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Déviance et société

Le désir, le devoir et l'interdit : masques et visages de la vengeance


Raymond Verdier

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Verdier Raymond. Le désir, le devoir et l'interdit : masques et visages de la vengeance. In: Déviance et société. 1984 - Vol. 8 -
N°2. pp. 181-193;

doi : https://doi.org/10.3406/ds.1984.1406

https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1984_num_8_2_1406

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Zusammenfassung
Die Krise des modernen Staates und damit der Strafjustiz könnte zu dem Gedanken verleiten, dass die
Rache in der heutigen Gesellschaft einen legitimen Platz einnehmen könnte. In Wirklichkeit ist das,
was unter dieser Bezeichnung oft gefordert wird, ein verschleierter, privater Akt der Selbst-justiz, der
sowohl entsozialisiert als auch entritualisiert ist und ausschliess- lich einer wilden Ethik gehorcht, die
mit der hier gemeinten Rache nichts gemeinsam hat. Zweifellos könnte ein aufmerksames Studium
dieses Systems, das in vergangenen und gegenwärtigen Gesellschäften sich bewährt hat, das auf
einem Austausch beruht, eine Wiedergutmachung bezweckt und ein Verfahren der Befriedung und
Versöhnung beinhaltet, einen wichtigen Beitrag zu einer echten Kriminalpolitik leisten.

Abstract
The crisis of modern state and consequently of the penal system suggesst that revenge can
legitimately regain its former role in our present society. In fact, the revenge now claimed by some as a
right is nothing else than this hidden and private revenge, which takes the law into its own hands and
which — being desocialised and deritualised — belongs only to a savage ethics ; it has nothing to do
with the real aspect of the revenge that has been studied here. Such a system has shown its value
both in past and present societies : its is based on exchange, it aims towards making up for the offense
done to the victim and includes appeasment and reconciliation procedures. There is no doubt therefore
that greater attention to such a system might be useful in contributing to the institution of a real criminal
policy.

De crisis van de moderne Staat zou kunnen leiden tot de gedachte dat de wraakneming op een
legitieme wijze opnieuw haar plaats kan inne- men in het systeem van strafrechtsbedeling en in onze
huidige samenleving. In werkelijkheid is die wraakneming waartoe sommigen het recht opeisen geen
andere dan een verholen wraak, privaat en zelfberechtigend. Zij is gedesocialiseerd en
gederitualiseerd, beantwoordt slechts aan een wilde ethiek. Zij heeft niets te maken met het ware
gelaat van de wraakneming waarover in het artikel gehandeld wordt. Zonder twijfel kan een grotere
aandacht voor een systeem dat zijn deugdelijkheid heeft bewezen in de voorbije en huidige
samenlevingen, dat berust op uitwisseling, dater op gericht is het leed, het slachtoffer aangedaan, te
herstellen en dat procedures voorziet van stilling en verzoening, nuttig bijdragen tot de uitbouw van
een waarachtige criminele politiek.

Résumé
La crise de l'Etat moderne et partant du système pénal pourrait laisser penser que la vengeance peut
légitimement retrouver place dans notre société actuelle. En réalité, celle dont certains revendiquent
aujourd'hui le droit n'est autre que cette vengeance masquée, privée et autojudicière, qui, désocialisée
et déritualisée, ne répond qu'à une éthique sauvage, et qui n'a rien à voir avec le vrai visage de celle
dont il a été ici question.
Nul doute qu'une attention plus grande à un système qui a fait ses preuves dans des sociétés passées
et présentes, qui se fonde sur l'échange, qui vise à réparer l'offense faite à la victime et inclut des
procédures d'apaisement et de réconciliation, pourrait utilement contribuer à l'instauration d'une
véritable politique criminelle.
Déviance et Société, Genève, 1984, Vol. 8, No 2, pp. 181-193

LE DÉSIR, LE DEVOIR ET L'INTERDIT:


MASQUES ET VISAGES DE LA VENGEANCE*

R.VERDIER**

Notion complexe, valeur controversée, celle par laquelle nous


désignons du terme de vengeance l'action en retour d'un mal subi et plus
précisément la réaction de défense contre une agression initiale.
Nous esquisserons ici une approche anthropologique qui situe la
vengeance sur plusieurs registres à la fois.
Après avoir repéré le passage du vindicatif au vindicatoire, du désir au
devoir et à l'interdit, on tentera de faire ressortir les principes structurels
qui sont à la base du système vindicatoire et qui confèrent à la vengeance sa
rationalité. Il restera enfin à montrer comment, d'un côté, la vengeance
peut être détournée de ses fins et conduire à la domination d'un groupe,
comment, de l'autre, elle peut être dépassée dans la conciliation et la
réconciliation.

1. Du vindicatif au vindicatoire '

« La pénalité a deux sources : la source secondaire, quoique la plus


apparente est la vengeance; mais la source essentielle est la punition domestique,
expression d'un blâme moral et traduction d'un remords. Ces deux sources se sont
mélangées à doses très diverses dans les coutumes et les lois des différents peuples,
et de là leur divergence. »
TARDE, Les transformations du droit, 1893, p. 22.

