ", par entériner le statu quo... Mais Tel Aviv est inébranlable. En dépit de
la signature, purement tactique, du protocole de Lausanne, David Ben Gourion et la grande
majorité du gouvernement n'entendent en aucun cas renoncer à la seule paix qui vaille selon eux,
à savoir le partage du reste de la Palestine avec le roi Abdallah. Et l'" appareil " diplomatique suit
- bien que le ministre des Affaires étrangères, Moshe Sharett, semble avoir recherché
sincèrement un accord avec les Arabes, y compris les Palestiniens. Il n'empêche. Walter Eytan, le
directeur général du ministère des Affaires étrangères, expliquera sans détour : " Mon principal
objectif était de saper le protocole du 12 mai, que nous avions été contraints de signer dans le
cadre de notre bataille pour être admis aux Nations unies. " Représentant de l'État juif à l'ONU -
avant d'en devenir l'inamovible ministre des Affaires étrangères -, Abba Eban estime que son
pays n'a " pas besoin de courir après la paix. L'armistice nous suffit. Si nous recherchons la paix,
les Arabes nous demanderont d'en payer le prix - frontières, ou réfugiés, ou les deux. Attendons
quelques années. " Quant au chef de la délégation israélienne à la conférence de paix, Eliahou
Sasson, il en tirera, pour sa part, une leçon qui inspirera durablement la diplomatie de son pays. "
Les cinq mois de travail que j'ai passés à Lausanne, écrira-t-il à Moshe Sharett, m'ont enseigné
que toute médiation étrangère - quand bien il s'agirait de la meilleure, de la plus impartiale et
de la plus objective - devra, même avec les meilleures intentions, nous demander des concessions
sur les questions des réfugiés, des frontières et de la paix, ce à quoi nous devons absolument
résister. " Il faudra vingt-quatre ans - et trois autres embrasements - pour que les Israéliens
acceptent une entorse à cette règle... pour deux jours ! Anouar Al Sadate n'en avait pas fait
mystère : pour sortir le Proche-Orient de l'impasse, il convenait de bousculer les deux Grands, et
seul un nouvel affrontement pourrait y parvenir. D'où le déclenchement de la guerre de 1973,
dont Égyptiens et Syriens remportent la première manche, avant de perdre la seconde. Inquiets
du bras de fer dans lequel leurs " protégés " respectifs les ont entraînés, les deux Grands doivent
prendre une initiative : une conférence internationale. Proposée par le secrétaire d'État américain
Henry Kissinger, entérinée par son homologue soviétique Andreï Gromyko, elle est retardée par
les conditions des uns et des autres : l'Égypte veut une conférence sous les auspices de l'ONU ;
Israël au contraire préfère ceux des États-Unis et de l'URSS, exclut la présence de l'OLP et exige
l'obtention préalable de la liste de ses prisonniers de guerre en Syrie ; la Jordanie, elle, entend
représenter les Palestiniens ; quant à la Syrie, elle se refuse à des négociations fragmentaires,
notamment sur les prisonniers. La conférence est finalement convoquée par les deux Grands et
placée sous leur coprésidence, le Conseil de sécurité de l'ONU se contentant de ratifier cette
formule ; l'OLP en est tenue à l'écart ; et Damas n'y prend pas part. Le grand projet se réduit
finalement à peu de chose : le 21 décembre 1973, une séance publique, au cours de laquelle
interviennent Kurt Waldheim pour les Nations unies et les cinq chefs de délégation (Égypte,
États-Unis, Israël, Jordanie et URSS) ; le 22, une séance à huis clos débouchant sur la mise en
place de délégués permanents de chaque pays, la constitution d'une commission militaire égypto-
israélienne et l'ouverture de négociations bilatérales. La conférence, endormie, ne se réveillera
brièvement, en 1974, que pour une rencontre Kissinger-Gromyko et pour la signature de l'accord
de désengagement syro-israélien. Elle n'en demeurera pas moins, quinze ans durant, la solution
miracle prônée par l'Union soviétique avec l'appui d'une large majorité d'États membres des
Nations unies. L'URSS finira pas obtenir satisfaction... cinq semaines avant sa dissolution. C'est
le 30 octobre 1991 que s'ouvre, à Madrid, sous la coprésidence des États-Unis et de l'Union
soviétique, la troisième conférence multilatérale de l'histoire du Proche-Orient (voir documents
en annexe). Le Koweït une fois libéré, comment - à moins de justifier l'accusation de faire " deux
poids deux mesures " - ne pas se pencher sur les autres territoires occupés, et de longue date ?
Forte de ses extraordinaires acquis durant la guerre du Golfe, Washington entend les inscrire
dans la durée en éradiquant la principale cause d'instabilité dans la région : le conflit israélo-
arabe. Moscou, pour sa part, a d'autant plus de facilité à suivre l'Amérique qu'elle a toujours
prôné, on l'a vu, une telle conférence comme lieu et moyen d'un règlement de paix. Les pays
arabes, pour leur part, ont - comme en 1949 et en 1973 - plus à gagner qu'à perdre dans un tel
Forum. C'est particulièrement vrai des Palestiniens, dont le Conseil national, conscient du
caractère éminemment défavorable des rapports de forces, estime néanmoins, à l'instigation de
Yasser Arafat, qu'il vaut mieux " jouer sur le terrain que rester spectateur du match ". Quant à
Jérusalem, malgré ses réticences, elle ne peut ni empêcher la tenue d'un tel forum, ni même le
boycotter : elle sait que l'administration Bush n'hésiterait pas, le cas échéant, à sanctionner un
Israël dont la fonction, aux yeux des États-Unis, perd de son importance devant l'effacement de
la " menace soviétique ". Sans compter que l'État juif a réussi à limiter les frais. Il s'agit en fin de
compte d'un forum régional plutôt qu'international, où les Nations unies sont réduites au rôle de
figurant et dans lequel l'Europe se contente d'un strapontin. La séance formelle d'inauguration ne
sert que de hors-d'oeuvre au plat de résistance constitué par les négociations bilatérales et
multilatérales. La représentation palestinienne est intégrée dans une délégation jordano-
palestinienne et ne comprend ni représentant de l'extérieur ni habitant de Jérusalem-Est... Et
Itzhak Shamir gagnera son pari : transportées à Washington pour les bilatérales, et dans diverses
capitales pour les multilatérales, les négociations lancées à Madrid s'enliseront purement et
simplement. Sans le " miracle d'Oslo ", retour - réussi - au traitement face à face et secret du
contentieux israélo-palestinien, la montagne de Madrid n'aurait même pas accouché d'une souris.
Avec les négociations de paix israélo-arabes, un nouveau type de conférence internationale,
essentiellement économique, a fait son apparition dans la région : les deux premières du genre se
sont tenues à Casablanca, en octobre 1994, et à Amman, en octobre 1995. Impulsées par les
États-Unis, soucieux de maîtriser le développement régional sans pour autant le financer, elles
ont rassemblé des dirigeants politiques et d'entreprises occidentaux, israéliens et arabes dans le
but d'organiser la coopération au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Fermées à l'Irak, à l'Iran
et à la Libye, ces réunions n'ont pas débouché sur des décisions spectaculaires. L'essentiel, c'est le
message que l'Ouest s'efforce d'y faire passer : l'essor de cette région de 300 millions d'hommes
passe par la libéralisation des économies, le démantèlement du secteur public, l'accroissement de
l'investissement privé, la fin des subventions aux produits de base, bref l'intégration au marché
mondial. Discutée à Casablanca, prise à Amman, la décision de créer une Banque régionale a
représenté un revers pour les Européens, mais elle reste encore à l'état de projet. Fin 1996, les
relations entre Israël et ses voisins arabes se déclinent de la manière suivante. L'État juif a signé
des traités de paix avec deux pays : l'Égypte et la Jordanie. Il a établi des relations avec la
Mauritanie (ambassade), le Maroc (bureau de liaison), Oman (représentation commerciale),
Qatar (représentation commerciale) et la Tunisie (bureau d'intérêts). Des officiels israéliens ont
d'ailleurs été reçus dans tous ces pays, plus Bahreïn. Avec la Syrie, la normalisation est
conditionnée par un retrait israélien du Golan que l'élection de Benyamin Netanyahou rend très
hypothétique. De même le Liban exige, préalablement à tout accord, un retrait israélien du sud
du pays. Enfin Israël et l'OLP se sont reconnus mutuellement. L'Arabie Saoudite, les Émirats
arabes unis, l'Irak, le Koweït, la Libye et le Yémen n'ont - officiellement du moins - aucun
contact avec Tel Aviv.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

CONFESSIONNALISME
Désigne le système politique en vigueur au Liban et qui plonge ses racines dans l'histoire.
Avec l'Empire ottoman, dès le XVIe siècle, se mettent en place les " millet " : différentes " cités "
latérales (chrétiens, Juifs...) sont reconnues aux côtés de l'islam. Leurs chefs religieux jouissent
de nombreuses prérogatives et gèrent la vie de leurs ouailles. Mais c'est l'intervention directe des
puissances européennes qui accélère la genèse du confessionnalisme. Après les événements de
1860 et l'intervention française, la question du Liban devient une question européenne. Un "
règlement organique " est imposé au Mont-Liban (Petit Liban, 4 500 kilomètres carrés, moins de
la moitié du pays actuel) qui relève désormais directement de la Sublime Porte. Un conseil
administratif est formé, comprenant des représentants des six principaux groupes religieux :
maronites, druzes, sunnites, chiites, Grecs orthodoxes et Grecs catholiques. Le Petit Liban à large
majorité maronite, est divisé en sept mudiriya : quatre maronites, une druze, une grecque
orthodoxe et une grecque catholique. Le communautarisme ainsi constitué est renforcé par la
mission que s'assigne chaque puissance européenne : Paris défend les maronites, Londres les
druzes, Saint-Pétersbourg les Grecs orthodoxes... En 1920, la France établit son mandat sur la
région et sépare le Grand Liban (dans ses frontières actuelles) de ce qui deviendra la Syrie. Trois
facteurs contribuent à enraciner le confessionnalisme. Dans les nouvelles frontières, les chrétiens
sont à peine majoritaires ; mais, décidés à conserver leur hégémonie, la peur d'être submergés par
l'islam ravive leur cohésion. Au début de 1926, le statut de communauté politique est accordé
aux chiites qui, jusque-là, dépendaient de la sphère légale sunnite. Enfin, l'article 95 de la
Constitution de 1926 stipule : " À titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde,
les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la
composition des ministères... " Ce provisoire dure toujours. On a, entre-temps, officialisé dix-
sept confessions, qui ont chacune un fonctionnement de type tribal. En matière de statut
personnel (mariage, divorce, héritage...), chaque communauté dispose de son autonomie ; le
mariage civil n'existe donc pas. Dans le domaine politique, le pacte de 1943 a fixé les règles :
président maronite, Premier ministre sunnite, président de la Chambre chiite, etc. Au Parlement,
6 sièges sur 11 reviennent aux chrétiens et 5 aux musulmans avec une répartition interne, pour
chacune des deux religions, entre les différents sous-groupes. Ainsi, en 1972 - date de la dernière
élection législative avant la guerre civile -, sur 99 députés, 30 sont maronites mais seulement 19
sont chiites. Même répartition pour tous les postes de l'administration et de l'armée. Le caractère
présidentiel du régime a accentué la large hégémonie des maronites. C'est l'ensemble du système
qui est remis en cause par l'interminable guerre civile qui a, paradoxalement, renforcé les
solidarités confessionnelles. Plus grave encore, " l'occupation du territoire par les groupes
libanais a subi des transformations radicales dans le sens de l'homogénéisation de chaque
région " (Élizabeth Picard). Les chrétiens ont quitté Tripoli et ne seraient plus que 50 000 à
Beyrouth-Ouest - contre 500 000 il y a dix ans. La montagne du Jbeil, le Kesrouan et presque
tout le Metn sont maintenant exclusivement chrétiens. Le Chouf est devenu druze après la fuite
des chrétiens en 1983-1985... Le pays s'est ainsi divisé en cantons presque homogènes, repliés
frileusement sur les solidarités communautaires. Les accords de Taëf et le retour à la paix en
1989 n'ont pas vraiment surmonté les divisions, même si, de manière très limitée, on a pu assister
au retour de certains réfugiés dans leurs régions d'origine (par exemple, dans le Chouf). En
revanche, le rapport de forces entre les communautés a incontestablement évolué : désormais,
musulmans et chrétiens se partagent également le Parlement et, surtout, le pouvoir du président
maronite a été sensiblement réduit.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

CURIEL (Henri)
Henri Curiel naît au Caire le 13 septembre 1914 ; son père est un riche banquier juif. Il
fait ses études secondaires au collège des jésuites, puis part en France où il obtient sa licence de
droit. De retour en Égypte, il milite dans des mouvements antifascistes puis fonde, en 1943, le
Mouvement égyptien de libération nationale (MELN), une organisation communiste qui jouera
un rôle décisif après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Arrêté à plusieurs reprises, Henri
Curiel le sera de nouveau le 15 mai 1948, à la fois comme Juif et comme communiste qui a
appuyé le plan de partage de la Palestine. Libéré au début de 1950, il est expulsé de son pays en
septembre et perd sa nationalité. Réfugié clandestinement en France, il participe, à partir de
1956, aux activités de soutien au FLN algérien, jusqu'à son arrestation en 1960. Libéré en juin
1962 à la suite de la signature des accords d'Évian, il constitue le réseau Solidarité qui se fixe
comme but d'apporter une aide concrète aux luttes du tiers monde. Parallèlement, il milite pour
un rapprochement israélo-arabe et une paix fondée sur les droits nationaux de tous les peuples de
la région. Il contribue à l'organisation de la conférence de Bologne en 1973, qui regroupe des
Arabes et des Israéliens, et surtout aux pourparlers de Paris qui réunissent en juillet 1976, sous
l'égide de Pierre Mendès France, le Palestinien Issam Sartaoui et, du côté israélien, le général
Matityahou Peled et Ouri Avnery. Dénoncé par l'hebdomadaire Le Point et Georges Suffert
comme " le chef des réseaux d'aide au terrorisme ", il sera assassiné le 4 mai 1978 par un
mystérieux commando Delta. On ne retrouvera pas les assassins.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

DEIR YASSINE (massacre de)


Deir Yassine est sans doute le massacre le plus connu - mais non le seul, loin de là -
commis par les troupes juives, en l'occurrence révisionnistes, à la veille de la guerre de 1948-
1949. Le 9 avril 1948, 120 hommes de l'Irgoun et du Lehi donnent l'assaut à un village arabe
niché sur une colline, à l'ouest de Jérusalem, et s'en emparent. Spécialistes, depuis les débuts de
la guerre civile, du terrorisme anti-arabe, les miliciens de Menahem Begin et d'Itzhak Shamir se
livrent à une véritable boucherie : après avoir massacré les familles une à une, ils ratissent le
village et abattent les survivants. Au total, quelque 250 personnes sont ainsi assassinées. Les
habitants qui en réchappent sont expulsés vers Jérusalem-Est. Vingt-quatre ans plus tard, dans le
quotidien Yediot Aharonot, Meïr Païl, alors colonel de la Haganah, présent en tant qu'officier de
liaison, témoignera. " Vers midi, raconte-t-il, la bataille était terminée et les coups de feu avaient
cessé. Bien que le calme règnât, le village ne s'était pas encore rendu. Les hommes de l'Irgoun et
du Lehi sortirent de leurs cachettes et commencèrent à "nettoyer" les maisons. Ils tiraient sur
tous ceux qu'ils voyaient, y compris les femmes et les enfants ; les commandants n'essayèrent pas
d'arrêter le massacre (...). J'implorais le commandant d'ordonner à ses hommes de cesser le feu,
mais en vain. Au même moment, 25 Arabes avaient été chargés dans un camion (...) on les
emmena à la carrière entre Deir Yassine et Givat Shaul, et ils furent assassinés de sang-froid
(...). Les commandants refusèrent également, lorsqu'on le leur demanda, de prendre leurs
hommes et d'enterrer les 254 cadavres arabes. Cette tâche déplaisante fut assurée par deux
unités amenées au village depuis Jérusalem. " Zvi Ankori, qui dirigeait les forces de la Haganah
chargées d'occuper ensuite le village, ajoutera dans un témoignage de 1982 : " Je suis entré dans
6-7 maisons. J'ai vu des parties génitales coupées et des ventres de femmes broyés. À voir les
traces de balles sur les corps, il s'agissait purement et simplement de meurtres. " Condamnée par
l'Agence juive, la Haganah et le Grand rabbinat, l'affaire fait l'objet d'un message d'excuses de
David Ben Gourion au roi Abdallah de Transjordanie. Selon l'historiographie israélienne
traditionnelle, il s'agirait d'une " bavure " dont la responsabilité reviendrait exclusivement aux
troupes révisionnistes. L'action, il faut le noter, s'inscrit dans l'opération Nahshon, lancée dans la
nuit du 31 mars au 1er avril, avec l'aide des armes arrivées de Tchécoslovaquie, pour dégager
l'axe Tel Aviv-Jérusalem, où les quartiers juifs sont encerclés par les forces arabes. L'objectif, en
ce début avril, est de reprendre aux combattants palestiniens les villages qui dominent la route.
Ordre est donné de les détruire en cas de résistance. Au moment où l'Irgoun et le Lehi s'attaquent
à Deir Yassine, les unités régulières du Palmah et de la Haganah se battent pour Qastel - le chef
Abdel Qader Al Husseini tombe dans ces combats. Non seulement l'initiative révisionniste est
coordonnée avec celles de la Haganah, mais elle a reçu le feu vert - non sans réticence, il est vrai
- de son commandement général et bénéficiera d'un appui de son artillerie, comme en témoigne
formellement Meïr Païl dans l'article déjà cité. Pour sa part, à l'époque, l'Irgoun soulignera
d'ailleurs dans un communiqué que " le Commandement de la Haganah a menti sciemment quand
il a affirmé, après l'attaque de Deir Yassine, qu'elle était contraire au " plan général ". La vérité
toute nue, c'est que la conquête de Deir Yassine faisait partie de son propre plan. " Un
communiqué du Lehi accuse même la Haganah, entrée en possession du village, d'avoir laissé
des hommes de Solel Boneh, la compagnie de travaux publics du syndicat Histadrout, le piller
systématiquement... Mais les villageois de Deir Yassine n'ont pas seulement péri au nom de la "
liberté " de Jérusalem. Ils ont été délibérément sacrifiés pour accélérer, par l'horreur de leur
sacrifice, l'exode des Palestiniens. Le but de guerre de la direction sioniste, c'est de conquérir la
proportion la plus grande possible de la Palestine, mais aussi la plus ethniquement pure. Si les "
officiels " ne peuvent guère se targuer d'un massacre qu'ils réprouvent, les révisionnistes font fi
de ces scrupules. " La conquête de Deir Yassine, explique le communiqué de l'Irgoun, a
développé la terreur et l'épouvante parmi les Arabes des villages environnants (...) une fuite
panique a commencé qui a facilité la reprise des communication (...) entre la capitale et le reste
du pays. " Dans la version hébraïque de ses Mémoires, Menahem Begin, élargit encore le
phénomène, qu'il attribue à la " propagande arabe " (sic). Celle-ci, précise-t-il, " répandit une
légende de terreur parmi les Arabes et les troupes arabes, qui furent pris de panique lorsque les
soldats de l'Irgoun étaient mentionnés. Cette légende valait bien une demi-douzaine de bataillons
des forces d'Israël ". Et d'ajouter : " Amenés à croire les contes sauvages sur la "boucherie de
l'Irgoun", les Arabes à travers tout le pays furent pris d'une panique illimitée et commencèrent à
fuir de leurs villages. Cet exode massif se transforma en une folle débandade, incontrôlable. Des
quelque 800 000 Arabes qui vivaient sur le territoire actuel de l'État d'Israël, seuls 160 000 sont
encore là. La signification politique et économique de ce développement ne saurait être
surestimée "...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

DRUZE
Secte issue d'une des branches du chiisme, son origine remonte au califat fatimide installé
au Caire au Xe siècle. Le calife Al Hakim, qui régna de 996 à 1021, cherche à se faire reconnaître
comme une divinité. Après sa disparition, ses partisans sont persécutés mais son ancien vizir, Al
Daruzi, réfugié en Syrie, convainc plusieurs tribus de la nature divine de son ancien maître. C'est
à lui que la nouvelle secte doit son nom. Quelques années plus tard, en 1043, la nouvelle
prédication est déclarée " achevée ", le prosélytisme et les conversions sont interdits : " Le voile
est tiré, la porte est fermée, l'encre est sèche et la plume est brisée. " La doctrine élaborée est
ésotérique, conservée par une petite caste d'initiés largement influencés par la philosophie
grecque et hindoue. À tel point que, contrairement aux chiites, les druzes sont largement
considérés par les autres musulmans comme des hérétiques. Il existe des communautés druzes au
Liban, en Syrie et en Israël. Dans ce dernier pays, où on en compte près de 100 000, ils sont
traités différemment des autres arabes, chrétiens ou musulmans. En particulier, ils sont astreints
au service militaire, ce qui leur donne aussi un certain nombre de privilèges par rapport aux
autres Arabes ; dans les années 80 pourtant, se développe un mouvement d'insoumission chez les
druzes israéliens, confirmé ensuite à l'occasion de l'intifada. Mais c'est surtout au Liban que les
druzes jouent un rôle politique. Au XIIe siècle, se crée le premier émirat druze au Mont-Liban.
À la fin du XVIe siècle, Fakhreddine II unifie sous sa férule les territoires de l'actuel Liban. À
partir de cette date, maronites et druzes affirmeront leur pouvoir sur la montagne libanaise. La
communauté druze ne représente qu'environ 7 % de la population libanaise, mais elle a
longtemps compensé sa faiblesse numérique par une assez grande unité, une forte concentration
territoriale au Mont-Liban (Chouf et Metn, Harbaya) - qui s'est accentuée en 1983-1985 avec
l'exode de nombreux chrétiens de la région - et une grande valeur combative. Un clivage
traditionnel oppose le clan des Yazbaki (dirigés par la famille Arslane) à celui des Joumblatti. Un
homme, Kamal Joumblatt, sera, de 1943 à son assassinat par des agents syriens en 1977, tout à la
fois le représentant le plus prestigieux des druzes et le chef de la gauche libanaise. Son fils,
Walid, lui succède, à la tête à la fois du clan des Joumblatti et du Parti socialiste progressiste
(PSP) créé par son père. Depuis les années 80, le PSP, même s'il recrute certains cadres d'autres
confessions, s'identifie largement à sa base druze. La signature des accords de Taëf en 1989, avec
l'attribution des trois principaux postes de l'État à un maronite, un sunnite et un chiite, a signé
l'affaiblissement de la place des druzes dans la nouvelle configuration politique. Pour préserver
une partie de son rôle, Walid Joumblatt a obtenu, pour le scrutin de l'été 1996, un découpage de
la montagne en six petites circonscriptions, alors que dans le reste du pays, le scrutin s'est déroulé
sur la base de cinq grandes divisions.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

EAU (problème de l')


En 1953, la décision d'Israël de détourner une partie des eaux du Jourdain à partir du lac
de Tibériade engendre une vive tension au Proche-Orient. Au début de 1964, un sommet arabe
adopte un contre-projet concernant l'exploitation des eaux de ce fleuve : la compétition
contribuera à l'escalade qui mènera à la guerre de 1967. La décision syrienne, prise en 1973, de
remplir le barrage Tabqa sur l'Euphrate met Bagdad et Damas au bord de la guerre : selon l'Irak,
trois millions de ses paysans sont menacés. En 1990-1991, durant la crise du Golfe, des experts
américains propo- sent d'utiliser l'arme de l'eau contre Saddam Hussein : grâce aux barrages en
amont, sur le Tigre et l'Euphrate, qui prennent leur source en Turquie, on peut assoiffer l'Irak.
Ces quelques exemples illustrent de manière dramatique l'enjeu de l'eau au Proche-Orient : dans
une région aride, où les précipitations sont faibles, une denrée aussi rare suscite bien des
convoitises ; la conserver, ou la conquérir, relève de la sécurité nationale. Selon les prévisions de
la Banque mondiale, qui craint une véritable pénurie dans la région, les ressources renouvelables
par habitant passeront, entre 1990 et 2025, de 1 112 mètres cubes à 645 mètres cubes pour
l'Égypte, de 1 024 mètres cubes à 311 mètres cubes pour Israël, de 439 mètres cubes à 161
mètres cubes pour la Syrie (à titre de comparaison, l'Afrique disposera en 2025 de 2 620 mètres
cubes par habitant et l'Asie de 2 134 mètres cubes). En plus des pluies, faibles, de la solution du
dessalement des eaux de mer, extrêmement coûteuse, l'essentiel des ressources en eau du Proche-
Orient provient des nappes phréatiques et des fleuves. Trois réseaux de fleuves irriguent la région
: le Nil ; le Jourdain ; le Tigre et l'Euphrate. " L'Égypte est un don du Nil. " Près de deux mille
cinq cents ans plus tard, cette formule d'Hérodote résume encore le destin de l'Égypte. On l'a vu
dans les années 80, quand plusieurs années consécutives de sécheresse firent baisser le Nil à un
de ses niveaux historiques les plus bas. Non seulement l'agriculture en souffrit, mais aussi
l'industrie puisque 28 % de l'énergie électrique est d'origine hydroélectrique. Alors même que la
situation s'est depuis rétablie, on prévoit que le déficit en eau de l'Égypte dépassera 5 milliards de
mètres cubes en 2010 ; la fantastique croissance démographique y sera pour quelque chose. On
comprend dans ces conditions l'intérêt que Le Caire accorde aux divers pays qui contrôlent les
sources du fleuve ou les territoires par lesquels il transite, notamment l'Éthiopie et le Soudan. Le
développement, dans le sud du Soudan, de la rébellion dirigée par John Garang a
particulièrement inquiété les Égyptiens, car elle est à l'origine de l'arrêt des travaux de
construction du canal de Jonglei, entre Bor et Malakal, qui devait permettre d'économiser 0,5
milliard de mètres cubes d'eau. D'autre part, le projet de l'Ouganda de faire payer l'Égypte et le
Soudan pour l'eau comme celui de l'Éthiopie de construire deux barrages sur le Nil bleu et le
fleuve Atbara ont aggravé les tensions. En 2002, devrait se tenir une conférence de tous les pays
qui bordent le Nil pour tenter d'établir un plan de partage des eaux - pour l'instant, seuls Le Caire
et Khartoum ont signé un accord en ce sens. Bien qu'ils ne représentent que 2 % du débit du Nil
et 6 % de celui de l'Euphrate, le Jourdain et ses affluents (notamment le Yarmouk) sont au coeur
de contestations parfois violentes qui mettent aux prises Israël, la Syrie - notamment autour du
Golan - et la Jordanie. Jusqu'ici, malgré dix-sept plans successifs depuis 1939, aucun compromis
n'est intervenu. Dans le traité de paix signé le 26 octobre 1994, Amman et Tel Aviv "
reconnaissent leurs droits légitimes sur les rivières Jourdain et Yarmouk et sur les nappes
souterraines de l'Arava ". Israël s'est engagé à fournir annuellement 50 millions de mètres cubes
supplémentaires à la Jordanie, soit sa part des eaux du Yarmouk, et à contribuer à des travaux
(barrages, réservoirs et canalisations) qui procureront à terme au royaume 100 000 millions de
mètres cubes. De surcroît est mise à l'étude la construction d'un canal entre la mer Morte et la
mer Rouge, qui contribuerait aux projets de dessalement - en turbinant l'eau de mer, on produirait
de l'électricité qui ferait tourner les usines de dessalement. Mais ces programmes ne suffiront pas
à venir à bout de la pénurie qui menace Israël : d'où sa détermination à conserver le contrôle des
nappes phréatiques de Cisjordanie. Dès 1967, l'eau des Territoires occupés a été mise sous
contrôle militaire, et les résidents arabes se sont vu interdire de creuser de nouveaux puits, tandis
que les colonies juives de peuplement en foraient sans restriction. Selon le ministre de
l'agriculture du dernier gouvernement Rabin, Yaakov Tsur, Israël tirerait plus du tiers de sa
consommation des trois grandes nappes phréatiques partiellement ou totalement situées en
Cisjordanie. La question de l'eau, qui n'a pu être réglée dans le cadre des discussions sur
l'autonomie, sera un des points chauds des négociations finales entre Palestiniens et Israéliens.
La Turquie est un des rares pays du Proche-Orient - avec le Liban - à ne pas souffrir du manque
d'eau. Le pays contrôle les sources du Tigre et de l'Euphrate, ce qui n'a pas manqué de créer bien
des contestations avec la Syrie et avec l'Irak. Des accords de partage ont été signés à plusieurs
reprises, mais ils sont mis en cause par le projet de développement du Sud-Est anatolien, connu
sous le nom de GAP. Avec la construction de 21 barrages et d'une douzaine de centrales
électriques sur les deux fleuves, le GAP devrait contribuer au développement d'une des régions
les plus pauvres du pays où se déroule la rébellion kurde. L'achèvement du monumental barrage
Atatürk sur l'Euphrate et son remplissage en janvier 1990 - qui a entraîné la retenue des eaux
durant un mois - ont soulevé de fortes inquiétudes en Syrie comme en Irak. Ce barrage fait
désormais partie du contentieux qui oppose les trois pays. Pour résoudre le problème de l'eau au
Proche-Orient, il convient de mettre en oeuvre une double stratégie : d'une part un effort
d'économies, notamment dans le domaine agricole où le gaspillage est très fort ; d'autre part une
coopération régionale qui suppose la fin de l'état de guerre. Si l'eau ne fait pas l'objet d'un effort
concerté des pays au Proche-Orient, nul doute alors qu'elle ne devienne une cause supplémentaire
de conflits et de déstabilisation.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.
ÉGYPTE
À la suite de l'échec de l'expédition de Bonaparte, Muhammad Ali, un officier albanais de
l'armée turque, s'installe au pouvoir au Caire. Il est le fondateur de l'Égypte moderne, et ses
descendants régneront pendant un siècle et demi. La localisation stratégique du pays, qu'accentue
le percement de l'isthme de Suez, et l'extension de la culture du coton font de ce qui est encore
théoriquement une province de l'Empire ottoman une proie pour les puissances européennes. En
1882, la Grande-Bretagne occupe l'Égypte et, après la déclaration de la Première Guerre
mondiale, les Anglais installent leur protectorat. À la fin du conflit, une poignée de nationalistes,
avec à leur tête Saad Zaghloul, forment une délégation (Wafd) pour aller à Londres négocier
l'indépendance. Le refus britannique suscite une immense colère et de violentes manifestations
conduisant, le 21 février 1922, Sa Gracieuse Majesté, dans une déclaration unilatérale, à
reconnaître l'Égypte comme État souverain indépendant. Ce n'est qu'une indépendance factice, et
le pouvoir réel reste aux mains du haut-commissariat britannique. Désormais, la vie politique
s'articule autour de trois pôles : le Palais, le proconsul anglais et le Wafd, qui s'est transformé en
un parti politique à base populaire - mais à direction féodale - s'imposant à toutes les élections,
quand elles ne sont pas massivement truquées. Le traité de 1936, signé par le gouvernement
wafdiste de Nahas Pacha, aboutit à quelques concessions mineures (dont le regroupement des
troupes britanniques dans la zone du canal de Suez), mais ne répond pas à l'attente des
nationalistes. Nahas est d'ailleurs révoqué en 1937 par le Palais. En 1942, Londres impose au roi
Farouk, qui flirte avec l'Allemagne nazie, le retour du Wafd au gouvernement ; Nahas Pacha et sa
formation y perdront une partie de leur prestige. Après 1945, le mouvement anti-anglais se
radicalise, et en février 1946 une vague de manifestations déferle sur l'Égypte. Malgré la guerre
de Palestine et la loi martiale, le mouvement ne faiblit pas et porte à nouveau le Wafd au pouvoir
en 1950. Poussé par la radicalisation des consciences, Nahas Pacha abroge unilatéralement le
traité de 1936 qu'il a lui-même signé. La guérilla s'amplifie contre les troupes anglaises dans la
zone du canal de Suez. L'incendie du Caire, en janvier 1952, sera le prétexte pour un " retour à
l'ordre " brutal. Le cabinet wafdiste est révoqué par le roi, et le Wafd, hésitant, divisé,
pusillanime, se discrédite. La voie est ouverte aux " Officiers libres " qui s'emparent du pouvoir
le 23 juillet 1952 et instaurent la République le 18 juin 1953. Gamal Abdel Nasser, l'homme fort
du nouveau régime, refuse le retour au multipartisme, instaure un parti unique, engage une
réforme agraire et, surtout, négocie avec Londres. Le 19 octobre 1954, il signe un traité aux
termes duquel les troupes britanniques se retireront dans les dix-huit mois ; leur retour est
néanmoins envisagé en cas de crise. L'expédition de Suez de 1956 rend cette clause caduque :
après soixante-quinze ans d'occupation étrangère, l'Égypte est de nouveau libre. Elle se
transforme même en centre du monde arabe, Mecque du nationalisme révolutionnaire. " La Voix
des Arabes ", émettant du Caire, contribuera aux bouleversements qui secouent le Proche-Orient
entre 1956 et 1967. Mais, si une vague puissante balaie les anciennes structures et met à mal la
présence coloniale, elle ne sera pas capable de réaliser l'aspiration unitaire. La République arabe
unie (RAU), constituée par l'Égypte et la Syrie, n'aura qu'une existence éphémère (1958-1961).
Le début des années 60 ouvre une nouvelle période de " radicalisation " : nationalisation de
l'industrie, deuxième phase de la réforme agraire, création de l'Union socialiste arabe. L'alliance
avec l'URSS (voir Russie) - que symbolise l'inauguration par Nasser et Khrouch-tchev du haut
barrage d'Assouan en 1964 - se fait étroite. Pourtant, les rêves d'un développement économique
indépendant se fracasseront sur les blindés du général Dayan. La défaite de 1967 fait de l'Égypte
un pays vaincu, partiellement occupé, écrasé par le fardeau de la guerre. Le Raïs tente de relever
son pays et refuse les faits accomplis : il reconstruit son armée avec l'aide de l'URSS et décide
d'apporter un soutien aux organisations de fedayin et à Yasser Arafat ; il engage une guerre
d'usure sur le canal de Suez en 1969-1970 tout en affirmant sa disposition à négocier une solution
politique (plan Rogers). Quand Anouar Al Sadate succède à Nasser, en 1970, il a déjà choisi une
orientation aux antipodes de son prédécesseur. Il faudra la guerre d'octobre 1973 pour qu'il soit à
même de l'imposer : infitah (ouverture) économique, alliance avec les États-Unis " qui détiennent
99 % des cartes " pour régler le conflit israélo-arabe. Le " nouveau cours " imprimé par Sadate
s'affirme avec éclat dans le voyage qu'il effectue à Jérusalem en novembre 1977, puis dans la
signature, l'année suivante, des accords de Camp David. L'Égypte y gagne la paix, le Sinaï et une
importante aide américaine. Elle y perd son crédit et ses relations avec la quasi-totalité du monde
arabe. Le peuple, qui a accueilli avec enthousiasme la fin d'un conflit douloureux, déchante vite.
La crise économique, loin de se résorber, s'aggrave. Les libertés publiques se rétrécissent comme
une peau de chagrin. Et quand, en 1981, quatre hommes assassinent le Raïs, peu d'Égyptiens le
pleurent. S'ouvre alors une phase nouvelle, marquée par une politique plus équilibrée. Hosni
Moubarak confirme les accords de Camp David, mais se rapproche de la Jordanie, de l'Irak et de
l'OLP, puis renoue avec la majorité des pays arabes. Il maintient des relations privilégiées avec
les États-Unis, mais normalise celles avec l'URSS. L'opposition dispose d'une plus grande marge
d'action, mais le parti gouvernemental conserve son emprise sur l'appareil d'État. La politique de
l'infitah est poursuivie, mais le nouveau président tente de combattre la corruption et d'étendre les
activités productives. Neuf ans plus tard, à la veille de la crise du Koweït, le bilan est mitigé.
Comme dans d'autres pays arabes, la lutte contre l'islamisme sert de prétexte à de sérieuses
limitations de la démocratie. La multiplication d'attentats terroristes ainsi que les attaques de
groupes extrémistes contre la minorité chrétienne copte justifient le maintien de l'état d'urgence
régulièrement reconduit. Dans le monde arabe, l'Égypte a réussi son retour diplomatique et, en
mars 1990, la Ligue arabe décide de transférer son siège au Caire. Mais, sur le plan économique,
la situation s'aggrave avec une dette (civile et militaire) de près de 50 milliards de dollars, un
déficit budgétaire de 10 milliards de dollars, une inflation de près de 35 %, un chômage touchant
plus de 20 % de la population active. Plus que jamais, l'Égypte est dépendante de l'aide
économique et militaire américaine, du bon vouloir des organismes internationaux, le Fonds
monétaire international et la Banque mondiale. Dans ce contexte éclate la crise du Golfe, qui
semble remettre en cause tout l'édifice laborieusement construit par le président Moubarak. La
Ligue arabe, réunie au Caire le 10 août 1990, se scinde, et l'Égypte prend la tête de la coalition
arabe anti-irakienne : près de 35 000 de ses soldats se déploieront dans le Golfe, mais leur rôle
dans les combats sera limité. Le pays a vu aussi ses difficultés s'accroître avec le départ de
plusieurs centaines de milliers de travailleurs d'Irak et la chute du tourisme. Ces pertes seront
compensées par l'augmentation des prix du pétrole et une aide de l'Occident, du Japon et des pays
du Golfe. Malgré son alignement sur Washington, l'Égypte passera sans trop de problèmes le cap
de la guerre : c'est l'un des rares pays arabes où l'opinion ne se mobilise pas fortement en faveur
de Saddam Hussein, accusé de mauvais traitements contre les travailleurs égyptiens et dont les
ambitions panarabes ont été rejetées. Le président Moubarak semble sortir grand gagnant de la
crise : il confirme la prééminence de son pays au sein de la Ligue arabe, obtient un appui
important des États-Unis et de leurs alliés, et isole un peu plus l'opposition en partie discréditée
par sa complaisance à l'égard de Saddam Hussein. L'Égypte sera aussi le seul pays du monde -
avec la Pologne - à obtenir une diminution substantielle de sa dette extérieure : Washington a
annulé 6,7 milliards de dollars de dette militaire, tandis que les pays du Golfe faisaient de même
pour 6 milliards de dollars ; enfin, les créanciers réunis au sein du Groupe de Paris décidaient en
juillet 1991 une réduction importante de sa dette. Mais le pouvoir va être soumis à trois défis.
Sur le plan extérieur, la signature des accords d'Oslo, le début de normalisation entre les pays
arabes et Israël ainsi que l'émergence d'un axe Washington-Tel Aviv-Amman avivent au Caire la
crainte d'une marginalisation ; à plusieurs reprises, une vive tension oppose les États-Unis à
l'Égypte - sur les rapports avec la Libye, sur les réticences du Caire à ratifier en mai 1995 le traité
de non prolifération nucléaire (qui n'inclue pas Israël), etc. La victoire de Benyamin Netanyahou
permet au président Moubarak d'organiser au Caire, en juin 1996, le premier sommet arabe
depuis la guerre du Golfe. La dépendance du Caire à l'égard de l'aide américaine réduit toutefois
considérablement la marge de manoeuvre des dirigeants égyptiens. Deuxième défi, la violence
islamiste qui s'étend, notamment à partir de 1992 et vise, à plusieurs reprises, des touristes - elle
met ainsi en cause l'une des principales ressources du pays. La répression atteint un niveau sans
précédent : des dizaines de milliers d'arrestations, la torture systématique, de nombreuses
exécutions... En 1996, le pouvoir semble avoir réduit la violence, mais au prix du peu de libertés
consenties durant les années 80. Les attaques contre l'aile non violente des islamistes, les Frères
Musulmans, le maintien de l'état d'urgence - en vigueur depuis... 1981 ! -, le " contrôle " des
élections législatives de novembre-décembre 1995, ont confirmé que le pouvoir refusait toute
évolution vers la démocratie. Enfin, sur le plan économique, après avoir longtemps résisté aux
pressions du FMI - ce qui entraîna un report de l'effacement d'une partie des dettes égyptiennes -,
le nouveau gouvernement de Kamal Al Ganzouri, formé en janvier 1996, décidait d'accélérer le
programme de privatisation. Un nouvel accord avec le FMI devait être signé d'ici l'automne,
permettant l'effacement de 4 milliards de dollars de dettes. Mais l'accroissement des inégalités et
la pression démographique continuent de nourrir une forte tension sociale. L'Égypte s'étend sur
un million de kilomètres carrés, dont seule une infime partie est cultivable. Avec plus de 60
millions d'habitants en 1993, elle représente un tiers de la population du monde arabe. Les
Égyptiens sont soit des musulmans sunnites, soit des chrétiens coptes (10 % environ). Les
principales ressources financières du pays proviennent du pétrole, du canal de Suez, du tourisme
et des envois de 3 à 4 millions d'Égyptiens travaillant à l'étranger. L'Égypte, dont la balance
agricole est déficitaire, exporte du coton.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

EMPIRE OTTOMAN
Ensemble de pays dominés par les Turcs, il naît de leur expansion aux XIIIe et XIVe
siècles, et meurt en 1920, à l'issue de la guerre dans laquelle il s'est engagé aux côtés des
puissances centrales et qui aboutit à son démembrement. C'est avec la prise de Constantinople, la
capitale de l'Empire byzantin, en 1453, que les Ottomans s'affirment. Ils tenaient déjà, depuis le
XIVe siècle, la Grèce, la Serbie et la Bulgarie, et s'empareront bientôt de l'Asie Mineure et de la
mer Noire. Sélim Ier y ajoute le monde arabe : Mésopotamie, Égypte, Syrie et, pour partie, la
péninsule Arabique. À son tour, Soliman le Magnifique, son successeur, s'empare des territoires
de l'ancienne Yougoslavie, de l'essentiel de la Hongrie et de la Transylvanie. Lorsqu'il meurt en
1566, l'Empire va de Vienne à Aden et de la Caspienne à Alger, couvre la Méditerranée, la mer
Noire et la mer Rouge, maîtrise les grandes voies de communication et dirige une cinquantaine
de millions d'hommes d'une vingtaine de nationalités... Le déclin de l'Empire ottoman tient à
plusieurs facteurs. Les uns se trouvent dans le système lui-même : les sultans souvent
incompétents, l'administration incapable et vénale, la caste héréditaire nuisible qu'est devenu le
corps d'élite des janissaires, etc. D'autres découlent de la réaction d'une partie des peuples
opprimés : les nationalismes se manifestent avec une vigueur croissante dans le monde arabe,
mais aussi du côté kurde et chez les Arméniens, fortement encouragés par les Européens. Enfin,
l'Empire ne bénéficie plus de la dynamique des conquêtes, bloquée par la force des grandes
métropoles occidentales qui, depuis le XVIIIe siècle, ne dissimulent pas leurs appétits. De "
l'homme malade de l'Europe " - c'est ainsi que le tsar Nicolas Ier qualifiait la Sublime Porte -,
chacun lorgne l'héritage et en met sa part de côté. Une simple carte en témoigne. À l'ouest, la
France a mis la main sur l'Afrique du Nord, alors qu'elle bénéficiait déjà des Capitulations
(depuis François Ier), de la défense des chrétiens libanais et de la protection des Lieux saints
catholiques. La Grande-Bretagne, dans l'ordre chronologique, s'est emparée - avec des statuts
divers - de Malte, de la Côte des Pirates et des Émirats du Golfe, d'Aden, d'Oman, de Chypre, de
Suez et de l'Égypte, du Soudan et du sud de l'Arabie. La Russie, elle, n'a arraché qu'une zone
d'influence en Perse, d'ailleurs partagée avec Londres, qui contrôle également l'Afghanistan.
L'Allemagne exerce une influence essentiellement économique et militaire. Mais les ambitions
de l'Occident dans l'Empire ottoman ne se limitent pas à un drapeau planté sur une terre : ce que
recherchent Paris, Londres, Berlin et les autres, ce sont des matières premières à bas prix, des
placements rentables pour leurs capitaux, des marchés pour leurs produits, et la garantie de lignes
de communication sûres. D'où la pénétration économique du capital étranger : 9 milliards de
francs en 1914, dont 54 % français, 25 % anglais, 9,3 % allemands, le reste essentiellement
belge, suisse ou italien. En Égypte, par exemple, on estime que 70 % des actions et obligations
sont détenues par des étrangers. À travers cette invasion, l'Europe règne sur la banque, les
moyens de communication (chemins de fer, ports, routes), les principaux services (eau, gaz,
électricité, téléphone), les activités minières... et le pétrole. Elle veille, dans le même temps, à ne
pas favoriser la naissance d'industries locales qui gêneraient ses propres exportations vers
l'Empire. Enfin, à travers leurs nationaux, les sociétés missionnaires et les établissements
scolaires, les puissances coloniales se disputent l'influence culturelle déterminante. À la veille de
la Grande Guerre, la France, par exemple, compte plus de 100 000 élèves dans ses écoles, lycées
et universités... Le partage de l'Empire ottoman est donc prêt. La guerre, dans laquelle il s'allie à
l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, servira de prétexte à le rendre officiel. C'est ce à quoi
s'attacheront les accords Sykes-Picot et les accords de paix de Sèvres signés le 10 août 1920.
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Derniers venus des Occidentaux au Moyen-Orient, où jamais ils ne furent une puissance
coloniale, les États-Unis ont progressivement pris la relève de la Grande-Bretagne et de la France
pour devenir la nation du monde la plus influente dans cette région. Ils sont même presque
parvenus à mettre sur pied le fameux " consensus stratégique ", vaste alliance englobant à la fois
Israël et les pays arabes ; la guerre du Golfe a marqué une importante étape sur cette voie, même
si la conclusion d'une paix israélo-arabe globale reste indispensable pour stabiliser ce résultat.
Durant toute la guerre froide, l'enjeu du Proche-Orient pour Washington a été d'abord stratégique
: carrefour de trois continents, point de rencontre des grandes routes, il est depuis 1917 la
ceinture méridionale de l'Union soviétique. D'où un impératif militaire : il fallait aux États-Unis
une chaîne de bases s'ajoutant aux régimes qu'ils arment pour en faire, tel l'Iran, des " gendarmes
" locaux régionaux. Le libre accès à un pétrole bon marché a également été un élément important
de la politique américaine. Dernier volet, et non le moindre, des ambitions américaines : le
considérable marché, civil et militaire, que les pays de la région représentent pour l'économie
américaine. Ces objectifs, qui sous-tendent toute la politique américaine au Proche-Orient, en
déterminent du même coup les constantes, évidentes sur la durée. Première constante : la volonté
d'éliminer les concurrents occidentaux - sous couvert du principe de " porte ouverte " - pour
s'assurer une hégémonie indiscutable, du point de vue de l'Ouest, et ce avec un succès croissant,
d'abord au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis après le fiasco franco-britannique de
Suez en 1956, enfin avec le retrait britannique du Golfe à la fin des années 60. Seconde constante
: l'effort pour constituer une vaste alliance régionale dirigée à la fois contre l'URSS et ses alliés
locaux, effort vite récompensé au nord (Grèce - Turquie - Iran), mais difficile au sud où le
rassemblement d'Israël et des pays arabes bute immanquablement sur la question palestinienne,
l'État juif restant, dans ces conditions, la priorité stratégique de la Maison Blanche. Troisième
constante, enfin : la détermination à recourir à tous les moyens, y compris militaires, pour
satisfaire ces exigences, d'une part en appuyant - sauf en 1956 - Israël dans ses conflits avec ses
voisins, d'autre part en intervenant, lorsque les circonstances l'exigent et le permettent, contre
toute menace de déstabilisation (Iran en 1953, Liban en 1958, Jordanie en 1970, Liban en 1983,
guerre du Golfe en 1990-1991). L'influence du lobby pro-israélien rejoint ici la visée stratégique.
Tels sont les objectifs et les traits spécifiques de la politique proche-orientale des États-Unis,
dont on peut mesurer l'affirmation au fur et à mesure des grandes phases de leur implantation
dans la région. Il leur a fallu, d'abord, prendre pied, alors qu'ils étaient absents - sauf
culturellement - de l'Empire ottoman. Dans le règlement consécutif à la Première Guerre
mondiale, les Quatorze Points du président américain Wilson, qui se prononce contre les accords
secrets des Européens et pour l'autodétermination des nations du Proche-Orient, ne sont guère
pris en compte. Pas plus que l'avis de la commission formée par les Américains King et Crane
qui, en 1919, critique le programme sioniste. Dépourvue de mandat et de zone d'influence,
Washington place de premiers pions... pétroliers : en Irak en 1927, puis en Arabie Saoudite en
1933, et au Koweït en 1934. Dix ans plus tard, les sociétés américaines contrôleront 20 % de la
production du Moyen-Orient et 50 % de ses réserves. Les rapports de forces se transforment
avec la Seconde Guerre mondiale. Alors que la France perd ses seules bases au Liban et en Syrie,
et que la Grande-Bretagne se trouve empêtrée en Palestine et, en conséquence, dans le monde
arabe, les États-Unis, eux, s'implantent. Harry Truman s'était engagé, en 1947, à aider " les
peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement par des minorités armées ou des
pressions venues de l'extérieur " : c'est ainsi que la Grèce, la Turquie et l'Iran se voient prêter...
de quoi acheter des armes américaines. L'Arabie Saoudite était solidement amarrée par le prêt-
bail depuis 1943. Le 20 janvier 1949, une nouvelle loi, dite " Point IV ", permet d'arroser les
pays arabes. Mais la tâche est, là, plus difficile. Durant la guerre, Franklin D. Roosevelt avait
multiplié les promesses contradictoires, à Ibn Saoud d'un côté et aux dirigeants sionistes de
l'autre. Ce double jeu devient impossible à l'heure de la décision : Washington vote le plan de
partage de la Palestine, et, tout en restant prudent, ne s'opposera pas à Israël dans le conflit de
1948-1949. Plus : l'Amérique entérine l'expansion territoriale de l'État juif et la non-création de
l'État arabe. Le 25 mai 1950, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France annoncent que leurs
pays, " s'ils constataient que l'un quelconque des États du Moyen-Orient se préparait à violer les
frontières des lignes d'armistice, ne manqueraient pas, conformément à leurs obligations en tant
que membres des Nations unies ou en dehors de ce cadre, d'intervenir pour prévenir une telle
violation ". Et la Déclaration tripartite conditionne toute livraison d'armes à l'assurance que " le
pays demandeur n'a pas l'intention de commettre une agression contre un autre État ". On
imagine la réaction des Arabes, ainsi sommés d'accepter le statu quo issu de la guerre,
catastrophique pour eux, et de faire appel à une aide sous condition alors qu'Israël bénéficie, de
notoriété publique, d'une aide sans condition. Leur mécontentement explique le rejet du
Commandement suprême allié au Moyen-Orient, mis sur pied par Londres en 1950, comme de
l'Organisation de défense du Moyen-Orient à laquelle Londres, Washington, Paris et Ankara
invitent, en 1951, Le Caire à adhérer. Le " non " de l'Égypte sera d'autant plus retentissant qu'en
juillet 1952 les " Officiers libres ", animés par Gamal Abdel Nasser, prennent le pouvoir. Si les
États-Unis ont avancé au nord, avec l'entrée de la Turquie dans l'OTAN en 1951, et progressé à
l'est, en mettant fin, en 1953, à l'expérience du Dr Mossadegh qui prétendait rendre à l'Iran la
maîtrise de son pétrole, ils sont en échec au sud. La nouvelle tentative, dite " pacte de Bagdad ",
n'a guère plus de succès : au traité turco-irakien adhèrent la Grande-Bretagne, le Pakistan et
l'Iran, mais ni le Liban, ni la Jordanie, ni l'Égypte, ni la Syrie. Plus : l'opposition au pacte stimule
le courant neutraliste et nationaliste de l'Égypte qui conclut, fin septembre 1955, un contrat
d'armement avec l'URSS, à la Syrie où la gauche se renforce. Consciente de cet effet
boomerang, Washington se tiendra à l'écart de l'opération franco-britannique contre celui qui
vient de nationaliser la Compagnie du canal de Suez. Coup double : Londres et Paris paient seuls
la facture, très lourde, de leur fiasco, tandis que les États-Unis ont sensiblement amélioré leur
image. Le vide laissé par leurs alliés, les Américains entendent le combler : c'est le but de la "
doctrine Eisenhower ", définie le 5 janvier 1957 comme un programme d'aide économique et
militaire destinée à combattre la " politique de puissance " de l'URSS. Mais seuls l'acceptent
l'Arabie Saoudite, le Liban et l'Irak - où cependant le roi et son Premier ministre pro-occidental,
Nouri Saïd, périssent dans la révolution du 14 juillet 1958. Le lendemain d'ailleurs, afin d'éviter
la contagion, les marines débarquent à Beyrouth et les paras britanniques à Amman. Mais, si
Bagdad rejoint Damas et Le Caire dans le camp du radicalisme, c'est toujours en raison du conflit
israélo-palestinien, source permanente d'anti-impérialisme. Paradoxalement, la guerre des Six
Jours en 1967, qui voit Israël quadrupler son territoire aux dépens de l'Égypte, de la Jordanie et
de la Syrie, réduit quelque peu la contradiction dont souffre Washington, qui pourtant a soutenu à
bout de bras Tel Aviv. Déstabilisatrice pour les régimes radicaux, au sein desquels elle favorise
les éléments modérés, la défaite arabe pose les États-Unis en recours possible en vue d'une paix
séparée, à défaut de la paix globale que garantiraient ensemble les deux superpuissances. Déjà à
l'oeuvre dans le cadre du plan Rogers et de la médiation Jarring, en 1970, cette logique
l'emportera après la guerre de 1973. Certes, les États-Unis se sont rangés aux côtés d'Israël mais,
faute d'une conférence de paix qui échouera à peine inaugurée, eux seuls proposent une
perspective : celle des " petits pas " d'Henry Kissinger, qui déboucheront sur le grand pas de
Camp David. Pour " récupérer " ces pays arabes longtemps hostiles, sans pour autant devoir
mettre à l'épreuve les " relations privilégiées " entre Washington et Tel Aviv, les États-Unis
manient, durant ces années décisives, à la fois la carotte et le bâton. La carotte, c'est la restitution
des territoires égyptiens et syriens occupés par Israël depuis 1967, la question palestinienne étant
traitée au niveau de vagues principes. C'est aussi l'ouverture économique américaine répondant à
l'infitah arabe. Quant au bâton, c'est la menace d'utiliser la force - déjà déployée, après l'Iran en
1953 et le Liban en 1958, en Jordanie pour sauver le roi Hussein en 1970 - contre toute tentative
intérieure ou extérieure de déstabilisation. L'effondrement du régime du Chah d'Iran, qui assurait
l'ordre dans le Golfe, renforcera cette tendance : " Toute tentative de s'assurer le contrôle du
Golfe, déclarera Jimmy Carter début 1980, sera considérée comme une attaque contre les
intérêts des États-Unis, et sera repoussée par tous les moyens, y compris la force militaire. " Et
de constituer, pour étayer la menace, cette Force de déploiement rapide dont rêvait déjà
l'administration Kennedy - et qui a fait preuve de son efficacité, en 1988, dans le Golfe, face à
l'Iran. Et plus encore, bien sûr, face à l'Irak en 1990-1991... La méthode fait à ce point merveille
que Ronald Reagan, au lendemain de la guerre du Liban (1982)*, peut croire détenir tous les
atouts : Israël pro-américain et plus fort que jamais, l'Égypte ralliée depuis Camp David, la
Jordanie fragilisée, l'Arabie Saoudite et le Golfe entre des mains amies, l'OLP saignée et le Liban
dirigé par les Phalanges, l'Irak et l'Iran s'épuisant dans un conflit meurtrier ; seuls le lointain
Yémen du Sud et la Syrie affaiblie semblent à même d'offrir une résistance aux projets de
Washington. Le consensus stratégique, incarné par le plan Reagan du ler septembre 1982, serait-il
enfin réalisé ? La réponse, négative, ne tardera guère. L'échec d'Amine Gemayel et du traité
israélo-libanais du 17 mai 1983 rejaillira sur les États-Unis, dont les troupes devront quitter
Beyrouth sans gloire. Ce camouflet atteindra également leur crédibilité auprès des dirigeants
arabes modérés qui, du coup, s'empresseront d'enterrer le plan Reagan et de reprendre langue
avec l'URSS, revenue en force dans la région aux côtés de la Syrie, maîtresse du jeu au Liban.
Après quinze ans d'une spectaculaire remontée, revanche sur les années de rayonnement
soviétique au Proche-Orient, le coup subi au Liban et ses contrecoups semblent avoir fait hésiter
Washington, sinon sur les objectifs, en tout cas sur la méthode. Le temps semble venu de
négocier avec la Syrie, pour élaborer un règlement d'ensemble tenant compte de ses atouts et
reconnaissant le leadership régional de Damas. Il importe, après avoir contraint l'Iran -
notamment par la présence massive de la flotte américaine dans le Golfe - à accepter un cessez-
le-feu avec l'Irak, de renouer avec les " modérés " de Téhéran, sur la voie frayée par l'Irangate.
Enfin et surtout, la détente avec l'URSS pourrait avoir des retombées au Proche-Orient, en
favorisant la tenue d'une conférence de paix. Ralliée au printemps 1988, avec le plan Shultz, à
son principe, l'administration Reagan insistait cependant sur son caractère de " parapluie " pour
des négociations bilatérales entre Israël et ses voisins. Au lendemain du Conseil national
palestinien d'Alger, Ronald Reagan, avant de céder la place à George Bush, prenait, le 15
décembre 1988, un nouveau tournant. Yasser Arafat ayant, selon la Maison Blanche, satisfait aux
conditions posées, treize ans auparavant, par Henry Kissinger - en reconnaissant explicitement
Israël et en renonçant à toute forme de terrorisme -, Washington engageait un " dialogue
substantiel " avec l'OLP. Mais celui-ci sera stoppé un an et demi plus tard par la nouvelle
administration, le Front le libération de la Palestine (FLP) d'Aboul Abbas ayant rompu, par une
tentative de débarquement armé au sud de Tel Aviv, l'engagement de l'OLP de ne plus avoir
recours au terrorisme. De toute façon, George Bush et ses conseillers ont déjà, depuis la chute du
Mur de Berlin, la tête ailleurs. Les bouleversements qui se produisent en Union soviétique et en
Europe centrale, outre qu'ils détournent l'attention du Moyen-Orient vers le Vieux Continent,
lancent de nouveaux et redoutables défis à l'Amérique. Si son adversaire principal depuis la
guerre froide, l'URSS et son " empire ", est en voie d'effondrement, d'autres concurrents se
profilent : la montée en puissance du Japon et de la Communauté économique européenne
menace directement la suprématie, jusque-là indiscutée, des États-Unis, qui ne fournissent plus
que 25 % du produit brut mondial contre 40 % au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Voilà qui accélère la dégradation de la situation économique et sociale en Amérique : les faillites
bancaires se multiplient, les emplois industriels sont en chute libre, la misère touche des dizaines
de millions de citoyens. D'où l'urgente nécessité, pour eux, de rattraper, sur le plan stratégique,
militaire, politique et diplomatique, le terrain économique perdu au cours des années 70 et 80.
Pour une telle opération, le Golfe - avec sa situation stratégique, ses richesses pétrolières, le
marché civil et militaire qu'il constitue, les possibilités d'alliance qu'il recèle pour Washington et
le dispositif militaire dont elle dispose déjà - présente les conditions idéales. Par son aventure
koweïtienne, Saddam Hussein va lui offrir une occasion inespérée. S'il est douteux que le
dirigeant irakien soit tombé dans un " piège " - les hésitations américaines des semaines
précédentes s'expliquent plutôt par la pesanteur de la politique pro-irakienne des huit ans écoulés
-, il est en revanche évident que la Maison Blanche, le Département d'État et le Pentagone ont
immédiatement saisi la perche tendue. Et pour cause ! Avec la guerre du Golfe, les États-Unis
vont en effet réaliser une quintuple opération : une démonstration militaire d'envergure, un
rassemblement politico-diplomatique sans précédent sous leur direction, une percée
exceptionnelle sur le marché des armes comme des industries et une profonde redistribution des
cartes dans un Moyen-Orient restructuré sous la houlette américaine. Mais l'essentiel réside sans
doute dans le réalignement des Européens sommés de participer, directement ou indirectement, à
une opération " Tempête du Désert " qui porte un coup sérieux à leurs relations avec le monde
arabe, tandis que les États-Unis, eux, y étendent leur nasse. L'élection de William (dit Bill)
Clinton à la présidence des États-Unis, en novembre 1992, confirme qu'une nouvelle page est
tournée au Proche-Orient, marquée par la fin de la guerre froide et l'affirmation de l'hégémonie
américaine. Désormais, Washington a deux buts affichés : l'accès au pétrole de la région et
l'alliance avec Israël. Jamais, depuis 1948, une administration n'aura été aussi favorable à l'État
hébreu : durant les négociations de Madrid, elle fera preuve d'une hostilité totale à l'OLP, alors
même que le gouvernement israélien négocie secrètement à Oslo. Elle prend des distances avec
les positions traditionnelles de la diplomatie américaine : les colonies deviennent désormais un
facteur qui complique la négociation, mais cessent d'être " illégales " ; Washington arrête de
voter la résolution 194 des Nations unies sur le droit au retour des réfugiés palestiniens ; elle
considère la Cisjordanie et Gaza non plus comme des " territoires occupés ", mais comme des "
territoires contestés ". Parallèlement, le gouvernement Clinton décrète une politique de " double
containment " à l'égard de l'Irak et de l'Iran : ces deux pays sont considérés comme des parias et
doivent être, en même temps, exclus de la communauté internationale. Surpris par les accords
d'Oslo, le président Clinton n'en organise pas moins la signature officielle du texte de la
Déclaration de principes, le 13 septembre 1993, à la Maison Blanche. Mais, durant toutes les
négociations qui suivront, il laissera Israéliens et Palestiniens face à face, se contentant de faire
pression sur les seconds quand ils ne se montrent pas assez dociles. Le seul dossier proche-
oriental pris en main par le département d'État, celui du Golan et des négociations israélo-
syriennes, n'aboutit à rien. Parallèlement, la lutte contre le terrorisme devient un mot d'ordre
central de la stratégie américaine, comme en témoigne le sommet de Charm al Cheikh, le 13
mars 1996. Washington tente d'isoler la Libye, le Soudan, l'Irak et l'Iran. Des mesures de "
boycott secondaire ", décidées en juillet 1996 contre les sociétés qui investiraient dans le secteur
pétrolier en Libye et en Iran, soulèvent l'indignation des Européens, et notamment de la France,
qui fait un retour remarqué dans la région. Bien que n'ayant épargné aucun effort pour obtenir la
réélection de Shimon Peres en mai 1996, les États-Unis doivent s'accommoder de la victoire de la
droite israélienne et de Benyamin Netanyahou. Les domaines de coopération entre les deux pays
sont tellement larges, la vision qu'ils ont du monde tellement similaire, le Congrès américain
tellement favorable à la politique de l'État hébreu - malgré l'affaiblissement du lobby - qu'une
crise entre Washington et Tel Aviv paraît peu probable. En revanche, les alliés arabes des États-
Unis, notamment l'Égypte, se retrouvent en position difficile et semblent se tourner vers l'Europe
pour élargir leur marge de manoeuvre. Marquée par une rivalité commerciale, notamment dans le
domaine des armements, et une conception différente de la paix, cette concurrence entre l'Europe
et les États-Unis remettra-t-elle en cause l'hégémonie que Washington a réussi, après bien des
décennies, à s'assurer au Proche-Orient au début des années 90, mais qui semble fissurée en 1996
?
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

EXPULSION
Lorsque les Nations unies adoptent, le 29 novembre 1947, le plan de partage de la
Palestine, celle-ci compte 608 000 habitants juifs et 1 237 000 arabes. L'État juif à naître
comprendrait, pour sa part, 498 000 Juifs et 407 000 Arabes. Or ces derniers, à l'issue du premier
conflit israélo-arabe et malgré l'extension d'un tiers du territoire israélien, ne sont plus que 160
000. De 750 000 à 800 000 Palestiniens ont pris le chemin de l'exil. L'écrasante majorité s'installe
dans les camps de réfugiés ouverts par l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations
unies pour les réfugiés palestiniens) dans les pays arabes des environs. En 1950, on les estime à
un million. Fuite ou expulsion ? Le débat, longtemps vif, sur les causes du départ des
Palestiniens durant le conflit de 1947-1949 a enregistré de nouvelles et importantes contributions
à la fin des années 80, en particulier celles de jeunes historiens israéliens, parmi lesquels Benny
Morris, à l'époque correspondant diplomatique du quotidien israélien en anglais The Jerusalem
Post. Des années de travaux fouillés sur les documents, y compris ceux, déclassifiés, des archives
de l'État d'Israël, l'ont amené à remettre largement en cause les idées reçues, avec son livre, The
birth of the Palestinian refugee problem, publié en 1987. Sur le territoire conquis par les troupes
israéliennes à l'époque, 369 villes et villages arabes se voient vidés de leur population. Dans
quelles conditions ? Dans 44 cas, l'auteur avoue l'ignorer. Les habitants de 231 autres partent au
cours d'assauts des troupes juives et, pour 41 d'entre eux, après des expulsions manu militari.
Dans 89 cas, les Palestiniens cèdent à la panique consécutive à la chute d'une agglomération
voisine, à la hantise d'une attaque ennemie ou encore aux rumeurs propagées par l'armée juive.
Ainsi particulièrement après le massacre, le 9 avril 1948, de 250 habitants de Deir Yassine, près
de Jérusalem, par les miliciens des groupes révisionnistes, surtout ceux de l'Irgoun de Menahem
Begin. Benny Morris, en revanche, ne recense que 5 cas de départ à l'injonction des autorités
arabes locales. " Il n'existe pas de preuve, ajoute-t-il, que les Arabes souhaitaient un exode de
masse ou qu'ils aient publié une directive générale ou des appels invitant les Palestiniens à fuir
leurs foyers. " Au contraire, les fuyards sont menacés de " punitions sévères ". En même temps,
Benny Morris conclut, du côté juif, à l'absence de plan écrit d'expulsion des Palestiniens. David
Ben Gourion, en particulier, " s'est toujours distancié en public de l'expulsion des Arabes. Le
souci de sa place dans l'histoire l'y poussait ". Nombre de documents attestent néanmoins la
détermination du Premier ministre (et ministre de la Défense) du jeune Israël à sortir de la guerre
avec l'État juif le plus grand et, démographiquement parlant, le plus homogène possible. Père du
plan Dalet (dit aussi plan D) qui, adopté en mars 1948, comprend déjà, selon Benny Morris, " de
claires traces d'une politique d'expulsion aux niveaux à la fois local et national ", Ben Gourion,
en juillet, répond à Igal Allon, qui lui demande ce qu'il faut faire des 70 000 Arabes de Lydda et
de Ramleh : " Expulsez-les ! " - voir le récit d'Itzhak Rabin. Peu après, à Nazareth, découvrant la
population arabe laissée sur place, il s'exclame : " Qu'est-ce qu'ils font ici ? " Comme Benny
Morris, d'autres historiens, israéliens et palestiniens, ont révisé l'histoire de l'expulsion, mais avec
des conclusions plus nettes. Ainsi Walid Khalidi, qui travaille sur cette question depuis de
longues années. Dans " Plan Dalet : Master Plan for the Conquest of Palestine " (Journal of
Palestine Studies, vol. XVIII, ndeg. 69, 1988), il le démontre : le plan Dalet servit de cadre aux
offensives sionistes d'avril-mai 1948, qui," nécessitant la destruction de la grande masse des
Arabes palestiniens, étaient calculées pour imposer le fait accompli militaire sur lequel l'État
d'Israël devait être fondé ". Destruction : l'universitaire palestinien met en effet en lumière
l'escalade des forces armées juives contre la communauté palestinienne, à base de déracinement
et d'expulsion. Professeur à l'Université de Haïfa, Ilan Pappé consacre à tous ces travaux un
chapitre de son livre, The Making of the Arab-Israeli Conflict, 1947-1951. " Le plan D, conclut-il
en prenant ses distances avec la prudence de Benny Morris, peut être apprécié à beaucoup
d'égards comme une stratégie d'expulsion. Ce plan n'a pas été conçu à l'improviste - l'expulsion
était considérée comme un des nombreux moyens de représailles après les attaques arabes
contre les convois et les implantations juifs ; elle n'en était pas moins perçue comme un des
meilleurs moyens d'assurer la domination des Juifs dans les régions prises par l'armée
israélienne. " Même déduction chez Norman G. Finkelstein (Image and Reality of the Israel-
Palestine Conflict, 1995) au terme d'une minutieuse étude de textes : la conclusion de Benny
Morris - " Le problème des réfugiés palestiniens est né de la guerre, non d'un projet, juif ou
arabe " - est contredite par son propre récit des événements. Et de rappeler cette phrase de David
Ben Gourion : " Les Arabes du pays d'Israël, il ne leur reste plus qu'une fonction - s'enfuir. " Le
texte même du plan D ne laisse, à vrai dire, guère de doutes sur les intentions du dirigeant juif. Il
ordonne des " opérations contre les centres de population ennemie situés au sein de notre
système de défense ou à proximité afin d'empêcher qu'ils soient utilisés comme bases par une
force armée active. Ces opérations peuvent être menées de la manière suivante : ou bien en
détruisant les villages (en y mettant le feu, en les dynamitant et en déposant des mines dans leurs
débris), et spécialement dans le cas de centres de population difficiles à maîtriser ; ou en
montant des opérations de ratissage et de contrôle selon les lignes directrices suivantes :
encerclement du village et enquête à l'intérieur. En cas de résistance, la force armée doit être
anéantie et la population expulsée hors des frontières de l'État. " Indéniable est, en outre, la
politique mise en oeuvre pour - à quelques milliers près - empêcher le retour des réfugiés, que
l'Assemblée générale des Nations unies exige pourtant dès le 11 décembre 1948. " Il doit être
clair que, dans ce pays, il n'y a pas de place pour deux peuples (...). La seule solution, c'est le
pays d'Israël sans Arabes (...). Il n'y a pas d'autre moyen que de transférer les Arabes d'ici dans
les pays voisins ", avait écrit dans son Journal Josef Weitz, le directeur du Fonds national juif.
C'est lui qui devient, en 1948, responsable du " transfert ". Rejetant la résolution de l'ONU
comme les pressions anglo-américaines, Israël interdit matériellement aux réfugiés de revenir :
leurs villages sont détruits ou investis par de nouveaux immigrants juifs, et leurs terres réparties
entre les kibboutzim environnants. Aux bourgades arabes, le gouvernement applique un seul
slogan : " Détruire, rénover, réattribuer ". La loi sur les " propriétés abandonnées " - destinée à
rendre possible la saisie des biens de toute personne " absente " - légalise cette confiscation
généralisée. Près de 400 bourgades arabes seront ainsi rayées de la carte ou judaïsées, de même
que la plupart des quartiers arabes des villes mixtes... Officiellement, le gouvernement de Tel
Aviv n'en nie pas moins, à l'époque, " quelque responsabilité que ce soit dans la création de ce
problème. L'accusation selon laquelle ces Arabes ont été chassés de force par les autorités
israéliennes est totalement fausse ; au contraire, tout ce qui était possible a été fait pour prévenir
cet exode. La question du retour ne peut pas être séparée de son contexte militaire. Tant que
l'état de guerre se poursuit, les réfugiés seraient un élément perturbateur pour le maintien de
l'ordre intérieur et une formidable cinquième colonne pour des ennemis à l'extérieur ".
S'ensuivent plus de quatre décennies d'une polémique avivée, après la guerre des Six Jours en
1967, par l'afflux de 250 000 réfugiés supplémentaires fuyant la Cisjordanie. Les capitales
arabes, estime Israël, portent la responsabilité du sort des réfugiés palestiniens, qu'elles n'ont rien
fait pour améliorer, voire qu'elles ont entretenu tel un abcès de fixation. Taillable et corvéable à
merci, cette main-d'oeuvre à bon marché connaît, il est vrai, bien des vicissitudes parmi ses "
frères " arabes, dont les régimes sont prêts à réprimer toute forme d'organisation, voire à
massacrer. Non, répond le monde arabe, ce n'est pas une question de réfugiés, mais un problème
national. Les réfugiés eux-mêmes ont d'ailleurs toujours refusé toute " réinstallation ". Entre un
discours et l'autre, les réfugiés palestiniens, eux, croupissent dans leur misère... Quarante-huit
ans après le grand exode, l'UNRWA dénombre 3,3 millions de réfugiés palestiniens, dont un tiers
vit dans ses camps. La proportion atteint jusqu'à 80 % à Gaza. Nul doute qu'ils soient les
premiers intéressés à la constitution d'un État palestinien aux côtés d'Israël. Mais combien
gardent, et garderont longtemps la nostalgie du village de leur famille situé, lui, sur le territoire
de l'État juif ?
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

FINUL
La Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) a été créée en mars 1978 en
application de la résolution 425 du Conseil de sécurité portant sur l'évacuation du Sud-Liban
après son invasion par Israël. Son mandat est de " rétablir la paix et la sécurité " sur la frontière
et d'" aider le gouvernement libanais à assurer la restauration de son autorité sur la région ". Il a
été renouvelé régulièrement dans les années 80, malgré l'abstention, tout aussi régulière, de
l'URSS qui n'a néanmoins jamais fait usage de son droit de veto. Ayant compté jusqu'à 6 000
hommes, elle est composée, en 1996, de 5 000 soldats : six bataillons (Fidji, Finlande, Ghana,
Irlande, Nepal et Norvège) et quatre détachements de soutien logistique (France, Italie, Norvège
et Pologne). Elle s'est heurtée à de graves difficultés sur le terrain et s'est révélée incapable
d'accomplir la tâche qui lui était assignée. L'Armée du Liban Sud (ALS) du commandant Saad
Haddad et les Israéliens s'opposeront à tout déploiement de la FINUL dans la zone qu'ils
contrôlent, dans le sud. De nombreux incidents opposeront les palestino-progressistes, l'ALS et la
FINUL. Celle-ci s'installe au nord du Haddadland, mais elle ne peut le séparer totalement de ses
adversaires palestino-progressistes. Une trouée demeure, dans la vallée encaissée du Litani,
autour du château de Beaufort, qui permet aux deux adversaires d'en découdre ; elle sera un des
axes principaux de la pénétration israélienne lors de l'opération " Paix en Galilée ". En juin
1982, la FINUL confirme son impuissance : l'armée israélienne, dans sa marche vers Beyrouth,
traverse impunément des zones sous contrôle onusien. Pendant les trois ans que dure l'occupation
israélienne, les frictions sont nombreuses et la FINUL tente de limiter les effets de la politique
dite de la " main de fer " sur les populations civiles. Javier Perez de Cuellar, alors secrétaire
général de l'ONU, expliquera ainsi le dilemme des forces de la paix : " Pour des raisons
évidentes, la FINUL n'a pas le droit d'empêcher les actes de résistance libanaise contre les
forces d'occupation, pas plus qu'elle n'a le mandat ou les moyens d'empêcher des contre-mesures
" (israéliennes). La FINUL et les autres " soldats de la paix " de l'ONU ont obtenu, pour leur
action, le prix Nobel de la paix de 1988. Depuis le début de la mise en oeuvre des accords de
Taëf, en 1989, l'armée libanaise - dans certains villages du Sud - a pris la relève de la FINUL.
Mais celle-ci s'est, à plusieurs reprises, trouvée prise dans les combats dans le sud du Liban. En
avril 1996 notamment, lors de violents bombardements israéliens, un camp de la FINUL, à Cana,
où s'étaient réfugiés de nombreux civils, a été touché : une centaine de Libanais ont été tués. Un
rapport des Nations unies accusera Israël d'avoir délibérément visé le camp.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

FORCE DE DÉPLOIEMENT RAPIDE


(FDR)
Ensemble d'unités de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine de guerre, ainsi
que du corps des marines américains conçu pour intervenir dans les plus brefs délais,
prioritairement au Moyen-Orient. Héritière du US Strike Command créé en 1962, remplacé dix
ans plus tard par l'US Readiness Command, qui n'avaient ni l'un ni l'autre de destination régionale
particulière, la FDR est issue de la directive présidentielle 18, prise en août 1977 par Jimmy
Carter, fraîchement installé à la Maison Blanche. Sa vocation est spectaculairement confirmée le
23 janvier 1980, après l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan, à l'occasion du discours
sur l'état de l'Union dans lequel le président des États-Unis assure, pour la première fois, que son
pays est prêt à intervenir pour protéger ses " intérêts vitaux " dans le Golfe, pétrole compris. En
mars, le commandement unifié de la Force est constitué sous la responsabilité du général des
marines, Paul Kelley. À cette époque, en effet, les dirigeants américains se sentent - ou disent se
sentir - menacés par l'avancée de l'Union soviétique dans la région, qui, de la Libye à
l'Afghanistan, en passant par l'Éthiopie et le Yémen du Sud, " encerclerait " les régimes pro-
occidentaux... et les champs pétrolifères. Il est vrai que, avec le Chah, les États-Unis ont perdu,
en 1979, leur principal relais dans la région : fort de son armée d'élite, l'Iran jouait, au Moyen-
Orient et dans le Golfe, un rôle de " gendarme " des plus utiles à Washington. La Force de
déploiement rapide a dès lors pour objectif de pallier cette grave perte, qui prendra, avec l'affaire
des otages de l'ambassade américaine à Téhéran, des allures d'humiliation historique. À peine au
pouvoir, Ronald Reagan accélérera la mise en place de la FDR, avec des effectifs et des moyens
considérables, disposant d'un nombre accru de bases et de facilités. La FDR a son
commandement, le Central Command (CENTCOM), sur la grande base aérienne de McDill en
Floride, et bénéficie de celle, américano-britannique, de Diego Garcia, dans l'océan Indien. Le
CENTCOM dispose, au total, de 250 000 hommes, effectif qui pourrait, on l'a vu, être porté à un
demi-million : le plus gros contingent américain. Il comprend des éléments des forces terrestres
(une division héliportée d'assaut, une division d'infanterie mécanisée, une division d'infanterie
légère, une division de cavalerie aéroportée), des marines (une unité plus un tiers d'unité
amphibie), de l'Air Force (sept escadres aériennes tactiques et deux escadrons de bombardiers
stratégiques) et de la Navy (trois groupes de porte-avions d'escadre, un groupe de navires de
surface et cinq escadrons de patrouille maritime). Ces moyens peuvent désormais être à pied
d'oeuvre dans un délai de deux ou trois jours pour les premières unités arrivées, et d'un mois à un
mois et demi pour les dernières : les États-Unis disposent de près de 1 000 avions militaires et
civils disponibles pour le transport de troupes, et d'environ 600 unités dans leur flotte de guerre.
Mais la rapidité d'intervention dépend pour beaucoup des implantations dans la région. La mise
en place de la Force de déploiement rapide a donc renforcé l'importance de la chaîne de bases et
de " facilités " dont l'armée américaine a besoin comme escales, lieux de stationnement de
troupes, armement et ravitaillement, stations d'écoute, etc. Aux bases acquises en Europe depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale se sont ainsi ajoutées, au fil des années 70 et 80 : des "
facilités " au Maroc, la base de Ras Banas en Égypte, celle de Masirah à Oman, les ports et
aéroports de Mogadiscio et Berbera en Somalie ainsi que le port kenyan de Mombasa. Outre la
base de Diego Garcia, louée au Royaume-Uni, il faut enfin ajouter les bases militaires
israéliennes que les États-Unis peuvent utiliser. L'insertion de ces bases et " facilités " dans la
stratégie militaire du Pentagone, selon la conception dite trip wire, a été d'ailleurs étudiée à
l'occasion des manoeuvres Bright Star, qui englobaient avec l'US Army l'Égypte, le Soudan
jusqu'en 1985, la Somalie et Oman... C'est ce dispositif dont le monde découvrira l'efficacité lors
de la crise du Golfe. En moins de dix mois, il permettra aux États-Unis d'envoyer un demi-
million d'hommes, 1 000 chars, 2 000 transports de troupes, 1 300 avions, 1 500 hélicoptères et
une centaine de navires, dont six porte-avions, dans le golfe Arabo-Persique : la plus grande
mobilisation militaire, en un si court laps de temps, dans l'histoire de l'humanité... Fort des
succès remportés durant le conflit contre l'Irak, la Force de déploiement rapide renforcera
considérablement son réseau de bases et de facilités au Moyen-Orient. Elle bénéficie dorénavant
en Turquie, outre les ports d'Iskenderun et de Yumurtalik, de la base aérienne d'Incirlik, qui sert
de Q.G. à " Provide Comfort " et d'où partent les vols de surveillance du nord de l'Irak - en vertu
du traité de coopération prorogé en septembre 1990, précisé par la résolution de l'Assemblée
nationale de la mi-janvier 1991. Elle a prépositionné des équipements militaires au Koweït, dont
elle utilise les ports et aéroports conformément au Pacte de défense de septembre 1991, ainsi
qu'au Qatar, grâce au Pacte de défense de 1992 et à l'accord spécifique de mars 1995. Elle profite
aussi de facilités dans les bases et ports des Émirats arabes unis (accord de défense de 1991,
complété en juillet 1994) et de Bahreïn (accord de coopération d'octobre 1991 et mémorandum
de janvier 1994). La situation la plus paradoxale est celle de l'Arabie Saoudite, qui n'a
formellement signé aucun traité avec les États-Unis, ce qui ne l'empêche pas d'accueillir cinq
mille de soldats américains, notamment à Riyad et sur la base de Dahran où se trouve le Q.G. de
" Bouclier de la péninsule " et d'où partent les vols de surveillance du sud de l'Irak - suite à
l'attentat du 25 juin 1996, les forces basées à Dahran devraient être déplacées aux environs de
Riyad. Au total, dans le seul golfe Arabo-Persique, l'armée américaine déployait, durant l'été
1996, plus de 20 000 hommes. Enfin l'accord israélo-turc de février 1996 et l'ouverture
simultanée des bases jordaniennes à l'aviation américaine complète ce dispositif, qui a désormais
tout d'une véritable toile d'araignée recouvrant le Moyen-Orient... La Ve flotte américaine, dont
le quartier général est à Bahreïn, avait été " désactivée " en 1947 ; elle a repris du service le 1er
juillet 1995 et comprend 30 navires de guerres et 15 000 marins et Marines. Le vice-amiral
Thomas Boulton Fargo assume le commandement de la Ve flotte et de la flotte maritime du
Central command.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

