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ETUDES DE REFERENCE SUR LA TENURE EN REPUBLIQUE

DEMOCRATIQUE DU CONGO

Titre du projet « Analysis of Customary tenure for the Tenure Baseline Study in
the Democratic Republic of the Congo »

LA TENURE FONCIERE COUTUMIERE EN REPUBLIQUE


DEMOCRATIQUE DU CONGO
Etat des lieux et perspectives pour la réforme de la législation

Par

Séverin MUGANGU MATABARO


Professeur Ordinaire

Etude commanditée et entièrement financée par Rights and Ressources Initiative


(RRI)

Bukavu, septembre 2014


1
INTRODUCTION GENERALE

I. CONTEXTE ET OBJECTIFS DE L’ETUDE

La République Démocratique du Congo est engagée depuis peu dans un


processus de réforme foncière. Cette réforme est l’occasion pour revisiter les options
majeures de la loi du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés. Parmi ces options, celles de la domanialisation des
terres (occupées par) des communautés locales, de la titrisation des droits fonciers et de
la gestion centralisée et en régie des terres retiendront spécialement notre attention.
Outre la réforme foncière, de nouvelles réglementations relatives à la gestion
des ressources naturelles ont été élaborées. Leur impact réel ou virtuel sur les droits
des communautés locales mérite d’être évalué tant du point de vue de la pertinence,
c’est-à-dire de la légitimité et de l’efficacité des principes qu’elles consacrent, que du
point de vue de l’équité.
Par ailleurs, diverses initiatives d’acteurs non étatiques adressent différents
aspects des problématiques relatives aux ressources naturelles en général et aux droits
fonciers et forestiers des communautés locales en particulier, sans forcément influer sur
les discours officiels et la prise des décisions.
L’opportunité des réformes évoquées ci-haut permet de tirer des leçons aussi
bien des réglementations antérieures et en cours que des expériences d’acteurs non
étatiques en vue d’une meilleure prise en compte des droits des communautés locales.
L’ambition de cette étude n’est pas de proposer une vaste synthèse des
problématiques institutionnelles, juridiques, techniques ou opérationnelles qui affectent
la gestion des ressources naturelles en République Démocratique du Congo. Cette
étape voudrait plus modestement proposer une évaluation des droits fonciers et
forestiers des communautés locales. A travers une mise en perspective historique,
l’étude va tenter de dresser un état des lieux de l’application des coutumes en matière
foncière, mieux dégager les tendances lourdes dans l’évolution des coutumes foncières,
des rôles et pratiques d’acteurs du monde rural relativement à la gestion et à l’exercice
des droits sur les terres et les forêts.
Dans la perspective de la réforme foncière, l’étude se propose d’identifier les
options pratiques, juridiques et opérationnelles permettant de garantir et consolider les
droits fonciers et forestiers tirés des coutumes locales.
Les termes de référence en annexe précisent la variété des questions
auxquelles la présente étude tente d’apporter des réponses.
Relevons enfin que cette étude fait partie d’un ensemble d’analyses nationales
traitant respectivement des thématiques suivantes :

1. Structures juridiques et institutionnelles et décentralisation des systèmes


de gestion des ressources naturelles ;
2. Les moyens de subsistance ;
3. Les opportunités pour le développement et les menaces émergentes ;
4. La cartographie participative, le zonage et la planification territoriale ;
5. Les structures/régimes coutumiers de la tenure foncière.

2
II. METHODOLOGIE

1. Dispositif général

La présente étude a été réalisée en trois étapes :

Dans un premier moment, nous avons collecté les données ethnologiques sur
les sociétés traditionnelles congolaises. La recherche à ce stade a été strictement
documentaire (monographies, archives des Territoires, districts et des travaux
coutumiers) et s’est focalisé sur :

1. Les normes coutumières en matière foncière ;


2. Les autorités foncières coutumières ;
3. Les procédures d’acquisition et de transfert des droits fonciers
coutumiers ;
4. Les formules contractuelles traditionnelles et la portée des droits qui y
sont associés ;
5. Les modes d’extinction des droits fonciers en droits coutumiers ;
6. Les modalités de règlement des conflits fonciers.

L’objectif visé à cette première étape était de reconstituer l’économie


ancienne et traditionnelle des coutumes foncières en République Démocratique du
Congo. Des principes communs ont ainsi été dégagés, c’est-à-dire la trame des
coutumes foncières. L’es spécificités n’ont pas hélas être ressorties, en raison des
contraintes de temps.
Le deuxième moment a été consacré au travail de terrain pour analyser les
changements intervenus dans les modes de gestion des terres coutumières. L’attention
ici a été portée aux pratiques foncières locales et plus singulièrement aux/à :

1. Transactions foncières (les contrats et leurs modes de preuve) ;


2. Procédures d’acquisition et de transfert des droits (nouveaux rôles des
autorités traditionnelles) ;
3. Conflits (nature, objet, instances d’arbitrage, parties aux conflits) ;
4. Pratiques des autorités foncières et/ou territoriales modernes en rapport
avec le foncier rural (pratiques en marge de la loi de la coutume) ;
5. La jurisprudence des tribunaux modernes en matière foncière
(singulièrement lorsque les tribunaux ont tranché un conflit foncier
coutumier, ou des conflits opposant des ayants-droit coutumiers à des
détenteurs des titres fonciers).

A ces deux premières phases, la tenure forestière a été également documentée


et questionnée suivant la même démarche décrite ci-haut.
Le troisième moment a été consacré à l’analyse des données empiriques
recueillies et à leur confrontation avec les règles formelles et les mécanismes officiels
de gestion foncière et forestière et à la rédaction du rapport.

2. Du travail sur le terrain

3
Notre expérience de recherche sur le foncier ayant porté essentiellement sur
les Provinces de l’Est de la République Démocratique du Congo (Province Orientale,
Nord-Kivu et Sud-Kivu), nous avons levé l’option de nous concentrer sur les Provinces
de l’Ouest, à savoir Kinshasa rural, le Bas-Congo et l’Equateur, et sur la Province du
Centre du pays, plus précisément le Kasaï Occidental. L’opportunité d’ne consultance
nous avait déjà permis de collecter des données sur la problématique foncière et
forestière au Bandundu. Seules les Provinces du Katanga, du Maniema et du Kasaï
Oriental n’ont pas été visité. Les sources documentaires ont pourvue à la carence en ce
qui les concerne.
S’agissant des sites choisis pour la collecte des informations, nous avons
délibérément choisi de travailler au Chef-lieu de la Province et dans le Territoire rural
le plus proche. Les Territoires ci-après ont été visité : Bikoro (Equateur), Ndesha
(Kasaï Occidental, Songololo (Bas-Congo) et le plateau des Bateke à Kinshasa.
Sur chaque site, ont été ciblés : le bureau du Territoire, de la Chefferie du
Secteur ou du Groupement selon le cas ; les ayants-droit coutumiers, les paysans et les
organisations de la Société civile.
Au Chef-lieu de la Province, au Bureau du Territoire et auprès de la Société
civile, nous nous sommes intéressés aux plantations zaïrianisées, aux archives des
tribunaux coutumiers, aux titres fonciers délivrés par les autorités locales, aux conflits
saillants ou collectifs et aux concessions minières et forestières.
Auprès des ayants-droit coutumiers, les informations ci-après étaient
recherchées : la propriété du sol et des forêts, la procédure d’acquisition des terres, les
droits fonciers des membres du clan, les droits fonciers des étrangers au clan, les droits
fonciers des femmes et des pygmées, la gestion des conflits fonciers, les relations avec
les concessionnaires modernes, la preuve des droits fonciers (les documents délivrés),
les perceptions vis-à-vis des administrations foncières et territoriales de la loi foncière
et de la justice des tribunaux modernes, les modes d’extinction des droits fonciers en
général.
La recherche auprès des paysans s’est intéressée spécialement aux
propriétaires/locataires des champs, aux modes de l’exploitation, à l’étendue des droits
de l’exploitation, aux pratiques successorales à la perte des droits fonciers, aux
obligations de l’exploitant, à l’autorité légitime pour trancher les litiges, aux titres
détenus et au rôle des autorités foncières (chef coutumier, chef de clan, chef de famille,
autorité territoriale et administration foncière).
Des informations spécifiques ont été collectées auprès de la Société civile
(ONG et Eglises) notamment sur les relations entre les autorités coutumières d’une part
et d’autre part ; et sur les procédures d’extension des villes ou la création des cités et
centres de négoce.
Les entretiens en vue de la collecte des informations ont été semi-directifs.
Un seul focus group a été organisé avec les notables de la ville de Mbandaka.

III. Présentation sommaire de l’étude

La présente étude comporte deux parties subdivisées en cinq chapitres.

Ière partie : Droits fonciers coutumiers, ...

Chapitre I : Les droits fonciers coutumiers en République Démocratique du


Congo.

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Chapitre II : Mutations foncières et évolution des rapports fonciers de
production.
Chapitre III : Les conflits fonciers ruraux en République Démocratique du
Congo.

IIème partie : Evaluation de la gestion foncière coutumière.

Chapitre I : Evaluation de la gestion foncière coutumière

Chapitre II : Perspectives pour la réforme foncière République Démocratique


du Congo.

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Ière PARTIE : DROITS FONCIERS COUTUMIERS, EVOLUTION DES
RAPPORTS FONCIERS DE PRODUCTION ET
CONFLITS FONCIERS RURAUX EN REPUBLIQUE
DEMOCRATIQUE DU CONGO

Chapitre I. Les droits fonciers coutumiers en République Démocratique


du Congo

La République Démocratique du Congo compte plusieurs centaines des tribus,


chacune ayant en principe une organisation propre et, partant, son propre système de
tenure. Si tel était le cas, on devrait étudier le régime foncier coutumier de chaque
tribu, repérer les traits communs entre ces coutumes foncières et les spécificités pour
pouvoir proposer une analyse des droits fonciers coutumiers en République
Démocratique du Congo. Comme l’écrit si bien G. MALENGREAU, autant
« l’historien n’attend pas que les archéologues aient achevé l’exploration du sol ou les
archivistes mis à jour le fond de leurs dépôts, de même l’ethnologue peut tenter une
explication des institutions primitives avant que les ethnographes aient mis le point
final à leur documentation » (1947, p. 16).
Le présent chapitre est une compilation d’une abondante littérature qui
propose tour à tour un regroupement des sociétés traditionnelles congolaises en « aires
culturelles » (Section I), une synthèse des coutumes foncières congolaises (section II),
une analyse du rôle des autorités traditionnelles dans la gestion du sol (section III) et
des modes traditionnels de règlement des conflits fonciers (section IV).

Section I. Les grandes aires culturelles et coutumières congolaises

Dans son « Introduction à l’ethnographie du Congo » (1966, p. 224), Jean


VANSINA distingue quatorze régions culturelles en République Démocratique du
Congo correspondant à quatre zones écologiques, à savoir : les cultures des savances
du Nord, les cultures de la forêt, les cultures des savanes du Sud et les cultures
pastorales de l’Est congolais. Au-dedans de chacun de ces ensembles culturels, il
distingue différents peuples composés chacun d’une multitude de groupes tribaux plus
ou moins apparentés les uns aux autres.
Les quatorze régions culturelles que propose Jan VANSINA sont ainsi
constituées : les peuples de l’Ubangui et les peuples de l’Uélé, les pygmées, les peuples
de l’Itimbiri-Ngiri, les peuples de la cuvette, la région Kongo, les peuples du Bas-
Kasaï, les peuples de l’entre KWANGO-KASAÏ, les peuples du Kasaï-Katanga, les
peuples de la région Lunda, les peuples du Tanganyika et du Haut-Katanga, la région
du Kivu et la région du Nord-Est.
A la différence de Jean VANSINA, G. MALENGREAU, s’appuyant sur le
concept d’ « aire culturelle » (culture areas) cher aux ethnologues américains,
distingue deux groupements culturels au Congo Belge – Rwanda – Urundi », l’un
comprenant la plus grande partie du Bassin du Congo depuis l’Océan Atlantique
jusqu’aux premiers escarpements qui mènent aux pâturages de la chaîne orientale,
l’autre couvrant approximativement le Nord-Est et l’Est de la colonie aussi que les
territoires sous mandat du Rwanda et de l’Urundi » (1947, p. 13.)

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Nous faisons notre cette lecture de G. Malengreau, tout en étant conscient
qu’elle pèche par excès de généralisation. Dans ses « Institutions coutumières
katangaises (les personnes et les biens), Jean SOHIER montre bien les limites de la
classification proposée par Malengreau. Il distingue, en effet, dans la seule région du
Katanga neuf « aires coutumières », à savoir les Bemba, les Balubaisés matrilinéaux du
Sud, les Lunda-Tshokwe, les Luba orientaux (Lomotwa, Nwenshi, Lembwe et Kunda
de Kasenga), les Luba-Katanga (Klundwe, Kanyok, Zela, les chefferies Mulongo,
Kayumba et Museka), les Songe, les Luba-Kasaï, les Tetela-Kusu et les Bwile (1964, p.
13).
La publication récente par Edmond THIRY (1996), p. 321) d’une
« introduction à l’ethnohistoire des Hema du Sud (Haut-Zaïre) » montre qu’il faut
davantage encore affiner le concept d’aire coutumière proposée par Jean SOHIER. En
effet, dans le seul groupe Hema que l’on pourrait aisément qualifier d’aire coutumière
Hema, l’auteur distingue sept sous-groupes dont les coutumes foncières présentent des
nuances relativement importantes.
Des études ethnographiques et ethnologiques abondent fort heureusement sur
les différents groupes tribaux qui constituent la population générale de la République
Démocratique du Congo. Des coutumiers (essais de codification des coutumes) ont été
par ailleurs élaborés dans les décennies 40 et 50. Ces études et coutumiers ont été
capitalisés et synthétisés dans le rapport de la Commission pour l’étude du problème au
Congo Belge, lequel suggère à l’instar de G. Malengreau que « les sociétés
congolaises, en dépit de la grande diversité des cultures en présence, se laissent réduire
à quelques grands types répartis en deux catégories : les structures linéaires et les
structures politiques centralisées. « Les grands systèmes de tenure du sol sont eux-
mêmes fonction de ces formules d’organisation sociale et politique » (Byebuck, 1957,
p. 50).
Dans les sociétés à structure linéaire, la Commission relève : « dans ce type de
société, nous avons affaire à une multiplicité de petits groupes sociaux à base
territoriale (…) qui, d’après le cas, peuvent être définis comme lignées mineures,
lignées majeures, parentèles, et qui se sont tous taillés des domaines fonciers plus ou
mois rigidement délimités » (p. 51).
Les sociétés à structures politiques centralisées sont caractérisées par
l’existence d’une série de groupes sociaux à caractère territorial qui sont à la base de la
subdivision de l’entité politique en domaines fonciers. Le groupe qui possède
l’imperium, exerce un dominium restreint qui se limite au domaine dont ils sont
héritiers traditionnels (p. 57). Les droits fonciers du groupe dynastique dérivent du fait
qu’il est essentiellement un groupe social comme les autres groupes à statut commun.
Tel est le cas notamment chez les Banyanga de Walikale, les Bahunde de Masisi, les
Banande de Beni et Lubero, les Batembo de Kalehe, les Alurs de Mahagi, les Babuyu
de Kabambare, etc.
Parmi les sociétés à structures politiques centralisées, on distingue également
relativement aux systèmes fonciers : les systèmes à clientèle et les Etats de conquête.
Les structures politiques à système de clientèle se rencontrent dans les sociétés
pastorales du Kivu. Le titre suprême de la propriété foncière réside dans la personne
du chef et de ses fonctionnaires politiques. Les droits de propriété foncière
n’appartiennent pas à des groupes de parenté localisés ; les droits d’usage s’ouvrent par
les allégeances politiques, les paiements préalables des biens et les paiements réitérés
de tributs. Tel est le cas chez les Bashi, les Bahavu et les Bafuliru dans la Province du
Sud-Kivu.

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Parmi les Etats de conquête, on distingue deux types en ce qui concerne la
propriété foncière : le type Azande et le type Bayeke. Chez les Azande, l’imperium est
exercé par le chef suprême qui agit souverainement en matière foncière. Les individus
n’ont que des droits d’usage auxquels ils accèdent par la voie des relations et
allégeances politiques sans qu’un système de clientèle et de paiement à caractère
foncier ait toutefois été développé. Les Bayeke par contre, intéressés par le produit de
la terre et non par la terre elle-même, ont conservé aux groupes conquis leurs
patrimoines fonciers. Ces derniers doivent toutefois aux chefs Bayeke soumission,
allégeances politique, redevance et tributs réguliers.
Autant que les Bayeke, les états très fortement centralisés, comme les Lunda et
les Luba distinguent imperium et dominium. Les multiples pouvoirs politiques existant
en leur sein exercent leur action sur un plan purement politique. Ils n’interviennent pas
dans le domaine de la propriété foncière. Les petits groupes locaux à base de parenté
occupent leurs domaines fonciers. La source des droits fonciers se trouve dans ces
petits groupes et non dans l’organisation politique. La dynastie régnante ne s’est
jamais attribué les droits fonciers de ces groupes.
Ramenés aux classifications des régions et aires culturelles proposées plus
haut, l’organisation foncière typique des sociétés à structures linéaires renvoie
essentiellement au Bassin du Congo, tandis que celle des sociétés à structures
politiques centralisées renvoie à la partie Nord-Est et Est de la République
Démocratique du Congo. Autrement dit, sur les quatorze régions culturelles identifiées
par Jean VANSINA, douze connaissent une organisation foncière à base de parenté ou
un système de tenure clanique. Seuls les Zande et les Mamgbete dans l’Uélé, les
Bantous interlacustres du Kivu (Nande, Pere, Nyanga, Hunde, Banyarwanda de
Rutshuru, Havu, Shi et Fuliru) et les peuples du Nord-Est (Lugbara, Alur, Logo,
Mundu, Pajulu, Madi, Kakwa, Keliko, Okebo, Lendu (Bule), Mabendi et les Hima de
Gety) connaissent, mutatis mutandis, des systèmes de tenure où les droits d’usage
s’ouvrent par les allégeances politiques. Les groupes locaux sont de composition
artificielle et trouvent leur origine dans des liens politiques.

Section II. Les coutumes foncières traditionnelles

Après avoir identifié les grandes aires culturelles congolaises et les systèmes
de tenure y correspondant, nous allons procéder dans la présente section au repérage
des traits communs aux coutumes foncières en République Démocratique du Congo
(§1.) avant d’exposer les types de droits fonciers coutumiers. A cet égard, la littérature
distingue les droits fonciers collectifs (§2) et les droits d’usage individuels (§3). Des
normes coutumières particulières s’appliquent par ailleurs à l’usage de la forêt, des
rivières et des lacs par les individus (§4).

§1. Les principes coutumiers en matière foncière

Guy MALENGREAU dont l’ouvrage cité plus haut peut être considéré
comme une référence sur la connaissance des droits fonciers coutumiers en République
Démocratique du Congo, exprime ainsi ce qu’il considère comme « la trame essentielle
du régime foncier indigène » :
« Une rapide vue d’ensemble sur les us et coutumes des populations
congolaises montre qu’il existe au Congo une multitude des domaines d’étendue
variable. Chacun de ces domaines est à l’usage exclusif des membres d’un groupement

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indigène (1) déterminé. Leur usage proprement dit étant plus souvent individuel que
collectif, il se fait que chaque individu, par le fait de cet usage acquiert certains droits
personnels » (1947, p. 28).
De la littérature ethnologique, il se dégage un certain nombre des principes
communs à l’ensemble des sociétés bantoues. Pour élaborer ces principes chez lez
Zande, Jacques Vanderlinden propose trois éléments : les pouvoirs d’utilisation, les
individus titulaires de ces pouvoirs et l’objet desdits pouvoirs (1960, p. 566). Nous
suggérons d’ajouter aux propositions de cet auteur, et de partir du reste de là, la
conception indigène de la terre et de sa tenure, la portée temporelle des pouvoirs
d’utilisation et le traitement réservé à l’étranger. Nous avons ainsi dégagé huit
principes coutumiers en matière foncière :

1. La terre appartient aux ancêtres ; elle est gérée à leur nom, pour le compte
des générations présentes et futures, par leurs représentants attitrés ;
2. Le lien entre le groupe et son domaine est perpétuel : chaque groupe
exerce sur son domaine des droits souverains et inaliénables ;
3. Tout membre du groupe a un titre égal à l’exploitation des terres et des
forêts ;
4. L’individu, tout en exerçant ses droits aux ressources, contracte des
obligations à l’égard du groupe et de ses représentants : redevances et
tributs ;
5. L’exercice des droits est lié à la résidence ; les titres ne sont permanents
que pour autant que cette condition soit remplie ;
6. Les produits du travail appartiennent individuellement à leurs auteurs ;
leur consommation est collective ;
7. Les droits et titres s’attachant à un domaine foncier sont selon le cas
absolus ou relatifs ;
8. Au nom du devoir d’hospitalité, l’étranger est autorisé à jouir des
ressources du groupe dans les limites qui lui sont définies.

§2. Les droits fonciers collectifs

Nous distinguerons, selon leur nature et les groupements qui les exercent, trois
types de droits collectifs dans les systèmes de tenure en République Démocratique du
Congo : la « souveraineté territoriale » des groupements politiques ; la suzeraineté des
groupements familiaux étendus (les clans) et la propriété collective des segments
différenciés des clans.
Ce faisant, nous ne cherchons pas à éviter la polémique qu’i y a eu à une
certaine époque sur la manière de caractériser les droits des groupements indigènes sur
les terres et la nature des groupes sociaux et territoriaux détenteurs des droits fonciers.
Sommes-nous en présence des droits de propriété ou des droits « sui generis » ? Les
groupes sont-ils des personnes morales ? La terre est-elle dans la conception bantoue
une chose susceptible d’appropriation ou une res communis comme l’air ?
Ces questions sont largement débattues dans la littérature de la période
coloniale. Pour notre part, nous nous limitons à faire ressortir les nuances entre les
droits dont sont titulaires les différents groupements sociaux et territoriaux.
1
L’auteur distingue deux types des groupements, les groupements familiaux fondés sur
une parenté commune, et les groupements politiques fondés sur l’unité de
gouvernement (p. 31).

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I. Les droits des groupements politiques : la souveraineté

En qualifiant les droits fonciers des groupements politiques de droits de


souveraineté, nous faisons référence aux pouvoirs exercés autrefois par le roi de San
Salvador sur les Bakongo, à celui de Kasongo Lunda chez les Bayaka, de Kabongo
chez les Luba, du Mwaant Yaav chez les Lunda, de Mushidi chez les Bayeke, et de
bien d’autres encore chez les Bakuba, les Azande, les Mangbetu, les Bahema et tous
les peuples de la région interlacustre de l’Est. Ces royaumes ont disparu aujourd’hui
pour faire place à un éparpillement des chefferies.
Dans les Etats de conquête (chez les Bayeke) et dans les groupements
politiques à système de clientèle (cfr supra), les terres sont le domaine de la chefferie et
non celui des clans. Les individus relèvent d’entités politiques dirigées par des
notables investis par une personne qui exerce sur le pays entier l’autorité souveraine :
le Mwami chez les Bashi, les AVUNGARA chez les Zande etc.
Dans les micro-structures politiques par contre et même dans certains Etas très
fortement centralisés comme chez les Lunda, le groupement politique coexiste avec les
groupements familiaux. Lorsqu’on décompose l’entité politique, on y découvre une
série de groupes sociaux à caractère territorial qui sont à la base de la subdivision de la
zone politique en domaines fonciers.
Il sied de souligner que les formes de détention de droits fonciers par des
groupements politiques sont coutumièrement restreintes à quelques sociétés en
République Démocratique du Congo. Assez souvent les représentants des subdivisions
politiques ne disposent pas de domaines fonciers proprement dits, mais exercent
seulement des pouvoirs politiques sur des zones qui très souvent englobent plusieurs
entités foncières.
Par ailleurs, comme l’explique si bien J. Vanderlinden dans le cas du peuple
Zande, c’est moins la terre qui importe au chef politique que les hommes qu’elle porte.
Parlant du chef Zande, écrit-il, « mieux vaut avoir beaucoup d’hommes et moins de
terre que beaucoup de terres et peu d’hommes ; tel est le raisonnement normal du chef
Zande ».
Il est au demeurant important de souligner les termes utilisés pour établir un
rapport entre le chef et la terre dans les sociétés à structures politiques centralisées :
« Nakuno », disent les Bashi : ce qui signifie littéralement « le propriétaire (le maître)
du pays » ; le chef zande est quant à lui qualifié de « ira zande » ou ira sende » (2),
expression consacrant la prééminence absolue du chef non seulement dans ses droits
sur les personnes, mais aussi dans ses droits sur la terre. Des expressions analogues
existent certainement chez beaucoup d’autres peuples de la République Démocratique
du Congo.

II. Les droits des premiers occupants : la « suzeraineté »

2
Le chef zande est appelé « ira sende », c’est-à-dire maître de la terre brute. Le mot « 
Sende » recouvre la totalité des terres, y compris tout ce que supporte sans intervention
de l’homme, ces terres sur lesquelles vivent tous les membres de la chefferie est
considéré comme tout qui ne connaît pas de morcellement. Il s’agit de la nature à l’état
brut (…) telle qu’elle est demeurée partout où l’homme n’a pas modifié la destination
de l’une de ses parties (J. Vanderlinden, pp. 579-580).

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Très souvent, à l’intérieur des entités politiques, il n’existe pas d’autres
subdivisions que celles données par les groupes territoriaux à base de parenté. La zone
politique se subdivise alors uniquement en domaines fonciers sans être elle-même un
domaine foncier supérieur.
Les Lunda sont la meilleure illustration de cet état des choses. Il semble en
effet, qu’avant l’avènement de la dynastie de Mwaat Yaav, les populations avaient une
structure linéaire : une infinité de petits groupes sociaux localisés, disposant des
domaines fonciers distincts existaient sur le territoire de l’Empire. Chacun de ces
groupes avait à sa tête un chef de lignée qui était en même temps gardien des biens
fonciers. Ces petits groupes n’ont jamais été disloqués et la dynastie ne s’est jamais
attribué les droits fonciers des groupes.
Les sociétés à structures linéaires, de loin les plus nombreuses en République
Démocratique du Congo, sont constituées des clans que de nombreux auteurs
considèrent comme les véritables propriétaires des domaines fonciers. Le clan est
composé de l’ensemble des personnes qui descendent par voie unilatérale, paternelle ou
maternelle, d’un ancêtre commun. Le clan réel comprend aussi presque toujours un
certain nombre de clients et d’esclaves qui, bien que de sang étranger, sont néanmoins
considérés comme faisant partie du clan.
Quoique le clan fasse partie d’une tribu, celle-ci regroupant tous ceux qui à un
titre quelconque se considèrent comme apparentés, le domaine clanique n’est pas une
partie du domaine tribal.
Le domaine clanique est assez souvent divisé et subdivisé et chacune de ces
divisions mise à la disposition d’une fraction du clan. Il est rare, en effet, que tout un
domaine clanique indistinctement soit à l’usage de tous les membres du clan. Leurs
droits fonciers ne portent que sur une partie du domaine.
La nuance proposée par J. Vanderlinden entre les terres sous le contrôle et les
terres à l’usage de la communauté nous conforte dans l’idée qu’il faille à propos des
droits des groupements familiaux distinguer d’une part la « suzeraineté » du clan
premier occupant et la propriété collective des segments différenciés de celui-ci.
Ce que nous qualifions de « suzeraineté » du premier occupant n’a cependant
rien, à voir quant à son contenu avec la qualité du suzerain médiéval. Si les liens de
dépendance personnelle n’existe pas entre le (patriarche du) clan premier occupant et
les clans issus de sa scission et qui ont l’usage exclusif des parties du domaine
clanique, il n’en demeure pas moins que le premier conserve certains droits sur tout le
domaine clanique. Ainsi il a été jugé que les indemnités d’exploitation des terres
coutumières devaient être partagées entre le clan Ndumbu ya Nzinga reconnu comme
étant le clan père fondateur et le clan Vuzi ya Nzinga comme le clan fils » (jugement
649 du 1er avril 1949 confirmé par celui du 24 juin 1949 du Tribunal de Territoire de
Matadi, cité dans l’Arrêt de la Cour Suprême de Justice du 15 juin 2012 sous RC 3428,
6ème feuillet). Ceci atteste bien que le morcellement des domaines claniques n’implique
nullement un abandon définitif de leur part sur l’une quelconque des parties.

III. La propriété collective des groupements familiaux

Ce sont généralement des subdivisions des clans qui sont détentrices des droits
fonciers. La Commission pour l’étude du problème foncier au Congo Belge relève très
pertinemment :
« Les nombreux auteurs qui déclarent que la terre appartient soit à la
communauté, soit à la tribu, soit à la chefferie, soit au clan sont à côté de la question.

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(…) Partout, ces droits fonciers sont exercés par des groupes bien déterminités et moins
étendus qu’on ne le croit souvent ; la structure et le statut de ces groupes diffèrent
considérablement, ainsi que les liens qu’ils conservent entre eux. Ils peuvent être basés
sur la descendance, unilatérale ou bilatérale, sur la résidence, sur l’alliance, sur le
voisinage. (…)
Rarement donc, les clans qui sont essentiellement des unités de parenté
dispersées, constitueront des entités foncières. Ce sont leurs subdivisions qui ont une
signification. (…)
Coutumièrement, des droits fonciers très précis sont exercés par les membres
d’un hameau, d’un village, d’un groupe de villages, d’une série d’enclos interreliés. Le
critère de résidence est, dans ce contexte, primordial tant au point de vue de la tenure
qu’au point de vue de l’usage fait de la terre et des biens tirés d’elle. L’accès aux biens
fonciers du groupe n’est pas seulement ouvert parce qu’on appartient au groupe par la
naissance, par l’adoption, par l’assimilation, mais aussi parce qu’on réside dans et avec
le groupe » (pp 66-71).
Les véritables titulaires des droits fonciers sont donc, sauf dans quelques rares
exceptions, les groupes. C’est le groupe entier qui est identifié avec le domaine, et non
pas ses individus ou son représentant suprême. C’est pourquoi toutes transactions
foncières, toutes dispositions concernant le patrimoine foncier, demandent le
consentement global des membres du groupe par la voie de leurs représentants.
Les analyses et controverses sur la nature, les caractères et l’étendue des droits
fonciers des indigènes au Congo Belge n’ont porté en fait que sur les droits des groupes
restreints que sont les subdivisions des clans. Effectivement, il y a lieu de distinguer à
ce niveau les droits que possèdent concurremment tous les individus en tant que faisant
partie d’un groupement, et les droits individuels que chaque individu possède
exclusivement.
Ceci dit, c’est seulement à ce niveau que l’on peut parler de « propriété
collective », du domaine foncier. L’inaliénabilité et l’indivisibilité de celui-ci et
l’exclusivité des droits sur le domaine collectif sont des caractères marquants de la
propriété collective des entités foncières que sont selon le cas, les subdivisions des
clans ou les villages (3).
Rappelons toutefois que les groupements politiques peuvent coexister avec les
groupements familiaux. Certains droits fonciers, la chasse, la pêche ou la cueillette
peuvent appartenir aux villageois, et d’autres, la culture de la terre, appartenir aux
membres de la famille.
En principe, les individus ont sur les terres de leur groupement, en tant qu’ils
appartiennent à celui-ci, tous les droits. La libre circulation, la construction des cases,
la culture et la récolte des produits, la cueillette des fruits, la chasse, la pêche, le pacage
du bétail leur sont permis de manière égale.
Le droit que possède chaque individu sur le domaine collectif est incessible,
puisque le droit est inséparable de la qualité de membre du groupement. Quand bien
3
« Le village, unité de voisinage, peut comprendre des descendants d’un même
ancêtre. C’est avant tout une communauté locale où tend à se former une unité
économique et administrative, une communauté d’intérêts entre des individus qui
peuvent s’être groupés pour d’autres raisons que pour des raisons de descendance
commune », E.DE JONGHE, cité par G. Malengreau, op. cit, 1947, p. 53). Il peut
aussi comprendre plusieurs clans apparentés ou non. C’est le cas de Mpole en Province
de l’Equateur où l’on retrouve les clans suivants : Mpoy Motoko, Matito, Bikola,
Mbanga, Sanga, Nsiba, et. Le village est sur les terres du clan Mpole.

12
même le domaine serait divisé entre des familles restreintes, le droit sur le domaine
collectif reste collectif et indivisé.

En ce qui concerne l’exclusivité des droits, celle-ci peut être très grande
concernant l’occupation résidentielle, l’établissement des cultures, la mise en œuvre de
certaines techniques de chasse, de piégeage, de cueillette et de pêche. Elle peut être
minime ou inexistante concernant le pacage ou l’application d’autres techniques Elle
peut aller d’une simple nécessité d’avoir le consentement et l’autorisation du groupe,
au paiement des redevances et tributs.
Les critères d’exclusivité sur le domaine diffèrent d’après la nature de
l’activité économique, le statut des groupes étrangers dont les membres veulent exercer
certains droits, le genre des relations qui lient le groupe-possesseur à d’autres groupes
apparentés ou voisins (Commission, p. 87).
Soulignons par ailleurs qu’un même domaine peut-être l’objet de droits
exercés par des groupes différents. Ainsi un domaine peut être réservé à un groupe
déterminé au point de vue exploitation agricole et occupation résidentielle et ouvert à
une communauté plus large, comprenant deux ou plusieurs autres groupes, pour
l’exercice des droits de chasse, de piégeage, de cueillette et d’extraction, ceci étant
fonction de la nature des liens qui existent entre ces groupes.
D’autre part, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le domaine d’un
grand groupe localisé peut être subdivisé en domaines plus petits sur les quels des
segments plus ou moins différenciés exercent des droits plus précis et exclusifs. Le
contrôle direct de ces droits appartient aux représentants de ces segments, mais les
représentants supérieurs du grand groupe étendent leur contrôle également à cette partie
du domaine (idem, p. 87).
Pour qu’un groupe maintienne ses droits sur un domaine foncier, il est
nécessaire qu’il s’y manifeste physiquement et moralement. Un groupe de parenté
totalement dispersé ne saurait exercer et préserver ses droits fonciers. Il faut qu’au
moins un noyau résidentiel se maintienne.
Relevons enfin que toutes les sociétés prévoient l’absorption « d’étrangers »
(amis, alliés, utérins, parents par agnation ou par cognation ; individus d’origine sociale
différente mais appartenant à la même entité politique, etc). Aussi des étrangers
peuvent se livrer sur le domaine foncier du groupe à des activités provisoires, si celles-
ci ne le gène en rien. Assez souvent dans les sociétés forestières, le groupement
propriétaire d’un domaine autorisera les étrangers à chasser et à pêcher librement sur
ses terres, sans toutefois leur permettre d’y poser des pièges ou d’y incendier la
brousse. Il les obligera en outre à respecter les barrages construits par autrui et les
droits éventuels de certaines familles sur des sections de rivière. Il s’agit en ces cas de
simples tolérances.
Si les groupes sont titulaires des domaines fonciers, ceci n’exclut pas que les
droits des individus coexistent avec ceux du groupe et que les individus détiennent des
droits explicites et reconnus.

§3. L’usage du sol par les individus

A la suite de G. Malengreau, nous allons présenter tour à tour les usages que
les individus peuvent faire du domaine collectif (I) les droits individuels qui naissent de
l’usage du domaine collectif (II), et les modes de transmission et d’extinction de ces

13
droits (III). Une attention spéciale sera portée aux contrats fonciers coutumiers qui ont
existé (et existent encore) dans les sociétés à système de clientèle (IV).

I. Les usages du domaine collectif

« Le cultivateur qui défriche la forêt, note G. Malengreau, qui ameublit le sol
ou le cultive, le chasseur qui abat du gibier, le pêcheur qui prend du poisson, l’indigène
qui découvre un arbre sauvage dans la forêt et s’en réserve les fruits, ne font tous
qu’exercer un droit collectif : droit de culture, droit de chasse, droit de cueillette. (…) Il
ne s’agit pas là de droits fonciers proprement dits. Le cultivateur n’a pas la propriété
individuelle de la terre qu’il a retournée et ensemencée, ni le chasseur celle de la plaine
foulée par l’antilope, ni le pêcheur celle de la rivière où sont posées ses masses, ni le
promeneur celle de la forêt où a poussé le palmier. Tous ont bien un droit de propriété
sur le fonds, mais à titre collectif, et il ne suffit pas que l’un d’entre eux soit seul à
pouvoir user provisoirement d’une parcelle du domaine collectif pour qu’elle cesse
d’appartenir à tous les membres du groupement » (pp. 155-156).
Le domaine collectif est en effet sujet à de multiples usages, tous ouverts à
l’ensemble et à chacun des membres du groupe, présents et futurs. Il comprend
presque toujours les parties suivantes :

- Le lieu de résidence et les anciens lieux de résidence ;


- Les champs ou les espaces cultivés ;
- Les jachères ou parties en régénérescence ;
- La brousse où les membres du groupe pêchent, chassent, piègent,
pratiquent la cueillette, font l’extraction de minerai, de sel, d’argile ; c’est
aussi le lieu où poussent les bambous servant à la construction, les
raphias, les bananiers sauvages, etc, bref, où le groupe trouve toutes les
ressources de sa substance. C’est ici également qu’on peut retrouver les
lieux sacrés ;
- Les pâturages dans les sociétés pastorales.

II. Les droits individuels nés de l’usage du domaine collectif

Chaque membre du groupe, rappelons-le, a un titre égal à l’exploitation des


parcelles agricoles ou de pacage et de la brousse en général. Dans la majorité des cas,
les individus ne possèdent que l’usage de la terre. La propriété du fonds se confond
avec l’existence d’un groupe social.
L’exercice des droits plus au moins permanents ou précaires est fonction du
rapport qui existe entre l’individu et le groupe. L’appartenance intégrale à un groupe
social disposant d’un domaine confère un droit égal et permanent à chaque membre du
groupe. Ceux qui sont liés à ce groupe par différents liens possibles exercent des droits
précaires ; ils possèdent le droit de faire usage de la propriété du groupe auquel ils sont
liés. Il s’agit dans ce second cas des droits d’usage temporaires et transitoires qui
naissent en fonction des relations spécifiques ou d’une résidence particulière. Telle est
la situation des hommes qui vivent au village de leur femme ou de leur concubine,
dans les structures patrilinéaires à résidence virilocale, ou des femmes qui résident au
village de leur mari dans les structures patri ou matrilinéaires à résidence virilocale.

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Dans les systèmes à clientèle, les individus bénéficient de l’usage illimité dans
le temps précaire, selon le cas, d’une parcelle. En règle générale, cet usage a été acquis
par une transaction et sa continuation implique la continuelle reconnaissance de
l’allégeance politique.

Pour les individus et les petits groupes familiaux, les droits d’usage du sol
s’ouvrent de différentes façons, notamment, en appartenant par la naissance à un
groupe localisé disposant d’un domaine ; en étant attaché à un groupe de parenté
localisé par une relation matrimoniale ; en devenant esclave ou serf d’un groupe de
parenté localisé, en obtenant l’autorisation de la communauté possédant du chef
politique ou de son délégué, etc (Commission, p. 84).
L’accès à la terre ouvre l’accès à ses produits et aux incorporations. S’il est
vrai que l’individu occupe le fonds sans en être propriétaire, le fruit de son effort
personnel lui appartient à titre individuel : droit du cultivateur sur sa récolte et sur
l’amélioration apportée à la terre par son travail ; droit du chasseur sur le gibier abattu,
droit du pêcheur sur le poisson capturé, etc. Bien entendu, il faut pour prendre
possession de ces choses et en devenir propriétaire, être titulaire d’un droit bien défini :
droit de culture, droit de cueillette, droit de chasse, droit de pêche, que possèdent seuls
les membres du groupement considéré. L’étranger qui ne peut en user est donc
incapable sans autorisation d’acquérir la propriété des biens qui résultent de l’exercice
de ces droits.
Tout titulaire du droit d’usage du sol a donc droit, à titre individuel, à la
propriété pleine et entière du produit de son travail. Ce principe est applicable aussi
bien aux constructions qu’aux cultures. Les droits de l’individu seront respectés aussi
longtemps que subsisteront les traces tangibles ou de l’occupation ou du travail.
Jean SOHIER montre particulièrement en ce qui concerne les peuples du
Katanga que, si le droit exclusif et individuel sur le produit du travail est une constante,
des modalités diverses existent en ce qui concerne la dévolution des jachères et des
champs abandonnés et l’exercice du droit de disposition sur les arbres et les
constructions (pp. 294-301).

