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Le crucifiement

de saint Pierre

La Passion de 1 'Église
Du même auteur

Machiavel pédagogue ou le ministère de la réforme psychologique. Édi­


tions Notre-Dame des Grâces, 1 995.

Traduit en polonais : Machiavel nauczycielem, Wydawnictwo Antyk


Marc in Dybowski, Warszawa, 1 997 .

L 'Empire écologique ou La subversion de l 'écologie par le mondia­


lisme. Éditions Notre-Dame des Grâces, 1 998.

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Le crucifiement de saint Pierre : 1 5 euros, franco de port

Règlements à l ' ordre de J. Foulon

©Pascal Bernardin, éditeur, 2009

ISBN 2-9509570-2- 1
Le crucifiement

de saint Pierre

La Passion de 1 'Église

par

Pascal Bernardin

Première édition

Éditions Notre-Dame des Grâces

2009
.Jf_d majorem (]Jei g{oriam
« Car un temps viendra où les hommes ne suppor­
teront pas la saine doctrine, mais au gré de leurs dé­
sirs se donneront une foule de maîtres, 1' oreille leur
démangeant, et ils détourneront 1' oreille de la vérité
pour se tourner vers les fables. » (Il Ti m. 4, 3-4)

« Le Maître est là, et Il t' appelle. » (Jn 1 1 , 28)


INTRODUCTION

' histoire de l ' humanité est l ' histoire du salut et de la lutte entre les
L deux Cités pour la conquête des âmes, seul enjeu qui vaille.
D' essence diabolique, la Révolution est une révolte contre Dieu inspirée
constamment par Satan. Son but ultime est la destruction de l' Église et
1' édification de la contre-église. Cette vérité élémentaire oubliée, le fil
conducteur est brisé, l ' histoire s' obscurcit, perd son sens et devient un mys­
tère incompréhensible. Les pages qui suivent ne peuvent se comprendre sans
garder constamment à l' esprit ce cadre d' analyse.
Le vingtième siècle a été marqué par plusieurs dates capitales de ce com­
bat eschatologique. Dans l' ordre spirituel, deux événements majeurs se dis­
tinguent : les apparitions de Fatima et le concile Vatican II. Dans l' ordre poli­
tique, le principal événement' est incontestablement la promulgation du Nou­
vel Ordre Mondial par le président Bush. Enfin, il n' est guère besoin d' être
prophète pour annoncer que le XXI0 siècle verra, voit, l' apparition d' une spiri­
tualité globale 2 • Nous en avons déjà donné des preuves suffisantes dans
d' autres écrits et un ouvrage en préparation l' établira surabondamment3 • Les
principales institutions internationales et toutes les puissances de ce monde
travaillent dès maintenant à diffuser cette spiritualité, à l' imposer progressi­
vement à la population mondiale.
Nous voici donc avec quatre événements majeurs, dont les trois premiers
sont déj à survenus : les apparitions de Fatima, Vatican II, la promulgation du
Nouvel Ordre Mondial et l ' instauration d' une spiritualité globale. Il ne sem­
ble pas nécessaire d' insister sur le fait que l ' instauration de cette spiritualité
globale sera un événement anté-christique, un épisode majeur de la lutte entre
les deux Cités. Nous supposerons connus les principaux éléments concernant
Fatima4 . Nous nous proposons de montrer, dans ce travail et le suivant, les
liens qui unissent ces quatre événements, de mettre en évidence l' histoire et
l' opposition des deux Cités pendant les cent dernières années.

1 Si J'on omet J'apparition de la télévision . . .

2 La spiritualité globale est une spiritualité du Grand Tout, de la globalité, du cosmos, une spi­
ritualité écologique destinée également à la globalité des hommes. C'est donc une version mo­
dernisée de J'éternel panthéisme, une déclinaison exotérique de la doctrine maçonnique qui doit
permettre à J'œcuménisme de développer toutes ses potentialités.
3 Cet ouvrage, consacré à la spiritualité globale, doit être considéré comme la dernière partie

du présent travail. Nous avons dû nous résoudre à Je publier séparément pour ne pas augmenter
démesurément ce volume.
4 Nous ne pouvons qu'encourager Je lecteur qui les ignorerait à en prendre connaissance dans
l'urgence. Il est nécessaire de connaître les avertissements de la sainte Vierge pour comprendre
les événements spirituels et temporels considérables qui se déroulent à une vitesse toujours ac­
crue.
8 Le crucifiement de saint Pierre

Nous établissons dans cet ouvrage que la doctrine spécifique à Vatican Il,
les innovations théologiques qu' il introduit et qui le distinguent de manière
unique des autres conciles, sont maçonniques, anticatholiques. Nous mesu­
rons naturellement 1' énormité de nos affirmations, les difficultés considéra­
bles qu' elles engendrent pour la Foi, l' Espérance et la Charité, la véritable
Passion de l ' Église qu' elles supposent. Mais cette vérité ne peut être cachée
et devient même évidente dès que l ' on a commencé à la percevoir et à appré­
hender la cohérence interne de Vatican Il. En effet, 1' essence de Vatican II,
son inspiration, son unité interne, sa cohérence méritent d' être mises en lu­
mière. L ' esprit qui a soufflé sur ce concile doit apparaître au grand jour.
Quelles sont les idées maîtresses, les utopies qui ont mené un concile de
l ' Église catholique à des réformes aussi catastrophiques ? On juge un arbre à
ses fruits.
Or en affirmant que l' esprit maçonnique5 a soufflé sur Vatican II, nous ne
faisons que répéter, en en tirant toutes les conséquences, ce que d' autres bien
plus autorisés ont attesté. C ' est ainsi que pour le futur cardinal Congar, Vati­
can II fut « la Révolution d' octobre dans l' Église ».

« Si l ' on cherche un diagnostic global du texte [ Gaudium et Spes] ,


on pourrait dire qu ' il est (en liaison avec les textes sur la liberté reli­
gieuse et sur les religions du monde) une révision du Syllabus de
Pie IX, une sorte de contre-syllabus. [ . . . ]
« Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un
contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une
réconciliation officielle de l' Église avec le monde tel qu ' il était devenu
depuis 1 789. » (Cardinal Ratzinger) 6

« Ils [les chrétiens] ne devront pas oublier pour autant que tout che­
min mène à Dieu (il est plusieurs demeures dans la Maison de mon
Père . . . ) et se maintenir dans cette courageuse notion de la liberté de
pensée, qui, on peut vraiment parler là de révolution, partie de nos loges
maçonniques, s' est étendue magnifiquement au-dessus du Dôme de
Saint-Pierre. » (Yves Marsaudon) 7

5 Nous n'entendons pas déterminer dans ce travail les voies (la cause efficiente) par lesquelles
l'influence maçonnique s'est exercée sur le concile Vatican II. Nous nous proposons seulement
de montrer la similitude (formelle), voire l'identité entre les thèmes conciliaires et maçonniques.
6 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, Paris, Pierre Téqui, éditeur,
2005 , p. 426 sq. Voir également p. 423 sq.
7 Yves Marsaudon, L'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, Paris, Éditions Vitia­
no, 1 964, p. 1 2 1 .
Introduction 9

Nous montrerons donc que tout Vatican Il, dans sa spécificité, découle
immédiatement de la confusion entre le Créateur et la créature, entre la nature
et la grâce 8 . Il s ' agit d' affirmations, d' allégations maçonniques, gnostiques et
panthéistes. Tout Vatican II en découle immédiatement, naturellement et né­
cessairement : omission du péché originel et du péché personnel, salut uni­
versel et vacuité de l' enfer, désuétude du sacrement de pénitence, liberté reli­
gieuse, œcuménisme et unité du genre humain, dignité de l' homme, Église
sacrement de l' unité du genre humain, protestantisation du sacrifice de la
messe, mélange entre le Royaume et le monde.
Le combat entre l' Église et la Révolution apparaît alors : le Ciel a réclamé
avec insistance à Fatima la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de
Marie, sous peine des plus graves châtiments. Cette consécration n' ayant pas
été faite dans les formes requises, des châtiments terribles se sont abattus sur
la chrétienté et continuent de l' affliger. En particulier, Vatican II a été la
cause de l' apostasie d ' un continent, l' Europe, et de beaucoup de catholiques
dans le monde. Et les peines ne s ' arrêtent pas là : Vatican II a aligné la doc­
trine de la Rome moderniste avec les thèses maçonniques, avec la spiritualité
globale. Avec un demi-siècle d' avance, l' Église conciliaire a incorporé dans
sa doctrine les présupposés philosophiques et les principaux thèmes de cette
spiritualité mondialiste. Les pièces se mettent en place : vingt-cinq ans après
Vatican II, George Bush pouvait promulguer le Nouvel Ordre Mondial,
Rome s ' étant ralliée aux thèses gnostiques, maçonniques et mondialistes. La
spiritualité globale commence d' ores et déj à à être diffusée. Pourtant le Sei­
gneur nous a donné le moyen surnaturel de vaincre ces forces colossales,
diaboliques, que plus aucun homme ne peut affronter. Un moyen aussi hum­
ble que l' Incarnation du Verbe dans une grotte d' une province perdue de
l' Empire romain, aussi insignifiant, humainement parlant, que la Passion de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, crucifié entre deux voleurs : la consécration de
la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Puisse la hiérarchie mesurer
l' ampleur du combat eschatologique qui se livre, le poids de ses responsabili­
tés, 1' étendue de 1' erreur de Vatican II et consacrer sans délai la Russie
comme Notre-Dame le demande pour l' Église et le salut des âmes.

* * *

Nous aurions souhaité pouvoir approfondir la question du protestantisme


et celle de l' influence de Hegel sur Rahner, Vatican II et le cardinal Ratzin­
ger. La seconde de ces questions ne pose pas de difficulté majeure : on mon-

8 La grâce est un don surnaturel concédé par Dieu à une créature douée d'intelligence en vue du
salut éternel. Elle est une participation à la nature divine. Elle ne saurait donc être due à notre
nature.
10 Le crucifiement de saint Pierre

tre aisément que les thèses de Hegel sont des thèses maçonniques, gnostiques,
sans guère d' originalité, et qu' elles sont à l' origine des idées de Rahner, « le
plus grand théologien du XX0 siècle » et l ' un des protagonistes de Vatican II.
D' autre part le jeune professeur Ratzinger fut l' élève de Rahner : tous les
textes du cardinal Ratzinger et de Benoît XVI que nous citons doivent être lus
en gardant ces éléments présents à l' esprit. Nous n' avons pas développé ces
considérations sur Hegel pour ne pas alourdir notre texte.
La question de la Réforme est autrement plus ardue et les recherches que
nous avons entreprises sur ce sujet sont loin d' être terminées. Nous ne mé­
connaissons donc pas l ' influence protestante sur Vatican II. Mais l' état actuel
de nos recherches sur l' origine du protestantisme ne permet pas de les expo­
ser.
Enfin, certains nous reprocheront et nous ont reproché de rester trop près
des textes étudiés et « de ne pas assez donner notre avis ». Il nous semble
bien plus profitable de faire connaître au lecteur la position des autorités ma­
çonniques et conciliaires et de montrer leur parenté incontestable. La conver­
gence entre la maçonnerie, les institutions internationales et l' Église conci­
liaire pour parvenir à l ' instauration d' une spiritualité globale est un phéno­
mène d' une ampleur telle qu' il nous suffit de l' établir de manière irréfutable.

* * *

Les guillemets français ( « ») marquent le début et la fin d' une citation.


Les paragraphes commençant par des guillemets sont entièrement constitués
de citations. Les passages et les lignes commençant par des guillemets fran­
çais ouvrant ( «) à l' intérieur d' une citation marquent une citation de second
rang, dans laquelle l' auteur cité cite lui-même un autre auteur. En général, et
sauf dans les titres, les caractères gras dans les citations ont été ajoutés par cet
auteur et les italiques sont des auteurs cités. Les crochets ( [ ] ) indiquent une
incise de cet auteur dans une citation. Nous avons respecté autant que faire se
peut la typographie utilisée par les auteurs cités. Enfin, certains textes ont été
cités plusieurs fois pour mettre en exergue les différents thèmes maçonniques
qu ' ils contiennent.

* * *

Les écrits d ' un cardinal, même promis au suprême pontificat, n' engagent
pas le magistère de l' Église. Nous avons donc soigneusement distingué les
écrits des cardinaux Wojtyla et Ratzinger de ceux de Jean Paul II et de
Benoît XVI. Un texte d ' un pape qui s ' écarte de l' enseignement de l ' Église ne
peut être considéré comme appartenant au magistère et possède 1' autorité
d' une opinion d ' un docteur privé.
Première partie

La doctrine catholique

et

les thèses maçonniques


CHAPITRE !

La doctrine catholique de la création

a doctrine de la création possède une importance capitale, insoup­


Lçonnée. Quoi de plus anodin en apparence que la confession d ' un
Dieu créateur ? Pourtant les conséquences de 1' affirmation contraire sont
immenses et dramatiques, et cet ouvrage est consacré, dans sa totalité, à en
exposer les principales. Quand Dieu parla aux hommes, Il affirma immédia­
tement sa puissance créatrice : « Au commencement Dieu créa » (Gn 1 , 1 ).
Et l ' Église la confesse dès le début du Symbole des Apôtres : « Je crois en
Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre ».
On oppose en général à la doctrine de la création le matérialisme ou le
panthéisme. Le matérialisme, qui fait de la matière le Dieu créateur, ne mé­
rite pas que nous nous y attardions 9 • La question du panthéisme 1 0 est autre­
ment plus épineuse, ne serait-ce que dans ses développements b.istoriques et
politiques. La lutte contre le panthéisme et ses déclinaisons gnostique et
maçonnique a occupé une très grande place dans l ' histoire de l ' Église. Il
semble triompher aujourd' hui avec la Révolution doctrinale de Vatican II et
l' émergence de la spiritualité globale.
La doctrine catholique, en accord avec la droite raison, affirme que nous
avons été créés ex nihilo, ce qui signifie que nous avons été faits de rien,
que tout notre être a été produit par Dieu et qu' avant cette création rien de
notre être n' existait. Le panthéisme affirme au contraire que nous émanons
de Dieu. Quelle que soit l ' interprétation qu ' il faille donner à cette affirma­
tion, il en découle nécessairement que nous sommes de substance divine. Et
Dieu étant sans partie (cf infra), nous sommes Dieu. On touche immédia­
tement aux conséquences spirituelles - et donc politiques et historiques - de
ces deux perspectives. Le catholique se sait créé de rien, dans la dépendance
totale de son Créateur. À cette dépendance purement naturelle s ' aj oute sa
dépendance non moins totale dans 1' ordre de la grâce : « Sans moi, vous ne
pouvez rien faire » ni dans l' ordre naturel ni dans l ' ordre surnaturel.
L' humilité est ainsi la racine de toutes les vertus catholiques. La perspective
panthéiste affirme au contraire que l 'homme est Dieu, un Dieu qui s ' ignore.
Toutes les lois morales tombent alors mais l ' homme doit surtout réaliser sa

9 Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1, q. 3, a. 1 . Abrégé ultérieurement en ST. Nous


utiliserons la traduction des Éditions du Cerf, ainsi que la traduction de la Revue des jeunes
(Desclée et Cie, Paris). Somme contre les Gentils, liv. 1, ch. 1 7 . Abrégé ultérieurement en CG.
10 À proprement parler, le matérialisme est la forme la plus grossière, la plus épaisse, du pan­
théisme.
14 Le crucifiement de saint Pierre

divinité, en prendre conscience, parvenir à sa connaissance non par la foi


mais par la gnose. Tous sont sauvés. Le salut est universel : les hommes ne
sauraient aller en enfer, étant d' essence divine. Il leur faut par contre sortir
de l' ignorance et de l' erreur qui leur voile leur divinité et les enferme dans
l ' illusion de l' individualité, de la « séparativité ». Orgueil infini qui n'est
autre que celui de l' ange apostat 1 1 et qui reste éternellement muet sur
1' origine de cette prétendue illusion, de maya .
L' homme est alors sa propre loi, sa propre norme. Il ne lui faut plus vi­
vre dans la justice et de la grâce, d ' un don gratuit et surnaturel qui doit suré­
lever sa nature mais bien au contraire prendre conscience de sa véritable
nature, divine. Comme l' ange rebelle, l' homme affirme que sa nature est
gracieuse, d' une grâce inamissible.
Le panthéisme, la gnose et la maçonnerie mènent donc directement à la
confusion du naturel et du surnaturel, à l' affirmation que la nature est gra­
cieuse. Cette affirmation forme la base de la nouvelle théologie et découle
immédiatement des théories de la maçonnerie, tant de fois condamnée par le
magistère. Il importe donc de montrer également que la confusion entre la
nature et la grâce mène en sens inverse au panthéisme, achevant de prouver
que ces deux erreurs sont équivalentes et que Vatican II conduit immédia­
tement aux thèses panthéistes, gnostiques et maçonniques propagées par
l' Adversaire. Si notre nature est gracieuse, d' une grâce inamissible parce
que naturelle, nous sommes tous destinés à la Jérusalem céleste où Dieu
sera « tout en tous», où, selon 1' exégèse conciliaire, nous serons Dieu. Et
Dieu, éternel, se connaissant Lui-même hors du temps, nous voit éternelle­
ment en Lui (cf infra) .
Affirmer que notre nature est gracieuse conduit donc, selon l a logique
conciliaire, à une position panthéiste. En va-t-il de même si, au lieu de rai­
sonner à partir des présupposés conciliaires, nous restons dans le cadre de la
théologie catholique, de la vérité ? Est-il également vrai que, pour la droite
raison, affirmer que notre nature est gracieuse mène au panthéisme ? Si no­
tre nature est gracieuse, nous pouvons naturellement voir Dieu dans son
essence. Or « aucune substance créée ne peut parvenir par sa vertu naturelle
à voir Dieu dans son essence» (Saint Thomas) 1 2 , Dieu lui étant infiniment
supérieur. Il faut alors affirmer que nous sommes incréés.

* *

11
ST, 1, q. 63, a. 3.
12
CG, liv. III, ch. 52.
La doctrine catholique de la création 15

Saint Thomas montre que Dieu est simple et qu ' Il est un. Dieu est simple
car « Tout composé est postérieur à ses composants et dans leur dépen­
dance ; or, Dieu est l' être premier, comme on l ' a fait voir. » 1 3

« Que Dieu est un se démontre de trois manières.


« 1. En partant de sa simplicité. En effet, il est manifeste que ce qui
donne à un étant singulier d' être le singulier qu ' il est, n' est en aucune
façon communicable à plusieurs. Certes ce qui fait que Socrate est un
homme peut être communiqué à beaucoup d' autres ; mais ce qui fait
de lui cet homme singulier n' appartient qu ' à un seul. Donc, si Socrate
était homme en raison de cela même qui fait de lui cet homme, de
même qu' il ne peut y avoir plusieurs Socrate, il ne pourrait y avoir
plusieurs hommes. Or, c ' est cela qu ' il faut dire de Dieu. La nature de
Dieu est Dieu même, ainsi qu ' on 1' a fait voir [car Dieu est simple]. Il
est donc Dieu par cela même qu ' il est ce Dieu-ci. Il est donc impossi­
ble qu ' il y ait plusieurs dieux.
« 2. À partir de l' infinité de sa perfection. On a montré plus haut
que Dieu comprend en lui toute la perfection de 1' être. On raisonne
donc ainsi : s'il y avait plusieurs dieux, il faudrait qu ' ils diffèrent entre
eux. Donc, quelque chose se trouverait en l ' un, qui ne se trouverait pas
en l' autre. Et s ' il en était ainsi, une certaine privation affecterait cet
autre et il ne serait pas purement et simplement parfait. Il est donc im­
possible qu ' il y ait plusieurs dieux. Et c' est pourquoi les philosophes
anciens eux-mêmes, comme contraints par la vérité, en affirmant un
principe infini, ont affirmé qu' il était unique.
« 3. À partir de l ' unité du monde. Tous les étants se montrent or­
donnés entre eux, certains étant au service de quelques autres. Or, des
choses diverses ne concourraient pas à un ordre unique si ce n' est par
la vertu d ' un ordonnateur unique. Une multitude, en effet, est assujet­
tie à un ordre unique par un seul mieux que par plusieurs ; car c' est
l ' un qui est par soi cause de l ' un, tandis que plusieurs ne sont cause de
l ' un que par accident, c' est-à-dire dans la mesure où ils sont un en
quelque façon. Donc, comme, en général, ce qui est premier est le plus
parfait et par soi, non par accident, il est nécessaire que ce qui est le
premier ordonnateur de tous les étants, selon un ordre qui est unique,
soit un. Et c' est Dieu.» (Saint Thomas) 14

La réfutation du panthéisme en découle immédiatement :

1 3 ST, 1, q. 3, a. 7 .
1 4 ST, I, q.ll, a. 3.
16 Le crucifiement de saint Pierre

« La sainte Église catholique apostolique romaine croit et professe


qu' il y a un seul Dieu vrai et vivant, créateur et Seigneur du ciel et de
la terre, tout-puissant, éternel, immense, incompréhensible, infini en
intelligence, en volonté et en toute perfection ; vu qu ' il est une subs­
tance spirituelle unique et singulière, absolument simple et immua­
ble, il faut affirmer qu' il est distinct du monde en réalité et par es­
sence, qu' il est parfaitement heureux en lui-même et par lui-même, et
qu ' il est ineffablement élevé au-dessus de tout ce qui est et peut se
concevoir en dehors de lui. [ . . . ]
« Canons
« Contre toutes les erreurs concernant l' existence de Dieu créateur.
« 1 . Si quelqu ' un refuse d' admettre qu ' il y a un seul Dieu vrai,
créateur et Seigneur des choses visibles et invisibles, qu ' il soit ana­
thème.
« 2. Si quelqu' un ne rougit pas d' affirmer qu' il n' existe rien en de­
hors de la matière, qu ' il soit anathème.
« 3 . Si quelqu ' un dit que la substance ou l' essence de Dieu et de
tous les êtres est une et identique, qu ' il soit anathème.
« 4. Si quelqu' un dit que les choses finies, soit corporelles soit spi­
rituelles, ou au moins les spirituelles, sont émanées de la substance
divine, ou que l' essence divine devient toute chose en se manifestant
ou en évoluant, ou enfin que Dieu est l' être universel ou indéfini, qui,
en se déterminant, constitue l' universalité des choses, distinctes en
genres, espèces et individus, qu' il soit anathème.» (Vatican 1, Dei Fil­
ius, 1 et can. 1 ) 1 5

L e Père Garrigou-Lagrange, qui fut professeur à l a Faculté de théologie


de 1' Angelico, à Rome, commente ainsi ce passage :

« Sens et portée de la définition sur la distinction de Dieu et du


monde. Le Concile aborde ensuite la question de la distinction de
-

Dieu et du monde. Dès 1 2 1 5 , le IVe Concile de Latran avait condamné


le panthéisme d' Amaury de Chartres, comme une folie plutôt que
comme une hérésie. La réapparition et les progrès de cette erreur exi­
geaient une définition plus explicite et motivée. Le Concile définit
donc la distinction de Dieu et du monde, et indique les principales
preuves de cette doctrine. Ces preuves sont réduites à trois : « Deus
qui cum sit una singularis, simplex omnino et incommutabilis substan-

1 5 Sauf mention contraire, les traductions des textes du magistère proviennent de Henrici
Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, Enchiridion Symbolorum, Paris, les
Éditions du Cerf, 1 996. Abrégé par la suite en Denz ou Dz ou DS.
La doctrine catholique de la création 17

tia spiritualis, praedicandus est re e t essentia a munda distinctus. » 16


- 1 o Dieu est unique par nature ; c ' est-à-dire que la nature divine ne
peut se multiplier en plusieurs êtres, elle ne peut être réalisée qu' en un
seul Dieu ; 1' être de Dieu est donc réellement et essentiellement dis­
tinct du monde où l ' on trouve la multiplicité des genres, des espèces,
des individus. - 2° Dieu est absolument simple ; l ' être de Dieu est
donc réellement et essentiellement distinct du monde, où 1' on constate
soit la composition physique (parties physiquement distinctes les unes
des autres dans les corps), soit la composition métaphysique (essence
susceptible d' exister et existence), soit la composition logique (genre
et différence spécifique) . - 3 ° Dieu est immuable, l ' être de Dieu est
donc réellement et essentiellement distinct du monde, où 1' on constate
partout le changement ou la possibilité du changement. » 17

« [L]e panthéisme, pour l ' expliquer [l ' être imparfait] , identifie le


parfait et l ' imparfait : tout est un ; l ' être nécessaire, c' est l ' être qui
change, l ' absolu, c' est le relatif que nous saisissons, le souverain bien,
c ' est, du moins dans sa racine, le mal que nous constatons. Multiplici­
té des êtres, imperfection, désordre sont évidemment un problème à
résoudre, « mais il est en quelque sorte plus inaccessible aux pan­
« théistes qu' à tous les autres . . . Comment les panthéistes viennent-ils
« alléguer que vouloir l ' imparfait, le souhaiter, le penser est une
« dégradation, et que le contenir n ' en est pas une ? N' est-ce pas se
« jouer ? » J. Simon, La religion naturelle, 1 873, part. 1 , c. III, p. 1 05 .
« S i le mal est pour nous un embarras, i l est pour vous une
« impossibilité. » Ibid. , p. 1 09 . Ce qui est contradiction logique, quand
nous le considérons en abstrait, est un démenti donné à la conscience,
quand nous nous interrogeons nous-mêmes : mon acte libre est une
nécessité de l ' Un, ma souffrance physique, ma faute morale une per­
fection de l ' Un, mon individualité distincte un élément de l ' Unité.
« On peut écrire ces choses à la condition de tromper les autres, on ne
« peut les penser qu' en se dupant soi-même. » Mgr d' Hulst, Mélanges
philosophiques, 1 893, p. 263 . Que le fini soit un mode de l' infini,
comme dans Parménide et Spinoza, ou une émanation de l ' Un comme
chez Plotin et les alexandrins, ou un moment de la Pensée, comme
chez Hegel, ou la face réelle de l ' Idéal, comme dans Vacherot, de
toute façon la même difficulté subsiste : contradiction de 1' expérience

16
« Vu que Dieu est une substance spirituelle unique et singulière, absolument simple et im­

muable, il faut affirmer qu'il est distinct du monde en réalité et par essence».
1 7 Réginald Garrigou-Lagrange, Dieu, Son Existence et sa Nature, solution thomiste des anti­
nomies agnostiques, Paris, Gabriel Beauchesne, 1 9 1 5 , p. 1 3 . Voir p. 379 sq.
18 Le crucifiement de saint Pierre

et de la conscience qui affirme non l' identité, mais la multiplicité au


moins des personnes, contradiction du bon sens qui se refuse à admet­
tre qu' une imperfection quelconque, mode ou reflet, ou phase de
1' Être, soit 1' expression nécessaire de la perfection : de toute façon le
mal est en Dieu, l ' imparfait dans le parfait puisqu' il en procède dans
l' unité d'un seul être. Le même, dans tout panthéisme, c ' est-à-dire un
principe supposé unique, est le divers par identité !
« c) Reste la troisième solution 1 8 • À 1' origine de toutes choses,

l ' Un, immobile parce que nul besoin, nul désir ne peut altérer sa quié­
tude, toujours le même parce qu' il n ' y a rien d' autre qu' il puisse ac­
quérir en dehors de ce qu' il est, unique parce qu' il épuise par la pléni­
tude de son être toute perfection, tout-puissant parce qu' il est tout être.
Il crée, c' est-à-dire qu' il pose en dehors de soi non pas de l 'être
comme le sien - la perfection d'être est infractionnable, comme la no­
tion même : on est ou l ' on n' est pas ; il est impossible d' être à demi ­
il pose en dehors de soi, dans le néant qui ne peut lui résister, quelque
chose qui est néant de soi, mais qu' il constitue par une action conti­
nue, quelque chose qui a son explication à chaque instant dans
l 'énergie de l 'être nécessaire, qui ne peut par conséquent
s ' additionner à lui comme être et être, puisqu ' il n' est rien dans l'un
qui ne vienne de l' autre, mais qui cependant fait quelque figure grâce
à la puissance de Celui qui peut tout, qui est réel, parce que cette par­
ticipation de l ' être le constitue vraiment en dehors de Celui qui est
tout, qui demeure malgré tout néant de son propre fonds, parce que
toute sa puissance d' être est faite de l' action d'un autre. En quoi
consiste celle action singulière ? - Nul ne le sait que celui qui est ca­
pable de la poser, mais on ne peut prouver a priori qu' elle est impos­
sible (voir col. 2037 sq.) a posteriori, qu' elle n' est pas une réalité, si
elle se présente comme la seule explication possible des données évi­
dentes de la conscience et des sens : quelque chose existe qui n 'étant
pas paifait ne s 'explique pas tout seul. La raison philosophique a bien
le droit de dépasser les évidences du bon sens ; elle n ' a jamais le droit
de les contredire. » (Dictionnaire de théologie catholique ) 1 9

18
L'auteur envisage les trois solutions possibles à la question de l'existence du monde : le
dualisme, le panthéisme et la doctrine de la création. Après avoir éliminé les deux premières
parce qu'impossibles, il en arrive à la troisième.
19 A. Vacant, E. Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané,

éditeurs, 1 909, Article Création, Col. 2 1 08 et 2 1 09 . Article rédigé par H. Pinard. Le Diction­
naire de théologie catholique (abrégé ultérieurement en DTC) est un ouvrage anté-conciliaire
considérable (30 forts volumes plus trois volumes de tables) auquel de nombreux auteurs ont
contribué et dont les articles jouissent souvent d'une grande autorité.
La doctrine catholique de la création 19

Les 24 thèses thomistes furent approuvées par saint Pie X (Doctoris an­
ge/ici du 29 juin 1 9 1 4) puis par Benoît XV le 7 mars 1 9 16 et publiées par la
Sacrée Congrégation des études le 27 juillet 1 9 14. Voici les trois dernières :

« 22. L' existence de Dieu, nous ne la percevons point dans une in­
tuition immédiate, nous ne la démontrons pas a priori, mais bien a
posteriori, c ' est-à-dire par les créatures, l ' argument allant des effets à
la cause : savoir, des choses qui sont mues et qui ne peuvent être le
principe adéquat de leur mouvement, à un premier moteur immobile ;
du fait que les choses de ce monde viennent de causes subordonnées
entre elles, à une première cause non causée ; des choses corruptibles
qui sont indifférentes à être ou à n' être pas, à un être absolument né­
cessaire ; des choses qui, selon des perfections amoindries d' être, de
vie et d' intelligence, sont, vivent, pensent plus ou moins, à celui qui
est souverainement intelligent, souverainement vivant, souveraine­
ment être ; enfin, de l ' ordre de l ' univers, à une intelligence séparée qui
a mis en ordre et disposé les choses et les dirige vers leur fin.
« 23. L' essence divine, par là même qu' elle s ' identifie avec
l' actualité en exercice de son existence, en d' autres termes, qu' elle est
l' Être même subsistant, s ' offre à nous comme bien constituée pour
ainsi dire dans sa raison métaphysique et par là aussi elle nous fournit
la raison de son infinité en perfection.
« 24. Donc, par la pureté même de son être, Dieu se distingue de
toutes les choses finies. De là il s' ensuit d' abord que le monde n ' a pu
procéder de Dieu que par une création ; ensuite que le pouvoir créa­
teur, qui atteint de sa nature premièrement l ' être en tant qu' être, ne
peut, pas même par miracle, se communiquer à aucune nature finie ;
enfin qu' aucun agent créé ne peut influer sur l ' être d'un effet quel
qu' il soit, si ce n' est par une motion reçue de la Cause première. »

Pour en terminer avec la question du panthéisme, nous souhaitons ré­


pondre à 1' objection faite par les panthéistes : « Puisque Dieu est infini, Il
contient tout. Si quelque chose restait en dehors de Lui, Il serait limité. » Ce
sophisme nie précisément la toute-puissance créatrice de Dieu : le Dieu in­
fini des panthéistes n ' est plus tout-puissant et, malgré l ' infinité qu' ils lui
concèdent, sa toute-puissance est limitée par son impossibilité de créer. Le
Père Garrigou-Lagrange développe ainsi ces idées :

« Le panthéisme objecte : mais à l' Infini rien ne peut être ajouté, si


donc le monde s ' aj oute comme une réalité nouvelle, à l' être de Dieu,
l' être de Dieu n' est pas infini .
20 Le crucifiement de saint Pierre

« À cela il est facile de répondre : rien ne peut s ' ajouter à l ' Infini
dans le même ordre, et la contradiction du panthéisme consiste préci­
sément à ajouter à l ' Infini des modes finis, de telle sorte que l ' Infini
est en même temps fini. Mais il ne répugne pas que dans un ordre infé­
rieur quelque chose s ' ajoute à l ' Être infini, comme un effet s ' ajoute à
la cause éminente qui le produit. Le nier, serait refuser à l ' Être infini
la perfection de la causalité [et de la toute-puissance créatrice] , dès
lors il ne serait plus infini.
« Le panthéisme insiste : mais alors, après la production des êtres
créés, il y a plus d 'être qu' avant. On est ainsi conduit à soutenir ce
qu ' on reproche aux évolutionnistes, savoir que le plus sort du moins.
« Après la création, il n'y a pas plus d' être, plus de perfection,
mais plusieurs êtres, comme lorsqu' un maître a formé un disciple, il
n'y a pas plus de science, mais plusieurs savants. Encore cette analo­
gie est-elle fort éloignée ; si excellent que soit un maître, son école et
lui sont plus parfaits que lui seul. Mais si une cause est infinie, elle
contient d' avance dans son éminence toute la perfection de ses effets.
« Il est déjà vrai de dire dans l ' ordre de la quantité : l' infini plus un
égale toujours l ' infini. Si l ' ·o n suppose que la série des jours n' a pas
commencé ou qu' elle est infinie a parte ante, de nouveaux jours peu­
vent s ' ajouter a parte post, la série n' augmente pas en tant qu' infinie,
mais seulement en tant qu ' elle était finie d'un côté, in ratione finiti .
« À plus forte raison, si 1' on parle de 1' infini de perfection, qui est
la plénitude non pas de la quantité ou de l ' étendue, mais de 1' être, de
la vie, de la sagesse, de l' amour, de la sainteté, il est évident qu' après
la création il n ' y a pas plus de perfection, plus d' être, plus de vie, plus
de sagesse, plus de sainteté. Mais cela suppose que 1' être est analogue
et non pas univoque, à cette condition seulement la plénitude de l' être
est réalisée dans le Premier être. » (Garrigou-Lagrange)20

Le panthéisme se présente également sous une forme légèrement diffé­


rente, où l ' on affirme non plus directement que le monde est divin mais que
Dieu en serait l ' âme. Or ceci ne saurait convenir à la transcendance di­
vine. « De l ' union de la matière et de la forme résulte un composé, qui est
un tout relativement à la matière et à la forme ; et les parties sont en puis­
sance par rapport au tout. Or, en Dieu il n ' y a rien de potentiel ; donc Dieu
ne peut être une forme unie à une certaine chose. »2 1 Affirmer que Dieu est

20 Réginald Garrigou-Lagrange, Dieu, Son Existence et sa Nature, solution thomiste des anti­
nomies agnostiques, op. cit., p. 385 sq.
21 CG, 1, 27.
La doctrine catholique de la création 21

l ' âme de l ' univers s' oppose également à son immutabilité et à son impassi­
bilité, allant jusqu ' à introduire la souffrance, et donc le mal, en Lui.
Dieu est distinct du monde. Il y est présent de deux manières : en toute
créature, par sa présence générale d ' immensité ; et d' une présence spéciale
dans les justes.

« LA PRESENCE SPECIALE DE LA SAINTE TRINITE DANS LES JUSTES


« La foi nous enseigne d' abord que Dieu est présent en toute créa­
ture, quelle qu' elle soit ; c ' est la présence générale d' immensité.
Comme il est dit dans le psaume cxxxvm, 7 : « Où aller, Seigneur,
« pour me dérober à ton esprit. Où fuir pour échapper à ton regard ? Si
« je monte aux cieux, tu y es ; si je me couche dans le séjour des
« morts, tu y es encore. » C ' est ce qui fait dire à saint Paul, prêchant à
l' Aréopage : « Le Dieu qui a fait le monde, étant le Seigneur du ciel
« et de la terre . . . , n 'est pas loin de chacun de nous, car c 'est en lui que
« nous avons la vie, le mouvement et l 'être » (Act., XVII, 28).
« Saint Thomas, la, q. 8, a. 3, explique bien cette présence générale,
en remarquant que Dieu est présent à toutes choses par sa vision infi­
nie, devant laquelle tout est à découvert, même les secrets des cœurs,
par sa puissance, dont la causalité s ' étend à tout ce qui existe et sans
le concours de laquelle nous ne pouvons agir même dans l' ordre natu­
rel ; enfin il est présent à tout par son essence, qui s ' identifie avec sa
vertu créatrice et conservatrice, par laquelle il conserve les esprits et
les corps dans 1' existence. Il est ainsi en contact profond, caché et
immédiat avec tous les êtres, avec ce qu ' il y a de plus intime en cha­
cun, et si cette action divine conservatrice, qui est la continuation de
l ' acte créateur, cessait, toute créature serait immédiatement annihilée,
elle retournerait au néant, comme la lumière cesse dans l ' air lorsque le
soleil se retire.
« C ' est là un dogme de foi que Dieu est tout entier réellement pré­
sent dans tous les êtres créés, plantes, hommes, anges ou démons. Il y
est présent comme une cause est présente à l ' effet propre qu' elle pro­
duit et conserve ; l ' être en tant qu ' être de chaque créature est l' effet
propre de Dieu, comme l ' éclairement est l' effet de la lumière. Ainsi
Dieu est tout entier au ciel, et tout entier sur la terre, en sorte qu ' il
contient tous les lieux et n ' est contenu par aucun. Il est comme le
foyer d'où s ' échappe la vie de la Création, et comme la force centrale
qui attire tout à elle selon 1' expression déj à citée de la liturgie.
« Rerum Deus tenax vigor,
« Immotus in te permanens22 •

22
Force et soutien du monde entier, Dieu qui demeures sans changer.
22 Le crucifiement de saint Pierre

« La Présence spéciale selon l ' Écriture


« Mais la sainte Écriture ne nous parle pas seulement de cette pré­
sence générale de Dieu en toutes choses, elle nous parle aussi d' une
présence spéciale de Dieu dans les justes : Il est dit au livre de la Sa­
gesse, 1 , 4 : « La Sagesse divine n 'entrera pas dans une âme mé­
chante, et elle n 'habitera pas dans un corps assujetti au péché. » Se­
rait-ce seulement la grâce créée ou le don créé de sagesse qui viendrait
habiter dans l ' âme juste ? Les paroles de Notre-Seigneur nous mon­
trent que ce sont les Personnes divines elles-mêmes qui viennent habi­
ter en nous : « Si quelqu 'un m 'aime, dit-il, il observera ma parole, et
« mon Père l 'aimera, et nous viendrons en lui et nous ferons en lui
« notre demeure (Joan., XIV, 23). Toutes ces paroles sont à noter :
« Nous viendrons. » - Qui va venir ? seraient-ce de simples effets
créés, des dons même surnaturels ? - Non, ceux qui viennent, ce sont
ceux qui aiment, les personnes divines, le Père et le Fils, dont n' est
jamais séparé l ' Esprit-Saint, promis du reste par Notre-Seigneur et vi­
siblement envoyé à la Pentecôte. Nous viendrons dans l' âme juste, et
non pas seulement de façon transitoire, mais nous y ferons notre de­
meure ; nous habiterons en elle, tant qu' elle restera juste, ou en état de
grâce.
« Ainsi l' ont compris les Apôtres. Saint Jean écrit (1 Joan., IV, 9-
1 6) : « Dieu est charité. . . et celui qui est dans la charité demeure en
Dieu, et Dieu en lui. » Il contient Dieu en son cœur, mais il est encore
plus vrai de dire que Dieu le contient, en lui conservant non seulement
1' existence naturelle, mais la vie de la grâce.
« Saint Paul dit de même : « Ne savez-vous pas que vous êtes un
temple de Dieu et que l 'Esprit de Dieu habite en vous ? » (I Cor., III,
1 6) . « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit
« qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous n' êtes plus
« à vous-mêmes ? Car vous avez été rachetés à grand prix. Glorifiez
« donc Dieu dans votre corps. » (l Cor., VI, 1 9) .
« Et comme Notre-Seigneur et saint Jean, saint Paul nous dit que,
avec la charité qui nous a été donnée, nous avons reçu le donateur lui­
même : « La charité de Dieu a été répandue en vous par l 'Esprit-Saint
qui vous a été donné » (Rom., v, 5 ) .
« Saint Ignace d' Antioche dit d e même que les vrais chrétiens por­
tent Dieu en eux, il les appelle « theophoroi » ou porte-Dieu. Cette
doctrine est répandue dans l ' Église primitive, les martyrs la procla­
ment hautement devant leurs juges. Sainte Lucie répond à Paschase :
« Les paroles ne peuvent manquer à ceux qui ont en eux le Saint­
Esprit. » - « Le Saint-Esprit est donc en toi ? » - « Oui, tous ceux
qui mènent une vie chaste et pieuse sont le temple du Saint-Esprit. »
La doctrine catholique de la création 23

«Cette doctrine révélée a été plusieurs fois proclamée par


l ' Église : «Spiritus sanctus qui . . . in apostolis locutus est et in sanctis
habitat23• » 24 - «Justificationis . . . causa efficiens (est) misericors
«Deus, qui gratuito abluit et sanctificat, signans et ungens Spiritu
«promissionis S ancto, qui est pignus haereditatis nostrae (Ephes., 1 ,
« 13 ) . » 25 26
«Les paroles de l ' Évangile de saint Jean, XI V , 23, que nous venons
de citer montrent que ce sont bien les trois personnes de la sainte Tri­
nité qui habitent en nous (Le Père et moi nous viendrons . . . ) ; si cette
présence spéciale est appropriée au Saint-Esprit, c ' est parce qu ' il est
spécialement envoyé par les deux autres Personnes dont il procède, et
parce que la charité nous assimile plus au Saint-Esprit qui est l ' amour
personnel, que les dons intellectuels ne nous assimilent au Verbe ;
nous ne lui serons parfaitement assimilés que lorsque nous recevrons
la lumière de gloire, et lui-même nous assimilera au Père dont il est la
splendeur27 . » (Garrigou-Lagrange) 2 8

«On dit qu ' une Personne divine est «envoyée », en tant qu ' elle
existe en quelqu ' un d' une manière nouvelle ; elle est «donnée », en
tant qu' elle est possédée par quelqu ' un. Or ni l ' un ni l' autre n ' a lieu
sinon en raison de la grâce sanctifiante. Il y a en effet pour Dieu une
manière commune d' exister en toutes choses par son essence, sa puis­
sance et sa présence ; il y est ainsi comme la Cause dans les effets qui
participent de sa bonté. Mais, au-dessus de ce mode commun, il y a un
mode spécial qui est propre à la créature raisonnable : en celle-ci, on
dit que Dieu existe comme le connu dans le connaissant et l' aimé dans
l' aimant. Et parce qu' en le connaissant et aimant, la créature raisonna­
ble atteint par son opération jusqu ' à Dieu lui-même, on dit que, par ce
mode spécial, non seulement Dieu est dans la créature raisonnable,
mais encore qu' il habite en elle comme dans son temple. Ainsi donc,
en dehors de la grâce sanctifiante, il n ' y a pas d' autre effet qui puisse
être la raison d ' un nouveau mode de présence de la Personne divine
dans la créature raisonnable. Et c' est seulement à raison de la grâce

23 Symbolum Epiphanie, Denz. No 1 3 .


24 Le Saint-Esprit . .. parle dans les apôtres et habite dans les saints.
25 Cane. Trid. Denz.No 799.
26 La cause efficiente . . . de la justification (est) : Dieu qui, dans sa miséricorde, lave et sanc­
tifie gratuitement ( 1 Co 6, 1 1 ) par le sceau et l'onction de l'Esprit Saint promis "qui est le gage
de notre héritage" (Ephes. 1, 1 3).
27 Cf LÉON XIII, Encycl. Divinum illud munus.
28 Reg. Garrigou-Lagrange, L'amour de Dieu et la Croix de Jésus, Éditions du Cerf, Juvisy,
1 929, p. 163 sq. Voir également p. 676 sq.
24 Le crucifiement de saint Pierre

sanctifiante qu' il y a mission et procession temporelle de la Personne


divine. De même, on dit que nous «possédons » cela seulement dont
nous pouvons librement jouir. Or, on n ' a pouvoir de jouir d' une Per­
sonne divine qu ' en raison de la grâce sanctifiante.
«Cependant, dans le don même de la grâce sanctifiante, c' est le
Saint-Esprit que l ' on possède et qui habite l' homme. Aussi est-ce le
Saint-Esprit lui-même qui est donné et envoyé. » (Saint Thomas) 29

29 ST, 1, q. 43, a. 3 .
CHAPITRE II

Le décret sur la j ustification

ous allons donner plusieurs extraits du décret sur la justification3 0 ,


N chef d' œuvre du concile de Trente 3 1 • Le texte présenté est certes un
peu long. Pourtant nous sommes convaincu qu ' il est nécessaire, avant
d' aborder les thèses maçonniques et conciliaires, de rappeler la doctrine
catholique sur la grâce. Les idées gnostiques sont fort séduisantes, captieu­
ses : l ' homme est un Dieu qui s' ignore mais qui reprendra possession de sa
divinité - thèses reprises mutatis mutandis par Vatican II. L ' ascèse et la
mortification catholiques, le renoncement, la sanctification et la Croix
n'éveillent certes pas le même écho chez le vieil homme qui se refuse à
mourir. Il est donc nécessaire, pour mettre en évidence l ' incompatibilité
entre les affirmations maçonniques et conciliaires et la doctrine révélée, de
rappeler celle-ci en détail : 1' opposition entre la doctrine catholique et les
allégations maçonniques forme la trame de cette première partie tandis que
la seconde gravite autour de 1' opposition entre la doctrine catholique et les
textes conciliaires.
La confusion entre la nature et la grâce constitue le socle des théories
maçonniques et conciliaires tandis que le décret sur la justification insiste
sur la nécessité de la grâce et des sacrements pour parvenir au salut. Il met­
tra ainsi en évidence l' inanité des thèmes gnostiques et conciliaires que nous
retrouverons tout au long de ce travail : confusion entre le Créateur et la
créature, entre la nature et la grâce, salut universel, négation de l' existence
de l' enfer, apocatastase32 , divinité de l ' âme et de l' homme, unité du genre
humain, œcuménisme et réalisation de notre divinité par la gnose.
«Sous le nom de justification, la théologie désigne l' acte par lequel Dieu
fait passer une âme de l' état de péché à l ' état de grâce » 33 , le «transfert de
1' état dans lequel 1' homme naît du premier Adam à 1' état de grâce et
d' adoption des fils de Dieu (Rm 8, 1 5), par le second Adam, Jésus Christ,
notre Sauveur. » 3 4 Il s ' agit donc d' abord d'un acte de Dieu, surnaturel, au­
quel nous devons coopérer.

30 è
6 me session du concile de Trente, 1 3 janvier 1 547. Dz na 1 5 20. Nous supprimons tous les
passages qui se rapportent spécifiquement à la controverse avec les protestants concernant la
justification. Nous donnons donc une vue déséquilibrée et unilatérale du décret, néanmoins
suffisante pour notre travail et pour condamner la théorie de la grâce naturelle.
31
Nous omettons donc les guillemets pour alléger la composition.
3 2 Doctrine gnostique, condamnée par l'Église (Dz 409, 4 1 1), selon laquelle tout et tous re­
tourneront en Dieu à la fin des temps.
33
DCT, art.Justification. Justification est encore synonyme de sanctification.
34
Cf infra.
26 Le crucifiement de saint Pierre

Chapitre 1. Impuissance de la nature et de la Loi à justifier les


hommes.
En premier lieu, le saint concile déclare que, pour avoir une intelligence
exacte et authentique de la doctrine de la justification, il faut que chacun
reconnaisse et confesse que, tous les hommes ayant perdu l' innocence dans
la prévarication d' Adam (Rm 5 , 1 2 ; 1 Co 1 5 , 22), «devenus impurs » (Is
64, 6) et (comme le dit l' Apôtre) «enfants de colère par nature » (Ep 2, 3)
comme cela a été exposé dans le décret sur le péché originel, ils étaient à ce
point «esclaves du péché » (Rm 6, 20) et sous le pouvoir du diable et de la
mort, que non seulement les païens, par la force de la nature (can. 1 ), mais
aussi les juifs, par la lettre même de la Loi de Moïse, ne pouvaient se libérer
ou se relever de cet état, même si le libre arbitre n' était aucunement éteint
en eux (can. 5), bien qu ' affaibli et dévié en sa force.

Chapitre 2. L'économie et le mystère de la venue du Christ


[ . . . ] C' est [le Christ Jésus] que «Dieu a établi victime propitiatoire par
son sang moyennant la foi » (Rm 3 , 25) «pour nos péchés, non seulement
pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier » ( 1 Jn 2, 2).

Chapitre 3. Ceux qui sont justifiés par le Christ


Mais, bien que lui soit «mort pour tous » (2 Co 5 , 1 5 ), tous cependant ne
reçoivent pas le bienfait de sa mort mais ceux-là seulement auxquels le mé­
rite de sa Passion est communiqué. En effet, de même qu ' en toute vérité les
hommes ne naîtraient pas injustes s ' ils ne naissaient de la descendance issue
corporellement d' Adam, puisque, quand ils sont conçus, ils contractent une
injustice personnelle par le fait qu ' ils descendent corporellement de lui, de
même ils ne seraient jamais justifiés s ' ils ne renaissaient pas dans le Christ
( can. 2 et 1 0) , puisque, grâce à cette renaissance, leur est accordée par le
mérite de sa Passion la grâce par laquelle ils deviennent justes. [ . . ]
.

Chapitre 4. Esquisse d'une description de la justification de l'impie.


Son mode dans 1' état de grâce.
Ces mots esquissent une description de la justification de l ' impie,
comme étant un transfert de l ' état dans lequel l ' homme naît du premier
Adam à l' état de grâce et d' adoption des fils de Dieu (Rm 8, 1 5), par le se­
cond Adam, Jésus Christ, notre Sauveur. Après la promulgation de
l ' Évangile, ce transfert ne peut se faire sans le bain de la régénération (can.
5 sur le baptême) ou le désir de celui-ci, selon ce qui est écrit «Nul ne peut
entrer dans le Royaume de Dieu s ' il ne renaît pas de l' eau et de l' Esprit
Saint » (Jn 3 , 5 ) .
Le décret sur la justification 27

Chapitre 5. Nécessité pour les adultes d'une préparation à la justifi­


cation. Son origine.
Le concile déclare, en outre, que la justification elle-même chez les adul­
tes a son origine dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus Christ (can. 3),
c' est-à-dire dans un appel de Dieu par lequel ils sont appelés sans aucun
mérite en eux. De la sorte, ceux qui s ' étaient détournés de Dieu par leurs
péchés, poussés et aidés par la grâce, se disposent à se tourner vers la justi­
fication que Dieu leur accorde, en acquiesçant et coopérant librement à cette
même grâce (can. 4 et 5 ) . De cette manière, Dieu touchant le cœur de
l' homme par l' illumination de l ' Esprit Saint, d' une part l' homme lui-même
n' est pas totalement sans rien faire, lui qui accueille cette inspiration qu ' il
lui est possible de rejeter, d' autre part, pourtant, sans la grâce de Dieu, il ne
lui est pas possible, par sa propre volonté, d' aller vers la justice en présence
de Dieu (can. 3). Aussi, lorsqu ' il est dit dans la sainte Écriture «Tournez­
vous vers moi et moi je me tournerai vers vous » (Za 1 , 3), notre liberté
nous est rappelée ; lorsque nous répondons «Tourne-nous vers toi, Sei­
gneur, et nous nous convertirons » (Lm 5, 2 1 ) , nous reconnaissons que la
grâce de Dieu nous prévient.

Chapitre 6. Mode de la préparation.


Les hommes sont disposés à la justice elle-même (can. 7 et 9) lorsque,
poussés et aidés par la grâce divine, concevant en eux la foi qu' ils entendent
prêcher (Rm 1 0, 1 7), ils vont librement vers Dieu, croyant qu ' est vrai tout
ce qui a été divinement révélé et promis (can. 1 2- 1 4) et, avant tout que Dieu
justifie l' impie «par sa grâce, au moyen de la Rédemption qui est dans le
Christ Jésus » (Rm 3, 24) ; lorsque, aussi, comprenant qu ' ils sont pécheurs
et passant de la crainte de la justice divine, qui les frappe fort utilement
( can. 8), à la considération de la miséricorde de Dieu, ils s' élèvent à
l' espérance, confiants que Dieu, à cause du Christ, leur sera favorable,
commencent à l' aimer comme source de toute justice, et, pour cette raison,
se dressent contre les péchés, animés par une sorte de haine et de détestation
(can. 9), c' est-à-dire par cette pénitence que l ' on doit faire avant le baptême
(Ac 2, 38) ; lorsque, enfin, ils se proposent de recevoir le baptême, de com­
mencer une vie nouvelle et d' observer les commandements divins.
De cette disposition il est écrit : «Celui qui approche de Dieu doit croire
qu' il est et qu' il récompense ceux qui le cherchent » (He 1 1 , 6), et : «Aie
confiance, mon fils, tes péchés te sont remis » (Mt 9, 2), et «La crainte du
Seigneur chasse les péchés » (Si 1 , 27) , et : «Faites pénitence et que chacun
de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ, pour la rémission de ses péchés,
et vous recevrez le don de l' Esprit Saint » (Ac 2, 38), et «Allez donc, en­
seignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du
28 Le crucifiement de saint Pierre

Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé »


(Mt 28, 1 9-20) et : «Préparez vos cœurs pour le Seigneur » ( 1 S 7, 3).

Chapitre 7 L a justification d e 1'impie e t ses causes.


Cette disposition ou préparation est suivie par la justification elle-même,
qui n' est pas seulement rémission des péchés (can. 1 1 ), mais à la fois sancti­
fication et rénovation de l' homme intérieur par la réception volontaire de la
grâce et des dons. Par là, d ' injuste l' homme devient juste, d' ennemi ami, en
sorte qu' il est «Héritier, en espérance, de la vie éternelle » (Tt 3, 7). [ . . . ]
Enfin l ' unique cause formelle est la justice de Dieu, « non pas celle par
laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle elle nous fait justes »
( can. 1 0 et 1 1 ) , c' est-à-dire celle par laquelle, l' ayant reçue en don de lui,
nous sommes «renouvelés par une transformation spirituelle de notre es­
prit » (Ep 4, 23) nous ne sommes pas seulement réputés justes, mais nous
sommes dits et nous sommes vraiment justes ( 1 Jn 3, 1 ), recevant chacun en
nous la justice, selon la mesure que l' Esprit S aint partage à chacun comme il
le veut ( 1 Co 1 2, 1 1 ) et selon la disposition et la coopération propres à cha­
cun.
En effet, bien que personne ne puisse être juste que si les mérites de la
Passion de notre Seigneur Jésus Christ lui sont communiqués, c' est cepen­
dant ce qui se fait dans la j ustification de l' impie, alors que, par le mérite de
cette très sainte Passion, la charité de Dieu est répandue par l' Esprit Saint
dans les cœurs (Rm 5, 5) de ceux qui sont justifiés et habite en eux (can.
1 1 ) . Aussi, avec la rémission des péchés, l ' homme reçoit-il dans la justifica­
tion même par Jésus Christ, en qui il est inséré, tous les dons suivants infus
en même temps : la foi, l' espérance et la charité. [ . . . ]

Chapitre 8. Comment comprendre que l'impie est justifié par la foi


et gratuitement.
Lorsque l' Apôtre dit que l' homme est «justifié par la foi » (can. 9) et
gratuitement (Rm 3 , 22-24), il faut comprendre ces mots dans le sens où l ' a
toujours e t unanimement tenu e t exprimé l ' Église catholique, à savoir que si
nous sommes dits être justifiés par la foi, c' est parce que «la foi est le
commencement du salut de l' homme », le fondement et la racine de toute
justification, que sans elle «il est impossible de plaire à Dieu » (He 1 1 , 6) et
de parvenir à partager le sort de ses enfants (2 P 1 , 4) ; et nous sommes dits
être justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification,
que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification. En
effet « Si c ' est une grâce, elle ne vient pas des œuvres ; autrement (comme
le dit le même Apôtre) la grâce n' est plus la grâce » (Rm 1 1 , 6). [ . . . ]
Le décret sur la justification 29

Chapitre 1 0. L'accroissement de la grâce reçue


[Le décret ne se contente pas de condamner la théorie de la nature gra­
cieuse. Il tire également les conséquences de cette condamnation : une fois
justifié, l' homme doit continuer à coopérer à l' œuvre divine pour ne pas
perdre sa justice (ch. 1 1 ) et l' accroître avec ses mérites. Nous insistons sur
cet aspect du décret car cet enseignement est maintenant ignoré : l' homme
étant de nature divine, l ' accroissement de ses mérites est inutile.]
Ainsi donc, ceux qui ont été justifiés et sont devenus « amis de Dieu » et
«membres de sa famille » (Jn 1 5 , 1 5 ; Ep 2, 1 9) marchant «de vertu en ver­
tu » (Ps 83, 8) se renouvellent (comme dit l ' Apôtre) de jour en jour (2 Co 4,
1 6), c' est-à-dire en mortifiant les membres de leur chair (Col 3, 5 ) et en les
présentant comme des armes à la justice pour la sanctification (Rm 6, 1 3-
1 9) , par l ' observation des commandements de Dieu et de l' Église ; ils crois­
sent dans cette justice reçue par la grâce du Christ, la foi coopérant aux
bonnes œuvres (Je 2, 22) et ils sont davantage justifiés (can. 24 et 32), selon
ce qui est écrit : «Celui qui est juste, sera encore justifié » (Ap 22, 1 1 ) et
aussi : «Ne crains pas d' être justifié jusqu ' à la mort » (Si 1 8, 22) et encore
«Vous voyez que l ' homme est justifié par les œuvres et non par la foi
seule » (Je 2, 24) . Cet accroissement de justice, la sainte Église le demande
quand elle dit dans la prière : « Seigneur, augmente en nous la foi,
1' espérance et la charité. »

Chapitre 1 1 . L'observation des commandements. Sa nécessité et sa


possibilité.
Personne, si justifié soit-il, ne doit penser qu ' il est libéré de l' observation
des commandements (can. 20) . Personne ne doit user de cette expression
téméraire et interdite sous peine d' anathèmes par les Pères, à savoir que
pour l' homme justifié les commandements de Dieu sont impossibles à ob­
server (can. 1 8 et 22) . «Car Dieu ne commande pas de choses impossibles,
mais en commandant il t' invite à faire ce que tu peux et à demander ce que
tu ne peux pas », et il t' aide pour que tu le puisses ; ses commandements ne
sont pas pesants ( 1 Jn 5 , 3), son j oug est doux et son fardeau léger (Mt 1 1 ,
30) . En effet, ceux qui sont enfants de Dieu aiment le Christ ; ceux qui
l' aiment (comme il en témoigne lui-même) gardent ses paroles (Jn 1 4 , 23)
ce qui leur est toujours possible avec l' aide de Dieu.
Bien qu' en cette vie mortelle, aussi saints et justes qu ' ils soient, ils tom­
bent parfois au moins dans les péchés légers et quotidiens, qu' on appelle
aussi véniels (can. 23), ils ne cessent pas pour autant d' être justes. En effet
l' expression humble et authentique des justes est celle-ci : «Remets-nous
nos dettes » (Mt 6, 1 2) .
C'est pourquoi les justes eux-mêmes doivent s e sentir d' autant plus obli­
gés à marcher dans la voie de la justice que, désormais «libérés du péché,
30 Le crucifiement de saint Pierre

devenus serviteurs de Dieu » (Rm 6, 22) , vivant « dans 'la tempérance, la


justice et la piété » (Tt 2, 12), ils peuvent progresser par le Christ Jésus qui
leur a ouvert l' accès à cette grâce (Rm 5 , 2) . Car ceux qu ' il a justifiés une
fois, «Dieu ne les abandonne pas, à moins qu ' il ne soit d' abord abandonné
par eux ». [ . . . ]
C ' est pourquoi l ' Apôtre lui-même avertit ceux qui ont été justifiés en ces
termes : «Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous courent,
mais un seul obtient le prix ? Courez de manière à le remporter. Pour moi,
donc, c' est ainsi que je cours, non à l' aventure ; c' est ainsi que je combats,
non comme en frappant dans le vide. Mais je châtie mon corps et je le réduis
en esclavage, de peur qu' après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même
éliminé » ( 1 Co 9, 24 ss.) Et Pierre, le prince des Apôtres «Appliquez-vous
à rendre certaine votre vocation et votre élection par vos bonnes œuvres ; en
agissant ainsi vous ne pécherez jamais » (2 P 1, 10) . [ . . . ]

[Le chapitre 12 : «On doit se garder d' une présomption téméraire


concernant la prédestination » rappelle que, sauf révélation spéciale,
l ' homme ne peut savoir s ' «il est absolument du nombre des prédestinés ».
Le chapitre 13 : «Le don de la persévérance » répète que ce don, qui seul
assure le salut, ne peut venir que de celui qui «a le pouvoir de maintenir
celui qui est debout pour qu ' il continue de l ' être » (Rm 14, 4) .]

Chapitre 1 5 . Tout péché mortel fait perdre la grâce, mais non la foi.
Contre les esprits rusés de certains hommes qui, «par de doux discours
et des bénédictions, séduisent les cœurs simples » (Rm 1 6 , 18), il faut affir­
mer que la grâce de la justification, qui a été reçue, se perd non seulement
par l' infidélité (can. 27), par laquelle se perd aussi la foi elle-même, mais
aussi par n ' importe quel péché mortel, bien qu' alors ne se perde pas la foi
(can. 28). On défend ainsi la doctrine de la Loi divine qui exclut du
Royaume de Dieu non seulement les infidèles, mais aussi les fidèles fornica­
teurs, adultères, efféminés, sodomites, voleurs, avares, ivrognes, médisants,
rapaces ( 1 Co 6, 9- 1 0) et tous les autres qui commettent des péchés mortels
dont, avec l ' aide de la grâce divine, ils peuvent s' abstenir et à cause des­
quels ils sont séparés de la grâce du Christ (can. 27) .

Chapitre 1 6. L e fruit d e l a justification : l e mérite, les bonnes œu­


vres. Sa nature.

C' est donc dans cette perspective qu' il faut proposer aux hommes justi­
fiés, qu' ils aient sans cesse gardé la grâce reçue ou qu' ils l ' aient recouvrée
après l ' avoir perdue, les mots de l ' Apôtre : «Soyez riches de toute œuvre
bonne, sachant que votre labeur n' est pas vain dans le Seigneur » ( 1 Co 15 ,
Le décret sur la justification 31

58) car « Dieu n' est pas injuste au point d' oublier ce que vous avez fait et la
charité dont vous avez fait preuve en son nom » (He 6, 1 0), et : « Ne perdez
pas votre confiance ; elle aura une grande récompense » (He 1 0, 35). Et
c' est pourquoi, à ceux qui agissent bien « jusqu ' à la fin » (Mt 1 0, 22 ; Mt
24, 1 3 ) et qui espèrent en Dieu, il faut proposer la vie éternelle à la fois
comme la grâce miséricordieusement promise par le Christ Jésus aux fils de
Dieu et « comme la récompense », que Dieu, selon la promesse qu ' il a faite
lui-même, accordera à leurs œuvres bonnes et à leurs mérites (can. 26 et 32).
Telle est, en effet, « la couronne de justice » dont l' Apôtre disait qu ' elle lui
était « réservée après son combat et sa course et lui serait donnée par le juste
juge, non seulement à lui, mais aussi à tous ceux qui attendent avec amour
son avènement » (2 Tm 4, 7-8).
Le Christ Jésus lui-même communique constamment sa force à ceux qui
ont été justifiés, comme la tête aux membres (Ep 4, 1 5 ), comme le cep aux
sarments (Jn 1 5 , 5) force qui toujours précède, accompagne et suit leurs
bonnes œuvres et sans laquelle celles-ci ne pourraient en aucune manière
être agréables à Dieu et méritoires (can. 2). Aussi faut-il croire qu ' il ne
manque rien d' autre aux justifiés eux-mêmes pour qu ' ils soient estimés
avoir pleinement satisfait à la Loi de Dieu, dans les conditions de cette vie,
par ces œuvres qui ont été faites en Dieu (Jn 3 , 2 1 ) , et avoir vraiment mérité
d' obtenir, en son temps, la vie éternelle (can. 32), si toutefois ils meurent
dans la grâce (Ap 1 4, 1 3 ). Le Christ notre Sauveur ne dit-il pas : « Si quel­
qu' un boit de l ' eau que je lui donnerai, il n' aura jamais soif ; elle deviendra
en lui une source d' eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn 4, 1 4) ?
Ainsi notre justice personnelle n' est pas établie comme venant person­
nellement de nous (2 Co 3, 5) et la justice de Dieu n' est ni méconnue ni re­
jetée (Rm 1 0, 3). En effet cette justice est dite nôtre, parce que nous sommes
justifiés par cette justice qui habite en nous (can. 1 0 et 1 1 ) ; et cette même
justice est celle de Dieu, parce qu ' elle est répandue en nous par Dieu et par
les mérites du Christ.
Il ne faut pas omettre ceci : la sainte Écriture attribue, certes, une telle
valeur aux bonnes œuvres que le Christ promet que même celui qui donne à
l'un de ses plus petits un verre d' eau fraîche ne perdra pas sa récompense
(Mt 1 0, 42 ; Mc 9, 40) ; et l ' Apôtre atteste que notre « légère tribulation
d'un instant nous prépare au-delà de toute mesure un poids éternel de gloire
dans les cieux » (2 Co 4, 1 7) . Cependant, loin de nous de penser que le chré­
tien se confie ou se glorifie en lui-même et non pas dans le Seigneur ( 1 Co
1 , 3 1 ; 2 Co 1 0, 1 7 ) dont la bonté envers les hommes est si grande qu' il veut
que ses dons soient leurs mérites (can. 32).
Et parce que « nous péchons tous en bien des choses » (Je 3 , 2 ; can. 23),
chacun doit avoir devant les yeux non seulement la miséricorde et la bonté,
mais aussi la sévérité et le jugement, et 1 ' on ne doit pas se juger soi-même,
32 Le crucifiement de saint Pierre

même si on n' est conscient d' aucune faute. Car toute la vie des hommes doit
être examinée et jugée non pas par un jugement d' homme, mais par celui de
Dieu « qui éclairera les secrets des ténèbres et rendra manifestes les secrets
des cœurs ; et alors chacun recevra de Dieu la louange qui lui revient » ( 1
Co 4, 4 s.), lui qui, comme il est écrit, « rendra à chacun selon ses œuvres »
(Rm 2, 6).
Après avoir exposé la doctrine catholique concernant la justification
(can. 33), que chacun recevra fidèlement et fermement pour être justifié, le
saint concile a jugé bon d'y joindre les canons suivants, pour que tous sa­
chent non seulement ce qu' ils doivent tenir et suivre, mais aussi ce qu'ils
doivent éviter et fuir.

Canons sur la justification.

1 . Si quelqu' un dit que l' homme peut être j ustifié devant Dieu par ses
œuvres - que celles-ci soient accomplies par les forces de la nature humaine
ou par l' enseignement de la loi - sans la grâce divine venant par Jésus­
Christ : qu' il soit anathème.

2. Si quelqu' un dit que la grâce divine venant par Jésus Christ n' est don­
née que pour que l' homme puisse plus facilement vivre dans la justice et
mériter la vie éternelle, comme si, par le libre arbitre et sans la grâce, il
pouvait parvenir à l ' une et à l' autre chose, toutefois péniblement et diffici­
lement : qu' il soit anathème.

3 . Si quelqu ' un dit que, sans l' inspiration prévenante du Saint-Esprit et


sans son aide, l' homme peut croire, espérer et aimer, ou se repentir, comme
il le faut, pour que lui soit accordée la grâce de la justification : qu ' il soit
anathème.

4. Si quelqu ' un dit que le libre arbitre de l' homme, mû et poussé par
Dieu, ne coopère en rien quand il acquiesce à Dieu, qui le pousse et
l' appelle à se disposer et préparer à obtenir la grâce de la justification, et
qu ' il ne peut refuser d' acquiescer, s ' il le veut, mais que tel un être inanimé
il ne fait absolument rien et se comporte purement passivement : qu' il soit
anathème. [ . . . ]

1 0. Si quelqu ' un dit que les hommes sont j ustifiés sans la justice du
Christ, par laquelle il a mérité pour nous, ou qu'ils sont formellement jus­
tes par cette justice : qu' il soit anathème.
Le décret sur la justification 33

1 1 . Si quelqu ' un dit que les hommes sont justifiés ou bien par l a seule
imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des pé­
chés, à 1' exclusion de la grâce et de la charité qui est répandue dans leurs
cœurs par l ' Esprit Saint (Rm 5 , 5) et habite en eux, ou encore que la grâce
par laquelle nous sommes justifiés est seulement la faveur de Dieu : qu' il
soit anathème. [ . . . ]

2 1 . Si quelqu ' un dit que le Christ Jésus a été donné par Dieu aux hom­
mes comme rédempteur, en qui se confier, et non pas aussi comme législa­
teur à qui obéir : qu' il soit anathème.

