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Motiver les hommes dans les

entreprises : approche systémique

par Gérard DONNADIEU


Ancien professeur à l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris
(Université Panthéon-Sorbonne)

1. Clarification préalable : trois notions interconnectées ................ AG 1 525 - 2


2. Petit parcours dans les théories de la motivation.......................... — 3
2.1 L’homme neuronal....................................................................................... — 4
2.1.1 Les béhavioristes ................................................................................ — 4
2.1.2 Les neurobiologistes .......................................................................... — 4
2.2 L’homme désirant ........................................................................................ — 4
2.2.1 La théorie des besoins de Maslow revisitée par Herzberg ............. — 4
2.2.2 Le désir selon la psychanalyse .......................................................... — 5
2.2.3 La théorie du désir mimétique de René Girard ................................ — 6
2.3 L’homme calculateur ................................................................................... — 7
2.3.1 La théorie des attentes ou modèle VIE.............................................. — 7
2.3.2 Norme d’internalité et théorie psychologique du contrôle ............. — 8
2.4 L’homme rationalisant................................................................................. — 8
2.4.1 Théorie de la dissonance ................................................................... — 8
2.4.2 Théorie de l’engagement ................................................................... — 8
2.4.3 Théorie de la rationalisation de l’action ........................................... — 8
2.4.4 Théorie de l’équité.............................................................................. — 9
3. Pour une approche pratique à l’usage des managers.................... — 9
3.1 Notre fil conducteur : la théorie des attentes ............................................ — 10
3.2 Les conditions de l’expectation .................................................................. — 10
3.2.1 Un management par objectifs ........................................................... — 10
3.2.2 La prise en compte des profils psychologiques............................... — 10
3.3 Les conditions de l’instrumentalité ............................................................ — 11
3.3.1 Quels enjeux ?..................................................................................... — 11
3.3.2 Des enjeux garantis et transparents ................................................. — 11
3.3.3 De quelques conséquences pour les politiques de rémunération . — 12
3.4 Les conditions de la valence....................................................................... — 12
3.4.1 Satisfaire des besoins ........................................................................ — 13
3.4.2 Réaliser des désirs.............................................................................. — 13
3.4.3 Vérifier une norme sociale................................................................. — 13
4. Conclusion ................................................................................................. — 14
Références bibliographiques ......................................................................... — 14

ettre en mouvement les hommes et les équipes sur l’atteinte d’objectifs


M communs constitue une préoccupation majeure pour tout manager, que ce
soit au sein d’une entreprise privée ou publique, d’une administration, voire
d’une association sans but lucratif. Pour inciter un collaborateur à s’engager
dans une action, le manager dispose de sa force de conviction et d’entraî-
nement, de son charisme propre, mais aussi d’un certain nombre de moyens
(rémunérations, promotions, sanctions, etc.) qui sont mis à sa disposition par

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l’organisation. Pour lui, la question est de discerner le bon levier sur lequel il doit
jouer pour inciter, provoquer, améliorer, réguler... Manager revient pour une
bonne part à bien connaître l’individu et sa situation dans son environnement
(physique, organisationnel, social, culturel...) afin d’exercer sur lui l’influence qui
sera mobilisatrice.
Or, la réponse à ce défi, connu classiquement en GRH (Gestion des Ressources
Humaines) sous le nom de « problème de la motivation », est loin d’aller de soi.
En premier lieu, le mot est piégé : véritable fourre-tout, il désigne les choses les
plus dissemblables, le pire et le meilleur. D’où les critiques véhémentes dont il a
été l’objet de la part de certains chercheurs et universitaires. C’est pourquoi nous
avons jugé nécessaire, dans un bref premier paragraphe, de procéder à une
indispensable clarification.
En second lieu, pour les auteurs (la plupart Américains) qui ont pris son étude
au sérieux, la motivation a donné lieu, au cours du dernier demi-siècle, à une lit-
térature immense. Chacun a tenté de comprendre le phénomène à partir de la
grille d’analyse qui lui était familière : biologique, psychologique, psychanalyti-
que, sociologique, anthropologique, cognitiviste, voire philosophique. Le pas-
sage par un examen comparatif des principaux modèles explicatifs est donc
nécessaire. Ce sera l’objet du paragraphe 2.
Il nous restera ensuite à tirer de ces modèles des méthodes d’action qui soient
réellement utilisables par les managers. Cette ambition est d’autant plus fondée
que le thème de la motivation revient aujourd’hui en force dans les préoccupa-
tions d’entreprises. Avec le développement des organisations en réseaux, des
structures par projets, de la flexibilité globale, du temps partagé, etc., motiver les
hommes et les équipes devient une opération de plus en plus complexe et diffi-
cile qui ne peut s’accommoder de recettes et d’à peu-près. Or, si les théories sec-
torielles sont nombreuses (comme il sera vu au paragraphe 2), on ne dispose
pas d’une vision suffisamment globale pour orienter la décision et l’action des
managers. Une synthèse, à vocation opérationnelle, s’avère donc indispensable.
À un tel objectif cherche à répondre le dernier paragraphe de cet article. De fac-
ture délibérément descriptive et pratique, fortement inspiré par l’approche sys-
témique, ce paragraphe cherche à articuler de manière interactive quelques-
unes des principales théories. Il le fait sur un mode qualitatif, qui se veut simple
mais non simpliste, de manière à « donner à penser » au manager, lui permet-
tant de mieux comprendre sa situation pour mieux orienter son action.

1. Clarification préalable : Trois mots sont souvent utilisés dans le langage courant pour
parler de ce dont il est question ici : satisfaction, motivation, impli-
trois notions cation. Ces mots ne sont pas équivalents et doivent être définis avec
précision afin de clarifier l’exposé.
interconnectées ■ Satisfaction
Il s’agit du concept le plus ancien. Utilisé depuis cinquante ans par
les psychologues du travail, il désigne : « un état émotionnel positif
Étymologiquement, le terme de motivation viendrait du mot ou plaisant résultant de l’évaluation faite par la personne de son tra-
motif, lui-même dérivé du latin motivus (mobile) et movere (mou- vail ou de ses expériences de travail » [1]. La satisfaction correspond
voir) ce qui signifiait en ancien français « qui met en mouvement ». donc à un état subjectif face au travail, état qui résulte de la
La motivation concernerait donc l’étude des motifs qui nous réalisation des attentes conscientes ou inconscientes à l’égard du
« poussent à agir », l’analyse du processus qui nous « met en travail. Ces attentes peuvent être de nature extrêmement diverse :
mouvement ». besoins, désirs, idéal du moi, volonté de conformité au groupe...
Mais avoir satisfait ses besoins ou ses désirs ne pousse pas
Nous retiendrons cette définition. Ceci va nous conduire, dans un nécessairement à agir, contrairement au discours souvent entendu,
premier temps, à nous interroger sur les mécanismes profonds, les du type « des travailleurs satisfaits travaillent bien ». Certes, l’insa-
ressorts cachés à l’œuvre dans les comportements humains, puis, tisfaction, voire la frustration, sont généralement peu propices à
dans un second temps, à un dépassement des pratiques tradition- l’engagement dans le travail et il y a bien là une sorte de causalité.
nelles, notamment en matière de commandement et de rémuné- Mais nous connaissons tous des travailleurs satisfaits et peu
ration, telles qu’elles ont existé et existent encore dans les dynamiques : ils sont heureux de ne produire que le minimum
entreprises. nécessaire.

