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MOTIVER LES HOMMES DANS LES ENTREPRISES : APPROCHE SYSTÉMIQUE _______________________________________________________________________
l’organisation. Pour lui, la question est de discerner le bon levier sur lequel il doit
jouer pour inciter, provoquer, améliorer, réguler... Manager revient pour une
bonne part à bien connaître l’individu et sa situation dans son environnement
(physique, organisationnel, social, culturel...) afin d’exercer sur lui l’influence qui
sera mobilisatrice.
Or, la réponse à ce défi, connu classiquement en GRH (Gestion des Ressources
Humaines) sous le nom de « problème de la motivation », est loin d’aller de soi.
En premier lieu, le mot est piégé : véritable fourre-tout, il désigne les choses les
plus dissemblables, le pire et le meilleur. D’où les critiques véhémentes dont il a
été l’objet de la part de certains chercheurs et universitaires. C’est pourquoi nous
avons jugé nécessaire, dans un bref premier paragraphe, de procéder à une
indispensable clarification.
En second lieu, pour les auteurs (la plupart Américains) qui ont pris son étude
au sérieux, la motivation a donné lieu, au cours du dernier demi-siècle, à une lit-
térature immense. Chacun a tenté de comprendre le phénomène à partir de la
grille d’analyse qui lui était familière : biologique, psychologique, psychanalyti-
que, sociologique, anthropologique, cognitiviste, voire philosophique. Le pas-
sage par un examen comparatif des principaux modèles explicatifs est donc
nécessaire. Ce sera l’objet du paragraphe 2.
Il nous restera ensuite à tirer de ces modèles des méthodes d’action qui soient
réellement utilisables par les managers. Cette ambition est d’autant plus fondée
que le thème de la motivation revient aujourd’hui en force dans les préoccupa-
tions d’entreprises. Avec le développement des organisations en réseaux, des
structures par projets, de la flexibilité globale, du temps partagé, etc., motiver les
hommes et les équipes devient une opération de plus en plus complexe et diffi-
cile qui ne peut s’accommoder de recettes et d’à peu-près. Or, si les théories sec-
torielles sont nombreuses (comme il sera vu au paragraphe 2), on ne dispose
pas d’une vision suffisamment globale pour orienter la décision et l’action des
managers. Une synthèse, à vocation opérationnelle, s’avère donc indispensable.
À un tel objectif cherche à répondre le dernier paragraphe de cet article. De fac-
ture délibérément descriptive et pratique, fortement inspiré par l’approche sys-
témique, ce paragraphe cherche à articuler de manière interactive quelques-
unes des principales théories. Il le fait sur un mode qualitatif, qui se veut simple
mais non simpliste, de manière à « donner à penser » au manager, lui permet-
tant de mieux comprendre sa situation pour mieux orienter son action.
1. Clarification préalable : Trois mots sont souvent utilisés dans le langage courant pour
parler de ce dont il est question ici : satisfaction, motivation, impli-
trois notions cation. Ces mots ne sont pas équivalents et doivent être définis avec
précision afin de clarifier l’exposé.
interconnectées ■ Satisfaction
Il s’agit du concept le plus ancien. Utilisé depuis cinquante ans par
les psychologues du travail, il désigne : « un état émotionnel positif
Étymologiquement, le terme de motivation viendrait du mot ou plaisant résultant de l’évaluation faite par la personne de son tra-
motif, lui-même dérivé du latin motivus (mobile) et movere (mou- vail ou de ses expériences de travail » [1]. La satisfaction correspond
voir) ce qui signifiait en ancien français « qui met en mouvement ». donc à un état subjectif face au travail, état qui résulte de la
La motivation concernerait donc l’étude des motifs qui nous réalisation des attentes conscientes ou inconscientes à l’égard du
« poussent à agir », l’analyse du processus qui nous « met en travail. Ces attentes peuvent être de nature extrêmement diverse :
mouvement ». besoins, désirs, idéal du moi, volonté de conformité au groupe...
Mais avoir satisfait ses besoins ou ses désirs ne pousse pas
Nous retiendrons cette définition. Ceci va nous conduire, dans un nécessairement à agir, contrairement au discours souvent entendu,
premier temps, à nous interroger sur les mécanismes profonds, les du type « des travailleurs satisfaits travaillent bien ». Certes, l’insa-
ressorts cachés à l’œuvre dans les comportements humains, puis, tisfaction, voire la frustration, sont généralement peu propices à
dans un second temps, à un dépassement des pratiques tradition- l’engagement dans le travail et il y a bien là une sorte de causalité.
nelles, notamment en matière de commandement et de rémuné- Mais nous connaissons tous des travailleurs satisfaits et peu
ration, telles qu’elles ont existé et existent encore dans les dynamiques : ils sont heureux de ne produire que le minimum
entreprises. nécessaire.
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■ Motivation
Comme rappelé au début de ce paragraphe, le terme de motiva- Implication
tion est utilisé pour désigner « le degré d’engagement d’un collabo-
Action Réussite
rateur dans la réalisation d’une action proposée par un tiers Motivation
/ Échec
(généralement l’organisation) ». Satisfaction /
Insatisfaction
Le lien à l’action est ici direct et immédiat. La motivation est cen-
trée sur l’accomplissement d’une tâche ; elle est le passage obligé
entre ce qui n’est qu’une injonction à agir (de la part du chef, de
l’équipe, de la norme) et la prise en charge réelle de cette action par Figure 1 – Interactions entre satisfaction, motivation et implication
l’acteur qui va y engager ses forces, son temps, son énergie, ses
moyens. La motivation n’a donc pas de réalité en soi (une vertu, une
aptitude, un trait de caractère, etc.) ; elle est toujours contingente à
une situation donnée.
