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Quaderni

Communication, technologies, pouvoir 


92 | Hiver 2016-2017
Les artistes à l'école : fin d'une illusion ou utopie en
devenir ?

L’évaluation des politiques d’éducation artistique


et culturelle, approche critique et prospective
Jean-Marc Lauret

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/quaderni/1042
DOI : 10.4000/quaderni.1042
ISSN : 2105-2956

Éditeur
Les éditions de la Maison des sciences de l’Homme

Édition imprimée
Date de publication : 5 mars 2017
Pagination : 85-95
 

Référence électronique
Jean-Marc Lauret, « L’évaluation des politiques d’éducation artistique et culturelle, approche critique et
prospective », Quaderni [En ligne], 92 | Hiver 2016-2017, mis en ligne le 05 mars 2019, consulté le 03
janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/quaderni/1042  ; DOI : 10.4000/quaderni.1042

Tous droits réservés


Dossier

L’évaluation La démarche évaluative se présente et est présen-


tée comme une réponse à une exigence démocra-

des politiques
tique qui devrait s’imposer à toutes les politiques
publiques1. Il convient non seulement de rendre
compte des modalités d’allocations de ressources

d’éducation (l’exigence élémentaire du contrôle) mais aussi


d’interroger les résultats obtenus au regard des
objectifs énoncés initialement (l’évaluation à

artistique et proprement parler). L’enjeu est particulièrement


important dans les politiques éducatives. Dans

culturelle,
un contexte économique et social où la capacité
à mobiliser des compétences constitue le prin-
cipal moteur du développement, une politique

approche éducative sera jugée sur sa capacité à permettre


aux enfants et aux jeunes d’acquérir l’aptitude à
apprendre de nouveaux savoirs et savoir-faire.

critique et C’est à l’aune de sa contribution à l’acquisition


de cette aptitude qu’est attendue l’éducation

prospective
artistique et culturelle, qui doit pouvoir justifier
que l’on renforce la place qui lui est accordée
dans les curriculums.

Une réelle prudence méthodologique serait né-


cessaire pour éviter que les recherches et la pré-
Jean-Marc sentation de leurs résultats soient orientées vers
des fins de légitimation des politiques menées,
Lauret loin de l’exigence de rigueur intellectuelle qui
devrait être la règle en la matière2. La façon dont
Inspecteur honoraire la problématique de l’évaluation a été invoquée
de la Création, des Enseignements jusqu’à présent dans domaine de l’éducation ar-
artistiques et de l’Action culturelle tistique et culturelle n’est pas exempte de ce type
au ministère de la Culture de dérive. On proposera donc ici quelques élé-
et de la communication ments de réflexion critique sur l’usage qui est fait
des démarches d’évaluation. Cela nous conduira
à mettre l’accent sur le traitement de la question
des relations entre enseignants et artistes comme
le principal obstacle à la réflexion sur les condi-
tions de mise en œuvre d’une politique publique