22. Si quelqu ' un dit que le justifié soit peut persévérer dans la justice
sans un secours spécial de Dieu, soit ne le peut pas avec ce secours : qu ' il
soit anathème. [ . . . ]

24. Si quelqu ' un dit que la justice reçue ne se conserve pas et même ne
s' accroît pas devant Dieu par les bonnes œuvres, mais que ces œuvres ne
sont que le fruit et le signe de la justification obtenue et non pas aussi la
cause de son accroissement : qu ' il soit anathème. [ . . . ]

26. Si quelqu ' un dit que, pour les bonnes œuvres qu' ils ont faites en
Dieu (Jn 3, 2 1 ) , les justes ne doivent pas attendre et espérer de rétribution
éternelle de la part de Dieu, en raison de sa miséricorde et des mérites de
Jésus Christ, s ' ils persévèrent jusqu ' à la fin à faire le bien et à garder les
commandements divins (Mt 1 0, 22 ; Mt 24, 1 3 ) : qu ' il soit anathème.

27 . Si quelqu ' un dit qu' il n ' y a aucun péché mortel, sauf celui
d'infidélité, ou que la grâce une fois reçue ne peut être perdue par aucun
autre péché, aussi grave et énorme soit-il, sauf par celui de l ' infidélité : qu' il
soit anathème. [ . . ]
.

32. Si quelqu ' un dit que les bonnes œuvres de l' homme justifié sont les
dons de Dieu, en telle sorte qu ' elles ne soient pas aussi de bons mérites de
justifié ; ou que, par les bonnes œuvres qu ' il fait par la grâce de Dieu et les
mérites du Christ (dont il est un membre vivant), le justifié ne mérite pas
vraiment un accroissement de la grâce, la vie éternelle et ( s ' il meurt dans la
grâce) l ' entrée dans la vie éternelle, ainsi que l ' accroissement de gloire :
qu' il soit anathème. [ . . . ]
Chapitre III

Les émanations gnostiques

ous appuierons notre présentation des thèmes maçonniques 35 sur les


Nécrits de trois autorités incontestables : Albert Pike, René Guénon et
Yves Marsaudon. Albert Pike fut surnommé, avec raison, le pape de la ma­
çonnerie. Souverain grand commandeur du Rite écossais ancien et accepté,
il en réorganisa et en réécrit les degrés et rédigea la « bible » de la maçonne­
rie, Morais and Dogma. Nous citerons cet ouvrage à plusieurs reprises. Pike
y expose les doctrines des divers panthéismes pour en montrer l' unité
(transcendante) et les reprend à son compte. René Guénon exerça et conti­
nue d' exercer une influence considérable sur tous les ésotéristes qui se pi­
quent d ' intellectualisme. Il est l ' un des ancêtres directs de la doctrine conci­
liaire de l ' œcuménisme. Yves Marsaudon était ministre d' État du suprême
conseil de France du Rite écossais ancien et accepté et pouvait se prévaloir
de la sympathie de Jean XXIII. Son ouvrage que nous utiliserons,
L 'œcuménisme vu par un franc-maçon de tradition, fut préfacé par Charles
Riandey, alors Souverain grand commandeur du suprême conseil de France.

« Emanation de la Déité de tous les êtres spirituels, dégénération

progressive d' émanation en émanation, rédemption et retour de tous à


la pureté du Créateur ; et, après le rétablissement de l ' harmonie primi­
tive de tous, un état bienheureux et vraiment divin pour tous, dans le
sein de Dieu ; tels étaient les enseignements fondamentaux du Gnosti­
cisme. Le génie de l' Orient, avec ses contemplations, irradiations et
intuitions a imposé ses doctrines. Son langage correspond à ses origi­
nes. Plein d' images, il avait toute la magnificence, les inconsistances
et l ' imprécision de la langue figurée.

35
Nous serons fréquemment appelé à rapprocher la gnose, le panthéisme et la maçonnerie.
La gnose désigne l' ensemble des doctrines qui affirment que l' homme est de nature divine et
qu' il doit parvenir à prendre conscience de sa nature réelle par la connaissance (gnose). La
gnose est donc une doctrine panthéiste. En sens inverse, le panthéisme mène directement à la
gnose : si Dieu est tout en tous, il nous faut prendre possession de notre nature divine, la réali­
ser par la connaissance vraie de la réalité, par la gnose. La maçonnerie est, pour sa part, le
véhicule le plus commun dans la chrétienté des thèses gnostiques et panthéistes. Toutes ces
doctrines sont naturalistes en ce qu' elles affirment que notre nature est divine et donc gra­
cieuse.
Les émanations gnostiques 35

«Regardez, disait-il, la lumière qui émane d ' un immense centre de


lumière répand partout ses rayons bénéfiques ; de même, les esprits de
Lumière émanent de la Lumière Divine. » (Albert Pike) 36

Puisque nous émanons de Dieu, qui est sans partie, nous sommes divins,
nous sommes Dieu. D ' ailleurs, à la mort, selon Pike, nous retournerons en
Dieu.

«Dans l ' Énéide, Anchise enseigne à Énée la doctrine de Pythagore


qu ' il tenait de ses Maîtres, les Égyptiens, doctrine de l ' Âme et de
l ' Intelligence de l ' Univers, dont émanent nos âmes et intelligences,
ainsi que notre vie et celle des animaux. Le Ciel, la Terre, les Océans,
la Lune et les Etoiles, disait-il, sont mus par un principe éternel de vie
qui maintient leur existence - une grande âme intelligente qui pénètre
chaque partie du vaste corps de l ' Univers et qui, se mélangeant avec
toutes choses, les agite d' un mouvement éternel. La force qui anime
tout émane du feu éternel qui brûle dans le Ciel. Dans les Géorgiques,
Virgile répète la même doctrine ; et aussi qu ' à la mort de chaque ani­
mal, la vie qui l ' animait, faisant partie de la vie universelle, retourne à
son Principe et à la source de vie qui circule dans la sphère des Étoi­
les.
« Servius fait de Dieu la cause active qui organise les éléments
pour faire des corps, le souffle ou l ' esprit vivificateur qui, répandu
dans la matière et les éléments, produit et engendre toutes choses . Ces
éléments constituent la substance de nos corps : Dieu constitue les
âmes qui vivifient ces corps. De lui viennent les instincts des animaux
et leur vie. Et quand ils meurent, cette vie retourne et rentre dans
l' Âme Universelle et leurs corps à la Matière Universelle. Timée de
Locres et Platon, son Commentateur, traitent de l ' Âme du Monde. Ils
développent la doctrine de Pythagore qui pensait, selon Cicéron, que
Dieu est l ' Âme Universelle, présente partout dans la nature, et dont
nos Âmes sont seulement des émanations. «Dieu est unique » dit Py­
thagore, cité par Justin : «Il n' est pas, comme certains pensent, hors
«du monde mais dans le monde et il est entièrement présent dans la
«totalité du monde. Il voit tout ce qui survient, forme tous les êtres
«immortels. Il est 1' auteur de leurs facultés et de leurs actes, 1' origine
«de toutes choses, la Lumière des Cieux, le Père, l ' Intelligence,

36
Albert Pike, Marals and Dogma of the Ancient and Accepted Scottish Rite of Freemasonry,
NuVision Publications, LLC, 2004, p. 1 92, 1 9 3 .
36 Le crucifiement de saint Pierre

«l ' Âme de tous les êtres, le Moteur de toutes les sphères. » (Albert
Pike) 37

Puisque Dieu «constitue les âmes qui vivifient les corps », qu ' il est
«l' Âme de tous les êtres », «l' Âme du Monde », «l' Âme Universelle »,
notre âme est divine, nous sommes Dieu, le monde est Dieu.

«Tous les agents de la nature dans lesquels l ' âme universelle en­
tra reçurent aussi une portion de son intelligence et l ' Univers, dans sa
totalité et dans ses parties, fut rempli d' intelligences qui peuvent être
regardées comme des émanations de l ' intelligence suprême et univer·­
selle. Chaque fois que l ' âme divine agit comme cause, l' intelligence
fut également engagée. Et ainsi, les Cieux, les étoiles, les éléments et
toutes les parties de l ' Univers devinrent les sièges d' autant
d' intelligences. La plus petite partie de la grande âme devint une petite
intelligence et plus elle était dégagée de la matière brute, plus elle était
agissante et intelligente. Et tous les vieux adorateurs de la nature, les
théologiens, les astrologues et les poètes ainsi que les plus éminents
philosophes ont supposé que les étoiles étaient autant d' êtres intelli­
gents et animés, des corps éternels, causes actives ou effets ici-bas,
animées par un principe de vie, dirigées par une intelligence qui
n' était rien d' autre qu ' une émanation ou une portion de la vie univer­
selle et de l' intelligence du monde. » (Albert Pike) 3 8

En effet, panthéisme et doctrine de l' émanation sont équivalents.

«De la doctrine des deux Principes, l ' un Actif, l ' autre Passif, est
sortie celle de l ' Univers, animé d ' un Principe de Vie Eternelle et
d' une Âme universelle dont tout être isolé et temporaire reçoit, à sa
naissance, une émanation qui, à sa mort, retourne à sa source. » (Al­
bert Pike ) 39

L' idée gnostique d' émanation doit être précisée. Tout étant Dieu pour les
gnostiques, rien ne saurait en sortir. La notion d' émanation ne peut donc
avoir de sens que pour les êtres plongés dans l ' illusion, qui s' imaginent être
séparés, émanés de Dieu. Mais du point de vue de Dieu, de la vérité et de
l ' éternité, il ne s ' agit que d' une illusion qui s ' évanouira lors de
1' apocatastase finale.

37
Albert Pike, op. cit. , p. 487.
38
Albert Pike, op. cit. , p . 489.
39
Albert Pike, op. cit. , p. 485.
Les émanations gnostiques 37

«Notre plus grande difficulté vient du langage qui n' exprime pas
nos idées adéquatement, parce que nos mots se réfèrent à des objets et
sont des images de choses substantielles et matérielles. Si nous utili­
sons le mot «émanation », notre esprit en revient involontairement à
quelque chose de matériel qui s 'écoule hors d' une autre chose maté­
rielle ; et si nous rejetons cette idée de matérialité, il ne reste rien de
l' émanation si ce n' est l ' irréalité. » (Albert Pike) 40

«[Nulle] chose ne sort du Tout universel [ . . . ] . C' est pourquoi nous


pensons qu' on doit, autant que possible, éviter l' emploi d ' un terme tel
que celui d' «émanation », qui évoque une idée ou plutôt une image
fausse, celle d' une « sortie » hors du Principe. » (René Guénon) 4 1

«Purusha, considéré comme identique à la personnalité, est pour


«ainsi dire une portion (ansha) du Suprême Ordonnateur [Dieu] (qui,
«cependant, n' a pas réellement de parties, étant absolument
«indivisible et sans dualité) 4 2 , comme l ' étincelle l ' est du feu (dont la
«nature est d' ailleurs tout entière en chaque étincelle) . »4 3 [ ] . • .

« [L]es modifications d ' un individu n' affectent pas un autre


«individu, ni surtout le Suprême Ordonnateur Lui-même »44 qui est
Purushottama [Dieu] , et auquel la personnalité est réellement identi­
que en son essence, comme toute étincelle est identique au feu consi­
déré comme indivisible quant à sa nature intime. » (René Guénon) 4 5

«Le «Soi » [Dieu] est le principe transcendant et permanent dont


l' être manifesté, l ' être humain par exemple, n' est qu ' une modification
transitoire et contingente, modification qui ne saurait d' ailleurs aucu­
nement affecter le principe [ . . . ] . Immanent en sa nature propre, il dé­
veloppe seulement les possibilités indéfinies qu' il comporte en soi­
même [ . . . ] . À l' égard de la manifestation, on peut dire que le «Soi »
développe ses possibilités dans toutes les modalités de réalisation, en
multitude indéfinie, qui sont pour l ' être intégral autant d' états diffé­
rents, états dont un seul, soumis à des conditions d' existence très spé-

40 Albert Pike, op. cit. , p. 4 1 9.


4 1 René Guénon, Les états multiples de l 'être, Paris, Les Éditions Véga, 1 980, p. 39.
42 Les passages entre parenthèses sont des commentaires insérés par R. Guénon dans les tex-
tes qu'il cite.
43 Brahma-Sûtras, 2° Adhyâya, 3° Pâda, sûtra 43 .
44 Brahma-Sûtras, 2° Adhyâya, 3° Pâda, sûtras 46 à 5 3 .
45
René Guénon, L 'homme et son devenir selon le Vêdanta, Paris, Les Éditions traditionnel­
les, 1 982, p. 5 8 , 60.
38 Le crucifiement de saint Pierre

ciales qui le définissent, constituent la portion ou plutôt la détermina­


tion particulière de cet être qui est l' individualité humaine. [ . . . ]
« Cette personnalité est une détermination immédiate, primordiale
et non particularisée, du principe qui est appelé en sanskrit Atmâ ou
Paramatmâ, et que nous pouvons, faute d'un meilleur terme, désigner
comme l ' «Esprit Universel ». [ . . ].

« Atmâ pénètre toutes choses, qui sont comme ses modifications

accidentelles, et qui, suivant l ' expression de Râmânuj a, «constituent


«en quelque sorte son corps (ce mot ne devant être pris ici que dans
«un sens purement analogique), qu ' elle soient d' ailleurs de nature
«intelligente ou non-intelligente ». (René Guénon) 46

Panthéisme

«Il ne peut donc rien y avoir qui soit réellement hors de Brahma,
car cette supposition équivaudrait à le limiter ; comme conséquence
immédiate, le monde, en entendant par ce mot, dans le sens le plus
large dont il soit susceptible, l ' ensemble de la manifestation univer­
selle n'est point distinct de Brahma, ou, du moins, ne s ' en distingue
qu'en mode illusoire. Cependant, d' autre part, Brahma est absolu­
ment distinct du monde, puisqu ' on ne peut lui appliquer aucun des
attributs déterminatifs qui conviennent au monde, la manifestation
universelle tout entière étant rigoureusement nulle au regard de son in­
finité ; » (René Guénon) 47

«Nous ne pouvons développer présentement une théorie générale


de l ' efficacité des rites ; nous dirons simplement, pour en faire com­
prendre le principe essentiel, que tout ce qui est contingent en tant que
manifestation (à moins qu ' il ne s' agisse de déterminations purement
négatives) ne l ' est plus si on l ' envisage en tant que possibilités perma­
nentes et immuables, que tout ce qui a quelque existence positive doit
ainsi se retrouver dans le non-manifesté [le Dieu des gnostiques] , et
que c' est là ce qui permet une transposition de l' individuel dans
l' Universel, par suppression des conditions limitatives (donc négati­
ves) qui sont inhérentes à toute manifestation. » (René Guénon) 4 8

46
René Guénon, L 'homme et son devenir selon le Vêdanta, op. cit. , p. 3 1 sq.
Voir également Le symbolisme de la Croix, Paris, Les Éditions Véga, 1 983, p. 1 6 sq.
47 René Guénon, Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, Paris, Les Éditions
Véga, 1 983, p . 252 et 25 3 .
4 8 René Guénon, L 'homme et son devenir selon le Vêdanta, op. cit., p . 1 60.
Les émanations gnostiques 39

«Voici une partie de leur doctrine [doctrine hindoue, que Pike re­
prend à son compte] : «Un Être immense et incompréhensible existe
« seul de toute éternité. Tout ce que nous voyons et nous-mêmes
«sommes des portions de Lui. L' âme, l ' esprit ou l ' intellect des dieux
«et des hommes et de toutes les créatures sensibles sont des parties
«détachées de 1' Âme universelle, à laquelle elles sont destinées à
«retourner à des époques déterminées. Mais 1' esprit des êtres finis est
«impressionné par une sene ininterrompue d' illusions qu ' ils
«considèrent comme réelles, jusqu ' à ce qu ' ils soient réunis à nouveau
«à la grande fontaine de la vérité. De toutes les illusions, la première
« et la principale est l 'individualité. À cause d' elle, l' âme, une fois
«qu ' elle a quitté sa source, oublie sa propre nature [divine] , son
«origine et sa destinée. Elle se considère comme une existence
«séparée et ne se perçoit plus ni comme une étincelle de la Divinité,
«ni comme un maillon d' une immense chaîne, ni comme une partie
«infiniment petite mais indispensable du grand tout. » (Albert Pike) 49

L'homme devra donc réaliser sa propre nature.

«L' esprit des Védas (les livres sacrés hindous, de haute antiquité),
tels qu' ils sont compris par leurs commentateurs les plus anciens et les
plus récents, est assurément celui d'un monothéisme panthéiste - un
Dieu qui est tout en tout. [ . . . ] La philosophie du V édanta, partant du
mystère de l ' «UN EN PLUSIEURS » comme de son article de foi fonda­
mental, affirme non seulement l ' Unité Divine mais aussi l ' identité en­
tre 1' esprit et la matière. L ' unité qu ' elle défend est celle de l ' esprit.
L' Esprit est l' Élément Universel, le Seul Dieu, la Grande Âme, Maha
Atmâ. Il est la cause tant matérielle qu' efficiente ; le monde est une
structure dont il est l' étoffe et le tisserand. Il est le Macrocosme,
l ' organisme universel appelé Purusha dont le Feu, l ' Air, le Soleil sont
seulement les principaux membres. Sa tête est la lumière, ses yeux le
soleil et la lune, son souffle le vent et sa voix les Védas . Tout procède
de Brahma, comme la toile procède de l ' araignée et l ' herbe de la
terre. » (Albert Pike) 5 0

«À l' inverse, pensait-on, l ' Univers devait être considéré comme


un être immense, toujours vivant, touj ours mû et toujours en mouve­
ment dans une activité éternelle qui lui est inhérente et qui, ne dépen­
dant d' aucune cause extérieure, est communiquée à toutes ses parties,

49 Albert Pike, op. cit., p . 442.


50 Albert Pike, op. cit. , p. 49 1 .
40 Le crucifiement de saint Pierre

les relie toutes ensemble et fait du monde des choses un tout complet
et parfait. L ' ordre et l' harmonie qui y règnent semblent lui appartenir
et en faire partie ; et la conception des différents plans de construction
des êtres organisés semble être gravée dans sa Suprême Intelligence,
source de toutes les autres Intelligences. Il communique cette Intelli­
gence à l' homme avec la vie. Rien n' existe hors de lui ; il doit être re­
gardé comme le principe et le terme de toute chose. » (Albert Pike) 5 1

«Ainsi, la Pensée, la Volonté et la Perception ne sont pas 1' âme


mais seulement ses attributs. Nous n' avons aucune connaissance de
l' âme elle-même mais seulement de ses manifestations. Il en va de
même de Dieu ; nous ne connaissons que Sa Sagesse, Sa Puissance, Sa
Splendeur, Sa Vérité et Ses autres attributs.
«Pourtant, nous savons qu' il y a de la matière, une âme dans nos
corps, un Dieu qui vit dans l' Univers. » (Albert Pike) 5 2

«Dieu est l' auteur de tout ce qui existe ; l' Être Éternel, Suprême,
Vivant, Terrible ; de Qui rien de l' Univers n' est caché. Ne faites de
Lui ni idoles ni images visibles. Mais plutôt adorez-Le dans la solitude
profonde des forêts sauvages ; car Il est invisible et remplit l' Univers
comme son âme et n' habite dans aucun Temple. » (Albert Pike) 53

«Dieu, selon Pythagore, est UNIQUE, une substance unique, dont


les parties continues s ' étendent dans tout l' Univers, sans séparation,
différence ou inégalité, comme l ' âme dans le corps humain. Il
s ' oppose à la doctrine des spiritualistes qui ont séparé la Divinité de
l' Univers, La faisant exister à côté de l ' Univers qui devient ainsi rien
de plus qu' une œuvre matérielle sur laquelle agit une Cause Abstraite,
un Dieu séparé de lui. La Théologie Antique ne séparait pas Dieu de
l ' Univers. Eusèbe l' atteste en disant que seul un petit nombre de sa­
ges, dont Moïse, a cherché Dieu ou la Cause de tout en dehors de ce
Tout : tandis que les Philosophes d' Égypte et de Phénicie, qui furent
les véritables auteurs des Cosmogonies anciennes, ont placé la Cause
Suprême dans l' Univers lui-même et dans ses parties de telle sorte
que, selon eux, le monde et ses parties sont en Dieu. » (Albert Pike) 5 4

«Selon la Cabale, Dieu et l' Univers étaient Un ». (Albert Pike) 55

5 1 Albert Pike, op. cit. , p. 486.


52 Albert Pike, op. cit. , p. 42 1 .
53 Albert Pike, op. cit. , p. 427 .
54 Albert Pike, op. cit., p. 487 .
55 Albert Pike, op. cit. , p. 554.
Les émanations gnostiques 41

«Le culte de l a Nature Universelle comme Dieu était trop proche


du culte de l ' Âme Universelle pour avoir été la croyance instinctive de
tout peuple sauvage ou race primitive. Imaginer la nature, avec toutes
ses parties apparemment indépendantes comme formant un tout cohé­
rent et une unité, requiert une somme d' expérience et une faculté de
généralisation que ne possèdent pas les esprits grossiers et barbares et
se situe juste en dessous de l' idée d' une Âme universelle. » (Albert
Pike) 5 6

On arrive ainsi à la vision holistique qui affirme que tout est en tout, agit
et dépend de tout. Elle forme la base du panthéisme, du Nouvel-Âge, de
l' écologie profonde et de la spiritualité globale ; ses conséquences spirituel­
les et politiques sont catastrophiques.

«Manilus dit : «Je chante l ' Âme invisible et puissante de la


«Nature ; cette Substance Divine, inhérente à tout ce qui est dans les
«Cieux, sur la Terre et dans les Eaux de l' Océan et qui est le lien qui
«relie ensemble et unit toutes les parties du vaste corps de
«l' Univers. » (Albert Pike) 57

Nature sacrée

Dieu étant tout en tous, la nature est sacrée ; la spiritualité globale sera
écologique. La propagande écologique dont nous sommes constamment
victimes trouve là sa véritable finalité.

«Partout le corps sacré de la Nature était recouvert du voile


[d' Isis] de l' allégorie qui la cachait au profane et lui permettait d' être
vue du seul sage qui l' avait trouvée digne d' étude et d' investigation.
Elle ne se montrait qu' à ceux qui l' aimaient en esprit et en vérité et
elle abandonnait les insouciants et les indifférents à l ' ignorance et à
l' erreur. « Les Sages grecs », dit Pausanias, «n' ont jamais écrit au­
trement que par énigme et j amais directement ou naturellement ». «La
Nature », dit Salluste le Philosophe, «doit être célébrée uniquement
«dans une langue qui imite le secret de ses opérations et de ses
«processus. Elle est elle-même une énigme. Nous ne voyons que des
«corps en mouvement ; les forces qui les meuvent nous sont
«cachées ». Les poètes inspirés par la Divinité, les plus sages des phi-

56 Albert Pike, op. cit. , p . 43 8 .


57 Albert Pike, op. cit. , p . 488.
42 Le crucifiement de saint Pierre

losophes, tous les oracles ont emprunté le langage figuratif de


l' allégorie. «Les Égyptiens », nous dit Proclus, «préféraient ce mode
«d' enseignement et ne parlaient des grands secrets de la Nature qu' au
« moyen d' énigmes mythologiques ». Les Gymnosophistes de l' Inde
et les Druides de Gaule se servirent de la science pour tenir un même
langage énigmatique et les Hiérophantes en Phénicie écrivirent dans le
même style. » (Albert Pike) 5 8

«Il existe un Athéisme purement formel qui nie Dieu en paroles


mais non en réalité. Un homme affirme : il n ' y a pas de Dieu ; c' est-à­
dire pas de Dieu qui soit sa propre origine ou qui n ' ait pas d' origine
mais qui touj ours FUT et A ETE, qui est la cause de l' existence, qui est
l' Esprit et la Providence de l' Univers ; ainsi l ' ordre, la beauté et
l ' harmonie du monde matériel et spirituel n ' indiquent aucun plan ou
but de la Divinité. Mais, ajoute-t-il, la NATURE - entendant par là la to­
talité de l' existence elle est puissante, agissante, sage et bonne ; la
-

Nature tire son origine d' elle-même, ou fut et a toujours été la cause
de sa propre existence, l ' âme de l' Univers et sa Providence. Il y a à
l ' évidence un plan et un but à l' origine de l' ordre, de la beauté et de
l' harmonie ; mais tout ceci est le plan et le but de la nature.
«En pareil cas, la négation absolue de Dieu est purement formelle
et non réelle. Les qualités de Dieu sont admises et affirmées comme
réelles. On change simplement le nom du possesseur de ces qualités :
c' est la Nature et non Dieu. La véritable question est de savoir si ces
Qualités, que nous appelons Dieu, existent ; et non de connaître quel
nom particulier nous devons Leur donner. L ' un pourra appeler la
somme de ces Qualités Nature ; un autre le Ciel ; un troisième
l ' Univers, un quatrième la Matière ; un cinquième l' Esprit, un sixième
Dieu, Théos, Zeus, Alfadir, Allah ou ce qu ' il lui plaît. Tous admettent
l' existence d ' un Être, Puissance ou ENS sous des noms divers. Le nom
a fort peu d ' importance. » (Albert Pike) 5 9

« Les Mystères étaient un Drame Sacré exposant une légende


d' importance concernant les changements de la nature, de l' Univers
visible par lequel la Divinité se révèle, et dont le sens était, à bien des
égards, acceptable tant par les Païens que par les Chrétiens. La Nature
est le grand Maître de l' homme : elle est la Révélation de Dieu. Elle
ne dogmatise ni ne tyrannise en cherchant à imposer un credo ou une
interprétation particuliers. Elle nous offre ses symboles et n ' ajoute au-

5 8 Albert Pike, op. cit. , p. 482.


59 Albert Pike, op. cit. , p. 472.
Les émanations gnostiques 43

cune explication. C ' est le texte sans les commentaires. Et, nous le sa­
vons bien, l' erreur, l' hérésie et la persécution proviennent des com­
mentaires et des gloses 60 . Les premiers instructeurs de l' humanité
n' ont pas seulement adopté les leçons de la Nature mais, autant que
faire se peut, s ' en sont aussi tenu à sa manière de les transmettre. Dans
les Mystères, au-delà des traditions communes et des narrations énig­
matiques et sacrées faites dans les Temples, on ne donnait que peu
d'explications aux spectateurs qui devaient, comme à l' école de la na­
ture, parvenir à leurs conclusions par eux-mêmes. » (Albert Pike) 6 1

« Tout ce que l ' on peut dire concernant les Dieux » dit Strabon,
«doit 1 ' être au moyen de légendes et de fables. Les Anciens avaient
«coutume d' entourer leurs pensées et leurs propos concernant la
«Nature d' énigmes et d' allégories qu ' il est donc difficile
«d' expliquer. » [ . . . ]
«Ainsi, les Mystères enseignaient la grande doctrine de la divinité
de la nature de l' âme et de son aspiration à l ' immortalité, de la no­
blesse de son origine, de la grandeur de sa destinée et de sa supériorité
sur les animaux dont les aspirations ne sont pas dirigées vers le ciel . »
(Albert Pike) 62

«L' argument [de Cicéron] était que les Cieux et les Étoiles qui en
font partie sont animés parce qu ' ils possèdent une portion de l' Âme
Universelle : ce sont des êtres intelligents car l' Âme Universelle, dont
ils font partie, est suprêmement intelligente. Et ils partagent la Divinité
avec la Nature Universelle, car la Divinité réside dans l' Âme et
l' Intelligence Universelles qui meuvent et dirigent le monde et dont
chacun d' entre eux possède une partie. » (Albert Pike) 63

«L' âme du Monde, » selon Macrobe, «c ' est la nature elle-même »


(comme l' âme de l' homme c' est l' homme lui-même) ». (Albert
Pike) 64

«Je suis », dit Isis, «la Nature, mère de toutes choses, la


«souveraine des Éléments, la première descendante du Temps, la

60 On notera l' attaque contre les dogmes de l' Église, que les maçons ont en horreur puisque,
définissant précisément la vérité, ils interdisent le relativisme dogmatique et s' opposent à
1 ' œcuménisme.
61 Albert Pike, op. cit. , p. 54.
62 Albert Pike, op. cit. , p. 328.
63 Albert Pike, op. cit. , p. 489.
64 Albert Pike, op. cit. , p. 488.
44 Le crucifiement de saint Pierre

« Déité la plus exaltée, le premier des Dieux et des Déesses du Ciel, la


«Reine des Ombres, le visage universel ; je dispose avec ma baguette
«les nombreux luminaires du Ciel, le souffle bienfaisant de la mer et
«le silence lugubre des morts ; je suis la seule Divinité que le inonde
«entier vénère sous de nombreuses formes, avec plusieurs rites et
« sous plusieurs noms. Les Égyptiens, qui connaissaient les traditions
«antiques, m' adoraient avec les ceremonies appropriées et
«m' appelaient par mon vrai nom, Isis la Reine. » (Albert Pike) 65

L' antagonisme entre création et émanation se prolonge dans l' opposition


entre réalisme et idéalisme. En effet, pour nier que nous sommes de simples
créatures, des êtres limités, pour affirmer que nous sommes Dieu, il faut nier
le réel, l' évidence, l' expérience et le sens commun pour se réfugier dans
l 'idéalisme, dans la reconstruction du réel et de la vérité à partir de concep­
tions posées a priori. On débouche sur le libéralisme, qui entend fondamen­
talement nous libérer du réel66 • On comprend alors l' enjeu : l' obéissance, la
soumission à Dieu, à la Révélation, à l ' Église, aux dogmes et aux lois surna­
turelle et naturelle. «Je ne servirai pas ».

65 A lbert Pike, op. cit. , p . 2 1 5 .


66 Monseigneur Lefebvre, Ils l'ont découronné. Du libéralisme à l'apostasie. La tragédie
conciliaire. Escuro ll es, Éditions Fide l iter, 1 987.
CHAPITRE IV

Notre nature est gracieuse

uisque nous émanons de Dieu, nous sommes d' essence divine ; Dieu
P étant sans partie, nous sommes Dieu. Notre âme est divine, notre
nature est gracieuse. L' homme doit alors réaliser sa divinité, en prendre
conscience, la vivre et sortir des ténèbres, de l' illusion qui lui fait penser
qu' il est un individu séparé du Grand Tout, de Dieu. Il doit «devenir » ce
Dieu qu' il est déj à en réalité, parvenir à la Connaissance de la vérité, à la
gnose. Le salut est universel car Dieu en l' homme ne saurait être éternelle­
ment dans l' erreur ou être condamné à l ' enfer, car vue de la Vérité
l' ignorance n' est rien, vu de l' éternité le temps est condamné à s ' y résorber,
car les existences individuelles et collectives ne sont que des moments de
l' Esprit universel. Tous retourneront en Dieu lors de l' apocatastase finale.

L'âme est divine ; notre nature est donc gracieuse

«Au Commencement, l' Univers était U NE S EULE ÂME. Il était LE


TOUT, seul avec le T EMPS et L ' E SPACE et Infini comme eux. [ . . . ]
«IL EUT CETTE PENSEE : "Je vais créer l 'Homme ; son  me sera à
mon image et il règnera " . Et voici ! L 'Homme avec ses sens, son ins­
tinct et son âme raisonnable.
«Pas encore un HOMME ! Mais un animal qui respirait, voyait et
pensait ; jusqu ' à ce qu' une étincelle immatérielle du propre Être infini
de Dieu pénètre son cerveau et devienne son Âme ; et voici !
L ' HOMME, L ' IMMORTEL. Ainsi l' Homme est trois fois le fruit de la
pensée divine ; il voit entend et ressent ; il pense et raisonne ; il aime
et est en harmonie avec l ' Univers. » (Albert Pike) 67

«Toute âme est une partie de l' Âme universelle, dont la totalité est
Dionysos ; et il ramène les esprits errants dans leur demeure et les ac­
compagne dans leur processus de purification réel et symbolique lors
de leur transit terrestre. » (Albert Pike ) 6 8

«Et nulle part 1' antagonisme entre 1' esprit et le corps n' est plus
marqué que dans les écrits de cet apôtre [saint Paul], nulle part la na-

67 Albert Pike, op. cit. , p. 428 .


68 Albert Pike, op. cit. , p. 430.
46 Le crucifiement de saint Pierre

ture Divine de l' âme n' est affirmée avec plus de force. «En esprit »,
dit-il, «je sers la loi de Dieu ; mais ma chair sert la loi du péché. »
(Albert Pike) 69

«L' Âme de l' Homme est Immortelle. Elle ne résulte pas de


l' organisation ou de l ' agrégation de modes d' action de la matière. Ce
n' est pas une succession de phénomènes et de perceptions. C'est une
EXISTENCE, une et identique, un esprit vivant, une étincelle de la
Grande Lumière Centrale, qui est entrée et habite dans un corps. Qui
en sera séparée par la mort et retournera à Dieu qui 1' a donnée ; qui ne
se disperse ni ne s ' évanouit à la mort, comme un souffle ou une fumée
- ni ne peut être annihilée. Mais existe toujours et possède une activité
et une intelligence, comme quand elle existait en Dieu - avant d' être
enveloppée dans le corps. » (Albert Pike) 7 0

Si notre âme est effectivement «une étincelle du propre Être infini de


Dieu », «une partie de l' Âme universelle », « une étincelle de la Grande
Lumière Centrale », elle ne saurait s ' être séparée de Dieu, sans partie,
qu ' illusoirement. Cette «partie » du Dieu éternel, immuable, ne saurait être
réellement soumise au temps : dans l' éternité, nous sommes Dieu, notre âme
est Dieu «comme quand elle existait en Dieu ». Notre nature divine est
donc gracieuse. Nous voici à l ' opposé du catholicisme, de la vérité révélée
qui nous enseigne que l ' homme est pécheur et qu ' il ne peut retrouver
l' amitié divine que par la grâce ; que la nature humaine est créée - et dé­
chue ; que «large est la porte, et spacieuse la voie qui conduit à la perdition,
et nombreux sont ceux qui y passent » (Mt 7, 1 3 ) .
Le panthéisme conduit immédiatement à affirmer que notre nature est
gracieuse. En sens inverse, cette affirmation entraîne le panthéisme. Si notre
nature est gracieuse, nous ne pouvons perdre la grâce par le péché et nous
sommes tous sauvés. Dieu, dans son éternité, nous voit tous éternellement
dans la Jérusalem céleste où «Il est tout en tous »7 1 • Incidemment, il en va
de même pour le monde qui sera aussi réintégré en Lui lors du «retour de
tous à la pureté du Créateur »72 • Ainsi, la création, la « séparativité » n' est
qu' une illusion qui se dissipera lors de l' apocatastase finale, quand Dieu
sera «tout en tous ». La doctrine de la création est résorbée dans le pan­
théisme et la gnose au moyen du salut universel et de la réintégration finale.
La négation de la création entraîne la négation de la grâce et inversement.

69 Albert Pike, op. cit. , p. 5 5 .


70 Albert Pike, op. cit. , p . 394.
7 1 I Co 1 5, 28.
72 Albert Pike, op. cit. , p . 1 92.
Notre nature est gracieuse 47

Cette concomitance ne doit pas surprendre car ces deux négations entendent
couper l' homme de Dieu dans les ordres surnaturel et naturel.

L'homme est Dieu

«Au commencement, l' homme avait le VERBE ; et le VERBE était


de Dieu ; et de la PUISSANCE vivante communiquée à l' homme dans et
par le VERBE est venue la LUMIERE de Son Existence. » (Albert Pike) 7 3

«Un de ces symboles, qui figurent sur la Planche à Tracer du De­


gré de 1' Apprenti, enseigne cette dernière leçon de la Franc­
Maçonnerie. C ' est le Triangle rectangle, qui représente l' homme,
union du spirituel et du matériel, du divin et de l' humain. La base, me­
surée par le nombre 3, le nombre du Triangle, représente la Déité et le
Divin ; la perpendiculaire, mesurée par le nombre 4, le nombre du
Carré, représente la Terre, le Matériel et l' Humain. Et l' hypoténuse,
mesurée par 5, représente la nature produite par l' union du Divin et de
l' Humain, de l' Âme et du Corps ; les carrés de la base et de la perpen­
diculaire, additionnés, donnent 25 , dont la racine carrée est 5, la me­
sure de l' hypoténuse.
«Et, comme dans tout Triangle de Perfection, un est trois et trois
sont un ; ainsi l' homme est un quoique de nature double. Et il n' atteint
le but de son être que quand les deux natures qui sont en lui sont juste
à l' équilibre. Sa vie n' est réussie que quand elle est aussi harmonieuse
et magnifique que les grandes harmonies de Dieu et de l' Univers. »
(Albert Pike) 7 4

On aura remarqué que Pike affirme de l' homme ce qui ne vaut que pour
le Verbe incarné. On retrouvera la même thèse dans les écrits conciliaires.

«L' Univers lui-même était regardé comme un être suprêmement


intelligent. Telle était la doctrine de Timée de Locres. L' âme de
l' homme faisait partie de l' âme intelligente de l' Univers et était donc
intelligente. Son opinion était celle de nombreux autres philosophes.
Cléanthe, disciple de Zénon, voyait l' Univers comme Dieu ou comme
la cause universelle et non-produite de tous les effets produits. Il attri­
bua une âme et une intelligence à la nature universelle. D ' après lui, la
divinité appartenait à cette âme Intelligente. L' intelligence de

73 Albert Pike, op. cit. , p. 438.


74 Albert Pike, op. cit., p. 626, dernière page de l' ouvrage.
48 Le crucifiement de saint Pierre

l' homme en était une émanation et partageait sa divinité. » (Albert


Pike) 75

«Dans l' espace vide destiné à la création, il reste enfin un pâle


vestige ou une trace de la Lumière d ' Ain Soph, la Lumière de la Subs­
tance de l' Infini. L' homme est donc à la fois humain et divin : les an­
tagonismes apparents de sa Nature forment un équilibre véritable. S 'il
veut, il en sera ainsi. De là résulte l ' Harmonie établie non seulement
entre la Vie et l' Action mais aussi entre la Vertu et la Perfection. »
(Albert Pike) 76

«Dieu seul est tout-puissant ; mais à toutes les époques, l' âme
humaine a défendu son droit à être considérée comme faisant partie du
Divin. » (Albert Pike) 77

«On sait en effet que, suivant la doctrine hindoue, jîvâtmâ, qui est
en réalité Atmâ même, mais considéré spécialement dans son rapport
avec l ' individualité humaine, réside au centre de cette individuali­
té [ . . . ] .
«Tant que l' être n' atteignait Atmâ que dans ses rapports avec l' in­
dividualité, c' est-à-dire comme jîvâtmâ, celui-ci lui apparaissait
comme inclus dans cette individualité, et ne pouvait même pas lui ap­
paraître autrement puisqu' il était incapable de franchir les bornes de la
condition individuelle ; mais quand il atteint Atmâ directement et tel
qu ' il est en soi, cette même individualité, et avec elle tous les autres
états, individuels ou supra-individuels, lui apparaissent au contraire
comme compris dans Atmâ, comme ils le sont en effet au point de vue
de la réalité absolue, puisqu' ils ne sont rien d' autre que les possibilités
mêmes d 'Atmâ, hors duquel rien ne saurait véritablement être sous
quelque mode que ce soit. » (René Guénon) 7 8

L' affirmation de la divinité de l ' homme est une conséquence du pan­


théisme : puisque Dieu est tout en tout, l' homme est Dieu. Les conséquen­
ces spirituelles éclatent dès maintenant : l ' humilité de l ' homme convaincu
de ses péchés est remplacée par l ' orgueil de la créature qui s' égale au Créa­
teur. La spiritualité gnostique, maçonnique, sera opposée à la spiritualité
catholique. Là où l' homme cherche dans l ' humilité à se sanctifier, à faire

75 Albert Pike, op. cit. , p. 489.


76 Albert Pike, op. cit. , p . 554.
77 Albert Pike, op. cit. , p . 498 .
7 8 René Guénon, Initiation e t réalisation spirituelle, Paris, Les éditions traditionnelles, 1 983,
p. 23 1 et 233.
Notre nature est gracieuse 49

mourir le vieil homme en « se renonçant et en prenant sa croix chaque


jour » (Le 9, 23) à l ' imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la gnose lui
insinue qu ' il est Dieu qui s ' ignore - que sa nature est gracieuse et divine.

La réalisation et le salut universel

L' homme est donc Dieu. Il doit réaliser sa divinité, en prendre cons­
cience, en vivre véritablement, «devenir » ce Dieu qu' il est déj à en vérité.
Jésus est l ' exemple de l' homme qui est devenu Dieu, le modèle que nous
devons imiter.

Réalisation

«Tous les êtres spirituels sont de la même espèce que l ' Esprit Su­
prême. [ . . ].

«Puisse mon Âme qui, pendant les heures de veille, s' élève
comme une étincelle éthérée et qui, même pendant mon sommeil, ef­
fectue une semblable ascension et plane jusqu ' à une grande distance
comme une émanation de la Lumière des Lumières, puisse mon Âme
s' unir par une méditation fervente à l ' Esprit suprêmement heureux et
suprêmement intelligent ! . . Puisse mon âme, oblation première pla­
.

cée dans toutes les créatures . . . , rayon de la parfaite sagesse, lumière


inextinguible attachée aux corps créés, sans laquelle aucun acte bon
n' est posé . . . éternelle essence qui peut inclure tout le passé, le présent
et l' avenir, puisse mon âme être unie par une méditation fervente à
l ' Esprit suprêmement heureux et suprêmement intelligent. » (Albert
Pike) 7 9

«L' initiation pratiquée en Franc-Maçonnerie, de degré en degré,


vise à une ascension vers la Connaissance, c' est-à-dire vers une identi­
fication de l ' être avec la Puissance universelle. Elle peut mener loin
puisqu' il est apparu, comme tous les grands initiés l ' ont compris, que
la Puissance universelle est elle-même en œuvre dans l' évolution du
Cosmos, de la Terre et de l ' Humanité qui la peuple. » (Yves Marsau­
don) 80

79 Albert Pike, op. cit. , p. 443 .


80
Yves Marsaudon, L'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 1 7 . Le
passage cité provient de la préface signée par Charles Riandey, Souverain Grand Commandeur
du Suprême Conseil de France.
50 Le crucifiement de saint Pierre

Salut universel

L' homme doit se hâter de sortir des ténèbres de la matière et de


l' ignorance pour parvenir le plus rapidement à la Connaissance de sa divini­
té, à la gnose, à la lumière maçonnique. Mais le «retour de tous à la pureté
du Créateur » est assuré puisque tout et tous sont d' essence divine. La gnose
ne saurait faire la moindre place à l' enfer.

«Émanation de la Déité de tous les êtres spirituels, dégénération


progressive de ces êtres d' émanation en émanation, rédemption et re­
tour de tous à la pureté du Créateur ; et, après le rétablissement de
l' harmonie primitive de tous, un état bienheureux et vraiment divin
pour tous, dans le sein de Dieu ; tels étaient les enseignements fonda­
mentaux du Gnosticisme. Le génie de l' Orient, avec ses contempla­
tions, ses irradiations et intuitions, a imposé ces doctrines.
«La lumière, qui émane du centre immense de la Lumière, répand
ses rayons bénéfiques partout ; de même, les esprits de Lumière éma­
nent de la Lumière Divine. » (Albert Pike) 8 1

L 'unité du genre humain

La vision holistique (olloç : tout entier) affirme que tout est en tout, dans
le Grand Tout. Cette allégation spécifique au Nouvel Âge n'est rien qu' une
présentation modernisée de l' éternel panthéisme. L' unité du genre humain
en découle immédiatement : si tout est Dieu, si nous sommes tous Dieu,
tous sont un en lui, malgré les apparences, l ' ignorance et l' illusion de
l' individualité.

« Pour bien comprendre le sens de cette notion de «Second


Adam » appliquée à JESUS, rappelons-nous que Dieu n ' a pas créé
l ' homme pur et simple individu, il l ' a créé espèce. Et le péché n' est
pas un fait purement individuel, c ' est un fait générique. En vertu de la
solidarité, il s ' est formé une solidarité en ADAM qui englobe tous les
hommes. Les Réformés n' iront pas jusqu ' à dire que Dieu serait im­
puissant à nous y faire échapper individuellement par la seule action
de son esprit.
«Cependant, dès l' instant que Dieu a créé la solidarité, nous y a
soumis, a permis que nous fussions corrompus par elle, il est plus
convenable, selon le mot de l' Epître au Hébreux, plus symétrique, plus

8 1 Albert Pike, op. cit. , p. 1 92, 1 9 3 .


Notre nature est gracieuse 51

harmonique, plus digne de l ' unité de la pensée divine, de croire qu ' il


n' emploiera pas des voies purement individuelles pour nous sauver.
«La déchéance des hommes est tout ensemble quelque chose
d' individuel et de social : il convient que le salut soit aussi quelque
chose tout ensemble d' individuel et de générique. La notion de
«Second Adam » nous conduit directement au dogme de la Rédemp­
tion :
« La rédemption nous dit encore le pasteur BOIS ne sera
- -

donc pas autre chose en son essence qu 'une greffe de sainteté in­
troduite par Dieu dans un homme, et par cet homme, dans
l 'humanité » (Yves Marsaudon) 8 2

«Selon les Kabbalistes, tous les individus sont contenus dans les
espèces et toutes les espèces dans des genres et tous les particuliers
dans un des Universaux qui est une idée, abstraite de toute considéra­
tion des individus ; non un agrégat d' individus mais, pour ainsi dire,
un Ens, Entité ou Être idéal ou intellectuel mais néanmoins réel ; anté­
rieur à tout individu, les contenant tous et à partir duquel ils se déve­
loppent tous successivement.
« Si ceci ne vous satisfait pas, songez que, si cette théorie est
exacte, tout était originellement dans la Déité, que l' Univers provient
d' Elle et n ' a pas été créé par Elle à partir de rien. L 'idée de l' Univers,
existant dans la Déité avant qu ' elle n ' en sorte, a dû être aussi réelle
que la Déité Elle-même. Toute la race Humaine, ou Humanité, par
exemple, existait alors dans la Déité, sans distinction d' individus mais
comme une Unité dont la Multiplicité devait découler. » (Albert
Pike) 8 3

«Nous sommes des êtres distincts en tant que nous créons nous­
mêmes la distinction, qui n' existe que dans la mesure où nous la
créons ». (René Guénon) 8 4

La démocratie et sa devise, «liberté, égalité, fraternité », constituent la


déclinaison, dans l' ordre politique, de la vision holistique, du paganisme et
de l ' affirmation de l ' unité du genre humain. C' est la négation de la hiérar­
chie, la négation de Dieu. Liberté, égalité, fraternité, ne peuvent se com­
prendre que dans le sens du « surnaturel » maçonnique : les maçons savent
comme les autres qu' il n ' y a, naturellement, ni liberté, ni égalité, ni fraterni-

8 2 Yves Marsaudon, L'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 95 .


8 3 Albert Pike, op. cit. , p. 5 5 3 et 554.
84 René Guénon, Mélanges, Gallimard, 1 984, p . 1 6.
52 Le crucifiement de saint Pierre

té. Mais dans la vision holistique, panthéiste, pour les vrais initiés, nous
sommes véritablement, « surnaturellement », libres, égaux et frères (en
Dieu).

La négation de l 'enfer

Tous sont un - en Jésus qui est Dieu. Tous sont donc sauvés par la
«greffe de sainteté introduite par Dieu dans un homme, et par cet homme,
dans l' humanité ». L' Enfer existe, si l ' on reconnaît encore l ' autorité des
Écritures, mais il est vide.

«Auj ourd' hui, alors que certains dogmes, ou plus exactement cer­
taines formulations d' apparence dogmatique font un peu sourire - la
notion d' enfer par exemple - les chrétiens qu' un impérieux besoin sa­
cramentel n' incite pas à des mea culpa souvent injustes et impossibles,
devront se souvenir qu ' avant tout, ils trouveront les plus précieuses
consolations et des promesses dans un certain Petit Livre . . . [ . . . ]
«Nous avons dit également que certaines notions un peu simplistes
telles que celles de 1' enfer s ' estompaient. [ . . . ]
«À propos du Cardinal [Ottaviani] , nous nous souvenons, quant à
nous, de cette question un peu enfantine : « Comment, vous ne croyez
pas à l 'Enfer ? » (Yves Marsaudon) 8 5

Apocatastase

L' apocatastase désigne la doctrine gnostique, condamnée par l' Église 8 6,


selon laquelle tout et tous retourneront en Dieu à la fin des temps. L' enfer
est donc vide, notre nature gracieuse, la conversion, la pénitence et la sancti­
fication inutiles - le catholicisme une contrainte inutile qui peut être rem­
placée par n' importe quel culte.

«Adorons la suprématie de ce Divin Soleil, cette Divinité qui il­


lumine tout, qui recrée tout, d ' où tout procède et auquel tout doit re­
tourner [ . . . ] . » (Albert Pike) 87

« [L' ]Âme, considérée comme un fragment de l' Esprit Universel,


peut être dite avoir perdu sa prééminence quand elle a quitté sa source
et qu' elle a cessé de faire partie de la perfection intégrale. La théorie

8 5 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon, op. cit. , p . 65, 66, 1 07 et 1 1 8.


86 Oz 409, 4 1 1 .
87 Albert Pike, op. cit. , p . 443 .
Notre nature est gracieuse 53

de la réunification correspondait à la cause supposée de sa dégrada­


tion. Pour retourner à sa situation initiale, son individualité doit dis­
paraître 88 . Elle doit s ' émanciper par ré-absorption dans l' Infini, la
consommation de toutes choses en Dieu. Ceci résulte de l ' effort hu­
main de méditation spirituelle et de mortification, parachevé par la
transformation magique de la mort. » (Albert Pike) 89

« Alors que toutes les fois revendiquent la possession exclusive de


la Vérité, la Maçonnerie inculque la doctrine antique et rien d' autre :
. . . Que Dieu est Unique ; que Sa PENSEE, manifestée par SoN VERBE,
a créé l' Univers et le préserve par ses Lois Éternelles qui sont
l' expression de sa Pensée ; que l ' Âme de tout Homme, que Dieu lui a
insufflée, est immortelle comme Ses Pensées le sont ; qu' il est libre de
faire le mal ou de choisir le bien ; que tout mal, injustice et souffrance
ne sont que temporaires, que des dissonances dans la grande Harmonie
et que, le temps venu, ils mèneront, par des modulations infinies, au
grand accord harmonique final et à la modulation de Vérité, d' Amour,
de Paix et de Joie qui retentira pour toujours sous les Arches du Ciel,
parmi les Étoiles et les Mondes et dans 1 ' Âme de tous les hommes et
de tous les Anges. » [et donc de Satan] (Albert Pike) 90

« Et enfin cette belle définition9 1 :


« Le culte chrétien est l 'acte par lequel l ' Église affirme son identi­
té avec la Création toute entière et l 'offre à Dieu ». (Yves Marsau­
don) 9 2

Les enseignements gnostiques de la Cabale insistent particulièrement sur


le rôle de l' homme dans la réintégration finale. Voici le résumé qu ' en donne
le Dictionnaire de théologie catholique :

« L' homme, en effet, ennoblit par son triomphe tout ce qui lui est
inférieur et le fait remonter vers Dieu : il entraîne dans son ascension
tous les éléments de la matière et le cosmos lui-même tout entier.
Comme l' homme idéal a été la Mercaba ou le char de descente de l ' En
Soph vers les choses, de même l ' homme terrestre est la Mercaba ou le
char de montée et de retour des choses vers l ' En Soph. Ainsi « la vie

88
C' est, à un degré inférieur, le fondement de toutes les utopies et de tous les totalitarismes,
qui font disparaître l' individualité pour la résorber dans l' « infini >> de la collectivité.
89 Albert Pike, op. cit. , p. 499.
90 Albert Pike, op. cit. , p. 424.
9 1 Dont l ' auteur ne précise pas la source.
92 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 1 02 .
54 Le crucifiement de saint Pierre

« humaine s ' élargit de la vie universelle, et le but de l' univers se


« confond avec le but de l' homme . . . Tout l' être est suspendu à son
« être ; la destinée de toute chose est liée à sa destinée. Il dépend de lui
« que la nature, à jamais éloignée de sa source, travaille et se consume
« de désir, ou qu' elle cesse de souffrir et retrouve la tranquille
« plénitude de félicité, assurée dans le sein de l ' En Soph ». Karppe,
op. cit. , p. 480. Ainsi l' homme est l' arbitre de sa propre destinée et de
celle de l ' univers. En réalité, ainsi que nous allons le voir, l ' homme
ramène tout à Dieu ; car son succès final est assuré.
« 3 . La métempsycose. - L' homme, d' après la cabale, doit fina­
lement retourner vers sa source et tout y ramener avec lui. Il se peut,
cependant, qu' il n' arrive pas du premier coup à remplir sa destinée ;
mais il lui reste un moyen infaillible de 1' atteindre, celui des épreuves
successives ou de la migration de son âme d'un corps à un autre. La
métempsycose devient ainsi, pour chaque homme pris individuelle­
ment, la solution du problème. Mais cette métempsycose ne ressemble
ni à celle qui condamnait l ' âme à animer, en punition et selon la na­
ture de ses fautes, tel ou tel corps de bête, ni surtout à celle de certains
gnostiques, qui condamnait l' âme à épuiser toute la série des crimes
possibles pour s ' assurer infailliblement le retour au sein du plérôme.
D' après le Zohar, l' âme imparfaite est condamnée à animer successi­
vement d' autres corps humains jusqu ' au moment où, par ses épreuves
purificatrices, Il, p. 99 a ; III, p. 1 77 a, elle aura reconquis sa perfec­
tion originale, II, p. 94 ab, 97 a, 99 b. C' est dire que le salut, pour em­
ployer un terme de la langue chrétienne, est assuré finalement à
l' homme, et c ' est également affirmer le retour de tout le créé vers le
créateur.
« 5 ° L 'enfer.
- Dans ces conditions, quel rôle le Zohar peut-il
bien attribuer à l' enfer ? Il nous apprend que c ' est le lieu de supplice
des damnés, composé de compartiments innombrables, qui sont distri­
bués entre les sept palais infernaux, II, p. 262 b. Il y place, entre au­
tres, ceux qui, sans faire ni bien ni mal sur la terre, n' ont rien fait, II,
p. 262 b-269 b. C' est sans doute une punition transitoire, puisque
1' âme, par la métempsycose, doit sortir enfin victorieuse de son séjour
terrestre et retourner à l ' En Soph. Pourtant le Zohar affirme que la
damnation est éternelle, II, p. 1 99 b ; III, p. 1 78 a. Mais ce n' est là que
l ' une des multiples contradictions qu' il renferme ; car, d' une part, il
enseigne le contraire ailleurs, II, p. 25 ab, 245 a, 250 ab, et, d' autre
part, en affirmant le salut final de l ' homme et le retour universel des
êtres vers l ' En Soph, il nie l' éternité des peines de l ' enfer. En outre
cette idée de la damnation éternelle s ' oppose à l ' ensemble du système,
à tout ce qu' enseigne le Zohar sur le pardon, la grâce et l' amour, et ne
Notre nature est gracieuse 55

peut être qu ' un emprunt, qui ne s ' explique pas, au dogme chrétien.
Cela est d' autant plus vrai que le bien doit finir par triompher, que le
mal et la mort doivent être vaincus un j our, I, p. 70 ; II, p. 69 b, que
Samael [Satan] et ses démons eux-mêmes, loin d' être définitivement
condamnés, sont appelés à recouvrer l ' innocence, I, p. 70, 1 46 ab ; II,
p. 69 b.
« 6° Le ciel. - Voilà le but final de l ' homme, le terme assuré de
son voyage de retour, quel qu' ait été le nombre de ses épreuves. Le
Zohar décrit minutieusement l ' éden, Il, p. 1 50 b, 23 1 b ; III, p. 10 a, sa
place, II, p. 1 84 b, ses retranchements où les âmes prennent un avant­
goût du bonheur, I, p. 4 1 ; Il, 245 ; IV, p. 1 90 b, ses palais, I, p. 4 1 b,
42 a ; II, p. 246 b, ses ineffables splendeurs. Il imagine même entre le
ciel et 1' enfer, et ceci rappelle vaguement le purgatoire, un lieu inter­
médiaire où il place les hommes qui, pendant leur vie, ont eu
l ' intention de se repentir, mais auxquels la mort n ' a pas laissé le temps
de réaliser leur désir ; simple lieu de passage, du reste, car ceux qui y
séjournent en sortent dès qu ' ils ont confirmé leur volonté de bien
faire, II, p. 1 50 ab, 2 1 1 b. Au moment de la mort, l ' Âme ne connaît
plus ni la réflexion ni la crainte ; sans intérêt personnel, sans retour sur
elle-même, elle s ' élève jusqu' à Dieu par l' intuition directe, par
l ' amour qu ' elle excite et qu ' elle éprouve ; elle reçoit le baiser divin,
II, p. 97 a, s ' unit à Dieu, se plonge en lui dans un bonheur ineffable.
Le Pasteur fidèle, III, p. 278 a, compare ce retour de l' âme à Dieu à
l' oiseau qui rentre dans son nid. Et le corps ? Le corps doit ressusciter,
d' après Midrasch occulte, p. 1 26 a. Mais si une âme a successivement
animé plusieurs corps ? Le Zohar répond que ces corps sans âme, qui
restent pour compte, serviront d' instrument ou de « marchepied » à
l' âme des justes. I, p. 1 3 1 a, 1 87 a. Ainsi donc, d' après l ' enseignement
du Zohar, ni la matière ne peut être considérée comme un mal, ni
l' existence comme une déchéance, ni la vie comme une punition.
L' univers, expression de la perfection, de la sagesse et de la bonté di­
vines, est essentiellement appelé une bénédiction ; il ne peut aboutir à
l ' anéantissement, mais doit faire retour à son principe par l' homme.
L' homme et les anges déchus eux-mêmes sont finalement sauvés.
Cette idée de restauration générale rappelle 1' anoxa-racrmcrv; [ apoca­
tastase], dans laquelle s ' égara le puissant génie d' Origène. Et lorsque
ce retour des êtres vers leur source première et éternelle aura eu lieu,
alors commencera, au ciel, le grand jubilé, le sabbat sans fin, le bon­
heur éternel dans le sein de Dieu. Alors, pour parler comme le Zohar,
le Roi se rapprochera de la Reine, et, dans cette union conjugale, la
divinité reprendra pour toujours son unité perdue. Et ainsi
56 Le crucifiement de saint Pierre

l' accouplement devient le terme de l ' évolution divine comme il en a


été le principe. » (Dictionnaire de théologie catholique) 93

La réalisation par la gnose

Pour réaliser sa véritable nature, l' homme doit parvenir à la Connais­


sance de sa divinité, à la gnose. Il lui faut dépasser le monde et arriver au
Grand Tout. La gnose est à la fois le but poursuivi et le moyen permettant
de dépasser l ' illusion de la « séparativité », de l ' individualisme. Gnose que
l ' on acquiert par l' initiation. La doctrine comme la spiritualité de la gnose,
sa théorie comme sa pratique, sont aux antipodes du catholicisme. Si
l' homme est Dieu et non une créature pécheresse, sa nature est gracieuse et
son seul péché est l ' erreur d' oublier sa divinité. La réalisation est donc la
connaissance (gnose, réminiscence, anamnésis) réelle, vécue, consciente de
notre divinité.

« Nous avons déj à développé, dans une certaine mesure, la pensée


des anciennes philosophies. Nous avons essayé de vous familiariser
avec la doctrine de l ' Émanation des Gnostiques et de l ' Orient. [ . . . ]
« Les principales doctrines du Platonisme proviennent du Gnosti­
cisme : l ' Émanation des Intelligences du sein de la Déité ; l ' égarement
des esprits dans l' erreur et leur souffrance, tant qu' ils sont éloignés de
Dieu et prisonniers de la matière ; leurs efforts vains et persévérants
pour arriver à la connaissance de la Vérité et retrouver leur union pri­
mitive avec l ' Être Suprême ; l ' alliance d' une âme pure et divine avec
une âme irrationnelle, siège des désirs mauvais ; les anges ou les
démons qui habitent et gouvernent les planètes [Gaïa] , n' ayant qu' une
connaissance imparfaite des idées qui présidèrent à la création ; la ré­
génération de tous les êtres grâce à leur retour dans le KOO"flOÇ vorrr6 ç;
(kosmos noetos), le monde des Intelligences, et à son Chef, l ' Être Su­
prême ; seul moyen possible pour rétablir l ' harmonie primitive de la
création, dont la musique des sphères de Pythagore était l' image ; tel­
les étaient les analogies des deux systèmes ; et nous découvrons en el­
les certaines des idées qui font partie de la Maçonnerie ; en lesquelles,
dans les conditions actuelles de mutilation rencontrées dans les Degrés
symboliques, elles sont déguisées et recouvertes de fiction et
d' absurdité ou se présentent sous forme d' allusions fortuites qui pas­
sent inaperçues. » (Albert Pike) 94

93 DTC, Article cabale, Col. 1 287 et 1 28 8 .


94 Albert Pike, op. cit. , p . 4 7 6 e t 1 9 3 .
Notre nature est gracieuse 57

« LA GNOSE ET LA FRANC-MAÇONNERIE
« La Gnose, a dit le T :. Ill :. F :. Albert Pike, est l 'essence et la
moëlle de la Franc-Maçonnerie. » Ce qu' il faut entendre ici par
Gnose, c' est la Connaissance traditionnelle qui constitue le fonds
commun de toutes les initiations, et dont les doctrines et les symboles
se sont transmis, depuis l ' antiquité la plus reculée j usqu ' à nos jours, à
travers toutes les Fraternités secrètes dont la longue chaîne n ' a j amais
été interrompue. [ . . . ]
« Sans vouloir traiter ici la question si complexe des origines histo­
riques de la Maçonnerie, nous rappellerons simplement que la Maçon­
nerie moderne, sous la forme que nous lui connaissons actuellement,
est résultée d' une fusion partielle des Rose-Croix, qui avaient conser­
vé la doctrine gnostique depuis le moyen-âge, avec les anciennes cor­
porations de Maçons Constructeurs, dont les outils avaient déj à été
employés d' ailleurs comme symboles par les philosophes herméti­
ques, ainsi qu' on le voit en particulier dans une figure de B asile V a­
lentin95 .
« Mais, en laissant de côté pour le moment le point de vue restreint
du Gnosticisme, nous insisterons surtout sur le fait que l ' initiation ma­
çonnique, comme d' ailleurs toute initiation, a pour but l ' obtention de
la Connaissance intégrale, qui est la Gnose au sens véritable du mot.
Nous pouvons dire que c' est cette Connaissance même qui, à propre­
ment parler, constitue réellement le secret maçonnique, et c ' est pour­
quoi ce secret est essentiellement incommunicable. » (René Guénon) 96

« Il résulte de ce qui précède que l ' homme peut, dès son existence
terrestre, s' affranchir du domaine du Démiurge ou du Monde hylique,
et que cet affranchissement s ' opère par la Gnose, c ' est-à-dire par la
Connaissance intégrale. [ . . . ]
« L' ignorance, c ' est ici l' état de l ' être enveloppé dans les ténèbres
du Monde hylique, attaché à l ' apparence illusoire de la Matière et aux
distinctions individuelles ; par la Connaissance, qui n' est point du
domaine de l ' action, mais qui lui est supérieure, toutes ces illusions
disparaissent, ainsi que nous l ' avons dit précédemment. [ . . . ]
« [C]elui qui est conscient de l ' Univers non manifesté ou du
Monde sans forme, c ' est-à-dire du monde pneumatique, et qui est ar­
rivé à l' identification de soi-même avec l' Esprit universel, Atmâ, ce-

95 Voir à ce sujet Le Livre de l'Apprenti, par le F :. Oswald Wirth, pp. 24 à 29 de la nouvelle


édition.
96 René Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, Paris, Les éditions
traditionnelles, 1 986, tome II, p. 257 et 260.
58 L e crucifiement de saint Pierre

lui-là seul peut être dit Yogi, c' est-à-dire uni à l ' Esprit universel. »
(René Guénon) 9 7

L 'initiation et la grâce

Tout notre travail s ' appuie sur l ' opposition entre la doctrine de la créa­
tion et celle de l' émanation, sur la confusion entre la nature et la grâce.
Nous avons suffisamment montré que la gnose, en affirmant que le monde
est en Dieu, confond la nature et la grâce et tient ainsi une position
incompatible avec la Révélation. Ne peut-on pourtant pas assimiler ou
rapprocher la grâce et l ' initiation, que les gnostiques tiennent pour
nécessaire pour soulever le voile de l' illusion 98 ? Trois éléments doivent être
pris en considération :
Tout d' abord, la nécessité de l' initiation, certes affirmée par les gnosti­
ques, n' apparaît guère. D ' où provient cette contrainte, puisque nous sommes
tous Dieu, que la « séparativité » et l' individualité ne sont que des illu­
sions ? Cette question découle d' une autre interrogation, plus ennuyeuse
encore pour les thèses panthéistes : puisque nous sommes tous Dieu, d'où
provient l' ignorance, l' illusion ? D ' un autre Dieu, d'un principe du Mal ?
On affirme qu ' il faut la « présence d'un élément "non-humain" » pour nous
délivrer de l' illusion, sans en expliquer la nécessité. Puisque nous sommes
tous Dieu, cette présence d ' un élément « non-humain » est certaine, que l ' on
soit initié ou non. Affirmer qu ' il s ' agit d' « une vue beaucoup trop exclusi­
vement théorique »99 n' est que l ' un de ces innombrables sophismes que les
gnostiques accumulent sans même y prendre garde : il s' agit bien au
contraire, et selon leur théorie même, du seul point de vue réel, vrai, celui de
1 ' Absolu, tout le reste n' étant qu ' illusion. Ainsi la réponse à cette question,
en vérité et non pour les êtres dans l ' illusion, n' est pas donnée.
Ensuite, le rapprochement entre la grâce et l ' initiation est fallacieux. Par
un don gratuit, par une greffe divine qui transforme l ' âme, la grâce surélève
notre nature : « Le don de la grâce surpasse la puissance de toute nature
créée, puisque la grâce est une participation à la nature divine, laquelle sur­
passe toute autre nature. C ' est pourquoi aucune créature ne saurait être
cause de la grâce. Dieu seul peut déifier des êtres en leur communicant par
participation de similitude quelque chose de sa vie divine » (Saint Tho­
mas) 1 00 . Au contraire, l' initiation se contenterait de nous permettre d' enlever

97 René Guénon, Mélanges, op. cit. , p. 1 8 sq.


9 8 On notera que, sel on l es thèses gnostiques, l a marque conférée par l' initiation est indél é­
bi le, ce qui la rapproche d ' un caractère. L' objection soulevée n'en demeure pas moins.
99 René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, op. cit., p. 5 1 .
1 00
ST, I-II, q. 1 1 2, a. 1 .
Notre nature est gracieuse 59

un voile, de réaliser la divinité de notre nature, de détruire l ' illusion de notre


individualité qui nous masque notre Identité Suprême avec le Soi, avec
Dieu. Notre nature serait réellement gracieuse et l ' initiation permettrait de
dissiper l ' illusion contraire. Ainsi, la grâce est un don surnaturel tandis que
l' initiation dévoilerait une réalité préexistante. La nécessité de l ' initiation
serait donc une nécessité de moyen et non de principe tandis que la nécessi­
té de la grâce est une nécessité de principe et de moyen.
Enfin, la gnose affirme qu ' à une certaine époque l ' initiation n' était pas
même nécessaire 1 0 1 • Et aujourd' hui encore la nécessité de moyen de
l ' initiation ne saurait être absolue :

« [La Délivrance] peut aussi être facilitée par la pratique de cer­


tains rites, ainsi que de divers modes particuliers de méditation (hâr­
da-vidyâ ou dahara-vidyâ) ; mais, bien entendu, tous ces moyens ne
sont que préparatoires et n' ont à vrai dire rien d'essentiel, car
« l' homme peut acquérir la vraie Connaissance Divine, même sans
« observer les rites prescrits (pour chacune des différentes catégories
« humaines, en conformité avec leurs caractères respectifs, et no­
« tamment pour les divers âshramas ou périodes régulières de la vie) ;
« et l ' on trouve en effet dans le Vêda beaucoup d' exemples de
« personnes qui ont négligé d' accomplir de tels rites (dont le même
« Vêda compare le rôle à celui d ' un cheval de selle qui aide un homme
« à arriver plus aisément et plus rapidement à son but, mais sans
« lequel il peut néanmoins y parvenir) , ou qui ont été empêchées de le
« faire, et qui cependant, à cause de leur attention perpétuellement
« concentrée et fixée sur le Suprême Brahma (ce qui constitue la seule
« préparation réellement indispensable), ont acquis la vraie
« Connaissance qui Le concerne (et qui, pour cette raison, est
« également appelée "suprême") . » (René Guénon) 1 02

L' Église catholique a toujours transmis la grâce. L' Église conciliaire,


d'inspiration maçonnique, entend initier l' humanité pour lui faire prendre
conscience de sa divinité. De ces deux orientations opposées découlent deux
spiritualités antagonistes, de saveurs spirituelles impossibles à confondre : la
religion du Dieu fait homme et la religion de l ' homme fait Dieu. Si le peu­
ple catholique n ' a pas toujours pu conceptualiser ce que son sensus fidei lui

101
René Guénon, Aperçus sur l'initiation, Paris, Les éditions traditionnelles, 1 983, p. 3 1 , 3 5 ,
25 1 . Initiation e t réalisation spirituelle, op. cit. , p. 52, 1 75 . Orient e t Occident, Paris, Les édi­
tions Véga, 1 983, p. 209 sq.
1 02
René Guénon, L'homme et son devenir selon le Vêdanta, op. cit. , p. 1 86 sq. Citant les
Brahma-Sûtras, 3° Adhyâya, 4° Pâda, sûtras 36 à 3 8 . Les incises entre parenthèses sont des
commentaires insérés par Guénon dans le texte qu'il cite.
60 Le crucifiement de saint Pierre

dictait, il l ' a pourtant exprimé en des mots simples qui livrent l ' essentiel :
« Ils ont changé la religion ».
Cette opposition entre deux spiritualités antagonistes nous semble appa­
raître particulièrement clairement à la lecture des deux textes qui suivent :
dans le premier, Guénon met l ' accent sur la divinité de l' homme tandis que
dans le second saint Thomas insiste sur la nécessité de la grâce.