FRANCE
Première puissance occidentale à s'implanter au Proche-Orient, longtemps concurrente de
la Grande-Bretagne à laquelle l'oppose dans la région une vive lutte d'influence, la France en sera
aussi la première expulsée. Il faudra le général de Gaulle pour lui rendre son prestige... et ses
marchés dans la région. C'est en 1535 que François Ier obtient du sultan des " Capitulations " : il
s'agit de privilèges pour la France et ses ressortissants dans l'Empire ottoman. À ce premier pas
s'ajouteront des interventions en faveur des chrétiens maronites du Liban, dont elle prend
officiellement en charge la " défense " en 1639. La prise de Jérusalem par les Croisés, le 15
juillet 1099, ouvre également l'ère, en Palestine, de la France, qui s'y verra reconnaître la "
protection " des Lieux saints catholiques. Avec l'expédition d'Égypte (1798-1799) de Napoléon
Bonaparte commence une nouvelle période de l'intérêt français pour le Proche-Orient, et le
monde arabe en général : la période coloniale. À l'Égypte, dont la " francité " sera
spectaculairement signifiée par la construction du canal de Suez (1869), s'ajoutent les conquêtes
françaises en Afrique du Nord : celles de l'Algérie, qui commence en 1830, puis de la Tunisie,
qui devient un protectorat français en 1881, ainsi que le Maroc en 1912. À l'autre extrémité de
l'Empire ottoman, le territoire d'Obock, future Côte française des Somalis, est occupé depuis
1862. Paris se prend même à rêver d'un pachalik protégé du Maroc au Sinaï, et d'un État syro-
égyptien... Si ces projets ne prennent pas corps, la position de la France, à la veille de la
Première Guerre mondiale et du démantèlement de l'Empire ottoman, est cependant des plus
fortes. Outre les zones de colonisation ou d'influence, elle pèse lourd dans la vie économique,
sociale et culturelle ottomane. La majorité des capitaux étrangers investis dans l'Empire sont
français, ce qui représente 11 % des capitaux exportés français - soit plus que tout l'Empire
colonial. Cette domination vaut des emprunts d'État comme des actions et obligations de sociétés
privées. Le capital français domine le système bancaire, les chemins de fer, les ports, les routes,
les services publics urbains et certaines activités minières, sans parler du commerce. Premier
créancier de l'Empire et de l'Égypte - aux mains de la Grande-Bretagne depuis 1882 -, l'État
français verra son contrôle sur leur politique financière renforcé par la banqueroute de 1875-
1876. Même dans le domaine culturel prévaut l'influence française, en premier lieu dans
l'enseignement - notre langue est, il est vrai, le principal véhicule de communication, après le
turc, d'un bout à l'autre des possessions du sultan... La " question d'Orient " se pose ainsi, lorsque
le premier conflit mondial éclate, dans des termes favorables à la France, malgré sa faible
présence militaire dans la région, pendant et après la guerre. En témoignent les accords Sykes-
Picot et leur traduction dans les traités de paix et conventions de 1923 et 1924. Paris, gardant
évidemment l'Afrique du Nord, obtient un mandat sur la Syrie (dont le Liban), la Cilicie et le
vilayet d'Adana, et la région pétrolifère de Mossoul, que Clemenceau, en 1918, rétrocède aux
Britanniques en échange de 25 % de la Turkish Petroleum Company... Les décennies qui suivent
se résument, pour la France, à une vaine résistance contre le mouvement national arabe d'un côté
et à la concurrence britannique de l'autre. Division et répression : telle est la tactique française
dans le mandat. Faysal, élu roi par le Congrès national syrien le 8 mars 1920, est chassé manu
militari par les troupes du général Gouraud qui, le 24 juillet, occupent Damas. Et le premier
souci de la puissance mandataire est de diviser le pays en six : un Grand-Liban à majorité
chrétienne, l'État alaouite, l'État d'Alep, l'État de Damas, le djebel druze et le sandjak
d'Alexandrette. L'État d'Alep et l'État de Damas sont réunis, en 1925, en État syrien. C'est alors
qu'éclate, dans le djebel druze, une insurrection qui gagne tout le mandat : le morcellement du
pays et son gouvernement aux mains du haut commissaire dressent contre la France l'immense
majorité du pays. Il faudra un an et demi - et le bombardement de Damas par le général Sarrail -
pour que le corps expéditionnaire français, pourtant renforcé, vienne à bout des nationalistes
soulevés. Après la répression, la négociation. En 1926, le Liban obtient une Constitution de
république parlementaire liée à la France. Dix ans plus tard, le Front populaire lui propose un
traité lui accordant l'indépendance en échange de bases et facilités militaires pour l'armée
française. Mais, pas plus que celui promis à la Syrie, ce traité ne sera signé, un autre vent ayant
entre-temps soufflé à Paris. Le prestige de la France parmi les peuples qu'elle administre, et plus
généralement les peuples de la région, souffre évidemment de ces méthodes : leur soif d'unité les
oppose au morcellement tenté par les occupants, leur islamisme est choqué par le sort privilégié
réservé aux chrétiens (et, dans une moindre mesure, aux druzes), leur volonté démocratique se
voit piétinée par une répression brutale, leur aspiration à l'indépendance est bafouée par les
tergiversations de Paris. Le coup de grâce viendra durant la Seconde Guerre mondiale. Prise en
tenailles entre l'offensive allemande en Libye en direction de l'Égypte, et celle développée depuis
le Caucase en direction de l'Irak, la Grande-Bretagne doit à tout prix assurer ses arrières. Or
Vichy laisse les Allemands se servir du Liban et de la Syrie : Londres décide donc de les
occuper, en juillet 1941, avec l'appui des Forces françaises libres, au terme de brefs mais violents
combats, auxquels participe d'ailleurs... Moshe Dayan, qui y perd son oeil gauche. Au nom de de
Gaulle, le général Catroux déclare l'indépendance. Trop tard : le mouvement nationaliste se
tourne contre lui. Les Parlements libanais (1943) et syrien (1944) finissent par abolir les
privilèges français. Le débarquement de troupes tenté par Paris n'y changera rien : les
Britanniques, avec la caution américaine et... soviétique, s'empressent de faire admettre les deux
pays, sans référence aucune à la position de la France, dans la Ligue arabe comme aux Nations
unies, dont ils sont d'ailleurs membres fondateurs. Le 31 décembre 1946, les derniers soldats
français quittent le Levant. Espère-t-on, à Paris, reprendre pied au Proche-Orient en s'alliant
exclusivement avec Israël ? Le fait est que les relations franco-israéliennes ne cessent de
s'approfondir, au point même que les experts français enseigneront à leurs collègues israéliens les
secrets du nucléaire, bombe comprise, et les aideront à faire de l'État juif, dans ce domaine aussi,
une grande puissance. La culpabilité que ressent la France, comme les autres États occidentaux,
après un génocide qu'elle a laissé perpétrer et la fraternité entre sociaux-démocrates au pouvoir
dans l'un et l'autre pays participent sans doute de cette tendance, qu'aiguisera, à partir de 1954, le
conflit qui s'ouvre entre le gouvernement français et les nationalistes algériens. En appuyant
Israël contre ses adversaires arabes, les dirigeants français ne sont pas loin de penser qu'ils
pourraient gagner au Proche-Orient la guerre qu'ils n'arrivent pas à remporter en Algérie. C'est
d'évidence la raison de la participation française à la guerre de Suez (1956). Le fiasco de
l'aventure aura de redoutables conséquences : en Algérie, où il stimule l'insurrection, et au Levant
où Paris est, à l'égal de Londres, condamnée à un irréversible déclin par l'hostilité que lui voue
un mouvement national arabe en plein essor - et par la concurrence des États-Unis qui prennent
en main les rênes de la région. C'est au général de Gaulle que la France doit son retour en force.
Au beau milieu de la guerre des Six Jours en 1967, dont il juge Israël responsable, le président de
la République modifie en profondeur l'orientation traditionnelle du Quai d'Orsay. Après avoir
condamné l'occupation de territoires arabes et l'annexion de Jérusalem par l'État hébreu, il
sanctionne ce dernier par un embargo sur les ventes d'armes aux " pays de la confrontation ".
C'est de cette époque que date la phrase controversée évoquant " un peuple sûr de lui et
dominateur ". Mais on oublie souvent la suite, étonnamment prophétique : Israël " organise, sur
les territoires qu'il a pris, l'occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions ;
et il s'y manifeste contre lui une résistance qu'à son tour il qualifie de terrorisme ". Les
successeurs du Général, Georges Pompidou puis Valéry Giscard d'Estaing, restent fidèles à cette
politique proche-orientale ainsi rééquilibrée - mais non à l'embargo sur les armes à destination
d'Israël, adouci dès 1969, supprimé en 1974 ; la diplomatie française converge avec les
diplomaties arabes quant aux conditions d'une paix durable, autorise l'OLP à ouvrir un bureau à
Paris en 1975 et pousse la CEE vers la reconnaissance des " droits nationaux palestiniens ", en
même temps qu'elle se mêle à nouveau de l'imbroglio libanais. Du côté israélien, on se plaît à
souligner les contreparties économiques du " tournant " gaulliste : de fabuleux contrats avec
l'Irak, l'Égypte, l'Arabie Saoudite, la Libye, et l'Iran, le pétrole étant " échangé " contre des
armes, des technologies avancées, notamment nucléaires civiles, et de nombreux biens de
consommation... La vision de François Mitterrand se situera quelque part ailleurs, entre la
tradition de la SFIO, dont elle a retenu l'amitié avec Israël et l'atlantisme, et la tradition gaulliste
dont elle perpétue l'attachement à de grands principes chers aux peuples arabes. Avec le recul, la
trace de la gauche dans la région est difficile à saisir, tant elle s'avère, au fil des ans,
contradictoire, sinon incohérente. Le monde arabe, inquiet du " sionisme " prêté à François
Mitterrand, est rassuré dans un premier temps : soutien du président de la République au plan
Fahd, déclarations sur l'État palestinien faites par le ministre des Relations extérieures, qui
rencontre même Yasser Arafat... Puis c'est la douche froide du voyage en Israël, en mars 1982,
qui permet à Menahem Begin d'atténuer son isolement diplomatique - aggravé par l'annexion du
Golan - sans que le Premier ministre israélien fasse aucune concession : il traite même vertement
son hôte français, qui ose parler des droits des Palestiniens. Nouvelle remontée de l'étoile
tricolore dans le ciel arabe : c'est la France qui permet à l'OLP de quitter Beyrouth assiégée par
Tsahal. Revers de la médaille de la présence militaire au Liban, la France sera prise dans
l'engrenage du conflit entre les phalangistes - et leurs alliés américains - et l'opposition appuyée
par Damas. Le contingent français se verra reprocher et son absence à Sabra et Chatila lors des
massacres, et son engagement contre les forces musulmanes, en particulier lors du bombardement
de Baalbek. Avant de quitter le pays du Cèdre, l'armée française aura pu, en 1983, une seconde
fois, sauver la Résistance palestinienne, cette fois du piège de Tripoli. Suivra une période de
relative passivité, Paris s'effaçant derrière Washington et le plan Reagan, sans oser porter la
résolution franco-égyptienne devant le Conseil de sécurité de l'ONU, et en délaissant toute
initiative nationale, bilatérale, multilatérale ou européenne. Le réchauffement des rapports avec
Israël, pas plus que leur reprise avec la Syrie, spectaculairement signifiée par le voyage de
François Mitterrand à Damas, en novembre 1984, ne donne naissance à aucune dynamique
nouvelle. En revanche, principal fournisseur d'armes de l'Irak après l'URSS, la France sera
happée dans l'engrenage de la guerre Iran-Irak. Ce qui lui vaudra l'enlèvement et la longue
séquestration de nombre de ses ressortissants au Liban. Après une montée de la tension jusqu'à la
rupture des relations diplomatiques entre Paris et Téhéran en août 1987, la négociation reprendra
ses droits. Les otages français sont spectaculairement libérés en pleine élection présidentielle, au
printemps de 1988, ouvrant la voie à une normalisation entre les deux pays. Ainsi prise au piège
du Golfe, la France, en matière israélo-arabe, se contente de déclarations et de rencontres :
aucune initiative diplomatique n'est partie de Paris. Ce retrait français va s'accentuer avec la
guerre du Golfe, dans laquelle la position de Paris menacera l'héritage même de la " politique
arabe " de la Ve République. Certes, par deux fois - le 24 septembre 1990 devant l'Assemblée
générale de l'ONU et le 15 janvier 1991 au Conseil de sécurité -, la France tentera d'empêcher le
pire en forçant Washington et Bagdad au dialogue. Mais la portée de ces appels sera limitée,
voire annulée, par la décision prise, le 15 septembre 1990, au lendemain de l'agression irakienne
contre l'ambassade de France au Koweït, de prendre place sur le terrain dans la coalition dirigée
par les États-Unis. De l'envoi du Clemenceau à l'opération Daguet, un saut qualitatif a été
effectué : en passant de l'application de l'embargo à un engagement offensif, l'armée française est
entrée dans une " logique de guerre " - l'expression est de François Mitterrand et date du 21 août
1990. Les faits d'armes des quelque 15 000 hommes de la division Daguet, s'ils convainquent
Washington de la fidélité de l'allié français, minent simultanément les relations franco-arabes. "
Comme elle aura été présente dans la guerre, la France, écoutée, respectée de tous côtés, je vous
l'assure, sera présente au rendez-vous quand le dialogue reprendra enfin ", déclarait le président
Mitterrand durant le conflit. Force est de constater au contraire que la diplomatie française ne
jouera aucun rôle dans les évolutions, pourtant décisives, qui s'ébauchent au Proche-Orient.
Certes, elle se targue d'avoir, dans le drame kurde, mis en oeuvre le " droit d'ingérence ", mais
c'était pour canaliser le flot des réfugiés et non pour empêcher le massacre qui l'avait provoqué.
Dans le dossier israélo-arabe, elle laisse faire les États-Unis. Au Liban, elle s'est ralliée -
tardivement - aux accords de Taëf après avoir abandonné le général Michel Aoun. Dans le Golfe,
elle n'a que les miettes, économiques, politiques et militaires, du gâteau de la " victoire ". Sans
parler des répercussions durables de l'onde de choc antifrançaise qui a traversé les opinions
arabes, maghrébines en particulier... L'absence de la France - comme celle de l'Europe d'ailleurs
- est particulièrement frappante dans l'organisation de la conférence de Madrid, qui s'ouvre le 30
octobre 1991, comme des négociations, bilatérales et multilatérales, qui la suivront. De même, en
1993, ignore-t-elle superbement les tractations d'Oslo, auxquelles le Quai d'Orsay - pas plus que
le département d'État d'ailleurs - ne croit pas. Si bien que, lorsque celles-ci débouchent sur la
reconnaissance réciproque d'Israël et de l'OLP, puis sur la Déclaration de principe sur
l'autonomie et les accords d'Oslo qui la concrétisent, Paris n'obtient même pas un strapontin. Ce
que le général de Gaulle avait toujours voulu éviter est advenu : Washington demeure seul maître
du jeu proche-oriental, de manière d'autant plus choquante que les États-Unis sont à la fois juge
et partie. Faut-il croire aux filiations ? On devra attendre l'élection du néo-gaulliste Jacques
Chirac à la présidence de la République en mai 1995 pour que la France esquisse à nouveau une
politique indépendante dans la région. Début avril 1996, à l'occasion d'un voyage au Liban et en
Égypte, le président de la République signifie l'" élan nouveau " qu'il entend donner à la "
politique arabe de la France ", hier qualifiée de " mythe " par le ministre socialiste des Affaires
étrangères socialiste Roland Dumas : elle doit être, déclare-t-il aux étudiants du Caire, " une
dimension essentielle de sa politique étrangère ". Et de réclamer un rôle plus important pour
l'Union européenne, au service des quatre conditions de la paix au Proche-Orient : le " droit du
peuple palestinien et ses aspirations légitimes à disposer d'un État ", le fait " qu'Israël soit
assuré de vivre en sécurité ", un règlement israélo-syrien fondé sur " un retrait total du Golan
contre une paix totale ", la " souveraineté pleine et entière du Liban sur l'ensemble de son
territoire " . Quelques jours plus tard, l'opération " Raisins de la colère " aussi sanglante
qu'injustifiée lancée par Israël contre le Liban et le soutien que lui accorde le soi-disant " arbitre "
américain offrent l'occasion de matérialiser cette relance française sur la scène régionale. À la
demande du gouvernement libanais, le ministre français des Affaires étrangères, Hervé de
Charette, se rend sur place. Douze jours durant, il multiplie les navettes entre Tel Aviv,
Beyrouth, Damas et Téhéran. Observé avec irritation par Washington et Jérusalem, qui tentent en
vain d'y mettre fin, ce forcing contribuera à hâter le cessez-le-feu en permettant une meilleure
prise en compte des positions libanaises et syriennes. Et, pour la première fois depuis la guerre
du Golfe, la France devient membre d'un organisme multilatéral chargé de la paix dans la région,
en l'occurrence le groupe de surveillance de l'accord conclu - avec les États-Unis, la Syrie, le
Liban et Israël. Baroud d'honneur, ou premier pas vers un véritable retour de la France au
Proche-Orient ? Il est trop tôt pour trancher... En 1995, le Moyen-Orient pèse relativement peu
dans les échanges commerciaux français : la France en a importé pour 36,1 milliards de francs
(soit 2,6 % du total de ses importations) et y a exporté pour 51,6 milliards (soit 3,6 % du total de
ses exportations). Ce qui n'empêche pas le solde positif de ces échanges (15,6 milliards) de
représenter près du tiers (32,2 %) de l'excédent commercial français. Les cinq premiers acheteurs
de la France dans la région sont, dans l'ordre, la Turquie (9,2 milliards), l'Arabie Saoudite (6,6),
les Émirats arabes unis (6,4), l'Égypte (5,9) et Israël (5,6). Ses cinq principaux fournisseurs sont
l'Arabie Saoudite (12,8), l'Iran (6,9), la Turquie (5,7), Israël (4,4) et la Syrie (2,1).
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

FRÈRES MUSULMANS
L'organisation des Frères Musulmans a été créée en mars 1928, en Égypte, par Hassan Al
Banna. Né en 1906, près d'Alexandrie, ce dernier étudie à l'école normale, puis au Dar al Ouloum
du Caire - une institution fondée dans le but de former des professeurs modernes. Il devient
instituteur à la rentrée de 1927, à Ismaïlia, sur le canal de Suez. Très vite, son groupe reçoit des
fonds de la compagnie du Canal et une publicité intense dans la presse officielle. Les Frères sont-
ils, pour autant, comme l'en accuseront leurs adversaires, encouragés par le roi et même par les
Britanniques ? Quoi qu'il en soit, l'association se développe avec une rapidité fulgurante : elle
compte 4 sections en 1929, 15 en 1932, 300 en 1938 et 2 000 en 1948. En 1946, le mouvement
revendique un million d'adhérents en Égypte. L'organisation est structurée autour du Guide
général, un chef charismatique auquel les adhérents doivent une obéissance inconditionnelle. " Je
m'engage envers Dieu, le Très Haut, le Très Grand, à adhérer fermement au message des Frères
Musulmans, à combattre pour lui, à vivre selon les règles de ses membres, à avoir entière
confiance dans son chef et à obéir totalement en toute circonstance heureuse ou malheureuse " :
tel est le serment qu'en 1945 tout membre actif doit prononcer. Autour du Guide, on trouve le
bureau général de l'orientation, sorte de bureau politique choisi par lui et confirmé par une
Assemblée générale consultative de 100 à 150 membres. Il existe aussi alors un organisme
spécial chargé des missions clandestines et violentes. Si Hassan Al Banna tente, en fonction
d'une situation particulièrement fluctuante, de collaborer avec le roi Farouk et parfois avec les
Britanniques, il est débordé par l'évolution de la situation aussi bien en Palestine qu'en Égypte.
Les manifestations de février 1946 au Caire, puis celles de novembre 1948 et la guerre de 1948, à
laquelle participent des militants des Frères Musulmans, aboutissent à l'interdiction de
l'organisation en décembre 1948. L'auteur du décret, Nokrachi Pacha, est assassiné quelques
jours plus tard et, le 12 février 1949, Hassan Al Banna tombe à son tour, victime - sans doute -
de balles policières. Comment caractériser les idées des Frères Musulmans ? " Les Frères
Musulmans, écrit Olivier Carré, se sont voulus novateurs, non pas en inventant un nouvel Islam,
mais en en faisant un Islam vivant, actuel, dans la suite de cette vague de réformisme islamique "
née au XIXe siècle, avec Djamal Al Din Al Afghani, Mouhammad Abdouh et Rachid Rida. C'est
surtout sur le terrain politique que Hassan Al Banna se distingue. S'inscrivant en faux contre le
mouvement de laïcisation qui s'est affirmé, notamment en Égypte sous l'impulsion du Wafd, il
assure, comme le remarque Olivier Carré, qu'" il n'est pas d'organisation valable des sociétés
sans islam, c'est-à-dire sans tribunaux, sans écoles, sans gouvernement exécutif musulmans,
appliquant effectivement les injonctions de la Loi de Dieu ". Si les Frères Musulmans affirment
s'opposer au nationalisme arabe - dans lequel ils voient même une sorte de racisme -, ils
préconisent, surtout à partir des années 50, quelques grands principes de justice et seront même,
après la prise du pouvoir par les Officiers libres et Gamal Abdel Nasser, le 23 juillet 1952,
partisans de la réforme agraire. Malgré leur participation à la révolution de 1952 et le soutien
qu'ils lui ont apporté dans un premier temps, les Frères Musulmans, affaiblis par leurs divisions
depuis la mort d'Al Banna, s'opposent vite à Nasser et à sa volonté de contrôler l'ensemble du
pouvoir. Le 12 janvier 1954, l'association, assimilée à un parti politique, est dissoute. En octobre
de la même année, à la suite d'une tentative d'assassinat contre le président égyptien, une
formidable répression frappe des milliers de Frères. Cette longue nuit durera jusqu'à la mort du
Raïs en septembre 1970. Torture, camps, exécutions : c'est ainsi qu'une génération va se
radicaliser, sous l'influence notamment de Sayyed Qotb, qui sera liquidé le 26 août 1966 sous
une fausse accusation de complot. Qotb, comme Al Banna, est né en 1906 et, comme lui, il a
suivi une formation au Dar al Ouloum. Enseignant et homme de lettres, il ne rejoint les Frères
qu'en 1951 ; il devient très rapidement responsable de leur propagande. Il prône très tôt la justice
sociale et même le socialisme, justifiant les nationalisations, la réforme agraire et la planification
économique. Mais c'est en prison qu'il va développer une thèse appelée à un bel avenir. Pour
Qotb " le monde contemporain est divisé en deux univers antinomiques : l'islam d'une part et la
jahiliya de l'autre. Ce terme coranique (textuellement "ignorance" - de Dieu) fustige dans les
faits la "barbarie" supposée des sociétés non islamiques (...) ". Selon Qotb, " il n'existe pas, au
lendemain de la décolonisation, de société véritablement islamique : dans les États indépendants
du monde musulman, des autocrates occidentalisés se réclament d'une forme moderne
d'"idolâtrie" socialiste ou capitaliste ". Pour instaurer l'État islamique, " il faut rompre avec les
logiques et les moeurs de la société ambiante, construire un prototype de la société islamique
future avec les "vrais croyants" puis, au moment opportun, engager le combat avec la jahiliya "
(Gilles Kepel). Cette thèse, qui qualifie de non musulmans les pouvoirs établis en terre d'islam,
s'inscrit en faux contre une vision plus quiétiste, qui est celle de la majorité des Frères, et prône
le compromis avec les pouvoirs établis. Poussant l'interprétation de Qotb jusqu'à son terme, de
nombreux militants, à partir des années 70, justifieront le jihad contre les gouvernements
musulmans impies et choisiront la violence. Sortis de prison par Anouar Al Sadate dès 1971,
utilisés dans la lutte que celui-ci mène contre les nassériens et la gauche, les Frères retrouvent
une certaine légalité. Tolérée, leur organisation grandit à nouveau, mais subit la concurrence de
fractions islamistes tentées par la violence. Cette situation va perdurer plus de vingt ans, créant
des conditions favorables pour le développement de l'influence des Frères, notamment dans les
organisations professionnelles (avocats, ingénieurs, enseignants, etc.). Mais le paroxysme de
violence des années 90 amène le président Hosni Moubarak, après avoir écrasé les groupes
extrémistes musulmans, à se retourner contre l'Association, dont le Guide suprême est, depuis
janvier 1996, cheikh Moustapha Machour. Dès 1994, le pouvoir multiplie les arrestations,
reprend le contrôle des associations professionnelles contrôlées par les Frères et fait condamner à
de lourdes peines des cadres du mouvement. La tentative de certains Frères de créer un parti, al
Wasat (le centre), en collaboration avec des coptes, est rejetée. En leur ôtant toute possibilité de
travail légal, le président Moubarak prend le risque de rejeter dans la violence de nombreux
militants. Mais les Frères Musulmans ne sont pas qu'une organisation égyptienne. Ils ont très
vite essaimé dans l'ensemble du monde arabe. Ils jouent un rôle important en Palestine, à travers
le Hamas, en Jordanie, au Soudan et au Yémen - où ils participent au pouvoir -, au Koweït. En
Syrie, ils furent le fer de lance de l'opposition dans les années 80, mais semblent désormais se
rapprocher du pouvoir. Proches de l'Arabie Saoudite, les Frères Musulmans n'ont jamais cherché
à créer une branche dans ce pays. Ils ont en revanche tissé des liens avec des organisations dans
le Maghreb et dans d'autres pays musulmans. Si les Frères Musulmans égyptiens ont, dans
l'organisation, une influence en principe déterminante, leur organisation n'a rien d'une
Internationale. Ni dans leurs méthodes, ni dans leur doctrine - ainsi les thèses du socialisme
islamique ont été fortement contestées par certaines sections -, ni dans leur stratégie : les Frères
n'ont pas été capables d'adopter une position unique durant la guerre du Golfe.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GAZA (bande de)


Bande de terrain de 370 kilomètres carrés, le territoire de Gaza faisait partie de la
Palestine sous mandat britannique, et jouxtait l'Égypte. Après la guerre de 1948-1949, Gaza
passe sous administration du Caire, mais ne sera pas annexée. Elle garde un statut autonome.
C'est une région bien plus pauvre que la Cisjordanie, avec quelques ressources agricoles
(agrumes, légumes...) et où plus des trois quarts de la population sont des réfugiés. Avec la
guerre de Suez en 1956, Gaza connaît une première occupation israélienne. Ce sera le seul
affrontement politico-militaire direct entre Palestiniens et Israéliens durant la période 1949-1967.
Les Palestiniens vont acquérir dans ce combat une expérience de résistance armée. C'est là que la
plupart des dirigeants du Fath forgent leurs idées et que va s'amorcer la renaissance du
nationalisme palestinien. Évacuée en 1957, Gaza est à nouveau occupée en juin 1967. Le
territoire compte alors 390 000 habitants. Contrairement à la Cisjordanie, et bien que ne
disposant que de bases arrière, la population se lance à corps perdu dans la lutte armée. Il faudra
attendre 1971 et le général Ariel Sharon - qui ne lésinera pas sur les moyens - pour que les
Israéliens en viennent à bout. La conquête a entraîné, comme en Cisjordanie, l'implantation de
colonies juives et l'intégration de Gaza à l'économie israélienne : près de la moitié de la
population active de ce territoire se rend, chaque jour, dans l'État juif pour y travailler dans
l'industrie, la construction ou les services. La population, très jeune, est fortement scolarisée
grâce à l'Office des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Mais les diplômés ne
trouvent pas de travail et émigrent. Ce phénomène, déjà sensible en Cisjordanie, prend à Gaza
une plus grande ampleur. À partir de 1972-1973, les contacts entre les élites de Cisjordanie et de
Gaza se multiplient, et c'est ensemble que, après la guerre d'Octobre 1973, elles appuient l'OLP
et l'idée d'un État édifié sur les Territoires occupés. Dans la bande de Gaza, toutefois, le
mouvement est moins organisé (grand nombre de réfugiés, absence de traditions, faiblesse de la
vie sociale...). Les Frères musulmans, qui ont des racines anciennes dans la région, sont puissants
et ont été utilisés, à plusieurs reprises, dans les années 70 par les autorités d'occupation pour
contrebalancer l'influence des partisans de l'OLP. C'est à Gaza que, en décembre 1987,
commence l'intifada, le soulèvement palestinien ; c'est là aussi que naît le Mouvement de la
résistance islamique, le Hamas, qui va acquérir une force notable et se poser en concurrent de
l'OLP. Les accords d'Oslo permettent l'installation de l'Autorité palestinienne à Gaza, où Yasser
Arafat retourne le 1er juillet 1994. L'évacuation du territoire n'est que partielle, puisque le
gouvernement israélien maintient toutes les colonies, protégées par l'armée, sur près d'un tiers de
la surface, ainsi que le contrôle des frontières avec l'Egypte et avec Israël. L'ouverture d'un "
passage sûr " entre Gaza et Jéricho, prévu par la Déclaration de principes du 13 septembre 1993,
n'a pas eu lieu. Les relations entre Gaza et la Cisjordanie sont même devenues plus difficiles
qu'avant 1993, ce qui contribue aux difficultés économiques. Bien que la présence militaire soit
moins pesante qu'en Cisjordanie, les habitants ont souffert de la multiplication des bouclages, qui
interdisent aux Palestiniens d'aller travailler en Israël. Avec 950 000 habitants, dont plus de 700
000 sont des réfugiés, un taux de chômage de près de 40 % en juin 1996, et l'un des taux
d'accroissement de la population les plus élevés du monde (4,9 %), Gaza est en train de devenir
une poudrière sociale, qui pourrait déstabiliser l'Autorité palestinienne.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GÉNOCIDE
Le racisme antisémite est une composante importante du fascisme hitlérien dès les débuts.
" Bible " du nazisme, Mein Kampf en est imprégné. Jusqu'en 1933, c'est surtout verbalement que
s'exprime l'antisémitisme des Chemises brunes : le Juif sert de bouc émissaire, désigné au
mécontentement du public qu'il polarise, sous les traits du " judéo-bolchevik " comme sous ceux
du " judéo-ploutocrate ". Avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler commence la " légalisation " de
l'antisémitisme : la loi du 7 avril 1933, puis les lois de Nuremberg (15-16 septembre 1935)
instaurent une ségrégation stricte tendant à éviter tout contact entre " aryens " et Juifs, avec
notamment l'interdiction des mariages mixtes, l'exclusion des Juifs d'une série de professions, etc.
Parallèlement, les violences se multiplient, du boycott forcé des " commerces juifs " à
l'emprisonnement de milliers de Juifs, en passant par les passages à tabac dont SA et SS se sont
fait une spécialité. L'assassinat, à Paris, du conseiller d'ambassade von Rath par un dénommé
Grynspan, en novembre 1938, sert de prétexte au déchaînement d'une véritable terreur
antisémite. Pogrom à l'échelle de toute l'Allemagne, organisé par Joseph Goebbels et Heinrich
Himmler, avec l'aide de la Gestapo, la Nuit de cristal, le 9 novembre, se solde par un bilan
terrible : 191 synagogues incendiées dont 76 détruites, 7 500 boutiques juives démolies et pillées,
91 Juifs sauvagement assassinés... " On devra arrêter autant de Juifs, surtout les riches, que
peuvent en contenir les prisons actuellement existantes. Dès leur arrestation, il conviendra de se
mettre immédiatement en rapport avec les camps de concentration appropriés, afin de les
interner au plus vite ", précisait le message envoyé par le Numéro deux des SS, Reinhard
Heydrich, à tous les responsables de la police. De fait, les 10 et 11 novembre, 20 000 Juifs furent
raflés pour rejoindre les communistes, sociaux-démocrates et chrétiens opposants déjà
emprisonnés, certains depuis 1933. Mais les victimes laissées en liberté n'étaient pas quittes pour
autant : les Juifs allemands se virent infliger une amende collective d'un milliard de marks en
punition de leurs " crimes abominables ", sans parler du paiement de leurs biens détruits - les
primes d'assurances étant confisquées par l'État ! La législation antisémite fut en outre aggravée,
les Juifs étant dorénavant éliminés totalement de l'économie allemande, par transfert de leurs
entreprises et biens à des " aryens ". " Le problème majeur demeure : il consiste à chasser les
Juifs hors d'Allemagne ", avait déclaré Heydrich. Dans un premier temps, il ne sera résolu que
par l'émigration payante : de 1933 au 31 octobre 1941, 537 000 Juifs ont pu quitter légalement
l'Allemagne, l'Autriche et la Bohême-Moravie, en échange de 9,5 millions de dollars versés par
leurs coreligionnaires étrangers. Après avoir pensé à expulser tous les Juifs vers Madagascar,
puis commencé à les regrouper en Pologne, les dignitaires hitlériens en viennent à la " solution
finale " prophétisée de longue date par Hitler. Nul ne pouvait en douter. Ainsi, le 30 janvier
1939, le chancelier déclarait-il encore devant le Reichstag : " Je vais me montrer prophète. Si la
finance juive, en Europe et ailleurs, parvient une fois de plus à plonger les peuples dans une
guerre mondiale, alors la conséquence n'en sera pas la bolchevisation du monde, et donc une
victoire des Juifs, mais au contraire la destruction de la race juive en Europe. " Préparée durant
l'été 1941, qui voit les troupes nazies massacrer sur le " front de l'Est " des centaines de milliers
de Juifs, mise au point lors d'une réunion à Wannsee, un faubourg de Berlin, le 20 janvier 1942,
la solution finale impliquait la déportation de tous les Juifs d'Europe occupée vers les camps de
concentration déjà existants et surtout vers de nouveaux camps en construction : des camps
d'extermination. Ainsi naquirent, entre autres, Auschwitz, Treblinka, Belzec, Sobibor et
Chelmno, où l'installation de chambres à gaz permettait d'anéantir des milliers d'hommes, de
femmes et d'enfants chaque jour. " La solution définitive du problème juif en Europe concerne
approximativement 11 millions de Juifs ", avait estimé Heydrich à Wannsee ; si l'on ajoute les
victimes des massacres massifs du " front de l'Est ", celles des ghettos et celles des usines de la
mort, il a atteint plus de la moitié de son " objectif "... Aux assassins s'ajouteront, trente ans plus
tard, les " assassins de la mémoire " - pour reprendre le beau titre du livre que Pierre Vidal-
Naquet leur a consacré. Si les premiers " révisionnistes " apparaissent dès l'immédiate après-
guerre, c'est à la fin des années 70 qu'ils trouvent un second souffle ; ils puisent leur inspiration
dans les écrits d'un ex-militant socialiste, Paul Rassinier, leur relais universitaire en la personne
de Robert Faurisson, un professeur d'extrême droite, et leur principal instrument de propagande
avec la librairie " La Vieille Taupe " et son animateur Pierre Guillaume, un ancien militant
d'extrême gauche. Roger Garaudy et son avocat inattendu, l'abbé Pierre, relanceront la polémique
au printemps de 1996. Peu nombreux, mais bruyants, forts de l'influence accrue du Front
national, qui couvre leurs thèses quand il ne les diffuse pas ouvertement, ces ultras d'un bord et
de l'autre focalisent leur entreprise de " révision " sur les chambres à gaz, instrument et symbole
du massacre, dont ils contestent, contre toute évidence, soit l'existence, soit la fonction. Au-delà,
leur but avoué, c'est de nier le génocide des juifs, à tout le moins de le banaliser pour en faire,
selon l'expression de Jean-Marie Le Pen, " un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre
mondiale ". " Jamais Hitler n'a donné l'ordre de tuer ne serait-ce qu'un seul homme en raison de
sa race ou de sa religion ", assurait par exemple Robert Faurisson, qui ajoutait : " Je conteste
qu'il y ait eu une politique d'extermination physique des Juifs. " Le génocide des Juifs par les
nazis n'est pas le seul de l'histoire de l'humanité : les Indiens d'Amérique latine, ceux d'Amérique
du Nord, les Arméniens et, plus récemment, les Cambodgiens et les Tutsis au Rwanda en offrent
les preuves tragiques. Mais l'holocauste se distingue par son annonce de longue date, son ampleur
- plus de la moitié de la population visée -, l'importance des moyens techniques mis en oeuvre -
des wagons de transport jusqu'aux crématoires - et son caractère purement racial, à l'exclusion de
tout autre motif (gain territorial, avantage économique, ascension sociale, etc.). Au milieu d'un
siècle vécu comme celui du progrès humain, il frappe d'autant plus rudement des communautés
qui considéraient leur assimilation comme une garantie contre un renouvellement des
persécutions du passé. La blessure est de celles qui ne se referment pas. Dès lors, l'extermination
des Juifs pèse encore avec une force inentamée, comme elle a pesé décisivement, en 1947, en
faveur de la création de l'État juif, puis, au cours des différents conflits israélo-palestiniens, dans
le sens d'une sympathie " naturelle " de l'opinion occidentale avec Israël. Les peuples arabes,
Palestiniens en tête, ne peuvent être contredits lorsqu'ils se plaignent de payer aux lieu et place
des Européens le crime commis ou toléré par ceux-ci contre les Juifs. " Nous sommes, écrit
Marguerite Duras dans La Douleur, de ce côté du monde où les morts s'entassent dans un
inextricable charnier. C'est en Europe que ça se passe. C'est là qu'on brûle les Juifs, des
millions. C'est là qu'on les pleure. " Mais comment, cela dit, ne pas comprendre que les
Israéliens vivent dans le souvenir de l'horreur, institutionnellement entretenu et dont ils se
défendent par une quête légitime de sécurité ? Plus largement, la mémoire du génocide constitue
une part substantielle de l'identité des Juifs à travers le monde, quand bien même ils se sont à
nouveau intégrés aux nations où ils vivent. Et même s'ils ne se sentent pas impliqués par la
politique israélienne, cette mémoire fonde, chez nombre d'entre eux, un certain sentiment pour
Israël considéré comme refuge " au cas où "... Autant le génocide ne saurait donc servir
d'argument, a fortiori de prétexte pour on ne sait quelle aventure, autant il serait absurde d'en
sous-estimer le poids politique, idéologique et culturel.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GOLAN (plateau du)


Nom du plateau syrien situé au nord-est de l'État d'Israël, qui l'a occupé en juin 1967, au
lendemain de la guerre des Six Jours, puis annexé en décembre 1981. Cette zone, d'environ 1 150
kilomètres carrés, s'étend sur environ 67 kilomètres et sa profondeur ne dépasse pas 25
kilomètres. L'importance du Golan a été perçue dès l'Antiquité. Chemin des caravanes de Damas
et de Bagdad vers la Méditerranée, les Grecs l'occupent et le nomment Gaulanitide. Les Romains
le rattacheront à la province de Pérée, dont les gouverneurs siégeront à Kuneitra, chef-lieu actuel
du plateau. Puis les Arabes, au VIIe siècle, le conquièrent sous le nom d'Al Joulane.
Conformément aux accords Sykes-Picot de 1916, les traités qui conclurent la Première Guerre
mondiale font du Golan une partie intégrante du mandat syrien confié à la France, statut que
confirmeront les réalités issues de la Seconde Guerre mondiale. L'enjeu du plateau est d'abord
stratégique : il domine à 1 000 mètres d'altitude la plaine du Hauran en Syrie, la vallée de la
Galilée en Israël, et donne, du côté du Liban, sur l'Anti-Liban et le Hermon. Son relief accidenté
renforce encore ce caractère de place forte, que les Syriens, après la création de l'État d'Israël,
vont peupler de bunkers, de tranchées et de pièces d'artillerie redoutables pour les lignes
israéliennes situées en contrebas. Le Golan est aussi un véritable château d'eau d'où sont issus les
affluents orientaux du lac de Tibériade et du haut Jourdain, qui fournissent à Israël près de 300
millions de mètres cubes d'eau... Ce sont ces trois avantages qu'Israël convoite lorsque, le 9 juin
1967, une fois les combats arrêtés sur les fronts égyptien et jordanien, l'armée israélienne se lance
à l'assaut du Golan, qui tombera en deux jours. La surface occupée augmentera de 510 kilomètres
carrés après la guerre de 1973, du moins jusqu'au 31 mai 1974 : l'accord syro-israélien de
désengagement, négocié par le secrétaire d'État américain, Henry Kissinger, permet à Damas de
récupérer la nouvelle poche envahie lors de Kippour et une petite partie du Golan, dont Kuneitra.
Une force des Nations unies, d'environ un millier d'hommes, sépare les deux armées dont le
déploiement dans la région est strictement limité. Mais le problème du plateau demeure, doublé
de celui de ses réfugiés (ils étaient 110 000 en 1967). Sur place, en effet, Israël s'est organisé
pour durer. Les installations " héritées " de l'armée syrienne ont été complétées par des
implantations militaires. Les colonies de peuplement se sont multipliées - une cinquantaine
édifiées depuis 1967. Les occupants - au nombre de 16 000 en 1996 - ont pris en main les
richesses du sol, en premier lieu l'eau. Les 15 000 habitants restés sur place après l'exode des Six
Jours, tous druzes, ont dû résister à la volonté de Jérusalem de leur imposer la loi et la
citoyenneté d'Israël. L'agitation, déjà vive au printemps 1981, redoublera lorsque, le 14 décembre
1981, un jour après le coup d'État du général Wojciech Jaruzelski en Pologne, Menahem Begin,
transformant l'annexion de fait en annexion de droit, obtient de la Knesset un vote " appliquant
aux hauteurs du Golan la législation israélienne ". L'appartenance du Golan à Eretz Israël, la
protection des colons juifs et le refus de Damas de négocier ne suffisent pas à justifier la décision
israélienne ; elle est déclarée " nulle et non avenue " par l'Assemblée générale de l'ONU, le 17
décembre, à l'unanimité moins deux voix (Israël et les États-Unis). Dès le 1er septembre 1975, le
président Gerald Ford, dans une lettre envoyée au premier ministre Itzhak Rabin, précisait : " Les
Etats-Unis n'ont pas déterminé une position définitive en ce qui concerne les frontières [entre la
Syrie et Israël]. S'ils le faisaient, ils accorderaient un grand poids à la position israélienne selon
laquelle tout accord de paix avec la Syrie doit consentir à ce qu'Israël reste sur les hauteurs du
Golan. " En principe, cette position engage les successeurs de Gerald Ford à la Maison Blanche.
Le Golan est au coeur des négociations israélo-syriennes qui se sont intensifiées depuis la
conférence de Madrid et les accords d'Oslo. Pour Damas, il s'agit de récupérer un territoire
occupé, et aucun compromis n'est possible concernant sa souveraineté sur le plateau. Pour Israël,
les arguments stratégiques se combinent avec la volonté de conserver une zone riche en eau et le
poids électoral de milliers de colons, largement travaillistes, appuyés par une partie non
négligeable de la population. Mais le tracé de la frontière définitive entre Israël et la Syrie
comporte une autre difficulté : les zones démilitarisées en 1949-1950 que Damas refuse de céder
(voir carte page 136). Après bien des difficultés, les négociations semblent repartir à la fin de
l'année 1995, sous la pression américaine. Mais la victoire de la droite aux élections israéliennes
du 29 mai 1996 modifie la donne. Si Benyamin Netanyahou affirme qu'il est prêt à négocier sans
conditions avec la Syrie, le programme de son gouvernement spécifiait, en juin 1996, que " la
base de tout arrangement avec la Syrie sera la rétention de la souveraineté israélienne sur le
Golan ".
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GOLFE (crise et guerre du)


C'est le 2 août 1990, avec l'entrée des troupes irakiennes au Koweït, la prise de sa capitale
et la mise en place d'un gouvernement fantoche, qui marque le début " officiel " de la crise du
Golfe, laquelle débouchera, du 17 janvier au 3 mars 1991, sur la guerre. Mais la tension montait
depuis des semaines entre Bagdad et ses voisins du Golfe. Le 17 juillet, Saddam Hussein accuse
" certains " dirigeants du Golfe de nuire à l'Irak, en faisant baisser le prix de brut. Le lendemain,
élargissant ses griefs dans un message à la Ligue arabe, il ajoute que le Koweït " vole " depuis
1980 le pétrole irakien en pompant dans la nappe de Roumaila, et lui réclame en conséquence le
remboursement de 2,4 milliards de dollars. Le 27, l'OPEP porte le prix de référence du baril à 21
dollars et plafonne sa production pour rendre ce cours effectif ; et le 31, à Djedda, les Koweïtiens
proposent de prêter 9 milliards de dollars à l'Irak, les Saoudiens ajoutant 1 milliard pour arriver
aux 10 milliards exigés par Bagdad. Gestes inutiles : le nombre de soldats irakiens massés aux
frontières de l'émirat est passé de 30 000 le 23 juillet à 100 000 le 31... L'invasion du Koweït
s'inscrit - au-delà de l'escalade de juillet 1990 - dans la stratégie même du régime baasiste,
confronté à la faillite consécutive à sa guerre contre l'Iran. Le pays sort en effet littéralement
épuisé de ces huit années de conflit. De minimes " prises de guerre " - quelques centaines de
kilomètres carrés occupés et quelques dizaines de milliers de prisonniers - lui ont coûté des
centaines de milliers de vies, des destructions estimées à 70 milliards de dollars, sans oublier la
dette extérieure record de 80 milliards de dollars. D'où, face à un mécontentement populaire
grandissant, le coup de poker koweïtien de Saddam Hussein. Le dirigeant irakien poursuit trois
objectifs : - financier : il s'agit de réaliser une sorte de hold-up sur la " banque du Moyen-Orient
" que représente le Koweït, avec ses 122 milliards de capitaux investis en Occident qui lui ont
rapporté en 1989... 9 milliards de dollars d'intérêts - plus que les revenus du pétrole ! C'était
évidemment compter sans le gel occidental, qui ne laissera aux envahisseurs que le contenu des
coffres koweïtiens eux-mêmes ; - pétrolier : ajouter les richesses koweïtiennes aux siennes, c'est,
pour l'Irak, se placer à la tête de 19 % des réserves mondiales, donc en position - outre les
copieux bénéfices à encaisser - de peser avec force sur la politique de l'OPEP. Là encore, c'était
compter sans l'embargo occidental et le remplacement de la production irakienne et koweïtienne
par celle d'autres membres de l'OPEP, Arabie Saoudite en tête ; - stratégique : par-delà la
conjoncture, on retrouve la vieille revendication d'un plus large accès au Golfe, avec notamment
les îles de Warba et de Boubiane dont le contrôle permettrait à l'Irak de créer un véritable port de
mer et d'exploiter le Chatt al Bassora, alternative au Chatt al Arab rendu inutilisable par les
combats avec l'Iran. Voilà peut-être ce qu'a en tête April Glaspie, l'ambassadeur américain à
Bagdad, lorsque, plus tard, elle déclare au New York Times : " Je ne pensais pas, et personne ne
pensait, que les Irakiens prendraient TOUT le Koweït. " Ces trois objectifs, le numéro un irakien
les inscrit évidemment dans l'ambition plus vaste qu'on lui connaît de longue date : conquérir le
leadership sur un monde arabe divisé, face à une Égypte qu'il juge discréditée par la paix signée
avec Israël et au frère-ennemi syrien qu'il estime embourbé au Liban. En se lançant dans
l'aventure, il commet toutefois la même erreur, grossière, qu'en 1980 : il sous-estime l'adversaire.
Sans doute n'a-t-il pas compris la portée de la nouvelle politique moyen-orientale de l'URSS et
cru - à tort - que les Soviétiques l'aideraient. Peut-être mise-t-il sur une neutralité bienveillante
des États-Unis qui, il est vrai, ne lui ont pas ménagé leur soutien depuis 1982 ; April Glaspie lui
répétera encore le 25 juillet 1990 : " Nous n'avons pas d'opinion sur les conflits interarabes,
comme votre différend frontalier avec le Koweït. " Feu vert, croit Saddam Hussein. Quand il
comprend son erreur, il est trop tard : l'invasion du Koweït sert trop la stratégie des États-Unis
pour qu'ils laissent passer l'occasion. Car le leadership que les États-Unis entendent réaffirmer
est, lui, mondial. Si la grande tendance des années 90, c'est l'écroulement du communisme, une
autre se confirme : le déclin relatif de l'Amérique face à la montée en puissance du Japon et de
l'Europe. Or, le golfe Arabo-Persique constitue un lieu idéal pour manifester et renforcer la
prédominance américaine. Enjeu énergétique : 65 % des réserves de pétrole de la planète se
trouvent concentrées dans le Golfe, qui sera de surcroît la seule grande zone de production dans
vingt à trente ans, alors même que les hydrocarbures demeureront, selon la plupart des experts, la
première source d'énergie. Enjeu économique : le marché arabe offre d'immenses débouchés à
l'économie américaine, de même que les pétrodollars lui apportent de volumineux ballons
d'oxygène. Enjeu politico-militaire : les États-Unis ont toujours rêvé de rassembler dans un
consensus stratégique les régimes arabes modérés et - si possible - Israël dans une sorte d'OTAN
du Moyen-Orient, laquelle a des chances de prendre enfin corps en réaction à l'agression
irakienne, au nom du droit international et avec la bénédiction de l'ONU. Ce sont là des atouts
appréciables pour une Amérique qui entend se muscler face à ses partenaires concurrents
occidentaux. Dans le choc des stratégies américaine et irakienne, à la fois ennemies et d'une
certaine manière complices, se met en place un engrenage irréversible. D'autant que les forces
susceptibles de s'interposer ne peuvent ou ne veulent le faire. La crise économique et sociale
accroît la dépendance de l'URSS à l'égard de l'aide occidentale, au point d'interdire au Kremlin
toute opposition franche à la politique américaine : de fait, malgré ses débats internes et ses
réserves, Moscou s'en tiendra toujours à l'accord conclu par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev
à Helsinki le 9 septembre 1990, tout en faisant le maximum pour ramener Saddam Hussein à la
raison et lui éviter le pire. Pour Pékin, l'occasion est trop belle de faire oublier la répression de
Tien Anmen et reprendre ses relations avec l'Occident : le ministre chinois des Affaires
étrangères se réfugiera donc dans l'abstention pour ne pas bloquer, ni même gêner, l'opération des
États-Unis. Quant à l'Europe, pourtant concernée au premier chef en tant que voisin immédiat du
monde arabe, elle va faire - une nouvelle fois - la preuve de son inexistence dès lors que la
politique américaine est en cause : tiraillée entre une Grande-Bretagne jusqu'au-boutiste et une
Allemagne repliée sur son unification, elle se montrera incapable de définir une politique
commune et d'animer la médiation nécessaire. Et ce n'est pas la France qui contribuera à
l'arracher à cette impasse, étant elle-même prise en étau entre sa volonté de ménager une issue
pacifique et sa détermi- nation à se comporter en allié fidèle de l'Amérique : de quel poids
peuvent peser les initiatives de paix d'un pays dont les soldats se trouvent d'ores et déjà sur le
terrain ? Ainsi, très vite, se mettent en place les conditions de l'escalade, George Bush comme
Saddam Hussein - du moins jusqu'à ce qu'il se découvre perdu - n'envisageant pas la moindre
concession pouvant, aux yeux de l'opinion, passer pour une capitulation, incompatible donc avec
le leadership auquel ils aspirent. Quatre phases vont alors se succéder : la réaction, la
mobilisation, l'hésitation et enfin la guerre. S'ils ont été surpris par les événements, les
Américains réagissent rapidement. À New York, ils organisent, avec leurs alliés, la protestation
de l'ONU contre l'invasion de l'émirat : le Conseil de sécurité adopte dès le 2 août, par 14 voix et
une abstention (celle du Yémen), la résolution 660, qui exige " le retrait immédiat et
inconditionnel de toutes les forces irakiennes. " Sur les places financières internationales, les
États-Unis, suivis par la Grande-Bretagne et la France, gèlent immédiatement les avoirs irakiens
et koweïtiens. À Moscou, James Baker se rend dès le 3 août pour conforter le consensus
américano-soviétique, déjà manifeste lors du vote de l'ONU. Au Caire, les diplomates américains
chargés de rassembler le plus largement possible la région contre l'agression enregistrent un
premier succès : le 3 août également, le conseil ministériel de la Ligue arabe déclare " refuser les
effets de cette invasion et ne pas reconnaître ses conséquences, et lance un appel à l'Irak pour le
retrait inconditionnel et immédiat de ses troupes " - à la majorité : l'OLP, la Jordanie, le Yémen
et le Soudan votent contre, la Mauritanie s'abstient, la Libye étant absente et l'Irak exclu du vote.
Parallèlement, s'effectue la mobilisation militaire. Le 8 août, alors qu'à Bagdad Saddam Hussein
annonce l'annexion du Koweït, George Bush rend publique la décision, prise dès le dimanche 5,
d'envoyer dans la région des dizaines de milliers de soldats américains, appuyés par des avions de
combat et des blindés. En Arabie Saoudite, l'opération " Bouclier du Désert " commence. La
crise, déclare James Baker le 4 septembre, constitue un " test politique pour le fonctionnement du
monde dans l'après-guerre froide. L'Amérique doit diriger et notre peuple doit le comprendre. "
Aux surenchères de Saddam Hussein (appel au djihad, prise en otage d'Occidentaux,
proclamation du Koweït dix-neuvième province de l'Irak, attaques contre les ambassades dans
l'émirat, etc.) va donc répondre la construction minutieuse de la machine de guerre, politique et
militaire, imaginée par la Maison Blanche. Du côté de l'ONU, la diplomatie américaine orchestre
un crescendo de résolutions du Conseil de sécurité : boycottage (6 août), illégalité de l'annexion
(9 août), libération des otages (18 août), blocus maritime (25 août), conditions de la fourniture de
produits alimentaires et médicaux à l'Irak (14 septembre), protection des diplomates au Koweït
(16 septembre), aide aux pays de la région victimes de la crise (24 septembre), embargo aérien
(25 septembre), otages et ambassades (29 octobre), protection de l'état civil koweïtien (29
novembre) et enfin recours à la force (29 novembre). Du côté soviétique, le sommet Bush-
Gorbatchev du 9 septembre, à Helsinki, définit un cadre commun durable, malgré les nuances.
Du côté occidental, Washington obtiendra une participation significative, non seulement au
contrôle de l'embargo, mais au déploiement sur le terrain : la Grande-Bretagne s'y décide la
première, suivie du Canada, de la France (le 15 septembre, après l'attaque de l'ambassade à
Koweït-City) et de l'Italie. Il en ira de même du côté arabe, à partir de la décision d'envoyer une
force panarabe en Arabie Saoudite prise, le 10 août, par douze des vingt chefs d'État - l'Irak, la
Libye et l'OLP étaient contre, l'Algérie et le Yémen s'abstenaient, la Jordanie, le Soudan et la
Mauritanie exprimaient des réserves, la Tunisie était absente. La vaste coalition ainsi nouée se
traduira, en Arabie, par la formation d'une puissante armée multinationale : lorsque la guerre
éclatera, l'Irak sera confronté à plus de 700 000 hommes de 26 pays (dont 515 000 Américains).
Enfin, les dirigeants de Washington s'assurent du financement du " Bouclier du Désert " par leurs
alliés occidentaux et arabes : plus de 40 milliards de dollars obtenus à la date du 15 janvier. La
troisième phase, celle de l'apparente hésitation, commence après l'adoption par le Conseil de
sécurité, le 29 novembre 1990, de la résolution 678 : prise à l'unanimité moins deux voix contre
(celles du Yémen et de Cuba) et une abstention (la Chine), elle autorise les " États membres
coopérant avec le gouvernement koweïtien (...) à user de tous les moyens nécessaires pour
contraindre l'Irak à se retirer du Koweït s'il ne l'a pas fait avant le 15 janvier 1991. " Muni de
cette force de frappe, George Bush, autant pour rassurer son opinion que pour achever la mise en
place de son dispositif militaire, fait mine d'appeler Bagdad au " dialogue ". Le 6 décembre,
Saddam Hussein fait un geste : il annonce que tous les otages seront de retour chez eux avant
Noël - une bonne partie d'entre eux avaient été libérés au fil des semaines et... des visiteurs à
Bagdad. Malgré les professions d'intransigeance de chaque côté, les optimistes justifient leur état
d'esprit par l'ultime suggestion de George Bush, le 3 janvier : une rencontre James Baker-Tarek
Aziz à Genève, que Bagdad accepte le lendemain. Avec le face-à-face des deux ministres des
Affaires étrangères, le 9 janvier, c'est la douche froide : l'écart entre les positions reste total. Dès
lors, rien n'empêchera le passage de la crise à la guerre du Golfe. Vingt-quatre heures après
l'expiration de l'ultimatum de l'ONU, les armes parlent. En deux temps. Du 17 janvier au 23
février, il s'agit essentiellement de bombardements massifs sur l'ensemble du potentiel militaire,
mais également économique, de l'Irak ainsi que sur ses troupes stationnées au Koweït,
notamment la Garde présidentielle (au total plus de 100 000 sorties aériennes alliées). L'armée de
Saddam riposte en multipliant les tirs de Scud contre Israël, l'Arabie Saoudite ainsi que Bahreïn,
et en mettant le feu aux puits de pétrole koweïtiens. L'épée de Damoclès tombera malgré
l'acceptation par l'Irak, le 23, d'un plan soviétique prévoyant un retrait irakien en 21 jours à
compter du cessez-le-feu : dans la nuit du 23 au 24 février, les forces coalisées pénètrent en Irak
et au Koweït, après avoir enterré vivants - on l'apprendra six mois plus tard - les soldats irakiens
des premières lignes. La résistance s'avère si faible qu'en trois jours, les coalisés occupent
l'ensemble de l'émirat et parviennent jusqu'à Bassora : le 26, Saddam Hussein annonce à la radio
le retrait des troupes irakiennes et, le 27, Tarek Aziz annonce aux Nations unies qu'il accepte
sans condition les douze résolutions du Conseil de sécurité. Les derniers combats s'achèvent dans
la nuit du 27 au 28 et, le 2 mars, le Conseil de sécurité - dans sa résolution 686, adoptée par onze
voix contre une (Cuba) et trois abstentions (Chine, Inde, Yémen), et aussitôt acceptée par l'Irak -
fixe les conditions du cessez-le-feu provisoire. Il faudra attendre le 27 mars pour que Bagdad
donne son accord au cessez-le-feu définitif défini par la résolution 687, dans laquelle le Conseil
de sécurité pose ses conditions à Bagdad : reconnaissance du Koweït dans ses frontières de 1963,
paiement de dommages de guerre aux États et aux particuliers, destruction de ses armes
chimiques et biologiques, maintien de l'embargo sur les ventes d'armes... Entre-temps, la Garde
présidentielle, que les Occidentaux ont laissé rentrer du Koweït, écrase le peuple irakien, soulevé
au sud comme au nord à l'annonce de la défaite du régime. Les armées occidentales, après avoir
assisté, l'arme au pied, au massacre des révoltés chiites - sous prétexte d'éviter une révolution
islamique -, interviendront finalement pour permettre le retour des réfugiés kurdes. De quoi
sonner le glas des illusions de nombre de ceux qui avaient cru à la " croisade du droit " et au "
nouvel ordre mondial ". La dictature de Saddam Hussein a survécu. Pire : elle a pu à nouveau
asseoir son pouvoir dans le sang kurde et chiite. Bafoués dans le Golfe, où survivent des régimes
d'un autre âge, les principes officiellement fondateurs de l'intervention des coalisés, à commencer
par l'autodétermination, restent également piétinés dans le reste du Moyen-Orient : Palestiniens,
Libanais, Kurdes et Arméniens peuvent en témoigner. La principale victime de la guerre, c'est
bien sûr l'Irak. " Tempête du Désert " a coûté cher à son peuple. Aux dizaines et dizaines de
milliers de victimes - entre 50 000 et 150 000 selon les évaluations, contre 466 dans les rangs des
coalisés - s'ajoute la destruction de l'essentiel de ses infrastructures, conformément aux menaces
proférées par James Baker devant Tarek Aziz : " Nos forces feront en sorte que l'Irak soit rejeté
dans l'ère préindustrielle "... Cinq ans plus tard, le maintien de l'embargo comme du blocus, du
fait de l'intransigeance américaine, empêche évidemment tout réel effort de reconstruction - seule
la vente de 1,2 million de barils de pétrole par jour (soit la moitié de la production d'avant la
guerre) a été autorisée par l'ONU, depuis le 20 mai 1996, pour des raisons humanitaires. La
guerre du Golfe n'a finalement servi que les États-Unis. Non seulement ils ont resserré leur
contrôle sur les richesses du sous-sol de la région, accentué leur mainmise politique sur les
régimes arabes, mais, estimant qu'il n'est pas de petit profit, ils ont profité de leur " triomphe "
pour évincer leurs concurrents occidentaux de bien des marchés de la région : militaires, grâce à
la formidable démonstration effectuée par les Cruise, Tomhawks et autres Patriot (dont
l'efficacité semble, tout compte fait, des plus limitées) ; mais aussi civils, avec les fabuleux
contrats de la " reconstruction ". Les alliés locaux de Washington bénéficieront en revanche des
miettes du gâteau : leur participation à la coalition vaudra à l'Égypte de Hosni Moubarak
l'effacement de sa dette militaire (6,7 milliards de dollars) et l'allongement de sa dette civile ; à la
Syrie de Hafez Al Assad le feu vert pour sa normalisation du Liban ; à la Turquie, avec la
réaffirmation de son rôle de pilier de l'OTAN, un coup de pouce pour ses ambitions, moyen-
orientales comme européennes. Quant à l'Iran, il gagnera sur les deux tableaux : après avoir
obtenu à Bagdad la libération de son territoire occupé et de ses prisonniers ainsi que le retour aux
accords d'Alger de 1975, il se fera reconnaître par Washington comme un partenaire respectable -
pour un temps... Un an, jour pour jour, après l'invasion du Koweït, Itzhak Shamir acceptait
qu'Israël participe à la conférence de paix annoncée par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev. Il
n'en fallait pas plus pour que certains commentateurs saluent, dans cette nouvelle, la preuve a
posteriori du caractère positif de la guerre du Golfe. Mais si le plan Baker de 1989 n'avait pas été
enterré par le gouvernement Shamir, les conditions du déclenchement de la guerre du Golfe
n'auraient pas été créées, en premier lieu la mobilisation arabe en faveur de Saddam Hussein. La
négociation n'aurait-elle pas alors avancé plus vite et mieux, sans qu'il ait fallu, pour y parvenir,
des dizaines et des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliards de dollars de
destructions ?
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GOLFE (crise et guerre du)


C'est le 2 août 1990, avec l'entrée des troupes irakiennes au Koweït, la prise de sa capitale
et la mise en place d'un gouvernement fantoche, qui marque le début " officiel " de la crise du
Golfe, laquelle débouchera, du 17 janvier au 3 mars 1991, sur la guerre. Mais la tension montait
depuis des semaines entre Bagdad et ses voisins du Golfe. Le 17 juillet, Saddam Hussein accuse
" certains " dirigeants du Golfe de nuire à l'Irak, en faisant baisser le prix de brut. Le lendemain,
élargissant ses griefs dans un message à la Ligue arabe, il ajoute que le Koweït " vole " depuis
1980 le pétrole irakien en pompant dans la nappe de Roumaila, et lui réclame en conséquence le
remboursement de 2,4 milliards de dollars. Le 27, l'OPEP porte le prix de référence du baril à 21
dollars et plafonne sa production pour rendre ce cours effectif ; et le 31, à Djedda, les Koweïtiens
proposent de prêter 9 milliards de dollars à l'Irak, les Saoudiens ajoutant 1 milliard pour arriver
aux 10 milliards exigés par Bagdad. Gestes inutiles : le nombre de soldats irakiens massés aux
frontières de l'émirat est passé de 30 000 le 23 juillet à 100 000 le 31... L'invasion du Koweït
s'inscrit - au-delà de l'escalade de juillet 1990 - dans la stratégie même du régime baasiste,
confronté à la faillite consécutive à sa guerre contre l'Iran. Le pays sort en effet littéralement
épuisé de ces huit années de conflit. De minimes " prises de guerre " - quelques centaines de
kilomètres carrés occupés et quelques dizaines de milliers de prisonniers - lui ont coûté des
centaines de milliers de vies, des destructions estimées à 70 milliards de dollars, sans oublier la
dette extérieure record de 80 milliards de dollars. D'où, face à un mécontentement populaire
grandissant, le coup de poker koweïtien de Saddam Hussein. Le dirigeant irakien poursuit trois
objectifs : - financier : il s'agit de réaliser une sorte de hold-up sur la " banque du Moyen-Orient
" que représente le Koweït, avec ses 122 milliards de capitaux investis en Occident qui lui ont
rapporté en 1989... 9 milliards de dollars d'intérêts - plus que les revenus du pétrole ! C'était
évidemment compter sans le gel occidental, qui ne laissera aux envahisseurs que le contenu des
coffres koweïtiens eux-mêmes ; - pétrolier : ajouter les richesses koweïtiennes aux siennes, c'est,
pour l'Irak, se placer à la tête de 19 % des réserves mondiales, donc en position - outre les
copieux bénéfices à encaisser - de peser avec force sur la politique de l'OPEP. Là encore, c'était
compter sans l'embargo occidental et le remplacement de la production irakienne et koweïtienne
par celle d'autres membres de l'OPEP, Arabie Saoudite en tête ; - stratégique : par-delà la
conjoncture, on retrouve la vieille revendication d'un plus large accès au Golfe, avec notamment
les îles de Warba et de Boubiane dont le contrôle permettrait à l'Irak de créer un véritable port de
mer et d'exploiter le Chatt al Bassora, alternative au Chatt al Arab rendu inutilisable par les
combats avec l'Iran. Voilà peut-être ce qu'a en tête April Glaspie, l'ambassadeur américain à
Bagdad, lorsque, plus tard, elle déclare au New York Times : " Je ne pensais pas, et personne ne
pensait, que les Irakiens prendraient TOUT le Koweït. " Ces trois objectifs, le numéro un irakien
les inscrit évidemment dans l'ambition plus vaste qu'on lui connaît de longue date : conquérir le
leadership sur un monde arabe divisé, face à une Égypte qu'il juge discréditée par la paix signée
avec Israël et au frère-ennemi syrien qu'il estime embourbé au Liban. En se lançant dans
l'aventure, il commet toutefois la même erreur, grossière, qu'en 1980 : il sous-estime l'adversaire.
Sans doute n'a-t-il pas compris la portée de la nouvelle politique moyen-orientale de l'URSS et
cru - à tort - que les Soviétiques l'aideraient. Peut-être mise-t-il sur une neutralité bienveillante
des États-Unis qui, il est vrai, ne lui ont pas ménagé leur soutien depuis 1982 ; April Glaspie lui
répétera encore le 25 juillet 1990 : " Nous n'avons pas d'opinion sur les conflits interarabes,
comme votre différend frontalier avec le Koweït. " Feu vert, croit Saddam Hussein. Quand il
comprend son erreur, il est trop tard : l'invasion du Koweït sert trop la stratégie des États-Unis
pour qu'ils laissent passer l'occasion. Car le leadership que les États-Unis entendent réaffirmer
est, lui, mondial. Si la grande tendance des années 90, c'est l'écroulement du communisme, une
autre se confirme : le déclin relatif de l'Amérique face à la montée en puissance du Japon et de
l'Europe. Or, le golfe Arabo-Persique constitue un lieu idéal pour manifester et renforcer la
prédominance américaine. Enjeu énergétique : 65 % des réserves de pétrole de la planète se
trouvent concentrées dans le Golfe, qui sera de surcroît la seule grande zone de production dans
vingt à trente ans, alors même que les hydrocarbures demeureront, selon la plupart des experts, la
première source d'énergie. Enjeu économique : le marché arabe offre d'immenses débouchés à
l'économie américaine, de même que les pétrodollars lui apportent de volumineux ballons
d'oxygène. Enjeu politico-militaire : les États-Unis ont toujours rêvé de rassembler dans un
consensus stratégique les régimes arabes modérés et - si possible - Israël dans une sorte d'OTAN
du Moyen-Orient, laquelle a des chances de prendre enfin corps en réaction à l'agression
irakienne, au nom du droit international et avec la bénédiction de l'ONU. Ce sont là des atouts
appréciables pour une Amérique qui entend se muscler face à ses partenaires concurrents
occidentaux. Dans le choc des stratégies américaine et irakienne, à la fois ennemies et d'une
certaine manière complices, se met en place un engrenage irréversible. D'autant que les forces
susceptibles de s'interposer ne peuvent ou ne veulent le faire. La crise économique et sociale
accroît la dépendance de l'URSS à l'égard de l'aide occidentale, au point d'interdire au Kremlin
toute opposition franche à la politique américaine : de fait, malgré ses débats internes et ses
réserves, Moscou s'en tiendra toujours à l'accord conclu par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev
à Helsinki le 9 septembre 1990, tout en faisant le maximum pour ramener Saddam Hussein à la
raison et lui éviter le pire. Pour Pékin, l'occasion est trop belle de faire oublier la répression de
Tien Anmen et reprendre ses relations avec l'Occident : le ministre chinois des Affaires
étrangères se réfugiera donc dans l'abstention pour ne pas bloquer, ni même gêner, l'opération des
États-Unis. Quant à l'Europe, pourtant concernée au premier chef en tant que voisin immédiat du
monde arabe, elle va faire - une nouvelle fois - la preuve de son inexistence dès lors que la
politique américaine est en cause : tiraillée entre une Grande-Bretagne jusqu'au-boutiste et une
Allemagne repliée sur son unification, elle se montrera incapable de définir une politique
commune et d'animer la médiation nécessaire. Et ce n'est pas la France qui contribuera à
l'arracher à cette impasse, étant elle-même prise en étau entre sa volonté de ménager une issue
pacifique et sa détermi- nation à se comporter en allié fidèle de l'Amérique : de quel poids
peuvent peser les initiatives de paix d'un pays dont les soldats se trouvent d'ores et déjà sur le
terrain ? Ainsi, très vite, se mettent en place les conditions de l'escalade, George Bush comme
Saddam Hussein - du moins jusqu'à ce qu'il se découvre perdu - n'envisageant pas la moindre
concession pouvant, aux yeux de l'opinion, passer pour une capitulation, incompatible donc avec
le leadership auquel ils aspirent. Quatre phases vont alors se succéder : la réaction, la
mobilisation, l'hésitation et enfin la guerre. S'ils ont été surpris par les événements, les
Américains réagissent rapidement. À New York, ils organisent, avec leurs alliés, la protestation
de l'ONU contre l'invasion de l'émirat : le Conseil de sécurité adopte dès le 2 août, par 14 voix et
une abstention (celle du Yémen), la résolution 660, qui exige " le retrait immédiat et
inconditionnel de toutes les forces irakiennes. " Sur les places financières internationales, les
États-Unis, suivis par la Grande-Bretagne et la France, gèlent immédiatement les avoirs irakiens
et koweïtiens. À Moscou, James Baker se rend dès le 3 août pour conforter le consensus
américano-soviétique, déjà manifeste lors du vote de l'ONU. Au Caire, les diplomates américains
chargés de rassembler le plus largement possible la région contre l'agression enregistrent un
premier succès : le 3 août également, le conseil ministériel de la Ligue arabe déclare " refuser les
effets de cette invasion et ne pas reconnaître ses conséquences, et lance un appel à l'Irak pour le
retrait inconditionnel et immédiat de ses troupes " - à la majorité : l'OLP, la Jordanie, le Yémen
et le Soudan votent contre, la Mauritanie s'abstient, la Libye étant absente et l'Irak exclu du vote.
Parallèlement, s'effectue la mobilisation militaire. Le 8 août, alors qu'à Bagdad Saddam Hussein
annonce l'annexion du Koweït, George Bush rend publique la décision, prise dès le dimanche 5,
d'envoyer dans la région des dizaines de milliers de soldats américains, appuyés par des avions de
combat et des blindés. En Arabie Saoudite, l'opération " Bouclier du Désert " commence. La
crise, déclare James Baker le 4 septembre, constitue un " test politique pour le fonctionnement du
monde dans l'après-guerre froide. L'Amérique doit diriger et notre peuple doit le comprendre. "
Aux surenchères de Saddam Hussein (appel au djihad, prise en otage d'Occidentaux,
proclamation du Koweït dix-neuvième province de l'Irak, attaques contre les ambassades dans
l'émirat, etc.) va donc répondre la construction minutieuse de la machine de guerre, politique et
militaire, imaginée par la Maison Blanche. Du côté de l'ONU, la diplomatie américaine orchestre
un crescendo de résolutions du Conseil de sécurité : boycottage (6 août), illégalité de l'annexion
(9 août), libération des otages (18 août), blocus maritime (25 août), conditions de la fourniture de
produits alimentaires et médicaux à l'Irak (14 septembre), protection des diplomates au Koweït
(16 septembre), aide aux pays de la région victimes de la crise (24 septembre), embargo aérien
(25 septembre), otages et ambassades (29 octobre), protection de l'état civil koweïtien (29
novembre) et enfin recours à la force (29 novembre). Du côté soviétique, le sommet Bush-
Gorbatchev du 9 septembre, à Helsinki, définit un cadre commun durable, malgré les nuances.
Du côté occidental, Washington obtiendra une participation significative, non seulement au
contrôle de l'embargo, mais au déploiement sur le terrain : la Grande-Bretagne s'y décide la
première, suivie du Canada, de la France (le 15 septembre, après l'attaque de l'ambassade à
Koweït-City) et de l'Italie. Il en ira de même du côté arabe, à partir de la décision d'envoyer une
force panarabe en Arabie Saoudite prise, le 10 août, par douze des vingt chefs d'État - l'Irak, la
Libye et l'OLP étaient contre, l'Algérie et le Yémen s'abstenaient, la Jordanie, le Soudan et la
Mauritanie exprimaient des réserves, la Tunisie était absente. La vaste coalition ainsi nouée se
traduira, en Arabie, par la formation d'une puissante armée multinationale : lorsque la guerre
éclatera, l'Irak sera confronté à plus de 700 000 hommes de 26 pays (dont 515 000 Américains).
Enfin, les dirigeants de Washington s'assurent du financement du " Bouclier du Désert " par leurs
alliés occidentaux et arabes : plus de 40 milliards de dollars obtenus à la date du 15 janvier. La
troisième phase, celle de l'apparente hésitation, commence après l'adoption par le Conseil de
sécurité, le 29 novembre 1990, de la résolution 678 : prise à l'unanimité moins deux voix contre
(celles du Yémen et de Cuba) et une abstention (la Chine), elle autorise les " États membres
coopérant avec le gouvernement koweïtien (...) à user de tous les moyens nécessaires pour
contraindre l'Irak à se retirer du Koweït s'il ne l'a pas fait avant le 15 janvier 1991. " Muni de
cette force de frappe, George Bush, autant pour rassurer son opinion que pour achever la mise en
place de son dispositif militaire, fait mine d'appeler Bagdad au " dialogue ". Le 6 décembre,
Saddam Hussein fait un geste : il annonce que tous les otages seront de retour chez eux avant
Noël - une bonne partie d'entre eux avaient été libérés au fil des semaines et... des visiteurs à
Bagdad. Malgré les professions d'intransigeance de chaque côté, les optimistes justifient leur état
d'esprit par l'ultime suggestion de George Bush, le 3 janvier : une rencontre James Baker-Tarek
Aziz à Genève, que Bagdad accepte le lendemain. Avec le face-à-face des deux ministres des
Affaires étrangères, le 9 janvier, c'est la douche froide : l'écart entre les positions reste total. Dès
lors, rien n'empêchera le passage de la crise à la guerre du Golfe. Vingt-quatre heures après
l'expiration de l'ultimatum de l'ONU, les armes parlent. En deux temps. Du 17 janvier au 23
février, il s'agit essentiellement de bombardements massifs sur l'ensemble du potentiel militaire,
mais également économique, de l'Irak ainsi que sur ses troupes stationnées au Koweït,
notamment la Garde présidentielle (au total plus de 100 000 sorties aériennes alliées). L'armée de
Saddam riposte en multipliant les tirs de Scud contre Israël, l'Arabie Saoudite ainsi que Bahreïn,
et en mettant le feu aux puits de pétrole koweïtiens. L'épée de Damoclès tombera malgré
l'acceptation par l'Irak, le 23, d'un plan soviétique prévoyant un retrait irakien en 21 jours à
compter du cessez-le-feu : dans la nuit du 23 au 24 février, les forces coalisées pénètrent en Irak
et au Koweït, après avoir enterré vivants - on l'apprendra six mois plus tard - les soldats irakiens
des premières lignes. La résistance s'avère si faible qu'en trois jours, les coalisés occupent
l'ensemble de l'émirat et parviennent jusqu'à Bassora : le 26, Saddam Hussein annonce à la radio
le retrait des troupes irakiennes et, le 27, Tarek Aziz annonce aux Nations unies qu'il accepte
sans condition les douze résolutions du Conseil de sécurité. Les derniers combats s'achèvent dans
la nuit du 27 au 28 et, le 2 mars, le Conseil de sécurité - dans sa résolution 686, adoptée par onze
voix contre une (Cuba) et trois abstentions (Chine, Inde, Yémen), et aussitôt acceptée par l'Irak -
fixe les conditions du cessez-le-feu provisoire. Il faudra attendre le 27 mars pour que Bagdad
donne son accord au cessez-le-feu définitif défini par la résolution 687, dans laquelle le Conseil
de sécurité pose ses conditions à Bagdad : reconnaissance du Koweït dans ses frontières de 1963,
paiement de dommages de guerre aux États et aux particuliers, destruction de ses armes
chimiques et biologiques, maintien de l'embargo sur les ventes d'armes... Entre-temps, la Garde
présidentielle, que les Occidentaux ont laissé rentrer du Koweït, écrase le peuple irakien, soulevé
au sud comme au nord à l'annonce de la défaite du régime. Les armées occidentales, après avoir
assisté, l'arme au pied, au massacre des révoltés chiites - sous prétexte d'éviter une révolution
islamique -, interviendront finalement pour permettre le retour des réfugiés kurdes. De quoi
sonner le glas des illusions de nombre de ceux qui avaient cru à la " croisade du droit " et au "
nouvel ordre mondial ". La dictature de Saddam Hussein a survécu. Pire : elle a pu à nouveau
asseoir son pouvoir dans le sang kurde et chiite. Bafoués dans le Golfe, où survivent des régimes
d'un autre âge, les principes officiellement fondateurs de l'intervention des coalisés, à commencer
par l'autodétermination, restent également piétinés dans le reste du Moyen-Orient : Palestiniens,
Libanais, Kurdes et Arméniens peuvent en témoigner. La principale victime de la guerre, c'est
bien sûr l'Irak. " Tempête du Désert " a coûté cher à son peuple. Aux dizaines et dizaines de
milliers de victimes - entre 50 000 et 150 000 selon les évaluations, contre 466 dans les rangs des
coalisés - s'ajoute la destruction de l'essentiel de ses infrastructures, conformément aux menaces
proférées par James Baker devant Tarek Aziz : " Nos forces feront en sorte que l'Irak soit rejeté
dans l'ère préindustrielle "... Cinq ans plus tard, le maintien de l'embargo comme du blocus, du
fait de l'intransigeance américaine, empêche évidemment tout réel effort de reconstruction - seule
la vente de 1,2 million de barils de pétrole par jour (soit la moitié de la production d'avant la
guerre) a été autorisée par l'ONU, depuis le 20 mai 1996, pour des raisons humanitaires. La
guerre du Golfe n'a finalement servi que les États-Unis. Non seulement ils ont resserré leur
contrôle sur les richesses du sous-sol de la région, accentué leur mainmise politique sur les
régimes arabes, mais, estimant qu'il n'est pas de petit profit, ils ont profité de leur " triomphe "
pour évincer leurs concurrents occidentaux de bien des marchés de la région : militaires, grâce à
la formidable démonstration effectuée par les Cruise, Tomhawks et autres Patriot (dont
l'efficacité semble, tout compte fait, des plus limitées) ; mais aussi civils, avec les fabuleux
contrats de la " reconstruction ". Les alliés locaux de Washington bénéficieront en revanche des
miettes du gâteau : leur participation à la coalition vaudra à l'Égypte de Hosni Moubarak
l'effacement de sa dette militaire (6,7 milliards de dollars) et l'allongement de sa dette civile ; à la
Syrie de Hafez Al Assad le feu vert pour sa normalisation du Liban ; à la Turquie, avec la
réaffirmation de son rôle de pilier de l'OTAN, un coup de pouce pour ses ambitions, moyen-
orientales comme européennes. Quant à l'Iran, il gagnera sur les deux tableaux : après avoir
obtenu à Bagdad la libération de son territoire occupé et de ses prisonniers ainsi que le retour aux
accords d'Alger de 1975, il se fera reconnaître par Washington comme un partenaire respectable -
pour un temps... Un an, jour pour jour, après l'invasion du Koweït, Itzhak Shamir acceptait
qu'Israël participe à la conférence de paix annoncée par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev. Il
n'en fallait pas plus pour que certains commentateurs saluent, dans cette nouvelle, la preuve a
posteriori du caractère positif de la guerre du Golfe. Mais si le plan Baker de 1989 n'avait pas été
enterré par le gouvernement Shamir, les conditions du déclenchement de la guerre du Golfe
n'auraient pas été créées, en premier lieu la mobilisation arabe en faveur de Saddam Hussein. La
négociation n'aurait-elle pas alors avancé plus vite et mieux, sans qu'il ait fallu, pour y parvenir,
des dizaines et des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliards de dollars de
destructions ?
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GUERRE CIVILE LIBANAISE