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d’éducation artistique et culturelle s’adressant au de la discipline artistique concernée. Cette dis-
plus grand nombre. Dans un second temps, nous tinction se fonde sur une conception implicite
analyserons les différents chantiers de recherches des rapports cognitifs et sensibles au monde,
en cours ou à réaliser dans ce domaine. segmentée en plusieurs domaines étanches, que
l’on retrouve dans l’organisation des cursus
Les pratiques d’évaluation en question scolaires par entrée disciplinaire. Ainsi conçue,
cette organisation des champs du savoir amène
En théorie, la définition des objectifs d’une poli- à poser la question de l’utilité des disciplines
tique, quel que soit le domaine concerné, précède artistiques en ces termes  : en quoi les com-
la démarche évaluative : on évalue les résultats pétences acquises dans un domaine artistique
d’une politique et on construit les indicateurs sont-elles transférables dans d’autres domaines
rendant possible cette évaluation sur la base de connaissance ? Ou, plus trivialement, en quoi
d’objectifs préalablement définis. Cette logique l’éducation artistique et culturelle contribue-t-elle
élémentaire est parfois contredite par l’obser- à être meilleur en français et en mathématiques ?
vation de l’usage qui est fait des indicateurs et Bien évidemment, la réciproque n’est jamais
des effets rétroactifs que cet usage peut avoir interrogée. Les risques de l’instrumentalisation
sur le contenu des politiques. Il convient donc ne sont pas loin, impactant rétroactivement la
d’interroger à la fois les objectifs énoncés et les conception même de l’éducation artistique, qui
processus d’évaluation élaborés, pour aborder peut se voir réduite au statut de vecteur d’appren-
en dernier lieu la question de la prise en compte tissages prioritaires (le théâtre pour apprendre les
des conditions de la relation entre artistes inter- langues ou améliorer les performances de l’élève
venants et enseignants. à l’oral, par exemple). Cette segmentation entre
effets extrinsèques et intrinsèques peut produire
La question des objectifs et des finalités de l’édu- l’effet inverse de celui recherché : si l’éducation
cation artistique et culturelle artistique et culturelle a pour principale finalité
de permettre aux enfants d’être meilleurs dans
La plupart des travaux sur l’évaluation en matière les disciplines dites fondamentales, mieux vaut
d’éducation artistique et culturelle s’appuie sur « mettre le paquet » sur ces disciplines et ne pas
une distinction entre des effets désignés comme s’embarrasser de ces détours coûteux en temps
extrinsèques et d’autres qualifiés d’intrinsèques : et en argent. Tout au plus pourrait-on justifier
les premiers seraient ceux observés dans d’autres l’investissement en la matière par l’impact qu’il
champs de connaissance (les mathématiques, la peut avoir pour redonner une motivation à des
maîtrise de la langue à l’écrit comme à l’oral, ce élèves en situation d’échec.
que les Anglo-Saxons appellent la literacy) ou
sur les comportements (le rapport à l’école, la De surcroît, en éducation, la détermination des
relation entre enseignants et élèves), voire sur critères objectifs évaluant l’efficacité d’une mé-
la personnalité (l’estime de soi)  ; les seconds thode ou d’un dispositif pédagogique est très lar-
seraient les compétences acquises au sein même gement dépendante des finalités censées orienter

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l’action, autrement dit des valeurs sous-jacentes lisation d’actions qualifiées d’exemplaires, qui,
aux différentes conceptions de l’éducation ar- expérimentées en un premier temps sur de petits
tistique et culturelle. Ces finalités peuvent être effectifs, ont fait la preuve de leur efficacité. Le
de nature très diverses : transmettre un héritage modèle implicite de référence s’apparente aux
culturel, apprendre à se conformer à des mo- méthodes employées dans l’industrie pharma-
dèles académiques, développer la « créativité », ceutique  ! La «  généralisation  » procède de la
former l’esprit critique, éduquer à la liberté et à même démarche que l’autorisation donnée à la
l’exercice de la citoyenneté, ouvrir à la diversité commercialisation d’un médicament lorsqu’elle
culturelle et au dialogue interculturel, encourager vient sanctionner les résultats positifs observés
à la compétition individuelle ou à la coopération pendant la phase expérimentale sur un panel de
et à la solidarité entre pairs, sélectionner les fu- patients volontaires. Le contenu de la dynamique
turs artistes, ceux que la nature a dotés de dons de la « généralisation » elle-même est repérable
artistiques, ou s’adresser à la totalité des enfants par un usage métaphorique de concepts emprun-
et des jeunes3. On devrait donc s’interroger sys- tés à d’autres champs épistémiques. Les actions
tématiquement sur les valeurs que l’on souhaite exemplaires sont censées faire « tache d’huile »
promouvoir par le vecteur de l’éducation artis- (physique des fluides), se diffuser par « capilla-
tique et culturelle et les dispositifs de formation rité » ou par « contagion » (biologie), procéder
les mieux à même de favoriser l’acquisition des par « irrigation » (agronomie) ou constituer les
compétences auxquelles nous souhaitons former « leviers » ou les « points d’appui » susceptibles
les enfants et les jeunes. Mais ces questions sont d’enclencher des dynamiques sur de larges
rarement au centre des processus aujourd’hui en échelles (physique mécanique). L’emploi de
œuvre et dans les indicateurs employés. ces métaphores fonctionne comme un obstacle
épistémologique, au sens où Bachelard a défini
Les processus d’évaluation et les indicateurs ce concept4, bloquant la réflexion sur les condi-
tions de mise en œuvre d’une politique visant à
Quelques travaux d’évaluation de politiques concerner la totalité de la population.
publiques en matière d’éducation artistique et
culturelle ont pu être menés localement. Ils sont Cette vision débouche finalement sur le recours
cependant rares et l’invocation des résultats des à des outils d’évaluation purement quantitatifs.
évaluations des effets d’actions d’éducation artis- L’indicateur de performance du programme de
tique et culturelle sur des petits groupes d’élèves la «  mission culture  », support de la politique
tient souvent lieu d’évaluation des politiques d’éducation artistique et culturelle du ministère
publiques sur le plan national. Une confusion de la Culture et de la Communication, est ainsi
s’opère souvent entre les observations d’actions formulé : la part des enfants et des jeunes d’âge
expérimentales et l’évaluation des politiques scolaire ayant bénéficié d’une action éducative
publiques, qui se base sur une conception im- d’une structure subventionnée par le ministère de
plicite qu’il est indispensable d’interroger. Les la Culture et de la Communication. Cet indicateur
politiques publiques procéderaient par généra- est à la fois non pertinent (il ne s’agit pas d’un

