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Communications

Physique et métaphysique de l'image publicitaire


Georges Péninou

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Péninou Georges. Physique et métaphysique de l'image publicitaire. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp.
96-109;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1216

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1216

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Georges Péninou

Physique et métaphysique
de l'image publicitaire

Un visage de femme, paupières closes, lèvres entrouvertes — désirante?


désirable? — sur une lame de rasoir; une grande blonde souriant dans le corps
d'une bouteille de bière; jaillissant, sculpturale et voluptueuse, d'un flacon de
parfum; un tigre jovial se coulant dans un moteur; un ours bonasse ceignant le
tablier, plein de promesses, des cordons bleus; un tartare musclé peuplant de sa
formidable présence la solitude ménagère; un chevalier don quichottesque
pourfendant, lancejau poing, des taches que des enzymes expéditives — progrès oblige —
liquideront voracement. Des produits, des objets trônant seuls, sur fond d'absolu,
dans une gloire photographique d'apothéose ; se prêtant aux exhibitions les plus
insistantes; autour et à propos desquels se nouent et se dénouent les contes et
les drames les plus inattendus : la publicité s'identifie de plus en plus à ces images
où convergent la violence visuelle, la prouesse technique, l'arrière-pensée
psychologique; qui instituent, parfois en lieu et place d'une culture scientifique,
souvent en parallèle avec une culture instrumentale, une culture prosaïque des biens
et des choses qu'elles poétisent à leur manière et proposent à l'appétit public x.
Dans l'évolution du genre, le passage technique de la réclame à la publicité
s'est traduit par l'importance sans cesse grandissante conférée à la figuration
de l'objet.
La vitrine que César Birotteau fait décorer au centre de Paris est encore à
base de publicité écrite. Qu'il capte l'orientalisme ambiant au profit de la pâte
des Sultanes, ou conclue un méritoire raisonnement de marketing au profit de
l'huile céphalique, le support essentiel du faire-valoir demeure le mot. La
prépondérance du vocable appelle naturellement la discursivité du propos : le
prospectus argumentaire est la pièce maîtresse du dispositif de promotion. Cette
publicité-là relève encore de la littérature, fût-elle littérature de perruque. Elle

1. Des élèves de cours élémentaire interrogés, dans la banlieue parisienne par leur
institutrice ont pu décrire les enzymes, comme « des ronds avec des pattes »; « des petits
ballons avec une grande bouche »; « des insectes », « des petits personnages qui ont des
bras et des jambes »; certains soutiennent les avoir vues dans la lessive de leur mère:
« ils n'avaient pas de tête, mais ils étaient tous raides ». Les grammairiens ne sont pas
tous d'accord sur le sexe des enzymes. Après avoir été masculins, ils étaient officiellement
devenus féminins, du moins chez les scientifiques. La publicité des détergents leur a
redonné le sexe masculin (Cité par A. Gaussel — Laboratoire coopératif de Gennevil-
liers — Pour l'enfant vers l'homme, octobre 69). L'Académie française a définitivement
tranché en faveur du féminin.

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Physique et métaphysique de V image publicitaire

reste en filiation étroite avec les formes archaïques de la publicité orale des
sociétés médiévales et pré-capitalistes1, dont le slogan constitue, de nos jours,
la survivance la plus active. Mais ni les affiches coloriées de César Birotteau, ni
les énormes affiches rouges d'Anselme Popinot ne sont assimilables aux annonces
contemporaines, encore que Balzac les baptise telles, non plus que ces papiers
muraux que venaient déchiffrer les musards % : elles restent encore dans le cadre
typique du fonctionnement d'une image — réduite au dessin — dépourvue
d'autonomie, coulée dans une fonction subalterne, tel que l'assurait le xixe
siècle : assistance de propos, illustration de devise, commentaire de parole s. Rôle
de dépendance, dont s'est départie l'image publicitaire régnante aujourd'hui,
message de plein exercice, par l'intermédiaire essentiel de laquelle les successeurs
de l'eau carminative ou de l'huile de noisette se font connaître, désirer et acheter.
Privée de son vecteur le plus opérant, une publicité sans image n'est plus,
aujourd'hui, représentative du genre, comme elle le fut à une certaine époque;
elle connaît d'ailleurs sa sanction : sentiment de frustration, amoindrissement
de l'intérêt, amenuisement de la réceptivité 4.
Message et paysage à la fois — l'un des rares messages qui soit de surcroît
un paysage (on regarde la publicité, plus contemplée qu'elle n'est lue); lieu de
récréation informative, d'information recréative; expression d'un certain regard
sur l'objet, non de l'objet lui-même, l'image publicitaire accommode sa structure
à sa fonction. Quand on dit qu'elle illustre, il faut l'entendre au sens premier du
terme : pièce maîtresse d'un énorme dispositif panégyriste, elle relève à la fois
d'une hagiographie et d'une apologétique de l'objet.
Les astreintes multiples auxquelles elle est soumise : recherche d'un certain
impact visuel; aptitude à solliciter une pulsion, à mobiliser un intérêt, à
enclencher une conduite ; les traits originaux qui la spécifient : une construction dominée
par sa vocation de message de destination; le recours délibéré aux figures
amplificatrices, pléonastiques et métaphorisantes; la mise en situation signifiante des
objets; « le balancement douteux entre la vérité et la volupté 5 » s'expliquent par
son caractère éminemment engagé, sa fonction d'agent économique : aucune
autre catégorie d'images ne se voit, comme l'image publicitaire, assigner des
fonctions (orienter un flux d'usagers vers les productions ou les services d'une
société) qui iront jusqu'à s'exprimer en termes quantitatifs, dans un laps de
temps circonscrit.
Instrument d'une volonté plus que d'une connaissance, l'image publicitaire
envisage nécessairement l'objectif derrière l'objet. Substitut moderne de la
criée et de tous les antiques systèmes oraux de promotion fondés sur une rhéto-

