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Platon et Aristote discutant. Détail d'un bas-relief de della Robbia (XVe siècle, Florence,
Italie).
Elle est ainsi devenue, en particulier à travers son assimilation par le Moyen Âge, une
technique classique de raisonnement, qui procède en général par la mise en parallèle d'une
thèse et de son antithèse, et qui tente de dépasser la contradiction qui en résulte au niveau
d'une synthèse finale. Cette forme de raisonnement trouve son expression dans le réputé
« plan dialectique » dont la structure est « thèse-antithèse-synthèse » : je pose (thèse), j'oppose
(antithèse) et je compose (synthèse) ou dépasse l'opposition.
Chez Hegel la dialectique devient, non plus une méthode de raisonnement, mais le
mouvement même de l'esprit dans sa relation à l'être : elle est alors conçue comme le moteur
interne des choses, qui évoluent par négation et réconciliation. Mais là où la dialectique
hégélienne était essentiellement idéaliste, elle concerne au contraire le mouvement de la
matière chez Marx, qui fait des contradictions socio-économiques le moteur de l'histoire. La
plupart des disciples de Hegel, dont Feuerbach, Marx, l'École de Francfort, Sartre, ou encore
le poète Breton, donneront leur propre version de la dialectique comme mouvement de la
réalité.
Sommaire
1 Histoire
o 1.1 La dialectique dans l'Antiquité
1.1.1 Chez les présocratiques
1.1.2 Chez Socrate
1.1.3 Chez Platon
1.1.4 Chez Aristote
1.1.5 Chez Théophraste
1.1.6 Chez les stoïciens
o 1.2 La dialectique dans la philosophie médiévale
1.2.1 Le haut Moyen Âge
1.2.2 Le bas Moyen Âge
o 1.3 La dialectique dans la philosophie moderne
1.3.1 La dialectique chez Hegel
1.3.2 La dialectique chez Karl Marx
2 La dialectique éristique
3 La dialectique contemporaine et la science
4 Notes et références
5 Voir aussi
o 5.1 Articles connexes
o 5.2 Liens externes
o 5.3 Bibliographie
Histoire
La dialectique dans l'Antiquité
En Grèce antique, on trouve ses premières traces chez les penseurs présocratiques : d'abord
dans la pensée sur l'un et le multiple développée par Parménide au Ve siècle av. J.-C., et
poursuivie par son élève Zénon d'Élée dans ses célèbres paradoxes (ce dernier étant tenu par
Aristote pour l'inventeur de la dialectique3).
Chez Socrate
Socrate discutant avec ses amis le jour de sa mort (détail du tableau de Jacques-Louis David,
La mort de Socrate, 1787).
On peut voir l'une des sources majeures de la dialectique dans la méthode de dialogue oral
pratiquée par Socrate. Fils d'une sage-femme, Socrate revendique et applique à plusieurs
reprises (dans les dialogues de Platon) ce qu'il appelle l'art d'« accoucher les âmes » (méthode
aussi appelée maïeutique). Cette méthode consiste en un interrogatoire, mené par Socrate, qui
progresse logiquement de façon à faire « accoucher » l'interlocuteur d'une connaissance qu'il
possédait en lui sans s'en rendre compte4. Le but de ce procédé est donc de découvrir une
vérité (ou encore une définition, comme dans les dialogues de jeunesse de Platon dits
« socratiques »). Socrate avait aussi une méthode de réfutation particulière (elenchos
socratique), consistant à pousser la thèse de son adversaire jusqu'à ses ultimes conséquences
pour en montrer l'invraisemblance (sous la forme de contradictions découlant de cette thèse)5.
La fécondité de la dialectique peut être remise en cause par l'aboutissement des dialogues de
Platon dits « socratiques », qui débouchent en général sur une impasse ou « aporie ».
Toutefois, cette méthode permet au moins de dissiper des erreurs et de fausses conceptions.
Chez Platon
Chez Platon, la dialectique est ainsi une science ou un type de connaissance6 qui repose sur la
confrontation de plusieurs positions de manière à dépasser l'opinion (doxa) en vue de parvenir
à un véritable savoir (ou à la vérité). Il s'agit donc d'un moyen de s'élever du monde des
apparences (ou du "sensible") vers la connaissance intellectuelle (ou "l'intelligible"), jusqu'aux
concepts les plus généraux, jusqu'aux principes premiers (voir La République, livres VI et
VII). C'est aussi un art d'ordonner les concepts en genres et en espèces (en particulier à travers
la méthode de division - ou dihairesis - appliquée dans le Sophiste et le Politique et servant à
définir un objet).