Bien entendu, dans la réalité vécue des conduites humaines, ces
La motivation peut bien sûr dépendre du plus ou moins grand diverses formes d’implication peuvent se superposer et se
sentiment de satisfaction éprouvé par le travailleur à l’occasion de la combiner.
réalisation d’une action ; elle peut dépendre aussi, et c’est souvent
le cas, du degré d’adhésion (ou implication) à l’organisation (entre- ■ Articulation des trois concepts
prise, établissement, équipe) dont il fait partie. Mais comme telle, la Différentes dans leur définition, les trois notions de satisfaction,
motivation ne s’identifie ni à la satisfaction, ni à l’implication. motivation et implication ne sont pas pour autant indépendantes.
Elles sont au contraire en relation de causalité circulaire sans que
■ Implication l’on puisse considérer que l’une détermine mécaniquement
l’autre.
Venu de la sociologie, le concept est d’introduction plus récente. Il
De manière générale, on peut dire que si la réussite d’une action
vise le rapport de l’individu non pas à un travail particulier (motiva-
dépend directement de la motivation, la satisfaction est habituelle-
tion), non pas aux gratifications qu’il peut en attendre (satisfaction)
ment au rendez-vous d’une action réussie. Mais cette satisfaction,
mais à un groupe d’appartenance. comme on l’a vu, ne détermine pas automatiquement la
Les psychosociologues anglo-saxons utilisent le terme involve- motivation ; en revanche, l’insatisfaction grave démotive.
ment ou job involvement pour dire l’engagement de l’individu dans De même, une implication forte crée un climat favorable à la moti-
l’emploi occupé, et le terme commitment ou organizational commit- vation, mais sans garantir pour autant son déclenchement. Faut-il
ment pour désigner l’engagement de l’individu dans l’organisation. encore que l’on propose au collaborateur des actions correspondant
En français, le risque est de traduire par implication ces deux ter- à ses compétences, à ses attentes et à ses enjeux !
mes. Soucieux d’éviter la confusion qui pourrait résulter de l’utilisa-
tion du même mot pour deux concepts, de nombreux chercheurs Autant la motivation joue dans la singularité des situations de tra-
français ont proposé de retenir le terme implication pour la seule vail et renvoie à la dimension interpersonnelle du management,
relation individu/organisation et de réserver le terme engagement autant l’implication présente une dimension globale et collective.
L’organisation peut créer les conditions qui favorisent l’implication,
pour le lien individu/emploi occupé.
en agissant par exemple au moyen des systèmes de gestion, de for-
La notion d’engagement présente alors beaucoup de similitude mation et de communication. Mais il n’y a pas incidence automati-
avec celle de motivation. Elle en constitue une sorte de que de l’implication sur la motivation.
généralisation : l’engagement viserait l’ensemble des actions Enfin, il existe une troisième relation entre satisfaction et implica-
déployées par le travailleur pour remplir son emploi, alors que la tion. La satisfaction, surtout lorsqu’elle se maintient dans la durée,
motivation concernerait plutôt le degré d’engagement dans une consolide l’implication. Des collaborateurs satisfaits considèrent
action particulière. plus facilement qu’ils appartiennent à l’organisation, ils sont davan-
Conscient de ces distinctions, on peut retenir la définition pro- tage disposés à adhérer à ses buts.
posée par Michèle Amiel [2] pour l’implication : Entre les trois concepts, on a ainsi une suite de relations
conditionnantes que l’on peut représenter par le schéma de la
« Sentiment d’identification de l’individu à l’organisation qui se
figure 1.
traduit pour lui par :
En situation de réussite, cette boucle de rétroaction joue normale-
— l’acceptation des valeurs et des buts de l’organisation ; ment en faveur du renforcement de la motivation. Mais elle peut
— la volonté d’exercer des efforts au profit de l’organisation ; jouer aussi en faveur de la démotivation en situation d’échec pro-
— l’intention de continuer à faire partie de l’organisation. » longé.
Maurice Thévenet, qui a beaucoup travaillé ce thème de l’implica-
tion, a mis en évidence sa liaison étroite avec la notion de culture
d’entreprise, culture qui permet de donner un contenu et une
expression précise aux valeurs et aux buts de l’organisation. Il mon-
tre [3] cependant que l’implication peut se construire à partir de 2. Petit parcours
lieux très divers :
• Le travail lui-même que l’on aime pour ce qu’il est.
dans les théories
• L’environnement immédiat (l’équipe, les collègues, le chef de la motivation
direct).
• Le produit (ainsi en va-t-il par exemple des métiers d’art).
Depuis plus d’un demi-siècle, psychologues, sociologues, anthro-
• Le métier (appartenance à une communauté professionnelle pologues, neurologues, cogniticiens, psychanalystes, se sont
forte comme chez les artisans). essayés à produire des théories de la motivation. Classiquement,
• L’entreprise enfin, à laquelle il ne faut pas limiter le sentiment ces théories sont regroupées en deux catégories dites pour la pre-
d’appartenance. mière « de contenu » et pour la seconde « de processus ».
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• Les théories de contenu s’efforcent de répondre à la question : Jean-Pierre Changeux [5] est parmi les biologistes à avoir déve-
qu’est-ce qui motive les gens à travailler ? Elles s’intéressent aux loppé cette approche. C’est au niveau du cortex frontal que se combi-
mobiles de l’action et on range parmi elles un certain nombre de neraient les objets mentaux et que se construiraient les images-
théories de facture psychologique (comme la vieille théorie des programmes de l’espace moteur où seront exécutés les mouvements
besoins d’Abraham Maslow). à venir ; les motivations y trouveraient donc leur lieu de formation.
