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La pensée sociale

PAR CHRISTIAN GUIMELLI


A - PENSÉE RATIONNELLE ET PENSÉE SOCIALE

Lorsqu'on oppose pensée rationnelle et pensée sociale, on sous-entend qu'il existe deux formes de
pensée susceptibles de cohabiter chez le même individu. L'une, la pensée rationnelle, s'inscrit dans
une logique de démonstration rigoureuse et obéit à des règles particulièrement strictes et
contraignantes. Fondée sur la rationalité, elle permet de traiter les informations disponibles de la
manière la plus objective possible. Elle accepte les vérifications comme principe fondamental de
décision mais se nourrit des réfutations qui sont susceptibles de la contredire, et le cas échéant, de
l'infirmer. C'est la pensée de l'expert ou, plus généralement, du scientifique. L'autre, la pensée
sociale, traite les informations de manière plus fermée. Certes, elle est tournée vers le monde
extérieur, mais ce n'est que pour filtrer et intégrer les seuls éléments d'information ou événements
qui fortifient et renforcent sa démarche et son cheminement. Dès lors, soigneusement sélectionnés,
elle ne retiendra que ceux d'entre eux qui coïncident avec ses intentions et qui lui apportent la
confirmation, notamment de son cadre général. Par ailleurs, le principe de non-contradiction,
fondamental dans la pensée rationnelle, n'est pas prioritaire dans les modes de raisonnement qui
caractérisent la pensée sociale. Disons qu'elle ne se complaît pas, nécessairement, dans la
contradiction, mais qu'elle s'en accommode. En fait, ce qui est au coeur même de la pensée sociale,
c'est la sauvegarde et le maintien du lien social. Cette fois, l'enjeu est de taille. La rupture de ce lien
constitue, en effet, pour l'individu, un coût exorbitant, aussi bien du point de vue affectif que cognitif,
car il importe souvent pour le sujet d'éviter la déviance et de se maintenir dans le groupe. Or, le
maintien dans un groupe est toujours associé au respect et à la promotion des normes admises dans
ce groupe et qui le régissent (Deutsch et Gerard, 1955). Dès lors, les modes de raisonnement propres
à la pensée sociale et les constructions sociocognitives qui en découleront seront davantage guidés
par l'application des valeurs et des normes qui sont admises dans les groupes plutôt que par le
principe de non-contradiction. Pour le dire autrement, le fait que la pensée sociale soit peu sensible à
la contradiction et qu'elle s'en accommode lui permet précisément de donner la priorité aux modes
de raisonnement qui contribuent au maintien et au renforcement du lien social. Mais il y a plus. La
pensée sociale se caractérise aussi par la prédominance de l'affectivité sur l'intellect. Elle lie
étroitement les faits et les valeurs, les aspects normatifs ayant une place privilégiée dans les modes
de raisonnement qu'elle met en œuvre. La situation dans laquelle se trouvent le sujet et son degré
d'implication dans cette situation aura alors une importance capitale. Lorsque le contexte social
change brusquement d'état et modifie les enjeux de la situation, les gens ne « voient » plus les
choses sous le même angle. Ainsi, le médecin ne parlera pas de la maladie X de la même manière
selon que c'est son patient qui en est atteint ou selon que c'est quelqu'un de son entourage
immédiat. On a tous entendu parler d'ingénieurs très rationnels dans leur fonction, qui lisent
attentivement leur horoscope avant de prendre des décisions importantes, surtout quand ces
décisions les concernent directement. Le sujet impliqué dans la situation est, par définition, porteur
du sens commun. De même que le sujet engagé, comme on le verra dans le chapitre suivant,
précisément parce qu'il est sous le regard d'autrui, ne se comportera pas de la même manière.
Pourtant la pensée sociale n'est pas dépourvue de logique. Elle possède la sienne propre. C'est cette
logique, propre à chaque groupe, faisant intervenir ses valeurs, ses normes, ses intentions et ses
croyances qui guide les constructions sociales telles que les préjugés ou les stéréotypes, les opinions
ou leurs représentations sociales. Il résulte de ces différents principes que la pensée sociale est
beaucoup moins efficace que la pensée rationnelle lorsqu'il s'agit de développer des processus
d'analyse et de conceptualisation. En revanche, elle est particulièrement adaptée lorsqu'il s'agit de
porter des jugements ou d'évaluer des situations sociales. C'est pourquoi elle joue un rôle capital
dans le domaine spécifique de la construction des croyances collectives. Nous allons examiner
maintenant quelques-unes de ces croyances.

B - LES PRÉJUGÉS

Préjugés, discriminations, stéréotypes, racisme... Les significations de ces différents termes


