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Denis Travaillé
Professeur
IAE Lyon, Centre de recherche Magellan (EA 3713)
Université Jean Moulin Lyon 3
(France)
Yves Dupuy
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Professeur émérite
Montpellier Research Management (EA 4557)
Université de Montpellier
(France)
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De nombreux exemples sont rapportés dans lesquels les tableaux
de bord restent peu ou pas utilisés, ou apparaissent comme déviés de
leurs buts initiaux (voir par exemple, Naro et Travaillé, 2010, 2011b).
Ils deviennent même parfois un facteur d’incompréhension ou de
conflit, et par suite d’inefficacité. Une hypothèse explicative de ces
difficultés pratiques tient à l’insuffisance d’apport de ces tableaux de
bord à la cohérence stratégique et à la cohésion des organisations
concernées (Norreklit, 2000). Les tableaux de bord ne permettraient
pas en effet d’atteindre l’intégration requise des représentations et
comportements. Ils traduiraient de façon insuffisante les liens entre
facettes stratégiques et facettes opérationnelles des processus
organisationnels. En cela, ils devraient marquer une différenciation
plus affirmée entre le « Tableau de Bord Stratégique », par la suite
noté « TBS », et un ou des « Tableaux de Bord Opérationnels »,
ensuite désignés par « TBO ». L’abandon d’une quête d’unicité du
tableau de bord serait ainsi compris comme une condition nécessaire
et suffisante du renforcement de la cohésion entre acteurs
organisationnels. Il conduit à poser les principes de conception d’un
système de tableaux de bord, noté STB, et non plus d’un TBS unique.
D’un point de vue méthodologique, une telle démarche suppose
une harmonisation, entre approche descendante - « top-down » - et
approche ascendante - « bottom-up » - des représentations à insérer,
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 113
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intégrative, de la stratégie de l’organisation et du processus de mise en
œuvre de cette stratégie. De l’autre, des TBO définis, jusqu’aux
niveaux les plus élémentaires d’exécution, comme la déclinaison
supposée cohérente du TBS. Mais ce dernier ne devient-il pas, dès
lors, de plus en plus lointain, synthétique, abstrait, voire abscons ?
Comment autrement dit imaginer des TBO à la fois vecteurs de
messages stratégiques et proches des opérationnels, de leurs
préoccupations courantes, de leurs langages, donc immédiatement
intelligibles par chacun d’entre eux ? Comment faire en sorte, en
même temps, que les données des TBO se prêtent à une agrégation
quasi automatique sous forme de systèmes de « reporting » et de
pilotage comptables et financiers ? Ces derniers, très synthétiques et
abscons, peuvent-ils en effet être compris au-delà d’un cénacle de
responsables comptables et financiers ? Comment dès lors ne pas
évoquer à propos des STB, l’apparition de paradoxes, voire de
contradictions, difficilement surmontables y compris au plan théorique
(Travaillé et Marsal, 2007)?
La cohérence stratégique n’en dépend pas moins du dépassement
de ces contradictions. Elle suppose en effet une aptitude pratique et
méthodologique de l’organisation à établir et partager une
représentation de sa propre stratégie. Cette représentation doit ou
devrait rester intelligible aussi bien des acteurs internes à
l’organisation que ses parties prenantes externes, et des autres
composantes de son environnement économique et institutionnel. En
114 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY
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En cela, l’hypothèse du BSC rejoint celle d’un possible principe
d’unicité requise du tableau de bord. Selon cette hypothèse, le BSC,
ou le TBS, est en effet supposé constituer le seul cadre intégrateur
théoriquement possible et pratiquement indispensable pour l’action de
chacun des membres de l’organisation. En ce sens, il peut se référer à
un cadre universel et standard c’est-à-dire transposable d’une
organisation à l’autre (Kaplan et Norton, 1992, 1996, 2002). En
particulier, il est supposé pouvoir capter et représenter directement et
en permanence des évènements fugaces et locaux, et cependant
pourvus d’une signification stratégique. Si tel n’était pas le cas,
l’hypothèse d’une possible unicité du tableau de bord se trouverait
mise en échec, ce qui justifierait le passage au « système » de tableaux
de bord, désigné par STB.
