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Verdier Raymond. Le désir, le devoir et l'interdit : masques et visages de la vengeance. In: Déviance et société. 1984 - Vol. 8 -
N°2. pp. 181-193;
doi : https://doi.org/10.3406/ds.1984.1406
https://www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1984_num_8_2_1406
Abstract
The crisis of modern state and consequently of the penal system suggesst that revenge can
legitimately regain its former role in our present society. In fact, the revenge now claimed by some as a
right is nothing else than this hidden and private revenge, which takes the law into its own hands and
which — being desocialised and deritualised — belongs only to a savage ethics ; it has nothing to do
with the real aspect of the revenge that has been studied here. Such a system has shown its value
both in past and present societies : its is based on exchange, it aims towards making up for the offense
done to the victim and includes appeasment and reconciliation procedures. There is no doubt therefore
that greater attention to such a system might be useful in contributing to the institution of a real criminal
policy.
De crisis van de moderne Staat zou kunnen leiden tot de gedachte dat de wraakneming op een
legitieme wijze opnieuw haar plaats kan inne- men in het systeem van strafrechtsbedeling en in onze
huidige samenleving. In werkelijkheid is die wraakneming waartoe sommigen het recht opeisen geen
andere dan een verholen wraak, privaat en zelfberechtigend. Zij is gedesocialiseerd en
gederitualiseerd, beantwoordt slechts aan een wilde ethiek. Zij heeft niets te maken met het ware
gelaat van de wraakneming waarover in het artikel gehandeld wordt. Zonder twijfel kan een grotere
aandacht voor een systeem dat zijn deugdelijkheid heeft bewezen in de voorbije en huidige
samenlevingen, dat berust op uitwisseling, dater op gericht is het leed, het slachtoffer aangedaan, te
herstellen en dat procedures voorziet van stilling en verzoening, nuttig bijdragen tot de uitbouw van
een waarachtige criminele politiek.
Résumé
La crise de l'Etat moderne et partant du système pénal pourrait laisser penser que la vengeance peut
légitimement retrouver place dans notre société actuelle. En réalité, celle dont certains revendiquent
aujourd'hui le droit n'est autre que cette vengeance masquée, privée et autojudicière, qui, désocialisée
et déritualisée, ne répond qu'à une éthique sauvage, et qui n'a rien à voir avec le vrai visage de celle
dont il a été ici question.
Nul doute qu'une attention plus grande à un système qui a fait ses preuves dans des sociétés passées
et présentes, qui se fonde sur l'échange, qui vise à réparer l'offense faite à la victime et inclut des
procédures d'apaisement et de réconciliation, pourrait utilement contribuer à l'instauration d'une
véritable politique criminelle.
Déviance et Société, Genève, 1984, Vol. 8, No 2, pp. 181-193
R.VERDIER**
1. Le désir
Au plan psychologique, la vengeance ressortit à la passion née de la
colère et du ressentiment; ce désir de vengeance serait si enraciné en
l'homme qu'il n'hésite pas à l'attribuer à son dieu, tantôt pour s'en faire le
bras justicier lbls, tantôt pour donner plus de chance à la réalisation de son
désir, tantôt pour se l'interdire à soi même 2. Dans le premier cas, on
vengera Dieu des injures de ses ennemis et le vengeur fera figure de héros ;
* Cette étude tente de dégager les principales conclusions d'un séminaire sur la vengeance
organisé par l'Equipe Cultures et Langages Juridiques du Centre Droit et Cultures de
l'Université de Paris X-Nanterre. Il fait l'objet d'une publication collective, La Vengeance,
Etudes d'ethnologie, d'histoire et de philosophie. Le Livre 1 est paru en 1981 aux Editions
Cujas ; les Livres 2, 3 et 4 sont actuellement en cours d'impression.