« Il n'y a pas d'autre recherche que la dialectique qui n'entreprenne de saisir méthodiquement,
à propos de tout, l'essence de chaque chose. »
Chez Aristote
Aristote définit lui aussi la dialectique comme l'art des raisonnements qui portent sur des
opinions probables, ou l'opposition d'opinions contraires [réf. nécessaire]. À la dialectique, il a dédié
ses Topiques ainsi qu'une partie du livre Γ de sa Métaphysique. Selon le Ch. 4 du dernier
texte, la dialectique est indispensable pour trouver une légitime preuve du 'principe' (il s'agit,
à son avis, de la loi de non-contradiction, considérée comme précondition fondamentale de l
´être et de la vérité). Si on essayait de donner une démonstration du principe, on tomberait
fatalement sur un raisonnement circulaire, qu'Aristote appelle aussi, justement, « pétition de
principe ». Comment donner alors une preuve rationnelle du principe ? Selon Aristote, cet
argument n'est pas impossible, mais il doit s'articuler comme une réfutation de quiconque
croit l'opposer (Platon avait déjà dit, in République 510, 533 sqq., que seul le dialecticien
parvient à apercevoir les principes non-hypothétiques).
Comme forme argumentative, la dialectique obéit à au moins deux règles procédurales qui lui
sont propres, c'est-à-dire qu'elles n'ont pas d'application possible en contextes
« monolectiques » : ce sont l'onus probandi (« la charge de la preuve ») et l'argumentation ex
concessis (« à partir de ce qui a été accepté »).[réf. nécessaire]
Chez Théophraste
Des topiques, Aristote établit quatre classes de problèmes : όνμξ, βέκμξ, ζοιαεoδημξ, πνμξ
ζδζμκ ; Théophraste les réduit à deux : όνμξ, ζοιαεαδηόξ7.
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Durant le haut Moyen Âge, la dialectique formait, avec la grammaire et la rhétorique, les trois
disciplines du trivium, avant l'époque carolingienne8. Le trivium (« triple chemin »)
constituait, avec le quadrivium (« quadruple chemin »), le socle des matières enseignées (les
sept arts libéraux) dans les écoles depuis l'Antiquité latine. C'est le moine lettré anglo-saxon
Bède le Vénérable, de culture latine, qui, avec Isidore de Séville, transmit ces arts libéraux à
l'Occident chrétien au début du VIIIe siècle. Le moine anglais et grand réformateur Alcuin,
ami et conseiller de Charlemagne, reprit cette base pour fonder le système d'enseignement de
l'Empire carolingien, à la fin du VIIIe siècle, participant à la « Renaissance carolingienne ». Il
fut aussi l'auteur d'un traité de dialectique.
Au IXe siècle, le néoplatonicien Jean Scot Erigène enseignait encore les arts libéraux. Mais
avec les invasions vikings, sarrasines et hongroises des IXe et Xe siècles, les études connurent
un déclin relatif. Ainsi, plusieurs arts libéraux (en particulier le quadrivium et la dialectique)
n'étaient plus ou presque plus enseignés dans les monastères, comme le rapporte le chanoine
Jean Leflon, biographe moderne de Sylvestre II (Gerbert d'Aurillac), premier pape français,
de 999 à 1003.
Toutefois, un peu avant l'An mil, Sylvestre II remit à l'honneur la dialectique en Europe. Il fut,
dit-on, le premier à introduire Aristote en Occident (Platon était déjà lu et connu, notamment à
la cour de Charlemagne, via le néoplatonisme). Après son séjour en Catalogne, Gerbert
d'Aurillac introduisit la dialectique et le quadrivium à l'école cathédrale de Reims, où il
enseigna ces disciplines.
Une nouvelle période de traduction des œuvres d'Aristote commence au XIe siècle, qui voit
s'affronter dialecticiens et anti-dialecticiens. Les premiers pensent que, par le recours à la
logique d'Aristote, une explication rationnelle des mystères chrétiens est possible, tandis que
les seconds estiment que la dialectique risque de dissoudre les mystères de la religion, et sont
partisans de l'autorité des Pères de l'Église et des Conciles. Cette époque de tâtonnement sur
les rapports entre la foi et la raison est dominée par l'œuvre imposante d'Anselme de
Cantorbéry.