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indicateur de performance du ministère puisque question essentielle du contenu et des modalités
bien d’autres acteurs interviennent dans ce de réalisation des actions6.
champ) et non fiable (renseigné avec une rigueur
méthodologique pour le moins défaillante). Au L’absence de prise en compte des conditions de
début des années 2000, quand la loi organique la rencontre entre enseignants et artistes
relative aux lois de finances (LOLF) est entrée
en vigueur, le service du ministère de la Culture Une réflexion sur les conditions d’élaboration
chargé de l’éducation artistique et culturelle d’une politique à la fois respectueuse du principe
avait proposé un autre indicateur, qui aurait été fondateur de l’école républicaine – l’égalité – et
établi à partir d’un sondage auprès d’un échan- exigeante quant à la qualité de l’offre proposée
tillon représentatif des institutions culturelles doit interroger le paradigme fondateur des poli-
subventionnées par le ministère afin de mesurer tiques d’éducation artistique et culturelle depuis
leur niveau d’intervention en milieu scolaire les années 1980. Ce paradigme peut être défini et
(nombre d’heures d’interventions rapporté au résumé de la façon suivante : ce qui, dans l’acte de
nombre d’élèves concernés). Cet indicateur aurait transmission est irréductible à un enseignement,
permis d’éviter, au moins partiellement, l’effet à savoir l’initiation aux démarches de la création
pervers engendré par l’indicateur finalement artistique et la découverte de l’expérience esthé-
imposé par Bercy qui encourage les services tique, rend nécessaire la mise en place de dispo-
concernés à sacrifier les dispositifs traditionnels sitifs de coopération entre les enseignants, seuls
(options artistiques au lycée, ateliers artistiques, en situation de responsabilité pédagogique, et des
classes culturelles, par exemple), qui ne peuvent artistes « en démarche de création », à qui aucune
concerner qu’un petit nombre d’élèves, à une compétence pédagogique n’est demandée. Sont
politique de sensibilisation qui, touchant le plus ainsi clairement réparties les responsabilités entre
grand nombre, conduit à une baisse de la qualité experts en pédagogie et experts dans un domaine
des actions engagées sur le terrain5. Le renseigne- artistique. Chacun se voit ainsi conforté dans son
ment de l’indicateur n’est plus un élément d’un identité professionnelle et valorisé par la présence
dispositif d’évaluation et qui exige d’être inter- d’un partenaire. En revanche, la reconnaissance
prété : il devient l’objectif lui-même. Il devient que la coopération avec des artistes enrichit les
alors inutile, voire non souhaitable, d’engager compétences des enseignants signerait les limites
la réflexion sur les conditions à respecter pour de ce schéma. Réciproquement, admettre que les
que le programme d’actions à évaluer atteigne artistes ne peuvent intervenir auprès de publics
les objectifs qui lui ont été assignés, dans leurs d’enfants ou d’adolescents sans avoir acquis
dimensions tout à la fois quantitatives et quali- quelques compétences pédagogiques pourrait
tatives. L’essentiel est de répondre aux attentes «  brouiller  » l’image de l’intervenant. Inter-
supposées des commanditaires des évaluations vient-il en artiste, en pédagogue d’une discipline
en fournissant des statistiques à la hausse. La artistique, en artiste pédagogue ? Ce paradigme
démarche évaluative se dégrade alors en culture a fonctionné comme un discours de légitimation
du chiffre, sans prendre réellement en compte la du partenariat soucieux de prévenir les risques

