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Péninou Georges. Physique et métaphysique de l'image publicitaire. In: Communications, 15, 1970. L'analyse des images. pp.
96-109;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1970.1216
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1216
Physique et métaphysique
de l'image publicitaire
1. Des élèves de cours élémentaire interrogés, dans la banlieue parisienne par leur
institutrice ont pu décrire les enzymes, comme « des ronds avec des pattes »; « des petits
ballons avec une grande bouche »; « des insectes », « des petits personnages qui ont des
bras et des jambes »; certains soutiennent les avoir vues dans la lessive de leur mère:
« ils n'avaient pas de tête, mais ils étaient tous raides ». Les grammairiens ne sont pas
tous d'accord sur le sexe des enzymes. Après avoir été masculins, ils étaient officiellement
devenus féminins, du moins chez les scientifiques. La publicité des détergents leur a
redonné le sexe masculin (Cité par A. Gaussel — Laboratoire coopératif de Gennevil-
liers — Pour l'enfant vers l'homme, octobre 69). L'Académie française a définitivement
tranché en faveur du féminin.
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reste en filiation étroite avec les formes archaïques de la publicité orale des
sociétés médiévales et pré-capitalistes1, dont le slogan constitue, de nos jours,
la survivance la plus active. Mais ni les affiches coloriées de César Birotteau, ni
les énormes affiches rouges d'Anselme Popinot ne sont assimilables aux annonces
contemporaines, encore que Balzac les baptise telles, non plus que ces papiers
muraux que venaient déchiffrer les musards % : elles restent encore dans le cadre
typique du fonctionnement d'une image — réduite au dessin — dépourvue
d'autonomie, coulée dans une fonction subalterne, tel que l'assurait le xixe
siècle : assistance de propos, illustration de devise, commentaire de parole s. Rôle
de dépendance, dont s'est départie l'image publicitaire régnante aujourd'hui,
message de plein exercice, par l'intermédiaire essentiel de laquelle les successeurs
de l'eau carminative ou de l'huile de noisette se font connaître, désirer et acheter.
Privée de son vecteur le plus opérant, une publicité sans image n'est plus,
aujourd'hui, représentative du genre, comme elle le fut à une certaine époque;
elle connaît d'ailleurs sa sanction : sentiment de frustration, amoindrissement
de l'intérêt, amenuisement de la réceptivité 4.
Message et paysage à la fois — l'un des rares messages qui soit de surcroît
un paysage (on regarde la publicité, plus contemplée qu'elle n'est lue); lieu de
récréation informative, d'information recréative; expression d'un certain regard
sur l'objet, non de l'objet lui-même, l'image publicitaire accommode sa structure
à sa fonction. Quand on dit qu'elle illustre, il faut l'entendre au sens premier du
terme : pièce maîtresse d'un énorme dispositif panégyriste, elle relève à la fois
d'une hagiographie et d'une apologétique de l'objet.
Les astreintes multiples auxquelles elle est soumise : recherche d'un certain
impact visuel; aptitude à solliciter une pulsion, à mobiliser un intérêt, à
enclencher une conduite ; les traits originaux qui la spécifient : une construction dominée
par sa vocation de message de destination; le recours délibéré aux figures
amplificatrices, pléonastiques et métaphorisantes; la mise en situation signifiante des
objets; « le balancement douteux entre la vérité et la volupté 5 » s'expliquent par
son caractère éminemment engagé, sa fonction d'agent économique : aucune
autre catégorie d'images ne se voit, comme l'image publicitaire, assigner des
fonctions (orienter un flux d'usagers vers les productions ou les services d'une
société) qui iront jusqu'à s'exprimer en termes quantitatifs, dans un laps de
temps circonscrit.
Instrument d'une volonté plus que d'une connaissance, l'image publicitaire
envisage nécessairement l'objectif derrière l'objet. Substitut moderne de la
criée et de tous les antiques systèmes oraux de promotion fondés sur une rhéto-
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rique persuasive de la parole, elle a hérité des mêmes obligations et transposé les
mêmes artifices.
Dans les deux cas, il y a mobilisation de l'outil — la parole, l'image, l'image
et la parole — à des fins économiques, donc recherche du rendement, voire de la
productivité des signes émis; constitution technique de l'outil en considération
de cette fin; estimation ou évaluation de ses performances en rapport avec cette
fin. L'institution publicitaire est un système de communication fondé sur une
exploitation systématique et intéressée de l'image qui prend place, en tant que
telle, dans les dispositifs technologiques de l'échange économique.
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Physique et métaphysique de l'image publicitaire
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— construction focalisée : l'ensemble de la construction est organisée de
telle manière que des lignes de force convergentes conduisent nécessairement à
un foyer commun qui est le lieu même de l'objet de promotion.