• Les théories de processus s’efforcent de répondre à la question : Sur la manière dont un tel processus se déroule au sein du cer-
comment les gens se motivent-ils pour travailler ? Elles s’intéres- veau, le médecin neurologue Henri Laborit [6] est sans doute celui
sent aux mécanismes qui commandent l’action. On y trouve des qui en a proposé l’analyse la plus complète. Il met en évidence le
théories plutôt de facture sociologique ou cognitive. fonctionnement du cerveau lors de l’action. Centré sur le jeu des cir-
Cette typologie traditionnelle apparaît aujourd’hui de moins en cuits nerveux, la construction des câblages entre neurones, le
moins pertinente car intégrant mal les nouvelles approches. Aussi, modèle de Laborit illustre remarquablement l’approche biologique
retiendrons-nous une autre classification, en quatre familles, pro- du comportement humain.
posée récemment par un jeune chercheur Stéphane Copin [4]. Cette Pour autant, une telle approche rend-elle compte de tous les
nouvelle typologie n’est plus fondée sur le type de questionnement aspects du phénomène de la motivation ? Malgré les affirmations
(pourquoi ou comment ?) mais sur la nature du référentiel scientifi- volontiers totalitaires de certains, on peut en douter :
que qui sert de support au modèle. Se place-t-on d’un point de vue — d’une part, la manière dont interagissent les circuits nerveux
neurobiologique, psychologique, sociologique, cognitif ? renseigne assez mal sur la nature des mobiles internes (pulsions,
besoins, désirs...) qui poussent l’individu à agir et surtout sur la signi-
fication qu’ils ont pour lui. Pourquoi l’achèvement social s’identifie-
2.1 L’homme neuronal rait-il pour l’un à l’acquisition d’une villa luxueuse... et pour l’autre à
la pratique d’une vie ascétique au fond d’un monastère cistercien ?
— d’autre part, le modèle ne nous informe que partiellement sur
La biologie, principalement celle du cerveau, est censée expliquer la manière dont sont prises les décisions dans ces situations à haute
le phénomène motivationnel. Par ordre chronologique, on peut ran- incertitude où aucune réponse stéréotypée n’a encore eu le temps
ger sous cette rubrique les béhavioristes et les neurobiologistes. d’être mémorisée. Or, ces situations se rencontrent fréquemment
dans l’existence humaine. Affrontés au même problème, deux indi-
vidus poursuivant pourtant les mêmes objectifs, ne réagiront pas
2.1.1 Les béhavioristes forcément de la même manière. Comment cela se fait-il ? Une
réflexion fondée sur les mécanismes psychosociologiques et cogni-
Inspiré de la théorie des réflexes conditionnels du Russe Pavlov, le tifs de la prise de décision s’avère nécessaire.
modèle de référence est le stimulus/réponse (S-R) dû à l’Américain Utile pour comprendre certains aspects importants de la motiva-
Skinner. Ce modèle a dominé la psychologie expérimentale durant tion (le conditionnement, l’habitude, l’inhibition...), le modèle neuro-
plusieurs décennies. Il conçoit le comportement comme la réponse nal se montre impuissant, sauf à tomber dans un insoutenable
mécanique à un stimulus donné. Le traitement réalisé par le cerveau réductionnisme, à rendre compte de la totalité du phénomène.
serait donc de nature totalement déterministe, stable et univoque
(figure 2).
Le modèle S-R contient, sans nul doute, une part de vérité. Il per- 2.2 L’homme désirant
met d’expliquer un grand nombre de comportements simples, à
base d’automatismes ou d’habitudes. Il faut cependant admettre
qu’il est de peu d’utilité pour rendre compte des comportements Nous trouvons ici des théories qui s’intéressent principalement
hautement sophistiqués, notamment à caractère conjectural et aux mobiles de l’action et qui puisent, suivant les cas, leur inspira-
exploratoire, qui caractérisent l’action humaine. C’est ainsi que l’on tion dans la psychologie sociale, la psychanalyse ou l’anthropolo-
voit souvent le même stimulus donner naissance à des réponses dif- gie. Les concepts de référence en sont le besoin, dont la recherche
férentes ou la même réponse surgir de stimulus différents. Pour de de satisfaction pousserait l’individu à agir, ou celui plus large de
tels comportements, on ne peut ignorer la « boîte noire », c’est-à- désir, conçu comme une force polymorphe qui tire l’action. Le
dire ce qui se passe à l’intérieur même de la personne et de son cer- besoin s’enracine dans une nature humaine supposée, alors que le
veau. Le modèle S-R doit donc être abandonné au profit d’un désir est de facture beaucoup plus culturelle.
modèle S-O-R (stimulus-organisme-réponse) plus élaboré.
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inférieur (par exemple un minimum de sécurité d’emploi). Et pour- C’est donc vers la nature sociale et culturelle de l’homme qu’il
tant, l’observation fournit des exemples où la recherche d’un besoin faut s’orienter pour répondre à la question des mobiles de l’action.
supérieur occulte la satisfaction de tous les autres, y compris de sur- Mais du même coup, le besoin se change en désir.
vie. Ainsi en va-t-il de l’ascète et du héros ; plus modestement de
l’artiste, du chercheur, du militant, bref de tout homme passionné
par son activité. 2.2.2 Le désir selon la psychanalyse
Sur ce dernier constat, Frederick Herzberg [8] en est venu à propo-
ser un classement un peu différent et surtout une autre manière de Au début du 20e siècle, Freud jetait le soupçon sur le caractère
concevoir le jeu des besoins sur la motivation... et la satisfaction. jusqu’alors jugé rationnel et transparent de l’action humaine.