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■ Motivation
Comme rappelé au début de ce paragraphe, le terme de motiva- Implication
tion est utilisé pour désigner « le degré d’engagement d’un collabo-
Action Réussite
rateur dans la réalisation d’une action proposée par un tiers Motivation
/ Échec
(généralement l’organisation) ». Satisfaction /
Insatisfaction
Le lien à l’action est ici direct et immédiat. La motivation est cen-
trée sur l’accomplissement d’une tâche ; elle est le passage obligé
entre ce qui n’est qu’une injonction à agir (de la part du chef, de
l’équipe, de la norme) et la prise en charge réelle de cette action par Figure 1 – Interactions entre satisfaction, motivation et implication
l’acteur qui va y engager ses forces, son temps, son énergie, ses
moyens. La motivation n’a donc pas de réalité en soi (une vertu, une
aptitude, un trait de caractère, etc.) ; elle est toujours contingente à
une situation donnée.
Bien entendu, dans la réalité vécue des conduites humaines, ces
La motivation peut bien sûr dépendre du plus ou moins grand diverses formes d’implication peuvent se superposer et se
sentiment de satisfaction éprouvé par le travailleur à l’occasion de la combiner.
réalisation d’une action ; elle peut dépendre aussi, et c’est souvent
le cas, du degré d’adhésion (ou implication) à l’organisation (entre- ■ Articulation des trois concepts
prise, établissement, équipe) dont il fait partie. Mais comme telle, la Différentes dans leur définition, les trois notions de satisfaction,
motivation ne s’identifie ni à la satisfaction, ni à l’implication. motivation et implication ne sont pas pour autant indépendantes.
Elles sont au contraire en relation de causalité circulaire sans que
■ Implication l’on puisse considérer que l’une détermine mécaniquement
l’autre.
Venu de la sociologie, le concept est d’introduction plus récente. Il
De manière générale, on peut dire que si la réussite d’une action
vise le rapport de l’individu non pas à un travail particulier (motiva-
dépend directement de la motivation, la satisfaction est habituelle-
tion), non pas aux gratifications qu’il peut en attendre (satisfaction)
ment au rendez-vous d’une action réussie. Mais cette satisfaction,
mais à un groupe d’appartenance. comme on l’a vu, ne détermine pas automatiquement la
Les psychosociologues anglo-saxons utilisent le terme involve- motivation ; en revanche, l’insatisfaction grave démotive.
ment ou job involvement pour dire l’engagement de l’individu dans De même, une implication forte crée un climat favorable à la moti-
l’emploi occupé, et le terme commitment ou organizational commit- vation, mais sans garantir pour autant son déclenchement. Faut-il
ment pour désigner l’engagement de l’individu dans l’organisation. encore que l’on propose au collaborateur des actions correspondant
En français, le risque est de traduire par implication ces deux ter- à ses compétences, à ses attentes et à ses enjeux !
mes. Soucieux d’éviter la confusion qui pourrait résulter de l’utilisa-
tion du même mot pour deux concepts, de nombreux chercheurs Autant la motivation joue dans la singularité des situations de tra-
français ont proposé de retenir le terme implication pour la seule vail et renvoie à la dimension interpersonnelle du management,
relation individu/organisation et de réserver le terme engagement autant l’implication présente une dimension globale et collective.
L’organisation peut créer les conditions qui favorisent l’implication,
pour le lien individu/emploi occupé.
en agissant par exemple au moyen des systèmes de gestion, de for-
La notion d’engagement présente alors beaucoup de similitude mation et de communication. Mais il n’y a pas incidence automati-
avec celle de motivation. Elle en constitue une sorte de que de l’implication sur la motivation.
généralisation : l’engagement viserait l’ensemble des actions Enfin, il existe une troisième relation entre satisfaction et implica-
déployées par le travailleur pour remplir son emploi, alors que la tion. La satisfaction, surtout lorsqu’elle se maintient dans la durée,
motivation concernerait plutôt le degré d’engagement dans une consolide l’implication. Des collaborateurs satisfaits considèrent
action particulière. plus facilement qu’ils appartiennent à l’organisation, ils sont davan-
Conscient de ces distinctions, on peut retenir la définition pro- tage disposés à adhérer à ses buts.
posée par Michèle Amiel [2] pour l’implication : Entre les trois concepts, on a ainsi une suite de relations
conditionnantes que l’on peut représenter par le schéma de la
« Sentiment d’identification de l’individu à l’organisation qui se
figure 1.
traduit pour lui par :
En situation de réussite, cette boucle de rétroaction joue normale-
— l’acceptation des valeurs et des buts de l’organisation ; ment en faveur du renforcement de la motivation. Mais elle peut
— la volonté d’exercer des efforts au profit de l’organisation ; jouer aussi en faveur de la démotivation en situation d’échec pro-
— l’intention de continuer à faire partie de l’organisation. » longé.
Maurice Thévenet, qui a beaucoup travaillé ce thème de l’implica-
tion, a mis en évidence sa liaison étroite avec la notion de culture
d’entreprise, culture qui permet de donner un contenu et une
expression précise aux valeurs et aux buts de l’organisation. Il mon-
tre [3] cependant que l’implication peut se construire à partir de 2. Petit parcours
lieux très divers :
• Le travail lui-même que l’on aime pour ce qu’il est.
dans les théories
• L’environnement immédiat (l’équipe, les collègues, le chef de la motivation
direct).
• Le produit (ainsi en va-t-il par exemple des métiers d’art).
Depuis plus d’un demi-siècle, psychologues, sociologues, anthro-
• Le métier (appartenance à une communauté professionnelle pologues, neurologues, cogniticiens, psychanalystes, se sont
forte comme chez les artisans). essayés à produire des théories de la motivation. Classiquement,
• L’entreprise enfin, à laquelle il ne faut pas limiter le sentiment ces théories sont regroupées en deux catégories dites pour la pre-
d’appartenance. mière « de contenu » et pour la seconde « de processus ».

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• Les théories de contenu s’efforcent de répondre à la question : Jean-Pierre Changeux [5] est parmi les biologistes à avoir déve-
qu’est-ce qui motive les gens à travailler ? Elles s’intéressent aux loppé cette approche. C’est au niveau du cortex frontal que se combi-
mobiles de l’action et on range parmi elles un certain nombre de neraient les objets mentaux et que se construiraient les images-
théories de facture psychologique (comme la vieille théorie des programmes de l’espace moteur où seront exécutés les mouvements
besoins d’Abraham Maslow). à venir ; les motivations y trouveraient donc leur lieu de formation.
• Les théories de processus s’efforcent de répondre à la question : Sur la manière dont un tel processus se déroule au sein du cer-
comment les gens se motivent-ils pour travailler ? Elles s’intéres- veau, le médecin neurologue Henri Laborit [6] est sans doute celui
sent aux mécanismes qui commandent l’action. On y trouve des qui en a proposé l’analyse la plus complète. Il met en évidence le
théories plutôt de facture sociologique ou cognitive. fonctionnement du cerveau lors de l’action. Centré sur le jeu des cir-
Cette typologie traditionnelle apparaît aujourd’hui de moins en cuits nerveux, la construction des câblages entre neurones, le
moins pertinente car intégrant mal les nouvelles approches. Aussi, modèle de Laborit illustre remarquablement l’approche biologique
retiendrons-nous une autre classification, en quatre familles, pro- du comportement humain.
posée récemment par un jeune chercheur Stéphane Copin [4]. Cette Pour autant, une telle approche rend-elle compte de tous les
nouvelle typologie n’est plus fondée sur le type de questionnement aspects du phénomène de la motivation ? Malgré les affirmations
(pourquoi ou comment ?) mais sur la nature du référentiel scientifi- volontiers totalitaires de certains, on peut en douter :
que qui sert de support au modèle. Se place-t-on d’un point de vue — d’une part, la manière dont interagissent les circuits nerveux
neurobiologique, psychologique, sociologique, cognitif ? renseigne assez mal sur la nature des mobiles internes (pulsions,
besoins, désirs...) qui poussent l’individu à agir et surtout sur la signi-
fication qu’ils ont pour lui. Pourquoi l’achèvement social s’identifie-
2.1 L’homme neuronal rait-il pour l’un à l’acquisition d’une villa luxueuse... et pour l’autre à
la pratique d’une vie ascétique au fond d’un monastère cistercien ?
— d’autre part, le modèle ne nous informe que partiellement sur
La biologie, principalement celle du cerveau, est censée expliquer la manière dont sont prises les décisions dans ces situations à haute
le phénomène motivationnel. Par ordre chronologique, on peut ran- incertitude où aucune réponse stéréotypée n’a encore eu le temps
ger sous cette rubrique les béhavioristes et les neurobiologistes. d’être mémorisée. Or, ces situations se rencontrent fréquemment
dans l’existence humaine. Affrontés au même problème, deux indi-
vidus poursuivant pourtant les mêmes objectifs, ne réagiront pas
2.1.1 Les béhavioristes forcément de la même manière. Comment cela se fait-il ? Une
réflexion fondée sur les mécanismes psychosociologiques et cogni-
Inspiré de la théorie des réflexes conditionnels du Russe Pavlov, le tifs de la prise de décision s’avère nécessaire.
modèle de référence est le stimulus/réponse (S-R) dû à l’Américain Utile pour comprendre certains aspects importants de la motiva-
Skinner. Ce modèle a dominé la psychologie expérimentale durant tion (le conditionnement, l’habitude, l’inhibition...), le modèle neuro-
plusieurs décennies. Il conçoit le comportement comme la réponse nal se montre impuissant, sauf à tomber dans un insoutenable
mécanique à un stimulus donné. Le traitement réalisé par le cerveau réductionnisme, à rendre compte de la totalité du phénomène.
serait donc de nature totalement déterministe, stable et univoque
(figure 2).
Le modèle S-R contient, sans nul doute, une part de vérité. Il per- 2.2 L’homme désirant
met d’expliquer un grand nombre de comportements simples, à
base d’automatismes ou d’habitudes. Il faut cependant admettre
qu’il est de peu d’utilité pour rendre compte des comportements Nous trouvons ici des théories qui s’intéressent principalement
hautement sophistiqués, notamment à caractère conjectural et aux mobiles de l’action et qui puisent, suivant les cas, leur inspira-
exploratoire, qui caractérisent l’action humaine. C’est ainsi que l’on tion dans la psychologie sociale, la psychanalyse ou l’anthropolo-
voit souvent le même stimulus donner naissance à des réponses dif- gie. Les concepts de référence en sont le besoin, dont la recherche
férentes ou la même réponse surgir de stimulus différents. Pour de de satisfaction pousserait l’individu à agir, ou celui plus large de
tels comportements, on ne peut ignorer la « boîte noire », c’est-à- désir, conçu comme une force polymorphe qui tire l’action. Le
dire ce qui se passe à l’intérieur même de la personne et de son cer- besoin s’enracine dans une nature humaine supposée, alors que le
veau. Le modèle S-R doit donc être abandonné au profit d’un désir est de facture beaucoup plus culturelle.
modèle S-O-R (stimulus-organisme-réponse) plus élaboré.