** Maître de recherches, C.N.R.S., Paris
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ainsi en est-il au XHIe siècle des tortures infligées à ceux qui sont les
« exclus », parce qu'ils appartiennent à la « famille du diable », les hérétiques,
les sorciers, les juifs jongleurs et vagabonds 3. Dans le deuxième cas, on
demandera à Dieu de bénir la vengeance, en proférant une parole fatale de
malédiction ; il s'agit là d'une pratique encore bien attestée en milieu rural
au siècle dernier 4. Le troisième cas est sans nul doute beaucoup plus rare,
car il s'agit de mettre en application la parole évangélique : « Ne vous
vengez pas vous-même, mais laissez agir la colère de Dieu» (Rom. 12, 19) ; et
l'on sait qu'elle a pu, détournée de son sens véritable, le pardon des
offenses, servir à justifier le duel judiciaire ou l'ordalie.
3. Du duel au prétoire
Si l'on a abordé la vengeance dans son registre psychologique,
éthique et théologique, c'est qu'il a été privilégié dans la société occidentale
moderne qui a subjectivisé la vengeance, l'a refoulée au profit de la justice
d'Etat et l'a ravalée au rang d'une justice privée, chaude et passionnelle,
incompatible avec la justice publique, froide et sereine 7.
Alors que le duel était encore au XVIe siècle un acte public, officiel,
autorisé par le roi et présidé par lui, pour régler par soi-même ses dettes
d'honneur, il devint au XVIIe siècle un acte privé, clandestin, comme le
«faux honneur» opposé à la vraie gloire, bref un crime de lèse-majesté
(comparable à l'hérésie au Moyen Age) : le roi n'est-il pas tout à la fois le
premier gentilhomme du royaume, la loi vivante et l'oint du Seigneur?
Grâce à sa sacralité, le roi est désormais «la source de l'honneur», le
jugement du souverain a succédé au jugement de Dieu, et il n'est plus licite de
se venger autrement qu'en recourant à la justice d'Etat 8.
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Loin de capituler pour autant, la vengeance ainsi refoulée cherchera
refuge dans le prétoire ; le procès sera ainsi un moyen de préserver son
honneur, de prouver sa force à ses rivaux ou d'expulser celui qui s'est trouvé en
position de faiblesse dans le jeu des rivalités villageoises et familiales ; ainsi,
dans leur étude de la violence en Lozère au XIXe siècle, E. Claverie et P.
Lamaison et
primitive' observent
brutale est
queune
« laconstruction
vengeance, loin
intégrée
d'être
à l'ensemble
le signe d'une
du 'passion
fonctionnement régulé de la société, tissant le fil subtil d'une interdépendance
générale, entravant ainsi toute violence paroxystique généralisée » 9.
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nous dit J. Lizot, « on ne peut qu'être ami ou ennemi » u. Or, comme nous
allons le voir la vengeance circonscrit son propre espace social de violence.
En méconnaissant sa dimension sociale et politique, l'approche
subjective de la vengeance, qui va de pair avec la subjectivation du pouvoir a
conduit à en faire le prototype de la peine 12 ; paradoxalement elle donne de
la peine une image inversée de celle de la vengeance : opposée trait pour
trait à la vengeance, elle aurait pour caractéristiques d'être limitée, mesurée
et d'avoir une finalité propre ; bref sa rationalité ferait écho à l'irrationalité
de la vengeance.
Ainsi, à partir d'une fausse opposition diachronique, on a construit un
modèle synchronique qui définit vengeance et peine à partir de leur
exclusion réciproque, alors qu'ils peuvent fort bien co-exister, comme nous le
verrons par la suite. Il convient donc de sortir de cette impasse théorique et
de restituer à la vengeance sa rationalité propre.
2. Rationalité de la vengeance
1. Le principe de réciprocité
a) A l'instar de la réversion pénale, qui trouve son expression la plus
achevée dans le talion 13, infligeant au coupable un mal de même nature et de
même gravité que celui qu'il a causé (homicide et mutilation dans
l'ancien Israël), la rétorsion vindicatoire repose sur le principe : vie
contre vie, force contre force. L'offense suscite la contre-offense des
parents, des proches ou amis du mort; son groupe a subi une perte et
une humiliation, il doit obtenir satisfaction et il a le devoir d'exiger
réparation en prenant dans le groupe du meurtrier une vie ou son équivalent
symbolique u. Y renoncer serait avouer sa faiblesse et s'exposer à
d'autres affronts ; d'où cette fonction première de la vengeance qui est
de protéger et de défendre, comme l'attestent les termes de goel, de timu-
ros, de vindex.