III. Les contrats fonciers coutumiers

Dans les sociétés segmentaires, les droits individuels nés de l’usage du


domaine collectif sont cessibles ; mais il ne s’agit pas de la cession du fond qui est une
propriété collective inaliénable. La cession peut être gratuite ou à titre onéreux. Elle
requerra assez souvent l’autorisation du chef du groupement considéré. Théoriquement
donc, tout individu peut céder plus moins librement à autrui le champ qu’il a défriché,
sans que la transaction ne crée des obligations entre le cédant et le cessionnaire.
Dans les sociétés à système de clientèle par contre ont été instituées des
formules contractuelles qui confèrent à l’acquéreur d’une parcelle des droits exclusifs
cessibles et transmissibles à cause de mort. Les transactions sont formalisées et se font
habituellement devant témoins, seul moyen de prouver par après la cession opérée.
Chez les Bashi par exemple, l’homme qui désire un terrain, y construire son
habitation, s’y installer avec sa famille et cultiver le sol, doit solliciter un « supérieur »
pour obtenir le droit d’occupation de cette terre. Ce supérieur, comme on l’a vu, peut
être un chef de village, un chef de région ou même du pays. Il peut être aussi un
homme riche, sans charge politique, et qui peut céder un terrain qu’il ne cultive pas.
En fait, celui qui donne est toujours plus riche, et de ce fait socialement plus élevé que

15
celui qui sollicite. Etre chef chez les Bashi, écrira J.B. Cuypers, c’est être « capable de
procurer une terre » (CUYPERS, J.B., 1967, p. 225).
Mais comment solliciter un chef ? Deux stades sont nécessaires et
inséparables : courtiser d’abord, solliciter ensuite, bien qu’il soit possible de courtiser
sans solliciter. La courtisanerie est caractérisée par un cérémonial et un langage quasi
immuables. L’homme se présentera avec une calebasse de bière devant l’enclos du
chef et priera un « intercesseur » (Muganda) d’aller, avec différence, saluer le chef de
sa part : il demande par un impératif poli, d’aller saluer pour lui au « Bugale ». Bugale
peut avoir deux significations : la richesse et l’habitation d’un homme riche,
« mugale » ; ce terme s’emploie en la circonstance pour désigner le chef. Par le
« muganda », le chef répond à son salut. Puis le courtisan attend jusqu’à ce que le chef
l’appelle pour le laisser entrer. Il pourra alors prendre place parmi les autres courtisans
(Basengezi).
Le comportement du courtisan a pour but d’exprimer publiquement sa
soumission ou sa disposition à se soumettre. Le chef, après avoir accepté l’hommage
du courtisan, donnera de la bière signe qu’il apprécie le geste. La demande ne sera pas
toutefois, formulée directement par l’intéressé lui-même ; c’est toujours par
l’intermédiaire d’un intercesseur (Muganda). Quiconque peut servir d’intercesseur
parmi les fidèles du chef.
En cas d’accord de principe du chef, rendez-vous est pris pour visiter et
délimiter le terrain qui pourrait être accordé. Le chef envoie des « Baganda » qui ne
sont pas obligatoirement ceux qui ont introduit la requête initiale. Leur nombre n’est
pas non plus déterminé par la coutume.
Sur le terrain, les baganda convoquent les occupants des terrains limitrophes
lesquels sont invités à indiquer leurs limites respectives afin d’éviter toute contestation
ultérieure. Ils déterminent habituellement les limites en suivant des repères naturels
tels que arbres, ruisseaux, pied de colline, … C’est après la délimitation que les
baganda déclarent le kalinzi à verser au chef avant d’occuper et de jouir du fonds. Ce
kalinzi n’est pas négociable ; il est fixé discrétionnairement par les baganda.
Quoique le chef n’apparaisse plus dans la suite des opérations, une fois son
accord donné, il n’en demeure pas moins que c’est lui qui indique aux baganda la
superficie à concéder et la substance du kalinzi(4).
4
Le Kalinzi (du verbe « kulinza » : faire attendre) : c’est la forme la plus classique de
tenure foncière au Bushi. Le terme désigne à la fois le prix du droit de jouissance
(nkafu ya kalinzi) et la terre sur laquelle s’exerce ce droit (ishwa lya kalinzi),
Ouchinsky le défini comme le prix du droit (en principe perpétuel) de jouissance sur
une terre qu’accorde le suzerain au vassal et à ses descendants. Le Kalinzi n’est
cependant pas un prix d’achat, mais un don de reconnaissance du vassal au suzerain qui
lui attribue une « propriété foncière » (OUCHINSKY, A..,op. cit, p. 147). Le Kalinzi
se compose généralement d’un lot de vaches et/ou de chèvres : son importance dépend
de plusieurs facteurs : la superficie de la parcelle, l’estimation de sa fertilité, son
emplacement, le degré d’amitié entre les intéressés et surtout l’offre et la demande (J.
HECQ, op. cit, 1958, p.7). Aucune condition d’âge ou de sexe n’est en principe posée
pour l’obtention d’un kalinzi. Une femme ne peut cependant l’obtenir en son nom
propre, mais le kalinzi peut lui être accordé en tant que mandataire d’un de ses enfants
mineur ou majeur, mais obligatoirement de sexe masculin. Au demeurant, un étranger
au Bushi peut obtenir un kalinzi, mais à la condition d’accepter l’assujettissement au
chef foncier (kushiga). En effet, la condition de base pour obtenir d’un kalinzi est
l’assujettissement social et/ou politique du bénéficiaire vis-à-vis de l’autorité foncière.

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L’homme qui occupe une parcelle est tenu de payer plus tard et
périodiquement une double imposition : un tribut en nature, « kushegula » et un tribut
en travail « kurhabala ». Le premier appelé parfois aussi « kurhula mwaka » (offrir le
cadeau du champ) consiste en une dîme sur les récoltes et la bière brassée (kasigisi), à
remettre à celui qui a concédé le terrain. L’occupant d’une parcelle importante donnera
même du bétail. Le « Ntulo » (le cadeau) n’est cependant pas versé à terme fixe, mais
suivant les possibilités.
Le chef de village envoie périodiquement une partie de ces redevances au
Mwami ou au chef de région ; ce dernier agit de même vis-à-vis du Mwami.
Ne pas s’acquitter des tributs, c’est risquer de se voir retirer le droit
d’occupation de sa terre. Ainsi l’homme qui a sollicité et reçu une terre, se place dans
la situation matérielle et morale d’apporter une aide quasi permanente au maître de son
terrain. Il lui rendra de multiples petits services, sollicités ou proposés afin de plaire.
Des mécanismes équivalents existent chez les Havu, Fuliru, Hunde et les
Nande du Nord-Kivu.
A côté de ces contrats translatifs des droits opposables à tous, le prêt ou la
location des champs individuels se rencontrent assez fréquemment. Les coutumes ne
fixent pas de façon rigoureuse la durée du transfert de la jouissance temporaire ainsi
que la contrepartie due par le cessionnaire ; les parties en conviennent librement.

IV. Les modes d’extinction des droits fonciers individuels sur le


domaine collectif

Dans sociétés à système de clientèle autant que dans les sociétés segmentaires,
les droits individuels s’éteignent pour deux causes : le départ volontaire du titulaire (ou
l’abondon) et la faute.
Comme nous l’avons dit plus haut, tant que la personne occupe et exploite un
fond, ses droits sur celui-ci demeurent et sont opposables à tous. L’abandon du terrain
éteint les droits individuels sur cette portion du domaine collectif. L’émigration est le
signe le plus évident de la volonté d’abandonner le terrain. Le délaissement du terrain
qui retourne à la brousse est aussi une marque d’abandon.
A propos de la présomption d’abandon, G. MALEGREAU propose cette
analyse pertinente : « en général, pour qu’une terre soit considérée comme abandonnée
et remise à la disposition d’autrui, il faut que l’intention d’abandon ait été clairement
manifestée d’une manière ou d’une autre par son propriétaire (…) chez les Ngbaka
(Gemena), l’individu conserve la propriété de son champs, même si la forêt y a
repoussé aussi longtemps qu’il n’a pas dit : « je l’abandonne », (…) la présomption
joue généralement en faveur de l’animus tenendi du premier propriétaire, à condition
qu’il subsiste des traces de son occupation de ses droits » (172-173).
L’extinction des droits individuels sur le domaine collectif pour faute est
motivée de diverses façons selon les sociétés. Est constitutif de faute chez les Nande
du Nord-Kivu le fait de :

- le non paiement de la redevance coutumière ;


- l’attentat à la vie de son chef (Mukama) ou du mwami (chef politique) ;
- commettre l’adultère avec l’épouse du chef ou violer sa fille ;

Voilà pourquoi, le bénéficiaire doit notamment résider dans le fief du « chef foncier »,
sans quoi la convention deviendrait caduque. « On ne peut servir deux maîtres à la
fois », dispose la coutume des Bashi.

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- avoir des relations sexuelles avec quelqu’un du même sexe ;
- détruire méchamment les lieux sacrés ou le tombes royales ;
- la sorcellerie.

Sont considérés comme causes de résolution du contrat de Kalinzi (contrat de


jouissance perpétuelle d’un fonds) chez les Bashi (Sud-Kivu) les faits ci-après : l’esprit
séditieux, la sorcellerie, le refus répété de prester chez son chef foncier ou de lui
témoigner de la reconnaissance, l’adultère commis avec l’épouse de l’autorité foncière,
le vol à répétition, l’esprit d’insociabilité. Pour toutes ces raisons, le chef foncier peut
exercer le droit de reprise du fonds.

§4. L’usage de la forêt, des rivières et des lacs et des fleuves par les
individus

Les droits d’usage exercés sur le domaine collectif ne se limitent pas au sol ;
ils s’étendent également sur les forêts, les rivières et les lacs. Le degré d’exclusivité
des droits d’usage en ces cas varient en fonction de l’activité économique du groupe et
du genre de relations qu’il entretient avec les groupes voisins, apparentés ou alliés.
Ainsi le domaine du groupe peut être ouvert à une communauté plus large comprenant
deux ou plusieurs autres groupes pour l’exercice des droits de chasse, de piégeage, de
cueillette et d’extraction.
L’exploitation du domaine collectif entraîne toute une série de droits qui sont
souvent individuels. Ces droits naissent de la pratique de la chasse, de la pose de
pièges, de la pratique de la cueillette et de la pêche.

I. Cueillette et exploitation forestière

Le droit de cueillette est, en principe, libre au moins pour les membres du


groupement de même que l’abattage du bois pour le chauffage et la construction. Le
cueilleur et le bûcheron sont propriétaires du produit du leur activité. Le chef politique
ou le chef de terre, selon le système foncier en présence conserve toutefois son droit de
police sur ces activités et perçoit parfois tribut à leur propos. Ainsi chez les Lunda, le
chef de terre conjointement avec le chef de plaine, peut réglementer la cueillette : des
droits exclusifs de cueillette peuvent être reconnus à celui qui a aménagé un arbre
fruitier spontané, une termitière, une plaque de champignons ou un essaim d’abeilles
sauvages. Dans ce dernier cas, il faut parfois que la ruche soit artificielle. Chez les
Luba, celui qui cueille le miel dans le champ d’un tiers, abandonne un ou deux rayons
au cultivateur.
En ce qui concerne le bois mort et la chaume, une fois individualisés par
l’abattage, la mise en fagots ou en bottes, ils sont propriété personnelle : leur
soustraction par un tiers constitue un vol.
Certaines tribus soumettent à l’autorisation du chef l’abattage de l’arbre à
pirogue : cette coutume existe chez les Lunda, les Luba-Katanga et les Songe
notamment.

II. Le droit de chasse

Les coutumes de chasse sont très nombreuses. On distingue toutefois deux cas
de figure : la chasse individuelle et la chasse collective ou en battue.

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La chasse individuelle vise généralement de petits mammifères, des rongeurs
ou des oiseaux. Le chasseur en ce cas garde pour lui la bestiole tuée ou capturée. Il
existe cependant quelques exceptions où certains animaux ou parties d’animaux
doivent être donnés au chef. C’est le cas notamment des léopards.

La chasse en battue est la plus pratiquée. Le groupe de chasseurs se compose


selon le cas des membres d’un clan ou, cas le plus fréquent, des hommes de village
entier.
Les prises sont distribuées selon des règles fixes dont nous donnons quelques
exemples :
Chez les Kuba du Kasaï, une cuisse et la tête que pour celui qui a l’animal ; le
dos pour le propriétaire du chien qui l’a rabattu, la nuque pour le porteur de viande, la
poitrine et les intestins pour les pères de famille, et généralement une cuisse pour le
chef de village.
Chez les Tetela du Kasaï, le chasseur qui tue la bête, reçoit la plus grosse part,
mais le cou revient aux rabatteurs, une patte aux chasseurs qui ont des enfants, une
autre aux chasseurs qui n’ont pas d’enfants.
Chez les Lamba et Lala du Katanga, la poitrine, une cuisse et les peaux des
grands fauves sont remises au chef.
Chez les Banyarwanda du Nord-Kivu, celui qui au cours d’une battue, a blessé
le premier une bête est censé l’avoir tué ; il a droit à la peau et à une cuisse. La viande
est ensuite partagée entre tous les chasseurs. Les dépouilles d’une certaine valeur sont
réservées au Roi : les peaux de loutre, d’antilopes de marais, de lion, de léopard ainsi
que les pointes d’ivoire.
La réglementation coutumière de la chasse varie d’une région à l’autre. Les
principales règles coutumières en la matière régissent soit la propriété individuelle du
chasseur soit l’ayant-droit coutumier au tribut coutumier. Diverses situations sont
envisagées par la coutume :

- lorsque deux ou plusieurs chasseurs ont tiré sur la même bête ;


- lorsqu’une bête blessée par un ou plusieurs chasseurs est retenue par un
chien appartenant à un autre participant à la battue ;
- lorsque le gibier tué ou mort est retrouvé par une (autre) personne ;
- lorsque le gibier blessé par le chasseur et pris dans un piège posé par
quelqu’un d’autre ;
- lorsque la bête mortellement touchée par un chasseur va crever dans un
champ d’autrui.

Si un étranger veut chasser sur les terres d’un groupement familial localisé, il
droit en demander la permission au chef dudit groupement. La permission accordée
n’est valable que pour une fois et doit être renouvelée à chaque fois.
La chasse collective sur les terres d’un autre groupement familial n’est pas
permise dans la plupart des coutumes, sauf lorsqu’un animal aurait été levé sur les
terres des chasseurs et aurait traversé la frontière des terres. On peut le poursuivre
alors et remettre une partie de l’animal tué au groupement concerné.
Chaque membre du groupe peut poser des pièges où bon lui semble. Le butin,
en dehors des animaux réservés au chef, appartient généralement à celui qui a posé le
piège. Un étranger par contre ne peut sans autorisation poser des pièces sur les terres
du groupe.

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III. Le droit de pêche

La pêche au large, dans le fleuve, est presque partout libre dans les systèmes
coutumiers de la République Démocratique du Congo. Par contre les rivières font
l’objet des droits exclusifs au profit de certains groupes ou familles. Les rives du
fleuve propices à la pêche, notamment les mares laissées par les décrues, sont
également réparties parfois entre les familles.
La petite pêche et la cueillette sont dans la plupart des sociétés traditionnelles
de la République Démocratique du Congo, laissées aux femmes. La grande pêche à
filets est effectuée par un groupe de pêcheurs. Les prises sont divisées entre eux mais
généralement les propriétaires des pirogues et des filets reçoivent plus.
La pose des nasses est libre pour les membres du groupe et le butin appartient
à celui qui les a posées. Les travaux de construction de ces barrages, digues, maisons
sur pilotis, etc se font toujours en commun. C’est toute une section d’un clan ou un
village qui effectue ces travaux. La propriété de ces travaux appartient collectivement
aux bâtisseurs. Les sections des clans ou villages étrangers ne peuvent aménager des
cours d’eau ou poser des masses sur des rivières appartenant à un autre clan ou village.
Dans la chefferie Kiluba au Katanga (Manono), le produit de la capture du
poisson par érection d’une digue est remis au chef de famille qui repartit la pêche entre
les pêcheurs ; pour la capture au filet, le pêcheur doit avoir reçu l’autorisation du chef
de famille à qui il remettra environ la moitié du poisson. Partout, la pêche à l’hameçon
est libre.
Chez les Lunda, le droit de pêche connaît certaines restrictions : il est interdit
de pêcher aux points où les gens du village vont puiser l’eau potable ou prendre leur
bain. La coutume reconnaît par ailleurs un droit exclusif de pêche au premier
occupant, c’est-à-dire à celui qui, en un endroit donné d’une rivière, a, le premier,
construit un barrage, a placé ses filets ou ses nasse. Ce droit s’étend sur une certaine
distance de chaque côté du point de pêche. Ce droit exclusif du pêcheur subsiste tant
qu’il n’a pas enlevé définitivement ses ouvrages ou abandonné le barrage.
Chez les Luba-Katanga, chaque pêcherie appartient à une communauté ; les
pêcheries sont inaliénables mais peuvent être concédées.
Toutes les sociétés traditionnelles pratiquant la pêche confèrent des droits
exclusifs à celui ou ceux qui pose(nt) un (des) barrage(s). Par ailleurs, certains
ruisseaux peuvent être concédés et certains étangs peuvent faire l’objet des droits
privatifs.

Section III. Les autorités foncières coutumières

§1. Les prérogatives des chefs politiques en matière foncière

Les chefs politiques que sont, selon l’organisation politique traditionnelle en


présence, les rois et les empereurs n’exercent des prérogatives en matière foncière que
dans les sociétés à structures politiques centralisées (cfr supra). Si le grand chef
apparaît comme le maître de la terre, celle-ci appartient plus véritablement à
l’aristocratie des conquérants ou à la famille régnante qu’à un individu.
Le grand chef, le roi ou l’empereur remet la terre souvent soit à titre définitif
soit à titre plus ou moins précaire, à ses princes. Ceux-ci confient à leur tour
l’administration de leurs terres à des « officiers » subalternes. Ces derniers, à leur tour,

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cèdent ces terres, à titre plus ou moins précaire, aux sujets placés sous leurs ordres. La
coutume détermine les obligations de chacun vis-à-vis de sa hiérarchie. D’une façon
générale, les sujets peuvent utiliser les terres dont l’usage leur a été donné, aussi
longtemps qu’ils le désirent, à condition d’accomplir loyalement leurs devoirs.

Chez les Zande, par exemple, soumis aux Abandia et aux Avongara, la terre
appartient en principe au chef politique, mais en réalité à la famille du chef. D’une
façon assez générale, le chef répartit de son vivant l’administration des terres entre ses
frères et quelques uns de ses fils. Ces derniers les partagent entre des capitas ou «
bakuamba » lesquels à leur tour les distribuent aux divers sujets placés sous leurs
ordres.
Dans l’empire de Baluba, l’organisation présente les mêmes traits essentiels
avec quelques différences dans les détails. Le pouvoir y est puissant et centralisé. Le
chef souverain, généralement à la tête d’un domaine trop étendu pour pouvoir s’en
occuper lui-même, mais ne désirant pas cependant perdre le bénéfice de ses conquêtes,
nomme des chefs de « fiefs » ou des bilolo, sortes d’intendants ou de percepteurs
d’impôts, chargés d’administrer ses terres.
Ces chefs de « fiefs », n’ont cependant rien à voir avec la propriété de la terre.
D’où parfois, à leurs côtés, un chef de terre qui représente les droits fonciers des
autochtones. Chaque « fief » est à son tour divisé en villages, et dans chaque village
vivent plusieurs familles dont chacune a ses terres. En d’autres mots, la propriété
foncière est partagée entre les familles, tandis que le pouvoir politique est hiérarchisé
par unités territoriales qui vont de la chefferie au village en passant par les « fiefs ». Là
où il n’y a pas de droits fonciers appartenant à des autochtones, la terre est propriété
collective de tous les membres du village.
Globalement dans toutes les sociétés traditionnelles congolaises à structures
politiques centralisées, l’organisation foncière est en relation étroite avec l’organisation
politique : le pays est partagé en circonscriptions administratives à la tête desquelles
sont placés des dignitaires divers revêtus des pouvoirs fonciers.
Dans certains Etats de conquête toutefois, les vainqueurs ont respectés les
droits des vaincus sur le sol, leur organisation politique et sociale, leurs coutumes et
leurs mœurs et n’exigent de ceux-ci que le paiement d’un tribut ou diverses prestations.
Tel est le cas des Bayeke vis-à-vis des diverses populations qui leur furent soumises
dans le Sud du Katanga : les droits que possédaient sur le sol les collectivités d’ordre
inférieur, à savoir les clans, les groupes de famille et les familles ont été respectés ;
mais les droits d’ordre éminent des collectivités supérieures que sont la tribu, la sous-
tribu, le groupe de clans, n’ont pas été reconnus. Ainsi retrouve-t-on parfois des
formules d’organisation foncière typique des sociétés segmentaires (c’est-à-dire à base
clanique) dans des sociétés à structure politique centralisée. Dans ce cas, le chef
politique et ses dignitaires n’exercent pas de prérogatives en matière foncière ; ils
administrent simplement les divers clans et leur font accomplir diverses prestations qui
leur sont dues.

§2. Les pouvoirs fonciers des chefs de clan et/ou des chefs de terre

L’institution du chef de terre n’existe que dans les sociétés à structure linéaire
en République Démocratique du Congo. On a par ailleurs tendance à l’assimiler au
chef de clan, partant du principe que dans ces sociétés la terre appartient au clan. Par

21
un raccourci, on fait correspondre à des « entités administratives » (le village, un
groupe de village ou un groupement) le champ de déploiement du clan.
A propos du titulaire des droits fonciers indigènes, G. LAFONTAINE, a une
position tranchée : « la terre est au père, chef de clan – parfois à un chef de terre
descendant du premier détenteur –, les familles et les individus n’ont que des droits
d’usage » (JTO, 1955, pp 113).

Malengreau G. note pour sa part : dans certains groupements familiaux


morcelés, comme aussi dans quelques groupements politiques issus d’anciens
groupements familiaux, – et il semble que dans un cas comme dans l’autre il s’agisse
uniquement de groupements matrilinéaux, – on trouve, à côté du chef, un personnage
qui assume ses droits et ses prérogatives en matière foncière ; on l’appelle le chef de
terre. La coexistence de ces deux autorités indigènes est assez fréquente, sans être
générale. Là où il existe, le « chef de terre » est le plus souvent, sinon la plus haute
autorité, du moins le véritable représentant de cette branche aînée que la légende
reconnaît comme ayant occupé la première le pays. Etant généralement le plus ancien
de la génération la plus ancienne du clan, il peut se confondre avec le chef de clan là où
celui-ci a conservé son autorité. Tout ce qui intéresse le sol, son usage, son affectation
relève de lui. Il passe pour être le successeur des ancêtres, préposés à l’administration
des biens fonciers collectifs. Il s’agit comme s’il avait la propriété éminente des terres,
c’est-à-dire que, sans en être le bénéficiaire, c’est à lui que revient le pouvoir de la
réglementer.
Chez les Baluba Lemba, le mukulu, personnage qui joue le rôle de chef de
terre, administre les domaines de plusieurs familles ou kisaka. Le groupe s’est divisé
en familles mais celles-ci ont conservé pour mukulu le descendant du premier occupant
et fondateur du groupe.
Le chef de terre s’appelle muelle chez les Baboma, il est en même temps chef
de clan, représentant des ancêtres, prêtre du culte des morts et magicien coutumier.
Chez les Bayaka, c’est le kulamba, l’azapane chez les Mangbetu, etc. Partout c’est un
personnage puissant, car on lui prête le pouvoir, pour se faire obéir, de rendre le sol
aride et les femmes stériles.
Le chef de terre est donc habituellement, mais non nécessairement, un
personnage distinct du chef du groupement familial. Là où à l’autorité du chef de clan
s’est substituée celle d’un maître étranger, le pouvoir de réglementer les droits fonciers
continue souvent à appartenir au chef de clan, qui les exerce comme chef de terre.
Boelart E. renseigne quant à lui que des études ethnologiques approfondies ont
révélé que les titulaires des droits fonciers indigènes n’étaient pas les chefs mais des
cellules foncières bien plus petites qui n’ont pas encore un nom généralement admis
(…) que M. SOHIER continue à désigner sous le nom de clan.
La Commission pour l’étude du problème foncier au Congo Belge invite ainsi
à la plus grande prudence relativement à l’identification des véritables détenteurs des
pouvoirs fonciers dans les sociétés segmentaires.
« Ceux qu’on appelle chefs fonciers, peut-on lire dans le rapport de la
commission, exercent leur autorité dans d’autres sphères de la vie sociale et dérivent
généralement leur titre d’une position généalogique particulière ; ils agissent toujours
au nom et en fonction du groupe auquel ils appartiennent ; ils sont généralement
plusieurs, c’est-à-dire qu’il existe à l’intérieur du groupe une hiérarchisation et une
division de pouvoirs et de prétentions ; ils sont rarement héréditaires, c’est-à-dire que le
pouvoir particulier dont ils disposent ne reste pas nécessairement l’apanage de leur

22
famille mais qu’il passe de famille en famille, de branche en branche d’après la
structure changeable du groupe et les principes qui sont à la base de cette structure.

§3. Les prérogatives des chefs de plaines chez les Lunda

A côté des chefs de clan ou de terre (Mwata wanganda), les Lunda organise
une institution qui n’existe dans aucun autre système foncier coutumier en République
Démocratique du Congo : le chef de plaine (mwata wa mpata). Le clan Lunda connaît
en effet en son sein deux chefs dont l’un est vassal de l’autre. En raison de sa vassalité,
le chef de plaine paie au chef de clan divers tributs politiques ou de soumission.
Malgré cette vassalité, le chef de plaines a droit à certains tributs coutumiers :
le « milambo » de chasse, de pêche et de cueillette doivent lui être payés pas
l’inventeur de tout bien émanant de ses plaines. De même, le chef de plaines a
également droit aux tributs d’installation payés par le nouveau groupement familial qui
s’installe sur ses plaines. Toutefois, si le chef de terre refuse d’accorder à un
groupement familial l’autorisation de s’installer sur les terres du clan, le chef de plaines
ne peut accepter ce groupement sur son domaine.
En cas de mauvaise gestion des plaines, le chef de clan a le pouvoir de
destituer le chef de plaines. La destitution ne vise toutefois que le chef de plaines et
non le groupement familial possesseur de ces plaines et auquel ce dernier appartient.
Le chef de plaines est en fait un sous-gestionnaire d’une partie des biens
fonciers du clan en ayant pour chef le gestionnaire de ces biens, c’est-à-dire le chef de
terre ou de clan. Le domaine du chef de plaine forme toutefois une unité bien nette au
sein du patrimoine foncier du clan.
La subordination du chef de plaines vis-à-vis du chef de clan est
particulièrement attestée par les restrictions que lui impose la coutume en cas
d’interdiction de chasse, de pêche ou de cueillette de tel produit. En effet, le chef de
plaines peut interdire la chasse dans telle plaine, la pêche dans telle rivière ou encore la
cueillette de tel produit. Il doit en demander l’autorisation au chef de clan. En cas
d’opposition du chef du clan à l’interdiction, sa décision devient caduque. Par contre,
si l’interdiction de chasse, de pêche ou de cueillette émane du chef de clan, elle frappe
tous les membres du clan, y compris les membres du groupement familial possesseur
des plaines frappées d’interdiction.
Soulignons également le fait que le chef de plaine ne peut céder dans certaines
circonstances telle ou telle plaine. La coutume lui interdit cependant de vendre tout ou
partie de ces plaines.

§4. Les Pouvoirs fonciers des chefs de famille

Dans la famille étendue, le chef de famille a, dans la plupart des systèmes


fonciers coutumiers, la charge de répartir entre les divers membres de la famille l’usage
de la terre. Les champs sont généralement individuels.
Les femmes sont tenues à des prestations de vivres au profit de leur mari  : par
ses plantations, la femme doit pouvoir à l’alimentation de son mari et de ses enfants.
Pour sa part, l’homme doit souvent les prémices de ses récoltes à son chef de famille et
parfois des prestations en vivres au chef politique.
Aucune distinction n’est à faire à ce sujet entre les membres appartenant à la
famille en vertu de la naissance et les membres appartenant à la famille en vertu de
l’adoption, de l’alliance ou des liens de clientèle.

23
Dans beaucoup des sociétés traditionnelles, le chef de famille donne
également l’usage d’une terre à ses esclaves.

Section IV. Les modes traditionnels de règlement des conflits fonciers 

Tout individu est justiciable de son chef direct, juge unique et souverain.
L’aîné est seul maître et juge des affaires intérieures. Il est soumis à l’autorité
supérieure uniquement pour ce qui a trait à l’ensemble du clan. La tradition ne
connaissant pas de juridiction d’appel, l’individu n’a qu’à se soumettre au verdict. Tout
ce qu’il peut faire, le cas échéant, est de consulter un ancien dans un groupement
apparenté, surtout quelqu’un qui est renommé et respecté. Si celui-ci estime la plainte
valable, il essaie de convaincre son collègue qu’il respecte le droit et explique au
consultant comment agir : chez les Mongo par exemple, s’incliner devant son « père »
coutumièrement en passant sous sa jambe en signe de soumission inconditionnée.
Cette cérémonie est considérée comme indispensable pour redresser pareilles situations
en sauvegardant à la fois le droit individuel et l’autorité « paternelle ».
La coutume ne connaît aucune institution semblable au tribunal dans les droits
européens.
Les conflits fonciers dans la société traditionnelle, ou s’en doute, opposent,
selon le cas, des individus ou des groupements (familles, lignages, clans).
Les conflits entre clans sont habituellement provoqués pas des individus ; mais
ils ressortissent au « droit inter clanique », basé sur les principes communs aux diverses
tribus.
Un conflit entre membres de clans différents ressortit naturellement au droit
inter clanique. S’il n’est pas vidé par la loi du plus fort, il peur l’être au moyen d’un
pacte d’amitié ou par l’entremise d’un parent. Ainsi, malgré le fossé politique, le
différend peut être aplani.
En l’absence de liens de parenté et de pactes d’amitié le contact de membres
de deux clans menait à l’esclavage d’une des parties, suivi par une guerre. Comme les
clans sont souverains et autonomes, les conflits surgissant entre eux ne pouvaient être
résolus que par la force ou par un compromis.
Les traditions font état de nombreux cas de guerre, non seulement comme
suite de migrations mais aussi pour des conflits de chasse et, surtout, pour des affaires
de mariages. Malgré l’absence d’une autorité supérieure, le droit coutumier connaissait
des règles pour la guerre, grâce à la culture commune. Les combats arrêtés il fallait en
venir aux pourparlers de paix. D’après le droit ancestral Mongo, de chaque côté celui
qui était reconnu responsable de la guerre était tenu d’indemniser les familles des
victimes. Pour les tués l’indemnité consistait à les remplacer par des personnages
esclaves, vivants ou sou forme de valeurs métalliques. Selon le barème-prix reconnu
dans la région (p.ex. dans la région d’Ingendo-Bokatola vers 1930), on comptait 25
bons anneaux de cuivre (bakonga) comme l’équivalent d’un esclave.
Un pacte de non agression était connu, groupant un nombre important de
clans. Il était organisé par un chef de clan particulièrement riche et influent qui était
parvenu à s’imposer. Cette organisation était généralement bien respectée, grâce au
caractère pacifique des patriarches et autres vieux. Ainsi on parvenait à limiter les
guerres. Celles-ci étaient dues surtout à la jeunesse avide de renommée ou cherchant à
s’emparer des terres, des vaches ou encore de valeurs métalliques pour acquérir une
épouse.

24
Ce pacte inter clanique n’était valable que pour une durée limitée. (Hulstaert,
1961 : 42-45)

25
Chapitre II. Mutations foncières et évolution des rapports fonciers de
production

Section I. Les facteurs de changement des systèmes fonciers coutumiers

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux facteurs de changement des
systèmes fonciers coutumiers, à l’évolution des rapports fonciers de production
(Section II) et aux pratiques foncières actuelles en milieu rural (Section II).

§1. Les transformations foncières provoquées par l’action coloniale

Selon les périodes, divers facteurs ont cumulativement entrainé des


changements dans les systèmes fonciers coutumiers. Pendant la période coloniale, la
doctrine des terres vacantes (I) a tôt fait de déposséder les communautés indigènes des
parties importantes de leurs domaines, au profit d’une part des sociétés concédantes
(II), d’autre part des sociétés propriétaires ou concessionnaires, l’économie des
plantations étant le second pivot de l’économie coloniale et des missions religieuses.
Le regroupement des populations et la politique de glissement des groupes sociaux
(III), la formation des circonscriptions administratives et la politique de centralisation
(IV), la création des centres extra-coutumiers et cités indigènes (V) et les lotissements
agricoles (ou paysannats) (VI) à leur tour entrainé des recompositions sociales et
foncières à très grande échelle.
La jurisprudence des juridictions indigènes a pour sa part modifié l’économie
des coutumes foncières à travers la recherche de l’adéquation de celles-ci à l’évolution
de la société et aux politiques coloniales.

I. La théorie des terres vacantes

C’est la circulaire du 01 juillet 1885 de l’Administrateur Général de l’EIC,


Francis De WINTON, qui inaugure les mutations que vont connaître les systèmes
fonciers coutumiers pendant la période coloniale. Cette ordonnance attribue à l’Etat la
propriété des terres vacantes. Sont considérées alors comme vacantes toutes les terres
sur lesquelles les indigènes ne sont pas installés de façon apparente.
Le Décret du 03 juin 1906 précise ce qu’il faut entendre par terres occupées
par les indigènes : il s’agit des terres que « les indigènes habitent, cultivent et
exploitent d’une manière quelconque conformément aux coutumes et usages locaux.
Le Gouverneur Général ou le Commissaire de district délégué à cette fin, en
vue de tenir compte des modes de culture des indigènes et de les encourager à de
nouvelles cultures sont autorisés (…) à attribuer à chaque village une superficie de
terres triples de l’étendue de celles habitées et cultivées par eux, et même dépasser cette
superficie triple avec notre approbation (…) ».
En rapprochant le Décret du 03 juin 1906 de la circulaire du 01 juillet 1885,
les terres vacantes constituent une catégorie résiduelle. On oppose aux terres vacantes,
les terres que les indigènes occupent et non celles sur lesquelles ils possèdent des
droits. Les terres sur lesquelles les indigènes ne sont pas installés de façon apparente
sont vacantes et doivent être considérées comme appartenant à l’Etat. Pour le Baron de
ROTENHAN qui résume l’opinion des jurisconsultes du Roi Léopold II à ce propos, il
s’agit des « terres qui ne sont soumises ni à la culture, ni à la jouissance des
particuliers. Ce sont des terres qui n’ont pas encore de possesseurs, donc qui sont sans

26
maîtres. Une telle terre, pour le droit romain, en vertu du principe » res nullium cedit
occupanti » peut être valablement occupée et érigée en propriété par le premier venu.
Mais en vertu de sa souveraineté de législateur, l’Etat peut se réserver ces terres » (cité
par BOELART, 1956, p. 160).
L’interprétation restrictive des textes juridiques susévoqués par
l’administration coloniale a abouti à une immense expropriation des indigènes. Elle a
eu effet enlevé aux indigènes la quasi-totalité de leurs terres et ne leur a confirmé que
certains droits sur une infime partie de leur territoire qu’ils occupent d’une manière
apparente.

II. Sociétés concédantes, économie des plantations et constitution des


parcs

Devenu maître d’un immense domaine, l’EIC procéda alors à des aliénations
et concessions au profit des sociétés commerciales. Les principales aliénations furent
faites dans le Haut-Congo, le Mayumbe et le Katanga. Des terres domaniales de peu
d’étendu furent également vendues à des particuliers ou données à titre gratuit à des
missions.
La plus grosse société propriétaire a été la compagnie du Katanga. Fondée le
15 avril 1891, elle reçut la pleine propriété du 1/3 de la région du Katanga, soit 15
millions d’ha, les deux autres tiers restant la propriété de l’Etat. En 1900, toutefois, fut
créé un organisme spécial chargé d’ « assurer et de diriger en participation
l’exploitation du domaine appartenant en indivis à l’Etat et à la compagnie du
Katanga » : le comité spécial du Katanga (CSK). A la fin de 1934, le CSK avait permis
l’installation de 182 exploitations agricoles couvrant 721.205 ha.
Dans la région du Kivu, sur une superficie de 12 millions d’ha, le Comité
National du Kivu (CNKi) disposait des « pouvoirs concédants » analogues à ceux
accordés au CSK. Il avait le droit de vendre ou de louer les terres domaniales à son
profit ; de délivrer à son profit les permis de coupe de bois des forêts domaniales ;
d’effectuer des recherches minières et d’exploiter les gisements découverts ; etc.
Ses droits de gestion sur les terres domaniales furent toutefois ramenés à
800.000 puis à 300.000 hectares (en-dehors des droits déjà acquis) (décret du 14 avril
1943). En plus des 4,5 millions d’hectares de forêts domaniales dont il avait la gestion,
le décret du 11 avril 1949 lui transmit la gestion des forêts appartenant encore aux
congolais (estimés forfaitairement à 10 %).
Au 31 décembre 1946, précise le rapport d’activités, la situation au point de
vue des terrains de colonisation se présentait comme suit :

- 63.934 ha 69a de terrain retenus, c’est-à-dire mis définitivement à la


disposition du CNKi ;
- 132.915 ha 58a 27 ca de terrain dont l’enquête est en cours ou qui
devraient faire l’objet d’une nouvelle étude ;
- 52.334 ha de terrains refusés ;
- 133.987 ha de terrains abandonnés ;
- 12.263 ha 75a de terrains concédés, dont 9.712 ha 50a concédés à la fin
1945 » (CNKi, 20 ans d’activité en matière de colonisation européenne,,
1928-1948, p. 66).

27
Mendiaux signale que près de deux cents colons européens furent installés par
le comité sur des terres occupées par les indigènes, au moyen d’enquêtes de vacances
altérées. Par ailleurs, à la faveur du décret du 22 juillet 1938, le Comité est devenu
véritablement courtier en terres indigènes.
A côté de ces expropriations à des fins de colonisation, la constitution des
parcs et « réserves intégrales » permit également à l’administration d’exproprier les
indigènes. Sur près de 3 millions d’hectares, on ferma successivement le Parc Albert
(809 mille hectares), le parc de Garamba (491 mille hectares) et le Parc de l’Upemba
(1.100.000 hectares).
L’exemple du Parc Albert (actuel Parc National de Virunga) montre dans quel
esprit l’administration appliquait la loi. A sa création en 1925, le parc couvrait une
étendue de 50 mille hectares. Entre 1929 et 1950, il s’étendra jusqu’à couvrir la
superficie de 809 mille hectares. Pour ce faire, l’administration déclarait vacantes, les
terres de jachère de longue durée, les réserves forestières indigènes et les pâturages,
évacuait des collines pour les intégrer au parc et, à l’occasion, procédait soit à
l’échange des terres, soit au rachat des droits indigènes (NZABANDORA, 1984, pp.
41-98).
Le régime le plus courant a été toutefois celui des concessions. Des portions
très considérables du domaine de la colonie ont été concédées notamment à la Société
Anversoise de commerce au Congo, à l’ABIR, au Comptoir Commercial Congolais, à
la Compagnie du Kasaï et à la Compagnie du chemin de fer des Grands lacs.
Afin d’introduire au Congo la liberté entière de commerce comme le prévoit le
décret du 22 mars 1910 sur la récolte des produits végétaux, certaines grandes
concessions de récolte et de droit de cueillette, qui bloquaient d’immenses territoires,
ont été remplacées par des cessions de terres en pleine propriété, mais portant sur des
superficies réduites ou par des concessions qui impliquent des charges de mise en
valeur.

