Sie sind auf Seite 1von 20

UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS

Denis Travaillé et Yves Dupuy

ISEOR | « Recherches en Sciences de Gestion »

2015/2 N° 107 | pages 111 à 129


ISSN 2259-6372
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-
gestion-2015-2-page-111.htm
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour ISEOR.


© ISEOR. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


revue Recherches en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n°107, p. 111 à 129

Unicité et pluralité des tableaux de bord


organisationnels

Denis Travaillé
Professeur
IAE Lyon, Centre de recherche Magellan (EA 3713)
Université Jean Moulin Lyon 3
(France)

Yves Dupuy
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
Professeur émérite
Montpellier Research Management (EA 4557)
Université de Montpellier
(France)

L’objet de cet article est de mettre en question, le principe


d’unicité dans la conception et l’utilisation des tableaux de bord
organisationnels. Sont ainsi discutés les apports ou réponses
potentiels des tableaux de bord aux impératifs de cohésion des
stratégies et processus organisationnels dans lesquels ils vont
s’insérer.

Mots-clés : BSC, Tableau de bord organisationnel, cohésion


organisationnelle, cohérence stratégique, système de tableaux de
bord.

The purpose of this article is to question the principle of


uniqueness in the design and use of organizational dashboards. The
contributions or the potential answers of the dashboards to the
imperatives of strategy cohesion and organizational processes in
which they will be inserted are thus discussed.
112 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

Key-words: BSC, organizational dashboard, organizational cohesion,


strategic coherence, system of dashboards.

El objetivo de este artículo es cuestionar el principio de unicidad


en la concepción y el uso de los cuadros de control organizacionales.
Así se discuten los aportes o las respuestas potenciales de los cuadros
de control a los imperativos de cohesión de las estrategias y a los
procesos organizacionales en los cuales van a insertarse.

Palabras claves : BSC, Cuadro de control organizacional, cohesión


organizacional, coherencia estratégica, sistema de cuadros de
control.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
De nombreux exemples sont rapportés dans lesquels les tableaux
de bord restent peu ou pas utilisés, ou apparaissent comme déviés de
leurs buts initiaux (voir par exemple, Naro et Travaillé, 2010, 2011b).
Ils deviennent même parfois un facteur d’incompréhension ou de
conflit, et par suite d’inefficacité. Une hypothèse explicative de ces
difficultés pratiques tient à l’insuffisance d’apport de ces tableaux de
bord à la cohérence stratégique et à la cohésion des organisations
concernées (Norreklit, 2000). Les tableaux de bord ne permettraient
pas en effet d’atteindre l’intégration requise des représentations et
comportements. Ils traduiraient de façon insuffisante les liens entre
facettes stratégiques et facettes opérationnelles des processus
organisationnels. En cela, ils devraient marquer une différenciation
plus affirmée entre le « Tableau de Bord Stratégique », par la suite
noté « TBS », et un ou des « Tableaux de Bord Opérationnels »,
ensuite désignés par « TBO ». L’abandon d’une quête d’unicité du
tableau de bord serait ainsi compris comme une condition nécessaire
et suffisante du renforcement de la cohésion entre acteurs
organisationnels. Il conduit à poser les principes de conception d’un
système de tableaux de bord, noté STB, et non plus d’un TBS unique.
D’un point de vue méthodologique, une telle démarche suppose
une harmonisation, entre approche descendante - « top-down » - et
approche ascendante - « bottom-up » - des représentations à insérer,
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 113

en raison de leur pertinence même, dans chacune des composantes


fondamentales du STB. Comment, autrement dit, concilier ou
réconcilier une image supposée unifiée et unificatrice de la stratégie,
celle éventuellement véhiculée par un TBS unique, et la diversité
attendue de TBO adaptables à des attentes opérationnelles locales,
donc variées et variables par définition ? La difficulté est ici soulignée
par la littérature organisationnelle et informationnelle, qui associe
habituellement l’approche « top-down » à la formalisation centralisée
de l’organisation et de son système d’information, alors que le -
« bottom-up » - traduirait plutôt des mécanismes ou préoccupations
d’ordre informel. Par suite, et pour chacune de ces deux approches, il
s’agit de questionner la possibilité même d’établir une complé-
mentarité entre le formel et l’informel, de façon à parvenir à un STB
potentiellement inducteur d’un cadre d’action et de contrôle
homogène (Guibert et Dupuy, 1997).
Résoudre ce problème de mise en harmonie du descendant et de
l’ascendant suppose, au plan théorique, de comprendre et maîtriser les
effets à la fois intégrateurs et différenciateurs du STB. D’un côté, un
TBS conçu comme porteur d’une image formalisée, intégrée et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
intégrative, de la stratégie de l’organisation et du processus de mise en
œuvre de cette stratégie. De l’autre, des TBO définis, jusqu’aux
niveaux les plus élémentaires d’exécution, comme la déclinaison
supposée cohérente du TBS. Mais ce dernier ne devient-il pas, dès
lors, de plus en plus lointain, synthétique, abstrait, voire abscons ?
Comment autrement dit imaginer des TBO à la fois vecteurs de
messages stratégiques et proches des opérationnels, de leurs
préoccupations courantes, de leurs langages, donc immédiatement
intelligibles par chacun d’entre eux ? Comment faire en sorte, en
même temps, que les données des TBO se prêtent à une agrégation
quasi automatique sous forme de systèmes de « reporting » et de
pilotage comptables et financiers ? Ces derniers, très synthétiques et
abscons, peuvent-ils en effet être compris au-delà d’un cénacle de
responsables comptables et financiers ? Comment dès lors ne pas
évoquer à propos des STB, l’apparition de paradoxes, voire de
contradictions, difficilement surmontables y compris au plan théorique
(Travaillé et Marsal, 2007)?
La cohérence stratégique n’en dépend pas moins du dépassement
de ces contradictions. Elle suppose en effet une aptitude pratique et
méthodologique de l’organisation à établir et partager une
représentation de sa propre stratégie. Cette représentation doit ou
devrait rester intelligible aussi bien des acteurs internes à
l’organisation que ses parties prenantes externes, et des autres
composantes de son environnement économique et institutionnel. En
114 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