1. Cf. Gérard Lagneau : Le faire-valoir, une introduction à la sociologie des


phénomènes publicitaires, Sabri, 1969.
2. Le véritable publicitaire n'est d'ailleurs pas tant Birotteau, boutiquier sans grande
envergure que son futur gendre, qui fait appel à une équipe de spécialistes professionnels
(Gaudissart occupant le rôle d'un chef de publicité, Finot celui d'un concepteur
technique) et conçoit une stratégie de diffusion de masse (il passe de la simple décoration
de vitrine à la publicité murale de grand style) appuyée de relations publiques auprès
de la presse.
3. Cf. P. Francastel, Art et techniques, 4e partie.
4. Des mesures systématiques faites, montrent, par exemple des variations
significatives du souvenir entre annonces à dominance d'image (indice moyen : 117) ou
à dominance de texte (indice moyen : 76, par rapport à un indice général de 100).
5. Pascal, L'art de persuader.

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Georges Péninou

rique persuasive de la parole, elle a hérité des mêmes obligations et transposé les
mêmes artifices.
Dans les deux cas, il y a mobilisation de l'outil — la parole, l'image, l'image
et la parole — à des fins économiques, donc recherche du rendement, voire de la
productivité des signes émis; constitution technique de l'outil en considération
de cette fin; estimation ou évaluation de ses performances en rapport avec cette
fin. L'institution publicitaire est un système de communication fondé sur une
exploitation systématique et intéressée de l'image qui prend place, en tant que
telle, dans les dispositifs technologiques de l'échange économique.

UNE INFORMATION SIGNIFIÉE

La nécessité première, la contrainte primordiale à laquelle est soumise l'annonce


publicitaire tient à l'obligation qui lui est faite de se faire remarquer : esse est percipi.
Cette « valeur d'attention » de l'image ne dénote en fait rien d'autre que sa capacité
à figurer, à un rang convenable, dans les scoring qui mesurent, ou tout au moins
numéralisent, les «impacts » visuels des publicités. Ce critère élémentaire
d'évaluation, pour aussi insuffisant qu'il soit (mais d'autant plus contraignant qu'il
demeure, dans la pratique professionnelle, l'un des grands critères usuels,
sanctionnant l'efficacité des annonces ou des campagnes) n'en a pas moins pour
incidence majeure, d'assujettir l'image publicitaire à des critères de performance.
Offensive dans ses buts, il lui est demandé de « frapper », c'est-à-dire en premier
de se faire voir, plus et mieux que ses voisines et concurrentes. Or, l'espérance
de score des annonces n'est pas équivalente. Soumises à une inflation continue
commandée par l'accroissement progressif de l'investissement publicitaire,
qui enfle les parutions et précipite les cadences x, les images, souvent dépourvues
du véritable inédit qui viendrait ranimer l'intérêt défaillant ou aiguiser une
curiosité amortie, décrochées de l'actualité à laquelle les autres illustrations des
magazines ou des journaux doivent leur prise en compte, sont de plus en plus
appelées à se neutraliser l'une l'autre. Dans cette sollicitation sans trêve,
l'image de publicité dispose, au départ, d'une zone potentielle d'influence finie,
que l'on peut circonscrire et pré-évaluer et qui est assignée par le degré
d'universalité de la préoccupation qu'elle incarne et de la catégorie d'intérêt qu'elle
illustre. Sa perception reste, en grande partie, dépendante des centres de
préoccupation des destinataires; du degré de sensibilité ou d'indifférence du public
à l'égard de la catégorie de produit ou de bien représenté 2.
Les nombreuses mesures faites dans le domaine de la perception ou de la
rétention mémorielle des annonces attestent de disparités flagrantes, qui s'accusent
encore quand on passe de la publicité presse à la publicité télé-visuelle, en dépit

1. En France, l'investissement publicitaire global, estimé à 1 801 millions de francs


en 1959, représentait 4 235 millions de francs en 1968, parmi lesquels la publicité presse
représentait 1 800 millions et l'ensemble des médias de masse à support visuel (presse,
affichage, cinéma, télévision) 2 260 millions de francs, (Estimation de l'Institut de
Recherches et d'Études publicitaires, 1969; cf. IREP : Le budget publicitaire français).
2. C'est ainsi que l'indice moyen de mémorisation (technique Gallup Robinson),
d'annonces automobiles est de 172 chez les hommes, de 72 seulement chez les femmes;
celui d'annonces de produits d'hygiène de 68 chez les hommes, de 96, chez les femmes.

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Physique et métaphysique de l'image publicitaire