III. Regroupement des populations et glissement des groupes sociaux

Des regroupements des populations et leur installation près des zones


névralgiques (routes, centres administratifs et économiques, missions, etc ont été
opérés conduisant à la constitution des villages ou la fusion de hameaux en villages
« plus viables ». Ces regroupements ont eu pour effet notamment de juxtaposer ou de
superposer selon le cas des droits et prétentions, voire d’étendre des droits existants par
la création des titres nouveaux (tel est le cas de ….)
Par ailleurs, des groupes qui exerçaient coutumièrement des droits fonciers
distincts ont parfois constitué une seule entité politique (village, groupement, chefferie,
secteur) de sorte qu’une partie ou l’entièreté des droits, tout au moins de certains
groupes, ont été refoulés, oubliés ou accaparés.
La politique de glissement des groupes sociaux, envisagée pour des raisons
économiques, médicales, démographiques ou politiques a eu quant à elle pour effet
l’occupation de vastes terres étrangères par des entités qui coutumièrement
n’exerçaient aucune prétention sur ces terrains. Tel est le cas notamment de
l’immigration dirigée au Congo des Banyarwanda. En installant des noyaux compacts
d’étrangers sur les terres d’autres communautés ou a fini par faire le lit des conflits
futurs. Ainsi les Bahema ont-ils été constitués en une entité politique indépendante et
distincte des Balendu mais sur les terres de ceux-ci. De même une chefferie

28
indépendante fut-elle constituée sur les terres des Bahunde au profit des immigrants
Banyarwanda (Chefferie de Gishari).

Tous ces processus couplés avec la recomposition du territoire ont abouti à des
situations problématiques au plan foncier autour desquels s’affrontent aujourd’hui
encore les communautés rurales. On se trouve en présence de divers scénarii :

- les groupes sans terre ;


- les groupes qui ont perdu une partie de leurs terres au profit d’autres
entités (souvent politiques) ;
- les allogènes installés en groupe sur les terres d’autres populations, sans
qu’il y ait eu intégration politique ou création de nouveaux titres fonciers ;
- différents groupes sociaux de même culture qui sont installés sur leurs
terres réciproques ;
- le refoulement et la fusion de groupes sociaux indépendants à droits
fonciers spécifiques ;
- l’opposition entre limites foncières et limites politiques ;
- les groupes disposant de trop de terres ou de trop peu de terres ;
- les entités artificielles à fondement politique et territorial et leurs droits ;
- les droits de nouvelles entités administratives et des nouveaux
représentants vis-à-vis des groupes sociaux traditionnels, leurs autorités et
leurs individus qui les composent ;
- la concentration de populations autour de centres névralgiques et dans les
zones économiquement importantes, l’occupation des terres étrangères et
l’abandon des propres terres, la création de vides et de droits qui semblent
vagues et virtuels ;
- les particularités régionales de tenure (entre autres, dans les sociétés à
système de clientèle ; dans les sociétés où l’organisation politique est
prédominante et exclusive) qui provoquent l’insécurité et l’instabilité de
tenure et d’usage ;
- les particularités institutionnelles qui provoquent les fluctuations
résidentielles continuelles ;
- la naissance de doubles et de triples allégeances : les individus qui
appartiennent à une structure (de parenté ou politique) traditionnelle, à
une nouvelle organisation politique et administrative, qui cultivent
entièrement ou partiellement sur les terres d’un autre groupe. Ces
individus sont donc emportés dans un cycle de triples obligations sociales
et politiques.

IV. La formation des circonscriptions administratives et la politique


de centralisation

Des modifications foncières importantes sont également dues à la politique


territoriale de l’Etat colonial. Celui-ci, en créant les circonscriptions indigènes, a
refoulé et parfois altéré les microstructures locales en superposant ou en substituant les
premières aux secondes. Or ces micro-structures étaient à la base du régime foncier.
La création des structures politiques là où il n’en existait pas, les changements
dans les représentants et dans les groupes porteurs de la nouvelle structure politique ont
entre autres, eu comme résultat l’établissement de nouveaux pouvoirs et statuts, la

29
diminution ou l’accentuation des pouvoirs existants, la modification, le déplacement ou
le transfert des statuts et des rôles d’un groupe à l’autre. Ceci a du se traduire par des
modifications dans l’exercice des droits fonciers. Les groupes portés au pouvoir ont eu
la possibilité à faire valoir des prétentions foncières que les groupes incorporés sans
statut politique particulière dans les nouvelles structures politiques n’ont pu faire
valoir.
Aussi des prérogatives très larges ont été accordées à certains chefs et à
certains groupes dynastiques qui n’avaient aucun fondement coutumier, ou dont
l’exercice était géographiquement, politiquement et socialement restreint.
A la faveur de la réforme administrative de 1933 et surtout de celle de 1957, la
gestion foncière fut confiée pratiquement aux conseils des notables de chefferies et de
secteurs, ce qui eut pour effet d’amorcer un processus de sécurisation du foncier
coutumier. L’organisation foncière coutumière qui avait un caractère magico-politique,
subira désormais les interventions volontaristes de la hiérarchie administrative.
Le contexte économique et social était, par ailleurs, favorable à
l’approfondissement de ce processus de sécularisation. La pénétration de l’économie
monétaire au village a vu, en effet, se constituer des couches embryonnaires de petits
agriculteurs capitalistes dont le comportement foncier de plus en plus individualiste,
préfigurait de grandes mutations dans la société rurale. Progressaient du reste déjà, la
différenciation sociale dans les campagnes et des mutations dans l’ordre familial,
surtout en matière successorale. Clercs urbains et ruraux, petits commis de
l’administration, commerçants et nouvelles élites traditionnelles (personnels des
chefferies et des juridictions coutumières) rivalisaient pour se constituer un patrimoine
foncier. Bref, la sécularisation du foncier coutumier intervient opportunément au
moment où se mettent en place les conditions de la compétition foncière (valorisation
économique de la terre, réduction de l’espace agricole paysan, croissance de la
population rurale).

V. Les lotissements agricoles ou paysannats

En attendant, écrit G. Malengreau, la transformation des mœurs qui fera du


cultivateur indigène un véritable paysan, pleinement conscient de son intérêt et rompu à
toutes les exigences d’une culture intensive, il fallait trouver un système qui permit de
faire patiemment son éducation par une assistance continuelle et une surveillance
ininterrompue.
Le paysannat serait, en d’autres termes, un cadre dans lequel l’indigène ferait
l’apprentissage de la propriété, mieux, une sorte de couveuse des propriétés foncières
en gestion. Pour Léon de Saint Moulin, l’objectif final en serait « la formation d’une
classe paysanne de propriétaires des terres, avec forcément un marché foncier et le
développement d’un salariat rural ». Cette petite bourgeoisie émergerait en appendice
du capitalisme agraire que promeut l’Etat colonial.
Dans le fait, le système consiste à délimiter une certaine étendue de terres
suffisamment fertiles, à y grouper les champs des cultivateurs indigènes le long d’une
base rectiligne et à leur faire exécuter un programme agricole donné suivant des
méthodes culturales capables de sauvegarder la fertilité du sol et même d’accroître sa
productivité. Ces méthodes consistent essentiellement à défricher un champ chaque
année en partant de la base et perpendiculairement à celle-ci » de telle sorte que les
champs successifs d’un planteur se font suite, tandis que toutes les soles d’une année
voisinent toujours sur le même front. Après quelques années de culture, les premiers

30
champs sont abandonnés à la jachère l’un après l’autre et, finalement, lorsque le repos
des premières parcelles a permis une reconstitution suffisante de la fertilité, le cycle
cultural peut être repris au début, dans des conditions d’exploitation égales, sinon
meilleures.
VI. Circonscriptions urbaines, centres extra-coutumiers et cités
indigènes

L’expropriation des indigènes progressa avec le développement des centres


urbains. Ceux-ci sont assez souvent érigés sur des sites occupés par les indigènes. Les
agglomérations urbaines étaient constituées en principe sur des terres domaniales ou
sur les terres ayant fait l’objet avant l’établissement de l’assiette des cités, soit de
négociations amiables avec les indigènes, soit des mesures d’expropriation pour CUP
qui ont eu pour effet de les faire entrer définitivement dans le domaine privé de l’Etat
(HEYSE, in Novelles, p. 122).
Au Katanga, c’est le représentant du CSK qui fixait les limites des zones
urbaines et suburbaines. Les terrains suburbains destinés à l’établissement des cultures
maraîchères et d’installations industrielles sont situés dans une zone circulaire autour
des centres urbains où ils constituent une réserve pour les agrandissements futurs.
Jusqu’en 1953, la législation coloniale n’autorisait aucun africain non
immatriculé à devenir propriétaire d’une parcelle dans les cités indigènes. Mais partout
dans ces agglomérations, l’administration locale avait constitué un fonds déjà loti pour
permettre aux autochtones d’acquérir ou de construire une habitation en matériaux plus
ou moins durables. Les parcelles étaient mises à leur disposition soit à tire gratuit, soit
à titre onéreux, et ce, suivant les décisions du Gouverneur de Province.
Ainsi, les terres sur lesquelles étaient construites les habitations des
autochtones dans les cités indigènes restaient dans le domaine privé de la colonie. Ceci
revenait à consacrer sur une même parcelle deux titulaires de droits différents : la
colonie qui est propriétaire du fonds et l’indigène propriétaire de l’habitation ou
d’autres constructions.
Les décrets de 1959 ont eu fait donner uniquement la possibilité aux non
immatriculés d’accéder à la propriété dans les cités indigènes. En même temps, ils
donnaient la possibilité aux Gouverneurs de les installer en des lieux où ils ne
pourraient se mêler aux évolués immatriculés, ni ces derniers aux européens.
Ainsi, les indigènes sont-ils restés soumis dans leur quasi-totalité à la loi
coutumière, s’agissant du régime foncier à leur appliquer.

§2. Les transformations foncières provoquées par l’intervention du


législateur post-colonial

Trois orientations significatives se dégagent de la mise en œuvre par l’Etat


congolais de sa politique foncière. Après avoir définitivement réglé le sort des
organismes concédants, le gouvernement a tenté, dans un premier temps, grâce à la
doctrine des biens abandonnés, de récupérer les propriétés et concessions accordées à
des non- congolais, personnes physiques ou morales, par l’autorité coloniale. Par la
suite, des raisons liées sans doute à l’ « aménagement du territoire » justifiaient, à
l’occasion, des « expropriations » des nationaux. Outre la gestion de nombreux conflits
qu’elle a occasionnés, le Gouvernement s’appliquait à « normaliser » les relations avec
les pouvoirs coutumiers relativement à la question foncière notamment.

31
I. La théorie des biens abandonnés

Cette doctrine est en quelque sorte le pendant de la théorie des terres vacantes
de la période coloniale. Autant cette dernière a permis de déposséder les indigènes,
autant la première permet de frustrer d’autorité les non-zaïrois des droits immobiliers
qu’ils détiennent sur le territoire de l’Etat.
Un arrêté du Ministre LWANGO T. du 18 octobre 1971 précise en ces termes,
à l’intention des commissions pour la réattribution des droits fonciers, les aspects à
examiner :

a. (…) la validité des demandes reçues, le statut juridique des immeubles,


les questions économiques dont il doit être tenu compte, l’état des lieux,
l’intérêt des projets d’avenir, etc.
b. les critères généraux de mise en valeur et d’exploitation qui sont
également déterminés par le Ministre ayant les terres dans ses attributions
(Journal officiel, n° 6, du 15 mars 1975, p. 224).

Au regard des critères aussi larges, les commissions pouvaient aisément


proposer « la déchéance définitive des droits fonciers » que détenaient les propriétaires
déjà déchus par la loi Bakajika. Le motif invoqué assez souvent était :

- soit que « les biens n’avaient pas fait l’objet de demandes de réattribution
conformes » aux dispositions légales en vigueur ;
- soit que « les immeubles concernés n’étaient occupés ni par les anciens
propriétaires notamment l’arrêté n° 71/164 du 30 novembre 1971 in
Journal officiel, n° 6, p. 227).

En fait, les européens, en quittant précipitamment le Zaïre, confiaient


généralement leurs biens à la garde de leurs domestiques ou contremaîtres.
L’opération, on s’en doute, n’était pas constatée par un écrit ; ainsi, en cas d’enquête
administrative, le bien pouvait facilement être déclaré abandonné, l’occupant étant
incapable de produire un mandat en bonne forme.
Par la suite, un arrêté interministériel du 08 février 1972 soumettra à des
conditions encore plus rigoureuses la réattribution des droits fonciers. Il sera joint à la
déclaration des droits de l’impétrant, dispose l’article 2 :

1. « Un plan du terrain, et reproduisant séparément les zones mises en valeur


et celles qui ne le sont pas »
2. Une description détaillée des données invoquées au titre d’éléments de la
mise en valeur et l’indication de la période de chaque investissement ;
3. Une indication exacte des superficies respectives des terrains mis en
valeur et ceux qui ne le sont pas ;
4. Un état des activités indiquant notamment pour les trois derniers
exercices fiscaux, le nombre des travailleurs, la masse annuelle de leur
rémunération, les équipements anciens et nouveaux, le total des dépenses,
le total des recettes et le total des impôts payés ».

Lorsque le bien est géré par une personne autre que le propriétaire, celui-ci
doit joindre à sa déclaration, outre le motif pour lequel il n’administre pas lui-même

32
l’entreprise, une note indiquant le rapport juridique le liant au gérant et les bénéfices
réalisés par l’entreprise depuis le début de la gestion par le mandataire et la destination
qu’il leur a donnée (art. 3).

Au surplus, après la vérification des pièces produites par le requérant,


l’administration du lieu de l’immeuble contrôlait la matérialité de la mise en valeur
déclarée. Les fausses déclarations étaient sanctionnées non seulement par
l’irrecevabilité de la demande, mais également par de fortes amendes (ordonnance n°
73/367 du 7 décembre 1973 in Journal officiel, n° 2, janvier 1974, p. 27).
Les terres et immeubles n’ayant pas été réattribués à leurs anciens
propriétaires ou concessionnaires ont ainsi fait retour au domaine privé de l’Etat.
Toutefois, les Zaïrois qui, avant l’entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 1973,
occupaient et exploitaient ces biens « à leur profit, d’une manière régulière et
ininterrompue », se sont vu offrir la possibilité de les acquérir définitivement (art 391
de la loi du 20 juillet 1973).

II. Les plantations « zaïrianisées »

Les biens fonciers et immobiliers qui ont réussi à passer les mailles de ce filet
ont été peu après repris d’autorité par l’Etat. En effet, l’ordonnance-loi n° 74/019 du
11 janvier 1974 transfère à l’Etat la propriété des entreprises agricoles, agro-
industrielles, et de grandes unités commerciales déterminées par l’Etat, qui
appartiennent soit à des personnes physiques ou morales étrangères, soit à des sociétés
de droit zaïrois dont le capital est détenu en partie ou en totalité par des étrangers. En
contrepartie, les propriétaires de ces entreprises reçoivent « une indemnité équitable »
dont le montant, payable en dix ans, est fixé discrétionnairement par le Gouvernement
(Journal officiel de la République du Zaïre, n° 13, du 1er juillet 1975, p. 655).
La propriété de ces entreprises et des biens immobiliers des anciens
exploitants étrangers a été par la suite transférée, sous condition suspensive, à des
zaïrois, personnes physiques ou morales, conformément à la décision du Gouvernement
du 05 juillet 1974. La personne autorisée à reprendre l’activité et les biens de l’ancien
exploitant étranger n’obtenait en effet le transfert définitif de la propriété de l’activité et
des immeubles qu’après l’apurement de sa dette envers le trésor pou l’exploitant évincé
(art. 10 de l’arrêté interdépartemental du 06 septembre 1974).
Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que l’activité du Ministre des affaires
foncières ait consisté essentiellement à déclarer des immeubles et des concessions
abandonnés et à les réattribuer. Etaient régulièrement publiés au Journal officiel –et
cela jusqu’en 1984- des avis au public reprenant la liste des biens fonciers et
immobiliers « censés répondre aux conditions pour être déclarés abandonnés ». Si
dans les trois mois de la publication de l’avis, les propriétaires fonciers et
concessionnaires ou leurs mandataires n’avaient pas « fait opposition, par lettre
recommandée au Commissaire d’Etat aux affaires foncières », les biens repris sur la
liste étaient acquis à l’Etat sans indemnité. Le Commissaire d’Etat aux affaires
foncières décidait alors de leur attribution.
A l’occasion de l’établissement des listes, de nombreux abus furent commis, si
bien qu’un Ministre dut abroger 377 arrêtés de déclaration d’abandon et les
déclarations d’attribution s’y rapportant, signés par son prédécesseur.
A partir de 1983, les expropriations ont pris en en effet le relais de la doctrine
des biens abandonnés. Ces expropriations sont « décrétées » en vue de la réalisation

33
des projets publics (extension de la ville de Kinshasa, érection du barrage de Mobayi-
Mbongo, ligne Inga-Shaba…). Elles coïncident de manière curieuse avec l’application
au Zaïre des programmes d’ajustement structurel.

III. La loi dite Bakajika et la loi du 31 décembre 1971

La contestation des cessions et concessions coloniales opérées à la faveur de la


théorie des terres vacantes a pris une forme radicale par la loi du 07 juin 1966 (dite loi
Bakajika), « assurant à la République Démocratique du Congo la plénitude de ses
droits de propriété sur son domaine et la pleine souveraineté dans la concession des
droits fonciers, forestiers et miniers sur l’étendue de son territoire ».
« Depuis l’indépendance, mentionne l’exposé des motifs, notre pays se débat
dans de sérieuses difficultés économiques aggravées par les pressions inavouables de
certaines puissances étrangères qui gèrent à leur profit, l’essentiel de notre potentiel
économique. La souveraineté de notre pays s’accommode mal des privilèges
exorbitants concédés par la législation coloniale aux intérêts étrangers qui dont fi de
nos aspirations les plus légitimes.
« Les sociétés minières du Kasaï et du Katanga, par exemple, constituent une
entrave abusive à l’expression de notre indépendance économique. Le Congo doit
pouvoir exercer désormais la plénitude de ses droits de propriété, de ses pouvoirs
concédants, de ses droits de gestion du domaine public. Il doit disposer librement de
son patrimoine, de ses ressources naturelles pour le bien-être de sa population.
« Il est temps de briser le monopole qu’exerce le capital étranger sur
l’exploitation des gisements de tout le territoire congolais. C’est là une aliénation qui
institue une nouvelle forme de subjugation et de domination sur le peuple congolais.
Nous désirons voir la République Démocratique du Congo reprendre et renforcer son
droit de propriété notamment sur son potentiel foncier, forestier et minier pour en
attribuer la gestion à des exploitations artisanales et/ou industrielles qui permettront au
peuple congolais de participer à la relance des activités économiques du territoire »
(Exposé des motifs in Etudes congolaises, n° 4, 1967, pp.56-57).
Aux termes de cette loi, l’Etat confisquait tous les droits fonciers enregistrés
sur les terrains cédés ou concédés avant le 30 juin 1960. L’Etat se réservait en outre de
répartir les droits d’exploitation des ressources naturelles. Un commentaire officiel
publié devenait créancier de l’Etat pour la valeur des constructions, plantations et
ouvrages établis de bonne foi. Des mesures d’exécution avaient déjà été prises
toutefois par l’ordonnance du 08 juillet 1966 invitant les propriétaires et
concessionnaires évincés à introduire, dans un délai de trente jours, une nouvelle
demande de cession ou de concession en y joignant » tous les renseignements
susceptibles de permettre aux autorités compétentes de juger des conditions actuelles
de l’exploitation… ainsi que des objectifs d’avenir des exploitants ».
Par la loi 71-008 du 31 décembre 1971, l’Assemblée nationale ajoutait
cependant un article 14 bis à la Constitution, disposant :
« Le sol et le sous-sol zaïrois ainsi que leurs produits nationaux appartiennent
à l’Etat. La loi fixe les conditions de leur cession et concession, de leur reprise et
rétrocession. Toutefois, la reprise ou la rétrocession, en cas de non mise en valeur, ne
donne lieu à aucune indemnité ». Dégagé de tout relent anticolonial, ce texte posant le
principe du droit de propriété de l’Etat s’étendant au sol et au sous-sol, n’exclut
cependant pas sa cession ou concession à des particuliers. A la même date, la loi n° 71-

34
009 abroge la loi Bakajika et la remplaça par des dispositions équivalentes, ne frappant
plus seulement les cessions et concessions antérieures à l’indépendance nationale, mais
aussi bien celles accordées par les autorités de la République avant le 1er janvier 1972.
Une ordonnance du 07 janvier 1972 reprend, en exécution de cette loi, des
mesures d’exécution qui remplacent celles que l’ordonnance du 08 juillet 1966 avait
promulguées en exécution de la loi Bakajika. Celle-ci ayant été abrogée sans effet
rétroactif, les décisions de refus de réattribuer les droits fonciers notifiés avant le 1 er
janvier 1972, sont définitives. Les décisions favorables sont au contraire remises en
cause et les titulaires confirmés dans leurs droits doivent, au même titre que ceux qui
ont continué à administrer leurs biens à titre précaire, faire une nouvelle déclaration et
requête de réattribution de leurs biens dans un délai de nonante jours. Il n’a pas été
précisé si les titulaires déchus, faute d’avoir introduit une demande dans les délais fixés
par la loi Bakajika, se verraient attribuer un nouveau délai par l’ordonnance du 7
janvier 1972.

IV. Suppression de la propriété privée du sol et domanialisation des


terres des communautés locales

Répondant au souhait du premier congrès ordinaire du Mouvement Populaire


de la Révolution (MPR) de voir le Conseil législatif national « terminer rapidement
l’élaboration de la loi fixant les modalités du régime foncier et minier », la loi du 20
juillet 1973 fut adoptée. Cette loi attribue la propriété du sol et du sous-sol du territoire
national à l’Etat de manière « exclusive, inaliénable et imprescriptible » (art 53).
Les anciens titulaires d’un droit de propriété ne sont pas pour autant privés de
la jouissance du bien qu’ils « possèdent » : ils demeurent propriétaires des immeubles
érigés sur leur bien. Les personnes physiques de nationalité zaïroise voient substituer
d’office à leur certificat de propriété un titre de concession perpétuelle ; les étrangers et
les personnes morales voient leur droit de propriété converti en un droit de concession
ordinaire (c’est-à-dire d’une durée de vingt-cinq ans, renouvelable).
Il convient de souligner ici qu’en attribuant la propriété inaliénable du sol et
du sous-sol à l’Etat, le législateur a, en fait, supprimé la propriété foncière de droit
civil, le dominium et l’imperium étant confondus. D’autre part, il a retiré aux ethnies,
tribus ou clans, désormais, la « souveraineté » du droit coutumier traditionnel pour la
conférer à l’Etat, à la Nation organisée. Les droits de jouissance accordés par l’Etat
aux personnes privées constituent toutefois des droits réels ; ils peuvent être perpétuels
ou à temps ; gratuits ou à titre onéreux.

Section II. Evolution des rapports fonciers et pratiques foncières


nouvelles

L’occupation administrative et économique du pays a entraîné de profondes


mutations dans les sociétés traditionnelles congolaises. Les éléments qui fondaient
traditionnellement la stratification sociale et conféraient à la société sa cohérence, à
savoir la terre, la vache, les mythes, ont été littéralement ébranlés, selon les cas, soit par
la législation coloniale ou les interventions de l’Administration, soit par le progrès de la
scolarisation et de la conversion au christianisme, et de manière générale -surtout après
l’indépendance du Congo- par l’évolution des conjonctures politiques et économiques.
A côté des catégories sociales traditionnelles (chefs, notables et paysans) ont
émergé des catégories nouvelles dans le paysage agraire acquéreurs, Eglises,

35
fonctionnaires, commerçants, etc. Pour toutes ces catégories, la loi du 20 juillet 1973
offre des opportunités et définit des contraintes. Nous allons examiner dans ce
paragraphe la manière dont chacune essaie de réaliser ses objectifs fonciers dans le
cadre des perspectives qui sont les siennes et des possibilités et contraintes que lui
définit la loi du 20 juillet 1973.

§1. Evolution des rapports fonciers

I. Attitude des Chefs et notables vis-à-vis de la loi du 20 juillet


20173

L’évolution des formes de légitimité et d’autorité a été globalement


défavorable aux chefs et aux notables. Ceux-ci jouissent cependant encore d’un grand
prestige dans leurs chefferies ; ils sont l’objet d’une sollicitude affectée tant de leurs
administrés que des élites urbaines ressortissants du terroir.
Dans les zones densément peuplées, de terres ayant fortement diminué pour
les raisons exposées plus haut, des conflits s’y rapportant. Un problème nouveau s’est
toutefois, avec comme conséquence virtuelle des rapports sociaux ayant la terre comme
support.
Pour freiner la tendance des populations rurales à demander l’enregistrement
des terres, les autorités coutumières ont habilement couvert le vide juridique de la loi
foncière en multipliant les formalités pour obtenir le droit d’enregistrer une terre
coutumière. Ce qui a permis de reproduire des rapports de type ancien avec les
paysans.
De manière générale, les chefs traditionnels n’ont pas cherché à faire
enregistrer leurs domaines. Ceux-ci étant, en effet, plus des fiefs politiques que des
exploitations de type latifundia, l’enregistrement ne présentait pour eux qu’un intérêt
fort limité. Au demeurant, l’essentiel pour eux était acquis : la protection du statut
social. Certains chefs, toutefois, ont fait enregistrer leur domaine ou des portions de
celui-ci soit pour éviter de se le voir arracher, soit pour éviter que leurs dépendants ne
s’émancipent grâce à l’enregistrement de leurs parcelles individuelles.
Pour conjurer le péril d’une oblitération des statuts sociaux du fait de la
généralisation de l’enregistrement des terres en milieu rural, les chefs traditionnels,
s’inspirant du « contrat foncier coutumier » introduit à l’époque coloniale par le
Conseil de chefferie, ont mis en place à partir du début des années 70 des
procédures préalables à la demande d’enregistrement. Selon les chefferies, il s’agit
d’abord du « procès-verbal de délimitation » (KABARE et NGWESHE) ou de
l’ « Attestation d’occupation d’un terrain coutumier » (KALEHE) ; ensuite, de l’ «Acte
de reconnaissance d’accord foncier coutumier » (KABARE), de l’ « Acte de cession »
(NGWESHE) ou de l’ « Attestation de rachat de tributs coutumiers » (KALEHE).
Ces procédures préalables présentent une triple caractéristique : elles sont
compensatoires, solennelles, et confèrent une protection progressive au demandeur de
l’enregistrement.
Le procès-verbal de délimitation ou l’Attestation d’occupation d’un terrain
coutumier lui permet de disposer d’un acte écrit établissant son droit. Ces actes lui
permettent en outre d’actualiser les témoignages relativement à ses droits sur le terrain.
Le procès-verbal de délimitation est en effet ainsi libellé.

36
« L’an mil neuf cent…, le …jour du mois de… Nous, …Agent enquêteur de la
collectivité de…, dûment désigné par le chef de collectivité, avons, en présence de, …,
procédé à la délimitation du terrain demandé par… et dont la superficie totale est de…
ha (…).
« Le responsable du village et les habitants limitrophes qui ont assisté à
l’enquête avaient été consultés pour connaître la véritable limite du demandeur –et ont
signé comme témoins de cette opération ».
Ainsi le requérant peut-il, au cas où les témoins de l’opération par laquelle il a
acquis le terrain seraient décédés, revendiquer de nouveaux témoignages. De même, en
cas d’empiétement marginal sur son fonds, il pourra se défendre sur la base du croquis
élaboré par le géomètre.
En vertu des actes libératoires cités ci-haut, la terre entre alors en situation de
transition. Elle n’est régie ni par la coutume, ni par la loi foncière. Les droits du
requérant ne sont attestés ni par l’une ni par l’autre. Ils sont cependant protégés par les
autorités traditionnelles et par les juridictions modernes.

2.2. Les nouvelles élites et la loi du 20 juillet 1973

L’occupation foncière est, à l’instar de la période coloniale, essentiellement le


fait des sociétés nationales et étrangères et de quelques gros planteurs ou éleveurs
congolais qui rappellent le souvenir du colon.
On retrouve aujourd’hui encore en République Démocratique du Congo
quelques colons, gros « propriétaires fonciers ». La plupart des plantations des colons
ont été, toutefois, soit rachetées par les sociétés (cfr supra) ou des particuliers
nationaux, soit « zaïrianisés » et cédées à des acquéreurs nationaux.
L’Eglise catholique appartient également à cette catégorie de gros
concessionnaires. Les terres des missions ont été, en effet, transférées aux Diocèses,
dès lors que ces missions devenaient des sous-ensembles (paroisses) de celui-ci. Seule
celui-ci était doté de personnalité juridique et pouvait posséder. Etant donné qu’il y
avait continuité juridique de la personne morale, les terres des missions n’ont pas été
« zaïrianisées ».
Actuellement, on assiste à une véritable ruée vers les terres rurales de la part
des politiciens, des ONG et des membres des professions libérales (avocats et
commerçants). Dans la plupart des cas, la terre est rachetée à un notable coutumier.
Ce sont ces grands concessionnaires qui se préoccupent des exigences de la loi
foncière. Tous disposent d’un certificat d’enregistrement, conforme à la loi du 20
juillet 1973. Pour accéder à la terre, les élites nouvelles utilisent ordinairement des
canaux non contrôlés par les autorités traditionnelles. Pour étendre leurs concessions,
les gros propriétaires rachètent au fur et à mesure les petites « propriétés » paysannes
contiguës à celles-ci. Des lors qu’ils y ont planté des arbres (quinquina, café, …), ils
en obtiennent l’enregistrement, sans devoir passer par les procédures préalables
instaurées par les autorités coutumières.
La plupart des concessions étant sous le régime de l’emphytéose, leurs
titulaires pourraient se voir refuser le renouvellement du contrat pour cause de mise ne
valeur insuffisante. Pour parer au risque, la plupart font exploiter leurs terres par des
paysans, selon les formules contractuelles coutumières. En contrepartie de
l’exploitation d’une parcelle à titre précaire, le bénéficiaire paysan fournit un nombre
convenu d’heures de travail sur la plantation. Le cas de l’Archidiocèse de Bukavu

37
illustre le mieux cette pratique de protection des titres de propriété à travers un système
de troc (la jouissance du sol contre le travail) :
« Il y a, explique le gérant des terres de la Paroisse de Mwanda, plusieurs
types d’exploitants. Il y a les « Bashizi » de la Paroisse qui sont installés sur ses terres.
Ils ont des bananeraies et des champs assez vastes. Ils ont même construit. Ils sont au
nombre de quarante-cinq. « Il y a une deuxième catégorie, ce sont les « basa »
(titulaires d’un contrat précaire, le « Bwasa »). Ils viennent de chez eux, et la Paroisse
leur donne des lopins de terre à cultiver. Au total, 295 exploitants permettent à
l’Archidiocèse d’apporter la preuve de la mise en valeur de sa concession, sans bourse
délier. Il est en effet prévu que chaque concessionnaire doit recruter au moins un
ouvrier par hectare. Au contraire, les exploitants ont des obligations envers le titulaire
de la concession.

2.3. Les paysans et la loi du 20 juillet 1973

Si la matrice culturelle des rapports fonciers est restée quasiment inchangée,


les modes concrets à la terre ont, par contre, beaucoup évolué. Dérogeant à la tradition,
les transactions foncières –lorsqu’elles impliquent un transfert définitif des droits- font
l’objet depuis le début des années 80 de conventions écrites conclues directement entre
le cédant et le concessionnaire. Les pratiques successorales relatives au foncier ont
également subi de profonds changements. Le principe de la vente des terres n’a
cependant été rejeté par aucun des paysans interrogés. Les formules contractuelles
actuelles tentent d’adapter les procédures traditionnelles à cette conception nouvelle.
Les procédés pour accéder à la terre sont multiples et généralement éloignés
des procédures formelles : vente de gré à gré, morcellement des parcelles non couvertes
par des titres, attributions des terres par les vieux sages, …
En ce qui concerne les pâturages, la procédure suivante est d’application à Aru
en Province Orientale : l’éleveur fait lui-même la prospection, puis d’adresse au Chef
de Collectivité. Ceux-ci vérifient si le terrain identifié est disponible et libre de droits.
Si le terrain convoité appartient à un clan, on met le demandeur en contact avec les
chefs de terre et les notables concernés qui lui fixent ce qu’il doit payer pour avoir la
propriété de la terre.
Les seuls d’après les participants, qui s’inscrivent dans le schéma légal, ce
sont les commerçants qui cherchent à investir dans l’élevage. Ce sont ceux-ci qui
demandent des contrats de concession et des certificats. Généralement, disent les
participants, au détriment des paysans.
Les paysans protégés par des titres légaux, ce sont ceux qui exploitent des
pâturages collectifs enregistrés. Il est en effet des pâturages enregistrés au nom
d’Associations villageoises.
Les formules contractuelles actuelles imaginées par les paysans présentent
caractéristiques essentielles suivantes : elles visent principalement à sécuriser la
transaction, à garantir la bonne foi du cédant et anticipent sur les conflits potentiels en
associant les instances de résolution à la conclusion des conventions.
Au plan de la structure, les contrats sont en effet intitulés et libellés de manière
non équivoque :

1. L’intitulé précise que la convention porte sur un terrain situé dans telle
localité et attenant à telles et telles parcelles voisines ;

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2. Le prix du terrain (ainsi désigné) est précisé, de même que les
« rémunérations » des témoins instrumentaires ;
3. L’acte identifie les parties et spécifie l’accord du chef foncier de la
localité du terrain, ainsi que le témoin dudit accord. Le chef et son
témoin signent l’acte pour confirmer l’accord donné ;
4. L’acte certifie qu’aucun litige n’existe à propos de ce terrain et que le
nouveau propriétaire ne souffrira d’aucun trouble dans sa jouissance. Il
précise également qu’i peut faire de ce terrain ce qu’il veut (usus, fructus
et abusus). Il omet, en conséquence, expressément les obligations
coutumières traditionnellement liées à la transmission foncière ;
5. L’acte est délivré par le cédant et signé conjointement par ses témoins,
ceux de l’acheteur et, pour accord légal, par le chef administratif (chef de
localité ou de groupement).

Un autre mode d’accès à la terre par les paysans, c’est la succession.


Traditionnellement, celle-ci se faisait dans les sociétés patriarcales dans le sens vertical,
par ordre de primogéniture, dans la lignée mâle. A défaut de descendant mâle direct, la
terre et le bétail du decujus étaient repris par le chef («Chez les Bashi». Actuellement,
les chefs de famille procèdent de leur vivant au partage entre les enfants. D’après un
de nos informateurs, lorsqu’on ne partage pas, c’est qu’on fait confiance à la sagesse de
son fils aîné. «On ne laisse de testament que quand on se méfie de lui ».
Toutefois, si le partage réalisé par l’aîné fait des mécontents, on organise un
conseil de famille. Ceux qui ont des griefs à formuler s’expriment et le conseil de
famille apprécie s’il y a lieu de procéder à un nouveau partage. Lorsque l’aîné résiste
aux recommandations du conseil de famille, les frères qui s’estiment lésés peuvent
alors saisir le tribunal de chefferie. Les membres du conseil de famille comparaissent
comme témoins. Si le tribunal estime la demande fondée, il décide d’autorité d’un
nouveau partage.
Chez lez Bashi aujourd’hui, contrairement à la période coloniale et
précoloniale, où les relations foncières étaient fondées essentiellement sur le kalinzi –
le souci des parties à la transaction étant plus de créer des liens sociaux que de
transférer la « propriété »-, le contrat précaire a pris actuellement la plus grande
importance dans le système foncier coutumier. Les chefs, en effet, ne donnent plus de
terre en kalinzi ; ils les vendent au plus offrant, ou les mettent en valeur soit
directement, soit en accordant des contrats précaires aux paysans (« Bwasa »).
Le morcellent continu des terres paysannes, du fait notamment des partages
successoraux, a pour sa part entraîné la conséquence que les familles ne disposent plus
d’espace suffisant pour assurer leur substance. Elles sont obligées de solliciter des
parcelles à cultiver auprès des gros propriétaires, notables coutumiers et
concessionnaires.

§2. Les pratiques foncières locales en milieu rural : les tenures foncières
sui generis

En parlant de tenures foncières sui generis, je fais référence à des pratiques de


l’administration territoriale ou celles des chefs coutumiers en matière de transmission
des droits fonciers. Ces pratiques ne reposent, dans le premier comme dans le second
cas, ni sur ne loi quelconque, ni sur la coutume, mais sont validés aussi bien par
l’administration foncière et les tribunaux que par les autorités foncières traditionnelles.

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Il s’agit des actes des autorités territoriales. Il s’agit des actes des autorités territoriales
relatifs au foncier (I) et des transactions foncières conclues par les ayants-droit
coutumiers (II). Des lotissements et concessions funéraires sont également constitués
en marge de la loi.

I. Les autorités territoriales et la gestion des terres rurales

Les autorités territoriales dont il est question ici sont principalement les
commissaires de district et les administrateurs de territoire. Ceux-ci s’arrogent aussi
des pouvoirs fonciers sans qu’aucun texte ne les leur reconnaisse. Ils exploitent
astucieusement le plan juridique contenu dans l’article 69 de la loi du 20 juillet 1973
qui dispose :
« En attendant l’accomplissement des formalités de concession d’un fonds
appartenant au domaine privé de l’Etat, celui-ci peut autoriser le demandeur à occuper
ledit fonds par le bornage, la délimitation et, éventuellement, la clôture et
l’entreposage. Cette autorisation est donnée à titre précaire, et ce, aux risques et périls
du demandeur, sauf la responsabilité des services publics en cas de négligence fautive
ou de dol ».
La délivrance de cette attestation est l’aboutissement d’une procédure qui part
de la « demande de délimitation du champ » et passe par l’établissement d’un procès-
verbal de constat des lieux » et d’une fiche de reboisement individuel. L’attestation
est, à l’instar du contrat de concession contresigné par « le propriétaire du terrain ».
Dans la ville de Kananga, chef-lieu de la Province du Kasaï occidental, c’est
carrément le Maire de la Ville qui pilote le processus d’acquisition des terrains à usage
agricole ou d’élevage. Contrairement au prescrit de l’article 166 de la loi foncière, il
fait procéder d’abord à une enquête de « vacance des terres » (comme à l’époque
coloniale) par l’Inspection Urbaine de l’Agriculture, Pêche et Elevage, ensuite donne
ses avis et considérations et enfin transmet le dossier au Conservateur des Titres
Immobiliers pour qu’il « délivre les titres » au requérant.
Avant d’établir le « procès-verbal d’enquête de vacance de terre » procède à
quatre auditions chacune sanctionnée par un procès-verbal : celles du demandeur, du
témoin, de délimitation et mesurage (à celui-ci est annexé un croquis) et du chef de
groupement ».
A Matadi, dans la Province du Bas-Congo, c’est la Division Provinciale de
l’Habitat qui délivre le (s) « Titres d’occupations provisoire de (s) parcelle (s). Elle se
fonde pour ce faire sur l’article 94 al4 de la loi du 20 juillet 1973 qui dispose  : « La
mise en valeur se fera conformément aux normes en vigueur sur l’urbanisme,
l’environnement et l’hygiène. Pour justifier sa place au banquet foncier, il argumente
dans une attitude belliqueuse : « Vu les prérogatives de l’administration de l’urbanisme
et de l’habitat lui reconnues par l’article 94 de la loi foncière face aux Divisions du
Cadastre et de la Conservation des titres immobiliers ».
Le bénéficiaire du Titre délivré par la Division Provinciale de l’Habitat est
« tenu de le convertir en contrat (de concession) ordinaire ou perpétuel auprès de la
circonscription foncière de son ressort conformément à l’article 390 de la loi foncière »
Cet article hélas n’a rien à voir avec son œuvre.
Pour ce qui est des pâturages, la pratique en Ituri est d’obtenir une autorisation
de l’Inspecteur agricole du territoire. Actuellement toutefois, les éleveurs déplacés
sollicitent une feuille de route et s’installent où ils veulent sans autorisation. Ladite

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feuille de route qui tient lieu d’autorisation de jouir d’un pâturage, est délivrée par le
vétérinaire.
Deux chefs coutumiers ont témoigné que le District codifie actuellement les
fiches parcellaires destinées aux entités rurales. Le Chef de cité pour sa part se passe
volontiers de cette formalité inutile et délivré comme par le passé des fiches
parcellaires. Il se serait même adjugé un droit de reprise sur les parcelles non mises en
valeur sur le territoire de la cité.
Ces procédures informelles ont cours dans tous les Districts et Territoires de la
République Démocratique du Congo. Elles n’ont toutefois rien à voir avec les « Titres
fonciers coutumiers » inventés par les chefs coutumiers.