« Si l ' être qui est un individu humain dans un certain état de mani­
festation n' était véritablement que cela [n' était donc pas Dieu] , il n'y
aurait pour lui aucun moyen de sortir des conditions de cet état, et, tant
qu' il n ' en est pas sorti effectivement, c' est-à-dire tant qu' il n' est en­
core qu' un individu selon les apparences (et il ne faut pas oublier que,
pour sa conscience actuelle, ces apparences se confondent alors avec
la réalité même, puisqu' elles sont tout ce qu ' il peut en atteindre), tout
ce qui est nécessaire pour lui permettre de les dépasser ne peut se pré­
senter à lui que comme « extérieur » ; il n' est pas encore arrivé au
stade où une distinction comme celle de l ' « intérieur » et de
1 ' « extérieur » [entre lui-même et le monde et Dieu] cesse d' être vala­
ble. » (René Guénon) 1 0 3

« Or, quand un intellect créé voit Dieu par essence, l' essence
même de Dieu devient la forme intelligible de l ' intellect. Il faut donc
que quelque disposition surnaturelle lui soit surajoutée, pour qu' il
s ' élève à une telle sublimité. Puisque la vertu naturelle de l' intellect
créé ne suffit pas à voir l' essence divine, ainsi qu ' on l ' a montré, il faut
donc que par un effet de la grâce divine cette vertu en lui soit surdéve­
loppée. Et cet accroissement de force intellectuelle, nous l' appelons
une illumination de l' intellect, comme nous appelons l ' intelligible lui­
même une lumière, un éclat. Telle est la lumière dont l ' Apocalypse
(Ap 2 1 , 23) dit : « La clarté de Dieu illuminera » la société des bien­
heureux qui verront Dieu. Par la vertu de cette lumière, les bienheu­
reux deviennent déiformes, c ' est-à-dire semblables à Dieu, selon la
première épître de saint Jean ( 1 Jn 3, 2) : "Au temps de cette manifes­
tation, nous lui seront semblables, et nous le verrons tel qu' il est." »
(Saint Thomas) 1 04

La thèse gnostique pourrait ainsi provenir, pour partie, d' une interpréta­
tion erronée et orgueilleuse des grâces mystiques. Dieu peut élever 1' âme au
mariage spiritu el, la rendre déiforme, là où « 1' esprit de 1' âme est devenu

103 René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, op. cit. , p. 25 et 26.


1 04 ST, I, q. 12, a. 5 .
Notre nature est gracieuse 61

une seule chose avec Dieu » 1 05 • L a gnose affirme que ces faveurs extraordi­
naires sont dues à la nature, qu' elles ne font que mettre l ' âme en possession
de sa véritable nature qui lui apparaîtra nécessairement lors de
l' apocatastase finale.

105 Sai nte Thérèse d ' Avi la, Le château de l'âme, Pari s, Les éditions du seuil, 1 997, septièmes
demeures, ch. 2, p. 236.
CHAPITRE V

Le Bien et le mal en Dieu

i le mal est pour nous [catholiques] un embarras, il est pour vous


S [panthéistes] une impossibilité
«

» 1 0 6 puisque tout est Dieu. Le pro­


blème du mal hante le panthéisme. De par son origine - diabolique - et à
cause de ses conséquences inéluctables : puisque tout est en Dieu, le fini et
l ' imparfait s ' y trouvent aussi - le mal est en Dieu. Il n'y a aucun moyen
d' échapper à cette conclusion, à cette contradiction immédiate. Il ne reste
guère qu' à la noyer, qu ' à l' habiller de propos séduisants, d' hypothèses cap­
tieuses, qu ' à essayer d'en émousser le scandale.
Le discours gnostique sur le mal est fort confus, contradictoire. Nous es­
saierons d'y mettre un peu d' ordre, sans prétendre résoudre les contradic­
tions inextricables que le refus du Dieu créateur, de la réalité, entraîne né­
cessairement, sans pouvoir être tenu comptable des erreurs et impossibilités
gnostiques.
Ne pouvant exposer la question du mal, nous nous contenterons de rap­
peler que le mal, privation de bien, n ' a qu ' une existence négative ; qu ' il n'y
a donc pas de principe du mal ; et que Dieu, qui ne veut pas le mal, ne le
permet que pour un plus grand bien 1 07 .
Le mal et le diable étant, selon les panthéistes, en Dieu, il convient de
dépasser la conception grossière que le catholicisme s ' en fait. Il y a donc, à
côté du principe du Bien, un principe du Mal. Mais leur opposition n'est
qu ' apparente, destinée à disparaître dans 1' apocatastase finale, quand le
Bien et le Mal se résorberont en Dieu. Le mal est donc éternellement en
Dieu ; Dieu en est l ' auteur. Le Bien et le Mal sont en équilibre en Dieu,
dans une parfaite harmonie. La synthèse hégélienne trouve ici son origine,
symbolisée par les trois points maçonniques : .-. thèse, antithèse et synthèse.

Satan et le serpent

« Les Kabbalistes disaient que le vrai nom de Satan est celui de

Yahvé renversé ; car Satan n' est pas un dieu sombre mais la négation
de Dieu. Le Diable est la personnification de 1' Athéisme et de
1 ' Idolâtrie.

1 06
Cité en page 1 7 .
1 07 Dz 325 1 .
Le Bien et le mal en Dieu 63

« Pour les Initiés, ce n' est pas une Personne mais une Force créée
pour le bien mais qui peut servir au mal. C 'est l 'instrument de la liber­
té et du Libre Arbitre. Ils représentent cette Force qui préside à la gé­
nération physique sous la forme mythologique du Dieu cornu PAN ; de
là provient le bouc du S abbat, frère de 1' Antique Serpent, et le Porte­
lumière ou Phosphore dont les poètes ont fait le faux Lucifer de la lé­
gende. » (Albert Pike) 1 08

« L' homme a chuté, mais non à cause de la tentation du serpent.


Car, selon les Phéniciens, on estimait que le serpent tenait de la Nature
Divine et était sacré, comme il l ' était en Égypte. On le pensait immor­
tel, sauf s ' il était mis à mort avec violence ; on pensait qu ' il rajeunis­
sait dans sa vieillesse en rentrant en lui-même et en se consumant.
C' est ainsi que le Serpent en cercle, la queue dans la gueule, est un
symbole de l' éternité. Avec une tête de faucon, il était de Nature Di­
vine, le symbole du soleil. C ' est ainsi qu' une Secte des Gnostiques en
fit son bon génie ; de là provient aussi le serpent d' airain que Moïse
dressa dans le désert, que les Israélites contemplaient et dont ils vi­
vaient 1 09 . » (Albert Pike) 1 1 0

« Il y a dans l ' initiation vraie, dit Oswald Wirth, quelque chose de


diabolique, puisqu' elle incite l ' individu à faire acte d' initiative, en
s' insurgeant contre tout ce qui l ' opprime. Tout comme le serpent ten­
tateur, elle exhorte l' homme à se rendre semblable à Dieu : elle en fait
un Titan, qui ne craint pas d' escalader l ' Olympe, après s ' être enfoncé
dans la nuit du Tartare, jusqu' au seuil du palais de Proserpine. Aussi,
pour être initié, a-t-il toujours été indispensable de n' avoir peur de rien
[pas même du diable] et faire preuve d' une indomptable énergie. »
(Oswald Wirth) 1 1 1

« Parlant de Saint-Martin, Oswald Wirth, un des rares initiés de


notre époque, écrit : « Il ne sut que planer dans les hauteurs, alors
« qu' avec Lucifer lui-même, il aurait dû se précipiter du ciel, pour
« plonger jusqu' au centre le plus profond de l ' enfer. » (Oswald
Wirth) 1 1 2

1 08
Albert Pike, op. cit. , p. 8 1 .
1 09 L' éloge du serpent couvre la totalité des pages 366 à 372.
1 10
Albert Pike, op. cit. , p. 2 1 4 sq.
111
Le Grand Livre de la Nature ou l'Apocalypse philosophique et hermétique, préface
d' Oswald Wirth, p. 9. Cité par Charles Nicoullaud, L'initiation maçonnique, Cadillac, Éditions
Saint-Rémi, 2005 , p. 96. Oswald Wirth est une autorité maçonnique considérable.
1 12
Ibid. Cité par Charles Nicoullaud, L'initiation maçonnique, op. cit. , p. 1 23 .
64 Le crucifiement de saint Pierre

« [Dante] s' échappe de l ' abîme de l' enfer en passant par-dessus la


barrière au-dessus de laquelle une condamnation désespérante est
écrite, en inversant la position de sa tête et de ses pieds, c ' est-à-dire
en acceptant l 'opposé direct du dogme catholique. Ainsi il remonte
vers la lumière en utilisant le diable lui-même comme une échelle
monstrueuse. Faust monte au Ciel en marchant sur la tête de Méphis­
tophélès vaincu. L' enfer n' est infranchissable que pour ceux qui igno­
rent comment en revenir. Nous nous délivrons de son esclavage par
l' audace. » (Albert Pike) 1 1 3

« L' Apocalypse est, pour celui qui reçoit le dix-neuvième degré,


l' Apothéose de la Foi Sublime qui aspire à Dieu seul et méprise les
pompes et les œuvres de Lucifer. LUCIFER, le Porte-lumière ! Quel
nom étrange et mystérieux pour l' Esprit des Ténèbres ! Lucifer, le Fils
de l' Aurore ! Est-ce lui qui porte la Lumière et qui, par sa splendeur
insoutenable, aveugle les âmes faibles, sensuelles et égoïstes ? N'en
doutez pas ! » (Albert Pike) 1 14

Le principe du mal

« Comme il semblait que le Bien et le Mal ne pouvaient provenir


d' une seule et même source, pas plus que la Lumière et les Ténèbres,
les hommes ont naturellement imaginé deux Causes ou Principes de
différentes natures et opposées dans leurs effets, dont l ' une projetait la
Lumière et le Bien sur l' Univers et l' autre l' Obscurité et le Mal.
« La distinction des deux Principes était admise par toutes les
Théologies et formait l ' une des principales bases de toutes les reli­
gions. Elle constituait le premier élément de toutes les fables sacrées,
des cosmogonies et des Mystères de l' Antiquité. « Nous ne sommes
pas tenus de supposer », écrivait Plutarque, « que les Principes de
« l' Univers sont des corps inanimés comme Démocrite et Epicure le
« pensaient. Ni que la matière, privée de qualités, est organisée et
« ordonnée par une unique Raison ou Providence, Souveraine sur
« toutes choses, comme les Stoïciens le pensaient. Car il n' est pas
« possible qu' un seul Être, bon ou mauvais, soit la cause de tout,
« puisque Dieu ne peut en aucune manière être la cause de quelque
« mal. L' harmonie de l ' Univers est une combinaison d' opposés,
« semblables aux cordes d' une lyre ou à celle d'un arc,

1 1 3 Albert Pike, op. cit. , p. 599.


1 1 4 Albert Pike, op. cit. , p. 245 .
Le Bien et le mal en Dieu 65

« alternativement tendue et relâchée. » « Le bien », dit Euripide,


« n' est j amais séparé du Mal. Les deux doivent se mélanger pour que
tout soit bien. » Et cette idée de deux principes, continue Plutarque,
« est celle de toute l' Antiquité. Elle est passée des Théologiens et des
« Législateurs aux Poètes et aux Philosophes. Son auteur est inconnu ;
« mais cette opinion est établie par les traditions de toute la race
« humaine et consacrée par les mystères et les sacrifices tant des Grecs
« que des Barbares chez qui on reconnaissait le dogme des deux
« principes de nature contraire qui, par leur opposition, produisaient le
« mélange de bien et de mal. Nous sommes contraints d' admettre
« 1' existence de deux causes contraires, de deux puissances opposées
« qui conduisent l' une à droite et l ' autre à gauche et contrôlent ainsi
« nos vies comme elles contrôlent le monde sublunaire qui est ainsi
« sujet à beaucoup de changements et d' accidents de toute nature. Car,
« s' il n ' y a pas d' effet sans cause et que le Bien ne peut être la cause
« du Mal, il est absolument nécessaire qu' il y ait une cause du Mal
« comme il y en a une du Bien. » Cette doctrine, ajoute-t-il, a été gé­
néralement reçue dans la plupart des nations et tout particulièrement
par celles qui avaient la plus grande réputation de sagesse. Toutes ont
admis deux dieux, avec des fonctions différentes, l ' un faisant le bien
et l' autre le mal dans la Nature. On a appelé « Dieu » le premier et
« Démon » le second. Les Perses et Zoroastre ont appelé Ormuzd le
premier et Ahriman le second. De l' un, disaient-ils, provient la nature
de la Lumière et de l' autre celle des Ténèbres. Les Égyptiens appe­
laient le premier Osiris et le second Typhon, son éternel ennemi. [ . . . ]
« Selon Plutarque, les Chaldéens avaient aussi leurs bonnes et leurs
mauvaises étoiles . Les Grecs avaient leurs Jupiter et Pluton, leurs
Géants et leurs Titans auxquels ils assignaient les attributs du Serpent
dont Pluton ou Sérapis était entouré et dont la fonction était tenue par
Typhon, Ahriman et par le Satan des Hébreux. Chaque peuple avait
son équivalent. » (Albert Pike ) 1 1 5

« Outre leurs doctrines de la transmigration des âmes, leurs dog­


mes [hindous] peuvent être résumés sous les rubriques suivantes : [ . . . ]
3 . l' existence nécessaire d'un Principe du Mal, opposé aux buts béné­
fiques du premier ». (Albert Pike) 1 16

1 1 5 Albert Pike, op. cit. , p. 483. Voir également p. 484.


1 16 Albert Pike, op. cit. , p. 442.
66 Le crucifiement de saint Pierre

La résorption du mal en Dieu

Selon Pike, toutes les théologies antiques auraient souhaité résorber le


mal en Dieu.

« On pensait que, comme l ' homme, les Anges du Mal avaient chu­
té de leur premier état ; et que, comme les hommes, le temps venu,
Dieu les rétablirait dans cet état et que le règne du mal cesserait pour
toujours. Les Anciennes Théologies tendent toutes à ce magnifique ré­
sultat ; elles essayent donc toutes de réconcilier 1' existence du Péché
et du Mal avec la sagesse parfaite et indéniable de Dieu et sa bonté. »
(Albert Pike) 1 1 7

« Le rêve splendide des plus grands Poètes a toujours été que


l' Enfer, devenu inutile, soit supprimé à cause de l' agrandissement des
Cieux ; que le problème du Mal reçoive sa solution finale et que Dieu
seul, nécessaire et triomphant règne sur l' Éternité. Ainsi, les Perses
enseignaient le dogme selon lequel, à la fin, AHRIMAN et ses ministres
du Mal devraient, grâce à un Rédempteur et Médiateur, être réconci­
liés avec la J? éité et le Mal prendrait fin. » (Albert Pike) 1 1 8

Dieu est l'auteur du mal

Mais cet effort est vain car Dieu serait 1' auteur du mal.

« Les désordres apparents du monde physique et les maux qui en


résultent ne sont pas des désordres et des maux qui surviennent malgré
la puissance et la bonté de Dieu. Non seulement Dieu les permet mais
il les veut. Sa volonté est que le monde physique comprenne suffi­
samment de causes de douleur pour l' homme pour qu ' il puisse prou­
ver sa résignation et son courage. » (Albert Pike) 1 19

« L ' intention de Dieu, quand Il créa le monde, était que Ses créatu­
res reconnaissent Son existence. C ' est pourquoi Il créa tant des maux
pour les en affliger quand elles pèchent que la Lumière et les Bénédic­
tions pour récompenser les justes. Ainsi, l' homme dispose nécessai-

1 17
Albert Pike, op. cit. , p . 499.
1 18
Albert Pike, op. cit. , p. 6 1 7 .
1 19
Albert Pike, op. cit. , p. 5 20.
Le Bien et le mal en Dieu 67

rement de son libre arbitre et peut choisir, puisque le B ien et le Mal


sont dans le Monde. » (Albert Pike) 1 20

« Et, atteignant enfin la vérité la plus haute, Pindare, Hésiode, Es­


chyle, Ésope et Horace dirent : « Toute vie est une lutte ; la vie n ' est
« pas faite pour le repos ; elle exige une action énergique. Zeus lui­
« même, source de tout savoir, a voulu la souffrance qui n' est qu ' un
« autre nom de 1' enseignement par 1' expérience, le père de
« l ' instruction et le maître de vie. C ' est lui qui mit fin à l' âge d' or,
« rendit les serpents venimeux et les loups voraces ; il fit tomber le
« miel des feuilles et tarit les ruisseaux de vin ; il cacha le feu, rendit
« les moyens de subsistance insuffisants et la vie précaire. Mais en
« tout ceci son but était salutaire ; il ne voulait pas détruire la vie mais
« l' améliorer. Ce fut une bénédiction pour l' homme, et non une
« malédiction, d' être condamné à gagner son pain à la sueur de son
« front ; car rien de grand ni d' excellent ne vient sans effort ; les
« vertus faciles et tranquilles n' ont de prix ni pour les dieux ni pour les
« hommes ; la parcimonie de la nature se justifie car elle réveille les
« facultés endormies et oblige l' humanité à réfléchir et à méditer pour
« inventer des arts bénéfiques. » (Albert Pike) 1 2 1

« Selon l ' Introduction du Zohar, la Déité décida de créer le Bien et


le Mal, selon ce qu ' il est écrit dans Isaïe : "qui fait la Lumière et crée
le Mal" ». (Albert Pike) 1 22

« L' idée la plus simple, et probablement la plus ancienne, était que


le Dieu unique était l' Auteur de toutes choses. « Je forme la lumière »,
dit Jéhovah, « et je crée les ténèbres ; Je donne la prospérité et crée le
mal ; Moi, le Seigneur, je fais toutes ces choses. » [ . . . ]
« Partout, on représente la Divinité de l' Ancien Testament comme
1' auteur direct du Mal, envoyant les esprits mauvais et menteurs aux
hommes, endurcissant le cœur de Pharaon et punissant les péchés d ' un
individu sur tout le peuple. Cette conception primitive de la rigueur
prévalant sur la miséricorde dans la Déité peut seule expliquer les sa­
crifices humains projetés, si ce n' est réalisés, par Abraham et Jephté. »
(Albert Pike) 1 23

1 20
Albert Pike, op. cit. , p. 579.
121
Albert Pike, op. cit. , p. 5 0 2 e t 503 .
1 22
Albert Pike, op. cit. , p. 578.
1 23 op. cit. ,
Albert Pike, p. 500.
68 Le crucifiement de saint Pierre

La synthèse du Bien et du mal en Dieu

En effet, pour Pike, le mal est inséparable du Bien et lui est nécessaire
pour qu ' il prenne conscience de lui-même. Ils sont tous deux en équilibre.
Cette conception dualiste est l' origine de l ' idée hégélienne de synthèse.

« Mais la contemplation du Bien implique celle de son opposé, le


Mal. Quand on considère que Dieu est « Le Bien », ce n' est pas parce
que l ' on ignore le Mal mais parce qu' à dessein on l' exclut de Ses at­
tributs. Mais si le Mal possède une existence séparée et indépendante,
comment la concilie-t-on avec la prérogative d' Unité et de Suprématie
de Dieu ? Pour résoudre ce dilemme, il ne reste qu' à retomber plus ou
moins dans quelque chose de semblable au flou antique. » (Albert
Pike) 1 24

« La Kabbale est la tradition première ; elle repose entièrement sur


le seul dogme des Mages [dogma of Magism] , « le visible est pour
nous la mesure proportionnelle de l' invisible ». Les Anciens, obser­
vant que l' équilibre est la loi physique universelle et qu ' il résulte de
l' opposition apparente de deux forces, sont passés de l' équilibre phy­
sique à l' équilibre métaphysique. Ils ont pensé qu ' en Dieu, pour ainsi
dire, dans la cause première, vivante et active, deux propriétés néces­
saires l' une à l' autre devaient être discernées : stabilité et mouvement,
nécessité et liberté, ordre dicté par la raison et loi propre de la Volonté
Suprême, Justice et Amour, et donc Rigueur et Grâce, Miséricorde et
Bienveillance. [ . . . ]
« Il en découle un Équilibre parfait entre la Loi et l' Équité, la Jus­
tice et la Miséricorde, la Nature Divine Infinie et la Nature Humaine
Finie, le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres, la Bienveillance et
la Rigueur, le Mâle et la Femelle encore, semblables à Hokhmah et
Binah qui, s ' équilibrant mutuellement l ' un l' autre, produisent, par leur
union intime, les autres Sephiroth. [ . . . ]
« [C ' ]est ainsi que les Natures Spirituelles et Matérielles sont en
équilibre, le Bien contrebalançant partout le Mal, la Lumière étant
partout en équilibre avec les Ténèbres ; c' est de là que vient
l' Harmonie Universelle des choses. [ . . . ]
« Netsach est le Succès parfait qui, pour la Déité à Qui l ' A venir est
présent, est déjà là et qui, pour Ses créatures, résultera du plan
d' équilibre qu ' Il a adopté partout. C ' est la réconciliation de la Lu­
mière et des Ténèbres, du Bien et du Mal, du Libre Arbitre et de la

1 24
Albert Pike, op. cit. , p. 496 et 497 .
Le Bien et le mal en Dieu 69

Nécessité, de l' omnipotence Divine et de la liberté de l' Homme ; »


(Albert Pike) 125

« Toutefois, les causes fondamentales du mal sont encore plus pro­


fondes que tout cela ; en fait elles sont liées, selon une doctrine zoha­
rique importante, à l' une des manifestations ou Sephiroth de Dieu.
Ceci demande une explication. La totalité des puissances divines
forme un tout harmonieux, et tant que chacune d' entre elles reste en
relation avec les autres, elle est sacrée et bonne. Ceci est vrai aussi de
la qualité de la stricte justice, de la rigueur et du jugement en Dieu et
par Dieu, qui est la cause fondamentale du mal. La colère de Dieu est
symbolisée par sa Main gauche tandis que sa miséricorde et son amour
auxquels elle est intimement liée est appelée sa main droite. L' une ne
peut pas se manifester sans entraîner 1' autre. Ainsi 1' attribut de juge­
ment rigoureux représente le grand feu de la colère qui brûle en Dieu
mais est toujours tempéré par sa miséricorde. Quand il cesse d' être
tempéré, quand il éclate sans mesure avec une extrême violence et
rompt avec 1' attribut de miséricorde, alors il s' éloigne de Dieu et en
même temps se transforme radicalement dans le mal, dans la Gehenne
et dans le monde ténébreux de Satan. [ . . . ]
« [D]eux idées sont mêlées ; en somme, l' auteur semble incliner
vers la première : le mal est survenu dans le monde, non pas en raison
de la chute d' Adam, qui actualisa la présence du mal alors en puis­
sance, mais en raison du décret selon lequel le mal a une réalité en soi.
Ce fut aussi la doctrine du gnosticisme : le mal est par sa nature
même, indépendant de l' homme ; il fait partie de la structure du
monde ou plutôt de 1' existence de Dieu. Cette pensée conduit le Zohar
à interpréter le mal comme une sorte de résidu ou de refus du proces­
sus organique de la vie cachée. Cette idée particulière, qui est en soi
une conséquence audacieuse de l' interprétation de Dieu comme un or­
ganisme vivant, a trouvé diverses expressions dans une variété de
comparaisons. De même que 1' arbre ne peut exister sans écorce, ou le
corps humain sans faire couler « de sang impur », de même aussi, tout
ce qui est démoniaque a sa racine quelque part dans le mystère de
Dieu. [ . . . ]
« [S]elon [l' ] auteur [du Zohar] , le mal est vraiment ce qui a une
place prescrite, mais en soi il est mort, il ne vient à la vie que pour les
raisons suivantes : ou bien un rayon de lumière, si faible soit-il, est
tombé de la Sainteté de Dieu sur lui, ou bien il est nourri et vivifié par
le péché de l' homme ; par lui-même. il est simplement le résidu mort

125 Albert Pike, op. cit. , p. 557, 556, 554 et 5 5 5 .


70 Le crucifiement de saint Pierre

du processus de la vie. Une étincelle de la vie de Dieu brûle même en


Sammaël, la personnification du mal, "l ' autre côté" ou "le côté gau­
che". » (Gershom Scholem) 1 26

« Mais 1 27 malheureusement, le philosophe oublie toutes les lois de


l' équilibre et cherche à absorber la Lumière dans une splendeur sans
ombre et le mouvement dans un repos absolu qui serait l' arrêt de toute
vie. Aussi longtemps qu ' il y aura une lumière visible, il y aura une
ombre proportionnée à cette Lumière et tout ce qui sera éclairé projet­
tera un cône d' ombre. Le repos ne sera j amais le bonheur s ' il n' est
équilibré par un mouvement analogue et contraire. C ' est la loi immua­
ble de la Nature, la Volonté Éternelle de la Justice qui est DIEU. »
(Albert Pike) 1 2 8

« C' est le secret de l ' ÉQUILIBRE U NIVERSEL : [ . . . ]


« - De l' Equilibre entre le Bien et le Mal, entre la Lumière et les

Ténèbres dans le monde, qui nous assure que tout est l' œuvre de la
Sagesse Infinie et d ' un Amour Infini ; qu' il n ' y a pas d' ange rebelle
du Mal ou de Principe des Ténèbres coexistant avec Dieu et en conflit
éternel avec Lui ou avec le Principe de la Lumière et du Bien ; en par­
venant à la connaissance de cet équilibre, nous pouvons, grâce à la
Foi, voir que 1' existence du Mal, du Péché, de la Souffrance et de la
Peine dans le Monde sont compatibles avec l' Infinie Bonté et l' Infinie
Sagesse du Tout-Puissant.
« La Sympathie et l' Antipathie, l' Attraction et la Répulsion, toutes
Forces de la nature, sont contraires dans les âmes des hommes et dans
l' Univers des sphères et des mondes ; l' Harmonie et le mouvement,
qui sont la Vie de l' Univers et de l' Âme, proviennent de leur action et
de leur opposition l' une à l' autre.
« Elle ne sont pas antagonistes. La force qui repousse une Planète
du Soleil n' est pas plus une force mauvaise que celle qui attire cette
Planète vers la Lumière centrale ; car chacune est créée et utilisée par
la Déité ; le résultat en est le mouvement harmonieux des Planètes qui
suivent docilement leurs orbites elliptiques, la précision mathématique
et la régularité immuable de leurs mouvements. » (Albert Pike) 1 29

1 26
Gershom Scholem, Les grands courants de la mystique juive, Paris, Payot, 1 994, p. 253
sq. Les écrits de Scholem en matière de cabale font autorité.
1 27
Cette citation suit immédiatement celle qui appelle la note 1 1 8 en page 66.
1 28
Albert Pike, op. cit., p. 6 1 7 .
1 29
Albert Pike, op. cit. , p. 625 , avant-dernière page.
Le Bien et le mal en Dieu 71

« Voilà ce que nous devons dire aux foules : « Nous adorons un


Dieu, mais c' est le Dieu qui s ' adore sans superstition ». À toi, Souve­
rain Grand Instructeur Général, nous disons ceci, que tu peux répéter
aux Frères des 32°, 3 1 o et 30° : « La Religion maçonnique devrait être
« maintenue, par nous tous initiés des hauts degrés, dans la pureté de
« la doctrine luciférienne. Si Lucifer n' était pas Dieu, Adonaï [le Dieu
« des chrétiens] dont les actions prouvent sa cruauté, sa perfidie, sa
« haine pour l' homme, sa barbarie et sa répulsion pour la science,
« l' aurait-il calomnié avec ses prêtres ? Oui, Lucifer est Dieu, et
« malheureusement Adonaï est aussi Dieu. Par la loi éternelle selon
« laquelle il n ' y a pas de lumière sans ombre, de beauté sans laideur,
« de blanc sans noir, l' absolu ne peut seulement exister que comme
« deux Divinités : l' obscurité étant nécessaire à la lumière pour lui
« servir de contraste, comme le piédestal est nécessaire à la statue et le
« frein à la locomotive . . . La doctrine du Satanisme est une hérésie ; et
« la véritable et pure religion philosophique est la foi en Lucifer, l' égal
« d' Adonaï ; mais Lucifer, Dieu de lumière et Dieu du· bien, lutte pour
« l' humanité contre Adonaï, dieu des ténèbres et démon. » (Albert
Pike) 1 3 0

« Tu [Satan] n' existerais pas sans le second côté


De l' éternel Janus dont tu es la moitié
Tu es l' envers du Christ car dans le Verbe même
Apparaît le Binaire en l' Unité Suprême. » (René Guénon) 1 3 1 1 32

« Ainsi, le Parfait est le Principe suprême, la Cause première ; il


contient toutes choses en puissance, et il a produit toutes choses ; mais
alors, puisqu' il n'y a qu' un Principe unique, que deviennent toutes les
oppositions que l ' on envisage habituellement dans l ' Univers ; l' Être et

1 30
The Freemason (organe officiel de la maçonnerie britannique), 1 9 janvier 1 93 5 . Cité par
Epiphanius, Maçonnerie et sectes secrètes : le côté caché de l 'histoire, Versailles, Publications
du Courrier de Rome, 2005, p. 592 sq. Voir également Monseigneur Léon Meurin, La Franc­
maçonnerie, synagogue de Satan, Paris, Victor Retaux et fils, 1 893, (réédition des Éditions
Delacroix), p. 2 1 6, ainsi que tout le chapitre
131
Cité par Jean-Pierre Laurant, L 'argumentation historique dans l 'œuvre de René Guénon,
Paris, Ephe, 1 972, sous la direction de François Secret.
132
On nous opposera peut-être que cette citation et les suivantes proviennent d' œuvres de
jeunesse de Guénon, ce qui est exact. Il n ' en reste pas moins que sa pensée, sur ce point comme
sur beaucoup d' autres, n ' a guère varié et qu'on la retrouve à l' identique dans ses œuvres tardi­
ves. Seule la forme a changé et l ' on n'y rencontre plus d' aveux aussi nets. Voir par exemple :
Le blanc et le noir, in Les symboles fondamentaux de la Science sacrée, Paris, Gallimard, 1 982,
p. 306, où Guénon affirme qu' << il est à peine besoin de rappeler que ce qui est opposition à un
certain niveau devient complémentarisme à un autre niveau >>.
72 Le crucifiement de saint Pierre

le Non-Être, l' Esprit et la Matière, le Bien et le Mal [on notera la ma­


j uscule] ? Nous nous retrouvons donc ici en présence de la question
[du mal] posée dès le début, et nous pouvons maintenant la formuler
ainsi d' une façon plus générale : comment l ' Unité a-t-elle pu produire
la Dualité ?
« Certains ont cru devoir admettre deux principes distincts, oppo­
sés l ' un à l' autre ; mais cette hypothèse est écartée par ce que nous
avons dit précédemment. En effet, ces deux principes ne peuvent pas
être infinis tous deux, car alors ils s ' excluraient ou se confondraient ;
si un seul était infini, il serait le principe de l' autre ; enfin, si tous deux
étaient finis, ils ne seraient pas de véritables principes, car dire que ce
qui est fini peut exister par soi-même, c' est dire que quelque chose
peut venir de rien, puisque tout ce qui est fini a un commencement,
logiquement, sinon chronologiquement. Dans ce dernier cas, par
conséquent, l ' un et l' autre, étant finis, doivent procéder d'un principe
commun, qui est infini, et nous sommes ainsi ramené à la considéra­
tion d ' un Principe unique. D ' ailleurs, beaucoup de doctrines que l'on
regarde habituellement comme dualistes ne sont telles qu' en appa­
rence ; dans le Manichéisme comme dans la religion de Zoroastre, le
dualisme n' était qu' une doctrine purement exotérique, recouvrant la
véritable doctrine ésotérique de l' Unité : Ormuzd et Ahriman sont en­
gendrés tous deux par Zervané-Akérêné, et ils doivent se confondre en
lui à la fin des temps.
« La Dualité [et en particulier celle du Bien et du mal] est donc né­
cessairement produite par l ' Unité [Dieu] ». (René Guénon) 133

« Doit-on dire maintenant que cette Création soit imparfaite ? on


ne peut assurément pas la considérer comme parfaite ; mais, si l ' on se
place au point de vue universel, elle n' est qu' un des éléments constitu­
tifs de la Perfection totale. Elle n' est imparfaite que si on la considère
analytiquement comme séparée de son Principe, et c' est d' ailleurs
dans la même mesure qu' elle est le domaine du Démiurge ; mais, si
l ' imparfait n' est qu ' un élément du Parfait, il n' est pas vraiment impar­
fait, et il résulte de là qu' en réalité le Démiurge et son domaine
n' existent pas au point de vue universel, pas plus que la distinction du
Bien et du Mal . Il en résulte également que, au même point de vue, la
Matière n' existe pas : l' apparence matérielle n' est qu ' illusion, d'où il
ne faudrait d' ailleurs pas conclure que les êtres qui ont cette apparence
n' existent pas, car ce serait tomber dans une autre illusion, qui est

1 33 René Guénon, Mélanges, op. cit. , p. 1 0 sq.


Le Bien et le mal en Dieu 73

celle d ' un idéalisme exagéré et mal compris [car la matière existe pour
nous, qui sommes dans l' erreur] .
« Si la Matière n' existe pas, la distinction de 1' Esprit et de la Ma­
tière disparaît par là même ; tout doit être Esprit en réalité [ . . . ] . En ré­
alité, l ' Esprit universel est l ' Être, et non tel ou tel être particulier ;
mais il est le Principe de tous les êtres, et ainsi il les contient tous ;
c' est pourquoi tout est Esprit.
« Lorsque l' homme parvient à la connaissance réelle de cette véri­
té, il identifie lui-même et toutes choses à l' Esprit universel, et alors
toute distinction disparaît pour lui, de telle sorte qu ' il contemple toutes
choses comme étant en lui-même, et non plus comme extérieures, car
l' illusion s ' évanouit devant la Vérité comme l ' ombre devant le soleil.
Ainsi, par cette connaissance [gnose] même, 1' homme est affranchi
des liens de la Matière et de l ' existence individuelle, il n' est plus sou­
mis à la domination du Prince de ce Monde, il n' appartient plus à
l' Empire du Démiurge. » (René Guénon) 1 3 4

Si « l' imparfait n' est qu ' un élément du Parfait », comme l' affirme Gué­
non, c' est qu ' à l' opposé ce pseudo-parfait « n' est pas vraiment parfait », car
il n'y a nulle imperfection ni mal en Dieu, nul devenir. Affirmer que
« l' imparfait n' est qu' un élément du Parfait », que tout est en Dieu, déplace
la question du mal de la création en Dieu : le mal et la difficulté ne sont plus
dans la création de Dieu mais en Dieu lui-même. Pour tourner cette diffi­
culté, il ne reste qu' à affirmer que le mal n' est qu' une illusion, « que son
domaine n' existe pas au point de vue universel, pas plus que la distinction
du Bien et du Mal ». Car effectivement supprimer le problème est encore la
meilleure manière de prétendre le résoudre. Enfin, et comme toujours, on ne
nous offre aucune explication à 1' origine de la « distinction du Bien et du
Mal » qui en vérité « n' existe pas ». Quelle peut être l' origine de cette illu­
sion tenace ? De même, si nous sommes Dieu, comment pouvons-nous ne
pas en avoir conscience ?

« Toi qui disais en ton cœur : « Je monterai dans les cieux ; au­
« dessus des étoiles de Dieu, j ' élèverai mon trône ; je m' assiérai sur la
« montagne de 1' assemblée, dans les profondeurs du septentrion ;
« je monterai sur les sommets des nues, je serai semblable au Très­
« Haut ! . . . »
« Et te voilà descendu au schéol, dans les profondeurs de
l' abîme ! » 1 35

1 34 René Guénon, Mélanges, op. cit. , p. 1 6 sq.


1 35 Isaïe, XIV, 1 3 - 1 5 .
74 Le crucifiement de saint Pierre

La question du Bien et du mal jette une vive lumière sur les similitudes
entre les thèses maçonniques et cabalistes. Certains pourront alors nous de­
mander pourquoi nous avons mis en exergue dans cet ouvrage l' influence
maçonnique plutôt que le poids cabaliste.
Nous pensons tout d' abord que la maçonnerie touche plus directement le
clergé, les fidèles et la société que les cercles cabalistes.
Cette réponse doit être précisée, car il est certain que les milieux cabalis­
tes exercent leur influence par l ' intermédiaire de la maçonnerie. La question
qui se pose est alors de savoir à qui revient la prééminence et dans quelle
mesure cette opposition dialectique correspond à un antagonisme réel .
L'histoire, et plus particulièrement l ' histoire des idées, fournit un élé­
ment de réponse fort important. La cabale, panthéiste et non créationniste,
est un corps étranger au judaïsme, qui y a été inséré avec violence. En ac­
cord avec Monseigneur Meurin, nous considérons que cet événement consi­
dérable s ' est probablement produit lors de la grande captivité à Babylone.
On sait d' autre part que les juifs les plus pieux retournèrent à Jérusalem tan­
dis que d' autres restèrent à Babylone, d ' où ils exercèrent leur domination
sur 1' ensemble de la « diaspora » .

« [Une certaine hypothèse] nous ferait comprendre la transmission


des idées panthéistiques des Perses et des autres peuples païens, à
ceux d' entre les Juifs qui, après la grande captivité, n' ont plus voulu
quitter Babylone, la terre de leur exil.
« D' ailleurs, il est certain que le Talmud fut composé à cette épo­
que à Babylone même ; ce qui confirmerait l' opinion presque géné­
rale, que c ' est là qu' il faut aussi chercher l' origine de la Kabbale.
« La doctrine kabbalistique n' est donc au fond que le paganisme en
forme rabbinique ; et la doctrine maçonnique, qui est essentiellement
kabbalistique, n' est autre chose que l'ancien paganisme ravivé » . 1 36

Enfin, 1' observateur attentif aura noté la lutte perpétuelle entre cabalistes
et maçons. Nous n'en citerons que trois exemples récents : le conflit entre la
« communauté internationale » et Israël au sujet des territoires occupés ;
1' élection de Barack Obama au détriment de Hi lary Clinton ; et la chute de
Lehman Brothers. Tous les points que nous venons d' évoquer mériteraient
de très amples développements. Nous espérons que ces quelques éléments
permettront d' ouvrir de nouveaux champs de réflexion et de recherche.

136
Mgr Léon Meurin, La Franc-Maçonnerie, op. cit. , p.23 . Voir p. 8, 1 9, 38, 69, 73.
CHAPITRE VI

La spiritualité globale

es thèses de l' unité du genre humain, de l' équivalence œcuménique


Lde toutes les religions, de leur « unité transcendante » dans une véri­

té supérieure, une gnose qu ' elles partageraient toutes, mènent naturellement


à la définition d' une spiritualité globale, panthéiste, anticatholique. Il s ' agit
du but réel de la maçonnerie et des sectes gnostiques, premier dans
l' intention et dernier dans la réalisation. Nous montrerons dans la seconde
partie de cet ouvrage que Vatican II a aligné Rome sur cet obj ectif, a réfor­
mé sa doctrine pour en gommer les oppositions les plus marquantes aux
thèses maçonniques et mondialistes. Enfin, nous montrerons dans un pro­
chain ouvrage que la spiritualité globale est d 'ores et déjà diffusée par les
principales institutions internationales ; que la prochaine étape de la Révolu­
tion sera son imposition à une population mondiale stupéfaite.

La tradition primordiale

Les maçons et gnostiques de tout bord se réclament d' une tradition pri­
mordiale, caricature de la Révélation primitive faite à Adam, continuée par
la Révélation mosaïque et couronnée par la Révélation évangélique. Le
contenu de cette tradition primordiale, qui remonte effectivement aux origi­
nes de l' humanité, au j ardin d' Eden, n' est autre que le panthéisme, le men­
songe diabolique : « Eritis sicut dii » 1 37 , mensonge que l ' on retrouve à
l' identique dans les diverses initiations, dans les divers panthéismes, sous
des habits à peine différents.

« Nous sommes intimement, profondément certain qu' un nouvel


humanisme sera engendré qui, sur la base de cette tradition commune
à toute tendance spirituelle, intégrera les aspirations supérieures de
tous les peuples, la connaissance acquise, les modes de vie résultant
des techniques et qui conduira enfin notre Monde à l' unité à laquelle il
est destiné. » (Yves Marsaudon) 1 3 8

1 37 « Vous serez comme des dieux », Gn 3 , 5 .


1 3 8 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 1 7 . Le
passage cité provient de la préface signée par Charles Riandey, Souverain Grand Commandeur
du Suprême Conseil de France.
76 Le crucifiement de saint Pierre

« L' humanité n ' a j amais eu qu' une seule religion et qu' un seul
culte. Cette lumière universelle a eu ses mirages vaporeux, ses reflets
trompeurs et ses ombres ; mais, après les nuits de l' Erreur, elle réappa­
raît touj ours, unique et pure comme le Soleil. » (Albert Pike) 1 39

« La tradition primordiale de l' unique révélation a été préservée


sous le nom de « Kabbale » par les prêtres d' Israël. La doctrine kabba­
listique, qui était également le dogme des Mages et d' Hermès, est
contenue dans le Sepher Yetsirah, le Zohar et le Talmud 1 40 • » (Albert
Pike) 14 1

« Partout où les Mystères étaient pratiqués, on y enseignait la véri­


té de la révélation primitive, l' existence d ' un Être Immense et Unique,
Infini, pénétrant l' Univers et Qui y était adoré sans superstition ; Sa
nature, son essence et ses attributs merveilleux étaient enseignés aux
Initiés ». (Albert Pike) 1 42

« On peut dire aussi que les formes traditionnelles particulières


[dont le catholicisme] , qui correspondent précisément aux centres se­
condaires dont nous venons de parler, sont des substituts plus ou
moins voilés de la tradition primordiale perdue ou plutôt cachée, subs­
tituts adaptés aux conditions des différents âges successifs ; et, qu' il
s ' agisse des centres ou des traditions, la chose substituée est comme
un reflet, direct ou indirect, proche ou éloigné suivant les cas, de celle
qui a été perdue. » (René Guénon) 14 3

Œcuménisme

Une fois l' existence d' une tradition primordiale posée, l' œcuménisme
suit rapidement. En leur noyau, toutes les religions se rejoindraient dans une
vérité supérieure. Leurs séparations, leurs oppositions seraient purement
artificielles, le fait de profanes qui n' ont pas reçu la lumière maçonnique et
ne peuvent voir l' unité du Grand Tout. Après des siècles de conflits stériles,

1 3 9 Albert Pike, op. cit. , p. 8 1 .


140 Sur les condamnations pontificales du Talmud et des livres cabalistiques, voir Monsei­
gneur Jouin, La Judéo-maçonnerie et l ' Église catholique, Cadillac, Éditions Saint-Rémi, p. 1 25
sq.
1 4 1 Albert Pike, op. cit. , p. 6 1 3 .
142 Albert Pike, op. cit. , p. 456.
1 43 René Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, op. cit. , tome II, p.
27 et 28.
La spiritualité globale 77

il convient de réorienter les religions vers ce centre essentiel, de les rappro­


cher pour faire émerger la spiritualité globale qui les informe toutes,
qu' elles contiennent toutes à leur insu.

« Au sens étymologique le terme « religare » signifie relier. Nous


ne saurions donc nous désintéresser d ' un mouvement aussi important
que l' Œcuménisme qui peut demain signifier l ' union de neuf cent mil­
lions de Chrétiens et constituer une étape importante vers l' union de
tous les humains, but suprême de la Franc-Maçonnerie.
« D' ores et déjà, il apparaît à Rome que les Evêques du monde en­
tier, s ' ils se préoccupent avant tout de réunir les disciples du Christ,
regardent prudemment, mais fermement beaucoup plus loin. La ques­
tion des relations avec le Judaïsme est posée. Nous en parlons à pro­
pos de la courageuse initiative de Cardinal B EA . » (Yves Marsau­
don) t 44

« Ils [les chrétiens] ne devront pas oublier pour autant que tout
chemin mène à Dieu (il est plusieurs demeures dans la Maison de mon
Père . . . ) et se maintenir dans cette courageuse notion de la liberté de
pensée, qui, on peut vraiment parler là de révolution, partie de nos lo­
ges maçonniques, s ' est étendue magnifiquement au-dessus du Dôme
de Saint-Pierre. » (Yves Marsaudon) 145

« Il n' entre pas plus dans [le] domaine [de la Maçonnerie] de dire
si le Sauveur, cherché et attendu par toutes les nations, est apparu en
Judée ou s ' il doit encore venir.
« La Maçonnerie révère tous les grands réformateurs . Elle voit en
Moïse le législateur des Juifs, en Confucius et en Zoroastre, en Jésus
de Nazareth et en l' Iconoclaste Arabe de Grands Maîtres de Morale,
d' Éminents Réformateurs, si ce n' est plus ; et elle autorise chacun des
frères de l' Ordre à leur assigner une dignité plus haute voire une Na­
ture Divine si sa Foi et sa Vérité le réclament.
« Ainsi, la Maçonnerie ne conteste aucune vérité et n' enseigne
l ' incrédulité envers aucune croyance, sauf si cette croyance peut
amoindrir sa haute estime de la Déité, La dégrader au niveau des pas­
sions humaines, nier la haute destinée de l' homme, contester la bonté
et la bienveillance du Dieu Suprême, attaquer les grandes colonnes de
la Maçonnerie, la Foi, l ' Espérance et la Charité ou inculquer
l ' immoralité et mépriser les devoirs de l' Ordre.

1 44 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 24.


1 45 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p . 1 2 1 .
78 Le crucifiement de saint Pierre

« La Maçonnerie est un culte ; mais c' est un culte dans lequel tous
les hommes civilisés peuvent s ' unir. » (Albert Pike) 1 46

« Si, dans les temps anciens, les maçons étaient obligés, en tous les
pays, de suivre la religion de ce pays ou de cette nation, on juge plus
commode de nos jours de ne les obliger qu' envers la religion sur la­
quelle tous les hommes se mettent d' accord, laissant à chacun la liber­
té de ses opinions personnelles. Cette religion consiste à être hommes
de bien et sincères, hommes d' honneur et de probité, quelles que
soient les dénominations ou les croyances qui puissent les distinguer.
« Ce en quoi la maçonnerie devient le Centre de l' Union et le
moyen de réunir, par une vraie amitié, des gens qui sans elle seraient à
jamais restés étrangers. » (Constitutions d' Anderson)

La spiritualité globale

En leur essence, toutes les religions enseigneraient la même vérité : le


panthéisme, la divinité du monde et l' unité de toutes choses. Cette doctrine
maçonnique et gnostique doit les informer plus explicitement que cela ne se
fait aujourd' hui où les religions se referment sur ce qui les divise et oublient
la vérité transcendante qui les unit. Il convient de mettre en lumière, sur
toute la planète, cette vérité sublime, cette spiritualité globale : l' homme est
en Dieu, l' homme est Dieu, le monde est divin. Ainsi se met en place une
spiritualité écologique, panthéiste et globale : spiritualité de la globalité, du
Grand Tout ; et spiritualité s ' adressant à la globalité des hommes. Ainsi se
met en place l' armature spirituelle du Nouvel Ordre Mondial, prémices de
1' adoration de la Bête.

« Charles RIANDEY parle longuement de la réunion qui, du 2 au 9


j anvier 1 960, sur l ' initiative du mouvement international des intellec­
tuels catholiques (PAX ROMANA) fut tenue à Manille et à laquelle pri­
rent part des représentants du Catholicisme, du Protestantisme, de
l' Orthodoxie, de l' Hindouisme, du Bouddhisme, du Shintoïsme, de
l' Islam et du Judaïsme.
« L ' un des participants a conclu :
« Les Grandes Religions devraient toutes être des ponts qui
« permettent aux gens d 'en venir à se connaître et non point des
« barrières qui les séparent. Pour faire de l 'humanité une réalité - a-

146
Albert Pike, op. cit. , p . 3 8 8 .
La spiritualité globale 79

« t-il ajouté ilfaudrait que cette unité soit spirituelle et non pas
-

« seulement économique et politique . . . » (Yves Marsaudon) 1 47

« La doctrine Kabbalistique fut pendant longtemps la religion des


Sages et des Savants ; car, comme la Franc-maçonnerie, elle tend en
permanence à la perfection spirituelle et à la fusion des croyances et
des Nationalités de l' Humanité. Pour les Kabbalistes, taus les hommes
sont des frères ; leur ignorance à ce sujet n' est, pour eux, qu ' une rai­
son de les instruire. » (Albert Pike) 1 48

« Les Gnostiques provoquèrent la proscription de la Gnose par les


Chrétiens ; or le Sanctuaire officiel était très proche de la haute initia­
tion. C' est ainsi que la Hiérarchie du Savoir fut mise en péril par les
violences de 1' ignorance usurpatrice. Les désordres dans le Sanctuaire
se répercutèrent sur l ' État. Car le Roi, qu ' il le veuille ou non, est tou­
jours affermi par le Prêtre. Les Pouvoirs de la Terre, pour être stables,
doivent recevoir leur consécration et leur force du S anctuaire éternel
de l' enseignement Divin. » (Albert Pike) 149

« Ce projet [de réorganisation de la maçonnerie] ne fut j amais ap­


pliqué, et on ne sait même pas si le duc de Brunswick put en prendre
connaissance ; il n' est pourtant pas aussi chimérique que certains
pourraient le penser, et nous le croyons très propre à susciter des ré­
flexions intéressantes, aujourd' hui aussi bien qu' à l' époque où il fut
conçu ; c' est pourquoi nous avons tenu à en donner d' assez longs ex­
traits. En somme, l' idée générale qui s ' en dégage pourrait être for­
mulée ainsi : sans prétendre aucunement nier ou supprimer les diffé­
rences et les particularités nationales, dont il faut au contraire, en dépit
de ce que prétendent les internationalistes actuels, prendre conscience
tout d' abord aussi profondément que possible, il s' agit de restaurer
l' unité, supranationale plutôt qu ' internationale, de l' ancienne Chré­
tienté, unité détruite par les sectes multiples qui ont « déchiré la robe
sans couture », puis de s ' élever de là à l' universalité, en réalisant le
Catholicisme au vrai sens de ce mot, au sens où 1' entendait également
Wronski, pour qui ce Catholicisme ne devait avoir une existence plei­
nement effective que lorsqu' il serait parvenu à intégrer les traditions

1 47 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 1 1 1 .


1 48 Albert Pike, op. cit. , p. 457.
1 49 Albert Pike, op. cit. , p . 6 1 2.
80 Le crucifiement de saint Pierre

contenues dans les Livres sacrés de tous les peuples. » (René Gué­
non) ' s o

« Mais, d' autre part, il en résulte aussi que l' existence d' une doc­
trine uniquement religieuse est insuffisante pour permettre d' établir
une entente profonde comme celle que nous avons en vue quand nous
parlons du rapprochement intellectuel de l' Orient et de l' Occident ;
c ' est pourquoi nous avons insisté sur la nécessité d' accomplir en pre­
mier lieu un travail d' ordre métaphysique [en établissant une spiritua­
lité globale] , et ce n' est qu' ensuite que la tradition religieuse de
l' Occident, revivifiée et restaurée dans sa plénitude, pourrait devenir
utilisable à cette fin, grâce à 1' adjonction de l' élément intérieur [gnos­
tique] qui lui fait actuellement défaut, mais qui peut fort bien venir s ' y
superposer sans que rien soit changé extérieurement. Si une entente est
possible entre les représentants des différentes traditions, et nous sa­
vons que rien ne s ' y oppose en principe, cette entente ne pourra se
faire que par en haut, de telle façon que chaque tradition gardera tou­
jours son entière indépendance, avec les formes qui lui sont propres ;
et la masse, tout en participant aux bénéfices de cette entente, n ' en au­
ra pas directement conscience ». (René Guénon) 1 5 1

Le scandale d' Assise n' est donc rien d' autre que la mise en œuvre des
projets maçonniques exposés dès 1 924. « L' adjonction d ' un élément inté­
rieur », explique que l ' on ait tenté de garder la forme catholique tout en en
modifiant le sens. Car il n' est guère possible d' ajouter à la Révélation un
« élément intérieur qui lui fait actuellement défaut [ . . . ] sans que rien soit
changé extérieurement », d' accorder le Christ et Bélial.

Une nouvelle révélation

Il faut s ' attendre à ce que ces proj ets prométhéens se heurtent à


1 ' opposition des fidèles de bien des religions. Seule une nouvelle
« révélation », une nouvelle prophétie, trouvant sa force non dans la vérité
mais dans les puissances de ce monde, pourra l' abolir.

1 50
René Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, Paris, Les éditions
traditionnelles, 1 980, tome I, p. 28.
151
René Guénon, Orient et Occident, op. cit. , p. 1 9 5 .
La spiritualité globale 81

« Le Monde entier est plongé dans l' angoisse et i l cherche avec af­
folement, à travers les désordres enfantés par notre temps de transi­
tion, une lueur annonciatrice d' une nouvelle aurore.
« Elle viendra. Malgré les apparences, il ne nous semble pas possi­
ble que l ' humanité s ' enfonce dans le matérialisme. Les hommes ne
peuvent pas vivre et l' humanité ne peut pas progresser sans foi, sans
espérance, sans amour. [ . . . ]
« Nous pensons avec TEILHARD DE CHARDIN qu ' au milieu de
« la crise totale que traverse le Monde, il n' est pas auj ourd' hui un seul
« homme, croyant ou incroyant, qui n' appelle du fond de son âme la
« lumière - une lumière qui lui montre un sens et une issue aux
« bouleversements de la Terre. Jamais peut-être, depuis l ' an I de l' ère
« chrétienne, l' humanité ne s ' est trouvée à la fois plus détachée de ses
« formes passées, plus anxieuse, plus prête à recevoir un Sauveur. »
[. . .]
« Qui prononcera les paroles d'un Évangile élargi qui aura
l 'homme à sa base, la Puissance suprême à son sommet et placera en­
tre cette base et ce sommet l' entité humaine vivante toute entière, telle
que l ' a faite l' évolution déj à accomplie, telle que la conditionnera,
physiquement et mentalement, le développement continu des connais­
sances et des techniques ?
« Nous sommes dans l ' attente d' une nouvelle prophétie.
« Charles RIANDEY
« Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, Rite Ecos­
sais Ancien et Accepté. » (Yves Marsaudon) 152

Le salut cosmique

La vision holistique, panthéiste, exige que tout le cosmos soit sauvé,


qu' il retrouve tout entier son origine divine. La spiritualité globale ne saurait
promettre moins que la réintégration en Dieu de la globalité tout entière, de
tout l ' univers.

« Un émoi s ' éveille et grandit qui nous fait communier incons­


ciemment encore, intuitivement en quelque sorte, avec le destin du
Cosmos tout entier.

1 52
Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 1 5 sq.
Le passage cité provient de la préface signée par Charles Riandey, Souverain Grand Comman­
deur du Suprême Conseil de France.
82 Le crucifiement de saint Pierre

« La Terre a définitivement cessé d' être le centre de l' Univers et


l' homme le parachèvement de la création. L' idée même de création
s ' estompe. L' ère interastrale est ouverte et la notion d' infini
s ' implante : infini du temps, de l' espace et des Mondes.
« Nous commençons à nous sentir « coextensifs à l' univers »
comme dit Jean CHARON et la religiosité de demain sera
« cosmique » pour reprendre un propos d' EINSTEIN. » (Yves Mar­
saudon) 1 53

« Par conséquent, nous nous trouvons en présence d' une mystique


qui ne subit aucun rétrécissement : « Cosmique » ne serait pas excessif
comme qualificatif1 54 , mais redescendant vers l' homme pour retrouver
un esprit d' immense charité. » (Yves Marsaudon) 155

« Enfin, il est un point sur lequel nous désirons revenir, car il pour­
rait intéresser nos amis Francs-Maçons. C ' est un trait bien caractéris­
tique de l' Orthodoxie : son Cosmisme.
« Il s 'adresse à l 'âme humaine, mais à toute la création, et sancti­
fie cette dernière ». 156
« Si nous nous éloignons de la Mystique pour revenir sur la
Science et la Philosophie, nous pourrions retrouver sur ce terrain les
dernières conclusions de TEILHARD DE CHARDIN. » (Yves Marsau­
don) I 5 7

1 53 Ibid. , p. 1 6. Le passage cité provient de la préface signée par Charles Riandey, Souverain
Grand Commandeur du Suprême Conseil de France.
1 54 « Liturgie Cosmique » de Von B althasar.
1 55 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 73.
1 5 6 S . B OULGAKOFF : « L' Orthodoxie ».
1 57 Yves Marsaudon, L 'œcuménisme vu par un Franc-Maçon de tradition, op. cit. , p. 86 sq.
Seconde partie

Quo vadis, Domine ?

« 0 inaestimabilis dilectio caritatis :

ut servum redimeres, Filium tradidisti ! »


(Exultet) 1 5 8

158 « Ô
incompréhensible dilection d e votre charité ! Pour racheter l' esclave, vous avez livré
votre Fils ! » (Exultet de la veillée pascale)
CHAPITRE !

Vatican II

Rappel de quelques faits

epuis Vatican II, l' Église a subi une série de transformations


D qu ' aucune interprétation lénifiante de ce concile ne saurait mas­
quer. Bien qu' il nous en coûte de rappeler combien notre sainte mère
l' Église a été abreuvée de fiel par ceux-là mêmes qui en avaient la charge, il
n' est guère possible d' entreprendre une analyse véridique de Vatican II sans
mesurer d' abord les scandales que la conscience des fidèles a dû affronter.
Nous nous en tiendrons donc dans ce paragraphe aux actes symboliques et
publics dont l ' interprétation ne souffre aucun doute ou aux phénomènes
généraux que tous ont pu constater, sans pourtant toujours en discerner la
cause ou les contours exacts. Les questions doctrinales, souvent plus délica­
tes, seront abordées dans un paragraphe ultérieur.
« Je t ' ai abreuvé de l' eau salutaire sortie du rocher ; et toi, tu m' as
abreuvé de fiel et de vinaigre. »
« Est-ce parce que je t' ai conduit dans le désert pendant quarante ans,
nourri de la manne et fait entrer dans une terre de choix, que tu as préparé
une croix à ton Sauveur ? » 159
Rappelons donc Paul VI donnant sa crosse et son anneau à U Thant,
moine bouddhiste et secrétaire général de l ' ONU. Geste incroyable, scanda­
leux, qui manifesta la soumission de la hiérarchie aux fausses religions et
aux puissances de ce monde. Comment ne pas évoquer ici les premiers mar­
tyrs, qui refusaient un seul grain d' encens à l' Empereur ? Paul VI déposa
également la tiare, manifestant ainsi publiquement 1' abandon de la doctrine
du Christ-Roi et la soumission de l' Église aux pouvoirs temporels.
« J ' ai marché devant toi dans une colonne de nuée ; et toi, tu m' as mené
au prétoire de Pilate. »
Puis vint le scandale d' Assise, qui causa un mal incommensurable chez
les fidèles. Pourquoi pratiquer, si toutes les religions se valent - et se
contredisent toutes ? Les visites à la synagogue, événement inouï en deux
millénaires de chrétienté - à la mosquée. Paul VI s' agenouillant devant le
patriarche orthodoxe. Jean Paul II réhabilitant Luther, effaçant les abîmes
doctrinaux et spirituels qui séparent le catholicisme et le protestantisme ;
levant l' excommunication des orthodoxes ; donnant un baiser au Coran,

1 59 Impropères du Vendredi saint (reproches que le Christ adresse à son peuple, auquel il n'a
fait que du bien).
Vatican II 85

livre qui nie la divinité et la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; parti­


cipant à des cultes païens. Puis accueillant en grande pompe la Trilatérale et
le B ' naï Brith et levant de facto l' excommunication pluriséculaire de la ma­
çonnerie, tant de fois motivée et tant de fois répétée.
« Je t ' ai tiré d' Égypte et j ' ai submergé Pharaon dans la Mer Rouge ; et
toi, tu m' as livré aux Princes des prêtres. »
La notion même d' aggiornamento et d' ouverture au monde entre en
contradiction avec les paroles du Seigneur : « Je ne prie pas pour le monde »
(Jn 1 7 , 9) « C' est l' Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce
qu' il ne le voit point et ne le connaît point » (Jn 1 4, 17). Les conséquences
en ont suivi, inexorables, ressenties par tous les fidèles : destruction de la
vie sacramentelle, de la doctrine et de la vie catholiques ; nombreuses mes­
ses invalides ou douteuses ; abandon du sacrement de pénitence ; multipli­
cation des sacrilèges ; disparition de la mortification et de l' esprit de péni­
tence catholiques.
« L' Église, épouse de l' Agneau Immaculé, la voici saturée d' amertume
et abreuvée de poison, par des ennemis très rusés ; ils ont porté leurs mains
impies sur tout ce qu ' elle désire de plus sacré. Là où fut institué le siège du
bienheureux Pierre, et la chaire de la Vérité, là ils ont posé le trône de leur
abomination dans l ' impiété ; en sorte que le pasteur étant frappé, le troupeau
puisse être dispersé. » (Léon XIII, exorcisme contre Satan et les anges apos­
tats)

La recherche de la cause

Ainsi, on a abandonné ou amoindri et naturalisé le surnaturel en affir­


mant surnaturaliser le naturel. Si cela avait été possible, l'Église se serait
confondue avec le monde. Devant l' ampleur de cette catastrophe, que l ' on
mesure mieux en fréquentant les âmes catholiques, les encycliques et les
auteurs anté-conciliaires, il nous faut nécessairement en trouver la cause. Or
la cause de ravages d' une telle ampleur doit être proportionnée à ses effets :
à effets inouïs, cause inouïe. Cette aliénation de 1 ' Église ne peut avoir
qu' une cause qui lui est étrangère, opposée.
Nous affirmons, en mesurant exactement le poids de notre propos, que le
concile Vatican II véhicule une doctrine panthéiste, maçonnique, condam­
née pendant des siècles par les souverains pontifes et opposée à la vérité
révélée. Doctrine qui se caractérise par la confusion entre le Créateur et
la créature ; et par l'affirmation que notre nature est gracieuse. La crise
de l ' Église n 'a pas d 'autre origine que celle-ci. L 'apostasie de continents
entiers, la perte de centaines de millions d 'âmes, dont nous aurons à répon­
dre au Jugement dernier, trouve là son origine. Les humiliations que subit
86 Le crucifiement de saint Pierre

notre sainte mère l' Église, la fin des missions et l' arrêt des conversions pro­
viennent de ce mélange de la lumière et des ténèbres, de la vérité et des
mensonges. Et seul un retour complet et manifeste à la doctrine catholique,
qui passera probablement par la consécration de la Russie au Cœur Immacu­
lé de Marie, permettra à la foi de rayonner et d' être à nouveau répandue sur
la terre entière.
Ces paroles sont dures, sans doute. Aussi n' hésiterons-nous pas à invo­
quer l' autorité de saint Pie X et à citer longuement son encyclique Pascendi,
dans laquelle, il y a déjà un siècle, le saint pape dénonçait ces erreurs :

« Le sentiment religieux, qui j aillit ainsi, par immanence vitale, des

profondeurs de la subconscience, est le germe de toute religion,


comme il est la raison de tout ce qui a été ou sera j amais, en aucune
religion. Obscur, presque informe, à l' origine, ce sentiment est allé
progressant sous l' influence secrète du principe qui lui donna l' être, et
de niveau avec la vie humaine, dont on se rappelle qu ' il est une forme.
Ainsi naquirent toutes les religions, y compris les religions surnaturel­
les : elles ne sont toutes que des efflorescences de ce sentiment. Et que
l ' on n' attende pas une exception en faveur de la religion catholique :
elle est mise entièrement sur le pied des autres. Son berceau fut la
conscience de Jésus-Christ, homme de nature exquise, comme il n'en
fut ni n'en sera j amais ; elle est née là, non d'un autre principe que de
l' immanence vitale. - On est saisi de stupeur en face d' une telle au­
dace dans l' assertion, d' une telle aisance dans le blasphème. Et ce ne
sont point les incrédules seuls, Vénérables Frères, qui profèrent de tel­
les témérités : ce sont des catholiques, ce sont des prêtres même, et
nombreux, qui les publient avec ostentation. Et dire qu ' ils se targuent,
avec de telles insanités, de rénover l' Église ! Certes, il ne s' agit plus
de la vieille erreur qui dotait la nature humaine d' une espèce de droit à
l' ordre surnaturel. Que cela est dépassé ! En l' homme qui est Jésus­
Christ, aussi bien qu ' en nous, notre sainte religion n' est autre chose
qu' un fruit simple et spontané de la nature. Y a-t-il rien, en vérité, qui
détruise plus radicalement l' ordre surnaturel ? C' est donc avec souve­
rainement de raison que le Concile du Vatican [ 1 ] a décrété ce qui
suit : Si quelqu ' un dit que l' homme ne peut être élevé à une connais­
sance et à une perfection qui surpassent la nature, mais qu ' il peut et
qu ' il doit, par un progrès continu, parvenir enfin de lui-même à la pos­
session de tout vrai et de tout bien, qu' il soit anathème (De Revel. ,
can. Ill.). [ . . . ]
« Cela admis, voilà la personnalité de Dieu mise en question et la

voie ouverte au panthéisme. - Au panthéisme, mais cette autre doc­


trine de l' immanence divine y conduit tout droit. Car Nous demandons
Vatican II 87

si elle laisse Dieu distinct de l ' homme ou non : si distinct, en quoi dif­
fère-t-elle de la doctrine catholique et de quel droit rejeter la révélation
extérieure ? Si non distinct, nous voilà en plein panthéisme. Or, la
doctrine de 1' immanence, au sens moderniste, tient et professe que
tout phénomène de conscience est issu de l 'homme en tant qu' homme.
La conclusion rigoureuse c ' est l ' identité de l ' homme et de Dieu, c ' est­
à-dire le panthéisme. La même conclusion découle de la distinction
qu' ils posent entre la science et la foi. » (Saint Pie X, Pascendi, 1 1 et
55)

Le cardinal Siri, s ' appuyant sur l' encyclique Humani generis de Pie XII,
met également en exergue la confusion entre la nature et la grâce :

« En 1 950, quatre ans après la publication du « Surnaturel 1 60 » a été


donnée dans l' Église l' Encyclique de Pie XII « Humani Generis ».
C ' est à propos de ces conceptions que Pie XII dit expressément dans
cette encyclique :
« D' autres déforment la vraie notion de la gratuité de l' ordre
« surnaturel quand ils prétendent que Dieu ne peut créer des êtres
« doués d'intelligence sans les appeler et les ordonner à la vision
, ' f'tque ». 1 6 1
« beati
« Indépendamment de 1 ' admiration ou des critiques soulevées par
cette encyclique, il est incontestable que Pie XII fut le premier à tou­
cher du doigt le point extrêmement délicat et dangereux de cette défi­
nition de l' homme et de ses rapports avec Dieu. Si Dieu quand il crée,
imprime dans la créature ce que nous avons conçu comme surnaturel,
alors la notion de ce surnaturel et de la gratuité change ; et de là, mal­
gré tous les efforts de professer la gratuité de l' acte créateur de Dieu,
émane une multitude de considérations sur l' homme, sur sa liberté, sur
la grâce, sur les rapports de l' homme avec Dieu, sur la liberté de
l' homme et la liberté de Dieu, etc . . . Considérations qui peuvent
conduire - comme elles ont souvent conduit - au renversement même
des principes essentiels de la Révélation. Cette non-gratuité de l' ordre
surnaturel - pour chaque cas - conduit facilement à une sorte de mo­
nisme 1 62 cosmique, à un idéalisme anthropocentrique. » (Cardinal Si­
ri) 1 63

1 60
Il s ' agit de l' ouvrage du Père de Lubac, Surnaturel, Études historiques, Paris, Éditions du
Seuil, 1 946. Note de 1' auteur.
161
Cf Denz. 389 1 .
1 62
Système qui affirme l' unité de toutes choses.
163 Cardinal Siri, Gethsemani, Paris, Téqui, 1 98 1 , p. 62.
88 Le crucifiement de saint Pierre

Ajoutons encore un argument de raison à cet argument d' autorité. On


connaît l' influence qu' eut la maçonnerie sur la réforme liturgique menée par
Monseigneur Bugnini . L' influence du B ' naï Brith sur le cardinal Béa et sur
Nostra Aetate est également du domaine public. Est-il vraisemblable que
leur influence se soit limitée à ces seuls domaines et n' ait envahi la doctrine
de Vatican II quand l' histoire du monde entier tourne autour de celle de
l' Église ? « Diminutae sunt veritates » 1 64 .

Tout Vatican II en découle immédiatement

Enfin cette analyse rend immédiatement compte de toutes les innova­


tions introduites par Vatican II. Si la créature se confond avec le Créateur, si
les biens de la grâce sont dus à la nature, alors l' homme est un Dieu qui
s ' ignore (Eritis sicut dii) 1 65 ; par nature, il est déj à rendu participant de la vie
divine. On retrouve le naturalisme négateur de l' ordre surnaturel, le mo­
nisme émanationiste, la gnose antique, la maçonnerie moderne et la vision
holistique, fondement du Nouvel Âge qui affirme que tout est en tout, que
tout est un.