cela elle reflète et conditionne l’alignement des acteurs de


l’organisation autour de sa stratégie, et donc la cohésion
organisationnelle. Elle exprime la capacité de cette organisation à
s’adapter aux évènements perturbateurs imprévus ou imprévisibles, et
de ne pas en générer spontanément. Son principe évoque ainsi celui de
la pérennité ou encore de la résilience. Il renvoie aux images de la
compréhension, de la confiance, et de la capacité de substitution entre
acteurs, et finalement de la solidarité organisationnelle (Weick, 1995).
C’est la recherche de cette cohérence stratégique qui a sous-tendu la
conception hypothétique d’un « type - idéal » de tableau de bord,
illustrée par le « BSC », ou « Balanced scorecard », traduit par
« Tableau de Bord Stratégique » ou « TBS », ce qui rejoint la
catégorie précédemment évoquée.
Le BSC propose une représentation formalisée, à vocation
normative voire universaliste, initialement définie par Kaplan et
Norton (1992), du processus d’accomplissement stratégique. Cette
représentation s’organise autour de quatre axes majeurs, dès lors
supposés largement récurrents d’une organisation à l’autre : résultats
financiers, clients, processus internes, apprentissage organisationnel.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
En cela, l’hypothèse du BSC rejoint celle d’un possible principe
d’unicité requise du tableau de bord. Selon cette hypothèse, le BSC,
ou le TBS, est en effet supposé constituer le seul cadre intégrateur
théoriquement possible et pratiquement indispensable pour l’action de
chacun des membres de l’organisation. En ce sens, il peut se référer à
un cadre universel et standard c’est-à-dire transposable d’une
organisation à l’autre (Kaplan et Norton, 1992, 1996, 2002). En
particulier, il est supposé pouvoir capter et représenter directement et
en permanence des évènements fugaces et locaux, et cependant
pourvus d’une signification stratégique. Si tel n’était pas le cas,
l’hypothèse d’une possible unicité du tableau de bord se trouverait
mise en échec, ce qui justifierait le passage au « système » de tableaux
de bord, désigné par STB.
L’hypothèse devient alors que la conception et l’utilisation d’un
tel STB peuvent seules préserver la liberté d’initiative et d’action des
acteurs, sans pour autant remettre en cause les choix des dirigeants, et
par là concilier différenciation et intégration. Au fond, le
raisonnement théorique touche donc aux interactions entre systèmes
d’organisation et systèmes d’information. Ses termes seront
développés dans la suite du développement. Ils seront illustrés et
discutés à partir de trois cas représentatifs décrits dans le tableau 1 ci-
après.
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 115

Tableau 1 : Eléments résumés des cas et du protocole d’observation

Cas 1 : grande organisa- Structure : plusieurs Protocole d’observation :


tion publique de milliers de salariés, organi-
recherche dans le sation publique centra- Une recherche action de
domaine de l’énergie lisée ; 2010 à 2014 équivalant à
nucléaire (Dondeyne C, un CIFRE ;
2014) Orientation stratégique :
diversification progressive Série d’entretiens par
à partir d’activités histo- enseignants chercheurs
riques ; extérieurs de 2010 à 2014

Introduction du principe de
TBS en 2009-2010
Cas 2 : unité industrielle Structure : 200 salariés au Protocole d’observation :
de fabrication d’embal- niveau local, plusieurs
lages en carton (Naro et milliers de salariés au Une recherche action de
Travaillé, 2010, 2011b). niveau du groupe interna- 2003 à 2010 ;
tional ; Bureaucratie méca- Série d’entretiens par
niste dominante ; enseignants chercheurs
Orientation stratégique : extérieurs de 2003 à 2014
différenciation par le (suivi d’expérience).
service associé à une forte
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
attention aux coûts ;
Introduction du principe de
TBS en 2003-2004.
Cas 3: laboratoires Structure : quelques Protocole d’observation :
mixtes de recherche dizaines à quelques cen-
d’université scientifique taines de chercheurs ; Une recherche action de
(Gauche K., 2013) Bureaucratie profession- 2010 à 2014 ;
nelle dominante ; Diverses autres sources
Orientation stratégique : d’information
spécialisation par disci-
pline ;
Introduction du principe de
TBS en 2005-2006

L’observation de ces cas a reposé sur un principe d’approche


voisin de la recherche action. Elle a concerné une grande organisation
publique de recherche, une unité industrielle, et, enfin, un ensemble de
laboratoires universitaires. Dans ces trois cas, l’implantation d’un
tableau de bord stratégique unique a été décidée puis longuement mise
en œuvre. Or, elle semble au final avoir été largement mise en échec,
du moins par rapport à son intention initiale. Elle a débouché en
revanche sur des processus de différenciation et d’hybridation des
tableaux de bord et de leur usage. Ces deux facettes – unicité et ses
116 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

limites, différenciation et réponse au principe de variété - articuleront


donc la suite de la présente contribution.