L’hypothèse devient alors que la conception et l’utilisation d’un
tel STB peuvent seules préserver la liberté d’initiative et d’action des
acteurs, sans pour autant remettre en cause les choix des dirigeants, et
par là concilier différenciation et intégration. Au fond, le
raisonnement théorique touche donc aux interactions entre systèmes
d’organisation et systèmes d’information. Ses termes seront
développés dans la suite du développement. Ils seront illustrés et
discutés à partir de trois cas représentatifs décrits dans le tableau 1 ci-
après.
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 115
Introduction du principe de
TBS en 2009-2010
Cas 2 : unité industrielle Structure : 200 salariés au Protocole d’observation :
de fabrication d’embal- niveau local, plusieurs
lages en carton (Naro et milliers de salariés au Une recherche action de
Travaillé, 2010, 2011b). niveau du groupe interna- 2003 à 2010 ;
tional ; Bureaucratie méca- Série d’entretiens par
niste dominante ; enseignants chercheurs
Orientation stratégique : extérieurs de 2003 à 2014
différenciation par le (suivi d’expérience).
service associé à une forte
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attention aux coûts ;
Introduction du principe de
TBS en 2003-2004.
Cas 3: laboratoires Structure : quelques Protocole d’observation :
mixtes de recherche dizaines à quelques cen-
d’université scientifique taines de chercheurs ; Une recherche action de
(Gauche K., 2013) Bureaucratie profession- 2010 à 2014 ;
nelle dominante ; Diverses autres sources
Orientation stratégique : d’information
spécialisation par disci-
pline ;
Introduction du principe de
TBS en 2005-2006
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leur expertise et d’exprimer auprès des instances de direction, ce qui
doit ou devrait figurer dans le TBS. Une hypothétique mise en
cohérence entre ces deux approches pourrait ensuite à la fois
conditionner et assurer la propriété intégrative du TBS, c’est-à-dire de
lui permettre de donner du sens à la différenciation organisationnelle.
Par hypothèse initiale, les quatre axes du BSC sont donc érigés
en expression quasi universelle et chiffrable des composantes
fondamentales d’une doxa gestionnaire complète et formalisée ce qui
renvoie d’une certaine façon à la tétranormalisation (Bessire et al.,
2011). Cette hypothèse tient ou tiendrait à la pertinence supposée des
quatre dimensions initialement présentées et représentées par le
BSC (Kaplan et Norton, 1992, 1996): l’axe financier, l’axe clients,
l’axe des processus internes, et enfin, l’axe de l’apprentissage
organisationnel. A l’appui de la démarche, publications et consultants
livrent au demeurant des listes – type d’indicateurs, parfois très
sophistiquées, et qui accréditent implicitement l’existence d’un
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modèle gestionnaire unique et fondamental. Logiquement, cette
hypothèse d’une conception centralisée, formalisée, et descendante
d’un tableau de bord unifié et unitaire rejoint au passage l’un des
principes essentiels de la conception des systèmes d’information (Reix
et al., 2011).
C’est cette hypothèse qui a clairement sous-tendu les démarches
engagées autour du TBS dans le cas des trois organisations étudiées en
appui de la présente contribution. Dans ces trois cas en effet, une
injonction de la direction a été émise, en liaison étroite avec la
fonction contrôle de gestion ou son équivalent, en vue d’assurer
l’implantation rapide d’un TBS unique et complet. Cette injonction
s’est accompagnée, dans le cas des deux organisations de recherche,
d’une liste déjà fortement codifiée et détaillée des données à recueillir
et centraliser. Cependant, les tenants et les aboutissants de la
démarche sont restés initialement perçus par les acteurs comme
confus, implicites, et peu motivants. Les réticences se sont en
particulier associées à la crainte d’une perte de pouvoir, puis d’un
surcroît de tâches administratives jugées inutiles, et enfin à une large
incompréhension du sens des données à transmettre. D’un point de
vue organisationnel et informationnel, cet argumentaire est sans
surprise. Il confirme des risques décrits par de nombreux travaux
relatifs à la centralisation et à la formalisation dans la conception des
systèmes d’information (Reix et al., 2011 ; Bollecker et Naro, 2014).