s'imbriquent et empiètent les unes sur les autres. Ils ont cependant un point commun. Tous
décrivent des situations qui comportent des évaluations négatives d'un groupe d'individus. Nous
sommes là au coeur même de la notion de préjugé. Le préjugé est constitué par un ensemble de
jugements négatifs à l'égard d'un groupe et des individus qui le composent'. Autrement dit, un sujet
qui a des préjugés à l'encontre d'un groupe aura tendance à évaluer les membres de ce groupe de
façon spécifique et négative, en raison de leur seule appartenance à ce groupe. Les caractéristiques
personnelles des membres de ce groupe jouent alors un rôle totalement secondaire dans cette
évaluation : ils sont rejetés parce quils sont membres de ce groupe. C'est Allport (1954) qui, le
premier, s'est intéressé aux processus psychosociaux liés aux préjugés qu'il définissait comme « un
sentiment d'antipathie fondé sur une généralisation erronée et inébranlable » (p. 9). Dans la
littérature psychosociale, le préjugé est souvent considéré comme une attitude générale. Il comporte
donc les trois composantes classiques de l'attitude. Une composante affective avec des sensations et
des sentiments, une composante comportementale qui se traduit souvent par des intentions
d'actions et une composante cognitive constituée par des croyances. Ainsi, les sujets ayant des
préjugés à l'encontre de telle ou telle personne vont détester cette personne, avoir à son encontre
des comportements discriminatoires et croire, par exemple, qu'elle a le pouvoir de leur nuire. D'une
manière générale, c'est la composante affective qui est considérée comme prédominante dans les
préjugés. C'est elle qui va constituer un guide pour l'action et qui va être à l'origine des croyances.
C'est elle qui va s'imposer d'emblée à la perception du sujet lorsque, par exemple, celui-ci va
rencontrer une personne appartenant à un groupe à l'égard duquel il a des préjugés. Un grand
nombre de résultats expérimentaux montrent que les préjugés sont le résultat de constructions
collectives. Ainsi, ils font souvent l'objet d'un partage social très large. À titre d'exemple, les adultes
d'âge mûr sont perçus, dans 19 nations différentes (Williams, 1993), comme sympathiques, mais
moins énergiques et moins actifs que les jeunes adultes. Les stratégies sociocognitives, propres à la
pensée sociale qui sont à l'origine de ces constructions collectives, sont mises en lumière dans de très
nombreux travaux expérimentaux. On sait notamment que les sujets qui ont des préjugés à
l'encontre de tel ou tel groupe social traitent l'information qui provient de ces groupes de manière
tout à fait spécifique. Ainsi, Blascovich et al. (1997) ont montré que les sujets ayant des préjugés
raciaux ont besoin d'une période de temps plus longue pour décider si oui ou non des étrangers,
dont l'identité sociale est ambigus, appartiennent à une catégorie raciale ou à une autre. Chez ces
sujets, l'information pertinente par rapport aux préjugés est traitée avec une plus grande attention,
de façon plus minutieuse et ordonnée. D'autres résultats, présentés par Fiske et Neuberg (1990) ont
clairement montré que les informations qui sont consistantes avec les préjugés des individus
reçoivent, de la part de ces individus, une attention plus soutenue et, par conséquent, sont beaucoup
mieux mémorisées que les informations qui ne sont pas consistantes avec ces préjugés. De tels effets
montrent que, dans ce domaine, les sujets ne s'exposent en définitive qu'aux seuls éléments
d'information ou événements qui fortifient et renforcent leurs convictions. Les préjugés peuvent
alors être considérés comme des structures cognitives fermées qui vont, au fil du temps, se stabiliser,
se renforcer et s'ancrer du point de vue social. La grande stabilité des préjugés peut aussi s'expliquer
par leur utilité sociale. Ils jouent en effet un rôle important dans la protection et la mise en valeur de
l'estime de soi. Par exemple, lorsqu'on menace leur estime de soi, les sujets ont tendance à dénigrer
les groupes à l'égard desquels ils ont des préjugés, ce qui a pour résultat de restaurer leur propre
estime (Fein et Spencer, 1997). Du point de vue de leur utilité sociale, les préjugés contribuent
également à réduire la complexité du monde qui nous entoure ainsi que son étrangeté. L'analyse des
situations nécessite alors pour le sujet moins d'efforts cognitifs. Une fois qu'ils sont construits, les
préjugés nous permettent de faire l'économie d'un travail cognitif important qui serait alors destiné à
une analyse fine et systématique de la situation. Grâce à eux, nous avons d'emblée des certitudes
inébranlables concernant les caractéristiques des membres du groupe auquel nous sommes
confrontés (Bodenhaussen, 1993). Et, dans la mesure où elles sont partagées par les membres de
notre propre groupe, nous faisons à ces certitudes une confiance aveugle. Ainsi, même s'ils nous sont
totalement étrangers, les individus qui nous entourent nous sont finalement familiers. Et c'est ainsi
que le monde auquel nous sommes confrontés devient moins mystérieux. Est-ce à dire que les
préjugés sont totalement figés et qu'on ne peut pas les atténuer ? Très tôt, les psychologues sociaux
se sont intéressés à cette question, très importante du point de vue social. Une hypothèse est au
centre des travaux visant à atténuer les effets négatifs des préjugés. Celle-ci, connue sous le terme de
«hypothèse du contact», prévoit que si l'on provoque des contacts relativement réguliers entre des
individus appartenant à des groupes différents (par exemple de races ou d'ethnies différentes), les
préjugés des uns et des autres vont avoir progressivement tendance à s'éroder. Le premier support
empirique de cette hypothèse date de 1951 et il est dû à Deutsch et Collins. Leur projet de recherche
revient à observer et à analyser les attitudes d'un groupe de blancs envers un groupe de noirs dans
deux ensembles de logements publics qui différaient en fonction de leur degré d'intégration raciale.
Dans un cas, les logements avaient été attribués en installant les familles blanches et les familles
noires dans des bâtiments distincts. Dans l'autre, au contraire, les logements des deux ensembles de
familles étaient situés dans les mêmes bâtiments. Quelques mois après, Deutsch et Collins
observèrent, chez les familles logées dans les mêmes bâtiments, un important changement d'attitude
des blancs envers les sujets noirs, ces derniers étant perçus plus positivement qu'ils ne l'étaient
auparavant. Et cela, même dans le cas où ces familles n'avaient pas choisi initialement de vivre dans
les mêmes bâtiments. Différentes raisons ont été avancées pour expliquer le processus d'érosion qui
affecte les préjugés des sujets lorsqu'ils sont mis en contact. Tout d'abord, des contacts réguliers
entre des individus appartenant à des groupes différents peuvent les amener à découvrir les
similitudes qui les caractérisent. Or, la perception de similitudes interpersonnelles a souvent pour
effet de rendre attractives les interactions entre les sujets. Dès lors les jugements négatifs à l'égard
d'autrui peuvent s'estomper. D'autre part, le processus d'érosion peut être accéléré lorsque de
nombreuses informations, inconsistantes avec les contenus du préjugé parviennent au sujet. En
d'autres termes, le préjugé aura tendance à s'affaiblir si le sujet est confronté à des mises en cause
nombreuses et répétées de ses certitudes (voir par exemple Kunda et Oleson, 1995). Or, la
probabilité que ces mises en cause s'imposent à la perception des sujets sera d'autant plus grande
que les contacts entre eux seront plus nombreux et soutenus. Il va sans dire que le seul contact entre
les sujets n'est pas toujours suffisant pour résoudre les problèmes. En fait, six conditions doivent être
réunies pour que le contact entre les sujets produise les effets d'atténuation des préjugés attendus :
1 / Les sujets appartenant à des groupes différents doivent être placés dans des situations dans
lesquelles ils sont en interdépendance. Or, d'une manière générale, l'interdépendance des sujets est
de mise dans les situations où ils sont obligés de coopérer les uns avec les autres. On se souvient,
notamment de la célèbre observation de Sherif et al. (1961) concernant deux groupes de garçons, les
« Eagles » et les « Rattlers ». Ce n'est qu'après que la situation est devenue coopérative que le
nombre de sujets déclarant avoir leur ami intime dans l'autre groupe augmenta de manière
spectaculaire. Jusqu'alors, en fait, tant que la situation était restée compétitive, peu de sujets avaient
fait cette déclaration, malgré des contacts fréquents et répétés. 2 / En relation avec le point
précédent, les sujets appartenant à des groupes différents doivent avoir un objectif commun,
accepté par tous. 3 / Les participants des différents groupes doivent avoir un statut « égal », ou des
statuts très similaires, dans le cadre de la situation de contact. Dans l'observation de Deutsch et
Collins (1951) présentée ci-dessus, par exemple, les membres des deux groupes étaient
extrêmement proches du point de vue de la hiérarchie et du pouvoir. S'il existe des différences
marquées de statut entre les sujets, les interactions seront guidées par les préjugés. Dans ce cas,
chacun maintiendra ses attentes et ni les uns ni les autres ne percevront les mises en cause de leurs
certitudes nécessaires à l'évolution des mentalités. 4 / La situation de contacts doit amener les sujets
des différents groupes à créer des liens entre eux par le biais de nombreuses interactions avec
différents membres de l'autre groupe. C'est ainsi qu'elle permettra aux uns et aux autres de se
connaître en tant qu'individu, et non en tant que membre du groupe adverse faisant l'objet de
préjugés. Ce point est important dans la mesure où le préjugé peut être maintenu lorsque nous
considérons qu'un individu que nous percevons comme différent des autres membres du groupe
adverse ne constitue, finalement, qu'une exception (Wilder, 1984). 5 / Dans le même ordre d'idée, il
est très important que les contacts interviennent dans un cadre amical et informel. Les interactions
doivent se produire entre les membres des différents groupes, sur des bases individuelles. Ainsi,
mettre les gens dans une pièce où les groupes sont en face à face, les uns d'un côté, les autres de
l'autre, matérialisant ainsi les oppositions, n'est pas la meilleure façon d'atténuer les préjugés. 6 / La
situation de contacts conduira plus probablement à l'érosion des préjugés si les normes sociales
propres à cette situation sont centrées sur l'égalité des groupes et si elles favorisent des relations
intergroupes égalitaires. De telles normes, en effet, contribuent au développement des interactions
entre les membres des différents groupes. Ainsi, lorsque ces six conditions sont réunies dans le cadre
des situations de contacts, les groupes ont une forte tendance à réduire leurs préjugés et leurs
comportements discriminatoires (voir par exemple Aronson et Brigeman, 1979). Récemment, une
version modifiée («étendue») de l'hypothèse du contact a été défendue. Elle suggère que le contact
direct entre les personnes appartenant aux différents groupes n'est pas nécessaire pour réduire les
préjugés qui existent entre eux. En fait, pour que les effets attendus se produisent chez le sujet, il
suffit tout simplement que celui-ci sache que des personnes de son propre groupe se sont liées
d'amitié avec des personnes appartenant à l'autre groupe (Pettigrew, 1997). Un résultat
extrêmement précieux est présenté par cet auteur. S'intéressant aux sentiments, aux préjugés et aux
croyances à propos de l'immigration d'un échantillon étendu d'Européens envers un large éventail de
groupes ethniques et culturels, Pettigrew montre que les préjugés des participants sont d'autant plus
faibles à l'égard des divers groupes ethniques ou culturels que le nombre de relations amicales
intergroupes signalées est plus élevé. Par ailleurs, conformément à cette hypothèse, lorsque les
sujets entretiennent des relations amicales avec des membres d'un autre groupe ethnique ou
culturel que le leur, leur attitude à l'égard des autres groupes, y compris ceux avec lesquels ils n'ont
aucun contact, est plus positive. Toutes ces recherches attirent finalement notre attention sur le fait
que la grande diversité des contenus propres aux prjugés (raciaux, liés au genre, aux catégories de
personnes : jeunes, âgées, etc.) ne peut cacher leur point commun : les preugés permettent à chacun
de nous de s'approprier le monde qui l'entoure afin de le rendre plus familier, plus consistant et
moins mystérieux. Nous allons examiner maintenant une autre notion, proche de celle de preugé : la
notion de stéréotype.