« "Image du Dieu invisible" (Col 1 , 1 5), il est l' homme parfait qui
a restauré dans la descendance d' Adam la ressemblance divine [c' est­
à-dire la grâce] , altérée dès le premier péché. Parce qu ' en lui la nature
humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a
été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarna­
tion, le Fils de Dieu s ' est en quelque sorte uni lui-même à tout
homme. » (Vatican II, Gaudium et spes, 22.2) 1 66

La dignité divine de l' homme réclame la liberté religieuse. L' homme


étant Dieu, toutes les hiérarchies ne peuvent être qu' illusoires, et seule la
collégialité dans l' Église respecte la nature réelle de l' homme. Le sacerdoce
est partagé par les fidèles. Les fausses religions ne peuvent porter atteinte à
la nature de l' homme élevée à une dignité sans égale, mais nous orientent au
contraire vers notre véritable essence, j ustifiant l ' œcuménisme. Le salut est
universel ; l' enfer existe, certes, mais il est vide. D ' ailleurs les flammes de
l ' enfer se refroidiront à la fin des temps. « L' Église est le sacrement de
l' unité du genre humain ». L' Église du Christ, peuple de Dieu, inclut tous
1 64
Ps 1 2( 1 1 ) , 2.
1 65 «
Vous serez comme des dieux », Gn 3, 5 .
1 66
Concile œcuménique Vatican II, constitutions, décrets, déclarations, Paris, Éditions du
Centurion, 1 967. Tous les textes du concile Vatican II que nous citerons proviennent de cet
ouvrage.
Vatican II 89

les hommes et déborde la seule Église catholique. Notre conscience doit se


purifier pour atteindre cette grâce inamissible car naturelle qui est en nous.
Il ne s ' agit plus de croire en Dieu mais d'en faire l' expérience, voire de ré­
aliser notre divinité. La négation de l' ordre surnaturel mène à la destruction
de la foi et à la religion de la conscience. Toute la « théologie » des Rahner,
de Lubac, von B althasar, Teilhard de Chardin etc . , qui n' est que l' intrusion
des thèses maçonniques et gnostiques dans la pensée catholique, trouve ici
son origine, son explication et son principe intérieur. Le saint sacrifice de la
messe, sacrifice propitiatoire, devient inutile puisque notre « nature a été
élevée à une dignité sans égale ». Il peut être remplacé par le « mystère pas­
cal », simple eucharistie, action de grâce, et révélation ultime de l' Alliance
éternelle que Dieu a faite avec toute l' humanité. L' offertoire est remplacé
par une simple présentation des dons. Le retournement des autels marque
visiblement « la dignité sans égale » de notre nature. Le culte n' est plus cé­
lébré à la gloire de Dieu mais à la gloire des hommes-Dieu. L' accent se dé­
place de la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ vers sa Résurrection, avec
toutes les conséquences spirituelles qui en découlent. Nous ne nous présen­
tons plus comme pécheurs devant Dieu, sollicitant sa miséricorde et sa
grâce, mais comme déjà sauvés - et en grand danger de renouveler le pre­
mier péché d' orgueil : « ero similis Altissimo » 1 67 •
L' Église conciliaire revendique également un « humanisme plénier » et
le titre « d' experte en humanité ». Puisque tous sont sauvés, l' Église conci­
liaire est également « le sacrement de l' unité du genre humain ». Le mo­
nisme émanationiste mélange le Royaume et le monde dans une apothéose
du mondialisme. L' unité spirituelle et politique se construit avec la collabo­
ration de l' Église conciliaire qui se rapproche des institutions internationales
maçonniques, tandis que la doctrine du règne social de Notre-Seigneur Jé­
sus-Christ, encombrante et bien peu œcuménique, est progressivement oc­
cultée.
L' ordre moral suit : puisque notre nature est gracieuse, que nous sommes
tous sauvés, quelle différence peut-on établir entre l' état de grâce et l' état de
péché mortel ? Pourquoi s' astreindre à une morale si pesante ? Inversons les
fins du mariage, relâchons les censures si sévères frappant les péchés
contre-nature et fermons les yeux sur le délabrement moral de certains.
Plus généralement, la notion même d' aggiornamento ne peut s ' entendre
que si le monde est en Dieu. La distinction entre le Créateur et la créature
exige naturellement que le monde soit ordonné à Dieu et non que Dieu ou
son Église se conforment au monde. Vatican II véhicule donc une doctrine
naturaliste, panthéiste, maçonnique, gnostique et cabalistique et s ' inscrit
dans l ' histoire des idées qui ont mené au protestantisme, à la Révolution, au

1 67 «
Je serai semblable au Très-Haut », Is, 14, 14.
90 Le crucifiement de saint Pierre

socialisme et au mondialisme. En dernière analyse, il prend son inspiration


dans le mystère d' iniquité qui se trouve derrière tous ces mouvements, dans
l' utopie panthéiste et naturaliste. Cette convergence des forces révolution­
naires, leur communauté d' idées font naturellement courir à l' Épouse mys­
tique du Christ un danger immense dont lui seul pourra la préserver.
Et il ne fait guère de doute que chacun, une fois ces choses appréhen­
dées, a le devoir impérieux, en conscience et devant Dieu, d'en tirer toutes
les conséquences et, à sa place et en complète humilité, d'en avertir la hié­
rarchie, comme l ' exemple de saint Paul l ' y autorise et surtout l ' y
contraint 168 .

« Mais quand Céphas [Pierre] vint à Antioche, je lui résistai en


face, parce qu ' il s ' était donné tort.
« En effet, avant l' arrivée de certaines gens de l' entourage de Jac­
ques, il prenait ses repas avec les païens ; mais quand ces gens arrivè­
rent, on le vit se dérober et se tenir à l' écart, par peur des circoncis.
« Et les autres Juifs l ' imitèrent dans sa dissimulation, au point
d' entraîner B arnabé lui-même à dissimuler avec eux.
« Mais quand je vis qu' ils ne marchaient pas droit selon la vérité
de l' É vangile, je dis à Céphas devant tout le monde : « Si toi qui es
« Juif, tu vis comme les païens, et non à la juive, comment peux-tu
« contraindre les païens à judaïser ? » (Ga 2, 1 1- 14)

Il ne s ' agit plus de demi-mesures, de jouer sur les mots et d' accorder le
Christ et Bélial. Une fois l' essence de Vatican II appréhendée, nous avons le
devoir d' affirmer que ce concile véhicule une doctrine hérétique, anté­
christique et maçonnique.
Enfin nous rappelons que les textes d ' un cardinal, d'un concile ou d'un
pape qui s ' écartent de l' enseignement de l ' Église ne peuvent être considérés
comme appartenant au magistère et possèdent l ' autorité d' opinions de doc­
teurs privés.

1 68
ST, II II, q. 33, a. 4.
CHAPITRE II

Panthéisme

ous avons montré dans la première partie de cet ouvrage que la doc­
N trine catholique de la création s ' oppose aux idées panthéistes sur le
monde. Cette doctrine, en accord avec la droite raison, affirme que « par la
pureté même de son être, Dieu se distingue de toutes les choses finies. De là
il s' ensuit d' abord que le monde n ' a pu procéder de Dieu que par une créa­
tion ». Le panthéisme inclut par contre le monde en Dieu et, dans ses formes
les plus grossières telles le matérialisme, arrive à les confondre. L ' histoire
montre que les idées panthéistes sont à 1' origine de bien des hérésies (voire
de presque toutes 169 ) , de bien des religions, du communisme, du socialisme
et du mondialisme. Il s ' agit donc d' une des idées fortes qui ont agi et agis­
sent sur le monde, d'un des axes majeurs de l' histoire des idées et du
monde.
Nous affirmons, et il s 'agit naturellement d 'une des thèses centrales de
cet ouvrage, que l 'originalité, l 'essence de Vatican II, sa spécificité par
rapport aux conciles antérieurs, tient à ce qu 'il reprend les thèses panthéis­
tes et maçonniques en essayant de les intégrer dans la doctrine catholique
et en les revêtant d 'un vocabulaire catholique 1 70•
Nous n' affirmons pourtant pas que Vatican II nie la création pour inclure
le monde en Dieu : pareille « réinterprétation » de la doctrine catholique
aurait probablement heurté trop violemment le sensus fidei pour être accep­
tée. Nous montrerons en revanche que Vatican II affirme que, grâce à
l' Incarnation du Verbe, le monde tout entier sera réintégré en Dieu 1 7 1 , « les
brebis à sa droite » comme « les boucs à sa gauche », les anges fidèles et les
démons : « le monde, sorti des mains de Dieu créateur, retourne à lui après
avoir été racheté par le Christ. » (Jean Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 8) Et
Dieu, contemplant le temps de l' éternité, connaissant cette restauration,
cette réintégration finale dans son omniscience, ne peut voir la création que
comme un jeu divin (maya) qui a plongé les êtres dans l' illusion de la sépa­
ration et dans l' ignorance, mais dont ils sortiront tous à la fin des temps 1 72 •

1 69
Cette affirmation mériterait d' être solidement étayée, ce que nous ne pouvons envisager
dans cet ouvrage - d' autant qu' il nous faudrait revisiter bien des idées reçues.
1 70
Voir Garrigou-Lagrange, La nouvelle théologie ; où va-t-elle ? in La synthèse thomiste,
Paris, 1 947, p. 7 1 0 sq.
171
Il s' agit naturellement de l' apocatastase gnostique.
1 72 Cf
CG, III, ch. 6 1 , Comment la vision de Dieu est une participation à la vie éternelle.
92 Le crucifiement de saint Pierre

Précisons que pour la doctrine catholique, la rénovation, la purification


du monde par le feu que décrit l' Apocalypse ne se confond en aucune ma­
nière avec sa réintégration en Dieu :

« Il demeure prouvé, en effet, que, d' après la révélation divine, in­


terprétée par les Pères de l' Église et les théologiens catholiques, le
monde actuel tout entier doit être, à la fin des temps, purifié, transfor­
mé et renouvelé par le feu. Sa rénovation ne sera pas une destruction
ni une annihilation, mais une amélioration et une adaptation aux
conditions des élus, béatifiés au ciel. La révélation ne nous apprend
rien de certain sur la nature de la restauration finale du monde actuel,
et par suite il est plus prudent de ne faire à ce sujet aucune conjecture,
qui courrait risque de n' être pas vérifiée par 1' événement. » (Diction­
naire de théologie catholique) 1 73

Vatican II ne nie donc ni la création ni sa réalité : la création est bien ré­


elle, mais n' est qu' un moment de l' Esprit. L' illusion n' apparaît comme telle
que du côté de la Vérité, qui nous est encore voilée. Vatican II procède ainsi
à une habile synthèse entre la doctrine de la création et la thèse de
l' émanation pour réintégrer la première dans la seconde.
Les pages qui suivent prouvent sans aucun doute possible que la doctrine
de Vatican II sur la création est celle de l ' apocatastase, c' est-à-dire, du point
de vue de Dieu, de la Vérité, celle du panthéisme. Il convient d ' y prêter une
parfaite attention : une fois cette affirmation accordée, toute l' analyse de
Vatican II en découle immédiatement et nécessairement. Toute la Révolu­
tion dans l' Église et dans ses rapports avec le monde et ses ennemis
s ' éclaire subitement. Il s ' agit naturellement d' idées maçonniques et cabalis­
tiques.
Enfin les citations qui suivent font apparaître le rôle de l' homme dans
cette réintégration. Il s ' agit là encore d' idées panthéistes, gnostiques et
cabalistiques que nous avons présentées dans la première partie 1 74 •

« À la « plénitude du temps » correspond, en effet, une particulière


plénitude de la communication que le Dieu un et trine fait de lui­
même dans l' Esprit Saint. « Par le Saint-Esprit » s ' accomplit le mys­
tère de l ' « union hypostatique », c ' est-à-dire de l' union de la nature
divine avec la nature humaine, de la divinité avec l ' humanité dans
l' unique Personne du Verbe-Fils. Quand Marie, au moment de

1 73 DTC, Article Fin du monde, Col. 2549.


1 74 1 Partie, ch. IV, § Apocatastase, p. 53 sq. Voir par exemple : René Guénon, Le symbolisme
de la croix, op. cit. , ch. 28 ; La Grande Triade, Paris, Gallimard, 1 980, ch. 1 5 .
Panthéisme 93

l' annonciation, prononce son « fiat » : « Qu ' il m' advienne selon ta pa­
role », elle conçoit de façon virginale un homme, le Fils de l 'homme,
qui est le Fils de Dieu. Grâce à une telle « humanisation » du Verbe
Fils, la communication que Dieu fait de lui-même atteint sa plénitude
définitive dans l ' histoire de la création et du salut. Cette plénitude ac­
quiert une densité particulière et une éloquence très expressive dans le
texte de l ' Évangile de Jean : « Le Verbe s ' est fait chair ».
L' Incarnation de Dieu-Fils signifie que l a nature humaine est élevée
à l'unité avec Dieu, mais aussi, en elle, en un sens, tout ce qui est
« chair » : toute 1 'humanité, tout le monde visible et matériel.
L' Incarnation a donc aussi un sens cosmique, une dimension cosmi­
que. Le « premier-né de toute créature », en s' incarnant dans
l' humanité individuelle du Christ, s' unit en quelque sorte avec toute la
réalité de l' homme, qui est aussi « chair », et, en elle, avec toute
« chair » avec toute la création. » (Jean Paul II, Dominum et vivifi­

cantem, 50)

« Sous l ' action du même Esprit, l 'homme et, par son entremise, le
monde créé, racheté par le Christ, avancent vers leur destinée défini­
tive en Dieu. L' Église est « le sacrement, c ' est-à-dire le signe et
l' instrument » du rapprochement des deux pôles de la création et de la
Rédemption, Dieu et l' homme. [ . . . ] Et il nous est bon de prendre une
conscience toujours plus vive du fait que, à l ' intérieur de l ' action ac­
complie par l' Église dans l ' histoire du salut, inscrite dans l ' histoire de
l' humanité, l ' Esprit Saint est présent et agissant, lui qui anime par le
souffle de la vie divine le pèlerinage terrestre de l ' homme et fait
converger toute la création, toute l ' histoire, jusqu ' à son terme ultime,
dans l' océan infini de Dieu. » (Jean Paul II, Dominum et vivifican­
tem, 64)

« La rédemption, au sens chrétien, n ' a pas de place logique dans un


système [cabalistique] où l' homme se relève lui-même, s ' il tombe, et
sert à ramener toute chose vers Dieu. » (Dictionnaire de théologie ca­
tholique ) 1 75

« L' Église, à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et


dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n' aura
sa consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps
où toutes choses seront renouvelées (Act. 3 , 2 1 ) et que, avec le genre
humain, tout l'univers lui-même, intimement uni avec l 'homme et at-

1 75 DTC, Article cabale, Col. 1 29 1 .


94 Le crucifiement de saint Pierre

teignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive per­


fection (cf. Eph. 1 , 1 0 ; Col. 1 , 20 ; 2 Pierre 3 , 1 0- 1 3 ). » (Vatican II,
Lumen gentium 48)

Le second verset cité dans Lumen gentium est le suivant :

« pour réaliser [le mystère de sa volonté] lorsque la plénitude des


temps serait accomplie, à savoir, de réunir toutes choses en Jésus­
Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre. »
(Eph. 1 , 1 0) .

Saint Thomas l e commente ainsi :

« L' effet de ce mystère est de « rétablir toutes choses », ce qui


s ' entend, en tant qu' elles ont été faites pour l' homme (Amos, IX, 1 1 ) :
« Je relèverai le tabernacle de David qui est ruiné ; je refermerai les
ouvertures de ses murailles, et je rebâtirai ce qui était tombé. » Tout
rétablir, disons-nous, « tout ce qui est dans les cieux », c ' est-à-dire les
anges : non pas pourtant que Jésus-Christ soit mort pour les anges,
mais parce qu ' en rachetant l' homme, le désastre qui suivit la défection
des anges est réparé (Psaume CIX, 6) : « Il a comblé les ruines. » Il faut
ici se garder de l' erreur d' Origène, et ne pas prendre occasion de ce
passage pour croire que les anges condamnés seront rachetés par Jé­
sus-Christ, ainsi que l ' a supposé ce Père. « Et ce qui est sur la terre »,
en tant qu' il remet en paix le ciel avec la terre (Coloss. , I,
20) : « Pacifiant par le sang qu' il a répandu sur la croix, tant ce qui est
sur la terre, que ce qui est dans le ciel ; » ce qu' il faut entendre, quant
à la suffisance de la réparation, et bien que tout ne soit pas rétabli ef­
fectivement. » (Saint Thomas d' Aquin) 1 7 6

« Plus encore, en cet Homme, la création entière répond à Dieu.


Jésus Christ est le nouveau commencement de tout : en lui, tout se re­
trouve, tout est accueilli et est rendu au Créateur de qui il a pris son
origine. De cette façon, le Christ est la réalisation de l 'aspiration de
toutes les religions du monde et, par cela même, il en est
l 'aboutissement unique et définitif Si, d ' un côté, Dieu, dans le Christ,
parle de lui-même à l' humanité, de l' autre, dans le même Christ,
l' humanité entière et toute la création parlent d' elles-mêmes à Dieu,
plus encore, elles se donnent à Dieu. Ainsi, tout retourne à son prin­
cipe. Jésus Christ est la récapitulation de tout (cf. Ép 1 , 1 0) et en

176 Commentaire de l 'épître de saint Paul aux Ephésiens.


Panthéisme 95

même temps l' accomplissement de toute chose en Dieu, accomplisse­


ment qui est à la gloire de Dieu. » (Jean Paul II, Tertio millennio ad­
veniente, 6)

« J ' ai pu célébrer la Messe dans des chapelles situées sur des sen­
tiers de montagne, au bord des lacs, sur les rives de la mer ; je l ' ai cé­
lébrée sur des autels bâtis dans les stades, sur les places des villes . . .
Ces cadres s i divers de mes Célébrations eucharistiques me font for­
tement ressentir leur caractère universel et pour ainsi dire cosmique.
Oui, cosmique ! Car, même lorsqu' elle est célébrée sur un petit autel
d' une église de campagne, l ' Eucharistie est toujours célébrée, en un
sens, sur l 'autel du monde. Elle est un lien entre le ciel et la terre. Elle
englobe et elle imprègne toute la création. Le Fils de Dieu s ' est fait
homme pour restituer toute la création, dans un acte suprême de
louange, à Celui qui l ' a tirée du néant. C ' est ainsi que lui, le prêtre
souverain et éternel, entrant grâce au sang de sa Croix dans le sanc­
tuaire éternel, restitue toute la création rachetée au Créateur et Père. Il
le fait par le ministère sacerdotal de l' Église, à la gloire de la Trinité
sainte. C' est vraiment là le mysterium fidei qui se réalise dans
l' Eucharistie : le monde, sorti des mains de Dieu créateur, retourne à
lui après avoir été racheté par le Christ. » (Jean Paul II, Ecclesia de
Eucharistia, 8)

« Cette Union des Personnes, qui se révèle comme


l ' incommensurabilité même de la Divinité, de la Vérité et de l' Amour,
du Verbe et du Don, cette union divine des Personnes embrasse
l' humanité et le monde. En elle, « nous avons la vie, le mouvement et
l' être » (Ac 1 7 , 28). Car à l' Incarnation du Verbe du Fils éternel, par
l ' opération du Saint Esprit, la présence de la Divinité et de l ' action du
Dieu vivant sur l' humanité et sur le monde a pris une dimension nou­
velle. De même que s ' est établi un nouveau rapport entre la temporali­
té et l' éternité, de l' historique et de l' eschatologique. C ' est aussi la
raison pour laquelle le Nouveau Testament nous offre une image com­
bien plus achevée et plus claire de l ' Accomplissement définitif que ne
le fait l' Ancien Testament. À l' Ancien Testament, il manquait la
Plénitude que Dieu a apportée en venant dans l' homme et dans le
monde, Plénitude qui constitue le fondement de l' arrivée de l' homme
et du monde à Dieu, c' est-à-dire à 1' Accomplissement final. [ . . ]
.

« Ainsi donc, l' Accomplissement qui constitue la base fondamen­


tale de l' eschatologie conciliaire procède du Mystère de la Sainte Tri­
nité qui a été pour ainsi dire définitivement ouverte aux dimensions de
96 Le crucifiement de saint Pierre

l' homme et du monde, "par la croix du Christ" ». (Cardinal Wojty­


la) 1 77

« Et en même temps, le Mystère de la Trinité devient la mesure dé­


finitive de l' histoire de l' homme et du monde, qui, grâce à la soumis­
sion de toutes choses par le Fils au Père, dans l' Esprit Saint, retrouve
sa participation intégrale au Mystère de Dieu, parce que Dieu se­
ra "tout en tous" ». (Cardinal Wojtyla) 1 7 8

Le cardinal cite la première épître aux Corinthiens 1 7 9 :

« Et lorsque tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même fera
hommage à celui qui lui aura soumis toutes choses, afin que Dieu soit
tout en tous. » 1 80

Mais le commentaire qu' en font saint Augustin et saint Jean Chrysos­


tome est bien différent :

« Or on dit que Dieu est tout en tous, quand aucun de ceux qui
s ' attachent à lui n' aime sa propre volonté aux dépens de la sienne, et
quand tous comprennent clairement ce que 1' Apôtre dit ailleurs :
« Qu' as-tu que tu n' aies reçu ? » [ . . . ]
« Il n' est donc point déraisonnable d' appliquer ces paroles :
« Alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a soumis toutes
choses », de les appliquer, dis-je, non seulement au Christ comme chef
de l' Église, mais aussi à tous les saints, qui ne font qu' un dans le
Christ, une même race d' Abraham, soumise, en contemplant
l' éternelle vérité, pour y trouver le bonheur, sans éprouver aucune ré­
sistance ni dans le corps ni dans l ' âme, « en sorte que », personne
n' aimant plus son propre pouvoir, "Dieu soit tout en tous" ». (Saint
Augustin) 1 8 1

« Mais maintenant, que signifie : « Afin que Dieu soit tout en


tous ? » Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s ' imaginer qu' il y
a deux principes sans principe, qu' il y a division dans la royauté ; car
lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne

1 77 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, Communio/Fayard, 1 979, p. 2 1 9 sq.


1 7 8 Cardinal Woj tyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 224.
1 79 Sur l' utilisation « à tout instant » de ce verset et du précédent par Origène voir : DTC, art.
Origène, col . 1 550.
1 80 1 Co 1 5 , 28.
1 8 1 Saint Augustin, Quatre-vingt trois questions, Question 69, 7 et 1 0.
Panthéisme 97

peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui 1' a engendré,
comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera
tout en tous. » (Saint Jean Chrysostome) 1 8 2

« Il en est justement ainsi : le Dieu de Majesté infinie, /psum Esse


Subsistens 183 « se partage » en des existences plus ou moins parfaites.
Il répand [le Bien] en quelque sorte dans l ' œuvre de la création non
pas seulement parce qu' il est tout puissant, mais parce qu' il est en
même temps l' Amour. » (Cardinal Wojtyla) 1 84

« La révélation ne s ' arrête donc pas ici parce que Dieu a décidé po­
sitivement de l ' arrêter, mais parce qu ' elle est arrivée à son terme, ou
comme le dit Karl Rahner : « Il n' est plus rien dit de nouveau, non pas
« malgré qu' il eût encore beaucoup à dire, mais parce que tout a été
« dit, tout a été donné dans le Fils de l' amour, dans lequel Dieu et le
« monde sont devenus un 1 8 5 . » (Cardinal Ratzinger) 1 8 6

Précisons que l ' ouvrage dont cette citation est extraite (La foi chrétienne
hier et aujourd 'hui), et que nous citerons fréquemment, a été réédité en
2000 avec l'accord de son auteur, alors cardinal, qui n'a pas estimé né­
cessaire de le modifier. L' importance capitale de cette précision s' éclairera
par la suite. En voici encore deux extraits, que le cardinal n ' a pas cru devoir
modifier :

« Avant de revenir, à partir de là, à la résurrection, essayons de


considérer encore une fois la question sous un angle quelque peu dif­
férent. Nous pouvons pour cela reprendre la parole sur l' amour et la
mort et dire : là seulement où pour quelqu' un l' amour compte plus que
la vie, c ' est-à-dire là où quelqu' un est prêt à faire passer la vie après
l' amour, à la mettre en j eu à cause de l ' amour, là seulement l' amour
est aussi plus, et plus fort que la mort. Pour devenir plus que la mort,
l' amour doit d' abord être plus que la vie. Or, s ' il pouvait en être ainsi,
non plus seulement dans l ' ordre de l' intention, mais dans la réalité, ce­
la voudrait dire que la puissance de 1' amour se serait élevée au-dessus
de la puissance du biologique et aurait mis le biologique à son service.

182
Saint Jean Chrysostome, Commentaires sur la première épître aux Corinthiens, Homélie
XXXIX, 6.
183
L' être même subsistant.
184
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 37.
1 85
K. Rahner, Schriften zur Theologie, 1, Einseideln, 1 954, p. 60 ; cf. J. Ratzinger,
« Kommentar zur Offenbarungskonstitution », dans LTHK, Supplément II, p. 5 1 0.
1 86
Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, Paris, Cerf, 2005 , p. 1 82.
98 Le crucifiement de saint Pierre

Pour prendre la terminologie de Teilhard de Chardin : là où il en serait


ainsi, la complexité et la complexification définitives se seraient réali­
sées ; même le bias serait alors englobé et compris dans la puissance
de l' amour. L' amour dépasserait alors sa limite - la mort - et créerait
l' unité là où la mort sépare. Si j amais l' amour pour l' autre arrivait à
être fort, au point de pouvoir garder vivant non seulement le souvenir
de l' autre, l' ombre de son Moi, mais sa personne même, alors on au­
rait atteint un nouveau seuil de la vie, qui laisserait derrière lui la
sphère des évolutions et mutations biologiques ; il représenterait le
passage à un autre niveau, où l' amour ne serait plus subordonné au
bias, mais le mettrait à son service. Ce dernier stade de « mutation » et
d ' « évolution » ne serait plus un stade biologique, il représenterait
1' affranchissement de la tyrannie du bias, qui est en même temps ty­
rannie de la mort ; il ouvrirait la sphère que la Bible grecque appelle
« Zoé », c ' est-à-dire vie définitive, où le règne de la mort est aboli. Le
dernier stade de l' évolution, dont le monde a besoin pour atteindre son
but, ne se réaliserait plus à l' intérieur du biologique, mais serait le
fruit de 1 ' esprit, de la liberté, de 1' amour. Il ne serait plus évolution,
mais décision et don à la fois. [ . . . ]
« Or pour [la Bible] , le cosmos et l' homme ne sont nullement deux
réalités séparables, de telle manière que le cosmos constituerait le
théâtre fortuit de l' existence humaine, dont celle-ci pourrait de soi se
séparer pour trouver sa réalisation en dehors du monde. En fait, le
monde et 1' existence humaine vont nécessairement ensemble, de sorte
que 1 ' on ne peut imaginer une existence humaine sans le monde ni un
monde sans l ' homme. Le premier point ne fait plus de difficulté au­
j ourd' hui ; et le deuxième non plus, après ce que nous avons appris de
Teilhard par exemple, ne devrait plus nous apparaître totalement in­
compréhensible. Nous serions ainsi plutôt tentés d' admettre que le
message biblique de la fin du monde et du retour du Seigneur n' est pas
une simple anthropologie exprimée en images cosmiques, et qu' il ne
présente pas non plus simplement un aspect cosmologique à côté d'un
aspect anthropologique ; nous dirions plutôt que, suivant la logique in­
terne de la conception biblique globale, ce message nous présente la
coïncidence de l' anthropologie et de la cosmologie dans la christolo­
gie définitive, et voit dans cette coïncidence la fin du « monde » ; ce­
lui-ci par sa structure à la fois une et double de cosmos et d' homme
renvoie depuis touj ours à cette unité comme à son but. Le cosmos et
l ' homme qui sont ordonnés l ' un à l' autre depuis toujours, même s ' ils
s ' opposent bien souvent, seront un par leur « complexification » en
une réalité plus grande, celle de 1' amour qui dépasse et englobe le
bias, comme nous 1' avons dit plus haut : il apparaît encore une fois par
Panthéisme 99

là combien la fin eschatologique et la victoire remportée à la résurrec­


tion de Jésus sont réellement une seule et même chose ; on voit encore
une fois que le Nouveau Testament a eu raison de considérer cette ré­
surrection comme l' événement eschatologique. [ . . . ]
« Or dans ce mouvement cosmique, comme nous l' avons déj à vu,
l' esprit n'est pas un quelconque produit secondaire et fortuit de
l' évolution, sans signification pour l' ensemble ; nous avons pu consta­
ter au contraire que dans cette évolution, la matière et son développe­
ment constituent la préhistoire de 1' esprit. [ . . . ]
« Bien sûr, la fin du monde à laquelle croit le chrétien, est tout au­
tre chose que la victoire définitive de la technique. Mais la fusion en­
tre la nature et 1' esprit opérée par la technique nous permet de com­
prendre de façon nouvelle dans quel sens il faut penser la réalité de la
foi au retour du Christ : comme foi en l' unification définitive du réel à
partir de 1' esprit. [ . . . ]
« Affirmer que le monde progresse vers une « complexification »
par l' esprit, c ' est donc affirmer que le cosmos progresse vers l' uni­
fication dans une sphère personnelle. » (Cardinal Ratzinger) 1 87

« Si le cosmos est de l' histoire, et si la matière représente un mo­


ment dans l' histoire de l' esprit, alors il n'y a pas une juxtaposition
neutre et éternelle de la matière et de 1' esprit, mais une « complexité »
ultime, dans laquelle le monde trouvera son Oméga et son unité. Alors
il y a une connexion ultime entre la matière et l' esprit, dans laquelle la
destinée de l' homme et du monde trouve son accomplissement, même
s ' il ne nous est pas possible aujourd' hui de définir le mode de cette
connexion. [ . . . ]
« Il y a une rédemption du monde, voilà l' assurance qui porte le
chrétien et qui fait encore auj ourd' hui tout le prix de la foi chré­
tienne. » (Cardinal Ratzinger) 1 88

1 87
Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 2 1 5 , 2 1 6, 227 sq.
188
Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 259 et 260.
L' ouvrage se termine sur cette phrase.
CHAPITRE III

Notre nature est gracieuse

eu de dogmes ont autant marqué la conscience et la civilisation chré­


P tiennes que le dogme du péché originel. Lui seul permet d' expliquer
notre condition présente, la lutte incessante que nous avons à mener et que,
avec la grâce de Dieu, nous devons espérer emporter. Le péché originel nié,
la Rédemption verse dans l ' anecdotique et l' inutile. « L' incompréhensible
dilection » de Dieu perd son mystère insondable. L' horreur du péché,
l ' urgence de notre sanctification, la bonté infinie de Dieu qui envoie son
Fils, innocent, pour racheter l ' esclave, coupable, ne correspondent plus à
aucune réalité vivifiante. On ne peut nier le péché originel et sa consé­
quence, la chute, sans ébranler tout le catholicisme, toute l' Église et le
monde entier.
Le péché originel fit perdre à nos premiers parents la grâce, l' amitié di­
vine, qu' ils ne purent donc nous transmettre. Ils nous transmirent par contre
le péché : « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le
péché, la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant pé­
ché en lui. » (Rin 5, 1 2) Avec la mort vinrent également l' inclination au
mal, la concupiscence et la souffrance. Seul le Baptême (d' eau, de sang ou
de désir), qui efface le péché originel, nous donne la vie surnaturelle et fait
habiter la très sainte Trinité dans nos âmes, fait de nous des temples du
Saint-Esprit. Cette grâce infinie, surnaturelle, se perd par le péché mortel,
mort de 1' âme et nous est redonnée par le sacrement de pénitence.
Le panthéisme affirme que le monde est en Dieu, qu ' il est divin. Nulle
chute ne saurait l' atteindre - si ce n' est illusoirement. La nature entière, et
plus particulièrement la nature humaine, est gracieuse, destinée à retrouver
éternellement son essence véritable, divine. La très sainte Trinité habite en
chaque homme, qu ' il soit baptisé ou non, en état de grâce ou de péché mor­
tel.
La confusion entre la nature et la grâce est donc une conséquence immé­
diate de la confusion entre le Créateur et la créature. Et inversement, affir­
mer que la nature est gracieuse mène immédiatement au panthéisme : si la
nature est gracieuse (i.e. participe de la nature divine), tous, participant dé­
finitivement, inamissiblement (car naturellement) de la nature divine, seront
sauvés, divinisés quand Dieu sera « tout en tous ». Là encore, la création de
l' homme, sa « sortie » de Dieu, apparaît comme un jeu divin, comme une
illusion qui s' évanouira lors de l' apocatastase finale. Et toute la création, qui
Notre nature est gracieuse 101

participe également de cette nature divine, n' est en vérité qu' une manifesta­
tion, qu' une émanation divine.
Il y a donc identité entre la confusion panthéiste du Créateur et de la
créature et l' affirmation que notre nature est gracieuse 1 89 • Toutes deux sont
des doctrines panthéistes, maçonniques, qui s ' opposent frontalement à la
vérité révélée. Or nous allons montrer, sans laisser la moindre place à
l 'interprétation ou à la discussion, que le naturalisme, la confusion entre la
nature et la grâce 190, est un autre fondement de Vatican II191 • Les consé­
quences incalculables de cette Révolution doctrinale nous font réclamer une
fois encore toute l ' attention du lecteur malgré la difficulté des deux premiè­
res citations de saint Thomas, qui peuvent être lues rapidement sans trop de
dommages.

Le Fils de Dieu n 'a pas assumé la nature humaine abstraite de tous ses
individus

« S . Jean Damascène écrit : « La nature que le Verbe incarné a


« assumée n' est pas celle que nous contemplons dans un acte de pure
« intellection. Ce ne serait pas là l ' incarnation, mais une illusion et un
« mensonge. » Or la nature humaine, en tant qu ' elle est séparée ou
abstraite des individus, est objet de pensée et d ' intellection pure, car,
dit encore le Damascène au même endroit, elle ne subsiste pas par
elle-même. Donc le Fils de Dieu n ' a pas assumé la nature humaine en
tant qu' elle est séparée des singuliers.
« La nature de l' homme, ou de toute autre réalité sensible, en de­
hors de l' être qu' elle possède dans les singuliers, peut être envisagée
d' une double manière. On peut la considérer comme ayant l' être par
elle-même, en dehors de la matière, comme le prétendaient les plato­
niciens ; ou bien on peut encore la considérer comme existant dans
l' intelligence, soit divine, soit humaine.
« À vrai dire, une telle nature ne peut subsister par elle-même, ain­
si que le prouve le Philosophe, car la matière sensible appartient à la
nature spécifique des réalités sensibles, et entre dans leur définition ;

1 89
Une étude plus approfondie de la confusion entre la nature et la grâce, restreinte au seul
concile Vatican II, aurait exigé que nous étudiions l ' « existential surnaturel » de Rahner, les
écrits de Lubac (Surnaturel, condamné implicitement par Pie XII dans Humani Generis ; Le
mystère du surnaturel), de von B althasar (Liturgie cosmique), de B ouyer (Le mystère pascal),
de Teilhard de Chardin - et surtout leurs origines.
19°
Cf Cardinal Siri, Gethsémani, op. cit.
191
Lors même de leur rédaction, les textes de Vatican II ont été critiqués pour leur natura­
lisme par les pères conciliaires. Cf Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, B ouère,
Dominique Martin Morin, 1 992, p. 1 63 , 1 84, 207, 250, 252, 265 .
1 02 Le crucifiement de saint Pierre

par exemple, les chairs et les os font partie de la définition de


l' homme. Il n' est donc pas possible que la nature humaine existe en
dehors de la nature sensible.
« Si pourtant la nature humaine existait de cette manière, il ne
conviendrait pas qu' elle soit assumée par le Verbe de Dieu. 1 Parce
-

que l' assomption se termine à la personne ; or il est contraire à la na­


ture d' une forme universelle d' exister dans une personne ; personni­
fiée en effet, elle serait individuée. - 2 Parce que, à une nature com­
mune, on ne peut attribuer que des opérations communes et universel­
les, qui ne peuvent pas être principes de mérite ou de démérite ; et ce­
pendant, c ' est afin de mériter pour nous que le Fils de Dieu a assumé
la nature humaine. - 3 Parce qu ' une telle nature n' est pas objet de
connaissance sensible, mais intelligible. Or, le Fils de Dieu a pris la
nature humaine pour se rendre visible aux hommes, selon Baruch (Ba
3, 38) : « Puis il est apparu sur la terre, et il a vécu avec les hommes. »
« De même encore, la nature humaine, en tant qu' elle se trouve
dans l' intelligence divine, n ' a pu être assumée par le Fils de Dieu. Car
sous ce rapport elle ne diffère pas de la nature divine ; et par suite
c ' est de toute éternité que la nature humaine aurait été unie au Fils de
Dieu.
« Pareillement, il ne convient pas de dire que le Fils de Dieu a as­
sumé la nature humaine en tant qu ' elle se trouve dans l' intelligence
humaine. Cela signifierait simplement que 1' assomption de la nature
humaine est objet de connaissance intellectuelle. Et si la nature n' était
pas réellement assumée, une telle connaissance serait fausse.
L' assomption de la nature humaine ne serait pas autre chose, comme
dit le Damascène, qu' une incarnation fictive. » (Saint Thomas) 1 92

Le Fils de Dieu n 'a pas assumé la nature humaine dans rous ses indivi­
dus

« Le Damascène écrit : « Le Fils de Dieu n ' a pas pris la nature


« humaine dans son universalité spécifique ; il ne l ' a pas davantage
« assumée dans tous ses suppôts. »
« Il ne convient pas que la nature humaine soit assumée par le
Verbe dans tous ses suppôts. - 1 Cela aurait enlevé à la nature hu­
maine la pluralité de suppôts qui lui est naturelle. En effet, il n'y a pas
dans la nature assumée d' autre suppôt que la personne qui assume ;
donc, si la nature humaine entière était assumée, il n'y aurait plus

1 91
ST, III, q. 4, a. 4.
Notre nature est gracieuse 1 03

qu' un seul suppôt en elle, à savoir la personne qui assume. - 2 Cela


dérogerait à la dignité du Fils de Dieu incarné qui, selon la nature hu­
maine, est « le premier-né parmi beaucoup de frères », comme il est,
selon la nature divine « le premier-né de toute créature ». Tous les
hommes en effet posséderaient la même dignité. - 3 Il convient que, si
une seule personne divine s ' incarne, une seule nature humaine aussi
soit assumée, afin que l' unité se trouve des deux côtés. » (Saint Tho­
mas) I 93

Notre nature est gracieuse

« D' autres corrompent la véritable gratuité de l' ordre surnaturel,


puisqu' ils tiennent que Dieu ne peut pas créer des êtres doués
d'intelligence sans les ordonner et les appeler à la vision béatifique. »
(Pie XII, Humani Generis)

« En assumant la nature humaine c' est toute l' humanité qu ' il s ' est
unie par une solidarité surnaturelle qui en fait une seule famille ».
(Vatican II, Apostolicam actuositatem, 8)

« En réalité, le mystère de l' homme ne s ' éclaire vraiment que dans


le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était
la figure de celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le
Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour,
manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la subli­
mité de sa vocation. Il n' est donc pas surprenant que les vérités ci­
dessus trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culmi­
nant.
« Image du Dieu invisible » (Col 1 , 1 5), il est l' homme parfait qui
a restauré dans la descendance d' Adam la ressemblance divine [c' est­
à-dire la grâce] , altérée dès le premier péché. Parce qu ' en lui la nature
humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a
été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son incarna­
tion, le Fils de Dieu s' est en quelque sorte uni lui-même à tout
homme. » (Vatican II, Gaudium et spes, 22) 194

1 93 ST, III, q. 4, a. 5 . Pour une discussion approfondie de ces questions, voir : Abbé Guy Cas­
telain, Bref examen de GS n° 22, § 2, p. 2 1 2 sq. , in La conscience dans la religion de Vatican
JI, Études théologiques, deuxième symposium de Paris, 9- 1 0- 1 1 octobre 2003, A vrillé, 2004.
1 94 Pour une discussion approfondie de ces affirmations, voir : Abbé Philippe Toulza,
<< L 'union du Fils de Dieu à tout homme » : origines et actualité, ibid. , p. 1 90 sq.
1 04 Le crucifiement de saint Pierre

Puisque le Christ « manifeste pleinement l ' homme à lui-même »,


l' homme ne saurait se comprendre en ce qu' il est en lui-même, en sa nature,
sans le Verbe incarné, sans le « mystère du Père et son amour ». La grâce
infinie que nous fait la très sainte Trinité en venant habiter en nos âmes
n ' est plus alors un don sur-naturel, une greffe divine dans nos âmes qui les
surélèvent infiniment, qui analogiquement transforme la chenille en papil­
lon. Elle est due à la nature de l ' homme et ne la dépasse en rien. Quoi de
plus naturel que l' homme se connaisse pleinement lui-même, connaisse
cette nature qui « a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale » ?

« "Image du Dieu invisible", le Christ est l ' homme parfait qui a


rendu aux fils d' Adam la ressemblance avec Dieu déformée par le pé­
ché. Dans sa nature humaine, exempte de tout péché et assumée dans
la Personne divine du Verbe, la nature commune à tout être humain est
élevée à une dignité sans égale : « Par son incarnation, le Fils de Dieu
lui-même s 'est en quelque sorte uni à tout homme. » (Jean Paul II,
Tertio millenio adveniente, 4)

« On lit en effet, dans la constitution Gaudium et Spes : « Nouvel


« Adam, le Christ. . . manifeste pleinement l' homme à lui-même et lui
« découvre la sublimité de sa vocation » : il le fait précisément « dans
la révélation même du mystère du Père et de son amour ». Ces paroles
attestent très clairement que la manifestation de l' homme, dans la
pleine dignité de sa nature, ne peut avoir lieu sans la référence non
seulement conceptuelle mais pleinement existentielle à Dieu.
L' homme et sa vocation suprême se dévoilent dans le Christ par la ré­
vélation du mystère du Père et de son amour. » (Jean Paul II, Dives in
misericordia, 1 )

Ainsi, la « pleine dignité de la nature » de l' homme requiert une réfé­


rence « pleinement existentielle à Dieu », sans en faire un don gratuit ; la
« pleine dignité de la nature » requiert la grâce.

« Par cette activité missionnaire enfin, Dieu est pleinement glori­


fié, du moment que les hommes accueillent consciemment et pleine­
ment son œuvre salutaire qu' il a réalisée dans le Christ. C' est ainsi que
par elle se réalise le dessein de Dieu, que le Christ a servi par obéis­
sance et par amour pour la gloire du Père qui l ' a envoyé : que le genre
humain tout entier constitue un seul peuple de Dieu, se rassemble dans
le corps unique du Christ, soit construit en un seul temple du Saint Es­
prit ; ce qui, en évoquant la concorde fraternelle, répond au désir in­
time de tous les hommes. C' est ainsi qu' enfin s ' accomplit vraiment le
Notre nature est gracieuse 1 05

dessein du Créateur formant l ' homme à son image et à sa ressem­


blance, quand tous ceux qui participent à la nature humaine, une fois
qu' ils auront été régénérés dans le Christ par le Saint-Esprit, et reflé­
tant ensemble la gloire de Dieu (cf. 2 Co 3, 1 8), pourront dire : "Notre
Père" ». (Vatican II, Ad gentes divinitus, 7)

« À faire partie du peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés.

C ' est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à se di­


later aux dimensions de l ' univers entier et à toute la suite des siècles
pour que s' accomplisse ce que s ' est proposé la volonté de Dieu créant
à l' origine la nature humaine dans l' unité, et décidant de rassembler
enfin dans l' unité ses fils dispersés (cf. Jean 1 1 , 52). C' est dans ce but
que Dieu envoya son Fils dont il fit l' héritier de l ' univers (cf. Héb. 1 ,
2), pour être à l' égard de tous Maître, Roi et Prêtre, chef du nouveau
peuple des fils de Dieu étendu à l ' univers. » (Vatican II, Lumen gen­
tium, 1 3)

« Par ailleurs, l ' on peut constater une nouvelle fois ici qu ' en der­

nière analyse il n 'est pas possible de faire une séparation nette en­
tre « naturel » et « surnaturel » : le dialogue fondamental qui consti­
tue l' homme en tant qu' homme, passe sans interruption au dialogue de
la grâce qui a nom Jésus-Christ. Comment pourrait-il en être autre­
ment, si le Christ est véritablement le « second Adam », le véritable
accomplissement de cette nostalgie infinie qui s ' élève du premier
Adam, de l ' homme en un mot ? » (Cardinal Ratzinger) 1 95

« Le concept de communion est « au cœur de 1' autoconnaissance

de l 'Église », en tant que mystère de l ' union personnelle de chaque


homme avec la Trinité divine et avec les autre hommes, commencée
par la foi, et orientée vers la plénitude eschatologique dans l ' Église cé­
leste, tout en étant déjà une réalité en germe dans l ' Église sur terre.
[. . .]
« La communion ecclésiale est en même temps invisible et visible.

Dans sa réalité invisible, elle est communion de chaque homme avec


le Père, par le Christ, dans l ' Esprit Saint, et avec les autres hommes,
co-participants de la nature divine, dans la passion du Christ, dans la
même foi, dans le même esprit. » (Cardinal Ratzinger, Congrégation
pour la doctrine de la Foi) 1 96

195 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 257 et 258 .
1 96 Congrégation pour la doctrine de la Foi, Lettre aux évêques de l 'Église catholique sur cer­
tains aspects de l ' Église comprise comme communion, 1 992, 3 et 4.
1 06 Le crucifiement de saint Pierre

« Par l' incarnation, c' est la nature humaine qui est véritablement
devenue le trône de Dieu, lequel est ainsi définitivement relié à la
terre, définitivement accessible à notre prière. » (Cardinal Ratzin­
ger) I 9 7

« Le pasteur qui se met en route pour trouver la brebis égarée est le


Verbe éternel lui-même, et la brebis qu' il porte sur ses épaules pour la
ramener affectueusement à la maison, c ' est l' humanité, c' est la nature
humaine qu' il a assumée. Dans son incarnation et dans sa croix, il ra­
mène la brebis égarée - l ' humanité - à la maison, et il me porte, moi
aussi. Le Logos devenu homme est le véritable « porteur de la bre­
bis », le pasteur qui va nous chercher à travers les épines et les déserts
de notre vie. Portés par lui, nous arrivons à la maison. Il a donné sa vie
pour nous. Il est lui-même la vie. » (Benoît XVI) 1 98

« Pour les premiers chrétiens, le berger était en effet une allégorie


du Logos : le Logos, par qui tout a été fait, porte en lui les archétypes
de tout ce qui existe, il est le gardien de la Création. En s ' incarnant, il
prend sur ses épaules la brebis perdue, c ' est-à-dire la nature humaine,
l' humanité tout entière, et la ramène au Père. L' image du berger ré­
sume ainsi toute l' histoire du salut : l' entrée de Dieu dans l'histoire,
l' incarnation, la recherche de la brebis perdue et le chemin du retour
dans l' Église des Juifs et des Gentils. » (Cardinal Ratzinger) 1 99

« Et voici que celui qui est le Verbe prend lui-même corps, vient
de Dieu en tant qu' homme et attire à lui toute la condition humaine, la
transporte dans la Parole de Dieu, la transforme en « oreille » pour
écouter Dieu et ainsi en « obéissance », en réconciliation entre Dieu et
l' homme (cf. 2 Co 5 , 20) . Lui-même devient le vrai « sacrifice » en
tant qu' il s ' est donné, entrant totalement dans l' obéissance et dans
l' amour, aimant « jusqu ' au bout » (Jn 1 3 , 1 ) . Il vient de Dieu et ins­
taure ainsi la véritable condition d' homme. Comme le dit Paul, par
rapport au premier homme qui était et est terrestre, il est le second,
l' homme définitif (le dernier), qui vient « du ciel », « esprit vivifiant »
(cf. 1 Ca 1 5 , 45-49). Il vient, et il est en même temps le nouveau
« royaume ». Il n' est pas simplement un, mais de nous tous avec lui­
même il ne fait « plus qu ' un » (Ga 3, 28) il nous transforme en une
humanité nouvelle. [ . . . ]

197
Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, Genève, Ad solem, 200 1 , p. 5 8 .
1 98
Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007, p. 3 1 2 et 3 1 3 .
1 99
Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, op. cit. , p. 97 .
Notre nature est gracieuse 1 07

« Pour citer encore une fois Paul : « Puisque Adam est pétri de
« terre, comme lui les hommes appartiennent à la terre ; puisque le
« Christ est venu du ciel, comme lui les hommes appartiennent au
« ciel » ( 1 Ca 1 5 , 48). L' expression « Fils de l'homme » demeure ré­
servée à Jésus lui-même, mais la vision nouvelle de l' union entre Dieu
et l' homme qui s ' y exprime traverse la totalité du Nouveau Testament
et le marque de son empreinte. C' est de cette nouvelle humanité ve­
nant de Dieu qu ' il s ' agit dans la vie à la suite de Jésus Christ. » (Be­
noît XVI) 200

« C ' est pourquoi l' œuvre divine du salut est menée par Dieu lui­
même à partir de ce qui est humain, essentiellement humain, constitu­
tif de son humanité, de sa nature d' homme. Nous devons nous situer
dans cette optique pour découvrir le sens le plus profond du mystère
de l ' Incarnation, la clef de voûte du plan divin du salut.
« Si le mystère de l' Incarnation, c' est-à-dire le Christ historique et
le Christ mystique manifeste en plénitude l' homme à lui-même,
l' homme de tous les temps et de toutes les époques, il réassume ce qui
est essentiel, ce qui constitue l' homme, dans son humanité, aussi bien
par son Verbe que par son Acte. » (Cardinal Wojtyla) 201

« Aussi le Concile suit-il les traces du dessein éternel du Père, de


son plan d' amour. Ce plan est en Dieu et de Dieu mais on peut décou­
vrir ses traces dans la nature humaine et dans l' ordre de la création.
Tout se passe comme si le Concile avait voulu montrer qu ' en suivant
ces traces, l' homme est capable de découvrir sa propre relation avec
l' ordre divin et surnaturel, non seulement comme une ressemblance
cherchant son prototype mais également sur la base de cette rencontre
dont émerge la conscience du salut et qui la manifeste. » (Cardinal
Wojtyla) 202

« L' incarnation du Fils de Dieu fut le commencement de la ré­


demption qui, le moment venu, réalisa le but essentiel de cette
incarnation. En conséquence, la restauration de la valeur de l' homme,
l' élévation de la nature humaine en chacun de nous à une dignité sur­
naturelle, est accomplie par la participation à la rédemption. [ . . . ]

200
Benoît XVI, Jésus de Nazareth, op. cit. , p. 362 et 363.
201
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, Retraite au Vatican, op. cit. , p. 1 52.
202
Karol Wojty1a, Sources of Renewal, the Implementation of Vatican Il, San Francisco,
Harper & Row, 1 979, p . 62. Il existe une traduction française de ce texte.
1 08 Le crucifiement de saint Pierre

« En Jésus-Christ, Dieu entre dans l ' histoire humaine pour se révé­


ler à l' homme et en même temps révéler les profondeurs les plus se­
crètes de la nature humaine. » (Cardinal Wojtyla) 203

« L' itinéraire spirituel mène à Dieu à partir du tréfonds de la créa­


ture et de l ' homme. La mentalité contemporaine trouve dans cette voie
un certain point d' appui dans l' expérimentation et la mise en évidence
de la transcendance de la personne humaine. L' homme est celui qui se
dépasse, il doit en quelque sorte se dépasser. [ . . . ]
« L' Église du Dieu vivant réunit justement en elle ces gens qui de
quelque manière participent à cette transcendance à la fois admirable
et fondamentale de l' esprit humain, car elle sait que nul ne peut apai­
ser les plus profondes aspirations de cet esprit si ce n'est Lui seul : le
Dieu de majesté infinie (cf. Gaudium et Spes, 4 1 ) . L' expression de
cette transcendance est la prière de la foi, dans le silence. Ce silence,
qui semble au prime abord séparer l' homme de Dieu, est en fait un
acte d' union de l' esprit humain avec Dieu. » (Cardinal Wojtyla) 204

Ainsi, en partant de son tréfonds, l ' homme parcourt l' itinéraire spirituel
qui le mène à Dieu. En partant de sa nature, il parvient à la grâce, il met ex­
périmentalement en évidence « la transcendance de la personne humaine »,
de tout homme. L' expérimentation mène au surnaturel. Le simple silence, la
prière de la « foi », n'est qu' un acte de la religion naturelle qui suffit pour­
tant à unir « l' esprit humain avec Dieu ».

« De ce regard rapide porté sur la conception de l ' eros dans


l ' histoire et dans le temps présent, deux aspects apparaissent claire­
ment, et avant tout qu ' il existe une certaine relation entre l ' amour et le
Divin : l ' amour promet l' infini 205 , l ' éternité - une réalité plus grande
et totalement autre que le quotidien de notre existence. [ . . . ]
« Oui, l ' eros veut nous élever « en extase » vers le Divin, nous
conduire au-delà de nous-mêmes, mais c ' est précisément pourquoi est
requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de
guérisons. [ . . . ]
« [L] ' amour vise à l' éternité. Oui, l ' amour est « extase », mais ex­
tase non pas dans le sens d ' un moment d' ivresse, mais extase comme
chemin, comme exode permanent allant du je enfermé sur lui-même
vers sa libération dans le don de soi, et précisément ainsi vers la dé-

203
Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 78 et 80.
204
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, Retraite au Vatican, op. cit. , p. 30 et 32.
205
La nature demande, appelle, la grâce. Voir à ce suj et de Lubac et Pie XII.
Notre nature est gracieuse 1 09

couverte de soi-même, plus encore vers la découverte de Dieu : « Qui


« cherchera à conserver sa vie la perdra. Et qui la perdra la
« sauvegardera » (Le 1 7 , 33) [ . . ] . .

« Même si, initialement, 1' eros est surtout sensuel, ascendant - fas­
cination pour la grande promesse de bonheur -, lorsqu ' il s ' approche
ensuite de l ' autre, il se posera toujours moins de questions sur lui­
même, il cherchera toujours plus le bonheur de l' autre, il se préoccu­
pera toujours plus de l' autre, il se donnera et il désirera « être pour »
l' autre. C ' est ainsi que le moment de l ' agapè [l' amour oblatif, des­
cendant] s' insère en lui ; sinon l ' eros déchoit et perd aussi sa nature
même. D' autre part, l' homme ne peut pas non plus vivre exclusive­
ment dans l' amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seule­
ment donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l' amour
doit lui aussi le recevoir comme un don. L' homme peut assurément,
comme nous le dit le Seigneur, devenir source d ' où sortent des fleuves
d' eau vive (cf. Jn 7, 37-3 8). Mais pour devenir une telle source, il doit
lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire
qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel j aillit l' amour de Dieu
(cf. Jn 1 9, 34). » (Benoît XVI, Deus caritas est, 5 sq. )

L' amour naturel de l' homme et de la femme, l 'eros, « promet l ' infini »,
« veut nous élever "en extase" vers le Divin », « vise à l' éternité », à « la
découverte de Dieu » : la nature promet la grâce.

« Son but est la conversio, le retournement de l' homme, dont la


conséquence est qu' il se trouve à présent placé devant lui-même. La
conversion est identique à la connaissance de soi, et celle-ci est le
cœur de toute vraie connaissance. » (Cardinal Ratzinger) 206

La conversion ne consiste donc pas à se détourner du péché et des créa­


tures pour se tourner vers Dieu. L' homme ne doit pas faire pénitence,
regretter ses péchés et essayer de les réparer. « La conversion est identique à
la connaissance de soi » : il suffit à l' homme de se connaître lui-même. Il
doit se retourner, non pour s ' orienter vers Dieu mais pour être placé
« devant lui-même », pour parvenir « à la connaissance de soi », à la gnose.

« Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de


l' homme et en affirmant qu' un germe divin est déposé en lui, ce saint
Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l' Église pour

206
Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p . 398.
1 10 Le crucifiement de saint Pierre

l ' instauration d' une fraternité universelle qui réponde à cette voca­
tion. » (Vatican II, Gaudium et spes, 3 .2)

Car le Fils de Dieu s'est uni à chaque homme

« Parce qu' en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée,


par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité
sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s ' est en quelque
sorte uni lui-même à tout homme. » (Vatican II, Gaudium et spes,
22.2)

Les précautions ( « en quelque sorte ») disparaissent rapidement :

« Ensuite, la Révélation n' est pas une théorie ou une idéologie, elle
réside en ce que le Fils de Dieu par son Incarnation s ' est uni à chaque
homme, qu' il est devenu en tant qu' homme « l ' un de nous », en tout
semblable à nous, hormis le péché (He 4, 1 5 ) ». (Cardinal Wojtyla) 207

« LE CHRIST S ' EST UNI A CHAQUE HOMME [ . . . ]


« Il s ' agit donc ici de l ' homme dans toute sa vérité, dans sa pleine
dimension. Il ne s' agit pas de l' homme « abstrait », mais réel, de
l' homme « concret », « historique ». Il s ' agit de chaque homme, parce
que chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus­
Christ s' est uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère. Tout
homme vient au monde en étant conçu dans le sein de sa mère et en
naissant de sa mère, et c ' est précisément à cause du mystère de la Ré­
demption qu ' il est confié à la sollicitude de l' Église. Cette sollicitude
s' étend à l' homme tout entier et est centrée sur lui d' une manière toute
particulière. L' objet de cette profonde attention est l' homme dans sa
réalité humaine unique et impossible à répéter, dans laquelle demeure
intacte l' image [la nature] et la ressemblance [la grâce] avec Dieu lui­
même. C' est ce qu ' indique précisément le Concile lorsque, en parlant
de cette ressemblance, il rappelle que « l ' homme est la seule créature
sur terre que Dieu ait voulue pour elle-même ». L' homme, tel qu' il est
« voulu » par Dieu, « choisi » par Lui de toute éternité, appelé, destiné
à la grâce et à la gloire : voilà ce qu ' est « tout » homme, l' homme
« le plus concret », « le plus réel » ; c' est cela, l' homme dans toute la
plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et
dont devient participant chacun des quatre milliards d' hommes vivant

207 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, Retraite au Vatican, op. cit. , p. 1 35 .


Notre nature est gracieuse 111

sur notre planète, dès l' instant de sa conception près du cœur de sa


mère. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 3)

« Cette voix, l ' Église l ' a entendue, et a compris que le Christ est
avec nous, que l' Epoux est avec nous ! Il est avec l ' Église, et dans
chaque homme, et avec toute la famille humaine. » (Cardinal Wojty­
la) 2o s

« Cette invocation à l' Esprit et par l' Esprit n' est autre qu' une façon
constante de pénétrer dans la pleine dimension du mystère de la Ré­
demption, selon lequel le Christ, uni au Père et avec tout homme, nous
communique continuellement cet Esprit qui met en nous les senti­
ments du Fils et nous tourne vers le Père. » (Jean Paul II, Redemptor
hominis, 1 8)

On comprend alors que Paul VI ait pu parler d ' un « humanisme trans­


cendant » :

« Par son insertion dans le Christ vivifiant, l' homme accède à un


épanouissement nouveau, à un humanisme 209 transcendant, qui lui
donne sa plus grande plénitude : telle est la finalité suprême du déve­
loppement personnel. » (Paul VI, Populorum progressio, 1 6)

Et que le cardinal Ratzinger ait pu écrire que Vatican II « s' écarte dans
une large mesure de la ligne de l ' histoire des conciles » :

« De tous les textes du Ile Concile du Vatican, la constitution pas­


torale « sur l' Église dans le monde de ce temps » (Gaudium et Spes) a
été incontestablement le plus difficile et aussi, à côté de la constitution
sur la liturgie et du décret sur l' œcuménisme, le plus riche en con­
séquences. Par sa forme et la direction de ses déclarations, il s ' écarte
dans une large mesure de la ligne de l ' histoire des conciles et permet,
par le fait même, plus que tous les autres textes, de percevoir la phy­
sionomie spéciale du dernier Concile. C ' est pourquoi il a été considéré
de plus en plus après le Concile comme le véritable testament de ce­
lui-ci : après un processus de fermentation de trois années, il semblait
que sa véritable volonté soit enfin apparue et ait trouvé sa forme.
L' incertitude qui pèse encore sur la question de la vraie signification

208
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 25 .
209 Il semble superflu de rappeler que l' humanisme désigne l' ensemble des thèses et utopies
maçonniques.
1 12 Le crucifiement de saint Pierre

de Vatican II est en rapport avec des diagnostics de ce genre, et donc


aussi en rapport avec ce document. [ . . . ]
« Euphorie, parce qu ' il semblait que rien n' était impossible à ce
concile, étant donné qu' il avait eu la force de déloger des conceptions
enracinées depuis des siècles [ . . . ] .
« Si 1 ' on cherche un diagnostic global du texte, on pourrait dire
qu' il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les re­
ligions du monde) une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de
contre-syllabus. [ . . . ]
« Contentons-nous ici de constater que le texte joue le rôle d'un
contre-syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une
réconciliation officielle de l' Église avec le monde tel qu' il était deve­
nu depuis 1 789. D ' un côté, cette vue seule éclaire le complexe de
ghetto dont nous avons parlé au début ; et d ' un autre côté, elle seule
permet de comprendre le sens de cet étrange vis-à-vis de l' Église et du
monde : par « monde » on entend au fond, l' esprit des temps moder­
nes [ . . . ] .
« Bien entendu, i l faut ajouter que le climat de tout le processus
était marqué de façon décisive par Gaudium et Spes. Le sentiment
qu' il ne devait vraiment plus y avoir de mur entre l' Église et le
monde, que tout « dualisme » : corps-âme, Église-monde, grâce­
nature, et même en fin de compte Dieu-monde était nuisible ce -

sentiment devint de plus en plus une force directrice pour


l' ensemble. » (Cardinal Ratzinger) 2 1 0

Le Père également

« Grâce à l' union de Jésus, et par lui de tous les hommes, avec le
Dieu vivant, le rideau du Temple s ' est déchiré, le ciel s ' est ouvert. »
(Cardinal Ratzinger) 21 1

« Au mystère de la création est lié le mystère de l 'élection, qui a


modelé d' une manière spéciale l' histoire du peuple dont Abraham est
le père spirituel en vertu de sa foi. Toutefois, par l ' intermédiaire de ce
peuple qui chemine tout au long de l' histoire de l' Ancienne comme de
la Nouvelle Alliance, ce mystère d' élection concerne tout homme,
toute la grande famille humaine. [ . . . ]

2 1 ° Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 423 sq.
2 1 1 Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, op. cit. , p.5 1 .
Notre nature est gracieuse 1 13

« La croix plantée sur le calvaire, et sur laquelle le Christ tient son


ultime dialogue avec le Père, émerge du centre même de l 'amour dont
l' homme, créé à l ' image et à la ressemblance de Dieu, a été gratifié se­
lon l' éternel dessein de Dieu. Dieu, tel que le Christ l ' a révélé, n' est
pas seulement en rapport étroit avec le monde en tant que Créateur et
source ultime de 1' existence. Il est aussi Père : il est uni à 1' homme,
qu' il a appelé à l ' existence dans le monde visible, par un lien encore
plus profond que celui de la création. C ' est l' amour qui non seulement
crée le bien, mais qui fait participer à la vie même de Dieu Père, Fils
et Esprit Saint. En effet, celui qui aime désire se donner lui-même.
« La croix du Christ au Calvaire se dresse sur le chemin de
l' admirabile commercium, de cette admirable communication de Dieu
à l 'homme qui contient en même temps l 'appel qui lui est adressé à
participer, en s ' offrant lui-même à Dieu et en offrant avec lui le
monde visible, à la vie divine ; à participer en tant que fils adoptif à la
vérité et à l' amour qui sont en Dieu et proviennent de Dieu. Sur le
chemin de l' élection éternelle de l' homme à la dignité de fils adoptif
de Dieu, surgit précisément dans l' histoire la croix du Christ, Fils uni­
que, qui, « lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », est
venu donner l' ultime témoignage de l 'admirable alliance de Dieu
avec l 'humanité, de Dieu avec l 'homme - avec chaque homme. »
(Jean Paul II, Dives in misericordia, 4 et 7)

Et le Saint-Esprit

« L' Esprit est donc à l' origine même de l ' interrogation existen­
tielle et religieuse de l' homme qui ne naît pas seulement de conditions
contingentes mais aussi de la structure même de son être.
« La présence et l' activité de l' Esprit ne concernent pas seulement
les individus, mais la société et l ' histoire, les peuples, les cultures, les
religions. En effet, l' Esprit se trouve à l' origine des idéaux nobles et
des initiatives bonnes de l' humanité en marche : « Par une providence
admirable, il conduit le cours des temps et rénove la face de la terre ».
Le Christ ressuscité « agit désormais dans le cœur des hommes par la
« puissance de son Esprit ; il n ' y suscite pas seulement le désir du
« siècle à venir, mais, par là même, anime aussi, purifie et fortifie ces
« aspirations généreuses qui poussent la famille humaine à améliorer
« ses conditions de vie et à soumettre à cette fin la terre entière ».
C' est encore l' Esprit qui répand les « semences du Verbe », présentes
dans les rites et les cultures, et les prépare à leur maturation dans le
Christ.
1 14 Le crucifiement de saint Pierre

« Ainsi l ' Esprit, qui « souffle où il veut » (ln 3 , 8) et qui « était


déj à à 1' œuvre avant la glorification du Christ », lui qui « remplit le
« monde et qui, tenant unies toutes choses, a connaissance de chaque
« mot » (Sg 1 , 7), nous invite à élargir notre regard pour contempler
son action présente en tout temps et en tout lieu. Moi-même, j ' ai sou­
vent renouvelé cette invitation et cela m' a guidé dans mes rencontres
avec les peuples les plus divers. Les rapports de l' Église avec les au­
tres religions sont inspirés par un double respect : « Respect pour
« l' homme dans sa quête de réponses aux questions les plus profondes
« de sa vie, et respect pour l' action de l' Esprit dans l' homme ». La
rencontre inter-religieuse d' Assise, si l ' on écarte toute interprétation
équivoque, a été 1' occasion de redire ma conviction que « toute prière
« authentique est suscitée par l' Esprit Saint, qui est mystérieusement
« présent dans le cœur de tout homme ». (Jean Paul II, Redemptoris
missio, 28 et 29)

« Les hommes connaissent ainsi une « adoption filiale » surnatu­


relle, et le Saint-Esprit, Amour et Don, en est l' origine. Comme tel, il
est donné aux hommes. Et de la surabondance du Don incréé, chaque
homme reçoit dans son cœur le don créé particulier par lequel les
hommes « deviennent participants de la nature divine ». Ainsi, la vie
humaine est pénétrée de la vie divine à laquelle elle participe, et elle
acquiert, elle aussi, une dimension divine, surnaturelle. Ainsi naît la
vie nouvelle, par laquelle, en participant au mystère de l' Incarnation,
« les hommes . . . accèdent, dans l' Esprit Saint, auprès du Père ». Il y a
donc une étroite dépendance de causalité entre 1 'Esprit qui donne la
vie, la grâce sanctifiante, et la vitalité surnaturelle multiforme qui en
découle dans l' homme : entre l' Esprit incréé et l' esprit humain créé. »
(Jean Paul II, Dominum et vivificantem, 52) 2 1 2

« La croix du Calvaire, sur laquelle Jésus-Christ Homme, fils de la


Vierge Marie, fils putatif de Joseph de Nazareth « quitte » ce monde,
est en même temps une manifestation nouvelle de la paternité éternelle
de Dieu, lequel, dans le Christ, se fait de nouveau proche de
l ' humanité, de tout homme, en lui donnant « l' esprit de Vérité » trois
fois saint. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 9)

« Cette vie nouvelle, qui implique la glorification corporelle du


Christ crucifié, est devenue signe efficace du don nouveau fait à
l ' humanité : ce don est l' Esprit Saint grâce auquel la vie divine que le

212
Voir également 4 1 . 1 .
Notre nature est gracieuse 1 15

Père a en lui et qu' il donne à son Fils se trouve communiquée à tous


les hommes qui sont unis au Christ. [ . . . ]
« En devenant « fils de Dieu », fils adoptifs, nous devenons en
même temps à sa ressemblance « un royaume de prêtres », nous rece­
vons « le sacerdoce royal », c' est-à-dire que nous participons à cette
unique et irréversible restitution de l' homme et du monde au Père que
Lui, à la fois Fils éternel et homme véritable, a accomplie une fois
pour toutes. L' Eucharistie est le sacrement dans lequel s ' exprime le
plus complètement notre être nouveau ; en lui aussi le Christ lui­
même, continuellement et de façon toujours nouvelle, « rend témoi­
gnage » dans l' Esprit Saint à notre esprit que chacun de nous, en tant
que participant au mystère de la Rédemption, a accès aux fruits de la
réconciliation filiale avec Dieu qu' Il a lui-même réalisée et qu' il réa­
lise toujours parmi nous par le ministère de l' Église. » (Jean Paul II,
Redemptor hominis, 20)

Notre nature étant gracieuse, nul besoin de baptême, de pénitence, de


participation à la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le saint sacri­
fice de la messe. Nul besoin même de foi : dans une large mesure, toutes les
religions se valent et de fait sont inutiles. Nulle différence entre l' état de
grâce et 1' état de péché mortel. Comment ne pas reconnaître ici
l' humanisme maçonnique ? Toute l' ascèse chrétienne s ' évanouit ; toute la
spiritualité catholique est remplacée par une attitude maçonnisante, gnosti­
que qui nous demande de prendre conscience de notre vraie nature, de la
réalité du salut universel, de notre divinité.
CHAPITRE IV

Le péché

« Il n' est pas étonnant que pareilles nouveautés aient déj à produit
des fruits empoisonnés dans toutes les parties, ou presque, de la théo­
logie. On révoque en doute que la raison humaine, sans le secours de
la révélation et de la grâce divine, puisse démontrer l' existence d'un
Dieu personnel par des arguments tirés des choses créées ; on nie que
le monde ait eu un commencement et l ' on soutient que la création est
nécessaire, puisqu' elle procède de la nécessaire libéralité de l' amour
de Dieu ; on refuse aussi à Dieu l' éternelle et infaillible prescience des
libres actions de l' homme. Or tout cela s' oppose aux déclarations du
Concile du Vatican [ I f 1 3 .
« Quelques-uns aussi se demandent si les Anges sont des créatures
personnelles, et si la matière diffère essentiellement de l' esprit214 •
D ' autres corrompent la véritable gratuité de l' ordre surnaturel, puis­
qu ' ils tiennent que Dieu ne peut pas créer des êtres doués
d'intelligence sans les ordonner et les appeler à la vision béatifique.
Ce n' est pas assez ! au mépris de toutes définitions du Concile de
Trente, on a perverti la notion du péché originel, et du même coup, la
notion du péché en général, dans le sens même où il est une offense à
Dieu, et ainsi la notion de la satisfaction offerte pour nous par le
Christ. » (Pie XII, Humani Generis)

Le péché n'est pas condamné ; 1 'enfer existe, mais il est vide

Puisqu' en vérité nous sommes Dieu, puisque notre nature est gracieuse,
le péché ne saurait nous séparer de Dieu. Il doit alors trouver une nouvelle
interprétation dans l' exégèse conciliaire. L' antique enseignement du péché
mortel faisant perdre la grâce et menant en enfer est incompatible avec
l' infinie miséricorde de Dieu et la Passion de son divin Fils, mort pour sau­
ver tous les hommes. L' enfer existe, mais il est vide. L' état de péché mortel
ne saurait s ' opposer à la miséricorde et à la grâce divine. Malgré toutes les
précautions dont Jean Paul II les entoure, ces affirmations ressortent de ses
écrits :

213
Cfr. Conc . Vatic. Const. De Fide cath. , ch. 1 , De Deo rerum omnium creatore.
214
Voir à ce sujet le texte du cardinal Ratzinger donné en page 99.
Le péché 1 17

« Dans le Christ, Dieu a révélé au monde qu ' il désirait que « tous


« les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la
« vérité » 2 1 5 • Cette phrase de la Première épître à Timothée est d' une
importance décisive pour bien comprendre et prêcher les "fins derniè­
res". Si Dieu désire que tous les hommes soient sauvés, si Dieu, pour
cette raison, offre son Fils qui à son tour agit dans l ' Église par
l' opération de l' Esprit Saint, l' homme peut-il être damné, peut-il être
rejeté par Dieu ?
« De tout temps, la question de 1 ' enfer a préoccupé les grands pen­
seurs de l' Église, depuis Origène jusqu ' à Mikhaïl Boulgakov et Hans
Urs von Balthasar2 1 6 • Les premiers conciles ont rejeté la théorie dite
de l'apocatastase finale, selon laquelle le monde après sa destruction
serait renouvelé et toute créature serait sauvée, théorie qui abolissait
implicitement 1' enfer. Cependant la question continue de se poser.
Dieu, qui a tant aimé l' homme, peut-il accepter que celui-ci Le rejette
et pour ce motif soit condamné à des tourments sans fin ? Pourtant, les
paroles du Christ sont sans équivoque. Chez Matthieu, Il parle claire­
ment de ceux qui connaîtront des peines éternelles 21 7 • Qui seront-ils ?
L' Église n ' a jamais voulu prendre position. Il y a là un mystère impé­
nétrable, entre la sainteté de Dieu et la conscience humaine. Le silence
de l' Église est donc la seule attitude convenable. Même si le Christ
dit, à propos de Judas qui vient de le trahir : « Il vaudrait mieux que
cet homme-là ne soit pas né ! »2 1 8 , cette phrase ne doit pas être com­
prise comme la damnation pour l' éternité.
« Il reste cependant une résistance dans la conscience morale de
l' homme qui s' insurge contre l' oubli de cette perspective : Dieu est
Amour, mais n' est-Il pas également suprême Justice ? Peut-Il accepter
que les crimes les plus horribles restent impunis ? Le châtiment irré­
versible n' est-il pas en quelque sorte nécessaire pour établir une es­
pèce d' équilibre moral dans l' histoire si complexe de l' humanité ?
L' enfer n' est-il pas, si l ' on peut dire, une ultime "planche de salut"
pour la conscience morale de l' homme ?
« L' Écriture sainte évoque d' ailleurs la réalité d'un feu purifica­
teur. L' Église d' Orient a retenu cette notion, parce qu' elle se trouve
dans la Bible, de préférence à la doctrine catholique sur le purgatoire.
« C' est dans les œuvres de saint Jean de la Croix, indépendamment
de la bulle de Benoît XII, au XIVe siècle, que j ' ai pour ma part trouvé
215
1 Tm 2, 4.
216
Voir en particulier : Hans Urs von Balthasar, Liturgie cosmique, Paris, Aubier, 1 947, p.
275 sq. Note de l' auteur.
217 Cf.
: Mt 25, 46.
218
M t 26, 24.
1 18 Le crucifiement de saint Pierre

l' argument le plus convaincant en faveur du purgatoire [qui remplace


donc l' enfer] . La "vive flamme d 'amour" dont parle le mystique espa­
gnol est avant tout purificatrice. Les "nuits mystiques " que ce grand
docteur de l ' Église décrit à partir de sa propre expérience, constituent
un équivalent du purgatoire. Dieu ne doit-Il pas faire passer l' homme
par la purification intérieure de toute sa nature sensuelle et spirituelle,
pour le conduire à s' unir à Lui ? Nous ne sommes pas ici devant un
vulgaire tribunal. Nous sommes confrontés à la puissance de l' amour
même.
« Oui, c' est d' abord l ' Amour qui nous juge. Dieu, qui est AmoUr,
juge par amour. Or l ' amour exige la purification afin que l' homme
devienne digne de l' union avec Dieu qui est sa vocation et sa destinée
ultime. » (Jean Paul 11) 2 1 9

« La possibilité de la damnation éternelle est affirmée dans


l' Évangile sans qu' aucune ambiguïté soit permise. Mais dans quelle
mesure cela s' accomplit-il réellement dans l' au-delà ? C' est finale­
ment un grand mystère. Il n' autorise cependant pas à oublier que Dieu
« veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connais-
0
sance » 22 .
« Le bonheur dont nous sommes comblés par la connaissance de la
Vérité, par la vision de Dieu face à face, la communion à sa Vie, ce
bonheur répond si profondément à l' aspiration inscrite dans l' être
même de l' homme que le sens du passage de la Première Épître à Ti­
mothée que je viens de citer ne peut laisser subsister aucun doute : Ce­
lui qui a créé l' homme en le dotant de cette propension fondamentale
au bonheur ne peut pas agir différemment, Il ne peut pas ne pas
« vouloir que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la
. . -
connazssance de 1a vente 22 1 . » (J ean p au1 11) 222
'

« Dieu sera-t-il tout en tous si, au jugement dernier que le Père a


remis au Fils, tomberont non seulement la sentence du salut, de
l' union avec Dieu, mais également la sentence de la condamnation ?
Dieu sera-t-il tout en tous si dans l ' Accomplissement final, alors que
le Fils se sera soumis au Père et aura tout soumis au Père dans l' Esprit
Saint, survient ce partage ? cette contradiction ?