Reprenant la pyramide de Maslow, Herzberg observe que tous les
Derrière le postulat de pleine conscience et maîtrise du moi, hérité
besoins ne sont pas de même nature. Certains ont trait à la mainte- de Descartes et des Lumières, il montrait le grouillement des pul-
nance de la vie biologique et sociale. C’est pourquoi il les appelle
sions du ça et les censures du surmoi. Ainsi que le visualise le
besoins d’Adam (le premier homme, chassé du paradis terrestre, et schéma de la figure 3, où se trouvent représentées les trois instan-
qui doit gagner son pain à la sueur de son front). D’autres ont trait ces de la psychanalyse freudienne, le moi, bien loin d’être le maître
au développement de la personne, à son achèvement social. C’est
tout-puissant de l’action, n’est souvent que le relais d’un arbitrage
pourquoi il les appelle besoins d’Abraham (le premier homme qui inconscient entre les revendications du ça et les impératifs du sur-
quitte sa sécurité et son confort pour poursuivre un idéal spirituel).
moi.
Les besoins d’Adam n’ont pas d’effet direct sur la motivation et Herz-
berg les nomme « facteurs de satisfaction ou d’hygiène ». Une fois Ainsi, la motivation n’est pas ce que l’on croit ou tout du moins ce
satisfaits, ils ne poussent plus à l’action, tout du moins pour un qu’elle se donne à croire. Et le travail, parce qu’il représente une part
temps. Non satisfaits, en revanche, ils produisent frustration et importante de la vie éveillée, n’échappe pas à cette critique que
mécontentement. Les besoins d’Abraham, au contraire, agissent Freud avait repérée. « La possibilité de transférer les composantes
directement sur la motivation. Non satisfaits, ils ne produisent habi- narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail
tuellement qu’une frustration modérée. Mais leur satisfaction déve- professionnel et les relations sociales qu’il implique, donne à ce der-
loppe en revanche un fort sentiment de contentement qui a besoin nier une valeur qui ne le cède en rien à celle que lui confère le fait
pour se maintenir de persévérance dans l’action, voire d’amplifica- d’être indispensable à l’individu pour maintenir et justifier son exis-
tion des efforts et d’amélioration des résultats. tence au sein de la société. S’il est librement choisi, tout métier
devient source de joies particulières, en tant qu’il permet de tirer
Que ce soit dans la version originelle de Maslow ou dans celle de
profit, sous leurs formes sublimées, de penchants affectifs et d’éne-
Herzberg, une objection majeure a été faite à ces théories, celle de rgies instinctives » [9].
reposer sur une notion, le « besoin humain », qui n’a rien d’univer-
sel et apparaît à l’usage extrêmement plastique, car lestée des signi- Le mécanisme de sublimation par lequel s’opère cette transmuta-
fications symboliques de l’acteur et de la société au sein de laquelle tion consiste, pour le sujet, à satisfaire un désir prohibé en s’enga-
s’exprime ce besoin. Le besoin, chez l’homme, n’a rien de naturel geant dans une activité socialement acceptable. À cet effet,
(ou très peu) ; il dépend bien davantage de la représentation que se plusieurs moyens sont utilisés : narcissisation d’abord dans une
fait la société, à un instant donné, de ce qui est jugé nécessaire à une activité socialement valorisée (activité artistique, scientifique, tech-
vie humainement digne. Aussi a-t-on pu dire que la pyramide de nique, professionnelle, etc.), symbolisation ensuite où un acte auto-
Maslow était le reflet, dans la conscience des individus, de l’échelle risé remplace un acte interdit, désexualisation enfin dans une
des valeurs de la société américaine. Dans une société tribale, « perversion réussie » par le détournement de la pulsion sexuelle
antique ou simplement asiatique ou africaine, la pyramide aurait été aussi bien de son but que de son objet... L’amour du travail serait
différente. ainsi une des métamorphoses de l’inavouable...
Normes
morales
Pulsions Surmoi
Ça
Revendications
Impératifs Socioculture
Organisme
Moi
Exigences
Action (principe
de réalité)
Réalité
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Pour le psychanalyste Roland Brunner [10], l’entreprise offre une ■ La construction du désir
multitude de situations autorisant ce travail de sublimation : pas-
sion du métier, notoriété personnelle, convivialité des collègues, Parce que de nature mimétique, le désir est toujours un construit
amour de l’entreprise-mère. Il souligne cependant le caractère très socioculturel, contingent à un champ social et historique donné. Il
personnel de ce processus qui s’inscrit toujours dans une histoire n’est donc pas singulier à l’individu, comme le pense la
singulière dont les ressorts sont largement inconscients. Ce qui le psychanalyse ; mais il n’a pas non plus un caractère universel tra-
conduit à jeter un regard perplexe sur la pléthore des mesures duction d’une « nature humaine ».
mises en œuvre dans les entreprises pour accroître la motivation et Ce caractère contingent du désir apparaît dès les premiers
la satisfaction au travail. Pratiques incantatoires bien souvent, car moments de la vie humaine. Le petit enfant cherche à imiter ses
force est de constater que des situations de travail identiques sont parents, puis son maître, lesquels le gratifient lorsque l’imitation est
vécues de façon très différente d’un individu à l’autre... réussie. Au cours de ce processus, le maître-modèle désigne à
Ce conditionnement individuel du désir constitue le point faible l’élève-imitateur ce qu’il convient de désirer – l’objet du désir – dont
du modèle psychanalytique pour pouvoir l’appliquer au manage- la possession devient gratifiante en soi. À maturité, le maître-
ment de la motivation. Peut-on ramener le désir à la seule histoire modèle s’exclut du circuit et l’élève désire posséder l’objet pour lui-
personnelle, particulièrement lorsqu’il s’agit d’actions à fort impact même, devenant à son tour modèle pour d’autres imitateurs.
social ? À l’inverse de l’universalisme discutable de la théorie des À ce stade, deux évolutions sont possibles, qui conduisent à des
besoins, le modèle psychanalytique verse dans l’ultra-particula- effets diamétralement opposés.
risme. D’où le grand intérêt d’une autre approche, à mi-chemin du
général et du particulier, dont nous allons parler maintenant. ■ Le mimétisme de coopération ou « bonne réciprocité »
C’est le processus que l’on rencontre dans toutes les formes
d’association humaine qui conduisent à la création de surplus. Non
seulement l’objet du désir est partageable entre les différents parte-
2.2.3 La théorie du désir mimétique naires mimétiques, mais il ne peut être atteint que par leur associa-
de René Girard tion (jeu à somme positive). Chacun se le désigne mutuellement et
l’acquisition commune gratifie chaque participant (figure 4).