La seconde guerre civile (sur la première, en 1958, voir le mot Liban) débute le 13 avril
1975. Ce jour-là, un autobus, qui ramène des Palestiniens et des Libanais du camp de Sabra,
traverse la zone de Aïn al Remmaneh contrôlée par les phalangistes. Soudain, un feu nourri :
vingt-sept passagers sont tués. Représailles, contre-représailles, les combats s'étendent à tout le
pays. Mais personne n'imagine, à l'époque, qu'ils ne prendront fin que quinze ans plus tard, même
si, " officiellement ", la guerre s'arrête en septembre 1976. La guerre naît de la conjonction de
trois facteurs. Une crise économique et sociale qui se traduit par de nombreux mouvements
revendicatifs (une remise en cause du confessionnalisme et une poussée des organisations de
gauche). L'affirmation du fait palestinien au Liban : après 1967, l'OLP a pris le contrôle des
camps de réfugiés ; depuis 1971, et son départ de Jordanie, la Résistance palestinienne a fait du
Liban un sanctuaire. Troisième élément enfin : malgré sa " neutralité ", en juin 1967, le pays du
Cèdre est entraîné dans le conflit israélo-arabe ; les raids de l'armée israélienne dans le sud font
même du Liban un pays de la ligne de front. Deux coalitions, bien peu homogènes, s'affrontent
durant la " phase active " de la guerre, qui durera près de dix-huit mois : le Front libanais et le
Mouvement national (MNL). Entre elles oscille une pléiade de forces et de personnalités, parfois
neutres, parfois engagées. Le Front libanais, qui verra formellement le jour seulement neuf mois
après le début des hostilités, compte quatre composantes, à large dominante maronite. Le clan du
président de la République, Soliman Frangié, dont le fief est Zghorta au nord. Celui de l'ex-
président Camille Chamoun, qui dispose de 3 500 miliciens, les " Tigres ". La conférence des
ordres monastiques dirigée par le père Kassis. Et enfin, le parti des Phalanges de Pierre Gemayel,
dont les 15 000 hommes forment l'épine dorsale de la coalition de droite. Le MNL regroupe une
quinzaine de partis, allant du centre à l'extrême gauche. Multiconfessionnel, il dispose d'une
certaine assise chez les chrétiens, en particulier les Grecs orthodoxes. Son dirigeant incontesté est
Kamal Joumblatt dont le parti, le PSP, et les 3 000 miliciens constituent la force centrale du
MNL. Parmi les autres composantes, le Parti communiste, le Parti national social syrien, le Baas,
les Mourabitoun - un mouvement nassérien à base sunnite... Les objectifs respectifs des deux
coalitions, dans la mesure où on peut les rationaliser, peuvent se définir ainsi : d'un côté, chasser
les Palestiniens et maintenir l'hégémonie de la bourgeoisie maronite sur l'État ; de l'autre, s'allier
avec l'OLP et laïciser l'État. Entre ces deux familles, beaucoup hésitent : les chefs traditionnels
musulmans sunnites qui se contenteraient d'une redistribution des pouvoirs ; certains dirigeants
maronites, comme Raymond Eddé, ou des partis représentant d'autres confessions chrétiennes
(Arméniens, Grecs orthodoxes...). Enfin, un sort à part doit être réservé aux chiites du "
Mouvement des déshérités ", futur Amal, qui se battra aux côtés du MNL jusqu'à l'intervention
syrienne de l'été 1976. La première phase de la guerre, jusqu'en janvier 1976, est " équilibrée ",
avec un certain avantage au Front libanais. L'OLP - à l'exception des organisations du Front du
refus - évite de s'engager. Mais, au début de la nouvelle année, les forces maronites lancent une
grande offensive contre les camps palestiniens. L'OLP n'a plus le choix. Elle jette tout son poids
dans une balance qui penche désormais en faveur du MNL. C'est alors que Damas intervient,
d'abord politiquement puis militairement, contre ses alliés progressistes de la veille. Les
dirigeants syriens qui, à l'époque, négocient avec le Dr Henry Kissinger, espèrent parvenir à un
compromis avec Washington et récupérer ainsi le Golan. Ils redoutent l'instauration d'un régime "
révolutionnaire " au Liban, zone de sécurité de la Syrie. Enfin, ils rêvent, pour les mêmes raisons
et pour des considérations économiques, de renforcer leur hégémonie sur le pays du Cèdre. Le ler
juin 1976, les troupes syriennes entrent massivement au Liban et écrasent, avec l'aide des
phalangistes, l'OLP et le MNL. Un mini-sommet arabe, convoqué par l'Arabie Saoudite à Riyad
en octobre, impose une trêve à tous les belligérants. La guerre civile est, officiellement s'entend,
terminée. Elle laisse un pays exsangue : 30 000 tués, deux fois plus de blessés, 600 000
réfugiés... Le potentiel économique est durement touché. Mais le Liban n'est pas seulement plus
gravement éprouvé qu'en 1958. Les séquelles de la guerre minent littéralement le pays. L'armée
n'a pas résisté et a éclaté en fractions rivales ; aucun des présidents successifs n'arrivera à en
forger une nouvelle bénéficiant d'un consensus. Le confessionnalisme sort renforcé de la guerre,
de ses horreurs, de ses massacres. Ce mouvement s'accélère même après 1982. Chacune des
communautés tend à s'autoprotéger et se regroupe bon gré mal gré dans les zones homogènes.
Enfin, troisième séquelle, la continuation de la guerre dans le Sud avec une ingérence israélienne
de plus en plus ouverte. Ce n'est qu'avec les accords de Taëf de 1989 que le processus
d'éclatement sera enrayé.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GUERRE DE 1948-1949
Premier conflit israélo-arabe, déclenché au lendemain de la déclaration d'indépendance de
l'État juif, le 14 mai 1948. Le 15 mai, au matin, les armées de Transjordanie, d'Égypte et de
Syrie, aidées de contingents libanais et irakiens, entrent en Palestine. Les affrontements, en fait,
ont débuté fin 1947 : au lendemain de l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies, le
29 novembre, du plan de partage de la Palestine, c'est une véritable guerre qui s'engage entre
Palestiniens et Juifs. Du côté palestinien, on refuse le partage et donc la création d'un État juif.
Du côté juif, si l'on accepte la décision de l'ONU, on espère cependant l'" améliorer " au profit
d'Israël qui pourrait occuper tout ou partie de l'État arabe, le reste revenant à la Transjordanie.
C'est également l'objectif de Londres, qui mise sur le roi Abdallah pour maintenir sa propre
influence sur la région - Londres a donc donné son feu vert à l'accord négocié sur cette base par
Golda Meir avec lui. Jusqu'en mars 1948, les combats tournent plutôt à l'avantage des
Palestiniens et de leurs renforts de l'Armée arabe du secours : ils interrompent les voies de
communication, encerclent des colonies juives et isolent de grandes villes, dont Jérusalem. Mais,
fin mars, alors que l'on compte déjà 2 000 morts, les forces juives, ravitaillées notamment par la
Tchécoslovaquie, reprennent l'offensive. De véritables massacres se produisent, dont le plus
célèbre ensanglante le petit village de Deir Yassine, où les hommes de Menahem Begin
assassinent, le 9 avril 1948, 250 habitants, créant du même coup une panique qui gagna toute la
communauté arabe de Palestine. La Haganah, l'organisation armée juive de l'époque, dégage la
route de Jérusalem, et s'empare de Tibériade, Haïfa, Safed. Jaffa tombe le 12 mai, deux jours
avant la proclamation de l'indépendance d'Israël. LA RÉPARTITION DES RÉFUGIÉS
PALESTINIENS DE 1948-1949 Carte : LA GUERRE DE 1948-1949 L'entrée en guerre des
armées arabes manque de faire basculer le cours des combats. S'il se poursuit, entrecoupé de
trêves, jusqu'au 6 janvier 1949, le choc tourne dès juillet à l'avantage d'Israël. Devenues " Forces
de défense d'Israël " (Tsahal), les troupes juives bénéficient enfin d'un commandement unique,
d'effectifs doublés grâce à une mobilisation exceptionnelle, et surtout d'armes lourdes en
provenance notamment, grâce à un pont aérien, de la base tchèque de Zatec. C'est dire que
l'URSS, favorable au plan de partage, et qui a reconnu Israël dès le 17 mai 1948, contribue à sa
première grande victoire militaire. Seule compte alors, pour Moscou, l'éviction de la Grande-
Bretagne de toute la région. Le calcul soviétique ne manque pas de finesse. Vaincu, humilié par
cette défaite, le monde arabe est profondément déstabilisé. Et Londres fera d'autant plus les frais
de cette crise que l'opinion sait à quoi s'en tenir : " Les Anglais nous encouragent à la guerre ", a
avoué le Premier ministre égyptien, Nokrachi Pacha. La publication, depuis, d'archives
britanniques a même permis d'apprendre l'existence, en février 1948, d'une réunion au cours de
laquelle le ministre des Affaires étrangères britannique, Ernest Bevin, décida avec le Premier
ministre jordanien d'utiliser la Légion arabe en vue d'assurer le contrôle hachémite sur la région
assignée par l'ONU à l'État arabe. Avec la limitation du territoire de l'État juif et la mainmise
britannique sur le Néguev, c'était l'objectif essentiel de Londres. De fait, la Grande-Bretagne
paiera cher la Nekba (catastrophe, en arabe). En Égypte, son homme, Nokrachi Pacha, est
assassiné en décembre 1948 : le Wafd revient aux affaires en 1950, puis, le 23 juillet 1952, c'est
la prise de pouvoir des " Officiers libres ". En Irak également, les troubles se multiplient. La
Syrie connaît coup d'État après coup d'État. Même la Transjordanie, qui a réussi à annexer la
Cisjordanie pour former le " royaume de Jordanie ", n'est pas épargnée : Abdallah, le fils du
chérif Hussein et le grand-père de l'actuel roi Hussein, est assassiné, en 1951, dans la mosquée Al
Aqsa de Jérusalem... Mais, si les Britanniques pâtissent des résultats de la guerre, les premières
victimes en sont les Palestiniens. Les accords d'armistice signés par Israël et ses différents
adversaires, du 23 février au 20 juillet 1949, entérinent l'agrandissement d'un tiers de l'État juif
tel que le plan de partage en avait défini les frontières. Il passe de 14 000 à près de 21 000
kilomètres carrés, obtenant notamment toute la Galilée, un couloir vers Jérusalem et le Néguev,
jusqu'au port d'Eilat sur la mer Rouge. L'État arabe, lui, n'a pas vu le jour, Israël et la
Transjordanie s'étant partagé la Cisjordanie, tandis que Gaza tombait sous la tutelle de l'Égypte.
Mais surtout, 750 000 à 800 000 Palestiniens ont dû quitter leurs foyers. Comme le montrent les
travaux de jeunes historiens israéliens (voir Expulsion ), cet exode, loin d'avoir été déclenché par
des appels arabes à la fuite - il n'en existe nulle trace -, résulta des combats eux-mêmes, au fil
desquels s'affirma, du côté israélien, une politique d'expulsion de la population palestinienne.
Cette détermination se prolongera, à la fin de la guerre, par la destruction des villages arabes, ou
l'implantation en leur sein de nouveaux immigrants juifs, ou bien encore la répartition de leurs
terres entre les kibboutzim environnants. La loi sur les " propriétés abandonnées " officialisera ce
dispositif. Quant aux réfugiés, les Nations unies, en avril 1950, en recenseront près d'un million
en Jordanie, à Gaza, au Liban et en Syrie. L'ONU a certes proclamé, par sa résolution 194, en
décembre 1948, leur " droit au retour ", que les dirigeants israéliens n'entendent pourtant pas
respecter : " Nous devons empêcher à tout prix leur retour ", déclarait David Ben Gourion, le
Premier ministre, le 16 juin 1948. Malgré tout, il ratifie, le 12 mai 1949, le protocole intérimaire
de la Conférence de Lausanne faisant des résolutions de l'ONU de 1947 et 1948 les bases de la
négociation d'un règlement global. Mais celle-ci ne commencera même pas... Israël déjà en
expansion, ses voisins arabes secoués, les Palestiniens condamnés à l'occupation ou à l'exil : le
premier conflit israélo-arabe a créé toutes les conditions des suivants. Là se trouve l'origine du
drame qui, depuis, ensanglante le Proche-Orient.
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GUERRE DE 1956
Second conflit israélo-arabe, l'opération de Suez est marquée par la participation de la
Grande-Bretagne et de la France, aux côtés d'Israël, à l'assaut contre l'Égypte. Les ingérences
étrangères, qui s'enracinent dans l'évolution des alliances des belligérants de 1948-1949, auront
des conséquences durables. L'URSS et les démocraties populaires, notamment la
Tchécoslovaquie, avaient largement contribué à la naissance de l'État juif et à sa victoire lors du
premier conflit qui l'avait opposé à ses voisins. Un temps, Israël maintiendra avec elles de bonnes
relations, dans le cadre d'une politique de non-alignement, relations qui cependant se dégraderont
du fait des deux parties (voir Russie). Ainsi cet équilibre entre Est et Ouest dans la politique
israélienne sera rapidement rompu au profit d'un rapprochement de plus en plus net avec les
Occidentaux. Du soutien aux États-Unis dans l'affaire coréenne (1950) à la mise à disposition de
leur armée des ports et aéroports (1951), puis des bases militaires (1955) d'Israël, l'escalade est
telle que l'État juif apparaît, aux yeux des Arabes, comme un jouet des Occidentaux, et ceux-ci
comme une " couverture " de l'intransigeance israélienne. Car, en violation des décisions de
l'ONU, Israël a empêché tout retour des réfugiés, annexé la partie occidentale de Jérusalem pour
en faire sa capitale, et multiplié les représailles après les incidents de frontière, comme à Kibya,
en Jordanie, en 1953, et à Gaza en 1955. Par un mouvement inverse, essentiellement dû au
sentiment antibritannique renforcé par la " collusion " entre Israël et l'Occident, des dirigeants
arabes se sont rapprochés des pays communistes. Gamal Abdel Nasser, l'un des pères de ce que
l'on nommera le Mouvement des non-alignés, né justement en 1955 à Bandoeng, impulse une "
politique neutraliste ", qui inquiète aussi bien Washington que Londres et Jérusalem. Paris a, en
outre, un compte particulier à régler avec le Raïs, accusé de soutenir activement la " rébellion "
algérienne, dont les dirigeants sont les hôtes du Caire. Cette volonté de revanche s'ajoute à
l'inclination " naturelle " de la SFIO, au pouvoir, pour Israël, si bien que le gouvernement
français, comme celui de Sa Majesté, rêve de rééditer contre Nasser l'opération réussie en 1953
en Iran par les Américains contre le Dr Mossadegh. Une série d'actes feront ainsi monter la
tension de plus en plus haut. Février 1955 : les troupes israéliennes attaquent Gaza en " riposte "
à des attentats. Septembre : les Occidentaux les lui refusant, l'Égypte annonce qu'elle se fournira
en armes en Tchécoslovaquie. Octobre : la Syrie puis l'Arabie Saoudite signent un pacte militaire
avec Le Caire, les forces des trois nations étant unifiées sous le commandement du chef de
l'armée égyptienne, Abdel Hakim Amer. Avril 1956 : le Yémen se joint au dispositif. Juillet 1956
: Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez - c'est la première fois qu'un pays du tiers
monde récupère avec succès une de ses richesses naturelles - tandis que Paris et Londres mettent
sur pied un état-major commun d'intervention. Octobre, enfin, est le mois décisif : le 23,
Britanniques et Français préparent secrètement, à Sèvres, l'intervention contre l'Égypte, après
avoir ravitaillé Israël en armes perfectionnées ; le 24, la nouvelle assemblée jordanienne se joint
au pacte égypto-syro-saoudo-yéménite ; le 29, c'est la guerre. L'opération est baptisée " Kadech
", un nom qui rappelle les " aventures " de Moïse et des Juifs dans le Sinaï... En six jours - déjà !
-, l'armée israélienne occupe le Sinaï, après avoir capturé 5 000 soldats et 100 chars T34
égyptiens. Le 31, Londres et Paris bombardent des objectifs égyptiens, Le Caire ayant repoussé
leur ultimatum exigeant un retrait de la zone du canal. Cinq jours plus tard, malgré un cessez-le-
feu décrété par l'ONU le 1er novembre, les soldats français et britanniques débarquent à Port-Saïd
et Ismaïlia. Ils n'en partiront que le 22 décembre, sous la pression conjointe des États-Unis et de
l'Union soviétique, qui contraindra également Israël à quitter le Sinaï et Gaza... le 14 mars 1957.
L'opération s'avère donc un fiasco. Israël, certes, a obtenu, à défaut de nouvelles conquêtes, la
présence d'observateurs des Nations unies à Gaza et à Charm al Cheik - donc la liberté de
navigation dans le golfe d'Akaba et vers le port d'Eilat. Mais, pour la Grande-Bretagne et la
France, c'est bien pire : le canal est bloqué, le ravitaillement pétrolier gêné, et surtout les
positions des deux pays dans la région irrémédiablement compromises. À l'exception du Liban,
tous les chefs d'État arabes rompent avec Paris ; et l'insurrection algérienne est enhardie par
l'échec du débarquement de Suez, censé la couper de ses " bases " indispensables. Quant à la
Grande-Bretagne, ses traités avec l'Égypte et la Jordanie sont abrogés. L'heure des États-Unis -
qui ont eu l'intelligence de s'opposer à l'aventure franco-britannique tout en ayant condamné la
nationalisation du canal de Suez - est arrivée... Ainsi, le second conflit israélo-arabe aura-t-il
fait, comme le premier d'ailleurs, boomerang. En 1948, en poussant les armées arabes à la guerre
Londres espérait à la fois mettre en échec les dirigeants du jeune État juif et, du coup, regagner
ses positions perdues en Palestine et dans la région : c'est le contraire qui survint. De même en
1956 : l'intervention, conçue pour juguler la poussée nationaliste et rétablir l'ordre franco-
britannique, sonnait le glas des vieilles puissances coloniales et accélérait la relève américaine,
sans pour autant casser la dynamique nassérienne. La Syrie renforce son alliance avec Moscou,
bientôt suivie par l'Irak où une révolution, le 14 juillet 1958, coupe le cordon ombilical avec
Londres. Liban et Jordanie n'échappent à cette évolution que grâce à un débarquement de
marines américains (à Beyrouth) et anglais (à Amman)...
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GUERRE DE 1967
Dite des " Six Jours ", durée des opérations militaires proprement dites, c'est la troisième
entre Israël et ses voisins. Si elle se solde également par une écrasante victoire de l'armée
israélienne, elle entraîne en outre une profonde modification des frontières : avec l'occupation de
Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de Gaza, du Golan et du Sinaï, l'État juif quadruple la superficie
de son territoire. Chacun des protagonistes a renvoyé sur les autres, à l'époque, la responsabilité
du déclenchement du conflit, les médias occidentaux - et notamment français - prenant alors fait
et cause pour Israël face aux Arabes, comme pour David face à Goliath. La guerre de 1967 fut
même présentée comme l'enchaînement d'une agression égyptienne et d'une foudroyante riposte
israélienne. Aujourd'hui cette thèse n'est plus guère défendue. Des responsables israéliens de
l'époque ont d'ailleurs, entre-temps, rectifié les versions de propagande données alors. Ainsi, le
général Itzhak Rabin, qui était chef d'état-major de l'armée de l'époque : " Je ne pense pas que
Nasser voulait la guerre. Les deux divisions qu'il envoya dans le Sinaï, le 14 mai, n'auraient pas
suffi pour lancer une offensive contre Israël. Il le savait et nous le savions. " De même, le général
Matityahou Peled : " La thèse selon laquelle le génocide était suspendu sur nos têtes en juin
1967, et qu'Israël combattait pour son existence physique, n'était qu'un bluff. " Les hostilités se
déclenchent, en revanche, au terme d'une réelle et inquiétante montée des tensions, où chacun
redoute les intentions de l'autre. Le climat est plutôt calme lorsqu'en 1963 Israël décide de
détourner unilatéralement les eaux du Jourdain. Riposte arabe, en janvier 1964 : le sommet du
Caire entreprend, lui aussi, de détourner deux ou trois affluents du Jourdain ; parallèlement, il
donne jour à l'Organisation de libération de la Palestine, qui se constituera effectivement en mai à
Jérusalem, sous la présidence d'Ahmed Choukeyri. Janvier 1965 : le Fath envoie ses premiers
commandos armés en Israël, via les lignes jordaniennes, mais avec l'aide syrienne. Israël réagit
par des raids de représailles, contre les chantiers arabes de détournement du Jourdain, et contre
les pays d'origine des infiltrations des hommes de Yasser Arafat. L'état-major prépare surtout -
selon l'Égypte et la Syrie qui s'en inquiètent publiquement en avril - une opération d'envergure
contre les pays arabes. L'inquiétude s'accroît le 15 mai 1967, avec le défilé militaire israélien à
Jérusalem, contraire aux armistices. Alors Le Caire place, le 17, ses troupes en état d'alerte et, le
18, réclame le retrait des observateurs des Nations unies de Charm Al Cheik et de Gaza, dont les
troupes égyptiennes prennent possession le 21. Le lendemain, le golfe d'Akaba est fermé aux
bateaux israéliens ou transportant des matériaux stratégiques pour Israël. À Jérusalem, où
Menahem Begin entre pour la première fois au gouvernement, on considère comme un casus
belli le ralliement au pacte militaire égypto-syrien de la Jordanie (le 31 mai) et de l'Irak (le 4
juin). L'" encerclement " ainsi parachevé entraîne, dès le lendemain, une attaque fulgurante : une
fois l'aviation arabe anéantie (en une matinée), les troupes israéliennes s'emparent, en six jours,
du Sinaï égyptien, de la Cisjordanie jordanienne et - au prix d'un refus, deux jours durant, du
cessez-le-feu décrété par l'ONU et accepté par les belligérants arabes - du plateau syrien du
Golan. Au bout de cinq mois de tractations, les Nations unies, avec la résolution 242 (voir
annexe) du Conseil de sécurité, affirment la nécessité d'un retrait d'Israël des territoires arabes
qu'il occupe, en échange de : la cessation de l'état de belligérance, la reconnaissance de tous les
États de la région, la libre navigation sur le canal de Suez et dans le golfe d'Akaba ainsi que la
création de zones démilitarisées. Écrasante, la victoire israélienne est, à bien des égards,
déstabilisatrice. Elle l'est d'abord pour le monde arabe : cette nouvelle Nekba (catastrophe), loin
d'alimenter le nationalisme comme après 1948, en précipite la crise. La vague avait certes
continué au début des années 60, avec notamment l'indépendance de l'Algérie, la révolution au
Yémen-Nord, la lutte armée à Aden et la coalition Baas-PC en Syrie - elle connaîtra encore
quelques développements significatifs : radicalisation en Irak, renversement de la monarchie en
Libye, retrait britannique et indépendance sur les pourtours de la péninsule Arabique. Mais la
tendance qui s'affirme, au lendemain des " Six Jours ", est au recul. Discrédités par leur faillite,
les régimes égyptien et syrien subissent également le contrecoup de leurs échecs intérieurs,
économiques et politiques. Une fois ses buts indépendantistes atteints, le mouvement national est
la proie d'intérêts contradictoires, qui s'expriment et s'affrontent en matière de réforme agraire, de
mesures sociales, de mode de développement, de démocratie, etc. L'infitah qui va se développer,
au Caire comme à Damas, témoigne de l'ascendant de la bourgeoisie bureaucratique, agraire et
commerçante, dont l'option sera l'ouverture vers l'Occident. Un symbole et une étape : la mort de
Gamal Abdel Nasser, terrassé le 28 septembre 1970 par une crise cardiaque, et remplacé par
Anouar Al Sadate. Mais la faveur du sort se retournera également contre Israël qui entre, en
1967, dans une période qualitativement nouvelle. Jusque-là, l'État juif se réclamait de la
légitimité internationale donnée par l'ONU à sa naissance, " oubliant " au passage l'extension de
son territoire à la faveur de la guerre de 1948 et l'exode contraint de centaines de milliers de
Palestiniens. Égyptiens (avec Gaza) et Jordaniens (avec la Cisjordanie) disposaient cependant, il
est vrai, de la possibilité de porter sur les fonts baptismaux un État arabe palestinien, avec
Jérusalem-Est pour capitale. L'argument, depuis le 10 juin 1967, s'est retourné : Israël est seul
maître de ces territoires, qu'il peut échanger contre la paix. Or, non seulement les dirigeants de
Jérusalem rejettent toute réalisation, sous quelque forme que ce soit, des droits nationaux
palestiniens, mais ils font de premiers pas en direction, sinon d'une annexion, du moins d'une
colonisation : " récupération " de la vieille Jérusalem, refus du retour des 250 000 nouveaux
réfugiés de la guerre, premières " implantations " juives, répression violente, etc. Si les
Palestiniens mesurent immédiatement les conséquences de ce choix, les Israéliens le feront plus
tard : l'occupation maintenue de la Cisjordanie et de Gaza, le blocage du problème palestinien, et
donc l'absence de paix sont à l'origine de la crise qui secoue la société israélienne. De l'inflation
un temps à trois chiffres au sort des Juifs orientaux, de la montée de l'extrême droite à
l'émigration d'Israéliens vers l'Europe ou l'Amérique, sans oublier l'éclatement des valeurs
sionistes traditionnelles, il est peu de phénomènes qui n'aient à voir avec la décision prise après
les " Six Jours ". " Il n'est pas vrai, déclare à l'époque le général Moshe Dayan, que les Arabes
détestent les Juifs pour des raisons personnelles, religieuses ou raciales. Ils nous considérent, et
à juste titre de leur point de vue, comme des Occidentaux, des étrangers, des envahisseurs qui se
sont emparés d'un pays arabe pour en faire un État juif... Dès lors que nous sommes obligés de
réaliser nos objectifs contre la volonté des Arabes, nous devons vivre dans un état de guerre
permanent " (cité par Éric Rouleau dans Les Palestiniens).
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GUERRE DE 1973
Dite d'Octobre, de Kippour ou de Ramadan, c'est le quatrième conflit entre Israël et ses
voisins. Sa spécificité tient à la percée, temporaire, que les troupes égyptiennes et syriennes
parvinrent à réaliser dans les lignes israéliennes. Bien que suivie d'un succès militaire hébreu,
cette provisoire " victoire " fut vécue, du côté arabe, comme la revanche des humiliations subies
en 1948, 1956 et 1967. " Il n'y a plus d'espoir d'un accord pacifique, notre décision est de
combattre ", annonce, en novembre 1971, Anouar Al Sadate, devenu président de l'Égypte
l'année précédente. Cette déclaration de guerre avant la lettre - que personne, alors, ne prend au
sérieux - témoigne du désarroi du Caire devant l'échec de ses tentatives diplomatiques. Israël, à
l'époque, occupe toujours l'ensemble des territoires conquis au cours de la guerre des Six Jours en
1967, en particulier le Sinaï. La résolution 242 (voir Résolutions des Nations unies) du Conseil
de sécurité de l'ONU, qui en préconisait la restitution aux pays arabes en échange de la paix, est
restée lettre morte. Le plan Rogers, présenté par les États-Unis pour faire face à la guerre d'usure
déclenchée par l'Égypte sur le canal de Suez, mais dans le but de mettre en oeuvre la 242, n'a
guère plus de succès : Tel Aviv suspend, en septembre 1970, les pourparlers entamés par le
médiateur Jarring deux mois auparavant. De même sera repoussé, en décembre, un plan de paix
dans lequel Sadate proposait d'échanger les Territoires occupés contre une reconnaissance
formelle d'Israël, et le retour des réfugiés palestiniens contre la liberté de navigation sur le canal
de Suez. L'État juif n'appréciera pas non plus le communiqué Nixon-Brejnev de mai 1972 qui
réaffirme l'" attachement " des États-Unis et de l'URSS (voir Russie) " à une solution pacifique
conforme à la résolution 242 "... Seuls les États-Unis, pense en effet le Raïs, sont en mesure
d'amener Israël à négocier. Mais seule une nouvelle guerre, ajoute-t-il, peut contraindre les
grandes puissances à faire usage de leurs moyens de pression sur l'État hébreu. Du même coup, il
pourra esquiver le mécontentement populaire qui gronde en Égypte, où le poids de la Défense
devient d'autant plus insupportable que rien ne se passe. Telles sont les raisons, extérieures et
intérieures, qui poussent Anouar Al Sadate à " une confrontation limitée " avec Israël : c'est dans
ce but, explicitement affiché, qu'il cumule, en mars 1973, sa fonction avec celle de Premier
ministre. Sept mois plus tard, le 6 octobre, jour de la fête juive de Kippour, et en plein mois de
Ramadan, les blindés égyptiens passent le canal, bousculent la ligne Bar Lev et s'enfoncent dans
le Sinaï, tandis que les soldats syriens avancent de 5 kilomètres sur le plateau du Golan. Il faudra
une semaine pour que les généraux israéliens se ressaisissent, et que leurs chars reprennent
l'initiative sur les deux fronts. Et cela d'autant plus facilement que Sadate a arrêté l'offensive de
ses hommes. Le général Ariel Sharon, outrepassant - déjà ! - les ordres, repasse le canal et file
vers Suez. Le 17, double événement : dans le Sinaï une des plus grandes batailles de chars de
l'histoire, et à Koweït la décision de l'embargo qui " déclare " la guerre du pétrole. Le 22, la
résolution 338 du Conseil de sécurité des Nations unies est acceptée par l'Égypte et par Israël...
qui, cependant, poursuit sa contre-offensive sur le terrain. Menace soviétique d'envoyer des
troupes, " alerte nucléaire de troisième degré " des forces américaines : c'est dans un bras de fer
inquiétant que les superpuissances interviennent, comme l'espérait Le Caire, pour ramener Israël,
qui a perdu près de 2 500 hommes, à la raison... Imposer un cessez-le-feu est une chose,
construire une paix durable en est une autre. Pourtant, les conditions, en apparence, semblaient
propices à une négociation sérieuse. Elles évoluèrent, hélas, très vite de façon négative. La
volonté américano-soviétique d'oeuvrer ensemble au règlement d'un conflit menaçant la détente
alors en plein essor ? Washington devait opter à nouveau pour le " cavalier seul ", Henry
Kissinger s'attelant à un arrangement séparé excluant l'URSS. La crise politique et morale
ouverte en Israël par la " surprise " de Kippour ? Elle allait tourner au profit non des " colombes
", mais des " faucons ", amenant même aux affaires, en 1977, les hommes de Menahem Begin,
jusque-là tenus à l'écart du pouvoir, mais premiers bénéficiaires de la mise en accusation des
responsables du Mehdal - la grande " défaillance " d'octobre. L'Europe aiguillonnée par l'arme du
pétrole ? Mais le Vieux Continent, malgré des velléités d'intervention, s'effacera, comme
toujours, derrière la Maison Blanche. Le réalisme suggéré aux Arabes par la " vengeance " de
leur honneur durant les premiers jours du conflit d'octobre ? Mais l'Égypte ne devait pas être
suivie par ses pairs, la plupart d'entre eux - Palestiniens compris - refusant les conditions posées
par Israël. Les espoirs d'Anouar Al Sadate allaient ainsi être déçus, du moins ceux de pourparlers
internationaux garantis par les États-Unis et l'URSS : de fait, la conférence de Genève, à peine
inaugurée, sera ajournée. Mais, la voie de la paix onusienne barrée, Le Caire devait en trouver
une autre, ouverte par la Maison Blanche : celle qui mènera le Raïs, avec son homologue
israélien, à Camp David. Dès après Kippour, Sadate était disposé - estimera en 1977 le colonel
Kadhafi - à " conclure n'importe quelle paix avec Israël, pourvu qu'il puisse récupérer le Sinaï ".
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GUERRE DE 1982
Dite du Liban, où se déroule cette fois le conflit, le cinquième de l'histoire du Moyen-
Orient depuis la Seconde Guerre mondiale. Il diffère profondément des précédents, sur trois
points notamment : c'est plus un conflit israélo-palestinien qu'israélo-arabe, il est de longue durée
et, enfin, ne se solde pas, pour Israël, par une réussite évidente. Le déclenchement par Menahem
Begin de l'invasion du Liban a ceci de commun avec l'ouverture de la guerre de Kippour par
Anouar Al Sadate que, si la date choisie peut surprendre, les hostilités, elles, ne sont en rien
inattendues. Les accords de Camp David ont mené à une impasse : autant le traité de paix israélo-
égyptien a été mis en oeuvre, autant les négociations sur l'autonomie palestinienne sont restées à
l'état de projet. Le Caire et Jérusalem en ont certes âprement discuté, mais sans que la Jordanie et
a fortiori l'OLP se joignent au débat. L'assassinat de Sadate, en octobre 1981, entraîne aussi une
attitude plus ferme du Caire sur la question palestinienne. Faute de le faire sur la table verte, c'est
donc sur le terrain que les Israéliens tentent de régler le problème palestinien : en Cisjordanie et à
Gaza, où colonisation et répression s'accélèrent, et au Liban où les opérations de l'armée
israélienne se multiplient. Sachant l'Égypte exclusivement soucieuse de ne pas compromettre la
récupération du Sinaï, le monde arabe divisé, l'OLP assez isolée, les dirigeants israéliens se
sentent les mains libres. L'escalade dans la tension est manifeste tout au long de l'année 1981 :
après la " crise des missiles " avec la Syrie au printemps, c'est, le 7 juin, le raid contre le centre
nucléaire irakien de Tamouz et, en décembre, l'annexion du plateau du Golan. Mais en juillet,
surtout, l'armée israélienne et les troupes de l'OLP basées au Sud-Liban s'étaient longuement
bombardées, jusqu'à ce que les États-Unis négocient un cessez-le-feu avec les deux parties qui
sera respecté. " Paix pour la Galilée " : c'est pourtant le nom donné, le 6 juin 1982, en référence
aux incidents de l'été 1981 - alors que le cessez-le-feu a été depuis scrupuleusement respecté par
l'OLP - à l'opération militaire israélienne au Liban. Officiellement, il s'agit " seulement " de
s'assurer le contrôle d'une bande de 40 kilomètres, d'où les " terroristes " ne puissent plus
pilonner le nord du pays. En fait d'intervention " limitée ", l'armée israélienne se retrouve, fin
juin (après que l'armée syrienne eut le 11, à l'issue de durs combats, signé un cessez-le-feu), aux
portes de Beyrouth. Alors commence le siège de la partie occidentale de la capitale libanaise, où
Palestiniens et Mouvement national libanais combattent côte à côte, tandis que les phalangistes
prêtent main forte - mais sans participer aux combats - aux soldats hébreux. Bombes au
phosphore, bombes au napalm, bombes à fragmentation et bombes à implosion, déversées sans
répit sur l'ouest de la ville affamée et assoiffée, n'en viendront cependant pas à bout. Le 7 août, le
médiateur américain, Philip Habib, annonce un accord américano-libano-palestinien pour laisser
partir les miliciens de l'OLP, sous la protection d'un contingent international - il sera franco-
italien. Après une dernière vague de bombardement, ce sera chose faite : le 30 août, Yasser
Arafat et ses dernières troupes quittent Beyrouth où vont pénétrer, le 15 septembre, au lendemain
de l'assassinat de Bechir Gemayel, celles du général Ariel Sharon. Les 16 et 17, sous leurs yeux,
les Phalanges massacrent des centaines et des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants
habitant les camps palestiniens de Sabra et de Chatila. Ainsi se clôt, dans la tragédie, la première
phase de la guerre. Une seconde phase s'ouvre : celle de l'occupation par Israël du Sud-Liban,
provoquant une résistance populaire et armée de plus en plus massive, au point que Jérusalem et
son armée préfèrent s'en retirer, trois ans plus tard... Tel est, en effet, le premier résultat, le plus
palpable, de l'invasion du Liban : un bourbier dans lequel, des mois durant, Israël s'empêtrera, au
prix de centaines de morts, de milliers de blessés, de centaines de millions de dollars de frais
d'occupation, sans parler de l'hostilité quasi unanime d'une population - essentiellement chiite -
qui avait assez bien accueilli les soldats israéliens en juin 1982, espérant, grâce à elle, être
débarrassée des Palestiniens. Un coût exorbitant : le jeu en valait-il, du point de vue israélien, la
chandelle ? Le bilan de l'affaire libanaise est, à l'examen, des plus mitigés. Sécurité pour Israël ?
C'était la raison officielle de la guerre. Pourtant, une fois ses hommes retirés du Sud-Liban,
l'armée israélienne ne peut compter, après la guerre du Liban comme avant, que sur une zone-
tampon, dont la dimension a peu varié, qui reste confiée aux collaborateurs libanais d'Israël, en
l'occurrence l'armée du Liban Sud et qui n'empêche pas des attaques contre le nord du pays.
Anéantissement de l'OLP ? C'était l'objectif affiché par Ariel Sharon. " Nous sommes là, déclare-
t-il le 12 juin 1982, pour détruire totalement et pour toujours les terroristes de l'OLP. " Si la
Résistance palestinienne n'est pas morte écrasée dans l'étau et a pu quitter Beyrouth, elle y a subi
des coups importants. Perdus, les milliers d'hommes tués ou blessés, les moyens militaires
abandonnés, l'appareil quasi étatique démantelé, et surtout la dernière base autonome proche des
masses palestiniennes remplacée par la dispersion en une dizaine de pays. Ces pertes auront leur
conséquence : la résurgence et l'exacerbation, manipulée par certains régimes arabes, des
affrontements internes de l'OLP jusqu'à la scission d'un côté et la paralysie de l'autre. Mais la
Résistance survivra à cette nouvelle épreuve, comme aux précédentes. Un État fort, chrétien et
ami d'Israël, au Liban ? Ce fut, de longue date, le rêve des dirigeants israéliens. D'évidence,
l'opération n'a pas contribué à le réaliser. Après une période prometteuse pour Jérusalem durant
laquelle Amine Gemayel semblait prendre le pays en main et signe, le 17 mai 1983, un traité de
la paix avec l'État juif, le cours des choses s'est inversé. Si bien que, quatre ans après son
intervention, Israël se retrouve avec, au nord, un voisin chez qui Damas et ses alliés " islamo-
progressistes " ont marqué des points essentiels, ceux-là mêmes que Jérusalem et ses alliés
phalangistes ont perdu. L'esprit de Camp David s'en est, en outre, trouvé compromis, la guerre du
Liban ayant sérieusement dégradé les relations israélo-égyptiennes. Un dernier élément,
difficilement mesurable, joue cependant un rôle non négligeable dans l'appréciation négative que
portent la plupart des observateurs sur l'invasion du Liban : c'est la dégradation de l'image
d'Israël. Pour la première fois de son histoire, une initiative militaire de l'État hébreu est apparue
illégitime, parce que non nécessaire à sa défense, a fortiori à sa survie. C'est une opinion déjà
déstabilisée que viendront impressionner les images horribles retransmises par les médias, celles
de Beyrouth assiégée et plus encore celles de Sabra et Chatila. Le contrecoup sera sensible et
durable : en Israël même, où il donnera naissance à un mouvement de masse antiguerre ; dans la
Diaspora également, où il accentuera la distanciation avec les autorités de Jérusalem ; dans la
conscience occidentale, enfin, dont le soutien " spontané " à Israël sera largement tempéré par
une certaine sympathie pour la cause palestinienne.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

GUERRE IRAN-IRAK
Nom donné à la guerre qui, de 1980 à 1988, opposa l'Iran et l'Irak, menaçant l'artère
pétrolière que constitue le golfe Arabo-Persique et, plus généralement, la paix dans la région,
voire à l'échelle mondiale. Ce fut - a écrit le quotidien britannique The Guardian - " la guerre la
plus coûteuse et la plus futile de l'histoire contemporaine du Moyen-Orient ". Coûteuse : les
chiffres sont effroyablement démonstratifs. Les victimes auraient été au nombre d'un million
pour les deux pays, l'Iran en avouant officiellement 300 000. Parmi ces morts, si les soldats
étaient nombreux - y compris des adolescents que mobilisait l'armée iranienne dès treize ans -,
innombrables étaient surtout les civils exterminés dans les opérations militaires visant villes et
populations. Économiquement, la saignée n'a pas été moins énorme : selon les estimations les
plus réalistes, les deux belligérants y auraient consacré entre un tiers et la moitié du budget
national. Au total, les dépenses militaires supplémentaires, pertes en produit intérieur brut et
capitaux non investis, auraient atteint 500 milliards de dollars pour les deux pays. L'Iran
(sur)estimait officiellement à 300 milliards le prix de la reconstruction de son économie, que
l'Irak, de son côté, évaluait à 50-60 milliards de dollars. A l'issue du conflit, Téhéran devait, en
outre, 10 milliards, et Bagdad 80. Qui plus est, près de 700 navires ont été endommagés ou
perdus - pour une valeur de 2 milliards de dollars - dans cette zone où transitent 25 % du
ravitaillement pétrolier occidental, et qui concentre 30 % des ressources en hydrocarbures de
l'Irak ainsi que 90 % de celles de l'Iran. La guerre Iran-Irak fut-elle pour autant, pour reprendre
l'adjectif du Guardian, " futile " ? D'évidence, elle trouve des justifications, des deux côtés, dans
une longue histoire. Dès le XVIe siècle, la dynastie chiite des Safavides, qui avait restauré
l'Empire perse, convoitait la Mésopotamie, alors province de l'Empire ottoman. Cette rivalité des
deux empires, compliquée par l'intervention des puissances coloniales, produisit conflit après
conflit. L'enjeu était, déjà, le contrôle de certains territoires, et notamment du Chatt al Arab,
confluent du Tigre et de l'Euphrate qui, long de 200 kilomètres, se jette dans le golfe Arabo-
Persique. De nombreux traités jalonnent ce bras de fer historique, les plus récents étant signés en
1913 et en 1937. L'affaire rebondit avec la révolution irakienne en 1958 : l'évolution des deux
régimes diverge, l'Iran du Chah s'ancrant dans le camp occidental et l'Irak baasiste se rapprochant
peu à peu de l'Union soviétique. Aggravé par la question kurde, le contentieux n'est
temporairement surmonté qu'en 1975 : à l'initiative du président algérien Houari Boumediene, le
Chah et Saddam Hussein se réconcilient. L'un et l'autre renoncent à leurs revendications ; le
Chatt al Arab est partagé entre eux ; la libre navigation dans le Golfe est garantie ; la rébellion
kurde coupée de ses bases. Mais l'apaisement ne durera guère. 1979 voit le triomphe de la
révolution islamique, les ayatollah et les mollah succèdent au Chah, chassé du trône par un
formidable mouvement populaire. Les nouveaux dirigeants de Téhéran ne dissimulent pas leur
ambition : renverser le régime de Bagdad en prenant appui sur les chiites d'Irak - la majorité de la
population. Le Baas irakien, pour sa part, ne cache pas sa volonté de venir à bout de Khomeyni.
Après des mois d'incidents frontaliers, Saddam Hussein, en septembre 1980, dénonce le traité de
1975 et lance ses troupes à l'assaut de l'Iran. Téhéran, non seulement repousse l'agression, mais, à
partir de 1982, porte la guerre en territoire irakien. L'impasse dans laquelle s'est ensuite enfoncé
le conflit doit-elle amener à conclure à son absurdité ? Une logique semble, en fait, s'y appliquer
on ne peut mieux : dans son 1984, George Orwell imaginait une situation où " la guerre est une
affaire purement intérieure ". Entre les trois empires qu'il décrit, elle " est engagée par chaque
groupe dirigeant contre ses propres sujets, et l'objet de la guerre n'est pas de faire ou
d'empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société ".
Cette vision prémonitoire s'applique étrangement à l'Irak et à l'Iran. Pourquoi le régime baasiste
de Bagdad prend-il, en 1980, l'initiative militaire ? Ses objectifs sont, à l'évidence, multiples. Il
veut sans doute récupérer le Chatt al Arab et le Khouzistan iranien. Il compte également porter
un coup mortel à la révolution islamique, qu'il estime prête à tomber. Il mise, enfin, sur une
rupture de son isolement régional, espérant même conquérir - en profitant de la mise à l'écart de
l'Égypte après Camp David - un certain leadership dans le monde arabe. C'est ce dont témoigne
son revirement rapide, du " Front du refus ", dont il était le centre, à l'alliance avec l'Arabie
Saoudite et les Émirats de la péninsule Arabique. La décision de Saddam Hussein, toutefois, ne
procède-t-elle pas surtout de motivations internes à l'Irak ? Son régime, en 1980, est en difficulté.
Contre lui se dresse une puissante opposition : communistes exclus du Front national et durement
réprimés, Kurdes à nouveau soulevés, chiites intégristes encouragés par la victoire des leurs à
Téhéran. Une véritable guérilla a pris corps. C'est aussi, voire surtout, pour briser cet élan, en
ressoudant la population dans le combat contre l'" ennemi héréditaire " que Bagdad choisit
l'aventure. Non sans succès, sinon au début, du moins lorsque le sort des armes tourne à sa
défaveur : l'enthousiasme des " défenseurs de la patrie " permet au Baas de disloquer
l'opposition, en dissociant des communistes et de leurs alliés une partie du mouvement kurde. Le
calcul est identique à Téhéran. La nécessité de faire face à l'attaque irakienne remobilise une
population désillusionnée et remet sur pied une armée troublée. La priorité donnée à la résistance
nationale " justifie " les atteintes aux libertés et le gel des transformations de structure. Elle sert
de prétexte au clergé réactionnaire pour mettre la main sur les leviers du pays. Les " libéraux ",
puis le président Bani Sadr sont écartés. La répression s'élargit et touche les moudjahidin et les
fedayin, avant de s'en prendre aux communistes du Toudeh. Les grandes réformes promises
s'enlisent dans les commissions parlementaires. C'est si vrai que, à partir de 1982, bien qu'ayant
repoussé les troupes de Bagdad, Khomeyni décide de poursuivre le combat. Il va rejeter et les
propositions de cessez-le-feu de l'Irak et les innombrables médiations (ONU, non-alignés,
Conférence islamique, Algérie, Arabie Saoudite, etc.). Dernier aspect, non moins étrange, du
conflit Iran-Irak : le ballet des grandes puissances. Cette guerre ne s'est pas inscrite dans le cadre
Est-Ouest, chacun des belligérants ayant des alliés et des ennemis dans un camp et dans l'autre.
Paris et Moscou ne se retrouvaient-ils pas, côte à côte, comme principaux fournisseurs en armes
de Bagdad ? L'Irangate n'a-t-il pas révélé que Washington, humilié par Téhéran lors de la prise
d'otages de son ambassade, livrait cependant à la République islamique quantité d'armes dont elle
avait besoin ? Et Israël, censé se dresser contre cet islam extrémiste, n'avait-il pas été le premier à
fournir l'Iran, dans le but d'affaiblir son ennemi arabe irakien ? Sans doute cette " étrangeté " de
la guerre Iran-Irak, qui n'obéissait visiblement pas aux lois traditionnelles du genre, expliquait-
elle aussi son caractère interminable... Pourquoi, dès lors, a-t-elle pris fin ? Quatre raisons se
mêlent dans la décision de Téhéran, après six ans de refus, d'accepter le cessez-le-feu proposé par
l'ONU. D'abord les défaites militaires subies : sur tous les fronts, et en particulier au sud, avec la
reprise par les Irakiens de la presqu'île de Fao, l'armée des mollah devait concéder le terrain
qu'elle avait conquis à partir de 1982. Ensuite les effets sur le moral de l'arrière - en particulier
celui de la capitale jusque-là épargnée par les combats - des nouvelles armes utilisées par Bagdad
: missiles et armes chimiques. La " guerre des villes " a, sans nul doute, pesé lourd dans le
revirement. Il faut citer la fin tragique de l'Airbus civil iranien, abattu par un navire américain en
juillet 1988. Quatrième et dernier facteur, mais il fut sans doute décisif : l'évolution des rapports
de forces politiques au sein même de la direction iranienne. La montée en puissance de
partenaires possibles pour l'Occident, en premier lieu le président du Parlement, Hashemi
Rafsandjani, ouvrait grandes les portes entrouvertes par l'Irangate, donnant corps à la perspective
des uns et des autres, à savoir une évolution pro-occidentale de la révolution islamique... Par un
curieux retournement, l'apparente victoire de l'Irak se transformera vite en défaite. C'est que le
bilan, pour Bagdad aussi, a des allures de catastrophe : avec quelque 80 milliards de dollars de
dette extérieure et au moins autant d'investissements nécessaires pour la reconstruction, le pays
est à bout de souffle. D'où, sans doute, la fuite en avant que constituera l'invasion du Koweït. Le
moindre paradoxe n'est pas que, pour se concilier les faveurs de Téhéran, Saddam Hussein finisse
le 15 août 1990, par renoncer volontairement aux rares " prises de guerre " de son long conflit
avec l'Iran : il accepte alors de libérer les prisonniers, d'évacuer les territoires occupés et surtout
de revenir aux accords d'Alger de 1975. La boucle est bouclée : des centaines de milliers
d'hommes sont morts pour rien.
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HABACHE (George)
Né le 2 août 1926 à Lydda (Palestine), George Habache est issu d'une famille de
commerçants chrétiens de rite grec orthodoxe. En juillet 1948, durant la guerre de Palestine, sa
famille est expulsée de sa ville natale. Installé à Beyrouth, il poursuit à l'université américaine
des études de pédiatrie, qu'il achève en 1951. Il est déjà très actif politiquement, mais ce n'est que
l'année suivante qu'il fonde le Mouvement des nationalistes arabes (MNA). À partir de ce
moment, sa vie se confond avec celle de son organisation. C'est cette même année 1952 que
George Habache ouvre à Amman un " dispensaire du peuple ". C'est de là qu'il participe à la
direction du MNA dont le but est ainsi défini : " Tant que n'existera pas l'État unifié regroupant
l'Irak, la Jordanie et la Syrie (comme premiers pas), notre confrontation avec les Juifs et
l'alliance occidentale sera quasiment impossible. " Arrêté en 1957, il se réfugie à Damas, au
moment de la constitution de la République arabe unie entre l'Égypte et la Syrie. Convertis au
nassérisme, George Habache et le MNA développent des théories contraires à celles du Fath.
L'essentiel, selon eux, pour la " libération de la Palestine ", n'est pas la mobilisation des
Palestiniens eux-mêmes, mais l'engagement des pays arabes contre Israël. Le rôle des
Palestiniens se borne à celui de " catalyseur ". En 1964, le MNA crée une branche palestinienne
qui agit à partir de Beyrouth, où le Dr Habache s'est installé. Elle mène sa première action armée
en 1966. La guerre de 1967, qui porte un coup sérieux au prestige de Nasser, frappe de plein
fouet le MNA. Celui-ci disparaît, emporté par le naufrage de l'idée arabe que le Raïs égyptien a
incarnée. Le MNA donne naissance à plusieurs sections régionales, dont les plus célèbres sont la
branche du Yémen du Sud, qui s'empare du pouvoir à la fin de 1967 et le Front populaire pour la
libération de la Palestine (FPLP) que dirige George Habache. Installé en Jordanie avec les autres
organisations de fedayin, le FPLP développe un grand activisme sur le terrain et se fait connaître
de l'opinion internationale par les détournements d'avions, dont le premier frappe, le 23 juillet
1968, un appareil de la compagnie El Al. Affaibli en février 1969 par une scission impulsée par
Nayef Hawatmeh, le FPLP n'en joue pas moins un rôle provocateur dans le royaume hachémite,
où il appelle à la chute du régime. " La libération de la Palestine passe par Amman ", clame-t-il,
entraînant l'OLP dans l'affrontement de septembre 1970 (voir Septembre noir), qui verra
l'élimination de la Résistance de Jordanie. Après cette lourde défaite, le FPLP infléchit ses
orientations. Il renonce, en 1972, aux " opérations à l'extérieur ", préférant concentrer ses coups
en Israël, mais sans établir de distinction entre objectifs militaires et cibles civiles. Il adopte le
marxisme-léninisme comme théorie. Il rompt avec ses éléments les plus extrémistes, comme le
Dr Wadid Hadad. Après 1973, le FPLP n'en est pas moins au coeur de l'opposition aux nouvelles
orientations de l'OLP. George Habache condamne l'idée d'un mini-État en Cisjordanie et à Gaza ;
il s'oppose à la tenue de la conférence de Genève et au voyage de Yasser Arafat aux Nations
unies ; il attaque violemment l'URSS, coupable à ses yeux de pousser l'OLP dans la voie de la
capitulation. Son seul allié sur la scène internationale, à l'époque, est l'Irak. Après la signature
des accords de Camp David, l'unité palestinienne se ressoude mais le FPLP, qui a quitté le
Comité exécutif en 1974, ne le réintègre qu'en 1981. Ayant subi une grave opération du cerveau
à la fin de l'année 1980, le Dr Habache reste à l'écart pendant de longs mois. Les divergences
restent profondes entre le FPLP et le Fath, et éclateront après 1982. George Habache se retrouve
à nouveau au centre d'une coalition anti-Arafat : le Front de salut national palestinien auquel
participent également les dissidents du Fath, la Saïka et le FPLP-Commandement général
d'Ahmad Jibril. Pourtant, contrairement à ces groupes, il ne refuse pas de participer au CNP
d'Alger d'avril 1987 - à l'issue duquel il rejoint à nouveau les organes exécutifs de l'OLP - et à
ceux de novembre 1988 et de septembre 1991. S'il rejette certaines décisions de cette dernière
session, en particulier l'acceptation de la résolution 242, il déclare vouloir maintenir l'unité
palestinienne. Les accords d'Oslo prennent George Habache et le FPLP à contre-pied. Le
mouvement tente, avec les organisations de la gauche palestinienne et islamistes, de créer un
front d'opposition, mais sans véritable succès. En Cisjordanie et à Gaza, il voit son influence
s'effriter et de nombreux militants, même hostiles à l'accord d'Oslo, regrettent une opposition
stérile ; certains participeront même aux élections du 20 janvier 1996. Le FPLP assiste au
Conseil national palestinien qui se tient à Gaza, en avril 1996. Il se contente de discuter le
nombre de sièges qui lui sont attribués, et ses représentants n'assistent pas à la session qui abroge
la Charte de 1968. Dirigeant intransigeant, le Dr Habache a longtemps gardé une grande autorité
dans l'OLP, chez ses amis comme chez ses adversaires. Il conserve notamment une influence
dans les camps du Liban, de Jordanie et de Syrie. S'il a su, quelles qu'aient été ses alliances avec
des régimes arabes, notamment avec Damas, préserver l'indépendance du FPLP, il a été
incapable de s'adapter à la nouvelle donne née des accords d'Oslo.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HAMAS
Le Mouvement de la résistance islamique (dont l'acronyme en arabe donne Hamas, qui
signifie zèle) a été créé par la Société des Frères musulmans, au lendemain du déclenchement de
l'intifada. Jusque là, la Société s'était cantonnée essentiellement dans des activités sociales et
religieuses, mais ses dirigeants - notamment cheikh Ahmad Yassine, qui deviendra le chef
spirituel du Hamas - pensent que l'attentisme n'est plus possible. Le Hamas se développe d'abord
à Gaza, qui restera le principal de ses fiefs, avant d'étendre ses activités à la Cisjordanie. Les
Frères musulmans ont, en Palestine, une longue histoire, liée à celle de l'organisation en Égypte.
C'est en 1935 que Abdel Rahman Al Banna, frère du fondateur du mouvement, se rend pour la
première fois en Palestine où il rencontre Hajj Amine Al Husseini, le mufti de Jérusalem. Des
membres des Frères musulmans égyptiens participeront en 1936 à la Grande révolte
palestinienne. En 1945, Saïd Ramadan crée la première branche du mouvement à Jérusalem ;
deux ans plus tard, on en compte vingt-cinq, avec entre 12 000 et 20 000 membres actifs. Durant
la guerre de 1948, plusieurs centaines de volontaires arabes membres des Frères musulmans
participeront aux combats. La défaite porte un coup sérieux à l'organisation. En Cisjordanie et en
Jordanie, elle est reconnue par le pouvoir hachémite, qui l'utilise dans son combat contre Nasser
et les nationalistes arabes. À Gaza, elle subit les coups de la répression nassérienne après 1954,
mais reconquiert une influence durant la guerre de 1956 grâce à sa lutte contre l'armée
israélienne. L'occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël, en 1967, ouvre une nouvelle
étape. Au milieu des années 70, le mouvement se réorganise sous le nom de Société des Frères
musulmans en Jordanie et en Palestine. Comme ailleurs dans le monde arabe, l'islamisme est en
expansion. Dans les Territoires occupés, la Société bâtit un réseau dense d'institutions sociales
autour des mosquées : jardins d'enfants, bibliothèques, cliniques, clubs sportifs, etc. Entre 1967 et
1987, le nombre de mosquées passe de 400 à 750 en Cisjordanie, de 200 à 600 à Gaza. Créé en
1973, le Centre islamique de Gaza, dirigé par cheikh Ahmed Yassine, devient le coeur battant de
la Société. L'organisation reçoit un appui important de l'étranger, notamment de l'Arabie
saoudite, qui lui donne des moyens considérables. Alors que le Fath utilise ses ressources pour
s'acheter une clientèle, notamment les notables, les Frères musulmans aident les fractions les plus
pauvres de la population. Néanmoins, malgré leurs moyens et leurs atouts, ils souffrent, dans les
années 70 et 80, de leur quiétisme face à l'occupation. Si leur but final reste la libération de la
Palestine, ils accordent la priorité à la réforme de la société - d'où leur relative inertie dans le
combat nationaliste. Les services de renseignement israéliens le comprennent si bien qu'ils font
preuve d'une réelle mansuétude à l'égard des Frères, considérés comme un utile contre-poids à
l'OLP. En 1980, une scission frappe le mouvement : le Jihad islamique reproche aux Frères
musulmans leur trop grande passivité et se lance rapidement dans l'action violente. Plusieurs de
ses cadres seront assassinés par les services israéliens, notamment le fondateur et dirigeant du
mouvement, Fathi Al Chakaki, tué à Nicosie le 26 octobre 1995. La décision de créer le
mouvement Hamas et de participer à l'intifada témoigne d'une réelle évolution de la Société des
Frères musulmans, au sein de laquelle des militants plus jeunes ont pris des responsabilités. Le
Hamas se montrera très actif durant la révolte des pierres, n'hésitant pas à rester à l'écart de la
direction unifiée qui se réclame de l'OLP. Très bien structuré, proche des plus démunis, disposant
d'une aura religieuse, le mouvement s'affirme comme un concurrent sérieux au Fath et à l'OLP. Il
crée une branche militaire, les brigades Ezzedine Al Kassam, dont l'action se développera
parallèlement à la répression israélienne. L'expulsion par Itzhak Rabin, en décembre 1992, de
415 militants islamistes vers le Liban, ne fait qu'accroître la popularité de l'organisation. Elle
adopte une Charte, le 18 août 1988, dans laquelle elle affirme que la terre palestinienne est une
propriété religieuse (wakf), qui ne peut être négociée ni cédée - mais, déjà, certains de ses
dirigeants formulent des thèses plus modérées et évoquent un compromis avec Israël. Enfin,
malgré les rivalités - et parfois les affrontements -, le Hamas " considère l'OLP comme le plus
proche de ses positions, comme un père, un frère, un proche ou un ami ". Il est intéressant de
noter que c'est pour l'essentiel sur le terrain politique, et non religieux, que le Hamas s'oppose à
l'OLP. Le mouvement est dirigé par un conseil consultatif (majliss al choura) dont les membres
les plus connus à l'intérieur des territoires occupés sont le cheikh Ahmad Yassine, en prison
depuis mai 1989, le Dr Abdelaziz Rantissi, également incarcéré et le Dr Mahmoud Al Zahar. À
l'extérieur, on trouve Ibrahim Ghosheh, son porte-parole, Mohamed Nazzal, son représentant en
Jordanie et le Dr Mohamed Abou Marzouk, dénoncé par les Israéliens comme le véritable chef
du Hamas - arrêté aux Etats-Unis en juillet 1995, il y attend une décision concernant son
extradition. Mais l'organisation étant partie intégrante de la Société des Frères musulmans en
Jordanie et en Palestine, le poids des Jordaniens en son sein n'est pas négligeable. Le Hamas
condamne la conférence de Madrid, puis les accords d'Oslo. Mais l'installation de l'Autorité
palestinienne à Gaza pose de nouveaux défis à l'organisation, prise entre sa rhétorique de
libération totale de la Palestine, sa volonté de ne pas provoquer une guerre civile inter-
palestinienne et sa détermination à préserver son réseau associatif. Si le massacre de Hébron, en
février 1994, favorise les premiers attentats-suicide, la direction du Hamas engage un dialogue
avec Yasser Arafat. Ce dernier joue à merveille de la carotte et du bâton, mutlipliant les
arrestations et les intimidations tout en dialoguant avec l'organisation et en autorisant certains de
ses organes de presse. Fin 1995, il paraît même sur le point d'obtenir la participation du
mouvement aux élections de janvier 1996. Mais finalement les pourparlers échouent, même si
Imad Falouji, un des dirigeants du Hamas, accepte, à titre personnel, de se présenter sur les listes
du Fath - il sera même membre du gouvernement mis en place après le scrutin. Mais la série
d'attentats-suicide commis en Israël en février et mars 1996 - et présentés comme la vengeance
de Yehia Ayache, exécuté le 5 janvier - met fin au dialogue avec l'Autorité. Le gouvernement
israélien exige et obtient de Yasser Arafat une mise au pas du Hamas et du Jihad islamique,
l'arrestation de leurs principaux cadres, le démantèlement d'une partie importante de leur réseau
associatif. De surcroît, le bouclage des territoires autonomes, imposé par l'armée israélienne suite
aux opérations terroristes, prive des dizaines de milliers de travailleurs palestiniens de leur travail
: voilà qui détourne du mouvement une partie importante de la population. Conscients de ces
contraintes, certains cadres du Hamas, comme le Dr Mahmoud Al Zahar, appellent ouvertement
à l'arrêt de la lutte armée et à la transformation de l'organisation en parti politique. D'autres,
notamment à l'extérieur, comme Ibrahim Ghosheh, refusent cette stratégie. L'unité du Hamas
résistera-t-elle à ces épreuves ?
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HARIRI (Rafik)
Né en 1944 à Saïda, dans le sud du Liban, Rafik Hariri, un musulman sunnite, est devenu
l'homme le plus riche du pays avant d'être nommé, en octobre 1992, à l'ombre des accords de
Taëf, premier ministre. Après des études à l'Université arabe de Beyrouth, il émigre en 1966 en
Arabie Saoudite, où il enseigne les mathématiques. Quatre ans plus tard, il a créé sa propre
société de construction. Grâce aux solides connexions qu'il forge avec la famille royale, ses
affaires se développent, notamment en France, et, tout en résidant en Arabie Saoudite, il
commence à s'intéresser à son pays. En 1983, il crée une Fondation qui porte son nom et finance
notamment les bourses d'études à l'étranger pour des jeunes Libanais ; il soutient également
plusieurs projets dans sa ville natale. Son empire comporte des banques, des compagnies
d'assurance, des sociétés de construction, d'informatique, etc. Très proche du roi Fahd, il
cherche, à la fin des années 80, à participer aux négociations qui doivent entériner la fin de la
guerre civile. Il est présent à Taëf, durant les tractations qui aboutiront à une nouvelle entente, ne
ménageant pas ses subsides pour arracher le consentement de tel ou tel politicien. Ses relations
d'affaires avec les milieux dirigeants syriens facilitent, bien évidemment, son rôle. Sa
nomination au poste de premier ministre soulève un réel engouement populaire : on compte sur
lui pour remonter une économie dévastée et faire renaître la prospérité. Mais l'imbrication entre
les affaires publiques et les intérêts privés comme les incertitudes nées des difficultés des
négociations entre la Syrie et Israël portent un coup à la crédibilité du premier ministre. Le projet
de reconstruction du centre de Beyrouth, à travers une société contrôlée par lui, Solidere, soulève
également de nombreuses critiques, à la fois sur le plan architectural - faut-il vraiment détruire la
vieille ville ? - et financier.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HAWATMEH (Nayef)
Né le 17 novembre 1935 à Salt, sur la rive est du Jourdain, dans une famille paysanne de
rite grec catholique, Nayef Hawatmeh entame ses études supérieures au Caire en 1954 et adhère
la même année au Mouvement des nationalistes arabes (MNA) de George Habache. De retour en
Jordanie en 1956, il mène une activité révolutionnaire qui lui vaut d'être condamné à mort par
contumace. En 1958, il participe à la guerre civile au Liban, puis se réfugie en Irak où il dirige
pendant cinq ans la section du MNA. De 1963 à 1967, il est au Yémen du Sud où il contribue à la
lutte de libération antibritannique. Après la guerre des Six Jours en 1967, il bénéficie d'une
amnistie et retourne en Jordanie où il rejoint le FPLP. Il prend la tête de la fraction de gauche de
l'organisation, qui penche vers le marxisme-léninisme et critique la petite bourgeoisie arabe. La
scission est consommée en février 1969, et Hawatmeh crée le Front démocratique et populaire
pour la libération de la Palestine (FDPLP), qui deviendra FDLP en août 1974. Si le FDPLP
adopte la même attitude aventuriste que le FPLP en 1969-1970 en Jordanie, il ne s'en différencie
pas moins fortement sur le plan politique. Dès 1969, et sous l'impulsion de Hawatmeh, le FDPLP
dénonce les slogans " chauvins " du type " jeter les Juifs à la mer ". En 1970, il entame un
dialogue avec l'organisation d'extrême gauche israélienne Matzpen. Enfin, à partir de 1973, il
devient - avec le Fath et les communistes - l'un des plus ardents défenseurs de l'idée d'un mini-
État palestinien. Le 22 mars 1974, Hawatmeh accorde un retentissant entretien au journal
israélien Yedioth Aharonoth : " J'estime, dit-il, qu'il est très utile que la société israélienne, dans
ses différentes composantes, prenne connaissance d'une position palestinienne révolutionnaire
sur le conflit israélo-arabe. (...) Je ne vois pas pourquoi nous devrions accepter que la réaction
arabe ouvre le dialogue avec les courants les plus extrémistes d'Israël et interdise aux forces
progressistes d'en faire autant avec les forces progressistes israéliennes. Il est vrai qu'un tel
dialogue constitue une menace à la fois pour le sionisme et la réaction arabe. " Ce langage
ouvert et mesuré n'est pas contradictoire, du moins aux yeux du FDLP, avec des actions
terroristes dures, comme celle de Maalot, en mai 1974, qui se solde par la mort de seize
Israéliens, dont de nombreux lycéens. La période 1974-1977 voit un renforcement de l'alliance
entre le FDLP et le camp socialiste, ainsi que l'adoption par cette organisation de la plupart des
analyses communistes traditionnelles. Dans le monde arabe, son principal soutien est le Yémen
du Sud, avec lequel Hawatmeh a gardé d'importants contacts. À partir de 1977, le FDLP
s'éloigne du Fath, auquel il reproche ses compromis avec la " réaction arabe ". Hawatmeh tente
néanmoins de tenir une ligne médiane entre Arafat et le Front du refus. Chaud partisan du plan
de Fès de 1982, il n'en condamne pas moins le rapprochement de l'OLP avec Le Caire et
Amman. Favorable à l'alliance avec la Syrie, il se démarque de celle-ci en de nombreuses
occasions et refuse de rejoindre le Front de salut national palestinien (FSNP). En avril 1987, au
CNP d'Alger, il se réconcilie avec Arafat. Un an plus tard, en novembre 1988, il approuve la
nouvelle orientation prise par l'OLP : proclamation de l'État palestinien, acceptation de la
résolution 242, décision de principe de créer un gouvernement provisoire le moment venu. Mais,
en 1991, il rejette les négociations engagées à Madrid et, surtout, refuse totalement, en 1994 et
1995, les accords d'Oslo. Il va participer aux tentatives, peu réussies, de créer une opposition
unie de la gauche palestinienne et des islamistes. D'une certaine manière, il prend acte de son
échec en acceptant que le FDLP participe au Conseil national palestinien qui se tient à Gaza en
avril 1996 et abroge la Charte nationale de 1968. Il négocie même, pour l'instant sans succès, son
retour dans les régions autonomes. Par l'originalité de ses analyses, par l'indépendance qu'il a su
garder à l'égard des régimes arabes, Nayef Hawatmeh a fait du FDLP une organisation à part.
Mais le mouvement a été gravement affaibli par la scission, consommée en 1991, du groupe
dirigé par Yasser Abdel Rabbo, très proche de Yasser Arafat, et par son incapacité à s'adapter à la
situation créée par les accords d'Oslo.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HERZL (Theodor)
Fondateur du sionisme. Né en 1860 à Budapest, il s'installe avec sa famille à Vienne, à
dix-huit ans. Après des études juridiques, devenu avocat, Herzl se tourne vers la littérature et l'art
dramatique. À trente et un ans, séparé de sa femme et marqué par le suicide de son meilleur ami,
il se rend en France où il est nommé correspondant de la Neue Freie Presse, jeune quotidien
autrichien libéral. C'est à Paris qu'il subit le choc de l'antisémitisme, qui renaît avec l'affaire
Dreyfus. Jusque-là, Theodor Herzl, comme la plupart des intellectuels juifs d'Europe
occidentale, croit à la solution du " problème juif " par l'assimilation de ses coreligionnaires aux
peuples parmi lesquels ils vivent, voire même par leur conversion. L'émancipation des Juifs et la
reconnaissance de leurs droits égaux, initiées par la Révolution française, lui semblent une
tendance historique irréversible. Jacob Samuel, le principal personnage de sa pièce, Le Nouveau
Ghetto, écrite en 1894, meurt en s'écriant : " Je veux sortir du ghetto... " Mais le calvaire du
capitaine Alfred Dreyfus, lui-même partisan de l'assimilation, et la vague antijuive qui
l'accompagne modifient du tout au tout le point de vue de Theodor Herzl. Son prédécesseur,
Léon Pinsker, avait déjà, dans Auto-émancipation, en 1882, résumé de manière saisissante cette
image du Juif, " considéré par les vivants comme un mort, par les autochtones comme un
étranger, par les indigènes sédentaires comme un clochard, par les gens aisés comme un
mendiant, par les pauvres gens comme un exploiteur, par les patriotes comme un apatride, et par
toutes les classes sociales comme un concurrent qu'on déteste ". Partant donc de l'existence d'un
peuple juif et de l'impossibilité de son assimilation, Herzl conçoit pour unique issue la création,
si possible en Palestine, d'un État juif. C'est le sens de son ouvrage de 1896, L'État des Juifs, puis
des rencontres qu'il sollicitera et obtiendra de l'empereur d'Allemagne, du sultan turc, du pape Pie
X, du roi d'Italie, de ministres de Grande-Bretagne comme de Russie (dont un organisateur de
pogroms), etc. À chacun d'eux, il fait valoir la portée de son projet : aux Anglais, le rôle
stratégique d'une Palestine juive qui défendrait la " ligne vitale " de l'Empire britannique, aux
Allemands et aux Russes la possibilité d'en finir avec leur " problème juif ", aux Turcs un
échange entre le rachat de l'énorme dette de l'Empire ottoman et la concession de la Palestine.
Tout est bon pour que se réalise la perspective adoptée, à Bâle, du 29 au 31 août 1897, par le
premier congrès juif mondial, convoqué par Theodor Herzl qui en devient le président. " À Bâle,
écrira-t-il dans son Journal, j'ai créé l'État juif. Si je disais cela aujourd'hui publiquement, un
rire universel serait la réponse. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde
comprendra. " Cinquante ans et neuf mois plus tard, en effet, l'État d'Israël voyait le jour. Mais
Herzl n'aura pas connu l'aboutissement de sa " vision " : après s'être vainement battu pour la
fondation de son État juif, serait-ce en Argentine, dans le Sinaï ou au Mozambique, il devait
mourir le 3 juillet 1904.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HUSSEIN (Saddam)
Musulman sunnite, né le 28 avril 1937 à Takrit, une ville au nord de Bagdad, dans une
famille paysanne, Saddam Hussein règne depuis plus de vingt ans sur l'Irak. Il a marqué l'histoire
contemporaine de son pays, pour le meilleur et surtout pour le pire. Scolarisé tardivement, il
s'inscrit dans un lycée à Bagdad en 1955. Il s'y politise et adhère, en 1957, au parti Baas. Peu de
temps après la révolution du 14 juillet 1958, qui met fin à la monarchie, son parti passe dans
l'opposition. En octobre 1959, il participe à une tentative d'assassinat avortée contre le général
Abdelkarim Kassem : blessé, il doit s'enfuir, d'abord en Syrie, puis en Égypte où il termine ses
études secondaires. C'est là qu'il apprend le succès du coup d'État de février 1963, qui a renversé
Kassem et auquel le Baas a participé. Il rejoint donc Bagdad et s'intègre à la direction du parti.
Mais le Baas est écarté du pouvoir en novembre 1963 : Saddam plonge dans la clandestinité.
Arrêté en octobre 1964, il passe deux années en prison. À sa sortie, il est élu secrétaire général
adjoint du parti. Mais ce sont les officiers baasistes, et à leur tête Hassan Al Bakr, qui organisent
le coup d'État du 17 juillet 1968, puis éliminent, le 30 juillet, quelques-uns de leurs alliés. À
partir de cette date commence l'irrésistible ascension de Saddam Hussein. En alliance avec Al
Bakr, il renforce l'aile politique du Baas - dont l'influence est réduite - et réussit notamment la "
baasisation " des forces armées : avant la fin 1970, 3 000 commissaires politiques encadrent les
officiers. En novembre 1969, il accède à la vice-présidence du Conseil de commandement de la
révolution (CCR), le véritable centre du pouvoir. Par l'élimination - y compris l'assassinat
politique - de ses rivaux, le duo Saddam Hussein-Hassan Al Bakr assure définitivement son
pouvoir à la fin de 1971. Saddam Hussein s'en affirme le véritable homme fort. Brutal mais
pragmatique, il prend les grandes décisions qui marquent l'Irak, de la nationalisation du pétrole à
l'attaque contre l'Iran, puis à l'invasion du Koweït. La fonction d'Al Bakr était surtout d'assurer
la loyauté d'un maximum d'officiers. Petit à petit, il devient inutile : le 16 juillet 1979, il
démissionne de la présidence de la République et du CCR, immédiatement remplacé par Saddam,
qui encourage autour de sa personne un culte de plus en plus grandiose. Quelques jours plus tard,
plusieurs hauts dirigeants passent en jugement et sont exécutés pour " complot " et " complicité "
avec la Syrie. Plus que jamais, le CCR devient, pour Saddam, un instrument sûr, où dominent les
éléments sunnites originaires de Takrit (comme le président) ainsi que les membres de sa famille.
À partir de 1979, Saddam accélère la réorientation de l'Irak vers le camp modéré arabe et, après
la mort de Sadate, la constitution d'un axe Bagdad-Amman-Le Caire. La guerre irako-iranienne
confirme une formidable militarisation du pays, rendue possible par la complaisance dont
bénéficie Saddam Hussein à l'étranger, notamment en Occident - une complaisance que
n'entamera pas l'utilisation par son armée de gaz chimiques contre l'armée iranienne et contre les
rebelles kurdes : n'est-il pas le meilleur rempart contre le " danger islamiste " ? La fin du conflit,
en 1988, avec ses centaines de milliers de victimes, laisse l'Irak exsangue et ruiné. Pour tenter de
sortir de la crise, Saddam Hussein se lance à nouveau dans l'aventure et envahit le Koweït le 2
août 1990. Incapable d'anticiper l'ampleur de la riposte américaine, il laissera échapper diverses
occasions de règlement pacifique de la crise du Golfe, qui se transformera en guerre et en défaite
cuisante pour son pays. Une certaine passivité occidentale lui permet de venir à bout des
insurrections chiite et kurde du printemps 1991, et il réussit à consolider son pouvoir après une
période de flottement. Il utilise de plus en plus les solidarités primaires, notamment tribales, pour
survivre. La défection de ses deux gendres, qui se réfugient en Jordanie le 8 août 1995, porte un
dur coup au régime. Le général Hussein Kamel Al Majid et son frère, le colonel Saddam Kamel,
font partie du cercle intime du pouvoir. Le premier, responsable du programme militaire de
l'Irak, fournira aux Nations unies des indications confirmant que le pouvoir a dissimulé de
nombreux documents sur ses programmes d'armement, ce qui éloigne pour longtemps - malgré
l'autorisation au printemps 1996, d'une vente limitée de pétrole - toute perspective de levée des
sanctions. Le retour négocié des deux frères en Irak et leur assassinat, le 23 février 1996, jettent
une lumière crue sur la brutalité des méthodes du dictateur.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

HUSSEIN IBN TALAL


Troisième roi de Jordanie, Hussein est né en 1935 à Amman. Il a suivi une double
formation, arabe classique et occidentale, qu'il achève à l'académie militaire de Sandhurst en
Grande-Bretagne. Il est aux côtés de son grand-père, le roi Abdallah, quand celui-ci est assassiné
le 20 juillet 1951. Après un court règne de son père Talal - qui mène une politique
antibritannique et sera contraint à abdiquer pour " démence " -, Hussein est intronisé. À sa
majorité, le 2 mai 1953, il exerce la réalité du pouvoir. Le roi Hussein règne maintenant depuis
plus de quarante ans, une longévité sans égale au Proche-Orient. La dynastie a pourtant traversé
bien des crises, dont la première éclate au milieu des années 50. Alors en pleine expansion, le
nassérisme exerce une influence profonde sur la population d'origine palestinienne. Le roi,
attaché à l'alliance occidentale, penche pour l'adhésion au pacte de Bagdad. Mais l'opposition de
son peuple est trop forte ; il renonce à ce projet et doit même démettre Glubb Pacha, le
commandant anglais de son armée, en mars 1956. En octobre de la même année, un raid
particulièrement meurtrier de l'armée israélienne contre le petit village de Qalqiya (48 morts)
radicalise encore le climat. Le 21 octobre, les partis nationalistes remportent les élections et
Soliman Naboulsi est nommé Premier ministre. Après la guerre de 1956, le roi dénonce même le
traité d'alliance avec Londres. Mais Hussein, sentant son pouvoir menacé, décide de réagir en
s'appuyant sur l'armée, composée de bédouins fidèles aux hachémites. En avril 1957, il démet le
gouvernement, dissout la Chambre et interdit les partis politiques. Son autorité restaurée, le roi
est toutefois contraint, en juillet 1958 - à la chute de la monarchie hachémite d'Irak -, de faire
appel aux parachutistes britanniques. En 1964, après un rapprochement avec Nasser et devant la
décision israélienne de détourner les eaux du Jourdain, le roi Hussein parraine la création de
l'OLP à Jérusalem. Pourtant, son dirigeant, Ahmed Choukeyri - soutenu par le Raïs - s'oppose au
souverain hachémite : au centre de la crise, le problème du contrôle des Palestiniens de
Cisjordanie. Après la guerre de 1967, le conflit resurgit, mais cette fois avec les organisations de
fedayin que le roi élimine avec une grande brutalité en 1970-1971, lors des événements de
Septembre noir. Hussein tente de reprendre l'initiative sur la question palestinienne pour
renforcer la loyauté des Palestiniens à son trône. Il espère ainsi, par un accord avec Israël,
récupérer la Cisjordanie. Le 15 mars 1972, il expose son projet de Royaume arabe uni, c'est-à-
dire la transformation du royaume en un État fédéral, composé de deux régions : la Cisjordanie
qui prendrait le nom de Palestine, la rive Est qui conserverait celui de Jordanie. Mais ses
propositions auront peu de succès et susciteront le refus des pays arabes et de l'OLP ainsi que
celui d'Israël. L'offensive d'octobre 1973 de l'Égypte et de la Syrie, à laquelle la Jordanie ne se
joint pas, représente le prélude à la percée diplomatique de l'OLP. Un an plus tard, en octobre
1974, au sommet arabe de Rabat le roi se rallie au consensus qui fait de l'OLP le seul
représentant des Palestiniens, le seul habilité à négocier l'avenir de la Cisjordanie et de Gaza. Le
roi reste fidèle à cet engagement, et il condamne le processus de Camp David ouvert par Sadate
en 1977-1978. L'invasion israélienne du Liban et le départ de l'OLP de Beyrouth à l'été 1982
créent des conditions propices à un nouveau rôle du roi Hussein. Le seizième Conseil national
palestinien d'Alger entérine, en février 1983, l'idée d'une fédération jordano-palestinienne. Mais,
sous la pression de l'intifada palestinienne, Hussein renonce, le 31 juillet 1988, à toute
revendication sur la Cisjordanie. Durant la crise puis la guerre du Golfe, il refuse de se ranger
sous la bannière américaine, s'attirant de nombreuses critiques occidentales et des mesures de
rétorsion des émirs du Golfe. Pourtant, dès la fin des hostilités, il saura faire valoir, notamment à
Washington, son rôle dans toute conférence de paix. Après les accords d'Oslo, il décide un
changement radical de la politique qu'il a suivie jusqu'alors. Il entreprend de faire de l'alliance
avec Washington, une assurance pour la survie de sa monarchie. Au risque de miner sa
popularité, il signe, le 26 octobre 1994, un traité de paix avec Israël, accélère la normalisation
avec l'État juif et se réjouit presque de la victoire de Benyamin Netanyahou aux élections
israéliennes - car la droite refuse un État palestinien. D'autre part, il rompt avec l'Irak,
notamment après la défection des deux gendres de Saddam Hussein le 8 août 1995 qui, depuis
Amman, appellent au renversement du régime. Enfin, il autorise le stationnement en Jordanie de
plusieurs dizaines d'avions de combat américains destinés à surveiller l'Irak. Ce virage, très mal
perçu par l'opposition mais aussi par une partie importante de la population, représente le pari le
plus risqué qu'ait pris le souverain hachémite au cours de son long règne. Constant, déterminé et
courageux, le roi, qui souffre d'un cancer de l'urètre, a su sauvegarder le trône hachémite dans
des circonstances plus que troublées. La grande incertitude pour lui, comme pour l'avenir de la
royauté, reste la question palestinienne et la capacité de son successeur à maintenir l'unité du
pays.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

IMMIGRATIONS
Terre de migrations, le Proche-Orient l'a toujours été. Mais le phénomène a pris, dans les
dernières décennies, une dimension nouvelle. La raison en est simple : la région, en schématisant
à peine, comprend d'un côté des pays producteurs de pétrole, donc capables d'investir beaucoup,
mais peu peuplés, de l'autre des pays peuplés mais non (ou peu) producteurs de pétrole, à la seule
exception de l'Irak qui truste ces deux atouts. Conséquence de cette contradiction, une
importante immigration est venue renforcer l'insuffisante concentration de travailleurs, en
premier lieu dans le golfe Arabo-Persique. Au départ, ces nouveaux travailleurs étaient
originaires de pays arabes, tels l'Égypte, la Jordanie, le Yémen, la Syrie, le Liban ou l'Irak et,
bien sûr, la Palestine. Mais, depuis 1970 les entrepreneurs du Golfe tendent plus loin leurs filets :
en Asie. C'est en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, en Thaïlande, aux Philippines, en Corée du
Sud, et même en Chine, que se recrute désormais une partie de plus en plus notable de cette force
de travail supplétive. Le salaire varie, il est vrai, du simple au triple, au quadruple, selon qu'il
s'agit d'Asiatiques ou d'Arabes. Si, jusqu'à la guerre du Golfe, les quelque 380 000 Palestiniens
du Koweït sont relativement " installés " dans la société de l'émirat où ils occupent souvent des
postes importants, ce n'est pas le cas, loin de là, de la plupart des travailleurs immigrés du Golfe.
Ceux-ci doivent, en général, acquitter plusieurs mois de salaire à l'embaucheur pour obtenir
emploi et visa, et ce pour vivre seuls - les familles ne suivent que rarement et bien plus tard -
avec un traitement de misère et à la merci de l'arbitraire des émirs. Résultant d'un choix
politique, cette immigration massive n'est évidemment pas sans conséquences politiques. Bien
des régions du Golfe ont préféré faire appel à la main-d'oeuvre asiatique pour éviter les risques
que ferait courir, selon les puissants, une immigration arabe, plus sensible aux courants
démocratiques et nationalistes. Mais la vague ainsi déclenchée a profondément déstabilisé les
sociétés retardataires du Golfe, portant atteinte aux valeurs et à l'identité traditionnelle arabes, et
suscitant du même coup des réactions propres à stimuler le sursaut intégriste. Elle n'a pas
empêché pour autant le développement de la contestation plus ou moins révolutionnaire, la
jonction s'opérant même parfois entre Arabes du pays et étrangers. La courbe de l'immigration a,
grosso modo, suivi celle des revenus des hydrocarbures de la péninsule Arabique. À la suite du "
choc pétrolier " de 1973 - suivi de celui de 1979-1980 -, l'afflux des travailleurs étrangers
s'accentue, comme le montrent les statistiques (voir notamment la contribution d'André Bourgey
dans Crise du Golfe : la logique des chercheurs). Cet apport s'est avéré déterminant dans
l'explosion démographique des pays du Golfe - les Émirats arabes unis, par exemple, voient leur
population décupler entre 1970 et 1990 - et leur urbanisation à marche forcée : une ville comme
Koweït-City passe de 100 000 habitants en 1950 à 1 500 000 en 1990, tandis que Dubaï, peuplée
de 4 000 âmes en 1960, en compte 600 000 en 1990. Au total, le nombre d'étrangers triple dans
les émirats du Golfe entre 1970 et 1980, pour atteindre dans les années 80 une proportion de plus
de 80 % au Koweït, 70 à 80 % à Qatar et dans les Émirats arabes unis, 35 à 40 % en Arabie
Saoudite, environ 30 % à Bahreïn et à Oman. Et, à cette période, seuls le Koweït et l'Arabie
Saoudite accueillaient une majorité d'immigrés arabes, les Asiatiques constituant le gros de la
main-d'oeuvre étrangère de Bahreïn, de Qatar, des Émirats arabes unis et d'Oman. Si l'on ajoute
l'Irak et l'Arabie Saoudite au cinq Émirats du Golfe, le nombre d'immigrés atteindra alors cinq à
six millions. Si les immigrés contribuent au développement de leur pays d'accueil, ils influent
aussi considérablement - comme le montre le cas de l'Égypte - sur leur pays d'origine. Par les
modifications sociologiques que leur départ a entraînées : l'émigration, pour un tiers rurale, a
accentué la tertiarisation des campagnes. Par la soupape de sécurité qu'ils représentent : les 2 à 3
millions de travailleurs partis loin du Nil allègent d'autant les statistiques du chômage. Par
l'argent qu'ils rapatrient : Le Caire, en 1987, récupère ainsi 2,7 milliards de dollars. Après le
flux, le reflux. La chute des prix du pétrole, en particulier à partir de 1986, provoque un départ
important : le nombre d'étrangers dans le Golfe diminue d'un quart, voire un tiers, durant les
années 80. Mais il s'accélère évidemment avec la crise ouverte par l'invasion irakienne du
Koweït. C'est une des plus grandes migrations de l'histoire du Moyen-Orient qui se produit en
quelques mois : un million de réfugiés arrivent en Jordanie, 865 000 Égyptiens qui travaillaient
au Koweït et en Irak doivent rentrer précipitamment au pays, 750 000 Yéménites quittent
l'Arabie Saoudite, 300 000 Palestiniens fuient le Koweït, etc. Le Golfe de l'après-guerre a
naturellement eu besoin, à nouveau, de centaines de milliers de bras étrangers, et une partie des
travailleurs arabes, chassés de la péninsule durant la " Tempête du Désert ", y sont retournés.
Mais dans quelle proportion ? Les statistiques, à l'été 1996, restaient muettes sur ce point. Sans
doute l'Arabie Saoudite et les Emirats recrutent-ils désormais plus volontiers en Asie...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

INDÉPENDANCES
Ouverte par le démantèlement de l'Empire ottoman, au lendemain de la Première Guerre
mondiale, l'ère des indépendances s'étend, au Moyen-Orient, jusqu'aux années 70. C'est dans le
cadre des frontières, souvent arbitraires, définies par les vainqueurs que s'affirme ce mouvement.
Premier pays à arracher son indépendance, l'Égypte est aussi, dans cette région découpée et
redécoupée au gré des colonisateurs, une des seules nations constituées depuis des siècles. S'y
développe, en outre, autour du Wafd, un puissant mouvement nationaliste. Les troubles, depuis
1918, ont été si violents que Londres préfère, le 28 février 1922, concéder unilatéralement
l'indépendance. Mais les Britanniques se réservent d'énormes privilèges en matière de
communications, de défense, de protection des intérêts étrangers - ainsi d'ailleurs qu'au Soudan.
Il en ira de même dans le nouveau traité que les Britanniques doivent signer le 28 août 1936, au
terme d'une longue épreuve de force avec le Wafd : ils y bénéficient notamment de facilités en
cas de guerre, et font reconnaître leurs intérêts dans la zone du canal de Suez, où ils maintiennent
10 000 hommes. Admise à la Société des nations en 1937, l'Égype ne sera pourtant réellement
indépendante qu'en 1954, lorsque Nasser, succédant à Neguib, obtiendra de l'ancienne métropole
l'évacuation de la zone du canal, avant de nationaliser, en 1956, la Compagnie de Suez... L'Irak
est aussi le théâtre d'une vigoureuse agitation indépendantiste. L'annonce du " mandat britannique
", en 1920, y déclenche une insurrection que materont, non sans mal, les troupes de Sa Majesté.
L'intronisation de Faysal, chassé de Syrie par l'armée française, ne met pas fin au
bouillonnement. Si bien que, de recul en recul, après trois traités bâtards, la Grande-Bretagne
admet celui de 1930, qui accorde une indépendance totale à l'Irak, en échange, là aussi, de "
facilités " militaires y compris de bases. L'ancienne Mésopotamie entre ainsi à la SDN le 3
octobre 1932. À cette époque, l'actuelle Arabie Saoudite est déjà indépendante. C'est, il est vrai,
avec Ibn Saoud que sir Percy Cox, résident britannique dans le Golfe, avait conclu le premier
accord anglo-arabe, en 1915 : l'organisation de la révolte antiturque troquée contre
l'indépendance. À défaut, on l'a vu, de l'accorder dès après la guerre, comme promis, à l'ensemble
du monde arabe, Londres la reconnaît, en 1926, au " roi de Hedjaz et sultan du Nadj et de ses
dépendances ". Le chef wahhabite l'a en effet emporté, entre-temps, sur le chérif hachémite
Hussein : l'Arabie est à lui... à condition qu'il reconnaisse les positions britanniques, au sud dans
le Golfe et au nord en Transjordanie. Dès 1921, Londres avait détaché du " mandat palestinien ",
confié par la SDN, le territoire situé à l'est du Jourdain, pour y bâtir l'émirat de Transjordanie. À
sa tête, Abdallah, le frère de Faysal, fils comme lui du chérif Hussein. Sans doute le plus
artificiel des " enfants " de Sykes et Picot, la Transjordanie, dépourvue d'un peuple conscient de
son identité, ne soucie guère son " protecteur ". Sa frontière reconnue en 1927 par Ibn Saoud, sa
loi organique et un traité sanctionnant son caractère britannique adoptés en 1928, l'émirat ne
décrochera son indépendance (formelle) qu'en... 1946. Et en 1950, après l'annexion de Jérusalem
et de la Cisjordanie, le roi impose le terme de " royaume hachémite de Jordanie ". Peu avant, le
Liban et la Syrie avaient accédé à leur tour à l'indépendance. Leur " mandataire " français avait
pourtant tout fait pour retarder l'échéance. Dès 1920, c'est par la force que Faysal, proclamé roi
par le " Congrès général syrien ", est chassé de Damas. Puis commence une longue série de "
tripatouillages " territoriaux. 1920 : le " mandat " est divisé en quatre États, le Grand-Liban,
Damas, Alep et un État alaouite. Ces trois derniers sont fédérés en 1922, le djebel druze devenant
autonome. 1924 : constitution du sandjak d'Alexandrette, cédé à la Turquie en 1939. Nouveau
découpage en 1925 : Grand-Liban, Syrie et djebel druze, où éclate une insurrection qui gagne
tout le pays, avant d'être écrasée par l'armée française. Il faudra attendre 1936 et la victoire du
Front Populaire pour que l'indépendance, en échange d'une alliance militaire, de bases et de "
facilités ", soit promise au Liban et à la Syrie par un traité... non ratifié ! Vichy ayant laissé l'Axe
utiliser militairement les deux pays, la Grande-Bretagne les occupe en juillet 1941, avec les
Forces françaises libres. Dont le chef sur place, le général Catroux, délégué de de Gaulle,
proclame l'indépendance du Liban et de la Syrie. C'est tard, trop tard aux yeux du mouvement
national, qui obtient l'admission à l'ONU sans référence aucune à la position spéciale de la
France. Les derniers soldats français quitteront le Levant le 31 décembre 1946... La Grande-
Bretagne, cependant, ne pourra se réjouir longtemps des mésaventures de sa rivale : trente ans
après la déclaration Balfour, vingt-cinq ans après le mandat, sa politique palestinienne aboutit à
une impasse. L'ONU, qu'elle a saisie, décide le partage. Le 14 mai 1948, sir Alan Cunningham,
le septième et dernier haut commissaire britannique en Palestine, s'embarque à Haïfa. Le jour
même où l'État d'Israël déclare son indépendance. L'État arabe, prévu lui aussi par l'ONU, ne voit
pas le jour. La spirale fatale des conflits israélo-arabes commence. Évincés de Palestine, puis
d'Égypte (1945-1956), du Soudan (1956) et d'Irak (1958), les Britanniques, en revanche, "
tiennent ", pour un temps, sur la péninsule Arabique. L'Arabie Saoudite, certes, est indépendante,
ainsi que le Yémen du Nord qui, par un subtil jeu d'alliances, a toujours préservé sa liberté. Mais
tous les autres émirats, sultanats ou principautés sont aux mains de Londres. Le Koweït s'en
émancipera le premier, en 1961. Six ans plus tard, ce sera le tour de la Fédération de l'Arabie du
Sud, qui deviendra République populaire du Yémen en 1967. Oman sera indépendant en 1970, le
Qatar et Bahreïn en 1971, la même année que les Émirats arabes unis, autrefois Côte des Pirates.
Mais la date clé, c'est 1967 : cette année-là, la Grande-Bretagne a décidé de retirer toutes ses
troupes présentes à l'est de Suez. Ainsi les structures étatiques nées du démembrement de
l'Empire ottoman débouchent-elles sur l'indépendance de la plupart des peuples qu'il administrait
au Proche-Orient. À l'exception de deux : les Palestiniens et les Kurdes.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

INFITAH
Terme arabe signifiant " ouverture ", l'infitah désigne une politique économique libérale
en rupture avec le " socialisme " de Nasser ou des premiers dirigeants baasistes syriens. Ce "
nouveau cours " a été mis en oeuvre par Anouar Al Sadate, dès son accession au pouvoir, et aussi
par le président Hafez Al Assad, mais sur une échelle plus limitée et sous un contrôle beaucoup
plus strict de l'État (le mouvement s'est accéléré dans les années 90), puis par l'Irak, notamment
après le désastre de l'aventure koweïtienne. Entamée dès 1971 en Égypte, l'infitah connaît son
plein essor après la guerre d'octobre 1973. Le Raïs en définit alors les grandes lignes :
encouragement au secteur privé et aux investissements étrangers, ouverture aux banques non
égyptiennes, libéralisation du commerce extérieur, diminution de la place du secteur public. Une
suite de décrets et de lois permettent la concrétisation de cette nouvelle philosophie économique.
Vingt ans plus tard, le bilan est nuancé. Le capital privé ou étranger s'est investi avant tout dans
les secteurs non industriels et non agricoles là où le profit était immédiat et substantiel : import-
export, immobilier, banques, tourisme... La spéculation et la corruption ont connu un essor sans
précédent. Les inégalités sociales se sont creusées, et la richesse insolente des parvenus nargue la
misère toujours recommencée du peuple égyptien. L'Égypte a accentué sa dépendance à l'égard
de l'aide extérieure (en particulier sur les plans agricole et financier) et des millions de ses
travailleurs, techniciens et cadres sont partis travailler dans les pays pétroliers. Même le secteur
public a été longtemps intouchable : pour des raisons sociales, mais aussi parce qu'il n'existe pas
de capital privé entreprenant capable d'assurer la gestion d'industries aussi décisives que l'acier,
ou l'armement. Sous la pression du FMI, le gouvernement semble désormais prêt à avancer
rapidement sur la voie de la privatisation. Certes, le bilan global n'est pas totalement noir, et
certains succès ont été obtenus : l'Égypte est devenue un pays exportateur de pétrole, certains
secteurs de l'agriculture et de l'industrie ont connu une nouvelle efficacité... Mais l'exemple
égyptien a montré les difficultés à imposer un modèle libéral dans une économie sous-
développée, sans susciter de profondes distorsions et des explosions sociales dont les
manifestations de janvier 1977 au Caire sont restées le symbole.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