219
Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance, Paris, Plon-Marne, 1 994, p. 272 sq.
220
1 Tm 2, 4.
22 1 Cf. : Ez 1 8, 23.
222 Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance, op. cit. , p. 1 23.
Le péché 1 19

« On sait que des gens comme Origène ont tenté de sortir des fron­
tières de ce témoignage qui provient de « Jésus-Christ, le fidèle té­
moin, le premier-né d' entre les morts » (Ap 1 , 5 ) . Ils ont peut-être
marché, guidés par la lumière de cette vérité que « Dieu est amour »
(Jn 4, 8 . 1 6), et ont cherché en quelque sorte dans les cycles ultérieurs
du salut, dans ceux dont ne parlent ni la Révélation ni l' Écriture, la
suppression du départage entre les élus et les damnés. [ . . . ]
« Il sera tout en tous ; et pour ceux qui se trouveront à droite et
pour ceux qui se trouveront à gauche, dans le dernier fruit de l ' union
aussi bien que dans le dernier fruit de la damnation. L' amour qui fait
tout dans le Christ : L 'Amour de Dieu jusqu 'au mépris de soi-même,
ne prive pas la créature de la liberté, ni du choix ni du droit de dispo­
ser de soi-même. Le discours eschatologique du Christ révèle que dans
l' Accomplissement final de l' histoire de l' homme et du monde, ne
disparaîtra pas non plus l' amour de soi poussé jusqu ' au mépris de
Dieu, et que lui également récoltera les fruits de sa damnation défini­
tive.
« 4. « La gloire de Dieu, c'est l 'homme vivant ! »
« Et pourtant le Fils restituera tout au Père dans l' Esprit Saint.
« En ceci, l' Accomplissement se manifeste comme une œuvre par­
faite de louange (cf. Lumen Gentium, 34). La gloire de Dieu est la
première loi de la Réalité et son application constituera
l' Accomplissement de toutes choses. La gloire est le rayonnement du
bien, le reflet de toute perfection. Elle est en quelque sorte le climat
intérieur, l' atmosphère de la Divinité et de la Déité. Dieu vit dans la
gloire. Il reporte cette gloire sur tout ce qu' il fait. Toutes ses œuvres
sont pleines de sa gloire : la création, la rédemption, la sanctification
et 1' accomplissement. Dieu reporte cette gloire tout spécialement sur
l' homme : « La gloire de Dieu est l' homme vivant223 ! » Et Dieu le
conduit vers la gloire. » (Cardinal Wojtyla) 224

« Quand Dieu dit : « J' introduirai l' hostilité » (Gn 3 , 1 5 ), ces mots
n' infirment pas l' immense Amour dont sont imprégnés les premiers
chapitres de la Genèse. Ils expliquent seulement que cet Amour - lui­
même et lui seul - se trouve hors de ce dramatique conflit du bien et
du mal, qu ' il le domine, et qu' il constitue - ce qui est le plus impor­
tant - le dernier rempart du bien. Ce Dieu, qui est entièrement du côté
du bien, et contre le mal, ne cesse d' être le Dieu de l ' Alliance. Tout au
contraire ! C ' est un Dieu plus sublime que cette opposition, que cette

223 Saint Irénée, Contre les hérésies IV, 20, 5-7 .


224 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 227 sq.
1 20 Le crucifiement de saint Pierre

fêlure que la créature la plus achevée a introduite dans le monde. C'est


un Dieu touj ours plus sublime, non seulement en tant que le Dieu de
Maj esté infinie, mais également en tant que le Dieu de l' Alliance. Il
est Dieu, Celui qui « ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2, 1 3) . »
(Cardinal Woj tyla) 225

« Le Christ, en effet, a annoncé la venue du Saint-Esprit qui


« confondra le monde en matière de péché » 226 . L' Église peut-elle dire
autre chose ? Cependant, montrer la réalité du péché n' équivaut pas à
condamner. « Le Fils de l 'homme n 'est pas venu dans le monde pour
.
;uger le mon de, mms . sauve' par Lu1.. »227 Mon-
. pour que 1e mon de sOit
trer la réalité du péché revient au contraire à créer les conditions du sa­
lut. » (Jean Paul 11) 22 8

« La mise en lumière du péché et de la justice a pour but le salut du


monde, le salut des hommes. C' est bien cette vérité qui semble souli­
gnée par l' affirmation que « le jugement » concerne seulement le
« Prince de ce monde », à savoir S atan, celui qui, depuis le commen­
cement, exploite l' œuvre de la création contre le salut, contre
l' alliance et l ' union de l' homme avec Dieu : il est « déjà jugé » depuis
le commencement. Si l ' Esprit-Paraclet doit confondre le monde en fait
de jugement, c' est pour continuer en lui l' œuvre salvatrice du Christ.
[. . ]
.

« Et cette économie salvifique de Dieu soustrait l' homme, en un


sens, au « jugement », c 'est-à-dire à la damnation, qui a frappé le pé­
ché de Satan, le « Prince de ce monde », celui qui, à cause de son pé­
ché, est devenu « régisseur de ce monde de ténèbres ». Et voici qu' en
vertu de cette référence au « jugement », s' ouvrent de vastes horizons
pour la compréhension du « péché », et aussi de la « justice ». Mon­
trant le péché, sur l' arrière-plan de la Croix du Christ, dans l' économie
du salut (on pourrait dire « le péché sauvé » ), l' Esprit Saint fait com­
prendre que sa mission est de mettre en évidence même le péché qui a
déj à été jugé définitivement ( « le péché condamné » ) . [ . . . ]
« C' est ce qu ' indique déj à le texte dans lequel le Concile explique
ce qu 'il entend par « monde » : « Le monde qu' il (le Concile lui­
« même) a ainsi en vue est celui des hommes, la famille humaine tout
« entière avec l' univers au sein duquel elle vit. C' est le théâtre où se

225 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 69.


226 Jn 1 6, 8 .
227 Jn 3 , 1 7 .
22 8 Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance, op. cit. , p. 1 00.
Le péché 121

« joue l' histoire du genre humain, le monde marqué par l' effort de
« l' homme, ses défaites et ses victoires. Pour la foi des chrétiens, ce
« monde a été fondé et demeure conservé par 1' amour du Créateur ; il
« est tombé, certes, sous l 'esclavage du péché, mais le Christ, par la
« Croix et la Résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et l ' a libéré
« pour qu ' il soit transformé selon le dessein de Dieu et qu' il parvienne
« ainsi à son accomplissement » 229 • Il faut, en référence à ce texte très
synthétique, lire les autres passages de la Constitution qui cherchent à
montrer, avec tout le réalisme de la foi, la situation du péché dans le
monde contemporain et aussi à expliquer son essence, en partant de
divers points de vue 230 . [ . . ] .

« Ainsi, dans cette « mise en lumière du péché », nous découvrons


un double don : le don de la vérité de la conscience et le don de la cer­
titude de la rédemption. L' Esprit de vérité et le Paraclet. [ . ] . .

« Ainsi, pour l' Esprit Saint, « mettre en lumière le péché » revient


à manifester, devant la création « assujettie à la vanité » et surtout au
plus profond des consciences humaines, que le péché est vaincu par le
sacrifice de l 'Agneau de Dieu, lequel est devenu « jusqu ' à la mort » le
serviteur obéissant qui, remédiant à la désobéissance de l' homme,
opère la rédemption du monde. C' est de cette façon que l' Esprit de vé­
rité, le Paraclet, « met en lumière le péché ». [ . . ] .

« Ainsi cette Lettre231 montre que l 'humanité, soumise au péché


dans les descendants du premier Adam, est devenue en Jésus Christ
paifaitement soumise à Dieu et unie à lui, tout en étant remplie de mi­
séricorde à l ' égard des hommes. Apparaît alors une nouvelle humanité
qui, en Jésus Christ, par la souffrance de la Croix, est revenue à
l' amour trahi par le péché d' Adam. Cette nouvelle humanité s' est re­
trouvée dans la même source divine du don originel : dans l' Esprit, qui
« sonde les profondeurs de Dieu » et qui est lui-même Amour et
Don. » (Jean Paul II, Dominum et vivificantem) 2 3 2

Le péché n'est plus une inj ure faite à Dieu mais une rupture de
l'unité, une aliénation

Le péché ne saurait être la perte de l' amitié divine, ce qui s' opposerait à
la miséricorde de Dieu. Le péché ne saurait se situer que du côté de

229
Gaudium et spes, 2.
23°
Cf. ibid. , nn. 10, 13, 27, 37, 63, 7 3 , 79, 80.
23 1
Aux Hébreux.
232
27 , 28, 29, 3 1 , 39, 40. Voir également Benoît XVI, Spe salvi, 44 sq.
1 22 Le crucifiement de saint Pierre

l ' homme, de l' Église et de la société. Il aliène l' homme de son essence di­
vine, de l ' unité de toutes choses et introduit la division. La délivrance du
péché se fait par retour à l' unité, thème gnostique par excellence.

« L' essence du péché originel consiste dans le morcellement en in­


dividualités qui ne connaissent qu ' elles-mêmes ; et l' essence de la ré­
demption consiste dans le retour à l' unité de l' image éclatée de Dieu,
dans la réunification de 1 ' humanité par le seul et dans le seul qui
tienne la place de tous et dans lequel, selon le mot de saint Paul (Ga 3,
28), tous doivent ne plus faire qu ' un : Jésus-Christ. » (Cardinal Rat­
zinger) 233

Saint Paul écrit plus précisément :

« Ainsi la Loi a été notre pédagogue pour nous conduire au Christ,


afin que nous fussions justifiés par la foi.
« Mais la foi étant venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue.
« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus.
« Vous tous, en effet, qui avez été baptisés dans le Christ, vous
avez revêtu le Christ.
« Il n'y a plus ni Juif ni Grec ; il n'y a plus ni esclave ni homme li­
bre ; il n ' y a plus ni homme ni femme : car vous n' êtes tous qu' une
personne dans le Christ Jésus. »

« La Bible connaît certes la différence entre le premier et le second


Adam, et cela veut dire qu ' elle considère l' homme dans son existence
historique comme l' homme aliéné de lui-même précisément par sa
propre histoire. La doctrine du péché originel ne dit au fond pas autre
chose : l' histoire de l' homme est l' histoire de son aliénation, en oppo­
sition à son essence, en sorte qu ' il ne peut arriver à être lui-même que
par la foi qui l' introduit dans la différence des « paroïkoï »234 de
l' histoire en son déroulement ; et ne peut atteindre cet essentiel de son
moi que dans la tension entre 1' existence politique et 1' existence que
ces phases définissent. » (Cardinal Ratzinger) 235

La négation de 1' aspect corporel, concret de 1' enfer que 1' on relève dans
le texte qui suit est caractéristique de la pensée gnostique.

233 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 5 1 .


234 Paroisses, société de ceux qui habitent << auprès >>, dans l' histoire concrète, mais qui pour­
tant vivent avec la réalité telle qu' elle a été jusqu ' à présent et se nourrissent d' elle. Cf p. 1 72.
235 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 1 77 .
Le péché 1 23

« Seul le repliement délibéré sur soi-même est désormais enfer ou,


comme le dit la Bible : seconde mort (cf. Ap 20, 1 4) . [ . . . ]
« Ce texte dirige notre regard plutôt vers la profondeur de
l' existence humaine, qui plonge dans l' abîme de la mort, dans la zone
de la solitude intouchable et de 1' amour refusé, et qui de ce fait inclut
la dimension de l' enfer, la porte en elle comme sa possibilité. L ' enfer,
le fait d' exister dans le refus définitif de 1 ' « être-pour », n' est pas une
détermination cosmographique, mais une dimension de la nature hu­
maine, l' abîme où elle plonge. Nous savons aujourd' hui plus que j a­
mais que l' existence d ' un chacun touche à cet abîme ; et comme en
définitive l' humanité est un homme, cet abîme ne concerne pas seule­
ment l' individu, mais le corps unique de la race humaine en son entier,
qui doit donc supporter solidairement la profondeur de cet abîme.
Nous pouvons à partir de là comprendre une fois de plus que le Christ,
le « nouvel Adam », ait entrepris de porter avec nous cette profondeur
et qu' il n ' ait pas voulu demeurer séparé d' elle, dans une sublimité in­
violée ; il est vrai qu ' à l' inverse c ' est maintenant seulement que le re­
fus total est devenu possible dans sa pleine profondeur. [ . . . ]
« L' abîme que nous appelons enfer, seul l' homme peut se le don­
ner à lui-même. Il faut même dire encore plus nettement : il consiste
formellement en ce que l' homme refuse absolument de recevoir et
veut être totalement autonome ; il est 1' expression du repli total sur
soi-même. Il consiste essentiellement en ce que l ' homme refuse de re­
cevoir, d' accueillir, et veut au contraire ne s ' appuyer que sur lui­
même, se suffire à lui-même. Si cette attitude est poussée à l ' extrême,
alors l' homme est devenu l ' intouchable, l' isolé, le rejeté. L' enfer,
c ' est vouloir être uniquement soi-même ; c' est ce qui advient lorsque
l' homme s ' enferme en lui-même. » (Cardinal Ratzinger) 236

« En cette dernière période postconciliaire, la théologie aussi bien


que la pastorale ont mis 1' accent sur 1' aspect ecclésial du sacrement de
pénitence. Le péché cause du tort à la société, à l ' Église et à la com­
munauté humaine. » (Cardinal Woj tyla) 237

Le cardinal ne mentionne ni l ' offense faite à Dieu, ni son droit à être


obéi. La réparation due à la justice divine et donc la satisfaction vicaire dis­
paraissent avec le péché pour laisser place à un nouveau pélagianisme.
Comment s ' en étonner si le Créateur n' est plus distingué de la créature ?

236 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 2 1 3 et 22 1 sq.
237 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p . 1 82 sq.
1 24 Le crucifiement de saint Pierre

Enfin l' homme devra prendre conscience de sa dignité divine et dépasser


« le morcellement en individualités » pour effectuer « le retour à l' unité » et
« la réunification de l' humanité ». Toute dimension morale du péché est
omise, toute référence à la loi divine passée sous silence. Le péché ainsi
défini comme perte de l ' unité doit être dépassé par la conscience, la
connaissance de l' unité divine du monde, par la gnose.

La dignité de 1 'homme

« Quia respexit humilitatem ancillae suae »


« Parce qu' il a regardé l' humilité de sa servante. » (Le 1 , 48)

« Il vient après moi, celui qui est plus puissant que moi, dont je ne
suis pas digne de délier, en me baissant, la courroie de ses sandales. »
(Mc 1 , 7)

« Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum
die verbo et sanabitur anima mea. »
« Seigneur, j e ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit,
mais dites seulement une parole et mon âme sera guérie. » (Commu­
nion)

« Permettez Seigneur, que moi qui ne suis que cendre et poussière,


je demeure un instant en votre présence. » (Gn 1 8, 27)

À l' image de son divin maître, l' Église n ' a j amais insisté sur la dignité
de l' homme. Non qu ' elle méconnaisse la dignité des enfants de Dieu : nous
portons des trésors dans des vases d' argile. « Car Dieu, qui a dit : Que la
lumière brille du sein des ténèbres, c ' est lui qui a fait luire sa clarté dans nos
cœurs, pour que nous fassions briller la connaissance de la gloire de Dieu,
laquelle resplendit sur la face du Christ. » 23 8 Pourtant, de peur que nous ne
nous enorgueillissons, ce trésor est immédiatement rapporté à Dieu : « Mais
nous portons ce trésor dans des vases de terre, afin qu' il paraisse que cette
souveraine puissance de l' Évangile vient de Dieu et non pas de nous. »239
Saint Thomas lui-même, qui ne confond certes pas la nature et la grâce,
s' appuie sur saint Jérôme pour montrer la dignité de nos âmes, qu' elles
soient en état de grâce ou non : « Saint Jérôme, dans son commentaire sur S .

2 3 8 II Cor 4, 6.
2 39 II Cor 4, 7 . Voir également ST, III, q. l . a. 2 ; 11-II, q . 84, a. 1 ; 11-11, q . 1 42, a. 4 ; III, q .
46, a. 3.
Le péché 1 25

Matthieu (Mt 1 8 , 1 0) : "Leurs anges dans les cieux, etc." nous dit : "Elle est
grande la dignité des âmes, puisque chacune reçoit à sa naissance un ange
désigné pour sa garde." »240 Mais elle ne trouve son plein épanouissement
que dans la grâce à laquelle nous sommes appelés et non dans notre nature.
Le péché nous éloigne de notre dignité et nous fait ressembler aux ani­
maux : « l ' homme, oubliant sa dignité, se compare aux bêtes stupides, et
devient semblable à elles » (Ps 49, 1 3) 24 1 • « [L' intempérance] a pour matière
les plaisirs qui nous sont communs avec les bêtes, nous 1' avons dit. Selon le
Psaume (Ps 49, 2 1 ), "l ' homme dans son luxe est sans intelligence, il res­
semble au bétail qu ' on abat". » 242

« Le péché fait perdre à l ' homme une double dignité : celle qu' il a
par rapport à Dieu, et celle qu ' il a par rapport à l' Église. Par rapport à
Dieu, il perd une double dignité. Tout d' abord sa dignité principale
« qui le mettait au nombre des fils de Dieu » (Sg 5, 5) par la grâce. Et
il récupère cette dignité par la pénitence, comme l' indique la parabole
du fils prodigue où le père fait rendre au pénitent "sa première robe,
son anneau et ses chaussures" ». (Saint Thomas) 243

À l' exemple du Sauveur, l' Église a donc exalté l' humilité du pécheur
qui, sans la grâce de Dieu, retomberait dans 1' orgueil.

« Or le Christ, dans sa passion, s' est abaissé au-dessous de sa di­


gnité, de quatre manières : 1 . Quant à sa passion et à sa mort, qui ne
lui étaient pas dues. 2. Quant au lieu, car son corps a été déposé dans
le sépulcre, et son âme est descendue aux enfers. 3 . Quant à la confu­
sion et aux opprobres qu' il a subis. 4. Quant au fait qu' il a été livré à
un pouvoir humain ». (Saint Thomas) 244

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jé­
sus :
« bien qu' il fût dans la condition de Dieu, il n ' a pas retenu avide­
ment son égalité avec Dieu ;
« mais il s' est anéanti lui-même, en prenant la condition d' esclave,
en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout
ce qui a paru de lui ;

240 ST, 1, q. 1 1 3 , a. 2.
241 Cité en ST, II-11, q. 1 6 1 , a. 1 .
242 ST, 11-II, q . 1 42, a. 4.
243 ST, III, q . 89, a. 3 .
244 ST, III, q. 4 9 , a. 6 .
1 26 Le crucifiement de saint Pierre

« il s ' est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu ' à la mort, et


à la mort de la croix. » (Ph 2, 5-8)

Lui qui nous a enseigné qu' il est « doux et humble de cœur »245 a voulu
laver lui-même les pieds de ses apôtres, en en faisant une condition pour
« avoir part avec lui ». Saint Augustin nous donne à contempler l' humilité
du Sauveur :

« Est-il étonnant que celui qui, ayant la forme de Dieu, s ' est anéan­
ti lui-même, se soit levé de table et dépouillé de ses vêtements ? Y a-t­
il rien d' étonnant à ce qu' il se soit ceint d'un linge, celui qui, prenant
la forme d' esclave, a été trouvé semblable à un homme246 ? Est-il
étonnant qu ' il ait mis de l' eau dans un bassin, pour laver les pieds de
ses disciples, lui qui a répandu son sang sur la terre, pour effacer la
souillure des péchés ? Qu' y a-t-il d' étonnant à ce qu' avec le linge dont
il était ceint, il ait essuyé les pieds qu ' il venait de laver, lui qui, dans la
chair dont il était revêtu, a confirmé tous les dires des évangélistes ? Il
est vrai que, pour se ceindre d'un linge, il quitta les vêtements qu' il
avait, tandis que pour prendre la forme d' esclave au moment où il
s' anéantit lui-même, il ne quitta pas ce qu' il avait, mais il prit ce qu' il
n' avait pas. Pour être crucifié, il fut dépouillé de ses vêtements, et
quand il fut mort on 1' enveloppa dans un linceul. Et toute sa passion a
servi à nous purifier. Avant donc de souffrir les derniers tourments, il
a voulu s' abaisser, non-seulement devant ceux pour qui il allait subir
la mort, mais encore devant celui qui devait le livrer à la mort.
L' humilité est d' une importance si grande pour l' homme, que Dieu
dans sa grandeur a voulu lui en laisser un exemple complet ; car
l' homme aurait péri à j amais victime de son orgueil, si Dieu ne l' avait
sauvé par son humilité. Le Fils de l' Homme est venu chercher et sau­
ver ce qui était perdu 247 . Or, l' homme s' était perdu en imitant l' orgueil
de son séducteur ; puisqu' il est retrouvé, qu' il imite l' humilité de son
Rédempteur. » (Saint Augustin) 24 8

L' enseignement conciliaire sur la dignité humaine est donc une nouveau­
té dans l' Église. Il s' oppose à l' enseignement antérieur qui insistait sur le
péché, la pénitence et la satisfaction et ne mentionnait la dignité de l' homme
que bien rarement, secondairement : l' homme était d' abord pécheur puis,

245
Mt 1 1 , 29.
246
Ph 2, 6-7 .
247
Le 1 9, 1 0 .
248
Traités sur saint Jean, 5 5 , 7 .
Le péché 1 27

sous un autre aspect seulement, détenteur d' une dignité qui ne trouvait son
accomplissement que dans la grâce et la vie éternelle, et qu' il était à tout
moment en danger de trahir en s 'éloignant de son Sauveur. Quels sont les
présupposés « dogmatiques » qui ont permis à des idées en opposition com­
plète avec la doctrine de l ' Église et la spiritualité catholique de s ' imposer ?
Il importe de mettre en évidence l' origine de cet inconcevable renverse­
ment, de saisir qu' il est une conséquence immédiate du panthéisme maçon­
nique, de la confusion entre la nature et la grâce.
Malgré son orgueil, la créature qui se sait pécheresse et qui sait que sans
son Sauveur elle « ne peut rien faire » est inclinée à l' humilité dont elle voit
l' exemple dans le Christ aux outrages. Le « dieu qui s' ignore » du pan­
théisme, qui veut réaliser sa nature divine et se rendre semblable à Dieu, qui
affirme la divinité de sa nature et nie le surnaturel, ne peut qu' exalter sa di­
gnité - derrière laquelle se cache probablement l ' orgueil du tentateur. La
spiritualité catholique porte naturellement à l ' humilité ; la négation pan­
théiste du surnaturel incline à l' exaltation de la dignité de l' homme.

« La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l' objet


d' une conscience toujours plus vive ; » (Vatican II, Dignitatis huma­
nae, 1 ) 249

« L' aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans


cette vocation de l' homme à communier avec Dieu. Cette invitation
que Dieu adresse à l' homme de dialoguer avec Lui commence avec
l' existence humaine. Car, si l' homme existe, c ' est que Dieu l ' a créé
par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l' être ; et l' homme ne
vit pleinement selon la vérité que s ' il reconnaît librement cet amour et
s ' abandonne à son Créateur. Mais beaucoup de nos contemporains ne
perçoivent pas du tout ou même rejettent explicitement le rapport in­
time et vital qui unit l' homme à Dieu ». (Vatican II, Gaudium et spes,
19. 1 )

Il importe de bien fixer la différence entre les propos de saint Jérôme,


repris par saint Thomas, et ce texte de Jean Paul II. Tous affirment que la
dignité de l' homme se trouve en Dieu, sa fin. Outre l' accent qui se déplace
de l' humilité vers la dignité, Jean Paul II ne fait aucune référence au bap­
tême, à la grâce et à la pénitence, ni au péché qui pourrait nous faire trahir
cette dignité. Au contraire, « cette invitation que Dieu adresse à l ' homme de
dialoguer avec Lui commence avec l' existence humaine » purement natu­
relle. « Dieu l ' a créé par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l ' être »

249 Voir également Gaudium et spes, 76.2.


1 28 Le crucifiement de saint Pierre

comme Il l ' a fait pour tous les êtres transitoires, minéraux, plantes et ani­
maux. Et cette seule création naturelle, que l' homme partage avec toute la
création, est déj à l' « invitation que Dieu adresse à l ' homme de dialoguer
avec Lui ». La nature, la création exige la grâce.

« [L]e Christ Rédempteur révèle pleinement l' homme à lui-même.


Telle est, si 1 ' on peut s' exprimer ainsi, la dimension humaine du mys­
tère de la Rédemption. Dans cette dimension, l' homme retrouve la
grandeur, la dignité et la valeur propre de son humanité. [ . . . ] Il doit,
pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit
« s' approprier » et assimiler toute la réalité de l' Incarnation et de la
Rédemption pour se retrouver soi-même. S ' il laisse ce processus se
réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement
d' adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour
soi-même. Quelle valeur doit avoir l' homme aux yeux du Créateur s ' il
« a mérité d' avoir un tel et un si grand Rédempteur » 250 , si « Dieu a
donné son Fils » afin que lui, l' homme, « ne se perde pas, mais qu' il
ait la vie éternelle » 25 1 !
« En réalité, cette profonde admiration devant la valeur et la digni­
té de l' homme s' exprime dans le mot Évangile, qui veut dire Bonne
Nouvelle. Elle est liée aussi au christianisme. Cette admiration justifie
la mission de l' Église dans le monde, et même, peut-être plus encore,
« dans le monde contemporain ». Cette admiration, qui est en même
temps persuasion et certitude - et celle-ci, dans ses racines fondamen­
tales, est certitude de la foi, sans cesser de vivifier d' une manière ca­
chée et mystérieuse tous les aspects de l' humanisme authentique - est
étroitement liée au Christ. C ' est elle qui détermine aussi la place du
Christ et pour ainsi dire son droit de cité dans l ' histoire de l' homme et
de l' humanité. L' Église, qui ne cesse de contempler l' ensemble du
mystère du Christ, sait, avec toute la certitude de la foi, que la Ré­
demption réalisée au moyen de la croix a définitivement redonné à
l ' homme sa dignité et le sens de son existence dans le monde, alors
qu' il avait en grande partie perdu ce sens à cause du péché. [ . . . ]
« Dans le Christ et par le Christ, Dieu s' est révélé pleinement à
l ' humanité et s' est définitivement rendu proche d' elle ; en même
temps, dans le Christ et par le Christ, l' homme a acquis une pleine
conscience de sa dignité, de son élévation, de la valeur transcendante
de l' humanité elle-même, du sens de son existence. [ . . . ]

25 0 Exultet de la nuit pascale.


25 1 Cf. Jn 3, 1 6 .
Le péché 1 29

« Cependant, nous pouvons et nous devons d' ores et déj à parvenir


à notre unité et la manifester : en annonçant le mystère du Christ, en
montrant la dimension à la fois divine et humaine de la Rédemption,
en luttant avec une persévérance inlassable pour cette dignité que cha­
que homme a atteinte et peut atteindre continuellement dans le Christ
et qui est la dignité de la grâce de l ' adoption divine et en même temps
la dignité de la vérité intérieure de l ' humanité ; » (Jean Paul II, Re­
demptor hominis, 10 et 1 1 )

L' homme « retrouve la grandeur, la dignité et la valeur propre de son


humanité ». La dignité de l ' homme ne provient donc pas de sa capacité à
être surnaturellement élevé à la grâce mais de « la valeur propre de son hu­
manité ». Il doit se « retrouver soi-même » alors que la très sainte Trinité
habite dans son âme si elle est en état de grâce. Il est saisi d ' un « profond
émerveillement pour soi-même » et non devant Dieu qui condescend à venir
habiter en lui. Il s' émerveille de la « valeur [que] doit avoir l' homme aux
yeux du Créateur » et non de la miséricorde divine. L' Exultet ne chante
pourtant pas que l ' homme « a mérité d' avoir un tel et un si grand Rédemp­
teur » mais « Ô heureuse faute, qui nous a valu un tel et si grand Rédemp­
teur », mettant en parfaite lumière la miséricorde infinie de Dieu : la faute
d' Adam sert à notre plus grand bien.

« En effet, si la réalité de la rédemption, dans sa dimension hu­


maine, dévoile la grandeur inouïe de l' homme, qui talem ac tantum
meruit habere Redemptorem252 , en même temps, la dimension divine
de la rédemption nous dévoile de manière, dirais-je, plus concrète et
« historique », la profondeur de l' amour qui ne recule pas devant
l' extraordinaire sacrifice du Fils pour satisfaire la fidélité du Créateur
et Père à l' égard des hommes créés à son image et choisis dès le
« commencement » en ce Fils, en vue de la grâce et de la gloire. »
(Jean Paul II, Dives in misericordia, 7)

« Un dernier point à retenir : par le mystère de l ' Incarnation de


Dieu le Fils, la grande, l' extraordinaire dignité de la nature humaine
est mise en évidence. Par le mystère de la Rédemption, le Christ a
montré quel est le prix de chaque homme (cf. 1 Co 6, 20) et comment
il faut lutter et quels efforts il faut déployer pour préserver cette digni­
té qui lui est propre. » (Cardinal Wojtyla) 253

252 Cf. liturgie de la veillée pascale, Exultet : « qui a mérité d' avoir un si grand Rédemp­
teur >>. Note de Jean Paul II.
253 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 35 .
1 30 Le crucifiement de saint Pierre

« [ 1 ]1 n' est pas rare qu ' ils signent de leur martyre l' exaltation su­
prême de la dignité humaine. » (Jean Paul II, Dominum et vivifican­
tem, 60)

« Cette invocation à l' Esprit et par l' Esprit n' est autre qu' une façon
constante de pénétrer dans la pleine dimension du mystère de la Ré­
demption, selon lequel le Christ, uni au Père et avec tout homme, nous
communique continuellement cet Esprit qui met en nous les senti­
ments du Fils et nous tourne vers le Père. C ' est pour cette raison que
l' Église de notre époque particulièrement affamée d'Esprit parce
qu' affamée de justice, de paix, d' amour, de bonté, de force, de respon­
sabilité, de dignité humaine doit se concentrer et se réunir autour de ce
Mystère, en retrouvant en lui la lumière et la force indispensable à sa
propre mission. Si en effet, comme il a été dit précédemment,
l'homme est la route de la vie quotidienne de l' Église, il est nécessaire
que l' Église elle-même soit toujours consciente de la dignité de
l' adoption divine que l' homme obtient dans le Christ par la grâce de
l' Esprit Saint, et consciente de sa destination à la grâce et à la gloire. »
(Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 8)

« Mise en relief particulière de la dignité humaine [ . . . ]


« [L]e père est conscient qu ' un bien fondamental a été sauvé,
l' humanité de son fils. Bien que celui-ci ait dilapidé son héritage, son
humanité est cependant sauve. Plus encore, elle a été comme retrou­
vée. [ . . . ] La fidélité du père à soi-même est totalement centrée sur
l' humanité du fils perdu, sur sa dignité. Ainsi s' explique surtout sa
joyeuse émotion au moment du retour à la maison.
« Allant plus loin, on peut donc dire que l' amour envers le fils, cet
amour qui j aillit de 1' essence même de la paternité, contraint pour ain­
si dire le père à avoir souci de la dignité de son fils. [ . . . ]
« [L]a relation de miséricorde se fonde sur l ' expérience commune
de ce bien qu ' est l' homme, sur l' expérience commune de la dignité
qui lui est propre. » (Jean Paul II, Dives in misericordia, 6)

« Dans l ' analyse de la parabole de l' enfant prodigue, nous avons


déj à attiré l ' attention sur le fait que celui qui pardonne et celui qui est
pardonné se rencontrent sur un point essentiel, qui est la dignité ou la
valeur essentielle de l' homme, qui ne peut être perdue et dont
1' affirmation ou la redécouverte sont la source de la plus grande joie. »
(Jean Paul II, Dives in misericordia, 14)
Le péché 131

« Toutefois, dans sa manière de se rapporter au péché, ou plutôt à


l' homme pécheur, à la femme adultère, au fils prodigue, se reflète ce
sentiment particulier de la dignité, on pourrait dire de la royauté de
l' homme, qui accepte intérieurement la vérité sur sa condition de pé­
cheur et se repent du péché.
« C' est cet aspect royal de l' homme qui demeure dans la pratique
du sacrement de pénitence. L' homme qui s ' agenouille dans le confes­
sionnal pour avouer ses fautes apparaît dans un moment privilégié de
son humanité et de sa dignité. Indépendamment de la gravité des fau­
tes qui pèsent sur sa conscience, qui ont humilié sa dignité, l' acte de
les avouer en esprit de vérité le fait de se convertir à Dieu, manifeste
la dignité spécifique de l' homme, la grandeur de son esprit. » (Cardi­
nal Wojtyla) 254

Humanisme

On en arrive tout naturellement au culte de l' homme, à l' humanisme


plénier, au naturalisme qui mettent l' homme avant Dieu.

« Nous sommes donc les témoins de la naissance d ' un nouvel hu­


manisme ; l' homme s ' y définit avant tout par la responsabilité qu ' il
assume [non devant Dieu mais] envers ses frères et devant
l' histoire. [ . . . ]
« La réciprocité des services que sont appelés à se rendre le peuple
de Dieu et le genre humain, dans lequel ce peuple est inséré, apparaî­
tra alors avec plus de netteté : ainsi se manifestera le caractère reli­
gieux et, par le fait même, souverainement humain de la mission de
l' Église. » (Vatican II, Gaudium et spes, 55 et 1 1 )

« L' humanisme laïque [maçonnique] et profane enfin est apparu


dans sa terrible stature et a, en un certain sens, défié le Concile.
« La religion du Dieu qui s ' est fait homme s ' est rencontrée avec la
religion [maçonnique] (car c ' en est une) de l' homme qui se fait Dieu.
« Qu' est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela pouvait
arriver ; mais cela n ' a pas eu lieu. La vieille histoire du bon Samari­
tain a été le modèle et la règle de la spiritualité du Concile. Une sym­
pathie sans bornes pour les hommes l ' a envahi tout entier. La décou­
verte et l' étude des besoins humains (et ils sont d' autant plus grands

254 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p . 1 8 1 et 1 82.


1 32 Le crucifiement de saint Pierre

que le fils de la terre se fait plus grand), a absorbé l' attention de notre
Synode.
« Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes moder­
nes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez
reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que qui­
conque, nous avons le culte de l ' homme. [ . . . ]
« Mais, vénérables Frères et vous tous, Nos chers fils ici présents,
si nous nous rappelons qu ' à travers le visage de tout homme - spécia­
lement lorsque les larmes et les souffrances l ' ont rendu plus transpa­
rent - Nous pouvons et devons reconnaître le visage du Christ (cf.
Matt., 25 , 40), le Fils de l ' homme, et si sur le visage du Christ nous
pouvons et devons reconnaître le visage du Père céleste : « Qui me
voit, dit Jésus, voit aussi le Père » (Jean, 14, 9), notre humanisme de­
vient christianisme, et notre christianisme se fait théocentrique, si bien
que nous pouvons également affirmer : pour connaître Dieu, il faut
connaître l' homme. » (Paul VI, Discours de clôture du concile Vati­
can Il)

« Dans sa tâche de promouvoir l ' unité et la charité entre les


« hommes, et même entre les peuples, elle [l' Église] examine ici
« d' abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre
« ensemble leur destinée. » (Nostrae Aetate, 1 ) 255
« On peut considérer que ces mots expriment le fondement huma­
niste de l' œcuménisme entendu dans son sens le plus large. » (Cardi­
nal Wojtyla) 256

« C' est ici qu' il nous faut chercher la dimension fondamentale de


la responsabilité de tout chrétien : l' homme est, pour ainsi dire, la va­
leur centrale à laquelle, dans tout domaine, se réfère cette responsabili­
té. [. . ]
0

« Ainsi, l a charité respecte l a personne sans calcul ou pensée de


profit. Elle n' utilise pas l' homme mais est au service de son humani­
té. » (Cardinal Wojtyla) 257

« Toute discrimination fondée sur l' appartenance ou la non­


appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est in­
terdite. » (Loi no 90-6 1 5 du 1 3 juillet 1 990 dite loi Gayssot)

255 Concile Vatican II.


25 6 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 3 1 O.
257 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 293 et 285.
Le péché 1 33

« La fraternité universelle excluant toute discrimination [ . . . ]


« L' Église réprouve donc, en tant que contraire à l' esprit du Christ,
toute discrimination ou vexation opérée envers des hommes en raison
de leur race, de leur couleur, de leur classe ou de leur religion. »
(Vatican II, Nostra Aetate, 5 )
CHAPITRE V

Le salut universel

l peut sembler déplacé, dans un ouvrage destiné principalement à un


Ipublic catholique, de rappeler que le péché mortel mène en enfer. Une
enquête sommaire dans notre entourage nous convainc rapidement du
contraire. Est-ce le résultat d' une catéchèse déficiente, de l' influence délé­
tère des media ? Nous serons contraint de constater que Vatican II, Jean
Paul II et Benoît XVI prêchent également le salut universel 25 8 , le salut col­
lectif et le salut cosmique (ce qui explique les récentes ruptures dogmati­
ques sur la question des limbes). Ces idées proviennent clairement du mo­
nisme émanationiste, de la vision holistique, du panthéisme et du natura­
lisme maçonnique : puisque le monde est en Dieu, nous somme tous sauvés
personnellement mais aussi dans et avec la collectivité et le cosmos.
L' inverse est également vrai, comme nous l ' avons déjà mentionné : si nous
sommes tous sauvés, la nature exige la grâce. Nous n' hésiterons donc pas à
citer quelques passages du décret sur la justification du concile de Trente
que nous avons résumé en première partie.

« Mais, bien que lui soit « mort pour tous » (2 Co 5 , 1 5), tous ce­
pendant ne reçoivent pas le bienfait de sa mort, mais ceux-là seule­
ment auxquels le mérite de sa Passion est communiqué. En effet, de
même qu' en toute vérité les hommes ne naîtraient pas injustes s ' ils ne
naissaient de la descendance issue corporellement d' Adam, puisque,
quand ils sont conçus, ils contractent une injustice personnelle par le
fait qu' ils descendent corporellement de lui, de même ils ne seraient
jamais justifiés s ' ils ne renaissaient pas dans le Christ (can. 2 et 1 0),
puisque, grâce à cette renaissance, leur est accordé par le mérite de sa
Passion la grâce par laquelle ils deviennent justes. [ . . ] .

« En effet, bien que personne ne puisse être juste que si les mérites
de la Passion de notre Seigneur Jésus Christ lui sont communiqués,
c' est cependant ce qui se fait dans la justification de 1' impie, alors que,
par le mérite de cette très sainte Passion, la charité de Dieu est répan­
due par l' Esprit Saint dans les cœurs (Rm 5 , 5) de ceux qui sont justi­
fiés et habite en eux (can. 1 1 ) . Aussi, avec la rémission des péchés,
258 Ici plus qu' ailleurs nous regrettons de ne pouvoir citer l' ouvrage du père de Lubac intitulé
Catholicisme. Notre méthodologie nous impose de nous appuyer principalement sur les textes
du magistère et des cardinaux ayant accédé au suprême Pontificat. L'étude de Lubac aurait
ouvert la boîte de Pandore de la nouvelle théologie, ce que nous ne pouvons envisager pour
conserver à ce travail des dimensions restreintes.
Le salut universel 1 35

l' homme reçoit-il dans la justification même par Jésus Christ, en qui il
est inséré, tous les dons suivants infus en même temps : la foi,
l ' espérance et la charité. [ . . . ]
« Contre les esprits rusés de certains hommes qui, « par de doux
discours et des bénédictions, séduisent les cœurs simples » (Rm 1 6,
1 8), il faut affirmer que la grâce de la justification, qui a été reçue, se
perd non seulement par l' infidélité (can. 27), par laquelle se perd aussi
la foi elle-même, mais aussi par n' importe quel péché mortel, bien
qu' alors ne se perde pas la foi (can. 28). On défend ainsi la doctrine de
la Loi divine qui exclut du Royaume de Dieu non seulement les infi­
dèles, mais aussi les fidèles fornicateurs, adultères, efféminés, sodomi­
tes, voleurs, avares, ivrognes, médisants, rapaces ( 1 Co 6, 9- 1 0) et tous
les autres qui commettent des péchés mortels dont, avec l' aide de la
grâce divine, ils peuvent s' abstenir et à cause desquels ils sont séparés
de la grâce du Christ (can. 27) . » (Concile de Trente) 2 59

Salut universel

« Tous les hommes depuis le commencement jusqu ' à la fin du


monde ont été rachetés et justifiés par le Christ et par sa Croix. »
(Cardinal Wojtyla) 260

« Mais si toute imagination ici défaille, l ' Église, instruite par la


Révélation divine, affirme que Dieu a créé l ' homme en vue d' une fin
bienheureuse, au-delà des misères du temps présent. De plus, la foi
chrétienne enseigne que cette mort corporelle, à laquelle l' homme au­
rait été soustrait s ' il n' avait pas péché, sera un j our vaincue, lorsque le
salut, perdu par la faute de l' homme, lui sera rendu par son tout­
puissant et miséricordieux Sauveur. Car Dieu a appelé et appelle
l' homme à adhérer à lui de tout son être, dans la communion éternelle
d' une vie divine inaltérable. » (Vatican Il, Gaudium et spes, 1 8 .2)

« Car le Fils incarné en personne, prince de la paix, a réconcilié


tous les hommes avec Dieu par sa croix, rétablissant l' unité de tous en
un seul peuple et un seul corps. Il a tué la haine dans sa propre chair
et, après le triomphe de sa résurrection, il a répandu l' Esprit de charité
dans le cœur des hommes. » (Vatican II, Gaudium et spes, 78.3)

259 Décret sur la justification, 6ème session, 1 3 janvier 1 547, ch. 3 , 7 e t 1 5 .


26° Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 1 9.
1 36 Le crucifiement de saint Pierre

« Cette solidarité devra sans cesse croître, jusqu' au jour où elle


trouvera son couronnement : ce j our-là, les hommes, sauvés par la
grâce, famille bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à
Dieu une gloire parfaite. » (Vatican II, Gaudium et spes, 32.5)

« Le Souverain Prêtre de la Nouvelle et Eternelle Alliance, le


Christ Jésus, prenant la nature humaine, a introduit dans notre exil ter­
restre cet hymne qui se chante éternellement dans les demeures céles­
tes. Il s ' adjoint toute la communauté des hommes et se l' associe dans
ce cantique de louange. » (Vatican Il, Sacrosanctum concilium, 83)

« Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l' acquérir à un ti­
tre particulier : en recevant l' Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d' une
manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre
éternel, habilités à poursuivre au long du temps l' action admirable par
laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté
humaine tout entière. » (Vatican Il, Prebyterorum ordinis, 1 2)

« Car le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s ' est lui-même fait
chair, afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule
toutes choses en lui. » (Vatican II, Gaudium et spes, 45 .2)

« [L] a destinée [de ce peuple messianique] enfin, c ' est le royaume


de Dieu, inauguré sur la terre par Dieu même, qui doit se dilater en­
core plus loin jusqu ' à ce que à la fin des siècles, il reçoive enfin de
Dieu son achèvement, lorsque le Christ notre vie sera apparu (cf. Col
3 , 4) et que « la création elle-même sera affranchie de l' esclavage de
la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu »
(Rm 8 , 2 1 ) . C' est pourquoi ce peuple messianique, bien qu' il ne com­
prenne pas encore effectivement l ' universalité des hommes et qu' il
garde souvent les apparences d ' un petit troupeau, constitue cependant
pour tout l' ensemble du genre humain le germe le plus fort d' unité,
d' espérance et de salut. Etabli par le Christ pour communier à la vie, à
la charité et à la vérité, il est entre ses mains l ' instrument de la Ré­
demption de tous les hommes, au monde entier il est envoyé comme
lumière du monde et sel de la terre (cf. Mt 5 , 1 3 - 1 6) . » (Vatican II,
Lumen gentium, 9)

« L' événement de la Rédemption est le fondement du salut de tous,


« parce que chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et
« Jésus Christ s ' est uni à chacun, pour toujours, à travers ce
Le salut universel 1 37

« mystère »26 1 . La mission ne peut être comprise et fondée que dans la


foi. [ . . ]
.

« Dans l ' Évangile de saint Jean, l' universalité du salut par le Christ
comprend les aspects de sa mission de grâce, de vérité et de révéla­
tion : « Le Verbe est la lumière véritable, qui éclaire tout homme » (cf.
Jn 1 , 9). » (Jean Paul II, Redemptoris missio, 4 et 5)

« En effet, parce que le Christ s ' est uni à elle dans son ministère de
Rédemption, l' Église doit être fortement unie à chaque homme.
« Cette union du Christ avec l ' homme est en elle-même un mystère
dont naît l ' « homme nouveau », appelé à participer à la vie de Dieu,
créé à nouveau dans le Christ et élevé à la plénitude de la grâce et de
la vérité. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 8 )

« L' œuvre de la rédemption est universelle : elle s ' étend et porte


ses fruits plus loin que les hommes ne le réalisent. Nous sommes tous
inclus dans le mystère pascal de Jésus-Christ. » (Cardinal Wojtyla) 262

« Voici la nuit de l' élévation sublime de l ' homme, élévation qui a


son origine dans cette nuit. Le Fils de Dieu est né comme homme par
l' opération du Saint-Esprit et les fils et les filles des hommes par choix
se hissent au rang d' enfants de Dieu. » (Cardinal Wojtyla) 263

« À l' Ancien Testament, il manquait la Plénitude que Dieu a ap­


portée en venant dans l ' homme et dans le monde, Plénitude qui consti­
tue le fondement de l' arrivée de l ' homme et du monde à Dieu, c ' est-à­
dire l' Accomplissement final. [ . . . ]
« Ainsi donc, l ' Accomplissement qui constitue la base fondamen­
tale de l ' eschatologie conciliaire procède du Mystère de la Sainte Tri­
nité qui a été pour ainsi dire définitivement ouverte aux dimensions de
l'homme et du monde, « par la croix du Christ ». C ' est à partir de la
croix que commence la mission de l' Esprit Saint, qui est « l' Esprit de
la vie », car par lui « le Père rend la vie aux hommes qui étaient morts
« par le péché, jusqu ' à ce qu' il ressuscite dans le Christ leurs corps
« mortels » (cf. Rm 8, 1 0- 1 1 ; Lumen gentium, 4), et conduise l 'Église
vers la vérité tout entière (cf. Jn 1 6, 1 3) . Dans le sang de la croix du
Christ, le processus essentiellement divin de la Rédemption tire son
origine, de même que la justification et la sanctification qui, elle, fa-

261 Encycl. Redemptor hominis, n. 1 3 .


262 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 79.
263 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit., p. 61.
1 38 Le crucifiement de saint Pierre

çonne déjà le profil du futur accomplissement de l' homme et du


monde dans le Christ. [ . . . ] [L]a rédemption, la j ustification et la sanc­
tification, atteint toutes les couches du mal accumulées au cours de
l 'histoire, et conséquemment, d' une manière inéluctable, modèle à
partir de toutes les choses la forme ou le profil de l' Accomplissement
final dans le Christ. [ . . . ]
« En même temps, le Mystère de la Trinité devient la mesure défi­
nitive de l ' histoire de l ' homme et du monde qui, grâce à la soumission
de toutes choses par le Fils au Père, dans l' Esprit Saint, retrouve sa
participation intégrale au Mystère de Dieu, parce que Dieu sera « tout
en tous ». [ . . . ]
« Et cette gloire, c' est Dieu qui avant tout la désire. Lui seul a le
pouvoir de révéler la gloire de la créature, de révéler la gloire de
l' homme dans le miroir de sa Vérité, et par conséquent dans les di­
mensions de l' Accomplissement final, qui est lui-même une œuvre
paifaite de louange. » (Cardinal Wojtyla) 264

« Dans cette réalité, dans cette dimension de chaque agonisant, que


ce soit un vieillard centenaire ou un enfant de deux jours, la promesse
est actuelle et « les arrhes de notre héritage » demeurent (cf Ep 1 , 14.
1 8 ; He 9, 1 5) , qui nous ont été données dans le Christ. On y trouve
« codifiée », pour ainsi dire, cette nouvelle vie qui, dans l ' histoire de
l' homme et du monde, a commencé avec le Christ et en Lui. « Déjà la
« fin des temps est arrivée pour nous . . . La rénovation du monde . . . est
« d' une certaine façon réellement anticipée dans ce siècle » (Lumen
gentium, 48), et c ' est dans l' homme que se situe justement cette réno­
vation, cette nouvelle vie, dans chaque homme (cf. Rm 6, 4 ; 2 Co 5,
1 7 ; Ep 2, 1 5 ; Col 3 , 1 0) .
« Par conséquent, chaque mourant porte en lui toute l a réalité bio­
logique de la mort, de la décomposition du corps et en même temps
cette expérience essentiellement humaine du fait de mourir dans lequel
le germe d' éternité . . . s ' insurge contre la mort, et ce germe que
l' homme « porte en lui » est « irréductible à la seule matière ». Enfin,
chaque homme qui meurt porte en lui le mystère du nouveau com­
mencement apporté par le Christ et greffé par lui dans l' humanité. Ce
commencement est dans chaque mort humaine. Dans chacune, sans
exception. Ni l' état du moribond ni la conscience qu ' en a son entou­
rage n' entrent en ligne de compte. Il ne résulte pas de la conscience de
l 'homme, mais du dessein et de la révélation divine. De même que
tous les hommes ont pouvoir d' existence dans le Christ, in Christo, de

264 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 220 sq. , 230.
Le salut universel 1 39

même leur mort se trouve dans le prolongement de cette existence


dans le Christ, in Christo : « Si nous vivons, nous vivons pour le
« Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc,
« dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur »
(Rm 14, 8).
« Par conséquent, « unis au Christ dans l' Église » et marqués du
sceau de l' Esprit Saint, « qui est le gage de notre héritage » (Ep 1 , 1 4),
nous sommes vraiment appelés fils de Dieu et nous le sommes, mais
nous ne sommes pas encore apparus avec le Christ dans la gloire dans
laquelle nous serons semblables à Dieu, car nous le verrons tel qu' il
est (cf 1 Jn 3 , 2). » (Cardinal Wojtyla) 265

Salut collectif266

La doctrine de Vatican II considère que l' humanité forme une unité qui
sera sauvée. Ce n' est plus l ' homme individuellement qui croit et auquel les
mérites de la Passion sont appliqués mais l'humanité dans son ensemble
« qui deviendra une offrande agréable à Dieu » (Vatican II) . Il s ' agit bien
entendu d' une doctrine totalement étrangère au catholicisme, condamnée
par les Écritures : « Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta
postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête, et tu la meurtriras au
talon. » (Gn 3, 1 5) et par les Pères de l' Église : « Deux amours ont donc bâti
deux cités, l' amour de soi jusqu' au mépris de Dieu, la cité de la terre ;
l' amour de Dieu jusqu ' au mépris de soi, la cité de Dieu » 267 . L' origine de ce
corps étranger, inséré avec violence dans la doctrine catholique, ne fait au­
cun doute : il s' agit d' une conséquence immédiate de la vision holistique qui
veut croire que « tout est un », d' une déclinaison du panthéisme maçonni­
que.

« Mais de tous il fait des hommes libres pour que, renonçant à


l' amour-propre et rassemblant toutes les énergies terrestres pour la vie
humaine, ils s' élancent vers l' avenir, vers ce temps où l'humanité elle­
même deviendra une offrande agréable à Dieu. » (Vatican II, Gaudium
et spes, 38)

265 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 203 et 204.


266 Voir Odon Casel, Le mystère du culte dans le christianisme, Paris, Les éditions du cerf,
1 946, p. 1 6 et 1 23 .
267 Saint Augustin, La Cité de Dieu, XIV, 28.
1 40 Le crucifiement de saint Pierre

« Ainsi cette Lettre montre que l 'humanité, soumise au péché dans


les descendants du premier Adam, est devenue en Jésus Christ parfai­
tement soumise à Dieu et unie à lui, tout en étant remplie de miséri­
corde à 1' égard des hommes. Apparaît alors une nouvelle humanité
qui, en Jésus Christ, par la souffrance de la Croix, est revenue à
l' amour trahi par le péché d' Adam. Cette nouvelle humanité s' est re­
trouvée dans la même source divine du don originel : dans l' Esprit, qui
« sonde les profondeurs de Dieu » et qui est lui-même Amour et
Don. » (Jean Paul Il, Dominum et vivificantem, 40)

« Face à cela, de Lubac, en se fondant sur la théologie des Pères


dans toute son ampleur, a pu montrer que le salut a toujours été consi­
déré comme une réalité communautaire. La Lettre aux Hébreux parle
d' une « cité » (cf. 1 1 , 1 0. 1 6 ; 1 2, 22 ; 1 3 , 1 4) et donc d'un salut com­
munautaire. De manière cohérente, le péché est compris par les Pères
comme destruction de l ' unité du genre humain, comme fragmentation
et division. Babel, le lieu de la confusion des langues et de la sépara­
tion, se révèle comme expression de ce qu'est fondamentalement le
péché. Et ainsi, la « rédemption » apparaît vraiment comme le réta­
blissement de l' unité, où nous nous retrouvons de nouveau ensemble,
dans une union qui se profile dans la communauté mondiale des
croyants. » (Benoît XVI, Spe salvi, 1 4)

« Le point de départ et le point de fixation de cette nouvelle his­


toire est la personne de Jésus de Nazareth, lequel est vu par la foi
comme l' homme ultime (le second Adam), c' est-à-dire la libération
enfin réussie de ce qui est proprement humain et l' ouverture définitive
de l' homme à ce qui lui est essentiel et qui était délabré. Ce qui est vi­
sé est donc justement l' humanité tout entière par la suppression de
toutes les histoires particulières, dont le salut partiel est considéré
comme étant essentiellement comme le contraire du salut : toutes ces
histoires en tant qu ' elles apportaient un salut provisoire ont coupé
l ' homme de ce qui est le but ultime de sa condition humaine propre,
elles le lui ont caché et l ' en ont retenu en lui donnant satisfaction dans
le provisoire. » (Cardinal Ratzinger) 26 8

« Si ce que nous avons dit jusqu ' à présent est valable, cela signifie
aussi que la Résurrection, en tant qu' œuvre eschatologique de Dieu,
comporte un caractère cosmique et se rapporte en même temps à
l' avenir, en sorte que la foi chrétienne qui y correspond est une foi

268
Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p . 1 7 1 .
Le salut universel 141

impliquant l' espérance en une promesse dont l' ampleur s ' étend au
cosmos tout entier. Cela signifie également le refus de l ' isolement de
l' homme, la subordination du Je au Nous, l' orientation de l' être chré­
tien vers l' avenir tout autant que vers le passé. En essayant d' exprimer
cela d' une façon un peu moins académique, nous dirons : dans la
christologie il ne s' agit pas simplement d' une manière qu ' on pourrait
trouver bien compliquée de libérer l ' individu en tant que tel de son pé­
ché. Tout au fond il s ' agit de l ' avenir de l' homme lequel ne peut se ré­
aliser que comme avenir de l ' humanité. Il s ' agit de l ' humanité comme
ne pouvant parvenir à être elle-même qu' en se dépassant. Dans la
théologie scholastique tout comme dans la théologie patristique, la
christologie se construit sur deux pôles l ' un situé dans le passé et arti­
culé sur la doctrine du péché originel l' autre dans l ' avenir et trouvant
sa constante décision dans la conception biblique de Christ « homme
ultime », c' est-à-dire révélation et prémice de la manière d' être défini­
tive de l' homme. Si du premier point de vue il faut dire que le Christ
est nécessaire pour que le fardeau du passé - le péché originel - soit
surmonté, de 1' autre point de vue il faut affirmer : le Christ est néces­
saire pour que l' humanité atteigne son avenir, car elle n' est pas capa­
ble de le réaliser seule. [ . . . ]
« Et cela signifie d' ailleurs aussi qu ' il faudrait récuser comme in­
suffisante toute théologie qui réduirait le salut à une pure subjectivité
non objectivable, alors qu ' il est précisément la libération de
l ' isolement et de la subjectivité et l ' introduction au service de
l' ensemble. » (Cardinal Ratzinger) 269

Le cardinal affirme que « le Christ est nécessaire pour que l' humanité at­
teigne son avenir » et qu ' elle ne peut « parvenir à être elle-même qu' en se
dépassant ». Doit-on voir dans ce texte l' affirmation nette de la nécessité de
la grâce ? Ces lignes doivent au contraire se lire dans le contexte des autres
écrits que nous avons cités et dans leur totalité. L' ampleur de la promesse
« s' étend au cosmos tout entier ». La nature exige la grâce, qui n' est certes
pas niée mais découle de l' ordre naturel pour être en quelque sorte natu­
relle.

« Cependant, la rruss1on des Personnes divines auprès de


l' humanité ne se limite pas à la révélation mais inclut également un
travail de salut par lequel l ' humanité devient le Peuple de Dieu. »
(Cardinal Wojtyla) 270

269 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 208 et 209.
27° Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 206.
142 Le crucifiement de saint Pierre

« Mais on voit aussi par là comment l ' espérance individuelle


d ' immortalité et la possibilité d' éternité pour l' humanité entière se
compénètrent et se rej oignent dans le Christ, qui peut être appelé le
« centre », et aussi, à la condition de bien 1' entendre, la « fin » de
l ' histoire. » (Cardinal Ratzinger) 27 1

« Autrement dit : parce que le christianisme est ordonné à


l' ensemble, et ne peut être conçu qu ' à partir de la communauté et pour
elle, parce qu' il n' est pas salut pour l' individu isolé, mais service de
l ' ensemble auquel l' individu ne peut ni ne doit se dérober, pour cette
raison même, il comporte un principe du "particulier" ». (Cardinal
Ratzinger ) 272

« Le fait que cette résurrection est attendue pour le « dernier jour »,


pour la fin des temps, et dans la communion de tous les hommes, indi­
que le caractère solidaire de l ' immortalité humaine ; celle-ci se réfère
à l ' ensemble de l' humanité, l' individu ayant vécu, et arrivant donc à
sa béatitude ou à sa perte, en dépendance de la totalité, avec elle et or­
donné à elle. » (Cardinal Ratzinger) 273

Salut cosmique

La notion de salut cosmique, d' apocatastase, est étrangère à la doctrine


catholique. Pourtant Jean Paul II, après tant d' autres, n ' hésite pas à affirmer
que « tout retourne à son principe »274 (cf infra). Là encore, il y a équiva­
lence rigoureuse et immédiate entre le monisme émanationiste, panthéiste,
et ces thèses.

« L' Église, à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et


dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n' aura
sa consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps
où toutes choses seront renouvelées (Act 3 , 1 ) et que, avec le genre
humain, tout l' univers lui-même, intimement uni avec l 'homme et at­
teignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive per­
fection (cf. Ep 1 , 1 0 ; Col l , 20 ; 2 P 3, 1 0- 1 3) .

27 1 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 224.
272 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 72.
273 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 253 . Les hommes
sont donc tous sauvés ou tous damnés. Cette dernière hypothèse doit être écartée, le Verbe
s' étant fait chair.
274 Sur le retour à son principe de la créature rationnelle, voir : ST, 1, q. 1 2, a. 1 ; CG, II, 46.
Le salut universel 1 43

« Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jean 1 2,
32 grec) ; ressuscité des morts (cf. Rom 6, 9), il a envoyé sur ses apô­
tres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l ' Église,
comme le sacrement universel du salut ; » (Vatican II, Lumen gentium,
48)

« Vatican II ajoute que l' Église est « le sacrement . . . de l 'unité de


tout le genre humain ». Il s ' agit évidemment, pour le genre humain ­
lui-même différencié de multiples façons -, de l' unité qu 'il tient de
Dieu et qu 'il a en Dieu. Elle s ' enracine dans le mystère de la création
et elle acquiert une dimension nouvelle dans le mystère de la Rédemp­
tion, en vue du salut universel. Puisque Dieu « veut que tous les hom­
mes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité », la
Rédemption concerne tous les hommes et, d' une certaine façon, toute
la création. Dans cette même dimension universelle de la Rédemption,
l 'Esprit Saint agit en vertu du « départ » du Christ. C' est pourquoi
l ' Église, enracinée par son propre mystère dans l' économie trinitaire
du salut, se comprend elle-même à juste titre comme le « sacrement de
l' unité de tout le genre humain ». (Jean Paul II, Dominum et vivifican­
tem, 64) 275

« Plus encore, en cet Homme, la création entière répond à Dieu.


Jésus Christ est le nouveau commencement de tout : en lui, tout se re­
trouve, tout est accueilli et est rendu au Créateur de qui il a pris son
origine. De cette façon, le Christ est la réalisation de l 'aspiration de
toutes les religions du monde et, par cela même, il en est
l 'aboutissement unique et définitif. Si, d ' un côté, Dieu, dans le Christ,
parle de lui-même à l' humanité, de l ' autre, dans le même Christ,
l' humanité entière et toute la création parlent d' elles-mêmes à Dieu,
plus encore, elles se donnent à Dieu. Ainsi, tout retourne à son prin­
cipe. Jésus Christ est la récapitulation de tout (cf. Ép 1 , 1 0) et en
même temps 1' accomplissement de toute chose en Dieu, accomplisse­
ment qui est à la gloire de Dieu. » (Jean Paul II, Tertio millennio ad­
veniente, 6)

S ' appuyant sur Lumen gentium, Jean Paul II montre, dans le texte sui­
vant, que Vatican II a fait passer d' une eschatologie « individualiste » à une
eschatologie de l' Église, du monde et du cosmos :

275 Voir également : Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 68.
1 44 Le crucifiement de saint Pierre

« Il est vrai que, dans la tradition catéchétique et kérygmatique de


l' Église, la place dominante revenait encore récemment à une eschato­
logie qu' on pourrait qualifier d' individualiste, même si elle était pro­
fondément enracinée dans la Révélation. En revanche, l' enseignement
du Concile pourrait être considéré comme une eschatologie de l' Église
et du monde.
« Le caractère eschatologique de l ' Église en marche » : c' est le
titre du chapitre VII de Lumen gentium, que je suggérerais de relire et
qui développe cette intuition. Il commence ainsi : « L' Église, à
« laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et dans laquelle
« nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n' aura sa
« consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps
« où toutes choses seront renouvelées et que, avec le genre humain,
« tout l' univers lui-même, intimement uni avec l' homme et atteignant
« par lui à sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection
« ( . . . ) . Le Christ élevé de terre a attiré à Lui tous les hommes ;
« ressuscité des morts, il a envoyé sur ses apôtres son Esprit de vie et
« par Lui a constitué son Corps, qui est l' Église, comme le sacrement
« universel du salut ; assis à la droite du Père, il exerce
« continuellement son action dans le monde pour conduire les
« hommes vers l ' Église, se les unir par elle plus étroitement et leur
« faire part de sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son
« propre Corps et son propre S ang. La nouvelle condition promise et
« espérée a déjà reçu, dans le Christ, son premier commencement ;
« l ' envoi du Saint-Esprit lui a donné son élan et par Lui elle se
« continue dans l' Église où la foi nous instruit même sur la signifi­
« cation de notre vie temporelle, dès lors que nous menons à bonne
« fin, avec 1' espérance des biens futurs, la tâche qui nous a été confiée
« par le Père dans le monde et que nous faisons ainsi notre salut. Ainsi
« donc déj à les derniers temps sont arrivés pour nous. Le
« renouvellement du monde est irrévocablement acquis et, en toute
« réalité anticipé dès maintenant : en effet, déj à sur la terre l'Église est
« parée d' une sainteté encore imparfaite mais véritable. Cependant,
« jusqu ' à l ' heure où seront réalisés les nouveaux cieux et la nouvelle
« terre où la justice habite, l' Église en pèlerinage porte dans ses sacre­
« ments et ses institutions, qui relèvent de ce temps, la figure du siècle
« qui passe ; elle vit elle-même parmi les créatures qui gémissent
« présentement encore dans les douleurs de 1' enfantement et attendent
« la manifestation des fils de Dieu. »
« Il faut avouer qu' une telle conception de l ' eschatologie se mani­
festait peu dans la prédication traditionnelle des époques précédentes.
C ' est pourtant une conception originelle, scripturaire. Tout le texte
Le salut universel 1 45

conciliaire que nous venons de citer est en fait composé de citations de


l ' Évangile, des Épîtres et des Actes des Apôtres [interprétés selon les
idées maçonniques] . L ' eschatologie "classique", traitant de ce qu' on
appelle "les fins dernières", a été replacée par le Concile dans cette
perspective biblique fondamentale. Comme je l ' ai déj à dit, l ' es­
chatologie demeure profondément anthropologique. Mais, à la lumière
du Nouveau Testament, elle est recentrée avant tout sur le Christ et sur
le Saint-Esprit et elle est, en un sens, cosmique. » (Jean Paul 11) 276

Rappelons, en introduction au texte suivant, que Teilhard de Chardin a


été condamné par le Saint Office et ses ouvrages mis à l ' Index. Ceci survint
naturellement avant le « renouvellement de toutes choses » qui fut 1' œuvre
de Vatican II.