2.2.1 La théorie des besoins de Maslow revisitée


2.1.2 Les neurobiologistes par Herzberg
Pour eux, tout se joue dans le cortex frontal, lié anatomiquement Le psychologue américain Abraham Maslow [7] a travaillé au
au système limbique. Ce dernier prend part à la régulation des états cours des années 1940/1950 sur les mobiles de la motivation qu’il
émotionnels et intervient dans l’exécution des projets et leur adap- pensait pouvoir ramener à la satisfaction d’un certain nombre de
tation aux circonstances tant extérieures qu’intérieures. besoins humains universels, étagés sur sa célèbre pyramide à cinq
niveaux :
— besoins physiologiques (entretien de la vie matérielle) ;
— sécurité (survie, confort, tranquillité) ;
— appartenance et relation (fraternité, solidarité, convivialité) ;
Stimulus Réponse — reconnaissance (estime, pouvoir, honneurs) ;
Cerveau — réalisation de soi (plénitude psychologique).
S R Pour Maslow, la substitution d’un besoin par un autre s’effectue
en principe quand celui de rang inférieur est déjà satisfait (c’est ce
qu’il appelle la prépotence des besoins). Ainsi serait-il vain de pré-
R = Fonction univoque de S tendre mobiliser un collaborateur par la satisfaction d’un besoin
supérieur (par exemple la réalisation de soi) si on n’a pas d’abord
Figure 2 – Modèle S-R satisfait, de manière à peu près convenable, les besoins de rang

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inférieur (par exemple un minimum de sécurité d’emploi). Et pour- C’est donc vers la nature sociale et culturelle de l’homme qu’il
tant, l’observation fournit des exemples où la recherche d’un besoin faut s’orienter pour répondre à la question des mobiles de l’action.
supérieur occulte la satisfaction de tous les autres, y compris de sur- Mais du même coup, le besoin se change en désir.
vie. Ainsi en va-t-il de l’ascète et du héros ; plus modestement de
l’artiste, du chercheur, du militant, bref de tout homme passionné
par son activité. 2.2.2 Le désir selon la psychanalyse
Sur ce dernier constat, Frederick Herzberg [8] en est venu à propo-
ser un classement un peu différent et surtout une autre manière de Au début du 20e siècle, Freud jetait le soupçon sur le caractère
concevoir le jeu des besoins sur la motivation... et la satisfaction. jusqu’alors jugé rationnel et transparent de l’action humaine.
Reprenant la pyramide de Maslow, Herzberg observe que tous les
Derrière le postulat de pleine conscience et maîtrise du moi, hérité
besoins ne sont pas de même nature. Certains ont trait à la mainte- de Descartes et des Lumières, il montrait le grouillement des pul-
nance de la vie biologique et sociale. C’est pourquoi il les appelle
sions du ça et les censures du surmoi. Ainsi que le visualise le
besoins d’Adam (le premier homme, chassé du paradis terrestre, et schéma de la figure 3, où se trouvent représentées les trois instan-
qui doit gagner son pain à la sueur de son front). D’autres ont trait ces de la psychanalyse freudienne, le moi, bien loin d’être le maître
au développement de la personne, à son achèvement social. C’est
tout-puissant de l’action, n’est souvent que le relais d’un arbitrage
pourquoi il les appelle besoins d’Abraham (le premier homme qui inconscient entre les revendications du ça et les impératifs du sur-
quitte sa sécurité et son confort pour poursuivre un idéal spirituel).
moi.
Les besoins d’Adam n’ont pas d’effet direct sur la motivation et Herz-
berg les nomme « facteurs de satisfaction ou d’hygiène ». Une fois Ainsi, la motivation n’est pas ce que l’on croit ou tout du moins ce
satisfaits, ils ne poussent plus à l’action, tout du moins pour un qu’elle se donne à croire. Et le travail, parce qu’il représente une part
temps. Non satisfaits, en revanche, ils produisent frustration et importante de la vie éveillée, n’échappe pas à cette critique que
mécontentement. Les besoins d’Abraham, au contraire, agissent Freud avait repérée. « La possibilité de transférer les composantes
directement sur la motivation. Non satisfaits, ils ne produisent habi- narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail
tuellement qu’une frustration modérée. Mais leur satisfaction déve- professionnel et les relations sociales qu’il implique, donne à ce der-
loppe en revanche un fort sentiment de contentement qui a besoin nier une valeur qui ne le cède en rien à celle que lui confère le fait
pour se maintenir de persévérance dans l’action, voire d’amplifica- d’être indispensable à l’individu pour maintenir et justifier son exis-
tion des efforts et d’amélioration des résultats. tence au sein de la société. S’il est librement choisi, tout métier
devient source de joies particulières, en tant qu’il permet de tirer
Que ce soit dans la version originelle de Maslow ou dans celle de
profit, sous leurs formes sublimées, de penchants affectifs et d’éne-
Herzberg, une objection majeure a été faite à ces théories, celle de rgies instinctives » [9].
reposer sur une notion, le « besoin humain », qui n’a rien d’univer-
sel et apparaît à l’usage extrêmement plastique, car lestée des signi- Le mécanisme de sublimation par lequel s’opère cette transmuta-
fications symboliques de l’acteur et de la société au sein de laquelle tion consiste, pour le sujet, à satisfaire un désir prohibé en s’enga-
s’exprime ce besoin. Le besoin, chez l’homme, n’a rien de naturel geant dans une activité socialement acceptable. À cet effet,
(ou très peu) ; il dépend bien davantage de la représentation que se plusieurs moyens sont utilisés : narcissisation d’abord dans une
fait la société, à un instant donné, de ce qui est jugé nécessaire à une activité socialement valorisée (activité artistique, scientifique, tech-
vie humainement digne. Aussi a-t-on pu dire que la pyramide de nique, professionnelle, etc.), symbolisation ensuite où un acte auto-
Maslow était le reflet, dans la conscience des individus, de l’échelle risé remplace un acte interdit, désexualisation enfin dans une
des valeurs de la société américaine. Dans une société tribale, « perversion réussie » par le détournement de la pulsion sexuelle
antique ou simplement asiatique ou africaine, la pyramide aurait été aussi bien de son but que de son objet... L’amour du travail serait
différente. ainsi une des métamorphoses de l’inavouable...

Normes
morales
Pulsions Surmoi
Ça

Revendications
Impératifs Socioculture
Organisme

Refoulement Idéal du moi

Moi

Exigences
Action (principe
de réalité)

Réalité

Figure 3 – Modèle psychanalytique

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Pour le psychanalyste Roland Brunner [10], l’entreprise offre une ■ La construction du désir
multitude de situations autorisant ce travail de sublimation : pas-
sion du métier, notoriété personnelle, convivialité des collègues, Parce que de nature mimétique, le désir est toujours un construit
amour de l’entreprise-mère. Il souligne cependant le caractère très socioculturel, contingent à un champ social et historique donné. Il
personnel de ce processus qui s’inscrit toujours dans une histoire n’est donc pas singulier à l’individu, comme le pense la
singulière dont les ressorts sont largement inconscients. Ce qui le psychanalyse ; mais il n’a pas non plus un caractère universel tra-
conduit à jeter un regard perplexe sur la pléthore des mesures duction d’une « nature humaine ».
mises en œuvre dans les entreprises pour accroître la motivation et Ce caractère contingent du désir apparaît dès les premiers
la satisfaction au travail. Pratiques incantatoires bien souvent, car moments de la vie humaine. Le petit enfant cherche à imiter ses
force est de constater que des situations de travail identiques sont parents, puis son maître, lesquels le gratifient lorsque l’imitation est
vécues de façon très différente d’un individu à l’autre... réussie. Au cours de ce processus, le maître-modèle désigne à
Ce conditionnement individuel du désir constitue le point faible l’élève-imitateur ce qu’il convient de désirer – l’objet du désir – dont
du modèle psychanalytique pour pouvoir l’appliquer au manage- la possession devient gratifiante en soi. À maturité, le maître-
ment de la motivation. Peut-on ramener le désir à la seule histoire modèle s’exclut du circuit et l’élève désire posséder l’objet pour lui-
personnelle, particulièrement lorsqu’il s’agit d’actions à fort impact même, devenant à son tour modèle pour d’autres imitateurs.
social ? À l’inverse de l’universalisme discutable de la théorie des À ce stade, deux évolutions sont possibles, qui conduisent à des
besoins, le modèle psychanalytique verse dans l’ultra-particula- effets diamétralement opposés.
risme. D’où le grand intérêt d’une autre approche, à mi-chemin du
général et du particulier, dont nous allons parler maintenant. ■ Le mimétisme de coopération ou « bonne réciprocité »
C’est le processus que l’on rencontre dans toutes les formes
d’association humaine qui conduisent à la création de surplus. Non
seulement l’objet du désir est partageable entre les différents parte-
2.2.3 La théorie du désir mimétique naires mimétiques, mais il ne peut être atteint que par leur associa-
de René Girard tion (jeu à somme positive). Chacun se le désigne mutuellement et
l’acquisition commune gratifie chaque participant (figure 4).
Ce comportement est habituellement l’occasion, pour un groupe
De facture anthropologique, elle a été conçue par le français René social, de mettre en œuvre des conduites de coopération, d’adapta-
Girard, professeur à l’université de Stanford (USA) dans les tion, d’invention.
années 1970. Elle repose tout entière sur l’importance donnée à
■ Le mimétisme d’appropriation ou « réciprocité
l’imitation dans le comportement humain. Cette imitation se rencon-
mauvaise »
tre déjà dans le comportement des animaux supérieurs, mais avec
l’homme, elle prend une dimension nouvelle et tout à fait considéra- L’autre, qui est mon modèle en me désignant l’objet du désir,
ble, en particulier à partir de l’avènement du langage. René Girard s’avère également être le principal obstacle s’opposant à ma satis-
écrit : « La théorie mimétique, seule susceptible de fonctionner au faction. L’objet en effet lui appartient et il est, de plus, difficilement
niveau animal et au niveau humain, est seule susceptible par consé- partageable (ressource rare, enjeu de pouvoir, gloire...). Plus l’autre
s’oppose alors à mon désir, plus ma frustration grandit et l’objet me
quent, d’éliminer toute rupture métaphysique entre les deux règnes
devient indispensable : c’est la rivalité mimétique. René Girard écrit
et aussi toute confusion illégitime, puisque le mimétique va fonc-
à ce sujet : « Toute valeur d’objet croît en proportion de la résistance
tionner dans chacun de ces règnes à un régime très différent ». Avec que rencontre son acquisition. Et c’est aussi la valeur du modèle qui
l’avènement du langage et de la pensée symbolique, le désir va en grandit. L’un ne va pas sans l’autre ». Dans cette escalade de l’imita-
effet revêtir chez l’homme une forme de plus en plus marquée par tion/appropriation, l’objet du désir finit par paraître secondaire et il
sa dépendance à la socioculture. est même totalement oublié. Ne restent plus alors en présence que
Comment se met en place ce désir et quelles sont ses manifesta- les deux protagonistes engagés dans une lutte sans merci appelée
tions habituelles dans la vie sociale ? Au risque d’être un peu simpli- par René Girard lutte des doubles. À ce stade, l’issue ne se trouve
que dans la montée aux extrêmes qui est généralement l’escalade
ficateur, résumons les réponses données par Girard [11].
de la violence.