INTIFADA
En arabe, " soulèvement " : nom donné à la révolte palestinienne qui s'est déclenchée,
début décembre 1987, à Gaza et en Cisjordanie. Plus massive et plus déterminée qu'aucun
mouvement antérieur dans les Territoires occupés, la " révolution des pierres " a profondément
modifié le paysage proche-oriental. C'est le 7 décembre 1987 qu'un accident de la circulation -
une collision entre un véhicule israélien et un taxi collectif palestinien, dont deux occupants
meurent - met le feu aux poudres. Deux jours plus tard, les premiers affrontements se produisent
entre jeunes Palestiniens et soldats israéliens, dans le camp de Jabalya. En une semaine,
l'insurrection s'étend à l'ensemble de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, malgré l'état de siège
décrété par les autorités d'occupation. Surpris, le gouvernement israélien se fixe en effet, toutes
tendances confondues, une seule priorité : " mater la subversion ", selon l'expression du ministre
de la Défense, Itzhak Rabin, que son appartenance au Parti travailliste n'empêchera pas de
diriger, d'une main de fer, la répression de l'intifada. À l'escalade des manifestations, des grèves
et des heurts répondra donc, pour tenter de la stopper, une spirale répressive. L'armée multiplie
les couvre-feu, tire sur les adolescents qui la narguent, les " passe à tabac ", en arrête des dizaines
de milliers et en interne des milliers, n'hésite pas devant les " mauvais traitements " lors de ses
raids contre des villages ou dans les prisons, expulse plusieurs dizaines de Palestiniens, etc.
Ouvertement contraire aux dispositions de la Convention de Genève, ce cours violent heurte les
opinions, y compris juives, qui, à travers le monde, se montrent sensibles aux images
abondamment diffusées par les grands médias. La tentative d'enterrer vivants au bulldozer quatre
villageois de Salem et la scène des deux jeunes de Naplouse, battus en direct devant la caméra de
la télévision américaine CBS, émeuvent particulièrement les consciences. Bilan chiffré, un an
après le début de la révolte : 400 morts, 25 000 blessés, 6 000 prisonniers - soit, avec les 4 000
précédents, un total de 10 000 détenus pour une population de 1,7 million d'habitants. Cet
exceptionnel déploiement de force n'a cependant pas raison des insurgés. C'est que leur
détermination, par-delà la conjoncture - espoir suscité en avril 1987 par la réunification de l'OLP
au Conseil national d'Alger, colère en novembre après l'" oubli " de la question palestinienne par
le sommet arabe d'Amman de novembre -, plonge ses racines dans un terreau fertile. Certes, la
résistance à l'occupation remonte aux origines mêmes de celle-ci, en juin 1967. L'extension
progressive de la mainmise israélienne sur la Cisjordanie et Gaza, avec notamment le
développement de la colonisation, rencontre une opposition croissante, qui s'exprime tant sous la
forme de manifestations et d'actions violentes que lors des élections municipales de 1976,
remportées haut la main par les proches de l'OLP. Mais, cette fois, on assiste à l'explosion du "
ras-le-bol " de toute une génération, née sous l'occupation, qui surmonte la résignation toute
relative des précédentes, et les entraîne, par son exemple de dignité reconquise, dans l'action pour
l'indépendance. Jamais, même en 1981 et 1982, les " Palestiniens de l'intérieur " n'avaient fait
entendre aussi fortement leur voix. L'ampleur de l'intifada dépasse, en effet, celle des
soulèvements précédents à bien des égards. Sa durée : plus de quatre ans. Son étendue :
l'ensemble des Territoires occupés, y compris Jérusalem, Bethléem et les villages,
traditionnellement peu touchés. Ses formes : rassemblements massifs, arrêts de travail généralisés
et affrontements se combinent avec autogestion de la vie quotidienne et tentatives de
désobéissance civile. Ses participants : les jeunes côtoient les aînés, les réfugiés de 1947-1949 se
mêlent aux originaires des Territoires occupés, les ouvriers et les paysans se retrouvent avec les
commerçants, les cadres et les intellectuels. Née spontanément, comme tous les observateurs,
israéliens compris, l'indiquent, d'un cocktail explosif - misère des bidonvilles, chômage massif,
humiliation du sentiment national et répression quotidienne -, la " révolution des pierres " est
rapidement encadrée. Les comités populaires locaux organisent le combat de rue - sans armes à
feu - contre l'armée israélienne, mais aussi le ravitaillement, l'enseignement, le suivi médical, les
principaux services - au point que des observateurs ont pu parler de " zones libérées ".
Autonomes, les comités locaux se retrouvent parallèlement dans une " Direction unifiée " où
cohabitent, relativement unis malgré leurs divergences, le Fath de Yasser Arafat, le Front
populaire de Georges Habache, le Front démocratique de Nayef Hawatmeh et le Parti
communiste palestinien - à l'exclusion du Mouvement de la résistance islamique, baptisé, d'après
ses initiales, Hamas (en arabe, zèle). Seule cette dernière tendance se situe en dehors du
consensus politique de l'intifada : créer un État palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza,
l'État d'Israël revenant à ses frontières d'avant la guerre des Six Jours en 1967. Comme une
résurrection, quarante ans après son avortement, du plan de partage voté par l'Assemblée
générale des Nations unies. D'où cette analyse d'Elias Sanbar (dans Palestine, le pays à venir) : "
L'intifada, c'est sa principale force, suscite l'adhésion du monde dans la mesure où elle
n'apparaît jamais comme porteuse d'une menace pour l'existence d'Israël. On évalue mieux ainsi
le trait de génie politique du peuple dans le choix des pierres et non des armes à feu. Cette
retenue montrait au monde que le soulèvement constituait une menace pour l'occupant et non
pour Israël lui même dans ses frontières de 1948-1949. On peut ainsi mieux analyser, a contrario,
les effets totalement opposés provoqués plus tard par les attentats des islamistes à l'intérieur de
la ligne verte. " Le soulèvement, plaçant sa puissance au service de cette orientation, brouille les
cartes du jeu proche-oriental, dont il défie bien des acteurs. Le premier à réagir est le roi Hussein
de Jordanie : le 31 juillet 1988, il annonce la rupture des relations de son pays avec la
Cisjordanie. " La Jordanie n'est pas la Palestine, déclare-t-il, et l'État indépendant palestinien
sera établi sur la terre palestinienne occupée après sa libération. " L'" option jordanienne " ainsi
évanouie, l'OLP se mue pour Israël en partenaire inévitable de futures tractations de paix. Le
débouché politique de la révolte, les conditions à remplir pour s'asseoir à la table de négociation
exigent d'Arafat et des siens - comme la " Direction unifiée " de l'intifada ne s'est pas privée de le
rappeler - la définition d'un programme de paix concret. L'OLP est placée devant la nécessité de
reconnaître l'État d'Israël, afin d'en obtenir la réciproque. Le Conseil national palestinien d'Alger
de la mi-novembre 1988 a d'ailleurs avancé sur cette voie, en proclamant un État palestinien
indépendant tout en acceptant la résolution 181 de 1947 ainsi que les résolutions 242 et 338 du
Conseil de sécurité des Nations unies, et en réaffirmant sa condamnation du terrorisme. Mais la
première année d'intifada ne débouche pas sur la solution espérée : le gouvernement israélien
s'oppose avec détermination et efficacité aux pressions américaines visant à engager, en 1989-
1990, une négociation israélo-palestinienne. Cet enlisement accélère la radicalisation, voire une
certaine dégénérescence de la " révolution des pierres ". Les règlements de compte contre les "
collabos " (ou supposés tels) se multiplient ; des actions individuelles visent des civils israéliens
ou des touristes (" guerre des poignards ") ; des groupes, souvent incontrôlés, font eux-mêmes la
loi. Privés d'études pendant des mois, révoltés contre les aînés comme contre les factions
politiques traditionnelles, de nombreux jeunes se tournent vers le mouvement islamiste Hamas,
qui a toujours dénoncé les solutions diplomatiques voit son influence croître. C'est dans ce
contexte qu'éclate la crise du Golfe et que de nombreux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza,
désespérés par une répression impitoyable, par une situation économique et sociale qui ne cesse
de se dégrader et par l'absence de perspective politique, se prennent à espérer dans Saddam
Hussein et dans un nouveau rapport de force militaire qui imposera la création d'un État
palestinien. L'échec sanglant du dictateur irakien renforcera le camp du compromis. D'une
certaine manière, la conférence de Madrid, puis les négociations secrètes d'Oslo et les accords du
même nom constituent le débouché enfin attendu de l'intifada. Mais il y a loin du rêve à la
réalité : la fin de l'occupation israélienne demeure partielle, l'expérience de l'autonomie n'est pas
l'indépendance espérée et, même d'un point de vue interne, Yasser Arafat appuie son pouvoir sur
les fidèles des vieux clans plutôt que sur les personnalités issues du soulèvement - même s'il doit
tenir compte de figures éminentes telles que Faysal Husseini, Haydar Abdel Chafi ou Hanan
Ashraoui, etc. Événement majeur de l'histoire contemporaine des Palestiniens, étape décisive
dans l'affirmation nationale de ce peuple, l'intifada n'a pas encore triomphé...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

IRAK
Bien que Bagdad ait servi de capitale à l'Empire abbasside du VIIIe au XIIIe siècle, l'Irak,
dans ses frontières actuelles, ne voit le jour qu'à la suite de la Première Guerre mondiale. Chassé
de Syrie par les troupes françaises en 1920, l'émir Faysal - fils du chérif Hussein, le chef de la
révolte arabe - est intronisé le 23 août 1921 par les Britanniques en Irak. Le mandat que Londres
a obtenu de la Société des nations (SDN) en 1920 durera plus de dix ans. C'est en 1932 que le
pays accède à l'indépendance, non sans avoir signé un traité d'alliance avec la Grande-Bretagne,
qui conserve des bases militaires et la haute main sur les décisions importantes. Durant la
Seconde Guerre mondiale, un coup d'État du général Al Kailani, qui exprime des sentiments
nationalistes, mais cherche à s'appuyer sur l'Allemagne nazie, est brisé par l'intervention anglaise.
La fin du conflit voit se confirmer la force du mouvement national, antimonarchique et anti-
anglais. Les tentatives de l'homme fort du régime, le Premier ministre Nouri Saïd, de signer en
1948 un nouveau traité avec Londres se heurtent à de puissantes manifestations populaires. La
guerre de Palestine permet au pouvoir de remettre de l'ordre dans la maison, tandis que des
contingents irakiens participent au combat et à la défaite des armées arabes. Après l'arrivée de
Nasser au pouvoir en Égypte, le roi Faysal II et Nouri Saïd prennent la tête de la coalition arabe
pro-occidentale. L'Irak adhère au pacte de Bagdad en 1955, puis, en 1958, forme une Fédération
avec la Jordanie pour contrer la République arabe unie. Mais il est trop tard : le 14 juillet 1958,
un groupe d'officiers, dirigé par le général Abdelkarim Kassem, renverse la royauté et instaure la
République. Kassem s'oppose aux nationalistes arabes - favorables à l'union avec l'Égypte -,
engage des réformes progressistes et s'appuie, dans un premier temps, sur le puissant PC irakien.
Mais les hésitations du régime, le caractère de plus en plus personnel du pouvoir, la relance de
l'insurrection kurde viendront à bout de Kassem. Il est renversé le 8 février 1963 par un coup
d'Etat suivi de massacres anticommunistes. Après un règne assez terne des frères Aref, de
tendance nassérienne, le Baas s'empare du pouvoir en juillet 1968. Il y est encore aujourd'hui. Il
faudra une dizaine d'années au Baas pour asseoir son pouvoir. À l'époque c'est encore un parti
faible, déchiré par des courants rivaux, sans grande expérience gouvernementale. Il doit faire
face au mouvement national kurde, emmené par Moustapha Al Barzani, au Parti communiste,
décimé en 1963 mais encore influent, et à diverses organisations nationalistes concurrentes. Sa
légitimité et aussi ses moyens, le Baas les acquiert d'abord grâce à une politique pétrolière
audacieuse. En 1972, il nationalise - c'est presque une première à l'époque - l'essentiel de l'Iraq
Petroleum Company et résiste au blocus occidental grâce à l'aide de l'URSS, avec laquelle
Bagdad signe un traité d'amitié et de coopération. Cette politique favorise la création en 1973
d'un Front national avec le Parti communiste qui permet au Baas de se retourner contre le
mouvement kurde qui sera défait en 1975, malgré l'instauration d'une autonomie, qui accorde de
larges droits culturels aux Kurdes. L'augmentation des ressources pétrolières facilite de
profondes transformations du pays et aide à consolider l'autorité de ses dirigeants. Entre 1972 et
1974, les recettes de l'or noir grimpent de 575 millions de dollars à 5,7 milliards. Le
gouvernement prend alors des mesures sociales, parfois démagogiques : augmentation généreuse
des salaires, diminution des impôts. Il investit massivement dans les infrastructures, l'industrie
lourde et la pétrochimie. Il accélère aussi l'étatisation de l'économie. Entre 1972 et 1978, le
nombre des employés de l'État, soldats et officiers non compris, passe de 400 000 à 650 000,
dont 100 000 pour le secteur public et 150 000 pour le ministère de l'Intérieur. Pourtant le pari du
développement sera perdu et, à la veille de la guerre contre l'Iran, l'Irak dépend de ses
exportations pétrolières pour plus de 99 % de ses exportations. Dans deux domaines toutefois les
progrès sont incontestables : l'éducation et la place des femmes. En juillet 1979, Saddam
Hussein, qui n'était que l'" homme fort " du régime aux côtés du président Hassan Al Bakr,
assume tous les pouvoirs. La terreur, déjà forte, est portée à un niveau sans précédent. Un culte
de la personnalité, sans équivalent dans le monde arabe, se met en place. Et le nouveau chef
infléchit les choix politiques : le jusqu'auboutisme qui avait caractérisé les dix premières années
du règne baasiste est oublié et le pays opère un rapprochement avec les monarchies du Golfe.
L'alliance avec l'URSS est desserrée et le Baas met hors la loi le Parti communiste. Enfin
Saddam Hussein observe avec inquiétude les bouleversements qui secouent l'Iran et qui ont un
fort impact parmi les chiites - 50 % à 60 % de la population irakienne. Des manifestations ont
déjà touché les villes saintes chiites de Kerbala et de Najaf en 1977, elles s'étendent désormais
sous l'impulsion de Mohamed Bakr Al Sadr qui a cotôyé l'ayatollah Khomeyni au cours de son
exil irakien. Le pouvoir répond avec férocité à cette agitation. Les mosquées sont placées sous
étroit contrôle et, au printemps 1980, Al Sadr et des dizaines de membres de sa famille sont
arrêtés, puis exécutés. Mais c'est en lançant ses troupes, en septembre 1980, à l'assaut de l'Iran
que Saddam Hussein espère en finir avec la " Révolution islamique ". Malgré son puissant
armement, malgré la complaisance internationale dont elle bénéficie dans son agression - qui ne
sera même pas condamnée par les Nations unies -, l'armée irakienne, après quelques succès
initiaux, doit battre en retraite. La guerre irako-iranienne s'achèvera en 1988, laissant les deux
protagonistes exsangues. L'Irak a eu des centaines de milliers de tués ou de blessés, subi de
lourdes destructions - notamment autour de Bassorah -, et se retrouve avec un endettement de
plusieurs dizaines de milliards de dollars. La libéralisation économique, entamée dès 1987 sur le
modèle égyptien de l'infitah, ne permet pas au pays de se relever. Les faibles cours du pétrole, le
maintien de dépenses militaires énormes - y compris la recherche dans le domaine des armements
nucléaires - et l'ampleur de la dette empêchent la reconstruction du pays. Ces difficultés mettent
en cause la politique de redistribution qui permettait, grâce à l'argent du pétrole, d'" acheter " une
certaine stabilité. En se lançant à l'assaut du Koweït, Saddam Hussein espère trouver l'argent
nécessaire à sa politique de grandeur : le résultat sera terrible. Le bilan de la crise et de la guerre
du Golfe est désastreux pour le pays. L'essentiel des infrastructures et des industries ont été
rasées. Pour les Irakiens triomphe le pire des scénarios : non seulement leur pays a été ramené
des décennies en arrière, mais la dictature baasiste poursuit son cours. Car l'insurrection dans le
Sud, à majorité chiite, suite à la défaite de l'armée irakienne au Koweït au printemps 1991, a été
écrasée dans le sang ; au nord, en revanche, les milices kurdes ont pris le contrôle des principales
villes, grâce notamment à l'intervention des Occidentaux. Malgré ces alertes, Saddam Hussein
réussira à renforcer son emprise sur un pays affamé par l'embargo (voir Sanctions). L'isolement
diplomatique de l'Irak - qui reste sévèrement contrôlé par la communauté internationale - est en
effet total. Après de longues tractations, Bagdad et les Nations unies sont parvenus, en mai 1996,
à un accord sur la mise en oeuvre de la résolution 986 votée en 1995. Il permet à l'Irak d'exporter
pour 2 milliards de dollars de pétrole tous les six mois et d'acheter de la nourriture avec la partie
de cette somme qui n'est pas confisquée pour le fonctionnement de diverses agences des Nations
unies et pour le remboursement des victimes de la guerre du Golfe. Mais l'opération lancée par
l'armée irakienne au kurdistan, fin août 1996, aura - outre les représailles américaines - entraîné
le report de l'entrée en vigueur de cet arrangement. Quant à la levée totale de l'embargo sur les
ventes de pétrole, il devrait en principe, être confirmé quand Bagdad aura répondu aux conditions
de désarmement imposées par les Nations unies. C'est la position des Nations unies, de la Russie,
de la France et de la Chine. Mais les États-Unis, interprétant très librement les résolutions de
l'ONU, posent, pêle-mêle, une série de conditions supplémentaires : restitution de tous les biens
volés au Koweït, retour de tous les disparus, fin de tout appui au terrorisme, amélioration de la
situation des droits de l'homme, etc. D'une superficie de 438 000 kilomètres carrés, l'Irak compte
environ 20 millions d'habitants, dont environ un tiers de Kurdes. Les chiites représentent plus de
la moitié de la population arabe, et le pays comporte aussi une petite minorité chrétienne. La
principale ressource du pays est le pétrole. Les acquis économiques réels de la décennie 70 ont
été anéantis par le conflit avec l'Iran et la guerre du Golfe.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

IRAN
Le premier Empire perse remonte à Cyrus, au VIe siècle avant Jésus-Christ. Le règne des
Sassanides, qui professaient le zoroastrisme, effectif à partir du IIIe siècle après J.-C., dura plus
de quatre cents ans. Affaiblis par les incessantes guerres contre l'Empire byzantin, ils furent
défaits par les Arabes en 637, à la bataille de Qadissiyya. Convertis à l'islam, les Iraniens
contribuèrent de manière éminente au rayonnement culturel de l'Empire abasside, mais la Perse
ne resurgit comme entité politique indépendante qu'au XVIe siècle. C'est alors que les bases de
l'Empire safavide sont jetées par Ismaïl Safavi. Il affirme l'autonomie de la Perse à l'égard de
l'Empire ottoman et utilise le chiisme, décrété religion d'État, comme moyen de forger une
identité nationale. Le déclin de l'empire commença au XVIIIe siècle, quand la Perse fut envahie
par l'Afghanistan et menacée par les tsars et les Turcs - qui conquirent Tabriz en 1725. À la fin
du XIXe siècle, la Grande-Bretagne, dont l'influence en Inde grandit, s'affirme comme un acteur
décisif sur la scène perse, tandis qu'une nouvelle dynastie, les Qajars, s'installe au pouvoir - elle y
demeurera jusqu'en 1925. Subissant les assauts de l'Empire ottoman et de la Russie ainsi que les
ingérences de Londres, la Perse joue sur les rivalités de ces grandes puissances. Malgré la perte
de nombreux territoires, elle maintiendra son indépendance. La découverte du pétrole accroît
l'importance du pays. En 1905-1906, un mouvement en faveur d'une Constitution se développe
contre le Chah : il ne sera finalement éliminé, avec l'appui russe, qu'à la veille de la Première
Guerre mondiale. Bien que neutre durant le conflit, la Perse sympathise avec l'Empire ottoman.
Mais la disparition de ce dernier et l'avènement des bolcheviks au pouvoir en Russie laissent le
champ libre à Londres qui, pour plus de quarante ans, va transformer le pays en un quasi-
protectorat. Les Qajars sont renversés en 1925 par un officier, Reza Khan, qui s'était imposé
quatre ans plus tôt comme ministre de la Défense, à la faveur d'un coup d'État : le règne des
Pahlavis commence. Le nouveau souverain, qui se fait appeler Reza Chah, encourage le
développement économique et l'occidentalisation - mais à un rythme beaucoup plus réduit qu'en
Turquie, sous Moustapha Kemal, et en maintenant un pouvoir despotique. À plusieurs reprises,
des conflits l'opposent au Royaume-Uni, dont l'influence reste prépondérante dans la région et
dans le pays - en particulier à travers l'Anglo-Iranian Oil Company, qui exploite le pétrole et la
raffinerie géante d'Abadan. Pour tenter de se dégager de cette lourde tutelle, le Chah développe
de cordiales relations avec l'URSS et surtout avec l'Allemagne, qui participe activement au
développement économique du pays : en 1939, elle représente 41 % du commerce iranien. Lors
de l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, Téhéran proclame sa neutralité. Mais, après le
déclenchement de l'attaque nazie contre l'Union soviétique, en juin 1941, l'Iran devient la seule
voie praticable par laquelle la Grande-Bretagne peut approvisionner son nouvel allié. Moscou et
Londres demandent alors au Chah d'expulser les conseillers allemands. Devant son refus, les
troupes soviétiques et britanniques pénètrent dans le pays : le Chah est contraint d'abdiquer au
profit de son fils, Mohamed Reza. Après la fin du conflit mondial et l'élimination de la
République kurde de Mahabad au nord de l'Iran, la Grande-Bretagne devient la cible privilégiée
des nationalistes. Le refus de l'Anglo-Iranian Oil Company de discuter une nouvelle répartition
des recettes avec l'État entraîne une radicalisation de l'opinion. C'est ce que traduisent, le 28 avril
1951, la nomination de Mossadegh comme Premier ministre et la nationalisation du pétrole. " Le
pétrole est notre sang, le pétrole est notre liberté ", scandent les manifestants. En août 1953, un
coup d'État, organisé par la CIA en collaboration avec Londres, met fin au gouvernement
Mossadegh. Le Chah affirme son pouvoir dictatorial et élimine dans le sang toute l'opposition
laïque. Les États-Unis remplacent la Grande-Bretagne comme puissance tutélaire de l'Iran. Les
années 60 et 70 voient se confirmer à la fois le caractère dictatorial du régime et l'engagement de
l'Iran sur la voie de l'occidentalisation économique. À la campagne, c'est la " révolution blanche
" qui suscitera les émeutes de 1963, dans lesquelles s'illustrera Ruhollah Khomeyni. Les grands
projets industriels sont favorisés par la hausse des prix pétroliers en 1973. La constitution d'une
formidable machine militaire transforme l'Iran en " gendarme du Golfe " : Téhéran intervient
contre la rébellion au Dhofar (Oman) et prend de force, en novembre 1971, le contrôle de trois
îles du Golfe - Abou Mousa, la petite et la grande Tomb. Mais le Chah sombre dans la
mégalomanie et célèbre à Persépolis, en octobre 1971, les deux mille cinq cents années de
l'Empire perse. Son Premier ministre, Amir Abbas Hoveyda, déclare en 1973 que " la dernière
chose dont l'Iran a besoin est d'une démocratie de type occidental ". Tous les opposants laïcs
sont poursuivis par la police secrète, la Savak. Quant à la " modernisation " annoncée, elle se
traduit par une urbanisation anarchique, la déstructuration des campagnes, une misère accrue. La
présence de 30 000 conseillers américains et de nombreuses bases étrangères choque le
nationalisme de la population. Unique force survivante de la terrible répression politique, le
clergé chiite est seul à même de canaliser l'aspiration à la dignité, à la souveraineté, à la liberté, à
l'indépendance. Toute l'année 1978 est marquée par les manifestations populaires et par une
terrible répression. Vaine : le 16 janvier 1979, le Chah doit quitter le pays et, 1e 1er février,
Khomeyni rentre triomphalement dans la capitale. La " révolution islamique " a triomphé : vingt-
cinq ans plus tôt, cette même révolution aurait été laïque et démocratique, mais les puissances
occidentales l'ont brisée, frayant la voie aux mollah. En février 1979, c'est encore un libéral,
Mehdi Bazargan, qui est nommé Premier ministre. Il tombe neuf mois plus tard, tandis que la "
révolution " se radicalise et que les étudiants dans la " ligne de l'imam " occupent, le 4 novembre,
l'ambassade des États-Unis - dont le personnel ne sera libéré que le 20 janvier 1981. La nouvelle
Constitution formalise les pouvoirs immenses du " guide ", c'est-à-dire de Khomeyni. Le régime,
en 1980 et 1981, paraît au bord du gouffre - insurrection kurde, passage des Moudjahidin de
Massoud Radjavi à l'opposition armée, fuite du président élu Bani Sadr qui se réfugie en France à
l'été 1981 - quand l'agression irakienne de septembre 1980 et le déclenchement de la guerre Iran-
Irak suscitent un sursaut patriotique. En 1983, l'Iran parvient à chasser toutes les troupes
irakiennes de son territoire, et envahit son voisin. La guerre, essentiellement par l'obstination de
Khomeyni, durera jusqu'en août 1988. Ce long conflit a permis aux dirigeants de masquer leurs
divergences, de ne pas opérer les choix décisifs pour le pays. La rente pétrolière a servi à payer
les importations, mais aucune voie de développement n'a été définie, ni libérale, ni étatiste. Les
grandes réformes sont paralysées par le Conseil tutélaire chargé de vérifier la conformité des lois
avec l'islam. La situation économique et sociale demeure catastrophique : entre 1978 et 1989, le
produit intérieur brut de l'Iran n'a augmenté que de 10 % alors que la population s'est accrue de
30 %. En 1988, alors que l'état de santé de Khomeyni empire, les luttes pour le pouvoir
s'aggravent. Le 2 juin le président de l'Assemblée, l'hodjatoeslam Hashemi Rafsandjani, un des
protagonistes de l'Irangate, devient commandant en chef des armées. Quelques semaines plus
tard il arrache à l'imam l'acceptation de la résolution 598 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui
met fin à la guerre avec l'Irak. Successeur désigné de l'imam, l'ayatollah Montazeri - un des
premiers à avoir réclamé l'arrêt du conflit et la libéralisation du régime - est écarté en mars 1989.
À la mort de Khomeyni, au mois de juin, c'est un simple hodjatoeslam Ali Khamenei qui est
désigné, dans des conditions contestées, nouveau guide. Il n'a ni l'autorité, ni la stature de son
prédécesseur, mais forge une alliance avec Rafsandjani, élu président de la République. Les deux
hommes prônent alors le libéralisme économique, qui suppose l'appel aux capitaux étrangers et
l'arrêt de l'expérience révolutionnaire. Mais ils rencontrent une forte opposition des radicaux qui
dénoncent le fossé croissant entre riches et pauvres ainsi que des conservateurs, qui récusent tout
modèle occidental. Les réticences américaines face à Téhéran - malgré sa neutralité bienveillante
durant la guerre du Golfe - ont compliqué encore la tâche des libéraux. Sept ans après la mort du
guide de la révolution, les problèmes s'accumulent. Aucune réforme économique n'a été menée ;
la dette est évaluée à près de 30 milliards de dollars et son service pèse lourdement. Le
mécontentement social s'est traduit par plusieurs émeutes, sévèrement réprimées. La poursuite
par Téhéran - ou certaines des fractions au pouvoir - d'actions terroristes contre les opposants à
l'étranger a contribué à l'isolement du régime, accusé également de chercher à se doter de l'arme
nucléaire. Les États-Unis, qui ont imposé un embargo sur leur commerce avec l'Iran, ont adopté,
en juillet 1996, malgré l'opposition des Européens favorables à un dialogue avec Téhéran, une loi
menaçant de sanctions les sociétés étrangères qui aideraient au développement du secteur
pétrolier iranien. Enfin, même si la répression s'est relâchée, le système politique apparaît
incapable de répondre aux aspirations du pays. Pourtant, les choses sont loin d'être figées,
comme en ont témoigné les élections législatives de mars-avril 1996, marquées par une forte
participation. Après une campagne animée, la droite conservatrice a vu son hégémonie sur le
parlement affaiblie : par la renaissance d'une gauche et par les bons résultats des Serviteurs de la
reconstruction, un groupe proche du président Rafsandjani. De plus, on assiste depuis plusieurs
années, dans la société, à une séparation entre les champs politique et religieux, d'autant plus
forte que de nombreux scandales financiers ont terni l'image du clergé. L'élection présidentielle
de 1997, à laquelle Rafsandjani ne pourra pas - en principe - se présenter, éclairera sans doute les
choix à venir de la République islamique. L'Iran s'étend sur 1,65 million de kilomètres carrés,
soit trois fois la France. En 1993, la population compte 64,2 millions d'âmes. En dehors des
Persans, qui parlent le farsi et représentent environ la moitié des habitants, les principaux
groupes ethniques sont les Turcs, les Kurdes, les Baloutches et les Arabes ; on compte aussi un
peu plus d'un million de nomades. La principale richesse du pays est le pétrole dont la production
en 1995 atteignait 3,65 millions de barils par jour, contre 3,17 millions en 1979 et 1,32 million
en 1981. Le pétrole représente environ 90 % des exportations, le reste étant constitué par des
produits agricoles, du minerai et des tapis.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

IRANGATE
Nom donné - par assimilation au Watergate qui coûta sa présidence à Richard Nixon - au
scandale des ventes secrètes d'armes américaines à l'Iran, de 1985 à 1987, lequel compromit de
nombreux dignitaires américains, jusqu'au président Ronald Reagan. Tout commence en fait, en
octobre 1984, avec l'adoption par le Congrès des États-Unis de l'amendement Boland, qui interdit
pour un an " à toute autre agence ou entité des États-Unis engagée dans des activités de
renseignement " de " soutenir, directement ou indirectement, des opérations militaires ou
paramilitaires menées au Nicaragua ". Immédiatement, les responsables du Conseil national de
sécurité - en particulier le directeur de la CIA, William Casey, et le conseiller national à la
Sécurité, Robert McFarlane - s'efforcent de contourner la décision afin de poursuivre l'aide à
leurs amis nicaraguayens en difficulté. Outre la contribution qu'ils obtiennent des Saoudiens (32
millions de dollars entre juillet 1984 et février 1985), du sultan de Brunei (10 millions de dollars)
et, semble-t-il, de la dictature sud-coréenne, certains, à Washington, songent à vendre à Téhéran
des armes dont le profit irait aux contre-révolutionnaires nicaraguayens. Leur projet rejoint la
stratégie de ceux qui continuent de considérer l'Iran, avec ou sans Khomeyni, comme une base
indispensable pour les États-Unis. Et c'est tout naturellement qu'ils se tournent vers Israël.
Spécialistes compétents, les Israéliens le sont, en effet, à double titre : ils livrent depuis
longtemps des armes à la fois aux contras et à l'Iran (on a appris, en décembre 1991, que
l'administration Reagan avait autorisé certaines de ces ventes à Téhéran dès 1981-1982). Lié aux
régimes centro-américains, y compris celui de Somoza, l'État juif ravitaille et encadre la guérilla
antisandiniste, d'après certains dès 1979. Simultanément, fidèle au précepte selon lequel " les
ennemis de mes ennemis sont mes amis ", Israël a pris, depuis l'éclatement de la guerre Iran-Irak,
le parti de l'Iran, opposé à l'un des bastions du monde arabe, l'Irak - 500 millions de dollars
d'armes israéliennes seraient parvenus à Téhéran, de 1980 à 1983, selon l'Institut d'études
stratégiques de Jaffa. Les hommes clés de ce double trafic - David Kimche, directeur général du
ministère des Affaires étrangères (occupé à l'époque par Itzhak Shamir), Amiram Nir (conseiller
en contre-terrorisme du Premier ministre Peres, mort dans un accident d'avion à la fin de 1988),
Yaacov Nimrodi (ancien agent du Mossad et ex-attaché militaire à Téhéran), et leur ami iranien
Manucher Ghorbanifar (un ancien agent de la Savak, la police secrète du Chah) - mettent sur pied
l'accord en janvier 1985. En échange de missiles made in USA livrés par Jérusalem, les
Américains obtiendraient la libération de leurs otages du Liban, donneraient corps à l'espoir d'une
relève " modérée " - donc antisoviétique - de l'ayatollah Khomeyni, et récupéreraient de juteux
bénéfices pour leurs protégés de la Contra. Par ce canal, deux livraisons auront lieu : en août-
septembre 1985, 508 missiles antichars Tow, puis en novembre des missiles anti-aériens Hawks.
Mais un seul otage, le révérend Benjamin Weir, retrouve la liberté. Désenchanté, McFarlane
démissionne le 11 décembre 1985. Israël n'entend pas, cependant, renoncer à la " filière iranienne
" : Shimon Peres envoie donc Amiram Nir à Washington, début janvier 1986, porteur -
expliquent North et Pointdexter dans un mémorandum - d'un " plan par lequel Israël, avec une
assistance limitée des États-Unis, peut créer les conditions pour aider à l'arrivée d'un
gouvernement plus modéré en Iran ". La proposition d'échanger les otages contre la livraison de
3 000 missiles Tow est acceptée, le 17 février, par Ronald Reagan. Seule différence notable : les
hommes de l'Irangate entendent, cette fois, acheminer eux-mêmes les armes attendues par
Téhéran. Pour y parvenir, le lieutenant-colonel North fait appel à de vieux " baroudeurs ", en
particulier l'ex-général Richard Secord. Ancien du Pentagone et de la CIA, il a fait ses preuves
contre Cuba et dans la guerre secrète au Laos, s'y connaît en trafics d'armes au Moyen-Orient et
s'est associé avec Albert Hakim à la tête de la compagnie Stanford Technology Trading Group
International, dont les avions servent souvent à des opérations clandestines. Déjà impliqué dans
la dernière transaction israélienne, Secord organise depuis longtemps la " collecte " de fonds et le
transport d'armes au profit des contras. Au total, il assurera avec Hakim trois livraisons
strictement américaines : des missiles Tow et des pièces de rechange de Hawk, dont North lui-
même amène un quart dans la capitale iranienne, fin mai 1986, avec... une bible dédicacée par le
président Reagan en personne. Mais, entre-temps, ce dernier, empêtré dans ses dénégations et
ses " oublis ", préfère arrêter là les frais : le scandale de l'Irangate a éclaté au grand jour. Triple
scandale, en fait : - premièrement, ces ventes d'armes contredisaient la politique officielle des
États-Unis vis-à-vis de l'Iran : l'opération " Staunch ", en cours à l'époque, ne visait-elle pas
justement à dissuader les alliés des États-Unis de livrer des armements à l'Iran ? -
deuxièmement, elles s'effectuaient hors des processus institutionnels normaux et en violation de
la Constitution, des lois et des règlements prévalant aux États-Unis - au point que le journaliste
Theodor Drapper, dans une série fameuse d'articles de la revue The New York Review of Books,
en 1987, a pu caractériser l'Irangate comme l'ascension, puis le déclin d'une " junte américaine
" ; - troisièmement, en violation des décisions du Congrès, ces ventes d'armes permettent de
transférer illégalement un total de 30 à 50 millions de dollars aux guérilleros nicaraguayens, mais
également afghans et, semble-t-il, angolais. Sur les seuls 1 000 premiers Tow livrés à l'Iran,
Secord aurait gagné 5,5 millions de dollars, Ghorbanifar 3 à 4 millions, et Khashoggi 2
millions... Début octobre 1986, un avion américain, bourré de matériel destiné aux contras,
s'écrase au Nicaragua. L'un des pilotes survit : Eugène Hasenfus est récupéré par l'armée
sandiniste, vend la mèche et dénonce les responsables. Et, le 3 novembre, l'hebdomadaire
libanais prosyrien Al Shiraa raconte le triste voyage de McFarlane à Téhéran. Si bien que, le 25
novembre 1986, Ronald Reagan dans une conférence de presse télévisée - après avoir assuré qu'il
" n'était pas complètement informé de la nature des activités entreprises en connection avec cette
initiative " vers l'Iran - doit annoncer qu'il relève de leurs fonctions Pointdexter et North. La
commission Tower est chargée de faire toute la lumière sur l'affaire. De ses mois d'auditions et
de son rapport, il ne sortira pas grand-chose. Preuve que les temps changent : alors qu'un
médiocre cambriolage avait valu son fauteuil présidentiel à Richard Nixon, Ronald Reagan
sortira quasiment indemne de cette extraordinaire accumulation de forfaitures, sans parler du
vice-président George Bush, qui, compromis lui aussi, n'en sera pas moins brillamment élu, en
novembre 1988, à la présidence des États-Unis. C'est sans doute que l'enjeu de l'Irangate
dépassait son apparent objet : derrière le soutien aux contre-révolutionnaires nicaraguayens et la
création d'une solution de rechange " modérée " à l'intégrisme chiite, le coeur même de la
doctrine Reagan se trouve en question, à savoir la stratégie des " conflits de basse intensité ".
Reconnaissance des limites de la puissance américaine, cette stratégie n'en demeure pas moins
fondamentalement offensive. Elle préconise en effet la combinaison entre " interventions directes
" (comme à la Grenade en 1983, ou contre la Libye en 1986), " actions secrètes " chères à la CIA
(de l'Iran en 1953 au Congo en 1961, du Brésil en 1954 au Chili en 1973) et " soutien aux
combattants de la liberté " (tels la Contra, les moudjahidin afghans et 1'Unita). Au Moyen-
Orient, en particulier, il s'agit de reconstituer une force d'intervention rapide capable d'agir contre
toute tentative d'agression ou de déstabilisation. Et, sur cet échiquier, l'Iran constitue, d'évidence,
une pièce irremplaçable... Avec la guerre du Golfe rebondira le dernier mystère de l'Irangate :
les conditions dans lesquelles se forgea la connexion entre l'équipe Reagan et ses partenaires
iraniens. L'accusation, lancée par l'ancien président iranien Bani Sadr, fait scandale aux États-
Unis : à la veille de l'élection présidentielle de 1980, George Bush, alors candidat républicain à la
vice-présidence, aurait négocié avec Téhéran pour que les otages américains de l'ambassade ne
soient libérés qu'après le scrutin. Histoire d'enterrer définitivement le président démocrate
sortant, Jimmy Carter... Donnant donnant : ce service rendu appelait contrepartie.
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ISLAM
L'islam - en arabe, soumission à Dieu - est une des trois grandes religions monothéistes.
Le terme musulman désigne les adeptes de cette foi. L'islam qualifie aussi une civilisation et une
culture édifiées au cours des siècles, et dans lesquelles se reconnaissent, par exemple, les
chrétiens d'Orient. Le prophète Mahomet a prêché en Arabie au VIIe siècle de notre ère. Il a
unifié, par la parole et par le glaive, une grande partie de la péninsule Arabique. Après sa mort à
La Mecque, en 632, ses successeurs - les califes - seront dotés d'une double mission, religieuse et
politique. Ils sont à la fois les guides de la communauté des croyants et les initiateurs des
conquêtes. Cette imbrication de la religion et de l'État pèsera lourd dans l'histoire de l'islam -
même si elle a aussi caractérisé le christianisme pendant une très longue période. Une crise de
succession suscitera les deux grands schismes de l'islam : le chiisme et le kharidjisme. Les "
orthodoxes " seront désignés sous le vocable de sunnites. En un siècle, les Arabes musulmans
étendent leur domination des confins de la Chine à l'Espagne. Deux grands empires organiseront
successivement l'administration, le contrôle - et la conversion - des populations conquises :
l'empire omeyade, qui s'écroule en 750, et l'empire abasside, qui lui succède et finira sous les
coups des Mongols en 1254. La domination arabe sera relayée par celle des Turcs musulmans et
de l'Empire ottoman qui survivra jusqu'à la Première Guerre mondiale. Avec la constitution de la
République turque de Moustapha Kemal disparaît l'institution du califat, symbole - à certaines
périodes, fragile et contesté - de l'unité de l'Oumma, la communauté des musulmans. Ils sont
aujourd'hui un milliard dans le monde, dont moins de 200 millions d'Arabes. La majorité se
trouve en Asie (Pakistan, Bangladesh, Indonésie, Inde...). Un " islam noir " très dynamique s'est
aussi solidement implanté en Afrique. La religion islamique est, pour ses fidèles, la suite
naturelle du judaïsme et du christianisme auxquels elle a emprunté divers éléments. Elle révère
ainsi Moïse et Jésus, mais enseigne que Mahomet clôt le cycle des prophètes, qu'il est le " sceau
des prophètes ". La parole divine, contenue dans le livre sacré - le Coran - fut transmise à
Mahomet par l'archange Gabriel. La Sunna, recension des actes du Prophète et de ses proches
compagnons, est la deuxième source de la Loi. À partir de ces textes se sont créées des écoles
juridiques - quatre pour les sunnites - qui fixent les obligations sociales et religieuses de tout bon
musulman. Cinq obligations rituelles, appelées les " piliers de la religion ", sont à la base de la
vie religieuse : la profession de foi (" J'atteste qu'il n'y a pas de divinité en dehors d'Allah et que
Mahomet est son envoyé ") ; les cinq prières quotidiennes ; le jeûne le mois de Ramadan ;
l'aumône légale (zakat) ; le pèlerinage à La Mecque. La religion islamique ne comporte pas de
clergé et donc pas d'église : il n'y a pas d'intercesseur entre Allah et sa créature. Mais une tâche
spéciale incombe aux docteurs de la Loi, qui définissent de quelle manière on doit appliquer les
principes définis dans le Coran. L'islam n'est pas une doctrine figée et il a connu, au cours de
l'histoire, bien des modifications. Comme l'écrit Biancamaria Scarcia : " Tout comme par le
passé, où il a été utilisé à des fins très contradictoires, l'islam peut aujourd'hui aussi bien
légitimer une politique progressiste qu'une politique réactionnaire. Il n'y a pas plus aujourd'hui
qu'hier d'islam politique, au sens où il n'y a pas une seule idéologie ou une seule vision
islamique des choses. " On ne peut donc trouver dans l'islam de " grille d'analyse " permettant de
saisir la situation de l'Arabie Saoudite, de la Libye ou de l'Iran. Pour reprendre une autre idée de
Biancamaria Scarcia, la société civile " se réserve (...) la possibilité d'élever au niveau religieux
des règles et des solutions qui lui ont été imposées par les circonstances et non par les principes
". L'adhésion encore très large des masses des pays islamiques à la religion est un phénomène
important. La désaffection religieuse qui a touché l'Occident " a été stoppée en Islam au XIe
siècle par la vigoureuse réaction sunnite, dont le succès a été favorisé par l'évolution interne des
sociétés comme par les mutations de leur situation vis-à-vis de l'extérieur " (Maxime Rodinson).
Parmi ces mutations, les croisades, la colonisation, la confrontation avec un Occident de plus en
plus dominateur. L'islam devient alors " le moteur de la résistance à la violence coloniale ". La
lutte contre l'Église catholique constitua un des points de ralliement de ceux qui, en Europe,
combattirent pour les libertés au XIXe siècle ; mais les masses colonisées se soulèvent contre
l'oppression au nom de l'islam, dans lequel des intellectuels et des penseurs comme Djamal Al
Din Al Afghani (1838-1897) et Mouhammad Abdouh (1849-1905) cherchent des réponses au
traumatisme immense que constitue la colonisation. La présence de l'islam demeure forte
jusqu'aux indépendances ; elle tend ensuite à s'estomper du domaine politique. Il faudra attendre
les années 70 - avec l'émergence de l'islamisme - pour que les masses arabes cherchent dans
l'islam des réponses politiques à leurs problèmes. Notons en conclusion que l'islam est aussi une
culture et une civilisation. Il a contribué à des avancées décisives dans les domaines des sciences,
de l'astronomie aux mathématiques, de la médecine à la chimie. Il a produit des penseurs aussi
importants que Ibn Khaldoun, Avicenne ou Averroès. Il a, en un mot, participé à l'émergence du
monde que nous connaissons.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ISLAMISME
On qualifie d'islamistes - mais le terme est contesté par les principaux concernés - les
mouvements qui font de l'islam le point central de leur action politique. Pour certains,
l'islamisme a remplacé la menace communiste : " Le fondamentalisme musulman, écrit un
éditorialiste du New York Times, devient rapidement la menace principale à la paix globale et à
la sécurité. " Pour les pouvoirs en place au Moyen-Orient, le mouvement justifie leur refus de
toute réforme démocratique, la répression impitoyable qu'ils mettent en place contre leurs
propres peuples ; cette argumentation trouve des oreilles complaisantes en Occident. Essayons
pourtant d'y voir clair dans un phénomène important de notre époque : la mise en mouvement
politique, au nom de la religion, de dizaines de millions d'hommes et de femmes. Au XIXe siècle,
l'islam avait été un moteur de la résistance à la violence coloniale. Plus tard, quand les jeunes
États nationaux voient le jour, les modèles économiques et politiques mis en place se réclament
des sociétés occidentales ou, plus tard, des sociétés des pays socialistes. L'islam devient alors une
référence politique vague, surtout au niveau de l'État. Il imprègne pourtant - et cela a été
largement négligé par les observateurs - très profondément la société civile ainsi que chaque
citoyen. Il est difficile de dresser un bilan global, pour le monde arabe, de cette période qui va
de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 70. Il faudrait une étude fine, pays
par pays. On peut toutefois dégager deux grands traits : consolidation des indépendances
politiques ; échec des tentatives de modernisation. Les problèmes fondamentaux - faim, misère,
analphabétisme - sont loin de connaître des solutions. De formidables bouleversements affectent
en même temps la vie de chacun. Mesure-t-on ce qu'a signifié l'urbanisation anarchique pour des
dizaines de milliers de paysans arrachés à leur village ? Que dire de la " modernisation modèle
Sadate " qui voit Le Caire passer à 12, 13 ou 14 millions d'habitants (personne ne le sait
vraiment), les inégalités s'accroître, la vie communautaire se dissoudre ? Tout l'ancien tissu social
est déchiré, réduit en miettes. Dans un monde et une société destructeurs, où la responsabilité des
échecs est vite attribuée aux idéologies importées - qu'elles soient occidentales ou socialistes -,
les peuples voient dans l'islam un dernier recours ; ils cherchent dans la religion des réponses
politiques à leurs problèmes. Là est la vraie signification du " renouveau islamique ". Pour
François Burgat, ce mouvement marque " la remise à distance de l'ex-colonisateur " qui, après
s'être exprimée sur le terrain politique et économique, se déplace sur " les territoires idéologique,
symbolique et plus largement culturel, où le choc colonial a été le plus traumatisant ". " En
même temps qu'un langage qui lui est propre, note Burgat, les catégories de la culture et de
l'histoire locales confèrent à la dynamique indépendandiste ce qui lui avait longtemps fait défaut
: les précieux attributs d'une sorte d'" autonomie " idéologique qui la parachève, le droit pour
ceux qui la mettent en oeuvre d'accéder à nouveau, sans pour autant renier les éléments
structurants de leur "spécificité", à l'universalité. " Cette reconnaissance est aussi liée au vide
politique qui s'est créé dans le monde arabe à la suite d'une répression multiforme : les partis ont
été interdits, les syndicats caporalisés, les organisations populaires vidées de toute substance.
Dans ce cadre, la mosquée devient le dernier lieu où l'on peut se réunir, discuter, faire de la
politique. L'utilisation de la religion - et de certains groupes comme les Frères Musulmans - dans
la lutte des régimes " modérés " contre la gauche, le nassérisme ou le baasisme est un facteur
qu'il ne faut pas oublier, même s'il n'est pas décisif. Ainsi c'est Anouar Al Sadate lui-même qui a
encouragé la reconstitution des Frères Musulmans, libéré leurs dirigeants, donné une liberté
d'action et d'expression refusée aux autres composantes de la vie politique. Deux courants
dominent, très schématiquement, ce mouvement, le fondamentalisme conservateur et l'islamisme
révolutionnaire. Le fondamentalisme est l'affirmation, dans un environnement qui a radicalement
changé, de la nécessité d'un retour aux Écritures comme seule base d'une indispensable
rénovation. Contrairement au traditionalisme, il essaie de prendre en compte les changements
dans la société et d'y répondre, mais il vise surtout à " obtenir des individus le retour à la
pratique de l'islam dans la vie quotidienne (prières, jeûne, mais aussi consommation exclusive de
nourriture hallal et... port du voile par les femmes), tout en s'accompagnant d'une socialisation
par le bas : espaces de rencontre, clubs, prêts de livres, cours pour les enfants, mais aussi
coopératives, mise sur pied de transports en commun alternatifs (non mixtes), etc. " (Olivier
Roy). Son expression politique s'incarne notamment dans les diverses mouvances des Frères
Musulmans. Les fonds saoudiens ou pakistanais, ceux des émirats du Golfe - notamment de
l'Arabie Saoudite et du Koweït - permettent de constituer de vastes réseaux d'entraide (écoles,
dispensaires, associations caritatives) sans laquelle leur influence serait mince. Le second
courant, l'islamisme révolutionnaire, ne se différencie pas du précédent sur la nécessité de revenir
à l'islam originel, mais sur la question du pouvoir politique. Alors que les premiers
s'accommodent souvent des pouvoirs en place, les seconds aspirent à les renverser, y compris par
la violence. La plupart de ses adeptes se réfèrent à la doctrine de Sayyed Qotb, un des dirigeants
historiques des Frères Musulmans égyptiens, même s'ils l'interprètent dans un sens qui ne fut pas
forcément celui de son inventeur : il faut mener une lutte à mort contre les pouvoirs établis en
terre musulmane qui sont, en réalité, des pouvoirs impies. Ces mouvements ont bénéficié d'une
attention particulière en Occident après la victoire de la révolution islamique en Iran. Beaucoup
de ses militants ont fait leurs armes en Afghanistan, souvent entraînés par des instructeurs de la
CIA. Pourtant, leur bilan est limité et leur audience réduite : près de vingt ans après la victoire de
l'ayatollah Khomeyni en Iran, ils n'ont su conquérir le pouvoir dans aucun autre État. La guerre
civile algérienne et la violence en Égypte ont, de plus, effrayé des fractions importantes de la
population - minorités, bourgeoisie occidentalisée ou non, etc. -, et, paradoxalement, favorisé le
statu quo et le maintien de pouvoirs dictatoriaux. Pourtant, comme le remarque François Burgat,
" la résurgence des catégories de la culture islamique ne nourrit donc pas une mais une infinie
variétés d'attitudes politiques, non point une mais mille et une manières d'être islamiste ". Ne pas
comprendre cette diversité, c'est s'interdire de saisir la réalité de la mobilisation islamiste et la
réduire à une " menace " mythique contre la " civilisation ".
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ISRAËL
" En ce jour où prend fin le mandat britannique et en vertu du droit naturel et historique
du peuple juif et conformément à la résolution de l'Assemblée générale des Nations unies, nous
proclamons la création d'un État juif en Palestine. " C'est par ces mots que, le 14 mai 1948 à
seize heures, David Ben Gourion annonce au monde, depuis la salle du musée de Tel Aviv, la
naissance d'Israël. D'une phrase, il affiche ainsi la double légitimité dont se réclame le nouvel
État : celle du droit, selon le sionisme, du peuple juif sur la Palestine - que fonderait la promesse
faite, il y a près de quatre millénaires, par Adonaï à Abraham (Genèse, IX, 18) - et celle de la loi
internationale édictée par l'ONU aux lendemains du génocide hitlérien. À peine né, Israël se
trouve en conflit avec ses voisins, dont les armées envahissent, dès le 15 mai, le territoire
palestinien. Et la guerre israélo-arabe de 1948-1949 ne sera que la première d'une longue série.
L'histoire même d'Israël est rythmée par ces conflits. David Ben Gourion en est le Premier
ministre de 1948 à 1963 - avec un bref intermède de 1953 à 1955, durant lequel il prend une
première retraite, interrompue par l'" affaire Lavon ". Le long mandat du " Vieux " se caractérise
par l'essor démographique, économique et social du pays, par le cheminement d'Israël du non-
alignement des débuts vers un engagement pro-occidental de plus en plus net, mais aussi par la
préparation et la réalisation, en 1956, de l'intervention contre l'Égypte nassérienne. En revanche,
Ben Gourion, démissionnaire en 1963, n'assumera pas la guerre de 1967, déclenchée à son corps
défendant par son successeur, Levy Eshkol, entouré d'un gouvernement d'union nationale. Après
la mort de Levy Eshkol, en 1969, Golda Meir préside la coalition jusqu'en 1970, date du retrait
de la droite. C'est une équipe travaillistes-religieux - comme tous les gouvernements israéliens de
1948 à 1967 - qui subit de plein fouet la " surprise " de la guerre de 1973. Les conséquences de
cette dernière entraîneront les travaillistes à leur perte : après un ultime gouvernement Rabin, en
1976, la droite, regroupée au sein du Likoud, remporte les élections législatives de 1977, pour la
première fois dans l'histoire politique d'Israël. Après la guerre du Liban, Menahem Begin devra
abandonner la tête du gouvernement à Itzhak Shamir. Les élections de 1984 ayant renvoyé les
deux grands partis face à face, un gouvernement d'union nationale se met en place, dont Shimon
Peres et Itzhak Shamir assureront à tour de rôle la présidence, jusqu'aux élections de novembre
1988, en pleine intifada palestinienne. Et les gouvernements Shamir enterreront le plan Baker de
négociation israélo-égypto-palestinienne avant d'accepter enfin, après la guerre du Golfe, le
projet américano-soviétique de conférence régionale. Comme par un effet boomerang, c'est le
général Itzhak Rabin qui, à la tête d'une coalition de gauche, sort victorieux des élections de juin
1992. Et les négociations secrètes d'Oslo débouchent finalement sur les accords du même nom,
qui font entrer la bande de Gaza, puis la Cisjordanie dans une longue et difficile phase de
transition. Au lendemain du scrutin de juin 1996 devaient en principe s'engager les tractations sur
le statut définitif des Territoires et les dossiers en suspens, si du moins le nouveau Premier
ministre élu le 29 mai 1996, Benyamin Netanyahou, ne les bloque pas. Ce bref résumé suggère
combien l'État juif est marqué, dans son développement, par le conflit originel qui l'oppose aux
Palestiniens et, par voie de conséquence, au monde arabe. Certes, le bilan d'Israël, à près de cinq
décennies de sa fondation, apparaît à bien des égards considérable. Bilan démographique : de 716
000 en 1948, sa population juive passe à 4 440 000 en 1994, mais ils ne représentent qu'un tiers
des Juifs recensés dans le monde. Cette croissance doit beaucoup à l'organisation de l'aliya, par
laquelle, en près de cinquante ans, quelque 2 400 000 immigrants se sont installés en Israël - mais
plus de 600 000 sont repartis sans jamais revenir. Bilan économique aussi : inférieur à 1 milliard
de dollars en 1948, le produit intérieur brut dépassait fin 1995 82 milliards ; calculé par habitant,
il a crû entre les mêmes années de 1 500 dollars à plus de 15 000. Et la paix a dopé la
croissance : depuis le début des années 90, le produit national brut progresse de 6 % par an en
moyenne. Encore convient-il de mentionner, parmi les capitaux investis dans cet essor, les
importants versements effectués en permanence par la diaspora, le milliard de dollars versé par
la République fédérale allemande au titre des " réparations " et, surtout, les quelque 65 milliards
de dollars d'aide reçue par Jérusalem du gouvernement américain. Depuis la fin de la guerre du
Golfe, les investissements étrangers ont été multipliés par quinze : sécurisé par la perspective de
la paix, rassuré par l'érosion du boycott arabe, mis en confiance par la garantie de dix milliards
de dollars du gouvernement américain, appâté par la privatisation, en cours, de la majeure partie
du secteur public, stimulé par les accords de libre échange conclus par Israël avec les États-Unis
et l'Europe, le capital multinational voit en Israël un " dragon " du Proche-Orient. Bilan culturel
enfin : les 4,44 millions de Juifs israéliens " consomment " annuellement, par exemple, 11
millions de livres, 5,5 millions de billets de musées, 3 millions de billets de théâtre, d'opéra et de
danse... Mais ces exemples, parmi bien d'autres, de réalisations incontestables qui témoignent de
l'ardeur des Juifs ayant choisi Israël à rebâtir leur vie après la tragédie de la Seconde Guerre
mondiale ne sauraient dissimuler les conséquences de l'affrontement israélo-palestinien dans tous
les domaines de la vie du pays. Ce fut, en effet, l'élément décisif qui structura le jeune État juif,
dont l'économie, la vie sociale et politique, la culture, l'idéologie et, bien sûr, la défense
s'organisèrent en fonction de cette lutte ininterrompue. Laquelle, en retour, aiguisa, parfois
jusqu'au déchirement, toutes les contradictions de la société israélienne, voire en engendra de
nouvelles, plus redoutables encore. Si l'Israël de 1996 ressemble peu, de l'avis général, à l'idéal
dont rêvaient les pionniers comme à la société conçue par Theodor Herzl, c'est d'abord et surtout
en raison de l'état de guerre, résultat du choc, à vrai dire inévitable, entre le sionisme lui-même et
le nationalisme palestinien. Le fondateur du mouvement sioniste et ses successeurs ignorèrent
superbement les droits nationaux palestiniens, comme, jusqu'aux années 70, le mouvement
palestinien nia l'identité israélienne. Le contraste entre projet et réalité n'en demeure pas moins
frappant. " Nous voulons être à l'avant-garde de tout ce qui touche aux intérêts humains, et
représenter, en tant que pays neuf, un pays d'expérimentation ", écrivait Herzl. De fait, les
sionistes socialistes, s'emparant de cette conception et la " marxisant ", avaient les moyens - grâce
à leur influence prépondérante dans le Yichouv, puis dans le jeune Israël - de donner libre cours à
l'utopie la plus généreuse. De fait, ils " importèrent " la propriété collective de la terre et le
système des communes (kibboutzim, environ 30 % de la population juive rurale mais 3 %
seulement des Israéliens en général) comme des coopératives (mochavim) qui assura jusqu'à 70
% de la production agricole, voire même l'économie syndicaliste qui représenta jusqu'à 28 % du
PNB, 66 % des emplois agricoles et 66 % des emplois salariés. Autant d'acquis du " socialisme
israélien " qui ne parvinrent toutefois pas à modifier la nature capitaliste du régime et ne purent
a fortiori résister aux coups de boutoir du Likoud au pouvoir, puis à la mondialisation forcée de
la société. Pris à la gorge par des dettes qui se chiffrent nationalement à plusieurs milliards de
dollars, les kibboutzim ont le plus grand mal à opérer les changements qui seuls leur
permettraient de retenir leurs enfants ; les entreprises de l'organisation syndicale Histadrout
n'échappent pas à la privatisation généralisée du secteur public ; les droits des salariés israéliens
sont menacés par la concurrence des travailleurs palestiniens et par les nouveaux damnés d'Israël,
ces 200 000 immigrés non-juifs importés pour les remplacer, mais aussi par les contrats
individuels de mise dans les nouvelles industries de haute technologie, etc. Autant dire, avec
Zeev Sternhell (Aux origines d'Israël. Entre nationalisme et socialisme), que, loin de représenter
une " synthèse réussie entre socialisme et idée nationale ", le sionisme socialiste a adhéré " au
principe du primat de la nation ". Plus : " l'appel du sionisme travailliste à la révolution
nationale a fait taire tous les autres "... " Nous nous emploierons à rechercher, pour tous les
âges, pour tous les niveaux de la vie sociale, le bonheur dans le travail ", écrivait Herzl. Voilà
bien longtemps qu'Israël s'est écarté de cette priorité sociale. L'état de guerre a longtemps servi
de justification à l'austérité : comment pouvait-on garantir l'essor du niveau de vie et la
satisfaction les grands besoins sociaux lorsqu'on consacrait plus d'un tiers du budget de l'État à la
défense, au " maintien de l'ordre " dans les Territoires occupés et à leur colonisation ? Mais le
cap mis sur la paix n'a pas pour autant changé les conditions d'existence de la grande masse de la
population. La croissance accélérée de l'économie israélienne ne réduit pas, au contraire, les
inégalités sociales : d'un côté, une petite couche de Pdg, d'avocats d'affaires et d'experts
gouvernementaux qui monopolisent les profits du progrès, de l'autre les immigrés d'Europe de
l'Est, d'Afrique et d'Asie traités en esclaves, les Arabes surexploités, les Orientaux discriminés,
les personnes âgées marginalisées... Malgré un net recul du chômage (passé de 11,8 % en 1992 à
6,3 % en 1995), plus de 670 000 Israéliens vivaient en 1995 sous le seuil de pauvreté (1 575 F
par mois) : 18 % de la population, mais 24 % des nouveaux immigrants, 25 % des personnes
âgées et 38,5 % des Arabes. La hiérarchie des revenus familiaux moyens allait alors, du décile
inférieur au décile supérieur, de 1 à 11,5 - et de 1 à 22,6 pour le revenu des seules retraites. Le
traitement des dirigeants d'entreprises a augmenté en un an de 15 %, tandis que celui des
travailleurs non qualifiés diminuait de 7 %. Et, si le salaire mensuel minimum frôlait 3 000 F, les
plus hauts émoluments révélés par la presse avoisinent 500 000 F. De quoi scandaliser un pays à
tradition égalitaire... " Nous sommes un peuple, un peuple-un ", clamait Theodor Herzl. Un
peuple en fait profondément divisé, du moins en Israël, et sur une base ethnique : la frontière
entre gens aisés et démunis y recoupe, en effet, largement la frontière entre Juifs occidentaux et
Juifs orientaux. Majoritaires dans la population israélienne depuis les années 50, les Juifs
originaires des pays arabes fournissent - derrière les Arabes israéliens et les nouveaux immigrés
non-juifs - les gros contingents des pauvres, des chômeurs, des analphabètes et des délinquants.
Contrairement aux prévisions, ces discriminations se reproduisent de génération en génération,
avec des répercussions politiques que les dirigeants travaillistes, occidentaux, au pouvoir depuis
1948 ne prévoyaient pas : pour les punir de presque trois décennies d'injustices, les Orientaux,
dans leur masse, basculèrent du côté du Likoud, permettant à ce dernier d'accéder au pouvoir et
de s'y maintenir. S'ils ont voté en majorité pour Itzhak Rabin en 1992, les deux tiers d'entre eux,
quatre ans plus tard, ont préféré le Likoud et permis ainsi l'élection de Benjamin Nétanyahou- et
ce n'est pas l'accueil bien plus généreux réservé aux centaines de milliers de Juifs soviétiques, le
plus souvent ashkénazes, qui a apaisé les tensions. " Je ne peux pas croire que l'État juif que je
voudrais édifier soit borné, orthodoxe et réactionnaire ", assurait Theodor Herzl. A près d'un
demi-siècle de la proclamation d'un État juif alors dominé par la social-démocratie, flanquée
d'une puissante aile gauche, sioniste de gauche et communiste, ce sont la droite, l'extrême droite
et les religieux qui y recueillent la majorité des suffrages. Alors que Ben Gourion et ses amis
pourfendaient - et marginalisaient - les " fascistes juifs ", l'extrême droite n'a cessé de progresser,
passant de 2,6 % des voix et 3 députés en 1981 à 10 % et 11 députés en 1992 - en 1996, l'un des
groupes d'extrême-droite, Tsomet, s'est allié avec le Likoud. Il aura fallu l'assassinat d'Itzhak
Rabin pour qu'Israël prenne la mesure du danger. Et pourtant, des années avant le geste criminel
de Yigal Amir, un Meïr Kahane ne hurlait-il pas à la tribune du parlement : " Il n'y a pas de
remède à l'épidémie qui se propage et qui menace de nous exterminer, par la guerre ou par la
démographie. Pas d'autre remède que celui de Josué : "Et vous chasserez tous les habitants du
pays devant vous." Chasserez, transférerez, déporterez, expulserez. Sans complexe d'infériorité,
sans sentiment de culpabilité. " Finalement interdit de campagne électorale en 1988, le rabbin
nazi n'en a pas moins fait des émules, qui représentent aujourd'hui - avec les autres terroristes,
ceux de Hamas - la principale menace pour l'avenir de la paix entre Israéliens et Palestiniens... "
Aurons-nous en fin de compte une théocratie ? Non ! (...) Nous n'admettons pas que s'accentuent
les velléités théocratiques de nos chefs religieux. Nous saurons maintenir ceux-ci dans leurs
temples. " Ils en sortirent, en fait, très tôt. Avec un pourcentage de voix variant entre 10 et 15 %,
ils réussirent même, grâce à leur rôle charnière doublé d'un habile chantage sur les partis
politiques israéliens, à imposer progressivement leur loi. Ben Gourion, déjà, leur avait cédé en
1948-1949, en renonçant à doter l'État juif d'une Constitution - la seule loi à laquelle un Juif doit
obéir, expliquaient les religieux, c'est la loi divine - et en acceptant un compromis, dit statu quo,
en matière d'enseignement. Non seulement les tribunaux rabbiniques allaient régner en maîtres
sur la vie personnelle des Israéliens - judéité, mariage, divorce, héritage dépendent exclusivement
d'eux : " Il y a impossibilité légale, explique par exemple le juriste israélien Claude Klein, de
contracter en Israël un mariage entre une personne juive et une non juive " -, mais la synagogue
faisait reconnaître et financer son propre système d'enseignement, tout en obtenant le contrôle de
l'enseignement religieux dispensé par les écoles publiques. Abusant de leur position politique,
les rabbins arracheront plus encore à Menahem Begin, puis à Itzhak Shamir, qui avaient l'un
comme l'autre absolument besoin d'eux pour vaincre : ils monnayeront leur ralliement au prix de
nouvelles subventions aux écoles religieuses, mais surtout de l'application plus stricte par
l'ensemble des organismes dépendant de l'État du chabat, le repos religieux du samedi, ainsi que
de la cacherout, le code alimentaire religieux. Les ultra-orthodoxes se déchaîneront également
contre les autopsies et les fouilles. Ils exigeront la révision de la Loi sur " Qui est juif " - elle
fonde, combinée avec la " Loi du retour ", l'attribution de la nationalité israélienne - afin d'y
réduire les possibilités de conversion au judaïsme. Ils feront enfin barrage à l'implantation en
Israël du judaïsme réformé ou libéral, très puissant aux États-Unis et nouvellement en vogue en
Europe. Bref, les Israéliens - qui se proclament à 14,9 % " orthodoxes " ou " religieux ", à 26,8
% " traditionnels ", à 23,4 % " laïcs ", à 30,3 % " laïcistes " et à 4,6 % " antireligieux " -
subissent dans leur vie de tous les jours une véritable théocratie. " La collectivité israélienne n'a
jamais réussi, précise néanmoins le sociologue Baruch Kimmerling, de l'Université hébraïque de
Jérusalem, à décider si le judaïsme est une religion, ou une sorte de nationalisme, ou les deux.
Immigrants-colons, nous avons besoin d'une légitimation pour être ici. La religion juive en
représentait une. C'est pourquoi le sionisme laïc lui a emprunté ses thèmes centraux et même sa
terminologie. Aujourd'hui, l'hégémonie sioniste est menacée par la décomposition du couple
religion-nation. Le kulturkampf a commencé. Mais, pour qu'Israël devienne laïc, il faudra qu'il
accepte d'être, non plus l'État des juifs, mais celui de ses citoyens. La place des Arabes
représente donc, en dernière analyse, le meilleur indicateur du degré de civilité de notre société.
" Autant dire que, conformément à la boutade, les Israéliens croient que Dieu leur a promis cette
terre... même s'ils ne croient pas en Dieu ! " Nous maintiendrons dans leurs casernes les soldats
de métier " qui, comme les " ministres du culte, disait Herzl, n'ont pas à s'immiscer dans les
affaires de l'État, car leur ingérence provoquerait des difficultés intérieures et extérieures ".
Contrairement à ce judicieux conseil, la vie politique israélienne fourmille de généraux, à droite
avec Ariel Sharon (Likoud) et à l'extrême droite avec Raphaël Eytan (Tsomet), mais également à
gauche avec Ehud Barak (travailliste), sans oublier les pacifistes décédés, Matiyahou Peled et
Yehoshafat Harkabi... Si sa place commence à se réduire dans la perspective de la paix, l'armée,
au sens large, c'est encore 17 % des dépenses de l'État (contre 25 % il y a dix ans) et 11 % du
PNB (contre 20 %). Classé par le SIPRI, l'institut de Stockholm, trente-huitième sur la liste des
plus grandes entreprises productrices d'armements, Israel Aircraft Industries a vendu en 1993
pour 1,12 milliard de dollars, Taas (soixante-quinzième) pour 440 millions, Rafael (quatre-
vingtième) pour 420 millions, Koor Industries (quatre-vingt huitième) pour 350 millions, etc. Les
armes conservent une place significative dans le commerce extérieur israélien, avec 2,5 milliards
de dollars d'importations et près d'1 milliard d'exportations. En 1994, Israël occupait la dixième
place dans la liste des principaux acheteurs d'armes conventionnelles dans le monde (avec 557
millions de dollars), et la seizième place sur la liste des plus gros vendeurs (avec 87 millions de
dollars). Parmi les matériels les plus souvent livrés à l'étranger figurent les avions Phalcon, les
missiles AMDR, Barak, Have Nap et Python III, les radars EL/M-2106 et, bien sûr, les fameux
pistolets mitrailleurs Uzi - l'État juif, en outre, produit ou assemble des armements en
coopération avec l'Argentine, le Chili, la Colombie, la RFA, la Suisse, l'Afrique du Sud et les
États-Unis. Premier poste budgétaire et première puissance économique (après le secteur
histadroutique), Tsahal reste également une grande puissance idéologique, son propre réseau
d'enseignement s'ajoutant au temps exceptionnel dont elle dispose pour " former " les jeunes
Israéliens - y compris dans les Territoires occupés... " Nous serons l'avant-garde de la
civilisation contre la barbarie ", avait l'habitude de plaider Herzl auprès des Grands auxquels il
présentait son projet palestinien : sur ce point, ses successeurs, du temps du Yichouv comme
depuis la naissance d'Israël, l'ont scrupuleusement suivi. Et sans doute est-ce là, forgée par la
logique même de l'entreprise, une des clefs de la durable impasse israélienne : à rechercher
exclusivement sa sécurité dans l'alliance avec les grandes puissances, et singulièrement - après
une brève " lune de miel " avec l'Union soviétique - les États-Unis, l'État juif a longtemps sacrifié
les chances d'une paix avec les Palestiniens et le monde arabe. Comment pourrait-il prendre enfin
pleinement sa place parmi les nations du Proche-Orient en demeurant comme une excroissance
nord-américaine dans la région ? Et quel État, d'ailleurs, sauvegarderait sa véritable souveraineté
- " Le premier but est la souveraineté ", disait Herzl - en dépendant des 3 milliards de dollars
(soit près de 1 000 dollars par Israélien adulte) d'aide économique et militaire versés par les
États-Unis, auxquels est en outre due une bonne part des 40 milliards de dollars de dette
extérieure brute d'Israël. " Dans notre détresse, nous demeurons unis et nous découvrons
soudain notre force. Et c'est cette force qui nous permettra de former un État, et même un État
modèle ", écrivait Herzl. Le mouvement sioniste doit, en effet, beaucoup de son succès à la très
forte motivation politique, idéologique et morale de ses membres. Beaucoup d'" anciens ", en
Israël, s'en souviennent avec nostalgie, tant la crise israélienne atteint - et c'est sans doute sa
dimension la plus grave - les valeurs mêmes. " Quand ils entendent le mot valeurs, ils sortent
leur carnet de chèques ", dit un personnage de l'écrivain Rachel Mizrahi. Et un autre ajoute : "
Ce qui m'oppresse dans ce pays, ce n'est pas la peur de mourir à la prochaine guerre, c'est
l'absence de qualité de la vie. Tout est faux. Mensonges, combines, spéculations, fraude, piston,
vol. Tout le monde le fait et tout le monde trouve ça normal. C'est minable. Tu te souviens,
quand on parlait de morale et d'intégrité ? " Point de vue majoritaire ? Certainement pas. Mais,
notamment après la guerre du Liban et surtout l'intifada palestinienne, bien des yeux se sont
décillés. Libérateur aux yeux des Juifs des ghettos et des survivants des camps de la mort, le
sionisme s'est fait occupant. Pacifique dans ses intentions proclamées, il est devenu guerrier.
L'égalité promise n'est qu'un leurre aux yeux des laissés-pour-compte de la société israélienne,
ces " Noirs " méprisés des " Blancs ". La rigueur des pionniers s'efface derrière les scandales de
toute sorte. La démocratie tant vantée - pour et par les citoyens juifs - laisse entrevoir, même à
leur égard, ses limites. Le culte de l'argent et l'idolâtrie des nouvelles technologies ne remplacent
pas les principes disparus du sionisme socialiste. Et nombre d'Israéliens qui croyaient enfin
dissipé le cauchemar de l'occupation - avec les trois ans de service militaire et les mois de réserve
souvent passés en Cisjordanie et à Gaza - redoutent qu'il ne resurgisse si Benjamin Nétanyahou
venait à bloquer le processus de paix... Autant de maux dont la guérison passe, d'une manière ou
d'une autre, par la paix, mais les Israéliens ont du mal, au fond d'eux-mêmes, à admettre que,
comme le soulignait le vieux professeur Leibovitz, " le fait fondamental, au-delà de l'idéologie,
de la théorie et de la foi, c'est que ce pays appartient à deux peuples. Chacun d'eux est
profondément conscient dans son âme que ce pays est le sien. Autrement dit, on opte donc
forcément soit pour le partage, soit pour la guerre à outrance ". Israël (frontières de 1967)
comptait en 1994 5,1 millions d'habitants (+ 2,7 % par rapport à 1993) - dont 4,24 millions de
Juifs et 887 000 Arabes - et couvre, dans ses frontières d'avant la guerre des Six Jours en 1967,
dites " Ligne verte ", 21 500 km2, auxquels s'ajoutent depuis les territoires annexés - le Golan
syrien (2 000 km2), Jérusalem-Est (143 km2 - et occupés : la Cisjordanie (5 440 km2), la bande
de Gaza (330 km2), et la bande dite " de sécurité " au sud du Liban (850 km2). Le produit
intérieur brut d'Israël atteignait en 1994, 74 milliards de dollars. Les exportations de biens et de
services ayant atteint 24 milliards tandis que les importations se montaient à 36 milliards, le
déficit de la balance des paiements s'élevait à 12 milliards qui viennent s'ajouter à une dette
extérieure brute de 40 milliards de dollars, soit 55 % du PNB - la dette extérieure nette
représentait 17,7 milliards. Il est vrai qu'Israël possède peu de richesses naturelles : pas de
pétrole, mais des phosphates et de la potasse. L'essentiel du développement du pays repose sur
une agriculture dont le succès tient aux techniques ultramodernes mises en oeuvre, sur une
industrie importatrice de matières premières et exportatrice de produits à forte valeur ajoutée,
comme le diamant, les armes, les produits chimiques, etc. Depuis la fin des années quatre-vingt,
les technologies de pointes représentent une part grandissante de l'activité économique et des
exportations du pays : télécommunications, semi-conducteurs, impression numérique, gestion de
réseaux, logiciels, instruments médicaux, pharmacie et biotechnologie... Plus de la moitié du
territoire israélien est occupée par le désert du Néguev, qui ne reçoit que 100 à 200 millimètres
de précipitations.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

JÉRUSALEM
Capitale de l'État d'Israël selon les Israéliens et du futur État palestinien selon les
Palestiniens, Jérusalem a été fondée au IIIe millénaire avant notre ère, un clan cananéen s'étant
installé sur une de ses collines. Depuis plus de quatre mille ans, elle est au coeur des tempêtes
proche-orientales. La ville a connu une multitude d'occupations : elle devient, entre autres, juive
(vers 1000 av. J.-C.), égyptienne (925 av. J.-C.), romaine (63 av. J.-C.), byzantine (629 ap. J.-
C.), musulmane (638), chrétienne (1099), de nouveau arabe (1187), puis ottomane (1517) et,
quatre siècles plus tard, britannique, de 1917 à 1948. Selon l'archéologue israélien Meir Ben
Dov, du côté du Mont du Temple, la ville aurait été détruite et reconstruite vingt-cinq fois, de
Salomon à Soliman... Yeroushalayim (la Ville de la paix) pour les uns et Al Qods (la Sainte)
pour les autres, Jérusalem est d'abord une ville sainte pour chacune des trois grandes religions
monothéistes. Pour les Juifs, c'est là que Dieu arrêta le bras d'Abraham auquel il avait ordonné de
sacrifier son fils, là donc que furent édifiés le premier puis le second temples, détruits
respectivement en 587 avant J.-C. et en 70 après J.-C. : les lieux saints du judaïsme y sont les
tombeaux du roi David, d'Absalon et de Rachel, le mur des Lamentations (vestige du temple) et
quelques synagogues. Pour les chrétiens, c'est la ville de la Passion : c'est là que Jésus a prêché,
été arrêté, puis crucifié avant de ressusciter - les lieux saints chrétiens sont la basilique du Saint-
Sépulcre, l'église Sainte-Anne, la tombe de la Vierge, le Cénacle, Gethsémani et les lieux de
l'Ascension. Pour les musulmans, Jérusalem est sainte parce que Mahomet a effectué depuis le
rocher son ascension (mi'râj) vers le Ciel. Avec les mosquées d'Omar, construite autour de ce
rocher, et Al Aqsa, c'est la troisième ville sainte de l'islam après La Mecque et Médine. D'où la
première composante incontournable de tout statut de Jérusalem : le caractère intouchable des
lieux saints. " Aucune atteinte ne saurait être apportée au statu quo dans les Lieux saints ",
précisait, en 1885, le traité de Berlin. Son statut moderne constitue un véritable imbroglio. Selon
le plan de partage (voir ce terme et l'annexe) des Nations unies, adopté le 29 novembre 1947,
Jérusalem devait constituer un " corpus separatum sous régime international spécial ",
démilitarisé, géré par un conseil de tutelle et un gouverneur ne pouvant être citoyen d'un des
deux États prévus, garantissant les intérêts des Lieux saints des trois religions et la paix entre
elles, inclus enfin dans l'union économique palestinienne. Mais la première guerre de 1948-1949
se solde, conformément à l'accord passé entre le roi Abdallah et Golda Meir, par la division de
fait de la ville entre Transjordaniens, qui occupent sa partie orientale, et Israéliens, qui annexent
la partie occidentale - le 23 janvier 1950, le Parlement israélien, en violation des armistices et de
la décision prise par l'ONU, le 19 décembre 1949, d'internationaliser Jérusalem, adopte une
résolution stipulant que " Jérusalem est et a toujours été la capitale d'Israël ". Dès la fin de 1948,
les institutions israéliennes avaient commencé à transférer leur siège de Tel Aviv à Jérusalem-
Ouest... Cette situation dure jusqu'à la guerre de 1967, à l'occasion de laquelle l'armée
israélienne enlève aux troupes hachémites la Vieille Ville arabe : quelques jours plus tard,
l'assemblée israélienne étend " le droit, l'administration et la juridiction d'Israël " à Jérusalem-
Est et déclare la ville " réunifiée capitale éternelle d'Israël ". Enfin, le 30 juillet 1980, le
parlement israélien adopte une loi fondamentale proclamant (titre premier) : " Jérusalem entière
et réunifiée est la capitale de l'État d'Israël ", décision aussitôt condamnée par l'ONU. Deux ans
plus tard, le plan arabe de Fès fait sienne la revendication d'un " État palestinien indépendant
ayant Al Qods (Jérusalem) pour capitale ". Ronald Reagan, quelques jours auparavant, dans son
discours du 1er septembre, ne s'était engagé que sur le caractère " indivisible " de Jérusalem,
confiant le reste aux négociateurs. Si George Bush et William Clinton, ses successeurs,
maintiennent officiellement ce cap, la pression s'est accrue en octobre 1995 avec le vote par le
Congrès d'une résolution prônant le transfert de l'ambassade des États-Unis de Tel Aviv à
Jérusalem - une prise de position jusqu'ici non suivie d'effet, il est vrai. Quant aux Israéliens,
c'est sur le terrain qu'ils entendent réaliser cette " capitale éternelle d'Israël " proclamée dans
leurs textes de loi. Les gouvernements successifs n'auront de cesse de modifier le visage de la
ville, avec pour objectif principal d'y assurer une nette majorité juive. La destruction de quartiers
arabes commence dès après la guerre des Six Jours en 1967, avec le nettoyage de centaines de
maisons surpeuplées jouxtant le mur des Lamentations, suivi de la liquidation de secteurs
remontant au XVIIIe siècle, comme le quartier des Marocains, le Quartier des chaînes, etc.
Expulsion de dizaines de milliers d'habitants arabes, appropriation de leurs terrains et
construction d'habitations pour les juifs : ces méthodes entendent effacer jusqu'aux traces de la
présence arabe. Mais le changement de la composition de la ville passe aussi par l'extension de sa
superficie - elle a quasiment triplé en vingt-huit ans, avec l'annexion de quartiers comme Atarot,
Neveh Ya'acov, Pisgat Ze'ev, Ramot Allon, Ramat Shufat, French Hill, Ramat Eshkol, Har
Homa, Talpiot et Gilo. Dans ces frontières ainsi élargies, les Israéliens mettent en oeuvre une
stratégie complexe. La confiscation ou l'expropriation de zones arabes annexées et le blocage du
développement des quartiers restés palestiniens vont de pair avec la densification de la population
juive par la construction massive de logements au centre comme dans les banlieues, avec chemin
faisant l'absorption de villages palestiniens judaïsés. De surcroît, rien n'est laissé au hasard pour
amener les Palestiniens à quitter la ville : interdiction de construire dans dix-sept de leurs trente
quartiers, restrictions croissantes dans l'accès au statut de " résident ", conditions de vie
misérables les poussant à émigrer en banlieue - ils contribuent pour 26 % au budget municipal,
mais n'en bénéficient que pour 5 %, l'aide au logement, par exemple, concernant 70 000 familles
juives et... 555 familles arabes ! Le résultat, c'est que, même dans la Jérusalem arabe, les Juifs
sont majoritaires depuis 1994, avec 175 000 habitants contre 170 000, sur un total de 580 000
Hiérosolymitains (dont 410 000 juifs). Sans compter les colonies périphériques comme Givat
Ze'ev, Goush Adoumi, Ma'ale Adoumim, Quedar, Betar, Gouch Etzion et Efrat, destinées à
former un jour avec la ville ce " Jérusalem métropolitain " (voir carte, page 214) qui
représenterait près du cinquième de la Cisjordanie... Ville sainte pour les religions mosaïque,
musulmane et chrétienne, Jérusalem, aux yeux des croyants, peut difficilement être scindée,
d'autant que, d'expérience, dans la cité divisée, le droit de se rendre aux sanctuaires de sa foi est
souvent restreint, voire bafoué - et l'ONU a recensé plus de cent " Lieux saints ". Mais unifier la
ville, c'est contredire l'aspiration de l'un ou l'autre peuple - ou des deux - à en faire la capitale de
son État. Cette contradiction constitue assurément le pire casse-tête pour les acteurs du second
round de négociations israélo-palestiniennes. Le programme du gouvernement de Benyamin
Netanyahou, entré en fonction le 19 juin 1996, stipule que " Jérusalem, la capitale d'Israël, une
et indivisible, restera pour toujours sous la souveraineté d'Israël " et précise même que " le
gouvernement empêchera toute action opposée à [cette] souveraineté exclusive ". Pour leur part,
les négociateurs travaillistes avaient avancé, au cours de négociations secrètes au printemps 1996,
une solution en trois points : statut d'extra-territorialité et administration palestinienne pour
l'esplanade des mosquées, création d'une municipalité palestinienne gérant Jérusalem-Est (ainsi
que les villages environnants) et reliée à la municipalité juive de Jérusalem-Ouest (ainsi que des
colonies proches) par un conseil municipal conjoint, mais maintien de la souveraineté israélienne
à l'exclusion de toute forme de double souveraineté. Dans un cas comme dans l'autre, on est loin
des exigences de l'Autorité palestinienne comme de la position de la communauté
internationale...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

JORDANIE
En 1922, les territoires sous mandat britannique situés à l'est du fleuve Jourdain sont
érigés en principauté semi-autonome, sous la direction de l'émir Abdallah. Celui-ci est un des fils
du chérif de La Mecque, Hussein - de la puissante famille des hachémites - qui a levé l'étendard
de la révolte arabe contre l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. En 1930 est
créée la Légion arabe, le coeur des forces armées de l'Émirat, qui sera dirigée par un officier
britannique, Glubb Pacha, jusqu'en 1956. Membre fondateur de la Ligue arabe en 1945, la
Transjordanie accède à l'indépendance en mars 1946. L'influence de Londres y demeure
cependant prépondérante. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la question de Palestine
mobilise le souverain hachémite. Ne dissimulant pas ses ambitions territoriales, encouragé par la
Grande-Bretagne, Abdallah ordonne à ses troupes de pénétrer en Palestine, aux côtés des autres
armées arabes, en mai 1948. Quand, en avril 1949, la Transjordanie et l'État d'Israël concluent un
armistice, le souverain hachémite peut être satisfait du résultat : il a conquis de riches territoires -
qui seront connus sous le nom de Cisjordanie ou Rive ouest - ainsi que la partie est de Jérusalem
et la mosquée Al Aqsa, Lieu saint de l'islam. Ce résultat, il le doit à l'inefficience de la Ligue
arabe et aux négociations secrètes menées avec les dirigeants sionistes, qui le feront accuser de
trahison par ses opposants arabes. La guerre de Palestine a profondément modifié le profil de
l'État. La population, qui était d'à peine 500 000 à la veille de la guerre, triple en quelques mois :
500 000 réfugiés et 500 000 Palestiniens de la Rive ouest. Un élément de déstabilisation
s'introduit dans un État jusque-là conservateur, à majorité bédouine. En décembre 1948,
Abdallah a pris le titre de roi de Jordanie ; en avril 1949, le nom du pays devient Royaume
hachémite de Jordanie (terme déjà adopté à l'indépendance en 1946, mais jamais appliqué). En
avril 1950, des élections tenues en Cisjordanie et en Transjordanie entérinent l'annexion de fait
de la Rive ouest. Le 20 juillet 1951, le roi est assassiné par un Palestinien à la mosquée Al Aqsa à
Jérusalem. Son fils Talal lui succède, mais il ne tarde pas à abdiquer en faveur de son propre
héritier, Hussein, qui, proclamé roi, accède effectivement au trône à sa majorité, le 2 mai 1953.
Le Moyen-Orient est alors en pleine ébullition avec la poussée du nationalisme arabe et
l'émergence du nouveau maître de l'Égypte, Gamal Abdel Nasser. Hussein, qui a choisi le camp
occidental, survit aux différentes crises : celle de 1956-1957, celle de 1965-1966 qui l'oppose à
l'OLP. Il se réconcilie avec Nasser à la veille de la guerre de juin 1967 et son armée participe aux
combats. Le royaume y perdra des territoires conquis en 1948-1949 : la Cisjordanie et Jérusalem-
Est. Menacé par les fedayin entre juin 1967 et 1970, le pouvoir liquide la présence armée
palestinienne en septembre 1970 (Septembre noir) et en juin 1971. Depuis, la dynastie hachémite
n'a connu aucune crise aussi sérieuse. La Jordanie ne participera pas à la guerre d'octobre 1973.
Les dirigeants politiques sont partagés en deux courants : l'un favorable à un repli sur la
Transjordanie ; l'autre qui n'a pas abandonné des ambitions plus vastes. Le choix est d'autant plus
ardu que les visées territoriales affirmées d'une partie de la droite israélienne sur la Rive est du
Jourdain sont connues, et que l'impasse ne peut conduire qu'à un nouveau conflit. Le 31 juillet
1988, dans un discours historique, le roi tranche : il renonce à toute revendication sur la
Cisjordanie. Mais cette résolution, due principalement à l'intifada palestinienne, ne signifie pas
que la Jordanie a renoncé à tout rôle dans la solution du conflit du Proche-Orient comme le
montre la constitution d'une délégation jordano-palestinienne à la conférence de la paix ouverte à
Madrid le 30 octobre 1991. Pour le souverain hachémite, il y va de la survie même du royaume :
la non-résolution du problème palestinien risquerait d'accélérer les plans de " palestinisation " de
la Jordanie et de déstabilisation de l'État le plus fragile du Proche-Orient. Considérée comme un
régime arabe modéré, alliée de Washington, la monarchie n'en a pas moins pris position contre
les accords de Camp David. Et, surtout, elle a soutenu l'Irak dans son conflit avec l'Iran puis dans
la crise du Golfe, suscitant un refroidissement de ses relations avec Washington et une quasi
rupture avec les monarchies du Golfe : la Jordanie paiera un prix très lourd, avec notamment
l'accueil des centaines de milliers de Palestiniens expulsés du Koweït. La nouvelle donne, créée
par les accords d'Oslo, entraîne un changement de cap spectaculaire impulsé par le roi : signature
de la paix avec Israël le 26 octobre 1994, rupture avec le pouvoir irakien, rapprochement avec les
États-Unis. L'alliance avec Israël ne pâtit même pas de l'élection de Benyamin Netanyahou, la
Jordanie ne voyant pas d'un très bon oeil l'évolution du Parti travailliste vers l'acceptation d'un
État palestinien. Le pays se réconcilie avec l'Arabie Saoudite et espère toucher les dividendes de
la paix au Proche-Orient, bien que les relations tendues avec l'Irak, son premier partenaire
commercial, ne favorisent pas un climat de coopération régionale.. Pourtant, ces espoirs ont été,
jusqu'ici, peu fondés, malgré l'annulation par Washington des 700 millions de dollars de dette.
Les difficultés sociales, qui avaient déjà suscité des émeutes de la fin en avril 1989, se sont
accentuées. L'ajustement structurel, imposé par le FMI, s'est traduit par la disparition des
subventions aux produits de première nécessité. Les investissements étrangers, à l'exception du
secteur du tourisme, restent faibles. Les émeutes d'août 1996, contre le doublement du prix du
pain imposé par le FMI, illustrent la fragilité de la situation. Sur le plan politique, on assiste à un
net durcissement du pouvoir. La Constitution donne des pouvoirs quasi illimités au roi, mais une
expérience démocratique s'est mise en place après les émeutes de la faim d'avril 1989 : la liberté
de la presse s'est étendue et des élections relativement libres se sont déroulées en novembre 1989,
les candidats proches des Frères Musulmans formant le principal groupe parlementaire.
Toutefois, aux élections de novembre 1993, les premières pluripartites, le climat a changé et le
régime impose de nouvelles règles électorales qui favorisent les notables. L'opposition islamiste,
regroupée au sein du Front d'action islamique (FAI), perd la moitié de ses députés et la gauche
est laminée. Le Parlement, dont les pouvoirs ont déjà été réduits, cesse d'être une tribune
significative. La paix, qui suscite une forte opposition de la population, a amené le roi à
restreindre les libertés et à freiner la marche vers la démocratie. Étendue sur près de 90 000
kilomètres carrés, la Jordanie compte 4,9 millions d'habitants (auxquels il faut ajouter 500 000 à
700 000 émigrés). Près de 70 % de la population sont urbanisés, et la même proportion est
d'origine palestinienne. 90 % des habitants sont musulmans sunnites, mais on trouve aussi un
certain nombre de chrétiens. La situation du pays est fragile et dépend de l'aide américaine et
arabe, de l'argent envoyé par les expatriés et du tourisme. Le pays exporte du phosphate.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de
l'Atelier.