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supposés significatifs de la « bonne » gestion, celle qui figure ou
exprime la rationalité de l’organisation. L’essentiel serait alors que les
représentations chiffrées ainsi avancées soient issues de processus de
conception ouverts à une constante remise en question, ainsi que le
démontre notamment Lorino (2011). Le TBS, et le processus de
conception associé, tendraient ainsi à se transformer en support
permanent d’émergence, ou de réémergence, de cette même stratégie.
Cette hypothèse générale d’une possible transition vers une
conception dynamique et participative du TBS s’exprime clairement
dans chacun des trois cas déjà évoqués. Dans celui de la grande
structure bureaucratisée de recherche, la définition et la transmission
du système initial des objectifs échoue en effet, faute d’implication
suffisante de la direction générale, ce qui rend pratiquement
impossible le dépassement des incompatibilités des langages et des
intentions locales. Au sein de l’unité industrielle, les objectifs sont
systématiquement reformulés. En définitive, ils servent essen-
tiellement de supports de communication et de discussion à propos de
problèmes par ailleurs déjà détectés depuis longtemps par les
responsables de terrain. Dans ce cas, le TBS contribue finalement très
peu, et de façon indirecte, aux processus courants de décision. Au sein
des laboratoires universitaires enfin, les objectifs imposés par la
technostructure restent purement et simplement ignorés ou même
inconnus, au moins en un premier temps, et bien qu’ils soient
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 119
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supposée entre la déclinaison informationnelle proposée par le TBS, la
structure organisationnelle qu’il reflète, et la stratégie qu’il exprime
n’est plus durablement assurée. C’est en ce sens que la conception du
TBS doit ou devrait s’inscrire, à tous les niveaux de l’organisation,
dans un principe récursif. (Naro et Travaillé, 2013). En cela, il
permettrait la maîtrise des problèmes de cohésion posés par la
complexité de l’organisation et la subjectivité de ses acteurs. Il
traduirait également l’irréversibilité des évolutions, en proposant des
représentations de l’instabilité et de l’incertitude.
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stratégiques. De la sorte, ces indicateurs se révèlent trop déconnectés
pour faire apparaître des facteurs clef de succès partagés. Dans les
laboratoires scientifiques, enfin, la réflexivité est absente par
définition en quelque sorte, puisque seuls les échelons centraux et
lointains de la technostructure ont prise sur le système d’indicateurs,
et le laissent d’ailleurs volontiers figé, pour des raisons de
comparabilité supposée dans le temps et dans l’espace.
Ainsi, les tentatives ascendantes de formalisation, de clarification
et de synthèse du TBS conduisent à proposer des représentations
paradoxalement vides de sens, du moins en partie. L’instauration d’un
principe de conception récursif du TBS paraît ainsi manquer son
intention d’assurer une meilleure adaptation à la barrière de
complexité. En tout cas, elle semble loin d’en assurer le dépassement,
d’autant plus qu’elle doit en outre et en même temps se préoccuper de
l’intégration de l’incertitude.
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globalement peu significatives. Leur contribution potentielle à
l’adaptation du TBS se révèle donc faible ou nulle. Elle ne révèlerait
d’ailleurs pas grand-chose des effets de l’instabilité et de l’incertitude.
Tel est le cas dans la grande organisation de recherche. C’est aussi le
cas dans l’organisation industrielle. Les laboratoires universitaires
restent également cantonnés dans des représentations qui ne sauraient
devenir formellement réflexives, puisque l’incertitude est la marque
fondamentale de la recherche. Pour la plupart des chercheurs,
notamment les plus illustres, la meilleure stratégie de recherche est en
effet, ou devrait être, … de ne pas en avoir.