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de substitution des intervenants extérieurs aux tistes, formations qui ont complètement disparu
enseignants. Les uns et les autres exercent des des plans académiques et départementaux de
métiers différents, et on ne court aucun risque que formation des enseignants. Cette orientation
l’un (l’artiste) se substitue à l’autre (l’enseignant) nouvelle doit se traduire par un repositionnement
pour dispenser un enseignement que l’enseignant de l’artiste en milieu scolaire. Intervenant direct
ne pourrait assurer en raison des limites de son auprès des enfants, il doit continuer à l’être pour
champ de compétences. les initier aux démarches de la création artistique.
Personne-ressource à l’échelle d’un établissement
Il n’est certes pas question de nier l’apport spé- scolaire, il doit le devenir afin de permettre à un
cifique de la rencontre avec des artistes dans les nombre croissant d’enseignants d’enrichir leurs
programmes d’éducation artistique, mais cela compétences.
suppose l’instauration d’une meilleure circulation
des artistes dans les établissements scolaires et De nouvelles perspectives de recherche
la reconnaissance des transferts réciproques de
compétences rendus possibles par la coopéra- L’Art fait-il grandir l’enfant  ?7 présente un
tion entre enseignants et artistes. L’enseignant échantillon représentatif des nombreuses re-
gagne en compétences artistiques à travailler cherches déjà conduites pour étudier l’impact
régulièrement avec un artiste. L’artiste doit être des actions d’éducation artistique et culturelle
aussi un pédagogue ou apprendre à le devenir. sur les pratiques ultérieures de fréquentation des
Ainsi sont créées les conditions permettant aux institutions culturelles, le développement cognitif
enseignants de gagner en autonomie, afin que de et personnel des enfants, ainsi que sur leurs com-
nouveaux enseignants puissent bénéficier, à leur pétences sociales et citoyennes8. Les résultats les
tour, du concours d’un artiste, et aux artistes de plus encourageants s’observent chez les enfants
se préparer à coopérer avec de nouveaux ensei- qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui
gnants au-delà du cercle restreint des militants de appartiennent à des familles défavorisées, témoi-
l’éducation artistique et culturelle. gnant ainsi du rôle que l’éducation artistique et
culturelle peut avoir pour réduire les inégalités.
Ces transferts réciproques de compétence n’ont Un regard critique sur les démarches d’évaluation
jamais été observés ni même supposés, tant les jusqu’alors engagées montre la nécessité d’ouvrir
reconnaître aurait risqué de remettre en cause le de nouveaux chantiers non seulement dans le
caractère dogmatique du paradigme fondateur domaine des sciences de l’éducation, mais aussi
du partenariat. Ils n’ont donc jamais fait l’objet dans ceux des neurosciences, des sciences poli-
d’aucun accompagnement en terme de formation. tiques et de la sociologie des publics.
L’enjeu est ici capital. La synthèse d’une exi-
gence de qualité et d’un principe d’égalité passe En sciences de l’éducation
par la nécessité d’accompagner ces transferts de
compétences, de les renforcer lors de formations Dans ce domaine très large, plusieurs orientations
conjointes ou croisées entre enseignants et ar- de recherche sont prioritaires : l’étude des trans-