« Cela nous introduit à un autre texte - pour esquisser au moins ici


par quelques fragments mis bout à bout la vision globale de Teilhard :
« Sous peine d' être moins évoluée que les termes que son action
« anime, l 'Energie universelle doit être une Energie Pensante. Et par
« suite . . . les attributs de valeur cosmique dont elle s ' irradie à nos
« yeux modernes ne suppriment en rien la nécessité où nous sommes
« de lui reconnaître une forme transcendante de Personnalité. » À par­
tir de là, on peut aussi comprendre la façon dont Teilhard voit le point
d' aboutissement de tout le mouvement : la dérive cosmique se meut
« en direction d ' un incroyable état quasi 'mono-moléculaire' . . . où
« chaque ego est destiné à atteindre son paroxysme dans quelque
« mystérieux super-ego ». Il est vrai que l ' homme, en tant qu ' il est un
ego, représente une fin, mais la direction du mouvement de l' être, de
sa propre existence, le révèle comme un organisme destiné à un super­
ego qui ne le dissout pas mais l' englobe ; seule cette intégration pour­
ra faire apparaître la forme de l' homme à venir, dans laquelle l' homme
aura atteint pleinement le but et le sommet de son être.
« On reconnaîtra certainement que cette synthèse, élaborée à partir
de la vision actuelle du monde, avec un vocabulaire parfois sans doute
trop biologique, est cependant fidèle à la christologie paulinienne,
dont l' orientation profonde est bien perçue et rendue à une nouvelle
intelligibilité : la foi voit en Jésus l' homme dans lequel s ' est réalisé en
quelque sorte - pour reprendre le schéma biologique - la mutation
suivante du processus d' évolution ; l ' homme en qui a eu lieu la percée
hors de la condition limitée de notre être d' homme, hors de son isole­
ment monadique ; l ' homme en qui la personnalisation et la socialisa-

276
Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance, op. cit., p. 267 sq.
1 46 Le crucifiement de saint Pierre

tion ne s ' excluent plus mais se confirment ; l' homme en qui l' unité
suprême277 - le « Corps du Christ » comme le dit Paul, ou d' une ma­
nière encore plus nette : « Car tous vous ne faites qu' un dans le Christ
Jésus » (Ga 3 , 28) - et l ' individualité suprême coïncident ; l' homme
en qui l' humanité touche son avenir et se réalise pleinement elle­
même, parce que par Lui elle touche Dieu-même, participe à Dieu et
parvient ainsi à ce qui fait ses plus intimes possibilités. À partir de
là, la foi verra dans le Christ le commencement d ' un mouvement qui
fait entrer de plus en plus l' humanité divisée dans l' être d'un unique
Adam [Kadmon] , d ' un unique « corps », dans l' être de l' homme à ve­
nir. Elle verra dans le Christ le mouvement vers cet avenir de
l' homme, où celui-ci est totalement « socialisé », incorporé à
l' Unique, de telle manière cependant que l' individu n'y soit pas dis­
sous, mais parvienne à devenir lui-même.
« Il ne serait pas difficile de montrer que la théologie johannique
va dans le même sens. » (Cardinal Ratzinger) 27 8

« Jean a rendu le tout dans une image empruntée à la nature. Par là


l'horizon s ' élargit au-delà de l' anthropologie et de l ' histoire du salut
jusqu ' au cosmique : ce qui est présenté ici comme structure fonda­
mentale de la vie chrétienne est au fond déjà la marque de la créa­
tion ». (Cardinal Ratzinger) 279

Le texte suivant, signé par le cardinal Ratzinger, mélange le thème du


salut cosmique avec des considérations astrologiques qui ne manquent de
surprendre sous la plume d ' un cardinal de l' Église catholique :

« Le temps cosmique, déterminé par le soleil, devient une image


du temps humain, du temps historique, qui avance vers les noces de
Dieu et du monde, de l ' histoire et de l' univers, de la matière et de
l' esprit - à la rencontre de la « nouvelle cité », dont la lumière est Dieu
lui-même. C' est alors que le temps entrera dans l 'éternité. [ . . . ]
« C' est donc à travers la résurrection que l' Alliance s' accomplit
vraiment : l' homme est maintenant uni à Dieu pour toujours. [ . . . ]
« Prenez-en soin, qu' elle [la terre] devienne pour Dieu un véritable
j ardin ; que son sens véritable s' accomplisse car, en elle aussi, Dieu
doit être "tout en tous". [ . . . ]

277 0 Guénon. Cf p. 7 1 .

27 8 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 62 et 1 63 .


279 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier e t aujourd 'hui, op. cit. , p . 1 74.
Le salut universel 1 47

« Mais revenons au symbolisme zodiacal. Au ye siècle, Rome et


Alexandrie entrèrent dans une nouvelle controverse autour de la der­
nière date possible pour fêter Pâques. La tradition alexandrine voulait
que ce fût le 25 avril. Le pape Léon le Grand ( 440-46 1 ) critiqua une
date aussi tardive en s ' appuyant sur des indications de la Bible, selon
lesquelles Pâques devait avoir lieu le « premier mois » - ce premier
mois n' étant pas avril mais le temps que prend le soleil pour traverser
la première section du zodiaque, c ' est-à-dire le signe du Bélier. Pour
les Pères, ce bélier qui se prend les cornes dans un buisson, et qui est
choisi par Dieu lui-même pour être sacrifié à la place d' Isaac, préfigu­
rait la Passion du Christ. Or, comme la forme que dessinait la constel­
lation du Bélier rappelait précisément la fourche dans laquelle le bélier
était resté prisonnier, le signe du Bélier fut considéré, à son tour,
comme une préfiguration du Christ crucifié. Le zodiaque semblait par­
ler pour tous les temps de « 1' Agneau de Dieu » qui ôte le péché du
monde (Jn 1 , 29) . Ce tissu de relations se retrouve dans la première
épître de Pierre, pour qui le Christ est 1' agneau « sans défaut » (cf Ex
1 2, 5), l' agneau « prédestiné dès avant la fondation du monde » ( 1 ,
20), ainsi que dans l' Apocalypse, qui désigne le Christ comme
l' agneau « égorgé dès l' origine du monde » ( 1 3 , 8). Cette symbolique
cosmique manifestait aux chrétiens de façon inouïe la dimension uni­
verselle du Christ, ainsi que la grandeur de 1' espérance inscrite dans la
foi chrétienne. Si nous voulons comprendre à nouveau le christia­
nisme, et le vivre dans toute son ampleur, il nous faut impérativement
retrouver la dimension cosmique de la révélation chrétienne. [ . . . ]
« Le Christ, premier-né de la Création, prend la mort sur lui et, par
la résurrection, anéantit son pouvoir : la mort cesse d' avoir le dernier
mot. L' amour du Fils s ' avère plus fort que la mort, car il unit l' homme
à l' amour de Dieu qui est la vie même. La fête de la Résurrection du
Christ ne commémore pas le destin d ' un individu, mais célèbre la Pré­
sence vivante de Celui qui nous rassemble pour qu' à notre tour nous
vivions. « Vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi » (Jn 1 4,
1 9). [ . . ]
.

« La libération de la mort est en même temps libération de la pri­


son de l ' individualisme, de la geôle du moi, de l' incapacité d' aimer et
de faire don de soi-même. À Pâques, l ' homme accomplit en quelque
sorte son passage de la mer Rouge, se dépouille du vieil homme pour
entrer en communion avec le Christ ressuscité et, en Lui, en commu­
nion avec tous ceux qui lui appartiennent. Le grain de blé tombe mais
ne demeure pas seul et porte beaucoup de fruit, dit l' Évangile. Dans la
résurrection du Christ, c ' est toute l ' humanité qui se relève. Le sym­
bole de la Pâque juive passe dans la Pâque chrétienne : la résurrection
1 48 Le crucifiement de saint Pierre

crée le nouveau peuple de Dieu, crée la nouvelle et universelle com­


munauté des hommes. Et ce passage, encore une fois, n' est pas le
mémorial d ' un événement passé, non renouvelable : l ' « une fois pour
toutes » devient « pour toujours ». Le Ressuscité vit et donne la vie,
vit et crée la communauté, vit et ouvre l ' avenir, vit et montre le che­
min. » (Cardinal Ratzinger) 2 80

« Dans la vision des Pères de l ' Église, qui suivent en cela la pensée
biblique, le véritable don consiste dans la réunion de l' homme et de la
Création avec Dieu. Or l ' union avec Dieu n ' a rien à voir avec la des­
truction ou l ' amlihilation, mais tient plutôt d ' un mode d' être. Elle im­
plique le renoncement à l' état de séparation, à cette apparente auto­
nomie qui consiste à vivre uniquement en soi et pour soi. Elle impli­
que la perte de soi-même, unique possibilité de se trouver (cf Mc 8,
35 ; Mt 1 0, 39). On comprend alors, avec saint Augustin, que le véri­
table « sacrifice » soit la civitas Dei, l' humanité devenue amour, dans
la déification de la Création et l' abandon de toute chose en Dieu.
« Dieu tout en tous » ( 1 Co 1 5 , 28), telle est la finalité du monde et tel
est le but essentiel du sacrifice et du culte. Voilà qui nous permet
d' affirmer que le culte et la Création ont en commun la déification,
l' édification d ' un univers de liberté et d' amour. » (Cardinal Ratzin­
ger) 2 8 1

Devant de pareilles allégations, il nous faut provisoirement conclure. Si


l' homme, l' humanité et le cosmos sont « sauvés » ; si l 'homme, qu' il ait ou
non la foi, qu' il soit justifié ou non, obtient la vie éternelle ; si notre nature
est gracieuse ; si le cosmos est Dieu ; alors la doctrine qu ' enseignent Vati­
can II, Jean Paul II et Benoît XVI n' est plus la doctrine catholique mais la
doctrine de la maçonnerie, des mystères et initiations. Nous ne pouvons la
suivre. « Mais quand nous-même [saint Paul] , quand un ange venu du ciel
vous annoncerait un autre Évangile que celui que nous vous avons annoncé,
qu' il soit anathème ! » (Gal 1 , 8). Nous reprendrons à notre compte le com­
mentaire de Monseigneur Lefebvre, qui appuyait sur le « nous-même »,
saint Paul.

28 ° Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, op. cit. , p. 8 1 sq.


2 81 Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, op. cit. , p. 24.
CHAPITRE VI

La réalisation

uisque l' homme est Dieu, il doit en prendre véritablement cons­


P cience, d' une conscience réelle, existentielle, pour reprendre les ter­
mes de Jean Paul II, et non d' une simple connaissance théorique. Il doit ré­
aliser, rendre réelle, sa divinité qui n' est souvent que virtuelle, qu ' une belle
au bois dormant. La notion de réalisation est donc une conséquence immé­
diate du panthéisme : si nous sommes Dieu, il nous faut impérativement le
réaliser. Inversement, cette notion de réalisation ne peut se concevoir que
dans la perspective panthéiste : s ' il nous est possible de rendre réelle, cons­
ciente, notre divinité sous-j acente, il nous faut reconnaître que Dieu est en
chacun d' entre nous, est chacun d' entre nous.
La notion de réalisation est la caricature gnostique de la sanctification
catholique. Si nous sommes Dieu, comme la gnose 1' affirme, nous avons le
devoir d'en prendre conscience, de le connaître. La sanctification catholi­
que, dans son essence, s ' oppose à un tel orgueil. Par la grâce prévenante2 8 2
Dieu prend l' initiative de notre sanctification et la soutient à tout moment2 8 3 •
S ' Il réclame en permanence notre coopération, il ne s ' agit nullement de
prendre conscience, de réaliser une vérité préexistante mais de conserver un
trésor qui nous est donné gratuitement et que nous pouvons perdre pour tou­
jours en nous perdant également.

L'homme est-il Dieu ?

En toute rigueur, en toute logique conciliaire, en toute orthodoxie hégé­


lienne, il eût fallu écrire : Dieu est-il l' avenir de l' homme ? Mais bien en­
tendu, du point de vue de Dieu, de l ' éternité, si Dieu est l' avenir de
l' homme, l' homme est Dieu. Nous allons présenter, dans les lignes qui sui­
vent, un texte stupéfiant du cardinal Ratzinger. On se souviendra, en le li­
sant, qu' il est extrait d ' un ouvrage qui fut réédité en 2000 sans que son au­
teur ne juge utile de le modifier.

« [S]i en se « perdant » ainsi, [Jésus] reste pourtant entièrement


lui-même, s ' il est celui qui s ' est trouvé en se perdant (cf. Mc 8, 35),
n' est-il pas alors le plus humain des hommes, la plénitude même de
l' humain ? Avons-nous alors encore le droit de résorber la christologie

282
Cf Décret sur la justification, ch. 5, can. 3 .
283
Cf Décret sur la justification, ch. 1 6, can. 22.
1 50 Le crucifiement de saint Pierre

(discours sur le Christ) dans la théologie (discours sur Dieu) ? Ne de­


vons-nous pas plutôt revendiquer Jésus passionnément comme
homme, et faire de la christologie un humanisme, une anthropologie ?
Ou alors l ' homme authentique, par le fait même qu' il est entièrement
et authentiquement homme, serait-il Dieu, et Dieu serait-il précisé­
ment l' homme authentique ? Serait-il possible que l' humanisme [ma­
çonnique] le plus radical et la foi au Dieu de la révélation se rejoignent
ici jusqu ' à se confondre ?
« On peut voir, je crois, que ces questions, dont la force a ébranlé
l' Église des cinq premiers siècles, surgissent spontanément de la
confession de foi christologique ; la lutte dramatique qui s' est livrée
alors autour de ces questions, a abouti, dans les conciles œcuméniques
de l' époque, à une réponse affirmative aux trois questions. Ce triple
« oui » constitue la substance et la forme définitive du dogme christo­
logique classique ; il ne visait qu' à rester entièrement fidèle à la mo­
deste confession de foi primitive en Jésus, reconnu comme « Christ ».
Autrement dit : si Jésus est radicalement Christ, comme le dogme
christo logique explicité l ' affirme, cela suppose qu ' il est Fils, et s ' il est
Fils, cela implique qu' il est Dieu. Pour rester un énoncé conforme au
logos, intelligible, le dogme doit être compris de cette manière, sinon
on tombe dans le mythe, en ne tirant pas cette conséquence. Mais il af­
firme aussi catégoriquement que Jésus est, dans la radicalité de sa dia­
conie, le plus humain des hommes, l' homme véritable. Il reconnaît
ainsi que théologie et anthropologie se compénètrent, ce qui constitue
dès lors le caractère vraiment exaltant de la foi chrétienne. » (Cardinal
Ratzinger) 2 84

Ce « triple oui » nous contraint à affirmer que Jésus est « la plénitude


même de l' humain », à « revendiquer Jésus passionnément comme homme,
et [à] faire de la christologie un humanisme, une anthropologie », à procla­
mer que « l ' homme authentique, par le fait même qu' il est entièrement et
authentiquement homme, [est] Dieu, et [que] Dieu [est] précisément
l' homme authentique » et que « l' humanisme le plus radical et la foi au
Dieu de la révélation se rejoignent ici jusqu ' à se confondre ». Est-il possible
d' aller plus loin dans l' union adultère entre la doctrine catholique et les al­
légations maçonniques ?

« L' homme historique Jésus est le Fils de Dieu, et le Fils de Dieu


est l' homme-Jésus. Dieu devient un événement pour l' homme à tra­
vers les hommes, et plus concrètement encore : à travers l 'homme

2R4 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 40.
La réalisation 151

dans lequel se manifeste la réalité définitive de l' être de l' homme, et


qui, en cela même, est simultanément Dieu. » (Cardinal Ratzinger) 2 85

« Jésus est le Christ. Dieu est homme et avenir de l 'homme ; cela


signifie donc être un avec Dieu, et par conséquent être un avec
l' humanité qui sera un homme unique définitif dans l' unité complexe
que crée l' exode de l' amour. » (Cardinal Ratzinger) 2 8 6

« À la « plénitude du temps » correspond, en effet, une particulière


plénitude de la communication que le Dieu un et trine fait de lui­
même dans l ' Esprit Saint. « Par le Saint-Esprit » s ' accomplit le mys­
tère de l ' « union hypostatique », c' est-à-dire de l ' union de la nature
divine avec la nature humaine, de la divinité avec l' humanité dans
l' unique Personne du Verbe-Fils. [ . . . ] L' Incarnation de Dieu-Fils si­
gnifie que la nature humaine est élevée à l' unité avec Dieu ». (Jean
Paul Il, Dominum et vivificantem, 50)

« La révélation ne s ' arrête donc pas ici parce que Dieu a décidé po­
sitivement de l' arrêter, mais parce qu' elle est arrivée à son terme, ou
comme le dit Karl Rahner : « Il n' est plus rien dit de nouveau, non pas
« malgré qu ' il y eût encore beaucoup à dire, mais parce que tout a été
« dit, tout a été donné dans le Fils de l' amour, dans lequel Dieu et le
« monde sont devenus un. »
« En continuant la réflexion dans cette ligne, on découvre encore
un autre aspect. Si, dans le Christ, le but de la révélation et celui de
l' humanité ont été atteints, parce qu' en Lui être Dieu et être homme se
touchent et s' unissent, cela veut dire en même temps que le but atteint
n' est pas une limite rigide, mais un espace ouvert. Car cette union qui
a été réalisée en cet unique point Jésus de Nazareth, doit s' étendre à
l ' « Adam » total et le transformer en « Corps du Christ ». Aussi long­
temps que cette totalité n' est pas atteinte, aussi longtemps qu ' elle est
restreinte à un seul point, ce qui s ' est passé dans le Christ reste à la
fois terme et commencement. L' humanité ne peut aller ni plus avant ni
plus haut que le Christ, car Dieu est ce qu' il y a de plus avant et de
plus haut ; chaque progrès apparent au-delà du Christ est une chute
dans le vide. L' humanité ne saurait le dépasser, et en ce sens le Christ
est le terme ; mais elle doit s ' intégrer en Lui, et en ce sens il est seu­
lement le véritable commencement. (Cardinal Ratzinger) 2 87

28 5 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 26.
286 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p . 2 1 1 .
287 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 82.
1 52 Le crucifiement de saint Pierre

« La [théologie de l ' incarnation] première parle de l' être et gravite


autour du fait qu' un homme est Dieu, et par voie de conséquence, que
Dieu est homme ; ce fait prodigieux devient pour elle le point absolu­
ment décisif. Devant cet événement, qui fait que Dieu et l ' homme sont
un, que Dieu devient homme, tous les événements particuliers qui ont
suivi, rentrent dans 1' ombre. En comparaison de cela, ils ne sauraient
être que secondaires ; cette rencontre intime de Dieu et de l' homme
apparaît comme l' événement décisif, rédempteur, comme le véritable
avenir de l' homme, vers lequel finalement toutes les lignes doivent
converger. [ . . . ]
« La théologie de l ' incarnation tend à une vision statique et opti­
miste. Le péché de l' homme apparaît facilement comme un stade tran­
sitoire, d'importance assez secondaire. Ce qui est décisif dans cette
optique, ce n' est pas que l' homme soit en état de péché et doive être
guéri ; il s' agit de bien plus que d' une simple réparation du passé ;
l ' important, c' est la progression vers l' union intime de l' homme et de
Dieu. » (Cardinal Ratzinger) 2 88

Il est alors possible de lire Gaudium et spes § 22 dans toute sa force :


presque toutes les phrases citées ci-dessous ne trouvent la plénitude de leur
sens qu' en gardant présent à l' esprit que l ' homme serait Dieu :

« En réalité, le mystère de l' homme ne s ' éclaire vraiment que dans


le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était
la figure de celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le
Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour,
manifeste pleinement l ' homme à lui-même et lui découvre la sublimité
de sa vocation. Il n' est donc pas surprenant que les vérités ci-dessus
trouvent en lui leur source et atteignent en lui leur point culminant.
« "Image du Dieu invisible" (Col 1 , 1 5 ) , il est l ' homme parfait qui
a restauré dans la descendance d' Adam la ressemblance divine, altérée
dès le premier péché. Parce qu' en lui la nature humaine a été assumée,
non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi
à une dignité sans égale. Car, par son incarnation, le Fils de Dieu s' est
en quelque sorte uni lui-même à tout homme. [ . . . ]
« Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ,
mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur des­
quels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort
pour tous et que la vocation dernière de l ' homme est réellement uni­
que, à savoir divine, nous devons tenir que l ' Esprit-Saint offre à tous,

288
Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 54 et 1 5 5 .
La réalisation 153

d' une façon que Dieu connaît, l a possibilité d' être associé au mystère
pascal. » (Vatican II, Gaudium et spes, 22)

« Ici Vatican II nous offre une contribution majeure à


1 ' enrichissement de la foi du point de vue de la conscience de la ré­
demption. Cette réalité chrétienne centrale est présentée à l' homme
d' une telle manière que, selon les termes de Gaudium et Spes [22, que
nous venons de citer et que le Cardinal rappelle après cette phrase] ,
nous puissions percevoir une sorte particulière d' anthropocentrisme
émergeant du christocentrisme que la constitution reflète si claire­
ment. » (Cardinal Wojtyla) 2 89

« Nous verrons que la révélation que Dieu fait de lui-même et de


sa volonté de sauver l' homme constitue pour Lui un acte unique, au­
quel l' humanité - la famille humaine dans l ' Église - répond par la
connaissance de Dieu dans le mystère de l' intériorité de son être et par
la connaissance du salut. » (Cardinal Wojtyla) 290

Ce que nous explicite la citation suivante :

« On lit en effet, dans la constitution Gaudium et Spes : « Nouvel


« Adam, le Christ . . . manifeste pleinement l' homme à lui-même et lui
« découvre la sublimité de sa vocation » : il le fait précisément « dans
la révélation même du mystère du Père et de son amour ». Ces paroles
attestent très clairement que la manifestation de 1' homme, dans la
pleine dignité de sa nature, ne peut avoir lieu sans la référence non
seulement conceptuelle mais pleinement existentielle à Dieu.
L' homme et sa vocation suprême se dévoilent dans le Christ par la ré­
vélation du mystère du Père et de son amour.
« C ' est pour cela qu' il convient maintenant de nous tourner vers ce
mystère : les multiples expériences de l' Église et de l ' homme contem­
porain nous y invitent, tout comme l' exigent les aspirations de tant de
cœurs humains, leurs souffrances et leurs espérances, leurs angoisses
et leurs attentes. S ' il est vrai que l' homme est en un certain sens la
route de l' Église - comme je l ' ai dit dans l' encyclique Redemptor
Hominis -, en même temps l ' Évangile et toute la Tradition nous indi­
quent constamment que nous devons parcourir cette route, avec tout
homme, telle que le Christ l 'a tracée en révélant en lui-même le Père
et son amour. En Jésus-Christ, marcher vers l ' homme de la manière

289 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 7 5 .


29° Karol Wojtyla, Sources ofRenewal, op. cit. , p . 54.
1 54 Le crucifiement de saint Pierre

assignée une fois pour toutes à l' Église dans le cours changeant des
temps, est en même temps s ' avancer vers le Père et vers son amour.
Le Concile Vatican II a confirmé cette vérité pour notre temps.
« Plus la mission de l' Église est centrée sur l ' homme - plus elle
est, pour ainsi dire, anthropocentrique -, plus aussi elle doit s' affirmer
et se réaliser de manière théocentrique, c ' est-à-dire s ' orienter en Jésus­
Christ vers le Père. Tandis que les divers courants de pensée, anciens
et contemporains, étaient et continuent à être enclins à séparer et
même à opposer théocentrisme et anthropocentrisme, l' Église au
contraire, à la suite du Christ, cherche à assurer leur conjonction orga­
nique et profonde dans l' histoire de l' homme. C ' est là un des princi­
pes fondamentaux, et peut être même le plus important, de
l' enseignement du dernier Concile. » (Jean Paul Il, Dives in miseri­
cordia, 1 )

« Jésus-Christ est l a route principale de l' Église. Lui-même est no­


tre route vers « la maison du Père », et il est aussi la route pour tout
homme. Sur cette route qui conduit du Christ à l'homme, sur cette
route où le Christ s ' unit à chaque homme, l' Église ne peut être arrêtée
par personne. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 3 )

« S ' appliquant à une catégorie du mystère e n relation avec


l ' homme, le texte conciliaire explique successivement le caractère an­
thropologique ou même, dans un certain sens, anthropocentrique de la
Révélation faite aux hommes dans le Christ. Car cette Révélation est
centrée sur l' homme : le Christ manifeste en plénitude l' homme à lui­
même, mais à travers la Révélation du Père et de son amour (cf. Jn 17,
6.26).
« Ensuite, la Révélation n' est pas une théorie ou une idéologie, elle
réside en ce que le Fils de Dieu par son Incarnation s ' est uni à chaque
homme, qu' il est devenu en tant qu ' homme "l' un de nous" ». (Cardi­
nal Wojtyla) 29 1

Et nous ne pouvons échapper à cette conclusion : si la Révélation est an­


thropocentrique, l' homme est Dieu.

« À cette condition seulement peut se réaliser le progrès véritable


qui conduit à celui qui est le but de l' histoire : l' Homme-Dieu qui est
la véritable humanisation de l ' homme. » (Cardinal Ratzinger) 292

29 1 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit., p. 1 35 .


292 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 1 1 0.
La réalisation 1 55

La réalisation

Puisque tous les hommes sont déj à justifiés et sauvés par la venue du
Messie, l' Incarnation doit également avoir pour but de leur en faire prendre
conscience. Ils doivent réaliser leur divinité, parvenir à la déification293 .
La doctrine de Vatican II élimine donc le péché, la nécessité du baptême,
le repentir, la crainte de Dieu, la conversion, le passage de l' état de péché
mortel à l' état de grâce, la vie surnaturelle, l' humilité, la pénitence, la répa­
ration, la mortification et la sanctification. Autant de mots qui ont pratique­
ment disparu du vocabulaire post-conciliaire. L' amour surnaturel de Dieu,
de Notre-Seigneur Jésus-Christ et du prochain, le sacrifice, les mystères de
la Croix et de l' Incarnation, la lutte contre l ' amour-propre, la vie de la
grâce, des vertus infuses et des dons du Saint-Esprit subissent un sort analo­
gue. L' homme ne doit plus recevoir le don de la grâce mais réaliser une réa­
lité préexistante, naturelle (ou naturellement surnaturelle294 ), parvenir à une
prise de conscience.

La déification selon la doctrine traditionnelle

La déification est certes le but de notre vie. Mais il s' agit d ' un but surna­
turel, qui réclame la grâce, transmise ordinairement par les sacrements, et
qui exige notre participation et notre sanctification295 et non d ' un don fait
indistinctement à chaque homme, quelle que soit sa résistance à la grâce. Le
Père Garrigou-Lagrange décrit la paix surnaturelle que reçoivent ceux qui
s' attachent à Dieu et deviennent un même esprit avec lui :

« Après cette purification de la charité, commence cette union in­


time avec Dieu, qui a été appelée l ' union transformante, celle dont
parlent sainte Thérèse dans la VIle demeure et saint Jean de la Croix
dans Vive Flamme. C' est la pleine réalisation ici-bas de la parole de
Notre-Seigneur à son Père : « Qu ' ils soient un, comme nous-mêmes
nous sommes un, moi en eux et vous en moi 296 • » C ' est l ' âge parfait
dans lequel se vérifie ce que dit saint Paul : « Celui qui s' attache à
Dieu devient un même esprit avec lui 297 • » « C' est, dit saint Jean de la
« Croix, comme lorsque le feu, après avoir blessé le bois de sa flamme

293 Voir Hans Urs von Balthasar, Liturgie cosmique, op. cit. , ch. Présent et éternité.
294 Cette expression de F. Schuon illustre à merveille les idées gnostiques.
295 Cf Décret sur /a justification, ch. 5, 6, 7 , 1 0, 1 1 , 1 3 , 1 4, 1 6, can. 4, 7, 8 , 9, 20, 24, 26, 3 1 ,
32.
296 Jean, XVII, 22.
297 1 Cor. , VI, 1 7 .
1 56 Le crucifiement de saint Pierre

« et l ' avoir desséché, le pénètre enfin et le transforme en 1ue98 », ou


comme lorsque le cristal est tout pénétré par la lumière du soleil.
« Seul, dit saint Thomas, le feu peut rendre un corps incandescent ;
« Dieu seul peut déifier les âmes 299 • » Ici c ' est la déification parfaite,
celle du moins possible ici-bas ; l' âme ne vit plus que de la contempla­
tion de Dieu et de son amour ; elle a été introduite en ce centre le plus
intime où la sainte Trinité habite ; elle reçoit d' elle une paix surnatu­
relle, qui ne se perdra pour ainsi dire plus. Sous certaines touches
substantielles, elle sent Dieu si près d' elle, qu' il semble qu' elle va le
voir, qu' un léger voile seulement la sépare encore de Lui. Par le don
de sagesse elle goûte vraiment et de plus en plus l' infinie bonté :
« Gustate et vide te quoniam suavis est Dominos. 300 » Elle se rappelle
les paroles du Cantique : « Voici que l' hiver est passé, la pluie a cessé,
« elle s ' en est allée. Les fleurs paraissent sur la terre, le temps de
« chanter est venu ; la voix de la tourterelle se fait entendre . . . et les
« vignes en fleurs exhalent leur parfum3 0 1 . » C ' est comme le prélude
de l' éternelle vie. » (Garrigou-Lagrange) 3 02

Saint Jean de la Croix affirme également que l' âme est totalement assi­
milée à Dieu, non parce qu' elle lui serait égale, mais parce qu' elle lui est
devenue semblable en tout :

« Le dixième et dernier degré de cet escalier secret de l' amour fait


que l ' âme s ' assimile totalement à Dieu, par suite de la claire vision de
Dieu dont elle jouit aussitôt d' une manière immédiate ; quand en effet
l' âme est arrivée au neuvième degré, elle n ' a plus qu' à quitter sa chair.
Les âmes de cette sorte sont en petit nombre ; comme 1' amour a opéré
en elles une purification complète, elles ne passent point par le purga­
toire. Voilà pourquoi saint Matthieu a dit : Beati munda corde, quo­
niam ipsi Deum videbunt : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu ' ils verront Dieu » 3 03 . Or, comme nous venons de le dire, cette
vision est la cause pour laquelle il y a une similitude totale de 1' âme
avec Dieu, selon cette parole de saint Jean : Scimus quoniam cum ap­
paruerit, similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicuti est : « Nous

29 8 Vive Flamme, str. 1, v. 4.


299 l' Ilae, q. 1 1 2, a. 1 : « Necesse est quod solus Deus deificet, communicando consortium di­
vinae naturae per quamdam similitudinis participationem, sicut impossibile est quod aliquid
igniat nisi solus ignis. »
300 Goûtez et voyez combien est bon le Seigneur.
30 1 Cantique des cantiques, II, 1 1 .
302 P. Réginald Garrigou-Lagrange, L 'amour de Dieu et la Croix de Jésus, op. cit., p . 624.
303 Mat. V, 8 .
La réalisation 1 57

savons que nous serons semblables à lui » 3 04 . Cette expression ne veut


pas dire que l' âme sera aussi puissante que Dieu, car cela est impossi­
ble, mais parce qu' en tout elle deviendra semblable à Dieu ; aussi
peut-on l ' appeler, et elle sera en réalité, Dieu par participation.
« Tel est l' escalier secret dont parle l' âme ici. Sans doute, il n' est
déjà plus très secret pour elle dans les degrés supérieurs, car l ' amour
opère en elle de si grands effets qu' il lui découvre une foule de mer­
veilles. Mais une fois qu ' elle atteint le dernier degré, celui de la claire
vision de Dieu, le dernier de l' échelle mystique où Dieu se repose,
comme nous l' avons dit, il n ' y a désormais plus rien de caché pour
l' âme, car elle est totalement assimilée à Dieu. Aussi notre Sauveur a
dit : Et in illo die me non rogabitis quidquam : « Et ce j our-là vous ne
m' interrogerez plus sur rien » 305 • Mais jusqu ' à ce que ce jour soit arri­
vé, il y a toujours pour l' âme, si élevée qu' elle puisse être, quelque
chose de caché, et ce sera en proportion de ce qui lui manque pour
qu' elle ait une ressemblance parfaite avec la divine Essence.
« Voilà donc comment cette théologie mystique et cet amour secret
portent l' âme à s ' élever au-dessus de toutes les créatures et d' elle­
même pour monter jusqu ' à Dieu. Car l' amour est comme le feu ; il
s ' élève toujours vers les hauteurs pour atteindre le centre de sa
sphère. » (Saint Jean de la Croix) 3 06

La déification selon la doctrine conciliaire

« Le Christ Seigneur a indiqué cette route surtout lorsque, pour


« reprendre les termes du Concile, par l' Incarnation le Fils de Dieu
« s 'est uni d' une certaine manière à tout homme ». L'Église reconnaît
donc son devoir fondamental en agissant de telle sorte que cette union
puisse continuellement s'actualiser et se renouveler. » (Jean Paul II,
Redemptor hominis, 1 3) 3 07

L' union avec le Christ préexisterait donc réellement puisqu' il faudrait


l' actualiser et la renouveler, en d' autres termes la réaliser.

« Sous l' influence de l ' Esprit S aint, cet homme intérieur, c ' est-à­
dire « spirituel », mûrit et devient plus fort. [ . . . ]

304 I Jean, III, 2 : « au temps de cette manifestation, nous lui serons semblables, parce que
nous le verrons tel qu'il est ».
305 Jean, XVI, 23.
306 Saint Jean de la Croix, La nuit obscure, Paris, Éditions du Seuil, 1 984, c. 20, p. 1 92 sq.
307 Voir également : Jean Paul II, Rosarium virginis Mariae, 25 .
158 Le crucifiement de saint Pierre

« Grâce à la relation d' intimité avec Dieu dans l' Esprit Saint,
l' homme se comprend également lui-même d' une façon nouvelle, il
comprend sa propre humanité. L' image, la ressemblance de Dieu
qu' est l' homme depuis le commencement est ainsi pleinement réali­
sée. » (Jean Paul II, Dominum et vivificantem, 58 et 59)

« En Jésus-Christ, marcher vers l' homme de la manière assignée


une fois pour toutes à l ' Église dans le cours changeant des temps, est
en même temps s ' avancer vers le Père et vers son amour. » (Jean Paul
II, Dives in misericordia, 1 )

« Cependant, les causes de cette émotion doivent être recherchées


plus profondément : le père est conscient qu ' un bien fondamental a été
sauvé, l' humanité de son fils. Bien que celui-ci ait dilapidé son héri­
tage, son humanité est cependant sauve. Plus encore, elle a été comme
retrouvée. Les paroles que le père adresse au fils aîné nous le disent :
« Il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était
mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! ». [ . . . ]
« Cette joie manifeste qu ' un bien était demeuré intace o s : un fils,
même prodigue, ne cesse pas d' être réellement fils de son père [par la
nature] ; elle est en outre la marque d'un bien retrouvé, qui dans le cas
de l' enfant prodigue a été le retour à la vérité sur lui-même. [ . . . ]
« Dans l' analyse de la parabole de l' enfant prodigue, nous avons
déj à attiré l ' attention sur le fait que celui qui pardonne et celui qui est
pardonné se rencontrent sur un point essentiel, qui est la dignité ou la
valeur essentielle de l' homme [sa divinitë 09 ] , qui ne peut être perdue
et dont l' affirmation ou la redécouverte [la réalisation] sont la source
de la plus grande j oie. » (Jean Paul II, Dives in misericordia, 6.2, 6.3
et 1 4. 1 1 )

« [L' homme] doit, pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout
son être, il doit « s ' approprier » et assimiler toute la réalité de
l 'Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver soi-même. S ' il
laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des
fruits non seulement d' adoration envers Dieu, mais aussi de profond
émerveillement pour soi-même. Quelle valeur doit avoir l' homme aux
yeux du Créateur s ' il « a mérité d' avoir un tel et un si grand Rédemp-

308 L' Écriture ne mentionne pas de bien demeuré intact mais, au contraire, un bien perdu et
retrouvé : il « était mort et le voilà revenu à la vie ».
3 09 Voir infra, les textes qui appellent les notes n° 3 1 4 à 3 1 6.
La réalisation 1 59

teur » 3 10 , si « Dieu a donné son Fils » afin que lui, l' homme, « ne se
perde pas, mais qu' il ait la vie éternelle » 3 1 1 ! [ . . . ]
« À toutes les époques, et plus particulièrement à la nôtre, le devoir
fondamental de l ' Église est de diriger le regard de l ' homme, d' orienter
la conscience et l' expérience de toute l ' humanité vers le mystère du
Christ, d' aider tous les hommes à se familiariser avec la profondeur de
la Rédemption qui se réalise dans le Christ Jésus. En même temps, on
atteint aussi la sphère la plus profonde de l ' homme, nous voulons dire
la sphère du cœur de 1' homme, de sa conscience et de sa vie. » (Jean
Paul II, Redemptor hominis, 1 0)

On comprend alors que le Cardinal Siri ait pu écrire :

« [Il est] prêché actuellement comme étant possible une conserva­


tion des termes de la foi de la part de l' Église, tout en leur donnant peu
à peu un contenu nouveau, une christologie absolument contraire.
C' est-à-dire : nommer Incarnation la doctrine de l' élévation d ' un
homme vers un point culminant où il y aurait rencontre avec un Dieu
« descendant » pour se communiquer Lui-même ; nommer christolo­
gie la théologie de l' élévation de l' homme. Nommer Fils de Dieu
l' homme perfectionné, l' homme « humanisé » selon Küng ; nommer
Église de Dieu l ' association des hommes sous l' inspiration de
l' homme parfaitement humanisé. Et ainsi de suite à propos de toute
notion et de toute expérience et de toute révélation. » 3 1 2

Et encore :

« Souvenons-nous que la Gnose, avec son appel à la science et à de


plus hautes spéculations, avec son désir de comprendre le mystère et
de naturaliser la Foi fut peut -être, pendant le second siècle, le pire
danger que l ' Église ait eu à affronter dans toute son histoire. » (Cardi­
nal Siri) 3 1 3

« Mais alors - répétons-le - celui-là est le plus homme, l' homme


véritable, qui est le plus il-limité (ent-schriinkt), qui non seulement en­
tre en contact avec l' infini - l' Infini - mais est un avec lui : Jésus-

3 10 Exultet de la nuit pascale.


3 1 1 Cf. Jn 3, 1 6 .
3 1 2 Cardinal Siri, Gethsémani, op. cit. , p. 34 1 .
3 1 3 Cité par R. Joaquin Saenz y Arriaga, The new montinian Church, La Habra, Edgar A . Lu­
cidi Ed. , 1 985, p. 349.
1 60 Le crucifiement de saint Pierre

Christ. En lui, le processus d 'hominisation est arrivé véritablement


à son terme. » (Cardinal Ratzinger) 3 1 4

« L' être de Jésus est pure actualité des relations « à partir-de » et


« pour ». Et par le fait même que cet être n' est plus séparable de son
actualité, il coïncide avec Dieu ; il devient en même temps l' homme
exemplaire, l ' homme de l ' avenir à travers lequel on peut percevoir
combien l' homme est encore l ' être à venir, à réaliser, combien peu
l' homme a commencé d' être lui-même. » (Cardinal Ratzinger) 3 1 5

« Si Jésus est l' homme exemplaire, e n qui l a vraie essence de


l ' homme, telle que Dieu l ' avait conçue, se manifeste pleinement, alors
il ne peut pas être destiné à ne former qu' une exception absolue, une
curiosité, où Dieu nous démontre tout ce qui est possible. Son exis­
tence concerne alors l' humanité tout entière. Le Nouveau Testament
met cela en évidence, en appelant Jésus-Christ un « Adam ». Dans la
Bible, ce mot exprime l' unité de toute la réalité humaine, au point que
l ' on parle de l' idée biblique de « personnalité corporative ». Le fait
donc que Jésus soit appelé « Adam » montre qu ' il est destiné à ras­
sembler en Lui toute la réalité « Adam ». Ce qui veut dire que la réali­
té, très souvent incompréhensible pour nous aujourd' hui, appelée par
Paul « Corps du Christ », est une exigence interne de cette existence
qui ne doit pas demeurer à l' état d' exception, mais « attirer à elle »
toute l' humanité (comp. Jn 1 2, 32). » (Cardinal Ratzinger) 3 1 6

« Le Christ est montré [dans Gaudium et spes] comme le Révéla­


teur du mystère de l' homme, de tout ce qui constitue sa dignité essen­
tielle et inviolable (cf. Gaudium et Spes, 22) . À maintes reprises, le
Concile a démontré que cette dignité est étroitement liée au message
du Christ, à l ' Évangile et qu' elle y demeure comme un ferment qui
suscite chez les hommes aussi bien la conscience de cette dignité que
la nécessité permanente de la rechercher et de la réaliser. » (Cardinal
Wojtyla) 3 1 7

« La fonction royale - munus regale - ce n' est pas d' abord le droit
d' exercer l ' autorité sur les autres, mais de révéler la royauté de

3 1 4 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 59. En note, le car-
dinal cite bien naturellement Rahner.
3 15 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 5 3 .
3 1 6 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p . 1 60.
3 17 Cardinal Woj tyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p . 1 52.
La réalisation 161

l' homme. Cette royauté est inscrite dans l a nature humaine, dans la
structure de la personne. [ . . . ]
« Cette vérité selon laquelle le pouvoir spirituel s ' exerce foncière­
ment pour révéler la dignité de l' homme et pour réaliser cette royauté
qui lui vient du Christ, le Bon Pasteur, y trouve sa parfaite confirma­
tion. » (Cardinal Wojtyla) 3 1 8

« La dimension du sacré, les valeurs sacrales, constituent la sphère


la plus élevée et définitive de l' existence humaine, et c' est également
la sphère la plus parfaite de l' autoréalisation de l' homme. Il se réalise
dans cette dimension. Par le sacré, toute l' existence humaine est su­
blimée, soulevée vers « le haut » en dépit de sa pente naturelle vers le
« bas » (cf. Jn 3, 3.7 ; 8, 23 ; Col 3, 1 -2 ; Je 1 , 1 7 ; 3, 1 5 . 1 7) . En vivant
de ces valeurs sacrales, l' homme parvient à ce qui le confirme en plé­
nitude et le réalise. » (Cardinal Wojtyla) 3 19

« La libération de la mort est en même temps libération de la pri­


son de l ' individualisme, de la geôle du moi, de l ' incapacité d' aimer et
de faire don de soi-même. » (Cardinal Ratzinger) 320

En conclusion, nous reprendrons l ' analyse que fait le professeur Der­


mann des encycliques de Jean Paul II. Il distingue la révélation a priori de
la révélation a posteriori. En utilisant le vocabulaire et le cadre d' analyse de
cet ouvrage, la révélation a priori n' est autre que l' affirmation panthéiste de
la divinité de l' homme tandis que la révélation a posteriori doit porter cette
vérité à la conscience des hommes pour les mener à la gnose, à la connais­
sance. Nous recommandons vivement la lecture de toutes les œuvres du pro­
fesseur Dërmann qui jettent une lumière nouvelle sur les thèses de Vati­
can II et de Jean Paul II 321 • Il est impossible de parvenir à une compréhen­
sion profonde de la Révolution dans l'Église sans connaître ses analyses.

3 1 8 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 176 et 1 84.


3 1 9 Cardinal Woj tyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p . 1 96 et 1 97 .
3 2° Cardinal Ratzinger, L 'esprit de l a liturgie, op. cit. , p . 8 7 .
32 1 Johannes Dorrnann, L 'étrange théologie de Jean-Paul li et l 'esprit d 'Assise, Eguelshardt,
Éditions Fideliter, 1 992.
Johannes Dorrnann, La théologie de Jean-Paul II et l 'esprit d 'Assise, vol. II, la trilogie trini­
taire : Redemptor Hominis ; Dives in Misericordia ; Dominum et Vivificantem, Versailles,
Publications du Courrier de Rome, 1 995 .
Fr. Johannes Dorrnann, Pope John Paul l/'s Theological Joumey to the Prayer of Religions
in Assisi, Part II, volume 2, Second Encyclical: Dives in Misericordia, Kansas City, Angelus
Press, 1 998.
1 62 Le crucifiement de saint Pierre

« Le rapport qui existe entre la révélation a priori et celle a poste­


riori est exprimé avec exactitude et précision par cet axiome : « Le
Christ révèle l' homme à lui-même ». Ce qui veut dire que le « mystère
de l ' homme », qui se découvre dans la révélation a posteriori faite
dans le Christ, consiste en ce que tout homme possède a priori dès le
premier instant de son existence « l' existence dans le Christ » qui est
ce qu' il y a de plus profondément humain dans l 'homme. L' être le plus
profond de chaque homme et « 1' être dans le Christ » sont par consé­
quent identiques.
« Si c' est bien le cas, à partir de ce « nouveau type de théologie
« entièrement christocentrique qui ose avancer à partir du Christ une
« théologie conçue comme une anthropologie » 322 , on est arrivé à un
nouveau genre de théologie entièrement anthropocentrique. Cette
« révélation dédoublée » a donc un double caractère anthropocentri­
que, et l ' homme ou « la vérité sur l' homme » deviennent l' objet pro­
pre de cette double révélation. Vraiment, « cette révélation est centrée
sur 1' homme » ! Son centre n' est donc ni le Christ, ni Dieu !
« Si, comme le dit Redemptor hominis ( 1 3, 3 ), dès le premier ins­
tant de sa conception, l' homme possède l' image mais aussi la ressem­
blance de Dieu de façon indestructible (la révélation a priori) la
« révélation offerte aux hommes dans le Christ » (révélation a poste­
riori) ne consiste plus qu ' à faire connaître [gnose, réalisation initiati­
que] à tous les hommes leur adoption divine dans la grâce et les bien­
faits divins qui nous ont valu cette dignité. La révélation historique est
un moyen d ' interpréter ce qui constitue l' être humain en profondeur.
Une telle révélation a bien sûr par nature un "caractère anthropocen­
trique" ». 323

Initiation

Cette réalisation initiatique requiert naturellement une initiation :

« L' enseignement de Vatican II se révèle comme 1' image appro­


priée à notre temps de l' auto-réalisation de l' Église, une image qui, de
manières variées, devrait se diffuser dans les esprits de tous les mem­
bres du peuple de Dieu. Nous utiliserons de temps en temps
322
Joseph Ratzinger, in LThK [Lexikon fii r Theologie und Kirche], Freiburg i. Br, 1 968, XIV,
p. 350.
323
Johannes Dormann, La théologie de Jean-Paul II et l 'esprit d 'Assise, vol. 1/, la trilogie
trinitaire : Redemptor Hominis ; Dives in Misericordia ; Dominum et Vivificantem, op. cit. , p.
32.
La réalisation 1 63

1' expression « initiation Conciliaire » : ce sera précisément en ce sens.


« Initiation » signifie soit « introduction » soit participation actuelle à
un mystère. L' évêque, en tant que témoin authentique du Concile, est
celui qui comprend le mystère et assume ainsi la responsabilité
d'introduire et d' initier à la réalité du Concile lui-même. Puisqu ' il est
un maître dans la foi, c' est à lui plus qu' à tout autre de provoquer la
réponse de la foi qui devrait être le fruit du Concile et la base de sa
mise en pratique.
« Cet ouvrage est conçu comme une étude de !"'initiation" . » (Car­
dinal Wojtyla) 324

« Dans cette étude, nous nous sommes concentrés sur l' analyse de
l' enseignement de Vatican II du point de vue de la formation de la
conscience et des attitudes des chrétiens d' aujourd' hui. Ceci semble
être le point fondamental dans la mise en œuvre du Concile. C' est le
processus d' « initiation » par lequel la conscience conciliaire de
l' Église doit être partagée par tous et chacun et qui occupe donc la
première place dans notre étude. [ . . . ]
« Cet enrichissement de la réalité de l' Église est une initiation
complète, c ' est la maturité de la conscience et des attitudes de tous les
membres du peuple de Dieu. » (Cardinal Wojtyla) 325

C' est ainsi que les initiations païennes peuvent se mélanger aux sacre­
ments :

« Dans les pays de mission, outre les éléments d' initiation fournis
par la tradition chrétienne, il sera permis d' admettre ces autres élé­
ments d ' initiation dont on constate la pratique dans chaque peuple,
pour autant qu' on peut les adapter au rite chrétien, conformément aux
articles 37-40 de la présente Constitution. » (Vatican II, Sacrosanctum
Concilium, 65)

« "Revêtir le Christ" est sans doute une notion que saint Paul a re­
prise au culte des mystères où, dans le rite d' initiation, le néophyte
devait revêtir le masque de la divinité. Chez saint Paul, il ne s ' agit
plus de masque ni de rite mais d ' un processus de transformation, d ' un
renouvellement intérieur de l ' homme, qui vise à faire de lui un autre
Christ et qui contribue à restaurer l' unité de l ' humanité divisée depuis
le Péché originel. Le vêtement liturgique rappelle aux fidèles la voie

3 24 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 1 1 .


3 25 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 42 1 et 422. Dernières pages de l' ouvrage.
1 64 Le crucifiement de saint Pierre

nouvelle que le baptême a ouverte et que l' eucharistie parachève ; la


voie qui conduit au monde à venir, et dont les contours se dessinent
déjà dans notre quotidien grâce aux sacrements. » (Cardinal Ratzin­
ger) 326

La conscience de notre divinité

« [Selon les modernistes, que saint Pie X condamne] Toutes les


consciences chrétiennes furent enveloppées en quelque sorte dans la
conscience du Christ, ainsi que la plante dans son germe. Et de même
que les rejetons vivent de la vie du germe, ainsi faut-il dire que tous
les chrétiens vivent de la vie de Jésus-Christ. Or, la vie de Jésus-Christ
est divine, selon la foi ; divine sera donc aussi la vie des chrétiens. »
(saint Pie X, Pascendi dominici gregis, 23)

La conscience occupe une grande place dans la doctrine de Vatican Il.


Rien ne nous semble plus à même d ' en montrer la raison que les deux textes
maçonniques qui suivent et qui mettent en évidence le rôle de la conscience
dans la réalisation de notre divinité et de l ' unité du monde.

« Bien que la Maçonnerie n ' usurpe la place de la religion ni


n' entende la singer, la prière est un élément essentiel de nos cérémo­
nies. C' est l ' aspiration de l' âme vers l' Intelligence Absolue et Infinie,
l' Unique Déité Suprême que nous appelons, de manière bien inappro­
priée, un « ARCHITECTE » . Certaines facultés de l' homme sont orien­
tées vers l' Inconnu - la pensée, la méditation et la prière. L' inconnu
est un océan dont la conscience est la boussole. La pensée, la médita­
tion et la prière sont les grands mystères sur lesquels pointe 1' aiguille.
Un magnétisme spirituel relie l ' âme humaine à la Déité. Ces irradia­
tions majestueuses de 1' âme percent les ténèbres vers la lumière. »
(Albert Pike) 327

« Le Yogî, dont l ' intellect · est parfait, contemple toutes choses


comme « demeurant en lui-même (dans son propre "Soi ", sans
« aucune distinction de l' extérieur et de l' intérieur) , et ainsi, par l ' œil
« de la Connaissance (Jnâna-chakshus, expression qui pourrait être
« rendue assez exactement par "intuition intellectuelle"), il perçoit (ou
« plutôt conçoit, non rationnellement ou discursivement, mais par une

3 26 Cardinal Ratzinger, L 'esprit de la liturgie, op. cit. , p. 1 70 et 1 7 1 .


3 27 Morais and Dogma, op. cit. , p . 1 2.
La réalisation 1 65

« prise de conscience directe et un "assentiment" immédiat) que toute


« chose est Atmâ. » (René Guénon) 32 8

Peut-être nous opposera-t-on l' autorité de bien des maîtres spirituels, et


parmi les plus grands, pour qui la conscience est également le centre secret
de }'.homme où il peut rencontrer Dieu. Mais aucun n ' a j amais affirmé que
toute chose est Dieu ou Atmâ. Aucun n ' a j amais entendu nier la Révélation,
la Rédemption ou la nécessité de la grâce. Car la même question revient
toujours : si tout un chacun, sans recevoir la grâce, peut trouver Dieu en lui,
si donc tout un chacun est, en vérité, Dieu, d ' où vient l ' erreur tenace qui
nous le cache ? La seule réponse conséquente est que la nature sans la grâce
ne peut s ' approcher de Dieu.

« Il nous semble cependant essentiel de définir clairement la rela­


tion existant entre le dialogue [pratique maçonnique opposée à la pré­
dication catholique] et la foi, pour expliciter non seulement le concept
de dialogue lui-même, mais également la direction qu' il indique à
l ' Église et à la vie chrétienne.
« Ceci devient particulièrement clair quand la foi est conçue d' une
manière quelque peu existentielle, comme un état de conscience et une
attitude des croyants. » (Cardinal Wojtyla) 329

Or le catéchisme du concile de Trente 33 0 affirme, dès sa première ligne,


que la foi est « un assentiment plein et entier [de l ' intelligence à un contenu]
aux vérités révélées de Dieu », « nécessaire pour le salut, car il est écrit :
Sans la Foi, il est impossible de plaire à Dieu331 » .

3 28 René Guénon, L 'homme et son devenir selon le Vêdanta, op. cit. , p. 20 1 . Citant le Chhân­
dogya Upanishad, 6° Prapâthaka, 1 er Khanda, shrutis 4 et 6. Les incises entre parenthèses sont
des commentaires insérés par Guénon dans l e texte qu'i l cite.
329 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 26 et 27.
33° Ch. 1, § 1 : « Le mot de Foi dans l a S ainte É criture a plusieurs significations. Ici nous le
prenons pour cette vertu par laque lle nous donnons un assentiment plein et entier aux vérités
révélées de Dieu. Personne ne peut raisonnablement douter que cette Foi dont nous parlons ne
soit nécessaire pour le salut, car il est écri t : Sans la Foi, il est impossible de plaire à Dieu
[Hébr. 1 1 , 6] . En effet, la fin dernière de l ' homme - c ' est-à-dire le bonheur auquel il doit ten­
dre - est beaucoup trop élevée pour qu'i l puisse la découvrir par l es seules lumières de son
esprit. Il était donc nécessaire que Dieu Lui-même lui en donnât la connaissance. Or cette
connaissance n'est autre chose que la Foi, par l aquel le, et sans hésitation aucune, nous tenons
pour certain tout ce que l ' autorité de l a Sainte É glise notre mère nous propose comme révélé de
Dieu. Car il est impossible de concevoir le moindre doute sur les choses qui viennent de Dieu,
puisqu' Il est l a Vérité même. De là, il est faci l e de comprendre combien la Foi que nous avons
en Dieu est différente de celle que nous accordons au témoignage des historiens qui nous ra­
content des faits purement naturels. »
33 1 Hébr. 1 1 , 6.
1 66 Le crucifiement de saint Pierre

« La fonction communicative, le poids de l' événement, la trame,


même au sens habituel, sont naturellement et sévèrement limités dans
un tel théâtre. Plus que 1' événement, ce qui intéresse c ' est ce qui se
passe dans la conscience et de quelle manière la réalité objective se
déploie en elle. Cet élément, sans doute, peut aider à comprendre de
quelle manière particulière et très originale de nombreux thèmes de la
phénoménologie seront repris et vécus par Wojtyla, et particuliè­
rement, le thème de la conscience . . . Sa première initiation à la phéno­
ménologie se fait par cette voie indirecte, et nullement orthodoxe phi­
losophiquement parlant . . . et surtout par 1' expérience vécue conime
acteur sous la direction de Kotlarczyk. » 332
« Sur le rapport entre les paroles et les choses, Kotlarczyk lut et
médita des textes de la tradition théosophique (d' Helena Petrovna
Blatvatsky 333 ) de phonétique et de linguistique (Otto Jespersen), de
• • •

la tradition hébraïque (lsmar Elbogen), fondant le tout en une synthèse


tout à fait personnelle. » 334

« Quant aux autres [modernistes, que saint Pie X condamne ici] ,


que l ' on peut appeler intégralistes, ce qu' ils se font forts de montrer au
non-croyant, caché au fond de son être, c' est le germe même que Jé­
sus-Christ porta dans sa conscience et qu ' il a légué au monde. » (Saint
Pie X, Pascendi dominici gregis, 5 1 )

« Grâce à l' ouverture faite par le Concile Vatican II, l' Église et
tous les chrétiens ont pu parvenir à une conscience plus complète du
mystère du Christ, « mystère caché depuis les siècles » en Dieu, pour
être révélé dans le temps - dans l' Homme Jésus-Christ - et pour se ré­
véler continuellement, en tout temps. Dans le Christ et par le Christ,
Dieu s ' est révélé pleinement à l' humanité et s' est définitivement rendu
proche d' elle ; en même temps, dans le Christ et par le Christ,
l' homme a acquis une pleine conscience de sa dignité, de son éléva­
tion, de la valeur transcendante de l' humanité elle-même, du sens de
son existence. » (Jean Paul Il, Redemptor hominis, 1 1 )

« Il semblerait que le Concile, confronté au grand problème de


l' auto-connaissance de l' Église, ait expressément relié l' image de la

33 2 Rocco Buttiglione, La pensée de Karol Wojtyla, p. 39. Cité par : Abbé Daniel Le Roux,
Pierre m 'aimes-tu ?, Escurolles, Éditions Fideliter, 1 988, p. 63.
333 Occultiste notoire.
334 Ibid.
La réalisation 1 67

vie intérieure de Dieu, telle que nous 1' expose la révélation, avec la
conscience du salut, qui réside dans une participation à cette vie. [ . . . ]
« L' enrichissement de la foi dans la Sainte Trinité, exprimé dans
l' enseignement de Vatican II, est lié à la réalité de la mission des Per­
sonnes divines. Cette mission, destinée à l' homme, constitue la réalité
divine de l' Église ; grâce à elle, l' Église porte en elle-même la cons­
cience du salut et cherche à la partager avec tout homme, avec toute la
famille humaine. Cette conscience est exprimée par l' une des premiè­
res phrases de Lumen Gentium :
« LG 1 335 . . . l' Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le
« sacrement, c' est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l ' union
« intime avec Dieu et de l' unité de tout le genre humain. »
« On peut également dire que cette auto-conscience de 1' Église,
telle que 1' exprime le Concile, est le point de départ de
l' enrichissement de la foi qui unit la réalité divine de la Sainte Trinité
avec la réalité de l' humanité. » (Cardinal Wojtyla) 336

La seconde partie de Sources of Renewal s' intitule effectivement La


formation de la conscience.

La conscience, lieu de la Révélation

Nous venons de voir que l' homme doit prendre conscience de sa divini­
té, de sa participation réelle à la vie trinitaire. Dieu se révèle donc progres­
sivement dans sa conscience, en une révélation continue. Il s ' agit d'un illu­
minisme qui nie la foi, soumission à l' autorité de Dieu révélant et la rem­
place par 1' expérience. La Révélation intérieure, continue, éclot en réalisa­
tion. Il s' agit là encore de conséquences directes du panthéisme. Les textes
suivants doivent être lus à cette lumière, en se souvenant que pour les mo­
dernistes, la révélation est révélation de la divinité de l' homme, la foi est foi
en la divinité de l' homme. Ce qui jaillit des profondeurs de l' homme, dans
sa conscience, c' est la conscience de cette divinité qu ' il doit progressive­
ment réaliser337 .

« Ensuite, la Révélation n' est pas une théorie ou une idéologie, elle
réside en ce que le Fils de Dieu par son Incarnation s' est uni à chaque

335 Vatican II, Lumen gentium.


33 6 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 53 et 59. Cette citation doit également être
comprise dans un sens hégélien. Cf infra, p. 259 sq. et 28 1 sq.
337 Toutes ces idées sont également très proches de la notion de tradition vivante.
1 68 Le crucifiement de saint Pierre

homme, qu' il est devenu en tant qu' homme « l' un de nous », en tout
semblable à nous, hormis le péché (He 4, 1 5 ) ». (Cardinal Wojtyla) 33 8

La Révélation n' est· donc pas un dépôt révélé auquel nous devons donner
notre assentiment par la foi. Il nous faut au contraire prendre conscience que
« le Fils de Dieu par son Incarnation s' est uni à chaque homme », prendre
conscience de la Révélation. S aint Pie X condamne ces divagations :

« Là ne se borne pas leur philosophie, ou, pour mieux dire, leurs


divagations.
« Dans ce sentiment [suscité par le besoin du divin] ils trouvent
donc la foi ; mais aussi, avec la foi et dans la foi, la révélation.
« Et pour la révélation, en effet, que veut-on de plus ? Ce senti­
ment qui apparaît dans la conscience, et Dieu qui, dans ce sentiment,
quoique confusément encore, se manifeste à l ' âme, n' est-ce point là
une révélation, ou tout au moins un commencement de révélation ?
Même si l ' on y regarde bien, du moment que Dieu est tout ensemble
cause et objet de la foi, dans la foi on trouve donc la révélation, et
comme venant de Dieu et comme portant sur Dieu, c' est-à-dire que
Dieu y est dans le même temps révélateur et révélé. De là, Vénérables
Frères, cette doctrine absurde des modernistes, que toute religion est à
la fois naturelle et surnaturelle, selon le point de vue. De là,
l' équivalence entre la conscience et la révélation. De là, enfin, la loi
qui érige la conscience religieuse en règle universelle, entièrement de
pair avec la révélation, et à laquelle tout doit s ' assujettir, jusqu ' à
l' autorité suprême dans sa triple manifestation, doctrinale, culturelle,
disciplinaire. » (Saint Pie X, Pascendi dominici gregis, 8)

« De cette manière, la nature personnelle de l ' homme s ' exprime


par un acte de foi, un acte qui j aillit des profondeurs de l' humanité de
l' homme et qui doit être défini comme personnel. La foi est un pro­
blème de conscience ». (Cardinal Wojtyla) 33 9

Saint Pie X a insisté sur la confusion entre l ' ordre naturel et l' ordre sur­
naturel qui résulte des divagations modernistes. Le premier concile du Vati­
can insiste sur le caractère surnaturel de la foi, don de Dieu conforme à la
raison et « nullement mouvement aveugle de l' esprit » :

338 Cardinal Woj tyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 35 .


339 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 23.
La réalisation 1 69

« Puisque l' homme dépend totalement de Dieu comme son créa­


teur et Seigneur, et que la raison créée est complètement soumise à la
Vérité incréée, nous sommes tenus de présenter par la foi à Dieu qui
se révèle, la soumission plénière de notre intelligence et de notre vo­
lonté. Cette foi, qui est commencement du salut de l ' homme, l ' Église
catholique professe qu' elle est une vertu surnaturelle par laquelle, pré­
venus par Dieu et aidés par la grâce, nous croyons vraies les choses
qu' il nous a révélées, non pas à cause de leur vérité intrinsèque perçue
par la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l' autorité de Dieu
même qui révèle, lequel ne peut ni se tromper ni nous tromper. « Car
« la foi, atteste 1 ' Apôtre, est la substance de ce que nous espérons et la
« preuve des réalités qu ' on ne voit pas » (He 1 1 , 1 ) .
« La foi conforme à l a raison.
« Néanmoins, pour que l ' hommage de notre foi soit conforme à la
raison (Rm 1 2, 1 ) Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint­
Esprit soient accompagnés de preuves extérieures de sa Révélation, à
savoir des faits divins et surtout les miracles et les prophéties qui, en
montrant de manière impressionnante la toute-puissance de Dieu et sa
science sans borne, sont des signes très certains de la Révélation di­
vine, adaptés à l ' intelligence de tous. C ' est pourquoi Moïse et les pro­
phètes et surtout le Christ notre Seigneur firent des miracles nombreux
et éclatants et prophétisèrent ; et, à propos des apôtres, nous lisons
dans l' Écriture « Etant partis, ils prêchèrent partout, le Seigneur coo­
pérant avec eux et confirmant leurs paroles » (Mc 1 6, 20) . Il est éga­
lement écrit : « Nous avons une parole Prophétique plus forte, sur
« laquelle vous faites bien de fixer votre attention comme une lampe
« qui brille dans un lieu obscur » (2 P 1 , 1 9) .
« L a foi, un don d e Dieu.
« Bien que l' assentiment de la foi ne soit nullement un mouvement
aveugle de l' esprit, personne cependant ne peut donner son adhésion à
la prédication évangélique de la manière requise pour obtenir le salut
« sans l' illumination et l' inspiration du Saint-Esprit qui donne à tous
son onction lorsqu' ils adhèrent et croient à la vérité » (2ème concile
d' Orange) . C' est pourquoi la foi en elle-même, même si elle n' opère
pas par la charité, est un don de Dieu ; et l ' acte de foi est une œuvre
salutaire, par laquelle l' homme offre à Dieu lui-même sa libre obéis­
sance en acquiesçant et en coopérant à la grâce à laquelle il pouvait ré­
sister. [ . . . ]
« Si quelqu ' un dit que la Révélation divine ne peut être rendue
croyable par des signes extérieurs et que, dès lors, les hommes doivent
être poussés à la foi uniquement par leur expérience intérieure person-
1 70 Le crucifiement de saint Pierre

nelle ou par une inspiration privée, qu' il soit anathème. » (Vatican I,


Dei Filius, 3 et can. 3)

Sauf à confondre le naturel et le surnaturel, l ' homme avec Dieu, on ne


peut prétendre que l ' inspiration du Saint-Esprit vienne des profondeurs de
l 'humanité de l' homme. Mais, à l' inverse de Dei Filius, constitution du
premier concile du Vatican que nous venons de citer, Dei Verbum, constitu­
tion du second concile du Vatican, ne rappelle pas que nous croyons en ver­
tu de 1' autorité de Dieu révélant.

« [Proposition réprouvée et proscrite : ] XX. - La Révélation n' a pu


'
être autre chose que la conscience acquise par l' homme des rapports
existants entre Dieu et lui. » (Saint Pie X, Lamentabili)

« La venue de Dieu à l' homme est, d' abord et avant tout, révéla­
tion. Le contenu de la révélation, et le but de cette venue qui eut lieu et
continue d' avoir lieu dans le temps, est le salut. La conscience du sa­
lut est étroitement liée à la mission du Fils et du Saint Esprit ». (Car­
dinal Wojtyla) 340

La tradition affirme au contraire que la Révélation publique s ' est termi­


née à la mort du dernier apôtre. Or en écrivant « qui eut lieu et continue
d' avoir lieu », le cardinal banalise la Révélation publique et la confond avec
les (rares) révélations privées.

« L' itinéraire spirituel mène à Dieu à partir du tréfonds de la créa­


ture et de l' homme. La mentalité contemporaine trouve dans cette voie
un certain point d' appui dans l'expérimentation et la mise en évi­
dence de la transcendance de la personne humaine. » (Cardinal Wojty­
la) 34 1

« [J]e tiens très certainement et professe sincèrement que la foi


n' est pas un sentiment religieux aveugle qui émerge des ténèbres du
subconscient sous la pression du cœur et l' inclination de la volonté
moralement informée, mais qu ' elle est un véritable assentiment de
l' intelligence à la vérité reçue du dehors, de l' écoute, par lequel nous
croyons vrai, à cause de l ' autorité de Dieu souverainement véridique,
ce qui a été dit, attesté et révélé par le Dieu personnel, notre Créateur
et notre Seigneur. [ . . . ]

34° Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 1 59.


34 1 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 30.
La réalisation 171

« Enfin, d' une manière générale, j e professe n' avoir absolument


rien de commun avec l' erreur des modernistes qui tiennent qu ' il n ' y a
rien de divin dans la tradition sacrée, ou, bien pis, qui admettent le di­
vin dans un sens panthéiste ». (Saint Pie X, Serment anti-moderniste)

« [N]ous nous devons d' affirmer que toute autoréalisation, toute


autocréation a sa source dans la conscience humaine, dans le centre
spirituel de l' homme. Nous lisons dans Gaudium et Spes, 1 6 :
« Au fond de sa conscience, l ' homme découvre la présence d' une
« loi qu ' il ne s ' est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu
« d' obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d' aimer et d' accomplir
« le bien et d' éviter le mal, au moment opportun résonne dans
« l' intimité de son cœur : "Fais ceci, évite cela" . Car c' est une loi
« inscrite par Dieu au cœur de l' homme ; sa dignité est de lui obéir, et
« c' est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de
« l' homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait
« entendre. C 'est d 'une manière admirable que se découvre à la
« conscience cette loi qui s 'accomplit dans l 'amour de Dieu et du
« prochain . Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres
« hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de
« tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que
« la vie sociale. Plus la conscience droite l' emporte, plus les personnes
« et les groupes s ' éloignent d' une décision aveugle et tendent à se
« conformer aux normes objectives de la moralité. Toutefois, il arrive
« souvent que la conscience s' égare, par suite d' une ignorance
« invincible, sans perdre pour autant sa dignité. Ce que l ' on ne peut
« dire lorsque l' homme se soucie peu de rechercher le vrai et le bien et
« lorsque l' habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque
« aveugle. » (Cardinal Wojtyla) 342

Le passage en italiques, bien que figurant dans Gaudium et spes 1 6, n' est
pas cité par le cardinal. C ' est pourtant lui qui laisse entendre que la loi
évangélique se révèle dans la conscience et c' est aussi ce passage qui intro­
duit la suite, qui décrit l ' amour du prochain (les chrétiens, unis aux autres
hommes, doivent chercher) dont la source est précisément la conscience
(Par fidélité à la conscience) . La « voix [de Dieu qui] se fait entendre »
n' est donc pas seulement la loi naturelle mais aussi la loi nouvelle qui nous
conduit « par l' amour qui est infusé en nos cœurs par la grâce du Christ » 343

342 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 79.