Ce comportement est habituellement l’occasion, pour un groupe
De facture anthropologique, elle a été conçue par le français René social, de mettre en œuvre des conduites de coopération, d’adapta-
Girard, professeur à l’université de Stanford (USA) dans les tion, d’invention.
années 1970. Elle repose tout entière sur l’importance donnée à
■ Le mimétisme d’appropriation ou « réciprocité
l’imitation dans le comportement humain. Cette imitation se rencon-
mauvaise »
tre déjà dans le comportement des animaux supérieurs, mais avec
l’homme, elle prend une dimension nouvelle et tout à fait considéra- L’autre, qui est mon modèle en me désignant l’objet du désir,
ble, en particulier à partir de l’avènement du langage. René Girard s’avère également être le principal obstacle s’opposant à ma satis-
écrit : « La théorie mimétique, seule susceptible de fonctionner au faction. L’objet en effet lui appartient et il est, de plus, difficilement
niveau animal et au niveau humain, est seule susceptible par consé- partageable (ressource rare, enjeu de pouvoir, gloire...). Plus l’autre
s’oppose alors à mon désir, plus ma frustration grandit et l’objet me
quent, d’éliminer toute rupture métaphysique entre les deux règnes
devient indispensable : c’est la rivalité mimétique. René Girard écrit
et aussi toute confusion illégitime, puisque le mimétique va fonc-
à ce sujet : « Toute valeur d’objet croît en proportion de la résistance
tionner dans chacun de ces règnes à un régime très différent ». Avec que rencontre son acquisition. Et c’est aussi la valeur du modèle qui
l’avènement du langage et de la pensée symbolique, le désir va en grandit. L’un ne va pas sans l’autre ». Dans cette escalade de l’imita-
effet revêtir chez l’homme une forme de plus en plus marquée par tion/appropriation, l’objet du désir finit par paraître secondaire et il
sa dépendance à la socioculture. est même totalement oublié. Ne restent plus alors en présence que
Comment se met en place ce désir et quelles sont ses manifesta- les deux protagonistes engagés dans une lutte sans merci appelée
tions habituelles dans la vie sociale ? Au risque d’être un peu simpli- par René Girard lutte des doubles. À ce stade, l’issue ne se trouve
que dans la montée aux extrêmes qui est généralement l’escalade
ficateur, résumons les réponses données par Girard [11].
de la violence.
Désir Désir
A Objet B
Gratification Gratification
A et B : partenaires mimétiques
Figure 4 – Mimétisme de coopération
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Nous retiendrons que la théorie du désir mimétique honore, • Suis-je capable de réaliser l’action demandée et d’obtenir le
beaucoup mieux que les précédentes, le caractère contingent du résultat ? Cette première phase, appelée expectation (relation effort-
désir, marqué par la diversité, la complexité et la dimension évolu- résultat), évalue en quelque sorte la probabilité de réussite de
tive des situations humaines. l’action.
RÉSULTAT
Expectation Instrumentalité
Proposé
ACTION
par ENJEU
EFFORT
l’organisation
Décision Valence
(oui ou non)
VALEUR
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2.3.2 Norme d’internalité et théorie psychologique éléments qui peuvent être entre eux en relation de neutralité (indif-
du contrôle férence), de consonance (accord) ou de dissonance (désaccord).
L’état de dissonance crée en l’homme un sentiment de malaise
Pourquoi certains individus se montrent-ils confiants et sûrs qui le pousse à remettre en question certaines de ses attitudes,
d’eux-mêmes, disposés de ce fait à relever d’impressionnants croyances, opinions... de manière à ce qu’elles soient à nouveau
défis ? Et d’autres timorés et hésitants, alors qu’ils disposent pour- cohérentes entre elles. Supposons par exemple qu’un sujet réalise
tant des mêmes compétences et des mêmes moyens ? Cette diffé- une action relativement nouvelle et imprévue, dont il n’a pas perçu,
rence peut avoir un impact considérable sur le processus dans un premier temps, toutes les conséquences. Il va avoir de cette
motivationnel tel que décrit par le modèle VIE. action une certaine représentation ou cognition génératrice,
laquelle se trouve plus ou moins en accord avec l’ensemble de ses
Selon l’américain J.B. Rotter [14], les individus fondent leur autres représentations ou cognitions privées (voir figure 6). S’il y a
expectation sur les expériences passées d’échecs et de réussites. écart, celui-ci peut encore être modulé (augmenté ou diminué) par
Par suite de cet effet d’apprentissage, mais aussi de diverses autres des considérations liées à l’environnement et que l’on appelle
données psychologiques, il existerait un trait de personnalité stable, cognitions conjoncturelles. Si la dissonance persiste, et à défaut de
la norme d’internalité, qui expliquerait cette différence d’anticipa- pouvoir agir rétroactivement sur l’action pour en changer les consé-
tion face à une même action proposée. Certaines personnes ont ten- quences, le sujet doit entreprendre un travail de remodelage, dit de
dance à expliquer ce qui leur arrive par la chance, le hasard, l’aide rationalisation, de ses cognitions privées pour les mettre en accord
d’un tiers... ; d’autres par leurs capacités ou leurs efforts. De avec la cognition génératrice.