Pareillement le groupe de l'offenseur, à moins de le désavouer,
doit subir la contre-offense comme réponse à l'offense initiale et non
comme un nouvel affront ; de son côté, le groupe de la victime évitera
une rétorsion excessive dans la crainte de nouvelles représailles. Ainsi,
dans la mesure où les groupes en présence sont sensiblement de force
égale, la réciprocité doit mettre fin à la vengeance.
b) II s'agit donc de payer un dû ; offensé et offenseur se situent en relation
de créancier à débiteur, l'offense crée une dette que le groupe de
l'offensé a le devoir de réclamer et le groupe de l'offenseur, le devoir
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d'acquitter. L'étude du vocabulaire de la relation vindicatoire confirme
cette interprétation. Chez les Bulsa du Ghana, on parle d'un
remboursement de la dette ; chez les Kabiyè, « d'arracher la dette » ; chez les Maen-
gue, de «payer» et «faire payer». Pour les Kachin, vendetta et dette sont
une seule et même chose». Chez les Mongols, quand la relation est
orientée vers l'offenseur, elle souligne l'idée de dette; quand elle est
orientée vers l'offensé, c'est l'idée de droit à compensation et de retour
vers soi d'un dû qui prévaut (cf. la communication de R. Hamayon, in
La vengeance, Livre II).
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2. Le principe de solidarité
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Dans l'Etat républicain, la vertu civique tend à supplanter l'honneur,
qui devient une affaire individuelle, alors que traditionnellement Y honneur
est l'affaire du groupe et lui permet de s'affirmer socialement et
politiquement. D'où son rôle déterminant dans la conduite des individus et des
groupes ; pour le paysan de la Lozère du siècle dernier, l'honneur était la
véritable « pièce d'identité, il présidait à tous les choix interindividuels liant
les hommes à leurs fiefs et aux autres ;(...) être chez soi, c'est s'y défendre,
tenir sa place, c'est défier l'autre sur sa capacité à protéger son bien » 18.
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alors de relever le défi et d'égaliser les pertes, de telle sorte que
l'affront étant rendu, chacun soit assuré de recouvrer sa dignité. Ainsi
la vengeance occupe au sein des espaces sociaux de violence ce lieu
médian, entre la justice interne et la guerre externe, où s'affrontent les
groupes de parents ou de voisins unis solidairement. Au-delà ou en-
deçà de cet espace intermédiaire, la vengeance cesse d'être une
activité réparatrice ; loin de restaurer l'équilibre des forces entre les
groupes et d'assurer leur autonomie réciproque, elle devient dans un
cas autodestructrice, dans l'autre anéantissement d'un ennemi.
En l'absence de ce lieu médian où s'exerce la solidarité vindica-
toire, il ne peut y avoir de place pour un système de vengeance soit
que, comme chez les Gamo d'Ethiopie, tout meurtre à l'intérieur de
l'entité politique est considéré comme une transgression affectant
l'ensemble de la communauté — le meurtrier devient un hors-la-loi et
doit disparaître avant de revenir participer à un rituel de renaissance
au cours duquel il doit passer avec le plus proche parent de la victime
à l'intérieur d'une ouverture pratiquée dans la peau d'un animal
immolé par le premier sacrificateur du « pays » (cf. la communication
de J. Bureau, in Livre I) ; soit que, comme chez les Tatuyo de
Colombie, il n'y a pas d'autorité supra-individuelle et de solidarité de lignée
et que chacun est juge de ses actions et responsable de sa parole
(communication de P. Bidou au séminaire Système pénal et Pouvoirs,
1982).
3. Détournement et dépassement
Que l'un des principes qui structurent le système vindicatoire cesse de
jouer, ce dernier se dérègle et n'assume plus sa fonction régulatrice, la
vengeance tend alors à être monopolisée ou confisquée par un groupe
dominant. Par contre, le système conserve toute sa rationalité, quand, renonçant
à elle-même, la vengeance fait place à l'oubli et au pardon.