pourtant d'une plus grande homogénéité des conditions d'exposition et de la


diminution du nombre des variables interférentes.
La nécessité de signifier l'information explique le parti-pris graphique ou le
« scandale visuel » de nombre de manifestes publicitaires. Toute (bonne) publicité
est signalisation de V information (c'est-à-dire information marquée (par
utilisation d'un code formel approprié, spécifique du genre) et non simplement
information (non marquée). Dans les périodes inaugurales de lancement d'un produit,
au cours desquelles la mission impartie à la publicité est avant tout de faire
passer un objet de l'existence à la conscience, la fonction signalisatrice de l'image
s'exacerbe; elle décline ultérieurement lorsqu'est atteint l'objectif de notoriété
et que s'affermit à l'inverse sa fonction predicative. Appuyer la manifestation
de l'information est autre chose qu'informer, et cet accent, — cet écart — est cela
même qui fonde et constitue la publicité, institution qui signifie l'information
plus qu'elle ne la prodigue, au sens même où, dans la langue du droit, parmi
toutes les procédures au travers desquelles une information est susceptible
d'être portée à la connaissance de quelqu'un, on réserve le terme de signification
à une forme de notification particulière, s' appuyant sur un décorum juridique
singulier (l'exploit), décorum que l'on retrouvera, transposé sur le plan graphique,
dans l'image de publicité. Dans un cas comme dans l'autre, forme et substance
du message sont distinctes, mais consubstantielles et c'est leur indissolubilité,
la manifestation du code formel au sein même du message qui crée la
signification juridique dans un cas, le genre publicitaire dans l'autre.
Ce recours au code de la marque, entendu au sens linguistique du terme, le
métier publicitaire en module abondamment les manifestations.
— Code chromatique : l'impact visuel peut être recherché avant tout dans une
manipulation de la couleur : il suffit de jouer sur le choix (adoption préférentielle
de couleurs agressives connues pour leur qualité optique : ex. le rouge d'Elf;
le jaune de Shell); ou sur la fonction (quasi réduction du message à la couleur :
campagnes « bleu ciel » d'Air France).
— Code typographique : l'impact est fondé sur la rupture graphique du syn-
tagme au profit de certains éléments privilégiés du message : cette rupture peut
être obtenue de diverses manières : isolement spatial ( création d'une
discontinuité dans la linéarité du message); changement de caractères typographiques
(passage du droit à l'italique, du simple au gras); modification de la dimension
des caractères (surdimension typographique des accrochages); apposition de
traits distinctifs (le souligné, le cadre, l'entourage, l'indexation).
— Code photographique : recours privilégié aux techniques sélectives de plans
(mise en relief du produit, gommage des fonds); aux techniques emphatiques
de plans (manipulation de l'échelle dimensionnelle ou volumétrique des objets,
effets scéniques grâce auxquels l'objet « oblige le regard »).
— Code morphologique enfin, conduisant à une géographie très particulière
de l'image publicitaire, dont la construction est étudiée de telle manière que le
regard sélectionne, dans l'annonce, les surfaces porteuses des informations-clés :
soit que l'on souhaite qu'elles aient une primauté dans l'exploration visuelle
de l'annonce, soit que l'on souhaite qu'elles concluent le parcours visuel. La
localisation spatiale des éléments commerciaux au sein de l'image, plus largement
au sein de la page, n'est donc pas indifférente, d'autant que l'on sait que les
« patterns » de lecture ne confèrent pas la même valeur aux différents
emplacements de la page. Certaines configurations privilégiées sous-tendent, en
conséquence, l'image publicitaire :

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Georges Péninou
— construction focalisée : l'ensemble de la construction est organisée de
telle manière que des lignes de force convergentes conduisent nécessairement à
un foyer commun qui est le lieu même de l'objet de promotion.
— construction axiale : l'objet de promotion occupe le plan central de la
page.
— construction en profondeur : intégré dans une scène animée ou assisté
d'un décor, l'objet de promotion tient le devant de la scène.
— construction séquentielle : construction la plus proche d'une construction
cinétique, dans laquelle le regard, après s'être porté sur l'illustration majeure
(composante aperitive du manifeste) chute à l'endroit même ou s'achève
l'exploration — le plus généralement au bas du quadrant inférieur droit de la page —
sur le produit conditionné (composante commerciale du manifeste) après que
l'œil, pour emprunter la formule de Klee « ait suivi les chemins qui lui ont été
ménagés dans l'œuvre »x. '

UNE INFORMATION IMPLICATIVE

Vouée à un usage actif, l'image de publicité ne se contente pas de solliciter


le regard par des artifices de « rhétorique visuelle », elle explicite qu'elle est
image pour destinataires : au sens plein du terme, image de commerce. Ces
destinataires, absents de l'image, la rendent intelligible : ils donnent sens à ces index,
signalisateurs ou prescripteurs, pointés vers l'avant, à ces mains qui brandissent
ou exhibent, à ces yeux fixés, levés sur des lointains, à ces sourires sans témoin,
à ces personnages ambivalents — protagonistes et récitants — , quittant le rôle
d'acteur qu'ils ont semblé jouer dans une partie de l'image pour endosser celui
de présentateur dans une autre partie de l'image. Image d'interpellation ou
d'intimation; image oblative; image de compagnie, au sens ou Valéry pouvait
dire de la littérature du xvne siècle qu'elle était littérature de compagnie.
(Elle n'est pas de V homme seul; voyez sa syntaxe, on ne prend pas ces tours
pour se parler — de même en publicité, ne prend-on pas ces poses pour soi
seul.)
En affichant sa caractéristique fondamentale d'image pour autrui, l'image
publicitaire manifeste, ce faisant, qu'elle est tout entière commandée par l'extra-
version. Elle n'a pas pour pivot l'émetteur mais le destinataire. Dans le schéma
de communication ci-après proposé, elle se déploierait dans un espace circonscrit
par l'objet (toute publicité étant publicité de quelque chose est nécessairement
référentielle), le message (toute publicité faisant effort sur ses signes pour leur
faire produire effet, assume nécessairement la fonction poétique) et le
destinataire (toute publicité étant tournée vers le public visé, met l'accent sur la
fonction conative) : l'image de publicité-type, adossée à une technique artistique
sans laquelle elle ne serait pas (en tant que manifeste d'essence poétique) se
déplacera à l'intérieur de cet arc, le manifeste équilibrant le mieux les fonctions
se situant en quelque sorte au point de rencontre de la droite bissectrice avec
l'arc.