II. Les titres fonciers coutumiers

Suivant l’esprit du Décret sur l’accession des indigènes à la propriété foncière,


l’administration coloniale a entrepris, dans la deuxième moitié des années 50,
l’élaboration en marge de la législation en vigueur à l’époque des contrats-types. C’est
ainsi que sont nés ce qu’on peut appeler les « nouveaux contrats coutumiers », tel le
« contrat de location ou de cession définitive d’un droit d’occupation pérenne » dans la
Province du Kasaï ; l’acte de reconnaissance d’accord foncier coutumier » dans le
Territoire de Kabare au Sud-Kivu, l’ « Acte de cession », dans le Territoire de
Songololo au Bas-Congo, l’attestation de rachat des tributs coutumiers » dans le
Territoire de Kalehe (à Bunyakiri) au Sud-Kivu. Il y a lieu de croire que partout
ailleurs dans les entités coutumières ces nouveaux contrats coutumiers ont existé et
existent peut-être encore.
Ces titres fonciers coutumiers sont délivrés uniquement par les chefs des
entités administratives rurales (chefs de chefferie et chefs de secteur) et se présentent
sous forme de formulaire, stéréotypes. Les ayants-droit coutumiers de niveau inférieur
ne les délivrent pas.
Autant que les « titres » délivrés par les autorités territoriales, ces titres
fonciers coutumiers n’ont aucune valeur juridique. Ils ont toutefois une efficacité
symbolique dans la mesure où ils font foi lorsqu’on entreprend l’enregistrement d’un
terrain.

III. Les transactions foncières avec les ayants-droit coutumiers ! accord


sur un malentendu

Toutes les sociétés segmentaires sont aujourd’hui confrontées à la difficulté


d’adapter la propriété clanique à l’évolution vers la propriété individuelle et l’insertion
à une économie monétaire.
L’évolution observable est cependant sans équivoque : le domaine clanique est
désormais sur le marché. Les actes d’aliénation, fort inspiré du régime du certificat
d’enregistrement, portent plusieurs dénominations : « protocole d’accord »,
« convention de cession de terre », etc. Ils présentent tous les mêmes caractéristiques :

1. Ils sont contresignés par plusieurs personnes au titre d’ayant-droit ;


2. Ils sont limités dans le temps (25 ou 30 ans selon le cas) ;
3. Ils comportent un cahier de charge ou des obligations sociales envers le
clan « aliénateur » ;

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4. Les contreparties dues par l’accipiens sont « conformes à la coutume ».

Ce qui se dégage de la plupart de ces conventions conclues avec les ayants-


droit coutumiers, c’est le malentendu sur la nature et la portée des engagements. Pour
l’acquéreur, il s’agit d’un transfert de « propriété ». Pour les ayants-droit par contre, il
s’agit d’une cession des droits collectifs de jouissance, par ailleurs limitée dans le
temps.
Ce qui est admis par tous et qui fera inévitablement le lit du conflit à
l’échéance du terme stipulé, c’est que le nouvel acquéreur est autorisé à se faire
délivrer un certificat d’enregistrement. Or ce titre a pour effet de le placer sous un
régime statutaire très protecteur contre les velléités de reprise par le clan aliénateur.
Autant dire qu’il s’agit d’un marché des dupes.

IV. Les lotissements sollicités par ou auprès des ayants-droit


coutumiers

La saturation des anciennes villes et cités et la création de nouvelles amènent


l’administration à lotir les terres rurales sur lesquelles les ayants-droit coutumiers
exercent des droits collectifs ou des droits individuels selon le cas. L’initiative de ces
lotissements provient doit de l’administration foncière soit des ayants-droit coutumiers
eux-mêmes.
Dans la première hypothèse, c’est l’administration qui s’adresse aux ayants-
droit coutumiers. Pour le cher de Bureau du domaine de la circonscription foncière de
Nsele-Maluku, « la loi Bakajika reconnaît que nous sommes sur les terres des chefs
coutumiers ». C’est donc elle qui contraint l’administration foncière à procéder ainsi.
En réalité, cette démarche trouve son fondement à l’article 65 de la loi du 20
juillet 1973 qui dispose relativement aux lotissements que « les terrains sont concédés
sous réserve des droits des tiers et sans garantie quant à leur qualité propre (…) ».

Cas du lotissement de MPASA (Kinshasa)

Le lotissement de Mpasa est situé dans la circonscription foncière de Nsele


Maluku dans la périphérie de la ville de Kinshasa. La procédure suivie pour lotir,
quoiqu’informelle (c’est-à-dire non consacrée par un texte) ressemble en tout pour à
celle suivi à Mahagi en province Orientale.
Le chef de Bureau du Domaine rapporte à ce propos. « Quand nous avons
crée le lotissement de Mpasa 1, 2 et 3, nous avons consulté le chef avec ses frères et
cousins. L’Administrateur Michel a réuni toute sa famille et ils sont signé un protocole
d’accord. Dans le lotissement, nous leur avons réservé un certain nombre des parcelles
qu’ils peuvent vendre mais en respectant le plan de lotissement. Sur la partie réservée
à l’administration, les demandeurs des parcelles doivent également payer les droits
coutumiers. Avant que les géomètres ne commencent les travaux, le chef coutumier
bénit la terre. Avant de lotir, l’administration doit payer les droits coutumiers : sac de
sel, de riz, des étoffes, chemises, damejeane de vin, Makasou, machettes, bèches, boîte
d’allumette. Il y a une cérémonie ». En somme, à chaque étape de l’opération, on
purge le terrain des droits coutumiers avant d’entamer le processus administratif.
Toute tentative de contournement des exigences des ayants-droit coutumiers
rencontre aussitôt une résistance. Celle-ci prend plusieurs formes parmi lesquelles les
actes d’anticipation. « Quand nous avons commencé à viabiliser le site, nous déclare le

42
chef du cadastre, le chef coutumier s’est mis à vendre des parcelles pour nous barrer la
route. Pour faire la paix, on lui a cédé une partie du lotissement. En fait chaque fois
qu’il y a lotissement, nous devons d’abord négocier avec les chefs coutumiers ; sinon
vous ne saurez pas gérer ».

Cas de Kananga (Kasaï-Occidental)

A Kananga dans la Province du Kasaï Occidental on procède quasiment de la


même façon pour lotir. D’après le témoignage du Conservateur des Titres Immobiliers,
« on rencontre le chef coutumier ; il (nous) donne son avis par écrit. S’il est favorable,
on prépare un arrêté de désaffectation et de création de lotissement. Avant de
commencer les travaux, on indemnise les droits coutumiers : le Gouverneur de
Province quelque chose en plus des parcelles qui lui sont réservée.
Dans la seconde hypothèse, ce sont les chefs coutumiers qui sollicitent un
arrêté créant le lotissement. Dans ce cas aussi les parcelles sont partagées entre
l’administration foncière et les ayants-droit. Avant de lotir toutefois, l’administration
s’assure que tous les membres de la famille de l’ayant-droit sont d’accord avec le
projet. En cas de conflit ou d’opposition d’un membre de famille, c’est le chef de
groupement, nous dit-on, qui tranche. C’est lui du reste qui certifie que telle terre
appartient à telle famille.

V. Les « concessions » (ou tenures) funéraires

Une pratique se fait jour actuellement dans la ville Province de Kinshasa qui
déroge aux destinations qu’aussi bien la législation que la coutume assigne aux biens-
fonds, à savoir les « tenures funéraires » ou « nécropoles » ou encore cimetières
privés ».
Les cimetières font en principe partie du domaine public de l’Etat. La pompe
funèbre par contre est une activité privée qui peut revêtir un caractère commercial.
L’affectation de l’espace pour servir à l’inhumation des morts ne peut être que l’œuvre
de l’autorisation administrative dans le contexte législatif congolais. Au regard des
conditions de mise en valeur, le doit réel de concession funéraire ne se conçoit pas (art
157) de la loi du 20 juillet 1973. Au demeurant, l’article 60 de la loi foncière ne
prévoit pas une telle destination. Il dispose à son troisième alinéa : (…). Selon leur
vocation, les terres sont destinées à un usage résidentiel, commercial, industriel,
agricole ou d’élevage »
Dans la pratique, il semble que l’administration foncière à Kinshasa conclut un
contrat de superficie avec le concessionnaire. « La procédure est la même que pour les
autres concessions », déclare le chef de Bureau du Domaine de la circonscription
foncière de Nsele.

VI. Des pratiques administratives en marge de la loi : les nouveaux


rapports entre l’administration foncière et les ayants-droit
coutumiers en matière d’enregistrement des terres

Indistinctement dans toutes les Provinces, un modus operandi informel a été


institué en ce qui concerne les transactions portant sur les terres coutumières. A
Kananga, les dossiers des terrains à enregistrer doivent comporter les pièces suivantes :
les procès-verbaux des chefs coutumiers et notables, les procès-verbaux d’enquête de

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vacance de l’Inspecteur agricole, l’attestation (avis) de la commune et l’avis du Maire
de la Ville.
Pour corroborer ceci, le commissaire de District de Lulua nous déclare :
« lorsqu’un demandeur se présente, ou le renvoie vers communauté locale, il paye les
droits de la communauté après quoi il fait la demande de terre. Le CDD ordonne
l’enquête de vacance. Il charge l’Administrateur de Territoire de la diligenter. Celui-ci
retourne vers la communauté pour s’assurer qu’il n’y a pas d’objection ».
L’enregistrement des terres coutumières au Bas-Congo semble par contre se
réaliser suivant d’autres modalités : « la terre appartient à l’Etat, nous déclare
l’Administrateur de Territoire de Songololo, mais les chefs coutumiers en sont les
gardiens. Si on veut accéder à la terre, on s’adresse d’abord aux ayants-droit. Ils vous
louent la terre pendant trente ans. Ils ne vendent pas. Après le chef dirige le requérant
vers nous, l’administration. Nous lui présentons notre cahier de charge, nos exigences :
une école, un dispensaire, … le Territoire envoie le dossier au District qui prend un
arrêté ordonnant au Territoire de procéder à l’enquête de vacance ».
Le problème majeur que posent ces procédures, c’est de déterminer parmi les
personnes revendiquant la qualité d’ayant-droit, celle qui engage véritablement le clan
propriétaire, et les conditions de validité des « protocoles d’accord » conclus entre les
membres du clan en vue d’un lotissement, ou entre les ayants-droit et les tiers ». Tous
les membres de la famille des chefs, nous a confié le Président du Tripaix de Matadi, se
prétendent ayants-droit : oncles, tantes, neveux, …. Tous prétendent avoir les mêmes
droits que le représentant de l’entité coutumière. Tous se croient à même d’agir. Il
s’en suit une multiplication des conflits : le même terrain vendu par dix personnes
appartenant à la même famille, tous se considèrent comme à même de vendre. Ceux du
côté du père vendent ; ceux du côté de la mère vendent aussi. On ne sait plus qui est
autorisé à vendre et qui ne l’est pas ».
Ce qui est un casse-tête pour le juge, ne semble pas l’être pour l’administration
foncière. Comment parvient-elle à démêler l’écheveau confus du clan pour identifier la
personne habilité à aliéner la terre ?

VII. Les pratiques foncières dans les cités constituées sur des terres
rurales

1. Cas de la Cité d’Aru (Province Orientale)

La Cité d’Aru a été créée sur des terres rurales faisant partie d’une entité
administrative rurale. Du fait de la création de la Cité, ces terres rurales sont devenues
urbaines conformément à l’article 63 de la loi foncière, leur mise sur le marché ne peut
se faire que si elles figurent sur un plan parcellaire. A défaut, il est exigé un arrêté
spécial du Gouverneur autorisant leur mise en vente. La gestion de ces terres est donc
désormais soumise à des conditions restrictives.
La question se pose toutefois de savoir quel a été le sort réservé aux droits de
jouissance des communautés locales dont les terres se trouvent dans les limites de la
Cité. Ces droits n’ayant pas été expropriés, sont en principe restés intacts et devraient
continuer à circuler conformément à la coutume.
La valeur nouvelle acquise par ces terres pousse de plus en plus d’ayant-droit
à les morceler et à les vendre. Les droits de jouissance des ayants-droit coutumier étant
expropriables, on peut considérer que ce sont des droits patrimoniaux cessibles,
transmissibles, prescriptibles et saisissables. L’aliénation de tels droits est en

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conséquence une opération licite. Elle relève toutefois non pas de la loi du 20/07/1973,
mais le droit commun des obligations. Les droits qui sont transmis, ce sont ceux de
l’aliénateur. La vente des parcelles sur lesquelles s’exercent ces droits de jouissance
tirés de la coutume, n’entraîne pas transfert de propriété. Le droit transféré, c’est le
droit de jouissance du solvens. Le terrain se trouvant toutefois en ville, ce dernier ne
pourra obtenir les titres reconnus par la loi que dans les conditions prescrites par cette
dernière (cfr art. 63 et suivant). Sur la base de la transaction passée entre les ayants-
droit coutumier et l’accipiens, le conservateur ne sera pas fondé à délivrer un contrat de
location, encore moins un certificat. Hélas, c’est le contraire qui se fait.
L’acquéreur des droits coutumiers de jouissance s’adresse, fort de son acte de
vente, au cadastre qui procède immédiatement au mesurage et au bornage, après quoi le
requérant s’adresse au Conservateur pour obtenir le contrat de location ou le
certificat d’enregistrement selon qu’il a construit ou non. Cette procédure est illicite et
les actes délivrés sont des actes nuls conformément à l’article 204 de la loi.
Les actes délivrés par les autorités locales en violation des dispositions
impératives de la loi foncière font cependant l’objet de paiement des taxes. Ces actes et
les frais qui y correspondent sont les suivant :

1. Taxe sur occupation des parcelles : 30 $


2. Fiche parcellaire : 5 $
3. Taxe parcellaire : 1 $
4. Taxe sur occupation de parcelle en milieu urbain : 50 $
Les documents visés par ces taxes étant nuls et de nul effet, les frais y relatifs sont
naturellement indus. Quoi qu’il en soit l’illicéité des actes ne peut être couverte par le
fait qu’ils figurent dans les budgets des entités locales.

2. Cas de la Cité de Mahagi

La cité de Mahagi a été constituée au cœur de la chefferie traditionnelle de


WAR PALARA. Au sens de l’article 60 alinéa 2 de la loi foncière, toutes les terres se
trouvant dans les limites de la cité sont devenues des terres urbaines. La destination des
terres urbaines est généralement résidentielle, commerciale, résidentielle ou
individuelle. Alors que les terres rurales, en ce compris celles des communautés
locales, ont généralement une vocation agricole ou d’élevage. La question se pose de
savoir quel sort a été réservé aux ayants-droits coutumiers dont les terres ont désormais
changé de statut du fait de leur incorporation dans la cité. Car on ne peut comprendre
que les communautés locales revendiquent des droits de jouissance sur des terres
urbaines.
En fait, les ayants-droits coutumiers de la Cité de Mahagi n’ayant pas été
expropriés, leurs droits fonciers sont restés intacts. Ceci n’a pas empêché cependant
l’élaboration d’un plan parcellaire et la création d’un marché foncier à Mahagi. Les
parcelles mises en valeur ont été concédées sous réserve des droits de jouissance des
ayants-droits coutumiers (cfr art 65 de la loi foncière). Ceux-ci peuvent s’opposer à la
vente de ces parcelles dès lors qu’il existe un arrêté du Gouverneur validant le plan
parcellaire. Ils ne peuvent prétendre en ce cas qu’à des indemnités compensatoires.
A défaut des plans parcellaires à Mahagi et Aru, le Conservateur s’arrange
avec les ayants-droits coutumiers pour « aménager des sites » et crée ainsi à son
initiative des marchés fonciers. Selon son propre témoignage, sur le site aménagé, la
moitié des parcelles reviennent aux ayants-droits – droits coutumiers auxquels il délivre

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des contrats de la location, l’autre moitié est offerte « gracieusement » à des
demandeurs éventuels.
Cette opération qui n’a rien d’illicite au départ, le devient lorsqu’on met les
parcelles sur le marché. L’article 5 de l’Ordonnance du 2 juillet 1974 portant mesure
d’application de la loi du 20 juillet 1973 dispose à cet égard : « un terrain qui ne fait
pas partie d’un plan parcellaire (….) ne peut être mis sur le marché et concédé que par
un Arrêté spécial du Gouverneur de Province (…) Avant de proposer des contrats de
location aux demandeurs, le Conservateur doit dans ce cas obtenir une habilitation
spéciale. A défaut, les contrats qu’il propose, sont nuls.

Chapitre III. Les conflits fonciers ruraux en République Démocratique


du Congo

Section I. Les conflits collectifs

§1. Les conflits intercommunautaires

I. Province de l’Equateur

Un conflit des limites au niveau des étangs piscicoles naturels très


poissonneux qui oppose les habitants de la localité Enyele dans le groupement Lobala-
Tanda aux habitants de la localité Munzaya dans le groupement Bomboli. Ce conflit
possède plusieurs causes : le non respect des limites entre ces deux entités au niveau
des étangs piscicoles, l’exploitation illégale des étangs, le non respect des pactes,
l’exploitation de la forêt. Les habitants de Munzaya s’étaient vengé en blessant une
personne d’Enyele et auraient interdis aux habitants d’Enyele d’accéder ni à la forêt
ainsi qu’aux étangs.
A ce jour, les parties en conflits (les habitants des villages Enyele et Munzaya)
continuent à revendiquer le fait qu’aucune solution durable n’a encore été trouvé par
rapport à la délimitation de leurs entités respectives au niveau des zones à étangs
piscicoles disputées.
La même problématique se retrouve dans différents autres Territoires de la
Province de l’Equateur. Tel est le cas des habitants du Groupement Bondongo et ceux
du Groupement Bozaba du secteur de Mwanda (plus de 250 km de Dongo, sud-est)
disputent souvent par rapport au contrôle des étangs poissonneux et de la forêt qui se
trouvent à leurs limites. Tel est le cas aussi du conflit pour le contrôle des zones de
pêche sur la rivière Mbanga entre le groupe ethnique « Kunda » vivant dans
groupement Libanza et le groupe ethnique « Mbanza » vivant dans le village
Ngwambele (groupement Kutsu) ainsi que dans le groupement Damia. pour les «
Kunda », qui sont traditionnellement pêcheurs, les Mbanza (agriculteurs) doivent
cesser avec la pêche.
De nombreux conflits fonciers opposant des villages existent également dans
la Province de l’Equateur. Relevons le cas notamment du conflit foncier oppose les
habitants du village de KUTU-SOMBE à ceux du village KUTUKUNGELE (à 160km

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au Sud-ouest de Gemena) dans le groupement KUTU, secteur de Bolingo. ce conflit
foncier a débuté en 2003 lorsque le chef de groupement Kutu avait vendu ladite
concession à un certain professeur (Mr NGILAMBI) résidant à Kinshasa et originaire
du village Kutu- Kungele. Malheureusement, les habitants de Kutu-Sombe avaient
exprimé leur désaccord par rapport à cet acte, revendiquant d’être les propriétaires de
cette concession. À cette époque, ce conflit avait dégénéré en bagarre rangée entre ces
communautés. Mentionnons aussi le conflit des limites qui oppose le peuple de
l’ethnie « Ngbaka » du groupement BOMANDEA, Secteur de BOWANSE, Territoire
de Gemena au peuple de l’ethnie « Ngbandi » des groupements NDJEKA et TALIBA,
Secteur de BOLINGO, Territoire de BUDJALA ; et Conflit foncier qui oppose les
habitants du village Zegefia (45km Sud-ouest Gemena), groupement Bosemandia,
secteur de Bowanse à ceux du village Bogwaka-TP, groupement Bokenge, Secteur
Banga-Kungu dans le territoire de Gemena. L’origine de ce dernier conflit serait le fait
que le chef du village Bogwaka-TP ait acheté un terrain d’environs 40 hectares dans
l’espace qui sépare les deux villages pour y réaliser les activités champêtres. Mais, les
habitants de Zegefia n’auraient pas accepté que ces activités s’y réalisent ; accusant le
chef de Bogwaka-TP d’avoir illégalement acquis ce terrain et d’avoir violé les limites
entre les deux villages. Il semble que toutes les deux parties se sont retrouvées au-delà
de leurs limites respectives. Le chef du village de Bogwaka, qui occupe un espace
important du terrain en conflit avec les habitants de Zegefia, dit avoir acheté cet espace
long de 9,000m ; chose qui n’est pas reconnue par la population de Zegefia.
Outre les conflits fonciers collectifs, on retrouve également dans la Province
de l’Equateur des conflits territoriaux entre collectivités. Evoquons le conflit opposant
les habitants du groupement Ebongo-Libia (secteur de Gombalo, territoire de
Basankusu, district de l’Equateur) à ceux du groupement Mowaka (secteur de Boso-
ndjanoa, territoire de Bongandanga, district de la Mongala) autour de la limite physique
de leurs entités. En 1993, la Société Commerciale Industrielle de Bois (SCIBOIS)
s’était implantée dans le secteur de Boso-Ndjanoa, territoire de Bongandanga (district
de la Mongala) et c’est cette même année qu’une borne sur laquelle était écrit
Basankusu, d’un côté et Bongandanga, de l’autre a été emportée à une destination
inconnue.
Pour les habitants d’Ebongo-Libia, c’est SCIBOIS en complicité avec les
habitants de Mowaka qui en 1993 auraient déterré et emportée à une destination
inconnue la borne sur laquelle était écrit Basankusu, d’un côté et Bongandanga, de
l’autre et qui était placée/implantée au niveau d’une rivière dénommée Bosompila.
D’après eux, c’est cette borne qui indiquait la limite entre le territoire de Basankusu
(sous entendu, le groupement d’Ebongo-Libia) et le territoire de Bongandanga. Ils
s’appuient sur le fait qu’ayant épuisé les essences forestières (bois) qu’elle recherchait
dans la zone de Boso-Ndjanoa, SCIBOIS a du créée délibérément cette confusion pour
lui permettre d’exploiter en toute quiétude les bois qui se trouvent en territoire de
Basankusu.
Par contre, les habitants de Mowaka ne sont pas d’accord sur le fait que c’est
cette borne, dont ils reconnaissent l’existence jusqu’à 1993, qui indiquait la limite entre
ces 2 territoires. Pour eux, c’est la rivière Malondolo qui constitue la limite naturelle
entre les groupements Ebongo-Libia et Mowaka, entre les Territoires de Basankusu et
de Bongandanga ainsi qu’entre les districts de l’Equateur et de la Mongala.
Il faut noter que, la distance qui sépare ces deux rivières Bosompila et
Malondolo est d’environ 9km. C’est donc pour le contrôle de cet espace de 9 km que
ces communautés se disputent. En 1993, les membres de ces groupements voisins se

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seraient convenus sur un pacte de non agression faute de quoi, le violeur du pacte
devrait amener aux notables locaux « la peau de la fourmi rouge.

II. Province Orientale : cas de l’Ituri

Le Hema les Lendu font partie d’une mosaïque de dix huit groupes
socioculturels qui vivent dans le District de l’Ituri, vaste de 65.630 kilomètres carrés,
avec environ 5.000.000 habitants, d’après le recensement de 1996. Ces deux peuples
habitent essentiellement les Territoires de Djugu et Irumu.
Les Hema, des souches nilotiques, sont des pasteurs et vivent de l’élevage de
gros bétails. Ils ont une variante appelée Hema gegere ou Hema Nord, vivant dans le
Territoire de Djugu. Ces derniers ont perdu la guerre et une bonne partie de culture
Hema, bien qu’étant restés pasteurs. Ils parlent plutôt la langue Lendu ou baada.
Tandis que les Hema sud ou de « Pur sang », qui revendiquent une parenté commune
avec les Tutsi, vivent dans le Territoire d’Irumu.

Quant aux Lendu, auxquels l’on attribue l’origine soudanaise, ils sont des
agriculteurs et habitent le Territoire de Djugu. Ils ont aussi une variante en Territoire
d’Irumu, appelée Lendu Bindi, Lendu Sud ou Ngiti.
La tradition orale de ces deux peuples relate que des conflits ont souvent
opposé les Lendu Nord aux Hema Nord et les Lendu Sud aux Hema Sud. Les rapports
administratifs mentionnent des conflits sanglants vers les années 1910 et 1922, avec
des rebondissements vers le début des années 1970, en 1986 et dans les années 1992-
1993.
Parmi les causes les fréquemment évoquées des conflits antérieurs, des
sources crédibles évoquent entre autres : le problème foncier et le contrôle économique
du Territoire : le système discriminatoire hérité de la colonisation a non seulement
développé des sentiments de brimade, de frustration et d’humiliation accumulés par les
Lendu, il a aussi renforcé le pouvoir de gestion des terres par les éleveurs Hema. De
nombreux témoignages soutenus par des rapports administratifs révèlent que les Hema
éleveurs ont tendance à acheter des concessions de pâturages dans des villages Lendu,
sommant ces derniers au déguerpissement forcé. La réduction des espaces arables,
pourtant nécessaires aux Lendu aurait fini par les révolter. Dans des nombreux
villages, ce problème foncier qui crée des disparités socio-économiques entre les
communautés a maintes fois suscité de vives tensions, parfois meurtrières, souvent
atténuées par de négociations et l’intervention du pouvoir public.
Relativement à l’accès à la terre, les activités de RCN 5 ont permis de mettre en
évidence que le problème foncier en Ituri n’est ni un problème de pénurie foncière ni
un problème d’expropriation d’une communauté par une autre, encore moins un
problème d’exclusion.
Le problème foncier en Ituri apparaît en effet à la fois comme un problème
idéologique, juridique et politique. Structuralement, il se décline en une opposition des
titres mystiques (les droits ancestraux) à des titres fonciers modernes (le certificat
d’enregistrement). Structurellement, il se traduit dans une dualité administrative, les
autorités traditionnelles continuant, par devers la législation, à jouer un rôle
prépondérant dans la gestion des terres et l’arbitrage des conflits fonciers. Sur un plan
5
RCN est le sigle du Réseau du Citoyen/Citoyen Network, une ASBL de droit belge
opérant en Ituri. Elle organise des formations en droit foncier et droit pénal à
l’intention des autorités locales en Ituri.

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plus politique, la question foncière apparaît comme un prétexte permettant de mettre en
débat les déséquilibres actuels, réels ou supposés, dans l’occupation de l’espace
administratif local, dans l’économie et dans la politique. En d’autres mots, par le
truchement de la question foncière, il y aurait revendication d’un rapport plus équilibré
entre les communautés de l’Ituri.
Dans ce contexte de relations sociales tendues, il est évident que le retour de
déplacés de guerre récente va davantage compliquer la situation. Plusieurs cas de
figure qui constituent la trame des conflits interpersonnels en Ituri ont été répertoriés.

1. La guerre ayant décimé les élevages, des agriculteurs ont envahi les terres
« abandonnées » par les éleveurs. Des conflits éclatent au retour des
éleveurs.
2. Le bétail ravage parfois les cultures des paysans occasionnant un conflit
entre les propriétaires des bêtes et les paysans victimes.
3. Eleveurs et agriculteurs prétendent parfois avoir tous des droits sur un
même terrain. Cette situation se produirait généralement sur les pâturages
non encore délimités et bornés.
4. La guerre ayant obligé les gens à se déplacer, ceux-ci se sont installés vaille
que vaille. Généralement les gens fuyaient vers des zones jugées non
hostiles là, ils occupaient les pâturages collectifs. Les terres qu’ils ont
abandonnées ont été à leur tour occupées par d’autres déplacés. Les uns et
les autres ne peuvent plus récupérer leurs terres.
5. A DJUGU, le marché est depuis la guerre divisé en deux. De part et d’autre
de la route qui traverse le marché, se sont installés les 2 communautés en
conflit (Hema et Lendu) lesquelles se font vis-à-vis. Les Chefs considérant
cette situation comme irréversible, s’emploient à attribuer des
emplacements sur ce marché allant jusqu’à réattribuer des « parcelles »
ayant appartenu avant la guerre aux membres de l’autre communauté.
6. Des terrains sont également attribués à des personnes différentes
respectivement par les Conservateurs de Bunia et Mahagi. Cette situation
conduit également à des conflits à répétition.
7. Un voisin a fui. Au retour, il trouve que la parcelle qu’il se préparait à
mettre en valeur, a été confiée à quelqu’un d’autre par le Chef de Cité. Le
nouvel acquéreur l’a déjà mis en valeur.
8. On brûle la maison de quelqu’un. Il occupe la maison de quelqu’un d’autre
d ans une autre localité. Il se trouve que l’occupant soit dans
l’impossibilité de retourner chez lui à cause de l’hostilité de ses voisins. Au
retour du propriétaire de la case occupée, un conflit peut naître, si
l’occupant résiste à déguerpir.
9. En Ituri, il semble que la plupart des concessions sont très partiellement mis
en valeur. Les paysans de plus en plus envahissent les terres en friche. Leur
déguerpissement pose généralement problème. Ceux-ci, pour faire
obstacles aux droits des concessionnaires, font valoir leurs droits
ancestraux sur les terres concédées dans leurs terroirs.
La plupart des conflits en Ituri s’inscrivent dans l’un ou l’autre de ces scenarios.

Par ailleurs, la création des cités de Bunia, Mahagi et Aru et le développement


des Centres de négoce (Ariwara, kobu, Mahagi port, …) sans expropriation préalable
des droits des communautés locales est source d’incertitudes foncières et de conflits.

49
Le débat sur les droits des communautés locales soulève particulièrement des
passions entre les Lendu et les Alurs, voire à l’intérieur de la communauté des Alurs. Il
est reconnu que les Alurs forment un même groupe éthique mais qu’il y a plusieurs
communautés organisées politiquement sur des territoires déterminés. Ce sont ces
groupes localisés et organisés que l’on propose d’appeler « communautés locales » et
non l’ensemble de la communauté tribale. Les terres des communautés locales sont en
ce sens celles sur lesquelles ces groupes exercent une maîtrise.

Suivant cette acceptation, un problème se pose dans les groupements


multiethniques. Par exemple dans la collectivité des Walendu – Watsi, les Lendu
estiment que la terre leur appartient et que les Alurs qui s’y trouvent n’ont que des
droits de culture. En d’autres mots, les terres de cette collectivité sont des terres
occupées par la communauté locale Lendu mais en partie exploitées et mis en culture
par les Alurs. Cette même problématique, on la rencontre au Nord-Kivu.
Le cas de groupement de Nioka dans la chefferie de PANDORO est encore
plus expressif de la difficulté à définir les terres occupées par les communautés locales.
Dans ce groupement, il y a des villages Lendu et des villages Alurs. Dans ce cas, que
faut-il entendre par communauté locale et terre occupée par une communauté locale ?

III. Province du Nord-Kivu

Pour favoriser la colonisation de vastes zones propices à l’élevage et à


l’agriculture au Nord-Kivu, le pouvoir colonial entreprit de déplacer des familles
Banyarwanda du Rwanda vers le Nord-Kivu, spécialement dans le Masisi. D’après la
littérature, près de 100.000 familles furent déplacées du Rwanda et réinstallées au
Nord-Kivu. La prise en charge administrative de ces populations requit la création
d’une entité administrative à la tête de laquelle fut placé un prince du Rwanda, M.
Bucanayandi. Cette entité constituée sur des terres rachetées par la colonie aux
communautés autochtones devint assez vite l’objet de graves controverses entre les
leaders des déplacés et les autorités traditionnelles locales, si bien que l’autorité
coloniale dut supprimer cette chefferie dite chefferie de Gishari (Kishali, selon la tribu
Hunde).
D’un point de vue politique, le Gishari passait pour un territoire conquis par le
« souverain » rwandais au détriment de la communauté et de l’autorité politique
Hunde. Au-delà toutefois de cette lecture, il y a un problème foncier qui fonde et
explique les relations tendues qui ont existé et existent entre les populations déplacées
que tendancieusement on qualifie de « transplantés », et les populations « originaires »
de la zone. Le système foncier traditionnel était en effet organisé de manière à faire
participer tout le monde à un réseau de relations au-dedans duquel les uns et les autres
contractaient réciproquement des obligations. Le système foncier et les transactions sur
le bétail créaient un système de dépendances personnelles qui assurait à la société sa
cohésion et sa reproduction. En raison de ces dépendances personnelles, la structure de
la société était pyramidale, le sommet étant occupé par le Mwami à la dignité de qui
participaient à des degrés divers des « notables », la base étant constituée de petits
paysans assujettis (6).

6
MUGANGU, S., « Les politiques législatives – congolaises et rwandaises. In André
Guichaoua (Sous la direction de), Exilés, réfugiés et déplacés en Afrique Centrale et
Orientale, Paris, L’Harmattan, 2004, pp. 633-694.

50
Les familles réinstallées au Nord-Kivu par la MIB ( 7), n’ont pas participé à ces
mécanismes sociaux d’intégration des migrants. Elles ont évolué parallèlement à
l’organisation sociale locale. Pour se mettre à l’abri des incertitudes que représentaient
pour elles les autorités coutumières locales, elles ont saisi l’opportunité de la reforme
foncière de 1973 pour accéder à des titres fonciers protégés par la loi. Ainsi, pensaient-
elles faire échec aux tentatives de spoliation par les chefs locaux lesquels avaient
tendance à leur contester les droits qu’elles exerçaient sur le sol du fait du pouvoir
colonial. Systématiquement, elles avaient gain de cause devant les tribunaux, forts de
leurs certificats d’enregistrement. Les « autochtones » en étaient frustrés.
Plus récemment, des déplacés Banyarwanda rentrés du Rwanda ont occupé
une partie disputée du parc appelée « Zone tampon », rajoutant encore à la complexité
de la question foncière au Nord-Kivu.
La mise en œuvre de la politique de la « zaïrianisation » en 1974 a, pour sa
part, par l’engouement suscité pour l’activité pastorale, conduit à un déséquilibre dans
l’occupation spatiale (8). L’élevage qui est essentiellement le fait des élites politiques,
bureautiques et commerçantes, occupe des espaces de plus en plus importants, alors
que les exploitations agricoles paysannes sont de plus en plus morcelées en raison
d’une démographie particulièrement galopante. La croissance rapide de la population
est, paraît-il, due non seulement à l’élévation des taux de natalité et la diminution des
taux de mortalité, mais aussi à l’existence des réseaux de migration clandestine, les
familles réinstallées par la MIB ayant gardé des connexions dans leurs villages
d’origine au Rwanda. Les migrants des années 60, 70 et 80, profitant de la vénalité des
chefs locaux, acquerraient aussi des terres lesquelles étaient parfois, si pas souvent, le
résultat d’une spoliation paysanne.
Sous le prétexte de l’accaparement des terres ancestrales des communautés
dites autochtones par les immigrés9, de l’usurpation par ces derniers du quota politique
des premiers et de leur tendance à investir les appareils locaux (administratifs,
économiques, …) au détriment des « autochtones », ceux-ci contestent leur nationalité,
espérant ainsi les disqualifier non seulement du jeu politique mais surtout du droit au
sol.
En fait, les contradictions d’intérêts au plan foncier entre les diverses
catégories sociales locales sont occultées par la question de la nationalité, laquelle est
posée de plus en plus sans faire les distinctions qui s’impose, bipolarisant ainsi le Nord-
Kivu en deux blocs antagonistes : les rwandophones (ou G2)10 et les autochtones (ou
7
La Mission d’Immigration des Banyarwanda (MIB) a été créée en 1933. Elle a opéré
entre 1933 et 1955. Le conflit qui opposa le chef hunde (Mwami Kalinda) à
Bucanayandi mit fin à ses activités en 1955. Pour plus de détails, voir MATHIEU, P.,
WILLAME, J.-C. (dir.), Conflits et guerres au Kivu et dans la région des Grands Lacs,
Cahiers Africains, n° 39-40, Paris, L’Harmattan, 1999, pp.13-20.
8
AAP, Les conflits dans le Masisi. Obstacle au retour des déplacés, Goma, août 2004,
p.20.
9
Les données relatives à l’occupation spatiale dans le Masisi indiquent que l’économie
des plantations est prédominante dans ce territoire. Alors que les paysans doivent se
contenter de moins d’un hectare par famille, les fermes et plantations ont en moyenne
une superficie d’environ 150 ha. Contrairement toutefois à l’opinion répandue, les
« propriétaires » ne sont pas majoritairement des immigrés banyarwanda
10
 Le G2 ou Groupe de deux est une alliance des personnes d’expression kinyarwanda
(Hutu et Tutsi, migrants anciens et récents, tous confondus) pour faire face au G7 ou
regroupement de sept tribus qui se proclament autochtones du Nord – Kivu.

51
G7)11. Ces identités de combat sont toutefois des constructions opportunistes, car à
l’intérieur de chaque bloc, les divergences et oppositions d’intérêt sont très
significatives.

En soutenant qu’il existe au Nord-Kivu des contradictions sociales et foncières


profondes qu’occulte la question de la nationalité, nous voulons mettre en évidence le
fait qu’au-delà du leitmotiv commun sur la prétendue nationalité usurpée des
rwandophones, les diverses catégories sociales dites autochtones ont des intérêts
fonciers, contradictoires que tous espèrent servir, si les immigrés Banyarwanda sont
rapatriés au Rwanda. En effet, les nouvelles élites (fonctionnaires, commerçants,
politiciens, …) espèrent non seulement éliminer des concurrents politiques mais aussi
récupérer les concessions de ces derniers pour nouer avec les paysans des rapports
clientélistes via des contrats de métayage. Ces paysans constituent du reste pour les
élites politiques une base électorale. Les chefs coutumiers espèrent quant à eux
récupérer des terres pour reproduire des rapports de dépendance personnelle avec les
paysans. Ces derniers espèrent pour leur part de nouvelles disponibilités foncières 12.

Les conflits actuels au Nord-Kivu sont liés à la récupération des terres des
refugiés ou des déplacés internes 13 : à la suite de multiples guerres au Nord-Kivu,
plusieurs personnes ont été contraintes d’abandonner leurs terres et d’aller s’installer
ailleurs. Profitant de leur absence prolongée, des individus n’ayant pas fuit les hostilités
ou étant retournés plus tôt, ne se gênent pas d’occuper illégalement leurs terres de
provenance. En plus, ils ne veulent pas les restituer aux vrais propriétaires à leur retour.
« Tel est le cas des personnes qui, en 1994, ont quitté le sud Lubero suite à la guerre
interethnique pour Masisi, Rutshuru et Rwanda. En 2011, face à la rareté des terres
arables dans le milieu de déplacement ainsi que des conditions de vie difficile, elles ont
décidé de rentrer dans leur milieu de provenance qu’est le Sud-Lubero. Arrivés sur les
lieux, les chefs locaux leur ont opposé la prescription de leurs droits fonciers et
déclarent ainsi ne pas les reconnaitre comme détenteurs d’un quelconque droit foncier.
En effet, selon la coutume locale, 3 ans après l’abandon sans motif valable d’un champ,
le chef terrien peut l’octroyer pour exploitation à une autre personne »14

Par ailleurs, il y a aussi des refugiés ou déplacés qui, avant de fuir les conflits,
avaient réellement vendu leurs terres avec des documents à l’appui mais
paradoxalement, à leur retour, reviennent les réclamer (ERT, rapport, 2014).

IV. Province du Sud-Kivu : Le problème foncier dans les hauts plateaux


d’Itombwe

1. Le cas Banyamulenge
11
Ce groupe de sept est constitué des tribus ci-après : le Nande, Hunde, Kumu,
Nyanga, Tembo, Kano, Mbuti.
12
S. MUGANGU, « Enjeux fonciers et territoriaux et conflits récurrents au Kivu »,
International Conference, Africa’s Great Rift : diversity and unity, Royal Academy for
Overseas Sciences, Royal Museum for Central Africa, Brussels, 29-30 September
2005, pp. 291-304.
13
LPI-ASP, Rapport de la table ronde sur les conflits intercommunautaires liés à la gestion des
terres rurales en chefferie des Bashali/ Territoire de Masisi, 2013, p. 23.
14
UN-HABITAT, Typologie des conflits fonciers, Goma, 2012, p. 7.

52
Comme cela a été relevé ci-haut, la création des territoires administratifs a eu
pour effet de délimiter également les domaines des communautés locales, celles-ci
faisaient correspondre désormais leur domaine ancestral aux limites de l’entité
administrative coutumière. Ceci a profité essentiellement aux groupes sédentaires, à
savoir les Babembe, Bavira, Bafuliru, Banyindu et Barega. Les Banyamulenge par
contre, peuple semi-nomade, se mouvaient dans les hauts plateaux d’Itombwe en
fonction des saisons, au gré des opportunités de pâturage pour leur bétail. Par rapport
au sol, à la différence des autres communautés de la zone, ils n’ont pas développé un
rapport d’appropriation.
N’ayant pas été regroupés dans une entité administrative par l’autorité
coloniale, ils ont été placé de facto au plan foncier sous l’autorité des chefs d’entités
dans lesquelles ils déployaient leurs activités pastorales. En période de transhumance,
ces chefs exigeaient d’eux une redevance sanctionnant le droit de passage et de pacage
(Itulo).
Il est important de souligner toutefois que nulle part les Banyamulenge n’ont
conclu de convention avant de s’établir. Notre enquête a révélé qu’aucun
Munyamulenge n’était titulaire d’un droit foncier coutumier consacrant à son profit un
droit exclusif sur terrain de pâturage. Même les hameaux résidentiels seraient d’origine
spontanée. A aucun moment, ils n’ont eu le sentiment d’être sur les terres d’autrui,
d’usurper les droits fonciers d’un groupe voisin. De même à aucun moment ils n’ont
revendiqué des droits exclusifs sur une zone donnée. Tant et si bien qu’ils ne
revendiquent aucun domaine ancestral à la différence de toutes les autres
communautés. Ces dernières ne prétendent point non plus avoir conféré des droits
fonciers aux Banyamulenge.