1. Détournement
a) La réciprocité en défaut
Le principe de réciprocité joue un rôle si essentiel dans la régulation
vindicatoire que certaines sociétés mettent tout en œuvre pour qu'elle
puisse s'appliquer ; ainsi, chez les Masaï, pasteurs nomades du Kenya, où le
meurtre intra-ethnique n'entraîne pas de contre-meurtre mais le versement
d'une composition, cette dernière ne doit pas être jugée excessive par le
groupe de la victime, qui, s'il devenait par la suite débiteur du groupe du
meurtrier, en tuant l'un des siens, devrait acquitter une dette équivalente ;
ainsi J. Rouméguère a-t-elle été témoin d'une affaire de meurtre où la
famille de la victime, moins riche et moins nombreuse que celle du
meurtrier a obtenu que le montant de la composition soit abaissée de 999 à 259
moutons.
188
Dans des sociétés fortement hiérarchisées comme les Tcherkesses du
Caucase, on assistait au contraire à l'utilisation de la vengeance du sang et
de la composition par l'aristocratie princière pour renforcer sa puissance et
augmenter sa richesse : d'une part la vengeance ne s'appliquait qu'entre
nobles et assimilés et se traduisait, quand elle s'exerçait sur un homme du
commun, par le pillage de son village et le massacre de tous les hommes ;
d'autre part le prix du sang était infiniment plus élevé pour le meurtre d'un
prince ou d'un noble que pour un homme libre, de telle sorte que le clan
d'un homme libre meutrier n'avait d'autre solution que d'entrer dans la
dépendance du clan noble de la victime (cf. la communication G. Chara-
chidzé, in La Vengeance, Livre II).
Chez les Goajiro de Colombie, l'introduction de l'élevage a
développé la compétition économique et dans les conflits entre lignages rivaux à
propos de la désignation du chef, le prétendant n'hésite pas à s'enrichir et à
montrer sa puissance en recourant à des meurtres de vengeance et à des
exactions de bétail à l'encontre des lignages peu nombreux et pauvres (cf. la
communication de M. Perrin, in La vengeance. Livre II).
b) La solidarité éclatée
Le système vindicatoire définit des unités à l'intérieur desquelles la
vengeance est interdite et entre lesquelles elle est prescrite ; encore faut-il
que ces unités équivalentes soient assurées d'une relative stabilité.
Or il est aisé de constater que la compétition pour le pouvoir dans
certaines sociétés conduit à l'extrême variabilité des groupes en
compétition ; ainsi, dans la société mongole médiévale, les communautés de chasse,
de guerre et de nomadisme se livraient à une provocation dans la
compétition et, bien qu'institutionnellement équivalentes, pratiquaient «une
surenchère dans la vengeance » ; dès lors la capacité du parent agressé à se
redresser conditionnait la solidarité des collatéraux et les groupes vindica-
toires pouvaient se faire et se défaire au gré de forces en présence.
La mise en place par Gengis Khan d'un appareil juridique et judiciaire
eut pour effet de retirer aux instances traditionnelles leur autorité et de
transformer la vengeance : elle cessa d'être un fait de groupe et héréditaire
et se réduisit au seul dédommagement matériel de la victime
(Communication de R. Hamayon, in La vengeance, Livre II).
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geance se privatise et s'individualise. L'histoire et l'ethnologie nous en
offrent maintes variantes.
Dans le cadre de la justice étatique en Israël, l'institution du vengeur
a été maintenue, mais ce dernier est devenu «un agent d'exécution de la
communauté» (Cf. la communication de A. Lemaire, in Livre III). En
Grèce, le droit de vengeance a été progressivement limité ; à Athènes, à
l'époque classique, le mariage, tout en demeurant une institution privée
unissant deux oikos, est en même temps une institution publique, car la dot
comprend des biens-fonds concernant la Cité; et cette dernière, en cas
d'adultère, prend en charge la vengeance et punit de mort son auteur (cf. la
communication de J. Svenbro, in Livre III). A Rome, en dépit de
l'étatisation du châtiment, on peut «se venger au forum»; l'accusateur, loin de
représenter la Cité, est un proche parent de la victime.