manière plus générale, ces secondes personnes, dites internes, pen-
sent que les individus peuvent exercer un contrôle sur les événe-
ments à venir. Quant aux premières, dites externes, elles pensent Prenons un exemple emprunté à la vie des affaires : un collabora-
qu’un tel contrôle est faible, voire impossible. teur jusque-là honnête, mis en présence d’une tentation facile,
commet une malversation. Cette action est bien entendu contraire aux
Dans un contexte professionnel, la norme d’internalité joue un convictions du collaborateur. Ce dernier a alors la possibilité soit
rôle important pour expliquer la différence d’attitude des individus d’avouer sa faute (rétroaction sur l’action déjà commise) pour maintenir
face aux échecs et aux réussites. En cas d’échec, un individu interne intact son système de valeurs, soit de réduire sa dissonance en modi-
aura tendance à réagir en renforçant son engagement, alors que fiant partiellement ses cognitions privées (par exemple en abandon-
l’individu externe se démobilisera. nant la valeur d’honnêteté). Mais si, dans son environnement, la
Le manager n’est pas sans influence sur la norme d’internalité corruption est générale (cognitions conjoncturelles), le sujet pourra
d’un collaborateur. Selon Claude Rainaudi [15] l’internalité aug- alors excuser son acte en le minimisant sans avoir à changer fonda-
mente avec : le niveau d’éducation générale et de formation, les mentalement son système de valeurs.
réussites scolaires et professionnelles passées, l’estime de soi, une
formation spécifique. Ainsi, il suffit quelquefois de laisser croire aux De nombreuses études ont montré que la dissonance cognitive
collaborateurs qu’ils ont une possibilité de contrôle sur un événe- présente beaucoup de similitudes avec la motivation. Ainsi, tout
ment pour améliorer leurs performances. Et il existerait une rétroac- comme la faim est motivante, la dissonance cognitive est moti-
tion positive entre internalité et réussite professionnelle, ce qui vante. Avec une différence cependant : alors que la motivation
rendrait compte du fait que les individus internes ont souvent un détermine une action tournée vers l’extérieur, la dissonance
statut professionnel supérieur à celui des externes et sont plus à détermine une action (le changement d’attitude) tournée vers le
l’aise dans un rôle de chef. psychisme interne.
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Action Cognition
proposée action proposée
Écart
Opposition cognition-
engagement
Diminution opposition
Cognitions Rationalisation
Engagement
privées
Consolidation Écart
cognitions- Dissonance
dissonance
Cognition
Action génératrice
Cognitions
conjoncturelles
Réaction d’opposition
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Cette seconde réponse a donné lieu à l’élaboration d’un logiciel 3.2 Les conditions de l’expectation
opérable sur ordinateur PC, le modèle MODERE, utilisable essentielle-
ment à des fins d’étude et de formation, que nous ne présenterons
pas ici mais que le lecteur intéressé pourra découvrir dans la des- On peut les regrouper en deux catégories, la première qui renvoie
cription relativement détaillée que nous en donnons dans un livre aux capacités du manager qui motive et la seconde au profil psycho-
consacré à la systémique [20]. Dans la suite de cette étude, nous logique du collaborateur que l’on veut motiver.
nous bornerons à présenter les axes de la première réponse.
Proposé
par ACTION
l’organisation ENJEU
EFFORT
Décision
(oui ou non) Valence Satisfaire des
besoins
Réaliser des désirs
Vérifier une
VALEUR norme sociale
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Si l’acteur est interne, il s’investira davantage dans l’action et — capitalisation socioprofessionnelle (acquisition de nouvelles
accroîtra de ce fait ses chances de réussite. Comment alors dévelop- compétences par formation et parcours professionnel) en vue
per l’internalité de chacun ? On a vu que l’entreprise n’était pas sans d’améliorer son employabilité ;
moyens face à une telle question. Donnons quelques précisions — pouvoir et influence (procurés notamment par l’accès aux pos-
complémentaires à usage des managers de terrain. tes de commandement et de direction) ;
— gratifications symboliques (honneurs, signes extérieurs de
L’internalité est modulée par les expériences antérieures et les prestige social tels que dimension du bureau ou épaisseur de la
effets cumulatifs liés à l’apprentissage. Si toutes les expériences moquette...).
professionnelles sont des échecs, l’acteur finit par ne plus rien atten-
Pour certaines personnes, ces éléments non matériels de la rétri-
dre de ses efforts dans le domaine du travail. Pour ne pas sombrer
bution peuvent être plus importants que la rémunération elle-
dans un sentiment de culpabilité générateur d’inhibition, voire de
même. Mais ce cas reste assez rare et, pour la plupart des salariés,
névrose, il se défend (conformément au modèle de H. Laborit) par la rémunération représente bien l’élément principal de la rétribu-
un comportement d’évitement qui le fait devenir de plus en plus tion. Notons aussi que son caractère monétaire (donc facilement
externe ; il sera alors très difficile à motiver. À l’inverse, si on donne mesurable) en facilite considérablement l’étude par rapport à des
au collaborateur des occasions de réussite, si on sait reconnaître ses grandeurs plus impalpables. N’oublions pas, cependant, l’aspect
succès et le féliciter lorsqu’il réussit (ce que peu de managers, hélas, plus large de la rétribution par rapport à la seule rémunération. Cela
savent faire !) on accroît chez lui l’estime de soi et donc son interna- d’autant plus que dans un contexte de rigueur, les entreprises ont
lité. On se met ainsi en situation de lui confier des missions plus exi- tendance à mettre l’accent sur les formes non monétaires de la rétri-
geantes la fois suivante et de vérifier l’adage « le succès attire le bution.
succès ».
Il faut se rappeler aussi que l’internalité ne se construit pas seule-
ment à partir des situations professionnelles, mais également de
3.3.2 Des enjeux garantis et transparents
toutes les situations vécues par la personne. Comme l’observation
la plus commune le montre, des échecs dans l’ordre conjugal et
familial ne sont pas sans effets sur la vie professionnelle. L’enjeu doit avoir une réalité (effectivité) clairement perçue par
l’acteur (intelligibilité).