JUIF
Nom (ou adjectif) dont la seule définition fait l'objet, depuis longtemps, de débats très
complexes, tant sont nombreuses et souvent contradictoires les conceptions de la " judéité ". À la
question : " Qu'est-ce qu'un Juif ? " les réponses sont en effet diverses. De longues polémiques se
sont naturellement développées, sur ce thème, en Israël. La " Loi du retour ", adoptée dès 1950,
stipule que " chaque Juif a le droit de venir en Israël ". Ce droit a été complété par la " loi sur la
nationalité ", votée en 1952, qui accorde automatiquement la nationalité israélienne à tout
immigrant profitant de la loi du retour, donc juif. Mais qui considère-t-on comme tel ? "
Quiconque est né de mère juive ou s'est converti au judaïsme ", répond le droit talmudique, et les
ultra-orthodoxes exigent que les convertis en question l'aient été conformément à la conception la
plus rigoureuse de la loi juive. Plusieurs affaires célèbres firent rebondir l'aspect juridique de
cette interrogation. Ainsi le cas de Daniel Rufeisen, Juif polonais converti au catholicisme, qui
demanda au ministère de l'Intérieur son inscription au registre de la population israélienne
comme catholique à la rubrique " religion ", mais comme Juif à la rubrique " ethnie " : le
ministère de l'Intérieur, puis la Cour suprême à laquelle il fit appel lui refusèrent en 1962 le droit
au retour, considérant que sa conversion en faisait un non-Juif. En revanche, en 1970, Benjamin
Shalit, dont la femme n'était pas juive, obtint l'inscription de leurs enfants comme Juifs à la
rubrique " ethnie " de l'état-civil. Suite à ces affaires, les partis religieux imposèrent une
modification de l'article 4 (b) de la Loi du retour : " Est considéré comme Juif, précise le texte
définitif, celui qui est né de mère juive ou qui s'est converti au judaïsme et qui n'appartient pas à
une autre religion. " Entre religion et ethnie, l'ambiguïté, on le voit, demeure... Le critère
religieux est assurément indiscutable. Première grande religion monothéiste, le culte mosaïque,
avec ses textes sacrés, son droit et ses rites, unit à travers le monde des millions de fidèles. Son
poids est d'autant plus grand que, après la Dispersion, c'est la foi religieuse qui " entretint l'idée
de la survie du peuple hors des formes politiques étatiques de l'existence nationale " (Ilan
Halevi). Mais la religion juive, comme nombre d'autres, n'a pas été épargnée, en Israël et surtout
dans le monde, par le phénomène de désaffection propre aux temps modernes. Beaucoup de ceux
qu'on dit - ou qui se disent - juifs sont athées. D'autres, encore plus nombreux, bien
qu'apparemment attachés à leur croyance, ne la pratiquent pas. À l'exception des plus grandes
fêtes, les synagogues ne sont guère plus fréquentées que les églises ou les temples. La religion ne
constitue donc pas une référence suffisante pour englober tous les Juifs. L'origine commune
supposée - les Hébreux - n'est pas plus probante. Dans la Palestine antique, il est vrai que, pour
utiliser les termes de Maxime Rodinson (Peuple juif ou problème juif ?), un " groupe juif de type
national " s'était formé. Mais l'effondrement des royaumes juifs sous les coups successifs des
Assyriens et des Babyloniens, la colonisation romaine, et surtout l'écrasement de la révolte de
Bar Kokhba, en 135 ap. J.-C., le dispersèrent. Tandis qu'un petit noyau demeurait en Terre sainte,
le gros des populations juives s'éparpillaient tout autour de la Méditerranée, souvent en
s'assimilant à leurs pays d'accueil. D'autres, profondément imprégnés de leur identité, parvinrent
même à convertir, parfois massivement, leurs hôtes. Ainsi les travaux des historiens indiquent-ils
que, contrairement à la thèse selon laquelle la religion juive n'est pas prosélyte - on ne peut pas,
dit-elle, " adhérer " à un " peuple élu " -, l'État juif d'Arabie du Sud, au VIe siècle, ou bien encore
l'État juif des Khazars en Russie du Sud-Ouest, au VIIIe siècle, se constituèrent par le ralliement
des souverains et de leurs sujets. Arthur Koestler, dans La Treizième Tribu, affirme ainsi que la
plupart des Juifs d'Europe centrale descendent des Khazars, donc de Turco-Mongols convertis
puis dispersés en terre slave... Il en alla de même en Afrique du Nord, en Espagne, en Gaule, en
Germanie, en Asie, etc. Les Juifs d'aujourd'hui n'ont donc, vraisemblablement, aucune filiation
avec les Hébreux : " Notre espérance de deux mille ans n'est pas perdue de retourner au pays de
nos pères, terre de Sion, Jérusalem ", n'en affirme pas moins l'hymne de la Hatikvah. C'est dire,
du même coup, combien l'appel au concept de " race " relève à la fois de l'ignoble et de l'absurde.
La vieille anecdote du Juif français parti en Chine pour y retrouver ses " frères " répond, sur le
mode de l'humour, à cette pseudo-théorie. Arrivé enfin à Shanghai, notre homme, dans une ruelle
obscure, découvre la synagogue, et y pénètre. Les Juifs chinois, qui y prient, d'abord étonnés, se
font peu à peu menaçants. Alors il leur crie : " Mais je suis juif, comme vous. " Et eux, lui
montrant leurs yeux bridés, de rétorquer : " Mais tu n'as pas le type ! " Une simple visite en Israël
convaincra d'ailleurs le plus dubitatif des lecteurs de l'extraordinaire diversité des " types " juifs,
aussi vaste que celle des peuples des quelque cent cinquante pays dont sont issus les Israéliens...
Le concept même de " peuple juif " est, à cet égard, pour le moins discutable. À défaut d'une
réalité ethnique et sachant que l'angle religieux s'avère restrictif, sur quels éléments s'appuierait-il
? S'il est exact que les Juifs d'Europe centrale et orientale formaient, jusqu'à la Seconde Guerre
mondiale, une sorte de minorité nationale cohérente (territoire, langue, culture, organisations,
revendications) - Ilan Halevi, dans Question juive, parle à ce sujet de " conditions matérielles de
l'existence nationalitaire ", reprenant le docteur Zvi Graetz qui, dans son Histoire des Juifs,
montre comment les conditions de la Pologne, par exemple, " ont amené les Juifs à vivre comme
un État dans l'État, avec leurs institutions religieuses, administratives et juridiques particulières
" -, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Le schtetl, la " petite ville " juive d'Europe centrale, a disparu
dans les fours crématoires après avoir subi les pogroms. Dispersés dans des dizaines de pays, les
Juifs d'après le génocide ne parlent plus, dans leur majorité, ni l'hébreu, ni le yiddish, ni le judéo-
espagnol, et leurs convergences culturelles sont des plus réduites. L'assimilation lancée, en grand,
à l'Ouest, au XIXe siècle, a repris son cours. Cette assimilation ne s'est cependant pas réaffirmée
également, après le génocide, d'un pays à l'autre. Les États-Unis, avec leur puissant lobby juif, et
la France, avec sa communauté très enracinée dans la population, offrent deux exemples
extrêmes. " On peut être juif américain, mais on est français juif ", note Richard Marienstras
(Être un peuple en diaspora). Et d'expliquer que, dans notre pays, " le prestige de la Révolution
française était tel qu'on n'envisageait pas, pour les millions de Juifs yiddishophones d'Europe
orientale, d'autre destin souhaitable que l'assimilation. Très vite, les Juifs français se donnèrent
en exemple au monde, et la valeur de cet exemple ne fut pas diminuée pour eux après l'affaire
Dreyfus. La "solution" de la "question juive" devait être l'intégration. Ils rejetèrent donc avec
véhémence toute reconnaissance des dimensions nationales ou nationalitaires de l'existence
juive. " Et l'on connaît cette lettre dans laquelle Léon Blum, en 1950, s'associe à l'" effort
admirable " d'Israël qui " assure désormais une patrie digne de tous les Juifs qui n'ont pas eu
comme moi la bonne fortune de la trouver dans leur pays natal. " Fin 1991, dans leur étude sur
La République et le Talmud, Frank Eskenazi et Édouard Waintrop notent que " phénomène plus
profond, l'assimilation demeure la toile de fond sur laquelle se dessine une nouvelle
revendication communautaire ". Qu'elle soit religieuse - souvent ultra-orthodoxe - ou historique -
la mémoire retrouvée du génocide et de Vichy - ou encore culturelle - autour des penseurs et
créateurs affichant leur judéité -, cette affirmation demeure néanmoins minoritaire. Les sondages
l'attestent : la grande majorité des Français d'origine juive n'y prennent aucune part, récusent le
concept de communauté et refusent a fortiori d'y être englobés... Même assimilés, les Juifs,
pourtant, existent. Soit qu'ils soient désignés comme tels : " C'est l'antisémite qui crée le Juif ",
affirmait Jean-Paul Sartre. Soit qu'ils aient conscience de l'être. Selon nous, " est juif celui qui se
sent juif ", pour les raisons qui sont les siennes. Pour beaucoup, une longue histoire de
persécutions qui culminèrent avec le génocide, dont même les Juifs les plus " assimilés "
conservent, qu'ils en aient été ou non directement victimes, le souvenir tragique. La condition de
l'homme juif, explique André Neher dans Existence juive, est " celle de l'homme persécuté ".
Pour certains, on l'a vu, une même foi, avec les modes de vie qu'elle implique encore, à des
degrés divers, y compris une connaissance minimale de l'hébreu - en France, un tiers des Juifs se
déclarent religieux, dont moins de la moitié sont pratiquants, seuls 5 % respectant les principales
obligations religieuses (mitzvot). Pour d'autres aussi, la pratique d'une des langues juives de la
Diaspora, l'insertion dans une des cultures juives - elles-mêmes très variées. Pour bien des Juifs
également, un certain rapport à l'État d'Israël, que, sans désirer s'y installer - c'est le grand échec
du sionisme que de n'avoir attiré en Israël qu'un Juif sur trois - et sans même soutenir
nécessairement la politique qu'il mène, ils considèrent néanmoins comme un dernier refuge " au
cas où ". L'identité juive, en cette fin de XXe siècle, puise sans doute surtout à ces quatre
sources, que même l'assimilation n'a pas complètement taries. Il n'empêche : comme le note
Richard Marienstras (postface à Se choisir juif, de Jean Liberman), " la notion même de peuple
juif est devenue, après la Shoah, problématique. En cette fin de millénaire, il n'y a pas de
continuité historique véritable (malgré les idéologues juifs qui affirment le contraire) entre les
judaïcités détruites irrémédiablement par la guerre, le peuple d'Israël et les juifs vivant dans les
diasporas française, anglaise, américaine, argentine... " " Je l'envie, écrit Maxime Rodinson
d'un de ses plus virulents critiques, d'avoir trouvé du premier coup les définitions et les mots qui
s'imposaient pour désigner une unité qui rassemblerait à la fois le roi David, Einstein, Jésus de
Nazareth, Maimonide, Moses Mendelssohn, Karl Marx, Menahem Begin, Jacques Offenbach,
Benjamin Disraeli, Michel Debré, Tristan Bernard, etc., sans oublier lui-même et moi-même... "
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

KADHAFI (Mouammar)
Kadhafi naît en 1938 dans une famille de nomades de la région de Syrte. Il reçoit une
éducation religieuse, puis, à dix ans, est envoyé à l'école à Sebha, dans le Fezzan. Il devient,
adolescent, un nassérien militant, et sera même renvoyé de son établissement scolaire, en 1961,
pour avoir manifesté contre la sécession syrienne de la République arabe unie. Convaincu que
l'armée seule peut régénérer la Libye, il entre à l'Académie militaire de Benghazi en 1964 et crée
une organisation secrète, les Officiers libres unionistes. Il est le maître d'oeuvre du coup d'État
du 1er septembre 1969, qui met fin au règne d'un monarque vieillissant, le roi Idriss Al Senoussi.
Kadhafi devient, à trente et un ans, président du Conseil de commandement de la révolution.
Nationaliste convaincu, fervent partisan de l'unité arabe, il suivra tout d'abord la voie de Gamal
Abdel Nasser, tout en étant plus sensible à la référence islamique : la Libye est un des premiers
pays de la région à réislamiser le droit positif. Après la mort du Raïs en 1970, il prend ses
distances à l'égard de la " rectification " imposée par Anouar Al Sadate. Il conçoit alors une
nouvelle théorie, consignée dans le Livre vert, conçue comme différente à la fois du capitalisme
et du socialisme. Elle prône la démocratie directe - et le refus de la démocratie représentative -, la
fin du salariat - une forme d'" esclavage " : le nouveau mot d'ordre dans les entreprises est : "
Partenaires, pas salariés " - et le retour à la vie naturelle, au socialisme naturel. L'idéal explicite
reste l'islam des origines, celui du VIIe siècle. Quels sont les facteurs qui ont influencé la pensée
du colonel ? Nous pouvons reprendre la liste qu'en dresse la revue Hérodote : " Son origine
sociale de bédouin lié par ses parents aux grands espaces sahariens ; l'influence de Nasser et,
comme repoussoir, l'état de la Libye sous Idriss Ier ; il y a aussi l'exercice du pouvoir et les
diverses situations historiques dans lesquelles il a été obligé d'agir ; il y a encore ses lectures,
ses rencontres, mais il est trop diffcile d'en débrouiller l'écheveau ; il y a enfin l'islam. " Fervent
musulman, Kadhafi est d'abord un nationaliste arabe et il a une lecture originale de la religion,
puisqu'il n'accepte que le Coran et rejette la Sunna (voir le mot islam). D'où une interprétation
souple des prescriptions : " Une partie importante de l'islam, du christianisme et du judaïsme,
argumente Kadhafi, traite des rapports entre Dieu et l'homme, ainsi que des rites. Une autre
partie concerne les rapports des hommes entre eux, ce qu'ils peuvent faire et ce qu'ils doivent
éviter, mais elle ne donne que les principes généraux : oeuvrer pour le bien, empêcher le mal,
établir des bons rapports au sein de la famille, avec le voisin, traiter correctement les étrangers,
l'orphelin, le pauvre, le prisonnier, etc. On peut ensuite fonder un État ou un empire, instaurer
une république ou une monarchie, engager une révolution, bâtir une jamahiriyya... Il faut
seulement, ce faisant, craindre Dieu, ne pas voler, être tolérant. " De là à dire " Rendons à César
ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ", il n'y a qu'un pas que Kadhafi se garde de
franchir : il est déjà en butte à bien des attaques de docteurs de la Loi. Mais ces théories lui
permettent de rejeter aux oubliettes certains " principes " comme ceux sur les femmes : " Il
n'était pas écrit qu'elles (les femmes) soient esclaves, soumises, méprisées et que les hommes
soient l'inverse... L'oppression est le résultat d'un processus social. " Depuis 1987, avec les
échecs de sa politique internationale (en particulier au Tchad) et la crise économique due à
l'effondrement des cours du pétrole, le colonel a infléchi son discours dans un sens plus réaliste.
Il a renoué avec tous ses voisins maghrébins, avec l'Égypte ainsi qu'avec de nombreux pays
d'Afrique noire. À l'intérieur, il a engagé une politique plus " libérale ", marquée par un retour du
secteur privé et du petit commerce. Mais l'intransigance des États-Unis, qui a réussi à faire
imposer des sanctions contre le pays, et la montée de l'opposition ont fragilisé le régime qui se
perpétue depuis près de trois décennies. Terroriste international et dirigeant fou pour les États-
Unis, homme à abattre pour la grande presse européenne, Kadhafi n'est sans doute qu'une des
expressions du refus par les peuples dominés de l'ordre international, comme des difficultés à
envisager une voie autonome de développement.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

KHOMEYNI (Ruhollah)
Suivant la plupart des sources, Khomeyni serait né le 24 septembre 1902, dans une
famille de religieux vivant près d'Ispahan. Il fait ses études à Qom, un des centres du chiisme,
majoritaire en Iran et religion d'État depuis le XVIe siècle. Théologien, il accède à la dignité de
mojtahed (celui qui est habilité à pratiquer l'effort d'interprétation de la loi islamique), puis au
titre d'ayatollah (" signe miraculeux de Dieu ") qui en fait un des religieux les plus respectés du
pays. Il s'intéresse très tôt aux questions politiques et publie un livre de réfutation du laïcisme ;
mais ce n'est qu'en 1962 que commence son véritable activisme. Opposant à la réforme agraire -
la " révolution blanche " - lancée par le Chah, qui lèse les intérêts des dignitaires chiites, il joue
un rôle dans les émeutes du 4 juin 1963 et est emprisonné. Relâché après avoir accepté de
refréner ses critiques, il se signale à nouveau par une condamnation des relations militaires avec
les États-Unis et de l'octroi à leurs conseillers d'un statut diplomatique. Il est alors expulsé d'Iran,
en octobre 1964, et se réfugie à Najaf, ville sainte chiite en Irak. La mort, en 1961 et 1962, de
deux importants ayatollah, Mohamad Burudjerdi et Abdul Kassem Kashani, le hisse au sommet
de la hiérarchie religieuse. Il séjourne en Irak jusqu'en octobre 1978, date à laquelle le
gouvernement baasiste de Bagdad le déclare persona non grata. Nouvel exil, en France cette
fois-ci. Khomeyni devient alors un symbole pour des millions d'Iraniens qui se sont levés contre
la dictature du Chah. Il alimente par ses discours - retransmis par cassettes - le soulèvement
contre le régime. Le 1er février 1979, il rentre triomphalement à Téhéran : l'empire s'effondre,
l'ère de la République islamique commence. La pensée de Khomeyni s'articule autour de la
question du pouvoir, question centrale pour le chiisme iranien. Suivant la tradition, à la mort de
Mahomet, douze imams (" guides ") se sont succédé, dont le dernier a disparu en l'an 874. Après
avoir communiqué avec le monde extérieur par l'intermédiaire de " messagers ", il s'est
définitivement " retiré " tout en restant en vie : c'est le temps de la " Grande Occultation ", en
attendant la fin des temps et le retour de l'" imam caché " qui viendra restaurer sur terre un règne
de justice. Mais durant cette " Grande Occultation ", qui doit guider la communauté des croyants
? Pour Khomeyni ce rôle revient aux mollah (théologiens) et au faghi, au docte, vicaire de l'"
imam caché " et délégataire de la souveraineté divine. Cette doctrine du " gouvernement du docte
" (velayat faghi), qui accorde aux mollah d'énormes pouvoirs, a été - et reste - contestée par de
nombreux autres ayatollah. Pourtant, elle va s'imposer. Mais non sans difficultés, car le front qui
a renversé le Chah est large : libéraux, religieux, Moudjahidin - membres d'une organisation
révolutionnaire islamique dirigée par Massoud Radjavi -, autonomistes kurdes, communistes, etc.
La guerre déclenchée par l'Irak en septembre 1980 et les premières victoires irakiennes
provoquent un sursaut patriotique, sur lequel Khomeyni s'appuie pour écraser impitoyablement
ses alliés de la veille. En 1983, l'Iran reprend l'offensive sur le front ; toute opposition - à
l'exception des Kurdes - est matée. Khomeyni s'affirme maître absolu du pays, mais la base du
régime se rétrécit. La prolongation de la guerre Iran-Irak, du fait de l'entêtement de l'ayatollah,
lui aliénera bien des sympathies et l'acceptation, en août 1988, du cessez-le-feu constitue un dur
échec personnel. Il meurt le 1er juin 1989. La poursuite du conflit avec Bagdad, la paralysie de
l'appareil gouvernemental soumis à la censure permanente des religieux ont amené l'imam, à la
fin de l'année 1987, à opérer une importante révision de doctrine. " Prétendre que les pouvoirs
de l'État sont limités au cadre des préceptes divins est totalement contraire à mes dires (...),
écrit-il. L'action du gouvernement qui est une partie de la souveraineté absolue du prophète est
un impératif premier de l'islam, qui prévaut sur tous les autres, même la prière, même le jeûne,
le pèlerinage à La Mecque, etc. ". En voulant ainsi assurer une certaine liberté de manoeuvre au
gouvernement, l'ayatollah reconnaissait que toutes les réformes internes avaient été sabotées, au
nom de l'islam, par les mollah et qu'il était nécessaire de répondre aux formidables défis
économiques et sociaux qui se posaient au pays.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

KOWEÏT
En 1756 commence, sur une portion de désert et quelques oasis, le règne de la dynastie
des Al Sabah. Personne ne sait alors que celui-ci perdurera jusqu'à l'orée du XIXe siècle, ni que le
Koweït sera la cause d'un des plus importants conflits de la seconde moitié du XXe siècle. En
1899, le Koweït - dont les relations avec l'Empire ottoman sont bien lâches - signe un traité avec
la Grande-Bretagne, puissance dominante de la région, par lequel le cheikh régnant délègue une
partie de ses pouvoirs, notamment les relations extérieures : le pays devient un protectorat
britannique. Et en 1908, malgré les protestations de Constantinople, Londres y installe une base
navale. La découverte du pétrole, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, va bouleverser une
société nomade traditionnelle. Dès le début des années 50, le souverain utilise - fait assez rare
pour être souligné - les recettes de l'or noir pour engager un programme de travaux publics,
d'essor de l'éducation et de la médecine. Le 19 juin 1961, le Koweït accède à l'indépendance, le
cheikh se métamorphose en émir et le pays est admis dans la Ligue arabe, malgré la
revendication de l'Irak de Kassem sur ce qu'il considère, ainsi que la majorité des Irakiens,
comme une province perdue de la mère patrie. Le Koweït bénéficie alors d'une prospérité
économique et sociale fondée sur le pétrole et le travail des immigrés. La population comprend
en 1990 à peine 40 % de nationaux ; les autres sont originaires des pays arabes - on compte près
de 400 000 Palestiniens. Depuis le milieu des années 70, le Koweït tend à leur substituer, au
moins pour les emplois non qualifiés, une main-d'oeuvre asiatique corvéable à merci et peu
concernée par les remous du monde arabe. Dans un environnement troublé, la famille royale
cherche à se tenir à l'écart des conflits interarabes, à jouer même un rôle de médiateur. Dès 1967,
elle apporte une contribution financière importante aux pays de la " ligne de front " et à la cause
palestinienne. En 1981, le Koweït est membre fondateur du Conseil de coopération du Golfe
(CCG) aux côtés des Émirats arabes unis, de l'Arabie Saoudite, d'Oman, de Qatar et de Bahreïn.
Il tend à s'opposer à l'hégémonie de Riyad. Les relations avec l'OLP - et plus particulièrement le
Fath - semblent d'autant plus solides que la communauté palestinienne est riche et influente.
Enfin, dès 1964, une ambassade soviétique s'ouvre à Koweït-City : la seule - avec celle d'Irak -
dans le Golfe pendant vingt ans. Le gouvernement a aussi multiplié les investissements à
l'étranger, à travers le Kuwait Investment Office (KIO), et gère un portefeuille estimé à 100
milliards de dollars. Parmi les sociétés dont le Koweït possède des parts, on note Daimler-Benz
(14 %), le groupe chimique allemand Hoechst (20 %), General Motors, General Electrics, ATT
et plusieurs groupes bancaires et pétroliers espagnols. La prise de contrôle, en 1988, de 20 % des
actions de la BP a soulevé une forte opposition du gouvernement britannique. Grâce à cette
stratégie et à l'achat, en 1987, du réseau de distribution européen de la Gulf, une des majors du
pétrole, le Koweït écoule lui-même un quart de sa production d'or noir. Le scandale du Souk Al
Manakh - l'effondrement en 1983 de ce marché parallèle financier - est surmonté. Le pétrole est
la source principale de la richesse et de l'influence du petit émirat, où sont localisés 10 % des
réserves mondiales. Le Koweït, membre actif de l'OPEP, a pris le contrôle de ses richesses
naturelles en 1975. La victoire de la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak ont précipité le
Koweït, qui a pris fait et cause pour Saddam Hussein, dans une zone de turbulences. Les relations
entre les communautés sunnite et chiite se sont dégradées, et les membres de cette dernière ont
été écartés de tous les postes " sensibles ". Plusieurs attentats secouent le pays à partir de 1983.
Le pouvoir profite de cette situation pour dissoudre, en juillet 1986, l'assemblée élue en février et
dans laquelle se retrouvaient des représentants de tous les courants politiques, de la gauche aux
islamistes. L'élection, en juin 1990, d'un Conseil national - sorte de parlement croupion - est
boycottée par l'opposition. La liberté de presse restait cependant en 1990 plus importante que
dans la plupart des pays arabes. Mais ces incontestables libertés sont limitées, avant le 2 août
1990, par plusieurs facteurs. D'abord la majorité de la population - y compris les Palestiniens
installés dans le pays depuis des dizaines d'années - n'a pas de droits politiques : et l'émir décide
de la naturalisation tous les ans de ... 50 d'entre eux. Les nationaux, environ 800 000 en 1990,
sont divisés en deux catégories : seuls votent les citoyens de première classe qui peuvent prouver
que leur famille vivait au Koweït avant 1920 ; en revanche, les autres, citoyens de seconde
classe, sont privés du droit de vote, à l'exception de bédouins d'origine saoudienne qui l'ont
obtenu en 1967, le gouvernement espérant ainsi barrer la route aux nationalistes et à la gauche.
Les femmes, elles non plus, n'ont pas le droit de vote. Malgré ces restrictions, l'immense
majorité des citoyens restés au pays après le 2 août 1991 - 350 000 sont à l'étranger en vacances
ou ont fui à l'arrivée des troupes irakiennes - résistera à l'occupation irakienne. Même
l'opposition, qui avait organisé des réunions dans les mois précédant l'invasion pour réclamer le
retour du Parlement élu et le rétablissement de la Constitution de 1962, refuse de répondre aux
offres de " collaboration " de Saddam Hussein et s'engage activement dans la résistance civile
comme militaire. L'occupation dure sept mois, mais elle laisse des traces profondes : le pays,
annexé - il devient la " dix-neuvième province de l'Irak " -, est pillé ; des milliers de Koweïtiens
sont arrêtés, déportés, torturés, exécutés ; les bombardements alliés et les sabotages menés par
l'armée irakienne - des centaines de puits de pétrole sont mis à feu - détruisent d'importantes
infrastructures. La libération sera, elle aussi, marquée par des atrocités. La chasse aux
Palestiniens et plus généralement aux étrangers, suspectés, souvent injustement, d'avoir
collaboré, est ouverte : des milliers de morts et de disparus, 300 000 Palestiniens expulsés. Les
promesses de libéralisation politique faite par l'émir Jaber Al Ahmad Al Sabah ne sont pas tenues
: les premières élections ont lieu le 5 octobre 1992, mais seuls 80 000 citoyens mâles de première
classe (environ 15 % des adultes) sont autorisés à voter. Les candidats critiques du pouvoir -
notamment les nationalistes de gauche, les anciens membres du parlement dissous en 1986 -
remportent néanmoins de nombreux succès. Les différents mouvements islamiques, un chiite et
deux sunnites (notamment, le Mouvement constitutionnel islamique, proche des Frères
Musulmans, mais qui a rompu avec lui durant la guerre du Golfe), obtiennent trois sièges chacun.
Au total, même si les islamistes ne sont pas tous d'accord sur l'attitude à suivre à l'égard du
pouvoir, une trentaine des 50 sièges sont conquis par des opposants et, pour la première fois,
l'opposition participe au gouvernement. La législature est marquée par une guérilla contre le
premier ministre, le prince héritier, le cheikh Saad Al Sabah. Les députés publient plusieurs
rapports sur l'incompétence du pouvoir durant la crise de 1990, sur des affaires de corruption,
etc. De nouvelles élections devaient avoir lieu le 7 octobre 1996. Sur le plan régional et
international, le Koweït a signé, avec les États-Unis, le 19 septembre 1991, un traité de défense
de dix ans (qui prévoit des facilités portuaires pour la flotte américaine, l'entraînement de
l'armée, des manoeuvres conjointes, etc.). À plusieurs reprises, entre 1992 et 1996, et prétextant
de " menaces irakiennes ", les États-Unis déploient des troupes dans l'émirat. La démarcation de
la frontière avec l'Irak a été fixée par les Nations unies, en avril 1992, à près de 600 mètres au
nord de la frontière traditionnelle, privant Bagdad d'une partie du port d'Oum Kasr, un sujet à
venir de conflit. Sous la pression, Saddam Hussein, le 10 novembre 1994, finit par reconnaître la
souveraineté du Koweït, son intégrité territoriale et la nouvelle frontière. Les relations avec
l'OLP et les pays qui ont soutenu l'Irak - Jordanie, Yémen - restent exécrables, et le Koweït
demeure hostile à toute réconciliation avec Bagdad. Outre les destructions, la guerre a coûté au
Koweït 16 milliards de dollars (financement de l'intervention des alliés). Le pays a dû puiser dans
ses investissements à l'étranger, qui ont chuté de moitié. Par ailleurs, le KIO a été impliqué dans
une série de scandales financiers. Le déploiement de troupes américaines, notamment en 1994,
est également revenu très cher. La reconstruction est freinée par la politique d'expulsion de
l'émirat, qui prive le pays de nombreuses compétences. En revanche, tous les puits de pétrole en
feu ont été éteints dès novembre 1991, et le pays a repris ses exportations, dépassant les quotas
attribués par l'OPEP. Le gouvernement a opéré de nombreuses privatisations en 1995-1996 et
réduit, grâce à l'augmentation des prix du pétrole, le déficit budgétaire ; la Bourse est devenue
l'un des marchés émergents les plus actifs de la région. Le Koweït s'étend sur 17 800 kilomètres
carrés et compte 1,8 million d'habitants ; un tiers environ des nationaux sont chiites. La
production pétrolière, qui était de 1,5 million de barils par jour en 1980, de 1 million en 1990,
atteignait 1,84 million de barils par jour en 1995.
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KURDES
Répartis entre l'Iran, la Turquie et l'Irak, les Kurdes ont une longue histoire : la naissance
mythique de ce peuple remonterait au 21 mars 612 avant J.-C. Parlant une langue indo-
européenne, convertis pour la grande masse à l'islam sunnite, ils habitent des régions
montagneuses, difficiles d'accès, et n'ont jamais constitué une entité politique unifiée. Leur
nombre est sujet à de vives controverses, dont les enjeux politiques sont clairs : ainsi en Turquie,
où leur existence en tant que minorité commence à peine à être reconnue. Ils seraient une
quinzaine de millions en Turquie, 7 millions en Iran et 5 millions en Irak, auxquels il faut ajouter
les deux communautés de Syrie (1 million environ) et de l'ancienne Union soviétique (350 000).
À la suite de la Première Guerre mondiale et du démantèlement de l'Empire ottoman, les Alliés
envisagent de créer un Kurdistan indépendant. Le 10 août 1920, le traité de Sèvres, signé avec la
Turquie, prévoit la création d'un Kurdistan autonome dans l'est de l'Anatolie et dans la province
de Mossoul. Mais la rébellion de Moustapha Kemal et sa victoire conduisent au traité de
Lausanne en 1923 et à l'abandon des droits kurdes. Seul le nouvel État irakien, sous mandat
britannique, aurait dû, selon les décisions de la Société des nations, garantir une certaine
autonomie aux Kurdes. Cette promesse non plus ne fut pas tenue. Des révoltes kurdes éclatent -
particulièrement en Turquie en 1925, 1930 et 1937 -, impitoyablement matées. Et, le 8 juillet
1937, le pacte de Saadabad entre la Turquie, l'Irak, l'Iran et l'Afghanistan prévoit, entre autres,
une coordination de la lutte contre la subversion et l'irrédentisme kurde. Après la Seconde
Guerre mondiale, et avec l'appui de l'URSS, naît en Iran, en janvier 1946, la République kurde de
Mahabad. Mais, dès le mois de décembre, les troupes iraniennes mettent fin à cette expérience.
Jusqu'à la fin des années 70, l'essentiel de la rébellion kurde se concentrera en Irak. L'homme qui
va la symboliser s'appelle Moustapha Al Barzani. Né en 1903 dans le village de Barzan (Irak),
issu d'une famille de chefs religieux, il a participé à l'expérience avortée de la République de
Mahabad. Réfugié en Union soviétique pendant plus de dix ans, il rejoint l'Irak après l'avènement
de la République, en 1958. Face au non respect par le pouvoir de Kassem des promesses
d'autonomie kurde, il déclenche, en septembre 1961, une rébellion dans le nord du pays, avec
pour slogan : " Autonomie pour le Kurdistan, démocratie pour l'Irak. " Trêves, négociations,
guérillas alterneront sans interruption jusqu'en 1975. En 1970, un accord semble en vue : le Baas
concède la création d'une région kurde autonome, reconnaît que les Kurdes forment une des deux
nations de l'Irak et leur accorde certains droits - dont l'usage de leur langue, qui devient la
seconde langue du pays. D'importants désaccords subsistent toutefois, tant sur la délimitation du
Kurdistan - Mossoul, ville pétrolière, en est exclue - que sur les pouvoirs réels des élus locaux.
En mars 1974, Bagdad décide l'application unilatérale de l'autonomie. Poussé par le Chah d'Iran
et par les États-Unis, qu'alarment les orientations prosoviétiques du régime baasiste, Moustapha
Al Barzani reprend l'insurrection. Celle-ci s'effondre à la suite de l'accord d'Alger du 6 mars 1975
entre Téhéran et Bagdad, qui met fin à leur différend frontalier et entraîne l'arrêt de toute aide
iranienne à la rébellion kurde. Le déclenchement de la guerre irako-iranienne, en septembre
1980, relance sur une plus grande échelle l'agitation kurde. En Iran, dès la chute du Chah, le Parti
démocratique kurde iranien (PDKI) du Dr Abdoul Rahman Ghassemlou a pris le contrôle du
Kurdistan : l'offensive de la République islamique l'amène à s'allier au régime de Saddam
Hussein. En Irak, aussi, les difficultés créées par la guerre contre les " Perses " encouragent
l'irrédentisme kurde. Mais l'unité n'est pas au rendez-vous : le PDK, dirigé depuis 1976 par
Massoud Al Barzani, le fils de Moustapha, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal
Talabani et le Parti communiste irakien s'allient, se déchirent, se réconcilient. Le réveil kurde est
également sensible en Turquie. Depuis août 1984 le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK)
mène des actions de guérilla dans les provinces de l'est du pays. Même si le terrorisme de cette
organisation suscite de nombreuses réticences, il a permis un nouveau débat en Turquie sur la "
question kurde ", jusque-là taboue. La fin de la guerre irako-iranienne en 1988 a permis aux
différents gouvernements de la région de se retourner contre leurs propres Kurdes. L'Irak, avec
une brutalité particulière, y compris l'utilisation de gaz chimiques - notamment contre le village
martyr de Halabja (mars 1988) -, a repris le contrôle du nord du pays, provoquant l'exode de près
de 100 000 Kurdes en Turquie. L'assassinat à Vienne, le 13 août 1989, par des agents du régime
de Téhéran, du Dr Abdoul Rahman Ghassemlou, secrétaire général du Parti démocratique kurde
d'Iran, puis la " liquidation " à Berlin, le 17 septembre 1992, de quatre importants dirigeants du
PDKI, portent un coup sérieux au mouvement, qui continue néanmoins, sur une base réduite, ses
actions de guérillas. À l'occasion de la guerre du Golfe, la question kurde prend une dimension
internationale sans précédent depuis la Première Guerre mondiale. La défaite de Saddam Hussein
au printemps 1991 suscite une insurrection dans le Kurdistan ; les peshmerga s'emparent des
principales villes, mais sont vite submergés par les unités d'élite de l'armée irakienne : les forces
de la coalition anti-Saddam Hussein laissent faire. Traumatisés par le spectre d'une nouvelle
utilisation des armes chimiques, près de 2 millions de Kurdes prennent à nouveau le chemin de
l'exil, vers l'Iran et vers la Turquie. Les armées occidentales mettent alors en place une zone de
sécurité dans le nord de l'Irak, ce qui permet le retour des réfugiés et assure le contrôle des
organisations kurdes sur la région. Mais, malgré la tenue d'élections relativement libres au
Kurdistan irakien, le 19 mai 1992, aucune autorité stable ne parvient à s'installer. Le PDK
contrôle l'ouest de la région, jusqu'à la frontière turque, tandis que l'UPK s'installe dans la partie
est, à la frontière de l'Iran. De violents combats opposent les deux organisations, depuis mai 1994
et les médiations américaines n'ont pas réussi à réconcilier les frères ennemis. L'influence
grandissante de l'Iran, son alliance avec l'UPK ont entraîné, à l'été 1996, de nouvelles
confrontations. Pour la première fois, le PDK a lancé un appel au secours aux troupes de Saddam
Hussein, qui sont intervenues brièvement en septembre. Le PDK a pu ainsi prendre le contrôle de
l'ensemble du Kurdistan, modifiant profondément les réalités créées par la guerre du Golfe. La
rivalité entre Ankara, Téhéran et Bagdad au Kurdistan reste un élément majeur de déstabilisation
régionale. La guerre du Golfe et l'affaiblissement du pouvoir central en Irak ont aussi facilité les
actions du PKK de Turquie, qui multiplie les opérations militaires tout en étendant son influence
politique dans les villes du sud-est du pays, notamment Dyarbakir. Les gouvernements successifs
turcs ont été incapables de prendre en compte cette revendication identitaire et se sont orientés
vers une " solution militaire " marquée notamment par un déplacement massif de populations et
la multiplication des incursions en Irak contre les bases du PKK. À l'occasion des deux conflits
du Golfe, le nationalisme kurde s'est affirmé dans les trois principaux pays concernés, l'Irak,
l'Iran et la Turquie. Malgré ses nombreuses divisions, il reste un facteur important de l'avenir de
la région.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

LAWRENCE (colonel)
Dit d'Arabie, car il fut, au cours de la Première Guerre mondiale, protagoniste de la "
révolte arabe " contre les Turcs, immortalisée par son livre, Les Sept Piliers de la sagesse, et le
film qu'en tira David Lean. C'est au Caire, en 1914, que les services de renseignement
britanniques recrutent Thomas Edward Lawrence, frais émoulu d'Oxford, familier du monde
arabe où l'ont déjà conduit des fouilles archéologiques, passionné d'écriture, de jeunes hommes et
d'aventure. L'aventure que lui proposent les responsables des services de Sa Majesté est
stratégique. En 1914, Londres redoute que la Turquie, alliée aux Empires centraux, n'entraîne les
Arabes dans son sillage : le sultan, commandeur des Croyants, a déclaré la guerre sainte (djihad).
Des négociations sont en cours, d'un côté entre sir Percy Cox, résident britannique dans le Golfe,
et le wahhabite Ibn Saoud (voir dynastie des Al Saoud), de l'autre entre sir Henry MacMahon,
haut commissaire britannique au Caire, et l'hachémite Hussein. Descendant de la tribu du
Prophète et chef du Hedjaz, ce dernier s'engage, durant l'été 1915, à prendre les armes contre la
Sublime Porte, en échange de la promesse faite par les Britanniques de " reconnaître et soutenir
l'indépendance des Arabes ". Envoyé auprès de Hussein pour l'aider à organiser la révolte que
celui-ci a déclenchée le 5 juin 1916, Lawrence travaille sur le terrain avec ses fils, en particulier
le plus jeune, Faysal, à partir du 16 octobre. Devenu officier de liaison de Faysal, il contribue à la
mobilisation des bédouins, aux batailles contre les Turcs, et à la prise de villes importantes, en
particulier Akaba, en juillet 1917. Puis Lawrence et les troupes arabes appuieront l'offensive du
général Allenby en Palestine et en Syrie. Le rêve du colonel paraît à portée de la main : un grand
Empire arabe probritannique, Hussein à sa tête contrôlant notamment le Hedjaz, Faysal la Syrie
et l'Irak, Abdallah la Palestine et la Transjordanie... Mais la Grande-Bretagne est tenue par
d'autres assurances, contradictoires, données aux Français, au mouvement sioniste, au rival
wahhabite même de Hussein. L'" Empire arabe ", avant même de voir le jour, sera dépecé, Paris
et surtout Londres s'en partageant les dépouilles. Hussein se contentera du Hedjaz, qu'Ibn Saoud
lui arrachera, Faysal chassé de Syrie par les Français se retrouvera sur le trône d'Irak, et Abdallah
régnera en Transjordanie. Lawrence d'Arabie, lui, en a fini avec cette " épopée " : le 4 juillet
1922, il a démissionné du Bureau des affaires coloniales. Il mènera ensuite une nouvelle carrière
d'écrivain et s'activera aux côtés du fasciste anglais Mosley. C'est le 19 mai 1935 que Thomas
Lawrence se tue (dans un accident ?) à quelques jours d'une entrevue que devait lui accorder le
chancelier d'Allemagne, Adolf Hitler...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

LIBAN
La géographie a très tôt dicté au Mont-Liban ses particularités. Cette chaîne montagneuse
offre des conditions écologiques - en particulier de l'eau en abondance - propres à favoriser
l'installation des hommes. De plus, difficilement accessible, le Mont-Liban a pu, à différentes
reprises, servir de refuge naturel à diverses minorités persécutées. C'est au XVIe siècle, avec
l'avènement de la dynastie druze Maan - et surtout le règne de Fakhreddine II (1590-1633) -, que
le territoire de l'actuel Liban est unifié pour la première fois. Il le sera à nouveau sous le règne
de Béchir II, issu de la grande famille des Chehab, de 1788 à 1840. C'est seulement à cette
époque que commencent à s'affirmer vraiment les conditions qui feront du Liban une entité
particulière dans le monde arabe : une société chrétienne dans la montagne ayant de forts liens
avec l'Europe ; une société druze montagnarde suffisamment confiante dans ses structures
tribales pour accepter, dans ses villages, des chrétiens en nombre de plus en plus grand ; un port,
Beyrouth, lien entre la montagne et l'Occident, avec une présence de musulmans sunnites, et
centre, pour l'ensemble de l'Empire ottoman, de l'éducation et des idées occidentales ; une
présence missionnaire catholique d'abord, puis protestante ; une économie de la soie concentrée
dans la montagne, et favorisant les échanges entre l'arrière-pays et Beyrouth. Cette double
domination - druze et maronite - sur la montagne libanaise se traduit, en 1843, par le système du
double caïmacamat. Deux provinces sont délimitées au Mont-Liban : l'une au nord, maronite,
l'autre au sud, druze. Elles demeurent sous l'autorité de l'Empire ottoman - qui exerce sa
suzeraineté sur le Liban depuis le XVIe siècle -, même si déjà les puissances européennes
s'arrogent un droit de regard qui encourage l'extension du confessionnalisme. 1860 marque une
étape importante pour le pays du Cèdre. Au départ, une révolte paysanne, dirigée par un
maréchal-ferrant du nom de Tanios Chahine ; à l'arrivée, des massacres interconfessionnels. La
jacquerie a dégénéré en guerre de religion. Le sort des chrétiens sert de prétexte à Napoléon III
pour dépêcher un corps expéditionnaire. Un règlement organique est négocié entre les puissances
européennes et la Sublime Porte ; en vigueur jusqu'à la Première Guerre mondiale, il consacre le
" particularisme " libanais avec la représentation politique des communautés. Après la victoire
de 1918, la France obtient, en vertu des accords Sykes-Picot, le contrôle d'une partie du Proche-
Orient. Elle établit son mandat sur le Grand-Liban (dans ses frontières actuelles) et
institutionnalise le confessionnalisme et l'hégémonisme maronite. Cette domination sera, tout
compte fait, de courte durée. Le régime de Vichy ayant laissé l'Axe utiliser le Liban et la Syrie,
la Grande-Bretagne - avec l'appui des Forces françaises libres - occupe les deux pays en juillet
1941. La marche vers l'indépendance est alors inéluctable, et celle-ci est proclamée en 1943.
Malgré un débarquement de troupes en 1945, Paris ne restaurera pas son autorité. Le Liban sera
membre fondateur de l'ONU et de la Ligue arabe. Mais l'indépendance, proclamée le 22
novembre 1943, n'a pas été rendue possible seulement par l'affaiblissement de la France ou la
montée du mouvement nationaliste. Il aura fallu aussi un accord non écrit, le " pacte national ",
compromis entre les grandes familles sunnites et maronites. Deux clauses dans le marché : les
chrétiens renoncent à la protection française et acceptent l'indépendance, les musulmans abjurent
l'unité arabe et en tout premier lieu le rêve d'une " grande Syrie ". Autre postulat de naissance du
nouvel État, le maintien du confessionnalisme. Ce fragile équilibre sera, maintes fois, ébranlé.
La première secousse sérieuse survient, en 1958, d'une double crise, régionale et nationale. Le
président libanais, Camille Chamoun, prend fait et cause contre Nasser, dans le conflit qui
oppose ce dernier à l'Occident. Il appuie, en particulier, la création du pacte de Bagdad, en 1955.
Il ne peut donc que se sentir menacé par la constitution de la République arabe unie (RAU) entre
l'Égypte et la Syrie, le 1er février 1958. La RAU, au contraire, galvanise les partis progressistes,
ainsi que les musulmans au Liban. Déçus par l'absence de réformes - que Chamoun s'était
pourtant engagé à mettre en oeuvre -, ils ne peuvent accepter que le président, contrairement à la
Constitution, sollicite un deuxième mandat. Les affrontements se multiplient à partir de mai
1958. Le 14 juillet 1958, la monarchie pro-occidentale d'Irak s'effondre et Camille Chamoun fait
appel aux États-Unis pour sauver son régime. Le lendemain, les marines débarquent à Beyrouth.
Les combats se poursuivent encore quelques semaines et débouchent sur un compromis : le
général Fouad Chehab, chef de l'armée, succède à Camille Chamoun et le pacte de 1943 est
reconduit. Lui et son successeur, Charles Helou, tenteront, sans succès, de renforcer l'autorité de
l'État et de remédier aux inégalités excessives, communautaires ou sociales. Durant les vingt
années qui précèdent l'explosion de 1975, le Liban se métamorphose. Sa fonction de relais
régional et de plaque tournante entre les économies ouest-européenne et américaine, et le monde
arabe est dynamisée par le pétrole. Le pays du Cèdre, où règne le libéralisme le plus sauvage,
collecte des capitaux venant des États du Golfe ou fuyant le " carcan socialiste " de l'Égypte, de
la Syrie et de l'Irak. Le secteur des services (finances et banques, commerce, tourisme...)
contribue, en 1970, pour plus de 70 % au produit intérieur brut : un des taux les plus forts du
monde. Le secteur bancaire occupe, dans ce contexte, une place centrale et hégémonique. Cet
essor entraîne une prospérité bien mal partagée. L'absence de l'État - évidente dans le domaine
économique - empêche toute esquisse de politique sociale. Les disparités et les inégalités
s'approfondissent, se confondant en partie avec les divisions confessionnelles. À ces tensions
internes s'ajoute le choc de la guerre de 1967 et l'affirmation palestinienne au Liban. Les
commandos galvanisent l'énergie des réfugiés, plusieurs centaines de milliers dans le pays du
Cèdre. En octobre 1969 éclate la première crise sérieuse entre l'État et la Résistance. Appuyés par
un mouvement populaire libanais qui mêle revendications sociales et nationales, les fedayin
arrachent, en novembre, les " accords du Caire " qui légalisent leur présence dans les camps au
sud. Après l'élimination de l'OLP de Jordanie, en 1970-1971, le Liban forme la dernière base
palestinienne. Israël multiplie les raids de représailles. Tel Aviv cherche moins à détruire la
Résistance - les objectifs sont le plus souvent et civils et libanais - qu'à forcer le gouvernement de
Beyrouth à réduire lui-même les Palestiniens. Mais cette tactique, qui a réussi en Jordanie,
échoue au Liban. Elle n'aura pour résultat que de stimuler le processus de décomposition de l'État
et précipiter la guerre civile. Celle-ci éclate le 13 avril 1975. Quand, en juin 1982, l'armée
israélienne déferle sur le Liban, le pays est déjà exsangue et aucune autorité centrale n'arrive à
s'imposer. Le pire reste pourtant à venir. Les deux années qui suivent sont marquées par l'échec
des tentatives des phalangistes, appuyées par Jérusalem, d'imposer leur hégémonie sur le Liban.
Le pouvoir du président Amine Gemayel subit défaite sur défaite : dans le Chouf, en septembre
1983, à Beyrouth-Ouest en février 1984. Le front de l'opposition (Amal, Parti socialiste
progressiste de Walid Joumblatt, Soliman Frangié, Rachid Karamé...) élargit les zones sous son
contrôle tandis que la Force multinationale, marines américains en tête, quitte précipitamment la
capitale du Liban. Pendant ce temps, dans le Sud, la résistance à l'occupation israélienne
s'amplifie ; lancée surtout par les partis de gauche, elle s'est élargie et devient massive avec le
ralliement des islamistes. Israël accélère son retrait qui s'achève en juin 1985, à l'exception d'une
" zone tampon " contrôlée avec l'aide de l'Armée du Liban-Sud. Amine Gemayel renverse ses
alliances, abroge le traité qu'il avait signé en 1983 avec Israël et constitue, le 30 avril 1984, sous
la direction de Rachid Karamé, un gouvernement d'union nationale. En décembre 1985, un
accord tripartite entre Amal, les Forces libanaises et le PSP de Walid Joumblatt semble ouvrir la
voie à un règlement durable. Il n'en est rien et les divisions reprennent le dessus, sans que Damas
- qui, avec 35 000 soldats, contrôle 60 % du territoire - se révèle capable d'imposer son point de
vue. Et en septembre 1988, après l'échec des tentatives de trouver un successeur à Amine
Gemayel, le Liban se retrouve sans président, avec deux gouvernements - l'un " chrétien " dirigé
par le général Michel Aoun, chef de l'armée, l'autre " musulman " conduit par Sélim Hoss, qui a
succédé à Rachid Karamé assassiné le ler juin 1987. Le 14 mars 1989, le général Michel Aoun
déclenche la " guerre de libération " contre la Syrie. Malgré l'incontestable popularité que cette
action lui vaut, son principal résultat est d'aboutir à une sanglante guerre civile interchrétienne
entre l'armée et les Forces libanaises de Samir Geagea qui ont choisi d'accepter le processus de
paix lancé à Taëf, en Arabie Saoudite. Réunie à l'initiative du comité tripartite de la Ligue arabe
(Algérie, Arabie Saoudite, Maroc), une session du Parlement libanais - 62 parlementaires sont
présents - adopte le 22 octobre 1989, à la quasi-unanimité, un plan de réformes prévoyant la
réduction des pouvoirs du président maronite au profit du Conseil des ministres et, surtout, du
Premier ministre musulman sunnite ainsi que du président chiite de l'Assemblée. Le Parlement
sera désormais composé à parts égales de chrétiens et de musulmans. Dès l'élection du nouveau
président et la formation d'un gouvernement d'union nationale commenceront le désarmement
des milices et l'extension de l'autorité de l'État. Réuni le 5 novembre 1989 au Liban, le
Parlement - malgré l'opposition du général Aoun - ratifie le texte et élit le président René
Moawad : assassiné le 22 novembre, ce dernier sera remplacé par Elias Hraoui. Le plus
surprenant est que l'accord sera finalement appliqué. Profitant de la crise du Golfe durant laquelle
il choisit le " bon camp ", Hafez Al Assad fait donner l'assaut contre les troupes du général Aoun
en octobre 1990 : il n'y a plus de double pouvoir à Beyrouth, qui est réunifiée. Les milices - à
l'exception du Hezbollah - sont désarmées et l'autorité de l'armée s'étend ; la paix civile revient,
même si le Sud du pays reste un foyer de tension. La signature à Damas, le 22 mai 1991, du
Traité de fraternité et de coopération entre la République syrienne et la République libanaise
confirme la mainmise syrienne sur la vie du Liban. Les premières élections législatives depuis
1972 se déroulent en août et septembre 1992, boycottées par de nombreuses forces et
personnalités chrétiennes - Parti phalangiste, Forces libanaises, partisans du général Michel
Aoun, Camille Chamoun, Raymond Eddé, ainsi que le patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir.
Le taux de participation est faible, sauf dans le Sud où il avoisine les 50 %. Le Hezbollah connaît
un succès particulier, avec huit élus, ce qui en fait le premier parti politique du pays, les 120
autres sièges ayant été, pour l'essentiel, conquis par des notables ou des personnalités proches de
Damas. Nabih Berri, chef du mouvement Amal, est élu président de l'Assemblée, tandis que
Rafik Hariri devient premier ministre. Malgré le caractère contestable du scrutin, la Syrie a réussi
son opération et les maronites apparaissent comme les grands perdants du scrutin. La nomination
du millionnaire saoudo-libanais à la tête du gouvernement suscite bien des espoirs de
reconstruction et de redémarrage économique. Mais l'ultralibéralisme et l'affairisme qui
désormais règnent au Liban, ainsi que le projet absurde de reconstruction de Beyrouth, auront
vite eu raison de l'optimisme de la population. Malgré une reprise des investissements, le sort de
la population reste précaire. L'agression de Tsahal contre le Sud, au printemps 1996, puis la
victoire de la droite aux élections israéliennes illustrent la fragilité de la paix sur laquelle
comptaient les dirigeants. Enfin, la décision - sans précédent dans l'histoire du pays - prise en
octobre 1995 de proroger de trois ans le mandat du président Élias Hraoui confirme que rien ne
se fait à Beyrouth sans décision de Damas. Les élections de l'été 1996, auxquelles se sont ralliées
une partie des forces maronites et marquées par une forte participation, montrent toutefois qu'il
n'y a pas d'autre voie que celle fixée par la Syrie à Taëf. C'est d'ailleurs aux autorités syriennes, et
non libanaises, que Benyamin Netanyahou présentera, en août 1996, son plan dit " Liban d'abord
", que Damas repoussera sans même consulter Beyrouth : ce que Hafez Al Assad attend pour
négocier, c'est le retrait d'Israël du Golan , et non du Sud-Liban... Le Liban est un pays de 10
500 kilomètres carrés et de 2,8 millions d'habitants. Ne disposant pas de ressources naturelles, il
a longtemps dû son développement exceptionnel à son rôle de pont entre Orient et Occident,
entre capitaux arabes et banques du Nord. Mais, même en cas de retour à la paix, il lui faudra
reconquérir une place nouvelle dans un Moyen-Orient profondément transformé depuis 1975 où,
partout, sous la pression de la libéralisation et de la fin du socialisme arabe, des concurrents sont
apparus.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

LIBYE
Le territoire de l'actuelle Libye, partie de l'Empire ottoman depuis le XVIe siècle, subit au
XIXe, comme les autres pays de l'Afrique du Nord, la poussée du colonialisme européen. Avec
l'accord - au moins verbal - des autres puissances, l'Italie entame, en septembre 1911, la conquête
des provinces de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. La résistance locale fut particulièrement
forte, structurée par la confrérie religieuse des Senoussi, un mouvement réformateur créé au
milieu du XIXe siècle. La rébellion se prolonge durant toute la Première Guerre mondiale, à
l'issue de laquelle le gouvernement socialiste italien accorde une plus grande autonomie aux
diverses régions. Idriss Al Senoussi, dirigeant de la confrérie, est même placé à la tête de la
Cyrénaïque, mais l'accord sera de courte durée : il doit s'enfuir en Égypte. L'accession de
Mussolini au pouvoir, en 1922, entraîne une reprise des hostilités et un nouveau sursaut contre le
colonialisme, sous la conduite des Senoussi et d'Omar Al Moukhtar : les combats durent neuf
années. En 1934, Rome unifie les provinces de Cyrénaïque et de Tripolitaine, auxquelles elle
rattache celle de Fezzan, pour constituer la Libye où se déverse, avant 1940, un flot de plus de
120 000 colons italiens. Durant la Seconde Guerre mondiale, Idriss Al Senoussi lève, à partir du
Caire, des combattants contre les puissances de l'Axe. À l'issue du conflit, la Cyrénaïque et la
Tripolitaine sont occupées par la Grande-Bretagne, et le Fezzan par les troupes gaullistes. Après
de longs débats aux Nations unies sur l'avenir des colonies italiennes, la Libye accède à
l'indépendance, le 24 décembre 1951. Idriss est proclamé roi. Le nouveau régime s'engage dans
une politique pro-occidentale : en 1953 et 1954, des traités confirment l'utilisation d'importantes
bases militaires par les Britanniques et les Américains. Au sein de la Ligue arabe, à laquelle elle
adhère en mars 1953, la Libye défend le bloc conservateur contre l'Égypte de Gamal Abdel
Nasser. Sur le plan économique, la découverte et l'exploitation du pétrole, à partir de 1959,
donnent au pays les ressources dont il manque. Le boom qui s'ensuit favorise l'urbanisation, le
développement des couches moyennes et de l'éducation. Dans un climat d'exacerbation
nationaliste au Proche-Orient, surtout après la guerre de juin 1967, le régime despotique du vieux
souverain se révèle bien inadapté. Le 1er septembre 1969, de jeunes officiers, commandés par
Mouammar Kadhafi, un commandant de trente et un ans, s'emparent du pouvoir et proclament la
république. Très influencé par Nasser, dont il se considère comme le disciple, Kadhafi engage
son pays dans une " voie socialiste " : nationalisation des banques étrangères ; pressions accrues
sur les compagnies pétrolières ; confiscation des propriétés des colons italiens ; constitution d'un
parti unique, l'Union socialiste arabe. En décembre 1969, des accords sont signés pour
l'évacuation, l'année suivante, des bases de Wheelus par les États-Unis, de Tobrouk et al Adem
par la Grande-Bretagne. Les relations avec Moscou seront toutefois difficiles dans ces premières
années : Kadhafi fait preuve d'un antisoviétisme prononcé. Mais, comme le remarquent François
Burgat et André Laronde, l'arabisme classique développé en Libye " recèle quelques spécificités.
Dans la transition qui s'opère tout au long des années soixante-dix entre l'arabisme de Nasser et
l'islamisme montant des années quatre-vingt, Kadhafi occupe une place intermédiaire (...).
Même s'il se méfie du traditionalisme des gardiens de la loi religieuse (...) il est moins éloigné
que Nasser de l'univers référentiel des islamistes. " Et le pouvoir adopte très tôt des mesures de
réislamisation du droit positif. À partir de 1975, le régime se radicalise et commence à se
différencier du " modèle nassérien ". C'est cette année qu'est publiée la première partie du Livre
vert, La solution du problème de la démocratie. En 1976, Kadhafi proclame le " pouvoir
populaire ", et met en place un système de démocratie directe à travers les Comités populaires.
Le 2 mars 1977, la " Jamahiriyya - néologisme formé de la coalescence des mots république et
masses - populaire et socialiste de Libye " voit le jour. Après la nationalisation du pétrole,
l'ensemble de l'économie passe sous le " contrôle des producteurs ". Le développement se fonde
sur l'importation de main-d'oeuvre étrangère. Un effort social important est accompli, avec
l'instauration de la santé gratuite et de l'enseignement primaire obligatoire. Mais la création par le
pouvoir, dès 1977, de comités révolutionnaires, témoigne de l'ampleur des résistances.
L'opposition est poursuivie, y compris à l'étranger. Divisée, elle n'arrive pas à venir à bout du
régime : en mai 1984, Kadhafi échappe à une attaque contre la caserne de Bab al Aziziyya par
des hommes armés, venus de Tunisie. Plusieurs tentatives de coup d'État échouent. En politique
internationale, Tripoli se rapproche de Moscou, qui l'aide à édifier une armée puissamment
équipée ; mais l'URSS se méfie de cet allié encombrant, et, en octobre 1985, refuse de signer un
traité d'amitié et de coopération avec la Libye. Kadhafi a développé une politique violemment
anti-américaine, soutenant aussi bien des mouvements et des régimes révolutionnaires (Congrès
national africain de Nelson Mandela, sandinistes du Nicaragua, Armée républicaine irlandaise...)
que des organisations terroristes, en particulier celle d'Abou Nidal. Dès mars 1982, les États-Unis
ont imposé un boycottage commercial contre le pays. Dans la nuit du 14 au 15 avril 1986,
l'aviation américaine lancera un raid contre Tripoli et Benghazi, visant à " liquider " le colonel :
une centaine de civils trouveront la mort dans cette tentative. La Libye mène une politique
unitaire arabe au gré des circonstances. Les tentatives de fusion avec d'autres pays sont aussi
nombreuses que sans lendemain : Égypte (1972-1973), Tunisie (1974), Syrie (1980), Maroc
(1984) et Soudan (à partir de 1985). Très radicale, elle n'a pas hésité à aider les plus extrémistes
des groupes palestiniens ; ses relations avec l'OLP et Yasser Arafat ont aussi fluctué. Depuis la
fin des années 80, le pays a réorienté ses efforts vers le Maghreb, et en particulier la Tunisie,
normalisé ses relations avec l'OLP, puis avec l'Égypte du président Hosni Moubarak, qui est
devenu un des alliés du colonel. Durant la crise du Golfe, il adopte une politique " médiane " et
refuse de condamner la coalition anti-irakienne. Kadhafi s'est aussi intéressé à son
environnement sahélien, qu'il n'est pas loin de considérer comme faisant partie de l'" aire arabe ".
Cette orientation s'est manifestée de manière spectaculaire au Tchad, où il intervient directement
en 1980 - après avoir occupé, en 1973, puis annexé, en 1975, la bande d'Aouzou, revendiquée par
les deux pays. Cette aventure se soldant par un fiasco, Tripoli retire ses troupes du Tchad et
établit, en octobre 1988, des relations diplomatiques avec le gouvernement de Hissène Habré. En
février 1994, une décision de la Cour internationale de justice de La Haye donne raison au Tchad
dans la question de la bande d'Aouzou et le colonel Kadhafi accepte l'évacuation de ce territoire.
La nouvelle modération de la politique étrangère libyenne, perceptible depuis 1987 et due aux
échecs extérieurs, mais aussi aux difficultés économiques - entre 1985 et 1988, la valeur des
exportations diminue de moitié, à la suite de la chute des prix de l'or noir -, contraint le colonel à
assouplir ses options intérieures. Le pouvoir cherche à dynamiser la production hors pétrole, en
encourageant la formation de coopératives agricoles et industrielles ainsi que les petites
entreprises familiales - agricoles ou commerciales. Il facilite la consommation, en ouvrant les
frontières avec les voisins. En 1992, la Jamahiriyya arabe populaire et socialiste devient la
Jamahiriyya arabe. Mais cet infléchissement se heurte à l'intransigeance des États-Unis qui ont
fait de Kadhafi - avec Saddam Hussein et Fidel Castro - un des grands " méchants " de la
politique internationale. L'implication de la Libye dans les deux attentats contre un appareil de la
TWA en décembre 1988 et contre un autre d'Air France en septembre 1989, débouchent sur
l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de sanctions en 1992 et en 1993. De plus,
en juillet 1996, Washington, qui accuse à nouveau la Libye de construire, à Tarhouna, une usine
d'armes chimiques, adopte de nouvelles mesures unilatérales contre la Libye et l'Iran. Sanctions,
gabegies et incompétences se conjuguent pour rendre la situation économique plus difficile.
L'inflation a dépassé 100 % en 1995 et continue de s'accélérer. La production pétrolière a décru.
L'État applique une politique de compression de ses dépenses et des importations, qui pèse sur les
salaires. Le chômage fait son apparition, les services sociaux se dégradent, la criminalité s'étend.
Ces difficultés encouragent un renforcement de l'opposition et de l'instabilité en Libye. Depuis la
tentative de coup d'État en octobre 1993 à Beni Walid (Tripolitaine), plusieurs actions ont été
menées par l'opposition, dominée par les militants islamistes. La riposte du pouvoir a été
particulièrement violente, mais s'est accompagnée d'une accélération de l'islamisation de la
société. Durant l'été 1996, les actions armées de l'opposition semblent s'être intensifiées et un
mouvement de guérilla s'est installé dans les montagnes à l'est de Benghazi. La Libye s'étend sur
1,78 million de kilomètres carrés (soit trois fois la superficie de la France) et ne compte que 5
millions d'habitants - auxquels il faut ajouter un million et demi de travailleurs immigrés - qui
vivent en majorité dans les villes. Le pétrole, qui constitue 93 % des exportations, se trouve en
abondance : les réserves sont estimées à plus de cinquante années de production, au rythme d'un
million de barils par jour. Suite à la chute des cours pétroliers et au boycottage américain, la
balance commerciale en 1988 devait, pour la première fois, être déficitaire. Les énormes
investissements des années 70 ont donné d'assez faibles résultats. Le premier tronçon d'une "
Grande rivière artificielle " - d'une capacité de 2 millions de mètres cubes par an, destinée à
amener l'eau d'une nappe souterraine du désert méridional jusqu'au nord - a été inauguré le 28
août 1991 et le second tronçon le 1er septembre 1996.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

LIGUE ARABE
La Ligue des États arabes est née le 22 mars 1945 à Alexandrie. L'Égypte, l'Irak, le
Liban, l'Arabie Saoudite, la Syrie, la Transjordanie et le Yémen (Nord) ont porté l'organisation
sur les fonts baptismaux. Avec la fin de la domination coloniale, elle s'est élargie et compte
désormais vingt et un membres : en plus des membres fondateurs, on trouve la Libye, le Soudan,
la Tunisie, le Maroc, le Koweït, l'Algérie, les Émirats arabes unis, Bahreïn, Oman, la Mauritanie,
la Somalie, Djibouti et les Comores, plus l'OLP qui est membre à part entière depuis 1976. Le
siège de la Ligue a été transféré du Caire à Tunis en 1979, après la signature du traité de paix
israélo-égyptien. Il faudra dix ans pour que Le Caire réintègre l'organisation, et la guerre du
Golfe pour que le siège de la Ligue retourne, le 31 octobre 1990, en Égypte. À nouveau, le
secrétaire général est un Égyptien, Esmat Abdel Meguid. Des comités permanents spécialisés ont
été constitués (économie, culture, etc., et surtout le comité politique). Sous l'égide de la Ligue se
réunissent le Conseil de défense (composé des ministres des Affaires étrangères et de la Défense)
et le Conseil économique (composé des ministres de l'Économie). Depuis 1964, date de leur
institutionnalisation, les sommets des chefs d'État sont l'instance suprême où sont censés se régler
les conflits et se prendre les décisions importantes. La Ligue a aussi créé un grand nombre
d'agences spécialisées et autonomes. Citons, entre autres, l'Organisation arabe du travail, l'Union
postale, l'Union des télécommunications. C'est durant la Seconde Guerre mondiale que resurgit
l'idée d'une fédération des pays arabes. Le 29 mai 1941, Robert Anthony Eden, ministre
britannique des Affaires étrangères, déclare devant les Communes à propos du monde arabe : " Il
me semble à la fois naturel et équitable que non seulement des liens naturels et économiques
mais, je le dis aussi, des liens politiques soient renforcés. Le gouvernement de Sa Majesté, pour
sa part, donnera l'appui le plus complet à tout plan qui recevra une approbation générale. "
Londres cherche ainsi à se gagner la sympathie des pays arabes. Ses alliés hachémites d'Amman
et de Bagdad tentent alors de mettre sur pied un État unifié du " Croissant fertile " (qui
comprendrait la Palestine et la Syrie en plus de leur État). Pour s'opposer à ce projet et à
l'hégémonie hachémite, la monarchie égyptienne allume des contre-feux qui aboutissent à la
réunion d'Alexandrie. Bien qu'exprimant - de manière déformée - l'aspiration unitaire des
Arabes, la Ligue n'a jamais été un instrument de mise en oeuvre de celle-ci. Ses statuts ne
prévoient pas d'efforts dans ce sens et les différentes tentatives concrètes (comme la création de
la République arabe unie, en 1958) se font en dehors de la Ligue, qui est régie par la règle de
l'unanimité. L'organisation a surtout contribué à coordonner l'action des régimes arabes, en
particulier sur la question palestinienne. C'est dans ce domaine qu'ont été prises les décisions les
plus significatives : création de l'OLP (1964) ; reconnaissance de l'OLP comme seul représentant
du peuple palestinien (1973-1974) (voir Résolution de Rabat en annexe) ; adoption du plan de
paix de Fès (1982) (voir extraits en annexe) ; appui à la convocation d'une conférence
internationale (1988). La guerre du Golfe a considérablement affaibli l'organisation. L'élection de
Benyamin Netanyahou au poste de Premier ministre en Israël a permis de ressouder partiellement
l'unité des pays-membres et de convoquer le premier sommet depuis la guerre du Golfe, en juin
1996, au Caire. Tous les pays-membres, à l'exception de l'Irak qui n'était pas invité, y ont
participé.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

LOBBY
Nom donné, aux États-Unis, aux groupes de pression qui, pour défendre des intérêts
particuliers, tentent d'influer sur la politique du pays, tant au niveau du Congrès qu'à la
présidence. Le plus connu, et sans doute le plus puissant, est le lobby juif, dont le président Harry
Truman, par exemple, souligne, dans ses Mémoires, le rôle qu'ont joué ses " pressions sur la
Maison Blanche ". Son poids tient d'abord à l'importance de la communauté juive outre-
Atlantique, du fait des immigrations massives, notamment au lendemain des vagues de pogroms
de la fin du XIXe et du début du XXe siècles : 5,8 millions, soit près de 30 % de plus qu'en Israël
même. Cette importante minorité dispose dès lors d'une influence électorale non négligeable, en
particulier dans les États où elle est concentrée : elle représente plus de 3 % de la population en
Californie et dans le Connecticut, près de 4 % en Pennsylvanie et dans le Massachusetts, plus de
4 % dans le Maryland, plus de 5 % dans le New Jersey et 14 % dans l'État de New York. De
surcroît, sa participation aux élections étant en général beaucoup plus élevée que celle de la
moyenne de leurs compatriotes, les Juifs américains pèsent beaucoup plus que leur simple
nombre. Mais cette présence, déjà significative, est comme décuplée par l'organisation serrée de
la grande majorité de cette population, dont la discipline de vote fait la force. Les Juifs
américains sont représentés par un grand nombre d'organisations à caractère religieux, politique
ou communautaire. Si la Conférence des présidents des principales organisations juives joue un
rôle actif, notamment en direction de la Maison Blanche et du Département d'État, il faut
compter aussi avec le Conseil sioniste américain, le B'nai Brith, ou bien encore la fameuse Ligue
de défense juive fondée par le rabbin Meïr Kahane. Chacun des grands partis israéliens dispose
en fait de relais aux États-Unis, en particulier la droite qui s'appuie sur l'Organisation sioniste
d'Amérique. Mais c'est le Comité des affaires publiques américano-israéliennes (AIPAC) qui,
depuis 1954, coordonne très officiellement l'intervention du lobby. Il compte 50 000 membres
actifs, dont 58 permanents au Capitole. Son budget annuel a dépassé, en 1995, 15 millions de
dollars, répartis, via plusieurs dizaines de Comités d'action politique (PAC), aux hommes
politiques américains en fonction de leurs prises de position sur Israël et les conflits du Proche et
Moyen-Orient. Au total, on considère que le lobby " tient " ainsi une cinquantaine de membres
du Sénat et près de 200 de la Chambre des Représentants. D'où cette boutade d'un journaliste
d'outre-Atlantique : " Si Israël devenait pour de bon un État américain, il ne serait plus
représenté au Congrès que par deux sénateurs au lieu des cinquante qui le soutiennent
systématiquement "... Globalement, les Juifs américains contribuent pour 60 % aux campagnes
du Parti démocrate, et pour 40 % à celles des républicains. Traditionnellement, ils votent à 70 %
démocrate et à 30 % républicain. Une exception : le républicain Ronald Reagan, dont
l'engagement pro-israélien a séduit, en 1980, 40 % de cet électorat. Le démocrate Bill Clinton,
dont l'attachement à Israël a pu être décrit comme quasi-religieux, a battu un record en 1992 en
obtenant, selon les analystes, 85 % des voix de ses compatriotes juifs - il est vrai qu'il s'opposait à
George Bush, qui avait osé, parlant du lobby, dénoncer " des groupes très forts et très efficaces
qui sont contre nous "... Organisation de voyages en Israël, briefings, batailles de presse, réseaux
de parlementaires et de personnalités gouvernementales, financement des grands partis, vote
essentiel et parfois décisif : tous ces facteurs se conjuguent pour peser sur la présidence
américaine, en particulier lorsque des divergences la séparent d'Israël. Déjà efficace pour
défendre, aux États-Unis, les intérêts du Yichouv en construction avant la Seconde Guerre
mondiale, puis pendant et après celle-ci pour gagner Franklin D. Roosevelt et Harry Truman à la
création d'un État juif, le lobby interviendra avec régularité contre la fourniture d'armes
sophistiquées aux pays arabes, y compris amis des États-Unis. Il se battra contre toute
perspective de négociations incluant l'OLP et l'URSS. Il mettra régulièrement le pied des Juifs
soviétiques dans le plat de la détente URSS-USA. Il veillera au soutien massif des États-Unis à
Israël lors des conflits l'opposant à ses voisins arabes et, entre ceux-ci, à l'augmentation de l'aide
américaine, civile et militaire, à l'État juif. La puissance du lobby pro-israélien tient également à
la faiblesse du lobby pro-arabe, malgré la création récente de l'Association nationale des Arabes
américains et du Comité américano-arabe contre la discrimination. Mais seuls 100 000 des 2 500
000 d'Américains d'origine arabe y militent, contre 2 000 000 d'Américains juifs actifs sur une
communauté de 5 800 000. De plus, alors que l'ambassade israélienne aux États-Unis travaille en
étroite liaison avec le lobby, aucune des ambassades arabes n'en fait autant avec les organisations
pro-arabes. Son organisation rigoureuse ne met cependant pas le lobby pro-israélien à l'abri des
crises. La guerre du Liban et l'intifada palestinienne vont ainsi secouer en profondeur la
communauté : d'après les sondages, la moitié de ses membres condamnent alors l'attitude du
gouvernement israélien et 70 % se prononcent pour une solution négociée. Si bien qu'après la
guerre du Golfe, la fameuse poignée de mains de Washington et les accords d'Oslo soulèvent
parmi les Juifs américains un espoir, certes mêlé d'inquiétudes, mais largement majoritaire : les
deux tiers d'entre eux se prononcent pour les négociations de paix (contre moins de 10 %) et
espèrent que les organisations juives américaines contribueront à leur mise en oeuvre. Cette
évolution n'est évidemment pas du goût du courant, minoritaire mais activiste, qu'animent les
organisations sionistes de droite et d'extrême-droite ainsi que les groupes ultra-orthodoxes - si 1,3
% seulement des Israéliens sont originaires des États-Unis, 15 % des colons en viennent, dont un
certain Baruch Goldstein... Mobilisé tout au long de l'année 1991 contre le " chantage " de
l'administration américaine - qui conditionne sa garantie des dix milliards de dollars de prêts
demandés par le gouvernement Shamir à l'arrêt par celui-ci de la colonisation des Territoires
occupés -, l'AIPAC a pris sa part de la défaite de George Bush. Mais les victoires consécutives de
Bill Clinton et d'Itzhak Rabin l'ont pris à contre-pied. Sous la pression du nouveau Premier
ministre israélien, le Comité convient de ne pas mener campagne contre la nouvelle politique de
l'État juif, mais il est débordé par des organisations plus radicales, hostiles au compromis avec les
Palestiniens. Tandis que l'AIPAC s'investit, derrière le sénateur républicain D'Amato, dans la
lutte contre le terrorisme iranien, des organisations juives manoeuvrent pour empêcher le vote
par le Congrès de l'aide américaine à l'Autorité palestinienne, d'autres dénoncent la restitution de
territoires aux Palestiniens, d'autres encore (l'Organisation sioniste d'Amérique, tendance Likoud)
installent un " groupe de suivi des accords de paix " mis en place par avec 15 sénateurs et 31
représentants. Pire : la traditionnelle collecte pour Israël est tombée de 1 milliard de dollars en
1991 à moins de 500 millions en 1995 - certains en détournent même une partie pour financer...
les colonies de Cisjordanie ! D'où, un mois avant son assassinat, la colère d'Itzhak Rabin : de
retour des États-Unis, le Premier ministre dénonce l'attitude " inconcevable et inacceptable d'une
partie de la communauté juive américaine. ". Si le changement de majorité intervenu en Israël est
de nature à mettre du baume sur les relations entre le lobby et l'État juif, il ne comblera pas pour
autant le fossé qui le sépare de la majorité juive silencieuse des États-Unis. Près des deux tiers
des juifs américains se prononcent, en août 1996, pour la création d'un État palestinien...
L'analyse du lobby juif ne doit cependant pas faire oublier que l'" alliance stratégique " avec
Israël, approfondie, au fur et à mesure des décennies, par les présidents américains tient d'abord
au rôle même assigné à l'État juif dans la politique des États-Unis. Leur influence sur la Maison
Blanche, les dirigeants israéliens la tiraient de la conscience qu'ils avaient d'être à la tête du seul
bastion stable dont dispose Washington dans la région. Si, tour à tour, Harry Truman en 1949,
Lyndon Johnson en 1967, Richard Nixon en 1973, Jimmy Carter en 1977 et Ronald Reagan en
1982 renoncent à tout ou partie de leurs projets devant le refus d'Israël, c'est qu'ils ne peuvent -
en tout cas, ne veulent - pas prendre le risque d'une crise majeure entre les deux pays. C'est ainsi,
par exemple, que Moshe Dayan pouvait, dans l'International Herald Tribune, en 1979, le prendre
de haut : " Vous, les Américains, vous pensez que vous nous forcerez à quitter la Cisjordanie.
Mais nous sommes là et vous êtes à Washington. Que ferez-vous si nous maintenons nos
implantations ? Pousser un cri ? Que ferez-vous si nous maintenons notre armée là-bas ?
Envoyer des troupes ? " La question posée par le célèbre général, a peut-être retrouvé, le 29 mai
1996, une certaine actualité...
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MARONITES
La première référence à la plus importante communauté chrétienne du Liban remonte aux
écrits d'historiens musulmans du Xe siècle. Les maronites, sans doute d'origine arabe, sont alors
concentrés dans la vallée de l'Oronte en Syrie ; ils professent, depuis le VIIe siècle, une des
nombreuses hérésies qui divisent la chrétienté, le monothélisme. Pour fuir les persécutions des
Byzantins, ils émigrent, vers la fin du Xe siècle, au Mont-Liban. Au XIIe siècle, alors que les
Croisés sont encore présents en Orient, ils réintègrent le giron de Rome. Ils s'installent au XVIe
siècle dans le Kesrouan (à majorité chiite) et aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le Chouf (à
majorité druze). L'émergence du Liban moderne leur doit beaucoup, et ils s'y assurent, avec
l'aide de la France et grâce au système confessionnel (voir confessionnalisme), une position
prépondérante à partir de 1920. La bourgeoisie et les grandes familles maronites ont développé
un sentiment communautaire puissant, étayé par des justifications idéologiques (origine
phénicienne, non-appartenance au monde arabe...), stimulé par une forte concentration
géographique - en particulier au Mont-Liban - et par un système d'enseignement privé. L'Église,
la hiérarchie religieuse et les ordres monastiques jouent un grand rôle à la fois économique et
politique. Comme un certain nombre de grandes familles dont le pouvoir repose sur la possession
d'amples domaines fonciers, la richesse, les relations de clientélisme et l'" héritage historique "
qu'elles prétendent assumer. Citons, comme exemple, les Frangié à Zghorta et les Eddé à Jheilet,
dans la Bekaa. Mais le véritable trait distinctif des maronites réside dans l'existence précoce d'un
parti à la fois communautaire et de type nouveau qui a dépassé les divisions classiques, le parti
des Phalanges. Notons enfin que la communauté maronite fut loin d'être unie dans les années 70,
et qu'elle a fourni de nombreux cadres aux partis de gauche. Une véritable vendetta a opposé des
maronites du Nord, liés à la famille Frangié, aux Phalanges après 1978. Les maronites sont les
grands perdants de la guerre civile et des accords de Taëf. Leur domination sur le Liban a pris
fin, comme en a témoigné l'échec du boycottage, par leurs principaux dirigeants, du scrutin
législatif de 1992. Une partie d'entre eux ont finalement accepté de participer aux élections de
l'été 1996.
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MASSADA
Nom d'une citadelle juive, au sud-est d'Hébron, près de la mer Morte, dans laquelle les
Juifs assiégés par les Romains préférèrent, en 72 (ou 73) ap. J.-C., s'entre-tuer plutôt que de se
rendre. Le 28 septembre 70 (ap. J.-C.), Titus et ses troupes, chargées de réprimer la révolte des
Juifs, se sont emparé de Jérusalem. " L'armée n'ayant plus personne à tuer ni rien à piller,
raconte Flavius Josèphe dans La Guerre des Juifs, César, sans plus tarder, ordonna de détruire
de fond en comble toute la Cité et le Temple, en ne laissant debout que les plus élevées des tours.
" Peu à peu, tout le pays est reconquis. Seule une forteresse reste révoltée : Massada. Elle est
tenue par les Sicaires, que conduit Eleazar, un descendant, dit-on, de Judas. Flavius Silva,
gouverneur romain de Syrie, en fait le siège avec ses hommes. Un mur est même élevé autour de
la citadelle pour empêcher toute fuite. Mais la place est naturellement défendue : c'est un
immense rocher trapézoïdal, entouré de profonds ravins. Seuls deux chemins étroits franchissent
les précipices. Remparts et tours complètent la protection. À l'abri de ces murs imprenables, les
Sicaires disposent en outre de grandes quantités de vivres et d'armes. Le site ainsi aménagé par
le roi Hérode est certes de nature à résister longtemps. Mais les soldats romains construisent des
échafaudages d'où ils parviennent, avec force coups de bélier et en mettant le feu, à enfoncer les
murailles. " Nous sommes sûrs d'être pris, lance alors Eleazar, mais nous pouvons choisir, avant,
de mourir noblement avec ceux que nous aimons le plus. " Suit une longue exhortation qu'il
conclut : " Hâtons-nous donc de leur laisser, au lieu de la jouissance qu'ils espèrent de notre
capture, la stupeur devant notre mort et l'admiration pour notre intrépidité. " Ainsi périrent
égorgés par des Sicaires tirés au sort et dont le dernier se suicida, écrit Flavius Josèphe, 960
hommes, femmes et enfants, le 3 mai 72 (ou, selon certains, 73), au cours de l'immense incendie
allumé pour anéantir Massada. Cet immense suicide collectif impressionna durablement les
Romains et, bien au-delà, les civilisations postérieures. Suicide des assiégés, il était également,
au moins symboliquement, celui du peuple juif tout entier, abandonné de Dieu. Eleazar, dans sa
première harangue à la mort, n'avait-il pas regretté l'incapacité de ses compagnons à " pénétrer la
pensée de Dieu et nous rendre compte que le peuple juif, qu'il avait aimé autrefois, avait été
condamné par lui " ? L'interprétation traditionnelle de Massada y décèle le signe et le symbole
de la tentation suicidaire du " peuple " juif. Poussant plus loin l'analyse historique et la projetant
sur le destin des Juifs, certains auteurs voient dans ce suicide collectif le résultat de la fuite en
avant du " parti de la guerre " que constituaient les occupants de Massada. D'autres, à l'époque
déjà, avaient choisi la paix...
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MINORITÉS
Donnée permanente de l'histoire du Moyen-Orient, l'existence de minorités religieuses et
ethniques occupe de nouveau une place centrale dans les affrontements qui secouent la région.
Leur naissance s'explique par les caractéristiques spécifiques de ce carrefour de trois continents,
lieu de passage d'innombrables migrations, où apparurent et se développèrent quelques-unes des
plus grandes civilisations de l'Antiquité. C'est là également que le monothéisme trouva son
berceau, et son expression dans le judaïsme, puis le christianisme et enfin l'islam. Ni l'apparition
de ce dernier, ni son hégémonie n'empêcheront l'explosion des minorités. Au contraire : l'islam,
en effet, se considérant comme leur continuateur, coexiste avec les " Gens du Livre ". D'où un
système politique lâche et décentralisé, le " millet " organisant en fait, dans l'Empire ottoman,
une sorte - le terme est de Laurent et Annie Chabry, dans Politique et minorités au Proche-
Orient - d'" agrégat de ghettos ". " Ce pluralisme institutionnel, expliquent-ils, eut pour effet de
redistribuer les rôles sociaux à l'intérieur de chaque communauté selon un schéma pyramidal
hiérarchique quasi complet et de concentrer, en principe, toutes les activités sociales à l'intérieur
du cercle communautaire. " Cette coexistence, souvent conflictuelle, survivra au démantèlement
de l'Empire ottoman. Les " mandats " que s'arrogent les grandes puissances (en vertu des accords
Sykes-Picot) intègrent en effet le respect du rôle des communautés dans l'organisation sociale.
Loin de mettre fin à l'ancien " millet ", ils le renforcent en appuyant la revendication nationale de
certaines minorités. " Diviser pour régner " n'est, il est vrai, pas un précepte nouveau pour les
Occidentaux au Moyen-Orient. La France n'a-t-elle pas toujours inscrit dans la " défense des
chrétiens " ses interventions au Levant ? N'a-t-elle pas misé sur les druzes et les Alaouites,
comme la Grande-Bretagne sur les Hachémites et les Kurdes, etc. ? De fait, grande est la
tentation de manipuler les contradictions accumulées par des siècles d'aspirations plus ou moins
refoulées. Des aspirations nationales : celles des Arméniens, des Assyriens, des Kurdes et des
Palestiniens, quatre peuples dont la volonté nationale, toujours persécutée, ne put jamais aboutir
durablement. Des aspirations religieuses aussi. Minoritaires, les Juifs et les chrétiens, au sein d'un
monde où domine l'islam. Différents, au sein du christianisme, les melkites catholiques ou Grecs
catholiques, les syriaques ou Syriens catholiques, les maronites, les Chaldéens, les coptes
catholiques, les Arméniens catholiques et les catholiques romains, ainsi que - séparés de Rome -
les Grecs orthodoxes ou byzantins, les syriaques jacobites, les nestoriens, les coptes, les
Arméniens apostoliques ou grégoriens et, bien sûr, les Églises réformées. Minoritaires, au sein de
l'islam sunnite, les chiites et leurs dissidents zaydites, ismaéliens, druzes, alaouites, baha'is et
yezidis... Ainsi se dessinent les traits d'une région où, note Salah Bechir dans le numéro 8 de la
Revue d'études palestiniennes, la communauté " ne peut pousser son autonomie jusqu'à
s'identifier à un État. Elle est soit dominante, soit dominée, soit alliée du dominant, soit alliée du
dominé ; le rapport des forces maintient cet équilibre constamment imposé et constamment remis
en cause... mais toujours négocié. D'où un état de conflit interne souvent sourd, parfois ouvert,
mais permanent. Dans cette perspective, une "frontière internationale" est indispensable : c'est la
limite du champ clos, du lieu où coexistent les forces en conflit, où se négocie l'équilibre. "
L'équilibre - on l'a vu spectaculairement au Liban, mais aussi dans toute la région - est en passe
d'être rompu. Pourquoi ? À l'origine se trouve, d'évidence, le conflit israélo-palestinien, qui a
déstabilisé le Levant : création, pour la première fois, d'un État confessionnel, dépossession et
dispersion d'un peuple arabe, succession de guerres meurtrières sont autant de facteurs d'une
résurgence des protestations minoritaires. Mais cette résurgence a été, non moins évidemment,
intégrée par les stratégies des puissances régionales, Israël en tête : c'est l'objectif de "
balkanisation " du Moyen-Orient dénoncé par les uns et... avoué par les autres. Côté
dénonciation, voici le vieux dirigeant libanais Raymond Eddé décelant, derrière la " partition "
du Liban, " la création, aux côtés d'Israël, de plusieurs États à caractère confessionnel, des États
tampons qui contribueraient à la sécurité de l'État juif " (Le Monde, 16 novembre 1975). Le
frère du roi Hussein, lui, relevait : " La perspective d'un éclatement de la Grande Syrie entre
druzes, maronites et fondamentalismes sunnite et chiite coïncide avec le développement du
Grand Israël " (The Times, 3 septembre 1983). Ce qu'avouait volontiers Oded Yinon dans
Stratégie pour Israël dans les années 80, où l'extrémiste israélien prônait le démantèlement des
voisins d'Israël, Égypte comprise, en une kyrielle de petits États confessionnels... La paix entre
Israéliens et Palestiniens constitue donc la condition nécessaire d'un nouvel équilibre entre
minorités au Moyen-Orient. Nécessaire mais non suffisante : il restera, après celle des
Palestiniens, d'autres identités nationales à promouvoir, et la vague des intégrismes ne refluera
que dans le cadre d'un développement autonome et démocratique de la région, hors des modèles
extérieurs dont elle sanctionne aussi les échecs.
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MOUBARAK (Hosni)
Le successeur d'Anouar Al Sadate est né le 4 mai 1928, en Basse-Égypte, dans une
famille paysanne. Il termine ses études à l'Académie militaire en 1949, puis devient pilote de
chasse et suit plusieurs stages de perfectionnement en URSS. À la suite de la défaite de 1967 et
des remaniements qui touchent le haut-commandement de l'armée, il est nommé chef d'état-
major des forces aériennes en 1969 puis, trois ans plus tard, commandant en chef de l'armée de
l'air. Les résultats plus qu'honorables obtenus durant la guerre d'octobre 1973 lui valent d'être
promu général d'armée. En avril 1975, Sadate le nomme vice-président de la République,
confirmant ainsi la confiance qu'il a en lui et le rôle permanent de l'armée dans la vie politique de
l'Égypte. Pendant les six années qui suivent sa nomination, Moubarak est associé à l'action du
Raïs. Il soutient, en particulier, le processus de Camp David, même s'il ne participe pas
activement aux négociations égypto-israéliennes. Dès le lendemain de la mort de Sadate, le 6
octobre 1981, il obtient l'investiture du Parlement et est élu, quelques jours plus tard, président de
la République. Il réaffirme la continuité de la politique de l'Égypte, qu'il tente toutefois
d'infléchir, mais sans jamais rompre avec l'héritage de son prédécessseur. Sur le plan politique,
le nouveau chef de l'État utilise l'état d'urgence dans la lutte contre les groupes islamistes
extrémistes, mais, dans un premier temps, " décrispe " le climat en libérant des prisonniers
politiques et en engageant un débat avec l'opposition qui retrouve une plus grande autonomie.
Sur le terrain économique, le Raïs a mis l'accent sur les activités productives et la lutte contre la
corruption, mais sans changer les fondements de l'infitah. Au niveau régional, une " paix froide "
s'instaure entre Le Caire et Jérusalem après la guerre de 1982. Parallèlement, Hosni Moubarak a
entamé un rapprochement avec le monde arabe, renoué des relations diplomatiques avec la
majorité des pays arabes, rencontré Yasser Arafat, donné son appui à l'Irak contre l'Iran. La crise
du Golfe, en août 1990, voit le président égyptien se ranger sans hésitation aux côtés des États-
Unis ; il prend la tête de la coalition arabe anti-irakienne et envoie plus de 30 000 hommes en
Arabie Saoudite. Il en profite pour assurer à nouveau l'hégémonie de son pays sur la Ligue arabe,
dont le siège revient de Tunis au Caire. Grâce à ce rôle, Moubarak obtient pour l'Égypte
d'importants avantages financiers - notamment une diminution substantielle de la dette. Élu pour
un troisième mandat en novembre 1993, le président confirme le durcissement politique du
régime - au nom de l'éradication de l'islamisme - contre tous les opposants. Il échappe le 26 juin
1995, à une tentative d'assassinat à Addis-Abéba, suite à laquelle le Soudan, mis en cause, fait
l'objet de sanctions de l'ONU. Il a toujours refusé de nommer un vice-président ; sa dispariton
poserait un grave problème constitutionnel. Au moins un de ses fils a été accusé par la presse
américaine de trafic, notamment avec la Libye.
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NASSER (Gamal Abdel)


