Jeux de société

Le mystère de
la marelle ronde
Par Claudia-Maria Behling, chercheur indépendant, Vienne
n se promenant sur les sites an- debout devant un carré par terre. La rime
e tiques, le visiteur attentif peut
tomber sur des motifs de différentes
« Plusieurs sources antiques accompagnant l’image indique que dans le
« franc du quareau » aucune pierre ne doit
mentionnent un jeu d’enfants
formes gravés dans l’ancienne chaussée. toucher les lignes dessinées. La descrip-
On trouve ainsi des dessins de forme cir- appelé ὢμιλλα. Dans ce jeu, tion est très semblable à ce que les auteurs
culaire divisés par quatre diagonales se on jette une noix ou un objet grecs disent de l’ὢμιλλα. La coniguration
rejoignant au centre du cercle. du terrain de jeu est identique – en dehors
similaire dans un cercle du fait qu’il s’agit d’un carré au lieu d’un
Le jeu du moulin ? dessiné sur le sol » cercle. Le jeu du « franc du quareau » est
Selon l’opinion commune, ce dessin également décrit par François Rabelais dans
serait la variante ronde de notre jeu du son roman sur le géant Gargantua (1534),
moulin. Carl Blümlein (1918) a proposé cette interprétation en traduit par Johann Fischart (Afentheurlich Naupengeheurliche
se rapportant à une remarque d’Ovide (Tristes, 2, 481-482 ; Ars Geschichtklitterung, 1575). Son déroulement correspond à celui
Amatoria, 3, 365-366) qui écrit que chaque joueur devait pla- de l’ὢμιλλα et peut être joué avec un plateau circulaire ou carré. À
cer trois pions sur le plateau et que celui qui arrivait à aligner ce propos, les commentateurs de Rabelais, Charles Esmangart et
les trois pions gagnait la partie. Il fait ici référence au jeu de la Eloi Johanneau (1823) signalent que la forme de ce jeu peut facile-
petite marelle à trois pions sur plateau carré, un jeu connu aussi ment être confondue avec celle du jeu du moulin.
dans d’autres régions du monde et même encore après l’époque
romaine. Dans le jeu reconstitué par Blümlein (Bilder aus dem
römisch-germanischen Kulturleben. Nach Funden und Denkmälern,
München, 1918), comme seul le « moulin » efectué à partir du
milieu compte, le joueur qui commence ( joueur 1) est contraint
de placer son pion au centre. Le joueur 2 ne peut gagner que si le
joueur 1 est encerclé, de sorte que ce dernier est forcé de retirer
son pion du centre. Par conséquent, le joueur 1, lorsqu’il place
ses pions, doit faire attention à ne pas les poser directement les Ó Joueur 2 (noir) gagne
uns à côté des autres car le joueur 2, grâce à la tactique de l’en- en trois coups. Dessin
cerclement, pourrait immédiatement gagner. Cependant, même de l’auteur.
dans cette variante, le joueur 2 peut essayer d’encercler les pions Ò Dessin de roue
adverses ain que le joueur 1 soit contraint de retirer son pion du avec une inscription
centre. Le joueur 2 peut alors occuper le centre du cercle, mais il grecque sur l’Arkadiane
(Éphèse). Cliché de
se retrouve dans la même impasse que le joueur 1. L’attractivité l’auteur, reproduit avec
de ce jeu est relativement faible et tant qu’aucun des joueurs ne l’aimable autorisation
commet une faute, le jeu ne init pas. de Sabine Ladstätter,
Vienne.
Des marques de repères ? Ô Impasse après, au
Une autre interprétation a été suggérée par Charlotte Roueché : plus tard, le cinquième
il ne s’agirait pas de plateaux de jeu mais de marques de repère coup. Dessin de
l’auteur.
pour des réunions. Pour Olaf Höckmann, les motifs gravés
dans le temple d’Apollon à Didyme seraient des oracles infor-
mels, tout en étant conscient que l’identiication en tant que
jeu est incontestable pour de nombreuses gravures. Là, comme
ailleurs, on observe que ce modèle de roue se situe souvent à
proximité des jeux de la petite marelle, du moulin et du ludus
duodecim scriptorum.

un autre jeu ?
Des règles sont proposées par Roueché. Plusieurs sources an-
tiques mentionnent un jeu d’enfants appelé ὢμιλλα. Dans ce jeu,
on jette une noix ou un objet similaire dans un cercle dessiné sur
le sol. Le vainqueur est celui dont les noix sont restées à l’intérieur
du cercle. Jacques Stella (XVIIe siècle) nous ofre une comparai-
son moderne dans sa série de jeux où trois garçons se tiennent

ARCHÉOTHÉMA no 31 | novembre-décembre 2013 47