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ferts de compétences entre artistes et enseignants d’enfants et d’adolescents, au profit d’actions de
peut aller de pair avec une réflexion plus générale sensibilisation conduites sur une large échelle, il
sur les modalités possibles d’appréciation des est indispensable de préciser ce qu’on doit pou-
compétences développées par les élèves et les voir attendre d’un projet d’éducation artistique et
conditions de leur acquisition, tenant compte des culturelle. Entre les deux extrêmes – d’un côté,
apports possibles des technologies numériques. une sortie scolaire au musée, au théâtre ou au
cinéma, de l’autre, des actions inscrites dans la
La réinterprétation du paradigme fondateur du durée, intégrant la rencontre régulière avec des
partenariat mérite d’être accompagnée par un pro- œuvres et des artistes, l’initiation à des pratiques
gramme de recherches en sciences de l’éducation artistiques dans le cadre d’ateliers se déroulant
visant à observer la façon dont la coopération ré- tout au long de l’année scolaire, la découverte des
gulière d’un enseignant et d’un artiste modifie les patrimoines et un enseignement pluridisciplinaire
compétences de l’un et de l’autre : il s’agit bien ici de l’histoire des arts –, l’échelle des possibles est
de préciser les conditions favorables à l’enrichis- très large. Où doit-on placer le curseur établissant
sement des compétences de l’enseignant, dans le les conditions à respecter pour qu’un projet relève
cadre d’une coopération avec un artiste, pour le de l’éducation artistique et culturelle et non d’un
conduire ensuite à prendre partiellement le relais simple divertissement (une sortie au cinéma, au
de l’artiste et permettre à d’autres enseignants de théâtre) ? Les textes de cadrage politiques énon-
bénéficier à leur tour du concours d’un artiste. cent plusieurs critères : le respect d’un équilibre
entre la relation directe aux œuvres, l’initiation
Plus généralement, la recherche en sciences de à une pratique artistique, l’analyse des œuvres,
l’éducation pourrait servir de socle à l’élaboration c’est-à-dire la dimension culturelle de l’éducation
des référentiels de formation et de certification artistique, l’élaboration de projets d’établisse-
des compétences à acquérir par les enfants et les ment impliquant, au-delà des seuls enseignants
adolescents lors d’actions d’éducation artistique volontaires, l’ensemble de la communauté édu-
et culturelle. S’il est vrai que les programmes cative à commencer par le chef d’établissement,
d’éducation artistique et culturelle permettent à le partenariat dans la durée entre établissements
leurs bénéficiaires d’acquérir des compétences, scolaires et institutions culturelles, enseignants
ces acquisitions pourraient être soumises à éva- et artistes, la nécessité de dépasser le caractère
luation : par exemple, mobiliser la sensibilité dans ponctuel des moments consacrés à l’éducation
les tâches de résolution de problèmes, adopter artistique en les intégrant dans des parcours
plusieurs points de vue dans une situation donnée, intégrant temps scolaire, péri- et extrascolaire,
maîtriser ses émotions, coopérer avec ses pairs, et cela pendant toute la scolarité de l’élève voire
faire preuve d’originalité et s’exprimer par un au-delà. Ces grands axes constituent la « culture
langage artistique. À l’heure où les contraintes commune  » des deux administrations de la
budgétaires9, conjuguées à la culture du chiffre, Culture et de l’Éducation nationale mais sont in-
pourraient conduire à sacrifier des actions de qua- suffisamment étayés par la recherche en sciences
lité, mais qui ne concernent qu’un petit nombre de l’éducation. La commande pourrait être ainsi

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formulée : quelles sont les conditions à respecter pris la mesure de ces changements, se limitant
pour constituer un programme d’éducation artis- à utiliser le numérique comme un nouvel outil
tique et culturelle efficace au regard des objectifs de communication avec leur public (diffusion
qui lui sont assignés, c’est-à-dire répondant à la d’informations sur les programmes, mise en ligne
fois à l’exigence de laisser des traces dans les de collections patrimoniales numérisées, parfois
consciences et au souci de l’égalité ? éditorialisées sous la forme d’outils pédagogiques
destinées aux enseignants, très rarement en direc-
Dernière dimension importante à développer  : tion des jeunes publics).
la recherche doit contribuer à aider les autorités
politiques et administratives à repenser les poli- Comment inverser le point de vue ? Comment
tiques publiques d’éducation artistique et cultu- partir, non pas du point de vue de l’institution qui
relle, en tenant compte de l’évolution du contexte s’adresse à son public par le Web, mais de celui
dans lequel ces politiques s’inscrivent et, en parti- des enfants ou adolescents qui ont recours aux
culier ici, l’évolution des pratiques culturelles des ressources numériques ? On peut bien sûr dénier
enfants et des adolescents. Internet est devenu un tout intérêt à cette question, déclarer qu’elle doit
vecteur d’accès à la culture essentiel, bien avant rester étrangère à la réflexion des pouvoirs publics
la fréquentation des institutions culturelles. Or et des acteurs de l’éducation et de la médiation au
cet accès s’opère parfois dans la solitude de la nom de la priorité que constitue la fréquentation
chambre de l’enfant ou de l’adolescent, sans la des institutions culturelles. Ce serait cependant
présence d’adultes médiateurs. Une telle trans- confondre la nécessité de prendre en compte les
formation du paysage culturel interroge deux des pratiques culturelles de celles et ceux envers
principes fondateurs des politiques d’éducation lesquels nous avons une responsabilité éducative,
artistique et culturelle. Sont d’abord remises en avec l’encouragement des jeunes au repli sur soi.
cause les modalités traditionnelles de la trans-
mission de la culture, où les contenus sont définis Dans les neurosciences
par des autorités scientifiques, académiques ou
artistiques légitimes, puis transmis au public Les actions d’éducation artistique soulignent les
par la médiation des parents et des institutions interactions entre pratique et rencontre avec les
dédiées (établissements scolaires, institutions œuvres, entre production et perception. Elles re-
culturelles, médias). Sur le Web, chacun est tour posent sur l’hypothèse, étayée par de nombreux
à tour émetteur et récepteur de contenus, et les témoignages empiriques, selon laquelle on ne
moteurs de recherche constituent les seuls outils regarde ou n’écoute pas des œuvres de la même
de médiation vers les contenus de la toile. Par voie façon selon qu’on est ou non engagé dans une
de conséquence, le paradigme de la démocratisa- pratique artistique, de la même façon qu’on ne
tion culturelle sous l’égide duquel les politiques pratique pas un art de la même façon selon qu’on
publiques de la culture ont été conduites depuis fréquente ou non des œuvres. Ces observations
des décennies s’en trouve fortement ébranlé. peuvent-elles être étayées par l’observation des
La plupart des institutions culturelles n’ont pas processus cérébraux à l’œuvre dans la pratique