C - LES STÉRÉOTYPES

Comme les préjugés, les stéréotypes contribuent à l'organisation des informations qui nous
parviennent sans cesse de notre environnement, notamment social. Nous nous intéresserons ici aux
stéréotypes sociaux, c'est-à-dire ceux qui sont en relation avec les groupes humains ou ethniques. Ils
sont définis par Leyens, Yzerbit et Schadron (1996, p. 24) comme « des croyances partagées
concernant les caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais souvent
aussi des comportements, d'un groupe de personnes ». Par conséquent, utiliser un stéréotype
revient à considérer que tous les membres d'une catégorie donnée, telle que par exemple un groupe
ethnique, partagent les attributions qui sont contenues dans le stéréotype. Si, par exemple John est
un Écossais, alors il présente tous les traits de personnalité ou de comportement qui sont
caractéristiques de cette population. Il sera donc considéré, entre autres, comme quelqu'un de très
certainement avare. C'est pourquoi Leyens et al. distinguent le stéréotype proprement dit du
processus de stéréoppisation des individus qui consiste selon eux à « leur appliquer un jugement —
stéréotypique — qui rend ces individus interchangeables avec les autres membres de la catégorie »
(op. cit., p. 24). En fait, nous ne sommes pas très éloignés de la notion de préjugés. D'une manière
générale, on considère, comme on l'a vu précédemment, que les préjugés sont constitués par une
structure attitudinale dont la composante saillante est d'ordre affectif. Autrement dit, le préjugé est
généralement défini comme une attitude défavorable ou négative à l'égard d'individus appartenant à
un groupe donné. Il manifeste, le plus souvent, un vigoureux sentiment d'hostilité à l'égard d'autrui.
Le stéréotype, par contre, n'est pas nécessairement construit autour d'une émotion, d'un affect ou
d'un sentiment. Il s'agit aussi d'une structure, mais d'une structure cognitive. Autrement dit, cette
fois, c'est la composante cognitive qui est dominante dans cette structure. En fait, les stéréotypes
sont gérés par des processus sociocognitifs qui, comme nous allons le voir, sont propres à la pensée
sociale. Au centre de ces processus se trouve la catégorisation qui a fait l'objet de très nombreux
travaux en psychologie sociale (voir par exemple Leyens, 1983). Une catégorie est généralement
définie comme l'ensemble des dimensions descriptives permettant de rendre compte d'un objet
donné. Quant au processus de catégorisation, il se caractérise par différentes fonctions. Il permet
tout d'abord de réduire la complexité de notre environnement physique ou social en résumant à
grands traits un ensemble substantiel d'informations. Une ou deux dimensions descriptives suffisent,
en effet, dans beaucoup de cas pour traiter un nombre d'informations beaucoup plus vastes. Ainsi,
par exemple, le fait d'avoir des ailes et d'être couvert de plumes suffit à catégoriser tous les oiseaux,
du moineau à l'autruche. Le processus de catégorisation facilite ainsi l'identification ou la
reconnaissance d'objets connus. Cependant, lorsque les objets ne sont pas (ou mal) connus, ou bien
encore lorsqu'ils sont nouveaux dans le champ perceptif du groupe, le même processus permet de
leur attribuer des caractères propres à une catégorie donnée, déjà existante. Dès lors ils peuvent
entrer dans cette catégorie. C'est ainsi que l'objet « étrange » peut devenir plus « familier ». Enfin, le
processus de catégorisation permet aussi la différenciation. En effet, Tajfel et Wilkes (1963) ont
montré de façon particulièrement claire que, lorsque les individus sont amenés à évaluer des objets,
ils ont tendance à surestimer les ressemblances entre les objets d'une même catégorie (effet
d'assimilation intracatégorielle), mais aussi les différences entre les catégories (effet de contraste
intercatégoriel). Ainsi, par exemple, McGarty et Turner (1992) demandent à leurs sujets de classer dix
déclarations politiques sur une échelle allant de 0 (gauche) à 100 (droite). Parmi les dix déclarations
présentées aux sujets, cinq sont considérées comme étant de gauche et cinq comme étant de droite.
Dans une situation expérimentale, ils attribuent les déclarations de gauche à un auteur « A » et les
déclarations de droite à un auteur « B » (condition de « catégorisation »). Dans l'autre condition
expérimentale, les déclarations ne sont pas catégorisées : aucune mention n'est faite des auteurs. Ils
observent alors, d'une part, que les déclarations à l'intérieur d'une catégorie donnée sont évaluées
comme plus proches les unes des autres (assimilation intracatégorielle), et d'autre part, que les
catégories sont perçues comme plus différenciées (contraste intercatégories) lorsque les déclarations
sont catégorisées. Le processus de catégorisation permet ainsi de mettre de l'ordre dans un
environnement physique et social complexe, avec en prime le sentiment qu'il est possible, malgré
tout, de le maîtriser. On observera cependant que ce processus se situe bien au-delà de la saisie
objective du monde qui nous entoure. Comme on vient de le voir, il sert à la maîtrise de celui-ci et
ses principes ne sont pas déterminés par la rationalité, mais seulement par l'utilité et plus
particulièrement par l'utilité sociale. En fait cette volonté de maîtriser l'environnement obéit à une
double exigence qui, lorsqu'elle est satisfaite, a pour effet de rassurer les uns et les autres. D'une
part, il s'agit d'asseoir les constructions collectivement élaborées sur des fondations stables, difficiles
à ébranler. D'autre part, il importe pour l'individu d'accroître son emprise sur l'environnement,
notamment dans les secteurs de celui-ci qui l'impliquent fortement. Ce rappel sur le processus de
catégorisation effectué, revenons à la notion de stéréotype. En fait, les stéréotypes sont largement
déterminés par des processus du même ordre, mais il s'agit cette fois de catégorisation sociale.
Autrement dit, le processus de catégorisation ne s'applique pas à des objets quelconques, mais à des
groupes d'individus. C'est la raison pour laquelle il convient de parler de catégorisation sociale. Le
processus de catégorisation sociale a fait l'objet de nombreuses illustrations expérimentales. Une
expérience de Taylor et al. (1978) montre, par exemple, que lorsque les sujets connaissent
l'appartenance raciale des gens, ils traitent l'information qui les concerne de manière spécifique.
Ainsi, quand les sujets observent des gens donnant leur opinion, ils oublient le plus souvent qui a dit