— construction axiale : l'objet de promotion occupe le plan central de la
page.
— construction en profondeur : intégré dans une scène animée ou assisté
d'un décor, l'objet de promotion tient le devant de la scène.
— construction séquentielle : construction la plus proche d'une construction
cinétique, dans laquelle le regard, après s'être porté sur l'illustration majeure
(composante aperitive du manifeste) chute à l'endroit même ou s'achève
l'exploration — le plus généralement au bas du quadrant inférieur droit de la page —
sur le produit conditionné (composante commerciale du manifeste) après que
l'œil, pour emprunter la formule de Klee « ait suivi les chemins qui lui ont été
ménagés dans l'œuvre »x. '
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L'ETRE
(fonction
EMETTEUR
expressive) (fonction
MESSAGE
poétique) (fonction
DESTINATAIRE
conative)
I LE POUR SÔT LE POUR AUTRUI
LA REPRESENTATION
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de cuir, ce Times négligemment abandonné sur un guéridon Louis XVI, disent
chacun, isolément, ce qu'ils expriment de concert. Ils sont, au niveau de l'image,
autant de mamelles nourricières où le standing de la cigarette viendra se fortifier,
l'équivalent, dans l'illustration, des textes où tous les mots, soigneusement
choisis, se veulent denses et lourds de sens.
Il n'y a pas surcroît d'information — la quantité d'information délivrée
par une publicité est réduite, compte tenu du nombre de signes investis —
mais volonté de saturation signifiante, mobilisation des signes en vue de la
création d'un sens évident. Les fabuleux jardins hindous que le maharadjah de ...
met à la disposition du quart Perrier; les luxueux salons où reçoit, Champi-
gneulles en mains, l'Honorable Winston Gorakine, les haras, golfs et courts
qui servent de cadre d'évolution à l'indian tonic Schweppes, manifestent
dans l'organisation de l'image la prépondérance de la valeur (le standing) sur
l'objet (la boisson) : le rang et la notabilité des actants, l'éclat de leurs demeures
et de leur patrimoine, la qualité de leurs détentes, enserrent l'objet dans la
détermination prescrite. On illustrerait aisément, dans la sursignification de
l'image de publicité, le procès du mythe comme «parole excessivement justifiée s1.
En glissant de l'essence à l'existence, l'objet perd son hiératisme (abandon
de sa position axiale), réduit sa stature (diminution de son échelle), partage
l'espace (évacuation du premier plan) et cesse, par lui-même, de nourrir
l'imagination. Il est prêt à endosser, en revanche, par une transsubstantiation
remarquable, les valeurs qu'une greffe symbolique, puisée dans l'environnement,
peut lui conférer. Celui-ci, maître de la qualification de l'objet (partant, de son
destin commercial) devient, à tous égards, la majeure du manifeste; intégré
dans la scène, l'objet peut n'y occuper qu'un rang discret.
En auto-présentation, il était à lui-même son propre langage, parlait à ceux
à qui il s'exposait. En représentation, il est plutôt figurant sans voix, parlé
par ce qui l'environne : le langage s'est déplacé de l'objet à ceux, êtres ou biens,
qui ont la responsabilité de se faire les interprètes sensibles d'une qualité qu'il
s'appropriera, au terme d'un classique transfert par contiguïté.
C'est parce que, dans de telles situations, l'incorporation de l'objet au sein
même du milieu qui doit lui servir de source de qualification peut être ridicule,
ou même franchement inepte, que l'objet de promotion peut en être expulsé et
se retrouver, hors l'image principale, dans un sous-espace réservé à la fonction
commerciale du manifeste. A quoi l'on voit bien qu'il a cessé d'être nécessaire;
que l'image, construite dans une finalité predicative précise, peut se passer de
lui. Il y a dans ce type de construction, partage fonctionnel des deux espaces :
l'espace majeur, à vocation axiologique, l'espace mineur, à vocation référentielle.
Ce serait donc une erreur que d'assimiler, en publicité, fonction référentielle
et dénotation. Lorsque l'image publicitaire prend en charge l'objet, son propos,
il ne faut pas l'oublier, consiste à le promouvoir, ou, si l'on préfère, l'exalter.