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et la fréquentation des œuvres ? Dans la mesure France. Aux États-Unis, les travaux de recherche
où l’on sait, depuis la mise en évidence des neu- conduits dans les années 1990 et 2000 ont abouti
rones miroirs10, que l’observation passive et la à construire un argumentaire en réponse à la
pratique d’une activité activent les mêmes zones diminution des crédits publics consacrés à l’édu-
du cerveau, l’étude des effets de la pratique d’un cation artistique. Cela n’a pas suffi à renverser la
art sur les processus cérébraux à l’œuvre dans tendance. En dépit de la publication de ces argu-
l’observation ou l’écoute passive des œuvres, mentaires et de l’introduction formelle par la loi
et réciproquement, pourrait être précieuse pour fédérale sur l’éducation de l’éducation artistique
penser l’articulation entre la rencontre avec les parmi les dix matières constituant le tronc com-
œuvres et la pratique. Les recherches pourraient mun des programmes scolaires (core subjects),
alors s’atteler à déterminer s’il existe une période sa place dans les établissements scolaires aurait
du développement de l’enfant particulièrement encore diminué depuis l’adoption, en 2002, du
sensible à l’acquisition des processus psychiques programme No Child Left Behind Act. Ce constat
impliqués dans les pratiques artistiques comme est stipulé dans un rapport publié en mai 2011
dans les perceptions. Plusieurs investigations par le Comité présidentiel pour les arts et les
marquantes conduites dans ce domaine ouvrent humanités, présidé par Michelle Obama, sous le
des perspectives intéressantes  : les dispositifs titre Reinvesting in Arts Education, Winning Ame-
Ateliers de la création11 du Centre Pompidou et rica’s Future Trough Creative Schools, plaidoyer
Chaillot nomade au Louvre12 expérimentent de fa- en faveur du rôle que l’éducation artistique doit
çon empirique l’apport des correspondances entre pouvoir jouer dans la « transformation des écoles
approches sensorielles différentes à l’expérience américaines, le développement de la créativité et
esthétique ; des recherches-actions réalisées avec la construction de la société de la connaissance et
des handicapés sensoriels pourraient aussi être de l’innovation ». Trois ans plus tard, la situation
particulièrement fécondes pour comprendre, n’a guère évolué. En avril 2014, le même Comité
pour ce public, les modalités d’appropriation des présidentiel pour les arts et les humanités publie le
œuvres censées solliciter surtout celui des sens bilan intermédiaire du programme expérimental
qui domine dans le processus d’appropriation Turnaround Arts Initiative mis en œuvre dans un
des œuvres (l’ouïe pour la musique, la vue pour contexte national : en dépit des preuves de l’im-
les arts visuels, la sensibilité kinesthésique pour pact positif à court et long terme de l’éducation
la danse). aux arts chez les élèves, en particulier les plus
jeunes et les plus défavorisés, les programmes
En sciences politiques et en sociologie des publics d’éducation artistique demeurent inégalement
répartis sur l’ensemble du territoire américain.
Jusqu’à présent, les processus en jeu dans la
réception des résultats de la recherche par les En France, la situation n’est guère différente.
décideurs et l’appropriation des directives adres- Nous sommes soumis à l’injonction de prouver
sées aux acteurs de terrain par les décideurs (lois, les bienfaits de l’éducation artistique et culturelle,
textes réglementaires) n’ont pas été étudiés en et les réponses apportées alimentent le discours