La terre n’ayant pas été un support à des rapports sociaux, économiques ou


politiques entre les Banyamulenge et les autres communautés, et les liens
matrimoniaux étant quasi inexistant, les trajectoires sociales ont été parallèles.
Les malentendus autour des redevances (Itulo) ont été les signes annonciateurs
de la crise des rapports sociaux et fonciers entre la communauté Banyamulenge et les
autres. Il semble qu’au milieu des années 60, les chefs locaux changèrent la nature et
la substance de l’Itulo. Celle-ci avait à l’origine un caractère facultatif et symbolique et
était l’expression d’une civilité. Pendant la rébellion Muleliste, pour se venger des
Banyamulenge qui avaient pris le parti du Gouvernement, alors que presque toutes les
autres communautés avaient rallié la rébellion, les chefs firent de l’Itulo une obligation
et en accrurent la valeur. D’une poule ou une brebis, on exigea désormais une vache,
en contrepartie du droit de passage et de pacage.
Insécurisés au plan foncier par ce changement dans la nature et la substance de
l’Itulo, et prenant conscience de leur marginalisation politique, sociale et culturelle, les
Banyamulenge s’associèrent volontiers à la rébellion du FPR avec l’espoir que le
moment venu, le retour de l’ascenseur leur permettra de modifier les rapports de force
sur l’échiquier local dans les hauts plateaux.
A la faveur de la guerre du RCD appuyé par le FPR au pouvoir au Rwanda, les
Banyamulenge tentent alors de créer une entité administrative dont ils peuvent
s’assurer le contrôle. Ce projet motivé par le souci d’approcher les administrés de
l’administration selon ses promoteurs, sera interprété comme une tentative de spolier
les autres communautés, d’usurper leur suzeraineté, voire de les asservir dans une
entité souveraine totalement dominé par les Banyamulenge. C’est ce qui explique la

53
prolifération des groupes armés dits « groupes des résistants » dans la zone. Le
leitmotiv commun de tous ces groupes est la protection du domaine, mieux du
patrimoine ancestral.
Charriant des enjeux multiples, la question foncière que de façon unanime on
s’accorde à éviter, refait surface en termes de défense ou de protection contre
l’ethnocide. Autant les Banyamulenge crient au génocide, autant les autres
communautés proclament le respect des droits des autochtones. Le génocide dont se
plaignent les uns est à appréhender en terme d’incertitudes, notamment foncières, qui
menacent à plus ou moins long terme la survie de la communauté. « Il nous faut un
Territoire, confiait un jeune intellectuel Munyamulenge, parce qu’on ne va tout de
même pas vivre sous la domination des autres ». L’incertitude foncière est en effet
particulièrement déstabilisant pour un peuple pasteur dont les besoins fonciers sont
sans cesse croissants.
La défense de l’autochtonie se matérialise elle-même non seulement dans la
défense de l’héritage ancestral contre les usurpateurs actuels ou virtuels, mais aussi
dans la reproduction des rapports asymétriques qu’à la faveur des reformes
administratives, ils ont su imposer aux autres, en l’espèce les Banyamulenge. Un chef
coutumier de l’Ubwari nous a confié en termes non équivoques : « il est évident qu’ils
(les Banyamulenge) doivent payer l’Itulo, parce que l’herbe dont ils ont besoin (qu’ils
convoitent, suivant son expression) est chez nous ». Ce propos tend à nier le droit des
Banyamulenge au pâturage, droit qu’ils ont pourtant exercé par le passé sans rencontrer
la moindre résistance ou contestation des communautés voisines.
Au-delà de ces enjeux, il y a une opposition fondamentale entre les
Banyamulenge et les autres communautés sur le rapport à l’espace. Alors que ces
dernières se considèrent comme propriétaires des terres de leurs entités respectives, les
Banyamulenge qui mènent leur vie de pâtre en ignorant les limites administratives,
estiment que « les montagnes n’ont pas de propriétaire ; il suffit de construire ; l’accès
est gratuit. Chacun retire des ressources foncières, à la force de ses poignets, l’utilité
qu’il vise ».
Cette opposition des conceptions du rapport au sol est telle que les
Banyamulenge rejettent toute possibilité de constitution des concessions au profit des
particuliers. Un notable Munyamulenge, éleveur de son état, nous a confié :
« récemment, BIZIMA KARAHA a voulu installer une ferme dans les hauts plateaux.
Nous nous sommes opposés. On ne peut pas concevoir qu’une personne occupe des
montagnes pour son usage exclusif. Si on accepte, les autres, où feront-ils paître leur
bétail ? ». En fait, le mode de vie et le système d’élevage des Banyamulenge est
incompatible avec le régime des concessions foncières. Les autres communautés par
contre semblent pouvoir s’en accommoder, et acceptent volontiers qu’une personne
puisse exercer des droits exclusifs sur un domaine agricole ou pastoral.
Etant donné qu’il n’y a pas de concession enregistrée et mis en valeur à ce jour
dans les hauts plateaux, le conflit foncier entre les Banyamulenge et les autres
communautés reste à l’état latent. Le conflit est toutefois inévitable, si les espaces de
pâturage utiles aux éleveurs Banyamulenge ne font pas l’objet d’une protection
spéciale. Ces espaces devraient être déclarés inconcessibles, inaliénables,
imprescriptibles et insaisissables.
Jusqu’à présent le problème foncier dans les hauts plateaux est occulté par les
questions de nationalité et de recomposition territoriale et administrative qui lui sont du
reste sous-jacentes. Il fera toutefois surface dès que la colonisation des terres des hauts
plateaux sera engagée, ce qui est à prévoir dans un avenir proche. Des violences à

54
grande échelle risque hélas d’accompagner ce processus de colonisation. Par ailleurs,
la constitution de la réserve de l’Itombwe pourrait compliquer davantage la situation en
ce sens qu’elle limite les marges de manœuvre des acteurs en réduisant les espaces à
coloniser.

2. Cas de la réserve de l’Itombwe

Doter la forêt d’Itombwe d’un statut de réserve est un processus qui date
depuis quelques années. En tant que forêt classée, elle ne peut plus faire l’objet de
contrat de concession pour satisfaire les appétits égoïstes des exploitants forestiers.
Aussi, le classement du massif d’Itombwe est-il la voie sûre et unique d’en sauvegarder
le rôle écologique. Le processus qui a abouti à la constitution de la réserve pose
toutefois des problèmes.
Le 25 février 1998, l’arrêté n° 01/008/CAB/GB-SK/98 portant mesure de
sauvegarde de la faune et de la flore des monts Itombwe a été signé par Feu Jean-
Charles MAGABE, alors Gouverneur de Province. Cet arrêté a bénéficié du soutien
des communautés locales. Déjà en 2002, grâce aux efforts de l’Action pour la
Conservation et l’Utilisation Durable des Ressources Naturelles (ACUDUR), les chefs
de groupements d’Itombwe ont délimité chacun les zones de maternité favorable à la
reproduction des animaux pour chaque groupement. Cette volonté des populations
d’Itombwe a été concrétisée par la déclaration de Kamituga du 23 septembre 2005
relative à la conservation de la biodiversité du massif d’Itombwe.
Le moment fort du processus a été la mise sur pied d’une proposition d’arrêté
au cours de la réunion tenue à Miki le 17 juin 2006 à l’initiative de l’ONGD
internationale WWF.
Dans son ensemble, cette proposition de l’arrêté voulait faire de l’Itombwe
une réserve communautaire avec une délimitation théorique et un mode de gestion qui
implique les communautés locales. Contre toute attente, l’arrêté ministériel n°
038/CAB/MIN/ECN-EF/2006 du 11 octobre 2006 portant création d’une réserve
naturelle dénommée Réserve Naturelle d’Itombwe « RNI » n’a repris en rien les
attentes des communautés.
Ayant le caractère d’une réserve intégrale, l’arrêté signé par le Ministre de
l’environnement implique des mesures policières qui feraient perdre aux populations
vivant de et dans cette partie la jouissance de leurs droits. Comme tout le monde
pouvait s’y attendre, les ressortissants d’Itombwe ont contesté l’arrêté et la Société
Civile l’a décrié.
Au regard de l’autorité signataire, toutefois, nous ne pouvons pas conclure à la
violation du code forestier (article 15) et par conséquent à l’incompétence et/ou à
l’usurpation du pouvoir. Mais devant la désapprobation des populations riveraines, il
faut opérer un choix entre deux options. D’une part, l’application forcée de l’arrêté
continuera à rencontrer la contestation des communautés et compromettre ainsi
l’efficacité du Gouvernement sur le terrain. Dans ce cas, la réserve sera un foyer de
conflits. D’autre part, la reprise du processus de classement avec les communautés
locales rétablira la confiance et augmentera la force et l’efficacité du nouvel arrêté qui
en sortira.
En application de la théorie de l’acte contraire, l’autorité qui a pris la décision
d’ériger Itombwe en réserve peut toujours la retirer. Par ailleurs, le processus de
classement du massif forestier d’Itombwe devrait s’inscrire dans la logique de la
décentralisation. 

55
La décentralisation voudrait que les responsabilités soient déléguées aux
organes locaux en ce qui concerne particulièrement le processus de classement du
massif d’Itombwe. Cela devrait requérir la participation de la base et la collaboration
de tous les acteurs surtout sur les points touchant la gestion durable et réussie de la
riche biodiversité d’Itombwe. C’est aussi la voie sûre de prévenir les conflits qui
surgirait entre les populations riveraines et l’administration des forêts.

V. Province du Kasaï : les avatars du conflit Luba et Lulua

Les causes immédiates de ce conflit remontent à 1959 lorsque le grand chef


Kalamba réclame à l’administration « la reconnaissance de l’existence d’un royaume
Lulua » (le 06 mai 1959). Le 20 juin, une motion, inspirée par le même chef, exigeait
que les Baluba « reconnaissent les droits Lulua et se soumettent à l’autorité coutumière
Lulua, sous peine de devoir regagner leurs terres d’origine ». Les Baluba prennent la
menace au sérieux et constituent le 05 juillet le « Mouvement Solidaire Muluba », dit
NKONGA MULUBA pour l’unité politique de tout le groupe linguistique Luba. Ce
mouvement est le pendant de l’Association LULUA-FREFRE constituée en 1952, fer
de lance des revendications Lulua. Entretemps, le Gouverneur provincial avait confié
au commissaire de district assistant, M. Dequenne, le soin d’enquêter sur le
« problème » Baluba-Lulua. D’après le rapport qu’il rédigea le 08 juillet 1959, la
position des deux parties en cause pouvait se résumer comme suit :
« LULUA : La terre nous appartient, nous avons donné aux Baluba
l’autorisation d’en occuper certaines parties. Nous avons marqué notre accord aux
propositions de l’Administration de céder l’usage de ces terres qui nous appartiennent
aux étrangers, plus particulièrement aux Baluba. Mais il est bien évident que nos droits
de propriété restent entiers, que cette autorisation d’occupation que nous avons donnée
jadis, nous avons le droit de la retirer à tout moment. Ce moment est arrivé, car les
Baluba ont rompu le contrat tacite conclu avec nous, en ne nous respectant pas, en
accueillant chez eux d’autres Baluba en nombre sans cesse croissant, sans nous
demander l’autorisation, en s’opposant à ce que certains Lulua s’installent sur les terres
données en usufruit aux Baluba, en œuvrant pour faire de nous une classe d’inférieurs,
de subalternes, et ce, dans un pays qui est le nôtre.
« BALUBA : L’Administration a reconnu notre organisation politique. Elle a
reconnu que le domaine foncier que nous occupons nous appartient. Nous avons donc
le droit d’exercer les pouvoirs de propriétaire, notamment de nous opposer à ce que les
Lulua viennent s’installer chez nous. Nous sommes indépendants de qui que ce soit ».
Très favorable aux Lulua, le commissaire de district, dans ses conclusions,
déclarera évidente l’existence d’une ethnie lulua, très probable l’accord des chefs lulua
sur la désignation de KALAMBA comme chef de tous les Lulua, si on leur en faisait la
proposition, et enfin très souhaitables certaines dispositions réglementaires le droit de
vote aux élections de décembre 1959 dans un sens favorable aux Lulua. Pour résoudre
le problème foncier entre les deux groupes, il suggère le choix entre deux solutions :

1. Soit, « reconnaissance officielle de la propriété du domaine foncier aux


Lulua et conjointement reconnaissance des droits d’usufruitiers aux
Baluba, occupants actuels ». Les usufruitiers devraient, si tel est le choix
retenu, payer aux Lulua un loyer symbolique annuel. Aucune nouvelle
immigration ne devrait être autorisée sans l’accord préalable des Lulua.
En cas de cession de terrain, le contrat devra prévoir : le paiement aux

56
Baluba des droits individuels ; le paiement aux Lulua de l’indemnité pour
cession de patrimoine.
2. Soit «  reconnaissance officielle des droits identiques aux Lulua et Baluba
sur les terres actuellement occupées par les Baluba. Ceux-ci ne
pourraient donc s’opposer à ce qu’un Lulua s’installe « chez eux » sous le
seul prétexte qu’il est Lulua. Toute terre ne faisant l’objet d’aucun droit
individuel serait considérée comme disponible et pourrait être occupée
par tout qui, en règle avec la législation sur la résidence, justifierait d’une
raison suffisante pour s’y installer »

Les protestations et manifestations qui suivirent la divulgation de ce rapport


pourtant confidentiel, aboutirent à l’arrestation des leaders baluba : Albert et Evariste
Kalonji et A. Nyembo. Les positions des deux groupes ethniques se durcirent alors.
Le 11 octobre 1959, se produisirent les premiers événements sanglants du conflit. Les
troubles perdurèrent sans répit pendant des mois, si bien qu’au mois de janvier,
l’Administration entreprit de « rechercher avec les représentants des deux parties un
compromis raisonnable, respectant les intérêts essentiels de chacun ».
Une mission d’arbitrage fut confiée à M. Rae qui réunit au lac Mukamba, le 09
janvier 1960, les délégués lulua et baluba. La convention à laquelle aboutit la mission
consacrait le triomphe de la thèse lulua et le déplacement de cent mille Baluba en un
délai de deux mois. Cette convention expose en effet :
« Le chef KALAMBA constate que les représentants des Baluba, tout en se
reconnaissant occupants des terres lulua, n’entendent pas se soumettre à son autorité
coutumière ni à celle des autres chefs lulua parce que les Baluba déclarent avoir été
autorisés à occuper ces terres par l’Etat. Dans ces conditions, le chef KALAMBA a
demandé le départ de tous les Baluba habitant sur les terres lulua à titre d’occupants
sauf les travailleurs. Dans la pensée du chef KALAMBA, le terme travailleurs
comprend tous les engagés privés et publics, ainsi que les commerçants et les colons
baluba. Devant donc s’en aller : les villageois (qui cultivent leur petit lopin de terre
pour vivre) et leurs représentants. Le même chef demande le départ des chômeurs,
d’accord en cela avec les chefs étrangers qui participent à la séance.
« En réponse, les représentants des Baluba, à l’unanimité, déclarent avoir
décidé en toute liberté hier soir et ils déclarent aujourd’hui en toute liberté qu’ils ont
pris la décision définitive de quitter les territoires qu’ils occupent chez les Lulua avec
tous les Baluba, y compris les travailleurs. Ils déclarent toutefois solennellement qu’ils
s’engagent à n’employer aucun moyen moral ou physique ou matériel de nature à
obliger les travailleurs individuels à quitter les territoires lulua où ils se trouvent
actuellement » (…)
« Les chefs étrangers invités à l’assemblée, constitués en arbitres, estiment que
le délai de deux mois pour l’évacuation des Baluba est suffisant et que ceux qui ne
partiront pas endéans ce délai, ne devront s’en prendre qu’à eux-mêmes ».
Cette convention ayant été rendue publique et l’exode des Baluba se faisant
dans des conditions dramatiques, les autres ethnies –qui constituaient la majorité de la
population du Kasaï- prirent enfin position, contestant aux deux parties la légitimité de
la conquête des terres :
« Etant donné que certains semblent méconnaître les authentiques autochtones
de la zone (…), écrit le Président de la Coalition kasaïenne (Coaka) –la COAKA,
constituée par les BAKETE, BAKUBA, BASHILELE, BAKUAMPUTU, BENA

57
NKAMBA, BASALA-MPASU, BALUALUA et BABINDI-, revendique le droit de
premier occupant ;
« Elle affirme que jamais un peuple faisant actuellement partie de la COAKA
n’a reconnu la légitimité de la conquête de ses terres par le MUPEMBA (vulgairement
appelé Lulua) ni par le MULUBA ;
« Elle rejette toute décision de la Commission reconnaissant le droit foncier à
l’un ou l’autre actuellement en conflit ;
« Elle reconnaît néanmoins l’usufruit aux actuels occupants ».
L’évolution de ce conflit n’a pas été malheureusement documentée dans ce
rapport. Mais il est évident que celui-ci a laissé une empreinte solide dans les relations
foncières entre les deux communautés.

§2. Les conflits entre communautés et parcs nationaux

I. Cas du Parc National de Virunga (Nord-Kivu

La création du Parc National de Virunga eu pour effet non seulement de


réduire les disponibilités foncières, mais aussi de contraindre au déplacement de
communautés ou des parties de communautés, les plaçant ainsi sous la dépendance
politique et foncière des communautés d’accueil.
Actuellement, les limites du Parc National de Virunga sont de plus en plus
remises en cause. Les chefs locaux et certains parmi les élites locales ont tendance à
dualiser les intérêts des populations et la conservation. Suggérant une articulation
simpliste, ils établissent une relation de cause à effet entre les expropriations effectuées
au profit du PNVi et la pauvreté rurale dans la région. Les populations paupérisées et
n’ayant guère d’autres choix, se rabattraient sur les ressources du parc que protège une
législation très rigoureuse et restrictive et une pratique administrative extrêmement
policière ; ce qui conduit à un état permanent de conflit entre l’autorité gestionnaire du
parc et les populations riveraines de celui-ci (15).

II. Cas du Parc National de Kahuzi-Biega (Sud-Kivu)

Le cas du Parc National de Kahuzi-Biega est particulièrement éclairant sur la


problématique.
Le parc a été créé le 30 novembre 1970 par une ordonnance du Chef de l’État,
sur une réserve forestière constituée en 1937 par l’autorité coloniale. Cette réserve
s’étendait sur soixante mille hectares (60.000 ha).
En 1975, par une ordonnance du 22 juillet 1976 portant modification des
limites du PNKB, sa superficie fut portée à 600.000 hectares. Ce faisant, le Chef de
l’État annexait au Parc les terres d’une communauté locale, à savoir la collectivité-
chefferie de Nindja. Sur une population estimée à 18.161 habitants que comptait cette
15
MUGANGU, S., Conservation et utilisation durables de la diversité biologique en
temps de troubles armés. Cas du Parc National de Virunga, Étude commanditée par
l’UICN, janvier 2001, 106 pp. (Résumé de l’étude).

58
collectivité, 12.325 (soit 2/3 ou 68 % de la population) étaient de ce fait expropriés
(lettre des représentants des intellectuels de Nindja du 06 mai 1991, p. 2).
L’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) tente sans
succès, depuis une vingtaine d’années, de matérialiser les limites du parc telles qu’elles
ont été définies par l’ordonnance d’extension. De même l’autorité administrative
locale, faute de pouvoir imposer le respect de l’ordonnance présidentielle, a préféré
créer informellement une commission mixte au sein de laquelle se négocie la
réalisation de ladite ordonnance.
Aux autorités du parc qui s’escriment à expliquer que c’est dans « l’intérêt
supérieur de la nation » que le parc a été créé, et aux experts qui brandissant le spectre
du changement climatique, de l’érosion, etc., au cas où la population ne s’impliquerait
pas dans la conservation de la nature, l’on répond sans détour : « Nous, les habitants de
Nindja, nous refusons le parc, parce que c’est là où nous cultivons, élevons nos bêtes,
coupons du bois. C’est là où nous avons des écoles, des dispensaires (…) (Projet
IZCN/GTZ, Séminaire, avril, p. 7).
En effet, en incorporant au parc le 2/3 de la chefferie traditionnelle de Nindja,
l’ordonnance d’extension a non seulement exproprié les biens immobiliers et les droits
de jouissance des individus sur le sol, mais en plus et surtout, éteint le droit éminent de
caractère politique des autorités coutumières sur une grande partie de leur territoire.
Au-delà de la valeur économique ou matérielle des biens expropriés, c’est la
reproduction sociale de la chefferie qui est menacée par l’ordonnance d’extension du
parc. On comprend dès lors que les autorités étatiques, conscientes de la délicatesse de
l’opération, aient fait le choix de procéder autrement que par la loi sur l’expropriation.

III. Cas du Parc National de la Salonga et de la Réserve de Ntumba-


Ledima (Equateur)

Dans la Province de l’Equateur, depuis 2011 les populations des localités


Mpoka et Nkondi situées dans le groupement Mpama, secteur de Mpama, sont en
conflit avec les gardes parc de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature
(ICCN) autour de l’exploitation des ressources naturelles (pêche traditionnelle et bois
de chauffe) dans la réserve de Ntumba-Ledima.
C’est depuis 2006, que la réserve de Ntumba-Ledima d’environs 7,500km
carré et ayant en son sein certains villages et concessions d’exploitations forestières a
été accordée à l’ICCN par le ministère de l’environnement, conservation de la nature et
tourisme, mais sans qu’un zonage participatif de cette réserve visant à fixer ses limites
n’ait été réalisé. C’est ainsi que, les populations des localités Mpoka et Nkondi du
secteur de Mpama sont restées ignorantes de ces limites. Malheureusement, depuis
2011, chaque fois qu’elles accèdent dans cette réserve pour aller pêcher et collecter les
bois de chauffe elles harcelées ou même arrêtées par les éco-gardes.
Dans la même Province (Secteur de Loombo et Luay), un conflit oppose les
Kitawalistes du chef spirituel Bofandjo (environs 50,000 personnes) et les populations
locales des localités Bokela, Yafala, Yokelelu et Nkile en territoire de Bokungu qui ne
semblent pas respecter les normes de l’ICCN en matière de la protection de la nature.
Ce désaccord crée une vive tension entre ces populations locales et les éco-gardes de
l’ICCN.
La principale cause de ce conflit semble être la création du Parc National de la
Salonga (PNS) vers 1972-73, qui est très vaste et est en cheval entre 4 provinces:
l’Equateur, le Kasaï Oriental, le Kasaï Occidental et le Bandundu ; mais sans pour

59
autant réaliser des mesures conséquentes d'accompagnement en faveur des populations
vivant dans la zone. Dans un Parc, on ne peut pas habiter, ni exploiter des ressources
naturelles ; or à la création du PNS, les villageois ont été refoulés de la zone et étaient
réinstallées aux alentours du PNS en créant des villages et par conséquent, ils
continuèrent à exploiter les ressources.

§3. Les conflits entre communautés et concessionnaires

I. Conflits entre concessionnaires miniers et communautés

Au Katanga, l’on constate très régulièrement la résurgence des conflits au


moment de l’attribution, sans CLIP, de concessions minières. Ex. (i) RwahsiMining à
Lubumbashi dans la Commune de la Rwashi : l’acquisition de la concession minière,
déguerpissement d’au moins 6.000 ménages qui réclament une compensation juste et
équitable et un cahier des charges sociales : conditions de viabilité dont l’eau potable,
le courant électrique, les infrastructures devant faciliter le transport, les écoles,
hôpitaux et les marchés (ii) TFM dans le Territoire de Lubudi, village Tenke, village
Pwamba, village Kwatebella, village Kakavipondo, village Fungurume, village
Kamakoka, village Mudilandimba, etc…) (iii). Cas de l’entreprise Chemaf :
expropriation des logements et des terres arables des communautés ont été démolies
par les engins de l’entreprise (iv). Boss Mining et TFM dans la réserve de la Basse
Kando.
Au Kasaï-Occidental, ce sont les sites et carrés miniers qui sont la pomme de
discorde. Ce type de conflit se résume en des pratiques constatées au niveau de la
Division urbaine des Mines à Kananga, consistant à attribuer ou à vendre illégalement
des carrés miniers à des trafiquants qui en deviennent par la suite propriétaires, au
détriment des propriétaires autochtones.
Au Nord-Kivu, l’hypothèse la plus courante est celle du conflit entre le droit
minier et le droit coutumier ou entre deux titres miniers portant sur un même fonds. Il
en est ainsi de l’affaire « opposant trois titres miniers qui se chevauchent sur la même
ceinture aurifère d’Omate (Walikale) entre SOCAGRIMINE, GEMINACO et MPC.
L’on peut aussi citer les conflits entre les chefs coutumiers des groupements de Wassa,
Utunda et Banabangi dans le secteur des Wanianga et les sociétés SOCAGRIMINES et
GEMINACO qui se disputent l’exploitation de l’or à Umate »16.
Au Sud-Kivu, certains concessionnaires miniers, principalement des industries
extractives, en phase de prospection ou d’exploitation, à l’occurrence la Fondation
Banro Corporation17, Transafrica, Casa Minerals, etc. sont soit opposés aux exploitants
16
Aloys TEGERA, Communication lors de la table de concertation permanente sur les enjeux du
secteur des minerais à l’Est de la RD Congo organisée à Goma par Pole Institute le 16 mars
2011, p. 17.
17
La société Banro débutera en novembre 2013 la phase d’exploration sur le site minier de
Mukungwe, qui lui a été concédé dernièrement par le gouvernement congolais au détriment des
exploitants artisanaux dans le territoire de Walungu au Sud-Kivu. Ce site a été en effet le théâtre
d’affrontements récurrents entre quelques familles rivales, qui recouraient souvent aux militaires
pour s’imposer les unes sur les autres. Par exemple, plusieurs blessés ont été enregistrés en date
du mardi 23 août lors d’un accrochage entre deux de ces familles locales. Banro devrait tenir
compte du plan développement de la communauté locale, élément essentiel du cahier des charges
de la population, selon le représentant de la communauté. (Voir :
http://radiookapi.net/actualite/2013/11/01/sud-kivu-banro-debute-lexploration-du-site-minier-
mukungwe-la-mi-novembre/)

60
miniers artisanaux soit aux communautés locales. Ces conflits sont souvent manifestés
par les faits de délocalisation des communautés locales de leurs villages ou une
concurrence entre les exploitants industriels soit par une concurrence entre ces derniers
et les exploitants artisanaux.

II. Conflits entre concessionnaires agricoles et forestiers et


communautés

A titre indicatif, relevons les situations provinciales suivantes :

Au Katanga, il y a des conflits de limite entre les concessions et les villages


voisins. Tel est le cas : (i) de la Ferme Muyambo et la chefferie Kaponda (ii) de la
ferme TERRA et le village Lubanda, (iii) de la ferme présidentielle Espoir et la
communauté du village Makwatsha sur la route Kasumbalesa, …
Au Bas-Congo, des conflits de plus en plus nombreux surgissent entre les
communautés locales et les différents exploitants (forestiers, agricoles, miniers,
pétroliers) car non seulement ces derniers n’exécutent pas le cahier de charges négociés
quelquefois avec les communautés locales, mais aussi et surtout ces derniers trouvent
modiques les droits qu’ils se sont réservés, en contre partie de la privation du droit de
chasse, de cueillette, de pêche, d’élevage et de culture. La situation est d’autant plus
préoccupante maintenant, lorsque l’on constate que la plupart de ces entreprises qui ont
des concessions, sont presque tombées en faillite : cas de la SCAM, à Tshela, de la
SOFORMA à Boma, de l’AGRIFOR, l’AGRIUMBE à Lemba (Bas-Congo).
En Equateur, la problématique des revendications foncières des peuples
autochtones (pygmées) est une des constantes. Selon des sources concordantes, on les
rencontre dans les Territoires de Bikoro, Ingende, Bolomba et Monkoto dans le Sud,
tandis qu’au Nord, quelques foyers sont identifiés à Libenge et à Zongo. Ce peuple
constitue une main d’œuvre pour les Bantou qui les rémunèrent à vil prix. Bien qu’il
soit reconnu que les pygmées sont les premiers occupants des terres où ils sont
implantés, il est paradoxal de constater qu’ils n’ont pas le droit d’exploiter les forêts et
les cours d’eau. S’ils pratiquent la chasse et la pêche sous la bénédiction du seigneur
« Nkolo », ils devront alors verser un tribut. Quoiqu’il en soit, on observe un certain
éveil de conscience de la part des pygmées et on assiste à des foyers de tension,
précisément entre Nkundo et Bilangi dans le secteur d’Eungu en Territoire d’Ingende
où on compte des cas de meurtres.
La situation des anciennes plantations abandonnées de l’ère coloniale
constituent un autre motif de dispute. En effet, 201 plantations d’hévéa, de palmier, de
caféier, de cacaoyer totalisant 44.604 hectares sont abandonnées et quasiment en ruine.
De nouveaux acquéreurs appartenant aux élites ou à des investisseurs étrangers qui
prévoient relancer lesdites productions, sont confrontés à des prétentions foncières
concurrentes. Selon diverses informations, ces revendications proviennent, d’une part,
des populations s’identifiant comme premiers occupants, et d’autre part, des ouvriers
(ou leurs descendants) ayant travaillé dans lesdites plantations et qui considèrent leur
longue présence sur les lieux comme un droit acquis sur la terre.
Dans le Territoire de Djugu, en Province Orientale, les conflits fonciers furent
particulièrement intenses dans la collectivité de WalenduPitsi, où des leaders Lendu
firent valoir des droits coutumiers sur les concessions acquises par des hommes
d’affaires Hema après l’indépendance.

61
Section II. Les conflits entre particuliers 

Les conflits fonciers interpersonnels sont très fréquents et surgissent, selon le


cas, à l’occasion de la circulation des droits, de la succession ou de la fixation des
limites entre deux concessions voisines.
Dans le Sud-Kivu en général, la circulation des droits fonciers suscite de
nombreuses contestations. Les cas de figure sont d’une telle variété qu’on ne saurait les
évoquer tous systématiquement. Toutefois, on peut dire globalement que les conflits
résultent soit d’une double attribution d’un même terrain, soit de la vente de la terre.
Trois types de situations conflictuelles se présentent assez souvent lors des
attributions des terres : dans certains cas, le terrain est attribué à deux
« concessionnaires différents par une même autorité coutumière ou un même tenant
foncier ; dans d’autres cas, il est concurremment attribué à des concessionnaires
différents par deux autorités coutumières différentes ; dans d’autres cas encore,
l’attribution concurrente du terrain est l’œuvre respectivement d’une autorité
coutumière et d’une autorité moderne.
Dans le Bushi, en raison de la confusion, qui existe souvent entre le pouvoir
administratif et le pouvoir foncier, un même terrain peut être attribué concurremment
par deux autorités coutumières différentes à deux attributaires différents. La dynamique
des rapports de dépendance conduit également à la situation conflictuelle où une même
autorité foncière attribue le même terrain concurremment à deux concessionnaires
différents.

La confusion des pouvoirs administratif et foncier et la dynamique des


rapports de dépendance personnelle ressortissant soit du « transfert d’allégeance », soit
de la transmission foncière stricto sensu, sont responsables de la majorité des cas de
conflits fonciers dans le Bushi. Ce qu’on qualifie de « spoliation de terres » dans le
Bushi trouve une explication dans ce cadre-là. En effet, la plupart des conflits fonciers
dans le Bushi procèdent soit de l’attribution à un tiers par une autorité coutumière d’un
terrain sur lequel quelqu’un d’autre estime avoir des droits exclusifs, soit de
l’occupation et l’exploitation du terrain par ladite autorité coutumière ou par quelqu’un
dont elle répond. Dans de nombreux conflits, on conteste ainsi soit l’exercice du droit
de reprise par son maître, soit la réattribution du terrain et / ou l’occupation qui s’en
suit.
L’exercice du droit de reprise a lieu généralement en cas de non paiement de
la redevance coutumière et en cas de migration. On a vu cependant aussi des notables
ou de simples tenants fonciers exercer ce droit contre un sujet déloyal ou qui s’absente
longtemps sans constituer un gardien. A ce jour encore, l’exercice du droit de reprise
de la terre est à la base d’une prolifération des conflits fonciers. Les autorités
coutumières réinterprètent sans cesse la coutume pour justifier la spoliation des terres
des paysans.
De plus en plus aussi les conflits fonciers naissent aujourd’hui de l’attribution
d’un même terrain concurremment par une autorité coutumière et une autorité
moderne, à des concessionnaires différents. Ces cas se produisent généralement
lorsqu’un concessionnaire obtient l’enregistrement des terres occupées coutumièrement
par des paysans. Le même type de conflit se produit également lorsqu’une autorité
foncière fait enregistrer en son nom les terres de ses « dépendants » coutumiers. Le
conflit éclate en ce cas lorsque celui-ci tente d’obtenir le déguerpissement de ces ayant-
droits coutumiers.

62
Presque partout en République Démocratique du Congo, le développement
depuis un peu plus de deux décennies de la vente des terres comme mode de
transmission des droits fonciers, s’accompagne aussi d’une multiplication des conflits
fonciers. Ces conflits résultent bien souvent des ventes frauduleuses des terres d’autrui.
Ces ventes constituent en fait une variante actuelle de la problématique du droit de
reprise.

La plupart de ces ventes frauduleuses présentent une des structures suivantes :

1. Un « concessionnaire coutumier » installe un gardien sur sa parcelle. Ce


dernier rachète la parcelle auprès de celui qui l’avait cédée à son
commettant. Le vendeur en l’espèce considère l’absence de son « sujet »
comme une émigration. Il arrive toutefois également que le gardien vende
de son propre chef le terrain placé sous sa surveillance. La plupart des
concessionnaires coutumiers qui se sont installés dans les villes pour
diverses raisons (travail, exercice de son négoce, …) sont exposés à ce
type de conflit.
2. La grande majorité des paysans par contre sont souvent aux prises avec
leurs « maîtres » ou ayants-droit coutumiers, chaque fois que ceux-ci, en
proie à des difficultés matérielles, tentent de répondre, au détriment des
premiers, aux demandes de terres qui leur sont adressées par des
candidats plus fortunés. A cette fin, en effet, les autorités foncières
coutumières (ici au sens large) réinterprètent le type de rapport foncier qui
existe entre elles et leurs dépendants. La redevance coutumière étant à
l’origine modeste18, les autorités foncières ont de plus en plus tendance à
l’assimiler à un contrat précaire, non créateur de droits fonciers – et, par
conséquent, à exiger le paiement d’une nouvelle redevance sans quoi elles
revendraient le terrain. Ce type de conflit se développe très fort depuis la
fin des années 80.
3. Les crises de succession à la tête d’une chefferie ou d’un groupement
coutumier constituent également ces jours-ci l’occasion de conflits
fonciers. Le groupe qui triomphe de la rivalité, revend parfois les terres de
ceux qui ont appuyé avec acharnement l’adversaire et qui ont dû prendre
la fuite au moment des hostilités. Le conflit de succession de Kabare
illustre très bien cette pratique qui est une sorte de résurgence du kunyaga
(confiscation générale) interdit à l’époque coloniale. De nombreux procès
opposent aujourd’hui à Kabare, à propos de la terre, les partisans
respectifs des protagonistes dont les uns ont racheté les terres des autres.

Si la vente des terres (et les conflits qu’elle suscite) procède


fondamentalement des dynamiques sociales que nous avons décrites dans les
paragraphes qui précèdent, elle donne lieu également à des situations d’un type
nouveau. On a vu, en effet, les enfants d’un concessionnaire coutumier contester
vigoureusement la vente du terrain opérée par celui-ci au motif que leur subsistance
dépendait dudit terrain. Dans autre cas, une famille se cotise pour réunir l’argent
nécessaire à l’acquisition d’un terrain. La transaction se déroule au nom du frère aîné,

18
 C’est le lien social qu’il créait qui était plus important que la « contrepartie payée »
par le concessionnaire.

63
quoique sa participation financière soit modeste. Le conflit naît au moment où les
autres demandent le partage du terrain au prorata des contributions au prix d’achat.
Ce type de conflit va probablement se développer à l’avenir en raison de la
rareté prévisible des terres et du caractère de plus en plus onéreux des redevances.
Au demeurant, étant donné que les limites entre concessions voisines ne sont
pas toujours bien marquées sur le terrain et en raison de l’absence d’un plan cadastral
rural, les conflits naissent aussi de l’empiètement sur les concessions voisines.
Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Dans certains cas, le concessionnaire
dépasse les limites qui lui ont été fixées par les émissaires de ’aliénateur « Baganda » et
réalise des cultures sur une partie de terrain appartenant au cédant. Parfois la
contradiction entre le cédant et le concessionnaire est le fait des émissaires du cédant
qui ont porté les limites au-delà de ce que le cédant leur a indiqué.
Des événements naturels, tels le détournement du lit d’une rivière ou le
ravinement, sont parfois aussi l’occasion d’un conflit entre concessionnaires voisins.
L’un des concessionnaires pourrait, en effet, étendre, au détriment de l’autre, son
terrain jusqu’à la nouvelle « limite naturelle » (la rivière ou le sillon).
Une variante des conflits de limite qui prend de l’ampleur ces dernières années
ce sont les occupations de fait (ou considérées comme telles) de parties de terrain
appartenant à autrui.
Ces occupations de fait sont souvent l’œuvre de personnes entre lesquelles il
existe un rapport de dépendance foncière. Elles résultent d’une réinterprétation des
circonstances à l’origine du rapport foncier ou relecture des termes des conventions :
une des parties au litige prétend avoir acquis entièrement le terrain à titre perpétuel ;
l’autre lui rétorque que son droit ne porte que sur une partie du terrain, le reste ayant
été cédé à titre précaire. En effet, il arrive que le détenteur précaire d’un terrain cherche
frauduleusement à consolider ses droits sur celui-ci, en y érigeant des constructions ou
en y incorporant des cultures pérennes (arbres, bananeraies). Il arrive cependant aussi
que le maître ou l’ayant-droit réoccupe une partie du terrain de son « sujet » en
prétextant que ladite partie avait été cédée à titre précaire. Assez souvent, il profitera de
ce que la parcelle concernée est en jachère.
L’irruption de la propriété privée déstabilise l’organisation clanique dans les
communautés forestières semi-sédentarisées. Un phénomène curieux est en effet à ce
jour observé dans les zones à très faible densité situées dans la partie forestière du Sud-
Kivu : l’engouement de nouvelles élites originaires de ces zones pour l’enregistrement
des terres. Ces terres sont hélas enregistrées au nom des individus isolés et au détriment
des clans propriétaires. En effet, lors des déplacements des familles sur les terres des
clans, il semble que les membres avertis des clans sollicitent l’enregistrement des
parties laissées en jachère ou encore en friche. Ainsi, d’une appropriation collective, on
serait en train d’évoluer vers une individualisation de la tenure foncière.
Dans le territoire de Walikale au Nord-Kivu, le même phénomène est observé,
mais met aux prises deux communautés : les Kumus, originaires du lieu, et les migrants
Bashi. Les premiers stigmatisent la tendance de leurs hôtes à usurper leurs droits
ancestraux à travers notamment l’acquisition des titres de concession foncière ou
minière et la revendication d’un espace administratif. Il semble en effet que les
migrants Bashi en raison de leur poids démographique et dans l’économie locale,
réclament la création d’un groupement administratif, c’est-à-dire d’un espace de
pouvoir.

64
IIème PARTIE : EVALUATION DE LA GESTION FONCIERE
COUTUMIERE ET DES MECANISMES DE
PROTECTION DES DROITS FONCIERS
COUTUMIERS ET PERSPECTIVES POUR LA
REFORME FONCIERE

Chapitre I. Evaluation de la gestion foncière coutumière et de la


protection des droits fonciers et forestiers des
communautés locales

Section I. Evaluation de la gestion foncière coutumière

Notre évaluation portera tour à tour sur la cohérence entre la législation et les
coutumes foncières (§1), l’effectivité des coutumes foncières (§2), l’efficacité de la
gestion foncière coutumière (§3) et la gestion des conflits fonciers par les chefs
coutumiers (§4).