Désir Désir

A Objet B

Gratification Gratification

A et B : partenaires mimétiques
Figure 4 – Mimétisme de coopération

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Nous retiendrons que la théorie du désir mimétique honore, • Suis-je capable de réaliser l’action demandée et d’obtenir le
beaucoup mieux que les précédentes, le caractère contingent du résultat ? Cette première phase, appelée expectation (relation effort-
désir, marqué par la diversité, la complexité et la dimension évolu- résultat), évalue en quelque sorte la probabilité de réussite de
tive des situations humaines. l’action.

Pour donner un exemple simple, imaginons un agent commercial à


qui son chef fixe comme objectif d’augmenter de 20 % son chiffre de
2.3 L’homme calculateur ventes. L’agent a-t-il quelques chances raisonnables d’atteindre cet
objectif ? Si ce n’est pas le cas, il est à peu près certain qu’il sera
découragé par avance et ne produira pas l’action escomptée.
Abordons maintenant une autre conception de la motivation, con-
çue non plus comme une force trouvant son origine dans les affects
• L’obtention du résultat déclenche-t-elle de manière quasi cer-
du cœur humain, mais comme le résultat d’un calcul probabiliste
taine pour l’acteur une contrepartie (enjeu) ? Cette seconde phase
pesant soigneusement les intérêts et les risques d’engager une
appelée instrumentalité (relation résultat-enjeu), apprécie la trans-
action. Pour cela, on doit supposer que chaque individu se comporte
parence du processus, la garantie donnée à l’acteur que sa réussite
comme un acteur conscient, maître de son comportement, calcula-
déclenchera une récompense ou une absence de punition (c’est cela
teur froid, capable de projeter son action dans le futur et d’anticiper
l’enjeu !).
par la pensée les résultats probables au regard des buts qu’il pour-
suit. Cette conception est donc par excellence applicable à la part
consciente et réfléchie du mécanisme de l’action. Pour reprendre à nouveau l’exemple de l’agent commercial, cela
signifie que la réalisation de l’objectif doit entraîner ipso facto l’obten-
Compte tenu du caractère rationnel, et même calculateur et inté- tion d’une récompense bien précise, par exemple un bonus. Si tel n’est
ressé, prêté au comportement humain, on conçoit qu’une telle pas le cas, si l’attribution du bonus dépend du bon vouloir du directeur
approche ait pu séduire tous ceux qui sont familiers des concepts de des ventes, l’agent aura quelque réticence à s’engager.
l’économie libérale et de la sociologie des organisations.
• L’enjeu présente-t-il un intérêt, une réelle valeur ? Cette troi-
sième phase, désignée sous le terme de valence (relation enjeu-
2.3.1 La théorie des attentes ou modèle VIE valeur), repère l’importance représentée par l’enjeu aux yeux de
l’acteur.
Élaborée initialement par l’Américain V.H. Vroom [12], cette théo-
rie a été formalisée par les psychosociologues américains Porter et Toujours dans le cadre de notre exemple, l’agent commercial est-il
Lawler, puis reprise par Claude Lévy-Leboyer dans son livre sur les vraiment intéressé par la récompense promise ? Si le montant du
motivations [13]. Classiquement connue sous le nom de modèle VIE bonus lui paraît trop faible, ou si le fait de gagner davantage d’argent ne
(Valence, Instrumentalité, Expectation), elle se décline selon trois l’intéresse pas, il sera sans doute avare de son effort.
phases successives.
Pour mettre en évidence le caractère circulaire du processus Faute de réponse positive à chacune des trois phases du cycle
d’anticipation qui en constitue la base, rien de tel que de recourir à expectation/instrumentalité/valence, le processus motivationnel ne
la représentation systémique de la boucle de rétroaction (figure 5). s’enclenchera pas.
Il faut souligner que cette boucle simule un calcul qui se déroule à L’indéniable simplicité du modèle et son caractère pratique et
l’intérieur même de l’acteur (dans son cerveau) avant que celui-ci ait opératoire ont contribué à faire son succès. Toutefois, le modèle a
amorcé le moindre commencement d’action. ses limites qui tiennent à une approche essentiellement individua-
Confronté à une sollicitation à agir de la part de l’organisation, un liste et utilitaire. Il existe en effet dans chaque personnalité des élé-
acteur ne s’implique réellement dans l’action que s’il a préalable- ments d’irrationalité (ou de subjectivité) qui font que chacun aura
ment répondu oui aux trois questions suivantes : une manière bien à lui de concevoir la valence ou l’expectation.

RÉSULTAT

Expectation Instrumentalité

Proposé
ACTION
par ENJEU
EFFORT
l’organisation

Décision Valence
(oui ou non)

VALEUR

Figure 5 – Modèle VIE

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2.3.2 Norme d’internalité et théorie psychologique éléments qui peuvent être entre eux en relation de neutralité (indif-
du contrôle férence), de consonance (accord) ou de dissonance (désaccord).
L’état de dissonance crée en l’homme un sentiment de malaise
Pourquoi certains individus se montrent-ils confiants et sûrs qui le pousse à remettre en question certaines de ses attitudes,
d’eux-mêmes, disposés de ce fait à relever d’impressionnants croyances, opinions... de manière à ce qu’elles soient à nouveau
défis ? Et d’autres timorés et hésitants, alors qu’ils disposent pour- cohérentes entre elles. Supposons par exemple qu’un sujet réalise
tant des mêmes compétences et des mêmes moyens ? Cette diffé- une action relativement nouvelle et imprévue, dont il n’a pas perçu,
rence peut avoir un impact considérable sur le processus dans un premier temps, toutes les conséquences. Il va avoir de cette
motivationnel tel que décrit par le modèle VIE. action une certaine représentation ou cognition génératrice,
laquelle se trouve plus ou moins en accord avec l’ensemble de ses
Selon l’américain J.B. Rotter [14], les individus fondent leur autres représentations ou cognitions privées (voir figure 6). S’il y a
expectation sur les expériences passées d’échecs et de réussites. écart, celui-ci peut encore être modulé (augmenté ou diminué) par
Par suite de cet effet d’apprentissage, mais aussi de diverses autres des considérations liées à l’environnement et que l’on appelle
données psychologiques, il existerait un trait de personnalité stable, cognitions conjoncturelles. Si la dissonance persiste, et à défaut de
la norme d’internalité, qui expliquerait cette différence d’anticipa- pouvoir agir rétroactivement sur l’action pour en changer les consé-
tion face à une même action proposée. Certaines personnes ont ten- quences, le sujet doit entreprendre un travail de remodelage, dit de
dance à expliquer ce qui leur arrive par la chance, le hasard, l’aide rationalisation, de ses cognitions privées pour les mettre en accord
d’un tiers... ; d’autres par leurs capacités ou leurs efforts. De avec la cognition génératrice.
manière plus générale, ces secondes personnes, dites internes, pen-
sent que les individus peuvent exercer un contrôle sur les événe-
ments à venir. Quant aux premières, dites externes, elles pensent Prenons un exemple emprunté à la vie des affaires : un collabora-
qu’un tel contrôle est faible, voire impossible. teur jusque-là honnête, mis en présence d’une tentation facile,
commet une malversation. Cette action est bien entendu contraire aux
Dans un contexte professionnel, la norme d’internalité joue un convictions du collaborateur. Ce dernier a alors la possibilité soit
rôle important pour expliquer la différence d’attitude des individus d’avouer sa faute (rétroaction sur l’action déjà commise) pour maintenir
face aux échecs et aux réussites. En cas d’échec, un individu interne intact son système de valeurs, soit de réduire sa dissonance en modi-
aura tendance à réagir en renforçant son engagement, alors que fiant partiellement ses cognitions privées (par exemple en abandon-
l’individu externe se démobilisera. nant la valeur d’honnêteté). Mais si, dans son environnement, la
Le manager n’est pas sans influence sur la norme d’internalité corruption est générale (cognitions conjoncturelles), le sujet pourra
d’un collaborateur. Selon Claude Rainaudi [15] l’internalité aug- alors excuser son acte en le minimisant sans avoir à changer fonda-
mente avec : le niveau d’éducation générale et de formation, les mentalement son système de valeurs.
réussites scolaires et professionnelles passées, l’estime de soi, une
formation spécifique. Ainsi, il suffit quelquefois de laisser croire aux De nombreuses études ont montré que la dissonance cognitive
collaborateurs qu’ils ont une possibilité de contrôle sur un événe- présente beaucoup de similitudes avec la motivation. Ainsi, tout
ment pour améliorer leurs performances. Et il existerait une rétroac- comme la faim est motivante, la dissonance cognitive est moti-
tion positive entre internalité et réussite professionnelle, ce qui vante. Avec une différence cependant : alors que la motivation
rendrait compte du fait que les individus internes ont souvent un détermine une action tournée vers l’extérieur, la dissonance
statut professionnel supérieur à celui des externes et sont plus à détermine une action (le changement d’attitude) tournée vers le
l’aise dans un rôle de chef. psychisme interne.