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des autorités politiques. Mais le gouffre entre les des populations en leur avenir, ou encore sur
intentions affichées et la réalité des politiques le niveau de développement économique de
mises en œuvre ne s’est guère comblé. Tout se la société, l’évolution de la demande sociale
passe comme si les recherches ne parvenaient concernant la place de l’éducation artistique et
qu’à conforter les convaincus dans leurs convic- culturelle dans la formation des enfants mériterait
tions. L’évaluation de l’impact que peuvent avoir une étude approfondie. L’évolution de la demande
des travaux d’évaluation des politiques publiques en matière de formations artistiques périscolaires,
sur les décisions est en soi un sujet de recherche l’évolution de la place des pratiques artistiques
et déborde d’ailleurs le seul champ de l’éducation amateurs dans le paysage culturel et l’évolution
artistique et culturelle. des pratiques culturelles des populations doivent
pouvoir être reliées aux politiques d’éducation
La recherche en matière d’évaluation des poli- artistique et culturelle.
tiques publiques devrait également s’interroger
sur l’usage qui est fait des textes censés définir Pour conclure, il convient de rappeler que la
les objectifs des politiques à conduire. Force est première vertu des démarches d’évaluation est
de reconnaître que l’invocation de ces textes d’inviter les décideurs et les maîtres d’œuvre des
sert souvent d’obstacle à la réflexion sur les projets à interroger les objectifs des politiques
conditions de réception des politiques par les mises en œuvre et l’adéquation des moyens déga-
populations qu’elles ciblent. Dans bien des do- gés au service de ces actions et de ces politiques.
maines de l’action publique, les questions posées L’observation de la réalisation des actions sur
sont réputées avoir été traitées par la magie de le terrain montre que la définition des objectifs
la publication de textes (circulaire, et si la cir- poursuivis ne s’effectue pas seulement avant le
culaire ne suffit pas, arrêté puis décret et in fine démarrage des projets, elle constitue un proces-
projet de loi), sans que soit posée la question des sus continu, accompagnant le déroulement des
dispositions à prendre pour faire en sorte que programmes d’éducation artistique et culturelle.
les acteurs concernés s’en emparent. Les ensei- De la même façon, le traitement de la question
gnants, pas plus que les artistes et professionnels de l’adéquation des stratégies et des moyens aux
de la culture, ne sont de simples exécutants des objectifs, s’il constitue logiquement un préalable
politiques définies nationalement ou localement. à l’engagement dans l’action, est constamment à
La façon dont les institutions, relais potentiels de redéfinir et recadrer durant la phase d’élaboration
cette politique, et les acteurs s’approprient ou non des projets. En ce sens, la démarche évaluative
des textes de cadrage des politiques devrait donc doit être promue comme une dimension consti-
constituer un volet obligatoire des démarches tutive des politiques à mettre en œuvre à chacune
d’évaluation. des étapes de son exécution et non un exercice
que les décideurs imposeraient aux acteurs de
S’il est illusoire d’imaginer évaluer l’impact terrain  : elle ne doit pas être réduite au statut
de politiques publiques en matière d’éducation d’élément clé d’une politique de communication.
artistique et culturelle sur le niveau de confiance