1. Le désir
Au plan psychologique, la vengeance ressortit à la passion née de la
colère et du ressentiment; ce désir de vengeance serait si enraciné en
l'homme qu'il n'hésite pas à l'attribuer à son dieu, tantôt pour s'en faire le
bras justicier lbls, tantôt pour donner plus de chance à la réalisation de son
désir, tantôt pour se l'interdire à soi même 2. Dans le premier cas, on
vengera Dieu des injures de ses ennemis et le vengeur fera figure de héros ;

* Cette étude tente de dégager les principales conclusions d'un séminaire sur la vengeance
organisé par l'Equipe Cultures et Langages Juridiques du Centre Droit et Cultures de
l'Université de Paris X-Nanterre. Il fait l'objet d'une publication collective, La Vengeance,
Etudes d'ethnologie, d'histoire et de philosophie. Le Livre 1 est paru en 1981 aux Editions
Cujas ; les Livres 2, 3 et 4 sont actuellement en cours d'impression.
** Maître de recherches, C.N.R.S., Paris

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ainsi en est-il au XHIe siècle des tortures infligées à ceux qui sont les
« exclus », parce qu'ils appartiennent à la « famille du diable », les hérétiques,
les sorciers, les juifs jongleurs et vagabonds 3. Dans le deuxième cas, on
demandera à Dieu de bénir la vengeance, en proférant une parole fatale de
malédiction ; il s'agit là d'une pratique encore bien attestée en milieu rural
au siècle dernier 4. Le troisième cas est sans nul doute beaucoup plus rare,
car il s'agit de mettre en application la parole évangélique : « Ne vous
vengez pas vous-même, mais laissez agir la colère de Dieu» (Rom. 12, 19) ; et
l'on sait qu'elle a pu, détournée de son sens véritable, le pardon des
offenses, servir à justifier le duel judiciaire ou l'ordalie.

2. Une valeur controversée


Au plan éthique, la vengeance est valorisée positivement ou
négativement, selon le rapport qu'elle entretient avec la raison ; en Occident, deux
traditions s'opposent radicalement, qui plongent leurs racines dans la
pensée gréco-romaine et chrétienne.
Pour Aristote, la colère est une passion naturelle qu'il ne faut point
éprouver par excès, car c'est à cette condition que la vengeance peut être
équilibrée et efficace. Chez Sénèque, au contraire, la colère est folie
furieuse, aveugle et indomptable, le sage est celui qui ignore les injures et
supprime totalement en lui le désir de vengeance 5.
Au Moyen Age, contre les Stoïciens, Thomas d'Aquin revendique la
valeur des passions et fait place, à côté de la colère blâmable, pour une
colère louable, conforme à la raison; à propos de Vappetitus vindictae, il
écrit : « II est défendu de désirer la vengeance pour le mal de celui sur qui
elle doit s'exercer, mais il est louable de la désirer pour la correction des
vices et le maintien de la justice » 6. A l'opposé, la tradition mystique, fidèle
à Yapatheia stoïcienne, condamne la vengeance qui empêche la
contemplation et prêche la compassion du pécheur.

3. Du duel au prétoire
Si l'on a abordé la vengeance dans son registre psychologique,
éthique et théologique, c'est qu'il a été privilégié dans la société occidentale
moderne qui a subjectivisé la vengeance, l'a refoulée au profit de la justice
d'Etat et l'a ravalée au rang d'une justice privée, chaude et passionnelle,
incompatible avec la justice publique, froide et sereine 7.
Alors que le duel était encore au XVIe siècle un acte public, officiel,
autorisé par le roi et présidé par lui, pour régler par soi-même ses dettes
d'honneur, il devint au XVIIe siècle un acte privé, clandestin, comme le
«faux honneur» opposé à la vraie gloire, bref un crime de lèse-majesté
(comparable à l'hérésie au Moyen Age) : le roi n'est-il pas tout à la fois le
premier gentilhomme du royaume, la loi vivante et l'oint du Seigneur?
Grâce à sa sacralité, le roi est désormais «la source de l'honneur», le
jugement du souverain a succédé au jugement de Dieu, et il n'est plus licite de
se venger autrement qu'en recourant à la justice d'Etat 8.

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Loin de capituler pour autant, la vengeance ainsi refoulée cherchera
refuge dans le prétoire ; le procès sera ainsi un moyen de préserver son
honneur, de prouver sa force à ses rivaux ou d'expulser celui qui s'est trouvé en
position de faiblesse dans le jeu des rivalités villageoises et familiales ; ainsi,
dans leur étude de la violence en Lozère au XIXe siècle, E. Claverie et P.
Lamaison et
primitive' observent
brutale est
queune
« laconstruction
vengeance, loin
intégrée
d'être
à l'ensemble
le signe d'une
du 'passion
fonctionnement régulé de la société, tissant le fil subtil d'une interdépendance
générale, entravant ainsi toute violence paroxystique généralisée » 9.