Né le 15 janvier 1918 à Beni-Mor, dans la province d'Assiout en Haute-Égypte, Gamal
Abdel Nasser est le fils d'un fonctionnaire des postes issu de la petite paysannerie. Bachelier en
1934, il entame des études de droit et participe aux grandes manifestations de 1935 contre
l'occupant britannique et le roi. Le retour du parti Wafd au pouvoir en 1936 ouvre les portes de
l'Académie militaire aux enfants de la petite-bourgeoisie : une brèche dans laquelle s'engouffre le
jeune Nasser. " Pour mener à bien l'oeuvre de rénovation, écrira plus tard un des ses
compagnons, Anouar Al Sadate, nous avions besoin d'un corps solide et discipliné qui, mû par
une volonté unique, serait capable de pallier l'absence d'autorité et de reconstruire la nation
désintégrée. C'est l'armée qui fournit cet organisme. " Sous-lieutenant, il reçoit sa première
affectation, Moukabad, près de sa ville natale. Il y fait la connaissance de Sadate et esquisse, au
cours de conversations passionnées sur l'avenir de l'Égypte, l'idée de la création d'une
organisation d'" Officiers libres ". Mais le chemin est encore long jusqu'à la prise du pouvoir,
marqué à chaque étape par des humiliations. En février 1942, les blindés britanniques encerclent
le palais royal et contraignent le souverain à nommer un nouveau gouvernement pro-anglais. En
1948 éclate la guerre de Palestine. Nasser participe aux combats - il s'illustre à la bataille de
Faloujah - et revient du front avec à la bouche le goût amer de la trahison. En 1951, une lutte
armée se développe le long du canal de Suez, contre la présence coloniale ; des milliers de jeunes
volontaires - auxquels les Officiers libres fournissent armement et entraînement - partent se
battre. Mais, en janvier 1952, le roi proclame la loi martiale. L'organisation de Nasser compte
alors une centaine d'officiers ; un comité exécutif comprend quatorze membres - un large éventail
qui va des communistes aux Frères musulmans - unis par la haine du colonialisme, de la
corruption, de la féodalité. L'heure de l'action a sonné : le 23 juillet 1952, un coup d'État les porte
au pouvoir. Le général Néguib, un vieil officier patriote et respecté, sert de figure de proue au
mouvement, mais Nasser, qui n'a pas encore trente-quatre ans, en est le véritable homme fort. Il
n'a pourtant pas une idée précise de son rôle, ni même de ses objectifs. En 1952, le tiers monde
n'est pas encore né, et les peuples arabes vivent sous la tutelle de Londres ou de Paris. Les
Officiers libres décrètent une première réforme agraire et proclament la République, le 18 juin
1953, mettant un terme à une dynastie vieille de cent cinquante ans. Mais quelle république ?
Après hésitations et affrontements, Nasser élimine le populaire Néguib au printemps 1954 : il n'y
aura pas de pluripartisme en Égypte et l'armée ne retournera pas dans ses casernes. Le même
pragmatisme prévaut en politique extérieure. Le 19 octobre 1954, un traité signé avec la Grande-
Bretagne prévoit le retrait de toutes les troupes britanniques, mais des clauses contraignantes - en
particulier le retour de ces mêmes troupes en cas de conflit - sont mal accueillies par de
nombreux nationalistes. Nasser cherche des alliés en Occident. Il est fasciné par les États-Unis,
une puissance sans passé colonial. Mais Washington ne comprend pas le refus du nouveau maître
de l'Égypte de participer à des pactes antisoviétiques. Tout va alors très vite. Nasser participe à la
fondation du Mouvement des Non-alignés à Bandoeng, en avril 1955. Il achète à la
Tchécoslovaquie les armes que les États-Unis lui refusent. Il nationalise le canal de Suez, le 26
juillet 1956, et sort politiquement victorieux de la guerre qui s'ensuit. Un nouveau dirigeant est
né : pour les Égyptiens enfin libres, pour les Arabes dont il galvanise le combat contre le
colonialisme. Après l'échec de la République arabe unie (union de l'Égypte et de la Syrie, 1958-
1961), Nasser radicalise sa politique intérieure : nationalisation d'une grande partie du secteur
privé, nouvelle phase de la réforme agraire, adoption d'une Charte nationale, résolument
socialiste, et création d'un nouveau front politique, l'Union socialiste arabe (USA). Un immense
effort de développement économique est entrepris avec d'indéniables succès. L'écho de ces
mesures contribue à une mobilisation progressiste dans le monde arabe. La guerre de juin 1967
sert de révélateur aux faiblesses de l'expérience nassérienne. L'effondrement de l'armée reflète la
trahison de ceux qu'on surnomme la " nouvelle classe " : officiers supérieurs, technocrates,
paysans enrichis, bourgeoisie d'État... tous ceux qui ont profité de la " révolution " et qui
souhaitent en finir avec le socialisme. Ils seront les fossoyeurs du nassérisme et la base sociale
qui permettra à Sadate de mener à bien la " contre-révolution ". La peur de Nasser face à toute
organisation autonome de la société (syndicale ou politique), le caractère bureaucratique de
l'USA ont encouragé la " nouvelle classe ". Démissionnaire après la défaite, rappelé par le peuple
le 9 juin, Nasser n'en est pas moins un homme brisé. Quand il meurt le 28 septembre 1970, les
Égyptiens lui font des funérailles grandioses. Au-delà des errements, ils pleurent l'homme qui
leur a rendu la dignité. " Lève la tête, mon frère ", lisait-on sur les banderoles hissées au-dessus
des villages d'Égypte après le 23 juillet 1952.
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NATIONS UNlES (résolutions des)
Parmi les innombrables résolutions consacrées par les Nations unies au conflit israélo-
palestinien, plusieurs ont marqué son histoire et méritent d'être relevées : - La résolution 181 de
l'Assemblée générale qui, le 29 novembre 1947, partage la Palestine (voir en annexe). - La
résolution 194 de l'Assemblée générale qui, le 11 décembre 1948, durant la première guerre
israélo-arabe, affirme le droit des " réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt
possible " ou, à défaut, à " des indemnités à titre de compensation ". L'un et l'autre droits seront
rappelés par vingt résolutions de l'Assemblée générale entre 1949 et 1967. - La résolution 273 de
l'Assemblée générale qui, le 11 mai 1949, admet Israël comme membre de l'ONU. - La fameuse
résolution 242 (voir en annexe) du Conseil de sécurité qui, le 22 novembre 1967, près de six
mois après la guerre des Six Jours, fait du droit à l'existence et à la sécurité de l'État d'Israël, mais
aussi du " retrait des forces armées israéliennes des Territoires occupés " les conditions d'une
paix durable. Mais, ambiguïté typiquement onusienne, le texte anglais parle, lui, " de " territoires
occupés. La question palestinienne n'est encore traitée que comme un " problème de réfugiés ",
de même que dans la résolution 338 du Conseil de sécurité qui, le 22 octobre 1973, après la
guerre de Kippour, se contente d'appeler les parties en conflit " à commencer immédiatement
après le cessez-le-feu à appliquer la résolution 242 dans toutes ses dispositions ". - La résolution
2443 de l'Assemblée générale qui, le 19 décembre 1968, s'inquiète de la " violation des droits de
l'homme dans les territoires occupés par Israël ", à nouveau dénoncée, tout au long des années
70 et 80, par de nombreux textes. - La résolution 2535 de l'Assemblée générale qui, le 10
décembre 1969, évoque pour la première fois depuis 1948 les " droits inaliénables du peuple
palestinien ", confirmée par la résolution 2628 qui, le 4 novembre 1970, assure que " le respect
des droits palestiniens est un élément indispensable dans l'établissement d'une paix juste et
durable ". - La résolution 2649 de l'Assemblée générale qui, le 30 novembre 1970, mentionne
explicitement le " droit à l'autodétermination " du peuple palestinien. - La résolution 2949 de
l'Assemblée générale qui, le 8 décembre 1972, considère comme " nuls et non avenus " les "
changements opérés par Israël dans les Territoires arabes occupés ", considération qui, par la
suite, se doublera d'une condamnation aussi bien des transferts de population que de
l'implantation de colonies de peuplement. Ainsi la résolution 32/5 du 28 octobre 1977 stipule-t-
elle que " toutes les mesures et décisions prises par le gouvernement israélien (...) en vue de
modifer le statut géographique et la composition démographique dans les territoires palestiniens
et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n'ont pas de validité juridique et constitueront
une grave obstruction aux efforts de paix ". - La résolution 3236 (voir en annexe) de l'Assemblée
générale qui, le 22 novembre 1974, en présence de Yasser Arafat qui s'est adressé à elle,
reconnaît " le droit à la souveraineté et à l'indépendance nationale du peuple palestinien ", ainsi
que la 3237 par laquelle l'OLP est désormais " invitée à participer aux séances et aux travaux de
l'Assemblée générale en qualité d'observateur ". - La résolution 3379 de l'Assemblée générale
qui, le 10 novembre 1975, assimile le sionisme à une forme de racisme (elle sera annulée en
décembre 1991). - La résolution 31/62 de l'Assemblée générale qui, le 9 décembre 1976, en
appelle à " la conférence de paix sur le Moyen-Orient avec la participation de l'OLP ", démarche
réaffirmée par la résolution 32/20 du 25 novembre 1977, ce qui explique, le 29 novembre 1979,
la résolution 34/65, à propos des accords de Camp David conclus " hors du cadre des Nations
unies et sans la participation de l'OLP qui représente le peuple palestinien ", et qui " condamne
tous les accords partiels et séparés qui constituent une violation flagrante des droits du peuple
palestinien, des principes de la Charte des Nations unies et des résolutions adoptées concernant
la question palestinienne ". Les résolutions adoptées depuis sont restées fidèles à ces
conceptions, une contradiction fondamentale demeurant donc entre les résolutions 242 et 338 du
Conseil de sécurité et le reste des textes adoptés par l'Assemblée générale. C'est ce hiatus qui a
longtemps fondé d'un côté l'insistance d'Israël et des États-Unis sur les deux premiers, de l'autre
celle de l'OLP à n'accepter que l'" ensemble " des résolutions de l'ONU. Le Conseil national
palestinien d'Alger, en reconnaissant le 15 novembre 1988 les résolutions 181, 242 et 338, a
surmonté cet ultime obstacle - une démarche qu'il a menée à son terme, près de huit ans plus tard,
en modifiant la Charte nationale pour en éliminer tous les articles contestant le droit à l'existence
d'Israël. Si les négociations de paix israélo-palestiniennes et israélo-arabes ne se sont pas
déroulées, durant les années 90, dans le cadre formel de l'ONU, c'est cependant aux résolutions
des Nations unies que la reconnaissance mutuelle d'Israël et de l'OLP, puis la déclaration de
Washington et enfin les accords d'Oslo font référence. En revanche, depuis la signature des
accords, les États-Unis et Israël ont mené une offensive conjointe pour annuler toute une série de
textes votés par les Nations unies et qui affirment le droit des Palestiniens à l'autodétermination.
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NÉGOCIATIONS FINALES
Conformément au calendrier fixé parallèlement à la Déclaration de principe sur
l'autonomie palestinienne signée à Washington le 13 septembre 1993, le second cycle des
négociations de paix a commencé le 5 mai 1996 dans la station balnéaire égyptienne de Taba.
Mais il s'est aussitôt interrompu, après cette cérémonie, pour attendre l'élection par les Israéliens
de leur nouveau Premier ministre ainsi que de leur nouvelle Knesset. L'issue de ces négociations
entre Israël et l'Autorité palestinienne, qui doivent théoriquement se conclure d'ici à la fin mai
1999, dépend évidemment pour beaucoup de l'orientation qu'adopteront, au fil des tractations,
Benyamin Netanyahou et le gouvernement de coalition qu'il dirige. L'ordre du jour prévu par les
négociateurs d'Oslo prévoit notamment cinq grands dossiers, pour le détail desquels le lecteur se
reportera aux " mots " correspondants : * Le premier concerne le statut final des territoires
autonomes. Pour l'Autorité palestinienne, il n'existe qu'une solution : la constitution d'un État
palestinien indépendant jouissant d'une totale souveraineté sur l'ensemble des territoires de
Cisjordanie et de la bande de Gaza occupés par Israël à l'occasion de la guerre des Six Jours, en
juin 1967. S'il faut en croire son programme, le gouvernement de Benyamin Netanyahou "
s'opposera à l'établissement d'un État palestinien ou de toute autre souveraineté étrangères à
l'est du Jourdain ". Il se contentera donc de proposer " aux Palestiniens un arrangement aux
termes duquel ils pourront conduire leur vie librement dans le cadre de l'autonomie ". Pour leur
part, les travaillistes israéliens avaient décidé, suite à la révision de la Charte palestinienne en
avril 1996, de modifier leur propre programme pour y inclure l'éventualité d'un État palestinien.
* Le second, évidemment lié, touche au sort de Jérusalem. Pour Yasser Arafat comme pour tous
les dirigeants palestiniens, l'État palestinien doit avoir Al Qods (Jérusalem-Est) pour capitale. Du
côté israélien, à l'exception des partis dits arabes, le consensus général refuse toute " division " de
Jérusalem. Le programme du gouvernement Netanyahou stipule que " Jérusalem, la capitale
d'Israël, une et indivisible, restera pour toujours sous la souveraineté d'Israël " et précise même
que " le gouvernement empêchera toute action opposée à [cette] souveraineté exclusive ". Sur le
terrain, cette réunification s'est traduite par une colonisation telle que les Juifs sont désormais
majoritaires, non seulement dans l'ensemble de la ville, mais également dans sa partie orientale.
Le candidat du Likoud a d'ailleurs fait de cette question un des points forts de sa campagne,
reprochant à Shimon Peres d'être prêt à " brader " Jérusalem et l'obligeant ainsi à surenchérir. De
fait, selon les indiscrétions sur les échanges de vues secrets de l'hiver 1995-1996 entre les
proches de l'ex-Premier ministre et de Yasser Arafat, la partie israélienne n'aurait envisagé qu'une
ouverture : la mise en place d'une municipalité commune, judéo-arabe, pour la gestion des
problèmes de la ville. * Le troisième dossier est celui de la colonisation israélienne.
Officiellement, l'Autorité palestinienne exige leur démantèlement et le départ de tous leurs
habitants. Mais elle n'en avait pas moins engagé des contacts avec les représentants des colons
pour tenter de définir les conditions auxquelles certains pourraient continuer à vivre dans un État
palestinien indépendant. Conformément au slogan du " Grand Israël " longtemps mis en avant -
mais oublié cette fois - par le Likoud, le programme du gouvernement Netanyahou prévoit " le
renforcement, l'élargissement et le développement " de la colonisation juive " sur les hauteurs du
Golan, la vallée du Jourdain, la Judée, la Samarie et Gaza " ; il " allouera, dans ces régions, les
ressources nécessaires à cette entreprise ". Pour les travaillistes, il n'a jamais été question de
mettre fin aux colonies : le compromis envisagé par leurs négociateurs " secrets " portait plutôt
sur des modifications de frontières permettant de regrouper en Israël un grand nombre
d'implantations fortement peuplées et proches, soit de la " ligne verte ", soit de Jérusalem - un
plan à l'étude prévoyait d'annexer 11 % de la Cisjordanie où sont concentrées 70 % des colonies.
* Inséparable des précédents, le quatrième dossier est celui des frontières de l'entité
palestinienne. Leur tracé dépend à la fois du statut de celle-ci, mais aussi, qu'il s'agisse d'un État
indépendant ou d'une autonomie prolongée, du maintien ou non des zones de souveraineté
différenciée mises en place par les accords d'Oslo II, du sort des colonies et, bien sûr, de l'avenir
de Jérusalem. Les impératifs de sécurité influent également sur la délimitation des frontières,
Israël exigeant par exemple de conserver le contrôle de la vallée du Jourdain, qui sépare l'État
juif de la Jordanie. * Cinquième et dernier dossier, celui des réfugiés palestiniens (voir
Expulsion et Palestiniens). Les négociations, en cours à leur sujet depuis 1992 - dans le cadre des
négociations multilatérales engagées suite à la Conférence de Madrid - n'ont guère avancé. Pour
l'essentiel, le débat porte encore sur le principe même adopté par les Nations unies en 1948 : le
droit au retour ou à l'indemnisation. Ni Shimon Peres, ni son successeur n'ont fait montre, sur ce
point, de la moindre flexibilité. Si les négociateurs israéliens acceptent de discuter de l'éventuel
retour des " déplacés " de 1967, ils l'excluent pour les réfugiés de la première guerre israélo-arabe
et leurs descendants. Pour sa part, le gouvernement de Benyamin Netanyahou " s'opposera au
"droit au retour" de populations arabes sur n'importe quelle partie d'Eretz Israël à l'ouest du
Jourdain ". L'insistance de la partie palestinienne est d'autant plus forte sur cette question qu'elle
conditionne l'unité des Palestiniens de l'Intérieur et de l'Extérieur : l'absence de toute avancée
matérialiserait l'exclusion du processus de paix de l'ensemble de la diaspora palestinienne.
Parallèlement aux bilatérales, les négociations multilatérales devraient également se poursuivre.
Décidées par la Conférence de Madrid le 1er novembre 1991, elles se sont ouvertes
solennellement les 28 et 29 janvier 1992 à Moscou, en présence de trente-six pays, dont toutes les
parties au conflit - sauf la Syrie et le Liban, qui les jugeaient (et les jugent toujours) prématurées,
ainsi que l'Irak, l'Iran et la Libye, exclus par les organisateurs américains et russes. Cinq groupes
de travail se sont mis en place : ressources en eau, environnement, réfugiés, contrôle des
armements et développement économique régional. À raison d'une à deux réunions par an et
quasiment sans couverture médiatique, chacun d'eux a poursuivi depuis son activité de manière
autonome, l'ensemble étant coordonné par un " steering group " qui a vu son rôle grandir au fur
et à mesure du processus. Reposant sur l'existence d'un consensus, à l'exclusion de tout vote
majoritaire, les résultats varient évidemment d'un groupe à l'autre, en fonction des enjeux et donc
des obstacles : * Le groupe s'occupant d'environnement a mis au point un " Code de conduite
environnemental pour le Moyen-Orient ", dit " de Bahreïn " où la résolution a été adoptée le 25
octobre 1994. Elle se double d'une série de dispositions concrètes en matière de protection contre
la pollution maritime, de traitement des déchets, de combat contre la désertification... * En
revanche, le groupe consacré aux réfugiés, notamment aux personnes déplacées en 1967, n'a pas
avancé d'un pouce, les Palestiniens ne parvenant qu'à grand peine à imposer comme base de
négociation les principes établis depuis 1948 par les Nations unies. * Sans trancher les épineux
problèmes de souveraineté, le groupe traitant des ressources en eau est tombé d'accord sur une
série de projets concrets (amélioration des systèmes municipaux, recherches sur l'irrigation,
traitement des eaux usées, conservation, grands travaux, conscientisation de l'opinion publique,
création d'un centre d'études sur la désalinisation, plan de formation des personnels, etc.). * Le
groupe chargé du contrôle des armements s'est divisé fin 1993 en deux " corbeilles ", l'une "
conceptuelle " et l'autre " opérationnelle ". La première a décidé la création, à Amman, d'un
Centre de sécurité régionale, mais n'est pas parvenue à rédiger une " Déclaration de principes "
consensuelle. La seconde a enregistré quelques avancées sur les questions maritimes, de
communications et d'échanges d'informations militaires. * Quant au groupe sur le
développement économique régional, après avoir servi de cadre à la mobilisation de moyens
financiers pour les Territoires occupés, il adopta fin 1993 un plan d'action, dit de Copenhague,
prévoyant une série de sessions spécifiques en matière de communications et de transport,
d'énergie, de tourisme, d'agriculture, de marchés financiers et d'investissements, de commerce, de
formation, de réseaux et de bibliographie. Dans chacun de ces domaines, un pays a été chargé de
" guider " la réflexion - contrairement aux autres groupes de travail, d'où elle se trouve quasiment
exclue, l'Union européenne et ses pays membres jouent ici un rôle majeur. L'ensemble est
coordonné par un comité, lui-même subdivisé en quatre sous-comités (finances, infrastructures,
commerce, tourisme) placés respectivement sous la responsabilité de l'Égypte, de la Jordanie,
d'Israël et des Palestiniens. Cette débauche d'institutions a jusqu'ici moins débouché sur une
coopération économique concrète que sur un " climat " propice à la mondialisation de la région,
dont le signal a été donné par les conférences économiques de Casablanca (octobre 1994) et
d'Amman (octobre 1995) - voir Conférences de paix. Que restera-t-il de ce maigre bilan si les
relations entre Israël et ses voisins, en premier lieu palestiniens et syriens, subissent le contrecoup
de l'élection de Benyamin Netanyahou et de ses amis ? Ce qui est sûr, c'est que les transactions
multilatérales restent inséparables des négociations bilatérales. Un gel des secondes se
répercuterait immanquablement sur les premières.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

NETANYAHOU (Benyamin)
C'est un homme jeune et politiquement assez inexpérimenté qui a battu Shimon Peres.
Élu le 29 mai 1996 Premier ministre au suffrage universel, pour la première fois dans l'histoire
de l'État juif, Benyamin Netanyahou a été ambassadeur aux Nations unies de 1984 à 1988, vice-
ministre des Affaires étrangères de 1988 à 1991 et vice-ministre dans le cabinet du Premier
ministre en 1991 et 1992 - à l'époque, il participa à la conférence de Madrid et aux négociations
de Washington. Il ne siège au Parlement que depuis 1988, et n'accède à la direction du Likoud
qu'en 1993, profitant de la guerre de clans ouverte par la retraite d'Itzhak Shamir entre les fidèles
du Herout (Benny Begin, Dan Meridor, Roni Milo), les amis d'Ariel Sharon et le groupe de
David Levy. " Je suis quelqu'un avec qui vous pouvez travailler, qui vous connaît et qui vous
admire " : tel aurait été, selon David A. Harris, le directeur du Comité juif américain, le message
de Benyamin Netanyahou aux Américains, lors de son premier voyage de chef du gouvernement
israélien, en juillet 1996. La formule n'est en rien excessive. Porté au pouvoir par les voix des
Orientaux, " Bibi " n'en incarne pas moins - jusqu'à la caricature - le profil du Juif ashkénaze
pour qui les États-Unis représentent un modèle. Né à Tel Aviv, en 1949, il gagne l'Amérique
quatorze ans plus tard avec sa famille : son père, professeur d'histoire juive, longtemps secrétaire
particulier de Zeev Jabotinsky et naturellement excédé par un Israël qu'il estime socialiste, a
obtenu un poste à l'Université de Philadelphie. Jugeant Netanyahou " imprononçable " de ce côté
de l'Atlantique, Benyamin choisit le patronyme de Ben Nitaï, sous lequel il devient citoyen des
États-Unis, s'initie aux délices du football américain, étudie l'architecture et l'économie au
fameux Massachusetts Institute of Technology et... défend ardemment la politique de l'État juif.
En 1967, l'armée israélienne l'appelle à accomplir ses obligations militaires. Il va s'en acquitter
dans une unité d'élite antiterroriste, où il se forge une réputation de baroudeur - il est blessé lors
d'une opération destinée à délivrer les passagers d'un avion de la Sabena. Son frère, Jonathan,
sera tué en 1976 dans l'opération déclenchée pour libérer les 106 otages de l'avion d'Air France
d'Entebbe (Ouganda). Malgré ce choc, Netanyahou repart pour les États-Unis - il s'adapte mal,
disent ses proches, à une société israélienne encore relativement égalitaire et ne résiste pas aux
sirènes des affaires : le voilà de retour à Boston. Ses démêlés conjugaux le poussent à regagner
Tel Aviv, où il dirige les ventes d'une société de meubles. Mais la politique va le renvoyer aux
États-Unis en 1982 : ami de son père, l'ambassadeur israélien à Washington, Moshe Arens,
l'appelle à ses côtés comme ministre plénipotentiaire. Dans le climat, redoutable pour l'État juif,
de la guerre du Liban, le jeune diplomate - qui a renoncé à la citoyenneté américaine - apprend le
bon usage des médias. Choyé par les vedettes de la télévision américaine, adulé par le lobby, il
défend l'indéfendable. Américain, Benyamin Netanyahou ne l'est pas seulement par la
nationalité, ni par le fait d'avoir passé plus du tiers de sa vie aux États-Unis, ni par l'excellent
accent bostonien avec lequel il parle l'anglais outre-Atlantique : il incarne surtout les grands
poncifs idéologiques de l'Amérique reaganienne. Il ne jure que par la politique libérale de Milton
Friedmann, que ses principaux conseillers économiques plagient allègrement. Son programme ?
Accélérer la privatisation des entreprises publiques, réduire les droits de douane et supprimer tout
contrôle des changes, réduire le déficit budgétaire en taillant dans les services publics et les
programmes sociaux, abaisser le taux d'imposition des tranches supérieures de l'impôt sur le
revenu comme de l'impôt sur les entreprises, etc. Le programme économique adopté le 2 juillet
1996 par le gouvernement israélien s'inspire largement de cette philosophie : il prévoit quelque 9
milliards de francs de réduction des dépenses de l'État en 1997, avec des coupes claires dans
l'éducation nationale, la santé, les transports publics et les retraites - en revanche, le ministère
taillé sur mesures pour Ariel Sharon se voit doter d'un budget de... 10 milliards de francs !
Netanyahou partage aussi l'obsession de la Maison Blanche - de Ronald Reagan à Bill Clinton en
passant par George Bush - pour la croisade contre le terrorisme. Le nouveau Premier ministre n'a
pas consacré moins de trois livres au sujet, dont le dernier a été traduit en français, en juin 1996,
sous le titre Paix et sécurité, pour en finir avec le terrorisme. Netanyahou s'y présente comme le
précurseur du combat contre cette hydre de Lerne dont il décrit les têtes, hier concentrées en
URSS, aujourd'hui dispersées en Iran, en Libye, en Syrie, au Liban, en Irak, au Soudan, mais
aussi dans les sociétés démocratiques - dans lesquelles la lutte passe par des restrictions des
libertés et par la dénonciation des " intellectuels pernicieux prêts à justifier et légitimer les
actions subversives, à l'exemple de Jean-Paul Sartre ou Frantz Fanon qui donnèrent en Europe
un semblant de prestige éphémère au terrorisme naissant (sic) ". " J'ai eu le sentiment, écrit-il,
que les États-Unis devaient prendre la tête de la lutte anti-terroriste afin d'enrayer ce fléau et
faire en sorte que les pays du monde libre se rallient à l'autorité américaine, comme un train que
l'on attelle à une puissante locomotive. " Beau projet, hélas gâté, selon lui, par le soutien actif de
l'Amérique à la mise en oeuvre de l'autonomie palestinienne. Car à Gaza, explique-t-il, " les
terroristes n'ont en fait rien à craindre. Ils peuvent établir des plans, armer leurs tueurs, les
envoyer en Israël et recueillir ceux qui reviennent, sans crainte de représailles israéliennes ". Et
d'affirmer : " De même que les zones de libre-échange stimulent le commerce, la création d'une
"zone de libre-terrorisme" ne peut qu'encourager cette pratique. " Accusé, Yasser Arafat qui, "
deux ans après l'accord d'Oslo, n'a rien fait pour arrêter un seul fauteur de violence ". Ce qui,
finalement, n'empêchera pas le nouveau Premier ministre d'Israël de le rencontrer, le 3 septembre
1996. Derrière ce langage martial, Benyamin Netanyahou ne cache pas le rêve qu'il caresse :
qu'Israël récolte plus que jamais, mondialisation aidant, les fruits de la paix tout en ne
franchissant plus un pas sur le chemin qui y mène, voire en faisant marche arrière. C'est sans
doute aller vite en besogne et négliger que l'État juif n'est pas seul au monde. Mais le
volontarisme ne caractérise-t-il pas la pensée sioniste révisionniste comme le discours des
politiciens américains ? " Israël, expliquait Netanyahou durant sa campagne électorale, peut être
une des économies les plus avancées, parmi les quinze premières du monde. Nous pouvons
doubler le produit national brut par habitant en moins de dix ans - et doubler notre population,
grâce à l'immigration et à une augmentation du taux de naissance, dans les quinze ans à venir...
Nous pourrions avoir une économie pesant un quart de trillion de dollars [soit 250 milliards de
dollars]. Avec la ressource la plus puissante : un peuple doué doté d'une base technologique,
capable de tenir sa place dans la compétition du marché mondial de demain." En attendant, le
champion de " la paix dans la sécurité " aura réussi à provoquer, à Jérusalem, en Cisjordanie et à
Gaza les plus graves affrontements que les Territoires occupés aient connus depuis l'intifada...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ORGANISATION DE LIBÉRATION
DE LA PALESTINE (OLP)
Après la proclamation de l'indépendance de l'État d'Israël en 1948 et la non-constitution
d'un État palestinien, le mouvement national palestinien - puissant dans les années 30 - disparaît
de la scène politique. C'est vers 1960 que la question palestinienne revient à l'avant-scène. Une
nouvelle élite politique est en train de naître, qui a compensé la frustration de l'exil par un haut
niveau d'éducation et une participation active aux mouvements qui bouleversent le Proche-
Orient. Les régimes arabes doivent prendre en compte cette réalité et, en 1964, sur décision de la
Ligue arabe, l'Organisation de libération de la Palestine est créée à Jérusalem. Présidée par
Ahmed Choukeyri, elle est sous tutelle arabe, et en particulier de l'Égypte de Nasser, à laquelle
les Palestiniens font confiance pour " libérer la Palestine ". D'autres organisations se développent
parallèlement, dont le Fath, créé en 1958 par un jeune ingénieur palestinien, Yasser Arafat ; plus
radical, il se veut indépendant des pays arabes et souhaite s'appuyer avant tout sur le peuple
palestinien. Le ler janvier 1965, Al Assifa, la branche militaire du Fath, effectue sa première
opération militaire contre Israël. La guerre de juin 1967, la défaite de l'Égypte, de la Syrie et de
la Jordanie entraînent une crise de l'OLP. L'organisation se radicalise, elle adopte une nouvelle
Charte nationale (juillet 1968), intègre les différentes organisations armées - les fedayin - et, au
début 1969, Yasser Arafat devient président du Comité exécutif de l'OLP. Les structures de
l'OLP rénovée se mettent petit à petit en place. D'abord un Conseil national palestinien (CNP),
sorte de parlement qui tient session tous les deux ans environ. Un tiers des députés représentent
les organisations armées ; les deux autres tiers les " organisations de masse " (étudiants, femmes,
écrivains, syndicats ouvriers...), des personnalités indépendantes ainsi que les diverses
communautés palestiniennes en exil, du Koweït au Brésil. Le CNP élit le Comité exécutif qui
dirige l'organisation. Au cours des années, et particulièrement au Liban, l'OLP a constitué un
appareil quasi étatique (avec des ministères, des centres de recherche, une infrastructure
médicale, industrielle...) dont la puissance atteint son apogée à la veille de la guerre de 1982.
Cette énorme " bureaucratie " ne doit toutefois pas faire illusion. Si l'OLP a été acceptée comme
le " cadre d'unité " de la Résistance palestinienne, chaque organisation de fedayin conserve une
large autonomie. On en compte une dizaine : le Fath ; le Front populaire pour la libération de la
Palestine (FPLP) de George Habache ; le Front démocratique pour la libération de la Palestine
(FDLP) de Nayef Hawatmeh ; la Saïka inféodée à Damas ; le Front de libération arabe soumis à
Bagdad ; le FPLP-Commandement général d'Ahmed Jibril, pour ne citer que les plus
importantes... Chacun de ces groupes dispose de ses propres forces armées, et souvent de l'aide
de tel ou tel régime arabe. L'OLP est donc une organisation " non intégrée " où l'unité des
différentes composantes est toujours en question. Après la défaite des armées arabes de 1967,
c'est la stratégie de lutte populaire armée, préconisée par le Fath, qui s'impose. Repliée sur des
bases sûres en Jordanie, s'appuyant sur des cellules clandestines en Cisjordanie et à Gaza, la
Résistance palestinienne lance des opérations contre le potentiel économique et militaire
israélien. Mais, très vite, le problème des relations entre l'OLP et le roi Hussein est posé. Il est
résolu en septembre 1970 - voir Septembre noir - et la Résistance est expulsée de Jordanie. Ces
événements ont des conséquences profondes. L'OLP s'installe au Liban, qui devient le dernier
pays arabe où elle dispose d'une autonomie militaire, donc politique. Elle reconsidère sa position
qui fait de la lutte armée " la seule voie pour la libération de la Palestine ", et s'engage dans
l'action politique - notamment en Cisjordanie et à Gaza - et diplomatique. Enfin, pour ne pas
disparaître de la scène militaire et par désespoir, elle se lance dans le terrorisme international que
symbolise l'organisation Septembre noir. Mais la guerre d'octobre 1973 change la situation et les
rapports de forces. Les pays arabes, lors des sommets d'Alger (1973) et de Rabat (1974),
reconnaissent l'OLP comme " seul représentant du peuple palestinien ". Les Non-alignés se
rallient à cette thèse et accentuent l'isolement de l'État juif (rupture des relations diplomatiques de
la quasi-totalité des États africains avec Israël). Enfin les rapports de la Résistance palestinienne
avec l'URSS, qui ont connu bien des avatars, se renforcent. Moscou mettra désormais tout son
poids du côté de Yasser Arafat. Cette percée de l'OLP est concrétisée par la visite de son chef à
l'Assemblée générale des Nations unies, en novembre 1974, et son acceptation comme membre
observateur à l'ONU. Dans ce cadre, l'OLP renonce au terrorisme international, concentre sa
présence militaire au Liban et adopte une nouvelle stratégie politique après une longue lutte
interne qui oppose les " réalistes " aux " extrémistes ". Jusqu'en 1973, l'OLP s'en est tenue à " la
libération de toute la Palestine " (annoncée par la Charte nationale) et à " l'édification d'un État
démocratique où coexisteront musulmans, chrétiens et juifs ", ce qui supposait la destruction des
structures étatiques d'Israël et l'intégration de sa population juive dans le nouvel État. À partir de
1974, sous la triple impulsion du Fath, du FDLP et des Palestiniens des Territoires occupés,
l'OLP propose l'édification d'un État en Cisjordanie et à Gaza. Sans entraîner la reconnaissance
de jure de l'État d'Israël - ce que l'OLP refuse de faire, considérant que c'est sa seule carte dans
une éventuelle négociation -, ce nouvel objectif suppose la coexistence de fait de deux États. Le
FPLP refuse ce tournant, quitte le Comité exécutif et constitue, avec quelques petites
organisations, le Front du refus. L'affrontement dure trois ans et se termine, en 1977, par la
victoire des " réalistes ". Cependant la situation évolue. Au Liban, les Palestiniens, engagés dans
la guerre civile de 1975-1976, en sortent affaiblis après l'intervention militaire syrienne. Ce
dernier épisode - dont le siège du camp de Tal Al Zaatar sera le symbole - illustre bien les
rapports ambigus noués entre l'OLP et les différents régimes arabes : ces derniers n'hésitent pas
quand leurs intérêts sont en cause, à massacrer leurs " frères palestiniens ". Le contexte
international s'est aussi modifié. Entre 1974 et 1977, une perspective concrète existait de réunir
une conférence de paix sur le Proche-Orient, coprésidée par les États-Unis et l'URSS, et à même
de dégager une solution globale du conflit israélo-arabe. Cela avait aidé les " réalistes " à
l'emporter dans l'OLP. Mais le voyage de Sadate à Jérusalem, en novembre 1977, puis la
signature des accords de Camp David cassent ces évolutions au profit d'une paix séparée. Si
l'Égypte récupère le Sinaï, les Palestiniens n'obtiennent qu'une " autonomie " sous occupation -
rejetée massivement par les Palestiniens de Cisjordanie et Gaza, pourtant réputés réalistes. La
dynamique de 1974-1977 est brisée. Malgré la mobilisation massive des " Palestiniens de
l'intérieur ", malgré des initiatives politiques dont la moins spectaculaire n'est pas les contacts
entre l'OLP et des Israéliens sionistes (rencontres Sartaoui-Peled-Avnery), malgré sa percée en
Europe occidentale, la Résistance palestinienne a perdu l'initiative. Israël, libéré sur son front
sud, déclenche, le 6 juin 1982, l'opération " Paix en Galilée ". Si la conquête du sud du Liban par
l'armée israélienne, ne prend que quelques jours, le siège de Beyrouth va durer près de trois mois.
Quatre-vingt-dix jours terribles, auxquels la presse internationale fera un large écho et qui
contribuent, comme les massacres de Sabra et Chatila, à ternir l'image de l'État hébreu. Malgré
une résistance farouche, Arafat et ses hommes sont contraints de quitter la capitale libanaise. Une
page de l'histoire de l'OLP est tournée. Les pertes sont lourdes. L'appareil politico-administratif
de la Résistance, concentré à Beyrouth, a été détruit, et l'OLP perd la " capitale " d'où elle
pouvait déployer une intense activité politique, diplomatique et militaire. Problème plus sérieux
encore, la direction de la Résistance est désormais coupée, concrètement, de l'ensemble du peuple
palestinien. Elle n'a plus le contact avec la dernière fraction importante des Palestiniens qui lui
fournissait une grande partie de ses soldats et nombre de ses cadres. Enfin, avec le départ des
combattants du Liban, c'est l'idée même de la lutte armée, un des mythes constitutifs de l'OLP,
qui est atteinte. Pour la première fois depuis la guerre des Six Jours en 1967, l'OLP n'est plus
présente sur les frontières de l'" ennemi ". Éloignée du champ de bataille, elle risque de voir
amoindrir son poids politique, son autonomie, et de perdre l'attrait qu'elle exerçait sur la jeune
génération, en particulier celle des camps. C'est sur ce fond de crise et d'incertitudes que
resurgissent les débats sur les choix stratégiques de l'OLP. Pendant plusieurs années, les
composantes de l'OLP vont s'entredéchirer, à la recherche d'une impossible stratégie. La
signature, le 11 février 1985, d'un accord entre le roi Hussein et Yasser Arafat (voir en annexe)
avive les tensions. Il est vivement dénoncé par presque toutes les composantes de l'OLP, à
l'exception du Fath. Le Front de salut national palestinien (FSNP), qui regroupe le FPLP de
Habache, le FPLP-CG de Jibril, les dissidents du Fath, la Saïka, le groupe Abou Nidal, et qui
dispose du plein appui de la Syrie, cherche à constituer une solution de rechange à l'OLP. Mais
les affrontements entre Amal et les Palestiniens au Liban, et l'abrogation par le roi Hussein, en
février 1986, de l'accord jordano-palestinien, joints aux efforts de l'Union soviétique, aboutissent
à une réconciliation : en avril 1987, à Alger, se réunit le XVIIIe Conseil national auquel
participent le Fath, le FPLP, le FDLP et le Parti communiste (dont un membre est élu pour la
première fois au Comité exécutif). Le FSNP n'est toutefois pas dissous et certains irréductibles
refusent la réconciliation. Mais surtout, la crise née du départ de Beyrouth demeure. Il faudra
l'intifada pour tirer l'OLP de sa paralysie. Si l'organisation n'a pas déclenché le mouvement en
Cisjordanie et à Gaza, tous les manifestants s'en réclament sans ambiguïté : l'OLP y gagne une
légitimité renforcée, et la force de prendre les décisions politiques et diplomatiques radicales qui
s'imposent. Du 12 au 15 novembre 1988 se tient, à Alger, le XIXe Conseil national, en présence
du Fath, du FPLP, du FDLP, du Parti communiste et de quelques autres petites organisations ; le
FPLP-CG, la Saïka, les dissidents du Fath et le groupe Abou Nidal (ainsi que le mouvement
islamiste le Hamas) refusent de participer et condamneront les conclusions du Conseil. La
décision la plus spectaculaire est la proclamation, le 15 novembre, de l'établissement d'un État
palestinien qui sera reconnu rapidement par plus de 90 pays, dont l'Égypte. Plus importante peut-
être est la référence faite, dans la déclaration d'indépendance (extraits en annexe), à la résolution
181 des Nations unies, le fameux plan de partage : pour la première fois, l'OLP entérine ainsi
cette décision de l'ONU qui avait partagé la Palestine en deux États, l'un juif, l'autre arabe. Dans
sa déclaration politique (voir extraits en annexe), l'OLP réclame la convocation d'une Conférence
internationale dont elle serait partie prenante, sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de
sécurité des Nations unies et de la garantie des droits nationaux légitimes des Palestiniens. Cette
acceptation, pour la première fois, de la résolution 242 - qui ne mentionne même pas les
Palestiniens, mais évoque simplement le problème de " réfugiés " - est un geste spectaculaire en
direction de l'opinion occidentale, en premier lieu des États-Unis. Elle a néanmoins soulevé de
forts débats internes ; certains, en particulier le FPLP, ont voté contre cette résolution ou se sont
abstenus. Mais - encore une innovation - la minorité a accepté de se plier aux décisions
majoritaires : le sacro-saint consensus, qui avait si longtemps paralysé l'OLP, était " oublié ".
Forte de ces décisions et de la continuation de l'intifada, l'OLP se lance dans une offensive
diplomatique ; elle obtient même l'amorce d'un dialogue officiel avec Washington. Mais toutes
les ouvertures se heurteront à l'intransigeance israélienne. C'est dans ce contexte qu'éclate la
crise puis la guerre du Golfe. De nombreux Palestiniens et certains des dirigeants de l'OLP
espèrent que Saddam Hussein va réussir à renverser le rapport des forces régionales et à forcer
une solution de leur problème. Illusion tragique, qui se révélera coûteuse : l'OLP perd l'appui des
pays du Golfe et s'isole sur le plan international. Elle paraît même écartée de la scène politique
quand, en mars 1991, à la suite de la défaite irakienne, l'administration du président Bush relance
les négociations de paix. Elle subit enfin pour la première fois, la concurrence d'un mouvement
politique, le Hamas, qui refuse d'intégrer ses rangs. L'OLP conserve cependant un atout décisif :
l'appui des Palestiniens, et notamment ceux de Cisjordanie et de Gaza. La désignation de
représentants palestiniens à une conférence de paix, au centre des négociations pendant de longs
mois, ne pourra donc pas se faire en dehors de Yasser Arafat. La délégation palestinienne
finalement choisie - dont son président, Haydar Abdel Chafi - et les différents " conseillers " de
celle-ci - Faysal Husseini, Hanane Achraoui, etc. - s'en réclament ouvertement. En septembre
1991, le Conseil national palestinien entérine, malgré une forte opposition, les propositions
américaines de tenue d'une conférence de paix. Cette acceptation sera confirmée par la majorité
du Conseil central de l'organisation - Fath, Parti communiste (devenu Parti populaire) et
indépendants - malgré l'opposition du FPLP et du FDLP. L'OLP consent à des concessions
majeures : la conférence de paix n'a pas un caractère " international " (les Nations unies sont
écartées, l'Europe marginalisée) et ses pouvoirs sont réduits ; aucun délégué palestinien ne
représente les millions d'exilés ni Jérusalem, et l'OLP est cantonnée dans les coulisses ; le droit
des Palestiniens à l'autodétermination n'est pas reconnu ; ils devront se contenter, au moins dans
un premier temps, d'une simple autonomie. Pourtant, l'ouverture des négociations à Madrid le 30
octobre 1991 marque une reconnaissance internationale du fait palestinien : pour la première fois
depuis 1948, ce peuple est admis à faire entendre sa voix dans une conférence sur la paix au
Proche-Orient. Mais les négociations se heurtent, une fois de plus, à l'intransigeance du
gouvernement d'Itzhak Shamir. La victoire des travaillistes, en 1992, permet, après des mois de
tergiversations d'Itzhak Rabin, l'ouverture d'un " canal secret " de négociations, qui aboutit aux
accords d'Oslo. Les raisons qui amènent l'OLP à signer un texte manifestement en retrait sur les
revendications légitimes des Palestiniens sont multiples. L'organisation a été affaiblie par ses
positions durant la guerre du Golfe. Elle a perdu, depuis l'été 1982, une partie importante de ses
moyens : de nombreux cadres l'ont désertée, préférant s'engager dans les affaires ; ses forces
armées, dispersées, n'ont plus aucune capacité d'action ; depuis que les pays du Golfe refusent de
la financer, ses moyens sont au plus bas et elle ne peut subvenir aux besoins de son appareil.
Enfin, le népotisme et la corruption minent son autorité, surtout si on la compare à la rigueur
morale dont font preuve les cadres du Hamas. Isolé depuis l'assassinat d'Abou Jihad et d'Abou
Iyad, Yasser Arafat décide de tout, tout seul. Plus que jamais, l'OLP s'identifie à lui. Cherche-t-il
simplement à sauver son pouvoir ? Pense-t-il qu'il n'y a pas d'autre choix pour les Palestiniens ?
Quoi qu'il en soit, sa décision de s'installer à Gaza change radicalement la situation de l'OLP. S'il
continue d'exister de fait deux pouvoirs, l'Autorité palestinienne et l'OLP, cette dernière perd le
peu de substance qui lui reste. La plupart de ses institutions sont rapatriées dans les territoires
autonomes, sauf le département politique, qui s'occupe des relations internationales, basé à Tunis
et dirigé par Farouk Kaddoumi, entré en dissidence. Toutefois, le XXIe Conseil national
palestinien est à nouveau convoqué, en avril 1996 à Gaza, pour abroger, selon les engagements
pris par Yasser Arafat, la Charte nationale. Par 504 voix sur 572 présents, le CNP décide d'abolir
" les articles de la Charte qui refusent le droit d'Israël à exister " - la moitié des 54 votes négatifs
émanent de membres du Conseil législatif élu le 20 janvier 1996, c'est-à-dire de personnes qui
tirent leur légitimité non d'Arafat, mais du suffrage universel. D'ailleurs, le fait que les
représentants du FPLP et du FDLP n'aient eu pour seule préoccupation que de négocier le
nombre de sièges dont ils disposeraient au CNP : confirme le ces deux organisations n'ont plus
qu'un lointain rapport avec les aspirations palestiniennes. Dans ces conditions, l'OLP et son
comité exécutif se réduisent, pour l'essentiel, à un instrument aux mains de Yasser Arafat pour
lui permettre de faire contre-poids aux Palestiniens de l'intérieur. L'organisation semble bien
avoir achevé sa tâche historique : une contribution décisive à la renaissance nationale du peuple
palestinien. Désormais, le risque de fragmentation du peuple palestinien grandit, et les réfugiés
dispersés au Liban, en Syrie et en Jordanie devront trouver, en liaison avec les Palestiniens de
l'intérieur, des formes d'organisation leur permettant d'être présents sur l'échiquier politique.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

ORIENTAUX (Juifs)
Nom donné aux Juifs originaires d'Afrique et d'Asie (Mizrahim), en opposition aux Juifs
venus d'Europe et d'Amérique (Achkenazim, " ashkénazes"). Depuis les années 60, leur problème
- dit, non sans quelque racisme, " problème noir " - pèse dans la vie de la société israélienne. Les
premiers heurts en Israël, dans le quartier Wadi Salib de Haïfa, en 1959, attirent
spectaculairement l'attention de l'opinion. Puis viennent les grèves sauvages des années 60, et
l'organisation du mouvement des Panthères noires. Désormais incontournable, le " Second Israël
" fait même, en 1974, l'objet d'une commission d'enquête gouvernementale, dont le rapport met à
nu de scandaleuses discriminations. En 1977 enfin, les Orientaux - cela explique ceci -
contribuent de manière décisive à la victoire de la coalition de droite conduite par Menahem
Begin. Ainsi, en moins de vingt ans, l'État juif a soudain découvert et que les Orientaux existent,
et qu'ils sont ses mal-aimés, et qu'ils n'acceptent plus ce sort, au point de renverser les rapports de
force politiques traditionnels. Qui sont ces Orientaux ? On les confond souvent, à tort, avec les
Sephardim (" séfarades ") : mais le mot hébreu Spharad signifie Espagne, et son adjectif ne
désigne donc que les descendants des Juifs expulsés en masse d'Espagne (1492) et du Portugal
(1496), et éparpillés tout autour du bassin méditerranéen, en Europe du Nord et même en
Amérique. À bien des égards, les Sephardim sont plus proches des Achkenazim, les Juifs
d'Europe et d'Amérique, que des Juifs orientaux. C'est de tous les Occidentaux, qu'ils soient
Sephardim ou Achkenazim, que les Orientaux se distinguent : par le caractère féodal et arriéré des
pays d'Afrique et d'Asie dont ils proviennent, par leur tradition essentiellement artisanale et
commerçante, par l'absence chez eux de tout sens national et a fortiori de classe, par le repli sur
soi qui frappe dans leurs moeurs et leur culture, par l'orthodoxie de leurs pratiques religieuses, et
par le destin relativement plus clément qu'ils connurent dans leur terre d'adoption : le statut de la
dhimma, aussi humiliant soit-il, n'équivaut pas au génocide, ni même aux pogroms, du moins
jusqu'en 1948 où la création du seul État juif de Palestine et son conflit avec les États arabes
déclenchent des émeutes anti-juives. Celles-ci ont donc poussé les Juifs orientaux à rejoindre
Israël, transportés par charters spéciaux affrétés par le gouvernement israélien. Parfois, les
services secrets hébreux ont accéléré le mouvement en ourdissant de véritables provocations,
comme le dynamitage, en 1950, de la synagogue Shem Tov de Bagdad. Ces hommes d'Orient se
retrouvent, à leur arrivée, soudain plongés dans une nation d'Occident, historiquement constituée,
peuplée et dirigée par les Juifs occidentaux sur un modèle occidental - sa version socialiste
comme sa version libérale sont, aux yeux d'un Juif du Yémen ou d'Irak, d'abord occidentales. "
Israël, explique Élie Cohen, le responsable des services sociaux de Dimona, a voulu vivre à
l'occidentale, penser comme l'Occident, avoir une éducation occidentale. Mais Israël a capté,
avec les grandes immigrations, une majorité qui, elle, n'était pas occidentale, qui ne vivait pas à
l'occidentale, qui ne pensait pas comme les Européens. " C'est particulièrement vrai pour les
derniers arrivants, les Juifs d'Éthiopie, les Falachas. Ce choc des civilisations, les Orientaux
acceptent d'autant moins de le subir qu'ils deviennent, en vingt ans, la majorité d'Israël. Et que ce
choc a des conséquences dans tous les domaines de la vie. Les Orientaux - selon les statistiques
officielles - monopolisent à la fois les plus bas échelons de l'échelle des professions, les revenus
les plus faibles, les logements les plus misérables, la ségrégation la plus sévère dans
l'enseignement, et l'essentiel de la délinquance. En revanche, on n'en trouve pas, ou à titre
symbolique seulement, à la direction des grandes entreprises comme des partis et des syndicats,
au parlement et au gouvernement comme dans les rouages importants de l'État. Or, qui dirige
cette nation qui leur est restée étrangère ? Qui a exercé ce " pouvoir ashkénaze " dont, depuis
1948, ils ont été les victimes ? Jusqu'en 1977, la réponse est simple : la double équation
travailliste = pro-Achkenazim, donc Likoud = pro-Orientaux s'est avérée le meilleur agent
électoral de la droite. Certes, Menahem Begin et ses amis n'étaient pas moins occidentaux que
leurs rivaux socialistes, mais ils ne portaient pas le fardeau des responsabilités à la tête de l'État
depuis 1948. Et, de même qu'à l'époque de l'indépendance les envoyés sionistes avaient fait
croire aux Orientaux que le Messie était arrivé pour les convaincre de venir en Terre sainte, de
même la rumeur courra-t-elle, en 1977 et 1981, que Begin serait... marocain : pour qu'ils lui
offrent leurs voix ! Le paradoxe est que, au terme de sept années de domination du Likoud,
durant lesquelles les Orientaux n'auront guère vu leur vie changer, le " miracle " continuera de
fonctionner ; jusqu'en 1992 où, en majorité, les Orientaux basculeront dans le camp travailliste.
Mais, quatre ans après l'arrivée d'Itzhak Rabin au pouvoir, les deux tiers ont voté à nouveau à
droite. Rien d'étonnant. D'autant que les chiffres démentent les prédictions de certains
sociologues sur l'" intégration croissante " des Orientaux dans la société israélienne. Ils ont
évidemment progressé, mais moins vite que les Achkenazim. A preuve ces chiffres concernant la
deuxième génération, extraits du Statistical Abstract of Israel 1995. Éducation : 7 % des enfants
de pères nés en Asie et en Afrique ont fait seize ans d'études ou plus, contre 26,2 % des enfants
de pères nés en Europe et en Amérique. Travail : 7,8 % des enfants d'Orientaux exercent une
activité scientifique, universitaire ou de direction, contre 25,1 % des enfants d'Occidentaux.
Chômage : 10,5 % des fils et filles de Mizrachim sont sans travail, contre 4,2 % côté
Achkenazim. Revenu : 6,7 % des enfants de juifs arabes figurent dans le décile supérieur et 10,1
% dans le décile inférieur, contre 23,4 % et 4 % respectivement pour les enfants de juifs
occidentaux. Entre-temps, l'immigration massive des Juifs d'Union soviétique a rouvert la plaie à
peine cicatrisée. Car, contrairement à la plupart des olim orientaux, ces Russes ashkénazes - dont,
selon le grand Rabbinat d'Israël, 30 à 40 % ne seraient pas juifs... - ont bénéficié de toutes les
attentions de l'État, qui leur a fourni de quoi se loger, se soigner, étudier. Après de difficiles
débuts, la plupart d'entre eux ont trouvé un emploi, pas toujours en rapport, il est vrai, avec leur
qualification en URSS. Il n'empêche : le haut niveau d'éducation de nombre des nouveaux
immigrés en a fait un atout de taille dans la course d'Israël aux nouvelles technologies - l'État juif
détient désormais la plus forte proportion au monde de scientifiques et d'ingénieurs, avec 138
pour 10 000 salariés, contre 80 aux États-Unis, 78 au Japon et 62 aux Pays-Bas et 60 en
Allemagne. La comparaison est d'autant plus pénible pour les Orientaux qu'outre les souvenirs
douloureux du passé - ravivés par les révélations sur le sombre scandale des enfants yéménites
qui auraient été enlevés à leurs parents, dans les années 50, et secrètement confiés à des familles
sans descendance -, ils ont fait directement les frais de l'afflux massif des ex-Soviétiques, en
particulier de la spéculation immobilière effrénée qui a mis à la rue des milliers de familles
modestes. Ainsi, le " problème noir " est-il devenu - et resté - central en Israël. " Moi, comme
Oriental, de même qu'il y a des Arabes chrétiens et des Arabes musulmans, je suis un Juif arabe
", disait Charlie Bitton, un dirigeant des Panthères noires, dans le numéro des Temps modernes
consacré au " second Israël ". Et il ajoutait : " C'est un fait que, depuis sa création, l'État d'Israël
a aspiré à être un bastion, un créneau de l'Occident, des États-Unis au Moyen-Orient. D'où
notre déracinement. Et il n'y aura pas le choix. Après la signature de la paix, Israël devra être
partie intégrante du Moyen-Orient, et tous les efforts et astuces des Ashkénazes n'y changeront
rien... " C'est ce contre quoi s'insurgeait par avance David Ben Gourion lorsqu'il affirmait, il y a
vingt-cinq ans : " Nous ne voulons pas que les Israéliens se transforment en Arabes. Nous devons
lutter contre l'esprit levantin qui corrompt les hommes et les sociétés, et conserver les valeurs
authentiquement juives développées dans la Diaspora. " Authentiquement juives, c'est-à-dire
ashkénazes ?...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

OSLO (Accords d')


On désigne sous ce terme, un ensemble d'accords conclus entre Israël et les Palestiniens
pour fixer les règles de la mise en place de l'autonomie en Cisjordanie et à Gaza ainsi que les
conditions dans lesquelles se dérouleront les négociations finales. Ils font suite à un échange de
lettres entre Yasser Arafat et Itzhak Rabin, les 9 et 10 septembre 1993 : l'OLP " reconnaît le
droit de l'État d'Israël à vivre en paix et dans la sécurité " alors qu'Israël décide de reconnaître
l'OLP " comme le représentant du peuple palestinien " sans aucune référence au droit des
Palestiniens à un État. Trois grands ensembles forment les accords d'Oslo. A) Signé à
Washington le 13 septembre 1993, le texte négocié en secret en Norvège entre le gouvernement
israélien et l'OLP entre en vigueur le 13 octobre et comporte trois parties : une Déclaration de
principes sur les arrangements intérimaires d'" autogouvernement " ou d'autonomie (self-
government) accompagné de quatre annexes et de minutes qui éclaircissent divers points - le
lecteur en trouvera l'essentiel en annexe, page 372. La Déclaration fixe le but immédiat des deux
protagonistes, " établir une autorité intérimaire palestinienne de l'autonomie, le conseil élu pour
les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, pour une période transitoire de cinq ans menant à un
arrangement permanent fondé sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l'ONU ".
Un accord devait être signé le 13 décembre 1993 sur le retrait des troupes israéliennes de Gaza et
de la zone de Jéricho, lequel aurait dû être achevé le 13 avril 1994. Un certain nombre de
pouvoirs (éducation, santé, affaires sociales, etc.) seront transférés aux Palestiniens qui
commenceront " à constituer une force de police ". Le 13 juillet 1994 au plus tard, et après le
redéploiement des troupes israéliennes hors des zones peuplées, se tiendra l'élection du conseil
palestinien qui " aura pouvoir de légiférer " et disposera d'une " puissante force de police ". La
juridiction de ce conseil couvre la Cisjordanie et Gaza, à l'exception des questions qui sont
reportées aux négociations finales : Jérusalem, les colonies, les emplacements militaires et les
Israéliens. Dès le début de la troisième année de la période intérimaire commenceront les
négociations sur le statut final qui devront aborder, en plus des questions mentionnées ci-dessus,
les problèmes des réfugiés et des frontières. B) Le retard pris dans l'application de l'accord dit
d'Oslo I sera très important. Le 9 février 1994 est signé un premier texte concernant la sécurité et
notamment les points de passage entre les zones autonomes et les pays voisins, qui restent sous
contrôle israélien. Ce n'est que le 4 mai 1994, au Caire, que Yasser Arafat et Itzhak Rabin signent
un texte sur les modalités d'application de la Déclaration du 13 septembre 1993, et notamment
sur la date et les conditions du retrait israélien de Gaza et de Jéricho. Cette date du 4 mai marque
donc le début de la période d'autonomie qui doit s'achever le 4 mai 1999. Le 1er juillet 1994,
Arafat arrive à Gaza où s'installe une autorité palestinienne provisoire. C) Troisième volet de
l'entente israélo-palestinienne, l'accord de Taba, dit aussi accord d'Oslo II, a été signé à
Washington le 28 septembre 1995. Il comporte un texte principal, sept annexes et huit cartes. Il
définit l'échéancier et les conditions de l'entrée en vigueur de l'autonomie pour la majorité des
Palestiniens. Ses principales dispositions sont les suivantes : - l'élection d'un conseil palestinien
de 82 membres (leur nombre sera finalement porté à 88) disposant de pouvoirs législatifs et
exécutifs ainsi que du président du conseil. Le scrutin a bien eu lieu, le 20 janvier 1996 ; - la
division de la Cisjordanie, en dehors de Jérusalem, en trois zones : A, B et C (voir carte page
273). La première comprend les six principales villes (Jenine, Naplouse, Tulkarem, Kalkiya,
Ramallah et Bethléem) auxquelles il faut ajouter Jéricho, déjà autonome. Elle couvre 3 % du
territoire de la Cisjordanie et 20 % de sa population. Ces villes ont été évacuées par l'armée
israélienne avant la fin 1995 et elles sont passées sous le contrôle de l'autorité palestinienne. À
Hébron, où résident 400 colons juifs, le gouvernement israélien devait, selon l'accord, et après un
retrait prévu le 28 mars 1996, continuer de contrôler 25 % à 30 % de la surface municipale et 20
% des 120 000 habitants. En fait, le retrait partiel prévu a été plusieurs fois retardé. La zone B
comprend 27 % du territoire et la grande majorité des 450 villages palestiniens : ensemble, les
zones A et B (si on y inclut Hébron) comprennent 90 % de la population de la Cisjordanie. La
zone B est passée partiellement sous autorité palestinienne, mais le gouvernement israélien
continue à y assumer la responsabilité de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme. Enfin les
autorités israéliennes conservent l'entière maîtrise de la zone C, qui couvre 73 % de la
Cisjordanie, mais compte très peu de Palestiniens : elle englobe surtout toutes les colonies juives,
civiles et militaires, reliées entre elles par des routes en plein développement. À partir de
septembre 1996, trois redéploiments successifs - tous les six mois - de l'armée israéliens étaient
prévus en zone B et C ; - les relations économiques entre Israël et les Palestiniens, qui ont fait
l'objet d'un protocole, signé à Paris le 29 février 1994 et repris, légérement amendé, dans l'accord
; - la question de l'eau, qui n'a pu être réglée et devra être discutée lors des négociations finales -
le gouvernement israélien continuera donc à accaparer l'essentiel de cette richesse ; -
l'engagement de l'OLP, dans les deux mois qui suivent l'élection du conseil palestinien, à abroger
les articles de la Charte nationale palestinienne qui évoquent la destruction de l'Etat d'Israël -
promesse tenue en avril 1996 ; - l'échéance du 5 mai 1996 comme début des négociations sur le
statut final. Une séance inaugurale formelle a bien eu lieu, mais la victoire de la droite israélienne
aux élections et ses premiers mois au pouvoir augurent mal de leur déroulement et plus encore de
leur issue.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

PALESTINIENS
Depuis la fin de la seconde révolte juive, en 135 de notre ère, le territoire dénommé
Palestine a connu différents maîtres (Rome, Omeyyades, Abassides, Empire ottoman...) et un
grand brassage de populations. Au début de ce siècle, il compte environ 500 000 habitants et une
activité économique relativement importante, fondée avant tout sur l'agriculture (on y récolte
déjà 30 millions d'oranges), une industrie naissante et les pèlerinages vers les villes saintes que
sont Jérusalem, Bethléem et Nazareth. L'immense majorité des habitants est constituée d'Arabes,
musulmans et chrétiens. Comme tous les peuples de la région, ils vont - sous l'influence des
idées européennes et des bouleversements économiques - développer un nationalisme dont
l'horizon variera avec les circonstances : arabe, grand-syrien... mais surtout, après la promesse de
Balfour et l'instauration du mandat britannique, palestinien. Ce dernier s'affirmera au cours des
années dans la lutte contre le sionisme. Il prendra alors toutes les formes d'un nationalisme
moderne que même la défaite de 1948 n'arrivera pas à laminer. Le peuple palestinien compte
près de 6 millions d'hommes et de femmes éparpillés dans le monde. Trois grands groupes se
distinguent. Ceux qui vivent sur le territoire de la Palestine mandataire (Israël, Cisjordanie et
Gaza), ceux de Jordanie et enfin ceux installés - volontairement ou non - dans les autres pays
arabes (voir carte, page suivante). On peut y ajouter une diaspora qui a essaimé en Amérique
latine, aux États-Unis, etc. Parmi ces Palestiniens, plus de 3,3 millions sont des réfugiés recensés
par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés (UNRWA). Ils ont fui
leurs villages en 1948. Plus de 1 million d'entre eux vivent encore dans des camps, en
Cisjordanie, à Gaza, en Jordanie, Syrie ou au Liban. Il faut y ajouter 350 000 " personnes
déplacées ", recensées en 1996, et qui ont fui en 1967. Nous évoquons ailleurs les Palestiniens
d'Israël (voir Arabes israéliens), de Cisjordanie et de Gaza. Ceux de Jordanie sont évalués à plus
de 2 millions de personnes, mais les chiffres les concernant sont peu fiables. Rien, en effet, dans
les statistiques jordaniennes, ne permet de différencier les Palestiniens (qui ont un passeport
jordanien) du reste de la population. Les seules données précises concernent les réfugiés recensés
par l'UNRWA : plus de 1 350 000 auxquels il faut ajouter 350 000 venus de Cisjordanie et Gaza
après 1967 - parmi lesquels 250 000 vivent dans des camps. Jusqu'en 1970-1971, c'est là, au sein
des camps, que le Fath et l'OLP trouvent leur plus ferme soutien. Depuis Septembre noir, toute
activité proprement palestinienne a été prohibée. Au Liban, la vie économique, sociale et
politique des 400 000 Palestiniens était étroitement liée à l'OLP. La Résistance, grâce à un réseau
d'" organisations de masse ", encadrait la population. Celle-ci fournissait à l'OLP ses combattants,
ses cadres politiques et administratifs, les ouvriers pour les industries qu'elle avait mises sur pied.
Pour elle, l'OLP représentait tout, le sentiment national, la sécurité physique et matérielle. Le
départ de Beyrouth en 1982, puis de Tripoli en 1983, laisse une population désemparée, privée de
protection. En Syrie résident 350 000 Palestiniens, tous réfugiés. Près de 30 % d'entre eux
subsistent dans des camps, soumis à un contrôle politique très strict. Mais ils disposent des
mêmes droits sociaux que les Syriens. Enfin, dans les pays du Golfe s'étaient installés, dans les
années 80, plus de 600 000 Palestiniens, dont plus de la moitié pour le seul émirat du Koweit.
C'était une émigration récente, remontant pour l'essentiel aux années 60, et d'un type classique.
Les hommes partaient pour chercher du travail, les familles suivaient quelques années plus tard.
Les Palestiniens y occupaient des postes importants : ingénieurs, techniciens, médecins,
enseignants, entrepreneurs, journalistes... Riches, très nationalistes, faisant parvenir d'importants
subsides aux familles restées au pays, aidant financièrement l'OLP, les exilés du Golfe
constituaient une fraction influente du peuple palestinien. La guerre du Golfe et l'expulsion du
Koweït de 300 000 Palestiniens ont toutefois illustré la fragilité de leur situation. Notons un trait
commun à tous ces groupes : les Palestiniens ont compensé leurs frustrations par un haut niveau
d'éducation, inégalé dans le monde arabe. Les différences, parfois profondes, d'un pays d'accueil
à l'autre, n'oblitèrent pas cependant les caractéristiques communes. Et, tout d'abord, ce sentiment
profond d'appartenir à un même peuple qui lie le bourgeois du Koweït au paysan de Cisjordanie,
le refugié du Liban à l'ouvrier travaillant en Israël. C'est la même histoire à laquelle ils se
rattachent. C'est la même culture dans laquelle ils se reconnaissent : celle que symbolisent le
poète Mahmoud Darwish ou les écrivains Ghassan Kanafani et Émile Habibi. Ce sentiment
national, l'OLP en a été à la fois le promoteur et le symbole. Les accords d'Oslo lancent toutefois
un défi aux Palestiniens, notamment aux millions de réfugiés dont le sort semble plus incertain
que jamais.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

PARTAGE (plan de)


Résolution 181 de l'Assemblée générale des Nations unies, votée le 29 novembre 1947,
ainsi nommée parce qu'elle décide le partage de la Palestine en un État juif, un État arabe et une
zone sous " régime international particulier " (voir le texte en annexe). Adopté par 33 voix (dont
les États-Unis et l'URSS) contre 13 et 10 abstentions (dont la Grande-Bretagne), ce texte est
l'aboutissement - et sera le stimulant - d'une longue crise. Après avoir longtemps favorisé le
sionisme en Palestine, la Grande-Bretagne s'était décidée, en 1939, à modifier sa politique : le
Livre blanc limitait l'immigration juive à 75 000 personnes en cinq ans, tout en restreignant
l'achat de terres. Soucieux de se concilier les Arabes à l'approche du conflit avec l'Allemagne
hitlérienne, Londres proposait, dans les dix ans, la perspective d'un État unitaire comprenant au
maximum un tiers de Juifs. Mais ce plan, après guerre, s'avère inapplicable : le génocide donne
une légitimation tragique à la quête par les Juifs de leur État, nombre de rescapés n'ont nulle part
où aller sauf en Palestine, l'immigration clandestine devient massive, le drame de l'Exodus, et de
bien d'autres, révolte une opinion publique d'autant plus mobilisée qu'elle ne l'avait guère été du
temps de l'extermination nazie... À ces facteurs, qui rendent la position britannique intenable,
s'ajoutent les effets du terrorisme juif en Palestine : le groupe Stern depuis 1943, l'Irgoun depuis
1944 s'en prennent aux biens et aux soldats de Sa Majesté. L'attentat contre l'hôtel King David, le
22 juillet 1946, avec sa centaine de morts, bouleverse l'opinion londonienne. " Bring the boys
home ! " s'écrient les manifestants, qui savent qu'en deux ans près de 150 militaires anglais sont
tombés et 350 ont été grièvement blessés... Soucieux de préserver la position britannique en
Palestine - d'autant qu'elle est menacée en Égypte et en Irak -, le gouvernement travailliste ne
peut cependant plus résister à la pression. Le 14 février 1947, il décide de " porter le problème
dans son ensemble devant les Nations unies ". Lesquelles créent, en mai, une commission
spéciale, l'UNSCOP, afin d'examiner les solutions possibles. L'État unitaire dirigé par une des
deux communautés ? Leur force - 650 000 Juifs, 1 300 000 Arabes - rend le projet illusoire.
L'État binational que proposent les communistes et la gauche sioniste ? Le fossé entre les uns et
les autres semble trop profond. La cantonisation ? Techniquement, c'est quasiment irréalisable.
Reste le partage. 14 000 kilomètres carrés, avec 558 000 Juifs et 405 000 Arabes pour l'État juif.
11 500 kilomètres carrés, avec 804 000 Arabes et 10 000 Juifs pour l'État arabe. La zone
internationale, qui comprend les Lieux saints, Jérusalem et Bethléem, compterait 106 000 Arabes
et 100 000 Juifs. Entre les deux États se forgerait une union économique, gérant en commun
monnaie, douanes, chemins de fer et postes, ainsi que les ports de Haïfa et de Jaffa. Les
opposants au projet trouvent que la part faite aux Juifs est trop belle : ils obtiennent 56,5 % d'un
territoire dont ils possèdent à peine 7 %, et dont ils ne représentent que moins de 32 % de la
population. Quoi qu'il en soit, le plan de partage ne sera jamais appliqué. Les dirigeants
sionistes, qui ne s'y sont ralliés que tactiquement, n'ont pas abandonné le rêve du " Grand Israël
" : ils veulent plus que la part allouée par 1'ONU. Les dirigeants arabes exigent, eux aussi, plus,
beaucoup plus : ils refusent le principe même d'un État juif. Et la Grande-Bretagne, en désaccord
avec 1'ONU - espérant à la faveur des troubles maintenir son influence -, refuse toute présence
internationale en Palestine. Après des attaques réciproques de plus en plus graves, le 15 mai
1948, les armées arabes pénètrent en Palestine. C'est la guerre de 1948-1949 : le premier des
conflits israélo-arabes.
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PARTIS POLITIQUES ISRAÉLIENS


La vie politique israélienne s'est toujours caractérisée par l'existence d'une multiplicité de
formations, reflet des innombrables courants du sionisme dont toutes - à la seule exception du
Parti communiste - se réclament, dans le cadre d'une proportionnelle incitant par ailleurs à
l'éparpillement. Le principal parti du Yichouv, entre les deux guerres mondiales, puis d'Israël
jusqu'en 1977, fut le Parti travailliste, né en 1930 sous le nom de Mapaï (Parti des travailleurs
d'Eretz Israël) de la fusion de deux groupes sionistes socialistes. Réformiste, partisan de l'alliance
avec la Grande-Bretagne comme avec la droite sioniste, il passe de 42,3 % des voix en 1931 à
59,1 % en 1944. C'est après la création d'Israël que, détenteur de la présidence de la République
et du poste du Premier ministre, il va connaître une érosion qui le fera descendre - avec ses alliés
- de 53,4 % en 1949 à 26 % en 1977. Pour la première fois, les travaillistes doivent alors céder la
direction du pays à la droite. Ce recul est d'autant plus net que le Mapaï, devenu Parti
travailliste, bénéficie à partir de 1969 du renfort du Mapam, au sein de l'alignement travailliste
(Maarakh). Héritier de l'Hachomer Hatzaïr (Le jeune gardien) et du Poale Sion Smole (Les
travailleurs de Sion de gauche), le Mapam perpétue après guerre leur tradition originale : projet
d'État binational, amitié avec l'URSS, enracinement dans les kibboutzim. Mais son entrée au
gouvernement (1967) et dans le Maarakh (1969) l'en a écarté, pour le transformer en caution de
la direction travailliste, avec laquelle il rompra provisoirement en 1984 - il se contente alors de
2,5 % des suffrages... La remontée de la gauche sera longue. Le parti travailliste se ressaisit en
1981 (36,6 %), mais replonge à nouveau en 1984 (34,9 %) - ce qui ne l'empêche pas de participer
au gouvernement dit d'union nationale - et 1988 (30 %). Quatre ans plus tard, ses 34,6 % lui
permettent de remporter l'élection, grâce à l'apport des partis réunis au sein de Meretz - le
Mapam, le Mouvement des droits civiques Ratz et les centristes de Shinui - qui s'adjugent 9,6 %
des voix. Le 29 mai 1996, cette coalition - dont le leader, Shimon Peres, se voit rafler le poste de
Premier ministre par Benyamin Netanyahou, avec moins de 30 000 voix d'avance - se retrouve
dans l'opposition, avec respectivement 26,8 % et 7,4 % des suffrages, soit 34 et 9 députés. À
gauche encore, mais en rupture avec le consensus, d'autres courants très minoritaires. Seule
formation unissant Arabes et Juifs, le Parti communiste, créé en 1922, connaîtra de nombreuses
scissions dont la dernière, en 1965, l'affaiblira considérablement parmi la population juive.
Antisionistes dans une nation sioniste, longtemps prosoviétiques dans un pays antisoviétique,
partisans dès l'origine d'un État palestinien que rejetaient leurs concitoyens, les communistes
israéliens n'ont jamais atteint 5 % des suffrages, la plupart provenant de l'électorat arabe. Le
Front démocratique pour la paix et l'égalité (Hadash), qu'ils animent, allié aux survivants de la
Liste progressiste du nationaliste palestinien Mohamed Miari et de feu le général pacifiste
israélien Matityahou Peled, a connu une remontée le 29 mai 1996 : il compte désormais 5 élus à
la Knesset (+ 2). L'alliance du Parti arabe démocratique et du mouvement islamiste a également
effectué une percée en 1996, obtenant 4 élus (+ 2). Électoralement marginaux, ces courants
avaient cependant été capables de contribuer à l'expression, lors de la guerre du Liban, d'un
puissant mouvement pacifiste structuré par La paix maintenant, le Comité contre la guerre du
Liban et l'organisation de soldats Yech Gvul (Il y a une limite)... Retombée après le retrait
israélien du Liban, la vague pacifiste s'était de nouveau exprimée en solidarité avec l'intifada
palestinienne. Les intellectuels, en particulier, s'étaient massivement retrouvés dans les
manifestations et au bas des pétitions exigeant l'arrêt de la répression et la négociation avec les
Palestiniens. Mais la victoire d'Itzhak Rabin aura été fatale à ce courant d'opinion : face aux
négociations de paix, et malgré les menaces planant sur son développement, les pacifistes
israéliens ne se mobiliseront plus. Du moins jusqu'à cette soirée du 4 novembre 1995 qui se
conclura par l'assassinat de Rabin. " Où étiez-vous lorsque l'extrême droite nous insultait ? Où
étiez-vous pour soutenir le processus de paix qui, seul, amènera Israël vers le bonheur ? " leur
demandera sa veuve... La droite israélienne comprend, elle, deux composantes : le sionisme "
révisionniste " fondé par Zeev Jabotinsky et incarné par Menahem Begin, et le mouvement
libéral, avant guerre et jusqu'en 1961 les sionistes généraux, divisés ensuite en libéraux et
libéraux indépendants. Longtemps opposées, une partie des libéraux participant même aux
coalitions gouvernementales dirigées par les travaillistes, ces deux ailes connaîtront une
spectaculaire ascension lorsqu'elles se réuniront, d'abord en 1965 au sein du Gahal (bloc Herout-
libéral), puis en 1973 dans le Likoud (Coalition) : de 16,7 % en 1949 à 35,3 % en 1977.
Menahem Begin deviendra ainsi le 20 juin 1977, le premier Premier ministre non travailliste
d'Israël, avant de laisser sa place, en 1983, à Itzhak Shamir. Après un bref passage de Shimon
Peres à la tête d'un cabinet bipartite, Itzhak Shamir reprend la tête du gouvernement, d'abord
d'union nationale en 1986, puis de droite après le scrutin du ler novembre 1988, enfin de droite et
d'extrême droite à partir de juin 1990. En 1992, retombé à 24,9 % et 32 députés, le Likoud
repasse dans l'opposition dont il était sorti quinze ans plus tôt. Malgré un nouveau recul, il
reprendra le pouvoir - avec l'appui des partis religieux - au lendemain du scrutin du 29 mai 1996,
où le bloc qu'il a formé avec le mouvement Gesher, fondé par David Levy pour capter les voix
des Orientaux, et le parti d'extrême droite Tsomet (voir plus loin) totalise 25,1 % des suffrages et
32 députés. À partir de la fin des années 70, l'État juif connaîtra une extrême droite de plus en
plus active, née du refus des accords de Camp David, et nourrie à la fois par la colonisation de la
Cisjordanie, le chauvinisme ambiant, la crise économique, sociale et morale en pleine explosion,
le tout sur fond d'intégrisme religieux. La figure la plus connue en est le rabbin Meïr Kahane,
député de 1984 à 1988 - la Cour suprême l'a alors interdit de candidature -, et dont le mouvement
Kach (C'est ainsi) se fixe pour but " l'expulsion de tous les Arabes du Grand Israël ". Kahane a
été assassiné à New York en novembre 1990. Son parti sera interdit après le massacre d'Hébron,
le 25 février 1994. Mais d'autres groupes sont également influents. Outre leur terreau commun,
le Gouch Emounim (Bloc de la foi), très implanté dans les colonies de Cisjordanie, ils ont en
commun une double exigence : l'annexion des Territoires occupés et, plus ou moins ouvertement,
l'expulsion de leurs habitants palestiniens. Baptisé " transfert ", ce projet n'était autrefois défendu
que par Kahane. Mais la peur de l'intifada et, depuis 1993, de la perspective d'un État palestinien
a rallié un secteur non négligeable de l'opinion à l'idée d'expulsion, dont se réclament des
mouvements comme Tehiya (Renaissance) et Moledet (Patrie) - mais pas le mouvement Tsomet
(Renouveau sioniste) qui, dirigé par le général Raphaël Eytan, se présente en outre comme
militant de la laïcité. Apparus sur la scène électorale en 1981, ces partis y ont effectué une
ascension aussi inquiétante que régulière, passant de 2,6 % des voix et 3 députés alors à 10 % et
11 députés en 1992. Le ralliement de Tsomet au Likoud, en 1996, a partiellement brouillé les
cartes - Moledet a recueilli pour sa part 2,3 % des suffrages et 2 députés (-1). L'existence de
partis religieux relativement influents constitue une autre particularité israélienne. Les uns sont
sionistes : le Mizrahi (l'Orient) d'avant 1948 - il a été fondé en 1902 - a donné naissance au
Mafdal (Parti national religieux) qui fut, depuis, de presque toutes les coalitions
gouvernementales. Les autres sont non sionistes : c'est l'Agoudat Israël (la communauté d'Israël)
fondée en 1911, et le Poale Agoudat Israël (les travailleurs de la communauté d'Israël). Trois
scissions ont affecté l'Agoudat : les Orientaux se sont regroupés en 1984 au sein du parti Shas,
dont les Yéménites ont formé en 1988 Yahad Shivtei Israël ; et, la même année, les anti-
hassidiques achkenazim de l'Agoudat ont fondé Degel Tora. Avec un nombre de députés variant
(jusqu'en 1992) entre 13 et 18 (sur 120), les partis religieux forment un véritable lobby. Ainsi
ont-ils fait payer au Likoud un prix très élevé pour leur ralliement de 1977, sans lequel, il est
vrai, Menahem Begin ne pouvait gouverner : si Israël n'a jamais été un État laïque, c'est
récemment qu'il est devenu un État en fait théocratique, où la loi religieuse s'impose à chaque
citoyen dans sa vie quotidienne, et dont les rabbins décident aussi bien de l'octroi de la nationalité
que du mariage et du divorce ou bien encore du contenu de l'enseignement... La poussée
électorale des partis religieux en 1988 a débouché sur un nouvel alourdissement des obligations
imposées à tous les citoyens : chabat strictement surveillé, subventions aux institutions
religieuses, exemption de service militaire pour les élèves des yechivot (écoles rabbiniques),
voire remise en cause de la " Loi du retour ", etc. Après le léger recul subi en 1992 (-2 sièges),
les " Noirs " pourront-ils repartir à l'assaut après le scrutin du 29 mai 1996 ? Benyamin
Netanyahou devra en effet compter avec la nouvelle et spectaculaire progression des partis
religieux : ils battent en effet tous les records avec 19,5 % des suffrages et 23 députés (10 pour
Shas, 4 pour Agoudat allié à Degel et 9 pour Mafdal). Poussée des religieux (+ 7 sièges), mais
aussi du " parti russe " formé par l'ancien dissident soviétique Nathan Sharanski (7), de l'extrême-
gauche (+ 4) et des scissionnistes travaillistes dits Troisième voie (4) : derrière cet éparpillement,
la tendance majeure des élections législatives de 1996, c'est le recul des deux grands blocs
israéliens - la gauche perd 13 sièges et la droite 9... Sur une longue période, les trois grandes
familles politiques d'Israël ont - en nombre de sièges au Parlement - connu l'évolution suivante :
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