1. – L’hypothèse d’unicité du TBS : intégration et


récursivité

L’hypothèse théorique, ou la possibilité méthodologique et


pratique, de la définition d’un TBS reposerait sur l’identification
explicite, c’est-à-dire normative et formalisable, ou implicite, plutôt
émergente et informelle, d’une stratégie donnée et, complé-
mentairement, d’une organisation clairement délimitée, pourvue d’un
contour fini et quasi stable (Kaplan et Norton, 1992, 1996, 2002,
2003, 2006). De cette proposition découle une mise en tension entre
deux principes fondateurs de la conception du TBS : selon le premier,
le TBS, élaboré de façon centralisée, et dès lors légitimé par le
pouvoir normatif, dirait ou plutôt imposerait à l’organisation ce
qu’elle est, puis doit devenir. Selon le second principe, à l’inverse, il
reviendrait aux composantes de cette organisation de légitimer par
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
leur expertise et d’exprimer auprès des instances de direction, ce qui
doit ou devrait figurer dans le TBS. Une hypothétique mise en
cohérence entre ces deux approches pourrait ensuite à la fois
conditionner et assurer la propriété intégrative du TBS, c’est-à-dire de
lui permettre de donner du sens à la différenciation organisationnelle.

1.1. L’hypothèse d’un TBS fondé sur une intégration hiérarchique


descendante

L’intégration, ou plutôt le degré d’intégration, est ici entendu au


sens d’un alignement des acteurs autour des buts de leur organisation.
Par le biais du TBS, cette intégration se rattacherait à un principe de
cohérence formelle, donc de stabilité, de la stratégie, de la structure
organisationnelle, et des comportements qui en découlent. Autrement
dit, et plus généralement, l’hypothèse intégrative associée à la
conception du TBS reposerait sur l’universalité supposée de son cadre
conceptuel et du langage associé. Typiquement, cette hypothèse est
illustrée par la normativité du BSC, et par sa logique de déclinaison
hiérarchique descendante (Kaplan et Norton, 1992, 1996, 2002). Elle
est désormais à l’œuvre, de façon parfois caricaturale, dans nombre
d’organisations bureaucratiques, publiques notamment. Elle signifie
au fond que toute organisation pourrait envisager de construire et
renvoyer, à partir des axes du BSC, une image fidèle et complète
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 117

d’elle-même et de sa stratégie. Tout acteur de cette organisation


pourrait symétriquement se reconnaître dans cette image et donc la
comprendre. Cohérence conceptuelle, cohérence formelle, et
cohérence méthodologique trouveraient ainsi un cadre de convergence
assuré.

a/ L’hypothèse du BSC comme fondement généralisable du TBS.

Par hypothèse initiale, les quatre axes du BSC sont donc érigés
en expression quasi universelle et chiffrable des composantes
fondamentales d’une doxa gestionnaire complète et formalisée ce qui
renvoie d’une certaine façon à la tétranormalisation (Bessire et al.,
2011). Cette hypothèse tient ou tiendrait à la pertinence supposée des
quatre dimensions initialement présentées et représentées par le
BSC (Kaplan et Norton, 1992, 1996): l’axe financier, l’axe clients,
l’axe des processus internes, et enfin, l’axe de l’apprentissage
organisationnel. A l’appui de la démarche, publications et consultants
livrent au demeurant des listes – type d’indicateurs, parfois très
sophistiquées, et qui accréditent implicitement l’existence d’un
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
modèle gestionnaire unique et fondamental. Logiquement, cette
hypothèse d’une conception centralisée, formalisée, et descendante
d’un tableau de bord unifié et unitaire rejoint au passage l’un des
principes essentiels de la conception des systèmes d’information (Reix
et al., 2011).
C’est cette hypothèse qui a clairement sous-tendu les démarches
engagées autour du TBS dans le cas des trois organisations étudiées en
appui de la présente contribution. Dans ces trois cas en effet, une
injonction de la direction a été émise, en liaison étroite avec la
fonction contrôle de gestion ou son équivalent, en vue d’assurer
l’implantation rapide d’un TBS unique et complet. Cette injonction
s’est accompagnée, dans le cas des deux organisations de recherche,
d’une liste déjà fortement codifiée et détaillée des données à recueillir
et centraliser. Cependant, les tenants et les aboutissants de la
démarche sont restés initialement perçus par les acteurs comme
confus, implicites, et peu motivants. Les réticences se sont en
particulier associées à la crainte d’une perte de pouvoir, puis d’un
surcroît de tâches administratives jugées inutiles, et enfin à une large
incompréhension du sens des données à transmettre. D’un point de
vue organisationnel et informationnel, cet argumentaire est sans
surprise. Il confirme des risques décrits par de nombreux travaux
relatifs à la centralisation et à la formalisation dans la conception des
systèmes d’information (Reix et al., 2011 ; Bollecker et Naro, 2014).
118 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

A défaut de pouvoir faire ainsi l’objet d’une transposition


immédiate et complète dans sa forme normative, le principe général
de conception du BSC peut-il au moins constituer un fondement
méthodologique praticable et efficace ?

b/ L’hypothèse d’une méthode universelle de conception des TBS

La possibilité de recourir à une méthode suffisamment générale,


mais formalisée, de conception du TBS pourrait constituer une voie
pour s’affranchir de l’utilisation immédiate d’un « modèle » de type
BSC à prétention trop universaliste, et de contenu trop normatif et
réducteur, tout en préservant les propriétés attendues de l’unicité du
TBS. Comme cela a été suggéré au point précédent, et de façon
schématique, une méthodologie cohérente de conception des TBS doit
ou devrait proposer un cadre permettant de décliner avec rigueur
l’enchaînement qui conduit des finalités ou missions de l’organisation
à la formulation de ses intentions ou buts stratégiques, puis à
l’identification de variables essentielles représentatives de ces buts et
enfin, grâce à ces variables, à la définition d’objectifs quantifiés
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
supposés significatifs de la « bonne » gestion, celle qui figure ou
exprime la rationalité de l’organisation. L’essentiel serait alors que les
représentations chiffrées ainsi avancées soient issues de processus de
conception ouverts à une constante remise en question, ainsi que le
démontre notamment Lorino (2011). Le TBS, et le processus de
conception associé, tendraient ainsi à se transformer en support
permanent d’émergence, ou de réémergence, de cette même stratégie.
Cette hypothèse générale d’une possible transition vers une
conception dynamique et participative du TBS s’exprime clairement
dans chacun des trois cas déjà évoqués. Dans celui de la grande
structure bureaucratisée de recherche, la définition et la transmission
du système initial des objectifs échoue en effet, faute d’implication
suffisante de la direction générale, ce qui rend pratiquement
impossible le dépassement des incompatibilités des langages et des
intentions locales. Au sein de l’unité industrielle, les objectifs sont
systématiquement reformulés. En définitive, ils servent essen-
tiellement de supports de communication et de discussion à propos de
problèmes par ailleurs déjà détectés depuis longtemps par les
responsables de terrain. Dans ce cas, le TBS contribue finalement très
peu, et de façon indirecte, aux processus courants de décision. Au sein
des laboratoires universitaires enfin, les objectifs imposés par la
technostructure restent purement et simplement ignorés ou même
inconnus, au moins en un premier temps, et bien qu’ils soient
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 119

