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Aljem Sanae

Architecte, docteur en urbanisme Gouvernance Urbaine et Territoires à l’INAU


Sanae.aljem@gmail.com

Sanae Aljem, « 100 ans d’urbanisation du littoral Casablancais », actes du colloque « 100 ans d’urbanisme
à Casablanca : 1914-2014 », Ecole d’Architecture de Casablanca, 2016

100 ans d’urbanisation du littoral de Casablanca :


Émergence des grands projets

Casablanca est la ville Marocaine qui a enregistré un développement des plus spectaculaires
durant le siècle dernier. Cette ville qui jadis n’avait rien de comparable aux villes Marocaines
impériales telles que Fès, Marrakech et Meknès en termes de populations, d’activités et
d’architecture, est aujourd’hui la première métropole du Maroc et son véritable cœur
économique. Ce grand dynamisme est fortement lié au processus d’industrialisation de la ville
et au port, qui n’a cessé d’évoluer au fil des années et de s’adapter aux dernières exigences en
termes d’infrastructure et d’équipement modernes.

Littoral de Casablanca : histoire tourmentée d’un patrimoine naturel longtemps


abandonné

La grande pression démographique, l’urbanisation rapide et la forte concentration des


industries à Casablanca ont eu de multiples répercussions sur l'espace de l'agglomération
entrainant, entre autres, une littoralisation pesante de ses cotes. Casablanca Connait
aujourd’hui une large diffusion des unités de production industrielle et de l’habitat insalubre.
En zone urbaine, mise à part la corniche qui abritait quelques installations de loisirs et offrait
des promenades aménagées au bord des plages, le littoral de Casablanca a longtemps été
délaissé et traité en dépotoir où se déployaient principalement des installations industrielles
(du côté de Ain Sabaa, de sidi Bernoussi et de Mohammedia), ou bien quelques zones
résidentielles à usage privé (habitations et hôtels privés) éparpillées sans aucune cohérence
d’ensemble. Ainsi, malgré l’importance économique du port et sa position centrale au cœur
historique de la ville, Casablanca, à l’instar d’autres villes marocaines, a longtemps tourné le
dos à son littoral.
Edification de la mosquée Hassan II : un tournant dans l’histoire de l’urbanisation du
littoral Casablancais

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Après l’indépendance, l’Etat consacre peu d’intérêt aux questions urbaines. En l’absence
d’un dispositif juridique opérationnel, on a assisté progressivement à des déviations multiples
ayant donné lieu à l’expansion de l’habitat insalubre, des bidonvilles et des structures
anarchiques. Dans la période des années 80 et 90 les grandes villes marocaines ont été des
scènes de plusieurs tensions sociales, dues aux problèmes liés à la forte pression
démographique. Depuis lors, les problèmes urbains ont occupé une place centrale dans la
scène politique marocaine et un nouvel urbanisme de contrôle a pris place (A. Abouhani,
2002). L’État décida de lutter efficacement contre « le désordre urbain » à travers une série de
décisions relatives aux contrôles sociopolitiques et à l’aménagement urbain.
A la ville de Casablanca, théâtre des émeutes urbaines les plus violentes en 1981, ces
décisions ont donné naissance à plusieurs dispositifs de différente nature: découpages
administratifs, aménagements de nouvelles préfectures et de nouveaux districts de police,
création d’une agence urbaine dont le directeur a le statut de préfet et l'élaboration d'un
nouveau Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme (SDAU) en 1985.

Une grande mosquée à Casablanca :


André Adam a fait le constat en 1968 que " Casablanca, en 1943, comptait trente-neuf
mosquées, vingt-deux dans l'Ancienne Médina et dix-sept dans la Nouvelle … c'était peu pour
une ville dont la population était évaluée à 300 000 habitants, par rapport aux villes comme
Fès, Marrakech, Meknès, Rabat et même Salé, qui comptaient chacune plus de cent édifices
religieux, pour une population musulmane moins importante… C'était la conséquence d'une
histoire obscure et sans gloire. La petite bourgade maritime n'avait jamais attiré, comme ses
illustres rivales, les pieuses et généreuses initiatives des souverains qui ont valu à celles-ci
leur somptueuse parure architecturale " (Adam, 1968b, citations p. 585).