quoi, mais ils se souviennent de la race à laquelle appartient la personne qui a présenté telle ou telle
opinion. L'observation la plus ancienne, mais aussi la plus célèbre, concernant l'attribution de traits
typiques à des groupes sociaux est due à Katz et Braly (1933). Ils demandèrent à un échantillon de
sujets de donner par écrit les adjectifs qu'ils considéraient comme caractéristiques des dix
nationalités ou groupes ethniques suivants : Américains, Chinois, Anglais, Noirs, Allemands, Irlandais,
Italiens, Japonais, Juifs et Turcs. Ils purent ainsi sélectionner une liste de 84 traits de personnalité. Ils
demandèrent alors à un autre groupe de 100 étudiants de rechercher dans cette liste les cinq traits
de personnalité les plus caractéristiques de chacun des dix groupes. Les résultats obtenus par Katz et
Braly firent apparaître un fort consensus entre les sujets. Ainsi, plus de trois sujets sur quatre
estimèrent, par exemple, que les Noirs sont superstitieux (84 O/), que les Allemands sont
caractérisés par l'esprit scientifique (78 %), ou que les Juifs sont futés (79 %). Il s'agit donc bien de
croyances qui sont « partagées » au sein d'un groupe social donné et qui organisent entre elles les
cognitions. Le consensus qui intervient entre les individus d'un groupe social pour attribuer un trait
particulier de personnalité aux individus d'un autre groupe cible, constitue ainsi un caractère
spécifique du stéréotype. Ce consensus a d'ailleurs été observé à partir de méthodes différentes de
celle utilisée par Katz et Braly. Ainsi, Brigham (1971) l'a également mis en évidence en demandant à
ses sujets de donner le pourcentage des membres d'un groupe donné présentant telle ou telle
caractéristique. Cette technique permit, en outre, de calculer des scores individuels de
stéréotypisation, très utiles pour analyser ce processus. D'autres recherches ont permis de conclure
que les stéréotypes sont relativement stables dans le temps, bien qu'ils puissent varier en fonction
des circonstances, notamment lorsqu'elles sont particulièrement impliquantes ou suite à
l'intervention d'événements exceptionnels. Ainsi, l'observation de Katz et Braly réalisée en 1933 avait
montré que les étudiants américains, pensaient que les Japonais étaient intelligents, travailleurs et
progressistes. Une observation ultérieure montra l'influence massive de la Seconde Guerre mondiale.
En effet, réalisée en 1951 par Gilbert, cette nouvelle observation révéla que les étudiants les
percevaient désormais comme rusés et sournois. Toutefois, une nouvelle observation effectuée,
cette fois, en 1969 (Karlins, Coffman et Walters) indiqua que les Japonais étaient à nouveau, peu ou
prou, perçus par les étudiants américains comme ils l'étaient en 1933. On conçoit que certains
événements qui ont bouleversé la face du monde, comme la Seconde Guerre mondiale, puissent
entraîner des modifications profondes de certains stéréotypes ! Cependant, d'une manière générale,
les informations qui viennent mettre en cause tel ou tel aspect des stéréotypes n'ont le plus souvent
que très peu d'effets sur leur dynamique. Cette résistance au changement, caractéristique des
stéréotypes, s'explique par les stratégies sociocognitives qui sont mises en oeuvre par les sujets dans
le but de protéger des structures de connaissances qui leur sont particulièrement utiles pour trouver
très rapidement une réponse adaptée à une situation nouvelle pour eux. En effet, une fois le
stéréotype activé, les traits correspondant au groupe et aux individus qui le composent viennent
immédiatement à l'esprit du sujet, facilitant l'expression d'une réponse immédiate au problème
posé. Ainsi, dans la mesure où ils ne nécessitent que peu d'énergie cognitive, les stéréotypes sont
d'une grande utilité dans la vie sociale. C'est pourquoi ils font l'objet d'une protection systématique.
Dès que des informations inconsistantes avec le contenu du stéréotype parviennent au sujet, elles
sont l'objet d'un traitement spécifique aboutissant soit à la réfutation des informations gênantes, soit
à une modification de leur contenu pour les rendre consistantes avec le stéréotype. Un certain
nombre de résultats empiriques montrent, notamment, que lorsque le sujet reçoit des informations
à propos d'une personne qui appartient à un groupe faisant l'objet d'un stéréotype, et que ces
informations sont inconsistantes avec celui-ci, le sujet procède à des inférences « tacites », c'est-à-
dire qui sont sous-entendues, implicites, et qui débouchent sur des conclusions ou des idées qui ne
sont pas exprimées dans ces informations. Les informations initiales changent alors de signification
jusqu'à devenir consistantes avec le stéréotype (Kunda et Oleson, 1995). Dans cette perspective,
Dunning et Sherman (1997) ont rapporté des résultats particulièrement convaincants. On présente
aux sujets des phrases qui sont censées décrire des personnes fictives en leur demandant de se
former une impression concernant ces personnes. Dans ces phrases, on fait apparaître des inférences
qui sont soit consistantes, soit inconsistantes avec le stéréotype. Les sujets doivent ensuite rappeler
les différentes phrases. Les résultats montrent qu'ils font beaucoup plus d'erreurs dans le rappel des
phrases portant des inférences consistantes avec le stéréotype (35 %) que dans le rappel des phrases
portant des inférences inconsistantes avec le stéréotype (15 %). C'est donc bien la consistance avec
le stéréotype qui s'impose à leur perception, au détriment de la qualité du rappel. Cela amène
Dunning et Sherman à décrire les stéréotypes comme de véritables « prisons inférentielles » et à
évoquer un processus circulaire débouchant sur la consolidation et la fortification systématiques du
stéréotype. Les stéréotypes constituent donc des connaissances sociales relativement consensuelles
et stables. Ils ont été fréquemment décriés ou combattus en raison du caractère le plus souvent
négatif de leur contenu qui, parfois, les a fait confondre avec les préjugés raciaux. Mais ne nous y
trompons pas. Les stéréotypes ne sont ni pathologiques par essence, ni erronés par nature. Ils
doivent être considérés comme des théories naïves dans lesquelles interviennent, massivement, des
processus de catégorisation et de généralisation propres à la pensée sociale. En simplifiant et en
organisant la réalité sociale, les stéréotypes constituent, pour le sujet social, des moyens cohérents
et efficaces pour expliquer le monde, se l'approprier et s'y mouvoir. Ils participent ainsi, à leur
manière, à l'organisation et à la gestion de la vie sociale.

D - LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

Comme on vient de le voir dans les sections précédentes, l'activité mentale qui est à l'origine des
croyances collectives permet à un groupe social particulier de s'approprier la réalité à partir d'une
activité cognitive de construction (et de reconstruction) destinée à la rendre signifiante, mais aussi
consistante avec les systèmes de jugement et d'évaluation qui lui sont propres ; c'est-à-dire, en fait,
en l'intégrant et en l'ancrant dans un système de valeurs particulier, lui-même dépendant de
l'histoire du groupe, ainsi que du contexte social et idéologique auquel celui-ci est rattaché. En
procédant de la sorte, chaque groupe construit, maîtrise, sauvegarde et maintient, par la même
occasion, sa propre identité. Cette dernière remarque a au moins deux conséquences. La première
conséquence nous amène à considérer que la réalité qui nous entoure n'a pas d'existence propre.
Elle est toujours construite et représentée. C'est ainsi que le même objet social sera caractérisé par
des significations sensiblement différentes, voire profondément divergentes, selon le groupe qui est
à l'origine de sa construction. Dès lors, chaque groupe « verra » l'objet à sa façon, d'une manière
spécifique et différente de la manière dont il sera « vu » par le groupe voisin. La deuxième
conséquence découle de la première : dans la mesure où chaque groupe « voit » les choses plus ou
moins différemment, les relations intergroupes seront a priori conflictuelles. On comprend mieux les
raisons pour lesquelles Moscovici (1984) avait défmi la psychologie sociale comme « la science du
conflit entre l'individu et la société ». Parmi les constructions collectives d'importance se trouvent les
représentations sociales, lieu d'expression privilégiée de la pensée sociale et du « sens commun ».
Observons tout d'abord que l'analyse des représentations sociales suppose que l'on prenne en
compte simultanément leurs composantes cognitives et leurs composantes sociales. Les premières
sont directement liées à l'activité de production individuelle du sujet. Elles sont donc régies par des
règles qui sont spécifiques aux processus cognitifs. Les secondes déterminent la mise en oeuvre de
ces processus cognitifs en générant des règles spécifiques qui conduisent ainsi à une logique interne,
sociocognitive, permettant l'organisation générale des cognitions propres à un objet particulier. C'est
d'ailleurs pour cette raison, essentielle, que l'on peut parler de représentations « sociales ». Les
représentations sociales peuvent donc être définies comme une modalité particulière de la
connaissance, généralement qualifiée de « connaissance de sens commun », dont la spécificité réside
dans le caractère social des processus qui les produisent. Elles recouvrent ainsi l'ensemble des
croyances, des connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les individus d'un
même groupe, à l'égard d'un objet social donné. C'est d'ailleurs en ce sens que l'on parle aussi, à
juste titre, pour les définir, de « théories naïves » faisant référence en cela à des constructions plus
ou moins élaborées, mais qui s'opposent à celles de l'expert ou du scientifique. Ce dernier point est
fondamental. C'est la raison pour laquelle les représentations sociales constituent un lieu privilégié
où s'exprime la pensée sociale. C'est en 1961 que Serge Moscovici (1961, 1976), reformulant un
ensemble de propositions théoriques présentées par Durkheim (1898), proposa à l'occasion de son
étude princeps sur les représentations de la psychanalyse, le concept de représentations sociales en
le replaçant d'emblée dans un cadre théorique remarquablement structuré et cohérent, qui a ouvert
la voie à une importante série de recherches. La fonction première des représentations sociales est
d'interpréter la réalité qui nous entoure, d'une part, en entretenant avec elle des rapports de
symbolisation et, d'autre part, en lui attribuant des significations. Comme l'a montré Moscovici, cette
fonction constitutive de la réalité résulte d'une activité de construction spécifique qui consiste,
finalement, dans un véritable « remodelage mental » de l'objet. Mais il convient tout d'abord
d'insister sur le fait que cette activité est socialement marquée. Elle ne se manifeste pas
indépendamment du champ social dans lequel, inévitablement, elle s'insère. En fait, ce qui est à
l'oeuvre, c'est un métasystème constitué par des régulations sociales faisant intervenir les modèles,
les croyances déjà établies, les normes et les valeurs du groupe. Ce métasystème canalise, modifie,
oriente, en un mot, dirige les opérations cognitives. Par ailleurs, la pensée sociale est axée sur la
communication. Dès lors, pour peu que l'objet constitue un enjeu social, même limité pour le groupe,
la représentation correspondante sera le résultat d'un vaste ensemble d'interactions sociales,
internes au groupe. Elle sera donc générée collectivement. C'est pourquoi, entre autres, elle sera
partagée par les individus de ce groupe, tout au moins en ce qui concerne l'essentiel. Nous
examinerons maintenant les deux aspects caractérisant le mieux les représentations sociales : leur
organisation interne et leur structuration d'une part, et leur liens étroits avec les pratiques sociales
d'autre part.