formellement renseignés et transmis conformément aux procédures


administratives.
Ainsi, dans sa conception initiale du moins, le BSC unifié ou ses
avatars se révèlent mal adaptés à leur intention de recherche d’une
cohérence intégrative. L’intérêt de leur utilisation reste en effet mal
perçu. Leur conception est donc détournée ou déformée au gré de
considérations locales. Leur usage devient par là même dévié de ses
finalités organisationnelles d’ensemble, suggérant même la possibilité
ou la nécessité d’une sorte d’inversion du principe de leur conception.

1.2. L’hypothèse d’un TBS fondé sur une émergence ascendante

Le thème de la réémergence stratégique (Mintzberg et Waters,


1985) va de pair avec ceux de la réflexivité et de la réversibilité du
TBS. Autrement dit, pour rester intégratif, ce dernier doit demeurer
réflexif, c’est-à-dire admettre, de façon récurrente, des modifications
ascendantes. Par suite, la cohérence formelle des représentations
spatiales et temporelles contenues dans le TBS se trouve systéma-
tiquement mise en question. Dès lors, la congruence initialement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
supposée entre la déclinaison informationnelle proposée par le TBS, la
structure organisationnelle qu’il reflète, et la stratégie qu’il exprime
n’est plus durablement assurée. C’est en ce sens que la conception du
TBS doit ou devrait s’inscrire, à tous les niveaux de l’organisation,
dans un principe récursif. (Naro et Travaillé, 2013). En cela, il
permettrait la maîtrise des problèmes de cohésion posés par la
complexité de l’organisation et la subjectivité de ses acteurs. Il
traduirait également l’irréversibilité des évolutions, en proposant des
représentations de l’instabilité et de l’incertitude.

a/ Le TBS et la barrière de complexité subjective

La déclinaison récursive du TBS répond au besoin théorique de


produire et reproduire, en permanence, des représentations telles que
tout évènement pourvu d’une signification stratégique trouve une
image formelle, sous la forme par exemple d’un écart chiffré. En
même temps, et de façon complémentaire, le signal ainsi formalisé
doit préserver une propriété de pertinence, c’est à dire rester adapté à
la subjectivité des acteurs. Formellement, il s’agit de rechercher le
degré de variété requise des représentations formelles contenues dans
le TBS, et par suite de repérer au préalable la variété et la nature des
évènements à détecter et représenter. La connaissance du terrain, mais
aussi la théorie, viennent alors au secours du concepteur. Elles sont
ainsi supposées suffisamment fines, suffisamment différentielles, pour
120 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

permettre de comprendre et décrire complètement les relations entre


les transformations de la stratégie et celles de l’organisation. A défaut
en effet, différences et différenciation stratégique et organisationnelles
resteraient l’expression primaire d’un empirisme biaisé par la
subjectivité des acteurs appelés à parler de stratégie. Or, c’est bien
cette subjectivité des acteurs qui risque non pas de freiner
immédiatement la réflexivité stratégique, mais plutôt de limiter la
possibilité d’en proposer une formalisation stable et clarificatrice, sous
forme justement d’adaptation du TBS.
Ainsi, dans l’unité industrielle étudiée, l’intégration des données
locales dans le TBS est présentée comme trop tardive et non
représentative de l’image de l’organisation, à la fois dans l’espace et
dans le temps. Elle ne contribue donc pas ou peu aux inflexions
stratégiques. De même, dans la grande organisation de recherche, les
managers locaux privilégient les seuls indicateurs qu’ils estiment bien
maîtriser. Ils laissent donc dans l’ombre les indicateurs jugés
problématiques. En même temps, ils proposent des systèmes
d’indicateurs tellement complexes et parfois spécifiques qu’ils ne
peuvent pas être clairement mis en relation avec des cartes
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
stratégiques. De la sorte, ces indicateurs se révèlent trop déconnectés
pour faire apparaître des facteurs clef de succès partagés. Dans les
laboratoires scientifiques, enfin, la réflexivité est absente par
définition en quelque sorte, puisque seuls les échelons centraux et
lointains de la technostructure ont prise sur le système d’indicateurs,
et le laissent d’ailleurs volontiers figé, pour des raisons de
comparabilité supposée dans le temps et dans l’espace.
Ainsi, les tentatives ascendantes de formalisation, de clarification
et de synthèse du TBS conduisent à proposer des représentations
paradoxalement vides de sens, du moins en partie. L’instauration d’un
principe de conception récursif du TBS paraît ainsi manquer son
intention d’assurer une meilleure adaptation à la barrière de
complexité. En tout cas, elle semble loin d’en assurer le dépassement,
d’autant plus qu’elle doit en outre et en même temps se préoccuper de
l’intégration de l’incertitude.