2.4 L’homme rationalisant 2.4.2 Théorie de l’engagement

La dissonance est un processus qui démarre une fois l’action


effectuée, avec pour conséquence un possible changement d’atti-
La théorie VIE nous renvoie l’image d’un homme parfaitement
tude. À l’inverse, la théorie de l’engagement, due à l’Américain Kies-
rationnel, qui calcule, suppute et anticipe. Est-ce toujours le cas ?
ler [17], décrit un processus de consolidation d’attitude qui débute
D’autres recherches, relatives à la psychologie de la cognition,
au moment où l’action est proposée.
apportent un éclairage bien différent du comportement humain.
L’homme y est perçu davantage comme rationalisant que rationnel ; Un sujet réalisera une action a priori coûteuse d’autant plus faci-
il tente en permanence de maintenir un équilibre entre ses représen- lement qu’il a été « engagé » auparavant sur une action semblable
tations mentales et les actions qu’il est amené à engager. Ces théo- mais peu coûteuse et appelée pour cette raison action inoculatrice.
ries ne s’intéressent pas en soi à la motivation, mais elles peuvent Ici, le processus de rationalisation résulte d’une comparaison entre
fournir une aide précieuse à la compréhension d’un individu qui les cognitions privées et la représentation de l’action proposée
interagit avec son environnement. jouant le rôle de cognition génératrice. Si l’écart est faible, l’acteur
effectuera l’action qui lui apparaîtra peu coûteuse. Ce premier pas
aura pour effet, par un processus d’évolution progressive et peu
perceptible de ses cognitions privées, de l’amener dans un
2.4.1 Théorie de la dissonance deuxième temps à accepter une action beaucoup plus coûteuse et
qu’il aurait initialement refusée.
Élaborée par l’Américain Léon Festinger [16] dans les
années 1950, cette théorie est fondée sur une observation psychoso-
ciologique commune, à savoir que l’homme supporte mal d’être en 2.4.3 Théorie de la rationalisation de l’action
contradiction avec lui-même : on dit alors que son univers cognitif
est dissonant.
Les deux théories précédentes ont été unifiées au sein d’un même
Par univers cognitif, il faut entendre l’ensemble des connaissan- modèle par les Français Beauvois et Joule [18] qui ont, à cette fin,
ces ou représentations relatives à soi (ce que nous faisons, désirons, fait appel à la notion de conformité. Dans leur modèle, tout acteur
ce que nous sommes...) et relatives au monde dans lequel on vit (la cherche spontanément à donner une raison à ses actes, que ceux-ci
situation des objets, des personnes, ce qui est agréable ou péni- soient conformes ou non-conformes à ses cognitions privées. C’est
ble...). Les cognitions sont les différents éléments de cet ensemble, ce que ces auteurs appellent le processus de rationalisation.

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Action Cognition
proposée action proposée

Écart
Opposition cognition-
engagement

Diminution opposition

Cognitions Rationalisation
Engagement
privées

Consolidation Écart
cognitions- Dissonance
dissonance

Cognition
Action génératrice

Cognitions
conjoncturelles

Réaction d’opposition

Figure 6 – Processus de rationalisation

Le modèle peut se représenter au moyen d’un schéma systémi-


que (figure 6) sur lequel on a figuré sur fond blanc les variables
3. Pour une approche
spécifiques à la théorie de la dissonance, sur fond gris celles relati-
ves à la théorie de l’engagement et sur fond bleu les variables
pratique à l’usage
communes. des managers
« Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie » aimait à dire Kurt
2.4.4 Théorie de l’équité Lewin, le fondateur américain de la psychologie sociale. L’ennui en
matière de motivation est que nous avons affaire, comme le paragra-
phe précédent l’a montré, à un trop plein de théories. Il n’existe pas
La théorie de l’équité, développée dans les années 1960 par aujourd’hui de théorie générale décrivant de manière quasi-exhaus-
l’Américain J.S. Adams [19], est une tentative intéressante pour tive le mécanisme de la motivation, mais une pluralité de théories
appliquer la théorie de la dissonance cognitive au problème de la « locales », chacune fondée sur un paradigme partiel et validée sur
rétribution dans les entreprises. Elle est basée sur la comparaison un champ particulier d’observations. Faut-il en choisir une au dépens
que fait spontanément tout individu entre sa situation person- des autres, attitude ô combien risquée mais que certains pourtant
nelle et celle d’un autre individu pris comme référence (on ne adoptent ? Ou bien rechercher une nouvelle théorie, à prétention
peut manquer de faire le lien avec le désir mimétique de René plus générale qui rendrait caduques toutes les autres ? Vaines ques-
Girard). tions car de tels choix sont à peu près sûrement voués à l’échec.
La voie que nous proposons consiste à refuser de choisir entre ces
L’individu évalue donc sa contribution (efforts, compétence, expé-
théories, ou plutôt de les choisir toutes ! Bref de faire avec... dans
rience...) en faveur de l’organisation ; il évalue également les avan-
l’action, tirant profit au mieux de leurs divers enseignements. Mais
tages retirés (rémunérations, reconnaissance, statut...). Il en déduit comment s’y prendre pour les articuler ensemble ? Deux réponses
un ratio rétribution/contribution qu’il compare à la connaissance sont a priori concevables selon que l’on se propose de construire un
qu’il a de ce même ratio pour l’individu repère. Cette comparaison modèle de synthèse délibérément simple, de facture descriptive et
est subjective et non logique ; elle s’effectue selon les perceptions qualitative, conçu pour aider le manager à s’orienter dans la com-
de l’individu, lui-même socialement et culturellement situé. Mais plexité des rapports humains, ou bien un modèle beaucoup plus
c’est sur cette norme du groupe, expression de l’équité pour l’indi- lourd, entièrement formalisé sur le plan logico-mathématique et
vidu, que celui-ci cherche à s’aligner en jouant sur les différents ayant vocation à simuler de manière dynamique les comportements
moyens à sa disposition. motivationnels.

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Cette seconde réponse a donné lieu à l’élaboration d’un logiciel 3.2 Les conditions de l’expectation
opérable sur ordinateur PC, le modèle MODERE, utilisable essentielle-
ment à des fins d’étude et de formation, que nous ne présenterons
pas ici mais que le lecteur intéressé pourra découvrir dans la des- On peut les regrouper en deux catégories, la première qui renvoie
cription relativement détaillée que nous en donnons dans un livre aux capacités du manager qui motive et la seconde au profil psycho-
consacré à la systémique [20]. Dans la suite de cette étude, nous logique du collaborateur que l’on veut motiver.
nous bornerons à présenter les axes de la première réponse.