4. D'un prétendu cercle infernal


Cette seule évocation du duel nobiliaire de l'Ancien Régime d'un
côté, de l'honneur familial paysan du siècle dernier de l'autre nous fait
franchir la distance qui sépare le vindicatif du vindicatoire et nous confronte au
registre social et politique où la vengeance est essentiellement un
phénomène d'échange et de pouvoir ; c'est sur ce plan que nous avons mené une
étude proprement ethnologique de la vengeance dans plusieurs sociétés
dites primitives et extra-occidentales. Non pas que cette recherche nous
conduise en quelque lieu mythique d'une vengeance des origines, mais dans
des sociétés où la justice n'étant pas — ou pas exclusivement — publicisée,
et la vengeance pas — ou pas complètement — privatisée, nous puissions
l'étudier dans sa logique et sa dynamique propre.
On sortira alors du prétendu cercle infernal où l'ont enfermée les
idéologues évolutionnistes du siècle dernier qui stigmatisaient la vengeance
primitive par trois traits: son infinitude, sa démesure, son irrationalité.
L'imaginaire de l'homme occidental s'est longtemps nourri d'exotisme et il
eut toute latitude pour prêter aux primitifs ses rêves ou fantasmes ; on a
beaucoup abusé des sauvages, disait Tarde, et on pourrait encore le dire
aujourd'hui. Ainsi René Girard, quand il nous parle de la vengeance des
primitifs, dépourvus de système judiciaire, en proie à l'escalade et à la
contagion de la violence :
«Au stade de la vengeance du sang, c'est toujours au même acte qu'on a
affaire, le meurtre, exécuté de la même façon et pour les mêmes raisons, en
imitation vengeresse d'un meurtre précédent. Et cette imitation se propage de
proche en proche... » i0
II y aurait donc selon l'auteur une vengeance en chaîne, qui se
poursuivrait de génération en génération, dans la préhistoire de l'humanité et
chez les peuples d'aujourd'hui qui en seraient les témoins : tout crime serait
vengeance d'un crime originel et toute vengeance serait vécue comme un
nouvel affront.
Que la violence ne puisse se passer de la violence pour mettre fin à la
violence, il se peut, mais encore faut-il se demander si cette violence a
affaire avec la vengeance ou avec la guerre ; et il semble bien attesté que
certains peuples ne connaissent que des relations pacifiques ou guerrières
comme ces petits groupes d'indiens itinérants, les Yanomami, chez qui,

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nous dit J. Lizot, « on ne peut qu'être ami ou ennemi » u. Or, comme nous
allons le voir la vengeance circonscrit son propre espace social de violence.
En méconnaissant sa dimension sociale et politique, l'approche
subjective de la vengeance, qui va de pair avec la subjectivation du pouvoir a
conduit à en faire le prototype de la peine 12 ; paradoxalement elle donne de
la peine une image inversée de celle de la vengeance : opposée trait pour
trait à la vengeance, elle aurait pour caractéristiques d'être limitée, mesurée
et d'avoir une finalité propre ; bref sa rationalité ferait écho à l'irrationalité
de la vengeance.
Ainsi, à partir d'une fausse opposition diachronique, on a construit un
modèle synchronique qui définit vengeance et peine à partir de leur
exclusion réciproque, alors qu'ils peuvent fort bien co-exister, comme nous le
verrons par la suite. Il convient donc de sortir de cette impasse théorique et
de restituer à la vengeance sa rationalité propre.

2. Rationalité de la vengeance

«II s'en faut que la vengeance privée soit le prototype de la peine».


DURKHEIM, De la division du travail social, 1893, p. 61.
«Ce n'est pas la société qui punit, c'est un groupe qui se défend».
MAUSS, La religion et les origines du droit pénal, 1896.
Trois grands principes structurent le système vindicatoire.

1. Le principe de réciprocité
a) A l'instar de la réversion pénale, qui trouve son expression la plus
achevée dans le talion 13, infligeant au coupable un mal de même nature et de
même gravité que celui qu'il a causé (homicide et mutilation dans
l'ancien Israël), la rétorsion vindicatoire repose sur le principe : vie
contre vie, force contre force. L'offense suscite la contre-offense des
parents, des proches ou amis du mort; son groupe a subi une perte et
une humiliation, il doit obtenir satisfaction et il a le devoir d'exiger
réparation en prenant dans le groupe du meurtrier une vie ou son équivalent
symbolique u. Y renoncer serait avouer sa faiblesse et s'exposer à
d'autres affronts ; d'où cette fonction première de la vengeance qui est
de protéger et de défendre, comme l'attestent les termes de goel, de timu-
ros, de vindex.
Pareillement le groupe de l'offenseur, à moins de le désavouer,
doit subir la contre-offense comme réponse à l'offense initiale et non
comme un nouvel affront ; de son côté, le groupe de la victime évitera
une rétorsion excessive dans la crainte de nouvelles représailles. Ainsi,
dans la mesure où les groupes en présence sont sensiblement de force
égale, la réciprocité doit mettre fin à la vengeance.
b) II s'agit donc de payer un dû ; offensé et offenseur se situent en relation
de créancier à débiteur, l'offense crée une dette que le groupe de
l'offensé a le devoir de réclamer et le groupe de l'offenseur, le devoir

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d'acquitter. L'étude du vocabulaire de la relation vindicatoire confirme
cette interprétation. Chez les Bulsa du Ghana, on parle d'un
remboursement de la dette ; chez les Kabiyè, « d'arracher la dette » ; chez les Maen-
gue, de «payer» et «faire payer». Pour les Kachin, vendetta et dette sont
une seule et même chose». Chez les Mongols, quand la relation est
orientée vers l'offenseur, elle souligne l'idée de dette; quand elle est
orientée vers l'offensé, c'est l'idée de droit à compensation et de retour
vers soi d'un dû qui prévaut (cf. la communication de R. Hamayon, in
La vengeance, Livre II).

c) La dette à payer, c'est l'affront, l'injure faite à la victime et à son groupe.