■ Effectivité
3.3 Les conditions de l’instrumentalité Dans le système de récompense, l’atteinte de l’objectif doit entraî-
ner de manière quasi-automatique la récompense annoncée. Faute
de cette garantie, l’acteur ne prendra pas au sérieux la promesse de
Rappelons que, par ce terme, nous entendons l’évaluation que récompense. Or, il en est ainsi lorsque l’enjeu est lié de manière
fait l’acteur de la probabilité d’obtenir une récompense ou d’éviter aléatoire au résultat.
une sanction, lorsqu’il a réussi une action. Si cette probabilité est
faible, voire nulle, ou s’il n’y a aucun enjeu pour lui à réussir l’action, Lorsque des éléments de rétribution (salaire direct, bonus, pro-
il y a toute chance que l’acteur se défausse en disant « à quoi motion, considération, sécurité...) ne sont en aucune manière liés à
bon ! ». Une bonne instrumentalité repose sur la sélection des la réussite de l’action, mais dépendent de données extérieures sur
enjeux et sur la manière dont on les relie ensuite au résultat de lesquelles l’acteur n’a aucune prise (la conjoncture, le bon plaisir du
l’action. chef, le hasard...), c’est comme s’ils ne jouaient aucun rôle dans le
processus motivationnel.
Il en est ainsi, par exemple, des systèmes d’avancement à
3.3.1 Quels enjeux ? l’ancienneté lesquels peuvent, en revanche, avoir un effet favorable
sur l’implication.
La théorie de l’équité, lorsqu’il s’agit de décrire la nature du lien
entre le salarié et son entreprise, parle de relation contribution/rétri- ■ Intelligibilité
bution. Cette relation renvoie au double échange qui désigne d’une Il ne suffit pas que l’enjeu existe réellement et soit garanti. Faut-il
part ce que l’individu apporte à l’entreprise (sa contribution) et encore que cette garantie soit perçue par l’acteur. Celui-ci doit avoir
d’autre part ce qu’il en retire sous forme de divers profits et avanta- une claire vision du lien d’automaticité qui fait dépendre l’obtention
ges (sa rétribution). C’est à la rétribution que nous nous intéressons de l’enjeu de la réalisation du résultat. Cette exigence d’intelligibilité
ici. Elle est susceptible de revêtir une grande diversité de formes, suppose quelques conditions :
certaines de nature matérielle ou monétaire, d’autres immatérielles
et symboliques. • Simplicité du lien : la relation résultat/enjeu doit sembler évi-
dente et être facilement comprise par le salarié. Toute relation trop
■ Rétribution matérielle ou monétaire compliquée introduit un risque grave d’incompréhension... et pire,
de méfiance.
Elle renvoie au concept de rémunération globale, aujourd’hui lar-
gement utilisé et que nous avons illustré, dans un de nos ouvrages • Bonne explicitation : les entreprises gagnent toujours à expli-
[21], sous la forme d’une pyramide des rémunérations. Dans cette quer clairement et longuement à leurs salariés les procédures en
pyramide, on distingue la superposition de quatre strates, descen- question. Cela passe par des pratiques efficaces de communication.
dant progressivement du salaire direct aux rémunérations dites
• Stabilité : il est impératif de maintenir sur une durée suffisam-
périphériques, chaque strate étant composée de différentes
ment longue les mêmes pratiques de récompense pour que ces pra-
« briques » ou éléments (rémunération immédiate ou différée, indi-
tiques soient prises au sérieux. Rien n’est pire que des politiques de
viduelle ou collective, monétaire ou en nature...) pouvant constituer
rémunération qui changent tous les ans. Persévérer dans les choix
à eux seuls un enjeu possible pour la motivation.
de gestion (même s’il n’est pas question de les rendre éternels) est
■ Rétribution symbolique indispensable pour donner aux processus de dissonance cognitive
et de rationalisation le temps de se dérouler. Pour un individu
Les éléments en sont également de nature très diverse. Un rapide méfiant, la vérification par lui-même de la réalité de l’instrumenta-
inventaire permet de les ranger sous quatre rubriques : lité finira par avoir raison de sa méfiance. Mais, à l’inverse, un indi-
— satisfactions psychologiques dans l’exercice du travail (plaisir vidu confiant pourra être durablement découragé s’il prend
de création, sentiment de réussite, esthétique du produit...) ; conscience qu’on le trompe.
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3.4.1 Satisfaire des besoins Un tant soi peu de connaissance des milieux de la recherche mon-
tre que les chercheurs ne sont guère sensibles aux adjuvants sala-
riaux à partir du moment où ils disposent d’un revenu suffisant pour
Sans doute existe-t-il des invariants dans le comportement leur assurer un confort de vie. Là n’est pas pour eux l’objet du désir.
humain, et de ce point de vue le classement des besoins proposé En revanche, ils sont très sensibles à des enjeux tournant autour de
par Maslow n’est pas dénué de toute pertinence. Mais la manière leur reconnaissance et de leur notoriété de chercheur. Par exemple,
concrète dont ces différents besoins peuvent être satisfaits dépend publication d’un article dans une revue scientifique ou profession-
tellement de données socioculturelles locales et des modalités nelle, participation à un congrès international, communication dans
d’insertion choisies par la personne, qu’il est très difficile, sinon un séminaire ou symposium, échanges avec un laboratoire étran-
impossible, de prévoir un comportement en se référant exclusive- ger, etc. Celui qui, dans l’organisation, a le contrôle de ces enjeux
ment aux théories des besoins. Il faut pour le moins les compléter détient du même coup un des leviers de la motivation des cher-
par des considérations tirées de l’environnement socioculturel et de cheurs.
l’histoire de l’individu.