De façon plus ou moins explicite, la stabilité semble donc
conditionner la possibilité même de développer la dynamique de
création de sens et d’apprentissage évoquée ci-dessus. Processus,
chaînes de valeur, facteurs clef de succès supposent une invariance et
une répétitivité minimale. Par suite, leur mobilisation ne semble guère
pouvoir résister à une instabilité marquée ou à une forte incertitude.
Que peut alors apporter, dans un tel contexte, la conception, la
formalisation et l’utilisation d’un TBS unique ?
Ainsi, l’application d’une approche récursive du TBS ne fait que
mieux en souligner les limites, face à la variété et à l’instabilité. Il
suggère en première analyse le dépassement du principe d’unicité,
sous la forme d’une hypothétique démultiplication du tableau de bord
général en tableaux de bord locaux et opérationnels, les TBO. Ces
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les limites : comment en effet interpréter, puis réintégrer au besoin,
des TBO initialement fortement différenciés, voire supposés
radicalement autonomes ?
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cas étudiés. Dans le cas de l’organisation industrielle de recherche, un
Tableau de bord dit opérationnel est en place depuis une dizaine
d’années. Mais il produit une grosse masse de données et fait l’objet
d’une utilisation présentée comme très dépendante du style cognitif de
chaque responsable. Cette tendance à la dispersion et à la séparation se
manifeste de fait par le quasi abandon de l’usage du TBS et par la
perception négative du système de reporting. Ce dernier est en effet
jugé par les différents responsables consommateur de temps et peu
utile au quotidien. Des tableaux de bord locaux disparates se mettent
alors en place. Au sein des laboratoires universitaires, des tableaux de
bord très simplifiés finissent également par apparaître comme
prémices à de possibles processus d’hybridation des logiques de
gestion.
Ainsi, les obstacles à l’agrégation des données fournies par les
tableaux de bord opérationnels ou locaux apparaissent inévitables.
S’ils n’étaient pas présents, les TBO risqueraient en effet et
paradoxalement, de ne plus atteindre leurs objectifs initiaux de
réponse au principe de variété requise (Dupuy, 2007).
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ne peut reposer que sur l’hypothèse fondamentale de séparabilité et
d’indépendance des entités auxquelles sont associés les TBO en
question. Ainsi la performance et le pilotage de l’unité industrielle
sont clairement déclarés comme séparables, séparés et indépendants
de ceux des autres unités du groupe. De même, il a été indiqué que
dans le cas de la grande organisation industrielle de recherche, les
indicateurs développés et utilisés localement échappent à toute
possibilité d’agrégation sous forme de carte stratégique. Les directeurs
de laboratoires universitaires affirment logiquement que leurs
processus de fonctionnement et de pilotage ne peuvent rester
qu’autonomes et indépendants. Dans ce type de cas, toute agrégation
de données se révèle donc dépourvue de signification.
C’est dire que l’hypothèse d’un effet intégrateur du recours à un
système de TBO dépend de conditions théoriques et pratiques qui
appellent pour le moins un examen attentif. Ces conditions ne
sauraient en tout cas être réduites au respect d’injonctions normatives
formulées par tel ou tel acteur ou tel ou tel consultant. Cela étant, il
convient de discuter l’apport potentiel du système de TBO au
réexamen, voire à une conception profondément rénovée du TBS.
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 125
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normatif ou méthodologique, elle se heurte à la barrière de complexité
– variété trop limitée des représentations possibles – et à celle
d’incertitude – impossibilité d’adapter rapidement ces représentations
à l’instabilité -. Sortir de ce type d’impasse suppose donc la recherche
et l’acceptation de compromis empiriques. Cela revient à admettre que
la conception du système des TBO, puis du STB, offre l’ intérêt
essentiel de déclencher et soutenir un processus organisationnel
d’apprentissage et de contrôle « interactif », pour reprendre un terme
devenu courant (Simons, 1995 ; Kaplan et Norton, 2003, 2006 ; Naro
et Travaillé, 2010, 2011a, 2011b ; Dupuy, 2013a, 2013b). Autrement
dit, la conception des TBO et des STB tend vers celle d’un processus
de communication, de dialogue et de partage, sur et par la stratégie et
les performances.