3.2.1 Un management par objectifs


3.1 Notre fil conducteur : la théorie L’évaluation par l’acteur de la probabilité de réussite de son action
des attentes dépend d’abord de l’ambition de l’objectif qui lui a été fixé et des
moyens qui lui ont été octroyés. On retrouve là un problème classi-
que de management : l’art de savoir fixer des objectifs.
Depuis qu’existent des sociétés humaines s’est posée la question Mais faut-il d’abord qu’il y ait des objectifs ou au moins quelques
de savoir comment mobiliser des hommes sur les objectifs d’une orientations. La question peut sembler saugrenue et pourtant !
organisation, objectifs qui peuvent leur être au départ totalement Combien d’entreprises, sous prétexte de souplesse ou de motifs
étrangers. Et lorsqu’il s’agit d’une grande organisation, cette ques- moins avouables, laissent dans le flou le plus complet ce qu’elles
tion se pose à différents niveaux. Au sommet bien sûr, où il s’agit de attendent d’un collaborateur ? Et on s’étonne ensuite que celui-ci
concevoir et de mettre en place les systèmes de gratification qui ne soit pas motivé, ou bien le soit à mauvais escient en allant mar-
encadreront et orienteront les pratiques de motivation. Mais plus cher sur les plates-bandes du voisin, quand ce n’est pas de son
encore à la base, là où se noue le rapport inter-personnel entre le chef.
manager de proximité et les membres de son équipe.
Lorsque objectifs il y a, faut-il encore qu’ils aient été convenable-
Parce qu’elle est simple, en bonne concordance avec la sociologie ment définis, précisés et négociés avec le collaborateur. Ces objec-
des organisations, orientée par une visée opérationnelle, la théorie tifs doivent être ambitieux mais réalisables disent les bons
des attentes nous semble la plus apte, malgré ses limites, à remplir ouvrages de management. Fixer, sous prétexte d’ambition, des
le rôle de théorie support. Mais faut-il encore pouvoir l’enrichir par objectifs à un niveau inatteignable, non seulement ne motive pas
les apports des autres théories. Il s’agit en quelque sorte de greffer mais a toute chance de démotiver. On sait d’ailleurs que c’est à cette
sur chacune des trois phases de la boucle d’anticipation (expecta- capacité de discernement que se reconnaît le bon manager. Son art
tion, instrumentalité, valence) des éléments empruntés aux autres consiste à savoir fixer à chacun de ses collaborateurs le niveau
théories et qui vont venir compléter, préciser, approfondir ce que la d’objectifs qui l’obligera à « mouiller sa chemise » mais sans le
théorie des attentes ignore ou laisse dans l’ombre. décourager.
Enfin, il ne suffit pas de fixer des objectifs. Il faut aussi accorder
Pour ce faire, observons d’abord qu’avant la réalisation d’une
les moyens en ressources matérielles, financières, humaines, voire
action, il y a sa préparation qui peut être plus ou moins longue. Il
en temps de formation qui vont permettre de les atteindre. Ce
faut donc distinguer deux moments dans le processus
second volet renvoie au fonctionnement de l’organisation, notam-
motivationnel :
ment à la manière dont elle conçoit la délégation des pouvoirs et
— le temps de l’avant, qui précède l’action et au cours duquel des responsabilités. Par delà le rôle du manager de proximité, bien
l’acteur en lui-même, dans le secret de sa subjectivité, anticipe, sup- entendu essentiel, c’est toute l’organisation qui est concernée.
pute et décide ;
— le temps de l’après où l’action s’est déroulée dans le monde
réel avec ses conséquences pour l’acteur, ouvrant pour lui des situa- 3.2.2 La prise en compte des profils
tions de satisfaction ou d’insatisfaction, renforçant des apprentissa- psychologiques
ges ou développant des inhibitions.
C’est tout cela dont on va essayer de rendre compte dans la suite La nécessité, qui vient d’être soulignée, d’adapter les objectifs à
de ce paragraphe. Mais auparavant, il n’est pas inutile d’en donner chaque collaborateur met en évidence combien il est important de
une première vue synthétique en partant du schéma de la boucle prendre en compte la diversité des talents et des compétences, mais
d’anticipation sur laquelle on va greffer les différents apports aussi des profils psychologiques. On va retrouver ici tout ce qui a été
complémentaires (figure 7). dit à propos de la norme d’internalité (§ 2.3.2).

Objectifs RÉSULTAT Effectivité


Apprentissage Intelligibilité
Inhibition Rétribution
Internalité Rémunération
Expectation
Instrumentalité

Proposé
par ACTION
l’organisation ENJEU
EFFORT

Décision
(oui ou non) Valence Satisfaire des
besoins
Réaliser des désirs
Vérifier une
VALEUR norme sociale

Figure 7 – Boucle de motivation

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Si l’acteur est interne, il s’investira davantage dans l’action et — capitalisation socioprofessionnelle (acquisition de nouvelles
accroîtra de ce fait ses chances de réussite. Comment alors dévelop- compétences par formation et parcours professionnel) en vue
per l’internalité de chacun ? On a vu que l’entreprise n’était pas sans d’améliorer son employabilité ;
moyens face à une telle question. Donnons quelques précisions — pouvoir et influence (procurés notamment par l’accès aux pos-
complémentaires à usage des managers de terrain. tes de commandement et de direction) ;
— gratifications symboliques (honneurs, signes extérieurs de
L’internalité est modulée par les expériences antérieures et les prestige social tels que dimension du bureau ou épaisseur de la
effets cumulatifs liés à l’apprentissage. Si toutes les expériences moquette...).
professionnelles sont des échecs, l’acteur finit par ne plus rien atten-
Pour certaines personnes, ces éléments non matériels de la rétri-
dre de ses efforts dans le domaine du travail. Pour ne pas sombrer
bution peuvent être plus importants que la rémunération elle-
dans un sentiment de culpabilité générateur d’inhibition, voire de
même. Mais ce cas reste assez rare et, pour la plupart des salariés,
névrose, il se défend (conformément au modèle de H. Laborit) par la rémunération représente bien l’élément principal de la rétribu-
un comportement d’évitement qui le fait devenir de plus en plus tion. Notons aussi que son caractère monétaire (donc facilement
externe ; il sera alors très difficile à motiver. À l’inverse, si on donne mesurable) en facilite considérablement l’étude par rapport à des
au collaborateur des occasions de réussite, si on sait reconnaître ses grandeurs plus impalpables. N’oublions pas, cependant, l’aspect
succès et le féliciter lorsqu’il réussit (ce que peu de managers, hélas, plus large de la rétribution par rapport à la seule rémunération. Cela
savent faire !) on accroît chez lui l’estime de soi et donc son interna- d’autant plus que dans un contexte de rigueur, les entreprises ont
lité. On se met ainsi en situation de lui confier des missions plus exi- tendance à mettre l’accent sur les formes non monétaires de la rétri-
geantes la fois suivante et de vérifier l’adage « le succès attire le bution.
succès ».
Il faut se rappeler aussi que l’internalité ne se construit pas seule-
ment à partir des situations professionnelles, mais également de
3.3.2 Des enjeux garantis et transparents
toutes les situations vécues par la personne. Comme l’observation
la plus commune le montre, des échecs dans l’ordre conjugal et
familial ne sont pas sans effets sur la vie professionnelle. L’enjeu doit avoir une réalité (effectivité) clairement perçue par
l’acteur (intelligibilité).

■ Effectivité
3.3 Les conditions de l’instrumentalité Dans le système de récompense, l’atteinte de l’objectif doit entraî-
ner de manière quasi-automatique la récompense annoncée. Faute
de cette garantie, l’acteur ne prendra pas au sérieux la promesse de
Rappelons que, par ce terme, nous entendons l’évaluation que récompense. Or, il en est ainsi lorsque l’enjeu est lié de manière
fait l’acteur de la probabilité d’obtenir une récompense ou d’éviter aléatoire au résultat.
une sanction, lorsqu’il a réussi une action. Si cette probabilité est
faible, voire nulle, ou s’il n’y a aucun enjeu pour lui à réussir l’action, Lorsque des éléments de rétribution (salaire direct, bonus, pro-
il y a toute chance que l’acteur se défausse en disant « à quoi motion, considération, sécurité...) ne sont en aucune manière liés à
bon ! ». Une bonne instrumentalité repose sur la sélection des la réussite de l’action, mais dépendent de données extérieures sur
enjeux et sur la manière dont on les relie ensuite au résultat de lesquelles l’acteur n’a aucune prise (la conjoncture, le bon plaisir du
l’action. chef, le hasard...), c’est comme s’ils ne jouaient aucun rôle dans le
processus motivationnel.
Il en est ainsi, par exemple, des systèmes d’avancement à
3.3.1 Quels enjeux ? l’ancienneté lesquels peuvent, en revanche, avoir un effet favorable
sur l’implication.
La théorie de l’équité, lorsqu’il s’agit de décrire la nature du lien
entre le salarié et son entreprise, parle de relation contribution/rétri- ■ Intelligibilité
bution. Cette relation renvoie au double échange qui désigne d’une Il ne suffit pas que l’enjeu existe réellement et soit garanti. Faut-il
part ce que l’individu apporte à l’entreprise (sa contribution) et encore que cette garantie soit perçue par l’acteur. Celui-ci doit avoir
d’autre part ce qu’il en retire sous forme de divers profits et avanta- une claire vision du lien d’automaticité qui fait dépendre l’obtention
ges (sa rétribution). C’est à la rétribution que nous nous intéressons de l’enjeu de la réalisation du résultat. Cette exigence d’intelligibilité
ici. Elle est susceptible de revêtir une grande diversité de formes, suppose quelques conditions :
certaines de nature matérielle ou monétaire, d’autres immatérielles
et symboliques. • Simplicité du lien : la relation résultat/enjeu doit sembler évi-
dente et être facilement comprise par le salarié. Toute relation trop
■ Rétribution matérielle ou monétaire compliquée introduit un risque grave d’incompréhension... et pire,
de méfiance.
Elle renvoie au concept de rémunération globale, aujourd’hui lar-
gement utilisé et que nous avons illustré, dans un de nos ouvrages • Bonne explicitation : les entreprises gagnent toujours à expli-
[21], sous la forme d’une pyramide des rémunérations. Dans cette quer clairement et longuement à leurs salariés les procédures en
pyramide, on distingue la superposition de quatre strates, descen- question. Cela passe par des pratiques efficaces de communication.
dant progressivement du salaire direct aux rémunérations dites
• Stabilité : il est impératif de maintenir sur une durée suffisam-
périphériques, chaque strate étant composée de différentes
ment longue les mêmes pratiques de récompense pour que ces pra-
« briques » ou éléments (rémunération immédiate ou différée, indi-
tiques soient prises au sérieux. Rien n’est pire que des politiques de
viduelle ou collective, monétaire ou en nature...) pouvant constituer
rémunération qui changent tous les ans. Persévérer dans les choix
à eux seuls un enjeu possible pour la motivation.
de gestion (même s’il n’est pas question de les rendre éternels) est
■ Rétribution symbolique indispensable pour donner aux processus de dissonance cognitive
et de rationalisation le temps de se dérouler. Pour un individu
Les éléments en sont également de nature très diverse. Un rapide méfiant, la vérification par lui-même de la réalité de l’instrumenta-
inventaire permet de les ranger sous quatre rubriques : lité finira par avoir raison de sa méfiance. Mais, à l’inverse, un indi-
— satisfactions psychologiques dans l’exercice du travail (plaisir vidu confiant pourra être durablement découragé s’il prend
de création, sentiment de réussite, esthétique du produit...) ; conscience qu’on le trompe.