343 ST, I II, q. 9 1 , a. 5 , resp.
1 72 Le crucifiement de saint Pierre

« Par son intériorité, il dépasse en effet l ' univers des choses : c' est
à ces profondeurs qu' il revient lorsqu' il fait retour en lui-même où
1 ' attend ce Dieu qui scrute les cœurs et où il décide personnellement
de son propre sort sous le regard de Dieu. » (Vatican II, Gaudium et
spes, 1 4.2)

« Mais c' est par sa conscience que l' homme perçoit et reconnaît
les injonctions de la loi divine [révélée et non naturelle] ; c' est elle
qu' il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités, pour parve­
nir à sa fin qui est Dieu. » (Vatican II, Dignitatis humanae, 3)

S aint Pie X, condamnant ces erreurs, énonce explicitement qu' elles dé­
passent l' affirmation du droit de la nature à l' ordre surnaturel - puisque la
nature elle-même serait à l' origine du surnaturel. Le saint pape conclut logi­
quement que ces hérésies mènent au panthéisme :

« Certes, il ne s ' agit plus de la vieille erreur qui dotait la nature


humaine d' une espèce de droit à l ' ordre surnaturel. Que cela est dé­
passé ! En l ' homme qui est Jésus-Christ, aussi bien qu ' en nous, notre
sainte religion n' est autre chose qu' un fruit simple et spontané de la
nature. Y a-t-il rien, en vérité, qui détruise plus radicalement l' ordre
surnaturel ? C ' est donc avec souverainement de raison que le [pre­
mier] Concile du Vatican a décrété ce qui suit : Si quelqu 'un dit que
l 'homme ne peut être élevé à une connaissance et à une peifection qui
surpassent la nature, mais qu 'il peut et qu 'il doit, par un progrès
continu, parvenir enfin de lui-même à la possession de tout vrai et de
tout bien, qu 'il soit anathème344 • » (Saint Pie X, Pascendi dominici
gregis, 1 1 )

« Que reste-t-il donc, sinon l' anéantissement de toute religion et


l ' athéisme ? Ce n' est certes pas la doctrine du symbolisme qui pourra
le conjurer. Car si tous les éléments, dans la religion, ne sont que de
purs symboles de Dieu, pourquoi le nom même de Dieu, le nom de
personnalité divine ne seraient-ils pas aussi de purs symboles ? Cela
admis, voilà la personnalité de Dieu mise en question et la voie ou­
verte au panthéisme. Au panthéisme, mais cette autre doctrine de
l' immanence divine y conduit tout droit. Car Nous demandons si elle
laisse Dieu distinct de l' homme ou non : si distinct, en quoi diffère+
elle de la doctrine catholique et de quel droit rejeter la révélation exté­
rieure ? Si non distinct, nous voilà en plein panthéisme. Or, la doctrine

3 44 De Revel. , can. m.
La réalisation 1 73

de 1' immanence, au sens moderniste, tient et professe que tout phéno­


mène de conscience est issu de l' homme en tant qu ' homme. La
conclusion rigoureuse c'est l 'identité de l 'homme et de Dieu, c'est­
à-dire le panthéisme. » (Saint Pie X, Pascendi dominici gregis, 55)

On confond ainsi la Révélation et la grâce, qui fait réellement habiter la


très sainte Trinité en nos âmes. La thèse de la révélation intérieure est une
conséquence du panthéisme : si nous sommes Dieu, la révélation doit néces­
sairement nous mener à la conscience de notre divinité, à la révélation inté­
rieure. En revanche, si Dieu nous est aussi transcendant, la Révélation est un
ensemble de vérités auxquelles nous devons donner notre assentiment par la
foi. Dans un cas, la Révélation sera fixe, dans l ' autre elle se prolongera dans
un processus personnel puis social, ecclésial et historique, dans une tradition
vivante aboutissant à l ' historicisme et minorant nécessairement le rôle de
l' Église enseignante.
CHAPITRE VII

L' É glise,

sacrement de l'union intime avec Dieu

et de l'unité de tout le genre humain

L'unité du genre humain

' affirmation de l' unité du genre humain découle immédiatement de


L la vision holistique et panthéiste, de la notion de salut universel, col­
lectif et cosmique. Si tous sont Dieu, le genre humain est un en Dieu. Inver­
sement, si le genre humain est un avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, il est
divin. L' insistance sur l' unité naturelle du genre humain, au détriment de la
séparation qui sera effectuée au Jugement dernier, est une attitude maçonni­
que et conciliaire, inconnue de la doctrine catholique. L' Église triomphante
est étendue à tout l ' univers.
La doctrine gnostique affirme que les hommes sont unis spirituellement.
Cette union a plusieurs degrés (tout comme la communion dans l' Église
conciliaire) : il y a ceux qui en sont conscients, qui 1' ont réalisée, les initiés
- et les autres. C' est pourquoi il leur faut réaliser cette unité divine. C' est
également la raison de l' œcuménisme, sujet que nous aborderons au pro­
chain chapitre. Comme nous l' avons remarqué, l' affirmation de l' unité du
genre humain est également une conséquence de la notion de salut collectif ;
les textes qui ont été donnés à ce sujet peuvent fréquemment être relus pour
mettre en relief l' affirmation de l' unité du genre humain dans les écrits
conciliaires.
Le genre humain doit prendre conscience de sa divinité, la réaliser, non
plus comme collection d' individus mais comme personne spirituelle unique,
comme Peuple mondial qui doit atteindre l' Esprit du Monde. L' Esprit
n' aspire qu' « à produire un monde spirituel qui soit adéquat à son concept, à
accomplir et réaliser sa vérité, à produire une religion, un État qui corres­
pondent à son concept » (Hegel) 345 . Tous recevront alors l ' illumination
cosmique, une religion globale sera instaurée et le paradis descendra sur
terre. La doctrine conciliaire vise à surnaturaliser la nature en affirmant que
la communion des saints est réalisée dès maintenant, ici bas, en enseignant

345 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, Paris, 1 0/ 1 8 , 2006, p. 83.


L' Église sacrement 1 75

que l' Église triomphante s ' étend à tout l' univers et en confondant la vie
éternelle et la vie terrestre.
Nous nous bornerons, dans ce chapitre, à mettre en évidence
l' affirmation conciliaire de l' unité spirituelle du genre humain. Les consé­
quences temporelles, politiques, sont immédiates : collectivisme, socia­
lisme, communisme, mondialisme, totalitarisme - qui ont donc tous la
même origine et sont tous frères, comme l' histoire l ' a prouvé. La vision
holistique, le monisme émanationiste, panthéiste, maçonnique et gnostique
est à la racine de toutes ces utopies meurtrières, à la racine du communisme
et du mondialisme.

« Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postéri­


té et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête, et tu la meurtriras au
talon. » (Gn 3, 1 5 )

« Les hommes ne sont pas distingués essentiellement par la diffé­


rence des langues qu ' ils parlent, des habits qu' ils portent, des pays
qu' ils occupent, ni des dignités dont ils sont revêtus. Le monde entier
n' est qu' une grande république, dont chaque nation est une famille, et
chaque particulier un enfant. C' est pour faire revivre et répandre ces
anciennes maximes prises dans la nature de l ' homme, que notre Socié­
té [la franc-maçonnerie] fut établie. » (Discours de Ramsay, 1 738)

Voici un siècle ( 1 884 ), Léon XIII rappelait la haine dont Satan et son
royaume poursuivent l' Église. Cette doctrine est maintenant totalement oc­
cultée, ce qui entraîne cette question : se seraient-ils convertis entre temps ?

« Depuis que, par la jalousie du démon, le genre humain s ' est mi­
sérablement séparé de Dieu auquel il était redevable de son appel à
l' existence et des dons surnaturels, il s ' est partagé en deux camps en­
nemis, lesquels ne cessent pas de combattre, l ' un pour la vérité et la
vertu, l' autre pour tout ce qui est contraire à la vertu et à la vérité. Le
premier est le royaume de Dieu sur la terre, à savoir la véritable Église
de Jésus Christ, dont les membres, s' ils veulent lui appartenir du fond
du cœur et de manière à opérer le salut, doivent nécessairement servir
Dieu et son Fils unique, de toute leur âme, de toute leur volonté. Le
second est le royaume de Satan. Sous son empire et en sa puissance se
trouvent tous ceux qui, suivant les funestes exemples de leur chef et de
nos premiers parents, refusent d' obéir à la loi divine et multiplient
leurs efforts, ici, pour se passer de Dieu, là pour agir directement
contre Dieu.
1 76 Le crucifiement de saint Pierre

« Ces deux royaumes, saint Augustin les a vus et décrits avec une
grande perspicacité [ . . . ] .
« À notre époque, les fauteurs du mal paraissent s' être coalisés
dans un immense effort, sous l' impulsion et avec l' aide d' une Société
répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la So­
ciété des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine
de dissimuler leurs intentions et ils rivalisent d' audace entre eux
contre l' auguste majesté de Dieu. C' est publiquement, à ciel ouvert,
qu ' ils entreprennent de ruiner la sainte Église, afin d' arriver, si c' était
possible, à dépouiller complètement les nations chrétiennes des bien­
faits dont elles sont redevables au S auveur Jésus Christ.
« Gémissant à la vue des maux et sous l' impulsion de la charité,
Nous Nous sentons souvent porté à crier vers Dieu, « Seigneur, voici
« que vos ennemis font un grand fracas, ceux qui vous haïssent ont
« levé la tête. Ils ont ourdi contre votre peuple des complots pleins de
« malice et ils ont résolu de perdre vos saints. Oui, ont-ils dit, venez et
« chassons-les du sein des nations. » (Léon XIII, Humanum genus)

« En assumant la nature humaine c ' est toute l' humanité qu ' il s 'est
unie par une solidarité surnaturelle qui en fait une seule famille ».
(Vatican II, Apostolicam actuositatem, 8)

« À faire partie du peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés.


C' est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à se di­
later aux dimensions de l' univers entier et à toute la suite des siècles
pour que s ' accomplisse ce que s ' est proposé la volonté de Dieu créant
à l' origine la nature humaine dans l ' unité, et décidant de rassembler
enfin dans l' unité ses fils dispersés (cf. Jean 1 1 , 52). C' est dans ce but
que Dieu envoya son Fils dont il fit l' héritier de l ' univers (cf. Héb. 1 ,
2), pour être à l' égard de tous Maître, Roi et Prêtre, chef du nouveau
peuple des fils de Dieu étendu à l ' univers. » (Vatican II, Lumen gen­
tium, 1 3)

« [L]a destinée [de ce peuple messianique] enfin, c ' est le royaume


de Dieu, inauguré sur la terre par Dieu même, qui doit se dilater en­
core plus loin jusqu ' à ce que à la fin des siècles, il reçoive enfin de
Dieu son achèvement, lorsque le Christ notre vie sera apparu (cf. Col
3, 4) et que « la création elle-même sera affranchie de l ' esclavage de
la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de Dieu »
(Rm 8, 2 1 ) . C ' est pourquoi ce peuple messianique, bien qu' il ne com­
prenne pas encore effectivement l ' universalité des hommes et qu' il
garde souvent les apparences d ' un petit troupeau, constitue cependant
L' Église sacrement 1 77

pour tout l' ensemble du genre humain le germe le plus fort d' unité,
d' espérance et de salut. Etabli par le Christ pour communier à la vie, à
la charité et à la vérité, il est entre ses mains l' instrument de la Ré­
demption de tous les hommes, au monde entier il est envoyé comme
lumière du monde et sel de la terre (cf. Mt 5 , 1 3- 1 6) . » (Vatican II,
Lumen gentium, 9)

« L' Église, à laquelle nous sommes tous appelés dans le Christ et


dans laquelle nous acquérons la sainteté par la grâce de Dieu, n' aura
sa consommation que dans la gloire céleste, lorsque viendra le temps
où toutes choses seront renouvelées (Act. 3 , 1 ) et que, avec le genre
humain, tout l' univers lui-même, intimement uni avec l' homme et at­
teignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive per­
fection (cf. Eph. 1 , 1 0 ; Col. 1 , 20 ; 2 Pierre 3 , 1 0- 1 3) . » (Vatican II,
Lumen gentium 48)

« La communauté des chrétiens se reconnaît donc réellement et in­


timement solidaire du genre humain et de son histoire.
« C ' est pourquoi, après s' être efforcé de pénétrer plus avant dans le
mystère de l' Église, le deuxième Concile du Vatican n' hésite pas à
s' adresser maintenant, non plus aux seuls fils de l ' Église et à tous ceux
qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes. À tous il veut ex­
poser comment il envisage la présence et l' action de l' Église dans le
monde d' aujourd' hui.
« Le monde qu' il a ainsi en vue est celui des hommes, la famille
humaine tout entière avec l ' univers au sein duquel elle vit. C ' est le
théâtre où se joue l' histoire du genre humain, le monde marqué par
l ' effort de l ' homme, ses défaites et ses victoires. Pour la foi des chré­
tiens, ce monde a été fondé et demeure conservé par 1' amour du Créa­
teur ; il est tombé certes, sous l' esclavage du péché, mais le Christ, par
la Croix et la Résurrection, a brisé le pouvoir du Malin et l ' a libéré
pour qu' il soit transformé selon le dessein de Dieu et qu' il parvienne
ainsi à son accomplissement.
« De nos jours, saisi d' admiration devant ses propres découvertes
et son propre pouvoir, le genre humain s ' interroge cependant, souvent
avec angoisse, sur l ' évolution présente du monde, sur la place et le
rôle de l' homme dans l ' univers, sur le sens de ses efforts individuels et
collectifs, enfin sur la destinée ultime des choses et de l' humanité.
Aussi le Concile, témoin et guide de la foi de tout le peuple de Dieu
rassemblé par le Christ, ne saurait donner une preuve plus parlante de
solidarité, de respect et d' amour à l' ensemble de la famille humaine, à
laquelle ce peuple appartient, qu' en dialoguant avec elle sur ces diffé-
1 78 Le crucifiement de saint Pierre

rents problèmes, en les éclairant à la lumière de l' Évangile, et en met­


tant à la disposition du genre humain la puissance salvatrice que
l' Église, conduite par l' Esprit-Saint, reçoit de son Fondateur. C' est en
effet l' homme qu' il s ' agit de sauver, la société humaine qu' il faut re­
nouveler. C' est donc l' homme, l' homme considéré dans son unité et
sa totalité, l ' homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et vo­
lonté, qui constituera l' axe de tout notre exposé.
« Voilà pourquoi, en proclamant la très noble vocation de
l' homme et en affirmant qu' un germe divin est déposé en lui, ce saint
Synode offre au genre humain la collaboration sincère de l' Église pour
l' instauration d' une fraternité universelle qui réponde à cette voca­
tion. » (Vatican II, Gaudium et spes, 1 , 2 et 3)

« Le Fils de Dieu, dans la nature humaine qu ' il s ' est unie, a racheté
l' homme en triomphant de la mort par sa mort et sa résurrection, et il
l ' a transformé en une créature nouvelle (cf. Gal 6, 1 5 ; 2 Cor 5, 1 7 ) .
E n effet, e n communiquant son Esprit à ses frères, qu' il rassemblait de
toutes les nations, il a fait d'eux, mystiquement, comme son Corps.
[. . ]
.

« Mais comme tous les membres du corps humain, malgré leur


multiplicité, ne forment cependant qu ' un seul corps,. ainsi les fidèles
dans le Christ (cf. 1 Cor 1 2, 1 2) . » (Vatican II, Lumen gentium 7)

« À ceux qui croient à la divine charité, [le Verbe de Dieu] apporte


ainsi la certitude que la voie de l' amour est ouverte à tous les hommes
et que l ' effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n' est pas
vain. » (Vatican Il, Gaudium et spes, 38) 346

« En effet, plus le monde s ' unifie et plus il est manifeste que les
obligations de l' homme dépassent les groupes particuliers pour
s ' étendre peu à peu à l' univers entier. » (Vatican II, Gaudium . et spes,
30)

« Voilà ce que se propose . le Concile œcuménique Vatican II, qui


[ . . . ] prépare et aplanit la voie menant à l' unité du genre humain, fon­
dement nécessaire pour faire que la cité terrestre soit à l' image de la
cité céleste ». (Jean XXIII, Discours d' ouverture du Concile) 347

346 Voir également Lumen gentium, 2 8 . 5 .


347 Gaudet Mater Ecclesia, 8.
L'Église sacrement 1 79

« Face à cela, de Lubac, en se fondant sur la théologie des Pères


dans toute son ampleur, a pu montrer que le salut a toujours été consi­
déré comme une réalité communautaire. La Lettre aux Hébreux parle
d' une « cité » (cf. 1 1 , 1 0. 1 6 ; 1 2, 22 ; 1 3 , 1 4) et donc d ' un salut com­
munautaire. De manière cohérente, le péché est compris par les Pères
comme destruction de l' unité du genre humain, comme fragmentation
et division. B abel, le lieu de la confusion des langues et de la sépara­
tion, se révèle comme expression de ce qu' est fondamentalement le
péché. Et ainsi, la « rédemption » apparaît vraiment comme le réta­
blissement de l' unité, où nous nous retrouvons de nouveau ensemble,
dans une union qui se profile dans la communauté mondiale des
croyants . » (Benoît XVI, Spe salvi, 1 4 ) 34 8

« L' essence du péché originel consiste dans le morcellement en in­


dividualités qui ne connaissent qu' elles-mêmes ; et l' essence de la ré­
demption consiste dans le retour à l' unité de l' image éclatée de Dieu;
dans la réunification de 1' humanité par le seul et dans le seul qui
tienne la place de tous et dans lequel, selon le mot de saint Paul (Ga 3,
28), tous doivent ne plus faire qu' un : Jésus-Christ. Partant de là, de
Lubac adopte le mot de « Catholicisme » comme le mot-clé de toute
sa pensée théologique : Être chrétien, cela veut dire être catholique,
c ' est-à-dire être en chemin vers une unité totale. L' unification, c'est la
rédemption, car c ' est la réalisation de notre correspondance avec Dieu,
Unité des trois personnes. Mais, de ce fait, l' unité avec lui est liée à
notre propre unité et se réalise par elle.
« Cette concentration sur la réalité catholique semble entièrement
dirigée vers l ' intérieur mais se révèle en fait, dans sa poussée origi­
nelle, comme passionnément attentive à la recherche de l' homme
d' aujourd' hui : dans la mesure même où ce noyau le plus intime du
christianisme est annoncé et vécu, il doit se révéler comme la réponse
et la force capable de renverser le sens de ce qui est le moteur de
l' humanisme athée - à savoir, un humanisme en quête de l' unification
de l' humanité. Il faut avoir cela sous les yeux pour bien comprendre
l ' intention de Vatican II, car celui-ci, dans tout ce qu' il dit sur
l ' Église, se meut exactement dans la direction de la pensée du père de
Lubac. Il ne s ' agit pas pour le concile d ' un retour de l ' Église sur elle­
même, d' une simple introversion, mais de la découverte de l ' Église
comme sacrement, comme signe et instrument de l' unité, et donc de la
réponse à la question devant laquelle nul ne peut plus en notre siècle

348 Voir également la citation du cardinal Ratzinger donnée au chapitre VI, § Initiation, en p.
1 63 sq.
1 80 Le crucifiement de saint Pierre

se dérober. Peut-être est-il bon d' écouter ici les pages par lesquelles,
en 1 93 8 , le père de Lubac ouvrait la porte à une nouvelle concep­
tion. » (Cardinal Ratzinger) 349

« En ceci est apparue la charité de Dieu pour nous, que le Fils uni­
que de Dieu a été envoyé au monde par le Père pour que, par son In­
carnation, il régénérât tout le genre humain, lui procurant la rédemp­
tion et le rassemblement en un tout. » (Vatican II, Unitatis redintegra­
tio, 2)

« Tout au fond il s' agit de l' avenir de l' homme lequel ne peut se
réaliser que comme avenir de l' humanité. Il s' agit de l' humanité
comme ne pouvant parvenir à être elle-même qu ' en se dépassant.
Dans la théologie scholastique tout comme dans la théologie patristi­
que, la christologie se construit sur deux pôles l ' un situé dans le passé
et articulé sur la doctrine du péché originel l' autre dans l' avenir et
trouvant sa constante décision dans la conception biblique de Christ
« homme ultime », c ' est-à-dire révélation et prémice de la manière
d' être définitive de l' homme. Si du premier point de vue il faut dire
que le Christ est nécessaire pour que le fardeau du passé - le péché
originel - soit surmonté, de l' autre point de vue il faut affirmer : le
Christ est nécessaire pour que l' humanité atteigne son avenir, car elle
n ' est pas capable de le réaliser seule. [ . . . ]
« Et cela signifie d' ailleurs aussi qu ' il faudrait récuser comme in­
suffisante toute théologie qui réduirait le salut à une pure subjectivité
non obj ectivable, alors qu' il est précisément la libération de
l ' isolement et de la subjectivité et l ' introduction au service de
l' ensemble. [ . . . ]
« Jésus est le Christ. Dieu est homme et avenir de l' homme ; cela
signifie donc être un avec Dieu, et par conséquent être un avec
l' humanité qui sera un homme unique définitif dans l' unité complexe
que crée l' exode de l' amour. » (Cardinal Ratzinger) 350

« Nous savons aujourd' hui plus que j amais que l' existence d'un
chacun touche à cet abîme [l' enfer] ; et comme en définitive
l' humanité est un homme, cet abîme ne concerne pas seulement
l' individu, mais le corps unique de la race humaine en son entier, qui

349 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 5 1 et 52.
35° Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 208, 209 et 2 1 1 .
Voir le début de ce texte en page 1 40.
L' Église sacrement 181

doit donc supporter solidairement la profondeur de cet abîme. » (Car­


dinal Ratzinger) 35 1

« Le fait que cette résurrection est attendue pour le « dernier jour »,


pour la fin des temps, et dans la communion de tous les hommes,
indique le caractère solidaire de l ' immortalité humaine ; celle-ci
se réfère à l ' ensemble de l ' humanité, l ' individu ayant vécu, et arri­
vant donc à sa béatitude ou à sa perte, en dépendance de la totalité,
avec elle et ordonné à elle . Ce n ' est l à au fond qu ' une consé­
quence naturelle du caractère propre de l' idée biblique d ' immortalité,
qui voit l'homme dans sa totalité. Pour la pensée grecque, le corps et
donc aussi l' histoire restent extérieurs à l ' âme ; celle-ci peut exister
séparément et n ' a pas besoin pour cela d ' un autre être. Au
contraire, pour l' homme conçu comme unité, la solidarité avec les au­
tres est quelque chose de constitutif ; si c ' est lui qui doit continuer à
vivre, cette dimeQsion ne saurait manquer. Ainsi apparaît résolue, par
un retour à la pensée biblique la question souvent débattue de la possi­
bilité d' une communion des hommes entre eux après la mort ; cette
question ne pouvait, en fin de compte, se poser que par suite d' une pré­
pondérance de l ' élément grec au point de dép art de la réflexion : là
où l ' on croit à l a « communion des saints », l ' idée de l 'anima se­
parata (de l ' « âme séparée » dont parle la scolastique) se trouve fina­
lement dépassée. [ . . ] .

« Et parce que c'est l'homme lui-même qui vivra et non pas seule­
ment une âme isolée, 1' élément de solidarité communautaire appartient
aussi à l' avenir ; c ' est pour cela que l ' avenir de l ' homme p articu­
lier ne sera accompli que lorsque l' avenir de l' humanité le sera égale­
ment. » (Cardinal Ratzinger) 352

« La révélation chrétienne de l' unité du genre humain présuppose


une interprétation métaphysique de 1 ' humanum où la relation est un
élément essentiel. » (Benoît XVI, Caritas in veritate, § 5 5 . 1 ) 353

35 1 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 222.
352 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 253 , 254 et 256.
Voir également la citation de la page 1 82 du même ouvrage donnée chapitre VI, § L' homme
est-il Dieu ?, p. 1 5 1 .
353 Voir également 34.2. La notion de relation j oue un rôle essentiel dans la théologie mo­
deme : puisque nous sommes tous Dieu, nos relations sont des relations en Dieu et nous ne
pouvons envisager de rester sans relation avec ce Dieu qui est en autrui. À l' inverse, pour la
théologie catholique et la philosophie de l ' être, la relation n'est qu'un accident de l 'être. Le
Dieu Créateur crée des êtres et des personnes ; le Grand Tout ne connaît que des « parties » en
relation les unes avec les autres. Ces remarques mériteraient d' être développées, touchant à la
base philosophique de tous les totalitarismes.
1 82 Le crucifiement de saint Pierre

« L' événement de la croix est pain de vie « pour la multitude » (Le


22, 1 9), parce que le Crucifié a remodelé le corps de l' humanité pour
lui donner la forme du « oui » de 1' adoration. Il est pleinement
« anthropocentrique », pleinement ordonné à l ' homme, parce qu ' il a
été radicalement théocentrique, en livrant le Moi, et de ce fait l' être de
l ' homme, à Dieu. » (Cardinal Ratzinger) 35 4

L'Église, sacrement de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout


le genre humain

« Le Christ est la lumière des peuples ; réuni dans l ' Esprit-Saint, le


saint Concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes créatu­
res la bonne nouvelle de l' Évangile répandre sur tous les hommes la
clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l' Église (cf. Marc 1 6,
1 5 ) . L' Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement,
c' est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l' union intime avec Dieu
et de l' unité de tout le genre humain, elle se propose de préciser da­
vantage, pour ses fidèles et pour le monde entier, en se rattachant à
1' enseignement des précédents Conciles, sa propre nature et sa mission
universelle. » (Vatican Il, Lumen gentium, 1 ; premières phrases de
Vatican 11) 355

Or les sacrements produisent ce qu' ils signifient : l' Église produit


« l' union intime avec Dieu et l' unité de tout le genre humain ». En vérité,
dans l' éternité, l' union intime avec Dieu de tout le genre humain que nous
attendons est déjà réalisée, que l' homme en soit conscient ou non. L' illusion
se dissipera lors de l' apocatastase finale. La nature humaine implique la
grâce : le panthéisme est entièrement donné.
Par ailleurs, les sacrements ont toujours été reçus individuellement. En
faisant de l ' Église un sacrement reçu collectivement par le genre humain,
Vatican II marque sans ambiguïté le passage d'un lien personnel entre le
Créateur et la créature à la vision balistique qui fait de l' humanité un sujet
unique susceptible de recevoir une grâce sacramentelle.

« En vertu de la mission qui est la sienne, d' éclairer l ' univers en­
tier par le message évangélique et de réunir en un seul Esprit tous les

354 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p . 203 .
355 Sur l' élaboration de ce texte et ses versions successives, voir : Cardinal Ratzinger, Les
principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 46 sq.
L' Église sacrement 1 83

hommes, à quelque nation, race, ou culture qu' ils appartiennent,


l' Église apparaît comme le signe de cette fraternité qui rend possible
un dialogue loyal et le renforce. » (Vatican II, Gaudium et spes, 92. 1 )

« Ce caractère d' universalité qui brille sur le peuple de Dieu est un


don du Seigneur lui-même, grâce auquel l' Église catholique, effica­
cement et perpétuellement, tend à récapituler l' humanité entière avec
tout ce qu' elle comporte de biens sous le Christ chef, dans l' unité de
son Esprit. [ . . . ]
« Ainsi donc, à cette unité catholique du peuple de Dieu qui préfi­
gure et promeut la paix universelle, tous les hommes sont appelés ; à
cette unité appartiennent sous diverses formes ou sont ordonnés, et les
fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et
finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu ap­
pelle au salut. » (Vatican II, Lumen gentium, 1 3)

« Ainsi se réalise la « condescendance » de 1' Amour infini de la


Trinité par lequel Dieu, Esprit invisible, se rend proche du monde vi­
sible. Dieu un et trine se communique à l' homme dans l' Esprit Saint
depuis le commencement, grâce à son « image et ressemblance ».
Sous 1 ' action du même Esprit, l 'homme et, par son entremise, le
monde créé, racheté par le Christ, avancent vers leur destinée défini­
tive en Dieu. L' Église est « le sacrement, c ' est-à-dire le signe et
l' instrument » du rapprochement des deux pôles de la création et de la
Rédemption, Dieu et l'homme. Elle œuvre pour rétablir et renforcer
l' unité du genre humain à ses racines mêmes, dans le rapport de com­
munion entre l' homme et Dieu, son Créateur, son Seigneur et son Ré­
dempteur. Il y a là une vérité, fondée sur l' enseignement du Concile,
que nous pouvons méditer, expliquer et appliquer dans toute 1' ampleur
de son sens, en cette période de passage du deuxième au troisième
millénaire chrétien. Et il nous est bon de prendre une conscience tou­
jours plus vive du fait que, à l ' intérieur de l' action accomplie par
l' Église dans l ' histoire du salut, inscrite dans l' histoire de l ' humanité,
l' Esprit Saint est présent et agissant, lui qui anime par le souffle de la
vie divine le pèlerinage terrestre de l'homme et fait converger toute la
création, toute l' histoire, jusqu ' à son terme ultime, dans l' océan infini
de Dieu. » (Jean Paul II, Dominum et vivificantem, 64)

« Mais dans l' ensemble, l ' Alliance avec la famille et avec le peu­
ple est orientée vers la dernière Alliance avec l' homme, c ' est-à-dire
avec l' humanité entière dans le Fils éternel de Dieu, et celle-ci aura at­
teint ses dimensions définitives. [ . . . ]
1 84 Le crucifiement de saint Pierre

« Et l ' Église, consciente de la profondeur de cette Alliance, parlant


d' elle-même au Concile, affirme qu' « elle est, dans le Christ, en
« quelque sorte le sacrement, c ' est-à-dire le signe et 1 ' instrument de
« l ' union intime avec Dieu et de l ' unité de tout le genre humain »
(Lumen gentium, 1 ) . Tous les hommes sont englobés dans ce sacre­
ment de l' unité. » (Cardinal Woj tyla) 356

« Ce don explicite l' amour, non seulement l' amour filial de


l ' Agneau divin sur la croix : amor Dei usque ad contemptum sui357,
mais l' amour engendré par l ' amour de l 'Epoux dont l'Église - donc
chaque homme existant dans la nouvelle dimension in Christo de­ -

vient 1' Épouse. [ . . . ]


« Il est avec l' Église, et dans chaque homme, et avec toute la fa­
mille humaine. [ . . . ]
« C' est une période où l' Epoux de l'Église, c'est-à-dire de
l'homme, des communautés de fidèles, veut nous apporter un Don
spécial [l' Esprit] ». (Cardinal Woj tyla) 35 8

« Le côté ouvert du Nouvel Adam répète le mystère de la création


du « côté ouvert » de l' homme ; il est le commencement d' une com­
munauté nouvelle et définitive entre les hommes ; celle-ci est symbo­
lisée ici par le sang et 1 ' eau, figurant les sacrements chrétiens fonda­
mentaux du baptême et de l' eucharistie, et à travers eux l' Église,
comme signe de la nouvelle communauté des hommes. [ . . . ]
« [La foi chrétienne] est véritable espérance par le fait qu' elle se si­
tue dans le système de coordonnées de toutes les trois dimensions : du
passé, c ' est-à-dire du passage déj à accompli ; du présent de l' éternel
qui unifie le temps divisé ; de l ' avenir, où Dieu et le monde entreront
en contact et où véritablement Dieu dans le monde, le monde en
Dieu, sera comme l' Omega de l' histoire. » (Cardinal Ratzinger) 35 9

L 'Église, sacrement universel du salut

L' Église n ' est pas seulement le sacrement universel de l' unité. Si les
hommes sont unis au Christ, ils sont tous sauvés. L' Église, en réalisant leur

35 6 Cardinal Woj tyla, Le signe de contradiction, op. cil. , p. 42 et 43.


357 L' amour de Dieu j usqu'au mépris de soi-même.
35 8 Cardinal Wojtyl a, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 28 , 1 25 et 1 3 1 .
359 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p . 1 64 et 1 65 .
L'Église sacrement 1 85

unité, réalise d' abord leur salut. L' Église est alors le « sacrement universel
du salut ».

« Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (cf. Jean 1 2,
32 grec) ; ressuscité des morts (cf. Rom 6, 9), il a envoyé sur ses apô­
tres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l ' Église,
comme le sacrement universel du salut ; » (Vatican II, Lumen gentium,
48) 360

« Qu ' elle aide le monde ou qu ' elle reçoive de lui, l' Église tend
vers un but unique : que vienne le règne de Dieu et que s ' établisse le
salut du genre humain. D ' ailleurs, tout le bien que le peuple de Dieu,
au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille hu­
maine, découle de cette réalité que l' Église est « le sacrement univer­
sel du salut » manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de
l' amour de Dieu pour l' homme.
« Car le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s ' est lui-même fait
chair, afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule
toutes choses en lui. » (Vatican II, Gaudium et spes, 45)

« En effet, parce que le Christ s ' est uni à elle dans son ministère de
Rédemption, l ' Église doit être fortement unie à chaque homme.
« Cette union du Christ avec l ' homme est en elle-même un mystère
dont naît l ' « homme nouveau », appelé à participer à la vie de Dieu,
créé à nouveau dans le Christ et élevé à la plénitude de la grâce et de
la vérité. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 8)

« L' Église est sacrement du salut pour toute l' humanité et son ac­
tion ne se limite pas à ceux qui acceptent son message. » (Jean Paul II,
Redemptoris missio, 20)

« L' Église est la première bénéficiaire du salut. Le Christ se l ' est


acquise par son sang (cf. Ac 20, 28) et l ' a appelée à coopérer avec lui à
l' œuvre du salut universel. En effet, le Christ vit en elle ; il est son
époux ; il assure sa croissance ; il accomplit sa mission par elle.
« Le Concile a amplement souligné le rôle de l' Église pour le salut
de l' humanité. Tout en reconnaissant que Dieu aime tous les hommes
et leur accorde la possibilité d' être sauvés (cf. 1 Tm 2, 4), l 'Église pro­
fesse que Dieu a constitué le Christ comme unique médiateur et
qu' elle-même est établie comme sacrement universel de salut : « Ainsi

360
Le début de ce paragraphe est cité en page 1 43 , ch. 5 , § Salut cosmique.
1 86 Le crucifiement de saint Pierre

« donc, à cette unité catholique du peuple de Dieu, tous les hommes


« sont appelés ; à cette unité appartiennent sous diverses formes, ou
« sont ordonnés, et les fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont
« foi dans le Christ, et finalement tous les hommes sans exception que
« la grâce de Dieu appelle au salut » 361 . (Jean Paul II, Redemptoris
missio, 9)

L' É glise du Christ, l ' Église du Dieu vivant et l' Église catholique

La définition conciliaire de l' Église s ' effrite de toute part : elle n' est ni
sainte, ni catholique ; elle est d' origine naturelle et non surnaturelle, liée à la
conscience de la création ; elle ne s ' identifie plus à l' Épouse mystique du
Christ, qui subsiste en elle ; l' Église du Dieu vivant l' englobe. La collégiali­
té lui fait perdre sa structure hiérarchique. Elle sera remplacée par le Peuple
de Dieu.

« Cette Église comme société constituée et organisée en ce monde,


c' est dans l' Église catholique qu ' elle se trouve [subsistit in] [ . . . ] .
« Cette unique vraie religion, nous croyons qu ' elle subsiste dans
l' Église catholique et apostolique ». (Vatican II, Lumen gentium 8 et
Dignitatis humanae 1 )

« Donc les Pères conciliaires voulaient dire que l' être de l' Église,
en tant que tel, est une entité plus grande que l' Église catholique ro­
maine ». (Cardinal Ratzinger) 362

« Le Concile prend ses distances [ . . . ] d' avec Pie XII (Mystici cor­
paris) qui avait dit : l' Église catholique "est" (est) l' unique Corps
mystique du Christ. Dans la différence entre le "subsistit" et l"'est" de
Pie XII se cache tout le problème de l' œcuménisme. » (Cardinal Rat­
zinger) 363

« L' Église du Dieu vivant réunit justement en elle ces gens qui de
quelque manière participent à cette transcendance à la fois admirable
et fondamentale de l ' esprit humain, car elle sait que nul ne peut apai­
ser les plus profondes aspirations de cet esprit si ce n' est Lui seul : le

3 61 Vatican II, Lumen gentium, 1 3 .


3 62 Osservatore Romano, 8 . 1 0.2000, cité dans Documentation sur la Révolution dans
l ' Église, n° 7, xvno année, 2006.
3 63 Osservatore Romano, 4.3.2000, ibid.
L' Église sacrement 1 87

Dieu de majesté infinie (cf. Gaudium et Spes, 4 1 ) . L' expression de


cette transcendance est la prière de la foi, dans le silence. Ce silence
qui semble au prime abord séparer l'homme de Dieu, est en fait un
acte d'union de l' esprit humain avec Dieu. » (Cardinal Woj tyla) 364

« Si nous voulons être francs, nous devons bien reconnaître que


365
nous sommes tentés de dire que l ' Église n' est ni sainte ni catholi­
que. Le deuxième concile du Vatican lui-même en est venu à ne plus
parler simplement de l ' Église sainte, mais de l ' Église pécheresse ; et si
l ' on a critiqué le concile à ce sujet, cela a été tout au plus pour lui re­
procher d' avoir été trop timide dans son affirmation, tellement est fort
aujourd' hui dans notre conscience à tous, le sentiment de la condition
pécheresse de l' Église. » (Cardinal Ratzinger) 366

Ces affirmations sont une conséquence de la notion d' Église peuple de


Dieu et non épouse mystique du Christ. D ' ailleurs, l ' origine de l' Église se­
rait purement naturelle :

« Dans l' enseignement de Vatican II, la conscience que l' Église a


d' elle-même est fondamentalement unie à la conscience de la création
et c ' est vers elle que notre attention doit d' abord se diriger. [ . . . ]
« La raison humaine est capable de connaître Dieu, le principe de
tout ce qui existe, par la « lumière naturelle » mais il est clair que la
conscience du Créateur et de l' œuvre de la création inclut déj à une ré­
vélation de Dieu lui-même : sans cela, l' esprit humain ne pourrait
sonder le « dessein caché », i. e. le plan éternel de la création, ni com­
prendre ses motifs.
« L' esprit de l' Église est ici confronté à la vérité première et élé­
mentaire qui l ' a formée depuis le début. Nous pouvons dire que ceci
est également le premier pas vers la foi et le premier mot de la réponse
de l' homme à Dieu qui se révèle lui-même. Le Concile enseigne ex­
plicitement que Dieu « donne aux hommes dans les choses créées un
témoignage incessant sur lui-même » (DV 3) 367 . Le terme témoi­
gnage36 8 est particulièrement significatif car il indique un élément de
la révélation dans la création elle-même qui est, pour ainsi dire, la ma­
nifestation première et fondamentale de Dieu, par laquelle il nous

364
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 32.
365
L' incise en italiques ne figure pas dans l' original allemand. Voir Le sel de la terre, Avril-
lé, printemps 2006, n° 56, p. 1 53 .
366
Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 244.
367
Dei Verbum, 3 .
368
Le texte anglais porte « preuve ».
1 88 Le crucifiement de saint Pierre

parle et appelle la réponse de la foi. Vatican II cherche à guider la ré­


ponse de la foi à cela, sa fondation essentielle. » (Cardinal Wojtyla) 3 69

La « conscience du Créateur et de l' œuvre de la création » n' est pas « la


vérité première et élémentaire qui [a] formé [l' Église] depuis le début ». Si
tel était le cas, la Révélation, l ' Incarnation et la Passion auraient été inutiles.
L' Église a été fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui en a donné les
clefs à saint Pierre : elle est d ' institution divine. Si l ' on peut considérer que
la création est une révélation naturelle370 , il importe de la mettre immédia­
tement en relation avec la Révélation proprement dite, la Révélation surna­
turelle, ce que le cardinal ne fait pas. La foi n' est pas la réponse à « la révé­
lation dans la création elle-même [ . . . ] manifestation première et fondamen­
tale de Dieu » mais « un assentiment plein et entier aux vérités révélées de
Dieu », vérités surnaturelles. Tout ce passage confond la connaissance natu­
relle de Dieu avec la foi, vertu infuse surnaturelle provenant de l' audition
des vérités révélées. Le cardinal continue ainsi :

« Ce savoir et cette activité [profanes], même s ' ils ne sont pas ac­
compagnés de la conscience de la création et d' une relation consciente
avec le Créateur, constituent déj à une certaine rencontre avec lui - une
rencontre dans le travail de la création et dans son cadre. [ . . . ]
« [L' ] affirmation du travail de la création, qui est à la racine de la
conscience de l' Église, émerge indirectement. L' Église est touj ours
dans le monde et dérive sa conscience du mystère de la création au­
quel le « monde » correspond ; et tout le développement du monde,
provoqué par l ' homme, n' est rien d' autre que la manifestation pro­
gressive et la révélation de l' œuvre de création de Dieu. [ . . . ]
« Quand nous affirmons que la conscience du fait de la création est
à la base de la conscience que l' Église a d' elle-même, nous pouvons
découvrir les manières d' enrichir la foi soulignées par le Concile
quand il oriente vers la création pour proclamer le Créateur. [ . . . ]
« À cause du travail de la création, la conscience de l' Église est
également, en un sens, conscience du monde et inversement, la cons­
cience du monde, pénétrée de la vérité de la création et du Créateur,
devient la conscience de l ' Église dans ses fondements mêmes, sur les­
quels nous devons continuer à construire. » (Cardinal Wojtyla) 37 1

3 69 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 45 sq.


37° Cf DTC, article Révélation.
37 1 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 50 sq.
L' Église sacrement 1 89

« Un point révélateur est que nulle part le Concile ne renouvelle la


distinction traditionnelle entre l' Ecclesia docens et l' Ecclesia dis­
cenl 72 : c ' est évidemment parce qu' il souhaitait éviter une conscience
insuffisante du partage universel du munus propheticum [fonction
prophétique] du Christ. » (Cardinal Woj tyla) 373

Le Peuple de Dieu

Si tous sont Dieu, tous appartiennent au peuple de Dieu qui s ' étend à
toute l' humanité, promise à la gloire, qu' elle en soit consciente ou non. In­
versement, si tous appartiennent au peuple de Dieu et sont promis à la
gloire, la nature est gracieuse. La notion de peuple de Dieu dissout le carac­
tère hiérarchique de l' Église : un Dieu transcendant institue naturellement
une Église hiérarchique ; un dieu païen, immanent, réclame un peuple hori­
zontal, sans hiérarchie, qui procède d' une vision panthéiste et holistique du
monde.

« La réciprocité des services que sont appelés à se rendre le peuple


de Dieu et le genre humain, dans lequel ce peuple est inséré, apparaî­
tra alors avec plus de netteté : ainsi se manifestera le caractère reli­
gieux et, par le fait même, souverainement humain de la mission de
l' Église. » (Vatican II, Gaudium et spes, 1 1 .3 )

« Ce caractère d' universalité qui brille sur le peuple de Dieu est un


don du Seigneur lui-même, grâce auquel l ' Église catholique, effica­
cement et perpétuellement, tend à récapituler l' humanité entière avec
tout ce qu' elle comporte de biens sous le Christ chef, dans l ' unité de
son Esprit.
« En vertu de cette catholicité, chacune des parties apporte aux au­
tres et à l ' Église tout entière, le bénéfice de ses propres dons, en sorte
que le tout et chacune des parties s ' accroissent par un échange mutuel
universel et par un effort commun vers une plénitude dans l 'unité.
Ainsi donc le peuple de Dieu ne naît pas seulement du rassemblement
des peuples divers, mais des fonctions diverses qui le constituent en
lui-même. [ . . . ]
« Ainsi donc, à cette unité catholique du peuple de Dieu qui préfi­
gure et promeut la paix universelle, tous les hommes sont appelés ; à
cette unité appartiennent sous diverses formes ou sont ordonnés, et les

372 Église enseignante (constituée des évêques) et Église enseignée.


373 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 253 .
1 90 Le crucifiement de saint Pierre

fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et
finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu ap­
pelle au salut. [ . . . ]
« Ainsi, l' unique peuple de Dieu est présent à tous les peuples de la
terre, empruntant à tous les peuples ses propres citoyens, citoyens
d ' un royaume dont le caractère n' est pas terrestre mais céleste. » (Va­
tican II, Lumen gentium, 1 3 )

« Ainsi, l ' Église unit prière et travail pour que l e monde entier
dans tout son être soit transformé en peuple de Dieu, en Corps du Sei­
gneur et temple du Saint-Esprit, et que soient rendus dans le Christ,
chef de tous, au Créateur et Père de l' univers, tout honneur et toute
gloire. » (Vatican II, Lumen gentium, 1 7)

« Si ce Corps mystique du Christ est le peuple de Dieu - comme


dira par la suite le Concile Vatican II en se fondant sur toute la tradi­
tion biblique et patristique -, cela signifie que tout homme est dans ce
Corps pénétré par le souffle de vie qui vient du Christ. » (Jean Paul II,
Redemptor hominis, 1 8)

Est-il besoin de rappeler que ni les Écritures, ni les Pères n' ont jamais
assimilé l' humanité à l' Église ?

« Cependant, la mission des Personnes divines auprès de


l' humanité ne consiste pas seulement en une révélation mais aussi en
une œuvre de salut par laquelle l' humanité devient le Peuple de
Dieu. » (Cardinal Wojtyla) 37 4

« Ce critère [selon lequel le Concile envisage la réalité du Peuple


de Dieu] est basé sur l' action de Dieu lui-même dans l' âme ; l' action
de Dieu et son efficacité sont, essentiellement et en définitive, le fac­
teur déterminant de 1' appartenance au Peuple de Dieu. [ . . . ] Les théo­
logiens auront la tâche, difficile à remplir ici, de montrer comment
cette image du Peuple de Dieu correspond aux plus anciens textes de
la révélation et à la totalité de la tradition chrétienne. [ . . . ]
« Dieu convertit les êtres humains en son Peuple en choisissant,
appelant et menant à lui chaque individu séparément selon la voie uni­
que qui lui est appropriée. » (Cardinal Wojtyla) 375

374 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 206.


375 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 1 3 1 . Voir également p . 1 24.
L' Église sacrement 191

« C' est certainement l ' un des grands mérites de Vatican II d' avoir
révélé cette dimension horizontale [du Peuple de Dieu] et d' avoir
donné au concept de Peuple de Dieu une place centrale dans ses en­
seignements, pourvu que nous gardions à l' esprit la richesse théologi­
que qui lui est propre et qui dérive du fait que le Peuple de Dieu est
contenu dans le Corps Mystique du Christ et vice versa. » (Cardinal
Wojtyla) 376

« Le fait que le Peuple de Dieu participe à la mission du Christ, qui


est tout d' abord une mission prophétique, montre que la réalité de la
rédemption continue dans l ' Église. [ . . . ] Toute l' humanité, comme la
communauté de l ' Église, répand la parole de l ' Évangile et lui rend té­
moignage non seulement en enseignant la même vérité mais aussi en
la réalisant dans sa vie. » (Cardinal Woj tyla) 377

« Prenant en compte la réalité complexe de l ' humanité, le Concile


note que de larges sections de l' humanité sont - de manières théologi­
quement différentes - en dehors de l' Église ; en même temps, le
Concile déclare son entière conviction que tous les hommes sont in­
clus dans le plan paternel de Dieu, que tous ont été rachetés par le
Christ et que le Saint-Esprit exerce son influence sanctifiante sur tou­
tes les âmes. Tout ceci appartient au concept de Peuple de Dieu. Dans
ce concept, et dans la réalité qui lui correspond, l' élément déterminant
et constitutif est celui qui vient de Dieu à l' humanité, créant ainsi le
premier fondement pour parler du « Peuple de Dieu ». Les distinctions
et les différentiations de toutes sortes créées par l' homme [religions et
confessions ?] viennent en second rang. » (Cardinal Wojtyla) 37 8

« Ainsi le Concile propose la vérité concernant le Peuple de Dieu,


et c ' est sur cette doctrine que la foi mature de 1' Église moderne doit
être fondée. Le point essentiel est que toute la réalité du Peuple de
Dieu a sa source permanente et son origine en Dieu « qui se révèle lui­
même » ; tandis qu ' en retour, la foi de l' homme et celle de l' humanité
déterminent la réalité du Peuple de Dieu, puisqu' elles constituent la
réponse à Dieu exprimée dans l' esprit des hommes et dans leurs vies.
« Ainsi l' Église universelle apparaît comme un « peuple qui tire
son unité de l' unité du Père et du Fils et de l' Esprit-Saint » 37 9 : nous

376 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 9 1 . Voir également p . 90.
377 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 94 .
37 8 Karol Woj tyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 1 22.
379 Lumen gentium, 4.
1 92 Le crucifiement de saint Pierre

répétons encore une fois cette citation classique, tirée des Pères de
l ' Église et qui forme la clé de voûte de tout Lumen Gentium. Cette
union mystique avec l' unité de la Trinité trouve sa contrepartie dans
1' alliance historique de Dieu avec les hommes, non seulement comme
individus mais aussi comme peuple. » (Cardinal Wojtyla) 3 80

Car en définitive le panthéisme affirme du monde ce qui ne vaut que


pour les trois Personnes de la très sainte Trinité.

La collégialité

La collégialité découle directement du panthéisme et de la vision holisti­


que. Puisque nous sommes tous Dieu, les hiérarchies ne peuvent être
qu' accidentelles et doivent être détruites ou amoindries. Ce principe se dé­
cline tant dans le « collège épiscopal » que dans les diocèses.

« Le Seigneur a fait du seul Simon la pierre de son Église, à lui


seul il en a remis les clés (cf. Mat. 1 6, 1 8- 1 9) ; il l' a institué pasteur de
tout son troupeau (cf. Jean 2 1 , 1 5 s.), mais cette charge de lier et de
délier qui a été donnée à Pierre (Mat 1 6, 1 9) a été aussi donnée, sans
aucun doute, au collège des apôtres unis à leur chef (Mat. 1 8, 1 8 ; 28,
1 6-20) . » (Vatican Il, Lumen gentium, 22) 3 8 1

« Le même esprit de collaboration et de co-responsabilité est en


train de se diffuser aussi parmi les prêtres, comme en témoignent les
nombreux conseils presbytéraux qui ont vu le jour après le Concile.
Cet esprit s ' est étendu également aux laïcs, suscitant non seulement la
confirmation des organisations d' apostolat des laïcs qui existaient dé­
j à, mais aussi la création de nouveaux organismes ayant souvent un
aspect différent et un dynamisme exceptionnel. En outre, les laïcs,
conscients de leur responsabilité ecclésiale, se sont engagés volontiers
dans la collaboration avec les Pasteurs, avec les représentants des Ins­
tituts de vie consacrée, dans le cadre des synodes diocésains ou des
conseils pastoraux des paroisses et des diocèses. » (Jean Paul II, Re­
demptor hominis, 5)

3 8° Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p . 1 1 2.


1
38 Voir également Lu m en gentium 2 1 , 23 ; Christus Dominus 37, 3 8 .
CHAPITRE VIII

Liberté religieuse et œcuménisme

« En ces jours-là, il sortit d' Israël des enfants infidèles qui en en­
traînaient beaucoup d' autres en disant : « Allons et unissons-nous aux
« nations qui sont autour de nous ; car, depuis que nous nous tenons
« séparés d' elles, il nous est arrivé beaucoup de malheurs. » (1 Mach
1 , 1 2)

atican II enseigne l' œcuménisme et la liberté religieuse :


V l ' œcuménisme pour lequel toutes les religions sont vraies, sont des
voies de salut ou, à tout le moins, « apportent souvent un rayon de la vérité
qui illumine tous les hommes » (Vatican II, Nostra aetate, 2) et pour lequel
les confessions chrétiennes « ne sont nullement dépourvues de signification
et de valeur dans le mystère du salut » (Vatican II, Unitatis redintegratio,
3).
La liberté de conscience « consiste en ce que tous les hommes doivent
être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des grou­
pes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu ' en
matière religieuse nul ne soit forcé d' agir contre sa conscience ni empêché
d' agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en pu­
blic, seul ou associé à d' autres. » (Vatican II, Dignitatis humanae, 2) Le
même texte, que nous citerons prochainement en entier, affirme que cette
liberté trouve son fondement dans la dignité humaine. Ces affirmations
s' appuient sur la croyance en l' unité transcendante des religions et en leur
commune vérité, et sur un profond agnosticisme.
Car si toutes les religions sont fausses sauf une, si seule la religion
catholique assure le salut, les hommes n' ont qu' une liberté subjective
(psychologique) de l ' embrasser mais une obligation objective impérieuse et
pressante de le faire sous peine de perdre leur âme et de se damner éternelle­
ment. L' homme est subjectivement libre d' affirmer que deux et deux font
cinq et de prétendre fonder cette liberté sur sa « dignité ». Ceci lui est objec­
tivement (et même socialement) impossible. On peut subjectivement affir­
mer que Jésus n' est pas mort sur la Croix, comme le font les musulmans ;
on peut, avec les juifs, subjectivement affirmer qu' Il n' était pas le Messie.
Mais, avec la grâce de Dieu, on est objectivement contraint de confesser
qu' Il est « le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 1 6, 1 6) . La liberté reli­
gieuse est la « liberté de perdition » et l ' intelligence humaine doit se sou­
mettre à la Vérité révélée.
L' homme peut donc faire un bon ou un mauvais usage de sa liberté : soit
pour aider son prochain ou pour lui nuire ; et surtout pour se conformer à la
1 94 Le crucifiement de saint Pierre

volonté divine ou pour s ' y opposer. L' accent ne doit pas être mis sur la li­
berté de conscience de l' homme, évidente, et sans laquelle il ne saurait y
avoir d' acte méritoire, mais sur l 'usage qu ' il doit en faire, sur sa possibilité
d'en abuser. Il faut rappeler à l' homme que la valeur suprême n' est pas sa
liberté, quelque usage qu' il en fasse ; qu' elle doit se conformer à la réalité et
à la vérité révélée. Le fait que l ' homme jouisse de la liberté de conscience
ne signifie pas qu' il ait la liberté d ' en abuser mais bien au contraire qu ' il a
le devoir de se conformer à la Vérité objective qui s ' impose à lui jusque
dans ses ultimes conséquences : le salut ou la damnation. Si l' homme pos­
sède donc la liberté de conscience, il a l 'obligation de 1' offrir à Dieu, de
rendre « toute pensée captive pour l' amener à obéir au Christ » (Il Cor 1 0,
5).
La liberté de conscience repose également sur l' illusion qu' il est impos­
sible, en matière de religion, de parvenir à des convictions solides. Et il faut
reconnaître que des siècles de propagande révolutionnaire ont considéra­
blement obscurci la question.
Or la foi est une vertu surnaturelle, infusée par Dieu dans nos âmes :

« Néanmoins, pour que l' hommage de notre foi soit conforme à la


raison (Rm 1 2, 1 ) Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint­
Esprit soient accompagnés de preuves extérieures de sa Révélation, à
savoir des faits divins et surtout les miracles et les prophéties qui, en
montrant de manière impressionnante la toute-puissance de Dieu et sa
science sans borne, sont des signes très certains de la Révélation di­
vine, adaptés à l ' intelligence de tous. » (Vatican I, Dei Filius, 3)

Miracles qui surviennent encore de nos jours, comme le lecteur de bonne


volonté pourra aisément s ' en assurer. L' homme peut arriver ainsi à la certi­
tude rationnelle de la vérité de la Révélation et la foi doit lui être donnée
gracieusement par Dieu.
La doctrine enseignée par Vatican II représente une rupture inouïe, scan­
daleuse, avec l' enseignement constant de l' Église. Ces thèses ont été
condamnées à maintes reprises dans des termes d' une dureté telle que nous
avons hésité à les citer3 8 2 • Le magistère anté-conciliaire condamne Vatican
II sans appel. Les allégations conciliaires sont en effet la conséquence im­
médiate du panthéisme maçonnique et antichrétien. Puisque nous sommes
tous Dieu, puisque nous serons tous sauvés, pourquoi choisir une religion
plutôt qu' une autre ? Et d' ailleurs, notre dignité, toute divine, s' oppose à

382
Et que les versions récentes du Denzinger les omettent pieusement. . . Voir par exemple
Oz n° 3 1 56 sq, 2890 sq, 3683 et en particulier les n° 2730 sq. L' encyclique Providas de Benoît
XIV est passée entièrement sous silence.
Liberté religieuse et œcuménisme 1 95

pareille contrainte. Le sentiment religieux sourd des profondeurs divines de


notre être et nous mène vers notre véritable essence en Dieu.
Il s' agit à l'évidence de la « pure doctrine maçonnique ». Comment a-t­
elle pu arriver dans l' Église et s ' y établir ? Comment ne pas voir qu' elle est
l'ultime étape avant l ' instauration de la spiritualité globale ?
Pareille révolution doctrinale exige une explication complète, satisfai­
sante. Comment des idées aussi contraires à la droite raison ont-elles pu
s ' imposer dans de si larges parties de l ' Église et de la société ? Les papes
les ont pourtant qualifiées de « délire », de « principe [suffisant] à ruiner
toutes les religions », de « comble de l ' iniquité », d' « opinions les plus
monstrueuses », de « système qui répugne le plus à la seule lumière natu­
relle de la raison », de « monstruosité de fraudes et d' erreurs ».
Les raisons sont nombreuses et de natures fort diverses. Pour en rester à
celles qui relèvent du seul domaine intellectuel, qui permettent de se justi­
fier tant vis-à-vis de soi-même que d' autrui, qui permettent d' élaborer un
discours captieux et médiatiquement facile à diffuser, nous nous concentre­
rons sur la prétention à détenir un savoir supérieur, une gnose.
L' œcuménisme et la liberté religieuse sont la version exotérique de la thèse
ésotérique de l' unité transcendante des religions : les religions ne seraient
que les reflets - platoniciens - d' une vérité transcendante qui les unirait tou­
tes mais qu' aucune ne pourrait réellement révéler. Toutes seraient vraies
dans ce qu' elles affirment et dévoilent - et fausses dans ce qu' elles nient.
Leurs oppositions ne seraient que la conséquence nécessaire de nos limita­
tions, de l' impossibilité du fini à exposer l' Infini. Tandis que leurs concor­
dances manifesteraient leur fond commun, la Vérité dont nous ne sommes
capables de saisir que quelques rayons. « Vous soulignez la multiplicité des
religions. Pour ma part, je voudrais plutôt faire ressortir ce qu' elles ont fon­
damentalement en commun et leur racine commune. [ . . . ] Donc, au lieu de
nous étonner que la Providence permette une aussi grande diversité de reli­
gions, nous devrions plutôt être surpris par le nombre d' éléments qui leur
sont communs. » (Jean Paul II) 3 8 3
Quelle est donc cette vérité si secrète, si noble, si sublime qu' il faille la
cacher aux profanes, au commun des mortels ? Ce fond commun à toutes les
religions, mais que toutes cèlent ? Ce dogme qui justifie une haine bimillé­
naire du Sauveur et de son Église ? Cette lumière maçonnique qu ' il ne faut
révéler qu' avec d'infinies précautions ? Rien moins que notre divinité :
Dieu est tout en tous, non seulement au ciel, mais dès ici-bas ; l' homme est
Dieu, un dieu qui s ' ignore et qui doit se réaliser personnellement et socia­
lement, historiquement. Si tel est le cas, pourquoi alors faire tant de mystère
de l' éternel panthéisme ? S ' agit-il vraiment d' une connaissance rare, réser-

3 8 3 Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance, op. cit., p. 1 3 1 , 1 35 sq.


1 96 Le crucifiement de saint Pierre

vée à une infime élite ? Nous serions tentés, à l' inverse, de penser qu' il
s' agit du fondement de bien des croyances : hindouisme, bouddhisme,
taoïsme, animisme, etc. Fondement nulle part caché, si l ' on excepte la chré­
tienté où la distinction entre le Créateur et la créature est rigoureusement
maintenue.
Mais a-t-on tiré toutes les conséquences de l' affirmation panthéiste ? Si
Dieu est tout en tous, l ' homme est Dieu qui se réalise. Dieu « a besoin » de
l' homme pour se réaliser, pour prendre conscience de Lui-même 3 84 . Mais
Dieu est également le mal : Il est Lucifer et a besoin de lui pour se connaî­
tre. La connaissance intégrale de Dieu exige la connaissance du bien et du
mal 3 8 5 • Rien ne saurait être tenu à l ' écart de Dieu, pas même le mal. Qu' en
est-il alors de la réalisation par l' homme de sa divinité ? La conséquence
inéluctable de tout ceci, que les initiés en soient conscients ou non, qu' ils le
reconnaissent ou non, est que l' homme doit aussi s ' assimiler au diable, lui
aussi divin. L ' esprit recule devant de pareils blasphèmes - qu' il nous fallait
pourtant exposer pour comprendre la racine du secret dont la gnose entoure
son enseignement. La substance de sa doctrine est le panthéisme, qui n' est
guère secret. Ses conséquences intellectuelles inéluctables sont autrement
plus dérangeantes. On comprend que les pratiques qui permettent de les réa­
liser véritablement soient tenues secrètes et ne soient dévoilées que fort pro­
gressivement. « Tous les dieux des nations sont des démons. » (Ps 96, 5)
La doctrine de l' œcuménisme et de la liberté religieuse, amplifiée par le
dogme maçonnique de l' unité transcendante des religions, serait-elle néan­
moins vraie ? La pression ecclésiale, sociale et médiatique qui entoure cette
question nous contraint à y répondre en détail. Nous montrerons donc que
l' œcuménisme nie le contenu et la réalité de la Révélation et s' oppose à la
droite rai son.
L' œcuménisme nie le contenu et la réalité de la Révélation. Car si Dieu,
qui ne saurait ni se tromper ni nous tromper, s ' est révélé aux hommes, cette
Révélation requiert le plein assentiment de notre intelligence. À chaque
page des Évangiles, le Christ exige la foi en Lui : « Celui qui croira et sera
baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 1 6, 1 6) La
doctrine conciliaire et maçonnique heurte donc le sens obvie des Écritures et
l ' interprétation que, sous l' inspiration du Saint-Esprit, l' Église en a cons­
tamment donné pendant deux millénaires. Pourtant la transposition qu' en
fait la thèse de l' unité transcendante des religions serait-elle valide ? Se

3 8 4 Nous évoquerons Hegel dans un prochain chapitre. L' exactitude philosophique et histori­
que impose pourtant de relever que les fondements de la pensée de Hegel proviennent tous
d' affirmations maçonniques.
3 8 5 << Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » (Gn 3 , 5)
Liberté religieuse et œcuménisme 1 97

pourrait-il qu' ici comme souvent, l' Écriture doive être interprétée, qu' elle
ne doive pas être prise dans son sens littéral ?
Or l' Écriture insiste à d ' innombrables reprises sur l ' obligation faite à
Israël de ne pas se tourner vers les dieux des nations. N' est-ce pas le pre­
mier commandement ? « Je suis Yahvé, ton Dieu, qui t ' ai fait sortir du pays
d' Égypte, de la maison de servitude. Tu n' auras point d' autres dieux devant
ma face. » (Deut 5, 6-7) Aucune unité transcendante des religions n' est j a­
mais mentionnée, bien au contraire : « Vous n' irez point après d' autres
dieux, d' entre les dieux des peuples, qui seront autour de vous. Car Yahvé,
ton Dieu, qui est au milieu de toi, est un Dieu j aloux ; la colère de Yahvé,
ton Dieu, s ' enflammerait contre toi, et il t' exterminerait de dessus la terre. »
(Deut 6, 1 4- 1 5) Il ne reste guère d' autre possibilité que d' affirmer que Dieu
a menti, que ce qu ' Il nous a révélé est inexact - que la Révélation n ' en est
pas une. Or Dieu est la Vérité.
Les religions auraient pu être toutes vraies si elles n' avaient pas toutes
formulé de semblables exigences, ni toutes prétendu à une origine divine. Si
l' une est vraie, toutes les autres sont fausses. Il eût été possible que Dieu se
révélât de diverses manières, s ' Il n' avait affirmé par ailleurs que « Tous les
dieux des nations sont des démons ». Songe-t-on qu' en posant l' unité trans­
cendante des religions, on fait de Dieu un menteur mais aussi le fauteur des
guerres de religions ? Que ne pouvait-Il nous enseigner également que tou­
tes les religions ne sont que des points de vue, valables mais limités qui,
dans leur vérité profonde, ne se contredisent pas, des darshanas (points de
vue) comme il en existe dans l ' hindouisme et qui coexistent sans se nier ?
Que ne pouvait-Il nous donner la lumière maçonnique ?
Ainsi, soutenir la thèse de l' unité transcend(lnte des religions amène à
prétendre Dieu « homicide et menteur depuis le commencement », affirma­
tions qui indiquent suffisamment l ' origine de cette thèse, à nier pratique­
ment la Révélation, l' existence d' une vérité révélée, à relativiser l' autorité
de l' Église, à contester son magistère, à vider de leur sens les paroles si clai­
res et pressantes du Seigneur, à douter de l ' inerrance des Écritures, à faire
violence à leur sens obvie en affirmant que la vérité leur est opposée, ou­
vrant la voie à d' autres « réinterprétations ».
La doctrine maçonnique de l' œcuménisme et sa conséquence, la liberté
religieuse, heurtent également la droite raison. Sans même considérer
l' autorité de Dieu révélant, tous ont toujours compris que le principe de
non-contradiction exige que seule une religion puisse être vraie. Dieu est-il
le Créateur de l' univers ou celui-ci en procède-t-il par émanation ? Les deux
réponses sont inconciliables. Affirmer que Dieu a créé le monde ex nihilo
exclut qu' il émane de Lui et inversement. On ne saurait être catholique et
maçon, hindouiste, bouddhiste, taoïste, etc. Notre-Seigneur Jésus-Christ est­
il le Messie, mort sur la Croix ? La pierre d' achoppement interdit que l ' on
1 98 Le crucifiement de saint Pierre

soit catholique et juif ou musulman. Dieu est-il trine et un ? Le catholicisme


exclut toutes les autres religions, les condamne à 1' erreur dans leurs élé­
ments fondamentaux : leur attitude face au mystère de la très sainte Trinité,
face à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la grâce et à la vie surnaturelle ; et leur
refus du Dieu créateur de la nature, refus menant à la confusion des ordres
naturel et surnaturel. Ce sont là des évidences sensibles à chacun et que
seuls les ennemis de Notre-Seigneur Jésus-Christ contestaient avant Vati­
can II. Et ainsi, l' œcuménisme mène naturellement à la négation du principe
de non-contradiction, à la double pensée caractéristique de la gnose. Mais
songe-t-on que l ' on rend ainsi impossible toute réflexion, toute pensée, tout
débat et même toute théologie ? Si le blanc est noir et l' erreur vraie, pour­
quoi encore discourir ? On ne peut disputer avec ceux qui nient les princi­
pes.
Les autres religions portent d' ailleurs suffisamment la marque de leur
origine pour qu ' il ne soit pas nécessaire d'en discuter longuement, dès que
la raison n' est plus aveuglée par les passions et le refus de l' obéissance due
à Dieu : polygamie, concubinage, divorce et esclavage 3 8 6 en Islam, avec leur
cortège de calamités sociales ; infanticide des filles à la naissance dans le
confucianisme, en particulier parce qu ' elles ne peuvent rendre le culte dû
aux ancêtres ; sati dans 1 ' hindouisme ; sacrifices humains chez les Incas et
les Aztèques ; culte et consultation des démons (oracles) et du serpent chez
de nombreux peuples. Quels sont donc ces « dieux » et ces « ancêtres » qui
réclament des sacrifices humains ? Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur
au Traité du Saint-Esprit de Monseigneur Gaume. Il y découvrira les faits
que l ' histoire des religions s ' ingénie à lui cacher et que les éléments que
nous avons rappelés laissent deviner. Faut-il voir dans ces abominations
« un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes » ou devons-nous plus
raisonnablement constater l' aveuglement des Pères conciliaires influencés
par les thèses maçonniques et œcuméniques ?
La doctrine maçonnique ne résout donc pas les antinomies entre les reli­
gions mais se contente de le proclamer : vous comprendrez quand vous se­
rez mieux initiés, mieux illuminés, quand vous serez spirituellement adultes.
Elle exige de nous un acte de foi irrationnel, qui fait violence à la raison à
l' inverse de l' acte de foi catholique. Elle pose l' existence d' une doctrine
secrète, ésotérique quand le Seigneur a au contraire enseigné au grand
jour : « J' ai parlé ouvertement au monde ; j ' ai toujours enseigné dans la sy­
nagogue et dans le temple, où tous les Juifs s ' assemblent, et je n ' ai rien dit
en secret. Pourquoi m' interroges-tu ? Demande à ceux qui m' ont entendu,

386 É
L' glise a toujours lutté contre l ' esclavage. En Europe, les esclavagistes étaient principa­
lement des non-catholiques. Le mouvement d' abolition de l ' esclavage est parti des terres catho­
liques.
Liberté religieuse et œcuménisme 1 99

ce que je leur ai dit ; eux ils savent ce que j ' ai enseigné. » (Jn 1 8, 20-2 1 )
« Heureux ceux qui ont un esprit de pauvre, car le Royaume des Cieux est à
eux. » (Mt 5 , 3 ) « Au même moment, il tressaillit de joie par l ' Esprit-Saint,
et il dit : « Je vous bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous
« avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux
« simples. Oui, Père, car tel fut votre bon plaisir. » (Le 1 0, 2 1 ) La doctrine
maçonnique suppose que Dieu a volontairement provoqué les conflits reli­
gieux quand l' Écriture affirme au contraire qu' ils sont l ' œuvre du démon :
« Tous les dieux des nations sont des démons. » Elle ne fournit aucune justi­
fication à cette incompréhensible attitude de Dieu. Elle entre en contradic­
tion frontale avec la Révélation : puisque toutes les religions sont vraies,
puisque « L' Incarnation de Dieu-Fils signifie que la nature humaine est éle­
vée à l' unité avec Dieu, mais aussi, en elle, en un sens, tout ce qui est
« chair » : toute l' humanité, tout le monde visible et matériel. [Puisque]
L' Incarnation a donc aussi un sens cosmique, une dimension cosmique. »
(Jean Paul II, Dominum et vivificantem, 50) , le monde est divin comme
l' affirme le panthéisme ; notre nature est gracieuse et tous seront, sont sau­
vés. La doctrine maçonnique nie aussi les preuves de la religion catholique.
Les conséquences sont réellement dramatiques : négation pratique de la
Révélation ; déconsidération de l' Incarnation et de la Passion de Notre­
Seigneur Jésus-Christ ; naturalisme ; refus des trésors inestimables de la
grâce, des dons surnaturels, immérités, que notre nature ne peut en aucune
manière atteindre ni même imaginer. Et par contre orgueil infini d' une misé­
rable créature déchue qui ose s ' égaler à Dieu ; orgueil qui se manifeste dans
la vie spirituelle et dans la société. La foi s ' attiédit, l' esprit missionnaire
disparaît, les missions s ' éteignent et les âmes se perdent. « Le contenu du
troisième secret ne concerne que notre foi. L ' identifier avec des annonces
catastrophiques ou avec un holocauste nucléaire, c' est déformer le sens du
message. La perte de la foi d ' un continent est pire que l' anéantissement
d' une nation ; et il est vrai que la foi diminue continuellement en Europe. »
(Monseigneur Amaral, évêque de Fati ma) . Et comment s ' étonner de ces
conséquences dramatiques puisque l' œcuménisme s ' oppose au premier
commandement ?