Il s'ensuit d'abord que la « responsabilité » de l'offenseur n'est pas
généralement prise en considération ; toutefois, dans certaines sociétés,
la dette est allégée en cas d'homicide involontaire ou par imprudence.
En deuxième lieu l'appréciation du dommage peut varier selon le
rapport existant entre les groupes et selon l'âge, le sexe ou le rang de la
victime. Ainsi, chez les Bédouins, il existe deux compositions, l'une hors
de la tribu et l'autre pour les contribules et les alliés ; la composition est
allégée lorsque il n'existe entre le groupe du meurtrier et celui de la
victime ni rapport de parenté, ni pacte d'alliance. Le prix du sang est
diminué de moitié pour un esclave ou pour une femme, il est augmenté
pour un hôte ou pour un cheik (cf. la communication de J. Chelhod, in
Livre I).

d) II y a lieu de considérer la composition comme un des procédés de rituali-


sation de la vengeance ; elle est en effet une modalité propre de
l'échange consistant à substituer à la contre-offense un contre-don
équivalent à l'offense ; en ce sens, elle joue un rôle homologue à celui des
prestations dans le mariage : dans l'un et l'autre cas, il s'agit, non
d'acheter ou racheter une vie, mais de donner des biens symbolisant la vie, en
échange d'une autre vie.
C'est la raison pour laquelle le même mot et les mêmes biens
peuvent servir pour le prix du sang et pour le prix de la fiancée ; aussi on
relève parfois une correspondance très étroite entre le rituel de l'alliance
matrimoniale et celui de la composition, qui tend à substituer à la
relation d'adversité, nouée dans la mort, une relation d'alliance ouvrant sur
la vie. Ainsi, dans telle société la composition peut être acquittée par un
don de l'homme (ex. des Maengue) ; dans une autre, une femme peut
faire partie des biens précieux remis à la famille de la victime (ex. des
Béti) ; citons encore le cas des Bédouins, où il est d'usage de demander
en complément du prix du sang une jeune fille de la proche parenté
agnatique du meurtrier : donnée sans douaire au fils, au frère ou au père
de la personne assassinée, elle est appelée à pourvoir au remplacement
du disparu en donnant naissance à un enfant mâle ; lorsqu'il aura atteint
l'âge de porter les armes, elle retrouvera alors sa liberté.

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2. Le principe de solidarité

Alors que la sanction pénale exprime la désapprobation et la désolida-


risation du groupe vis-à-vis de l'individu qui a transgressé ses lois, la
réaction vindicatoire manifeste la solidarité de l'offensé et de son groupe face à
une agression externe qui atteint à travers l'individu le groupe auquel il
appartient.
Il s'agit pour le groupe de l'offensé de riposter à l'injure ou à l'affront
subi par l'un des siens et de faire payer au groupe de l'offenseur sa dette de
vie ou d'honneur, afin de restaurer et préserver son intégrité ou sa valeur.
Mauss en cherchait l'explication dans la «nature religieuse de la
famille et » dans l'unité religieuse du clan », dont « le sang est divin », qui ne
forme « qu'une seule chair » ; ainsi « toute blessure grave de la vitalité du
clan donne cours à la vengeance, toute lésion extérieure infligée au clan
entraîne une réaction : notre sang a été versé» 15. Qu'il soit ou non
«religieux», le groupe des parents ou des proches constitue une unité sociale
solidaire et tout acte qui porte atteinte à sa vie et à son honneur est une
injure partagée par tous ses membres, qui doit être rendue.
Le groupe forme un tout, il est cet ensemble de personnes et de biens,
de forces et de valeurs, de croyances et de rites, dont l'unité est symbolisée
par le sang et l'honneur ; le sang est symbole d'union et de continuité de la
lignée et des générations, l'honneur est symbole de l'identité du groupe et
de sa différence vis-à-vis des autres 16.
Ainsi les actes qui suscitent la réaction solidaire du groupe sont
essentiellement ceux qui affectent son existence spirituelle et sociale et mettent
en cause son identité propre : ici, le meurtre ou la capture du chef qui
incarne l'unité du groupe (Mongols) ou le fait de jeter hors de la maison la
chaîne suspendue au dessus du foyer (Ossètes) ; là, le rapt d'une épouse, le
viol d'une femme (Bédouins), la défloration d'une fille (Goajiro, la gifle qui
dévirilise (Constantinois), le vol de bétail qui empêche le propriétaire volé
de constituer « le prix du mariage » (bétail) pous ses fils et se trouve ainsi
privé de petits-enfants (Nyamwezi).
On comprend dès lors que le devoir de protéger le capital-vie du
groupe, mis en péril par le meurtre d'un des siens soit considéré comme
sacré et s'exprime de façon métaphorique dans maintes sociétés par les
appels du mort à la vengeance : tant qu'il n'est pas vengé, il est condamné à
l'errance et ne peut accéder au statut d'ancêtre 17.
La solidarité a des limites, car elle repose sur l'idée que l'individu et le
groupe sont complémentaires, que l'individu y trouve son statut et que le
groupe est responsable de la conduite de ses membres. Autrement dit, le
groupe peut être appelé à se désolidariser d'un individu dangereux dont
l'excès de violence met en péril son unité ; ainsi chez les Maengué, une
agression qui serait perpétrée à titre strictement individuel et qui n'aurait
pas l'approbation a posteriori du sous-clan conduirait ce dernier à renoncer
à la vengeance ; il pourrait même se désolidariser de l'individu en le mettant
à la merci de ceux qui cherchent à le tuer (cf. la communication de M.
Panoff, in La vengeance, Livre II).