§1. Incohérence du cadre légal sur les droits fonciers coutumiers

S’il est vrai que la coutume est source de droit en droit congolais, elle
constitue toutefois une source résiduelle. Le code judiciaire congolais dispose en effet
que « les cours et tribunaux appliquent les coutumes pour autant qu’elles ne soient pas
contraires aux lois, à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Lorsque les dispositions
légales et réglementaires ont eu pour but de substituer d’autres règles à la coutume, les
tribunaux appliquent ces dispositions ».
En matière foncière, au regard des articles 166, 387, 388 et 389 de la loi du 20
juillet 1973, on s’interroge sur le régime juridique des terres coutumières.
L’examen combiné des articles 166 et 389 laisse en effet très perplexe. En
même temps que la domanialisation des terres et l’uniformisation du régime foncier

65
sont affirmées sans équivoque dans l’exposé des motifs, l’article 166 subordonne les
transactions sur les terres rurales à la procédure d’enquête préalable, à l’instar du
décret du 31 mai 1934, enquête qui tend à sauvegarder les droits immobiliers des
populations rurales. Il ne s’agit certes pas de droits immobiliers au sens de l’article 208
(c’est-à-dire droits portant sur les immeubles par incorporation au sens de l’article 7.
L’article 388 qui définit les terres sur lesquelles les populations rurales pourraient se
prévaloir de droits immobiliers, nous conforte dans cette interprétation : il s’agit des
« terres que les communautés locales habitent, cultivent ou exploitent d’une manière
quelconque individuelle ou collective- conformément aux coutumes et usages locaux ».
Cette définition est, rappelons-le, celle que consacre le décret du 3 juin 1906 relatif aux
terres indigènes et que reprend le décret du 31 mai 1934 relatif à la constatation de la
vacance des terres.
Si toutefois, l’enquête prévue par ce dernier décret visait à déterminer le
caractère domanial ou non d’une terre avant de décider de son attribution –des résultats
de l’enquête découlant la loi applicable-, il n’en va certainement pas de même de la du
31 juillet 1973. Celle-ci ayant domanialisé toutes les terres, y compris celles occupées
par les communautés locales (anciennement appelées terres indigènes), l’enquête
prévue à l’article 116 ne vise pas logiquement à établir si le terrain demandé en est
justiciable.

L’équivoque provient de l’article 389 qui annonce une ordonnance


présidentielle réglementant la jouissance du domaine de l’Etat par les communautés
locales. Cette ordonnance n’étant pas sortie, à ce jour, le régime juridique applicable
aux terres occupées par ces communautés pourrait s’avérer problématique. On peut
considérer en effet, soit que la jouissance de ces terres demeure régie par les différents
droits coutumiers, le domaine éminent étant passé des collectivités coutumières à
l’Etat ; soit qu’étant des terres domaniales, les dispositions de la loi du 20 juillet 1973
les concernent également, que transitoirement toutefois, ces terres continueront à être
occupées par les différentes communautés.
Cette dernière interprétation nous semble plus conforme à l’esprit de la loi
foncière. Nous pensons, en d’autres termes, que la jouissance des terres occupées par
les communautés locales ne trouve pas juridiquement son fondement dans la coutume.
Elle est plutôt le fait d’une tolérance légale. Ces terres qui font partie du domaine de
l’Etat, sont tout simplement occupées par les communautés locales. Cette occupation
n’est ni constitutive de droit, ni constituée en droit. En effet, les occupants ne peuvent
vanter ni la prescription acquisitive sur ces terres, ni le « droit d’occupation » reconnu
aux titulaires du livret de logeur. L’occupation dont il est question ici renvoie plutôt au
concept juridique de la possession ; elle en est, à notre avis, l’équivalent fonctionnel,
faute pour la loi foncière d’avoir organisé la possession dans le régime général des
biens.
A l’appui de notre thèse, relevons d’abord que la loi du 20 juillet 1973 en son
article 166 n’a entendu sauvegarder que les droits immobiliers et point les droits
fonciers des populations rurales. A ce sujet, l’exposé des motifs précise que « les droits
immobiliers des particuliers sont régis par les règles posées dans le régime général des
biens et par les règlements sur la transmission de la propriété et les modalités par
lesquelles les biens peuvent être grevés de privilèges ou d’hypothèques».
Relevons en outre que les dispositions relatives aux compétences en matière
foncière ne réservent aucune place à l’autorité coutumière relativement aux terres
rurales. Les terres, dispose l’article 182, sont gérées à cet effet, soit par des sociétés

66
mixtes d’équipement et de promotion immobilière. On ne s’embarrasse pas non plus
de distinguer à l’intérieur de la catégorie des terres dites rurales, celles occupées par les
communautés locales. Adviendrait-il donc qu’une autorité coutumière intervienne à
une phase de la procédure d’attribution des terres rurales, qu’elle le ferait non pas en
tant que telle, mais au contraire en tant qu’agent de l’Etat, expressément à cette fin par
la hiérarchie administrative. Existe-t-il une interprétation officielle de cette
disposition ?
La Cour Suprême de Justice a jugé dans un arrêt rendu le 20 janvier 1988
qu’en attendant l’ordonnance présidentielle promise, les droits de jouissance sur ces
terres sont régis par le droit coutumier (CSJ, RC 1932, 20 janvier 1988, RJ2, 1988, p.7,
supplément n° 3).
Suivant cette position de la cour, ces terres ne relèveraient donc pas de la loi
dite foncière. Elles sont régies par les coutumes locales et gérées par les autorités
coutumières. Cette interprétation reconduit en fait le dualisme juridique auquel la loi du
20 juillet 197319 a voulu mettre fin. Elle est en contradiction avec la lettre et l’esprit de
la loi.
Au demeurant, la même cour suprême de justice contredit cette position dans
un autre arrêt où elle juge : « en vertu de la loi foncière, toute règle coutumière en
matière d’occupation des parcelles a été abrogée ». (CSJ, RC334, 09 avril 1980, RJZ,
1988, p.8, supplément n° 3).
Force est de constater que les droits des communautés locales sur les terres
qu’elles occupent, sont indéterminés. L’équivoque se situe à trois niveaux :

1. Au niveau du régime juridique de ces terres, c’est-à-dire des règles


applicables à ces terres ;
2. Au niveau de l’autorité gestionnaire ;
3. Au niveau de la nature des droits des exploitants paysans.

§2. Ineffectivité relative des coutumes en matière foncière

En confrontant les principes coutumiers en matière foncière aux réalités


actuelles, nous constatons que les coutumes ont subi une profonde altération. On
constate d’une part un changement des conceptions du rapport à la terre, d’autre part le
recours à la preuve écrite dans la transmission des droits fonciers.
Au plan des conceptions du rapport à la terre, l’opinion quasi-unanime est que
la terre est une chose susceptible d’appropriation et peut être aliénée. Elle n’est plus
perçue comme un support de la vie religieuse, sociale et politique du groupe. Elle n’est
plus le « réceptacle des forces vitales » des anthropologues. Par conséquent, elle n’est
plus inaliénable. De même, la transmission foncière ne crée plus, comme autrefois, un
rapport social quelconque.
La sécularisation du foncier est attestée non seulement par le discours des
paysans, mais également par l’abandon des rites agraires par lesquels les chefs de terres
revitalisaient la nature et les hommes vivant sur le domaine ancestral.
La valorisation économique de la terre du fait de l’intégration de la
paysannerie à une économie monétaire constitue à mon avis le facteur le plus décisif
19
 KALAMBAY, G., Le droit foncier zaïrois et son unification, thèse, Louvain-la-
Neuve, UCL, 1973, 641 p ; MUGANGU, S., La gestion foncière rurale au Zaïre,
Reformes juridiques et pratiques foncières locales. Cas du Bushi, Louvain-la-Neuve,
Academia-Bruylant, 1997, p.149.

67
dans la sécularisation du foncier. La marchandisation de la terre qui accompagne ce
processus de sécularisation est attesté par le fait que le prix des parcelles (champs) se
calcule en tenant compte de la superficie et de la qualité du terrain.
Au plan des modes d’accès à la terre, des changements importants peuvent
également être observés. En analysant les critères de solution des litiges par les
tribunaux coutumiers, on s’aperçoit que l’écrit est désormais un moyen de preuve
privilégié. Celui-ci est d’autant plus apprécié, s’il porte la signature d’une autorité
locale. Ceci lui confère une efficacité symbolique ».
En raison de la désuétude des modes de preuve traditionnels et des procédures
garantissant la tenure foncière, un certain consensus social semble s’établir dans tous
les milieux ruraux sur la valeur de l’écrit en tant que titre propre à faire valoir des droits
fonciers. La validité juridique de l’instrumentum ne compte cependant pas autant que
le symbole. Ce consensus, à mon avis, procède de la fétichisation du certificat
d’enregistrement. Celui qui en dispose en effet, échappe, à l’instar du colon, aux
contraintes sociales découlant du rapport foncier traditionnel et bénéficie d’une sécurité
foncière plus grande. Tel un grigri qui est censé capter l’objet qu’il contient, l’écrit,
dans l’imaginaire villageois, capte la terre.
§3. Inefficacité de la gestion foncière par les chefs coutumiers

Si par le passé le système foncier coutumier sécurisait les droits des tenants
fonciers, à ce jour, il devient une source d’insécurité spécialement pour la petite
paysannerie. L’incertitude foncière qui menace de plus les paysans se rapporte à
l’exercice du droit de reprise.
Traditionnellement, le chef foncier reprenait les terres de ceux qui émigraient,
ou qui se montraient rebelles ou défaillants, en ce qui concerne l’exécution des
obligations découlant du rapport foncier. Etaient également considérés comme cause
d’extinction des droits fonciers l’esprit séditieux, la sorcellerie, l’adultère commis avec
l’épouse du chef, l’esprit d’insociabilité, …
Tout le pouvoir et le prestige des chefs fonciers résidait traditionnellement
dans cette habilitation à mettre fin à l’exercice des droits fonciers, c’est-à-die à la
jouissance d’une ressource vitale. Seul le contrôle social qui s’exerçait sur le chef
foncier permettait de freiner son arbitraire. Actuellement, les mécanismes sociaux qui
protégeaient la tenure coutumière semblent s’effriter : la palabre, les sociétés secrètes,
….
Pour survivre et actualiser leur « puissance » dans un contexte juridique et
institutionnel défavorable, les chefs fonciers tentent d’exercer le droit de reprise contre
des occupants coutumiers « très anciens. L’exercice du droit de reprise ne vise
cependant pas uniquement à actualiser le pouvoir social des chefs fonciers. Il se fonde
de plus en plus sur des mobiles monétaires. En effet, l’appât du gain pousse de plus en
plus les chefs à revendre les terres de leurs communautés ou de leurs dépendants à des
candidats plus fortunés, lesquels sont devenus des alliés plus intéressants eu ce sens
qu’ils peuvent assister et orienter les chefs dans les méandres de l’administration en cas
de nécessité.
En fait, les intérêts des chefs fonciers et des paysans s’opposent de plus en
plus si bien que l’on pourrait supposer que l’implication des premiers dans les
transactions foncières réalisées entre les seconds vise en fait à freiner anticipativement
les velléités de reprise des chefs. Ceux-ci étant témoins des transactions seraient en
effet mal placés pour pouvoir revendiquer par la suite des droits sur le terrain objet de
la convention.

68
§4. De la gestion des conflits fonciers par les chefs coutumiers

I. Résistance vis-à-vis des Tribunaux de paix

L’installation du tribunal de paix a pour effet de mettre fin à l’existence des


juridictions coutumières. Les matières que connaissaient ces juridictions, sont
désormais de la compétence du Tripaix. Les participants relèvent toutefois que les
populations, tout en ayant conscience de cela, continuent à régler les litiges fonciers
comme autrefois. Les parties soumettant leurs différends fonciers, selon le cas, aux
chefs de localité, de groupement ou de collectivité lesquels ne s’empêchent pas de
trancher. Ils seraient même encouragés en cela par les élus locaux qui livreraient une
contre-publicité aux Tripaix. Qu’est-ce qui explique cette attitude de rejet ?
Par ailleurs, reconnaît un juge, le Tripaix est souvent sollicité pour des litiges
déjà tranchés par les coutumiers. En fait, il semble que ce sont ceux qui ont perdu
devant les juridictions coutumières, qui reviennent à la charge devant le Tripaix.
La résistance vis-à-vis du Tripaix s’explique, d’après le même juge, par le fait
d’une part que les gens se laissent facilement manipuler ; on leur fait croire notamment
qu’ils vont s’exposer à des paiements très onéreux ; d’autre part que les autorités
locales, coutumières surtout, tiennent à protéger les avantages qu’ils retiraient de la
fonction de juger. Ainsi ces dernières, relayant les élus provinciaux, se plaisent-ils à
stigmatiser la corruption des juges de paix : « ils sont venus à pied, ils rentrent en
voiture ». Au demeurant, la procédure devant cette juridiction de droit écrit décourage
les justiciables. Alors que le juge coutumier rendait ses jugements dans des délais très
courts, le juge de paix est soumis aux délais de procédure qui ont pour effet de
« retarder » l’échéance du jugement.
En cas de conflits à propos des droits de jouissance de nature coutumière
d’une part, et en cas de conflit entre un titulaire des droits fonciers coutumiers et un
titulaire d’un titre conforme à la loi foncière (contrat de location, contrat ou
autorisation d’occupation provisoire, certificat d’enregistrement) à n’en point discuter,
la juridiction compétente dans l’un et l’autre cas, c’est le Tripaix. Et la où n’existe pas
encore de Tripaix, c’est le Tribunal de Grande Instance.
Dans la pratique toutefois, spécialement là où n’existent pas encore de Tripaix,
les litiges portant sur les droits fonciers coutumiers sont portés devant les juges
coutumiers lesquels tranchent conformément à la coutume. La persistance des
juridictions coutumières crée la confusion. Elle est même contraire à l’esprit et la lettre
du code de l’organisation et de la compétence judiciaires.
S’il est vrai que seul le Tripaix est compétent en la matière, il y a lieu toutefois
de souligner que celui-ci applique aux différends opposant des parties autour des droits
coutumiers les règles coutumières. Le jugement vise en ce cas non pas à ordonner le
déguerpissement de la partie défaillante qui occuperait les terres disputées, mais à
reconnaître les droits fonciers coutumiers de son adversaire, à dire que les droits de ce
dernier ont été régulièrement acquis et sont opposables à tous.
Lorsque par contre le litige oppose un ayant-droit coutumier au porteur d’un
titre foncier moderne, le Tripaix fera application de la loi foncière. S’il a été porté
atteinte aux droits de jouissance d’un ayant-droit coutumier au moment de la délivrance
du titre, le juge en fera le constat et condamnera le titulaire dudit titre à des dommages-
intérêts lesquels seront fixés ex aequo et bono. Quoi qu’il en soit, il ne pourra

69
prononcer l’annulation du titre, car cela relève de la compétence du Tribunal de Grande
Instance.

II. Règlement des différends fonciers

L’examen de la jurisprudence des tribunaux coutumiers et de droit moderne a


révélé deux types de situation : d’une part le fait que ni la loi foncière ni la coutume ne
sont systématiquement appliquées aux litiges fonciers, d’autre part la difficulté
d’unifier la jurisprudence. Néanmoins, à travers leur activité, les tribunaux coutumiers
et modernes tentent manifestement de réconcilier les deux systèmes normatifs et leurs
logiques propres. Les décisions en effet essayent de réaliser l’équilibre entre les
exigences légales et les nécessités d’un rapport délicat à la loi et à la société détermine
à notre avis la pratique des tribunaux. Cette affirmation ne doit pas toutefois occulter
les pratiques de corruptions par lesquelles les justiciables et les juges, selon le cas,
servent leurs intérêts privés ou se donnent une position favorable dans l’arène de
confrontation.
Il apparaît néanmoins à l’analyse que plus la pression sociale sur les juges est
forte, plus le tribunal privilégie dans ses décisions un répertoire normatif donné.
Précisions tout de suite que le juge ne choisit pas de manière exclusive l’un ou l’autre
des systèmes juridiques en présence. Il adapte plutôt la solution selon un dosage qui
dépend de sa capacité à interpréter la législation, qui en l’occurrence joue comme une
contrainte dans l’accomplissement de son ministère, et à anticiper les réactions sociales
que pourrait susciter son œuvre.
Ainsi les tribunaux modernes, de légitimité externe dans ce contexte social
spécifique et peu soucieux des réactions sociales que pourraient provoquer les
décisions qu’ils prennent, appliquent dans une large mesure la législation. Leur effort
consiste à rechercher les catégories juridiques applicables aux situations locales. C’est
de manière exceptionnelle, lorsque le cas ne peut rentrer dans aucune matrice légale,
qu’ils appliquent la coutume.
Les tribunaux coutumiers par contre, de légitimité interne, quoique créée par
le législateur, subissent beaucoup plus fort la pression de l’environnement qu’elles n’en
réfèrent à un cadre juridique donné. C’est au niveau de ces tribunaux que se joue en
réalité le changement dans et de l’ordre juridique local. Les décisions prennent en
compte la dynamique du rapport social global plus qu’elles n’en réfèrent à un cadre
juridique donné. C’est au niveau de ces tribunaux que se joue en réalité le changement
dans et de l’ordre juridique local. Ils ne peuvent en effet appliquer strictement la
coutume sans s’exposer à un désaveu populaire, étant donne la transformation des
perceptions sociales et la modification des rapports de force entre les acteurs ruraux.
Ils ne peuvent non plus appliquer aux litiges la loi foncière qu’ils connaissent peu ou
prou et qu’au demeurant les justiciables considèrent comme illégitime. Les décisions
se fondent plutôt sur une coutume sans cesse réinterprétée ; elles s’ajustent ainsi aux
attentes sociales et entérinent progressivement le changement normatif. Autrement dit,
les décisions des tribunaux coutumiers confèrent, telles des lois, un « statut juridique »
aux nouveaux rapports sociaux en train de s’élaborer.
En dépit donc de l’existence du Tripaix, les chefs coutumiers jouent un rôle
dans la résolution des conflits. Ils reçoivent les doléances de leurs administrés, mais
contrairement à la période ancienne, ils ne jugent plus. Ils opèrent comme des
conciliateurs pour aider les parties à définir un compromis. Ce compromis n’a
cependant pas le caractère d’une transaction qui est une convention par laquelle les

70
parties mettent fin à un litige né ou à naître. Cette convention est opposable entre les
parties. Le compromis consécutif à une conciliation informelle n’est pas opposable
entre les parties.
Dans la localité Lendu de Kpandroma, en Territoire de Djugu, plusieurs
rapports concordants établis par l’Administration publique rebelle confirment que des
concessionnaires Hema de cette localité, en complicité avec certains chefs des services
précités, ont agrandi délibérément leurs pâturages dans les limites des villages Lendu,
sans suivre les procédures légales. Au lieu de trouver satisfaction aux plaintes répétées
des paysans Lendu, ces instances auraient plutôt profité pour se faire influencer et
corrompre par les concessionnaires Hema. Devant leurs indifférences et injustice, les
Lendu de Kpandroma et des environs du centre de négoce de Fataki auraient trouvé
mieux de se faire justice en massacrant des bovins dans les concessions
problématiques, jusqu’à détruire les habitations des fermes.

Section II. Evaluation de la protection des droits fonciers et forestiers des


communautés locales

Les droits fonciers et forestiers des communautés locales sont protégés suivant
une double modalité. Il existe une protection juridique générale (§1) et des initiatives
d’organisation de la société civile visant la protection de ces droits (§2).

§1. La protection juridique générale des droits fonciers et forestiers des


communautés locales

I. La protection constitutionnelle

L’article 34 alinéas 1 et 3 de la Constitution congolaise dispose : « la propriété


privée est sacrée. L’Etat garantit le droit à la propriété individuelle ou collective, acquis
conformément à la loi ou à la coutume.
Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et
moyennant une juste et préalable indemnité octroyée dans les conditions fixées par la
loi ».
Il se dégage de cette disposition constitutionnelle deux modes d’acquisition de
la propriété : selon le cas, en vertu de la loi ou de la coutume. Le mode conventionnel
d’acquisition du droit de propriété se rattache à l’un ou à l’autre.
Le problème est de savoir quelle est l’assiète de ce droit de propriété. En tout
état de cause, le sol en est exclu, celui-ci étant la propriété exclusive, inaliénable et
imprescriptible de l’Etat. Seuls les membres et les immeubles par incorporation et par
destination peuvent constituer l’assiette du droit de propriété consacré par l’article 34
de la Constitution. En admettant ceci, on retombe dans le problème évoqué plus haut,
celui de la nature des droits fonciers et forestiers des communautés locales. Le
constituant les considère-t-il comme une « propriété collective acquise conformément à
la coutume ? Qu’en est-il également des « droits de jouissance régulièrement acquis »
par les individus sur les terres des communautés individuelles acquises dans le respect
des conditions de fond et de forme prévues par la coutume ? Ce rapport est-il
assimilable à celui qui existe entre l’usufruit et la nue propriété ?
Quoi qu’il en soit, en l’état actuel de la législation, « les terres occupées par
les communautés locales » appartiennent au domaine privé de l’Etat. Elles ne
constituent pas une propriété collective acquise conformément à la coutume. De

71
même, les droits individuels exercés sur ces terres en vertu de la coutume ne sont pas
des « propriétés individuelles acquises conformément à la coutume ».
Pour garantir le droit à la propriété collective acquis conformément à la
coutume, le législateur devra renoncer à la nationalisation du sol et à la
domanialisation des terres des communautés locales.
A ce jour, la protection constitutionnelle des droits fonciers et forestiers des
communautés locales est encore illusoire.

II. La protection légale

Quatre textes légaux traitent des droits fonciers et forestiers des communautés
locales : la loi 20/07/1973 portant régime général des biens, régime foncier et
immobilier et régime des sûretés ; la loi portant principes fondamentaux relatifs à
l’agriculture ; la loi portant code forestier et la loi sur l’expropriation pour cause
d’utilité publique.
L’article 166 de la loi du 20/07/1973 dispose qu’en vue de sauvegarder les
droits immobiliers des populations rurales, toutes transactions sur les terres rurales
seront soumises à la procédure d’enquête préalable, prévue par la présente loi.
Les articles 193 al 2 et 194 disposent pour leur part respectivement :
«  L’enquête a pour but de constater la nature et l’étendue des droits que des
tiers pourraient avoir sur les terres demandées en concession ».
«  L’enquête comporte :

1. la vérification sur place de la délimitation du terrain demandé ;


2. le recensement des personnes s’y trouvant en y exerçant une quelconque
activité ;
3. la description des lieux et l’inventaire de ce qui s’y trouve en fait de bois,
forêt, cours d’eau, voies de circulation, etc.
4. l’audition des personnes qui formulent verbalement leurs réclamations ou
observations ;
5. l’enregistrement et l’étude de toutes les informations écrites. »

Soulignons ici qu’il s’agit d’une enquête préalable à la concession des terres
rurales et qui vise «  à sauvegarder les droits immobiliers des populations rurales » et
non les droits fonciers des communautés locales.
La loi portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture à son article 18
dispose par contre : «  l’ensemble des terres reconnues à chaque communauté locale
constitue son domaine foncier de jouissance lequel comprend les réserves des terres de
culture, de jachère, de pâturage et de parcours, et les boisements utilisés régulièrement
par la communauté locale » Les terres appropriées individuellement, par des membres
de la communauté n’en font pas partie.
Les domaines fonciers des communautés locales sont en principe
inconcessibles. En effet, en vue de préserver leur intégrité, le législateur a exclu du
régime du certificat d’enregistrement l’appropriation individuelle des terres agricoles
sur les terres des communautés locales (Art. 19). Par contre il reconnaît les droits
fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres des
communautés locales. Cette reconnaissance reste toutefois vague. Elle s’analyse
comme une protection juridique générale contre l’éventualité d’une éviction et une
validation des modalités locales de transfert des droits de jouissance.

72
La délimitation du domaine foncier de la communauté locale pose toutefois un
problème particulier en ce qui concerne «  les réserves des terres » et « les boisements
utilisés régulièrement par la communauté » Le législateur laisse la question ouverte, il
ne précise pas, par ailleurs, quelle est l’autorité habilitée à reconnaître les terres d’une
communauté locale. Il ne précise pas non plus quelle est l’autorité gestionnaire du
domaine foncier de la communauté locale.
S’agissant des règles applicables aux terres des communautés locales, la loi
portant principes fondamentaux relative à l’agriculture n’est pas plus claire que la loi
foncière : les droits fonciers coutumiers reconnus à chaque communauté locale sont
exercés conformément à la loi (laquelle ?). En l’absence d’un régime quelconque
univoque, nous considérons que les droits fonciers coutumiers sont régies par la
coutume et peuvent être prouvés par toutes voies de droit : par écrit, par témoin, par
aveu, par serment ou par présomption.
En soumettant les terres des communautés locales au régime coutumier, la loi
agricole ressuscite le dualisme juridique que la loi du 20/07/73 a aboli en les
domanialisant. Ce faisant, le législateur viole le principe constitutionnel de l’égalité des
citoyens devant la loi en ce sens qu’il offre une sécurité juridique plus faible aux
titulaires des droits fonciers coutumiers. La plasticité des coutumes est en effet source
d’insécurité juridique. De même, les inégalités que consacre le système traditionnel
trouvent un fondement juridique pour se reproduire et se perpétuer.
En définissant le domaine foncier de la communauté locale, la loi agricole lui
donne par ailleurs une portée moins large que la loi du 20/07/73. L’article 388 de cette
dernière considère comme « terres occupées par la communauté locale non seulement
les terres actuellement mise en valeur par les membres desdites communautés (terres
habitées et cultivées) mais aussi les terres en friche qui présentent une utilité pratique
pour ces communautés : terre de jachère, terre servant de chasse, à la pêche, à la
recherche de bois de chauffage ou de construction, aux cérémonies d’initiation, …..
Sur son domaine foncier, la communauté exerce un droit collectif qui a tous
les caractères du domaine public de l’Etat sans en faire partie : il est incessible,
inaliénable, imprescriptible et insaisissable. Les membres de la communauté par contre
acquièrent des droits patrimoniaux sur des parties du domaine. Ces droits sont en
principe cessibles, aliénables, prescriptible et saisissables.
Au regard de la loi du 22 février 1977 sur l’expropriation pour cause d’utilité
publique, il y a lieu de se demander lesquels de ces droits peuvent faire l’objet
d’expropriation pour cause d’utilité publique. La loi dispose en effet : «  sont
susceptibles d’expropriation pour cause d’utilité publique (…) les droits de jouissance
des communautés locales sur les terres domaniales ». S’agit-il des droits individuels sur
le domaine collectif, étant entendu que c’est ce dernier qui a été incorporé au domaine
de l’Etat ? En d’autres mots, doit-on en cas d’expropriation indemniser la communauté
pour les droits collectifs et les titulaires des droits de jouissance pour les droits
privatifs ?
La pratique montre que ce sont les droits privatifs qui sont pris en compte et
de façon restrictive. Car ne sont indemnisés en cas d’expropriation que les immeubles
par incorporation. La valeur foncière n’est pas indemnisée au motif que le sol
appartient à l’Etat. Ceci revient en fait à nier aussi bien les droits collectifs des
communautés locales sur leurs terres ancestrales que les droits de jouissance
régulièrement acquis sur ces terres.
Le peuple pygmée et les populations riveraines des aires protégées posent par
ailleurs des problèmes particuliers. Les pygmées, peuples non sédentaires et vivant

73
parfois à l’intérieur des forêts classées, sont quotidiennement en contradiction avec la
loi sur la conservation de la nature laquelle interdit sans réserve toute activité humaine
à l’intérieur des aires protégées. Leur rapport au sol ne s’analyse pas en termes
d’appropriation. Ils se peuvent dans l’espace forestier au gré des opportunités de
chasse.
Autant que les droits de jouissance des communautés, les droits des peuples
autochtones pygmées des forêts dans lesquelles ils déploient leurs activités, sont
indemnisées. La doctrine coloniale les qualifiait de droits sui generis. Certains juristes
les qualifient de tolérance domaniale.
Les populations riveraines des parcs et réserves protestent quant à elles contre
l’affectation des parties de leurs territoires ancestraux au domaine public de l’Etat. En
effet, la constitution et/ou l’extension des parcs se fait généralement en violation de la
loi foncière qui dispose qu’en vue de sauvegarder les droits immobiliers des
populations rurales, toutes transactions sur les terres rurales seront soumises à la
procédure d’enquête préalable » D’aucuns s’intéressent sur la valeur de ces actes
réglementaires pris en violation de la loi foncière et de la loi sur l’expropriation pour
cause d’utilité publique. Les effets juridiques liés ces actes – inexistant selon certains
– soulèvent la controverse.

III. Protection juridictionnelle

Deux cas certainement représentatifs des tendances de la jurisprudence


retiendront notre attention : l’arrêt de la Cour d’Appel de Kananga sous RCA 1994 et
l’arrêt de la Cour Suprême de Justice sous RC 3428. le premier cas oppose un
concessionnaire porteur d’un certificat d’enregistrement et un chef coutumier
revendiquant des droits collectifs. Le deuxième oppose deux clans apparentés dans la
Province du Bas-Congo.
A la question de savoir si les droits collectifs sont opposables au
concessionnaire, la Cour d’Appel de Kananga a estimé que la discussion était sans
objet les droits du concessionnaire étant incontestables (inattaquables) au-delà de deux
ans d’existence du certificat d’enregistrement. En l’espèce, le chef coutumier estimant
« avoir des droits collectifs sur les terres de son entité administrative y compris sur les
terres régulièrement concédées », faisait pâtre son troupeau de vaches sur la concession
sans l’accord et malgré l’opposition du concessionnaire. Une transaction intervint
entre les deux protagonistes aux termes de laquelle le concessionnaire acquiesçait à la
jouissance du fond par le chef coutumier. Le concessionnaire se rétracta plus tard et la
Cour, saisie en annulation d’un jugement défavorable à celui-ci, annula la transaction
au motif que dès lors que la renonciation d’une partie à son droit n’a pas de
contrepartie réelle, la transaction advenue ne saurait être valable » (cfr cc annoté, note,
p. 274). Ce qui pour effet de mettre fin au trouble de jouissance et partant de réaffirmer
les droits exclusifs du concessionnaire.
En revanche, la Cour Suprême de Justice reconnaît en des termes quelque peu
curieux les droits collectifs d’un clan contre un autre de la même souche. On peut lire
au sixième feuillet de l’arrêt rendu sous RC 3428 la motivation de celui-ci exprimée
sans équivoque et sans nuance comme suit :
« Le jugement 649 avait reconnu le clan Ndumbu ya Nzinga comme étant le
clan père fondateur et le clan Vuzi comme le clan fils et que les indemnités
d’exploitation des terres coutumières devaient être partagées entre les deux clans. Le
jugement n° 627 qui suivit sous le rôle 729 du tribunal de territoire de Matadi le 24 juin

74
1949 ne mit pas en cause la propriété de ces terres au clan Ndumbu ya Nzinga et
confirma une fois de plus le partage des indemnités de terre entre les deux clans.
Ces deux jugements ont acquis l’autorité de la chose jugée et sont même
coulés en force de chose jugée, car ils n’ont pas été contesté par les deux clans pendant
trois ans. En plus le 12 juillet 1952, le tribunal du territoire de Matadi, par son
jugement n° 925, ne statua pas sur le fond du litige, et se contenta de renvoyer les
parties pour régler leur différend à l’amiable sous la médiation du juge André
MALANDA et le droit de propriété du clan Ndumbu des terres coutumières ne fut pas
contesté ».
Vis-à-vis des droits fonciers individuels tirés de la coutume, on peut lire en
filigrane dans tous les jugements et arrêts rendus par les juridictions du Sud-Kivu
(Tribunal de Grande Instance et Cour d’Appel de Bukavu), la conception suivant
laquelle les droits fonciers coutumiers sont véritablement de droits réels. Les tribunaux
reconnaissent en effet, de manière implicite ou explicite selon le cas, la maîtrise totale
ou partielle exercée par les paysans sur les terres rurales. Ils leur reconnaissent
pratiquement tous les caractères du droit réel, à savoir le caractère absolu du droit et
l’exercice du droit de suite.
1. Le droit des populations rurales sur leurs terres est manifestement
opposable à l’égard de tous. En d’autres termes, les prérogatives du
titulaire du droit sur une parcelle de terre sont exclusives ; toute personne
est tenue de respecter son droit sans y apporter aucun trouble. Ainsi le
tribunal prononce-t-il volontiers le déguerpissement en cas
d’empiétement marginal ou d’indue occupation.
2. Les tenants fonciers exercent un droit de suite sur leur bien-fonds. Ce
droit de suite permet au titulaire d’un droit réel de l’exercer sur la chose
en quelques mains qu’elle passe en fait ou en droit. Ainsi celui qui a
attribué un bwasa sur sa terre peut-il la reprendre lorsqu’il le désire.

Il est au demeurant significatif que les jugements des tribunaux modernes


qualifient les droits fonciers coutumiers tantôt de « concession » jugement RC 025 du
06 juin 1994 ; RC 019 du 19 janvier 1994 ; RC 057 du 27 juin 1994), tantôt de droit
d’occupation, voire de propriété (jugement RC 041 du août 1994) ; Arrêt R.A. du 08
décembre 1992 etc).
L’examen de la jurisprudence du Tribunal de Grande Instance d’Uvira révèle
toutefois qu’au lieu de sanctionner systématiquement la coutume illégale, le tribunal
recherche au contraire un compromis entre la coutume et la loi. L’équilibre n’est
cependant pas toujours évident. A la limite, on peut dire que dans chaque cas, une
mesure appropriée doit être faite. Par conséquent, la jurisprudence n’est pas constante.
Si les tribunaux coutumiers acceptent qu’un membre quelconque de la famille
agisse dans l’intérêt de la victime d’un trouble de jouissance ou d’une tentative
d’éviction, le Tribunal de Grande Instance par contre dans les mêmes circonstances,
anéantit les décisions ou rejette les demandes d’annulation selon le cas, pour défaut de
qualité, en vertu du principe « nul ne plaide par procureur » (jugement RC 056 du 07
septembre 1994, affaire MIRINDI MC/KASHUGUSHU).
En analysant l’attitude du Tribunal de Grande Instance d’Uvira vis-à-vis du
problème foncier, il y a lieu de distinguer deux types de situations : les conflits dans
lesquels un plaideur excipe des titres prévus par la loi du 20 juillet 1973 et les conflits
dans lesquels les plaideurs se prévalent d’autres moyens de preuve (témoignage, titre
foncier coutumier, etc.).

75
Lorsqu’un plaideur excipe d’un contrat de location, d’un contrat d’occupation
provisoire ou d’un certificat d’enregistrement, le tribunal y fait habituellement droit
contre tout autre moyen de preuve. Ainsi, a-t-on jugé qu’un contrat d’occupation
provisoire pouvait triompher d’un jugement coulé en force de chose jugée (cfr. Supra,
affaire MWAKA A. C/MUNYALI W.) (20).
Toutefois, lorsqu’il appert que le titre a été obtenu par surprise, c’est-à-dire en
fraude aux droits des tiers, le tribunal peut selon le cas soit l’annuler, soit allouer des
dommages-intérêts aux victimes, si ledit titre est devenu légalement inattaquable.
Ainsi par son arrêt RA 088 du 18 janvier 1991, la Cour d’Appel de Bukavu a annulé
une autorisation d’occupation provisoire établie sur base d’un faux rapport de vacance
adressé au Gouverneur de Région par l’agronome de zone. Par contre, faute de pouvoir
annuler le certificat d’enregistrement produit par un plaideur, celui-ci étant devenu
inattaquable, le tribunal a alloué des dommages-intérêts aux paysans lésés par ce titre
de propriété (affaire MPOZI C/BINGANE et consorts, jugement RC 061/062 du 25
juillet 1994).
A propos de la possibilité pour un jugement du tribunal coutumier de constater
les droits fonciers, on constate qu’un tel jugement n’est pris en compte comme moyen
de preuve que s’il n’est pas en concurrence avec d’autres actes émanant d’une autorité
moderne plus compétente. Ce critère de compétence est toutefois de rigueur pour
qu’un acte de l’autorité produise des effets. Ainsi dans le différend foncier qui
opposait Mme L. FAIDA à son ancien concubin, le tribunal a fait droit à l’acte de vente
produit par ce dernier nonobstant la « lettre de réhabilitation » et le « procès-verbal de
réhabilitation » délivrés à la requérante respectivement par le commissaire de zone et le
chef de groupement coutumier.
Lorsque les plaideurs se prévalent par contre d’autres moyens de preuve que
les titres officiels, le Tribunal s’adopte et devient en quelque sorte le prolongement des
tribunaux coutumiers. La référence à la loi foncière est abandonnée au profit de la
coutume. Les actes sous seing privé et les témoignages redeviennent aussitôt des
moyens de preuve privilégiés. La terminologie des jugements est, quant à elle, on ne
peut plus surprenante. A titre d’exemple, reprenons la motivation très curieuse de ce
jugement rendu le 28 septembre 1994 par le Tribunal de Grande Instance d’Uvira,
siège secondaire de Kavumu.
Attendu que le kalinzi confère un droit de propriété définitif dans la coutume
Bashi ; qu’en l’espèce ce droit de propriété définitif doit être reconnu au
demandeur… ».
Ce jugement démontre très clairement la difficulté pour les juges modernes
d’appliquer les catégories juridiques de la loi foncière aux situations locales en milieu
coutumier. En appliquant rigoureusement la loi foncière à cette cause, le juge aurait dû
constater la nullité de l’opération initiale, à savoir la vente qui légalement ne lui
appartient pas, les terres rurales ayant été domanialisées. Cette solution n’aurait

20
Il y a lieu toutefois de souligner une contradiction importante dans l’attitude du
tribunal face aux jugements définitifs des tribunaux coutumiers. Dans le jugement ici
invoqué, le juge a estimé qu’un « jugement ne peut être considéré comme acte
établissant une concession de terres ». Dans une autre cause par contre, le juge a fait
droit à une requête sur la ase d’un jugement coulé en force de chose jugée qu’il
considère comme « titre authentique dont la valeur probante ne peut être renversée par
de simples déclarations (jugement RC 019 du 19 janvier 1994, affaire NGUSHIRUKA
et consort C/ TORA JM et consort.

76
cependant pas été raisonnable. Ainsi le juge a-t-il fait le choix d’appliquer la coutume,
sans s’inquiéter un seul instant de sa conformité ou non à la loi.
Par ailleurs, dans certaines affaires, le juge a fait droit à une coutume
manifestement illégale. Alors que le code de la famille stipule très clairement que les
enfants du decujus héritent collectivement des biens de celui-ci, le tribunal a fait droit à
la coutume shi en matière de succession en reconnaissant les droits successoraux en
matière foncière au seul fils aîné.