1. Paul Klee : Théorie de l'art moderne, chap. 9.

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Physique et métaphysique de l'image publicitaire

L'ETRE

(fonction
EMETTEUR
expressive) (fonction
MESSAGE
poétique) (fonction
DESTINATAIRE
conative)
I LE POUR SÔT LE POUR AUTRUI
LA REPRESENTATION

A l'inverse, l'image journalistique (la photo reportage par exemple) ou l'image


esthétique (la photo artistique par exemple) sont orientées vers l'autre partie
du plan et prennent position sur l'arc formé par le message, le réfèrent et
l'émetteur : la première plus près du réfèrent que de l'émetteur, la seconde plus près
de l'émetteur que du réfèrent : c'est parce que ni l'une ni l'autre ne signifient
leurs destinataires alors que l'image de publicité structuralement les signifie,
qu'elles se déploient sur deux portions d'espace différentes.
Dans la réalité, un manifeste publicitaire équilibré se présentera rarement :
l'image balayera l'espace circonscrit précédemment pour se poser en un point
distinct du lieu géométrique indiqué, plus près du destinataire ou plus près du
réfèrent selon l'une ou l'autre des grandes missions qu'elle se voit assigner :
épiphanique (signifier une apparition sur le marché) ; constative (rendre compte
d'une existence); predicative (exalter une valeur). Elle pourra même se déporter
sur l'autre versant du plan, notamment dans le cas de messages foncièrement
dénotatifs dont le texte (mais non l'image) assume intégralement la fonction
conative ou dans le cas d'images narratives ou panoramiques à caractéristiques
documentaires (photographies d'une plantation, d'une installation industrielle,
d'une cave-entrepôt venant appuyer l'origine d'un café, d'un camion, d'un
cognac.)
Si l'orientation vers le destinataire explique le recours à la rhétorique
publicitaire, il y a lieu toutefois de ne pas assimiler la fonction conative et la procédure
rhétorique, qui la déborde, même si elle est ce grâce à quoi elle s'exerce avec le
maximum de puissance. L'image de publicité appartient à l'espace rhétorique
du fait même de son caractère d'information signifiée, marque ou insistance
révélatrices à tout le moins d'une prise de position de l'émetteur sur l'information
qu'il dispense; elle s'y déploie, de surcroît, par son parti-pris délibéré de dépasser,
voire de transgresser la littéralité de l'objet dont elle doit rendre compte, l'analogie
strictement conforme.
La fonction implicative, quand elle est assumée dans le texte, l'est éminem-

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Georges Péninou

ment, au travers de l'impératif, modalité grammaticale du commandement,


de l'exhortation et du conseil. Elle peut être de surcroît sursignifiée par un
traitement graphique multiplicateur d'effet, de caractère plus ou moins oppressif.
L'image peut exercer, sous certaines conditions, et à des degrés divers,
cette fonction, pour autant qu'y concourent des codes relevant de la technique
photographique (lorsque l'éclairage vient du fond, l'objet ou le personnage
porteur d'objet sont par exemple portés vers celui qui les regarde), la situation
des personnages et des objets sur le plan, et l'expression physique des visages.
La forme la plus caractéristique de l'image implicative est liée à la situation
frontale des personnages, yeux fixés vers un spectateur absent auquel ils font
face; cette situation met toujours le personnage de l'annonce en position de
supériorité par rapport au lecteur à qui il s'adresse. Il a l'initiative de la
proposition et n'est quasiment jamais en situation de réponse. L'absence physique
de l'interpellé fait du seul personnage présent l'interpellant : situation-type,
homologue de l'impératif scriptural, dont Jakobson faisait remarquer qu'il
ne peut être soumis à une épreuve de vérité. De même, dans ce dialogue fictif
où un seul acteur se dévoile, rien dans son port, en l'absence même de tout
texte, ne permettrait de conclure à la supplique ou la supplication : le geste est
celui, autoritaire et assuré, du porteur de feu : prescriptif (index pointé à
l'horizontale), démonstratif (index levé); indicatif (index baissé). Le regard est droit,
les yeux grands ouverts tournés délibérément vers le lecteur de la page. Si les
yeux se baissent, fixent un détail de l'objet ou fuient, obliques, vers le lointain,
le message conatif s'efface. L'ambiguïté de certaines images de publicité provient
de ces faux regards qui n'interpellent ni n'appellent, tels ces fumeurs allumant,
yeux baissés, leurs cigarettes, tenant au creux de leurs mains le paquet;
curieusement, c'est ce dernier qui par transfert assume en fait, de par sa position
frontale, la fonction conative 1.
La position frontale, caractéristique du « je », ne créera l'implication que par
l'intercession, obligatoire, d'un certain regard. La célèbre femme à la rose de
Rosy, manifeste frontière entre la publicité et l'art, n'est pas un message pour
autrui parce qu'il est précisément dépourvu de regard, et qu'il échappe, du
fait de l'absence de tout indice concret, de toute perspective temporelle, à la
contingence d'un rôle : ce n'est pas un Je, mais la Femme, la Féminité :
atteignant à l'archétype par cet extrême dépouillement de l'environnement, et
l'oblitération absolue du regard. Si ce regard avait été ouvert, dirigé sur le lecteur,
il aurait effacé la Femme, rattaché une femme à un commerce; regard baissé
sur son corps, elle eût été la Pudeur — non la Femme : paupières fermées, elle
eût été l'offrante (consentante) ou l'offerte (résignée); levées, elle eût été
l'(impl)orante.
Plus ambigus dans leur affectation, sur l'arête des deux versants de la
présentation et de la figuration, sont les personnages de trois-quart: le regard, moins
offensif, ne cherche plus la rencontre directe de l'autre; cette ambiguïté du rôle
et cette équivoque d'un regard qui a cessé d'être incisif, rend l'implication
moins directe, la pression moins forte : le personnage de trois-quart est plus
proche de l'invitation que de l'intimation, de la suggestion que de la prescription,
du témoignage que de l'affirmation. Ouvrant la porte à la contemplation, il