PÉNINSULE ARABIQUE
Foyer de la civilisation arabo-islamique et coeur pétrolier du monde moderne, la
péninsule Arabique comprend sept États, dont trois, l'Arabie Saoudite, le Koweït et le Yémen,
font l'objet de rubriques spécifiques auxquelles le lecteur se reportera. On ne trouvera donc ici
qu'un tour d'horizon des quatre autres : Bahreïn, Qatar, les Émirats arabes unis et Oman. Avant
d'examiner chacun d'entre eux, quelques traits communs, outre leur arabité, retiennent l'attention.
D'abord le fait que ces sept pays possèdent, bien qu'en quantité et qualité diverses, une même
richesse : le pétrole, dont 22,9 % de la production mondiale (en 1994) et 46,5 % des réserves
(estimées début 1996) se concentrent ici. Transitent encore à travers les 800 km du Golfe (sur
470 au maximum, mais 50 au détroit d'Ormuz) 20 % de l'approvisionnement pétrolier du monde
industrialisé, même s'il ne s'agit plus de ce " poumon de l'Occident " décrit autrefois. S'expliquent
ainsi le boom subit des États de la région à partir des années 70 - bien plus tôt pour l'Arabie
Saoudite et le Koweït -, mais aussi les déjà rudes contrecoups de la récession pétrolière du milieu
des années 80, et bien sûr l'enjeu encore crucial de la zone pour les grandes puissances, États-
Unis en premier lieu. Tous les États de la péninsule furent, jusque récemment, aux seules
exceptions de l'Arabie Saoudite et du Yémen du Nord, des colonies ou protectorats de la Grande-
Bretagne, venue au XIXe siècle " pacifier " toutes les routes des Indes. La " sécurité " assurée par
les Britanniques reposait sur un principe simple : dissuader tout projet hégémonique d'un État en
favorisant le morcellement de la région en émirats constituant autant de protectorats fragiles,
dont Londres consoliderait, pour son compte, les bases économiques et les structures étatiques.
Mais, un siècle plus tard, l'écroulement de son empire colonial et la crise de ses finances amènent
le Royaume-Uni à se désengager : prise par un gouvernement travailliste en 1968, la décision est
appliquée le 1er décembre 1971 par un gouvernement conservateur. " Le départ des
Britanniques - écrit Raoul Delcorde dans La Sécurité et la stratégie dans le golfe Arabo-Persique
- provoque des perturbations dans l'équilibre du Golfe et, pour combler le vide, deux solutions se
présentent : soit qu'un État suffisamment fort se charge de faire régner l'ordre dans la région (ce
qui implique l'adhésion des autres États) en étant lui-même appuyé par une grande puissance,
soit que chaque État se dote d'une capacité militaire et d'une cohésion interne suffisantes pour
assurer sa propre sécurité. Mais les faits sont têtus : les divisions et les troubles qui naissent sur
le côté arabe du Golfe, la présence soviétique en Irak conduisent nécessairement à l'émergence
d'un nouveau centre de puissance, l'Iran. " D'autant que les États-Unis, à l'époque, s'embourbent
dans le conflit vietnamien. Plutôt que de s'engager militairement ailleurs dans le monde, ils
préfèrent miser sur des régimes relais. Dans la région, ce sera naturellement celui du Chah.
Contrairement à l'Arabie Saoudite, autre candidat à l'hégémonie sur la zone, l'Iran dispose des
moyens humains indispensables pour devenir le pivot de la politique américaine d'" endiguement
" de l'URSS (voir Russie), dans une région dont la guerre d'octobre 1973 a souligné l'importance
pour l'économie occidentale. Perses et Arabes rivalisent certes depuis longtemps ici. Mais
Téhéran profite du contexte pour pousser son avantage : si elle accepte l'indépendance de Bahreïn
qu'elle revendiquait, elle occupe militairement, à la veille du départ des Britanniques - donc avec
leur complicité -, l'île d'Abou Moussa et les deux Tomb, proches du détroit d'Ormuz. C'est encore
l'armée du Chah qui écrase la guérilla populaire à Oman. Malgré les craintes de l'Égypte, du
Koweït, de l'Arabie Saoudite et évidemment de l'Irak, l'Iran se pose en gendarme du Golfe. C'est
d'ailleurs en réaction à son expansionnisme que se forme la Fédération des émirats arabes unis, à
laquelle toutefois Bahreïn et Qatar refusent d'adhérer. L'Arabie Saoudite, tout en partageant
l'hostilité du Chah aux menaces tant soviétiques que nationalistes arabes, entend préserver ses
propres intérêts. Les États-Unis, une fois sortis de l'impasse vietnamienne, tendent à s'implanter
de plus en plus directement dans la zone, en augmentant leurs importations d'hydrocarbures en
provenance du Golfe et en drainant la majorité des pétrodollars, sans oublier leurs fabuleuses
ventes d'armes - l'Iran, à lui seul, leur en achète, de 1972 à 1976, pour plus de 10 milliards de
dollars. Mais la révolution islamique, en 1978-1979, bouleverse toutes les données. Le principal
relais de la politique américaine disparaît. L'hégémonisme iranien prend un tour révolutionnaire.
Les importantes minorités chiites redoublent d'agitation dans les émirats. Même le régime
saoudien est victime, en 1979, d'émeutes intégristes dont il réchappe de justesse, grâce
notamment à l'aide des gendarmes français. C'est pourquoi l'Amérique décide de réorganiser son
dispositif, avec notamment la création de la Force de déploiement rapide. Afin de faire face à
toute " tentative d'une puissance extérieure pour prendre le contrôle de la région du golfe
Persique " - que le président Jimmy Carter considérerait, annonce-t-il, comme " une attaque
contre les intérêts vitaux des États-Unis " -, le Département d'État se charge de garantir au
Pentagone une chaîne de bases et de " facilités " militaires : du Maroc à la Turquie et à l'Égypte,
en passant par Diego Garcia dans l'océan Indien, Oman, la Somalie et le Kenya. La guerre entre
l'Irak et l'Iran testera, dès 1980, ce système à peine bâti. Tandis que les États-Unis, comme
l'URSS, se révèlent durablement impuissants à stopper le massacre, les émirats s'alarment d'une
possible extension du conflit. Téhéran ne se prive d'ailleurs pas d'exercer sur eux de fortes
pressions, de l'extérieur et - via les minorités chiites - de l'intérieur. Proches de Washington dont
ils encourageront l'intervention croissante, mais avec laquelle ils ne peuvent s'allier trop
ouvertement, compte tenu du soutien américain à Israël, les dirigeants de la région s'accordent
pour concrétiser un vieux projet saoudien longtemps différé : le Conseil de coopération du Golfe
(CCG). L'organisme - qui naît officiellement en mai 1981 et regroupe l'Arabie Saoudite ainsi
que les cinq autres émirats (mais pas les deux Yémens) - dépasse le seul Marché commun évoqué
dans les années 70. Économique, en effet, le CCG coordonne les politiques industrielles des pays
concernés, en les préparant à l'après-pétrole ; les chantiers se multiplient et l'intégration se
renforce. Politique, il s'efforce également d'éliminer les principaux facteurs de déstabilisation des
régimes de la région : les différends entre États membres qu'il tente de résoudre pacifiquement, le
conflit israélo-arabe dans lequel le CCG intervient en faveur d'une solution politique du
problème palestinien et, surtout, l'affrontement irako-iranien sur lequel il adoptera une position
plus " musclée " à partir de l'entrée des forces iraniennes en territoire irakien durant l'été de 1982.
Mais la crise et la guerre du Golfe illustrent l'impuissance de cette organisation, incapable
d'empêcher l'invasion du Koweït le 2 août 1990. Cette impuissance repose, après la victoire
alliée dans le Golfe, le problème de la " sécurité ", d'autant que Saddam Hussein parvient à se
maintenir au pouvoir. La création d'une force militaire commune, baptisée Bouclier de la
péninsule, et le pacte avec l'Égypte et la Syrie - ces deux derniers États devant maintenir une
présence militaire dans la région en échange d'une aide économique et financière - montrent
rapidement leurs limites. Très vite, le Koweït, comme Bahreïn, Qatar et les Émirats arabes unis
préférent le parapluie des États-Unis, qui renforcent l'implantation de la Force de déploiement
rapide. D'autre part, les rivalités entre les membres n'ont pas été effacées par la guerre. Lors du
sommet de Mascate, en décembre 1995, Qatar boycotte la séance finale, faute d'avoir réussi à
faire élire son candidat au poste de secrétaire général du CCG, désormais occupé par le Saoudien
Jamil Al Houjailan. Bahreïn est formé de trente-trois îles d'une superficie totale de 1 000 km2,
mais sa population (500 000 habitants) se concentre sur deux d'entre elles : Bahreïn même et
Mouharraq. De ses deux siècles de domination par la Perse, avant la colonisation britannique, lui
reste une forte minorité se réclamant de ses origines iraniennes, parlant persan et attachée au
chiisme. Téhéran prétendit d'ailleurs annexer Bahreïn lorsque Londres renonça, en 1968, à son
protectorat. Mais la consultation organisée en 1970 sous le contrôle de l'ONU aboutit à
l'indépendance, proclamée en août 1971. La vie de l'île est marquée par une agitation politique
chronique et par la présence de forces d'opposition, de gauche et islamiste. La dissolution, en
1975, de la Chambre élue deux ans plus tôt - signe, alors, d'une balbutiante démocratisation de
cette monarchie absolue - et la découverte d'un " complot iranien " en 1981, puis d'une tentative
de coup d'État en 1985 ont renforcé le caractère répressif du régime. Pourtant, l'agitation n'a pas
cessé, encouragée par les difficultés économiques, notamment le chômage, très élevé parmi les
chiites. En novembre 1992, l'émir décide la création d'un Conseil consultatif, ce qui ne répond
pas aux désirs de la population d'un retour à la constitution de 1973 : des milliers de citoyens
signent une pétition en ce sens, en octobre 1994. Le mois suivant éclate une véritable intifada,
qui se poursuit depuis. Des dizaines de personnes sont tuées, des centaines arrêtées, la torture est
une pratique courante. Le 15 janvier 1995, une importante figure de l'opposition, cheikh Ali
Salman est déportée du pays avec deux collègues. Le pouvoir, avec l'appui du CCG et
notamment de l'Arabie Saoudite, dénonce les " ingérences iraniennes " et refuse toute
concession ; il joue même un jeu trouble pour diviser chiites et sunnites. Plusieurs attentats
durant l'année 1996 témoigne d'une radicalisation de la contestation. La faiblesse de la
production pétrolière, commencée depuis les années 30, a amené très tôt Bahreïn à se diversifier :
outre les activités traditionnelles (la pêche et les perles), le pays s'est doté d'une immense usine
d'aluminium et d'un complexe pétrochimique ; la capitale, Manama, est devenue, depuis la guerre
du Liban, la première place financière de la région ; elle dispose également d'un aéroport et d'un
port doté d'une cale sèche. Mais la guerre irako-iranienne, puis celle du Golfe ont entravé cet
essor et la crise économique frappe durement le pays. Les troubles politiques risquent d'entraîner
un retrait des investissements étrangers. Bahreïn est, depuis le 26 novembre 1986, relié à l'Arabie
Saoudite par un pont de 25 kilomètres de long. Qatar, avec 11 000 km2, la plupart déserts, est
peuplé, en 1993, de 500 000 habitants, dont 70 % seraient étrangers (Iraniens, Asiatiques ainsi
que d'autres pays arabes) - la récession pétrolière en a déjà chassé plusieurs milliers. D'une
économie autrefois consacrée, elle aussi, à l'élevage, à la pêche et à la culture des perles, Qatar
sauta, avec l'exploitation de ses hydrocarbures, à un niveau de développement supérieur :
raffineries, pétrochimie, cimenterie, aciéries, réseau de communications maritimes et terrestres,
système de santé et d'éducation, etc. La vie politique du pays, indépendant depuis 1971, se
résume en luttes intestines au sein de la famille des cheikhs Al Thani. Ahmad Ibn Ali fut évincé
en 1972 par son cousin et Premier ministre, Khalifa Ibn Hamad, lequel, en 1977, a désigné
comme prince héritier son fils, Hamad Ibn Khalifa. Un grave conflit territorial oppose l'émirat à
Bahreïn. En septembre 1992, une forte tension mit aux prises le pays avec l'Arabie Saoudite à
propos de la délimitation de la frontière, Qatar décidant même de boycotter plusieurs réunions du
CCG. Le pays prenait, déjà à l'époque, sous l'impulsion du prince héritier, ses distances avec son
puissant voisin, refusant de prendre position sur la guerre civile au Yémen en 1995, développant
les contacts avec l'Irak et l'Iran et entamant des relations avec Israël. Le 27 juin 1995, profitant
d'un voyage de son père à l'étranger, le prince héritier Hamad Ibn Khalifa s'empare du pouvoir.
La Fédération des Émirats arabes unis était censée, à la veille de son indépendance (1971),
regrouper tous les émirats de l'ex-" Côte des Pirates ". Mais Qatar et Bahreïn ayant décliné
l'offre, elle ne compte que sept membres : Abou Dhabi, Dubaï, Sharja, Ras al Khaïma, Oum al
Qaiwain, Ajman et Fujaira - au total 84 000 km2 et 1,8 million d'habitants, dont près de 80 %
d'étrangers. L'afflux massif d'immigrants arabes, mais aussi pakistanais et indiens, s'explique
évidemment par le boom pétrolier des années 70, qui fit des Émirats arabes unis un des pays les
plus riches du monde. Sa vie politique reste cependant troublée par les luttes d'influence entre
émirats, notamment celle, traditionnelle, entre Abou Dhabi, dont l'émir cheikh Zayed, assure la
présidence de la Fédération, et Dubaï, dont l'émir, cheikh Rachid, occupe le poste de Premier
ministre. Ainsi sa Constitution provisoire (de monarchie absolue) se voit régulièrement prorogée
depuis son adoption en 1971, faute d'accord sur un texte définitif. De même, la dissolution des
formations armées de chaque émirat et leur fusion en une seule armée, cause de nombreuses
crises, ne prennent pas corps. Sharja a été secoué, en juin 1987, par un coup d'État contre l'émir
cheikh Sultan, renversé par son frère, du moins jusqu'à ce que les pressions des autres émirats et
de l'Arabie Saoudite rétablissent l'émir et fassent de son frère le prince-héritier et vice-
gouverneur. Les Émirats, eux aussi, eurent maille à partir avec l'Iran, qui prit le contrôle par la
force, en 1971, des îles d'Abou Moussa ainsi que de la petite et la grande Tomb, dont la position
au coeur du Golfe s'avère stratégique. En 1992, ce problème est relancé par la décision de
Téhéran d'annexer Abou Moussa, qui provoque un regain de tension. À l'entrée du Golfe
proprement dit, Oman, ancien " sultanat de Mascate et Oman ", s'étend sur environ 300 000 km2
- y compris le Dhofar, pacifié en 1975 à l'issue de longs combats menés par les forces d'Oman,
appuyées par l'Arabie Saoudite et un fort contingent de soldats iraniens, contre le Front de
libération soutenu par le Yémen du Sud. Le pays étant essentiellement désertique, avec des
sommets culminant à plus de 3 000 mètres, c'est dans la capitale, Mascate, et sur l'étroit littoral
central que se concentre l'essentiel du million et demi d'habitants, dont 20 % de Pakistanais,
d'Indiens et d'Iraniens - nombre de ces derniers doivent cependant, ici aussi, s'exiler, du fait du
recul du pétrole. Celui-ci avait, à partir de la fin des années 60, donné au sultan Qabous - parvenu
en 1970 au pouvoir après avoir évincé son père, Ibn Taimur - les moyens de moderniser un pays
très arriéré : développement d'industries dérivées du pétrole, construction de ports et d'aéroports,
essor des infrastructures et services publics. En 1992, le sultan inaugure un Conseil consultatif
sans grands pouvoirs. En août 1994, 200 personnes sont arrétées pour un soi-disant " complot
islamique " ; certaines seront condamnées à mort (mais la peine ne sera pas appliquée). Sur le
plan régional, Oman achève la démarcation de sa frontière avec le Yémen (juin 1995) puis avec
l'Arabie Saoudite (juillet 1996). Le pays entame des contacts, dès 1994, avec l'État hébreu : en
septembre, Itzhak Rabin y fait sa première visite officielle dans le Golfe. Conflits Les conflits
inter-étatiques pèsent lourd dans les relations entre les monarchies du Golfe, sans doute parce que
chaque kilomètre carré est riche en pétrole. On peut distinguer les " grands conflits " des petites
contestations moins connues mais porteuses de clivages politiques. Dans la première catégorie, la
lutte entre l'Irak et l'Iran sur le Chatt al Arab, qui a été à l'origine de la guerre entre les deux
pays ; la revendication irakienne sur le Koweït, puis différentes contestations sur des îles
koweïtiennes ; la revendication de l'Iran sur Bahreïn, puis son occupation des trois îlots
appartenant aux Émirats arabes unis dans le détroit d'Ormuz ; sans parler des difficultés surgies
de la délimitation des frontières entre l'Irak, l'Iran, le Koweït, le Qatar et l'Arabie Saoudite. On
peut aussi mentionner l'important contentieux entre l'Arabie Saoudite et le Yémen, en principe en
voie de règlement. Dans la seconde catégorie, en 1986 une petite guerre a opposé Bahreïn et
Qatar à propos du contrôle de l'îlot de Facht al Dibel ; les deux pays se disputent aussi les îles
Hawar, et Qatar a même porté - malgré les protestations de Bahreïn qui préfère une médiation
saoudienne - ses revendications, en juillet 1991, devant la Cour internationale de justice de La
Haye. Abou Dhabi, Qatar et l'Arabie Saoudite se disputent la zone de Khaur al Ubeyd ; plus
importante est la revendication des Émirats arabes unis sur le cap Mussadam, qui contrôle le
détroit d'Ormuz et qui appartient à Oman, mais en est séparé physiquement. Différents conflits
territoriaux opposent les monarques des Émirats arabes unis. Enfin il faut rappeler le conflit de
l'oasis de Buraimi entre l'Arabie Saoudite, Oman et Abou Dhabi, qui remonte aux années 50 et
ne fut réglé que partiellement en 1974. Tous ces antagonismes qui, de loin, ressemblent à des
guerres d'opérette jouent un rôle important dans la définition des rapports entre les pays du Golfe
et expliquent parfois des divergences diplomatiques, économiques - à l'OPEP par exemple - et la
méfiance réciproque tenace entre des États unis par une même vision idéologique.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

PERES (Shimon)
Enfant du schtetl, nom générique donné aux petites villes juives de Pologne et de Russie,
Shimon Persky sera un adolescent de Palestine. Né en 1923 à Vishneva, une bourgade de
Biélorussie alors polonaise, le futur Premier ministre d'Israël a émigré à onze ans. Après des
études commerciales, il est atteint par le virus de la politique à l'école agricole Ben Shemen : il
adhère aux jeunesses du Mapaï, dont il deviendra secrétaire en 1943. À l'époque, il choisit le
nom de Ben Amoz ; un autre jeune venu de Pologne l'ayant fait sien, il se rabattra sur celui de
Peres. Avec son groupe de jeunes socialistes, il s'entraîne alors au kibboutz Geva, puis fonde au
bord du lac Tibériade celui de Poriyat, rebaptisé ensuite Alumot. À l'occasion d'un voyage en
voiture à Haïfa, il fait la rencontre déterminante de sa vie : David Ben Gourion, bientôt Premier
ministre du nouvel État. À soixante ans, le leader travailliste cherche à s'entourer d'une nouvelle
génération de dirigeants. Et le " Vieux " apprécie les qualités de ce jeune cadre travailliste, qui
rejoint en 1947 le quartier général de la Hagana, l'armée juive clandestine. Peres ayant refusé
d'être promu major général de la nouvelle armée - le grade d'Itzhak Rabin et de Moshe Dayan -,
Ben Gourion le charge de récupérer les armes dont Israël a besoin face aux armées arabes. Une
mission qu'il poursuivra après guerre aux États-Unis. Dès lors, la carrière de Shimon Peres est
toute tracée. Après un séjour aux États-Unis pour raison d'études et de collecte d'armes, le voici
directeur général du ministère de la Défense à vingt-neuf ans. Il y cultivera de fructueuses
amitiés en France, en Grande-Bretagne et même, plus tard, en Allemagne : il négocie ainsi
l'armement de l'armée israélienne, qu'il fera renforcer à partir de 1955 pour faire face aux
livraisons tchèques à l'Égypte. Avec Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury, le flirt va
beaucoup plus loin : en octobre 1956, à Sèvres, ils conviennent avec Shimon Peres de lancer
l'opération tripartite contre Nasser et, durant une interruption de séance, de construire à Dimona,
au sud d'Israël, un réacteur nucléaire. Ce sera le grand oeuvre de Peres, dont il ne pourra
paradoxalement jamais se targuer. Entré au Parlement et devenu vice-ministre de la Défense en
1959, il va superviser jusqu'au bout la mise au point du secret qui bouleversera définitivement les
rappports de force régionaux : la force de frappe israélienne. La bombe A est au point en 1966, la
bombe H dans les années 70. Peres jouit alors d'une autorité exceptionnelle, y compris sur son
mentor vieillissant dont il symbolise, voire inspire, bien des visions : il incarne en particulier sa
philosophie de l'État - la mamlachtiout. Par fidélité à l'égard de David Ben Gourion, il
démissionne en 1965 pour le suivre dans la scission qu'il organise contre la vieille garde
travailliste : Peres sera même secrétaire général du Rafi. Mais l'entreprise échoue et, au
lendemain de la guerre des Six Jours en 1967, le quadragénaire aux dents longues ramène les
brebis égarées. Golda Meir le récompense en le nommant à nouveau ministre en 1969 : il sera
successivement chargé du développement des Territoires et des réfugiés, de l'absorption des
immigrants, des transports et des communications. Mais, en 1974, c'est l'ambassadeur d'Israël
aux États-Unis, de retour à Tel Aviv, que la " mère de la nation " propulse à la tête du Parti, puis
du pays. Cet usurpateur s'appelle... Itzhak Rabin. Le nouveau chef du gouvernement fait de Peres
son ministre de la Défense, mais il s'en défie, certain qu'il complote en permanence contre lui.
Vingt ans durant, la rivalité entre Shimon Peres et Itzhak Rabin défrayera la chronique. De fait,
les deux hommes, que tout oppose, ne s'aiment pas : le militaire méprise l'apparatchik,
l'intellectuel se moque de l'homme aux idées simples, le fier à bras raille le magouilleur, et sans
doute le père de famille modèle jalouse-t-il aussi le bon vivant. Humilié en 1974, Shimon Peres
prendra sa revanche dans les années 80. Son adversaire est disqualifié par la cuisante défaite de
1977. Passé dans l'opposition, le Parti travailliste porte Shimon Peres à sa présidence. Sept ans
plus tard, lorsqu'un gouvernement d'union nationale voit le jour, Peres en est le chef. Il cassera
l'hyperinflation et, surtout, conduira le retrait de Tsahal du Liban, ce qui lui vaudra une
réputation de " colombe ". À l'époque, cependant, il s'oppose à toute négociation avec
l'Organisation de libération de la Palestine, privilégiant l'" option jordanienne " bientôt tuée dans
l'oeuf par Itzhak Shamir. Le successeur de Menahem Begin est devenu à son tour Premier
ministre en 1986, en vertu de la " rotatsia ", tandis que Peres devenait vice-Premier ministre et
ministre des Affaires étrangères... Nouvelle humiliation en 1992 : à l'occasion de leurs premières
vraies primaires, c'est Rabin que choisissent les militants travaillistes. La victoire réconciliera les
frères ennemis, ou du moins ils feront comme si. Fin politique, le nouveau Premier ministre
confie en effet les Affaires étrangères à son challenger malheureux - et surtout il le laisse
engager, à Oslo, la négociation secrète avec l'OLP. Le chantre de l'" option jordanienne " a fini
par se convaincre du caractère incontournable de la centrale palestinienne. Shimon Peres sera aux
côtés d'Itzhak Rabin à Washington pour signer avec Yasser Arafat la Déclaration de principes sur
l'autonomie, puis à Oslo pour recevoir, toujours avec le leader palestinien, le prix Nobel de la
paix... Après l'assassinat d'Itzhak Rabin, Shimon Peres, à soixante-douze ans, redevient
naturellement Premier ministre, mais cette fois à la tête d'un gouvernement de gauche. S'il
poursuit le processus de paix avec l'Autorité palestinienne, il se laisse entraîner, par deux fois,
dans une escalade qui compromettra ses chances électorales. S'est-il laissé piéger par l'état-major
de l'armée et des services de renseignement ? A-t-il lui-même commis une erreur d'appréciation ?
Toujours est-il que l'assassinat du terroriste Yehia Ayache donne aux extrémistes du mouvement
Hamas l'occasion de reprendre leurs attentats, qui vont déstabiliser la majorité - et entraîner un
impitoyable blocus des Territoires. Quelques semaines plus tard, les tirs de roquettes du
Hezbollah sur le nord d'Israël servent de prétexte aux " Raisins de la colère ". Vingt-et-un ans
après avoir retiré Israël du bourbier libanais, Shimon Peres l'y replonge, le temps de
bombardements qui massacreront notamment, le 18 avril 1996, quatre vingt dix-huit civils
réfugiés au beau milieu d'un camp de l'ONU. Quarante jours plus tard, il est battu à l'élection au
suffrage universel du premier ministre israélien par le leader de la droite, Benyamin Netanyahou.
Shimon Peres le mal-aimé a commis un véritable suicide politique...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

PÉTROLE
Principale richesse du Moyen-Orient, l'or noir demeure un des enjeux essentiels des luttes
d'influence, dans une région qui, en 1994, produit encore 30,7 % du pétrole brut mondial et en
détient 65,5 % des réserves, dont 46,5 % pour la seule péninsule Arabique - ces chiffres, et la
plupart des suivants récents, sont tirés de Arab Oil and Gas Directory 1996. C'est au début du
siècle qu'on le découvre : la première exploitation date de 1909, en Iran. Il n'est pas oublié dans
les tractations consécutives à la Première Guerre mondiale : Britanniques (75 %) et Français (25
%) se partagent Mossoul. Via le pétrole également s'effectue la pénétration américaine : après
avoir obtenu 23,75 % de l'Iraq Petroleum Company en 1927 puis, l'année suivante, avec l'accord
d'Achnacarry, leur part du gâteau mondial, les compagnies américaines raflent les marchés de
Bahreïn (1932) et surtout d'Arabie Saoudite (1933) : c'est la naissance de l'ARAMCO. De 1938 à
1948, les États-Unis grimpent d'ailleurs de 13,9 % à 55,2 % de la production pétrolière moyen-
orientale laquelle, entre-temps, a triplé. Trois ans plus tard, le Dr Mossadegh rend célèbre sa
révolution - et en signe, à terme, l'arrêt de mort - en nationalisant l'Anglo-Iranian Oil Company.
De fait, en 1953, l'intervention de la CIA mettra fin au sacrilège... Car, à l'époque, on ne badine
pas avec le pétrole. Les Occidentaux et leurs compagnies - on les appellera plus tard les " Sept
Soeurs " : la Standard Oil of California (SOCAL), la Standard Oil of New York (Mobil Oil), la
Standard Oil of New Jersey (Exxon), la Gulf et la Texas Oil Cy (Texaco), toutes cinq américaines,
plus une anglaise (la British Petroleum) et une anglo-hollandaise (la Royal Dutch Shell) -
dominent le marché. C'est le temps du profit facile : immenses concessions accordées pour
soixante à quatre-vingt-quatorze ans, maîtrise totale de l'exploitation, royalties en forme
d'aumône - environ 12 %. À peine égratignés par l'invention vénézuélienne, en 1948, du fifty-
fifty, les bénéfices sont colossaux, du moins pour les compagnies : les économies locales, elles,
n'en tirent que peu d'avantages. Énergie à très bas prix, et qui rapporte gros, le pétrole devient
ainsi l'aliment numéro un de la croissance occidentale. Cette évolution n'est pas sans
conséquences. Elle entraîne une augmentation rapide de l'extraction : la production mondiale, de
500 millions de tonnes à la fin des années 40, atteint 2 300 millions à la fin des années 60. Du
même coup, la dépendance de l'Europe, du Japon, et, dans une moindre mesure, des États-Unis à
l'égard du Moyen-Orient s'accroît : la part de la région dans cette production est passée de 17 à
30 %. Plus vulnérables, les Occidentaux sont en même temps confrontés à un mouvement
national de plus en plus vif, et qui fait de la récupération de ses richesses naturelles un cheval de
bataille. Tels sont les ingrédients qui, sur fond de conflit israélo-arabe, feront exploser la " guerre
du pétrole " de 1973. Rien là, cependant, de surprenant : les Occidentaux sont confrontés depuis
longtemps aux combats menés par les producteurs à la fois pour la souveraineté sur leur sous-sol,
pour le contrôle de la production et pour la maîtrise des prix et de la fiscalité. Les formes
employées pour la reprise en main du pétrole sont diverses, de la restitution partielle par les
compagnies - pour éviter la nationalisation - à celle-ci. Au premier genre appartiennent, par
exemple, les accords de 1972 par lesquels les " Soeurs " vendaient aux émirats du Golfe 25 % de
participation, pouvant même devenir 51 %. Les concurrents y avaient pensé depuis des lustres :
ainsi, en 1958, l'association irano-italienne laissant 75 % à l'Iran, et l'accord nippo-saoudo-
koweïtien accordant 57 % aux producteurs, de même que les contrats passés par Elf-ERAP avec
l'Iran (1966), l'Irak et la Libye (1968). La vague des nationalisations, lancée par Mossadegh,
reprend en 1961 : l'Irak reprend à l'IPC 99 % de la concession accordée. L'année suivante, le
Koweït l'imite pour 60 % de la concession. Les conditions seront plus favorables dans les années
70. Kadhafi, le premier, en 1970, joindra reprise en main et contrôle de la production et des prix.
Un an plus tard, l'Algérie fait de même avec les sociétés françaises. 1972 : l'Irak nationalise les
pétroliers britanniques - mais non les français. Le mouvement se poursuivra avec les prises de
participation, le plus souvent à 100 %, en Iran (1973), au Koweït (1975), au Qatar (1976), à
Bahreïn (1978) et enfin en Arabie Saoudite (1980). Mais la propriété n'est rien sans la maîtrise
de la production et de son prix. C'est l'objectif assigné à l'OPEP, lors de sa création en 1961.
Première victoire en 1964 : la redevance s'ajoutant à l'impôt sur le bénéfice, la part de l'État passe
de 50 à 56,25 %. Les prix, cependant, continuent à baisser. Jusqu'à la fermeture, par la Syrie, en
1970, d'un des deux oléoducs amenant le pétrole saoudien au port libanais de Saïda : sur un
marché raréfié par le blocage du canal de Suez depuis la guerre des Six Jours en 1967, c'est
l'occasion pour l'Algérie et la Libye d'augmenter leurs tarifs. Les accords de Téhéran, en janvier
1971, élèvent l'impôt sur les bénéfices de 50 à 55 %. À Téhéran encore, puis à Genève, des
hausses de prix sont décidées en fonction du dollar et de la situation monétaire mondiale : en
trois ans, le brut du Golfe a augmenté de 70 %. Ce record sera pulvérisé lors de la guerre de
Kippour en 1973. " Il n'y a plus d'espoir d'un accord pacifique, notre décision est de combattre
", avait expliqué Anouar Al Sadate, dans l'incrédulité générale. Le 6 octobre 1973, pourtant, les
troupes égyptiennes franchissent le canal de Suez, et enfoncent la ligne Bar Lev. L'honneur arabe
est vengé, mais Tsahal, l'armée israélienne, se reprend. C'est en pleine contre-offensive
israélienne que les pays arabes producteurs, réunis le 17 octobre à Koweït, décident à la fois une
nouvelle hausse de 75 % et un embargo contre les amis d'Israël. Une augmentation
supplémentaire de 115 % sera décidée en décembre, à Téhéran. Au total, le brut a donc
quadruplé : de 3 à 11,5 dollars le baril. Mais cette énorme réévaluation constituait, en fait, un
simple rattrapage de la valeur réelle du pétrole brut, tant son pouvoir d'achat avait décru au cours
des décennies précédentes. L'événement de 1973, c'est donc moins l'augmentation elle-même du
prix du pétrole que la prise en main simultanée, par les producteurs, de la tarification et du
rythme de l'extraction : une avancée vers ce " nouvel ordre économique international " qui
devient, à l'époque, le slogan des Non-alignés. C'est, du même coup, l'obligation pour les
producteurs et les consommateurs de se montrer plus parcimonieux : l'ère des gaspillages est
terminée, les pays arabes ayant ainsi défendu le patrimoine de l'humanité en même temps que le
leur propre. Il en ira de même avec les nouveaux réajustements de la fin des années 70, à la fois
rattrapage de prix et mutation à l'économie... L'" arme du pétrole ", dit-on, n'est pourtant plus ce
qu'elle était. Les producteurs arabes subissent la concurrence de nouveaux venus, dont la part du
marché a grandi (Mexique, Grande-Bretagne et Norvège, notamment). Pourtant, après être
tombée de 45 % de la production pétrolière en 1980 à 38,2 % en 1990, l'OPEP a retrouvé en
1995 un niveau de 40 %. Quant au Moyen-Orient proprement dit, de 30,7 % en 1980, sa part a
chuté à 27,25 % en 1990, mais est remontée à 30,7 % en 1995. Et, en termes d'exportation, la
région - voir le tableau page 292 - a vu son pourcentage passer de 54,5 % en 1980 à 43,88 % en
1989. Mais la chute des parts de production et d'exportation s'est, circonstance aggravante,
accompagnée d'un effondrement des prix. À ce bras de fer entre producteurs OPEP et non OPEP
s'ajoute l'incapacité de l'OPEP elle-même à s'en tenir à une politique concertée des quantités et
des cours - elle est divisée entre radicaux désireux, tels l'Irak et l'Iran, de financer leur guerre ou,
comme l'Algérie, soucieux de valoriser rapidement leurs faibles réserves, et modérés patients
guidés par la volonté de ne pas déplaire à Washington. D'où une chute vertigineuse : de 34
dollars en 1981, le baril s'est effondré à moins de 10 dollars en 1986, pour osciller depuis entre
10 et 15. Même après la crise du Golfe, qui l'a vu un temps crever le plafond des 40 dollars, il est
retombé à 20 dollars environ. D'autant que, désormais, plus de la moitié des transactions
s'effectuent sur le marché libre, dit spot. Et même 80 % en fonction des prix spot, qui se forment
sur le marché NYMEX, le marché à terme - essentiellement spéculatif - de New York, dont le
nombre de contrats a doublé de 1984 à 1990. Comme le signalait Pierre Terzian dans Le Monde
diplomatique : " L'OPEP a été ainsi remplacée dans son rôle de formateur des prix par des
milliers d'agents dont la plupart jouent sur le pétrole comme ils spéculent sur n'importe quel
instrument financier ou de placement. " Les pays producteurs eux-mêmes reviennent sur le
principe de la propriété nationale de leurs richesses pétrolières, à l'instar de l'Algérie qui en ouvre
une partie (minoritaire) au capital étranger. Plus encore : la crise du pétrole a accéléré la
recherche d'autres sources d'énergie, nucléaire en premier lieu, réduisant d'autant le rôle
névralgique de l'or noir. Mais les nations du Moyen-Orient ont également perdu leurs illusions
sur le caractère automatiquement positif de la manne pétrolière. Dans bien des cas, les
pétrodollars se sont répartis en dépenses d'armement (38 % des recettes pétrolières dans les
années 80), enrichissement supplémentaire des petites castes au pouvoir, réalisations souvent
aussi spectaculaires qu'inutiles - seule une petite part étant consacrée à l'aide, publique ou non, au
développement. Sans compter les sommes gigantesques investies en Occident : en 1990, l'Union
des banques arabes et françaises évaluait à 670 milliards de dollars le montant des dépôts
bancaires arabes, publics et privés, à l'étranger - la dette sous laquelle croulent les pays les plus
peuplés du monde arabe se monte à 250 milliards de dollars... Même s'il est en principe limité, le
retour progressif de l'Irak sur le marché pétrolier, après six ans d'embargo, va sans doute
renforcer la tendance à l'accroissement de la production moyen-orientale. Un tel choix ne
garantirait cependant pas des revenus plus importants aux pays producteurs, tant le risque est
grand que l'afflux de pétrole brut entraîne une nouvelle baisse des cours. Entre 1984 et 1995,
malgré une augmentation de 58,8 % du volume de leurs exportations (de 10,6 à 16,9 millions de
barils/jour), n'ont-ils pas, en dollars de 1974, vu leurs rentrées diminuer de 32,9 % (de 65,6 à
44,1 milliards de dollars) ? Encore convient-il de relativiser ce péril : entre janvier et mai 1996,
la production de pétrole brut de l'OPEP a d'ores et déjà dépassé le plafond qu'elle s'était imposé
de 1,5 millions de barils/jour, soit le double de la quantité autorisée à l'Irak par le Conseil de
Sécurité de l'ONU, et ce sans provoquer pour autant un effondrement des prix - le baril cotait au
pritemps 1996 entre 19 et 21 dollars. D'ailleurs, les prévisions quant à la demande mondiale de
pétrole - qui passerait de 70,3 millions de barils/jour en 1995 à 78,6 en l'an 2000 (et à 97,1 en
2010) - n'incitent-elles pas les pays arabes à élever leur propre production de 22,2 à 26,5 millions
de barils/jour ? Dans le même temps, la production arabe de gaz naturel serait amenée à
doubler... Signal de la mobilisation économique du monde arabe - et, plus généralement, du tiers
monde - en 1956 comme en 1973, le pétrole, le symbole de l'indépendance, deviendra-t-il facteur
de dépendance ? Beaucoup redoutent ce paradoxe, tel Georges Corm, dénonçant dans Le Proche-
Orient éclaté à la fois les effets économiques, sociaux et politiques du " torrent furieux " des
dollars " ébranlant les fondements les plus profonds de la société " arabe, les projets fous vendus
" aux monarques pétroliers qui ne font qu'accélérer la destruction du tissu social de ces sociétés
rendues de plus en plus fragiles par des décennies de modernisations avortées ", et " de la part
de l'Occident, les chantages les plus divers, les pressions les plus brutales qui sont exercés sur
ces pays dont la surpuissance économique apparente n'est que le reflet de la profondeur du sous-
développement... "
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

RABIN (Itzhak)
Premier chef du gouvernement israélien né en Palestine (en 1922), Itzhak Rabin sera
aussi le premier dirigeant israélien assassiné, par un extrémiste juif (en 1995). Entre ces deux
dates se déroule une vie au service du Parti travailliste, de l'État d'Israël et singulièrement de
l'armée. La carrière de ce sabra - Juif né en Israël, par opposition à celui venu de la Diaspora -
s'identifie en effet avec l'armée. Engagé à dix-huit ans, diplômé d'une école d'agriculture, dans la
Haganah, l'armée clandestine juive, son activité contre la puissance mandataire britannique lui
vaut en 1946 cinq mois d'emprisonnement dans un camp militaire à Gaza. En 1947, il devient, à
vingt-six ans, le plus jeune colonel du Palmah, l'avant-garde de l'armée juive. Il s'illustre au
cours de la guerre de 1948-1949 : dans la bataille pour Jérusalem, mais également - comme il le
racontait dans son autobiographie - dans l'expulsion des Palestiniens de Lydda et de Ramleh (sur
le territoire prévu pour l'État arabe). " Nous marchions dehors aux côtés de Ben Gourion ; Allon
répéta la question : "Que devons-nous faire de la population ?" Ben Gourion agita la main en un
geste qui siginifiait : "Chassez-les ! " Allon et moi avons tenu conseil. J'étais d'accord avec lui
qu'il était essentiel de les chasser. Nous les mîmes à pied sur la route de Bet Horon (...). La
population de Lod ne quitta pas volontairement. Il n'y avait pas d'autre moyen que d'utiliser la
force et les tirs d'avertissement pour contraindre les habitants. " Ajoutons : de massacrer au
passage quelque 250 civils... Mais ce " détail ", pas plus que la citation ci-dessus, ne figure dans
le texte disponible, en français comme en anglais, des Mémoires d'Itzhak Rabin : l'auteur a
préféré expurger l'ensemble du récit de cet épisode sanglant, qui précédait il est vrai un
paragraphe consacré à son mariage avec Leah. Le texte original, heureusement pour les
historiens, n'a pas échappé à la vigilance du New York Times, qui l'a reproduit le 23 octobre
1979. Fin 1950, après la dissolution du Palmah, il est affecté à l'état-major. D'échelon en
échelon, malgré l'opposition de Shimon Peres, il parvient début 1964 au poste suprême de chef
de l'état-major général et dirige ainsi, avec Moshe Dayan, alors ministre de la Défense du
gouvernement Levy Eshkol, l'offensive éclair de 1967. Malgré une défaillance - le 23 mai - qui
lui sera longtemps reprochée, il tire de l'étourdissante victoire des Six Jours une popularité qui lui
servira de tremplin pour sa carrière politique. Dès 1968, il troque l'uniforme pour le costume de
diplomate, qui plus est à la tête de l'ambassade la plus importante de toutes : il représente Israël
auprès des États-Unis. De ces cinq années passées à Washington, il revient convaincu que le sort
de l'État juif dépend de son alliance avec l'Amérique - et surtout vierge de toute responsabilité
dans le désastre d'octobre 1973. Ce qui lui vaut de succéder à Golda Meir, démissionnaire,
comme chef du gouvernement en juin 1974. Brève et amère expérience : trente mois plus tard, un
scandale - sa femme, Leah, a conservé illégalement un compte en banque aux États-Unis -,
l'oblige à démissionner, et les travaillistes, pour la première fois dans l'histoire du pays, doivent
céder le pouvoir à la droite conduite par Menahem Begin. " Cassez-leur les os ! " : cette formule
éminemment humaniste marque son retour à la politique - en 1982, il avait conseillé Ariel
Sharon, dont il approuvait l'opération libanaise, de priver Beyrouth-Ouest d'eau et d'électricité...
Ministre de la Défense du gouvernement d'union nationale formé en 1984, il coordonne le retrait
israélien du Liban. Mais, le 1er octobre 1995, il fait bombarder le quartier général de l'OLP à
Tunis : soixante cadavres sont extraits des décombres. " L'heure est venue, déclare Rabin, de
frapper l'OLP à la tête. " Fin 1987, il est chargé par Itzhak Shamir, redevenu Premier ministre
conformément à l'accord de " rotation ", de réprimer l'intifada. Il le fera sans scrupule. Parce
qu'il voit dans le mouvement un simple " feu de paille ", qu'on casse " avec la force et les coups
" - et toutes les ressources d'arbitraire de la Loi d'urgence héritée du mandataire britannique.
Tirer sur des jeunes désarmés s'avère, à la longue, politiquement délicat ? On leur brisera bras et
jambes. Des images de télévision américaine CBS immortaliseront la méthode. Présentée par les
amis d'Itzhak Rabin comme un pis-aller, destiné à éviter les morts par balle, elle s'y est en fait
ajoutée : un an après le début du soulèvement, les Palestiniens insurgés comptent 400 morts et 25
000 blessés. Plus Khalil Al Wazir, dit Abou Jihad, le bras droit d'Arafat, en charge de l'intifada,
que Rabin fait assassiner à Tunis le 14 avril 1988... Cette nouvelle et brutale confrontation avec
le nationalisme palestinien aura en tout cas convaincu le général, chassé du gouvernement en juin
1990, que " la question n'a pas de solution militaire. " Il verra dans la guerre du Golfe " une
formidable occasion " de régler le conflit israélo-arabe - parce que l'effondrement de l'URSS, la
réaffirmation du leadership américain et l'affaiblissement de l'OLP ont créé des rapports de force
plus favorables que jamais. Faucon et colombe à la fois, il est l'homme de la situation : les
militants travaillistes en ont l'intuition, qui le préfèrent à son rival de toujours, Shimon Peres,
pour les mener à la bataille électorale de 1992. A soixante-dix ans, Itzhak Rabin redevient
Premier ministre. Durant une année, il tentera encore, vainement, de contourner l'OLP : il laisse
les négociations commencées à Madrid s'enliser à Washington, et paraît donner la priorité à la
paix avec la Syrie et la Jordanie. Pire : en décembre 1992, l'expulsion de 450 militants de Hamas
vers le Liban paraît réduire à néant les espoirs de paix. Il est plus que temps de bouger. Fort à
propos, Yossi Beilin, non sans l'accord du chef du gouvernement, va nouer des contacts secrets
avec l'OLP à Oslo. Si Rabin refuse que Peres prenne en mains les négociations, il laisse le
directeur général du ministère des Affaires étrangères, Uri Savir, les superviser. Puis il lui adjoint
son proche conseiller juridique, Yoel Singer. Contre toute attente, et singulièrement celle du
Premier ministre, les deux délégations se mettent d'accord sur une formule d'autonomie inspirée
des accords de Camp David. En septembre 1993, c'est le " tournant " : après la reconnaissance
mutuelle entre Israël et l'OLP, Rabin et Arafat signent, scellée d'une historique poignée de mains,
la Déclaration de principes sur l'autonomie qui donnera naissance aux accords d'Oslo. Le Premier
ministre tardera néanmoins, à nouveau, à négocier et ratifier ceux-ci, repoussant du même coup
les échéances décisives du retrait de l'armée israélienne des villes arabes de Cisjordanie et surtout
des élections palestiniennes qui, prévues en juillet 1994, auront finalement lieu le 20 janvier
1996. Le soir de son assassinat, le 4 novembre 1995, il avait déclaré à la foule rassemblée à Tel
Aviv pour le soutenir : " J'ai combattu aussi longtemps qu'il n'y avait pas de chance de paix. "
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

RUSSIE
Si l'un des premiers actes de la révolution bolchevique fut de renoncer aux visées des
tsars sur le Moyen-Orient, l'URSS n'avait pas pour autant abandonné l'espoir d'y jouer un rôle
déterminant, avec, à travers l'histoire, des fortunes diverses. L'Union soviétique, ce faisant, a
poursuivi des objectifs sensiblement différents de ceux qui animent la politique américaine ou,
auparavant, britannique. Le pétrole n'était pas, pour elle, prioritaire : elle était elle-même
exportatrice. La perspective de profits substantiels dans les relations économiques avec les pays
de la région n'a jamais pris corps : le bilan des relations égypto-soviétiques ou syro-soviétiques
s'apparente, du point de vue de Moscou, au tonneau des Danaïdes. C'est plutôt dans la stratégie et
l'idéologie que s'enracinaient les raisons de l'intérêt soviétique pour le Moyen-Orient : dans sa "
ceinture méridionale ", le Kremlin souhaitait naturellement à la fois favoriser le mouvement
nationaliste - que Lénine déjà, en son temps, valorisait comme facteur révolutionnaire - et isoler,
voire même écarter les puissances occidentales, qui le lui rendent bien. L'accès aux " mers
chaudes " expliquait largement, au cours des siècles précédents, les innombrables conflits entre
Russes et Turcs : la question se pose plus, ensuite, en termes de " zone d'influence ", l'influence
ici recherchée par l'URSS étant sans doute prioritairement de caractère géopolitique. Lors des
affrontements entre le gouvernement plus ou moins " anti-impérialiste " et le Parti communiste
de tel ou tel pays, Moscou n'a-t-il pas toujours privilégié ses relations interétatiques au détriment
de l'" internationalisme prolétarien " ? L'internationalisme, à l'origine, inspire en tout cas la
dénonciation, par les dirigeants de la jeune Russie soviétique, des accords Sykes-Picot. Par le
biais du ministre Sergeï Sazonov, associé aux tractations préparant le démantèlement de l'Empire
ottoman, le tsar avait pourtant arraché une belle part du gâteau : devaient lui revenir le nord-est
de l'Empire, Constantinople, la côte ouest du Bosphore, la mer de Marmara, les Dardanelles,
ainsi qu'une partie de la côte d'Asie Mineure de la mer Noire. Au nom du droit des peuples à
s'autodéterminer, les communistes soviétiques abandonnent toutes ces prétentions. Mieux :
hostiles à la " diplomatie secrète ", ils rendent publics ces arrangements - et ceux intéressant les
autres puissances - jusque-là soigneusement cachés aux peuples en guerre. Ce témoignage de son
engagement dans la lutte contre le " pillage impérialiste " vaudra à l'URSS un grand prestige
parmi les nationalistes arabes qui, à l'époque, foisonnent. Fort de cette auréole, le Parti
communiste (bolchevik) de l'Union soviétique entreprend, au lendemain de la Première Guerre
mondiale, un double effort. Il tisse des liens plus étroits avec le mouvement nationaliste arabe, au
sein duquel il favorise - avec l'aide de l'Internationale communiste - la constitution de " cercles "
communistes, voire de partis, notamment en Égypte, en Syrie-Liban et surtout en Palestine. C'est
le congrès de Bakou, en septembre 1920, qui donne le coup d'envoi de cette entreprise dirigée
vers tous les peuples d'Orient. Mais, parallèlement, il s'efforce aussi de nouer des contacts avec
les régimes en place, malgré le double handicap que représentent leur " contrôle " relatif par la
Grande-Bretagne et leur " islamisme " peu porté à l'échange avec une puissance " athée ". Dans
un cas comme dans l'autre, l'objectif numéro un est de porter les coups les plus puissants possible
à l'ennemi principal : Londres. C'est également cette motivation qui, après la Seconde Guerre
mondiale, poussera Moscou à accepter le plan de partage de la Palestine. " Les intérêts tant des
Juifs que des Arabes de Palestine, déclarait Andreï Gromyko à l'ONU le 14 mai 1947, ne
peuvent être protégés comme il convient que par la création d'un État judéo-arabe
démocratique, indépendant, double mais homogène. " Mais, poursuit-il, " en raison des relations
de plus en plus tendues entre Juifs et Arabes (...) le partage du pays en deux États indépendants
" s'imposerait. L'URSS va même aller plus loin : non seulement elle est un des premiers États du
monde à reconnaître l'État d'Israël, mais elle lui livre - via la Tchécoslovaquie - les armes qui lui
permettent de vaincre les armées arabes entrées en Palestine le 15 mai 1948. Durant un à deux
ans, les rapports entre Israël et l'URSS seront d'ailleurs excellents. Mais les dirigeants staliniens
d'alors redoutent l'influence du sionisme sur les Juifs soviétiques : or, Golda Meyerson - future
Meir -, ambassadeur d'Israël à Moscou, reçoit, pour le Nouvel An juif de septembre 1948, un
accueil massif et enthousiaste devant la synagogue... Les représailles, sous forme d'une vague
antisémite sans précédent depuis la Révolution, ne tardent pas contre les Juifs soviétiques.
Nouvelle dégradation en 1949 : commence en Hongrie la série de procès que connaîtront les "
démocraties populaires ", et dans lesquels l'antisionisme, voire l'antisémitisme pur et simple,
interviennent brutalement. Jérusalem, de son côté, flirte de plus en plus ouvertement avec
Washington (voir Guerre de 1956). 1953 : les relations israélo-soviétiques sont rompues : bien
que rétablies la même année, après la mort de Staline et la dénonciation de l'affaire des " Blouses
blanches ", elles ne connaîtront plus jamais la chaleur des débuts... À partir de 1955, l'URSS
renverse donc naturellement ses alliances, apportant son appui au mouvement national arabe et
aux États dont il a pris la barre, contre l'impérialisme occidental, essentiellement celui des États-
Unis qui assume la relève de la Grande-Bretagne et de la France dans la région, et contre Israël
décrit comme son " relais " au Moyen-Orient. Au nom de l'anti-impérialisme et de l'antisionisme,
Moscou ouvre ainsi au monde arabe des bras accueillants... vers lesquels le repousse l'attitude
occidentale : soutien à Israël, refus d'aider - y compris militairement - les Arabes, intransigeance
face à leurs revendications économiques et politiques, obstination à les embrigader dans des
pactes antisoviétiques... À partir du contrat d'armements signé, en septembre 1955, entre la
Tchécoslovaquie et l'Égypte, débutent deux décennies " réussies " pour l'URSS, qui a dénoncé le
dernier accord (commercial) qui la liait à Israël. L'Égypte, puis la Syrie, enfin l'Irak - le Yémen
du Sud suivra bientôt - se tournent peu à peu vers elle. De véritables alliances, comportant une
coopération multidimensionnelle (économique, sociale, culturelle et, évidemment, militaire), se
forgent. Mais la chute est aussi rapide que l'ascension. Plus même : au milieu des années 70,
seuls le Yémen du Sud, l'Irak (formellement) et la Syrie demeurent liés par traité à Moscou, Le
Caire ayant tourné casaque, séduit par l'Occident. L'isolement de l'Union soviétique au Moyen-
Orient apparaît si extrême, au terme de l'invasion israélienne du Liban, en 1982, que bien des
observateurs la disent exclue de la région. Paradoxalement, l'échec de l'URSS a tenu... à son
succès : son aide a conforté le mouvement national arabe dans l'accomplissement de sa " mission
essentielle " - la fin de la présence coloniale et la conquête de l'indépendance -, perdant du même
coup une de ses principales raisons d'être. En revanche, Moscou n'a pas permis à ses alliés arabes
d'imposer à Israël le respect de leurs droits et de ceux des Palestiniens. En matière de
développement, enfin, le " modèle soviétique ", souvent caricaturalement transposé, s'il a assuré
un net progrès social, ne s'est pas montré à la hauteur de l'attente populaire : l'inadaptation du
système, l'absence de certaines réformes de caractère démocratique, le poids croissant de la
bourgeoisie bureaucratique et la faiblesse du mouvement démocratique précipitent, au milieu des
années 70, l'ouverture - en arabe infitah - à l'Occident. " Les États-Unis, aimait à dire Sadate,
disposent de 99 % des cartes. " Mais l'incapacité de Washington à résoudre le conflit israélo-
palestinien au début des années 80 permet un provisoire retour de Moscou sur la scène proche-
orientale. L'échec américain au Liban, la perte de crédibilité qui du coup frappe les États-Unis
dans le monde arabe, la montée en puissance de la Syrie ont été autant d'atouts pour l'URSS qui,
en un court laps de temps, était parvenue à redéployer ses rapports avec le monde arabe. Elle
réaffirmait son alliance avec le régime syrien - comme avec l'OLP, pesant en faveur de la détente
entre Assad et Arafat - et sud-yéménite. Par-delà Damas et Aden, le Kremlin renouait
diplomatiquement avec Le Caire, Oman, les Émirats arabes unis et Qatar, signait de gros contrats
d'armement avec le Koweït, en préparait de plus importants encore avec Amman, ratifiait un
traité avec le Yémen du Nord, etc. Même la reprise des relations avec l'Arabie Saoudite ne
semblait plus hors de portée. Le plan soviétique, qui, à l'instar de la résolution de Fès, puise à la
source du partage de la Palestine par les Nations unies, obtenait un large consensus. Forte de ses
acquis dans le monde arabe, la diplomatie soviétique a accordé, après l'accession au pouvoir de
Mikhaïl Gorbatchev, une grande attention à Israël. Depuis la rencontre " secrète " de juillet 1985
entre les ambassadeurs des deux pays à Paris, les " gestes " s'étaient multipliés, de l'échange de
légations consulaires en 1987-1988 jusqu'à l'établissement de relations diplomatiques en 1991,
sans oublier le feu vert progressivement donné à l'émigration des Juifs soviétiques vers Israël - ils
seront près de 800 000 entre 1986 et 1996. Mais le retour de Moscou au Proche-Orient n'a pas
résisté aux conséquences de l'effondrement du système en URSS même. Déjà, durant la guerre
du Golfe, l'URSS donne l'impression de s'aligner sur les positions des États-Unis : si elle
multiplie les pressions sur Saddam Hussein pour tenter d'éviter le pire, sa diplomatie ne sort
jamais du cadre défini par George Bush et Mikhaïl Gorbatchev lors de leur sommet d'Helsinki, le
9 septembre 1990. L'aide occidentale était trop vitale pour risquer de la menacer par l'expression
de trop fortes divergences, bien que le souci de la sécurité intérieure et extérieure des
Républiques musulmanes poussât à la prudence. Voilà qui explique en tout cas la dégradation
rapide subie par l'image de marque de l'Union soviétique dans le monde arabe, au point que
nombreuses y seront les voix se réjouissant - aussi bruyamment que prématurément - du coup
d'État du 19 août 1991 à Moscou. " Toute notre activité pour contribuer au règlement de la crise
du Koweït, reconnaît l'envoyé spécial de Mikhaïl Gorbatchev, Evgueni Primakov, dans Missions
secrètes à Bagdad, a été orientée de manière à ne pas apporter le moindre préjudice aux États-
Unis et à la coalition en général au moment où ils multipliaient les efforts politiques,
économiques et militaires pour contraindre l'1rak à se retirer du Koweït. " Ne pas déplaire aux
États-Unis : ce sera, très exactement, la tendance essentielle de la politique extérieure de la
Russie post-soviétique, du moins durant les premières années de présidence de Boris Eltsine. Au
Moyen-Orient en particulier, Andreï Kozyrev, le pâle ministre des Affaires étrangères, maintient
un profil bas. Face à Bagdad, qui fut si longtemps un des principaux clients de l'URSS dans la
région, c'est tout juste si la Russie suggère, du bout les lèvres, un allégement des sanctions dont
le peuple irakien est la première victime. Co-présidente de la Conférence de Madrid, la Russie
laisse les Américains dessiner à leur guise les contours du processus de paix israélo-arabe.
Comme un symbole : le président russe sera absent, le 13 septembre 1993, à Washington, à la
signature de la Déclaration de principes sur l'autonomie palestinienne. Mais il en va de la raison
d'État comme du naturel : chassée, elle revient au galop. Surtout lorsque, sur la scène intérieure,
la poussée de l'opposition menace, qui dénonce l'" abandon " par le Kremlin de la place de la
Russie dans le monde : ce n'est sans doute pas une coïncidence si Boris Eltsine impose un net
infléchissement à la politique extérieure russe fin 1993, c'est-à-dire peu après l'assaut sanglant
contre la " Maison Blanche " et des élections législatives marquées par la poussée des
communistes et des nationalistes. Perceptible depuis un an, la redéfinition des objectifs extérieurs
de la Russie, plus conformes à ses intérêts de grande puissance, se radicalise alors et entraîne une
prise de distance plus nette avec Washington. " La lune de miel est terminée ", constate le
Washington Post. De fait, Moscou tente, sur tous les dossiers, d'affirmer sa différence. Cette
affirmation d'une géopolitique russe ne pouvait pas ne pas se manifester au Moyen-Orient.
Prudent sur la question de l'Irak, où il s'est contenté de plaider la levée de l'embargo, c'est sur
celle de l'Iran que Moscou a choisi d'affronter Washington. Déjà, au début des années 90, les
Américains avaient vu d'un très mauvais oeil la fourniture de dizaines de MiG, Iliouchine et
autres SAM à Téhéran - un contrat de plus de 11 milliards de francs qui augmentait d'un coup de
40 % son potentiel de défense et d'attaque aériennes. Avec l'annonce de la livraison de réacteurs
nucléaires civils russes, c'en est trop : accusant la République islamique de travailler à la
construction d'une bombe, Bill Clinton exige de Boris Eltsine qu'il renonce à ce projet. Rien n'y
fera, pas même le chantage exercé à l'occasion de deux sommets américano-russes : se
retranchant derrière l'avis, positif, de l'Agence internationale de l'énergie atomique et soulignant
que les États-Unis s'apprêtent à livrer les mêmes réacteurs à la Corée du Nord, Moscou honorera
le contrat. À ses frontières, Moscou se livrera, avec Ankara, à un autre bras de fer, à la fois en
force et en finesse, pour la sauvegarde de ses intérêts. Un temps menacé par les visées turques sur
le Caucase et les ex-Républiques soviétiques d'Asie centrale, le Kremlin a réussi, en quelques
années, à regagner du terrain au nom de la " Realpolitik ". À ses anciens sujets comme aux
héritiers des Ottomans, il a su faire valoir que de solides relations avec lui, économiques et
politiques, valaient mieux qu'un rêve de recomposition régionale. Réunis, à deux reprises, avec la
Turquie en " sommet turcophone ", Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan et
Khirgizstan, affirment en public leur appartenance à une culture commune, mais soulignent en
privé que la Russie reste pour chacun d'eux... le partenaire privilégié. C'est vrai même de la
Turquie, qui échange pour un montant cinq fois plus élevé avec la Russie qu'avec les
Républiques turcophones, sans compter les sommes considérables que rapportent désormais les
touristes russes. Malgré la mobilisation des millions de citoyens d'origine caucasienne et les
pressions des " Loups gris " du colonel Alparslan Türkes, Ankara se gardera même d'appuyer les
" rebelles " tchétchènes, Moscou, de son côté, limitant son aide à la guérilla kurde à l'ouverture
d'une " Maison du PKK ". Reste, évidemment, à trancher la question essentielle : le tracé de
l'oléoduc destiné à amener jusqu'à la Méditerranée les formidables richesses pétrolières
découvertes en Azerbaïdjan - les experts voient dans la Caspienne un " nouveau golfe Persique ".
Soucieux d'éviter toute " prise d'otages ", le consortium international, dans lequel les Américains
dominent, a retenu fin 1995 un double tracé : au nord, via la Russie et le port de Novorossiisk
(puis le Bosphore), au sud via la Turquie et le port de Batoumi. Financièrement et
stratégiquement, voilà une solution qui ménage les intérêts de la Russie comme de la Turquie.
Sera-t-elle effectivement mise en oeuvre ? Sur le dossier israélo-palestinien, Moscou éprouve
évidemment plus de mal à reprendre sa place dans ce qui est devenu, de par son absence et celle
de l'Union européenne, un " cavalier seul " américain. Malgré le choix d'Evgueni Primakov,
expert du Moyen-Orient, comme ministre des Affaires étrangères - sa politique étrangère s'est
montrée des plus discrètes dans ce domaine...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

SABRA ET CHATILA (massacres de)


C'est avant même la fin de la guerre de Palestine en 1949, que se créent les premiers
camps de réfugiés au Liban : certains dans le sud du pays, d'autres dans la banlieue de Beyrouth.
Sabra et Chatila sont parmi ces derniers. Soumis à un contrôle tatillon de l'armée libanaise, se
voyant interdire toute activité politique ou sociale, les Palestiniens des camps ne conquièrent leur
autonomie qu'à la fin des années 60, avec la montée en force des fedayin. Au début des années
80, on estimait à 25 000 le nombre d'habitants de Chatila, à 12 000 celui de Sabra. Le 2
septembre 1982, les derniers combattants palestiniens quittent Beyrouth. Béchir Gemayel, chef
des Forces libanaises et allié d'Israël, est élu chef de l'État. Le 14 septembre s'achève le départ de
la Force multinationale (États-Unis, France, Italie), qui avait assuré l'évacuation de l'OLP. Le
même jour, une charge de 50 kilos de TNT détruit l'immeuble où se trouve le président, non
encore intronisé, du Liban. Béchir Gemayel disparaît. Dans la nuit du 14 au 15 septembre,
Tsahal (l'armée israélienne) investit Beyrouth-Ouest, violant les engagements pris auprès de
l'OLP par l'envoyé américain, Philip Habib. Le 16 septembre à 17 heures, à l'instigation de
l'armée d'Israël, les Forces libanaises pénètrent dans les camps de Sabra et Chatila pour des "
nettoyages de terroristes ". Dès le 17 septembre au matin, les soldats israéliens, qui encerclent les
camps, sont témoins de massacres de civils. Ceux-ci n'en continuent pas moins jusqu'au 18 au
matin. Bilan : 800 morts, selon la commission d'enquête israélienne présidée par le juge Kahane ;
1 500, suivant l'OLP. Dès les faits connus, l'émotion est immense dans le monde et en Israël. Si
Menahem Begin dénonce " la conspiration sanguinaire menée contre l'État juif et son
gouvernement " et refuse toute commission d'enquête, 400 000 personnes manifestent en sens
contraire, le 25 septembre, à Tel Aviv. Elles obtiennent gain de cause et, le 28, la commission
Kahane est chargée de faire la vérité sur les événements. Ses conclusions lèvent le voile sur une
partie du déroulement des opérations, et dégagent " un certain degré de responsabilité " de
Menahem Begin. Elles suggèrent le limogeage du ministre de la Défense, Ariel Sharon, et
mettent en cause plusieurs responsables militaires, dont Raphaël Eytan, le chef d'état-major.
Mais, malgré la crise de conscience suscitée en Israël, le système absorbera très bien les "
révélations " du rapport qui n'a jamais examiné le fond du problème : l'invasion du Liban, l'entrée
de Tsahal à Beyrouth-Ouest, l'alliance avec les Forces libanaises (que le journal populaire
israélien Yedioth Abaronoth décrit comme une " racaille organisée "). Et si Menahem Begin finit
par s'effacer, Ariel Sharon demeure un ministre influent - y compris sous les gouvernements
d'union nationale. Quant à Raphaël Eytan, il s'est reconverti dans la politique en fondant le
mouvement d'extrême-droite Tsomet, qu'il représentera au parlement. En 1996, il s'alliera avec le
Likoud pour porter au pouvoir Benjamin Netanyahou, qui lui confiera le portefeuille de
l'agriculture et de l'environnement. Ariel Sharon, quant à lui, fera un retour bruyant à la tête d'un
superministère des infrastructures, taillé sur mesure pour lui permettre de relancer la colonisation
des Territoires occupés.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

SADATE (Anouar Al)


Né le 25 décembre 1918, en Basse-Égypte, dans une famille de paysans modestes,
Anouar Al Sadate entre à l'Académie militaire et en sort officier en 1938. Dans sa première ville
de garnison, il rencontre Gamal Abdel Nasser et un certain nombre de ceux qui deviendront les "
Officiers libres ". Nationaliste fervent, il voit dans l'Allemagne nazie un allié possible contre
l'occupant britannique : il sera arrêté en octobre 1942 pour espionnage au profit de l'Axe. En
contact avec les Frères musulmans, avec lesquels il conservera pendant plus de dix ans des liens
solides, il est impliqué dans un attentat terroriste et passera près de trois ans en prison. Expulsé
de l'armée en 1948, réintégré en 1950, il participe en 1952 au coup d'État qui renverse le roi
Farouk. Durant la période nassérienne, il occupe une série de postes importants : secrétaire
général de l'Union nationale (le parti unique, qui ne joue pas de rôle majeur) en 1957, président
de l'Assemblée nationale de 1960 à 1968, vice-président de la République en 1964, puis de
nouveau en décembre 1969. Il reste toutefois un personnage effacé que rien ne semble
prédisposer à endosser les habits de Raïs après la mort de Nasser, le 28 septembre 1970. Élu
président le 15 octobre 1970, Sadate supplante pourtant tous ses rivaux et impose un " nouveau
cours " à la politique égyptienne. En mai 1971, il élimine Ali Sabri et l'aile prosoviétique du
régime. La même année s'amorce la libéralisation économique, qui culminera après octobre 1973
dans l'infitah. En juillet 1972, il expulse les 15 000 conseillers militaires soviétiques et entame un
rapprochement avec les États-Unis. Ce tournant n'est possible que parce que Anouar Al Sadate
s'appuie sur ce que l'on appelle la " nouvelle classe " - bourgeoisie bureaucratique, paysans
enrichis, affairistes... - qui s'est constituée sous Nasser et souhaite faire éclater le " carcan
socialiste ". Cet infléchissement se heurte à une forte opposition, en particulier étudiante et
ouvrière, et à l'impasse diplomatique qui laisse, malgré tout, Le Caire dépendant de Moscou. Le
6 octobre 1973, Sadate déclenche le quatrième conflit israélo-arabe avec des objectifs précis et
limités : obtenir des États-Unis qu'ils débloquent les négociations au Proche-Orient. Après le
cessez-le-feu, le président égyptien rétablit, dès le 7 novembre 1973, les relations diplomatiques
avec Washington et s'engage dans la politique des " petits pas " chère à Henry Kissinger. Le
prestige que lui vaut le franchissement du canal de Suez permet au Raïs d'accélérer la politique
d'infitah et de liquider, à partir de 1976, le parti unique pour établir un système de " démocratie
limitée " avec plusieurs partis. Le Parti national démocratique, l'organisation officielle, maintient
son contrôle sur l'appareil d'État. Mais les retraits partiels israéliens du Sinaï ne sont pas la paix,
et l'Égypte reste en guerre. Sa situation économique se détériore, et quand, en janvier 1977,
Sadate - sur les conseils du Fonds monétaire international (FMI) - augmente les prix des produits
de première nécessité, une immense émeute embrase Le Caire et la plupart des villes d'Égypte.
Sadate décide alors son autre " initiative historique " : il se rend à Jérusalem en novembre et
entame la marche qui conduira aux accords de Camp David, et à la paix séparée égypto-
israélienne. Isolé du reste du monde arabe - la plupart des pays rompent leurs relations
diplomatiques avec Le Caire, le siège de la Ligue arabe est transféré à Tunis -, il n'en continue
pas moins sa politique, comptant sur l'appui du peuple égyptien épuisé par un interminable
conflit et espérant que la paix mettra fin à la crise économique. Sadate lance, parallèlement, une
grande campagne contre les " complots soviétiques " dans le tiers monde. Malgré une aide
économique massive des États-Unis - elle passe de 371 millions de dollars en 1973 à 1,135
milliard en 1981 -, la situation sociale s'aggrave, notamment du fait du boycott arabe. Elle est
d'autant plus insupportable pour le peuple que les nouveaux riches, profiteurs de l'infitah,
affichent un luxe insolent. L'impasse des négociations sur l'autonomie palestinienne conforte
ceux qui prédisaient que les accords de Camp David ne seraient rien d'autre qu'une paix séparée.
L'opposition politique, bien que brimée et réprimée, arrive à se faire entendre. Enfin, la poussée
des groupes islamistes - que Sadate a largement favorisés en amnistiant les dirigeants des Frères
musulmans, en leur accordant une large liberté d'expression, et en les utilisant dans sa lutte contre
la gauche, mais qui refusent son alliance avec Israël - débouche sur des troubles confessionnels
d'une rare gravité entre musulmans et coptes. Le Raïs tente alors de jouer son va-tout en arrêtant,
en septembre 1981, 1 500 opposants de tous bords : islamistes, libéraux, nationalistes,
communistes... Il destitue même le pape copte Chenouda III. Quelques jours plus tard, le 6
octobre, au cours du défilé qui célèbre la " victoire " de 1973, un commando armé de quatre
hommes, se réclamant d'un groupe islamiste, l'assassine. Ses funérailles auront lieu dans
l'indifférence totale du peuple égyptien, indifférence qui contraste avec la place que les médias
occidentaux accorderont à la disparition de l'homme des accords de Camp David.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

SANCTIONS
Quand on évoque les sanctions prises contre un État, il faut d'emblée différencier mesures
unilatérales et décisions prises par les Nations unies. L'article 41 de la Charte des Nations unies
stipule que " le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures, n'impliquant pas l'emploi de la
force armée, doivent être prises, pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les membres
des Nations unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption complète
ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes,
postales, télégraphiques, radio-électriques et autres moyens de communication, ainsi que la
rupture des relations diplomatiques ". L'article 44 prévoit également, au cas où un des membres
recourt à la guerre, la rupture de toute relation avec lui. Les décisions du Conseil de sécurité sont
obligatoires pour les membres de l'organisation. L'ONU, dans son histoire, a eu à plusieurs
reprises recours aux sanctions : en 1966, contre la Rhodésie du Sud ; en 1977, contre l'Afrique du
Sud ; en 1991, elle a imposé un embargo sur les armes à destination de la Yougoslavie avant
d'adopter, en 1992, des sanctions contre la Serbie et le Monténégro, etc. Mais c'est au Moyen-
Orient que l'usage de ces mesures a été le plus fréquent. D'abord contre l'Irak : le 6 août 1990, la
résolution 661 a notamment imposé un embargo commercial contre lui et créé un comité des
sanctions. Le maintien de ces mesures, bien après la fin de la guerre du Golfe, a eu des effets
désastreux sur la population et provoqué, selon certains rapports, la mort de centaines de milliers
d'enfants. Le 14 avril 1995, la résolution 986 permettait à l'Irak des exportations limitées de
pétrole pour acheter de la nourriture et des médicaments. Après de longues tractations, l'Irak
devait reprendre partiellement ses ventes de pétrole à l'automne 1996. Ensuite contre la Libye,
mise en cause dans les attentats contre le vol Pan Am 103, dit attentat de Lockerbie (21 décembre
1988) et contre le vol DC-10 d'UTA au-dessus de l'Afrique (19 septembre 1989). Pour obtenir
l'extradition de responsables libyens, la résolution 748 (31 mars 1992) a imposé un embargo sur
les liaisons aériennes et sur les ventes d'armes ; la résolution 883 (11 novembre 1993) a renforcé
les sanctions, gelé les avoirs à l'étranger et interdit l'approvisionnement en équipements
pétroliers. Enfin contre le Soudan, le 26 avril 1996, à la suite d'une plainte de l'Égypte contre
Khartoum, accusé d'avoir hébergé les responsables d'une tentative d'assassinat du président Hosni
Moubarak, le 26 juin 1995. La résolution 1054 prévoit notamment des réductions du personnel
diplomatique. Le 16 août 1996, le Conseil de sécurité décrète (résolution 1070) un embargo
aérien contre les avions de la Sudan Airways, si les autorités ne livrent pas avant trois mois les
présumés coupables. L'abstention de la Russie et de la Chine sur cette dernière résolution illustre
le malaise grandissant de la communauté internationale face à cet usage intensif des sanctions -
qui touche en priorité des pays musulmans. De plus, le fait qu'une fois les sanctions imposées, il
suffise d'un veto américain pour les prolonger indéfiniment (comme dans le cas de l'Irak) a
accentué des réticences déjà renforcées par le recours unilatéral de Washington à l'embargo
comme moyen de régler les différends internationaux. Depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, et à différentes occasions, des pays ont pris, hors du cadre de l'ONU, des mesures de
rétorsion ou d'intimidation contre tel ou tel État. En 1951, Les États-Unis et la Grande-Bretagne
sanctionnaient l'Iran, coupable d'avoir nationalisé son pétrole. En 1967, la France décrétait un
embargo sur ses ventes d'armes à destination du Proche-Orient, mesure qui frappait en priorité
Israël. Mais c'est à la suite de la guerre du Golfe que Washington a multiplié au Proche-Orient
les recours à ces méthodes, prenant des mesures contre la Libye, puis contre l'Iran. Un nouveau
pas a été franchi dans l'escalade avec la signature par le président Bill Clinton, le 5 août 1996, de
la loi D'Amato. Dans le même esprit que la loi dite Helms-Burton, visant Cuba, elle prévoit des
mesures contre des sociétés non américaines qui investiraient plus de 40 millions de dollars dans
le secteur pétrolier libyen ou iranien. Voilà qui a soulevé une forte protestation internationale,
notamment européenne. Plusieurs gouvernement arabes ont même fait remarquer que
Washington adopte ainsi des mesures de " boycott secondaire ", mesures dénoncées quand elles
étaient prises par les pays arabes contre Israël.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

SAOUD (dynastie des Al)