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Dans l'Etat républicain, la vertu civique tend à supplanter l'honneur,
qui devient une affaire individuelle, alors que traditionnellement Y honneur
est l'affaire du groupe et lui permet de s'affirmer socialement et
politiquement. D'où son rôle déterminant dans la conduite des individus et des
groupes ; pour le paysan de la Lozère du siècle dernier, l'honneur était la
véritable « pièce d'identité, il présidait à tous les choix interindividuels liant
les hommes à leurs fiefs et aux autres ;(...) être chez soi, c'est s'y défendre,
tenir sa place, c'est défier l'autre sur sa capacité à protéger son bien » 18.

3. Le principe de distance sociale


La subjectivation et la privatisation de la vengeance dans notre société
étatique moderne font qu'elle ne circonscrit pas un espace social spécifique
de violence au sein de la société globale. Dans les sociétés où elle oppose
des groupes, la vengeance définit un type particulier de relation
intergroupes et un espace social intermédiaire entre celui où la trop grande
proximité de partenaires l'interdit et celui où leur trop grand éloignement
les pousse à la guerre. On distinguera donc trois espaces sociaux de violence,
correspondant à trois modes de relation :
a) A la périphérie, la relation d'hostilité et la violence guerrière contre
l'ennemi potentiel, l'étranger, celui qui n'appartient pas à la même
société politique et est régi par d'autres lois ; on se refuse à le
reconnaître dans son altérité et on cherche à le détruire.
Il est parfois difficile de distinguer guerre et vendetta, dans la
mesure où cette dernière prélude souvent à la guerre et où celle-ci est
la prolongation et l'extension d'une vendetta qui a dégénéré. Ainsi,
quand les Kachin parlent de guerre, il s'agit d'une vendetta sanglante
opposant deux lignages de chefs, se soldant par la défaite de l'un
deux. Chez certains peuples, la guerre entre clans ou tribus est très
proche de la vendetta : chez les Beti du Cameroun, la « guerre » entre
clans s'arrête d'elle-même, dès que le rapport de forces est rétabli ;
dans le Constantinois, la guerre intertribale est un affrontement réglé
qui ne porte pas atteinte à l'équilibre démographique.
b) Au centre, la relation d'identité est la sanction pénale ou religieuse à
l'encontre de celui qui, en transgressant la loi du groupe, porte
atteinte à son unité et encourt sa réprobation. A l'intérieur de ce
groupe de parenté et de proches, on ne doit pas se venger ; la
vengeance est interdite et ne doit pas s'exercer à l'encontre de ceux qu'on
a le devoir de venger ; le meurtre ne peut alors s'échanger contre le
meurtre car il conduirait, non plus à la réparation de l'injure mais à
l'autodestruction ; ainsi, dans l'Ancien Israël la vengeance de sang
était interdite entre Israélites ; elle aurait rompu la solidarité qu'elle
était précisément destinée à promouvoir vis-à-vis de l'extérieur (cf. la
communication de A. Lemaire, in La vengeance», Livre III).
c) Dans l'espace intermédiaire, la relation d'adversité et le système vindi-
catoire qui tend à préserver l'autonomie des groupes rivaux ; il s'agit

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alors de relever le défi et d'égaliser les pertes, de telle sorte que
l'affront étant rendu, chacun soit assuré de recouvrer sa dignité. Ainsi
la vengeance occupe au sein des espaces sociaux de violence ce lieu
médian, entre la justice interne et la guerre externe, où s'affrontent les
groupes de parents ou de voisins unis solidairement. Au-delà ou en-
deçà de cet espace intermédiaire, la vengeance cesse d'être une
activité réparatrice ; loin de restaurer l'équilibre des forces entre les
groupes et d'assurer leur autonomie réciproque, elle devient dans un
cas autodestructrice, dans l'autre anéantissement d'un ennemi.
En l'absence de ce lieu médian où s'exerce la solidarité vindica-
toire, il ne peut y avoir de place pour un système de vengeance soit
que, comme chez les Gamo d'Ethiopie, tout meurtre à l'intérieur de
l'entité politique est considéré comme une transgression affectant
l'ensemble de la communauté — le meurtrier devient un hors-la-loi et
doit disparaître avant de revenir participer à un rituel de renaissance
au cours duquel il doit passer avec le plus proche parent de la victime
à l'intérieur d'une ouverture pratiquée dans la peau d'un animal
immolé par le premier sacrificateur du « pays » (cf. la communication
de J. Bureau, in Livre I) ; soit que, comme chez les Tatuyo de
Colombie, il n'y a pas d'autorité supra-individuelle et de solidarité de lignée
et que chacun est juge de ses actions et responsable de sa parole
(communication de P. Bidou au séminaire Système pénal et Pouvoirs,
1982).

3. Détournement et dépassement
Que l'un des principes qui structurent le système vindicatoire cesse de
jouer, ce dernier se dérègle et n'assume plus sa fonction régulatrice, la
vengeance tend alors à être monopolisée ou confisquée par un groupe
dominant. Par contre, le système conserve toute sa rationalité, quand, renonçant
à elle-même, la vengeance fait place à l'oubli et au pardon.