1. Face principale du paquet — où s'exprime son identité commerciale — tournée


vers le spectateur, alors que la logique voudrait que le paquet se présentât
différemment.
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Physique et métaphysique de Vintage publicitaire

est par excellence le personnage le plus chargé d'interrogation, le plus énigmatique,


celui vis-à-vis duquel le désengagement est le plus concevable. Dans l'esthétique
publicitaire, il est appelé à jouer un rôle eminent : étant le plus proche du portrait,
il sera sollicité quand il s'agira au travers d'un visage d'exprimer non plus une
volonté (comme le personnage frontal), mais une psychologie: personnage plus
secret, plus intérieur, au sourire absent ou discret (à l'inverse du personnage
frontal, visage conquérant, sourire épanoui), il reste le type grâce auquel, au
sein du monde de l'Avoir (dont le présentateur se fait le héraut) se récupère la
Personne.
La force impliquante de l'illustration publicitaire s'abaisse encore quand elle est
construite sur le mode de la troisième personne. Dans de telles situations,
l'ensemble de l'image bascule dans l'anecdote et le discours oculaire — dialogue tronqué
du présentateur axial, clin d'œil du portrait — fait place au récit. Le présentateur
se mue en protagoniste, le héraut en héros, le récitant en acteur. Toute relation
avec le lecteur rompue, les poses peuvent changer : les corps reprennent leur
liberté, les groupes se forment, centrés sur l'objet, vers qui convergent les regards.
A l'incitation du regard direct, à l'équivoque du regard oblique, se substitue
l'indifférence du regard détourné. Le lecteur reste étranger à ce qui devient
un tableau, une construction scénique à laquelle il n'est point convié. Le frontal,
le trois-quart ont cédé la place au profil qui se décode en « il » ou « elle ». Si le
dialogue s'établit, c'est entre protagonistes, dans un face à face de couple ou
dans un vis-à-vis de groupe. Car l'image à la troisième personne, en se prêtant
ou en donnant prétexte à l'anecdote, s'accommode, mieux que toute autre, de
la société, de même que, nourricière d'histoires, elle inscrit, mieux que toute
autre, l'objet dans la contingence historique.
Dans ces messages objectifs, l'implication n'est toutefois pas absente. L'image
construit sur la base du transfert ce qu'elle ne peut édifier sur la base du regard :
le code de la position s'efface au profit du code de l'identité : c'est le choix même
des personnages, en tant que représentatifs d'un certain monde social, ou d'un
certain type d'être, qui fera ou non fonctionner l'identification — partant
l'implication. Porteurs, grâce à des signifiants précis, du sens dont on les veut
dépositaires : l'aisance matérielle, la réussite sociale ou sexuelle, la féminité
exquise, la virilité flatteuse, ils sont l'alter ego symbolique, la sublimation
phantasmatique d'un moi caressant, à travers eux, son propre embellissement.

UNE INFORMATION PREDICATIVE

Parce que publicité de quelque chose, la publicité a toujours un contenu


référentiel. Le produit ou le bien que le texte nomme, que le graphisme
souligne, et dont l'argumentation exalte abondamment les qualités, est rarement
absent de l'image. Sa manifestation peut être différée, dans les publicités
séquentielles qui restent, intentionnellement, énigmatiques pendant tout le
temps où l'image n'autorise aucune identification du réfèrent commercial; la
signification des ronds rouges ou d'une fille blonde à croquer est suspendue
jusqu'à ce qu'apparaissent le sigle d'un carburant nouveau, ou le paquet de
chips dans les bras de la blonde. Il peut arriver aussi que l'image soit
totalement dispensée d'assumer toute représentation du réfèrent, qui ne s'exprimera

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que dans le texte. Mais ce partage extrême reste exceptionnel. Généralement,


l'illustration montre l'objet, mais sa structure se modifie profondément, selon
qu'elle doit présider à son apparition, à sa présentation ou à sa qualification.
Dans les messages d'apparition, le signifié du message n'est pas l'objet, mais
sa venue sur le marché. Un certain dynamisme interne parcourt l'image : dans
ces messages, dont beaucoup s'appliquent à des produits nouveaux et annoncent,
par l'intermédiaire de « voici », les couleurs, il s'agit d'exprimer, au niveau même
de l'image, que quelque chose est désormais, qui n'était pas; ou que quelque
chose revient, qui n'était plus; ou que quelque chose renaît modifié, qui était
autre : messages d'avènement et d'événement, ils ne peuvent être organisés
comme les messages d'existence : leur structure, active, inclut un certain
mouvement et se construit sur une dynamique de l'irruption : l'objet, venu du fond
de l'image (porté par un ange fantastique; exhibé par un présentateur, ou
suivant une trajectoire le long de laquelle il ne cesse de s'amplifier) éclate en
premier plan, de manière souvent hypertrophiée. Les contraintes d'espace se
résolvent à son profit (le présentateur peut être miniaturisé, l'objet sera gigantisé;
le présentateur peut être tronqué ou métonymisé, l'objet restera entier). Dans
la plupart des cas, cet objet, faisant irruption sur l'image, sera seul. Le
personnage, encore qu'on lui fasse le plus fréquemment tenir le rôle de présentateur
(situation axiale ; regard frontal ; objet tendu ou projeté en avant), n'est pas astreint
à ce rôle : il peut aussi assister, comme témoin (dégagement du plan axial;
regard rivé sur l'objet; objet tenu ou distant) à l'apparition. Dans les cas
extrêmes, l'objet est absent mais un personnage proclame sa venue prochaine :
ce sont les rares messages publicitaires de l'annonciation.
Les messages de présentation sont organisés différemment; au sens strict du
terme, la présentation ne se confond pas avec la représentation. La première
est un procès ; elle implique au moins un acteur — le présentateur — qui assume
d'ailleurs ipso facto, par son intervention dans l'image, le caractère conatif
du message. Ce présentateur peut n'être pas un personnage. Dans la zoologie
publicitaire, des chats, des ours, des crocodiles, des ratons-laveurs ont pu se
voir conférer ce privilège.
La mise en situation de présentation de l'objet ne saurait se confondre avec
sa mise en situation signifiante : les deux régimes de l'image sont aussi distincts
que leur esthétique et leur but. La présentation publicitaire fait l'objet d'une
codification relativement aisée à inventorier, distincte d'ailleurs selon qu'il
s'agit d'un produit (volume réduit) ou d'un bien (volume important).
Relativement proche des messages fondés sur l'apparition, mais de structure moins
dynamique — il n'est plus proclamation publique d'une naissance — on y
retrouvera volontiers, dans les meilleurs d'entre eux, l'exposition frontale du
présentateur, ou, à tout le moins, l'élévation, dans l'axe de l'image, du produit;
le relatif effacement du présentateur par rapport au produit présenté; la
singularité de l'objet; la sobriété ou l'absence de l'environnement.
L'équivoque, en revanche, ne manquera pas de naître chaque fois qu'il y
aura divergence entre la fonction du personnage et son statut réel sur l'image ;
chaque fois, en d'autres termes, que le créateur d'image n'a pas su choisir
entre le rôle de figuration et le rôle de présentation, ou, comme on l'a déjà
vu, entre la structure à la troisième personne et la structure à la première
personne. L'ambiguïté, sur le plan de l'image, s'exprimera, notamment,
par ces faux-présentateurs de trois-quart, parfois même de profil, tenant un
objet en position rigoureusement frontale, désaxée par conséquent par rapport