I - Organisation interne et structuration des représentations sociales

Il est admis aujourd'hui que les représentations sociales se présentent comme des ensembles
structurés de cognition, de croyances ou d'opinions, ce qui signifie que les éléments qui les
constituent sont hiérarchisés et entretiennent entre eux des relations qui en déterminent, dans une
large mesure, la signification. Cette position a une implication très importante. Elle signifie qu'une
représentation sociale doit toujours être définie à partir de deux composantes : son contenu, c'est-à-
dire ses éléments de connaissance constitutifs de la représentation, et son organisation interne,
c'est-à-dire les relations que ses éléments constitutifs entretiennent entre eux. Abric (1994 a, 1994 b)
a proposé une construction théorique très convaincante pour rendre compte de cette forme
d'organisation interne, propre aux représentations sociales. Selon lui, les représentations sociales
fonctionnent comme une entité, mais avec deux systèmes dont le statut est différent : le système
central et le système périphérique. Le premier est le fondement même de la structure de la
représentation. Par conséquent, il joue un rôle spécifique dans l'économie de la représentation. Le
second est sous la dépendance du premier : la pondération des éléments qui le composent, leur
valeur et leur portée dans le champ de représentation sont déterminés dans une large mesure par le
système central. Ainsi, l'importance que peut prendre un élément périphérique dans le champ
représentationnel dépend essentiellement de la structure et de la signification du noyau central pour
le sujet. Les fonctions du noyau central ont fait l'objet de nombreuses propositions théoriques. Le
noyau central a d'abord une fonction d'organisation de la représentation. Cette fonction permet de
définir la nature des liens qui unissent entre eux les différents éléments de la représentation. C'est
donc le noyau central qui constitue la composante unificatrice et stabilisatrice de l'ensemble (pour
une présentation plus approfondie et des exemples concrets, voir Guimelli, 1998, 1999). Le noyau
central a également une fonction génératrice de sens. Ainsi, il va déterminer le sens global attribué à
l'ensemble de la représentation. Cette dernière fonction a été clairement mise en évidence par une
expérience de Moliner (1989), centrée sur les représentations sociales du groupe idéal. Dans cette
expérience, on présente aux sujets une situation qui induit cette représentation, puis on donne aux
sujets une information qui vient mettre en cause soit la proposition d'égalité, faisant partie du noyau
central (dans ce cas on leur dit qu'un individu donne des ordres aux autres ; le groupe n'est donc plus
égalitaire), soit la proposition faisant partie du système périphérique (dans ce cas on leur dit qu'il
existe de fortes divergences d'opinions). On demande ensuite aux sujets des deux groupes de dire si
désormais la situation peut être décrite en référence ou non au « groupe d'amis idéal ». Or, si près de
trois quarts des sujets se trouvant dans la situation expérimentale « élément périphérique mis en
cause » (73 °/0) continuent à penser qu'il s'agit bien d'un groupe idéal, en revanche, dans la situation
« élément central mis en cause » trois quarts des sujets (78 %) estiment, cette fois, que la situation
qui leur est décrite ne correspond plus à un groupe idéal. Ces résultats montrent que la mise en
cause de l'élément central provoque à elle seule l'effondrement du sens attribué à l'ensemble de la
représentation. Si l'on préfère, un seul élément mis en cause, lorsqu'il est central, a pour effet de
mettre en cause à son tour la représentation de l'objet dans son ensemble. Par contre, l'effet n'est
pas obtenu lorsque c'est l'élément périphérique qui est mis en cause. Cette recherche illustre donc le
rôle organisateur et générateur de sens du noyau central. Le noyau central comporte également
deux propriétés importantes. Il est d'une grande stabilité, propriété fondamentale pour maintenir en
l'état l'essentiel de la représentation et assurer sa pérennité. C'est donc le noyau central qui va être
résistant à tout changement. Par ailleurs, le noyau central est aussi le lieu de consensus de la
représentation. Il constitue ainsi la base collectivement partagée des représentations sociale,
contrairement aux éléments périphériques qui, eux, grâce à leur souplesse, permettent à la
représentation de s'ancrer dans la réalité du moment. Ces derniers peuvent se définir comme la
composante concrète et opérationnelle assurant le lien entre la représentation et les pratiques
quotidiennes réalisées par les uns et les autres en direction de l'objet. Ils permettent ainsi une
appropriation de la représentation individualisée. Les éléments périphériques autorisent ainsi la
construction de représentations sociales individualisées, organisées néanmoins autour d'un noyau
central commun et consensuel. C'est ce qui explique que l'on puisse observer, à l'intérieur du même
groupe et à propos du même objet, de fortes variations discursives. Cependant, une observation
attentive montre que l'hétérogénéité des discours disparaît dès que l'on touche sous une forme ou
sous une autre au noyau central. Aujourd'hui, bon nombre de résultats empiriques, obtenus sur le
terrain ou en laboratoire et à partir de méthodologies diverses, convergent. Ils plaident fortement en
faveur de l'existence de ces deux catégories d'éléments, chacun jouant un rôle différent dans le
champ représentationnel. Abric et Flament (1996), par exemple, mais aussi Guimelli (1993, 1998),
Moliner (1992) rapportent plusieurs recherches expérimentales qui vérifient l'existence et le rôle
spécifiques des éléments centraux. Par ailleurs, la référence à la théorie du noyau central permet une
meilleure compréhension des processus sociocognitifs qui sont mis en oeuvre par les groupes. Des
recherches de Mugny, Moliner, Flament (1997), confirmées et précisées par celles de Mugny et aL
(1998), de Mugny, Qramzade et Tafani (2001) ou de Tafani et Souchet (2002) montrent clairement
que les rapports d'influence, opérationnalisés par des communications persuasives, ont des effets
particulièrement différenciés selon qu'ils sont fondés sur les éléments centraux de la représentation
ou sur les éléments périphériques. Plus précisément, ils indiquent que l'infirmation d'une cognition
d'ordre périphérique n'induit aucune modification structurale de la représentation alors que
l'infirmation d'une cognition centrale dorme lieu à une restructuration cognitive (donc : à une
modification profonde) du champ représentationnel. On a pu observer également (Eyssartier, Joule
et Guimelli, 2005 ; Eyssartier, 2005), que lorsque l'on fonde les techniques d'engagement sur les
éléments centraux de la représentation, et non sur les éléments périphériques, on augmente de
façon très nette la probabilité de voir apparaître le comportement attendu (en l'occurrence : signer
une carte de dormeur d'organes). Ainsi, dans des champs de recherches aussi différents que
l'influence sociale ou l'engagement, dont il sera question dans le prochain chapitre, la théorie du
noyau central permet de préciser la compréhension que nous avons de certains phénomènes.
Il - Représentations et pratiques sociales Les représentations sociales