Lors de la constitution de l'Etat Moundang (Tchad), la souveraineté
fut partagée entre le roi et les groupes, venus de toute direction qu'il
rassembla autour de lui ; loin d'apparaître comme un juge édictant des peines,
le roi fait figure de prédateur prélevant deux ou trois têtes de bétail lors du
versement du prix du sang. Chez les Nyamwezi, (Tanzanie) le roi est le
père de tous les habitants et son troupeau sacré de bovins est le lien unissant
tous ses gens aux grands ancêtres ; le meurtre est rupture de la loi et
nécessitait le recours au roi par le groupe de la victime ou par le meurtrier ; le
«prix du sang» était versé devant le roi, qui prélevait alors deux têtes de
bétail (cf. la communication de S. Tcherkezoff in Livre II).
Au terme de ce processus de monopolisation de la justice par l'Etat, la
vengeance de sang se trouve interdite ; ainsi chez les Mossi (Haute-Volta)
et les Lozi (Rhodésie), il ne peut être question pour la famille de la victime
de venger le mort ; les partenaires ne sont plus des groupes sociaux mais des
acteurs individualisés et singuliers soumis à la justice royale (cf. la
communication de M. Izard au Séminaire Système pénal et Pouvoirs, 1981).
2. Dépassement
Dans le système vindicatoire, la vengeance est ritualisée de diverses
manières : elle ne s'exerce pas sur n'importe qui, n'importe quand et
n'importe où. La prise en compte du besoin d'apaisement et de
reconciliation conduit à canaliser l'agressivité et la contenir dans certaines limites.
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tagne seul le contre-meurtre est tenu pour licite ; à la différence des
Caucasiens du Nord (Abkazes, Ossètes...) où le meurtre délibéré est admis en
contrepartie d'un préjudice quelconque, ici on a le droit de tuer que si le
partenaire a déjà tué et le premier meurtre, quelles que soient les
circonstances, est toujours considéré comme accidentel (cf. G. Charachidzé,
ibidem).
Certaines sociétés assignent à la réaction vindicatoire un laps de
temps bien délimité ; chez les Moundang du Tchad, le clan de la victime
dispose de deux jours pour tuer le meurtrier ou l'un de ses frères ; il doit,
passé ce délai, recourir à la divination pour désigner l'homme du clan du
meurtrier, qui sera la victime expiatoire ; le contre-meurtre doit avoir lieu
dans les deux jours suivants, sinon l'affaire doit se conclure par un sacrifice
rituel et le versement de la composition (cf. A. Adler, in Livre I). Chez les
Géorgiens montagnards, les proches parents du mort poursuivent le
meurtrier durant trois ans; ensuite la composition devient inévitable et les
anciens s'interposent pour assurer la conciliation (Cf. G. Charachidzé,
ibidem).
Mentionnons encore le droit d'asile attesté dans de nombreuses
sociétés : le meurtrier trouve refuge soit dans un enclos sacré (Constantinois),
soit chez le chef à peau de léopard (Nuer) ou à la résidence royale (Nyam-
wezi) soit encore dans la maison d'un tiers, même ennemi, s'il franchit le
seuil de la porte et passe autour de son cou la chaîne du foyer (Ossètes).
Dans le Constantinois, toute femme avait la capacité de protéger l'homme
poursuivi : celui-ci se réfugiait dans son giron et par sa posture exprimait le
rapport mère-enfant (cf. la communication de Cl. H. Breteau, in Livre I).
b) De l'apaisement à la réconciliation
Parmi les procédés de ritualisation tendant à suspendre ou clôturer la
vengeance, il convient de mentionner tout particulièrement les procédures
de médiation conduisant à l'apaisement et les rites sacrificiels de
reconciliation.