b/ Le TBS et la barrière d’incertitude

Dans sa quête de sens, la conception du TBS doit donc viser à


toujours mieux intégrer la réflexion des différents acteurs, quelle que
soit leur position dans l’organisation. Pour aboutir, cette réflexivité
doit aussi pouvoir, et à proprement parler, « s’agréger » en représen-
tations formellement cohérentes et suffisamment stables. Ici, la
cohérence formelle renvoie d’abord à la question déjà soulevée du
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 121

possible recours à un langage partagé, doté par conséquent d’un sens


commun, et cela quelle qu’en soit la déclinaison, horizontale ou
verticale. Par suite, et ensuite, ce langage doit ou devrait se prêter à
des traitements arithmétiques ou logiques cohérents donc intelligibles
par chacun. Plus fondamentalement, ces questions touchent en
conséquence non seulement aux langages mobilisés, mais aussi aux
codes voire aux symboles convoqués, desquels un apprentissage
organisationnel global serait supposé faciliter l’adaptation et donc
l’intégration. Un tel apprentissage deviendrait ainsi constitutif de la
réponse à l’incertitude organisationnelle. Encore conviendrait-il d’en
préciser les termes et la méthode, de façon notamment à le rendre en
quelque sorte robuste face à l’instabilité de la stratégie, donc de
l’organisation.
A cet égard, les trois cas étudiés révèlent avant tout des
contradictions difficilement franchissables entre les catégories
méthodologiques habituellement convoquées et les attentes supposées
de l’organisation vis-à-vis de son TBS. Les processus et leurs
représentations restent par exemple figés. Ils font l’objet d’images peu
cohérentes entre elles, donc très difficilement comparables, et
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
globalement peu significatives. Leur contribution potentielle à
l’adaptation du TBS se révèle donc faible ou nulle. Elle ne révèlerait
d’ailleurs pas grand-chose des effets de l’instabilité et de l’incertitude.
Tel est le cas dans la grande organisation de recherche. C’est aussi le
cas dans l’organisation industrielle. Les laboratoires universitaires
restent également cantonnés dans des représentations qui ne sauraient
devenir formellement réflexives, puisque l’incertitude est la marque
fondamentale de la recherche. Pour la plupart des chercheurs,
notamment les plus illustres, la meilleure stratégie de recherche est en
effet, ou devrait être, … de ne pas en avoir.
De façon plus ou moins explicite, la stabilité semble donc
conditionner la possibilité même de développer la dynamique de
création de sens et d’apprentissage évoquée ci-dessus. Processus,
chaînes de valeur, facteurs clef de succès supposent une invariance et
une répétitivité minimale. Par suite, leur mobilisation ne semble guère
pouvoir résister à une instabilité marquée ou à une forte incertitude.
Que peut alors apporter, dans un tel contexte, la conception, la
formalisation et l’utilisation d’un TBS unique ?
Ainsi, l’application d’une approche récursive du TBS ne fait que
mieux en souligner les limites, face à la variété et à l’instabilité. Il
suggère en première analyse le dépassement du principe d’unicité,
sous la forme d’une hypothétique démultiplication du tableau de bord
général en tableaux de bord locaux et opérationnels, les TBO. Ces
122 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

derniers permettraient par hypothèse de rééquilibrer les tensions entre


intégration et différenciation stratégiques et organisationnelles.

2. – L’hypothèse d’un système de tableaux de bord : variété


et agrégation

Pour dépasser les limites de l’unicité du TBS, notamment en


situation de différenciation marquée et rapide, et pour limiter ainsi le
risque d’échec de la stratégie, la démarche fondamentale renvoie au
principe général de variété requise. Il s’agit autrement dit de mettre en
adéquation la variété des évènements à représenter et celle des
éléments introduits dans les représentations formelles. Cela implique
d’inclure dans le STB plus de représentations, construites et diffusées
plus vite, et au plus près des acteurs concernés. Il n’apparaît là rien
d’autre qu’une logique de décomposition en sous-systèmes supposés
séparables donc relativement indépendants, de façon à en accroître la
contrôlabilité. C’est précisément cette question de la séparabilité qui
peut guider la conception du système des TBO mais aussi en marquer
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
les limites : comment en effet interpréter, puis réintégrer au besoin,
des TBO initialement fortement différenciés, voire supposés
radicalement autonomes ?

2.1. L’hypothèse de séparabilité des tableaux de bord


opérationnels

La différenciation entre TBS et TBO, puis entre TBO eux-


mêmes, vise donc théoriquement à développer la variété de forme et
de sens des représentations mises à la disposition des acteurs ou
décideurs. En cela elle vise aussi à répondre à une logique de
séparation à la fois verticale et horizontale. En rapprochant ainsi la
conception des TBO de leurs utilisateurs elle souhaite faciliter
l’adaptation comme l’interprétation des données requises puis
produites. Mais, en même temps, elle tend à isoler, donc à
« désagréger » en quelque sorte les représentations qu’elle suggère et
les pôles de décision qu’elle soutient. C’est la maîtrise de cette tension
entre variété et agrégation que met en question l’hypothèse de
séparabilité des TBO.