§2. Les initiatives des organisations de la Société civile 

I. Le Réseau Ressources Naturelles et la cartographie participative

Les initiatives des Organisations de la Société Civile en vue de la protection


des droits fonciers et forestiers des communautés locales partent du constat que ni les
textes juridiques ni les tribunaux n’en assurent une protection réelle et efficace.
Diverses aires protégées ont été en effet créées tant à l’époque coloniale qu’à
des périodes plus récentes. La délimitation de ces aires protégées a généralement
suscité la polémique. Les populations riveraines de ces aires protégées contestent non
seulement les procédés utilisés pour créer ces aires, mais aussi leur délimitation.
Juridiquement, il est par ailleurs interdit à quiconque d’exercer une activité à l’intérieur
de ces espaces. Ce qui prive les populations riveraines des aires protégées des
ressources qu’elles tiraient traditionnellement de ces forêts et précarise leur survie. Au
demeurant, la croissance démographique a pour effet d’augmenter les besoins des
populations et la pression sur les ressources forestières, dans la mesure où aucune
activité nouvelle susceptible de réduire la dépendance des communautés vis-à-vis de
ces ressources n’a été promue.
Bien plus, de vastes concessions forestières ont été accordées à des
particuliers, personnes physiques ou sociétés, sans égard aux droits des communautés
sur les espaces concédés. S’il est vrai que les restrictions imposées aux communautés
locales sont dans ce cas plus réduites, il n’en demeure pas moins que les abstentions
attachées à la concession forestière précarisent davantage la vie de ces communautés.
Au plan législatif, la loi foncière autant que le code forestier tout en
reconnaissant respectivement les droits fonciers et forestiers des communautés locales,
restent lacunaires et suffisamment ambigües sur le régime applicable aux droits des
communautés locales et des peuples autochtones. Au demeurant, le concept de
communauté locale titulaire desdits droits, n’a pas de contenu ou de contours précis.
Le code forestier en particulier consacre la notion de zonage, c’est-à-dire d’affectation
des parties des forêts à des types d’activités. Le plan de zonage forestier déterminera la
manière dont les ressources forestières seront utilisées au cours des prochaines
décennies. De même, le nouveau code de la conservation de la nature prescrira de
nouvelles directives concernant l’accès aux ressources dans les aires protégées de la
RDC.
Nonobstant la reconnaissance légale des droits des communautés locales, on
assiste dans certaines localités de la RDC à des chevauchements entre les parcs
nationaux, les concessions minières et/ou forestières, et les terres des communautés
locales. En tout état de cause, les communautés locales et les populations autochtones
sont les plus lésées. D’aucuns ont reconnu, du reste, pendant l’évaluation que la
gestion forestière passée et actuelle ignore les droits traditionnels des communautés
locales. La délimitation des concessions foncières et forestières et les classements

77
domaniaux ne s’embrassaient guère de l’enquête préalable prévue par la loi foncière,
portant ainsi atteinte aux droits collectifs des peuples autochtones et des communautés
locales.
Depuis 2002, toutefois, l’agenda prioritaire pour la relance du secteur forestier
consacre l’obligation de conduire des consultations locales avant toute décision sur
l’usage de la forêt et de mettre au point un cadre simple de gestion communautaire des
forêts.
Les évolutions positives qui semblent s’annoncer, ne mettent pas toutefois les
communautés locales et peuples autochtones à l’abri des surprises et des effets pervers
éventuels du code forestier, comme ce fut le cas au Cameroun où les lois forestières et
le plan de zonage national se sont soldés par une recrudescence des conflits
communautaires, de la pauvreté et de la marginalisation des communautés forestières.
A propos des enjeux et risques liés à la mise en œuvre du code forestier, la
société civile était fort heureusement déjà informée et sensibilisée. Ainsi a-t-elle pu
participer à l’amélioration du code forestier et à sa vulgarisation. Dans le
prolongement de cette première intervention, elle a entrepris, à travers le projet de
cartographie communautaire, d’encadrer les communautés pour qu’elles soient
capables de faire valoir leurs droits sur les forêts, tels que le prévoit le code forestier.
Il se pose en effet un problème de légitimité des titres habilitant à exploiter les
ressources forestières. A la question de savoir si la population avait été informée de
l’autorisation d’exploiter le bois accordée à la SODEFOR, les communautés de Mpole
et le Mpaa II répondaient en chœur : « c’était une sorte de dictature ». Ils ne se sont
pas dérangé pour cela, sous prétexte qu’ils sont connus du Gouvernement. Nous, nous
ne les reconnaissons pas ». « Dans notre contrée ici, la terre ne se vend pas. Lorsque
vous voulez vous établir pour une exploitation de la forêt, vous êtes obligé de
demander la permission au chef de clan qui assure le contrôle du milieu que vous
voulez exploiter ».
Pour l’Etat, le sol et les mines lui appartiennent (art 53 de la loi du 20 juillet
1973). De même les forêts protégées font partie de son domaine privé. Ces forêts
forment une catégorie résiduelle après déduction des forêts classées et des forêts de
production permanente. C’est dans cette catégorie qu’on situe les zones occupées par
l’agriculture et celles réservées à l’expansion des cultures et la pratique de la foresterie
rurale (y compris les forêts des communautés locales).
Pour les communautés locales, par contre, ces forêts, sans distinction, sont un
héritage inaliénable des ancêtres.
Faire reconnaître les droits de contrôle, d’accès et d’utilisation des ressources
forestières revient dans ce contexte à lever le malentendu et à clarifier le régime
juridique des terres et forêts des communautés locales et des peuples autochtones en
RDC.
D’aucuns(21) considèrent par ailleurs qu’il y a une relation de cause à effet
entre la pauvreté rurale et la constitution d’aires protégées ou des concessions
forestières. Les populations forestières paupérisées et n’ayant guère d’autres choix se
rabattraient sur ces ressources protégées ou concédées que protège une législation très
rigoureuse ou restrictive et une pratique administrative extrêmement policière. Ceci
21
Toutes les communautés visitées lient leur état de pauvreté à la spoliation dont elles
sont victimes. Le mémorandum des Chefs coutumiers revendiquant leurs droits dans le
Parc National de Virunga est très évocateur : « A l’Est de la RDC, vous avez vos
minerais. Nous ici à Mpole, nous avons notre forêt. C’est notre diamant que nous
disputent les concessionnaires forestiers ».

78
conduit à un état permanent de conflit entre les concessionnaires et les responsables des
espaces classés et les populations. Clarifier le régime des terres et forêts des
communautés locales contribuera à réduire la pauvreté rurale et les conflits entre les
administrations et concessionnaires fonciers ou forestiers et les communautés locales.

Différents documents officiels attestent que les autorités administratives ont


été sensibilisées sur la nécessité de prendre en compte les droits des communautés
locales. L’agenda prioritaire pour la relance du secteur forestier affirme la nécessité de
donner suite à la revue légale des anciennes concessions notamment pour résoudre les
chevauchements avec les terroirs villageois. Il consacre aussi le principe du « maintien
des droits traditionnels des populations locales dans toutes les forêts », et la nécessaire
reconnaissance et la sécurisation légales des modes traditionnels de gestion des terroirs
forestiers par les communautés locales ». De même le PNFOCO pose le principe d’un
zonage forestier participatif et multi-usages à l’échelle nationale assurant la
sécurisation des droits d’usage des communautés locales. Au demeurant, souligne le
guide opérationnel de zonage forestier, « un des outils recommandé pour l’élaboration
du plan de zonage, est la cartographie participative qui visualise les espaces de vie et de
production des communautés locales et peuples autochtones ». (Cfr normes de zonage
forestier. Guide opérationnel, mai 2009, p.6).
Les mesures d’application du code forestier sont en préparation avec la
participation active des organisations membres du RRN. Un texte particulièrement
important pour les communautés forestières est celui relatif à la foresterie
communautaire. La controverse qui existe à ce sujet entre la DIAF et la FAO d’un côté
et RRN de l’autre montre bien que les concepts consacrés par le code forestier
pourraient bientôt être reprécisée en tenant compte des conceptions et droits
traditionnels.
Des mesures d’application du code forestier visant notamment à clarifier le
régime des forêts des communautés locales sont en élaboration et connaissent une
participation active des organisations membres du RRN. La mise en œuvre de ces
mesures en droite ligne du zonage forestier permettra de réaliser les objectifs
spécifiques du projet.
Outre la reconnaissance et la sécurisation des droits des communautés
forestières, le lobbying associé à la cartographie participative permet une meilleure
prise en compte des intérêts des communautés dans les processus de planification du
développement local à partir des cartes produites. Tel est le cas tout spécialement du
Nord-Kivu. Différents micro-projets ont été identifiés de façon participative,
positionnant ainsi le projet dans les objectifs du Millénaire pour le développement
visant à éradiquer l’extrême pauvreté.
La cartographie participative mise en œuvre par le projet, s’est intéressée dans
un premier moment aux terroirs villageois. Elle a ensuite évolué pour visualiser les
chevauchements des droits à l’échelle du territoire. Les inquiétudes exprimées face à
l’avenir, au regard spécialement de la croissance démographique, ont convergé vers
l’idée qu’il fallait produire les cartes des droits fonciers et forestiers des communautés
locales. La foresterie communautaire requerra également dans un premier moment une
délimitation des forêts à gouvernance communautaire et dans une seconde phase la
production et la réactualisation des cartes pour visualiser les dynamiques spatiales des
communautés et l’évolution économique des terroirs. In fine, pour prévenir les conflits
fonciers entre membres de la communauté ou entre ceux-ci et les concessionnaires
fonciers ou forestiers, ou pour mieux gérer ces conflits, la production des cartes

79
parcellaires peut s’avérer utile, d’autant plus que les terres familiales n’ont pas de
formes régulières et des limites strictes.
En effet, outre les cartes, il faudra pour informer les décisions d’aménagement
du territoire, collecter dans chaque terroir un certain nombre d’informations sur les
systèmes de production et sur les rapports fonciers de production, c’est-à-dire les
relations foncières entre membres de la même unité de production, et entre catégories
sociales (ayants-droit et non ayants-droit fonciers).
En échangeant avec les communautés visitées sur la notion de forêt de
communauté locale, nous nous sommes rendus compte que le concept même de
communauté locale posait bien de problèmes. Dans les Provinces de l’Ouest de la
RDC, la communauté locale prend une double acception : il s’agit à la fois de
l’ensemble des personnes vivant dans une entité régie par la coutume, quelle que soit
leur appartenance clanique, et des sous – composantes d’une tribu, à savoir les clans.
Dans les formations sociales centralisées de l’Est de la RDC, la communauté locale
correspond à la première acceptation.
En parlant de forêt de communauté locale, les différents groupes consultés ont
révélés par contre que les forêts appartenaient aux clans, quoique tous les habitants du
terroir indistinctement retirent des utilités de ces forêts. Ainsi des clans représentés
significativement dans un village avouaient volontiers vivre sur les terres de tels autres
clans et localisaient leurs droits fonciers et forestiers ailleurs.
Dans ce contexte, les PA posent des problèmes particuliers, car ils évoluent
sur des terres ou dans des forêts appartenant ou revendiquées par des clans sédentarisés
depuis des siècles. Au regard de cette problématique, il faut éviter de considérer la
communauté comme un bloc monolithique dans le dispositif légal relatif à la foresterie
communautaire ; car sur les forêts des communautés locales, il y a des ayants-droit et
des non ayants-droit.
La cartographie des terroirs villageois comporte le risque d’une cristallisation
des droits fonciers et forestiers des communautés aux espaces délimités. Le souci de
faire reconnaître les droits des communautés imposait d’aller au-delà du terroir et de
rendre compte, au moyen d’une carte, des prétentions foncières des communautés.
Des études sur les systèmes fonciers coutumiers et les modes traditionnels de
gestion de forêts devaient être entreprises dans le prolongement de la cartographie
participative pour identifier les lieux de compromis entre les trois groupes d’acteurs qui
se positionnent par rapport à l’enjeu que représentent les ressources forestières à
savoir : l’Etat, les concessionnaires forestiers et les communautés locales. Des lieux de
compromis doivent en effet être trouvés en ce qui concerne le cadre institutionnel de
gestion et l’étendue des droits des utilisateurs de ces ressources.

II. Les enquêtes parcellaires(22)

Les enquêtes parcellaires promues par la Coopération Suisse et ses partenaires


de la Société Civile à l’Est de la République Démocratique du Congo ont été dictées
par la nécessité de penser des règles et mécanismes de régulation susceptibles de
protéger les usagers fonciers dans un contexte de crise foncière que connaît le Sud-
Kivu et ce, dans un triple objectif de contribuer ainsi à la résolution des conflits, à leur
prévention et, partant, à la sécurisation des exploitants paysans. Pour ce faire, il a fallu
tester une méthodologie fondée sur des enquêtes parcellaires fonctionnelles et
22
Alain ROCHEGUDE et Véronique PARQUE (sous la direction de), les transitions
foncières en Afrique des Grands Lacs, Bujumbura 2004.

80
participatives en vue d’une délimitation des parcelles (constat public et contradictoire
des droits de chacun), la finalité étant de proposer un cadre approprié de gestion et
d’arbitrage des conflits et une meilleure articulation entre l’activité paysanne et celle
des autres acteurs du monde rural.
En quoi consistent les trois dimensions de l’enquête ?
Pour ce qui est de la dimension parcellaire, elle repose sur le principe de
l’observation directe de chacune des parcelles composant le site d’enquête. Cette
observation vise à permettre à l’observateur enquêteur de se rendre compte de la
configuration de chaque parcelle par rapport aux autres avoisinantes. Sur base de cette
observation, une fiche parcellaire et une cartographie sommaire de l’ensemble du site
sont élaborées.
Concernant la dimension fonctionnelle, elle cherche à mettre en évidence,
comme ce qualificatif l’indique, la fonction des parcelles : habitation, agriculture, type
d’agricultures, commerce.
Quant à la dimension participative, elle est transversale par rapport aux deux
autres. L’enquête, dans ses deux dimensions évoquées plus haut, a besoin de la
présence des acteurs locaux et usagers fonciers à un double titre. D’un côté, les acteurs
locaux représentant la population (système traditionnel ou système moderne), aussi
bien publics que privés, sont indispensables pour obtenir la collaboration active des
acteurs exerçant un droit réel sur les terres étudiées. D’un autre côté, la présence de ces
derniers est requise individuellement et collectivement (à titre de possesseur de la
parcelle ou de voisins). Individuellement d’abord, pour obtenir toutes les informations
utiles complémentaires à celles issues de l’observation directe. Collectivement
ensuite, surtout pour valider les informations ayant trait aux délimitations des
différentes parcelles. En l’absence des propriétaires des parcelles avoisinantes, le
risque est grand que l’un ou l’autre usager foncier peu honnête verse dans des
spéculations de nature à fausser, à son avantage, les limites de sa propriété.
L’approche « parcelle » permet, selon ses concepteurs, au-delà des données
purement théoriques, d’appréhender concrètement et dans leurs particularités, les
incertitudes foncières en milieu rural, qu’elles résultent de la superposition des droits
de diverses natures sur le même espace, des modes de délimitation des occupations, des
modalités d’accès au sol ou de la coexistence de deux registres juridiques différents
auxquels les acteurs fonciers en milieu rural articulent leurs pratiques selon les
opportunités (Alain ROCHEGUDE et Véronique PARQUE).
L’approche parcellaire permet aussi non seulement l’établissement
contradictoire et public des droits de chacun, mais aussi de manifester et d’entamer une
négociation immédiate des conflits et des situations de conflictualité entre les voisins.
La mise en œuvre de cette méthodologie se déroule en trois étapes
principales : la sensibilisation des acteurs, les enquêtes proprement dites, la restitution
des résultats de l’enquête.
La première étape consiste à sensibiliser les acteurs fonciers du site. Des
séances d’explication de la problématique à l’origine de l’étude sont organisées
préalablement. Ensuite, avec les autorités locales, coutumières et administratives :
Administrateur de Territoire, chef de groupement, chef de localité et chefs de sous
localités ; ensuite avec la population, en présence des catégories précédentes.
S’agissant de la deuxième étape, elle se déroule selon le canevas général ci-
après :

81
- La veille du lancement des enquêtes sur un site, une séance explicative est
organisée avec les habitants pour lever toute suspicion et identifier le
point de départ de l’enquête (parcelle n° 1) ;
- A défaut d’une photo aérienne comme support technique, un dessinateur
accompagné de deux personnes disponibilisées par les enquêtés précède
l’équipe des chercheurs sur le terrain en vue d’élaborer le croquis de la
sous-localité et ébaucher une cartographie des parcelles à visiter ;
- L’enquête se déroule en présence des autorités administratives et
communautaires ou de leurs délégués, de quelques personnes ressources
associées à l’équipe des enquêteurs au titre de collaborateurs locaux et des
exploitants voisins ;
- Un questionnaire d’orientation est préalablement élaboré de manière à
recueillir le plus d’informations sur chaque parcelle. Ces informations
concernent le détenteur du fonds, l’exploitant, les voisins, les liens
sociaux tissés autour de la terre (entre voisins, entre détenteur et
exploitant, entre détenteur et donateur, entre détenteur/exploitant et
autorité coutumière), l’historique de la parcelle, entre la responsabilité de
la mise en valeur, la destination des récoltes, la composition familiale de
l’exploitant, les conflits passés et leurs solutions, les conflits actuels ainsi
que les éventuelles situations de conflictualité et les pistes de solution ;
- D’autres éléments font l’objet d’une observation directe, tels le type de
bornes utilisées, les données pédagogiques, les éléments de la mise en
valeur actuelle, la représentation de la parcelle sur un croquis ;
- A la fin de l’enquête sur la parcelle, les éléments retenus sont directement
restitués pour validation par les concernés (exploitant et voisins au
moins) ;
- A la fin de journée, les fiches des parcelles visitées sont progressivement
mises à jour.

Enfin, la troisième étape est celle de la présentation des résultats. Comme lors
du lancement des enquêtes, à la clôture, une séance de présentation des résultats et
conclusions préliminaires est organisée, au bureau de l’Administrateur de Territoire
assistant, en sa présence et en présence non seulement des autorités traditionnelles et
des populations enquêtées, mais aussi en présence des chefs et populations dont les
entités et parcelles n’ont pas été visitées, mais qui étaient intéressés et voulaient en
savoir plus sur les enjeux des enquêtes conduites.
La finalité de l’exercice est de produire de façon participative une carte
parcellaire qui pourrait servir de référence, soit pour l’établissement d’un « titre foncier
coutumier », soit pour départager les parties en cas de litige. Au plan institutionnel, la
perspective est celle de la mise en place d’un mécanisme paritaire et alternatif de
gestion des terroirs villageois.

82
Chapitre II. Perspectives pour la réforme foncière en République
Démocratique du Congo

Section I. Retour sur le rapport de la commission pour l’étude du


problème foncier au Congo-Belge

§1. La question des terres et forêts indigènes face à la problématique des


terres des communautés locales

La législation coloniale a eu le mérite de définir « clairement » les terres


indigènes et le régime juridique qui leur est applicable. Il s’agit, dispose l’article
premier du Décret du 03 juin 1906, des « terres que les indigènes habitent, cultivent et
exploitent d’une manière quelconque, conformément aux coutumes et usages locaux ».
De cette disposition, nous soulignons trois éléments :

- les titulaires des droits subjectifs sur ces terres sont les indigènes ;
- l’objet saisi par ces droits, ce sont les biens fonds dont les indigènes tirent
une utilité (habitat, culture, exploitation quelconque) ;
- ces terres sont régies par la coutume et gérées par les personnes habilitées
par celle-ci.

Si ce dernier élément ne pose aucun problème d’interprétation, les deux


premiers sont par contre très équivoques.
L’indigénat est une catégorie générique qui se pose en s’opposant. Il s’oppose
non au colonat mais au statut métropolitain. L’indigène à qui on reconnaît le droit sur

83
la terre, sont en d’autres mots une catégorie résiduelle constituée de l’ensemble des
personnes qui n’ont pas le statut de ressortissant de la métropole ou de migrant
européen autorisé à séjourner, à résider ou à s’établir dans la colonie. En somme, les
titulaires du droit ne sont pas déterminés.
Autant que les indigènes, les terres domaniales que forment également une
catégorie résiduelle en ce que toutes les terres qui ne rentrent pas dans la définition des
terres indigènes, sont déclarés vacantes et par conséquent propriété de la colonie.
Dans la doctrine administrative coloniale, la distinction entre terres vacantes et
terres indigènes était fondée sur le fait de l’occupation23.
Pour l’attribution des terres aux indigènes, l’administration coloniale prenait
en considération non la reconnaissance de leur droit coutumier de propriété (ou de
disposition, ou leur droit virtuel d’occupation) mais l’occupation.
Par ailleurs, l’administration coloniale considérait comme exploitées les terres
dont les indigènes retirent des avantages quelles que soient accomplis d’une manière
régulière et intensive. Ainsi étaient considérées comme exploitées les terres sur
lesquelles les indigènes exerçaient des droits de pacage du bétail, de cueillette des
produits spontanés, d’extraction des richesses minérales, de coupe de bois à usage
personnel, de chasse, de pêche, de ramassage des chenilles, etc.
Autour de la question de la vacance des terres, une controverse jamais
tranchée a eu lieu entre l’administration coloniale et des juristes indépendants (not. A
SOHIER et Guy MALENGREAU) et des missionnaires engagés dans la défense des
droits des indigènes.
La position constante de l’administration coloniale inspirée de l’opinion des
jurisconsultes du Roi Léopold II a été exposée plus haut (p…).
Pour A. SOHIER par contre autant que pour G. MALENGREAU, la théorie
de la vacance des terres repose sur une erreur. « En voyant, écrit SOHIER, des plaines
désertes, des forêts immenses que seuls parcourraient de rares chasseurs, le législateur
a cru qu’il s’agissait des terres vacantes ». Pour ces auteurs, il n’existe pas au Congo
des terres vacantes pour la raison que toutes les terres font l’objet de droits divers des
communautés indigènes.
En appliquant, écrit BOELAERT, le principe selon lequel l’Etat peut
s’approprier les terres vacantes de son territoire, l’EIC ne veut pas léser les droits
fonciers indigènes. Au contraire, en opposant les terres occupées par les indigènes aux
terres vacantes, il est évident que l’ordonnance considère comme occupées par les
indigènes les terres dont ils sont les maîtres, les terres qu’ils possèdent en propriété.
Par conséquent, pour connaître les terres vacantes au Congo, pour savoir quelles sont
les terres qui sont la propriété des indigènes, il n’y a qu’un seul moyen, c’est
d’interroger les indigènes eux-mêmes. Il n’y a qu’eux qui peuvent renseigner sur la
situation et les droits préexistants.
Or, constate le même auteur, stigmatisant l’attitude des européens à l’époque
vis-à-vis de la question foncière : « nous oublions trop facilement que l’indigène doit
vivre en grande partie de la chasse, de la pêche, et de la cueillette ; qu’il a besoin de sa
forêt pour tout ce qui lui sert à nourrir, s’habiller, s’abriter et se rendre la vie agréable
et possible ; que l’emplacement du village et des cultures doit pouvoir être changé
régulièrement » (1955, p. 164).
P. VERMEERSCH propose une explication plus juridique : « En droit naturel,
expose-t-il, il n’est pas indispensable que j’épuise l’utilité d’une chose pour pouvoir la
23
« Nul n’a le droit d’occuper sans titre des terres vacantes, ni déposséder les indigènes
des terres qu’ils occupent », dispose l’article 2 de la circulaire du 1er juillet 1885.

84
dire mienne, il suffit que je la fasse servir d’une façon réelle, mais de mon choix, à ma
personne, et que j’aie la volonté d’en interdire à tout étranger un usage quelconque
indépendant de mon consentement. Dès lors, l’occupation effective est jointe à
l’intention et l’on a tous les éléments constitutifs de titre originaire de la propriété.
Supposé d’ailleurs, en Belgique même, qu’un grand seigneur veuille convertir certaines
terres en erres de chasse et n’en fasse aucun autre usage, ces terrains continueront
néanmoins d’être en sa pleine possession. Chez les congolais, sans doute, l’occupation
est le plus souvent collective, mais cette occupation est aussi digne de respect que
n’importe quelle appropriation individuelle » (P. VERMEERSCH, 1901, pp. 113-114).
Le législateur congolais évacuera pour sa part d’un revers de main cette
controverse et fera l’impasse sur les enjeux qui lui sont soujacents.
Reprenant à son compte la définition des terres indigènes du décret du 3 juin
1906, il substituera tout simplement à l’adjectif qualificatif « indigènes » le
complément non déterminatif « communautés locales ». Les terres occupées par les
communautés locales ne forment pas toutefois une catégorie particulière : elles font
partie du domaine foncier privé. Ce dernier constitue une catégorie résiduelle à
laquelle s’applique la loi du 20 juillet 1973 qui dispose en effet : art 55 et 56 de la loi
du 20 juillet 1973.
Théoriquement, la loi de 1973 a mis fin au dualisme juridique inauguré par le
Décret du 03 juin 1906 en reversant dans le domaine de l’Etat les terres des
communautés locales (jadis terres indigènes). Le législateur n’a cependant pas précisé
ce qu’il faillait entendre par communauté locale. C’est la loi n° 011/2002 du 29 août
2002 portant code forestier qui environ trente ans après la loi foncière, proposera la
définition de la communauté locale. Aux termes de cette loi, il s’agit d’ « une
population traditionnellement organisée sur la base de la coutume et unie par les liens
de solidarité clanique ou parentale qui fondent sa cohésion interne. Elle est
caractérisée, en outre, par son attachement à un terroir déterminé » (art 1er, 17ème
définition).
Il se dégage de cette définition cinq éléments constitutifs de la communauté
locale :

1. L’existence d’un ensemble d’individus ;


2. L’existence des liens de parenté entre lesdits individus ;
3. L’organisation sociale ;
4. Le référentiel coutumier (le primat de la coutume) ;
5. L’attachement à un terroir.

Envisagés cumulativement, ces critères excluent de la « communauté locale »


tous ceux qui ne peuvent justifier des liens de parenté avec le groupement clanique
établi dans un terroir. Au lieu d’être une unité de voisinage, le critère d’appartenance à
la communauté locale étant la résidence, la communauté locale regroupe des personnes
sur la base de la parenté, si bien que des non résidents justifiant de tels liens mais
« attachés au terroir (à distance) » seraient plus que des résidents non apparentés au
clan suzerain fondés à revendiquer des terres à et à jouir des forêts de la communauté.
Au sens, de la loi, le village de Mpole en Province de l’Equateur ne constitue pas une
communauté locale. Ce village constitué sur les terres du clan Mpole regroupe une
quinzaine de clans apparentés ou non.

85
Par ailleurs, la complexité de l’organisation sociale et des systèmes fonciers
coutumiers peut rendre difficilement opérationnelle la fixation des contours juridiques
et matériels des terres des communautés locales.
La définition de la communauté locale que propose le code forestier par
exemple n’est pas du tout applicable aux bantous interlacustres, aux zande et aux
peuples du Nord-Est de la République Démocratique du Congo où les groupes locaux
sont de composition artificielle et trouvent leur origine dans les liens politiques (cfr
supra).

§2. Les entités minimales et la problématique de la reconnaissance des


terroirs villageois

C’est le souci de lever l’équivoque et d’organiser les droits des indigènes sur
le sol dans le respect des traditions et des coutumes foncières qui est à la base de l’idée
d’ « entités minimales ». Celles-ci seraient l’apport des groupes sociaux « à base de
parenté ou à caractère résidentiel dans lesquels il existe un haut degré de coopération,
de solidarité et de congenialité ».
A ces entités minimales, la commission pour l’étude du problème foncier au
Congo-Belge propose d’accorder la personnalité juridique et un droit équivalent à la
propriété du code civil.
Au sein de ces entités minimales, les individus ou plutôt les familles
obtiendraient un droit d’usage du sol, lequel durerait aussi longtemps que l’usage serait
effectif. Ce droit d’usage serait à la fois héréditaire et toujours établi intuitu personae
et, de ce chef, inaliénable et imprescriptible sauf l’accord du groupe. En outre, ce droit
pourrait donner lieu à la délivrance d’un titre reconnu par la loi. La commission
précise toutefois que « les titres reconnus seront ceux que reconnaissent les sociétés
congolaises et qui dérivent soit des relations de parenté (unilatérales ou basées sur
l’alliance, le pacte, l’amitié ou l’adoption), soit l’allégeance politique ou de relations
contractuelles (rapport, 1957, pp. 116-117).
Seuls seraient, cependant, enregistrées et cadastrées les terres des entités
minimales. Les titres délivrés aux entités serait « ceux qui sont sanctionnés par les
sociétés intéressées : première occupation ; partage ; allégeance politique ; acquisition
par donation ; achat ; prescription ; fusion (idem, p. 122).
Quoique porteuses de titres de propriété, les entités minimales seraient, quant
à l’exercice de leurs droits fonciers, placées sous la tutelle des conseils constitués à une
échelle plus large l’idée étant qu’il existe des « groupes plus vastes dont ces entités
constituent des segments, soit par des liens généalogiques, soit par des liens
territoriaux, soit par différents autres arrangements sociaux, et que les représentants de
ces divers segments se regroupent en conseils dont les sanctions et moyens de contrôle
dépasseraient en puissance les intérêts des segments (ibidem, p. 125). En tant état de
cause, des organismes désignés en conformité avec la structure propre des entités
seraient habilités à agir pour le groupe aussi bien dans ses relations avec les tiers qu’à
l’égard des membres du groupe (ibidem p. 130).
Ce montage digne d’admiration n’a cependant pas été coulé en législation. Il a
néanmoins inspiré la pratique administrative. En effet, des enquêtes administratives
furent organisées pour identifier des entités minimales auxquels seraient reconnus la
personnalité juridique et des droits fonciers. L’exercice fut hélas l’occasion de
nombreux conflits.

86
L’idée d’entité minimale a été complètement abandonnée par le législateur
postcolonial qui s’est contenté de domanialiser les terres et forêts des communautés
locales. Usant d’un faux-fuyant, il renvoie systématiquement à une législation
ultérieure le régime juridique qui leur sera applicable (art 389 de la loi foncière et art
22 al 2 du code forestier)
S’il est vrai que le législateur reconnaît les droits des communautés locales sur
leurs terres et leurs forêts, il n’en propose aucune modalité de délimitation physique et
d’identification des ayants-droits.
Autant dire que le débat ouvert à la fin de la période coloniale sur l’existence
ou non des terres (et forêts) vacantes est resté d’actualité. Pour de nombreux congolais
en effet, c’est de la pure fiction que de prétendre que la terre appartient à l’Etat. A
l’occasion d’une séance de vulgarisation de la loi foncière, un participant nous
interrogeait sans naïveté : « où se trouvent les terres de l’Etat ici chez nous ? Ceci est
symptomatique de l’écart qui existe entre les énoncés légaux et les réalités sociales (les
conceptions populaires) en matière foncière.
Les codes agricole et forestier en distinguant les terres et forêts concessibles
des terres et forêts des communautés locales montrent bien le souci du législateur de
protéger les terroirs villageois, mieux les droits fonciers tirés de la coutume. Le
dispositif juridique reste toutefois incomplet et sujet à polémique.

§3. Actualité des propositions des Prof. MALENGREAU et BYEBUCK

La commission du Conseil colonial et chargée de formuler des propositions de


solution au problème foncier au Congo-Belge a retenu sept principes qui devraient
guider la réforme du régime foncier :

1. Le respect des droits acquis sous réserve de certains aménagements


locaux ;
2. Les mines constituant une propriété distincte de celle du sol continuent à
appartenir à (la colonie) l’Etat ;
3. Les terres vacantes continuent à appartenir à l’Etat, mais sont seules terres
vacantes les terres sur lesquelles aucun groupement ni aucun indigène ne
possède un droit exclusif ;
4. Sont indigènes, toutes les terres non vacantes, c’est-à-die non seulement
toutes les terres que les indigènes habitent, cultivent ou exploitent d’une
manière quelconque, mais aussi les terres exploitées d’une manière
occasionnelle ou simplement différée ;
5. Les terres indigènes continueraient à être régies par les coutumes et les
usages locaux sous l’autorité des chefs indigènes ;
6. La gestion des terres par les chefs indigènes se fera avec la participation
des organes de l’autorité de la circonscription indigène (chefferie ou
secteur) sous la tutelle de l’autorité administrative ;
7. Les opérations foncières auxquelles les terres indigènes donneraient lieu
seraient enregistrées.

Le malentendu persistant entre l’Etat post-colonial et les communautés locales


en ce qui concerne la gestion foncière tient principalement au fait qu’on a laissé
délibérément indéterminés les droits fonciers de ces communautés. Le quadriple souci

87
qui semble avoir inspiré la commission du Conseil colonial devrait orienter les
réflexions en cours :

- Souci d’équité par le respect des droits tirés de la coutume et le


renversement de la présomption de domanialité ;
- souci de clarté par la détermination de la portée juridique et matérielle des
droits des communautés (locales) et ceux des individus au sein de ces
communautés ;
- souci d’efficacité gestionnaire par l’instauration d’un mécanisme
participatif de gestion foncière ;
- souci de sécurité juridique des transactions foncières à travers
l’enregistrement des opérations auxquelles donneraient lieu les terres des
communautés locales.

La commission mise en place deux ans plus tard et conduite par le Prof.
BYEBUCK a été encore plus explicite dans ses propositions. Elle suggère pour
résoudre adéquatement le problème foncier au Congo de :

I. « Redéfinir le statut de la terre au Congo ;


II. Rechercher les moyens de faire évaluer les systèmes fonciers
traditionnels vers de nombreuses formes mieux en harmonie avec les
nécessités du développement économique, social et politique du pays ;
III. Instaurer les techniques qui permettront de résoudre les difficultés
locales » (p. 119).

En ce qui concerne le statut de la terre, la commission DUFOUR-BYEBUCK


propose très pertinemment de l’ordonner autour de deux principes : d’une part le
principe de respect des droits fonciers et immobiliers en général, d’autre part le
principe de finalité en vertu duquel lesdits droits doivent être ordonnés non seulement
en vue de la satisfaction des intérêts individuels, mais aussi en vue de l’intérêt général.
Les réponses au problème foncier au Congo-Belge que les deux commissions
évoquées ci-haut ont proposées, sont encore pertinentes aujourd’hui, même si le
Problème foncier en République Démocratique du Congo se présente sous un autre
jour. Les configurations auxquelles ont donné lieu au plan foncier les changements
intervenus après l’indépendance posent en effet plus ou moins les mêmes
problématiques, à savoir :

- le statut foncier équivoque des communautés locales du fait de la


domanialisation de leurs patrimoines fonciers ;
- l’accumulation et la thésaurisation foncière par les élites congolaises (les
nouveaux colons) dans un contexte de croissance rapide de population ;
- la multiplication des conflits fonciers en raison de l’évolution des données
structurelles (économiques, démographiques, environnementales, sociale,
politique, …) ;
- la marginalisation foncière des peuples autochtones par la création des
parcs et réserves ;
- la structure dualiste de la société congolaise ;
- les dysfonctionnements des administrations foncières devenues les
nouveaux pouvoirs concédants.

88
Le défi que doit relever le législateur congolais aujourd’hui est d’apporter des
réponses opérationelles et réalistes à cette variété des problèmes. Il devra notamment :

1. Découpler le foncier (la propriété foncière) et la politique (la légitimité de


l’Etat post-colonial) ;
2. Définir le statut juridique et foncier des communautés locales ;
3. Définir et garantir les droits fonciers des individus au sein des
communautés locales ;
4. Fixer les conditions d’accession à ces droits par des tiers, personnes
physiques ou morales ;
5. Déterminer la capacité des différentes catégories des personnes à jouir des
droits sur les terres des communautés locales ;
6. Organiser un système d’immatriculation de ces droits ;
7. Etablir la procédure pouvant aboutir à l’immatriculation ;
8. Prévoir les modalités, d’un contrôle local et général des opérations
d’immatriculation ;
9. Définir le rôle et les pouvoirs d’intervention de la puissance publique à
l’égard des droits fonciers et immobiliers en général ;
10. Disposer en ce qui concerne les droits acquis sans préjudice des pouvoirs
d’intervention reconnus à la puissance publique.

Section II. Regard sur les propositions de l’Association Nationale des


Autorités Traditionnelles du Congo

Dans un texte intitulé « projet de loi portant statut des chefs coutumiers.
Contribution des autorités traditionnelles du Congo », on peut lire notamment ce qui
suit relativement à la gestion des terres coutumières :
« Le chef coutumier assure la gestion, la protection et la sauvegarde des terres
coutumières qui font partie du domaine privé de l’Etat. Il jouit d’un pouvoir concédant
concomitant avec celui de l’administration foncière de son entité. Dans les limites de
sa juridiction, il crée des lotissements à des fins résidentielles ou d’utilité publique. A
ce titre, il est compétent pour procéder en premier ressort à la distribution des terres
vacantes ou insuffisamment mises en valeur. Il accorde sur ces terres des autorisations
d’occupation et d’exploitation précaire.
« Le chef coutumier donne, le cas échéant, ses avis conformes sur la
délimitation des concessions foncières, minières, forestières, agro-pastorales
ou de toute autre nature ainsi que sur les limites des entités à créer dans son
ressort.
Le droit de jouissance des terres coutumières est reconnu aux communautés
locales. Le droit de jouissance régulièrement acquis sur les terres
coutumières est transmissible, aliénable et opposable aux tiers soit
conformément aux coutumes et aux usagers locaux, soit conformément aux
règles de droit commun.
Les redevances coutumières sur les exploitations foncières, minières,
pétrolières ou de toute autre nature dans une entité coutumière sont perçues
et gérées sous la responsabilité du chef coutumier. A ce titre, il perçoit
auprès des concessionnaires, des sociétés et entreprises installées dans sa
juridiction des redevances annuelles au profit des communautés locales, et

89
autres avantages sociaux consentis en faveur des chefs coutumiers et ayants-
droit.
Au terme d’un contrat d’emphytéose et de non mise en valeur de l’exploitation
d’une concession dans un délai requis par l’Etat congolais dans une entité
coutumière ou de non renouvellement dudit contrat, la concession revient de
plein droit à la communauté locale ».
La gestion foncière par les chefs coutumiers est arrimée à l’administration
foncière à travers d’une part la délivrance des titres fonciers aux concessionnaires ayant
acquis leurs droits auprès des chefs coutumiers, d’autre part le pouvoir d’annulation
pour « motifs légitimes » des autorisations d’occupation foncière décidées par les chefs
coutumiers.
Manifestement pour l’ANATC, c’est un « principe de subsidiarité » qui
devrait prévaloir dans le nouveau dispositif légal en matière foncière. Ce principe se
déclinerait en cinq assertions, à savoir :

- L’Etat exercice sa souveraineté permanente sur la terre ;


- L’Etat garantit le droit à la propriété individuelle ou collective (des terres)
acquis conformément à la loi ou à la coutume « sur lesquelles l’autorité
coutumière exerce son pouvoir » ;
- « Le chef coutumier assure la gestion, la protection et la sauvegarde des
terres coutumières » ;
- Le chef coutumier exerce un pouvoir concédant que l’administration
foncière sanctionne par la délivrance des documents appropriés (titres
fonciers) ;
- Les communautés locales jouissent des terres coutumières sous l’autorité
des chefs coutumiers.

A la différence de la commission pour l’étude du problème foncier au Congo,


les propositions de l’ANATC ne visent pas à résoudre un problème. Elles sont animées
par le seul souci de réhabiliter socialement et économiquement les chefs coutumiers au
nom d’une prétendue protection de l’identité culturelle, des valeurs morales
traditionnelles et de la cohésion nationale.
L’ANATC se préoccupe visiblement non point du sort des droits fonciers des
communautés locales, mais du sort propre des chefs coutumiers.
Ces propositions confondent par ailleurs deux notions qu’il convient de
distinguer : le chef coutumier et l’autorité foncière coutumière. Le premier exerce un
imperium sur une entité (administrative) coutumière (chefferie, groupement, village) ;
le second exerce un pouvoir de nature et avec une portée différente selon les contextes.
Ces propositions pèchent aussi pour un usage abusif de l’adjectif qualificatif
« coutumier », entités coutumières, pouvoir (autorité) coutumier (e) terres coutumières.
A propos de ces dernières, l’ANATC les définit de façon encore plus imprécise que les
terres indigènes ou des communautés locales consacrées par les législations coloniale et
postcoloniale. Il s’agit, selon le projet de loi élaboré par l’ANATC, de l’espace foncier
relevant du clan représenté par l’autorité coutumière et couvrant l’espace servant aux
activités nécessaires de cueillette, de chasse, d’élevage, de pêche et de champ de la
population d’une entité coutumière ainsi que les cimetières, les sites et vestiges
ancestraux, les monuments et les objets d’arts (souligné par nous). Cette définition est
tout simplement dénuée de sens pour les sociétés du Nord-Est et de l’Est de la
République Démocratique du Congo.