104
Physique et métaphysique de Vintage publicitaire

à leur personne, et dont les regards, incapables de saisir ceux du lecteur,


incapables de se porter sur l'objet, sont réellement égarés.
Les seuls messages réellement ontologiques de la publicité sont ceux où le
produit figure, seul, archétypique — archétypique parce que seul — proclamant
l'éminence de sa perfection dans l'évidence même de son existence. Ces messages,
où la qualité est consubstantielle à l'être, appellent l'énucléation totale du cadre,
la captation totale de l'Être par l'Objet — l'identité donc de l'objet et de l'Être.
Contrariés par le nombre, dénaturés par le décor, diminués par l'anecdote, ils
requièrent le premier plan (fond flou), le monopole de la lumière (fond sombre),
le monopole de la présence (fond vide), le monopole de la couleur (fond noir);
ils appellent la raréfaction du mot (souvent réduit au nom de marque), l'absence
de toute sollicitation argumentaire. Messages de l'Être, ils fondent leur autorité
sur la sobriété, le laconisme ou le silence *.
Encore faut-il que, dans sa solitude, l'objet parvienne à n'exprimer que son
essence : s'il donne prétexte à la narration, fût-ce par une amorce, son statut
change, fondamentalement. Point n'est besoin de personnage ni de cadre pour
que naisse le récit ou que s'institue la fable. Il suffit qu'il y ait avec lui un
quelconque commerce, ou possibilité d'un tel commerce. Cette bouteille de
champagne ouverte, dont le bouchon traîne, à proximité; cette bouteille de bière, à
moitié entamée, accompagnant un verre vide, où la mousse est encore visible;
ce fromage posé sur une assiette, sur laquelle ne demeurera bientôt qu'un couteau
vide; autant de récits sans légende, que l'imagination reconstitue sans peine, et
qui changent la détermination de l'objet; on repasse du « je » au « il », de l'immense
prosopopée par l'image qu'était l'auto-présentation intemporelle à la fable
qu'autorise sa réinsertion dans l'histoire.
Si le cadre se reconstitue, si les personnages apparaissent, le produit se replace
ostensiblement dans sa dimension contingente, il se prête à nouveau à
l'affabulation et donne naissance au récit. Le « je suis » péremptoire de l'objet seul,
souverain dans son silence, cède la place au « je participe » du produit en acte.
Faute d'exprimer son essence, dans une économie calculée de moyens, le produit
déploie dans l'espace (et la profusion) ses qualités : minestrone déversant avec
prodigalité sur l'image, en autant de solidifications élémentaires de ses vertus,
ses ingrédients naturels : beaux légumes, épices et vraies pastas italiennes;
pot au feu ensaché, environné de toute une quincaillerie rustique, chaudrons,
soupières, poêlons, terrines; lait concentré ouvrant sur une large vision
champêtre, vaste panorama de la nature-mère : la rhétorique predicative, comme la
rhétorique implicative, aboutissent, l'une vis-à-vis de l'objet, l'autre vis-à-vis
du lecteur, à la même sur-détermination des signes; signes de l'intention d'une
part, signes de la réception d'autre part. La compréhension du message, sur le
double plan de sa signification et de sa destination, est facilitée par la redondance.
Elle est une grande constante de l'image : non seulement dans ses relations
avec le texte (fondées le plus souvent sur une réassurance mutuelle) mais aussi
dans son contenu, où la prodigalité des éléments fait rarement obstacle, tant
ils sont convergents, à l'unicité du sens. Près de ce paquet de cigarettes, cette
clé de contact (de Rolls Royce), ces gants de peau, ce pommeau de canne gainée

1. Ces messages de l'essence, où l'être et la valeur de l'objet sont confondus,


abandonnent nécessairement tous signifiants de l'implication; la personne est absente; l'objet
ne peut entretenir un quelconque commerce avec quiconque; dans ce type de message,
il n'y a donc pas d' « avances » concevables de la part de l'objet.