Cette absence d’édifices affectés au culte musulman est tout à fait logique dans une ville dont
l’essor et l’expansion urbains datent de la période du protectorat. Les stratégies d’urbanisation
y ont été élaborées selon des principes d’urbanisme évacuant toute référence à la religion
musulmane. La construction de la mosquée Hassan II est venue à un moment clé de
l’évolution urbaine et socio-politique de Casablanca et de tout le pays. Elle peut être
interprétée comme expression territoriale de la réappropriation sociale et de la requalification
symbolique (Cattedra, 2004) de la ville marquant une rupture cruciale avec son passé
colonial, prolétaire et protestataire. Elle représente également une marque de la stabilité
politique du Royaume qui affirme le contrôle et la légitimité du pouvoir politique de la sphère
religieuse (Cattedra, 2004). Le projet de la mosquée Hassan II présente les caractéristiques
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suivantes :

 Il ne provient pas du SDAU (Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme)


mais plutôt d’une volonté Royale (même si il a été intégré à postériori dans le Plan
d’Aménagement) ;
 Il émane d’un besoin conjoncturel: Réappropriation sociale et requalification
symbolique de Casablanca, marque de la stabilité politique du pays (Cattedra, 2004) ;
 Il est doté d’une forte symbolique: monumentalisme (troisième plus grande mosquée
au monde), prouesses artisanales, emplois de nouvelles technologies… ;
 Il a bénéficié d’un montage financier spécifique ;
 L’adhésion sociale au projet est l’une des conditions sine qua non de sa réussite :
parce qu’elle équivaut à l’acceptation populaire du projet ;
 Il a entrainé une série de projets : Casablanca cessa de tourner le dos à son littoral.
C’est un projet volontariste qui correspond à des circonstances politiques et sociales
spécifiques, et qui a bénéficié d’un montage financier adapté. Il a insufflé une telle dynamique
au littoral de Casablanca, qu’il a rendu possible l'engagement d'une série d’actions de
requalification et de restructuration urbaines. En d'autres termes, la mosquée Hassan II a
constitué "l'occasion" d’un projet de réforme du littoral, sinon de toute la ville. Ainsi, à
Casablanca, le même contexte politique et sociale des années 80, qui est celui des émeutes et
de la protestation, a engendré simultanément deux modèles de planification que la
communauté scientifique qualifie d’opposées : celle du « plan » instrument réglementaire de
la mise en ordre urbanistique de la ville, et celle du « projet », qui incarne la volonté d’un
« prince » de marquer symboliquement le territoire Casablancais.
Mosquée Hassan II et grands projets urbains du littoral :
Le choix d’implanter la nouvelle mosquée sur le littoral, avait certes une valeur ajoutée
indéniable pour ce bâtiment emblématique, valeur paysagère qui en faisait la distinction et
nourrissait son aspect mythique et unique. Cependant, cet emplacement rendait difficile de
créer la centralité autour de la grande mosquée, ce qui pouvait remettre en question la réussite
de son intégration dans la ville profane de Casablanca. Ceci en plus de l’état de délaissement
et de délabrement dont souffraient les quartiers attenants, qui étaient, sans aucun doute
indignes d’être des vis à vis d’un projet d’une telle symbolique. Se rendant compte de cette
lacune, les autorités ont mis en place une série de projets destinés à créer un semblant de
centralité autour de la nouvelle mosquée, et à requalifier par la même, le tissu vétuste et
délabré des quartiers avoisinants.

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Ainsi, entre la mosquée et le port a été initié le projet de la « Marina de Casablanca » au début
des années 90 avec pour objectif d’en faire un grand projet touristique pour la ville. Entre la
mosquée et la pointe d’Al Hank a été lancé le projet de « la grande baie de Casablanca » à la
fin des années 90, ce projet devait constituer une nouvelle zone d’attractivité à vocation
touristique de loisirs et de culture. Aussi, en face de la mosquée une artère de 1300 m de
longueur et de 60 m de largeur devait joindre la Place des Nations unies et la Mosquée Hassan
II. Ce projet sensé entrainer une nouvelle configuration urbaine de la zone prévoyait la
réalisation d’un ordonnancement d’immeubles de Haut standing le long de la percée
comprenant un centre d’affaire et plusieurs espaces commerciaux, il prévoyait également la
réalisation du futur théâtre national et d’un palais de congrès.