1. Détournement
a) La réciprocité en défaut
Le principe de réciprocité joue un rôle si essentiel dans la régulation
vindicatoire que certaines sociétés mettent tout en œuvre pour qu'elle
puisse s'appliquer ; ainsi, chez les Masaï, pasteurs nomades du Kenya, où le
meurtre intra-ethnique n'entraîne pas de contre-meurtre mais le versement
d'une composition, cette dernière ne doit pas être jugée excessive par le
groupe de la victime, qui, s'il devenait par la suite débiteur du groupe du
meurtrier, en tuant l'un des siens, devrait acquitter une dette équivalente ;
ainsi J. Rouméguère a-t-elle été témoin d'une affaire de meurtre où la
famille de la victime, moins riche et moins nombreuse que celle du
meurtrier a obtenu que le montant de la composition soit abaissée de 999 à 259
moutons.

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Dans des sociétés fortement hiérarchisées comme les Tcherkesses du
Caucase, on assistait au contraire à l'utilisation de la vengeance du sang et
de la composition par l'aristocratie princière pour renforcer sa puissance et
augmenter sa richesse : d'une part la vengeance ne s'appliquait qu'entre
nobles et assimilés et se traduisait, quand elle s'exerçait sur un homme du
commun, par le pillage de son village et le massacre de tous les hommes ;
d'autre part le prix du sang était infiniment plus élevé pour le meurtre d'un
prince ou d'un noble que pour un homme libre, de telle sorte que le clan
d'un homme libre meutrier n'avait d'autre solution que d'entrer dans la
dépendance du clan noble de la victime (cf. la communication G. Chara-
chidzé, in La Vengeance, Livre II).
Chez les Goajiro de Colombie, l'introduction de l'élevage a
développé la compétition économique et dans les conflits entre lignages rivaux à
propos de la désignation du chef, le prétendant n'hésite pas à s'enrichir et à
montrer sa puissance en recourant à des meurtres de vengeance et à des
exactions de bétail à l'encontre des lignages peu nombreux et pauvres (cf. la
communication de M. Perrin, in La vengeance. Livre II).

b) La solidarité éclatée
Le système vindicatoire définit des unités à l'intérieur desquelles la
vengeance est interdite et entre lesquelles elle est prescrite ; encore faut-il
que ces unités équivalentes soient assurées d'une relative stabilité.
Or il est aisé de constater que la compétition pour le pouvoir dans
certaines sociétés conduit à l'extrême variabilité des groupes en
compétition ; ainsi, dans la société mongole médiévale, les communautés de chasse,
de guerre et de nomadisme se livraient à une provocation dans la
compétition et, bien qu'institutionnellement équivalentes, pratiquaient «une
surenchère dans la vengeance » ; dès lors la capacité du parent agressé à se
redresser conditionnait la solidarité des collatéraux et les groupes vindica-
toires pouvaient se faire et se défaire au gré de forces en présence.
La mise en place par Gengis Khan d'un appareil juridique et judiciaire
eut pour effet de retirer aux instances traditionnelles leur autorité et de
transformer la vengeance : elle cessa d'être un fait de groupe et héréditaire
et se réduisit au seul dédommagement matériel de la victime
(Communication de R. Hamayon, in La vengeance, Livre II).

c) La distance sociale refoulée


Le fonctionnement normal du système vindicatoire va de pair avec la
reconnaissance de groupes sociaux politiquement autonomes ; à partir du
moment où le pouvoir transcende les groupes et identifie les individus
comme sujets de sa loi, la vengeance cesse d'identifier des unités adverses ;
sans pour autant être interdite, elle se trouve confisquée partiellement ou
totalement par le pouvoir ; la relation d'adversité, caractéristique des
partenaires de la vengeance, n'est plus admise que pour certaines infractions et
sous la surveillance du pouvoir : à mesure que la justice se publicise, la ven-

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geance se privatise et s'individualise. L'histoire et l'ethnologie nous en
offrent maintes variantes.
Dans le cadre de la justice étatique en Israël, l'institution du vengeur
a été maintenue, mais ce dernier est devenu «un agent d'exécution de la
communauté» (Cf. la communication de A. Lemaire, in Livre III). En
Grèce, le droit de vengeance a été progressivement limité ; à Athènes, à
l'époque classique, le mariage, tout en demeurant une institution privée
unissant deux oikos, est en même temps une institution publique, car la dot
comprend des biens-fonds concernant la Cité; et cette dernière, en cas
d'adultère, prend en charge la vengeance et punit de mort son auteur (cf. la
communication de J. Svenbro, in Livre III). A Rome, en dépit de
l'étatisation du châtiment, on peut «se venger au forum»; l'accusateur, loin de
représenter la Cité, est un proche parent de la victime.
Lors de la constitution de l'Etat Moundang (Tchad), la souveraineté
fut partagée entre le roi et les groupes, venus de toute direction qu'il
rassembla autour de lui ; loin d'apparaître comme un juge édictant des peines,
le roi fait figure de prédateur prélevant deux ou trois têtes de bétail lors du
versement du prix du sang. Chez les Nyamwezi, (Tanzanie) le roi est le
père de tous les habitants et son troupeau sacré de bovins est le lien unissant
tous ses gens aux grands ancêtres ; le meurtre est rupture de la loi et
nécessitait le recours au roi par le groupe de la victime ou par le meurtrier ; le
«prix du sang» était versé devant le roi, qui prélevait alors deux têtes de
bétail (cf. la communication de S. Tcherkezoff in Livre II).
Au terme de ce processus de monopolisation de la justice par l'Etat, la
vengeance de sang se trouve interdite ; ainsi chez les Mossi (Haute-Volta)
et les Lozi (Rhodésie), il ne peut être question pour la famille de la victime
de venger le mort ; les partenaires ne sont plus des groupes sociaux mais des
acteurs individualisés et singuliers soumis à la justice royale (cf. la
communication de M. Izard au Séminaire Système pénal et Pouvoirs, 1981).