entretiennent des liens étroits avec les pratiques. Elles constituent, en quelque sorte, comme le dit
Moscovici (1976), un « guide pour l'action ». Une étude de Jodelet (1989) illustre parfaitement ce
lien. Cette étude concerne les représentations sociales de la folie et elle a pour objectif d'analyser les
pratiques et les représentations sociales d'une communauté de ruraux à l'égard des malades
mentaux qu'ils hébergent, par tradition, depuis plusieurs décennies. L'étude des représentations
montre que les sujets opposent le cerveau et les nerfs pour expliquer la folie. Cette opposition a
donné lieu, au fil du temps et des générations, à une théorie psychiatrique naïve permettant, entre
autres, de diagnostiquer deux types de malades : les malades du cerveau (l'innocence) et les malades
des nerfs (la méchanceté). Dès lors, une fois posé, c'est ce « diagnostic » qui va déterminer des
pratiques spécifiques à l'une ou à l'autre des deux catégories : les malades du cerveau vont connaître
un régime privilégié, du fait même de leur « innocence », et vont être intégrés à la vie familiale alors
que les malades des nerfs, à cause de leur « méchanceté » vont être ségrégés (on lave leur linge à
part, ils ont leur propre couvert et/ou ne mangent pas à la table familiale, on ne leur laisse pas «
toucher les choses de la maison », on leur interdit les relations avec les enfants...). Dans une autre
étude (Guimelli, 2001), on induit la représentation sociale du groupe idéal, puis les sujets sont
répartis dans différentes situations expérimentales dans lesquelles on leur présente un scénario. Ce
scénario permet d'opérationnaliser deux variables indépendantes : la perception de la situation
(contexte réversible des problèmes rencontrés dans ce groupe ou au contraire contexte irréversible)
et le degré d'implication (élevé : acteur ou faible : observateur). Une fois que les sujets ont pris
connaissance de ce scénario, on leur demande d'indiquer s'ils vont ou non « quitter le groupe » et
avec quel degré de certitude. Les résultats indiquent tout d'abord un effet de la variable « perception
de la situation » : lorsque la situation est perçue comme irréversible, les sujets ont davantage
tendance à vouloir quitter le groupe. On observe également un effet de la variable « implication » :
lorsque les sujets sont impliqués, ils ont davantage tendance à ne pas vouloir quitter le groupe. Enfin,
il apparaît un effet d'interaction entre les deux variables : c'est surtout lorsque les sujets sont peu
impliqués dans la situation et lorsqu'ils perçoivent la situation comme irréversible qu'ils prennent la
décision de quitter le groupe. Les deux études dont il vient d'être question montrent que les
représentations sociales peuvent affecter les comportements ou les intentions comportementales.
Mais, à l'inverse, les pratiques sociales — et donc les comportements — peuvent aussi affecter les
représentations sociales. Ces pratiques sont même, de notre point de vue, à l'origine de la
dynamique des représentations, de leur changement d'état. Le schéma de causalité peut être
brièvement décrit de la manière suivante. Un événement inattendu modifie l'environnement du
groupe de manière significative. Pour s'adapter à la nouvelle situation, jugée irréversible, le groupe
met alors en place de nouvelles pratiques. Si ces pratiques ne sont pas en contradiction avec le noyau
de la représentation et si elles sont bien acceptées dans le groupe (en d'autres termes, si elles sont
légitimes), elles deviennent de plus en plus fréquentes. Dès lors, les schèmes qui les prescrivent vont
être suractivés. Ils vont prendre de l'importance dans le champ représentationnel et vont être
intégrés au noyau pour en constituer un nouveau. Il s'agit donc bien d'une transformation structurale
de la représentation. Dans le cas où les pratiques nouvelles sont en contradiction avec la
représentation, le schéma est très différent. Dans ce cas, en effet, les circonstances génèrent des
pratiques illégitimes, c'est-à-dire contraires aux prescriptions de la représentation sociale Dans de
telles situations, apparaissent alors un certain nombre de mécanismes de défense destinés à
protéger la représentation menacée. Pour une même prescription, les rationalisations prolifèrent et
se multiplient dans le groupe, ce qui provoque un climat général d'incohérence qui semble se
résoudre par la formation d'un nouveau noyau central. Les pratiques sont ainsi un facteur
déterminant de la structuration des représentations sociales (Guimelli, 1998, 1999).