Toutefois, dans une société marchande où les rapports interper- ■ L’efficience des décorations
sonnels sont façonnés pour une large part par des échanges écono- La décoration, signe ô combien symbolique de distinction, est un
miques de type donnant/donnant, on doit s’attendre à ce que enjeu fortement valorisé dans toutes les armées du monde. Il
l’argent occupe une place importante et soit un enjeu fortement semble bien que la culture militaire façonnée par l’esprit de corps,
valorisé. Comment peut-on alors motiver par l’argent ? Voilà la marquée par le sens du sacrifice et par la proximité du danger et de
question qui est à l’origine de beaucoup de politiques de rémunéra- la mort, soit naturellement propice à l’existence de valeurs liées à
tion. Mais même dans une société marchande, il peut exister pour l’honneur. D’où l’importance donnée aux décorations !
certaines personnes d’autres enjeux présentant une plus grande
attractivité. Mais il n’y a pas que dans les armées que des enjeux symboliques
peuvent s’avérer désirables. Bien d’autres milieux y sont également
sensibles, y compris dans des cas que l’on imagine assez peu.
3.4.2 Réaliser des désirs Ainsi, dans le milieu des ouvriers du BTP, Francis Bouygues
créa-t-il dans son entreprise, en 1963, le célèbre « Ordre des
Le désir est une notion plus large et plus ouverte que le besoin. À Compagnons du Minorange » dont l’efficacité motivationnelle fut
ce titre, il est mieux à même de rendre compte de la complexité des incontestable [22].
choses et d’aider au discernement de la valence. Dans cette optique,
quels sont pour l’acteur les enjeux désirables ?
Une des réponses possibles, en accord avec la psychanalyse, con- 3.4.3 Vérifier une norme sociale
siste à dire que l’objet du désir est toujours singulier ; qu’il a son ori-
gine au plus profond du psychisme, en lien avec l’histoire
personnelle de chacun, notamment de sa petite enfance. L’ennui est Il est des cas enfin où l’objet du désir est tellement normé par le
qu’une telle réponse est de peu d’utilité pour l’entreprise. Imagine-t- groupe qu’il ne laisse d’autre issue à l’acteur que de se conformer à
on de transformer les managers en « psy » et d’installer des divans ce que l’on attend de lui. Faire comme tous les autres et leur être
dans les ateliers ? Il faut donc trouver une approche plus large, qui semblable, voilà son désir.
puisse désigner des objets du désir communs à une même popula- Cette norme peut jouer d’abord, et de manière globale, vis-à-vis
tion. La théorie du désir mimétique de René Girard convient pour un du travail. Ce dernier peut se trouver valorisé dans certains milieux
tel usage. Mais avant de montrer comment on peut la mettre en ou dévalorisé dans d’autres. Mais la norme peut concerner aussi les
œuvre, retenons de la psychanalyse qu’il est du devoir des mana- différents enjeux ou récompenses extrinsèques que le salarié est en
gers de proximité de demeurer dans une attitude d’écoute vis-à-vis droit d’attendre de son travail, en particulier en matière de rémuné-
de chacun de leurs collaborateurs. ration. Ici, va jouer à plein la théorie de l’équité : c’est en référence à
Selon René Girard, le désir est un « construit social » qui nous est son milieu que le collaborateur s’estimera justement ou injustement
toujours désigné par les autres, des autres souvent proches et pré- traité. Et son engagement ou non dans l’action demandée en
sents dans notre environnement. Le repérage de la valence se dépendra.
ramène alors à la connaissance de cet environnement. Quels en
sont les traits culturels, les valeurs dominantes, les croyances ; À l’appui de ces remarques, donnons l’exemple de l’introduction
qu’est-ce qui y a du prix ou qui est considéré comme sans valeur ? d’une rémunération variable (un bonus individuel semestriel lié à la
À titre d’illustration, donnons deux exemples d’une telle démarche. performance évaluée par le contremaître) pour le personnel ouvrier
d’une grande entreprise industrielle. Résultat au moment de la pre-
■ La motivation des chercheurs mière distribution d’enveloppes correspondant à ce bonus : une grève
Très souvent, de grands centres de recherche, aussi bien publics massive du personnel et le retour des chèques au service du person-
que privés, sont confrontés au problème de la motivation de leurs nel. Pour les dirigeants, il paraissait incompréhensible que des salariés
chercheurs. La solution, bien sûr, ne saurait être monolithique. Passé petitement payés puissent refuser un chèque. Et pourtant, voici ce
un certain âge, surtout dans certains domaines, on sait que les intel- qu’une rapide observation du milieu socioculturel pouvait montrer ! Il
ligences perdent en créativité. Pour les personnes concernées, on s’agissait d’une population ouvrière, fortement marquée par une cul-
peut alors imaginer des réponses en termes de mobilité et de gestion ture de solidarité et d’égalité, trouvant son identité dans l’apparte-
de carrière. En matière de motivation en revanche, et pour ce type de nance à un syndicalisme fusionnel animé par une CGT traditionnelle.
personnel, les politiques traditionnelles de rémunération (du type Dans un tel contexte, toute forme d’individualisation de la rémunéra-
bonus ou augmentations individuelles) sont le plus souvent ineffica- tion non seulement n’était pas considérée comme désirable, mais
ces, alors qu’elles produisent des effets sur d’autres catégories était même perçue comme attentatoire à l’unité du groupe et à ses
d’ingénieurs et cadres. À l’adage « loup affamé chasse bien » qui valeurs. D’où la réaction très vive des acteurs qui ont valorisé davan-
s’applique assez bien aux forces de vente et justifie le recours à la tage leur appartenance au groupe qu’un surplus, même significatif, de
rémunération variable, prévaudrait pour les chercheurs l’adage dia- pouvoir d’achat.
métralement opposé « chercheur bien nourri trouve mieux ».
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