Des projets voués à l’échec !


Cette génération des projets des années 90 ont toutes connu plusieurs difficultés et non jamais
atteint le stade de concrétisation, notre analyse nous permet de dégager les causes suivantes :
1- Ce sont des Projets volontaristes, qui cristallisent plusieurs interventions complexes et
qui proposent des programmes variés intégrant diverses composantes (résidentielle,
commerciale, affaires, hôtellerie, équipement à fonction métropolitaine…). Mais qui
supposaient le travail sur un tissu existant présentant plusieurs difficultés que ce soit
du point de vue technique, du point de vue social, et/ou politique. En contre partie les
outils de mise en œuvre et de réalisation du projet se sont avérés peu efficace face à
cette complexité.
2- Parmi les mesures de « remise en ordre urbanistique » des années 80 figuraient celles
qui touchaient aux découpages administratifs et à la création de nouvelle préfecture et
Agences publiques. La multiplicité des intervenants a induit la dilution des
responsabilités et de ce fait, a interdit l’apparition d’une autorité fédératrice capable
d’assurer la bonne coordination et de conduire le développement du territoire
casablancais dans le cadre d’une vision d’ensemble claire et partagée par tous les
acteurs. Cette situation a eu pour effet une lourdeur dans les procédures
administratives et une incapacité des collectivités locales à rentrer en symbiose avec le
reste des composantes du système de gouvernance classique de la ville, ce qui
prévenait l’émergence d’un réel leadership local.
3- La troisième raison à notre sens, réside dans la complexité des interventions, qui
nécessitent d’autres types de spécialisations et de modes opératoires que celles
auxquelles on a eu recours dans les opérations classiques d’urbanisation.

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Nouvelle génération de Projets à Casablanca :

A partir de l’année 1998 de nombreux changements significatifs ont été opérés dans le mode
de gestion et de planification urbaine. La planification réglementaire a était mise en veilleuse
à Casablanca, les plans d’aménagement qui n’avaient non seulement pas pu répondre
réellement aux besoins de la ville, étaient en plus devenus caducs. Il était alors logique et
raisonnable de les dépasser pour « encourager l’investissement » et pour « promouvoir le
développement » au sein de la capitale économique. Ceci a été rendu possible grâce à la
dérogation urbanistique qui, se limitant à ses débuts aux projets majeurs à envergure
nationale, a fini par devenir régionale et jouer un rôle important dans la généralisation des
grands projets. La multiplicité et la quasi-généralisation des interventions de type « Projet »
sur le territoire Casablancais peut être interprétée par ce qui suit :

La nécessité d’un marquage symbolique d’autorité, qui affiche une nette rupture avec les
actions antérieurs et démontre les nouvelles capacités du nouveau pouvoir central. Il s’agit
alors d’un geste politique.

Une recherche d’efficacité que ça soit sur le plan urbanistique, pour résorber l’image de chaos
général qui règne sur la capitale économique qui semble échapper aux concepteurs et aux
gestionnaires, mais aussi sur le plan technique. Le projet se veut alors une sorte de solution à
l’échec des actions antérieures qui n’ont pas produits les effets escomptés.

La volonté de véhiculer une nouvelle image d’un Maroc moderne en mouvement, en dotant
les grandes villes de services supérieurs et d’éléments d’attractivité, ceci conjugué à
l’incapacité de l’Etat à financer lui même tous ces chantiers ambitieux de transformation. Ce
qui justifie la forte introduction des investisseurs et promoteurs privés dans la réalisation et le
portage des projets.
L’introduction du privé témoigne non seulement d’une rupture avec le modèle de l’Etat
providence vers un modèle d’Etat mobilisateur, mais il s’agit également, par le biais du
conventionnement (pratique très courante dans le cadre des nouveaux projets), du
renoncement de l’Etat à son pouvoir de contrainte pour s’engager dans des modes d’échange
et de négociation (Lascoumes, Valluy, 1996). On remarque l’émergence des nouvelles
institutions dédiées aux projets ce qui témoigne de l’entrée en jeu de nouveaux acteurs dans la
conduite des politiques publiques urbaines et concrétise une nouvelle rationalité porteuse de
valeurs de l’innovation : la modernisation, la déréglementation et l’ouverture au marché…
Conclusion : Du « plan » et du « projet » :