QUADERNI N°92 - HIVER 2016-2017 EVALUATION DES POLITIQUES D’EDUCATION... .93


N .
O .
T .
E .
S 6. Pour une réflexion critique sur la définition des indi-
cateurs statistiques et son effet sur les choix politiques,
lire notamment  : Isabelle Bruno, Emmanuel Didier,
1. Avec l’adoption de la loi organique sur les lois de Julien Prévieux, Statactivisme. Comment lutter avec
finance (Lolf) le 1er août 2001 et sa mise en application les nombres, Paris, La Découverte, 2014.
à l’administration au 1er janvier 2006, cette exigence 7. Jean-Marc Lauret, op. cit.
s’est renforcée, Voir Forest Frédéric, « "L’entreprise 8. Les résultats de recherches menées sur ce sujet dans
État" et les discours sur la réforme des lois de fi- sept universités américaines sont présentés in Michael
nances  », Quaderni, n° 53, Hiver 2003-2004, pp.13-20. Gazzaniga, Learning, Arts, and the Brain, New York,
2. Voir notamment à ce sujet Jean-Marc Lauret, L’Art The Dana Foundation, 2008.
fait-il grandir l’enfant, Toulouse, Éditions de l’Attri- 9. Certes, le budget consacré par le ministère de la
but, 2014. Culture et de la Communication à l’éducation artis-
3. On peut se référer ici à John Dewey, L’Art comme tique et culturelle a augmenté au cours du quinquennat
expérience (1934, trad. fr. Paris, Gallimard, Folio, (29,32 M€ en 2012, 42,41 M€ en 2015 et 45,5 M€ au
2010), qui met en lumière les apport des expériences projet de loi de finances [PLF] 2016), et le PLF 2017
artistiques sur la relation au monde, aux autres et à annonce une nouvelle augmentation à 64  M€, qui
soi-même. sera confortée ou remise en cause selon le résultat des
4. Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scien- élections présidentielles 2017. Mais, durant la période
tifique, Paris, Vrin, 1938. 2012-2016, cette augmentation été financée par le
5. Dans l’indicateur finalement adopté, trente heures redéploiement de crédits jusqu’alors consacrés à la po-
d’intervention d’un artiste dans un atelier de vingt litique des publics et aux conservatoires. Globalement,
élèves ont le même poids que deux heures de presta- l’effort global du ministère de la Culture en faveur de
tion d’un artiste devant trois cents élèves. De surcroît, l’éducation artistique et culturelle, des enseignements
l’indicateur ne devrait pas se présenter comme un indi- spécialisés et de la politique des publics (crédits
cateur de la performance des seuls services de l’État, d’intervention) restera en 2017 inférieur aux budgets
puisque son action s’inscrit toujours dans un cadre des années 2010 et 2011. Quant aux financements ap-
partenarial avec les collectivités locales. Le nombre portés par le ministère de l’Éducation nationale, nous
d’enfants et de jeunes d’âge scolaire bénéficiaires ne disposons d’aucun outil pour les évaluer. On peut
d’une action éducative d’une structure subventionnée néanmoins affirmer qu’ils sont très inférieurs à ceux
par le ministère de la Culture est ainsi affiché en très des années 2000-2002, à l’époque où Jack Lang était
forte augmentation dans les rapports annuels de per- ministre de l’Éducation nationale.
formance de la mission culture : 2,2 millions en 2010, 10. Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, Les Neu-
3,9  millions en 2014. Mais cela correspond à une rones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2008.
dépense par élève de 14,40 euros en 2010 contre 9,80 11. http://www.ateliers-creation.centrepompidou.fr
euros en 2014, alors qu’on estime que le coût plancher 12. http://theatre-chaillot.fr/lart-detre-spectateur/
d’une action d’éducation artistique et culturelle devrait chaillot-nomade
s’élever à environ 100 euros par élève et par an, pour
en assurer la fécondité.

94 . EVALUATION DES POLITIQUES D’EDUCATION... QUADERNI N°92 - HIVER 2016-2017


R .
É .
S .
U .
M .
É previously benefitted only a minority of pupils. All of
this combines to prevent serious reflection about the
pre-requisite conditions essential in devising a com-
Les évaluations des politiques publiques sont censées prehensive policy inclusive of the whole population.
servir à vérifier l’adéquation des stratégies et des
moyens mis en œuvre aux objectifs préalablement
définis. L’article interroge cette vision naïve et insiste
sur l’impact du choix des outils d’évaluation sur le
contenu de la politique conduite par le ministère de la
Culture et de la Communication en matière d’éducation
artistique et culturelle. La distinction entre les effets
intrinsèques et extrinsèques générés par des actions
d’éducation artistique et culturelle, l’indicateur des-
tiné à mesurer la performance du ministère dans ce
domaine, ainsi que les métaphores employées pour
rendre compte d’une politique visant à la « généra-
lisation » d’actions jusqu’alors menées auprès d’une
minorité d’élèves en modèlent en profondeur l’orien-
tation. L’effet induit est de bloquer la réflexion sur les
conditions de l’élaboration d’une politique visant à
concerner la totalité de la population.

Abstract
In theory, evaluations of public policies are supposed
to check that the strategies and means adopted are the
right ones required to attain the objectives that have
previously been set. This article calls this rather naïve
view into question and stresses the impact that the
choice of tools used in evaluation has on the content
of the policy pursued by the Ministry of Culture and
Communication in the area of artistic and cultural
education. Various factors are highly influential in
shaping a biased conclusion: these include the distinc-
tion between intrinsic and extrinsic results produced
by action in favour of artistic and cultural education,
the yardstick selected to measure the Ministry’s perfor-
mance in this field, and also the metaphors employed to
describe a policy aimed at “generalising” action which

QUADERNI N°92 - HIVER 2016-2017 EVALUATION DES POLITIQUES D’EDUCATION... .95

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