2. Dépassement
Dans le système vindicatoire, la vengeance est ritualisée de diverses
manières : elle ne s'exerce pas sur n'importe qui, n'importe quand et
n'importe où. La prise en compte du besoin d'apaisement et de
reconciliation conduit à canaliser l'agressivité et la contenir dans certaines limites.

a) Du devoir de vengeance au besoin de paix


Nous avons déjà évoqué le principe de la composition qui joue un
rôle essentiel dans maintes sociétés et qui parfois équivaut à éliminer toute
rétorsion violente (cf. l'exemple des Géorgiens des plaines, du Xle au
XVIIIe siècle, G. Charachidzé, in La vengeance. Livre II).
Notons ensuite qu'une offense ne donne lieu en principe à vengeance
que si elle est perçue comme une offense initiale ; ainsi, chez les Maengue,
les vengeurs potentiels d'un meurtre commencent par rechercher s'il ne
répond pas à une violence commise antérieurement par la victime (cf. la
communication de M. Panoff, in Livre II). Chez les Géorgiens de la mon-

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tagne seul le contre-meurtre est tenu pour licite ; à la différence des
Caucasiens du Nord (Abkazes, Ossètes...) où le meurtre délibéré est admis en
contrepartie d'un préjudice quelconque, ici on a le droit de tuer que si le
partenaire a déjà tué et le premier meurtre, quelles que soient les
circonstances, est toujours considéré comme accidentel (cf. G. Charachidzé,
ibidem).
Certaines sociétés assignent à la réaction vindicatoire un laps de
temps bien délimité ; chez les Moundang du Tchad, le clan de la victime
dispose de deux jours pour tuer le meurtrier ou l'un de ses frères ; il doit,
passé ce délai, recourir à la divination pour désigner l'homme du clan du
meurtrier, qui sera la victime expiatoire ; le contre-meurtre doit avoir lieu
dans les deux jours suivants, sinon l'affaire doit se conclure par un sacrifice
rituel et le versement de la composition (cf. A. Adler, in Livre I). Chez les
Géorgiens montagnards, les proches parents du mort poursuivent le
meurtrier durant trois ans; ensuite la composition devient inévitable et les
anciens s'interposent pour assurer la conciliation (Cf. G. Charachidzé,
ibidem).
Mentionnons encore le droit d'asile attesté dans de nombreuses
sociétés : le meurtrier trouve refuge soit dans un enclos sacré (Constantinois),
soit chez le chef à peau de léopard (Nuer) ou à la résidence royale (Nyam-
wezi) soit encore dans la maison d'un tiers, même ennemi, s'il franchit le
seuil de la porte et passe autour de son cou la chaîne du foyer (Ossètes).
Dans le Constantinois, toute femme avait la capacité de protéger l'homme
poursuivi : celui-ci se réfugiait dans son giron et par sa posture exprimait le
rapport mère-enfant (cf. la communication de Cl. H. Breteau, in Livre I).

b) De l'apaisement à la réconciliation
Parmi les procédés de ritualisation tendant à suspendre ou clôturer la
vengeance, il convient de mentionner tout particulièrement les procédures
de médiation conduisant à l'apaisement et les rites sacrificiels de
reconciliation.

1. Procédures de médiation
Les femmes sont souvent appelées à exercer la fonction médiatrice
entre les groupes adverses ; ainsi chez les Maengue de Nouvelle Bretagne,
le combat opposant deux fractions du village à propos d'un meurtre devait
cesser si une femme respectée s'interposait et versait de l'eau sur un
brandon enflammé en prononçant des paroles sacramentelles de réconciliation ;
il arrivait ainsi, écrit M. Panoff, que la paix fût rétablie avant qu'il y eût
mort d'homme. Chez les Kabiyè du Togo, les hommes qui se querellaient à
l'intérieur de la Cité devaient déposer les armes si une vieille femme
répandait une traînée de cendre sur le lieu du combat (Cf. R. Verdier, in La
vengeance Livre II). Chez les Nuer, le chef à peau de léopard, auprès duquel le
meurtrier avait trouvé refuge, bien qu'il n'exerçât aucune fonction
politique, administrative ou judiciaire, pouvait négocier le versement de la com-

191
pensation ; s'étant alors assuré que la famille du meurtrier était prête à livrer
le bétail de la compensation, il visitait les proches de la victime et leur
demandait d'accepter; ceux-ci, après un premier refus, devaient donner
leur accord sous peine de s'exposer à sa malédiction 19.