Si l'Arabie Saoudite porte le nom de la famille régnante, cela ne relève pas du hasard :
depuis sa création le pays est géré par la dynastie des Al Saoud comme sa propriété. Ce n'est
qu'en 1953, à la veille de sa mort, que le roi Abdel Aziz Ibn Saoud accepte la constitution d'un
Conseil des ministres, qui se réunira pour la première fois le 7 mars 1954. L'État, au sens
occidental du terme, a une existence imprécise et le véritable pouvoir appartient aux Al Saoud -
10 000 princes et princesses - épaulés par les oulemas, dont les plus prestigieux se recrutent dans
la famille Al Cheikh, celle des descendants du fondateur du wahhabisme, Mohamed Ibn Abdel
Wahhab. La famille royale joue un rôle important et peut même déposer le roi : Saoud,
successeur de Abdel Aziz Ibn Saoud, fut ainsi évincé en 1964. Elle a également connu des
contestations radicales dans les années 60, avec la constitution de l'organisation des " Émirs
libres " - par référence aux Officiers libres, arrivés au pouvoir au Caire en 1952 - qui se rallièrent
à Nasser. La famille est divisée en clans, suivant la lignée de trois des femmes d'Abdel Aziz Ibn
Saoud : les Soudayri, les Shammar - un des plus importants groupements tribaux du nord du
Nadj -, les Djilouwi. Au premier, le plus puissant au début des années 90, se rattachent le roi et
ses frères - notamment Sultan, le ministre de la Défense, Salman, le gouverneur de Riyad, et
Nayef, le ministre de l'Intérieur. Au deuxième appartient le prince héritier Abdallah,
commandant de la Garde nationale. Les Djilouwi, dont faisait partie le roi Khaled auquel Fahd a
succédé en 1982, semblent pour l'instant sur la touche. La maladie du roi à la fin de 1995, jamais
vraiment définie, aboutit à une régence du prince Abdallah, à partir du 1er janvier 1996. Celle-ci
devait s'achever le 22 février, avec un retour de Fahd aux affaires, malgré les rumeurs
persistantes sur son incapacité intellectuelle à assurer sa charge. Les raisons de ce retour seraient
à imputer aux divergences qui ont opposé le prince Abdallah à une partie des Soudayri. Si la
réputation d'Abdallah comme " nationaliste arabe " est surfaite - la Garde nationale a été
modernisée par les États-Unis et reste encadrée par de nombreux conseillers américains -, il n'en
a pas moins de solides relations avec la Syrie et, surtout, il est moins corrompu que Sultan. Ce
sont certaines de ses initiatives durant les deux premiers mois dans le domaine de la lutte contre
la corruption qui auraient suscité le retour de Fahd. De plus, une nouvelle rivalité est apparue
entre Sultan et Salman pour savoir qui serait l'héritier à la mort d'Abdallah. À ces divisions
s'ajoutent celles des générations : les hommes au pouvoir, les fils d'Ibn Saoud, seront bientôt
remplacés par une troisième génération que symbolise le prince Bandar bin Sultan, fils du
ministre de la Défense et ambassadeur à Washington. " Bédouin américanisé ", selon la presse
d'outre-Atlantique, il est le prototype de ces émirs formés dans les meilleures universités
américaines, mais sans doute plus coupés que leurs parents de leurs racines et des aspirations de
leur peuple. La Loi fondamentale, adoptée le 1er mars 1992, leur a ouvert la voie du trône : la
succession est officiellement ouverte aux fils et aux petits-fils d'Ibn Saoud. Les princes
accaparent les postes militaires sensibles et les ministères décisifs, à l'exception de ceux de la
Justice et de l'Éducation qui reviennent à la famille des Al Cheikh (celle des descendants du
fondateur du wahhabisme) ainsi que le poste de cadi suprême, chef des juges, qui délivre les
fatwas, les avis juridiques. Le remaniement ministériel d'août 1995, qui a vu la nomination de
nombreux technocrates, n'a pas diminué l'emprise de la famille royale sur les postes clefs.
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SARTAOUI (Issam)
Né en 1934 à Saint-Jean-d'Acre (Palestine), Issam Sartaoui se réfugie en Irak, avec sa
famille, en 1948 à la suite de la guerre. C'est là qu'il achève en 1960 ses études de médecine. Il se
rend alors aux États-Unis, où il devient un des meilleurs spécialistes des problèmes cardio-
vasculaires. Dès l'annonce de la guerre des Six Jours en 1967, il décide de quitter les États-Unis
et de se consacrer à son peuple. Le 10 juin 1967, il arrive au Moyen-Orient où il rejoint les rangs
du Fath. Mais, nassérien et panarabiste convaincu, il n'accepte pas les théories " régionalistes "
de cette organisation. À l'automne 1968, il crée sa propre Organisation d'action pour la libération
de la Palestine. Après l'éviction de l'OLP de Jordanie, en 1970-1971, Sartaoui dissout son
groupe et rejoint à nouveau le Fath. C'est en 1976 qu'il est chargé par Arafat lui-même d'une
mission importante : rencontrer des représentants de la gauche sioniste. Ce qu'on appellera les "
conversations de Paris " débute en juillet 1976. D'un côté, Sartaoui et Sabri Jirys, un intellectuel
palestinien qui a longtemps vécu en Israël ; de l'autre, le général Matityahou Peled, Arie (Lova)
Eliav, ancien secrétaire général du Parti travailliste, Meïr Païl, député, Ouri Avnery et Jacob
Arnon. Un homme sert d'intermédiaire, Henri Curiel. Ces conversations, qui vont se poursuivre
jusqu'au printemps 1977, ont une portée réelle. Chez les Palestiniens, elles marquent un pas
supplémentaire vers la reconnaissance du fait national israélien. Chez les Israéliens, elles
confirment - et renforcent - l'existence, aux côtés du PC, d'un " camp de la paix " sioniste prêt à
accepter l'OLP. Mais les limites sont aussi évidentes. La délégation israélienne n'a aucun
caractère officiel (même si le Premier ministre Rabin était tenu au courant du déroulement des
pourparlers). Si la partie palestinienne disposait de l'aval de Yasser Arafat, celui-ci ne souhaitait
pas - ou plutôt ne pouvait pas, compte tenu des rapports de forces dans l'OLP - les rendre publics.
Après l'arrivée de Menahem Begin au pouvoir, les contacts seront maintenus, grâce à Issam
Sartaoui, malgré les violentes attaques du Front du refus et les anathèmes du Likoud. Ils sont
relancés après le départ des Palestiniens de Beyrouth et, en janvier 1983, pour la première fois,
Yasser Arafat rencontre une délégation composée du général Peled, d'Ouri Avnery et du Dr
Arnon. Quelques mois plus tard, le Dr Sartaoui paiera de sa vie son courage politique : le 10 avril
1983, durant le congrès de l'Internationale socialiste (avec laquelle il assure les contacts pour
l'OLP), il est assassiné par les hommes d'Abou Nidal.
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SEPTEMBRE NOIR
Désigne à la fois les événements de septembre 1970, qui aboutissent à l'écrasement de
l'OLP par l'armée jordanienne, et une organisation palestinienne qui vit le jour à la suite de ceux-
ci. C'est en Jordanie que les fedayin ont installé leurs bases après la guerre des Six Jours en 1967,
et de là qu'ils mènent leurs actions armées contre Israël. Mais, très vite, le problème des relations
entre la Résistance palestinienne et le régime du roi Hussein est posé. La Jordanie subit en effet
de dures représailles israéliennes. Le roi voit se développer sans sympathie un contre-pouvoir qui
sape son autorité et s'oppose à ses tentatives de règlement politique. Les affrontements entre les
forces jordaniennes et palestiniennes se multiplient. La crise est inévitable. Le prétexte en sera le
plan Rogers - du nom du secrétaire d'État américain - qui reprend les grandes lignes de la
résolution 242. Nasser et le roi Hussein l'acceptent durant l'été 1970, alors que l'OLP, unanime,
le rejette. Le FPLP de George Habache pense qu'il faut hâter l'affrontement et prendre le pouvoir
à Amman. Le 7 septembre 1970, ses commandos détournent trois avions des lignes
internationales vers la ville de Zarka, au nord de la Jordanie. L'aéroport est proclamé " zone
libérée ". Bien que, à la demande de Yasser Arafat, le FPLP ait été suspendu des instances de
l'OLP, le piège se referme sur l'ensemble de celle-ci, avec qui le roi Hussein a décidé d'en finir.
Le 16, il forme un gouvernement militaire et l'armée reçoit l'ordre d'intervenir. Les combats,
d'une violence inouïe, font des milliers de victimes civiles palestiniennes ; ils se poursuivent
jusqu'au 27 septembre. Moins d'une année plus tard, l'OLP est totalement évincée de Jordanie.
C'est le 28 novembre 1971, au Caire, qu'un commando palestinien assassine le Premier ministre
jordanien, Wasfi Al Tal : l'organisation Septembre noir est née. Créée par le Fath, elle effectue
une quarantaine d'opérations en dehors d'Israël, dont la plus spectaculaire sera le massacre des
athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972. Pour Abou Iyad, un des dirigeants
du Fath, " l'organisation a agi en auxiliaire de la Résistance, à un moment où cette dernière
n'était plus en mesure d'assurer pleinement ses tâches militaires et politiques. (...) Ses membres
traduisaient bien les profonds sentiments de frustration et d'indignation qui animaient tout le
peuple palestinien face aux tueries de Jordanie et aux complicités qui les ont rendues possibles...
" L'organisation Septembre noir disparaîtra après la guerre d'octobre 1973. Elle aura contribué à
identifier durablement, dans l'opinion internationale, les Palestiniens au terrorisme.
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SIONISME
De " Sion ", colline de Jérusalem et symbole de la Terre promise. Doctrine et mouvement
visant au rassemblement des Juifs en Palestine dans leur État, le sionisme a trouvé sa première
expression politique en 1896 dans L'État des Juifs de Theodor Herzl, sa première traduction
cohérente en 1897 avec le Congrès sioniste mondial, et sa première victoire, historique, le 14 mai
1948, lorsque naquit l'État d'Israël. Le fondement originel du sionisme est le lien qui, selon ses
tenants, unit les Juifs à la Terre sainte. Les royaumes juifs fondés en Palestine vers l'an 1 000
avant J.-C. avaient péri sous les coups successifs des Assyriens, des Babyloniens et des Romains.
L'écrasement de la révolte de Bar Kokhba, en 135 après J.-C., donne le signal du départ pour la
majorité des populations hébraïques. Une petite minorité demeure à Jérusalem, Safed, Tibériade
et Hébron : malgré les pèlerins venus la rejoindre, et surtout les exilés de la péninsule Ibérique, à
la fin du XVe siècle, la communauté juive de Palestine ne comptera encore qu'une dizaine de
milliers d'âmes au début du XIXe siècle. Les autres forment, à travers le monde entier, la
Diaspora - dispersion (en grec)... Le souvenir de la " patrie perdue " et le désir d'y revenir sont
longtemps entretenus par la seule religion : " L'an prochain à Jérusalem " prient chaque année
les croyants. À la croisée des XVIIIe et XIXe siècles, le projet de " retour " devient plus
politique. C'est Napoléon qui, lors de sa campagne d'Égypte, appelle les Juifs à " se ranger sous
ses drapeaux pour rétablir l'ancienne Jérusalem ". Si cette cause est défendue par les saint-
simoniens, lord Byron, Disraeli et le secrétaire de Napoléon III, elle s'incarne surtout désormais
dans l'oeuvre de penseurs tels que l'Allemand Moïse Hess (Rome et Jérusalem, 1862) et le Russe
Léon Pinsker (L'Auto-émancipation, 1882). Les Amants de Sion, qu'inspire ce dernier, sont à
l'origine de la première aliya qui draine 20 à 30 000 Juifs de l'Empire tsariste vers la Palestine,
entre 1882 et 1903. Avec ces émigrants et l'aide du baron Edmond de Rothschild, ainsi que les
investissements d'autres entrepreneurs juifs, une colonisation, surtout agricole, des terres
bibliques commence. C'est le journaliste viennois Theodor Herzl qui donne au mouvement une
théorie et une organisation, ainsi qu'une " diplomatie ". L'Organisation sioniste avec son Fonds
national juif, chargé de l'achat de terres palestiniennes, matérialise le projet. " Vers 1900, relève
Maxime Rodinson, les projets colonisateurs n'étaient pas affectés, comme aujourd'hui, d'une
auréole défavorable. " Quatre hypothèses fondent l'édifice bâti par Herzl : l'existence d'un
peuple juif, l'impossibilité de son assimilation par les sociétés dans lesquelles il vit dispersé, son
droit sur la " Terre promise " et l'inexistence sur cette terre d'un autre peuple qui aurait lui aussi
des droits. Pour les tenants du sionisme, il y a là autant d'évidences que leurs adversaires, en
revanche, jugent fausses - et qui, aux yeux de certains, justifient l'assimilation du sionisme à une
forme de racisme, comme l'affirmait la résolution, très contestée, votée par l'Assemblée générale
de l'ONU en 1975 (et annulée en 1991). Walter Laqueur, l'auteur d'une monumentale Histoire du
sionisme, note très justement en conclusion de son ouvrage : " Cette foi peut être acceptée ou
rejetée : elle ne peut être que dans une mesure très limitée l'objet d'une discussion rationnelle.
(...) Le sionisme a élaboré une idéologie, mais ses prétentions "scientifiques" sont inévitablement
peu concluantes. " Il est vrai que le débat sur la notion même de Juif reste ouvert : hormis la
religion, dont tous ne sont pas des fidèles, et qui ne suffit sans doute pas à caractériser un peuple,
quels seraient les critères unificateurs de cette réalité " nationale " ? Raciaux ? Territoriaux ?
Linguistiques ? La question de l'assimilation est également controversée : brutalement
interrompue par la vague antisémite de la fin du siècle dernier, puis par le génocide, elle ne s'en
était pas moins nettement affirmée. Elle a même repris au lendemain de l'extermination nazie. Un
dirigeant sioniste comme Nahum Goldmann est allé jusqu'à évoquer publiquement le " danger "
d'une " désintégration des communautés juives " et de leur " perte de conscience d'être partie du
peuple juif " (26 mai 1959). Aux sionistes insistant sur la résurgence permanente des discours et
des actes antijuifs comme preuve de la nécessité de l'État juif, leurs opposants répondent par le
choix qu'a fait l'immense majorité des Juifs de rester dans leur pays et - pour beaucoup - de s'y
assimiler. Le problème, enfin, des droits sur la Palestine se lit de manière plus contradictoire à la
lumière de l'interminable conflit israélo-arabe : la référence au texte sacré d'une religion (sur
trois) et à une occupation (parmi douze) n'est pas parvenue à légitimer la prétention unilatérale à
la Terre sainte, exclusive en outre d'un autre peuple dont on niait jusqu'à l'existence. Maxime
Rodinson admet que " les souffrances juives peuvent justifier - peut-être - l'aspiration de certains
Juifs à former un État indépendant. Mais cela ne peut paraître aux Arabes une raison suffisante
pour que cet État soit formé à leurs dépens ". Ils n'eurent, ajoute-t-il, pas grand-chose à voir dans
les persécutions antijuives. Si ses principes ont donc pu être discutés, le sionisme a en tout cas
connu un certain développement, tant dans son influence et son organisation hors de Palestine
que dans la construction, en Palestine, du foyer national juif, avant d'aboutir à l'État. À l'origine
du succès, il y a à la fois la misère des masses juives en Europe centrale et orientale, et, à partir
de 1882, la nouvelle vague antisémite des horribles pogroms : en témoigne le poignant reportage
d'Albert Londres, Le Juif errant est arrivé. L'exclusion économique des Juifs se double ainsi
d'une violente exclusion politique, à travers les massacres auxquels, en Europe de l'Ouest,
l'affaire Dreyfus renvoie comme un écho. La désillusion est à la mesure de l'illusion propagée, en
Occident, par l'émancipation des Juifs à l'initiative de la Révolution française... " Le sionisme,
résume Abraham Léon (La Conception matérialiste de la question juive) est né à la lueur des
incendies provoqués par les pogroms russes de 1882 et dans le tumulte de l'affaire Dreyfus, deux
événements qui reflétèrent l'acuité que commence à prendre le problème juif à la fin du XIXe
siècle. " Mais le progrès du sionisme tient également à l'instrument que voient en lui les
puissances européennes : la Grande-Bretagne pour s'enraciner plus encore au Proche-Orient et
protéger Suez, la Russie des tsars pour freiner la contagion révolutionnaire (dont bien des
instigateurs sont d'origine juive), l'Allemagne dont les dirigeants rêvent de se débarrasser d'une
communauté juive nombreuse et influente, le sultan ottoman qui cherche de quoi remplir ses
caisses vides. À chacun de ses partenaires, Theodor Herzl saura montrer combien le projet
sioniste correspond à ses intérêts. Surtout à Londres, car, écrit Herzl dans son Journal en 1900, "
la libre et puissante Angleterre, dont le regard embrasse les sept mers, nous comprendra, nous et
nos aspirations. C'est d'ici, nous pouvons en être sûrs, que le mouvement sioniste prendra son
essor vers de nouveaux et plus hauts sommets ". Et ses successeurs en feront autant, en premier
lieu avec Londres qui, jusqu'en 1939, demeurera le principal allié des sionistes, même si le souci
britannique de ne pas se compromettre aux yeux des Arabes rend l'alliance souvent conflictuelle.
Mais sa base est solide : protégeant le canal, " l'Angleterre, s'écriera Haïm Weizmann, aura une
barrière solide, et nous aurons un pays ". C'est évidemment du génocide que l'idée sioniste tirera
sa pleine légitimité et la force de se réaliser. Après l'extermination de 6 millions de Juifs dans
l'indifférence quasi générale, l'Europe et l'Amérique, dont les opinions sont bouleversées,
conviennent de la nécessité de créer un État juif et un État arabe en Palestine. Seul le premier
verra le jour, conformément d'ailleurs aux revendications initiales du mouvement sioniste. Mais
cette naissance unique portait elle-même en germe la crise que subit aujourd'hui le sionisme : les
secousses déclenchées dans la Diaspora par l'invasion du Liban, en 1982, en ont été un signe
annonciateur. " Le sionisme, remarque Marcel Liebman dans Né Juif, se heurte à une double
objection, que les faits eux-mêmes ne cessent de lui opposer. Se fixant pour but de donner aux
Juifs un havre de paix, le sionisme a créé un État qui n'a pas cessé de vivre dans la précarité. "
La cause, poursuit le professeur belge disparu, c'est la spoliation des Palestiniens, avec ses
conséquences. Et il ajoute : " Dans sa tentative de rassembler en un seul État les Juifs du monde
entier, le sionisme n'a pas davantage réussi. " Conclusion, à propos de ses enfants et de leur
judéité supposée : " Pourquoi faudrait-il braquer sur eux les lumières aveuglantes qui reflètent
les incendies d'hier ? Oui, d'hier. " Le fait est que, plus de quatre-vingts ans après la mort de
Theodor Herzl, si l'État juif existe, il ne regroupe qu'une minorité - un tiers environ - du " peuple
" qu'il était censé accueillir. Encore les Israéliens ne forment-ils pas un ensemble monolithique
mais, comme le notait Henri Curiel (Pour une paix juste au Proche-Orient), ils sont divisés en "
deux éléments dont les aspirations sont différentes, sinon opposées. Le premier de ces éléments
est constitué par les véritables sionistes, c'est-à-dire ceux qui se sont rendus en Israël à la seule
fin d'y édifier un État juif (...). Le second élément, qui forme la majorité de la population juive en
Israël, est constitué par des Juifs qui s'y sont établis parce qu'ils n'avaient nulle part d'autre où
aller ". Pour le sionisme, le bilan est-il positif ?...
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SOUDAN
Bilad Al Soudan, le pays des Noirs : c'est ainsi que les géographes musulmans du Moyen
ge désignaient les contrées au sud de l'Égypte. Les souverains égyptiens les conquièrent, au XIXe
siècle, en deux temps : entre 1820 et 1822, Muhammad Ali s'empare de la partie nord de l'actuel
Soudan ; quarante années plus tard, le khédive Ismaïl, après avoir pris possession de la zone
côtière de la mer Rouge, étend l'administration du Caire au sud, qui sera divisé en trois provinces
: Haut-Nil, Bahr al Ghazal et Equatoria. Mais, à peine la conquête achevée, un immense
mouvement de révolte se propage dans tout le pays. Mohamed Ahmad Ibn Abdallah se proclame
mahdi, envoyé d'Allah, lève ses partisans - les Ansars - et, entre 1881 et 1883, prend le contrôle
de la quasi-totalité du pays. À l'époque, l'Égypte est envahie par les Anglais, et la " reconquête "
du Soudan par les troupes anglo-égyptiennes ne s'achève donc qu'en 1898. Cet épisode contribue
décisivement à l'émergence d'un mouvement nationaliste soudanais, donnant naissance à une
grande confrérie religieuse, la Mahdiyya, dirigée par les descendants du Mahdi et qui constitue
encore un pivot de la vie politique du pays. En janvier 1899, le Soudan passe sous le contrôle
d'un condominium anglo-égyptien, dans lequel le rôle du Caire est largement fictif. Le
nationalisme commence à s'affirmer après la Première Guerre mondiale, avec la création de la
Ligue du drapeau blanc. Mais ce sont surtout les deux grandes confréries religieuses, la
Mahdiyya et la Khatmiyya (favorable à l'union du Soudan avec l'Égypte) qui animent le
mouvement grâce auquel le Soudan obtient, le 1er janvier 1956, l'indépendance. Un système
parlementaire de type britannique est mis en place, dominé par deux partis, l'Oumma et le Parti
national unioniste, émanation respectivement de la Mahdiyya et de la Khatmiyya. Mais leur
incapacité à résoudre le problème du Sud (voir infra) et à surmonter la crise économique
engendre, le 17 novembre 1958, le coup d'État militaire du général Ibrahim Abboud. Cette
dictature s'effondre, en octobre 1964, à la suite d'une grève générale insurrectionnelle animée par
le puissant Parti communiste. Le système parlementaire est rétabli, mais bute sur les mêmes
difficultés que le régime militaire. Et, le 25 mai 1969, Jaafar Al Nemeiry et les " Officiers libres
" s'emparent du pouvoir. Proche de Nasser, le nouveau dirigeant engage le pays dans une voie
radicale : nationalisations, rapprochement avec les pays socialistes, sanglants affrontements avec
les confréries... Mais, au cours des deux premières années de sa présidence, Nemeiry croise
également le fer avec le PC. Le 19 juillet 1971, des officiers d'extrême gauche s'emparent du
pouvoir. Pour soixante-douze heures : leur mouvement sera noyé dans le sang, le PC démantelé
et ses dirigeants, notamment le secrétaire général Abdel Khaliq Mahjoub, pendus. La révolte du
Sud Le Soudan méridional, composé des trois provinces du Bahr Al Ghazal, du Haut-Nil et de
l'Equatoria, s'étend sur 650 000 kilomètres carrés, un territoire plus vaste que la France. Loin de
constituer un ensemble unifié, le Sud est divisé en une multitude d'ethnies : Dinkas, Nuers,
Shilluks... Majoritairement animiste, la population comprend aussi 10 % à 20 % de chrétiens.
Délaissées, et longtemps isolées du reste du pays par la Grande-Bretagne, ces provinces
développent un certain sentiment de solidarité contre le Nord, arabe et musulman. Le 18 août
1955, à la veille de l'indépendance, l'Equatoria Corps se mutine à Juba, principale ville du Sud.
Commence alors une longue guerre, qui dure jusqu'en 1972, faite de cessez-le-feu, de coups de
main, de massacres... Et aussi d'ingérences étrangères : Israël d'abord, puis les États-Unis et
l'Éthiopie, après l'accession de Nemeiry au pouvoir, aident les rebelles. Finalement, un accord
intervient en mars 1972 à Addis-Abeba : il prévoit la mise en place d'une région unifiée du Sud "
autogouvernée " à l'intérieur de la République et la mise en place d'" organes législatifs et
exécutifs " locaux. La paix dure dix ans, mais le pouvoir central ne fait rien pour la consolider :
le développement économique et social du Sud est négligé et la misère reste le lot du plus grand
nombre de ses habitants. La décision de Nemeiry, en octobre 1983, d'appliquer la charia, la loi
islamique, soulève une réprobation d'autant plus grande que le pouvoir vient de décider de
redécouper le Sud en trois provinces, contrevenant ainsi à la lettre et à l'esprit des accords
d'Addis-Abeba. Cette année-là se déclenche le soulèvement du colonel John Garang et se crée le
Mouvement de libération du peuple du Soudan (MLPS) qui, en quelques mois, étend son
influence et tient en échec l'armée. Cette rébellion accélérera la chute de la dictature. Après les
accords d'Addis-Abeba, Nemeiry s'était retrouvé seul maître à bord. Plusieurs tentatives de coup
d'État, fomentées en 1975 et 1976 par l'opposition de droite - en particulier le parti Oumma et les
Frères musulmans -, l'incitent à tenter, en 1977, une réconciliation nationale. Sadiq Al Mahdi, le
dirigeant de la confrérie de la Mahdiyya, et Hassan Al Tourabi, le chef des Frères musulmans,
rentrent donc à Khartoum. Mais le système de parti unique est maintenu, et l'Union socialiste
soudanaise garde le monopole du pouvoir. Sur le plan régional et international, le pouvoir se lie
de plus en plus à la stratégie américaine, intervenant au Tchad aux côtés de Hissène Habré et en
Éthiopie aux côtés des Érythréens. Mais c'est avant tout l'échec économique et la reprise de la
rébellion au sud qui causeront sa chute : la famine, cachée à l'opinion internationale, touche des
millions de personnes ; la dette dépasse 9 milliards de dollars ; les prix des produits de première
nécessité flambent. À la fin du mois de mars 1985 éclatent des manifestations contre la vie chère.
Les principaux syndicats professionnels appellent à la grève, dont l'aboutissement sera, le 6 avril,
la constitution d'un Conseil militaire transitoire qui s'engage à remettre, avant un an, le pouvoir
aux civils. Nemeiry se réfugie en Égypte. En avril 1986 se déroulent les premières élections
libres depuis près de vingt ans. Le parti Oumma, de Sadiq Al Mahdi, l'emporte et installe un
gouvernement de coalition avec l'autre grande force, le Parti unioniste démocratique lié à la
confrérie des Khatmiyya. Le Front national islamique (créé en 1985 par les Frères musulmans,
mais qui a permis d'unir des groupes musulmans assez divers), quant à lui, remporte 51 sièges,
tandis que les communistes sont marginalisés. Mais, si le parlementarisme est rétabli et si
Khartoum suit une politique étrangère plus équilibrée, la crise économique s'aggrave avec
l'adoption du programme d'ajustement structurel imposé par le Fonds monétaire international, et
le mécontentement croît. La guerre au sud s'étend malgré les diverses médiations, du fait du refus
du gouvernement d'entamer de véritables négociations avec le MLPS. Les tergiversations de
Sadiq Al Mahdi - qui n'hésite pas à faire entrer les Frères musulmans au gouvernement -
aggravent la crise. Une nouvelle fois, l'armée s'empare du pouvoir, le 30 juin 1989. Le Conseil
de commandement de la révolution de salut national, présidé par le général Omar Hassan Al
Béchir, ne se place pas " au-dessus des partis ". S'il suspend toute vie démocratique ainsi que les
libertés individuelles et collectives, il permet et encourage les activités du Front national
islamique, dirigé par Hassan Al Tourabi, qui exerce une influence prépondérante sur les
nouveaux dirigeants. Khartoum, qui appuie l'Irak durant la guerre du Golfe, devient un carrefour
pour tous les mouvements islamistes radicaux. Accusé par Washington de soutenir le terrorisme,
le régime est mis en cause par l'Égypte lors de l'attentat manqué contre le président Hosni
Moubarak, le 26 juin 1995, à Addis-Abeba. Le 26 avril 1996, le conseil de sécurité de l'ONU
adopte un certain nombre de sanctions contre Khartoum, qui entrent en oeuvre le 10 mai 1996.
Le 16 août, il décide d'imposer, dans les trois mois, un embargo sur les vols de la Sudan Airways
si Khartoum ne livre pas trois suspects. Ni l'expulsion du terroriste Carlos, le 15 août 1994 vers
la France, ni la réconciliation partielle entre Le Caire et Khartoum lors du sommet arabe de juin
1996, ni les mesures prises par le Soudan contre certains opposants arabes (notamment
l'expulsion de Oussama bin Laden, un des principaux membres de l'opposition islamiste
saoudienne) ne semblent suffisantes pour arrêter les États-Unis. Le pouvoir islamiste, après avoir
muselé l'opposition, a lancé de vigoureuses offensives militaires au Sud, remportant certains
succès et réussissant même à jouer sur les divisions internes de l'ALPS, dont différentes factions
se séparent. Certaines, notamment le Mouvement pour l'indépendance du Sud du Soudan, dirigé
par Riek Mashar, rejettent désormais la solution fédérale. Cette guerre coûte cher et ne débouche
sur aucune victoire décisive, tandis que les diverses médiations n'aboutissent qu'à de faux accords
de paix. La tension persistante contribue à distendre les relations du Soudan avec ses voisins -
Éthiopie, Ouganda, Érythrée - et à aggraver une situation économique dramatique. Avec une
dette de 17 milliards de dollars, une inflation galopante, une livre à la dérive, le pays connaît
d'énormes difficultés sociales, qui se sont traduites, notamment en novembre 1995 et durant l'été
1996, par de violentes manifestations. Malgré des élections sous contrôle tenues en mars 1996, le
pouvoir semble avoir perdu toute légitimité. Sa force essentielle réside, outre ses appareils de
répression et d'encadrement de la population, relativement efficaces, dans les divisions de
l'opposition, en principe regroupée au sein d'une Alliance nationale démocratique, mais incapable
d'offrir une solution de rechange. Toutefois, le 10 juin 1996, pour la première fois, l'opposition
intérieure transmettait un mémorandum au gouvernement dénonçant la prise de pouvoir de 1989
comme " un acte criminel " et le menaçant d'une nouvelle insurrection comme celles qui, en
1964 et en 1985, avaient mis fin aux dictatures militaires. Le Soudan s'étend sur 2,5 millions de
kilomètres carrés et compte 26,6 millions d'habitants, dont 15 % à 20 % sont des Sudistes. Le
Nord est en majorité musulman et arabe - mais on compte des minorités nubienne, beja, et fur
non arabophones. Le Sud, lui, est noir et animiste - avec une minorité chrétienne. À la population
soudanaise, il convient d'ajouter un nombre important de réfugiés - 600 000 - venant d'Érythrée,
du Tchad, d'Ouganda. Les ressources du pays sont pour l'essentiel agricoles : coton, gomme
arabique... La société américaine Chevron a découvert, au sud, du pétrole, qui ne peut toutefois
être exploité, du fait de la guerre civile.
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SYKES-PICOT (accords)
Accords secrets conclus en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne puis ratifiés par la
Russie, en vue du partage de l'Empire ottoman, allié de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie au
cours de la Première Guerre mondiale. Complétés par les accords de Saint-Jean-de-Maurienne
auxquels se joint l'Italie, ils répartissent les zones d'influence des puissances victorieuses : - la
Russie s'est réservé le nord-est de l'Empire, et, à l'ouest, Constantinople, la côte ouest du
Bosphore, la mer de Marmara, les Dardanelles, ainsi qu'une partie de la côte d'Asie Mineure et de
la mer Noire. Le port de Constantinople et les détroits restent cependant libres à la navigation des
flottes alliées ; - la Grèce et l'Italie obtiennent, l'une une petite zone, autour de Smyrne, à l'ouest
de l'Anatolie, l'autre tout le sud de l'ancienne Turquie ; - la France s'adjuge la Cilicie et le vilayet
d'Adana, la bande côtière libano-syrienne ainsi qu'une zone d'influence correspondant à l'actuelle
Syrie, plus la région pétrolifère de Mossoul, que Clemenceau rétrocédera en 1918 aux
Britanniques ; - la Grande-Bretagne s'attribue l'est de la Mésopotamie, l'ouest entrant dans sa
zone d'influence de même que le territoire de l'actuelle Jordanie, ces deux zones devant former
un État ou une Confédération d'États arabes ; - la Palestine, enfin, serait internationalisée, les
ports de Haïfa et Saint-Jean-d'Acre revenant à la Grande-Bretagne ; - seule la péninsule
Arabique, sous direction hachémite, deviendrait indépendante. Les accords Sykes-Picot
contredisaient, il est vrai, les engagements pris par la Grande-Bretagne auprès des Arabes. Mais
leur auteur britannique, Mark Sykes, n'écrivait-il pas alors à lord Curzon : " Mon ambition est
que les Arabes soient notre premier dominion - et non notre dernière colonie - à peau bronzée.
Les Arabes réagissent contre vous si vous essayez de les mener, et ils sont aussi tenaces que les
Juifs, mais on peut les conduire partout sans user de force si c'est théoriquement bras dessus
bras dessous. " Comme bien des peaux d'ours vendues avant la mort de l'animal, les accords
Sykes-Picot n'entreront que partiellement en vigueur. Les révolutionnaires soviétiques
dénonceront en 1917 les engagements de leurs prédécesseurs au pouvoir. Les nationalistes turcs,
conduits par Moustapha Kemal, libéreront, de 1919 à 1922, l'Anatolie de ses occupants français,
italiens et grecs installés après l'armistice. Mais, pour le reste, la carte ainsi dessinée fournira le
cadre des affrontements de l'entre-deux-guerres " accoucheuse des nations ", cadre fixé par la
conférence de San Remo (avril 1920), le traité de Sèvres (août 1920) et sa ratification par la
Société des nations (juillet 1922).
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SYRIE
Le 3 octobre 1918, l'émir Faysal, fils du chérif Hussein, entre à Damas à la tête de ses
troupes. Ayant combattu l'armée turque, il souhaite édifier cet État arabe indépendant que lui ont
promis les Anglais. Mais, le 24 juillet 1920, l'armée française met fin à ce rêve et le chasse de
Damas : le mandat de Paris sur la Syrie commence. Outre le Liban, le territoire est divisé en
quatre États (Damas, Alep, État alaouite, djebel druze) qui ne seront réunifiés qu'en décembre
1936. À la veille de la guerre, et pour se concilier les bonnes grâces de la Turquie, la France cède
à celle-ci le sandjak d'Alexandrette, ce que les nationalistes syriens ne lui pardonneront pas. La
présence française ne survivra pas de beaucoup à la fin de la Seconde Guerre mondiale et, en
1946, les dernières troupes étrangères quittent le pays. Les premières années de la jeune
République sont plus que troublées. La défaite de Palestine et l'échec des troupes syriennes qui
sont intervenues provoquent l'effondrement du régime parlementaire et le premier coup d'État
militaire, le 30 mars 1949. Pendant cinq ans, les dictatures militaires vont se succéder jusqu'à la
restauration de la démocratie et la tenue d'élections en 1954. Elles indiquent une poussée des
forces nouvelles (baasistes, nationalistes, communistes...) au détriment des courants traditionnels
et conservateurs. Le nouveau pouvoir se rapproche alors de l'Égypte nassérienne et de l'URSS, et
condamne violemment l'expédition anglo-française de Suez. Face à l'axe hachémite pro-
occidental Amman-Bagdad, les dirigeants syriens se prononcent pour l'unité totale avec l'Égypte.
Le 1er février 1958, un nouvel État voit le jour, la République arabe unie (RAU) dont Nasser est
le président et le véritable maître. Mais l'expérience sera de courte durée : le 28 septembre 1961,
l'armée syrienne y met fin. Le 8 mars 1963, un nouveau coup d'État porte le Baas au pouvoir.
Les premières réformes (nationalisations, réforme agraire...) ébranlent l'ordre social, suscitant de
vives réactions de la bourgeoisie. Pourtant, l'équipe en place est remplacée le 23 février 1966 par
une autre, toujours baasiste, mais encore plus radicale. Les nouveaux dirigeants, le Dr Jamal
Atassi et Salah Jdid, se réclament d'un socialisme pur et dur, et d'une grande intransigeance face
à Israël. La Syrie participe à la guerre de juin 1967 : elle y perd le plateau du Golan occupé par
l'armée israélienne. Malgré sa défaite, elle maintient un discours radical qui l'isole de ses
partenaires arabes. À cette politique s'oppose le général Hafez Al Assad, le puissant ministre de
la Défense. Après une longue lutte interne, il s'empare du pouvoir le 13 novembre 1970. En
quelques années, le nouveau président assoit son autorité et celle de ses coreligionnaires alaouites
- et celle de l'armée - par l'intégration ou la liquidation de toutes les composantes de la vie
politique. Le 7 mars 1972 naît le Front national progressiste (FNP) composé du parti Baas, du
PC et de trois groupes nassériens. Cette " alliance " assure l'hégémonie du parti Baas et, au fil des
ans, le FNP se vide de tout contenu et de toute influence. L'opposition politique, représentée
encore par quatre députés après les élections de 1973, disparaît du Parlement à celles de 1977.
Les petites organisations de gauche ou libérales ne résistent pas au rouleau compresseur baasiste.
La seule contestation radicale et dangereuse vient des organisations islamistes sunnites, qui
prêchent la guerre sainte contre un pouvoir dénoncé comme alaouite et qualifié d'athée. Deux
grandes vagues déferlent sur le pays. En 1973, les manifestants obtiendront l'inscription dans le
texte de la nouvelle Constitution que " l'islam est la religion du chef de l'État ". À partir de 1977,
un mouvement plus ample - sur fond de crise économique et politique consécutive à l'enlisement
syrien au Liban - relayé par des actions terroristes ébranle l'hégémonie du Baas. Il culmine dans
l'insurrection, noyée dans le sang, de la ville de Hama, en février 1982. Depuis, malgré un
mécontentement latent, aucune force n'a été à même de construire une opposition cohérente.
Dans le cadre de l'ouverture entamée dans les années 90, le pouvoir a fait voter par le parlement,
à la fin 1995, une loi d'amnistie : plusieurs milliers d'opposants, notamment des islamistes, ont
été libérés. Le retour au pays, après treize années d'exil, du cheikh Abdel Fatah Abou Ghoda,
guide spirituel des Frères musulmans, témoigne à la fois de la solidité du pouvoir et du
rapprochement esquissé avec les islamistes qui reconnaissent la " fermeté " du président Assad
dans les négociations avec Israël. La Syrie participe, aux côtés de l'Égypte, à la guerre d'octobre
1973. Elle y gagne la récupération d'une partie du Golan, et en profite pour normaliser ses
rapports avec les États-Unis. En 1976, les troupes syriennes interviennent aux côtés de la droite
maronite dans la guerre civile libanaise. Le pays du Cèdre constitue en effet le flanc ouest de la
Syrie, et offre un couloir d'accès à Homs et Hama. De plus, Damas le considère comme sa " zone
d'influence ", voire une partie de la " Syrie naturelle ", arrachée à la mère patrie par le
colonialisme. Après 1978-1979, le président Assad prend la tête de la croisade arabe anti-Camp
David, et cherche à occuper la place de l'Égypte laissée vacante en raison de l'ostracisme du
monde arabe. Malgré les performances limitées de ses troupes en juin 1982 face à l'armée
israélienne, la Syrie retourne la situation en sa faveur, obtient l'évacuation par l'État hébreu du
Liban - à l'exception de la " zone de sécurité " - et l'alliance des milices rivales. Elle reconstruit,
avec l'aide de Moscou, un potentiel militaire qui en fait un adversaire redoutable pour Israël, en
cas de guerre. Alliée à l'Iran, mais aussi à l'Arabie Saoudite, hostile au " régime frère " de
Bagdad, elle tente de s'imposer comme principal interlocuteur de toute négociation de paix. Plus
vite que de nombreuses capitales, Damas comprend la signification des bouleversements
engendrés par l'arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir. La Syrie, liée depuis 1980 à Moscou
par un traité d'amitié, voit s'effacer son plus solide allié et son principal pourvoyeur d'armes.
Désormais, le pays devra donc réduire considérablement ses dépenses militaires, qui passent de
plus de 20 % du PNB au début des années 80 à à peine 10 % au début des années 90. C'est donc
sans trop d'hésitations qu'elle choisit son camp lors de la crise du Golfe et envoie même un solide
contingent militaire en Arabie Saoudite. Elle retire très rapidement les fruits de ce " bon choix " :
son principal ennemi, Saddam Hussein, est considérablement affaibli ; elle obtient carte blanche
au Liban où elle impose l'élimination du général Michel Aoun ; elle reçoit d'importants subsides
des pays du Golfe et voit l'Europe lever les sanctions économiques imposées depuis 1986 en
raison de son implication dans le terrorisme. Mais, tout en participant à la conférence de paix
inaugurée à Madrid à l'automne 1991, la Syrie réaffirme ses positions de principe sur une paix
éventuelle : retrait israélien de tous les territoires arabes occupés en 1967, y compris le Golan ;
reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien. La victoire de la droite aux élections
israéliennes de mai 1996 risque de repousser pour longtemps toute paix sur le front syrien. Sur
une superficie de plus de 180 000 kilomètres carrés, la Syrie comptait en 1993 13,7 millions
d'habitants - le taux d'augmentation de la population entre 1963 et 1993 (3,4 %) est l'un des plus
élevés du monde. La mention confessionnelle ayant été supprimée des documents officiels, nous
ne possédons que des estimations dans ce domaine : sunnites 68 %, alaouites 12 %, chrétiens 10
%, Kurdes 6 %, druzes 2 %, autres 2 %. L'économie reste marquée par l'effort de guerre. Après
une politique socialisante et une importante réforme agraire dans les années 60, la Syrie s'est
engagée, comme l'Égypte mais sous des formes plus contrôlées, dans une politique d'infitah : en
1990, le secteur privé représente 44 % des exportations et 46 % des importations, mais l'Etat
continue à avoir la haute main sur toutes les décisions stratégiques. Pays agricole (importante
production de coton), elle s'est dotée d'un solide réseau d'infrastructures et d'une industrie légère
de transformation. La découverte de pétrole - avec une production de 610 000 barils par jour en
1995 - et les importants subsides des pays du Golfe assurent une relative prospérité. De plus, le
Liban, où travaillent plus d'un demi-million d'ouvriers syriens, est un poumon vital pour
l'économie.
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TAËF (accords de)


C'est à l'initiative de la commission tripartite de la Ligue arabe - composée de l'Algérie,
de l'Arabie Saoudite et du Maroc - que les députés libanais sont convoqués à la fin du mois de
septembre 1989 à Taëf, en Arabie Saoudite, pour discuter d'un projet de Charte nationale de
réconciliation. Sur les 73 députés (seuls survivants des 99 élus en 1972), 62 sont présents : 31
chrétiens et 31 musulmans. Les négociations durent près d'un mois et ce n'est que le 22 octobre
que des accords, dits de Taëf, sont finalement trouvés pour mettre fin à la guerre civile libanaise.
Les textes prévoient une réduction des pouvoirs du président maronite au profit du Conseil des
ministres et, surtout, du Premier ministre musulman sunnite et du président chiite du Parlement :
on installe à la tête du pays une troïka. Le Parlement, dont le nombre de sièges est porté à 128,
sera désormais composé à parts égales de chrétiens et de musulmans ; en attendant des élections,
les sièges vacants seront pourvus par cooptation. Dès l'élection du nouveau président et la
formation d'un gouvernement d'union nationale commenceront le désarmement des milices et
l'extension de l'autorité de l'État. La déconfessionnalisation du pays est certes évoquée, mais
comme un objectif lointain. Si la nécessité d'en finir avec l'occupation israélienne du Sud fait
l'unanimité, la présence syrienne a suscité de nombreux débats. Le texte, finalement, prévoit que
" les forces syriennes présentes au Liban termineront leur rôle de sécurité dans deux ans au
maximum [elles seront alors regroupées dans la Bekaa]. Le temps pendant lequel les forces
syriennes resteront dans ces régions sera précisé par l'accord qui devra être conclu entre les
deux gouvernements libanais et syrien ". Réuni le 5 novembre 1989 au Liban, le Parlement
ratifie le texte - malgré l'opposition du général Michel Aoun mais grâce à l'appui des dirigeants
chrétiens - et élit le président René Moawad ; assassiné le 22 novembre, celui-ci sera remplacé
quelques jours plus tard par Élias Hraoui. Le terme de l'Assemblée est prorogé jusqu'en 1994 et,
le 7 juin 1991, une quarantaine de nouveaux députés sont désignés pour siéger à l'Assemblée.
L'élimination du général Aoun en octobre 1990 permet d'accélérer le mouvement : Beyrouth est
réunifiée et les milices - à l'exception du Hezbollah - désarmées. La paix civile revient et les
Libanais se prennent à espérer, même si la tutelle syrienne sur le pays n'a jamais été aussi forte,
comme le montrent le Traité de fraternité et de coopération signé entre les deux pays le 22 mai
1991, ainsi que le maintien des troupes syriennes à Beyrouth.
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TAL AL ZAATAR
La bataille de Tal Al Zaatar (la colline du thym) sera l'épisode le plus long, le plus
sanglant de la guerre civile libanaise. Elle suscite une immense émotion dans le monde qui peut
suivre, jour après jour, cet impitoyable siège. Elle deviendra un symbole de la volonté de vivre
du peuple palestinien, de l'incroyable brutalité des Phalanges (voir Liban), et aussi du cynisme
des régimes arabes - en premier lieu celui de Damas. Tal Al Zaatar est un immense camp de
réfugiés, abritant 50 000 personnes, Palestiniens et chiites du Sud-Liban, situé dans la partie est
(chrétienne) de Beyrouth. Durant la guerre civile, les milices conservatrices décident d'"
homogénéiser " leur secteur de la capitale et donc d'éliminer les différentes enclaves " non
chrétiennes ". Le 22 juin 1976 commence le siège du camp défendu par l'OLP : il durera
cinquante-deux jours. C'est le 12 août et après plus de 70 assauts que Tal Al Zaatar tombe. Un
millier de Palestiniens, dont de nombreux civils, seront massacrés lors de cette capture. La
défaite des forces de l'OLP permet l'expulsion vers Beyrouth-Ouest du restant de la population du
camp ; Beyrouth-Est est devenu un secteur exclusivement chrétien. Mais la chute de Tal Al
Zaatar concrétise surtout le changement du rapport des forces en présence au Liban après
l'intervention des troupes syriennes, le 1er juin 1976, aux côtés des milices conservatrices.
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TERRORISME
" L'homme de l'année aurait pu s'appeler le terroriste ", écrivait en 1985 un journal de la
presse parisienne. Une décennie plus tard, le terrorisme recommence à hanter les opinions
publiques occidentales et constitue un cheval de bataille des gouvernements. Le 13 mars 1996, à
Charm El Cheikh (Égypte), au lendemain des attentats déclenchés par le Hamas en Israël, 26
nations se retrouvent pour condamner le terrorisme. Le 26 juin, à Lyon, les chefs d'Etat et de
gouvernement des sept pays les plus industrialisés, auxquels se joint la Russie, adoptent une
déclaration commune appelant à se mobiliser contre " ce défi majeur à la sécurité de l'ensemble
de nos sociétés ". Enfin, le 30 juillet, à Paris, une rencontre sans précédent se déroule : les
ministres des affaires étrangères et de l'intérieur du G-7 coordonnent l'action des juges et des
policiers. La toile de fond, c'est bien sûr la décision des États-Unis d'inscrire la lutte contre le
terrorisme en axe majeur de leur politique étrangère - ils n'hésitent pas à adopter des sanctions
unilatérales contre certains États accusés d'y avoir recours. Pourtant, à la simple question : "
Qu'est-ce que le terrorisme ? ", il est bien difficile de trouver, dans les déclarations des hommes
politiques ou dans la littérature spécialisée, une réponse univoque. Le terrorisme ne peut être
confondu avec l'utilisation de la violence. Un des premiers droits " naturels et imprescriptibles "
proclamés par la Révolution française et la Déclaration des droits de l'homme ne fut-il pas " la
résistance à l'oppression " ? De ce point de vue, on ne savait - sans une considérable mauvaise
foi - qualifier par exemple de terroriste la lutte en cours, dans le sud du Liban, contre une armée
d'occupation. Cette ambiguïté levée, il est possible, non sans quelque approximation, de qualifier
de terrorisme les actes de violence qui touchent des populations civiles innocentes dans le but de
créer un climat d'insécurité et d'atteindre certains objectifs politiques. Mais comment ranger dans
la même catégorie l'empoisonnement au gaz perpétré par la secte Aum dans le métro de Tokyo et
les voitures piégées de l'Armée républicaine irlandaise ? Les milices d'extrême-droite
américaines responsables de la tuerie d'Oklahoma relèvent-elles de la même logique que les
bombes de l'ETA basque ? A force d'" être appliqué à des types bien différents de violence, dont
certains, notamment sur le plan intérieur, n'ont pas de but politique ", le concept de terrorisme a
perdu de sa signification, note Adrian Guelke, un expert sud-africain (The Age of Terrorism) - il
affirme même qu'il s'est " désintégré. " Enfin, il ne faut pas oublier le terrorisme d'Etat
fréquemment utilisé au Proche-Orient : bombardements indiscriminés, déportations de
population, voitures piégées, ont été utilisés par les pouvoirs israélien, syrien, irakien, iranien,
etc. " Un gouvernement sincère doit admettre, notait un éditorialiste de l'hebdomadaire The
Economist, que le terrorisme met au jour souvent un grief légitime. " L'histoire l'a amplement
prouvé, les anciens " terroristes " sont devenus des dirigeants respectés. Menahem Begin et
Itzhak Shamir furent impliqués dans les années 40, dans des attentats meurtriers contre des civils
arabes, avant d'accéder aux plus hautes charges en Israël. Les " tueurs du FLN ", dénoncés, jour
après jour, par les autorités françaises et par la majorité des journaux, ont conduit l'Algérie à
l'indépendance. Plus récemment, d'autres exemples le confirment : ceux-là même qui agitèrent
longtemps l'épouvantail de la violence pour refuser tout compromis durent renoncer à leur
intransigeance. Le pouvoir sud-africain blanc a finalement traité avec l'ANC. Itzhak Rabin a
serré la main à Yasser Arafat, " un homme aux mains couvertes de sang juif " , et négocié avec
l'OLP - une organisation avec laquelle Washington refusa tout contact pendant plus de deux
décennies - pour tenter d'arracher le Proche-Orient à l'engrenage des haines. Historiquement,
c'est le caractère spectaculaire de ses méthodes qui marque l'action terroriste. Le détournement
d'avion est l'une d'elles. Inaugurée par le gouvernement Guy Mollet le 22 octobre 1956 - avec
l'atterrissage forcé de l'avion qui transportait, entre Rabat et Tunis, Ben Bella et plusieurs
dirigeants du FLN -, cette pratique fut relancée après la guerre israélo-arabe de 1967. Le 23
juillet 1968, le FPLP détourne le vol El Al entre Rome et Tel Aviv. Le Fath ne se ralliera à ce
type d'action qu'après le Septembre noir jordanien. En 1973, l'OLP et ses principales
composantes y renoncent ; seuls des petits groupes dissidents, dont celui d'Abou Nidal,
continuent à y avoir recours. Une nouvelle relance suivra l'invasion israélienne du Liban en
1982 ; des groupes chiites libanais se joignent aux desperados palestiniens. Le détournement, en
juin 1985, d'un Boeing de la TWA pendant seize jours sur Beyrouth puis, en octobre 1985, du
bateau Achille Lauro et de l'avion égyptien qui transportait vers Tunis les auteurs de cet acte
furent les cas les plus dramatiques de cette nouvelle phase du terrorisme. Les mesures de sécurité
prises dans les aéroports et la condamnation par l'OLP de ce type d'activité ont réduit
considérablement les détournements d'avion, désormais traités comme des affaires locales. En
revanche, le sabotage d'avions, comme celui qui a frappé le vol Pan Am 103, dit attentat de
Lockerbie (21 décembre 1988) et le vol DC-10 d'UTA au-dessus de l'Afrique (19 septembre
1989) - ainsi que celui, non élucidé, contre un vol de la TWA (17 juillet 1996) - est un
phénomène récent, d'autant plus inquiétant qu'il n'est jamais revendiqué. L'enlèvement d'otages
constitue sans doute une pratique aussi vieille que la guerre. Il est fréquent dans les zones de
conflits ou d'affrontements. Ainsi, au Kurdistan d'Irak où les groupes de peshmerga ont kidnappé
à plusieurs reprises des techniciens étrangers. Mais, pays de toutes les discordes, le Liban a
représenté dans les années 80, le terrain d'élection de cette catégorie d'actes, facilités par la
disparition de l'État. D'abord utilisés dans la guerre civile, les enlèvements se sont étendus -
surtout après 1982 - aux communautés étrangères. Sans avoir disparu, la prise d'otages s'est
raréfiée au Proche-Orient dans les années 90. On ne peut manquer de constater que les deux
grandes vagues de terrorisme non étatiques dans la région ont correspondu aux périodes de
frustration maximale pour les peuples arabes et d'impasse politique : après 1970 et après 1982.
Une partie de la jeunesse palestinienne et libanaise a vu alors dans n'importe quelle action le
moyen d'exprimer sa frustration. L'oublier, c'est se condamner à ne jamais pouvoir combattre
réellement le phénomène terroriste. S'il vide les accords d'Oslo de toute substance et sabote tout
espoir de paix juste, on peut craindre que Benyamin Netanyahou, le chef de la droite israélienne,
prépare le terrain aux " commandos-suicide " de demain.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.
TURQUIE
Du démantèlement de l'Empire ottoman, au lendemain de la Première Guerre mondiale,
devait naître, non sans soubresauts, la Turquie moderne. Au calife défait, les puissances
victorieuses imposent, le 10 août 1920, le traité de Sèvres, plus dur que celui qui fut signé avec
l'Allemagne. Le pays est dépecé, il perd sa partie européenne ainsi que des zones importantes
d'Anatolie où doivent être constitués des États kurde et arménien. Les détroits (du Bosphore et
des Dardanelles, seul passage maritime entre la mer Noire et la Méditerranée) sont placés sous
juridiction alliée. Contre ce diktat, un chef militaire, Moustapha Kemal, lève l'étendard de la
révolte. Il remporte une série de victoires militaires, notamment contre les Grecs, et finit par
obtenir, par le traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923, une indépendance réelle dans les
frontières actuelles (à l'exception du sandjak d'Alexandrette que la France cédera à la Turquie,
malgré l'opposition des nationalistes syriens, à la veille de la Seconde Guerre mondiale). Les
détroits passent sous la souveraineté d'Ankara, mais une réglementation internationale fixe en
1936 (convention de Montreux) les conditions de leur utilisation. Le chemin est désormais libre
pour les réformes politiques. Le 29 octobre 1923, la République est proclamée et, en mars 1924,
le califat est aboli : pour la première fois depuis la prédication de Mahomet, l'islam n'a plus -
même théoriquement - de chef religieux. Enfin Moustapha Kemal, qui deviendra Atatürk - le
père de la nation -, engage son pays dans la voie de la modernisation : adoption des caractères
latins à la place de l'alphabet arabe ; affirmation du caractère séculier de l'État ; introduction d'un
nouveau code civil ; développement d'une économie fondée sur l'intervention active de l'État.
L'indépendance prévue pour les Kurdes par le traité de Sèvres est évidemment abolie et une
politique d'assimilation active est menée, malgré les diverses révoltes : les Kurdes deviennent les
" Turcs des montagnes " et leur langue est interdite. Le régime s'appuie sur un parlement élu,
mais un seul parti est autorisé, le Parti républicain du peuple (PRP). Sur le plan international, la
politique se fonde sur la non-ingérence dans les affaires des voisins, notamment arabes, des
relations de bon voisinage et une certaine coopération avec l'Union soviétique qui a aidé
Moustapha Kemal dans sa lutte " contre les impérialistes ". En novembre 1938, Atatürk meurt,
laissant un pays profondément transformé ; c'est un de ses proches, Ismet Inönu, qui lui succède.
Neutre durant la période 1939-1944, la Turquie ne déclarera la guerre à l'Allemagne que le 23
février 1945. Mais le conflit mondial apporte deux grands bouleversements : - en novembre
1945, le régime de parti unique est aboli et une formation récemment créée, le Parti
démocratique - dont un des dirigeants est Adnan Menderes - remporte les élections de juillet
1946 ; - le nouveau pouvoir abandonne sa politique de neutralité et se range résolument dans le
camp occidental. Dès 1947, les États-Unis étendent au pays leur aide économique et militaire, et,
après avoir participé à la guerre de Corée, la Turquie adhère, le 18 février 1952, à l'Organisation
du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et accepte l'installation de nombreuses bases militaires.
Avant-poste de l'Occident face au " danger soviétique ", elle tire de cette situation une rente
financière confortable. Elle joue aussi un rôle actif dans les tentatives de constituer des alliances
antisoviétiques au Proche-Orient et rejoint, en novembre 1955, le pacte de Bagdad. Affirmant sa
volonté de préserver les principes du kémalisme, l'armée s'empare du pouvoir le 27 mai 1960.
Elle le fera à nouveau deux fois : le 12 mars 1971 et le 11 septembre 1980. Au nom des mêmes
prétextes : le retour à l'ordre, la fidélité aux idéaux d'Atakürk. Ainsi alternent régimes militaires
et régimes civils, la politique étrangère restant désormais marquée par l'insertion dans l'OTAN et
par le retour à une politique de non-ingérence dans les affaires du Proche-Orient, même si les
relations avec Israël sont assez étroites. Sur le plan régional, la politique est surtout marquée par
le conflit permanent avec la Grèce et par la question de Chypre, qui a accédé à l'indépendance en
1960. Le sort de la minorité turque de cette île constitue un perpétuel sujet de discorde qui sert à
justifier l'invasion militaire turque en juillet 1974 : la zone nord sera occupée et transformée en
République, reconnue seulement par Ankara. La dictature militaire instaurée en 1980 crée un
profond traumatisme dans le pays, tellement est violente la répression, notamment contre les
diverses organisations kurdes qui se sont constituées dans les années 70. Dès 1984, une nouvelle
organisation, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), de tendance marxiste-léniniste et
dirigé par Abdullah Ocalan, engage la lutte armée dans les provinces du Sud-Est. Bénéficiant de
l'appui de la Syrie mais aussi de sympathies en Irak, en Iran et en Arménie, le PKK étend son
influence. Le retour à la démocratie, progressif à partir de 1983, s'effectue sous la direction de
Turgut Özal et de son Parti de la mère patrie (ANAP) qui vont, en quelques années, changer le
visage de la Turquie, d'abord sur le plan économique. Özal engage le pays dans une politique
libérale fondée sur le développement des exportations : entre 1980 et 1990, celles-ci passent de 3
milliards de dollars à 13 milliards, et la part des produits industriels a grimpé de 35 % à 80 % ; il
développe un réseau dense d'infrastructures (routes, aéroports, téléphone, etc.) ; des groupes
industriels compétitifs, notamment de la construction, s'implantent au Proche-Orient et en
URSS ; le pays connaît une croissance impressionnante, mais au prix d'une forte inflation et de
dangereux désé-quilibres sociaux. Le gouvernement tentera aussi d'aborder la question kurde
avec une certaine ouverture, mais le développement de la lutte armée, de la répression menée par
l'armée et du terrorisme ne facilitera pas sa tâche. Sur le plan régional aussi, Özal rompt avec la
tradition. Tout en insistant sur sa volonté d'intégrer la Turquie à la Communauté économique
européenne, il souhaite mener une politique active au Proche-Orient : il reconnaît l'État
palestinien proclamé en 1988 ; il rêve d'un gigantesque projet d'oléoduc qui acheminerait l'eau
des fleuves Seyhan et Ceyhan vers le Golfe et la Jordanie ; enfin il va, malgré les critiques de
l'armée, s'impliquer fortement dans la crise du Golfe. Dès août 1990, la Turquie ferme les
oléoducs transportant le pétrole irakien qui transite par son territoire : Özal donne l'autorisation
aux avions alliés de bombarder l'Irak à partir de bases turques ; il regrette même que son pays
n'ait pas envoyé un contingent militaire se battre aux côtés des coalisés. Les élections d'octobre
1991, qui voient la victoire des deux grands partis d'opposition, celui de la Juste voie dirigé par
Suleyman Demirel, le nouveau Premier ministre, et le Parti populiste social-démocrate d'Erdal
Inönu, auraient pu marquer le retour à une politique plus prudente. Mais, le 17 avril 1993, la
mort surprend Turgut Özal. Suleyman Demirel lui succède, le 16 mai, à la présidence de la
République et est remplacé à la tête du Parti de la juste voie, le 13 juin, par Tansu Ciller. Pour la
première fois, soixante dix ans après la proclamation de la République turque en 1923, une
femme va diriger le gouvernement. Premier ministre, elle le sera à plusieurs reprises, au gré des
crises politiques qui secouent son pays, jusqu'au vote de défiance du Parlement, le 15 octobre
1995. Anticipées, les élections législatives du 25 décembre 1995 sont marquées par la percée des
islamistes du Parti de la prospérité (RP, dit Refah) de Necmettin Erbakan qui avait déjà remporté
avec éclat les municipales du 27 mars 1994, s'emparant d'Istanbul, d'Ankara, d'Izmir et des
principales villes du pays. L'essai est transformé : avec 21,3 % des voix, le Refah devance tous
les autres grands partis - le Parti de la Mère patrie (ANAP) de Mesut Yilmaz (19,7 %), le Parti de
la juste voie (DYP) de Tansu Ciller (19,2 %), le Parti de la gauche démocratique (DSP) de
Bülent Ecevit (14,7 %) et le Parti républicain du peuple (CHP) de Deniz Baykal (10,7 %).
Malgré leurs divergences, ANAP et DYP constitueront, trois mois plus tard, sous la direction de
Mesut Yilmaz, une éphémère coalition anti-islamiste. Mais Tansu Ciller la fera capoter en mai
1996 pour former, le 8 juillet, un gouvernement de coalition avec les islamistes, Necmettin
Erbakan devenant Premier ministre. Durant ses deux ans et demi à la tête du pays, Tansu Ciller
s'est inspirée de l'héritage de ses prédécesseurs. Au plan économique et social, elle a poursuivi le
cours ultra-libéral cher à Turgut Özal, accélérant le rythme des privatisations et obtenant une
croissance rapide combinée avec une forte inflation - d'où un recul du niveau de vie du plus
grand nombre qui n'est certainement pas étranger à la recrudescence des luttes syndicales ainsi
qu'à la poussée islamiste. En matière kurde, en revanche, elle a sensiblement durci la politique
d'Özal. Le Premier ministre a remis en cause le projet d'autorisation de l'usage de la langue kurde
dans l'enseignement et dans les médias, retiré celui d'autonomie locale pour le Sud-Est anatolien
et interdit le Parti travailliste du peuple (HEP) - qui avait obtenu 70 % des voix dans les
provinces concernées et dont six députés seront condamnés à des années de prison pour "
incitation au séparatisme " (seuls deux d'entre eux avaient été libérés au 30 septembre 1996).
L'armée et ses " unités spéciales " ont pu pratiquer librement la politique de la " terre brûlée "
dans le sud-est anatolien. Douze ans après son déclenchement, le bilan de la " sale guerre " au
Kurdistan se chiffrait à 16 000 morts selon Ankara et 35 000 selon le PKK, des centaines de
milliers d'exilés, sans compter les 2 500 villages et les milliers d'hectares de forêt dévastés. Pire :
sous couvert de " nettoyer " les " bases arrière " de la guérilla, Mme Ciller a donné le feu vert à
l'armée pour envahir, comme en octobre 1992, une partie de la " zone de sécurité " instaurée par
les alliés au Kurdistan irakien à l'issue de la guerre du Golfe. Le 20 mars 1995, 35 000 soldats
turcs ont passé la frontière irakienne et se sont livrés, un mois et demi durant, à de véritables
massacres, jusqu'à ce que la pression internationale contraigne Ankara à retirer ses troupes.
Pareille escalade ne pouvait que pousser un peu plus les habitants du Kurdistan dans les bras du
maquis, comme l'attestait une enquête d'opinion réalisée en 1995 dans six localités du sud-est
anatolien : bien que 85 % des sondés ne revendiquent pas un État, 47 % d'entre eux déclaraient
soutenir le PKK, et 35 % avoir un de ses membres parmi leurs proches... Malgré cette violation
brutale et généralisée des droits des Kurdes comme du droit international, Tansu Ciller a fait
franchir un grand pas à la Turquie sur la voie de son intégration dans l'Union européenne : le 13
décembre 1995, le Parlement européen ratifiait l'accord d'union douanière signé neuf mois plus
tôt. Pour y parvenir, Ankara a dû lâcher un peu de lest sur les questions des libertés, au moins
formellement : le Parlement turc a fini par réviser la Constitution adoptée en 1982 sous l'égide
des militaires (droit de vote à 18 ans, droit de vote pour les Turcs résidant à l'étranger, fin de
l'interdiction pour les syndicats de prendre des positions politiques, droit pour les enseignants de
participer à la vie politique, suppression du paragraphe louant l'intervention de l'armée en 1980,
etc.), mais il n'a que partiellement amendé l'article 8 de la loi antiterroriste qui permettait
d'emprisonner des citoyens pour simple délit d'opinion. Reste à compléter ces modifications et à
en traduire l'esprit et la lettre dans la vie quotidienne, en commençant par mettre fin à l'usage
systématique des mauvais traitements, voire de la torture dans les commissariats, pour ne rien
dire du Kurdistan... Autre tournant essentiel, le rapprochement avec Israël. Certes, la
coopération entre les deux pays ne date pas d'aujourd'hui. Engagée dès les années 50, affaiblie
par l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza comme par la dépendance pétrolière turque, elle a
connu un développement rapide depuis la guerre du Golfe : les échanges commerciaux - régis
désormais par un accord de libre-échange - atteignent un milliard de dollars, 300 000 touristes
israéliens séjournent chaque année en Turquie et... Ankara s'abstient lors du vote de la résolution
du Conseil de Sécurité de l'ONU contre l'opération " Raisins de la Colère ". Mais l'accord
militaire signé en février 1996, lors de la visite en Israël du chef adjoint de l'état-major turc, est
d'une tout autre nature. Dès le mois de mai, comme prévu, les bases et l'espace aérien turcs se
sont ouverts aux avions de l'armée israélienne, les pilotes des deux pays ont commencé à
s'entraîner en commun et, en juillet, de premières manoeuvres navales communes se sont
déroulées. L'armée israélienne doit également préparer les soldats turcs à la lutte contre
l'infiltration aux frontières. L'accord organise aussi des échanges entre services secrets,
concernant notamment la Syrie, l'Irak et l'Iran ainsi que leur " soutien au terrorisme ". De
surcroît, Ankara confierait la modernisation de 54 Phantom F-4 de son aviation à Israel Aircraft
Industries - pour un montant de 600 millions de dollars et grâce à un crédit débloqué par
Jérusalem. L'État juif fournirait enfin des armes - à commencer par les fameux fusils Galil - et
des munitions à l'armée turque. Contraires à la tradition de neutralité observée par la Turquie
dans le conflit israélo-arabe - au point d'inspirer le bras de l'islamiste qui tenta d'assassiner le
président Demirel en mai 1996 -, ces développements s'inscrivent sans doute dans la tension
grandissante entre Ankara et Damas. Outre le différend sur la province du Hatay, ex-sandjak
d'Alexandrette cédé - illégalement, selon les Syriens - par la France à la Turquie, les relations des
deux pays sont surtout envenimées par la question kurde. La Syrie, qui nie tout soutien à la
guérilla du PKK, a même accusé son voisin d'avoir fomenté, au printemps 1996, plusieurs
attentats, dont l'un aurait visé Hafez Al Assad. La question des eaux de l'Euphrate, dont Ankara
maîtrise le débit grâce au barrage Atatürk, s'imbrique elle aussi avec le problème kurde. L'accord
de 1987, par lequel le gouvernement de Turgut Özal s'était engagé à maintenir un flux de 500
mètres cubes par seconde, prévoyait la fermeture des camps du Parti des travailleurs du
Kurdistan proches de la frontière. Les maquisards continuant d'utiliser le territoire syrien comme
base arrière pour leurs opérations, les Turcs n'ont pas hésité, à plusieurs reprises, à rationner l'eau
disponible pour les Syriens. Dernier grief en date : Ankara n'a pas apprécié l'accord de
coopération militaire conclu entre Athènes et Damas. Résumé du quotidien turc Milliyet à
l'annonce de l'accord : " La Syrie, qui utilise à la fois le PKK contre la Turquie et le Hezbollah
contre Israël, se trouve maintenant coincée entre les deux pays "... De fait, par delà ces dossiers
bilatéraux, l'accord israélo-turc, s'il est complètement mis en oeuvre par le gouvernement à
direction islamiste, entraînera une modification de la géopolitique moyen-orientale, à l'heure
même où la victoire de Benyamin Netanyahou pourrait " geler " le processus de paix et donc
accroître le risque d'une escalade militaire entre Israël et la Syrie. Membre de l'OTAN, engagée
plus avant dans le dispositif occidental depuis la guerre du Golfe, la Turquie devient ainsi une
pièce maîtresse de la stratégie américano-israélienne. D'autant que, simultanément, tournant le
dos à sa coûteuse amitié avec Bagdad, Amman offrait ses bases aux avions américains pour ses
missions de surveillance de l'Irak. C'est en novembre 1995 que ce Pacte de Bagdad nouvelle
manière aurait été mis au point, dans un hôtel de Jérusalem, en marge des obsèques d'Itzhak
Rabin, lors d'une rencontre entre Bill Clinton, Shimon Peres, le roi Hussein et Tansu Ciller. Il
s'agirait bien de la construction d'un véritable axe Washington-Jérusalem-Ankara destiné à
encadrer les pays arabes " modérés " face aux " radicaux ", laïcs ou islamistes - il sert donc
naturellement la politique de " double containment " pour laquelle militent les États-Unis contre
l'Irak et l'Iran. Et c'est bien ainsi que Damas, Bagdad et Téhéran l'ont compris, tentant d'unir
leurs efforts contre toute menace de blocus. Cette évolution n'est évidemment pas non plus du
goût de l'Égypte, écartelée entre ses amitiés américaines et ses ambitions dans le monde arabe.
Conclusion d'un expert du Jaffee Center for Strategics Studies de Tel Aviv : " La formation de
nouveaux blocs est possible, mais cette fois d'importants alliés des États-Unis finiront dans le
camp opposé. " Reste à savoir quelle sera l'orientation du gouvernement dirigé par l'islamiste
Necmettin Erbakan. Ses premiers mois au pouvoir traduisent bien ces contradictions de sa
politique : s'il a entériné l'accord turco-israélien, le nouveau Premier ministre s'est rendu à
Téhéran, engageant ainsi Ankara dans un rapprochement avec l'Iran qui a suscité la colère de
Washington. Sans doute ce développement n'est-il pas étranger à la décision prise par le
Parlement européen, longtemps complaisant à l'égard d'Ankara, de geler l'aide à la Turquie à
compter de septembre 1996. Officiellement, il s'agit de sanctionner la lenteur de la
démocratisation et les excès du combat contre les Kurdes... La Turquie s'étend sur 779 000
kilomètres carrés et comptait en 1993 59,6 millions d'habitants, les Kurdes étant estimés à 12
millions (dont la majorité s'est installée dans les grandes villes occidentales, notamment Istanbul
qui en compte 2 millions). On compte aussi un certain nombre de Caucasiens, une communauté
arménienne, des Juifs (notamment à Istanbul) et des Arabes. La majorité de la population est
musulmane sunnite, mais les alevis, d'origine chiite sont plus de 12 millions. Leur doctrine a
évolué dans un sens spécifiquement turc ; ils ne pratiquent ni prosélytisme ni recrutement et
célèbrent leur culte en secret. Ils ont souvent été les victimes de pogroms fomentés par les
musulmans orthodoxes, y compris en 1993 et 1995 : c'est pourquoi ils se sont ralliés au
kémalisme, qui a relégué la religion dans le domaine privé. Avec une croissance moyenne de 5,5
% durant les années 1980-1993, le produit intérieur brut de la Turquie a dépassé en 1993 156,4
milliards de dollars, la dette extérieure atteignant 38 % du PIB. Quant au taux moyen d'inflation
annuel entre 1980 et 1993, il a dépassé 53 %. Malgré ces tensions, Ankara ne manque pas
d'atouts pour s'affirmer sur la scène internationale : dixième partenaire de l'Union européenne, la
Turquie détient un tiers du potentiel des partenaires méditerranéens de celle-ci ; elle dispose de
liens de plus en plus serrés avec les ex-Républiques soviétiques d'Asie centrale et représente un
allié de poids des États-Unis pour sa politique moyen-orientale ; et elle passe pour le pays
musulman le plus laïque et le plus démocratique, malgré la répression antikurde...
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

UNION EUROPÉENNE
Engagé à la suite de la guerre de 1973 et de la crise pétrolière qui s'ensuit, le " dialogue
euro-arabe " piétine jusqu'à la fin des années 70, marquée par la " cavalier seul " américain de
Camp David. Si la Communauté économique européenne en attend des avantages économiques,
ses partenaires du Sud espèrent, eux, une avancée politique, en premier lieu sur le dossier
palestinien. Conscient de cette impasse et de sa nature, le Conseil des chefs d'État et de
gouvernement réuni à Venise, les 12 et 13 juin 1980, formule, pour la première fois, une position
d'ensemble sur les conflits du Moyen-Orient. Dans une déclaration spéciale - dont on trouvera le
texte intégral en annexe -, les Neuf soulignent notamment que " le moment est venu de favoriser
la reconnaissance et la mise en oeuvre des deux principes universellement admis par la
communauté internationale : le droit à l'existence et à la sécurité de tous les États de la région, y
compris Israël, et la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits
légitimes du peuple palestinien ". Concernant ce dernier, ils affirment, de manière novatrice : "
Le problème palestinien, qui n'est pas un simple problème de réfugiés, doit enfin trouver une
juste solution. Le peuple palestinien, qui a conscience d'exister en tant que tel, doit être mis en
mesure (...) d'exercer pleinement son droit à l'autodétermination. " Et de préciser, contrairement
aux usages diplomatiques dans l'après-Camp David, que les principes de la paix " s'imposent à
toutes les parties concernées, donc au peuple palestinien, et à l'OLP qui devra être associée à la
négociation ". Après avoir réaffirmé leur refus de toute " initiative unilatérale qui ait pour but de
changer le statut de Jérusalem et que tout accord sur le statut de la ville devrait garantir le droit
de libre accès pour tous aux Lieux saints " , les Neuf " rappellent la nécessité pour Israël de
mettre fin à l'occupation territoriale qu'il maintient depuis le conflit de 1967 (...). Ils sont
profondément convaincus que les colonies de peuplement israéliennes représentent un obstacle
grave au processus de paix au Moyen-Orient ". Voilà la ligne sur laquelle la Communauté, tout
au long des années 80, va s'efforcer - en vain - de contribuer à un règlement global des conflits
de la région. Les déclarations ultérieures des conseils européens y feront constamment référence
et, sur tel ou tel événement, s'en inspirent. Ainsi, quelques mois plus tard, lors de la pré-intifada,
le sommet de Bruxelles (29-30 mars 1982) " dénonce les mesures imposées à la population
palestinienne, telles que la destitution par les autorités israéliennes de maires démocratiquement
élus, ainsi que les atteintes aux libertés et aux droits des habitants de ces territoires, qui
s'ajoutent aux mesures prises par Israël à l'égard du Golan et qui ne peuvent que nuire aux
perspectives de paix ". Trois mois plus tard, le 9 juin 1982, les Dix " condamnent
vigoureusement la nouvelle invasion israélienne du Liban " qu'ils considèrent comme "
injustifiable ". Réaffirmant " leur attachement à l'indépendance, à la souveraineté, à l'intégrité
territoriale et à l'unité nationale du Liban ", ils demandent " à Israël de retirer immédiatement et
inconditionnellement toutes ses forces militaires ". Et d'insister sur le fait que le règlement de la
question libanaise " ne peut pas être dissocié de l'établissement dans la région d'une paix
globale, juste et durable ". Il en ira de même lors de l'intifada : à peine le soulèvement
palestinien déclenché, les ministres des Affaires étrangères des Douze soulignent, le 9 février
1988, que " le statu quo dans les territoires occupés n'est pas tenable ". Déplorant " la politique
d'implantation menée par Israël dans les territoires ", ils " l'exhortent à respecter pleinement les
résolutions (...) du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que la Convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre ". Ils expriment " une fois de
plus leur conviction que la seule solution passe par un règlement politique global " fondé sur "
la Déclaration de Venise de juin 1980 " et s'affirment " fermement en faveur de la tenue d'une
conférence internationale de paix sous les auspices des Nations unies ". Celle-ci, on le sait,
n'aura pas lieu, l'intransigeance d'Itzhak Shamir ne laissant aucune chance à la négociation...
Avec la guerre du Golfe, une page se tourne : au terme d'une décennie de présence politico-
diplomatique unie, active et autonome par rapport aux États-Unis, l'Europe se fond dans la
coalition bâtie par l'Amérique face à l'Irak. Dès l'invasion du Koweït, elle cautionne le cours
guerrier pris par Washington et imposé aux Nations unies. Tout au long de l'escalade, les
déclarations des Douze alternent proclamations de solidarité avec les " coalisés " et timide
recherche d'une issue négociée. Mais, le 24 février 1991, dans une brève déclaration prenant acte
de la guerre en cours depuis sept jours, ils " regrettent profondément que l'Irak n'ait pas répondu
positivement à l'appel de la coalition internationale de retrait inconditionnel et immédiat du
Koweït " et ajoutent : " En cette heure grave, la Communauté et ses États membres sont aux
côtés des forces de la coalition alliée. " De cet alignement, l'Union européenne subira tous les
inconvénients sans bénéficier d'aucun avantage. Dans l'après-guerre du Golfe, elle se verra
écartée pour l'essentiel du partage du gâteau comme du processus de paix, Washington
s'arrogeant, dans l'un et l'autre, la meilleure part. Sans parler du capital de sympathie patiemment
accumulé dans le monde arabe et dilapidé en quelques mois... C'est sur le plan économique que
la Communauté tentera de regagner le terrain perdu au niveau politique. Dès les années 70, elle
avait conclu des accords bilatéraux de coopération avec - dans l'ordre chronologique - Israël
(1975), l'Algérie, la Tunisie, le Maroc (1976), la Syrie, la Jordanie, l'Égypte et le Liban (1977).
Avec les conseils européens de Corfou (juin 1994), Essen (décembre 1994) et Cannes (juin
1995), l'Union européenne se fixe un objectif plus ambitieux : un partenariat euro-méditerranéen
destiné à faire de la région " une zone d'échanges et de dialogue garantissant la paix, la stabilité
et le bien-être ". Considérant qu'" une politique de coopération ambitieuse au Sud constitue le
complément indispensable de la politique d'ouverture à l'Est et donne sa cohérence géopolitique
à l'action extérieure de l'Union ", les Quinze définissent leur offre de " partenariat " comme
combinant " un dialogue politique, un développement économique et social durable et équilibré,
la lutte contre la pauvreté et la nécessité d'une meilleure compréhension entre les cultures à
travers un renforcement de la dimension humaine des échanges ". Telles se veulent les bases de
la " création d'un espace euro-méditerranéen à l'horizon 2010 " entre l'Union et ses douze
partenaires du Sud - la Libye en est exclue pour cause de " terrorisme " et la Mauritanie se
contente d'un statut d'observateur. Le calendrier prévoit des accords d'association rapides avec six
pays : d'abord la Tunisie, le Maroc et Israël, qui les ont signés dès la fin 1995, puis l'Égypte, la
Jordanie et le Liban, qui en négociaient encore les termes en 1996. L'Algérie et la Syrie devraient
suivre. L'Autorité palestinienne souhaiterait instaurer des rapports du même type : en attendant,
la Communauté, qui contribue depuis 1971 au budget de l'Office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), a promis à la Cisjordanie et à Gaza pour
la période 1994-1998 plus de 600 millions de dollars - ce qui la place en tête de tous les
donateurs, dont les promesses se chiffrent au total à 2 milliards. Quant à Malte et Chypre, liés à
l'Europe par un accord d'association (depuis 1971 et 1973 respectivement), elles ont posé leur
candidature à l'adhésion. Enfin la Turquie est entrée en 1996 en Union douanière avec l'Union
européenne. Le 27 novembre 1995, jour du 900e anniversaire du lancement de la première
croisade par le pape Urbain II - comme le commissaire espagnol Manuel Marin croit judicieux de
le relever -, la première conférence euro-méditerranéenne s'ouvre à Barcelone. Les vingt-sept
États participants entérinent formellement la nouvelle stratégie de l'Union en direction du Sud.
Mais, derrière le " grand dessein " proclamé par les Quinze se dessine un calcul qui n'est rien
moins qu'humaniste. Marginalisée dans la région, l'Europe entreprend d'y reprendre pied à l'aide
de sa formule favorite : une zone de libre-échange. " Il s'agit, analysait Gérard Kébabdjian dans
Le Monde diplomatique, d'une révision profonde de la politique de coopération européenne,
dans la mesure où elle tend à soumettre plus étroitement les échanges commerciaux aux
impératifs d'une logique de marché entièrement conforme aux tendances de l'économie
mondiale. Les produits agricoles ayant été exclus de la négociation, aucun gain de parts de
marché n'est donc à espérer pour les pays tiers méditerranéens, alors que, concernant les
produits manufacturés, la création d'une zone de libre-échange est appelée à mettre fin au
système préférentiel dont ils bénéficiaient. Des marchés vont donc s'ouvrir aux exportations
européennes sans contreparties. " Rien là qui soit de nature à réduire le déséquilibre Nord-Sud
en Méditerranée. Les pays non européens du bassin méditerranéen ont une production inférieure
à 5 % de celle des pays de l'Union européenne. Ce qu'ils lui vendent représente moins de 7 % de
ses importations ; ce qu'ils lui achètent à peine plus de 8 % de ses exportations (chiffres de 1994).
Or la Communauté, si elle respecte le règlement adopté le 15 juillet 1996 pour le programme
MEDA, n'interviendra de 1996 à l'an 2000 qu'à hauteur de 4,7 milliards d'ECU - soit moins de 30
milliards de francs - dans le partenariat euro-méditerranéen. Seuls la Turquie et Israël peuvent
espérer profiter réellement du nouvel " espace " : ces deux pays pèsent aussi lourd en Produit
national brut que tous les autres pays méditerranéens réunis, totalisent près de 40 % des
exportations de l'Union vers la région et presque le tiers des importations en provenant. Reste à
savoir si le " partenariat " né à Barcelone suffira pour que l'Europe soit en mesure de relever le
défi de l'Amérique en Méditerranée. " L'Union européenne, assurait Hervé de Charette, le
ministre français des Affaires étrangères, s'affirme comme un partenaire essentiel de la région, et
non plus seulement comme un simple bailleur de fonds. " À en juger par les conférences
économiques d'Amman et de Barcelone - voir Conférences de paix -, on peut en douter.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

YÉMEN
Le Bab al Mandeb (Porte des Lamentations) relie la mer Rouge à l'océan Indien. Moins
connu que le détroit d'Ormuz, il revêt cependant une grande importance stratégique, surtout
depuis la réouverture du canal de Suez en 1975. Il se situe, en effet, au coeur d'une région
marquée par de grands bouleversements politiques : la chute de la monarchie en Éthiopie,
l'accession de Djibouti à l'indépendance, la guerre entre l'Éthiopie et la Somalie, la victoire du
mouvement insurrectionnel érythréen, l'éclatement de la Somalie et les multiples transformations
qu'ont subies les deux Yémens. Divisés depuis deux siècles, le Yémen du Nord ayant connu la
domination ottomane, le Yémen du Sud celle de l'Empire britannique, les deux pays se sont
unifiés le 22 mai 1990, avec Sanaa pour capitale. Le Yémen du Nord, ou la stabilité retrouvée
Indépendant dès la fin de la Première Guerre mondiale, le Yémen du Nord connut une longue
monarchie, qui tenta de maintenir le pays isolé du reste du monde. Mais, en septembre 1962, le
colonel Abdallah Al Salal renverse l'imam Mohamed Al Badr qui vient de succéder à son père,
Ahmad ben Yahya, et proclame la République. S'ensuit une longue guerre civile - alimentée par
l'intervention massive armée de l'Égypte aux côtés des républicains et l'aide active de l'Arabie
Saoudite aux monarchistes - qui ravage le pays jusqu'en 1970. Les protagonistes négocient
finalement un accord : maintien du régime républicain ; retour de la famille royale à Sanaa ;
intégration des royalistes dans l'appareil gouvernemental. Mais l'instabilité persiste, avec une
succession d'assassinats politiques et de coups d'État ainsi qu'une guerre, en 1972, avec le Yémen
du Sud. En juin 1978 accède au pouvoir Ali Abdallah Saleh qui réussira, lui, à rétablir la stabilité
de son pays, malgré les difficultés, y compris une nouvelle mais brève guerre avec le Sud, au
début de 1979. Ali Abdallah Saleh impulse une politique d'équilibre entre le puissant voisin
saoudien et le Yémen du Sud. Il élimine, au terme d'un long bras de fer, l'opposition de gauche.
Il affirme l'autorité de son gouvernement dans la région. Il développe enfin des relations étroites
avec l'URSS (voir Russie), en particulier sur le plan militaire, tout en maintenant des liens
amicaux avec les États-Unis. L'affaiblissement du régime marxiste du Sud va permettre au
président Saleh d'imposer l'unité des deux pays sous sa houlette. Le Yémen du Sud : de la
radicalisation à l'instabilité Depuis l'accession du pays à l'indépendance, à la fin de 1967, et la
prise du pouvoir par le Front national de libération (FNL) - à la suite d'une lutte armée contre le
colonialisme britannique, qui occupait Aden depuis 1839 -, la vie politique du Yémen du Sud a
connu de nombreux soubresauts. Le pays a opté pour une voie de type socialiste - beaucoup plus
radicale que celle choisie par la Syrie ou l'Irak, similaire, par certains aspects, à la voie cubaine -
et pour une alliance étroite avec l'URSS. Les principaux dirigeants du Front national de
libération, qui accède au pouvoir en 1967, proviennent des rangs du Mouvement des nationalistes
arabes (MNA) de George Habache, qui a marqué tout une génération de la gauche proche-
orientale. La victoire de la gauche du FNL, en juin 1969, engage le pays dans la construction du
socialisme : collectivisation de l'agriculture et de l'ensemble de l'économie, y compris le petit
commerce ; programmes sociaux et éducation, amélioration du statut de la femme. Trois hommes
symbolisent ce nouveau cours : Abdel Fatah Ismaïl, le secrétaire général ; Ali Nasser Mohamed,
le Premier ministre ; Salem Robaya Ali, le président de la République. Vingt ans plus tard, deux
d'entre eux sont morts et le troisième a été éliminé... Engagés, à l'époque, dans une alliance de
plus en plus étroite avec Moscou, ces dirigeants décident d'unifier la gauche - en particulier le
Parti de l'avant-garde populaire, baasiste, et l'Union démocratique du peuple, communiste - et de
créer un parti unique d'avant-garde. Le 11 octobre 1978 s'ouvre le premier congrès du nouveau
Parti socialiste yéménite (PSY), mais sans Robaya Ali, exécuté au mois de juin à la suite d'une
tentative d'un coup d'État. Le règne du nouvel homme fort, Abdel Fatah Ismaïl, ne durera pas :
accusé d'avoir aggravé le conflit avec le Nord et d'avoir isolé le pays de ses voisins, il part en
avril 1980 pour un exil doré, à Moscou. Le remplace Ali Nasser Mohamed qui, tout en
maintenant les relations privilégiées avec l'URSS, cherche à normaliser ses rapports avec les
États voisins, y compris l'Arabie Saoudite et Oman avec qui Aden établit des relations
diplomatiques, le 27 octobre 1983, puis délimite ses frontières. Sur le plan économique, la
nouvelle équipe met en oeuvre une meilleure gestion et accorde un rôle plus actif au secteur
privé. Mais les divisions internes demeurent, attisées plus par les ambitions individuelles que par
les divergences politiques. Le retour d'Abdel Fatah Ismaïl, en février 1985, accentue les tensions.
Et, le 13 janvier 1986, une véritable guerre civile éclate à Aden et dans tout le pays entre les
partisans d'Ismaïl et ceux de Ali Nasser. Terrible bilan : plusieurs milliers de tués, parmi lesquels
de nombreux dirigeants du parti - dont Abdel Fatah Ismaïl - et des centaines de millions de
dollars de dégâts. Ali Nasser Mohamed et 70 000 de ses partisans se réfugient au Yémen du
Nord. La nouvelle équipe, composée de dirigeants de second plan - dont le nouveau secrétaire
général du PSY, Ali Salem Al Bayd -, réprime vigoureusement ses adversaires. Mais le coup
porté au " régime socialiste " est mortel, d'autant que les transformations s'accélèrent en Union
soviétique et en Europe de l'Est. Dans ces conditions, le PSY cherchera son salut dans l'unité du
Yémen. L'unité C'est le 21 mai 1989 que les parlements des deux pays ratifient l'unification du
Nord et du Sud, donnant vie ainsi à un rêve séculaire. Un conseil présidentiel de cinq personnes
(trois Nordistes et deux Sudistes), présidé par Ali Abdallah Saleh, est élu et un régime
multipartite se met en place, dominé par l'alliance entre le Congrès général populaire de Ali
Saleh et le PSY. Cette nouvelle puissance régionale suscite de profondes inquiétudes en Arabie
Saoudite, d'autant qu'il existe, depuis 1954, un important contentieux territorial : Sanaa n'a jamais
reconnu l'annexion par Riyad des trois provinces de Jizane, du Asir et du Najran. Les Saoudiens
ont, par ailleurs, joué un rôle important aux côtés des tribus royalistes entre 1962 et 1970, et n'ont
pas cessé depuis de les financer. Ce différend prendra une nouvelle dimension lors de la crise du
Golfe. Le Yémen refusant de participer à la coalition anti-irakienne, l'Arabie Saoudite expulse
alors, dans des conditions inhumaines, 800 000 Yéménites installés chez elle depuis des dizaines
d'années, privant Sanaa de précieuses devises et créant un insupportable fardeau pour un des pays
les plus pauvres du monde ; elle arrête aussi son aide financière. Ces difficultés accentuent les
dissensions au sein de la coalition gouvernementale - entre le PSY, plus laïc et plus moderniste,
et le Congrès général populaire, qui tente de se raccommoder avec Riyad et qui se rapproche de
l'opposition islamiste El Islah, fondé en septembre 1990 par les représentants de trois forces
politico-sociales : les tribus, la bourgeoisie marchande, les Frères musulmans, qui contrôlent
l'organisation. Malgré la tenue d'élections le 27 avril 1993, qui voient la victoire du Congrès
général du peuple, la tension entre sudistes et nordistes ne cesse de s'accroître, marquée par le
meurtre de plusieurs dizaines de cadres du PSY. Le 5 mai 1994, les troupes nordistes franchissent
l'ancienne frontière entre le Nord et le Sud : la guerre civile durera jusqu'au 7 juillet, date de la
prise d'Aden. Le conflit marque l'élimination du PSY de la vie politique, le renforcement du
caractère autoritaire du régime et l'influence grandissante de l'Islah. Durant la guerre civile, et
dans le but d'affaiblir son voisin, l'Arabie Saoudite a soutenu les " communistes " du Sud, qui
trouveront refuge chez elle, après la défaite. Au début 1995, une nouvelle crise met les deux pays
au bord de la guerre, mais débouche, le 26 février 1995, sur un " document d'entente " , signé à
La Mecque. La normalisation globale des relations s'accompagne d'une reconnaissance par Sanaa
du caractère " légitime et contraignant " du traité de Taëf. Six comités sont créés pour délimiter
le reste des frontières maritimes et terrestres et pour définir les relations économiques et
politiques entre les deux pays. Mais dix-huit mois plus tard, les négociations étaient au point
mort. Le Yémen s'étend sur 536 000 kilomètres carrés et compte environ 13 millions d'habitants
- dont 2,5 millions au Sud. La population vit principalement dans les campagnes - regroupée,
notamment au Nord, dans 75 tribus alliées au sein de confédérations qui jouent un important rôle
politique. Le pays, très pauvre, est essentiellement agricole, mais la découverte de pétrole au
Nord comme au Sud, au milieu des années 80, suscite certains espoirs. Aden possède une grande
raffinerie et les capacités de pêche sont notables. Environ la moitié de la population est zaïdite -
une des sectes issues du chiisme - tandis que l'autre est musulmane sunnite.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés - Éditions de l'Atelier.

YICHOUV
Nom donné à la communauté juive de Palestine et à la société qu'elle y construit avant la
création de l'État d'Israël. Le Yichouv, ce sont donc d'abord des hommes et des femmes, dont le
nombre, entre le premier Congrès juif mondial (1897) et le plan de partage de l'ONU (1947), va
être multiplié par plus de 15 : de 40 000, il passe, en cinquante ans, à plus de 600 000 - leur
proportion dans la population totale s'élevant ainsi d'à peine plus de 10 % à plus de 30 %. Les
hommes, donc, mais aussi la terre : grâce au Fonds national juif, qui rachète aux gros
propriétaires absentéistes leurs dounoums (un dounoum égale un dizième d'hectare), la
communauté étend son emprise, en cinquante ans, de 204 000 à 1 802 000 dounoums. Dans le
même temps, le nombre de colonies agricoles monte de 27 à 300, dont beaucoup sont constituées
de fermes collectives, soit des kibboutzim collectivistes, soit des mochavim coopératifs - ces deux
types de structures exploitent en 1947 la moitié des terres juives, l'autre moitié dépendant de
propriétaires privés. Avec 7,7 % de terres au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les
paysans juifs fournissent 28,3 % du produit agricole de la Palestine. La " régénérescence du
peuple juif par le travail ", promise par le sionisme, s'effectue ainsi à la campagne, mais aussi à la
ville, dans l'industrie et le commerce. Parti de 100 en 1920, l'indice de la production industrielle
frôle 5 000 en 1945. La dépense annuelle d'électricité, de 2 millions de kWh environ, atteint près
de 200 millions. Industrie, services et agriculture - et camps militaires britanniques -
comptabilisent 160 000 salariés, 90 000 Arabes et 70 000 Juifs, dont le revenu varie du simple au
double - et la consommation plus encore... Le fossé qui se creuse ainsi entre Arabes et Juifs ne
tient pas qu'aux atouts - formation, moyens techniques, capitaux - dont disposent les seconds. Il
est aussi la conséquence d'une volonté du Yichouv : " La condition de la réalisation du sionisme,
écrira un journal, c'est la conquête de tous les emplois du pays par la main-d'oeuvre juive. "
Kibboutzim et mochavim, sous couvert de " conquête du travail ", font notamment la chasse à
l'utilisation d'ouvriers agricoles arabes. Sur les murs de Jérusalem et de Tel Aviv, née en 1909,
des affiches disent : " N'achetez pas de produits arabes ! " " Achetez hébreu ! " Mais le Yichouv,
qui grandit en nombre et en rôle dans l'économie, est plus : au côté de la nation arabe
palestinienne, il incarne la nation juive palestinienne en formation, avec sa langue (l'hébreu
modernisé par Eliezer Ben Yehuda), ses services publics, son embryon d'armée (la Haganah, le
Palmah, mais aussi les troupes de l'Irgoun révisionniste) et, bien sûr, ses institutions. Auprès du
haut commissaire britannique, qui concentre le pouvoir législatif et exécutif en Palestine, les Juifs
sont représentés, conformément à l'article 4 du mandat de la SDN, par un " organisme juif
convenable " : l'Agence juive qui, outre la répartition des " mandats " d'immigration, dirige peu à
peu l'ensemble de la colonisation. La communauté élit également, à la proportionnelle, son
Conseil national, le Vaad Leumi. Trois grands courants se partagent les sensibilités du Yichouv.
D'origine souvent socialiste, les immigrants donnent leur faveur à la gauche : le Mapaï, qui
fusionne les différents courants socialistes en 1930, et, à sa gauche, l'Hachomer Hatzaïr et le
Poale Sion Smole, ancêtres de l'actuel Mapam. Le syndicat Histadrout, possesseur d'une grande
partie de l'appareil économique, leur sert aussi de relais. La droite compte un courant " libéral "
(les Sionistes généraux) et un courant autoritaire (le Parti révisionniste). Enfin, le pôle religieux
se divise entre Mizrahi et Hapoel Mizrahi, qui participent aux institutions, et Agoudat Israël ainsi
que Poale Agoudat Israël, qui, orthodoxes, s'y refusent. Lors des élections de 1931, la gauche, la
droite et les religieux recueillent respectivement 42,3 % 32,4 % et 7 % des suffrages. Seule
formation non sioniste et judéo-arabe, le PC, créé en 1922, résiste mal aux contradictions propres
à sa composition, aggravées par les directives de l'Internationale communiste et le " suivisme ",
qui en découla, à l'égard de la direction du mouvement palestinien. Le Yichouv constitue ainsi,
déjà, une sorte d'État dans l'État. Israël avant Israël. Le 14 mai 1948, il se dotera du seul attribut
qui lui manquait encore : l'indépendance.
Alain Gresh - Dominique Vidal Tous droits réservés Éditions de l'Atelier.

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