Les arts libéraux restent néanmoins, pendant cette période, la base de l'enseignement. En
particulier, les procédés dialectiques de questions-réponses, comme la fameuse disputatio,
étaient très utilisés dans les écoles urbaines et les universités en Europe jusqu'au XIIIe siècle.
Bernard de Clairvaux, par exemple, les utilisait fréquemment. En somme, la dialectique fut
enrichie au Moyen Âge par la logique aristotélicienne, qui fournissait des fondements et des
concepts solides et utiles aux raisonnements. Elle constitue ainsi la méthode de réflexion et de
discussion privilégiée dans la théologie médiévale (« la raison au service de la foi », ou « la
philosophie servante de la théologie »12). Elle permettait en effet non seulement à la religion
chrétienne d'éclairer certains de ses articles par une exposition rationnelle, mais aussi à des
positions et à des théories concurrentes ou contradictoires de se mettre à dialoguer les unes
avec les autres, et éventuellement de se réconcilier.
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La dialectique est habituellement identifiée à ses trois moments : thèse, antithèse, synthèse ou
encore position, opposition, composition ou décomposition. Cependant, à la fin de la Logique
(L'idée absolue, p. 381-383), Hegel montre que le moment négatif se divise lui-même en
deux : opposition extérieure et division intérieure ou médiatisé et médiatisant : « si après tout
l'on veut compter », « au lieu de la triplicité, on peut prendre la forme abstraite comme une
quadruplicité » (souligné par les traducteurs, en particulier dans leur présentation de la
doctrine de l'essence, p. XIII). Cela n'empêche pas la pertinence de la division ternaire,
omniprésente. En fait on pourrait parler de cinq temps constitués de deux fois trois temps
puisqu'il y a bien une synthèse partielle entre les deux moments négatifs :
1) position (être),
2) opposition extérieure (environnement),
3) unité spatiale des opposés (devenir),
4) division intérieure de l'unité (formulation du devenir par l'être),
5) enfin compréhension de l'identité temporelle et de lieu de soi dans l'être-autre-soi
(totalité sujet-objet).
La dialectique n’est pas une méthode extérieure imposant une forme immuable comme la
triplicité, c'est le développement de la réalité, de la chose elle-même. On peut récuser l’idée
qu’il y aurait une doctrine hégélienne, car il s’agit en fait de dégager ce qu’il y a d’intelligible
dans la réalité, et non d’en produire une nouvelle interprétation. La philosophie décrit la
réalité et la reflète.
Dans le domaine de l’esprit, la dialectique est l’histoire des contradictions de la pensée qu’elle
surmonte en passant de l’affirmation à la négation et de cette négation à la négation de la
négation. C’est le mot allemand aufhebung qui désigne ce mouvement d'aliénation (négation)
et de conservation de la chose supprimée (négation de la négation). La négation est toujours
partielle. Ce qui est sublimé est alors médié et constitue un moment déterminé intégré au
processus dialectique dans sa totalité. Cette conception de la contradiction ne nie pas le
principe de contradiction, mais suppose qu’il existe toujours des relations entre les opposés :
ce qui exclut doit aussi inclure en tant qu’opposé.
Or, la thèse fondamentale de Hegel est que cette dialectique n’est pas seulement constitutive
du devenir de la pensée, mais aussi de la réalité ; être et pensée sont donc identiques. Tout se
développe selon lui dans l’unité des contraires, et ce mouvement est la vie du tout. Toutes les
réalités se développent donc par ce processus qui est un déploiement de l’Esprit absolu dans la
religion, dans l’art, la philosophie et l’histoire. Comprendre ce devenir, c’est le saisir
conceptuellement de l’intérieur.
Mais cette compréhension de la réalité ne peut venir qu’une fois les oppositions synthétisées
et résolues, et c’est pourquoi la philosophie est la compréhension de l’histoire passée : « la
chouette de Minerve ne prend son envol qu’au crépuscule. » Par exemple, Napoléon achève la
Révolution française et Hegel le comprend.
Marx s'oppose à la dialectique hégélienne en ce qu'il « remet sur ses pieds », réinsère le
déroulement du temps humain dans le processus dialectique, temps qui, chez lui, détient le
rôle proprement matérialiste de l'histoire. Marx considérait que les conditions matérielles
d'existence des êtres humains (notamment leur place dans leurs rapports de production) sont
la détermination de leur conscience et non pas l'inverse.