2. Rites sacrificiels de reconciliation


On ne sera pas surpris de voir la vengeance, conçue bien souvent
comme un devoir sacré, nous réintroduire, quand il est question d'y mettre
fin, dans l'univers des rites et symboles religieux. Ainsi chez les Géorgiens
de la montagne, le clan du meurtrier doit faire des offrandes aux parents du
mort, sacrifier plusieurs animaux au grand sanctuaire du clan offensé pour
le bénéfice de la collectivité tout entière ; l'un des deux clans boit alors le
breuvage que l'autre a fourni et consacré (Cf. G. Charachidzé, ibidem).
Chez les Moundang, la famille du meurtrier, avant d'acquitter la
composition, amène au bord de la rivière « le bœuf de la plaie » pour y être sacrifié ;
son sang est alors recueilli et les grands de chaque clan en cause y plongent
les mains ; l'acceptation du sacrifice par les esprits ancestraux met un terme
à la vengeance (cf. A. Adler, ibidem). Chez les Nyamwezi, la réconciliation
a lieu chez les rois ; on commence par rompre le lien de la vengeance en
découpant en deux parts une chèvre dont l'une revient aux parents du mort
et l'autre à ceux du meurtrier ; puis ces derniers offrent un bœuf et un
garçon au père de la victime, un bœuf et une fille à sa mère ; ainsi le corps de la
victime est symboliquement reconstitué (Cf. la communication de S. Tcher-
kezoff, in Livre II). Rappelons enfin le rituel Ossète d'adoption du
meurtrier par la famille de la victime : il est alors pardonné par son fils qui lui
redonne symboliquement la vie (cf. la communication de A. Iteanu, in
Livre II).

Raymond Verdier
Centre droit et cultures
Université Paris X — Nanterre
200, avenue de la République
F-92001 Nanterre-Cédex

RÉFÉRENCES

1. La langue latine dispose de deux termes, ultio et vindicatio; le premier désigne la


vengeance non médiatisée (en cas d'injures flagrantes), le second, la vengeance médiatisée par
la parole du magistrat et le rituel de l'addictio ; cf. Y. THOMAS, « Se venger au Forum »,
in La vengeance Livre III. Sur la distinction chez Grotius, voir G. COURTOIS in Livre
IV.
1 bl$ II s'agit d'un thème bien connu dans la littérature ; citons l'exemple de Lorenzacio,
conduit par le spectre de son père : « ...Suis-je le bras de Dieu? Y-a-t-il une nuée au dessus
de ma tête» (Acte IV, scène 3).
2. Dans l'Inde brahmanique, la vengeance n'est ni une valeur, ni une institution et est
reléguée parmi les passions qui menacent l'ordre cosmique; à cause de son caractère
obsédant, elle ne peut constituer une pratique socialement réglée. Cf. la Communication
de Ch. Mahmoud in La vengeance, Livre III.

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3. LE GOFF J., La civilisation de l'Occident médiéval, Paris Arthaud 1964.
4. CASTAN, N et V., Vivre ensemble, Paris, «Archives», 1981 ; CLAVERIE, E. et
LAMAISON, P., L'impossible mariage, Paris Hachette, 1982.
5. Cf. G. COURTOIS, in La vengeance, Livre IV.
6. Cf. M.M. DAVY, in ibidem.
7. Maintenant, s'exclamera un paysan de la Lozère au XIXe s., « la justice a tous les droits » ;
il faisait allusion, la mort dans l'âme, à la disparition de la vengeance privée. Cf.
CLAVERIE et LAMAISON, op. cit. (4), p. 10.
8. BILLACOIS F., « Le duel dans le discours monarchique au XVIIe s. ; communication au
Séminaire Système pénal et Pouvoirs du Centre Droit et Culture. Cf. également PITT-
RIVERS, Anthropologie de l'honneur, Paris, Le Sycomore, 1983, pp. 28-30.
9. Op. cit. (4), p. 254.
10. GIRARD R., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, 1978, p. 20.
11. LIZOT J., Le cercle de Feu, Paris, Seuil, 1976.
12. Pour mémoire, rappelons le schéma traditionnel d'évolution : 1° Vengeance privée ; 2°
Talion ; 3° Composition volontaire ; 4° Composition légale ; 5° Peines publiques. Partant
de la découverte de codes orientaux antérieurs au Code de Hammourabi G. CARDAS-
CIA a proposé un nouveau schéma d'évolution ; cf. Mélanges Dauvillier. Toulouse, Centre
d'histoire juridique méridionale, 1979.
13. Hegel y voyait le principe sacré de toute justice; cf. GUINLE J.P., «Hegel et La
vengeance », in Livre IV.
14. Chez les Are-Are des îles Salomon, le groupe de la victime a le choix de payer un homme
de guerre pour venger la victime ou d'exiger du meurtrier la livraison d'un cadavre ; cf. D.
de COPPET, «Cycles de meurtres et cycles funéraires», in Mélanges Lévi-Strauss,
Paris-La Haye, Mouton, 1970.
15. MAUSS M., La religion et les origines du droit pénal, 1896; cf. Œuvres Vol 2 , Paris
Minuit, 1974, pp. 651 ss.
16. Dans certaines sociétés, les deux symboles fusionnent : l'honneur réside dans le sang ; il y a
alors équivalence symbolique entre le meurtre et le déshonneur (ex. des Bédouins, de la
Calabre et du Constantinois.)
17. Ainsi, chez les Ossètes, cf. la communication d'A. ITEANU, in La vengeance, Livre II;
chez les Bédouins, l'âme du disparu est transformée en chouette et réclame sans cesse i
boire le sang de sa victime ; chez les Dwala, l'esprit de la victime poursuit l'assassin jusqu'à
le mener à la mort (cf. M. BEKOMBO, in Livre I).
18. CLAVERIE et LAMAISON, op. cit. (4), p. 249.
19. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, tr. fr., Paris, Payot, 1968, pp. 180-181.

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