a/ Les systèmes d’indicateurs locaux comme réponse au principe de


variété requise
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 123

De façon générale, les systèmes d’indicateurs contenus dans les


TBO sont à concevoir comme une réponse à la subjectivité de chaque
catégorie d’acteur concerné. Ils sont donc en principe définis
localement et temporairement, puisque, par définition en quelque
sorte, ils ne peuvent pas rester figés. Leur liberté de conception est
ainsi, et plus généralement, supposée faciliter la réponse au principe
de variété requise des représentations. Mais en contrepartie elle
aboutit inévitablement à une forte différenciation des formes : y sont
en effet convoqués des indicateurs « non financiers », c’est-à-dire
extra comptables, ou purement physiques, mais cependant comptables
au sens générique du terme puisque quantitatifs, qualitatifs car non
chiffrables, quoique susceptibles de s’ordonner en fonction d’échelles
plus ou moins fondées et intelligibles. Il est alors souvent question
d’indicateurs « d’action », sous-entendu : du quotidien, ou, pour le
moins, relevant de boucles courtes de régulation. A l’évidence, la
conception et l’usage des TBO poussent ainsi au cloisonnement
organisationnel. Ils induisent par là même un risque de dispersion et
d’incohérence.
Un tel mécanisme de différenciation est à l’œuvre dans les trois
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
cas étudiés. Dans le cas de l’organisation industrielle de recherche, un
Tableau de bord dit opérationnel est en place depuis une dizaine
d’années. Mais il produit une grosse masse de données et fait l’objet
d’une utilisation présentée comme très dépendante du style cognitif de
chaque responsable. Cette tendance à la dispersion et à la séparation se
manifeste de fait par le quasi abandon de l’usage du TBS et par la
perception négative du système de reporting. Ce dernier est en effet
jugé par les différents responsables consommateur de temps et peu
utile au quotidien. Des tableaux de bord locaux disparates se mettent
alors en place. Au sein des laboratoires universitaires, des tableaux de
bord très simplifiés finissent également par apparaître comme
prémices à de possibles processus d’hybridation des logiques de
gestion.
Ainsi, les obstacles à l’agrégation des données fournies par les
tableaux de bord opérationnels ou locaux apparaissent inévitables.
S’ils n’étaient pas présents, les TBO risqueraient en effet et
paradoxalement, de ne plus atteindre leurs objectifs initiaux de
réponse au principe de variété requise (Dupuy, 2007).

b/ Les freins à l’agrégation des tableaux de bord locaux

La logique de conception des TBO apparaît ainsi comme la


résultante d’une tension difficilement maîtrisable entre la recherche et
124 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

la création de pertinences locales et le maintien de la cohérence


informationnelle et organisationnelle globale.
La pertinence locale des données issues des TBO se prête en
effet difficilement au maintien d’un minimum de cohérence formelle
globale, fut-elle purement apparente. Tel délai défini et mesuré
localement, dans un atelier par exemple, ne présentera guère de sens
commun avec tel autre, considéré, et de nouveau à titre d’exemple,
dans un service administratif. Les mesures mêmes de ces délais ne
pourront donc devenir ni comparables, ni a fortiori, susceptibles
d’agrégation, par le moyen d’additions ou de moyennes par exemple
(voir cependant Savall et Zardet, 2004). Les illustrations de ce type
pourraient facilement être multipliées, à propos de taux de qualité ou
de respect de procédure, d’indices de satisfaction de salariés ou de
clients, et plus encore de bien d’autres données qualitatives. La
difficulté se trouve de plus fréquemment renforcée par la différence
des maillages temporels pertinents : journée ici, semaine ailleurs, mois
en d’autres lieux, etc.
Les trois cas étudiés permettent de confirmer que, d’un point de
vue stratégique et organisationnel, la logique du découpage en TBO
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
ne peut reposer que sur l’hypothèse fondamentale de séparabilité et
d’indépendance des entités auxquelles sont associés les TBO en
question. Ainsi la performance et le pilotage de l’unité industrielle
sont clairement déclarés comme séparables, séparés et indépendants
de ceux des autres unités du groupe. De même, il a été indiqué que
dans le cas de la grande organisation industrielle de recherche, les
indicateurs développés et utilisés localement échappent à toute
possibilité d’agrégation sous forme de carte stratégique. Les directeurs
de laboratoires universitaires affirment logiquement que leurs
processus de fonctionnement et de pilotage ne peuvent rester
qu’autonomes et indépendants. Dans ce type de cas, toute agrégation
de données se révèle donc dépourvue de signification.
C’est dire que l’hypothèse d’un effet intégrateur du recours à un
système de TBO dépend de conditions théoriques et pratiques qui
appellent pour le moins un examen attentif. Ces conditions ne
sauraient en tout cas être réduites au respect d’injonctions normatives
formulées par tel ou tel acteur ou tel ou tel consultant. Cela étant, il
convient de discuter l’apport potentiel du système de TBO au
réexamen, voire à une conception profondément rénovée du TBS.
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 125

2.2. L’hypothèse de réagrégation des Tableaux de bord


opérationnels

Une hypothèse essentielle sous tendue par le recours à un


système de TBO est que ces derniers pourraient être agrégés soit de
façon formelle, quasi mécanique, selon une procédure ascendante de
traitement des données, soit par le biais d’un processus organisa-
tionnel plus complexe d’apprentissage. Ainsi pourraient être assurés le
bouclage et la mise en cohérence des TBO avec le TBS et la
formulation de la stratégie sous-jacente.

a/ Le « bottom- up » comme principe d’échange organisationnel

Comme cela a été souligné précédemment, la démarche


ascendante dite du « bottom-up » est constamment confrontée à un
risque d’impasse dans la conception des TBO. Si les indicateurs
locaux se différencient suffisamment, ils deviennent formellement
incohérents donc impossibles à agréger de façon arithmétique ou
logique; si en revanche cette différenciation est bridée par un cadre
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
normatif ou méthodologique, elle se heurte à la barrière de complexité
– variété trop limitée des représentations possibles – et à celle
d’incertitude – impossibilité d’adapter rapidement ces représentations
à l’instabilité -. Sortir de ce type d’impasse suppose donc la recherche
et l’acceptation de compromis empiriques. Cela revient à admettre que
la conception du système des TBO, puis du STB, offre l’ intérêt
essentiel de déclencher et soutenir un processus organisationnel
d’apprentissage et de contrôle « interactif », pour reprendre un terme
devenu courant (Simons, 1995 ; Kaplan et Norton, 2003, 2006 ; Naro
et Travaillé, 2010, 2011a, 2011b ; Dupuy, 2013a, 2013b). Autrement
dit, la conception des TBO et des STB tend vers celle d’un processus
de communication, de dialogue et de partage, sur et par la stratégie et
les performances.
De ce point de vue et parmi les trois cas étudiés, l’illustration la
plus significative est celle de l’unité industrielle. Le processus de
conception des tableaux de bord y aboutit avant tout à des échanges
entre des responsables de fonctions jusqu’alors peu habitués à
communiquer entre eux. Cette nouvelle culture d’échange a ensuite
perduré malgré l’abandon du TBS. Elle s’est accompagnée de la mise
en place de tableaux de bord locaux mieux adaptés à chacune des
entités et permettant aussi de traduire et prendre en compte les effets
de leurs interdépendances opérationnelles. Dans le cas de la grande
organisation de recherche, un double mécanisme est à l’œuvre. Il va
de pair avec des processus d’échanges renforcés. D’une part, on
126 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