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés,
nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un
degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces
rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève
un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience
sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la
vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine
leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. À un
certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent
en collision avec les rapports de production existants. »
La dialectique de l'histoire résulte des contradictions entre les classes sociales, de la lutte entre
leurs intérêts divergents, ainsi qu'entre le développement des forces productives et les rapports
sociaux issus de leur état antérieur.
La dialectique de Marx souhaite dépasser le « socialisme utopique », avec un socialisme (ou
communisme) qui se veut basé sur le mouvement réel de l'histoire et sur le développement des
forces productives, c'est-à-dire sur les possibilités objectives du moment historique et des
rapports de force sociaux.
Le « matérialisme dialectique », ou « dialectique matérialiste » (terme qui n’a pas été employé
par Marx, mais qui était déjà utilisé avant sa mort par ses disciples13, basée sur les faits
pratiques, se distingue du matérialisme ordinaire par son côté dynamique et révolutionnaire,
orienté vers la « transformation du monde » qui est aussi son humanisation (comme l'explique
Georg Lukács au début du premier chapitre de son œuvre Histoire et conscience de classe).
« Le principal défaut de tout matérialisme jusqu'ici (y compris celui de Feuerbach) est que
l'objet extérieur, la réalité, le sensible ne sont saisis que sous la forme d'Objet ou d'intuition,
mais non en tant qu'activité humaine sensible, en tant que pratique, de façon subjective. »
« Dans la conception positive des choses existantes, la dialectique inclut du même coup
l'intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire, parce que, saisissant le
mouvement même dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire, rien ne saurait
lui en imposer ; parce qu'elle est essentiellement critique et révolutionnaire. »
La dialectique éristique
Cette forme de dialectique se développe très tôt, par exemple chez les Sophistes. Elle est
définie par Arthur Schopenhauer dans son livre La Dialectique éristique. Il s'agit d'une
méthode de persuasion, dans la mesure où les arguments sont considérés pour leur seule
efficacité (c'est-à-dire dans l'unique but de persuader). À ce titre, elle peut apparaître plutôt
comme une technique rhétorique. Schopenhauer appelle cet artifice « l'art d'avoir toujours
raison ». Il en établit un recueil (non exhaustif) de 38 règles, destinées à faire accroire à un
interlocuteur ou à un public que l'on a raison, quel que soit le détenteur de la formule de la
vérité. Cette dialectique ne vise pas à la connaissance, ni à la recherche de la vérité, mais
indifféremment à cultiver une image de son personnage comme savant ou à défendre une
opinion.
Ainsi, la dialectique permet dans les sciences de rendre intelligibles et abordables des
contradictions (tendances antagoniques), c'est-à-dire des situations insolites et paradoxales
que l'on rencontre dans les observations et les expériences scientifiques15.
« A la rigueur, ce contenu dialectique est changeant avec le progrès des sciences, car en un
certain sens, ce contenu est la science elle-même, dont les principes constituent des
abstractions.
Voici l'énoncé de ces principes [dialectiques], essentiellement dus à F. Engels (1878), sous la
forme donnée par J.M Brohm (Les principes de la dialectique, 2003):
1. Mouvement et transformation.
2. L'action réciproque (ou interdépendance, dite aussi unité dialectique)
3. La contradiction, force créatrice
4. Le passage du quantitatif au qualitatif (bonds et ruptures).
5. La négation de la négation : thèse, antithèse et synthèse (ou principe du
développement en spirale).
Notons que Georges Politzer (1936) regroupe les principes 3 et 5 en un seul. Cela ne présente
aucun inconvénient, puisque le contenu des principes n'a pas encore été défini. Qui plus est,
l'évolution de nos connaissance scientifiques conduit à une révision permanente du contenu de
ces principes. C'est ainsi que […], pour les phénomènes faisant intervenir l'évolution d'au
moins trois agents, un nouveau principe, « des comportements erratiques sur l'attracteur »
mettant en œuvre des découvertes (le chaos déterministe) datant seulement d'une trentaine
d'années, et donc totalement inconnues d'Engels ou de Politzer16. »
La dialectique matérialiste a trouvé dans la biologie un certain nombre d’arguments (cf JBS
Haldane, Richard Lewontin, Stephen Jay Gould). Par le fait que les êtres vivants, déterminés
par leurs bases physico-chimiques fluctuantes (voir Prigogine) et un certain contenu en
information, sont soumis à des changements incessants, aussi bien sur le plan de leur structure
(métabolisme) que de leur évolution, le concept de dialectique, au sens qui avait été donné par
Engels dans la dialectique de la nature, a pu être appliqué17.