105
Georges Péninou
de cuir, ce Times négligemment abandonné sur un guéridon Louis XVI, disent
chacun, isolément, ce qu'ils expriment de concert. Ils sont, au niveau de l'image,
autant de mamelles nourricières où le standing de la cigarette viendra se fortifier,
l'équivalent, dans l'illustration, des textes où tous les mots, soigneusement
choisis, se veulent denses et lourds de sens.
Il n'y a pas surcroît d'information — la quantité d'information délivrée
par une publicité est réduite, compte tenu du nombre de signes investis —
mais volonté de saturation signifiante, mobilisation des signes en vue de la
création d'un sens évident. Les fabuleux jardins hindous que le maharadjah de ...
met à la disposition du quart Perrier; les luxueux salons où reçoit, Champi-
gneulles en mains, l'Honorable Winston Gorakine, les haras, golfs et courts
qui servent de cadre d'évolution à l'indian tonic Schweppes, manifestent
dans l'organisation de l'image la prépondérance de la valeur (le standing) sur
l'objet (la boisson) : le rang et la notabilité des actants, l'éclat de leurs demeures
et de leur patrimoine, la qualité de leurs détentes, enserrent l'objet dans la
détermination prescrite. On illustrerait aisément, dans la sursignification de
l'image de publicité, le procès du mythe comme «parole excessivement justifiée s1.
En glissant de l'essence à l'existence, l'objet perd son hiératisme (abandon
de sa position axiale), réduit sa stature (diminution de son échelle), partage
l'espace (évacuation du premier plan) et cesse, par lui-même, de nourrir
l'imagination. Il est prêt à endosser, en revanche, par une transsubstantiation
remarquable, les valeurs qu'une greffe symbolique, puisée dans l'environnement,
peut lui conférer. Celui-ci, maître de la qualification de l'objet (partant, de son
destin commercial) devient, à tous égards, la majeure du manifeste; intégré
dans la scène, l'objet peut n'y occuper qu'un rang discret.
En auto-présentation, il était à lui-même son propre langage, parlait à ceux
à qui il s'exposait. En représentation, il est plutôt figurant sans voix, parlé
par ce qui l'environne : le langage s'est déplacé de l'objet à ceux, êtres ou biens,
qui ont la responsabilité de se faire les interprètes sensibles d'une qualité qu'il
s'appropriera, au terme d'un classique transfert par contiguïté.
C'est parce que, dans de telles situations, l'incorporation de l'objet au sein
même du milieu qui doit lui servir de source de qualification peut être ridicule,
ou même franchement inepte, que l'objet de promotion peut en être expulsé et
se retrouver, hors l'image principale, dans un sous-espace réservé à la fonction
commerciale du manifeste. A quoi l'on voit bien qu'il a cessé d'être nécessaire;
que l'image, construite dans une finalité predicative précise, peut se passer de
lui. Il y a dans ce type de construction, partage fonctionnel des deux espaces :
l'espace majeur, à vocation axiologique, l'espace mineur, à vocation référentielle.
Ce serait donc une erreur que d'assimiler, en publicité, fonction référentielle
et dénotation. Lorsque l'image publicitaire prend en charge l'objet, son propos,
il ne faut pas l'oublier, consiste à le promouvoir, ou, si l'on préfère, l'exalter.
Il ne peut donc y avoir restitution analogique, copie passive d'une réalité
extérieure. Le traitement de l'objet est, dans le genre, l'équivalent de la tournure
du langage, le détour périphrastique et hyperbolique qu'emprunte le faire-
valoir (qui n'est pas le simple faire-savoir) de l'objet. L'abandon de toute repré-

1. Cf. Barthes et la motivation frauduleuse du signe, Mythologies p. 234. Baudrillard


et la signification psycho-sociale de la redondance des signes, « La morale des objets »,
Communications, n° 13, p. 34. Genette et l'innocentement du signifié par la naturalité
du signe, Figures p. 195.

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Physique et métaphysique de l'image publicitaire
sentation strictement analogique et, par voie de conséquence, le « travail »
dont est l'objet le signe de publicité, qu'il s'agisse du signe graphique, du signe
iconique ou du signe linguistique, suffiraient à ranger la publicité dans la
catégorie des messages à structure poétique, encore que, information à caractère
esthétique, la publicité ne soit pas un message à vocation artistique, même si la
faculté des créateurs demeure, au travers de l'image, d'exprimer leur
sensibilité tout en rendant compte d'un produit. Mais la caractéristique poétique
de l'image, pour aussi développée qu'elle soit, ne saurait être prépondérante,
sous peine de mettre en danger la communication convenable de l'information
souhaitée. Les équivoques de la représentation publicitaire naissent parfois de
l'interférence abusive de la préoccupation esthétique dans la fonction
référentielle, dont on a fait remarquer que, si elle n'oblitérait pas la référence, elle la
rendait du moins ambiguë 1.

UNE INFORMATION SIGNIFIANTE

Dans chacune de ses grandes manifestations : la présentation, qui relie


l'objet à la conscience; l'anecdotisation, qui situe l'objet dans la culture;
la métaphorisation, qui soude la valeur à l'objet, il s'agit à chaque fois d'une
image instituante, qui se propose, d'un produit saisi à son état de nature —
chose manufacturée, ustensile, inexpressive, de faire un signe. La reproduction
analogique s'y épuiserait sans y parvenir. C'est pourquoi la présentation, pour
aussi sommaire qu'elle soit, n'est jamais transposition littérale du produit.
Coupé de son contexte d'usage, communiqué dans un message dont il est le
seul sujet, manifesté plus que reproduit, il est déjà autre, du seul fait qu'on en
signifie la notabilité, l'éminence ou l'exemplarité : cette présentation n'est
donc pas exempte d'un sens second. De même, le récit photographique, en
publicité, inverse-t-il les rapports qu'entretient, avec le monde, le reporter
photographe ou le dénicheur d'images : ceux-ci saisissent la scène, alors que
lui s'en saisit. Au lieu d'aller de la scène au sens (la qualité de l'événement
préexiste à la prise de vue), il va du sens à la scène (il pose les rapports qui
motivent la prise de vue). Robert Doisneau, « prenant » un oiseau sur une statue
capte, avec clairvoyance et perspicacité, une contingence (« c'est le vrai hasard,
je n'ai eu qu'à appuyer »): l'événement est préexistant au sens. Le publicitaire
place l'oiseau sur la statue, et « prend » : le sens est préexistant à l'événement.
Enfin, la métaphore, dont la publicité est si friande, témoigne, plus sans doute
qu'aucune autre figure, de la distance prise avec l'analogie pure : elle peut aller
jusqu'à la mise en congé totale de l'objet, dont il ne serait même plus exact de
dire qu'il est « représenté » par objet ou personne interposés, tant il est vrai
que cette interposition ne se fait pas à son profit, mais au nom et pour le compte
d'un de ses attributs.
On est, en réalité, insensiblement passé de la fonction strictement référentielle
à la fonction predicative et symbolisante de l'image. La publicité opère dans
l'au-delà de la valeur d'usage, quand il s'agit d'attribuer aux produits une
signification somme toute arbitraire. Il faut littéralement, pour reprendre
une expression de Barthes, « frapper de sens » des choses qui, dans la « praxis »