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Les conditions d’émergence du projet urbain en Europe et au Maroc sont différentes de tous
les points de vues. Si cette démarche s’intègre dans la lignée naturelle d’évolution de l’action
publique urbaine européenne, par rapport aux conditions économiques, politiques et sociales
des années 70 qui ont fait qu’un changement dans les instruments de l’action urbaine
s’impose autant par le haut que par le bas. L’histoire de l’émergence des grands projets à
Casablanca est tout aussi hybride que celle de sa croissance urbaine. Le « projet urbain » en
Europe est étroitement lié aux politiques publiques constitutives, qui mettent en place des
mécanismes qui favorisent la mobilisation des acteurs locaux autour du projet de
développement territorial (G. Pinson, 2009). Au Maroc les notions de concertation et de
participation citoyenne sont fortement mobilisées dans les discours politiques, mais leur
utilisation reste formelle, théorique, et appartient bien souvent aux registres de l’image, de la
justification ou encore de la mise en scène. Le « grand projet » de Casablancais sont bien loin
des modèles de planification « par le bas » promus dans le cadre des démarches de « projet ».
Aussi, la généralisation des grands projets à Casablanca ne témoigne nullement de la volonté
de passage du « plan au « projet ». L’Etat reste un grand producteur de la réglementation par
le biais du plan, en témoigne la préparation en cours des nouveaux plans d’aménagement de
Casablanca.

Les nouveaux grands projets façonnent le paysage urbain de Casablanca et s’affirment


aujourd’hui comme choix de marque pour la ville afin de s’inscrire dans le processus de
métropolisation et de gagner le pari de l’insertion internationale. Cependant plusieurs
questions restent encore posées :

Est-ce que ces projets, plus ambitieux les uns que les autres et dont les programmes présentent
des composantes plus ou moins similaires, ne se font pas concurrence ? Est-ce que le marché
casablancais est capable d’absorber toute cette offre ? Ou bien finiraient on par avoir- comme
c’est le cas dans plusieurs villes du Golf- des tours vides dont l’unique fonction est de
modeler le skyline moderne de la ville ?

L’invasion de grands projets au littoral de Casablanca pourtant sensibles à plusieurs risques


environnementaux, notamment la submersion marine et l’érosion, est-ce un acte réfléchi de la
part des autorités ? ou bien se contentent ils de subir la pression des promoteurs
immobiliers et d’accorder des dérogations démesurées dans des zones sensibles et risquées ?

La réussite des nouvelles institutions ad-hoc, qui sont venues s’ajouter au complexe
institutionnel classique hypertrophié, dans la mise en œuvre des projets, témoigne-t-elle de

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leur capacité à créer de la transversalité et à générer le consensus, qualités qui ont longtemps
fait défaut aux politiques publiques urbaines ?

Le vis à vis des projets de front d’eau n’est pas des plus avantageux pour l’ambition
d’iconisation de la façade maritime de Casablanca. Si la Médina de Casablanca intra-muros
arrive à tirer un bénéfice des nouveaux grands projets, qu’advient-il des autres zones
avoisinantes appelées Médina extra-muros qui sont tout aussi vétustes et délabrés ? est ce que
les grands projets de Casablanca contribuent ils à la naissance d’un nouvel ordre socio-
spatiale dans la ville ?

Bibliographie :

Abouhai A. (2002) Enjeux et acteurs de la gestion urbaine. Dakar, Sénégal : Codesria.

Barthe Y. Callon M. Lascoumes P. Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie
technique. Paris, France : Le Seuil.

Gaudin J. P. (1999), Gouverner par contrat. Paris, France : Presses de Sciences Po.

Pinson, G. (2009). Gouverner la ville par projet : urbanisme et gouvernance de villes


européennes. Paris, France : Presses de Sciences Po.

Souami T. et Verdeil E. (2006) Concevoir et gérer les villes - Milieux d’urbanistes du sud de
la Méditerranée. Paris, France : Economica, Anthropos.

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