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3.3.3 De quelques conséquences ■ Pilotage de l’intéressement


pour les politiques de rémunération Cette rémunération périphérique s’est considérablement dévelop-
pée en France au cours des vingt dernières années et couvre
aujourd’hui de l’ordre de trois millions de salariés. Présentant une
Ces principes trouvent une application immédiate en matière de grande diversité de formes, elle est susceptible de concourir à plu-
rémunération. Nous en donnerons trois illustrations particuliè- sieurs objectifs de l’entreprise, dont la motivation du personnel.
rement éclairantes.
Mais, par suite du caractère collectif de l’intéressement, l’effet moti-
vationnel, s’il existe, ne peut être que collectif.
■ Pilotage des augmentations individuelles
Cette dernière remarque conduit à distinguer nettement intéres-
Dans sa politique de rémunération, une entreprise peut souhaiter sement aux résultats et intéressement aux performances. Le pre-
reconnaître (à des fins de motivation, de fidélisation, d’équité, de mier concerne l’ensemble de l’entreprise (qui peut comprendre
coût, etc.) un grand nombre de variables, dites de pilotage, concer- plusieurs milliers de personnes) et fait dépendre le montant de la
nant sa gestion aussi bien économique que sociale. Ainsi distingue- prime d’intéressement des résultats financiers, lesquels résultent
t-on classiquement entre des variables économiques (inflation, de multiples facteurs externes et internes, l’efficacité du travail
croissance économique générale, performances de l’entreprise, n’étant que l’un d’entre eux et pas nécessairement le plus détermi-
résultat financier...), des variables de gestion individuelle (niveau du nant. Pour ces raisons, l’instrumentalité de l’intéressement aux
poste, compétences du collaborateur, potentiel, etc.) et des varia- résultats est faible, et son effet motivationnel problématique. En
bles démographiques (âge, ancienneté dans l’entreprise, ancien- revanche, en manifestant clairement le lien de solidarité entre le
neté dans le poste, etc.). salarié et l’entreprise, l’intéressement aux résultats renforce l’impli-
Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, une entreprise peut cation... et celle-ci, comme nous l’avons vu, favorise indirectement
avoir la tentation de rétribuer tout cet ensemble de variables au la motivation.
moyen d’une unique variable d’action : par exemple le salaire direct
que l’on ajuste au moyen des augmentations individuelles. Or, un Pour ce qui concerne l’intéressement aux performances, la
réponse est différente, surtout lorsqu’il concerne des unités de
tel choix n’a aucune chance d’être efficace car son instrumentalité
est nulle. L’observation la plus commune montre en effet que les petite taille (ateliers, agences, établissements...). Rappelons que cet
intéressement vise à associer les salariés aux performances opéra-
salariés perçoivent difficilement la commande d’une variable
d’action par plus de trois variables de pilotage (et plus vraisembla- tionnelles de leur unité, performances repérées au moyen d’indica-
blement deux). Au-delà de ce nombre, le processus de fixation des teurs techniques et gestionnaires du type productivité, qualité, coût
et gestion sociale. L’effet motivationnel sur les équipes peut ici être
rémunérations paraît opaque, on parle de « procédure tunnel », et la
politique salariale n’est pas comprise. Le sentiment dominant est important, pour autant que l’on s’assure de vérifier quelques condi-
tions d’instrumentalité :
celui d’une fixation arbitraire des salaires, à la « tête du client ».
Les systèmes de rémunération qui marchent, et il en existe • Les collectifs de travail doivent être vraiment en mesure d’avoir
plusieurs types, savent limiter à trois au maximum le nombre de une influence sur les objectifs qui leur sont fixés. Le choix de ces
variables de pilotage que l’on entend reconnaître, mesurer et objectifs est donc essentiel ; de même que leur révision périodique,
rétribuer. de manière à éviter des effets de routine.
• Les indicateurs de performance mesurant le degré d’atteinte des
■ Pilotage des bonus objectifs doivent être clairs, incontestables, faciles à repérer et à sui-
Le problème est plus simple car le bonus (prime périodique, vre au fil du temps (ce qui suppose de ne pas avoir de délais d’éla-
généralement annuelle, comprise à l’intérieur d’une fourchette boration trop longs).
allant de zéro à un certain pourcentage du salaire annuel) sert le plus • La formule de calcul qui permet de passer de la mesure des indi-
souvent à rétribuer la performance du collaborateur au cours de la cateurs à la détermination du montant de la prime doit rester simple
période considérée. La question du nombre de variables de pilotage et intelligible. Il faut se méfier des formules hermétiques, conçues
à prendre en compte se trouve donc réglée de facto, ce qui va dans par des technocrates et théoriquement « parfaites » sur le plan éco-
le sens de la bonne instrumentalité de cet outil. Tout n’est pas résolu nomique. Mal comprises par le personnel, elles ont un effet
pour autant et le dispositif ne sera efficace que si l’on a pris soin de démotivateur certain.
satisfaire à quelques autres conditions :
• Ces considérations font qu’un accord d’intéressement doit être
• Qualité du système de fixation des objectifs et d’appréciation largement expliqué et « vendu » au personnel. Cela passe par des
des résultats. La transparence de ce système est impérative, en par- pratiques de communication efficaces, s’appuyant sur une forma-
ticulier pour ce qui concerne la clarté des objectifs et des indicateurs tion économique minimale et donnant régulièrement des informa-
de réalisation, l’équité des procédures de négociation et d’entretien tions sur le suivi des performances. Faute d’une telle politique de
annuel, les possibilités d’un recours. communication, l’entreprise perdra à peu près sûrement le bénéfice
• Simplicité et relative automaticité du lien résultat/bonus. Mais attendu de l’intéressement.
attention, ce lien doit aussi pouvoir prendre en compte des
inflexions qualitatives issues d’un jugement partagé entre apprécia-
teur et apprécié. Il doit présenter un caractère régulateur, par exem- 3.4 Les conditions de la valence
ple en refusant les mécanismes par « tout ou rien » (le bonus est
acquis si l’objectif est atteint ou dépassé, il n’y a pas de bonus si
l’objectif est raté même d’un cheveu) qui sont certes simples, mais Qu’est-ce qui va faire qu’un acteur donnera une plus ou moins
dont les effets pervers sont bien connus. grande valeur à l’enjeu qui lui est proposé par l’organisation et se
• Rejet de l’élitisme qui, sous prétexte de récompenser une mino- mobilisera pour l’obtenir ? Suivant que l’on a une conception neuro-
rité de « meilleurs » (20 % ?), a toutes chances de démotiver tous les nale, psychologique, sociologique du fonctionnement de l’acteur,
autres. L’enjeu pour l’entreprise n’est pas de faire rouler des trains qu’on le perçoit d’abord comme individu indépendant ou membre
composés exclusivement des locomotives ! Il est d’entretenir et de d’un groupe, les réponses ne seront pas les mêmes. Cette pluralité
renforcer la motivation de la grosse majorité de l’effectif (70 % ?) de réponses doit être considérée, non pas comme une faiblesse
constituant son personnel de base et dont l’adhésion est indispen- mais comme le moyen de rendre compte de la complexité du réel.
sable pour le bon fonctionnement de l’entreprise. C’est donc en C’est au manager de proximité, le seul en mesure de bien connaître
direction de ce personnel qu’une politique de bonus doit être délibé- son collaborateur, qu’il appartient d’évaluer et de dire quels seront
rément ciblée. les enjeux les plus valorisés.