E - DE LA LOGIQUE SOCIALE

Comme on l'a déjà dit, la pensée sociale doit être envisagée comme une forme de pensée différente
de la pensée rationnelle et surtout autonome, c'est-à-dire régie par des règles formelles spécifiques
et possédant, en définitive, sa propre logique. Un certain nombre de modèles théoriques se sont
efforcés d'identifier cette logique propre à la pensée sociale. Tous ces modèles ont pour
caractéristique commune d'être fondés sur le principe d'homéostasie. Celui-ci peut être défini de la
manière suivante : il existe chez l'homme une tendance générale vers la recherche de l'équilibre
entre les cognitions propres à un objet donné. Cette tendance est si marquée que la rupture de cet
équilibre active chez le sujet un certain nombre de stratégies cognitives destinées à le rétablir. Ces
stratégies cognitives et la logique qui en résulte ont fait l'objet de plusieurs constructions théoriques
par les chercheurs américains à la fin des années 1950. Les plus connues sont la théorie de la
dissonance cognitive (Festinger, 1957), la théorie de l'équilibre cognitif (Heider, 1958) et le modèle
psychologique (Abelson et Rosenberg, 1958). Nous n'évoquerons ici que l'une d'entre elles : la
théorie de la dissonance cognitive. Nous allons voir que cette théorie, par le statut qu'elle accorde à
l'action, nous rapproche des travaux dont il sera question dans le chapitre suivant.

I - La théorie de la dissonance cognitive Pour Festinger (1957),

le fait de défendre une attitude A alors qu'on y adhère pas (comportement contre-attitudinel) crée
chez nous un état d'inconfort psychologique, la connaissance que nous avons de ce que nous
sommes en train de faire (notre comportement) ne s'accordant pas avec nos idées (notre attitude
privée). C'est pour réduire cet inconfort que nous modifions notre attitude privée afin qu'elle s'ajuste
mieux à notre comportement. Pour Festinger, il suffirait que nous disposions de quelque bonne
raison de faire ce que nous faisons (par exemple : une forte récompense) pour que notre inconfort
s'en trouve réduit au point de nous dispenser de changer d'attitude. On a là l'une des hypothèses les
plus contre-intuitives et les mieux confirmées de la psychologie sociale. Elle sera testée avec succès
dès la fin des années 1950 (pour une synthèse : Harmond-Jones et Mills, 1999). Par exemple, Cohen
(dans Brehm et Cohen, 1962) demande à des étudiants, pour l'aider dans une recherche, de rédiger
un texte justifiant une intervention musclée de la Police sur le campus de l'Université de Yale, suite à
des manifestations étudiantes. Il va de soi que les sujets de Cohen, tout comme la plupart des
étudiants, n'avaient pas du tout apprécié cette intervention policière. Ils acceptèrent néanmoins de
rendre le service demandé. Certains s'étaient vus promettre une récompense dérisoire d'un
demidollar, d'autres, au contraire, une récompense particulièrement élevée de 10 $, d'autres encore
des sommes intermédiaires de 1 ou 5 $. Leur texte rédigé, Cohen demandait aux étudiants
d'exprimer leur propre attitude à l'égard de l'intervention de la police, afin de la comparer à celle
d'un groupe d'étudiants n'ayant pas eu à rédiger de texte (groupe contrôle). Conformément à
l'hypothèse issue de la théorie de la dissonance cognitive, les sujets ayant reçu une récompense
insuffisante pour justifier leur comportement (rédiger des arguments favorables à l'intervention de la
police) modifièrent leur attitude dans le sens de la rationalisation de leur comportement. Les voilà
maintenant plus favorables à l'intervention de la police que les étudiants du groupe contrôle. Ce
n'est pas le cas des sujets pour lesquels une forte rémunération constituait une bonne raison de faire
ce qui leur était demandé. Quant aux étudiants ayant reçu une rémunération intermédiaire, ils
changèrent d'attitude mais moins que les sujets n'ayant reçu qu'un demi-dollar, le changement
d'attitude s'avérant ainsi inversement proportionnel à l'importance de la rémunération. Il faut savoir
que la rédaction d'un texte contraire à ses convictions n'est qu'une modalité particulière d'une
situation expérimentale générale : la situation de soumission forcée ou encore de soumission
induite : dans cette situation expérimentale, un sujet est amené à faire quelque chose qu'il ne ferait
pas sur la base de ses attitudes (tenir un discours contraire à ses convictions, rédiger un texte
défendant un point de vue différent du sien, etc.) ou de ses motivations (manger un plat répugnant,
faire un travail fastidieux, endurer une épreuve douloureuse, etc.) ou à s'abstenir de faire ce qu'il
ferait volontiers (s'abstenir de fumer, de boire, de s'amuser avec un jouet attractif, etc.). Dans les
expériences relevant de ce paradigme, on constate, comme la théorie de la dissonance le prédit, que
les sujets modifient leur attitude a posteriori afin de l'ajuster à la conduite qu'ils viennent de tenir.
Ainsi, après avoir accepté de réaliser une tâche fastidieuse, les sujets trouvent cette tâche moins
fastidieuse. Ainsi, encore, après avoir accepté de goûter un plat répugnant (sauterelles grillés, vers de
terre...) ils trouvent ce plat moins répugnant. Autrement dit, après avoir agit autrement qu'ils ne
l'auraient fait spontanément, les sujets modifient leur attitude ou leur motivation pour qu'elle
s'accorde mieux avec leur acte. Ce processus est donc en fait un processus de rationalisation
(Beauvois et Joule, 1996 ; Joule, 1993 ; Joule et Beauvois, 1998 a). La situation de soumission forcée,
par le statut qu'elle donne à l'action allait inaugurer une nouvelle problématique du changement
d'attitude. Si la problématique classique revient à se demander : que dire à cet homme-là dont on
veut changer les attitudes ? la problématique posée par Festinger revient, quant à elle, à se
demander : que dois-je faire faire à cet homme-là pour qu'il en vienne à changer ses attitudes ? ou, si
l'on préfère : quel comportement obtenir de lui ? Nous allons voir que ce dernier questionnement
(voir chapitre suivant) ouvre d'amples perspectives.

LECTURES CONSEILLÉES

Deschamps, J.-C., & Beauvois, J.-L. (1996). Des attitudes aux attributions. Sur la construction de la
réalité sociale. Grenoble : PUG.

Guimelli, C. (1999). La pensée sociale. Paris : PUF.

Rouquette, M.-L. (1994). Chaînes magiques. les maillons de l'appartenance. Neuchâtel : Delachaux &
Niestlé.

Yzerbyt, V., & Schadron, G. (1996). Connaître et juger autrui. Grenoble : PUG.

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