90
Section III. Proposition d’options en vue de l’élaboration d’une politique
foncière et de la réforme de la législation

§1. Les fondements et les options de la loi du 20 juillet 1973 revisités

I. De la nationalisation du sol

Un retour sur le contexte d’adoption de la loi du 20 juillet 1973 amène à la


conclusion que celle-ci n’est plus adaptée à l’environnement politique, économique et
social actuel. La loi du 20 juillet 1973 a en effet été adopté dans un contexte caractérisé
notamment par :

1. L’avènement d’un pouvoir autoritaire qui a stabilisé le champ politique au


terme des turbulences et controverses dans lesquelles les enjeux fonciers,
territoriaux et miniers nourrissaient des revendications menaçant
l’existence de l’Etat ;
2. La mainmise étrangère sur l’économie congolaise en général et
particulièrement sur l’économie agricole et minière ;
3. La résorption, par l’imposition d’un parti politique unique, des
contradictions fondamentales entre unitaristes et fédéralistes au sujet de la
compétence relativement à l’exploitation des ressources du sous sol et à la
gestion du sol ;
4. La contestation unanime des cessions et concessions foncières faites par
les organismes concédants de la période coloniale ;
5. Les pouvoirs exorbitants des chefs coutumiers acquis à la faveur des
réformes administratives coloniales et qui leur avaient conféré un très
fort ascendant sur les populations rurales, les chefs coutumiers faisant
ainsi ombrage aux autorités étatiques modernes ;
6. La marginalisation foncière des communautés locales et, au sein de
celles-ci, des femmes et des peuples autochtones pygmées ;
7. L’existence des textes légaux et réglementaires hérités de la colonisation
et non adaptés à la situation de l’Etat postcolonial ;
Dans ce contexte, l’option de la nationalisation du sol résolvait pratiquement
et en bloc tous les problèmes. Une telle option est-elle encore pertinente dans le
contexte actuel où la République Démocratique du Congo, malgré ses énormes
potentiels et jalousement attachée à ceux-ci, dispute le maillot jaune du sous-
développement aux Pays Pauvres Très Endettés de la planète ? Le contexte actuel
présente des caractéristiques fort éloignées de celui dans lequel la loi du 20 juillet 1973
a été adopté, et pose des défis qui ont très peu à voir avec les situations héritées de la
période coloniale ou consécutives à l’indépendance politique, défis auxquels la
République Démocratique du Congo doit plier la politique et la loi foncières, plus
généralement la politique de développement. Les deux défis principaux sont, à mon
avis, la stabilité politique et le développement économique et social. La nationalisation
du sol en ce que d’une part, elle participe peu ou pas du tout à la stabilité politique du
pays, d’autre part, elle tétanise les investisseurs, est un choix inapproprié et d’un autre
temps.

91
II. Les fictions du droit positif congolais relativement aux droits fonciers
coutumiers

Au milieu des années 50, M. BOELART fustigeaient déjà les fictions du droit
foncier colonial et annonçait d’heureuses évolutions. Ces fictions résidaient selon lui
dans le refus de reconnaître aux terres indigènes tout caractère de propriété ; la
présomption de vacance des terres non habitées ou cultivées ; la tendance à considérer
les chefs politiques comme les gérants des terres occupées par les communautés
indigènes.
Ces fictions hélas émaillent encore les textes légaux ayant rapport au foncier :
« code foncier », code forestier et « code agricole ». Elles se radicalisent même à
travers les dispositions clés de la loi du 20 juillet 1973, à savoir les articles 51, 387, 183
et 224.

1. Article 53 : le sol est la propriété exclusive, inaliénable et


imprescriptible de l’Etat

En décrétant que le sol est la propriété de l’Etat, le législateur a du


certainement penser que les systèmes de tenure foncière traditionnels vont céder
inévitablement à la toute puissance de l’Etat et de son droit. Naïvement, d’aucuns ont
pensé qu’il ne s’agit que d’une sustitution de l’Etat aux chefs de terre, ceux-ci étant
assimilés à une autorité politique.
Quarante ans après, les illusions tombent : « le principe même du droit de
propriété de l’Etat sur le sol, écrit Pierre AKELE, n’est pas accepté par les autorités
coutumières qui continuent à se considérer comme le pouvoir concédant. En ville
comme dans les campagnes, la majorité des litiges fonciers sont la conséquence de ce
conflit entre l’Etat et les chefs coutumiers sur la propriété du sol (…). Finalement, la
loi foncière apparaît comme un lieu d’affrontement et de compromis informels entre
l’autorité de l’Etat et l’autorité des collectivités coutumières. Elle est aussi, en milieu
rural comme en milieu urbain, un lieu de bien des résistances et des compromissions »
(pp 10-11).
La plupart des paysans interrogés protestent par ailleurs contre la dépossession
des chefs coutumiers aussi bien du pouvoir de gérer les terres que de la fiction de
juger les conflits. Ils estiment d’une part que la propriété foncière étatique est une
fiction, voire un non sens, d’autre part que certains conflits, notamment ceux découlant
de la circulation des droits de jouissance coutumière, ne peuvent trouver de solution
satisfaisante que devant les autorités coutumières et par l’application de la coutume.
Cette position qui ne manque pas de pertinence ne va cependant pas dans le sens du
cadre légal.

2. Article 182 : les terres sont gérées soit par les administrations
publiques, soit par des organismes publics crées à cet
effet, soit par des sociétés mixtes d’équipement et de
promotions immobilières

Les seules autorités foncières reconnues, ce sont celles énumérées à l’article


183 de la loi foncière : l’assemblée nationale, le Président de la République, le Ministre
des Affaires Foncières, Le Gouvernement de Province et le Conservateur des titres
immobiliers ».

92
Les autorités coutumières jouent néanmoins un rôle décisif au cours de la
procédure d’enregistrement des terres rurales, plus précisément au moment de
l’enquête préalable à la concession. Ce sont elles en fait qui attestent que le requérant
peut, sans porter atteinte aux droits de qui que ce soit, obtenir les titres sollicités.

3. Article 219 : Le droit de jouissance d’un fonds n’est légalement établi


que par un certificat d’enregistrement du titre concédé
par l’Etat

Ces propos curieux d’un participant, chef coutumier de son état, à l’occasion
d’un séminaire de vulgarisation de la loi foncière attestent l’inadéquation entre cette
dernière et le contexte social : « Nous qui sommes des autorités locales en milieu rural,
avant le séminaire on délivrait des fiches parcellaires aux paysans du village qui n’ont
pas de titre. Maintenant, comme il y a des parcelles dans nos entités, quel titre nous
allons délivrer à nos populations pour dire que c’est réellement leurs parcelles ? Au
marché par exemple il y a des terres à attribuer aux commerçants, nous allons délivrer
quel document ? ». Ces propos attestent aussi que les autorités résistent à abandonner
les pratiques illicites en vigueur. Elles sont peu enclines à s’ajuster et à se conformer
aux impératifs légaux. Après avoir appris qu’ils n’étaient pas habilitées à attribuer une
parcelle et à délivrer des fiches parcellaires, l’auteur des propos ci-haut serait revenu à
la charge pour chercher à savoir, en lieu et place de la fiche, quel document valable
cette fois, il peut délivrer, car il y a des demandes de terre auxquelles il ne peut ne pas
satisfaire. En fait, il refuse d’admettre qu’il n’a pas de compétence en matière foncière.

4. Article 387 : les terres occupées par les communautés locales


deviennent, à partir de l’entrée en vigueur de la
présente loi, des terres domaniales

Il est illusoire de croire qu’on peut décréter la dépossession des communautés


locales.
Bon nombre de personnes interrogées continuent de croire que le Chef
coutumier demeure le seul maître des terres et que nul autre, fut-il l’Etat, n’a le droit
d’en disposer ni d’en déposséder les acquéreurs autorisés par le Chef coutumier.
« Je n’ai de compte à rendre qu’au Chef  coutumier qui m’a cédé cette terre et
non à l’Etat que je ne connais pas et que je ne vois pas, me confie un paysan. L’Etat
propriétaire exclusif ou propriétaire tout court du sol et du sous-sol, ça me révolte et
c’est ce qui nous soulève contre ses agents que nous considérons comme des saboteurs
et adversaires de notre chef et de tout ce que nous croyons et respectons ».
Il est donc symptomatique de constater que la coutume, a travers les autorités
coutumières continue de jouer un rôle de premier plan dans la gestion du patrimoine
foncier.

§2. Heurs et malheurs du droit foncier congolais : le système Torrens à


l’épreuve des faits

Les procédés pour accéder à la terre, avons-nous mentionné plus-haut sont


multiples aussi bien en milieu urbain qu’n milieu rural. Dans la quasi-totalité des cas
évoqués, il s’agit des procédures informelles. La procédure légale est très marginale.
Selon qu’il s’agit des terres urbaines ou rurales, les titres fonciers ci-après ont été

93
répertoriés : certificat d’enregistrement, contrat de location, fiche parcellaire, acte de
vente, autorisation provisoire d’occupation des terres, attestation de confirmation de
propriété, livret de logeur, contrat de concession ordinaire, carte de planteur (fiche
d’identification des cultivateurs), acte de vente approuvé par le chef de localité, croquis
établi par l’agronome de la chefferie, fiche parcellaire, attestation de confirmation de
propriété, acte de cession des droits coutumiers, attestation provisoire d’occupation des
terres, procès-verbal de la vacance de terre, quittance attestant le payement des droits
proportionnels à la chefferie, fiche d’expertise agricole, contrat d’occupation
provisoire, contrat de concession d’emphytéose.
En fait, les autorités administratives aussi bien que les populations se sont
appropriées uniquement la symbolique de l’écrit. La validité de ce dernier tient à la
qualité de la personne qui en est l’auteur, et non aux conditions de fond et de forme
prévues par la loi foncière.

§3. Leçons tirées d’expériences d’ailleurs et pratiques administratives et


initiatives des Organisations de la Société Civile à intégrer dans la
législation

L’évolution vers l’individualisation de la tenure foncière et la multiplication


des conflits fonciers en milieu rural impose aujourd’hui une attitude progressiste au
législateur congolais en matière de réforme foncière. Comme on l’a vu plus haut, la
coutume dans son économie ancienne et traditionnelle a subi de profondes et
irréversibles mutations. Les pratiques foncières locales attestent par ailleurs le souci de
formuler les droits de l’occupant coutumier d’un terrain par écrit.
Il ne s’agit donc plus de réaffirmer l’autorité des coutumes et des chefs
coutumiers dans une attitude nostalgique visant à préserver désespérément la cohésion
sociale. Il s’agit de prendre acte de l’acculturation en cours, des changements des
perceptions du rapport au groupe et à la terre. Seul un titre écrit me semble pouvoir
assurer et garantir la sécurité de la jouissance des occupants coutumiers des terres,
laquelle sécurité est compromise pour l’évolution moderne sur le plan légal,
économique et social.
La récente législation de la République populaire du Congo (Brazzaville)
relative à la constatation et à l’enregistrement des droits fonciers coutumiers pourrait
inspirer utilement la réforme foncière en République Démocratique du Congo.  L’objet
de la contestation est en l’occurrence de préciser, de clarifier et d’enregistrer les droits
fonciers coutumiers. Les titulaires coutumiers ont ainsi la faculté de faire confirmer et
constater leurs droits, qu’il s’agisse des droits individuels ou collectifs.
Si la requête est fondée, le demandeur reçoit un titre écrit qui, dans le cas des
droits individuels comportant le droit de disposition en vertu de la coutume (nouvelle
version) et le droit d’occupation permanente matérialisée par des constructions ou une
mise en valeur habituelle, permet l’aliénation et facilite la transformation de ces droits
en droits de propriété au moyen de la procédure de l’immatriculation.
Lorsqu’il s’agit des droits collectifs, la requête peut être formulée soit par le
« chef de terre » ou tout autre chef coutumier habilité, soit encore par toute autre
personne appartenant à la collectivité et régulièrement mandatée par elle. La requête
doit en ce cas contenir la liste des familles ou individus qui composent la collectivité.
La coutume locale sur laquelle le requérant fonde son droit doit au demeurant être
exposée. Au terme d’une procédure impliquant les chefs, les notables ainsi que les
personnes ou représentants des collectivités exerçant des droits sur les terrains

94
limitrophes, la collectivité requérante reçoit un titre, si aucune contestation n’est
élevée.
La législation devra aussi déterminer l’organisme (administratif ou judiciaire)
chargé des opérations ; fixer la compétence de cet organisme dire par quels moyens la
procédure pourra être déclenchée et organiser le contrôle social des opérations.
L’expérience déjà acquise par les collectivités ayant participé à la cartographie
participative, aux enquêtes parcellaires et à la résolution des conflits fonciers par la
voie de la médiation pourrait être valorisée dans la définition des procédures et la mise
en œuvre de la constatation et l’enregistrement des droits fonciers coutumiers.
Les pratiques de négociation entre l’administration foncière et les ayants-droit
coutumiers lorsqu’il s’agit de créer un lotissement, devraient par ailleurs être
formalisées et assorties des garanties pour les acquéreurs des lots auprès de
l’administration foncière.

95
CONCLUSION GENERALE 

Les injustices que la législation foncière coloniale a fait subir aux


communautés (indigènes) locales au Congo-Belge (République Démocratique du
Congo aujourd’hui) et que la loi du 20 juillet 1973 était supposée corriger, se sont hélas
reproduites dans le Congo post-colonial :

1. Aux expropriations opérées à la faveur de la doctrine des terres vacantes,


correspond actuellement la domanialisation des « terres occupées par les
communautés locales ;
2. Aux colons belges et autres se sont substituées des élites congolaises à la
faveur de la zaïrianisation d’une part et des stratégies d’accumulation
foncière de ces nouvelles élites ; des opportunités leur étant offertes par la
loi du 20 juillet 1973 ;
3. Autant le législateur colonial a laissé dans le vague et l’imprécision
l’organisation des droits indigènes sur le sol, autant la loi du 20 juillet
1973 est équivoque sur le régime des terres des communautés locales, la
nature des droits des membres des communautés locales et l’autorité
compétente pour gérer ces terres ;
4. De même, la sécurité juridique que conférait aux colons le certificat
d’enregistrement dans la législation coloniale, ne bénéficie qu’aux
nouvelles élites dans le Congo post-colonial, les terres des communautés
locales ayant été déclarées inconcessibles par la législation agricole ;
5. Aux sociétés concédantes du système colonial ont succédé des
administrations foncières, seules compétentes pour attribuer des titres
fonciers dans leurs circonscriptions foncières respectives, et qui, à l’instar
des premières, se font volontiers et allégrement courtiers en terres
(indigènes) des communautés locales ;
6. Aux lotissements agricoles (paysannats indigènes) de la période coloniale
ont succédé tour à tour les projets agricoles ou de développement rural
(CDI BWAMANDA, projet rizicole de Kiringye, pâturages collectifs en
Ituri, …) et actuellement les parcs agro-industriels, tous ayant un impact
significatif sur le foncier au détriment des paysans ou des ayants-droits
coutumiers.

Les interventions récentes du législateur et/ou du Gouvernement congolais en


matière agricole et forestière montrent également qu’une option préférentielle a été
faite en faveur des exploitations agro-industrielles et des concessions forestières et non
en faveur des paysanneries et/ou des communautés forestières qui constituent pourtant
plus de ¾ de la population congolaise.
En effet, la loi du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à
l’agriculture consacre trois types d’exploitation agricole (familiale, de type familial et
industriel) et n’ouvre l’accès à la concession agricole qu’aux « personnes physiques de
nationalité congolaise ou aux personnes morales de droit congolais (…) (qui) justifient
de la capacité financière susceptible de supporter la charge qu’implique la mise en
valeur de la concession » et qui, en outre, ont fait procéder à une étude d’impact
environnemental et social (Art 16). Elle exclut par contre du régime protecteur du

96
certificat d’enregistrement « l’exercice collectif ou individuel des droits fonciers
coutumiers » sur les terres des communautés locales (Art 18). Ce faisant, elle viole le
principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi en ce sens qu’elle offre
une sécurité juridique plus faible aux titulaires des droits fonciers coutumiers, lesquels
forment la quasi-totalité des exploitations familiales et de type familial. Du fait de
cette exclusion du régime du certificat, ces exploitations ne peuvent pas accéder au
crédit agricole qu’offre le Fonds national de développement agricole, car il faut pour
cela « offrir des garanties de remboursement des capitaux empruntés » (Art 61, littera
b). En conséquence, de très nombreux ménages risquent pour longtemps encore
demeurer dans la précarité matérielle, sans espoir d’en sortir un jour.
Le décret plus récent fixant les modalités d’attribution des concessions
forestières aux communautés locales a, pour sa part, évité soigneusement d’organiser le
régime juridique des « forêts des communautés locales », celles-ci étant définies
comme des « portion(s) de forêts protégées qu’une communauté locale possède
régulièrement en vertu de la coutume » (Art 2 du Décret du 02 août 2014). Il se
contente de définir les conditions et procédures d’acquisition d’une concession
forestière par une communauté locale « sur une partie ou la totalité des forêts qu’elle
possède régulièrement en vertu de la coutume ». Lorsque, toutefois, la concession
forestière porte sur « une partie des forêts possédées coutumièrement par une
communauté locale », cette dernière, dispose l’article 18 al 4, conserve ses droits
coutumiers sur la partie non concédée et continue à les exercer » conformément aux
dispositions du code forestier régissant les forêts protégées. L’option préférentielle est
ici aussi manifestement en faveur de la concession forestière qui a pour effet de
transformer la forêt de communauté locale en forêt de production permanente. En
l’absence d’une concession forestière, la communauté locale ne peut retirer de sa forêt
que des avantages limités et à caractère alimentaire. Seule la concession ouvre
véritablement la voie à l’exploitation forestière, malgré la pétition de principe contenue
dans l’article 112 du code forestier qui dispose que les communautés locales ont le
droit d’exploiter leurs forêts.
Les plus grandes victimes du désordre constaté dans la gestion foncière
actuelle en République Démocratique du Congo sont les femmes et les peuples
autochtones pygmées.
Des coutumes discriminatoires envers ces deux catégories d’usagers du sol et
des forêts continuent à être appliquées, malgré les progrès législatifs. A l’intérieur des
unités de production familiales, tous les champs mis en culture autant que les jachères
dépendent directement du chef de famille et leurs produits lui reviennent, à charge
naturellement pour lui d’entretenir la famille et d’éventuellement rédistribuer des
revenus. C’est lui qui, du reste, décide des champs à mettre en culture et des champs
laissés en jachère. Les femmes ne jouissent dans la plupart des systèmes fonciers
coutumiers que d’un droit de culture. Les régimes successoraux coutumiers les
ignorent tout simplement.
Les peuples autochtones pygmées sont quant à eux considérés partout en
République Démocratique du Congo comme des non-ayant-droits fonciers. Les ayants-
droits fonciers que sont, selon le contexte, les chefs politiques, les chefs de terre, les
membres des clans, des lignages ou des familles, ne cèdent pas de terre aux peuples

97
autochtones ; mais utilisent leur force de travail sans contrepartie véritable. Ils les
tolèrent sur leurs « terres ancestrales ».
La Constitution de 2006, à travers la reconnaissance de la propriété
individuelle ou collective acquise conformément à la coutume, crée heureusement
l’opportunité de réparer les torts d’antan et d’améliorer le cadre légal et institutionnel
de gestion foncière à travers la réforme de la loi du 20 juillet 1973.
L’évaluation de la gestion foncière coutumière et des mécanismes de
protection des droits fonciers coutumiers révèle par ailleurs que 

1. Le cadre juridique régissant la jouissance des terres coutumières est


incohérent. En effet, en dépit du fait que la loi foncière ne réserve aucune
place à l’autorité coutumière dans la gestion des terres rurales (cfr article
182), la Cour Suprême de Justice a jugé qu’ « en attendant l’ordonnance
présidentielle promise, les droits de jouissance sur ces terres sont régies
par le droit coutumier ». En d’autres mots, quoiqu’ayant été versées dans
le domaine foncier privé de l’Etat, les terres des communautés locales
continuent à être régies par les coutumes locales et gérées par les autorités
coutumières.
2. Les coutumes en matière foncière ont subi une profonde, radicale et
irréversible altération : la terre est devenue une marchandise. D’aucuns
considèrent désormais la terre comme une chose susceptible
d’appropriation privative et qui peut être aliénée. Elle n’est plus perçue
comme un héritage inaliénable des ancêtres et le support de la vie sociale
et économique du groupe. Au plan de mode d’accès à la terre, des
changements importants peuvent également être observés : un certain
consensus social semble s’établir dans tous les milieux ruraux sur la
valeur de l’écrit en tant que titre propre à faire valoir les droits fonciers.
3. La prolifération des conflits fonciers ruraux, interpersonnels et collectifs
attestent par ailleurs la défaillance des mécanismes sociaux qui
protégeaient la tenure coutumière : l’institution du chef de terre, la
palabre, les sociétés secrètes, les rites agraires, …
4. Le règlement des conflits fonciers par l’autorité coutumière semble
également déficient au regard des rebondissements multiples (c’est-à-dire
de la permanence) de ces conflits. D’autre part, étant donné la
transformation des perceptions sociales et la modification des rapports de
force entre les acteurs ruraux, les décisions de l’autorité coutumière saisie
d’un litige foncier ne se fondent plus sur la coutume dans son contenu
traditionnel : elles se fondent plutôt sur une coutume sans cesse
réinterprétée et ajustée aux attentes sociales ou aux contraintes du
moment.
5. La protection légale des droits fonciers des communautés locales est très
relative au regard de la pratique administrative en matière d’expropriation
pour cause d’utilité publique, d’affectation des espaces au domaine public
(parcs et réserves) et de lotissement consécutif à l’extension des villes ou
au changement du statut administratif des entités territoriales.

Dans cette dynamique globalement régressive, seuls les tribunaux


reconnaissent plus ou moins explicitement la validité et l’opposabilité à tous des

98
maîtrises exercées individuellement ou collectivement sur les terres rurales par les
autorités foncières traditionnelles et les paysans.

Le défi que doit relever le législateur congolais aujourd’hui est d’apporter des
réponses réalistes et concrètes à la problématique des droits fonciers et forestiers des
communautés locales. Cinq soucis majeurs devraient orienter les nouveaux choix à
opérer :

1. Souci d’équité par le respect des droits collectifs et individuels tirés de la


coutume et le renversement de la présomption de domanialité ;
2. Souci de clarté par la détermination de la portée juridique et matérielle des
droits des communautés locales et ceux des individus au sein de ces
communautés ;
3. Souci d’efficacité gestionnaire par l’instauration d’un mécanisme
participatif de gestion foncière ;
4. Souci de sécurité juridique des transactions foncières et des tenures
foncières coutumières à travers l’enregistrement des opérations auxquelles
donneraient lieu les terres des communautés locales ;
5. Souci de conformité aux engagements régionaux et internationaux du
pays

Guidé par ce quintuple souci, le législateur congolais actuel


devrait relativement aux droits fonciers coutumiers :

1. Définir le statut juridique et foncier des communautés locales ;


2. Définir et garantir les droits fonciers des individus au sein des
communautés locales ;
3. Fixer les conditions d’accession à ces droits par les tiers, personnes
physiques ou morales ;
4. Organiser un système d’immatriculation des droits fonciers des
communautés locales et des droits fonciers des individus au sein des
communautés locales ;
5. Prévoir les modalités de contrôle local des opérations d’immatriculation ;
6. Instaurer les innovations institutionnelles et techniques de nature à faire
évoluer les systèmes fonciers traditionnels pour les mettre en harmonie
avec les nécessités du développement économique, social et politique du
pays.

Tout ceci doit se réaliser en tenant compte des évolutions en cours au niveau
global et régional et, en particulier, dans les systèmes fonciers coutumiers, à savoir : la
globalisation des marchés et la mondialisation des économies ; les dynamiques et
engagements internationaux et régionaux ; l’état de l’opinion nationale ; l’évolution
vers l’individualisation des tenures foncières coutumières ; la marchandisation de la
terre dans les milieux coutumiers ; la fétichisation des écrits en raison de la désuétude
des modes de preuve traditionnels des droits fonciers.

99
100
BIBLIOGRAPHIE

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XVIII, 1, p8-34.

104
Annexe

Appel à candidature

TERMES DE REFERENCE

Consultant pour l’analyse des structures/régimes coutumiers de la tenure


Titre du poste: foncière
Projet : Etude de référence sur la tenure en République démocratique du Congo
Positions 1
Entrée en fonction  : 25 janvier 2014
Durée: 28 jours
Date limite d’envoi de
candidature 15 janvier 2014

I. CONTEXTE

L’Initiative des Droits et des Ressources (Rights and Resources Initiative - RRI –en
anglais) est une coalition mondiale d’organisations qui œuvre pour encourager des
réformes au sein des politiques et des régimes fonciers et forestiers, ainsi qu’une
transformation de l’économie forestière afin que les affaires reflètent les programmes
de développement local et soutiennent les moyens d’existence locaux.

L’Etude de Référence sur la Tenure en République démocratique du Congo (ERT-


RDC), qui s’inscrit dans le processus de la réforme foncière, est un processus pour
renforcer les dynamiques émergentes dans les secteurs variés du domaine de la tenure.
Ces dynamiques présentent une opportunité pour avancer un agenda basé sur les droits
et en faveur des communautés et ménages ruraux dans les secteurs foncier et forestier.

Plusieurs initiatives abordant différents aspects d'une telle approche existent déjà, mais
elles restent isolées au sein de projets et sont dispersées dans distinctes régions du pays.

Une étude exhaustive visant à établir des contacts réguliers entre ces différents acteurs,
pourrait agir comme un catalyseur pour de meilleurs échanges, tout en établissant une
plate-forme commune de connaissances et de compréhension.

L’ERT se déroule dans un contexte de consultation extensive avec le gouvernement et


la société civile de la RDC pour s’assurer que le produit final soit utile et pertinent pour
informer les processus politique, juridique et réglementaire sur les changements
nécessaires et les options viables.

L'étude pourra informer le discours et appuyer la prise de décision dans les processus
en cours tels que :
a. Le processus de nouvelles réglementations forestières pour les concessions
communautaires et ceux du secteur agricole ;

105
b. L’implémentation d’une politique de REDD en faveur des communautés
forestières ;
c. Harmoniser le processus du zonage et l’aménagement du territoire avec les
réalités du terrain ;
d. La réforme foncière pour créer un cadre juridique plus équitable et pour
faciliter le développement économique de la RDC ;
e. L’amélioration de la gestion des aires protégées

II. OBJECTIFS

L’objectif des études provinciaux de l'ERT-RDC est de développer une évaluation


rigoureuse des droits des communautés et ménages dans le paysage actuel de la tenure
foncière et forestière. Plus spécifiquement, cela comprend :

i. Les problématiques institutionnelles, juridiques, techniques, opérationnelles qui


affectent la gestion de ressources naturelles en RDC
ii. Une base de référence pour mesurer le progrès à venir relatif à la reconnaissance des
droits fonciers locaux

Cette évaluation sera utilisée pour développer un outil pour la promotion d'une
approche plus axée sur les droits dans le domaine de la gestion foncière et forestière.

III. APPROCHE DE TRAVAIL

L’un des défis majeurs de cette étude est la nécessité d’établir une base de
connaissance qui soit capable d’identifier et de généraliser les tendances et modèles
‘nationaux’ tout en restant pertinente dans un contexte local, afin de fournir et suggérer
aux praticiens, acteurs gouvernementaux et activistes, des outils et interventions
précises qui soient bien adaptés à leurs objectifs.

Pour parvenir à un équilibre entre les perspectives locales et nationales, l’ERT utilise
une approche de ‘triangulation’ :

i. Recherches de terrain qualitatives provinciales à capitaliser par les institutions


provinciales et les Organisations de la société civile

ii. Analyses nationales menées par des experts sur les 5 thèmes suivants :
1. Structures juridiques et institutionnelles et la décentralisation de systèmes de
gestion de ressources naturelles
2. Les moyens de subsistance
3. Les opportunités pour le développement et les menaces émergentes
4. Les structures/régimes coutumiers de la tenure foncière
5. La cartographie participative, le zonage et la planification territoriale

IV. TACHES DU CONSULTANT

106
Le Consultant tout en exploitant à fond les expériences en vigueur dans l'est du pays il
devra de trouver des points d'ancrage susceptibles de faire l'objet d’alimenter la
reforme foncière en cours. Il répondra principalement à la question suivante : Comment
garantir/promouvoir/consolider les droits communautaires à la terre et aux terres
forestières?

Pour arriver au résultat susmentionné, le consultant devra :

 Identifier les moments historiques clés qui ont joué un rôle important dans les
institutions locales (coutumières) et les réalités en termes de gouvernance et
de gestion de la terre :
 La motivation, les opportunités (politiques, économiques, nouveaux
marchés)
 Les défis, les crises (politiques, économiques, démographiques)

 En utilisant les études existantes de l'étude de base sur la tenure


(provinciale)et d'autres documents, résumer les instruments juridiques qui
existent pour la reconnaissance et la garantie des droits fonciers des
communautés locales

 Faire un aperçu historique sur l’autorité de gestion, le mode de


gestion, la transformation (mutation) des us et coutumes en
distinguant les informations qui relèvent à celles de l’informelle
(coutumes ou pratiques) ;
 Les lois existantes sont-elles mises en pratique? Ressortir le
contexte de leur élaboration en termes d’implication des
communautés locales. Dans le cas où elles ne sont pas appliquées,
identifier les raisons.
 Identifier les droits reconnus en vertu de ces instruments.

 Analyser les rôles et responsabilités des autorités coutumières vis-à-vis de la


gouvernance de la terre tels que définis dans la législation congolaise

 Y a-t-il des lois ou des politiques qui sont contradictoires ou trop


vagues sur cette question?
 Y a-t-il des variations au niveau provincial dans la reconnaissance
juridique de l'autorité coutumière? Si oui, quelle est la source de cette
variation ?- De quelle manière ces variations sont-elles exprimées
dans la gestion de la terre et les forets?
 Y a-t-il des autorités coutumières qui ne sont pas reconnues par l'Etat
congolais ? Quel genre de rôle ces autorités jouent–elles dans la
gestion des ressources naturelles locales? Quel serait l’impact des
conflits coutumiers sur la gestion foncière ?
 Quelle opportunité les coutumes offrent pour la sécurisation des
droits de la femme et des peuples autochtones (pygmées) ?
 Par rapport aux mécanismes de gestion des conflits fonciers, analyser
le rôle de tribunaux coutumiers.

107
 En utilisant de la littérature existante, des études provinciales de référence, de
la consultation avec les organisations impliquées dans la cartographie
participative- illustrer la fonction en ce qui concerne la tenure foncière et
forestière des institutions coutumières

 Quelles sont les institutions coutumières qui détiennent le pouvoir


discrétionnaire de repartir la terre et les forêts au sein de la
communauté? Quel est le processus de décision ?
 Comment ces ressources naturelles sont reparties aux différents
membres de la communauté?
 Comment les droits aux ressources naturelles se chevauchent-ils?
 Quelles sont les limites au pouvoir coutumier?
 Comment les communautés perçoivent et reçoivent-elles les
étrangers qui souhaitent utiliser leurs ressources?
 Comment les communautés définissent-elles la base de l'autorité
légitime?
 Quel a été / est le rôle de tribunaux coutumier dans la gestion de
conflits fonciers et la sécurisation de la tenure de communautés
locales ?
 Les politiques et les lois actuelles reflètent-elles les réalités de ces
systèmes locaux? De quelle manière les politiques locales négligent-
elles les aspirations, les droits et les besoins des communautés
locales?

 Identifier les options politiques, opérationnelles et les mesures pour évaluer le


changement.

 Identifier les difficultés / obstacles liés à la reconnaissance des droits


coutumiers à la terre et aux ressources naturelles dans le contexte
congolais.
 Quels sont les options politiques, institutionnelles, juridiques
concrètes qui pourraient aider à surmonter ces obstacles?
 Y a-t-il des préjugés de la société civile et le gouvernement? Si oui,
comment sont-ils exprimés?
 Aux niveaux national, provincial et local, inventorier les instruments
juridiques ou initiatives qui ont influencé la sécurisation des droits
fonciers des communautés locales
 Quels sont les impacts prévisibles de la reconnaissance des droits
fonciers coutumiers sur le genre et les droits les peuples
autochtones ?

V. QUALIFICIATIONSDU CONSULTANT

 Avoir un Doctorat en économie rurale, agronomie, en droit, gestion foncière,


en aménagement du territoire, anthropologie, environnement, développement
rural, sociologie ou dans tout autre domaine pertinent.
 Connaissances approfondies des systèmes de gestion foncière en RD Congo et
des domaines connexes (environnement, mines, forets, politiques agricoles).

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 Expériences reconnues dans la recherche participative et analyses
approfondies dans le domaine foncier, minier, forestier, agricole… ;
 Au moins 10 ans d’expériences dans l’enseignement universitaire, supérieur
ou professionnelles dans le domaine foncier, le domaine de ressources
naturelles;
 Connaissance des processus de réformes foncières en cours au niveau national
et au sein des provinces en RDC ;
 Avoir un esprit critique, synthétique et une écriture excellente en français ;
 Avoir mené d’autre études pertinentes dans le domaine foncier et forestier ou
sur les ressources naturelles ;
 Etre capable de travailler sous pression, dans un environnement multiculturel
et parfois dans des conditions de confort minimal ;
 Maitrise de Word et Excel;
 Hormis le CV, le candidat enverra en annexe une de ses plus récentes écritures
(publications ou rapports de mission).

Les candidats intéressés sont priés d’envoyer leurs CV et une lettre de motivation à
l’adresse électronique ci-après : Christol Paluku Mastaki, Chef de Projet RDC :
christol.paluku@gmail.com et copie à : Alexandre Corriveau-Bourque, Tenure Analyst
– Global Programs : acorriveau@rightsandresources.org

Seuls les candidats retenus pour l’interview seront contactés.

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE.........................................................................................
I. CONTEXTE DE L’ETUDE.............................................................................................
II. METHODOLOGIE.........................................................................................................
III. SIGLES ET ABREVIATIONS ....................................................................................
IV. SOMMAIRE.................................................................................................................
Ière PARTIE : DROITS FONCIERS COUTUMIERS, EVOLUTION DES RAPPORTS
FONCIERS DE PRODUCTION ET CONFLITS FONCIERS RURAUX EN
REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO ............................................................
Chapitre I. Les droits fonciers coutumiers en République Démocratique du Congo..........
Section I. Les grandes aires culturelles et coutumières congolaises...................................
Section II. Les coutumes foncières traditionnelles..............................................................
§1. Les principes coutumiers en matière foncière...............................................................
§2. Les droits fonciers collectifs .........................................................................................
I. Les droits des groupements politiques : la souveraineté..................................................
II. Les droits des premiers occupants : la « suzeraineté »...................................................
III. La propriété collective des groupements familiaux.......................................................
§3. L’usage du sol par les individus....................................................................................
I. Les usages du domaine collectif.......................................................................................
II. Les droits individuels nés de l’usage du domaine collectif............................................
III. Les contrats fonciers coutumiers...................................................................................
IV. Les modes d’extinction des droits fonciers individuels sur le domaine collectif..........
§4. L’usage de la forêt, des rivières et des lacs et des fleuves par les individus.................
I. Cueillette et exploitation forestière..................................................................................
II. Le droit de chasse............................................................................................................
III. Le droit de pêche...........................................................................................................
Section III. Les autorités foncières coutumières..................................................................
§1. Les prérogatives des chefs politiques en matière foncière............................................
§2. Les pouvoirs fonciers des chefs de clan et/ou des chefs de terre...................................
§3. Les prérogatives des chefs de plaines chez les Lunda...................................................
§4. Les Pouvoirs fonciers des chefs de famille....................................................................
Section IV. Les modes traditionnels de règlement des conflits fonciers.............................
Chapitre II. Mutations foncières et évolution des rapports fonciers de production.............
Section I. Les facteurs de changement des systèmes fonciers coutumiers..........................
§1. Les transformations foncières provoquées par l’action coloniale.................................
I. La théorie des terres vacantes...........................................................................................
II. Sociétés concédantes, économie des plantations et constitution des parcs.....................
III. Regroupement des populations et glissement des groupes sociaux..............................
IV. La formation des circonscriptions administratives et la politique de centralisation.....
V. Les lotissements agricoles ou paysannats.......................................................................
VI. Circonscriptions urbaines, centres extra-coutumiers et cités indigènes........................
§2. Les transformations foncières provoquées par l’intervention du législateur post-
colonial................................................................................................................................
I. La théorie des biens abandonnés......................................................................................
II. Les plantations « zaïrianisées ».......................................................................................
III. La loi dite Bakajika et la loi du 31 décembre 1971.......................................................
IV. Suppression de la propriété privée du sol et domanialisation des terres des
communautés locales ..........................................................................................................

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Section II. Evolution des rapports fonciers et pratiques foncières nouvelles .....................
§1. Evolution des rapports fonciers ....................................................................................
I. Attitude des Chefs et notables vis-à-vis de la loi du 20 juillet 20173..............................
II. Les nouvelles élites et la loi du 20 juillet 1973...............................................................
III. Les paysans et la loi du 20 juillet 1973..........................................................................
§2. Les pratiques foncières locales en milieu rural : les tenures foncières sui generis........
I. Les autorités territoriales et la gestion des terres rurales..................................................
II. Les titres fonciers coutumiers.........................................................................................
III. Les transactions foncières avec les ayants-droit coutumiers : accord sur un
malentendu...........................................................................................................................
IV. Les lotissements sollicités par ou auprès des ayants-droit coutumiers..........................
V. Les « concessions » (ou tenures) funéraires ..................................................................
VI. Des pratiques administratives en marge de la loi : les nouveaux rapports entre
l’administration foncière et les ayants-droit coutumiers en matière d’enregistrement des
terres ...................................................................................................................................
VII. Les pratiques foncières dans les cités constituées sur des terres rurales
3. Cas de la Cité d’Aru (Province Orientale) ..................................................................
4. Cas de la Cité de Mahagi ............................................................................................
Chapitre III. Les conflits fonciers ruraux en République Démocratique du Congo............
Section I. Les conflits collectifs ..........................................................................................
§1. Les conflits intercommunautaires .................................................................................
I. Province de l’Equateur
II. Province Orientale : cas de l’Ituri...................................................................................
III. Province du Nord-Kivu.................................................................................................
IV. Province du Sud-Kivu : Le problème foncier dans les hauts plateaux d’Itombwe.......
1. Le cas Banyamulenge ..................................................................................................
2. Cas de la réserve de l’Itombwe....................................................................................
V. Province du Kasaï : les avatars du conflit Luba et Lulua...............................................
§2. Les conflits entre communautés et parcs nationaux......................................................
I. Cas du Parc National de Virunga (Nord-Kivu ................................................................
II. Cas du PNKB (Sud-Kivu) ..............................................................................................
III. Cas du Parc National de la Salonga et de la Réserve de Ntumba-Ledima (Equateur). .
§3. Les conflits entre communautés et concessionnaires ...................................................
Section II. Les conflits entre particuliers.............................................................................
IIème PARTIE : EVALUATION DE LA GESTION FONCIERE COUTUMIERE ET
DES MECANISMES DE PROTECTION DES DROITS FONCIERS COUTUMIERS
ET PERSPECTIVES POUR LA REFORME FONCIERE.................................................
Chapitre I. Evaluation de la gestion foncière coutumière et de la protection des droits
fonciers et forestiers des communautés locales...................................................................
Section I. Evaluation de la gestion foncière coutumière.....................................................
§1. Incohérence du cadre légal sur les droits fonciers coutumiers .....................................
§2. Ineffectivité relative des coutumes en matière foncière ...............................................
§3. Inefficacité de la gestion foncière par les chefs coutumiers..........................................
§4. De la gestion des conflits fonciers par les chefs coutumiers ........................................
I. Résistance vis-à-vis des Tribunaux de paix ....................................................................
II. Règlement des différends fonciers..................................................................................
Section II. Evaluation de la protection des droits fonciers et forestiers des communautés
locales .................................................................................................................................

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§1. La protection juridique générale des droits fonciers et forestiers des communautés
locales .................................................................................................................................
I. La protection constitutionnelle.........................................................................................
II. La protection légale.........................................................................................................
III. Protection juridictionnelle ............................................................................................
§2. Les initiatives des organisations de la Société civile.....................................................
I. RRN et la cartographie participative................................................................................
II. Les enquêtes parcellaires................................................................................................
Chapitre II. Perspectives pour la réforme foncière en République Démocratique du
Congo...................................................................................................................................
Section I. Retour sur le rapport de la commission pour l’étude du problème foncier au
Congo-Belge........................................................................................................................
§1. La question des terres et forêts indigènes face à la problématique des terres des
communautés locales...........................................................................................................
§2. Les entités minimales et la problématique de la reconnaissance des terroirs
villageois..............................................................................................................................
§3. Actualité des propositions des Prof. MALENGREAU et BYEBUCK.........................
Section II. Regard sur les propositions de l’Association Nationale des Autorités
Traditionnelles du Congo....................................................................................................
Section III. Proposition d’options en vue de l’élaboration d’une politique foncière et de
la réforme de la législation..................................................................................................
§1. Les fondements et les options de la loi du 20 juillet 1973 revisités..............................
§2. Les fictions du droit positif congolais relativement aux droits fonciers coutumiers....
§3. Heurs et malheurs du droit foncier congolais : le système Torrens à l’épreuve des
faits......................................................................................................................................
§4. Les pratiques administratives et initiatives des Organisations de la
Société Civile à intégrer dans la législation.........................................................................
CONCLUSION GENERALE.............................................................................................
BIBLIOGRAPHIE...............................................................................................................
TABLE DES MATIERES...................................................................................................
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