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3.4.1 Satisfaire des besoins Un tant soi peu de connaissance des milieux de la recherche mon-
tre que les chercheurs ne sont guère sensibles aux adjuvants sala-
riaux à partir du moment où ils disposent d’un revenu suffisant pour
Sans doute existe-t-il des invariants dans le comportement leur assurer un confort de vie. Là n’est pas pour eux l’objet du désir.
humain, et de ce point de vue le classement des besoins proposé En revanche, ils sont très sensibles à des enjeux tournant autour de
par Maslow n’est pas dénué de toute pertinence. Mais la manière leur reconnaissance et de leur notoriété de chercheur. Par exemple,
concrète dont ces différents besoins peuvent être satisfaits dépend publication d’un article dans une revue scientifique ou profession-
tellement de données socioculturelles locales et des modalités nelle, participation à un congrès international, communication dans
d’insertion choisies par la personne, qu’il est très difficile, sinon un séminaire ou symposium, échanges avec un laboratoire étran-
impossible, de prévoir un comportement en se référant exclusive- ger, etc. Celui qui, dans l’organisation, a le contrôle de ces enjeux
ment aux théories des besoins. Il faut pour le moins les compléter détient du même coup un des leviers de la motivation des cher-
par des considérations tirées de l’environnement socioculturel et de cheurs.
l’histoire de l’individu.
Toutefois, dans une société marchande où les rapports interper- ■ L’efficience des décorations
sonnels sont façonnés pour une large part par des échanges écono- La décoration, signe ô combien symbolique de distinction, est un
miques de type donnant/donnant, on doit s’attendre à ce que enjeu fortement valorisé dans toutes les armées du monde. Il
l’argent occupe une place importante et soit un enjeu fortement semble bien que la culture militaire façonnée par l’esprit de corps,
valorisé. Comment peut-on alors motiver par l’argent ? Voilà la marquée par le sens du sacrifice et par la proximité du danger et de
question qui est à l’origine de beaucoup de politiques de rémunéra- la mort, soit naturellement propice à l’existence de valeurs liées à
tion. Mais même dans une société marchande, il peut exister pour l’honneur. D’où l’importance donnée aux décorations !
certaines personnes d’autres enjeux présentant une plus grande
attractivité. Mais il n’y a pas que dans les armées que des enjeux symboliques
peuvent s’avérer désirables. Bien d’autres milieux y sont également
sensibles, y compris dans des cas que l’on imagine assez peu.

3.4.2 Réaliser des désirs Ainsi, dans le milieu des ouvriers du BTP, Francis Bouygues
créa-t-il dans son entreprise, en 1963, le célèbre « Ordre des
Le désir est une notion plus large et plus ouverte que le besoin. À Compagnons du Minorange » dont l’efficacité motivationnelle fut
ce titre, il est mieux à même de rendre compte de la complexité des incontestable [22].
choses et d’aider au discernement de la valence. Dans cette optique,
quels sont pour l’acteur les enjeux désirables ?
Une des réponses possibles, en accord avec la psychanalyse, con- 3.4.3 Vérifier une norme sociale
siste à dire que l’objet du désir est toujours singulier ; qu’il a son ori-
gine au plus profond du psychisme, en lien avec l’histoire
personnelle de chacun, notamment de sa petite enfance. L’ennui est Il est des cas enfin où l’objet du désir est tellement normé par le
qu’une telle réponse est de peu d’utilité pour l’entreprise. Imagine-t- groupe qu’il ne laisse d’autre issue à l’acteur que de se conformer à
on de transformer les managers en « psy » et d’installer des divans ce que l’on attend de lui. Faire comme tous les autres et leur être
dans les ateliers ? Il faut donc trouver une approche plus large, qui semblable, voilà son désir.
puisse désigner des objets du désir communs à une même popula- Cette norme peut jouer d’abord, et de manière globale, vis-à-vis
tion. La théorie du désir mimétique de René Girard convient pour un du travail. Ce dernier peut se trouver valorisé dans certains milieux
tel usage. Mais avant de montrer comment on peut la mettre en ou dévalorisé dans d’autres. Mais la norme peut concerner aussi les
œuvre, retenons de la psychanalyse qu’il est du devoir des mana- différents enjeux ou récompenses extrinsèques que le salarié est en
gers de proximité de demeurer dans une attitude d’écoute vis-à-vis droit d’attendre de son travail, en particulier en matière de rémuné-
de chacun de leurs collaborateurs. ration. Ici, va jouer à plein la théorie de l’équité : c’est en référence à
Selon René Girard, le désir est un « construit social » qui nous est son milieu que le collaborateur s’estimera justement ou injustement
toujours désigné par les autres, des autres souvent proches et pré- traité. Et son engagement ou non dans l’action demandée en
sents dans notre environnement. Le repérage de la valence se dépendra.
ramène alors à la connaissance de cet environnement. Quels en
sont les traits culturels, les valeurs dominantes, les croyances ; À l’appui de ces remarques, donnons l’exemple de l’introduction
qu’est-ce qui y a du prix ou qui est considéré comme sans valeur ? d’une rémunération variable (un bonus individuel semestriel lié à la
À titre d’illustration, donnons deux exemples d’une telle démarche. performance évaluée par le contremaître) pour le personnel ouvrier
d’une grande entreprise industrielle. Résultat au moment de la pre-
■ La motivation des chercheurs mière distribution d’enveloppes correspondant à ce bonus : une grève
Très souvent, de grands centres de recherche, aussi bien publics massive du personnel et le retour des chèques au service du person-
que privés, sont confrontés au problème de la motivation de leurs nel. Pour les dirigeants, il paraissait incompréhensible que des salariés
chercheurs. La solution, bien sûr, ne saurait être monolithique. Passé petitement payés puissent refuser un chèque. Et pourtant, voici ce
un certain âge, surtout dans certains domaines, on sait que les intel- qu’une rapide observation du milieu socioculturel pouvait montrer ! Il
ligences perdent en créativité. Pour les personnes concernées, on s’agissait d’une population ouvrière, fortement marquée par une cul-
peut alors imaginer des réponses en termes de mobilité et de gestion ture de solidarité et d’égalité, trouvant son identité dans l’apparte-
de carrière. En matière de motivation en revanche, et pour ce type de nance à un syndicalisme fusionnel animé par une CGT traditionnelle.
personnel, les politiques traditionnelles de rémunération (du type Dans un tel contexte, toute forme d’individualisation de la rémunéra-
bonus ou augmentations individuelles) sont le plus souvent ineffica- tion non seulement n’était pas considérée comme désirable, mais
ces, alors qu’elles produisent des effets sur d’autres catégories était même perçue comme attentatoire à l’unité du groupe et à ses
d’ingénieurs et cadres. À l’adage « loup affamé chasse bien » qui valeurs. D’où la réaction très vive des acteurs qui ont valorisé davan-
s’applique assez bien aux forces de vente et justifie le recours à la tage leur appartenance au groupe qu’un surplus, même significatif, de
rémunération variable, prévaudrait pour les chercheurs l’adage dia- pouvoir d’achat.
métralement opposé « chercheur bien nourri trouve mieux ».

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4. Conclusion formation, la responsabilité, le pouvoir, l’influence, l’enrichissement


de la vie du groupe, les contraintes sur la vie familiale, l’ouverture à
l’extérieur...).
Cet article aura permis de montrer la complexité du problème de • Le rôle de l’encadrement, pour lui donner le contrôle d’un cer-
la motivation au sein d’une entreprise. Mais pour autant, cette com- tain nombre d’enjeux après l’avoir formé à cette utilisation.
plexité ne saurait être, pour les responsables, motif à baisser les • La sélection des enjeux susceptibles d’avoir un effet activateur
bras. Dans la mesure où il veut bien entrer dans l’action avec un (ou stabilisateur) sur le déroulement du processus motivationnel.
regard éclairé par l’approche systémique, le manager n’est pas sans La plupart de ces actions n’ont pas par elles-mêmes d’effet direct
moyens pour agir sur les hommes et les équipes. Il peut intervenir et doivent être déclinées au niveau individuel. Au final, agir sur les
soit séparément, soit de manière combinée, sur : motivations se ramène toujours à un travail d’artisan, traitant en
• L’organisation du travail, pour démultiplier les actions et fixer sur-mesure une série de cas singuliers. D’où le rôle déterminant des
des objectifs à la mesure de chacun. managers de proximité, ceux qui gèrent le rapport interpersonnel
• La formation et la qualification, pour développer les compéten- avec chaque collaborateur.
ces des collaborateurs et accroître aussi leur internalité. Une entreprise où le problème de la motivation a été pensé dans
• La communication et l’information, de manière à faire évoluer sa globalité et dans sa cohérence met entre les mains de ses mana-
progressivement la culture interne et les valeurs (modifier ce qui est gers de proximité toutes les cartes qui leur permettront d’être effica-
désirable au sein de l’entreprise !). ces. À l’inverse, une entreprise où tout se trouve réglementé par
• La diversification et le renforcement des enjeux liés à la rétribu- avance et qui ne dispose d’aucun enjeu désirable à proposer à son
tion. Parmi les enjeux utilisables dans une entreprise, nous avons personnel, n’a pratiquement aucune chance d’influencer la motiva-
distingué entre : tion.
— les très classiques (le salaire, la classification, la promotion, Mettre en œuvre une politique efficace de motivation est donc
l’emploi, le temps de travail, la sécurité) ; possible. Encore faut-il que la vision d’ensemble soit présente dès le
— les moins connus mais importants (l’intérêt du travail, début et que l’on sache ensuite en dérouler dans le temps les diver-
l’autonomie individuelle et d’équipe, la polyvalence et la mobilité, la ses phases avec prudence et résolution.

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