Il ne peut donc y avoir restitution analogique, copie passive d'une réalité
extérieure. Le traitement de l'objet est, dans le genre, l'équivalent de la tournure
du langage, le détour périphrastique et hyperbolique qu'emprunte le faire-
valoir (qui n'est pas le simple faire-savoir) de l'objet. L'abandon de toute repré-
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Physique et métaphysique de l'image publicitaire
sentation strictement analogique et, par voie de conséquence, le « travail »
dont est l'objet le signe de publicité, qu'il s'agisse du signe graphique, du signe
iconique ou du signe linguistique, suffiraient à ranger la publicité dans la
catégorie des messages à structure poétique, encore que, information à caractère
esthétique, la publicité ne soit pas un message à vocation artistique, même si la
faculté des créateurs demeure, au travers de l'image, d'exprimer leur
sensibilité tout en rendant compte d'un produit. Mais la caractéristique poétique
de l'image, pour aussi développée qu'elle soit, ne saurait être prépondérante,
sous peine de mettre en danger la communication convenable de l'information
souhaitée. Les équivoques de la représentation publicitaire naissent parfois de
l'interférence abusive de la préoccupation esthétique dans la fonction
référentielle, dont on a fait remarquer que, si elle n'oblitérait pas la référence, elle la
rendait du moins ambiguë 1.
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ont naturellement des fonctions, mais pas de sens, et ne peuvent donc en être
qu'artificiellement dotées dans le « logos » : la virilité ne peut être associée à une
cigarette, la sportivité à un after-shave, la sexualité à une lame de rasoir;
l'appartenance sélective à un Ordre (les « indomptables », les « irrésistibles », « les
seigneurs », « les nouveaux européens »), ne peut reposer sur d'aussi dérisoires objets
que pour autant que le propos publicitaire ait été dirigé non vers le substantif,
mais vers le prédicat.
Ici réside, dans sa deuxième acception, l'intentionnalité de l'image. La
première recouvrait sa qualité d'image-pour-autrui, dont rend compte la structure
en dialogue tronqué des manifestes de présentation et d'implication et l'ensemble
des signes qui, au sein même de l'image, proclament son orientation vers les
destinataires. La seconde recouvre la nécessité où se trouve l'image, si elle se
veut lieu du sens de l'objet, de témoigner de cet objet sous quelque rapport:
en d'autres termes, d'être vision tout en restant visée. Le signe tangible de
l'intention, au sens husserlien du terme, réside dans la figure de rhétorique
utilisée, dont l'emploi, nécessairement motivé, laisse transparaître la vision
élective du produit qu'on souhaite en donner au destinataire : après un certain
sourire au destinataire, un certain regard sur l'objet.
Traiter métonymiquement l'objet en recourant à une synecdoque
photographique (cadrage partiel, gros plan), en ne montrant de lui qu'un élément
discret : un tableau de bord, une fermeture de portière, un cendrier ou un siège,
en lieu et place d'une voiture, ce n'est pas faire référence à la voiture, mais
signifier, délibérément, ce à travers quoi il convient de la considérer : le luxe,
la finition, le standing ou le confort. Le traiter métaphoriquement en lui
accolant, ou en lui substituant des objets ou des personnages qui sont, de toute
évidence, ou incongrus, ou porteurs d'un sens figuré, c'est signifier, délibérément
non pas le produit, mais sa valeur (fraîcheur, naturalité, standing, douceur)
et ne vouloir signifier qu'elle, puisque la métaphore est ablation de tous les
attributs de l'objet sauf celui-là ou ceux-là même qu'elle illustre exclusivement
et entend signaler à l'attention commune.
L'audace dans le traitement de la figure dépendra de la position adoptée à
l'endroit de la double exigence d'originalité et d'intelligibilité, entre valeur de
perception et valeur de communication. La seconde appelle une certaine conven-
tionnalité, que traduit la médiocrité de beaucoup d'associations publicitaires,
cristallisations de clichés culturels immédiatement et universellement décodables
(la rosée et la fraîcheur; la cime et le sommet de la qualité; l'herbage et la
naturalité; le bonnet phrygien sur le radiateur, et la révolution dans le chauffage).
La première pousse l'image publicitaire vers le trans figuratif plus que vers le
figuratif, vers le fantastique plus que vers l'imitatif, vers le surréel plus que
vers le réel. Pour échapper à la banalisation et créer l'effet de surprise, l'image
publicitaire moderne, rejetant la coïncidence de l'analogie pure et la familiarité
acquise des similitudes entretenues, tendra à l'hyperbole plus qu'à la parabole *.
1. Au sens entendu par G. Genette dans son étude sur les Sonnets d'Amour de Jean
de Sponde : « Sans trop d'infidélité à l'usage et à l'étymologie, on pourrait appeler
paraboles les figures qui respectent et épousent les liaisons naturelles des choses et qui
ne disposent dans une proximité de langage que les réalités qu'elles trouvent déjà
disposées d'elles-mêmes dans une proximité d'être; on appellerait hyperboles les effets
par lesquels le langage au contraire, rapproche comme par effraction des réalités
naturellement éloignées dans le contraste et la discontinuité... L'image surréaliste, qui vaut
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Georges Péninou
Département des Recherche», Publicis, Paris.