constate la mise en place d’un système de données unifié mais tenant


compte des interdépendances fonctionnelles et structurelles. D’autre
part, la libre possibilité est laissée aux différents responsables de
construire leur propre tableau de bord par forage dans le système de
données ainsi obtenu. Dans les laboratoires universitaires, malgré les
singularités observées, les responsables finissent par s’impliquer dans
des processus d’échanges liés à des préoccupations gestionnaires.
Ces exemples tendent à donner des figures d’organisations plus
cohésives, résilientes, cohérentes dans leurs structures et leurs
processus. Ce tableau organisationnel évidemment quelque peu
idéalisé pourrait annoncer de nouveaux processus d’apprentissage et
d’émergence stratégique.

b/ Le STB repensé comme support d’apprentissage d’une stratégie


émergente

Finalement, est-ce le STB qui fait la stratégie plutôt que


l’inverse ? Un STB peut-il émerger en l’absence de stratégie ?
Pour répondre à ces questions, il s’agit non pas de contourner ou
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
d’ignorer les paradoxes, les contradictions et les incompréhensions
liés à la stratégie et aux performances, mais bien de les recenser et de
les analyser, d’en comprendre les origines. Ainsi sont supposés
s’exprimer et se clarifier les jeux de pouvoir et les possibles conflits
latents. Ainsi est également supposé se mettre en place, autour du
STB, une forme de théâtre politique duquel émergeront les compromis
précisément requis afin que se maintienne ou se renforce la cohésion
organisationnelle. Chacun est alors censé trouver ou retrouver sa place
et sa contribution à l’organisation et à sa stratégie, puis occuper
efficacement cette place, ce qui sous-tend bien sûr des engagements
coopératifs réciproques entre tous les membres de l’organisation. La
stratégie de l’organisation pourrait dès lors apparaître dès lors comme
consubstantielle à un processus de partage, de mise en commun
d’actions locales a priori disparates voire incohérentes, et dispersées
dans le temps, au hasard de boucles de régulation non homogènes
(Chapman, 2005).
Cette inversion de la logique de conception du STB ne signifie
pas forcément évolution chaotique de l’organisation et de sa stratégie.
Ainsi, la grande organisation de recherche renforce et encourage la
mise en place d’unités stratégiquement autonomes donc pourvues
d’une grande capacité d’initiative et d’autocontrôle. Dans l’unité
industrielle, on assiste à une recentralisation de la stratégie au niveau
du groupe accompagnée d’un renforcement du système de reporting.
Mais c’est là un résultat accepté au terme du processus d’échange
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 127

précédemment évoqué. Au sein des laboratoires universitaires, les


discussions se traduisent par un processus d’hybridation de plus en
plus affirmé. Autrement dit, les directeurs intègrent de plus en plus
complètement dimension scientifique et dimension économique.
Ainsi, il ressort de ces cas, qu’un ordre stratégique – logique et
chronologique pourrait renaître - du désordre initialement libéré et
exprimé grâce au STB. Cette stratégie réinventée resterait cependant
en perpétuelle remise en question. La récursivité stratégique pourrait
poursuivre sa dynamique, et engager l’organisation vers de nouveaux
apprentissages, et vers des STB constamment reformulés. Plus
généralement, et au-delà de la conception du STB, c’est la capacité
d’apprentissage organisationnel qui se profile en tant que principe
fondamental permettant de dépasser toutes les résistances, de dominer
toutes les complexités et de répondre à toutes les incertitudes.

Conclusion

Ainsi, d’un point de vue théorique, l’intérêt fondamental du STB


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
est d’inciter à mieux aller au cœur des organisations, d’aider à en
approcher puis à en décrire les capacités et la dynamique, la
reconstruction informationnelle, structurelle et stratégique perma-
nente. Certains évoqueraient à ce propos l’idée d’un mythe
mobilisateur, d’autres celle d’un support propre à la critique et à
l’expression politique, d’autres enfin celle d’un processus mimétique
ou cérémoniel. Ces questions restent ouvertes et appellent des
développements qui dépassent le cadre de la présente contribution.
Plus concrètement, il convient d’interpréter les STB comme l’un
des outils méthodologiques mis à la disposition des contrôleurs de
gestion pour étayer la cohésion des organisations et de leurs systèmes
de pilotage. Mais, pour répondre correctement à cette finalité, cet outil
appelle, comme tous les autres dans le domaine de la gestion, un usage
contingent donc raisonné, et en tout cas affranchi de l’esprit et de
l’espoir d’une simplification normative et positive, donc universaliste.
C’est dire que l’outil en question ne peut constituer le support
exclusif de l’intégration. Malgré tous les perfectionnements formels et
méthodologiques qu’en suggèrent les consultants et la littérature, il ne
saurait en effet prétendre satisfaire les attentes de chacun des acteurs,
de chacune des parties prenantes de l’organisation, quelle qu’elle soit.
Il ne peut donc se concevoir que comme un complément à d’autres
outils, plus ou moins conventionnels et formalisés, de la mise en
cohésion et du contrôle de l’organisation et de sa stratégie :
128 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY

comptabilités à usage interne et externe, systèmes de « reporting »,


systèmes budgétaires, systèmes d’aide à la décision, etc.
Les dirigeants et responsables ne doivent donc pas croire que
l’implantation d’un TBS unique puisse être de nature à renforcer la
cohésion de leur organisation et la cohérence de leur stratégie. De
même, tout système d’indicateurs excessivement détaillé et formalisé
à l’avance est voué à l’échec. Mais c’est le principe même de la
réflexion autour d’un STB ouvert et émergent qui peut seul devenir un
puissant vecteur d’apprentissage et de cohésion.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BESSIRE D., CAPPELLETTI L., PIGE B., Normes : origines et conséquences des
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
crises, Economica, 2010.
BOLLECKER M. et NARO G., Le contrôle de gestion aujourd’hui - Débats,
controverses et perspectives - , Editions Vuibert, Paris, 2014.
CHAPMAN C. S., Controlling Strategy, Management, Accounting and
Performance Measurement, Oxford University Press, 2005.
DONDEYNE C., La légitimité du contrôleur de gestion dans le secteur public –
Le cas d’une organisation publique professionnelle, le CEA, Thèse de
doctorat en sciences de gestion, Université Montpellier 2, 2014.
DUPUY Y., « Contrôlabilité des organisations et principe de variété requise »
in Connaissance et Management, Dubois, P.L., Dupuy, Y. éd., pp. 33-41.
Economica, mars 2007.
DUPUY Y., « Préface », in Contrôle de gestion interactif, Alcouffe S., Boitier
M., Rivière A., Villesèque-Dubus F., Editions Dunod, Paris, 215 p. 2013a.
DUPUY Y., « Préface », in Contrôle de gestion sur mesure, Alcouffe S., Boitier
M., Rivière A., Villesèque-Dubus F., Editions Dunod, Paris, 258 p. 2013b.
GAUCHE K., L’appropriation des dispositifs de pilotage – Le cas de la
recherche à l’université, Thèse de doctorat en sciences de gestion,
Université de Montpellier 2, 2013.
GUIBERT N., DUPUY Y., « La complémentarité entre le contrôle formel et le
contrôle informel : le cas de la relation client-fournisseur », Comptabilité
Contrôle Audit, 3, (1), 1997, pp. 39-52.
KAPLAN R.S., NORTON D. P., « The balanced Scorecard: Measures that Drive
Performance », Harvard Business Review, January 1992.
KAPLAN R.S., NORTON D. P., Balanced Scorecard: translating Strategy into
Action, Harvard Business School Press, Boston, 1996.
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 129

KAPLAN R.S., NORTON D. P., The Strategy- Focused Organization: How


Balanced Scorecard Companies Thrive in the New Business Environment,
Harvard Business School Press, Boston, 2002.
KAPLAN R.S., NORTON D. P., Strategy Maps: converting intangible assets into
tangible outcomes, Harvard Business School Press, Boston, 2003.
KAPLAN R.S., NORTON D. P., Strategic Alignment, Harvard Business School
Press, Boston, 2006.
LORINO P., « Du chiffre, adoré ou exécré, au chiffrage, pratiqué », in :
Comptabilité, contrôle et société, Mélanges en l’honneur du Professeur
Alain Burlaud, Editions Foucher, 2011.
MINTZBERG H., WATERS J.A., « Of Strategies, Deliberate and Emergent »,
Strategic Management Journal, vol. 6 n°3; pp. 257-272, 1985.
NARO G., TRAVAILLÉ D., « Construire les stratégies avec le Balanced
Scorecard: vers une approche interactive du modèle de Kaplan et
Norton », Finance Contrôle Stratégie, vol. 13 n°2, juin 2010, pp. 33-66.
NARO G., TRAVAILLÉ D., « Le BSC à l’épreuve de l’expérience : entre
assemblage d’un « puzzle » et construction d’un « lego », une relecture du
BSC au prisme du modèle des leviers de contrôle », Revue Française de
Gestion, vol 2 n°211, février, pp. 66-80, 2011a.
NARO G., TRAVAILLÉ D., « The Role of the Balanced Scorecard in the
Formulation and Control of Strategic Processes », Journal of Applied
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - USMBA Hamza - 102.48.25.115 - 23/04/2020 20:51 - © ISEOR
Accounting Research, Accounting and management control, Volume 12,
Number 3, pp. 212-233, 2011b.
NARO G., TRAVAILLÉ D., « Contrôle de gestion et pérennité organisationnelle:
les apports du Balanced Scorecard comme levier de contrôle interactif »,
in : Pilotage de la pérennité organisationnelle. Normes, Représentations
et Contrôle, Ouvrage coordonné par Sophie Mignon, Editions EMS, avril
2013, pp. 163-187.
REIX R., FALLERY B., KALIKA M., ROWE F., Systèmes d’information et
management des organisations, Editions Vuibert, 6ème édition, Paris,
2011.
NORREKLIT H., « The Balance of the Balanced Scorecard-A Critical Analysis
of some of its Assumptions », Management Accounting Research, vol. 11,
n° 1, pp. 65-88, 2000.
SAVALL H, ZARDET V., Recherche en sciences de gestion, approche
qualimétrique: observer l’objet complexe, Economica, Paris, 2004.
SIMONS R. L, Levers of Control: How Managers Use Innovative Control
Systems to Drive Strategic Renewal, Harvard Business School Press,
1995.
TRAVAILLÉ D., MARSAL C., « Automatisation des tableaux de bord et
cohérence du contrôle de gestion : à propos de deux cas », Comptabilité
Contrôle Audit, Décembre 2007, pp. 75-96.
WEICK E., Sensemaking in Organizations, Ed. Sage, Thousand Oaks,
California, 1995.

Das könnte Ihnen auch gefallen