1. Procédures de médiation
Les femmes sont souvent appelées à exercer la fonction médiatrice
entre les groupes adverses ; ainsi chez les Maengue de Nouvelle Bretagne,
le combat opposant deux fractions du village à propos d'un meurtre devait
cesser si une femme respectée s'interposait et versait de l'eau sur un
brandon enflammé en prononçant des paroles sacramentelles de réconciliation ;
il arrivait ainsi, écrit M. Panoff, que la paix fût rétablie avant qu'il y eût
mort d'homme. Chez les Kabiyè du Togo, les hommes qui se querellaient à
l'intérieur de la Cité devaient déposer les armes si une vieille femme
répandait une traînée de cendre sur le lieu du combat (Cf. R. Verdier, in La
vengeance Livre II). Chez les Nuer, le chef à peau de léopard, auprès duquel le
meurtrier avait trouvé refuge, bien qu'il n'exerçât aucune fonction
politique, administrative ou judiciaire, pouvait négocier le versement de la com-
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pensation ; s'étant alors assuré que la famille du meurtrier était prête à livrer
le bétail de la compensation, il visitait les proches de la victime et leur
demandait d'accepter; ceux-ci, après un premier refus, devaient donner
leur accord sous peine de s'exposer à sa malédiction 19.
Raymond Verdier
Centre droit et cultures
Université Paris X — Nanterre
200, avenue de la République
F-92001 Nanterre-Cédex
RÉFÉRENCES
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3. LE GOFF J., La civilisation de l'Occident médiéval, Paris Arthaud 1964.
4. CASTAN, N et V., Vivre ensemble, Paris, «Archives», 1981 ; CLAVERIE, E. et
LAMAISON, P., L'impossible mariage, Paris Hachette, 1982.
5. Cf. G. COURTOIS, in La vengeance, Livre IV.
6. Cf. M.M. DAVY, in ibidem.
7. Maintenant, s'exclamera un paysan de la Lozère au XIXe s., « la justice a tous les droits » ;
il faisait allusion, la mort dans l'âme, à la disparition de la vengeance privée. Cf.
CLAVERIE et LAMAISON, op. cit. (4), p. 10.
8. BILLACOIS F., « Le duel dans le discours monarchique au XVIIe s. ; communication au
Séminaire Système pénal et Pouvoirs du Centre Droit et Culture. Cf. également PITT-
RIVERS, Anthropologie de l'honneur, Paris, Le Sycomore, 1983, pp. 28-30.
9. Op. cit. (4), p. 254.
10. GIRARD R., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset, 1978, p. 20.
11. LIZOT J., Le cercle de Feu, Paris, Seuil, 1976.
12. Pour mémoire, rappelons le schéma traditionnel d'évolution : 1° Vengeance privée ; 2°
Talion ; 3° Composition volontaire ; 4° Composition légale ; 5° Peines publiques. Partant
de la découverte de codes orientaux antérieurs au Code de Hammourabi G. CARDAS-
CIA a proposé un nouveau schéma d'évolution ; cf. Mélanges Dauvillier. Toulouse, Centre
d'histoire juridique méridionale, 1979.
13. Hegel y voyait le principe sacré de toute justice; cf. GUINLE J.P., «Hegel et La
vengeance », in Livre IV.
14. Chez les Are-Are des îles Salomon, le groupe de la victime a le choix de payer un homme
de guerre pour venger la victime ou d'exiger du meurtrier la livraison d'un cadavre ; cf. D.
de COPPET, «Cycles de meurtres et cycles funéraires», in Mélanges Lévi-Strauss,
Paris-La Haye, Mouton, 1970.
15. MAUSS M., La religion et les origines du droit pénal, 1896; cf. Œuvres Vol 2 , Paris
Minuit, 1974, pp. 651 ss.
16. Dans certaines sociétés, les deux symboles fusionnent : l'honneur réside dans le sang ; il y a
alors équivalence symbolique entre le meurtre et le déshonneur (ex. des Bédouins, de la
Calabre et du Constantinois.)
17. Ainsi, chez les Ossètes, cf. la communication d'A. ITEANU, in La vengeance, Livre II;
chez les Bédouins, l'âme du disparu est transformée en chouette et réclame sans cesse i
boire le sang de sa victime ; chez les Dwala, l'esprit de la victime poursuit l'assassin jusqu'à
le mener à la mort (cf. M. BEKOMBO, in Livre I).
18. CLAVERIE et LAMAISON, op. cit. (4), p. 249.
19. EVANS-PRITCHARD, Les Nuer, tr. fr., Paris, Payot, 1968, pp. 180-181.
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