1. R. Jakobson, Essais de linguistique générale, Éditions de Minuit.

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Georges Péninou
ont naturellement des fonctions, mais pas de sens, et ne peuvent donc en être
qu'artificiellement dotées dans le « logos » : la virilité ne peut être associée à une
cigarette, la sportivité à un after-shave, la sexualité à une lame de rasoir;
l'appartenance sélective à un Ordre (les « indomptables », les « irrésistibles », « les
seigneurs », « les nouveaux européens »), ne peut reposer sur d'aussi dérisoires objets
que pour autant que le propos publicitaire ait été dirigé non vers le substantif,
mais vers le prédicat.
Ici réside, dans sa deuxième acception, l'intentionnalité de l'image. La
première recouvrait sa qualité d'image-pour-autrui, dont rend compte la structure
en dialogue tronqué des manifestes de présentation et d'implication et l'ensemble
des signes qui, au sein même de l'image, proclament son orientation vers les
destinataires. La seconde recouvre la nécessité où se trouve l'image, si elle se
veut lieu du sens de l'objet, de témoigner de cet objet sous quelque rapport:
en d'autres termes, d'être vision tout en restant visée. Le signe tangible de
l'intention, au sens husserlien du terme, réside dans la figure de rhétorique
utilisée, dont l'emploi, nécessairement motivé, laisse transparaître la vision
élective du produit qu'on souhaite en donner au destinataire : après un certain
sourire au destinataire, un certain regard sur l'objet.
Traiter métonymiquement l'objet en recourant à une synecdoque
photographique (cadrage partiel, gros plan), en ne montrant de lui qu'un élément
discret : un tableau de bord, une fermeture de portière, un cendrier ou un siège,
en lieu et place d'une voiture, ce n'est pas faire référence à la voiture, mais
signifier, délibérément, ce à travers quoi il convient de la considérer : le luxe,
la finition, le standing ou le confort. Le traiter métaphoriquement en lui
accolant, ou en lui substituant des objets ou des personnages qui sont, de toute
évidence, ou incongrus, ou porteurs d'un sens figuré, c'est signifier, délibérément
non pas le produit, mais sa valeur (fraîcheur, naturalité, standing, douceur)
et ne vouloir signifier qu'elle, puisque la métaphore est ablation de tous les
attributs de l'objet sauf celui-là ou ceux-là même qu'elle illustre exclusivement
et entend signaler à l'attention commune.
L'audace dans le traitement de la figure dépendra de la position adoptée à
l'endroit de la double exigence d'originalité et d'intelligibilité, entre valeur de
perception et valeur de communication. La seconde appelle une certaine conven-
tionnalité, que traduit la médiocrité de beaucoup d'associations publicitaires,
cristallisations de clichés culturels immédiatement et universellement décodables
(la rosée et la fraîcheur; la cime et le sommet de la qualité; l'herbage et la
naturalité; le bonnet phrygien sur le radiateur, et la révolution dans le chauffage).
La première pousse l'image publicitaire vers le trans figuratif plus que vers le
figuratif, vers le fantastique plus que vers l'imitatif, vers le surréel plus que
vers le réel. Pour échapper à la banalisation et créer l'effet de surprise, l'image
publicitaire moderne, rejetant la coïncidence de l'analogie pure et la familiarité
acquise des similitudes entretenues, tendra à l'hyperbole plus qu'à la parabole *.

1. Au sens entendu par G. Genette dans son étude sur les Sonnets d'Amour de Jean
de Sponde : « Sans trop d'infidélité à l'usage et à l'étymologie, on pourrait appeler
paraboles les figures qui respectent et épousent les liaisons naturelles des choses et qui
ne disposent dans une proximité de langage que les réalités qu'elles trouvent déjà
disposées d'elles-mêmes dans une proximité d'être; on appellerait hyperboles les effets
par lesquels le langage au contraire, rapproche comme par effraction des réalités
naturellement éloignées dans le contraste et la discontinuité... L'image surréaliste, qui vaut

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Physique et métaphysique de Vintage publicitaire

C'est sur l'insolite de la vision et l'insolence du rapport — paradoxal, outré,


inopiné — (un buste grec enduit d'une mousse à raser; une amoureuse sur une
lame de rasoir; un foulard noué au col d'une bouteille d'apéritif, une fleur
protubérante au-dessus de Paris) qu'elle compte de plus en plus pour s'assurer un
bon impact visuel — lié à une certaine désaccoutumance du regard — et
transmettre une certaine dose d'information — liée à une certaine imprévisibilité
de son contenu. Au-delà de la perception et de la communication, il y a
l'ébranlement espéré du destinataire, l'acte de volonté dont la provocation ou la
facilitation recherchées rendent impropre la neutralité du publicitaire et sujette à
torsions la réalité qui l'inspire : image emphatique; image empathique;
emphatique pour être empathique : en publicité, le calcul psychologique est toujours
au départ du parcours rhétorique.

Georges Péninou
Département des Recherche», Publicis, Paris.

explicitement par l'ampleur de l'écart et l'improbabilité du rapprochement, c'est-à-dire


sa teneur en information, est le type même de la figure hyperbolique » (Hyperboles, in
Figures, p. 251).

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