De ce point de vue et parmi les trois cas étudiés, l’illustration la
plus significative est celle de l’unité industrielle. Le processus de
conception des tableaux de bord y aboutit avant tout à des échanges
entre des responsables de fonctions jusqu’alors peu habitués à
communiquer entre eux. Cette nouvelle culture d’échange a ensuite
perduré malgré l’abandon du TBS. Elle s’est accompagnée de la mise
en place de tableaux de bord locaux mieux adaptés à chacune des
entités et permettant aussi de traduire et prendre en compte les effets
de leurs interdépendances opérationnelles. Dans le cas de la grande
organisation de recherche, un double mécanisme est à l’œuvre. Il va
de pair avec des processus d’échanges renforcés. D’une part, on
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d’ignorer les paradoxes, les contradictions et les incompréhensions
liés à la stratégie et aux performances, mais bien de les recenser et de
les analyser, d’en comprendre les origines. Ainsi sont supposés
s’exprimer et se clarifier les jeux de pouvoir et les possibles conflits
latents. Ainsi est également supposé se mettre en place, autour du
STB, une forme de théâtre politique duquel émergeront les compromis
précisément requis afin que se maintienne ou se renforce la cohésion
organisationnelle. Chacun est alors censé trouver ou retrouver sa place
et sa contribution à l’organisation et à sa stratégie, puis occuper
efficacement cette place, ce qui sous-tend bien sûr des engagements
coopératifs réciproques entre tous les membres de l’organisation. La
stratégie de l’organisation pourrait dès lors apparaître dès lors comme
consubstantielle à un processus de partage, de mise en commun
d’actions locales a priori disparates voire incohérentes, et dispersées
dans le temps, au hasard de boucles de régulation non homogènes
(Chapman, 2005).
Cette inversion de la logique de conception du STB ne signifie
pas forcément évolution chaotique de l’organisation et de sa stratégie.
Ainsi, la grande organisation de recherche renforce et encourage la
mise en place d’unités stratégiquement autonomes donc pourvues
d’une grande capacité d’initiative et d’autocontrôle. Dans l’unité
industrielle, on assiste à une recentralisation de la stratégie au niveau
du groupe accompagnée d’un renforcement du système de reporting.
Mais c’est là un résultat accepté au terme du processus d’échange
UNICITÉ ET PLURALITÉ DES TABLEAUX DE BORD ORGANISATIONNELS 127
Conclusion
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est d’inciter à mieux aller au cœur des organisations, d’aider à en
approcher puis à en décrire les capacités et la dynamique, la
reconstruction informationnelle, structurelle et stratégique perma-
nente. Certains évoqueraient à ce propos l’idée d’un mythe
mobilisateur, d’autres celle d’un support propre à la critique et à
l’expression politique, d’autres enfin celle d’un processus mimétique
ou cérémoniel. Ces questions restent ouvertes et appellent des
développements qui dépassent le cadre de la présente contribution.
Plus concrètement, il convient d’interpréter les STB comme l’un
des outils méthodologiques mis à la disposition des contrôleurs de
gestion pour étayer la cohésion des organisations et de leurs systèmes
de pilotage. Mais, pour répondre correctement à cette finalité, cet outil
appelle, comme tous les autres dans le domaine de la gestion, un usage
contingent donc raisonné, et en tout cas affranchi de l’esprit et de
l’espoir d’une simplification normative et positive, donc universaliste.
C’est dire que l’outil en question ne peut constituer le support
exclusif de l’intégration. Malgré tous les perfectionnements formels et
méthodologiques qu’en suggèrent les consultants et la littérature, il ne
saurait en effet prétendre satisfaire les attentes de chacun des acteurs,
de chacune des parties prenantes de l’organisation, quelle qu’elle soit.
Il ne peut donc se concevoir que comme un complément à d’autres
outils, plus ou moins conventionnels et formalisés, de la mise en
cohésion et du contrôle de l’organisation et de sa stratégie :
128 Denis TRAVAILLÉ & Yves DUPUY
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