*
* *

La liberté religieuse et 1 'œcuménisme, condamnés par le magistère

La liberté religieuse, la liberté de conscience, l ' indifférentisme et


l' œcuménisme ont été condamnés à de nombreuses reprises par les papes.
200 Le crucifiement de saint Pierre

Nous commencerons par citer le Syllabus de Pie IX, Humanum genus de


Léon XIII et Quanta cura de Pie IX.

« Syllabus de Pie IX, ou Catalogue d' erreurs qui ont été condam­
nées dans différentes déclarations de Pie IX, publié le 8 décembre
1 864. [ . . . ]
« 1 5 . Il est loisible à chaque homme d' embrasser et de confesser la
religion qu' il aura considérée comme vraie en étant conduit par la lu­
mière de la raison.
« 1 6. Les hommes peuvent trouver le chemin du salut éternel et ob­
tenir le salut éternel dans n' importe quelle religion. » (Pie IX, Sylla­
bus)

« Il s ' agit pour les francs-maçons, et tous leurs efforts tendent à ce


but, il s ' agit de détruire de fond en comble toute la discipline reli­
gieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes et de lui en
substituer une nouvelle façonnée à leurs idées et dont les principes
fondamentaux et les lois sont empruntées au naturalisme. [ . . . ]
« Que si tous les membres de la secte ne sont pas obligés d' adjurer
explicitement le catholicisme, cette exception, loin de nuire au plan
général de la franc-maçonnerie, sert plutôt ses intérêts . Elle lui permet
d' abord de tromper plus facilement les personnes simples et sans dé­
fiance, et elle rend accessible à un plus grand nombre l' admission
dans la secte. De plus, en ouvrant leurs rangs à des adeptes qui vien­
nent à eux des religions les plus diverses, ils deviennent plus capables
d' accréditer la grande erreur du temps présent, laquelle consiste à re­
léguer au rang des choses indifférentes le souci de la religion, et à
mettre sur le pied de 1 ' égalité toutes les formes religieuses. Or, à lui
seul, ce principe suffit à ruiner toutes les religions, et particulièrement
la religion catholique, car, étant la seule véritable, elle ne peut, sans
subir la dernière des injures et des injustices, tolérer que les autres re­
ligions lui soit égalées. [ . . . ]
« [E]t ceux qui nient résolument ce dogme [de l' existence de Dieu]
sont aussi bien reçus à l ' initiation que ceux qui, d' une façon certaine,
1' admettent encore, mais en le dénaturant, comme les panthéistes dont
l' erreur consiste précisément, tout en retenant de l' Être divin on ne
sait quelles absurdes apparences, à faire disparaître ce qu' il y a
d ' essentiel dans la vérité de son existence. [ . . . ]
« Mais les naturalistes et les francs-maçons n ' ajoutent aucune foi à
la Révélation que Nous tenons de Dieu, nient que le père du genre
humain ait péché et, par conséquent, que les forces du libre arbitre
soient d' une façon « débilitées ou inclinées vers le mal ». Tout au
Liberté religieuse et œcuménisme 20 1

contraire, ils exagèrent la puissance et l' excellence de la nature et,


mettant uniquement en elle le principe et la règle de la justice, ils ne
peuvent même pas concevoir la nécessité de faire de constants efforts
et de déployer un très grand courage pour comprimer les révoltes de la
nature et pour imposer silence à ses appétits. [ . . . ]
« Les faits que Nous venons de résumer mettent en une lumière
suffisante la constitution intime des francs-maçons et montrent clai­
rement par quelle route ils s' acheminent vers leur but. Leurs dogmes
principaux sont en un si complet et si manifeste désaccord avec la rai­
son qu' il ne se peut imaginer rien de plus pervers. En effet, vouloir dé­
truire la religion et l' Église, établies par Dieu lui-même et assurées par
lui d' une perpétuelle protection, pour ramener parmi nous, après dix
huit siècles, les mœurs et les institutions des païens, n' est-ce pas le
comble de la folie et de la plus audacieuse impiété ? Mais ce qui n' est
ni moins horrible ni plus supportable, c' est de voir répudier les bien­
faits miséricordieux acquis par Jésus-Christ, d' abord aux individus,
puis aux hommes groupés en familles et en nations : bienfaits qui, au
témoignage des ennemis du christianisme, sont du plus haut prix. Cer­
tes, dans un plan si insensé et si criminel, il est bien permis de recon­
naître la haine implacable dont Satan est animé à l' égard de Jésus­
Christ et sa passion de vengeance. » (Léon XIII, Humanum genus)

« Et de fait, vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, il s'en


trouve beaucoup aujourd'hui pour appliquer à la société civile le prin­
cipe impie et absurde du « naturalisme », comme ils l' appellent, et
pour oser enseigner que « le meilleur régime politique et le progrès de
« la vie civile exigent absolument que la société humaine soit
« constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la Religion que si
« elle n' existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la
« vraie et les fausses religions ». Et contre la doctrine de la Sainte
Écriture, de l' Église et des saints Pères, ils affirment sans hésitation
que : « la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît
« pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les
« violations de la loi catholique, si ce n' est dans la mesure où la
« tranquillité publique le demande ». À partir de cette idée tout à fait
fausse du gouvernement des sociétés, ils ne craignent pas de soutenir
cette opinion erronée, funeste au maximum pour l' Église catholique et
le salut des âmes, que Notre Prédécesseur Grégoire XVI, d'heureuse
mémoire, qualifiait de « délire » 3 87 : « La liberté de conscience et des
« cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être

3 87 Grégoire XVI, Encyclique Mirari vos du 1 5 août 1 832.


202 Le crucifiement de saint Pierre

« proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée. Les
« citoyens ont droit à i' entière liberté de manifester hautement et
« publiquement leurs opinions quelles qu' elles soient, par les moyens
« de la parole, de l' imprimé ou tout autre méthode sans que l' autorité
« civile ni ecclésiastique puisse lui imposer une limite ». Or, en don­
nant pour certitudes des opinions hasardeuses, ils ne pensent ni ne se
rendent compte qu' ils prêchent « la liberté de perdition » 3 88 , et que
« s' il est permis à toutes les convictions humaines de décider de tout
« librement, il n'en manquera j amais pour oser résister à la vérité et
« faire confiance au verbiage d'une sagesse toute humaine. On sait
« cependant combien la foi et la sagesse chrétienne doivent éviter cette
« vanité si dommageable, selon l' enseignement même de Notre
« Seigneur Jésus-Christ » 3 89 • [ . . . ]
« Au milieu donc d' une telle perversité d' opinions corrompues,
Nous souvenant de Notre charge Apostolique, dans notre plus vive
sollicitude pour notre très sainte religion, pour la saine doctrine, et
pour le salut des âmes à Nous confiées par Dieu, et pour le bien de la
société humaine elle-même, Nous avons jugé bon d'élever à nouveau
Notre Voix Apostolique. En conséquence, toutes et chacune des opi­
nions déréglées et des doctrines rappelées en détail dans ces Lettres,
Nous les réprouvons, proscrivons et condamnons de Notre Autorité
Apostolique ; et Nous voulons et ordonnons que tous les fils de
l' Église catholique les tiennent absolument pour réprouvées, proscrites
et condamnées. » (Pie IX, Quanta cura, 5 et 1 4)

Un siècle après ces condamnations sans appel, « la fourbe des mé­


chants » (cf infra) parvenait à introduire ces « délires » dans un concile
œcuménique :

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à


la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes
doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus
que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de
telle sorte qu' en matière religieuse nul ne soit forcé d' agir contre sa
conscience ni empêché d' agir, dans de justes limites, selon sa cons­
cience, en privé comme en public, seul ou associé à d' autres. Il dé­
clare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans
la dignité même de la personne humaine telle que l' ont fait connaître
la parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne hu-

3 88 Saint Augustin, Lettre 1 05 .


3 89 Saint Léon, Lettre 1 64.
Liberté religieuse et œcuménisme 203

maine à la liberté religieuse dans 1' ordre juridique de la société doit


être reconnu de telle manière qu' il constitue un droit civil. » (Vati­
can II, Dignitatis humanae, 2)

« À cette époque le grand concile de Petrikau se tint sous le ponti­


ficat de Notre illustre prédécesseur et concitoyen Grégoire XIII et sous
la présidence de Monseigneur Lippomano, évêque de Vérone et nonce
apostolique. Pour la plus grande gloire de Dieu, il prohiba le principe
de la liberté de conscience. » (Benoît XIV, A quo primum)

« La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l' objet


d' une conscience toujours plus vive ; toujours plus nombreux sont
ceux qui revendiquent pour l'homme la possibilité d' agir en vertu de
ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la
pression d' une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir.
De même requièrent-ils que soit juridiquement délimité l' exercice de
l' autorité des pouvoirs publics, afin que le champ d'une franche liber­
té, qu' il s'agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop
étroitement circonscrit. Cette exigence de liberté dans la société hu­
maine regarde principalement ce qui est l' apanage de l'esprit humain,
et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion
dans la société. Considérant avec diligence ces aspirations dans le but
de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice,
ce Concile du Vatican scrute la tradition sacrée et la sainte doctrine de
l' Église d'où il tire du neuf en constant accord avec le vieux [ ! ] . »
(Vatican II, Dignitatis humanae, 1 )

Pie XI condamnait déjà ces théories qui s' opposent au premier comman­
dement et rappelait ces paroles du Seigneur : « Celui qui croira et sera bap­
tisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira pas sera condamné ».

« De telles entreprises [réunions œcuméniques, admettant « les in­


fidèles de tout genre comme les fidèles du Christ »] ne peuvent, en au­
cune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu' elles
s' appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou
moins bonnes et louables, en ce sens que toutes également, bien que
de manières différentes, manifestent et signifient le sentiment naturel
et inné qui nous porte vers Dieu et nous pousse à reconnaître avec res­
pect sa puissance. En vérité, les partisans de cette théorie s'égarent en
pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie reli­
gion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et
1' athéisme. La conclusion est claire : se solidariser des partisans et des
204 Le crucifiement de saint Pierre

propagateurs de pareilles doctrines, c' est s' éloigner complètement de


la religion divinement révélée. [ . . . ]
« Mais en fait, sous les séductions et le charme de ces discours, se
cache une erreur assurément fort grave, qui disloque de fond en com­
ble les fondements de la foi catholique.
« Avertis par la conscience de notre charge apostolique de ne pas
laisser circonvenir par des erreurs pernicieuses le troupeau du Sei­
gneur, nous faisons appel, vénérables frères, à votre zèle pour prendre
garde à un tel malheur. [ . . ]
.

« Dans ces conditions, il va de soi que le Siège Apostolique ne


peut, d' aucune manière, participer à leurs congrès et que, d' aucune
manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles
entreprises ou y collaborer ; s' ils le faisaient, ils accorderaient une au­
torité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à
l' unique Église du Christ.
« Pouvons-nous souffrir - ce serait le comble de l' iniquité - que
soit mise en accommodements la vérité, et la vérité divinement révé­
lée ? Car, en la circonstance, il s' agit de respecter la vérité révélée.
[.. .]
« De plus, quand le Fils unique de Dieu a commandé à ses envoyés
d'enseigner toutes les nations, il a en même temps imposé à tous les
hommes le devoir d' ajouter foi à ce qui leur serait annoncé par les
« témoins préordonnés par Dieu » (Act. X, 4 1 ), et il a sanctionné cet
ordre par ces mots : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; mais
celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc. XVI, 1 6). [ . . . ]
« Personne sans doute n' ignore que saint Jean lui-même, l'Apôtre
de la charité, que l'on a vu dans son Évangile, dévoiler les secrets du
Cœur Sacré de Jésus et qui ne cessait d'inculquer dans l' esprit de ses
fidèles le précepte nouveau : « Aimez-vous les uns les autres », inter­
disait de façon absolue tout rapport avec ceux qui ne professaient pas
la doctrine du Christ, entière et pure : « Si quelqu' un vient à vous et
« n' apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et
« ne le saluez même pas » (Joan. II, 1 0). C'est pourquoi, puisque la
charité a pour fondement une foi intègre et sincère, c' est l' unité de foi
qui doit être le lien principal unissant les disciples du Christ. [ . . . ]
« On comprend donc, Vénérables Frères, pourquoi ce Siège Apos­
tolique n ' a jamais autorisé ses fidèles à prendre part aux congrès des
non-catholiques : il n' est pas permis, en effet, de procurer la réunion
des chrétiens autrement qu' en poussant au retour des dissidents à la
seule véritable Église du Christ, puisqu' ils ont eu j adis le malheur de
s'en séparer. » (Pie XI, Mortalium animas)
Liberté religieuse et œcuménisme 205

« Il faut donc connaître l' état d' esprit des frères séparés. Pour cela,
une étude est nécessaire, et il faut la mener avec loyauté et bienveil­
lance. Il est nécessaire que des catholiques bien préparés acquièrent
une meilleure connaissance de la doctrine et de 1' histoire, de la vie spi­
rituelle et cultuelle, de la mentalité religieuse et de la culture propre à
leurs frères (séparés). Peuvent y contribuer beaucoup de réunions mix­
tes, où, d' égal à égal, on traite en particulier de questions théologi­
ques, pourvu que ceux qui y prennent part, sous la vigilance des évê­
ques, soient vraiment compétents. De ce genre de dialogue ressort plus
clairement aussi la vraie position de l' Église catholique. » (Vatican II,
Unitatis redintegratio, 9)

Bien loin de chercher à « connaître l' état d' esprit des frères séparés »,
Grégoire XVI condamnait l'erreur et dénonçait les calamités spirituelles et
temporelles qui découlent de 1' indifférentisme :

« Aussi, une fois rejetés les liens sacrés de la religion, qui seuls
conservent les royaumes et maintiennent la force et la vigueur de
1' autorité, on voit 1' ordre public disparaître, 1' autorité malade, et toute
puissance légitime menacée d' une révolution toujours plus prochaine.
Abîme de malheurs sans fonds, qu' ont surtout creusé ces sociétés
conspiratrices dans lesquelles les hérésies et les sectes ont, pour ainsi
dire, vomi comme dans une espèce de sentine, tout ce qu' il y a dans
leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème. [ . . . ]
« Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des
maux déplorables qui affligent à présent l' Église. Nous voulons dire
1' indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la
fourbe des méchants, qu' on peut, par une profession de foi quel­
conque, obtenir le salut éternel de l' âme, pourvu qu' on ait des mœurs
conformes à la justice et à la probité. Mais dans une question si claire
et si évidente, il vous sera sans doute facile d' arracher du milieu des
peuples confiés à vos soins une erreur si pernicieuse. L'Apôtre nous
en avertit : « Il n 'y a qu 'un Dieu, qu 'une foi, qu 'un baptême » 390 ;
qu' ils tremblent donc ceux qui s 'imaginent que toute religion conduit
par une voie facile au port de la félicité ; qu 'ils réfléchissent sérieu­
sement sur le témoignage du Sauveur lui-même : « qu 'ils sont contre
le Christ dès lors qu 'ils ne sont pas avec le Christ »391 ; qu'ils dissi­
pent misérablement par là même qu' ils n' amassent point avec lui, et
que par conséquent, « ils périront éternellement, sans aucun doute,

390 Eph. 4, 5 .
39 1 Le. 1 1 , 23.
206 Le crucifiement de saint Pierre

« s' ils ne gardent pas la foi catholique et s' ils ne la conservent entière
« et sans altération » 3 92. Qu' ils écoutent saint Jérôme racontant lui­
même, qu' à l' époque où l' Église était partagée en trois partis, il répé­
tait sans cesse et avec une résolution inébranlable, à qui faisait effort
pour l' attirer à lui : « Quiconque est uni à la chaire de Pierre est avec
moi » 3 9 3 • En vain essayerait-on de se faire illusion en disant que soi­
même aussi on a été régénéré dans 1' eau, car saint Augustin répondrait
précisément : « Il conserve aussi sa forme, le sarment séparé du
« cep ; mais que lui sert cette forme, s 'il ne vit point de la racine ? » 3 94
« De cette source empoisonnée de 1' indifférentisme, découle cette
maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu' on doit procurer et
garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieu­
ses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opi­
nions qui, pour la ruine de l' Église et de l' État, va se répandant de tou­
tes parts, et que certains hommes, par un excès d'impudence, ne crai­
gnent pas de représenter comme avantageuse à la religion. Eh !
« quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de l 'erreur ! »
disait saint Augustin 3 95 • En voyant ôter ainsi aux hommes tout frein
capable de les retenir dans les sentiers de la vérité, entraînés qu'ils
sont déj à à leur perte par un naturel enclin au mal, c' est en vérité que
Nous disons qu' il est ouvert ce « puits de l 'abîme » 3 96 d' où saint Jean
vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil, et des sauterelles sor­
tir pour la dévastation de la terre. De là, en effet, le peu de stabilité des
esprits ; de là, la corruption toujours croissante des jeunes gens ; de là,
dans le peuple, le mépris des droits sacrés, des choses et des lois les
plus saintes ; de là, en un mot, le fléau le plus funeste qui puisse rava­
ger les États ; car 1' expérience nous l' atteste et 1' antiquité la plus recu­
lée nous l' apprend ; pour amener la destruction des États les plus ri­
ches, les plus puissants, les plus glorieux, les plus florissants, il n'a
fallu que cette liberté sans frein des opinions, cette licence des dis­
cours publics, cette ardeur pour les innovations. » (Grégoire XVI, Mi­
rari vos)

392 Symb. S. Athanas.


393 Epist. 5 8 .
394 Psalm. contra part. Donat.
395 Epist. 1 66.
396 Apoc. 9, 3.
Liberté religieuse et œcuménisme 207

L'œcuménisme, conséquence du panthéisme maçonnique

L' aveu maçonnique qui suit recoupe l' extrait d'Humanum genus que
nous venons de citer. Pie IX et Benoît XIV attribuent également la diffusion
de 1' indifférentisme à la maçonnerie :

« Ce que nous devons propager, c 'est la conviction que chacun


doit faire soi-même ses opinions, par les résultats de ses réflexions ou
par les enseignements qu 'il a reçus et qui lui ont semblés bons.
« Et si chacun a la liberté de former soi-même son opinion, il doit
respecter cette même liberté chez autrui, ne pas s' irriter si son pro­
chain pense autrement que lui, et le manifeste, se dire que, puisque
l' erreur est une faiblesse commune à l' espèce humaine, il se pourrait
bien que ce fût lui qui errât.
« Ce serait là 1' enseignement de la pure doctrine maçonnique, qui
n' est pas faite pour être enfermée dans les temples, avec ses symboles,
mais au contraire propagée au dehors.
« C'est à ce résultat, à cette nouvelle forme de la lutte contre
l' Église que nous conduira la réaction ritualiste, symboliste, et, pour­
quoi ne pas le dire, religieuse au sens social du mot qui commence
dans la Maçonnerie française. » (L 'Acacia, revue maçonnique) 3 97

« Personne d' entre vous n'ignore, vénérables frères, dans notre


époque déplorable, cette guerre si terrible et si acharnée qu' a machi­
née contre l' édifice de la foi catholique cette race d'hommes qui, unis
entre eux par une criminelle association, ne pouvant supporter la saine
doctrine, fermant l' oreille à la vérité, ne craignent pas d' exhumer du
sein des ténèbres, où elles étaient ensevelies, les opinions les plus
monstrueuses, qu' ils entassent d' abord de toutes leurs forces, qu' ils
étalent ensuite et répandent dans tous les esprits à la faveur de la plus
funeste publicité. [ . . . ]
« Les ennemis de la révélation divine, vénérables frères, n' ont pas
recours à des moyens de tromperie moins funestes lorsque, par des
louanges extrêmes, ils portent jusqu' aux nues les progrès de
l'humanité. Ils voudraient, dans leur audace sacrilège, introduire ce
progrès jusque dans l' Église catholique : comme si la religion était
l' ouvrage non de Dieu, mais des hommes, une espèce d' invention phi­
losophique à laquelle les moyens humains peuvent surajouter un nou­
veau degré de perfectionnement.

397 L'Acacia, mars 1 908. Cité par l ' Abbé Emmanuel B arbier, Les infiltrations maçonniques
dans l'Église, DDB , Lille, 1 9 1 0, p. 1 5 7 . Réédition des Éditions Delacroix.
208 Le crucifiement de saint Pierre

« Jamais hommes si déplorablement en délire ne méritèrent mieux


le reproche que Tertullien adressait aux philosophes de son temps :
« Le christianisme que vous mettez en avant, n'est autre que celui des
stoïciens, des platoniciens et des dialecticiens ». [ . . . ]
« Mais vous connaissez encore aussi bien, vénérables frères, les
autres monstruosités de fraudes et d'erreurs par lesquelles les enfants
de ce siècle s' efforcent chaque jour de combattre avec acharnement la
religion catholique et la divine autorité de l' Église, ses lois non moins
vénérables ; comment ils voudraient fouler également aux pieds les
droits de la puissance sacrée et de l' autorité civile. C' est à ce but que
tendent ces criminels complots, contre cette É glise romaine, siège du
bienheureux Pierre, et dans laquelle Jésus-Christ a placé
l' indestructible fondement de toute son Église. Là tendent toutes ces
sociétés secrètes sorties du fond des ténèbres pour ne faire régner par­
tout, dans l' ordre sacré et profane, que les ravages et la mort ; sociétés
clandestines si souvent foudroyées par l' anathème des Pontifes ro­
mains nos prédécesseurs dans leurs lettres apostoliques, lesquelles
Nous voulons en ce moment même confirmer et très exactement re­
commander à 1' observation par la plénitude de notre puissance
apostolique. [ . . . ]
« C' est encore au même but que tend cet horrible système de
l' indifférence en matière de religion, système qui répugne le plus à la
seule lumière naturelle de la raison. C' est par ce système, en effet, que
ces subtils artisans de mensonge cherchent à enlever toute distinction
entre le vice et la vertu, entre la vérité et l' erreur, entre l' honneur et la
turpitude, et prétendent que les hommes de tout culte et de toute reli­
gion peuvent arriver au salut éternel : comme si jamais il pouvait y
avoir accord entre la justice et l' iniquité, entre la lumière et les ténè­
bres, entre Jésus-Christ et Bélial. » (Pie IX, Qui pluribus)

« Clément XII, d' heureuse mémoire, Notre prédécesseur, par sa


Lettre Apostolique, datée du IV des calendes de mai, 1' an de
l' Incarnation de Notre Seigneur M. DCC. XXXVIII, de son Pontificat
le VIIr, et adressée à tous les fidèles de Jésus Christ, qui commence
par ces mots : In eminenti a condamné et défendu à perpétuité certai­
nes sociétés, assemblées, réunions, conventicules ou agrégations appe­
lées vulgairement de Francs-Maçons ou autrement, répandues alors
dans certains pays, et s' établissant de jour en jour avec plus
d'étendue ; défendant à tous les fidèles de Jésus Christ, et à chacun en
particulier sous peine d' excommunication à encourir par le fait et sans
autre déclaration, de laquelle personne ne peut être absous par autre
que par le Souverain Pontife existant pour lors, excepté à l' article de la
Liberté religieuse et œcuménisme 209

mort, d' oser ou présumer entrer dans ces sociétés, ou les propager, les
entretenir, les recevoir chez soi, les cacher, y être inscrit, agrégé, ou y
assister, et autrement, comme il est exprimé plus au long dans ladite
Lettre.
« Mais comme il s'en est trouvé, ainsi que Nous l' apprenons, qui
n' ont pas craint d' assurer et de publier que ladite peine
d' excommunication portée par Notre prédécesseur comme dessus, ne
frappe plus, parce que la constitution précitée n'a pas été confirmée
par Nous, comme si la confirmation expresse du Pape successeur était
requise pour que des constitutions apostoliques données par un Pape
prédécesseur subsistene98 ; [ ] • • •

« Cependant, pour qu' on ne puisse pas dire que Nous ayons omis
imprudemment quelque chose qui pût facilement ôter toute ressource
et fermer la bouche au mensonge et à la calomnie, Nous, de l' avis de
plusieurs de Nos Vénérables Frères les Cardinaux de la Sainte Église
Romaine, avons décrété de confirmer par les présentes, la susdite
constitution de Notre prédécesseur, insérée mot à mot, dans la forme
spécifique, qui est la plus ample et la plus efficace de toutes, comme
Nous la confirmons, corroborons, renouvelons de science certaine et
de la plénitude de Notre autorité apostolique, par la teneur des pré­
sentes, en tout et pour tout, comme si elle était publiée de Notre propre
mouvement, de Notre propre autorité, en Notre propre nom, pour la
première fois ; voulons et statuons qu'elle ait force et efficacité à
toujours.
« Or, parmi les causes très graves de la susdite prohibition et
condamnation, exprimées dans la constitution rapportée ci-dessus, la
première est que, dans ces sortes de sociétés ou conventicules, il se ré­
unit des hommes de toute religion et de toute secte ; d'où l'on voit as­
sez quel mal peut en résulter pour la pureté de la religion catholique. »

(Benoît XIV, Providas, 1 7 5 1 )

La liberté religieuse est une conséquence de l' illuminisme de Vatican II


qui affirme que chaque homme reçoit la révélation intérieurement et ne peut
donc être contraint par une révélation extérieure :

<< De cette manière, la nature personnelle de l'homme s' exprime


par un acte de foi, un acte qui jaillit des profondeurs de l'humanité
de 1 'homme et qui doit être défini comme personnel. La foi est un
problème de conscience :

39 8 Le discours maçonnique n ' a donc pas changé depuis deux siècles et demi.
210 Le crucifiement de saint Pierre

« C' est pourquoi chacun a le devoir et, par conséquent le droit, de


« chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former
« prudemment un jugement de conscience droit et vrai, en employant
« les moyens appropriés. » (Dignitatis humanae, 3)
« Le postulat d'une foi et d'un catholicisme conscients est totale­
ment soutenu par la position du Concile défendant le droit à la liberté
religieuse dans les domaines sociaux et publics. » (Cardinal Wojty­
la) 3 99

« En relation avec ses enseignements concernant le droit de chacun


de professer sa religion en public ou en privé, le Concile observe que
« la liberté de religion a d' ores et déjà été reconnue comme étant un
« droit civil dans la plupart des constitutions et a reçu une
« reconnaissance solennelle dans les documents internationaux » [dont
la dimension maçonnique n'a pas besoin d'être établie] (Dignitatis
humanae, 1 5) . » (Cardinal Wojtyla) 400

« Notre réponse [à la révélation de Dieu] est une profession de foi


et, comme nous l' avons déjà vu, une acceptation de l' appel qui, dans
la révélation de la très sainte Trinité, met en lumière ce qui remplit les
cœurs et les âmes des hommes, y compris des fidèles des religions
non-chrétiennes.
« Depuis les temps les plus reculés jusqu ' à aujourd'hui, on trouve
« dans les différents peuples une certaine sensibilité à cette force
« cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la
« vie humaine, parfois même une reconnaissance de la Divinité
« suprême, ou encore du Père. Cette sensibilité et cette connaissance
« pénètrent leur vie d'un profond sens religieux ». (Nostra Aetate, 2) »
(Cardinal Wojtyla) 40 1

« Mais c' est par sa conscience que l' homme perçoit et reconnaît
les injonctions de la loi divine ; c'est elle qu'il est tenu de suivre fidè­
lement en toutes ses activités, pour parvenir à sa fin qui est Dieu. Il
ne doit pas être empêché non plus d' agir selon sa conscience, surtout
en matière religieuse. » (Vatican II, Dignitatis humanae, 3)

« Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une


loi qu' il ne s' est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu

399 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit., p. 23.


400 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit., p . 4 1 2.
40 1 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit., p. 63 et 64.
Liberté religieuse et œcuménisme 21 1

d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d' aimer et d' accomplir
le bien et d' éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité
de son cœur : « Fais ceci, évite cela ». Car c'est une loi inscrite par
Dieu au cœur de l'homme ; sa dignité est de lui obéir, et c' est elle qui
le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le
sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. C' est
d'une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui
s' accomplit dans l' amour de Dieu et du prochain. » (Vatican II, Gau­
dium et spes, 1 6)

La liberté religieuse est fondée sur la dignité humaine, qui provient de sa


conscience, lieu de la révélation divine :

« Et tout élément de la famille humaine porte, en lui-même et dans


ses meilleures traditions, quelque élément de ce trésor spirituel que
Dieu a confié à l' humanité, même si beaucoup en ignorent l' origine. »
(Vatican II, Gaudium et spes, 86.7)

« Au sens large, le mot « culture » désigne tout ce par quoi


l' homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de
son corps ; s' efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le
travail ; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que
l'ensemble de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institu­
tions ; traduit, communique et conserve enfin dans ses œuvres, au
cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations
majeures de l' homme, afin qu'elles servent au progrès d'un grand
nombre et même de tout le genre humain. » (Vatican II, Gaudium et
spes, 5 3 .2)

« Mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui recon­


naissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent
avoir la foi d' Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricor­
dieux, futur juge des hommes au dernier jour. Et même des autres, qui
cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu' ils
ignorent, Dieu n' est pas loin, puisque c'est lui qui donne à tous vie,
souffle et toutes choses (cf. Act. 1 7 , 25-28), et puisqu' il veut, comme
Sauveur, que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tim 2, 4). » (Vati­
can II, Lumen gentium, 1 6)

« Ainsi, l' attitude œcuménique s' enracine dans la foi en la paterni­


té de Dieu, qui embrasse tout l'univers, et dans la foi en la rédemption
212 Le crucifiement de saint Pierre

apportée par le Christ et offerte à tous les hommes sans exception. »


(Cardinal Wojtyla)402

La liberté religieuse et l'œcuménisme, doctrine de Vatican II

« Ainsi, dans l'hindouisme, les hommes scrutent le mystère divin


et l' expriment par la fécondité inépuisable des mythes et par les efforts
pénétrants de la philosophie ; ils cherchent la libération des angoisses
de notre condition, soit par les formes ascétiques, soit par la médita­
tion profonde, soit par le refuge en Dieu avec amour et confiance.
Dans le bouddhisme, selon ses formes variées, l'insuffisance radicale
de ce monde changeant est reconnue et on enseigne une voie par la­
quelle les hommes, avec un cœur dévot et confiant, pourront acquérir
l' état de libération parfaite, soit atteindre l'illumination suprême par
leurs propres efforts ou par un secours venu d'en haut. De même aus­
si, les autres religions qu' on trouve de par le monde s'efforcent
d' aller, de façons diverses, au-devant de l' inquiétude du cœur humain
en proposant des voies, c'est-à-dire des doctrines, des règles de vie et
des rites sacrés.
« L' Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans
ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières
d' agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu'elles différent
en beaucoup de points de ce qu' elle-même tient et propose, cependant
apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes.
Toutefois, elle annonce, et elle est tenue d' annoncer sans cesse, le
Christ qui est « la voie, la vérité et la vie » (Jean 14, 6), dans lequel les
hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel
Dieu s'est réconcilié toutes choses.
« Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et charité, par
le dialogue et par la collaboration avec ceux qui suivent d' autres reli­
gions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils re­
connaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles,
morales et socio-culturelles qui se trouvent en eux.
« L' Église regarde aussi avec estime les Musulmans, qui adorent le
Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur
du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se sou­
mettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s' ils sont cachés,
comme s' est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère
volontiers. Bien qu' ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le

402 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 3 1 3 .


Liberté religieuse et œcuménisme 213

vénèrent comme prophète ; ils honorent s a Mère virginale, Marie, et


parfois même l'invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du
jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont­
ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la
prière, l' aumône et le jeûne.
« Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés
se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les
exhorte à oublier le passé et à s' efforcer sincèrement à la compréhen­
sion mutuelle, ainsi qu' à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous
les hommes, [ces valeurs naturalistes et maçonniques :] la justice so­
ciale, les valeurs morales, la paix et la liberté. [ . . . ]
« L' Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les
Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même, des deux, a fait un
seul. [ . . . ]
« Du fait d'un si grand patrimoine spirituel, commun aux chrétiens
et aux Juifs, le Concile veut encourager et recommander entre eux la
connaissance et l' estime mutuelles, qui naîtront surtout d' études bibli­
ques et théologiques, ainsi que d'un dialogue fraternel.
« Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé
à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être
imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de
notre temps. S ' il est vrai que l' Église est le nouveau peuple de Dieu,
les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés
par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. »
(Vatican II, Nostra Aetate, 2, 3 , 4)403

« Grâce à cette union, nous pouvons nous approcher ensemble du


magnifique patrimoine de l' esprit humain, qui s' est manifesté dans
toutes les religions, comme le dit la déclaration Nostra aetate du
Concile Vatican II. » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 1 2)

« Dans les pays de mission, outre les éléments d' initiation fournis
par la tradition chrétienne, il sera permis d' admettre ces autres élé­
ments d' initiation dont on constate la pratique dans chaque peuple,
pour autant qu' on peut les adapter au rite chrétien, conformément aux
articles 37-40 de la présente Constitution. » (Vatican II, Sacrosanctum
Concilium, 65)

403 Voir également : Unitatis redintegratio, 3 , 4, 15 ; Dignitatis humanae, l, 7 ; Lumen gen­


tium, 1 5 , 1 6.
214 Le crucifiement de saint Pierre

« On introduira aussi [les séminaristes] à la connaissance des au­


tres religions, particulièrement répandues en telle ou telle région, afin
qu' ils découvrent mieux ce qu' elles ont, par une disposition divine, de
vrai et de bon, qu' ils apprennent à en réfuter les erreurs, et qu' ils puis­
sent communiquer la pleine lumière de la vérité à ceux qui ne l' ont
pas. » (Vatican II, Optatam tatius, 1 6)

Ainsi, le scandale d' Assise est une conséquence directe de Vatican II.

« Celui qui se tient sur le terrain de la théologie catholique ne peut


évidemment pas déclarer tout simplement que la doctrine de la Pri­
mauté est nulle et non avenue, surtout pas quand il s'efforce de com­
prendre les objections qu' on lui fait et quand il cherche à apprécier
loyalement le poids plus ou moins grand des faits historiquement
constatables. Mais d'un autre côté, il ne petJt absolument pas considé­
rer la manière dont se présente la primauté aux XIXe et XXe siècles
comme étant la seule possible et qui s'imposerait à tous les chrétiens.
Les gestes symboliques de Paul VI, jusqu'à son agenouillement de­
vant le représentant du patriarche œcuménique, veulent justement
exprimer cela et, par de tels signes, nous faire sortir des étroits sentiers
de l' état historique actuel. » (Cardinal Ratzinger) 404

Éloge de la mystique panthéiste

« Le dialogue avec les autres religions est en marche. Nous som­


mes tous persuadés, je crois, que nous avons quelque chose à ap­
prendre par exemple de la mystique d'Asie, et que les grandes
traditions mystiques offrent aussi des possibilités de rencontres qui ne
sont pas aussi évidentes dans la théologie positive. » (Cardinal Ratzin­
ger) 4os

Or la mystique de l' Asie est partout panthéiste et vise à la réalisation de


la divinité de l'homme (mutatis mutandis en ce qui concerne le boud­
dhisme). Par ailleurs, la théologie positive s' appuie sur la Révélation qui se
trouve ainsi rabaissée au rang d'accessoire inutile et encombrant.

404 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit., p. 22 1 .


405 Joseph Ratzinger, Le Sel de le terre, le christianisme et l'Église catholique au seuil du
troisième millénaire, Éditions Flammarion 1 Cerf, 1 997, p. 254. Cité dans Le Sel de la terre,
Avrillé, hiver 1 997- 1 998, na 23, p. 2 1 6.
Liberté religieuse et œcuménisme 215

Éloge du paganisme

« C' est pourquoi la liturgie chrétienne est et restera toujours à la


foi historique et cosmique. C'est ainsi qu' elle se présente à nous dans
toute sa majesté, sans rupture avec la quête religieuse des hommes à
travers l' histoire, et sans se couper des grandes religions du monde,
dont elle a recueilli les motifs essentiels [naturalistes et panthéis­
tes ?] . » (Cardinal Ratzinger)406

« Cette parabole [du bon Samaritain] est d' une actualité patente. Si
nous la transposons à 1' échelle de la société internationale, nous
voyons que nous sommes concernés par les peuples d' Afrique que
l'on dépouille et que l'on pille. Nous voyons aussi à quel point ils sont
notre « prochain » : notre mode de vie, notre histoire, dans lesquelles
nous sommes nous aussi impliqués, ont concouru et concourent encore
à leur pillage. Et surtout, nous avons par là même blessé leur âme. Au
lieu de leur faire don de Dieu, du Dieu qui en Jésus-Christ nous est
proche, au lieu d' accepter et de parachever tout ce que leurs propres
traditions ont de précieux et de grand [le paganisme et l' invocation des
esprits], nous leur avons apporté le cynisme d'un monde sans Dieu, où
la seule chose qui importe, c' est le pouvoir et le profit. Nous [ ! ] avons
détruit l' échelle des valeurs morales de sorte que la corruption et la
volonté de pouvoir sans scrupule finissent par s'imposer comme des
évidences. Et 1' Afrique n' est pas un cas isolé.
« Bien sûr, il nous faut apporter une aide matérielle et réviser notre
propre mode de vie. » (Benoît XVI) 407 408

Y aurait-il confusion entre l' Épouse mystique du Christ d' une part et la
maçonnerie et le grand capital d' autre part ? Ces reproches étonnent quand
on sait que Vatican II a brisé l'élan missionnaire de l' Église.

« À ce propos, il convient de ne pas oublier toutes les religions


primitives, les religions animistes qui mettent au premier plan le culte
des ancêtres. Ceux qui honorent ainsi leurs ascendants semblent être
particulièrement proches du christianisme. L ' ac ti vi té missionnaire
de l' Église trouve plus facilement avec eux un langage commun. N'y
a-t-il pas, dans cette vénération des ancêtres, une sorte de préparation

406 Cardinal Ratzinger, L'Esprit de la liturgie, op. cit. , p. 29.


407 Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007, p. 223 .
408 On consultera avec profit Je discours prononcé à l' ONU Je 1 8 avril 2008 par Benoît XVI.
Le lecteur exercé y trouvera presque uniquement des thèmes maçonniques.
216 Le crucifiement de saint Pierre

à la foi des chrétiens en la Communion des saints, qui fait que


tous les croyants , vivants ou morts, forment une communauté uni­
que, un seul corps ? Et la foi en la Communion des saints est en fin de
compte foi dans le Christ, unique source de vie et de sainteté pour tous.
Il n' est donc pas surprenant que les animistes africains et asiatiques
deviennent assez facilement fidèles du Christ, plus aisément en tout
cas que les ressortissants des grandes religions d'Extrême-Orient.
« Ces dernières, telles qu' elles nous sont présentées par le Concile,
présentent les caractéristiques de systèmes. Ce sont des systèmes
cultuels et en même temps éthiques, qui mettent très fortement
l' accent sur le bien et le mal. Le confucianisme chinois en fait certai­
nement partie de même que le taoïsme : Tao veut dire « éternelle vé­
rité » - quelque chose d'un peu semblable au Verbe chrétien, qui se
reflète dans l' agir de l'homme par la vérité et le bien moral. Les reli­
gions de l' Extrême-Orient ont joué un rôle important dans l'histoire de
la morale et de la culture. Elles ont permis la prise de conscience
d ' une identité nationale chez les habitants de la Chine, de l'Inde,
du Japon, du Tibet, ainsi que chez les peuples du Sud-Est asiatique et
des archipels de 1' océan Pacifique. Certains, parmi ces peuples, ont
des cultures qui remontent à des époques très lointaines. Les indigènes
australiens peuvent se vanter d'une histoire de quelque dizaines de
milliers d' années. Leur tradition ethnique et religieuse est plus an­
cienne que celle d'Abraham et de Moïse...
« Le Christ est venu dans le monde pour tous ces peuples. Il les a
« rachetés » eux aussi, il est sûr qu'Il suit ses voies mystérieuses pour
rejoindre chacun d' eux dans la phase eschatologique actuelle de l' his­
toire du salut. En fait, dans ces régions, nombreux sont ceux qui
L' acceptent déjà et encore plus nombreux ceux qui ont en Lui une foi
implicite. » (Jean Paul II, Entrez dans l 'Espérance)409

L'œcuménisme réclame donc une conversion

« Il n'y a pas de véritable œcuménisme sans conversion intérieure.


En effet, c'est du renouveau de l' âme, du renoncement à soi-même et
d' une libre effusion de charité que partent et mûrissent les désirs de
l' unité. [ . . . ]
« Cette conversion du cœur et cette sainteté de vie, unies aux priè­
res publiques et privées pour l'unité des chrétiens, doivent être regar-

409 Jean Paul II, Entrez dans l'Espérance, op. cit., p. 1 36 sq. Voir également Karo1 Wojtyla,
Sources of Renewal, op. cit., p. 1 29, 1 30 et 3 1 1 .
Liberté religieuse et œcuménisme 217

dées comme l' âme de tout l' œcuménisme et peuvent à bon droit être
appelées œcuménisme spirituel. » (Vatican II, Unitatis redintegratio, 7
et 8)

Les catholiques doivent donc se convertir à la doctrine de l' unité trans­


cendante des religions. Ceci ne devrait plus nous surprendre : nous avons
suffisamment montré que l' œcuménisme maçonnique est en totale opposi­
tion avec la doctrine catholique.

« Personne cependant ne s' imagine que le chemin vers l'unité [des


chrétiens] sera court et facile. Il faut par-dessus tout prier beaucoup,
entreprendre de se convertir soi-même, apprendre à louer et implorer
Dieu en commun ». (Jean Paul 11)4 1 0

« Une des conséquences essentielles du ne Concile du Vatican est


que la théologie soit constamment ramenée, dans sa pensée et son lan­
gage, à la dimension œcuménique ». (Cardinal Ratzinger)4 1 1

4 1 0 Jean Paul II, Entrez dans l'Espérance, op. cit. , p. 224.


4 1 1 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 8. Première
·

phrase de l' ouvrage.


CHAPITRE IX

Le saint sacrifice de la messe

Le protestantisme et le concile Vatican II

e chapitre montrera que la perspective panthéiste fournit une expli­


C cation globale et cohérente aux innovations liturgiques du concile
Vatican II. Certains ne manqueront pas, avec raison, de soulever alors la
question de 1' influence protestante sur Vatican II, visible plus qu' ailleurs
dans la nouvelle messe. Nous serions bien le dernier à vouloir la nier ou la
minimiser. Mais doit-on y voir l ' origine ultime de la subversion religieuse ?
Le protestantisme n' est-il pas lui-même le vecteur d' influences tout autres,
qui ne se révèlent que progressivement dans le déroulement de l' histoire ?
N' est-il pas qu' une étape dans la subversion spirituelle ?
Nous ne chercherons pas ici à mettre en évidence la filiation historique
entre gnostiques, manichéens, cathares, albigeois, humanistes, cabalistes,
Rose-Croix et francs-maçons d'une part, et protestants d' autre part. Cette
seule énumération montre l' ampleur des recherches à mener à terme. Il n'en
reste pas moins que tous4 1 2 ces mouvements sont antérieurs à la Réforme et
ne sauraient en provenir. L' influence de ces courants anticatholiques sur
l' origine de la Réforme, une similitude spirituelle souvent très profonde
avec le protestantisme (que ce chapitre mettra implicitement en exergue) et
la convergence des héritiers de toutes ces forces lors du concile Vatican II
posent naturellement un vaste problème. Nous n'entreprendrons pas de le
résoudre ici, mentionnant seulement qu' il mène à des conclusions fort dé­
rangeantes sur 1' origine du protestantisme et donc de 1' œcuménisme et de
Vatican II.
La proximité, non plus historique mais intellectuelle, entre les mouve­
ments gnostiques et le protestantisme exige néanmoins un éclaircissement
rapide4 1 3 . Pourquoi tant d' éléments du concile Vatican II peuvent-ils
s'interpréter aussi bien dans une perspective holistique, gnostique et maçon­
nique que dans un cadre protestant ? Pourquoi l' œcuménisme, la collégiali­
té, la liberté religieuse, la nouvelle messe, la confusion entre la nature et la
grâce trouvent-ils naturellement leur place dans ces deux grilles

4 1 2 Ou presque, si l ' on veut respecter l ' histoire officielle qui masque parfois des phénomènes
considérables.
4 1 3 Etienne Couvert, De la gnose à l'œcuménisme, Chiré-en-Montreuil, Éditions de Chiré,
200 1 , p. 63 sq.
Le saint sacrifice de la messe 219

d' interprétation ? Il nous faut résumer ici des considérations qui mériteraient
d' amples développements. La doctrine maçonnique, qui est également celle
de Vatican II, confond la nature et la grâce en divinisant la nature. [C]ette «

nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son in­
carnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni lui-même à tout
homme. » Pour sa part, Luther confondait la nature et la grâce en détruisant
la nature pour ne plus laisser subsister que Dieu : le péché originel, que le
baptême n' efface pas, a radicalement corrompu l'homme. La nature étant
irrémédiablement blessée, l'homme ne peut faire aucun effort moral. Toute
notre sanctification est l' œuvre de Dieu seul et nous ne pouvons y collaborer
en aucune manière. Les élus sont alors justifiés par la seule grâce de Dieu
qui leur impute la justice du Christ, les revêtant comme d'un manteau de ses
mérites. On arrive ainsi au panthéisme par deux voies opposées : soit en
exaltant et divinisant l'homme, soit en l' abaissant jusqu ' à l' anéantissement.
Il reste pourtant à mentionner que, malgré toutes ces profondes similitu­
des, le protestantisme ne peut rendre compte à lui seul de la doctrine de V a­
tican II : la confusion entre le Créateur et la créature, le salut universel, le
salut cosmique, l'unité du genre humain, notre grâce naturelle et la dignité
humaine ne peuvent s' expliquer que dans le cadre de la pensée holistique.
Le libre examen protestant ne prendra son ampleur définitive qu' avec la
doctrine conciliaire et gnostique de la révélation intérieure. Ainsi la Ré­
forme apparaît comme une simple étape dans la transmutation alchimique
de la chrétienté qui aboutit au concile Vatican II.

Le saint sacrifice de la messe

Il n' entre pas dans nos intentions d'ajouter aux profondes études sur la
nouvelle messe que d' autres, mieux armés, ont publiées414 . Nous nous
contenterons, dans ce chapitre, d'en rappeler les conclusions bien établies et
de renvoyer à ces ouvrages les lecteurs soucieux d' approfondissement. Nous
nous servirons particulièrement de l' étude publiée par le Fraternité sacerdo­
tale saint Pie X intitulée Le problème de la réforme liturgique415. Elle met
en exergue l' une des clefs de compréhension de la nouvelle messe : le

4 1 4 Bref examen critique de la nouvelle messe, présenté à Paul VI par les cardinaux Ottaviani
et Bacci, supplément spécial à lntroibo, n° 95, Angers, association Noël Pinot.
Louis Salleron, La nouvelle messe, Paris, Nouvelles éditions latines, 1 98 1 .
Daniel Raffard de B rienne, Lex orandi, la nouvelle messe et la foi, Lecture et tradition, Chi­
ré-en-Montreuil, mai-juin 1 983, n° 1 0 1 .
Monseigneur Marcel Lefebvre, La messe de toujours, Étampes, Clovis, 2005 .
415 Fraternité sacerdotale saint Pie X, Le problème de la réforme liturgique, La messe de Va­
tican Il et de Paul VI; Étude théologique et liturgique, Étampes, Clovis, 200 1 .
220 Le crucifiement de saint Pierre

« mystère pascal », qui a remplacé, dans la théologie conciliaire, le dogme


de la Rédemption.
Nous appuyant sur ces conclusions, qui éclairent les modifications intro­
duites par Vatican II dans le saint sacrifice de la messe et que, pour
l'essentiel, nous supposerons assimilées quand bien même nous les rappelle­
rons rapidement, nous montrerons que la doctrine holistique, panthéiste et
maçonnique, éclaire immédiatement tous ces bouleversements et rend
compte du « mystère pascal », mystère gnostique. Tel est donc l 'unique but
de ce chapitre : montrer que la doctrine maçonnique fournit l 'explication la
plus complète de la révolution liturgique. Nous rappellerons brièvement les
principales critiques formulées à 1' encontre de la nouvelle liturgie ; nous
résumerons ensuite la théologie du « mystère pascal » et l' analyse qui en est
faite dans Le problème de la réforme liturgique ; puis nous montrerons que
tous ces éléments trouvent naturellement leur place dans le cadre de la pen-·
sée maçonnique.
La querelle sur la messe porte principalement sur la disparition ou
l' amoindrissement de son caractère de sacrifice propitiatoire, de représenta­
tion et de renouvellement non sanglant du sacrifice de la Croix, et donc sur
l' application de ses mérites à nos âmes. La nouvelle liturgie tend à nier ou à
réduire tant l' aspect sacrificiel de la messe que son caractère propitiatoire.
La définition de la messe donnée par l' Institutio generalis416 a causé grand
scandale avant d' être légèrement modifiée :

« La Cène dominicale est la synaxe [assemblée] sacrée ou le ras­


semblement du peuple de Dieu se réunissant sous la présidence du
prêtre pour célébrer le mémorial du Seigneur. C'est pourquoi vaut
éminemment pour l' assemblée locale de la sainte Église la promesse
du Christ : là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au mi­
lieu d'eux. »

416
§ 7 . Édition originale de 1 969. Voir§ 27 de la rédaction actuelle, où il est dit que la messe
perpétue le sacrifice de la Croix, et non qu' il s' agit du même sacrifice (ST III, q. 83, a. 1 ;
Catéchisme du concile de Trente, ch. XX, § VIII : Le sacrifice de la messe est le même que
celui de la Croix ; Catéchisme de saint Pie X,§ 349). L'identité entre ces deux sacrifices doit
être fortement rappelée pour pouvoir ensuite énoncer sans craindre de mauvaise interprétation
que le saint sacrifice de la messe représente [rend présent] et renouvelle le sacrifice de la
Croix : « il n'y a qu'une seule et même Victime dont l'immolation se renouvelle tous les jours
dans l'Eucharistie» (Catéchisme du concile de Trente, ibid. ) ; « La sainte Messe est le sacrifice
du Corps et du Sang de Jésus-Christ que le prêtre offre à Dieu sur l' autel sous les espèces du
pain et du vin, en mémoire et renouvellement du sacrifice de la Croix. » (Catéchisme de saint
Pie X,§ 348 ; en italiques dans le texte) ; « à l'autel, [ . . . ] le sacrifice de la croix est perpétuelle­
ment représenté et renouvelé» (Pie XII, Mediator Dei).
Le saint sacrifice de la messe 22 1

En quelques mots, cette définition remarquable nie implicitement le sa­


crifice, la propitiation et le caractère sacerdotal du prêtre pour transformer le
saint sacrifice de la messe en repas (cène) et en mémorial, le prêtre, autre
Christ, en président d' assemblée et la présence réelle en présence spirituelle
Ge suis présent au milieu d'eux). On tait le miracle de la charité divine ma­
nifestée par la représentation et le renouvellement du sacrifice de la Croix,
par la présence réelle et par la communion qui nous fait véritablement rece­
voir Notre-Seigneur Jésus-Christ. Les cardinaux Ottaviani et Bacci ont alors
pu affirmer à Paul VI : « On veut faire table rase de toute la théologie de la
Messe. En substance, on se rapproche de la théologie protestante qui a dé­
truit le sacrifice de la Messe. »41 7 On retrouve les mêmes omissions et glis­
sements dans les textes du concile Vatican II. Nous nous contenterons de
donner leurs références pour ne pas alourdir inutilement notre analyse41 8 •
Une telle omission volontaire du sacrifice propitiatoire signifie son
« dépassement » et, au moins en pratique, sa négation4 1 9 et son remplace­
ment par la seule action de grâce (eucharistie) ou par un sacrifice de
louange. La peine due au péché et la finalité satisfactoire de la messe sont
tues, comme ceci apparaît plus que nulle part ailleurs dans la liturgie des
défunts. Enfin, la participation à la victime, réalisée dans la communion,
n' est plus requise. La Croix est oubliée, supplantée par la Résurrection. Le
saint sacrifice est remplacé par une liturgie de sauvés.
La messe n' est plus alors qu' un repas mémorial qui requiert donc le
manger et le boire, la communion sous les deux espèces. L' autel, pierre fixe
sur laquelle s'effectue le sacrifice, est remplacé par une table en bois, mo­
bile, adaptée au repas et tournée vers les fidèles.

« En effet, la Messe dresse la table aussi bien [premièrement] de la


parole de Dieu que [secondement] du Corps du Seigneur, où les fidè­
les sont instruits et restaurés. » (lnstitutio generalis, § 8)

« Le Seigneur a laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un


aliment pour la route : le sacrement de la foi, dans lequel des éléments
de la nature, cultivés par l'homme, sont changés en son Corps et en
son Sang glorieux. C'est le repas420 de la communion fraternelle, une
anticipation du banquet céleste. » (Gaudium et spes, 3 8 .2)

4 1 7 Bref examen critique de la nouvelle messe, op. cit. , p . 5.


41 8 Lumen gentium 28. 1 ; Sacrosanctum Concilium 47, 1 02. 1 , 1 06.
4 1 9 Bref examen critique de la nouvelle messe, op. cit. , p. 1 0.
420 « Ils s'écartent donc du chemin de la vérité ceux qui ne veulent accomplir le saint sacri­
fice que si le peuple chrétien s' approche de la table sainte ; et ils s'en écartent encore davantage
ceux qui, prétendant qu' il est absolument nécessaire que les fidèles communient avec le prêtre,
affirment dangereusement qu' il ne s' agit pas seulement d'un sacrifice, mais d'un sacrifice et
222 Le crucifiement de saint Pierre

L'offertoire, qui offrait à Dieu une hostie (victime) immaculée et le ca­


lice du salut, en se référant au seul sacrifice que l'homme déchu puisse of­
frir à Dieu, celui de son Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ, est ainsi remplacé
par une simple présentation des dons qui reprend une prière juive. La Pré­
sence réelle, objective, est tue (communion dans la main et debout421 ) tandis
que 1' accent est mis sur la présence spirituelle du Christ et sur la parole de
Dieu. Le pain et le vin, que la liturgie traditionnelle considéraient déjà
comme une « hostie immaculée » et le « calice du salut », deviennent « pain
de vie » et « boisson spirituelle », indiquant un changement spirituel et non
substantiel, sans référence à la présence réelle, corps, sang, âme et divinité
de Notre-Seigneur Jésus-Christ. En revanche, le Christ est présent par sa
parole :

« Lorsqu' on lit dans l' Église la sainte Écriture, c' est Dieu lui­
même qui parle à son peuple, et c' est le Christ, présent dans sa parole,
qui annonce l' Évangile. » (lnstitutio generalis, § 9)

Le Christ est également présent dans le peuple de Dieu. Depuis Vati­


can II, tous les laïcs sont revêtus du sacerdoce commun des fidèles :

« L' Église veut que les fidèles non seulement offrent cette victime
sans tache, mais encore qu' ils apprennent à s' offrir eux-mêmes ».
(lnstitutio generalis, 2007, § 79)

d'un repas de communauté fraternelle, et font de la communion accomplie en commun comme


le point culminant de toute la cérémonie. » (Pie XII, Mediator Dei)
Voir à ce sujet : Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd'hui, op. cit. , p 240, 249
et 250.
42 1 Le rôle de la maçonnerie sur ce point a été mis en évidence par Monseigneur Lefebvre
dans La messe de toujours, Étampes, Clovis, 2005 , p. 387 :
« [À] l' occasion de la permission qui était en train d' être accordée de donner la communion
dans la main (encore une chose horrible !), je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer
cela. Il fallait que j ' aille voir le cardinal Gut - un Suisse - qui était préfet de la Congrégation
du Culte. [ . . . ]
« Après, le cardinal Gut m'a dit : « Monseigneur, si on me demande mon avis (quand il disait
« "on", c ' était du pape qu'il s' agissait, puisque personne n' était au-dessus de lui que le pape),
« mais je ne suis pas sûr qu'on me le demande (lui, préfet de la Congrégation du Culte, chargé
« de tout ce qui touche au culte, à la liturgie !), je me mettrai à genoux, Monseigneur, devant le
« pape et je lui dirai : Très Saint-Père, ne faites pas cela, ne signez pas ce décret. Je me mettrai
« à genoux, Monseigneur. Mais je ne sais pas si on m'interrogera, car ce n'est pas moi qui
« commande ici. » Cela, je l'ai entendu de mes oreilles. Il faisait allusion à Bugnini [franc­
maçon notoire], qui était le troisième dans la Congrégation du Culte. Il y avait le cardinal Gut,
l' archevêque Antonelli et le père Bugnini, président de la Commission de la liturgie. Il faut
avoir entendu cela ! »
Sur le père Bugnini, voir Les millénaires, Le Vatican mis à nu, Paris, Robert Lafont, 2000, p.
240.
Le saint sacrifice de la messe 223

Toute l' assemblée des fidèles s' associe donc au prêtre pour célébrer
l'eucharistie. Ce renversement est particulièrement sensible lors de
l' agenouillement du prêtre, qui a lieu immédiatement après la consécration
dans l' ancien rite tandis qu' il est maintenant repoussé après l' élévation,
après que les fidèles, réunis au nom du Seigneur, l' ont rendu présent (là où
deux ou trois . . . ). De la même manière, le Pater est maintenant récité par
tous, prêtre et fidèles.

Le « mystère pascal »

Le problème de la réforme liturgique fait remonter l' origine de la nou­


velle messe à la doctrine du « mystère pascal »422 . Cette doctrine se caracté­
rise par 1' abandon de la satisfaction et plus particulièrement de la satisfac­
tion vicaire, par l' affirmation de l' amour infini de Dieu que le péché
n' offense en aucune manière42 3 et par la négation de la justice divine et de
toute dimension vindicative424 • La Rédemption « n' est plus satisfaction de la
justice divine opérée par le Christ, mais révélation ultime de l'Alliance éter­
nelle que Dieu a faite avec l' humanité, Alliance qui n'a jamais été rompue
par le péché »425 et qui entraîne donc le salut universel. La célébration litur­
gique ne peut plus être qu' une action de grâce et d'impétration.
Derrière le « mystère pascal », Le problème de la réforme liturgique met
en évidence une « doctrine des mystères » qui en fait, selon Joseph Ratzin­
ger, « l' idée théologique peut-être la plus féconde de notre siècle »426 • Le
mystère, ou sacrement, ne produit plus la grâce sanctifiante mais rend réel­
lement présente la réalité sanctifiante. Ainsi, le Christ est le « sacrement
primordial » qui « rend présent et révèle plus pleinement le Père »427 •
L' Église est le sacrement du Christ puisque par elle « l'homme peut ren­
contrer le Christ et Dieu dans le Christ »428 • La liturgie est également sacre­
ment du Christ, puisque l'on y fait l' expérience de sa présence. Le peuple

422 Louis Bouyer, Le mystère pascal, Paris, Les éditions du cerf, 1 957. p. 44, 96, 132, 133,
135, 1 42, 143, 1 86, 190, 1 97 , 222, 3 1 5 , 327, 366, 377.
423 Le problème de la réforme liturgique (p. 55) rappelle la doctrine traditionnelle : « S ' il est
évident que le péché n' enlève rien à la nature de Dieu, il lèse cependant son droit à être adoré
et obéi. » La négation de ce droit révèle une démarche typiquement idéaliste et gnostique.
424 Les confessionnaux sont donc désertés.
425 Le problème de la réforme liturgique, op. cit. , p. 5 8 .
426 Le problème de la réforme liturgique, op. cit. , p. 66.
427 Jean Paul II, Dives in misericordia, no 3 .
42 8 Jean-Hervé Nicolas, Synthèse dogmatique. De la Trinité à la Trinité, Éditions universitai­
res, Fribourg, 1 985, p. 635.
224 Le crucifiement de saint Pierre

rassemblé est sacrement de l' Église, qu' il manifeste et rend présent429 • Dieu
se révèle ainsi directement dans la conscience, par 1' expérience et non par la
prédication. Le sacrement est « révélation » de la présence vivante de Dieu.
Il permet de faire une « certaine expérience des vérités de foi ».

« Ainsi que nous l' avons dit, l'une des principales clés de la théo­
logie du mystère pascal est le sens qu' elle accorde au mot
« sacrement ». Parce qu' elle le considère comme une réalité qui rend
présent le divin (le « mystère » proprement dit), elle fait du sacrement
le lieu permettant l'expérience de la rencontre avec Dieu. « Signe et
moyen de l' union intime avec Dieu » (Lumen gentium 1 ), le sacrement
nouvellement conçu, centré qu' il est sur le symbole et sur le divin ren­
du accessible à l' expérience humaine, reçoit un champ d' application
d' une amplitude jusque-là inconnue. »430

« [En résumé] Parce que la théologie du mystère pascal estime que


le péché n' entraîne aucune dette de justice à l'égard de l'honneur bafoué
de Dieu, et par voie de conséquence ne considère plus la satisfaction vi­
caire du Christ comme l'un des éléments essentiels de l' acte rédempteur,
la réforme liturgique a écarté du rite de la messe tout ce qui pouvait avoir
trait à la peine due au péché, ainsi que la finalité propitiatoire de la messe.
Parce que la théologie du mystère pascal ne considère la Rédemption
que comme la manifestation ultime de l'amour éternel du Père à l'égard
de l'homme, auquel répond l' accueil de ce même amour par le Christ
qui s' est fait en son Incarnation solidaire de tout homme, la réforme li­
turgique a fait du sacrement une révélation de ce même amour divin,
auquel l'homme est invité à répondre par un accueil de foi pour entrer
en contact avec le Christ glorieux rendu présent sous les voiles du mystère.
Parce que la théologie du mystère pascal considère le rite mémorial
comme seul apte à rendre présent, par-delà le temps de l' homme, les
mystères de la mort et de la Résurrection du Christ, la réforme liturgi­
que a modifié profondément la structure rituelle de la messe au point
d'évacuer sa dimension proprement sacrificielle. »43 1

429 On arrive ainsi à affirmer que le Peuple de Dieu est le corps physique et non mystique du
Christ, opinion condamnée par Pie XII dans Mystici Corporis : « tandis qu' ils accordent aux
hommes des attributs divins, ils soumettent le Christ Notre-Seigneur aux erreurs et à l' incli­
nation au mal de l'humaine nature.» Voir à ce sujet : Cornelia R. Ferreira et John Vennari,
World Youth Day, From Catholicism to Counterchurch, Toronto, Canisius Books, 2005 , p. 54.
43 0 Le problème de la réforme liturgique, op. cit., p. 1 09 .
43 1 Le problème de la réforme liturgique, op. cit., p. 1 1 4.
Le saint sacrifice de la messe 225

Le problème de la réforme liturgique mentionne enfin plusieurs autres


thèmes gnostiques. Il relève que la notion de mystère « cherche à exprimer
le caractère de révélation directe par Dieu à ses serviteurs qui est lié à la
Révélation, par opposition à un mode de connaissance philosophique »43 2 ,
note la mise « en doute de la valeur objective de la connaissance spécula­
tive », le refus des dogmes, la volonté de faire l' expérience de la présence
de Dieu433 et cite enfin ce passage a priori étonnant d' Odon Casel, l'un des
« pères » de la « théologie des mystères » (la première partie de cette cita­
tion est constituée de la postcommunion du jour octave de l' Épiphanie) :

« Entoure-nous toujours et partout Seigneur, de la lumière céleste,


« afin que ce mystère auquel tu as daigné nous faire participer, nous
« puissions le contempler d'un regard pur et le recevoir d'un cœur
« digne ». En quoi consiste la participation ? Tout d 'abord dans la
contemplation. Nous contemplons le mystère dans la gnose de la foi.
Mais ce n' est pas une contemplation inactive et inefficace. Nous
sommes transformés par cette contemplation. »434

Il nous est maintenant possible d' achever d' établir que les critiques for­
mulées contre Vatican II et plus particulièrement par Le problème de la ré­
forme liturgique montrent toutes que l'on se trouve en présence d'une ré­
forme d' inspiration maçonnique et gnostique. La doctrine de Vatican II est
rigoureusement équivalente au panthéisme ou à l' affirmation que notre na­
ture est gracieuse. Si notre nature est gracieuse d'une grâce inamissible43 5 , il
nous faut alors nier la nécessité des sacrements43 6 puisque la grâce, qui nous
serait naturelle, ne pourrait être perdue. Le sacrifice propitiatoire de la
messe, son application à nos âmes et la satisfaction vicaire sont inutiles et le
péché ne nous fait plus perdre l' amitié divine. En sens inverse, si le péché
ne nous fait plus perdre l' amitié divine, notre nature est gracieuse d'une
grâce inamissible. Il en va de même si l'on nie la nécessité de l' application
des mérites de la Passion à nos âmes par le saint sacrifice de la messe ou si
l'on nie la satisfaction vicaire : c'est affirmer que toutes les âmes sont tou­
jours en état de grâce, que le péché n' offense plus Dieu, n' entraîne plus de
dette de justice - que notre nature possède une grâce inamissible.
Il en résulte une liturgie de sauvés, une simple action de grâce, un repas
mémorial. Le sacrifice étant gommé, le rôle du prêtre est minoré, simple
président. Toute l' assemblée de sauvés doit participer : « La Cène domini-

432 Odon Casel, Le mystère du culte, Paris, Cerf, collection Lex orandi, 1 964, p. 300.
433 Le problème de la réforme liturgique, op. cit., p. 7 1 sq.
434 Odon Casel, Le mystère du culte, op. cit., 1 964, p. 3 1 9 .
435 S T, 1-11, q. 85, a . 1 .
43 6 ST, III, q . 62.
226 Le crucifiement de saint Pierre

cale est la synaxe [assemblée] sacrée ou le rassemblement du peuple de


Dieu », alors qu' en réalité les messes sans assistance sont valides. Notre
nature étant gracieuse, nous n' avons plus à participer à la victime et la Croix
est supplantée par la Résurrection. La présence réelle s'efface derrière la
présence spirituelle43 7 en chacun d'entre nous que la Rédemption a charge
de révéler (de nous faire réaliser).
La théorie des mystères d' Odon Casel et la théorie du « mystère pascal »
peuvent alors être replacées dans le cadre des mystères initiatiques.

« [Tite-Live] nous décrit d' une manière bien impressionnante le


serment des jeunes recrues de la légion des Samnites43 8 • Le lieu où el­
les étaient appelées à prononcer leur serment était entouré d'une toile.
Comme le raconte Tite-Live, cette légion se servait d'un ancien rite de
consécration (ritu sacramenti) pour adopter (initiare) ses nouveaux
membres. Tout un appareil cultuel était déployé : on offrait des sacri­
fices, on prononçait des serments sacrés et terribles, et toute cette mise
en scène avait bien plus l' air d' une initiation mystérique que d'un
serment militaire. Tous ces gestes rappelaient d' autant plus la consé­
cration des Mystères (occultum sacrum) , qu' ils étaient eux aussi pré­
cédés d'un serment du secret. Il est évident que le mot sacramentum
tend déjà ici à prendre le sens de consécration, de mysterium. Lors­
qu' en 186 avant Jésus-Christ, l' État romain poursuivait l'interdiction
des mystères de Bacchus, le consul s' élevait contre les mystères en les
rapprochant de la prestation du serment militaire, et, dans ce but, il
appuyait sur une expression commune aux deux, celle de sacramen­
tum. « Croyez-vous, citoyens, s' écriait-il, que ces jeunes gens qui ont
« reçu l' initiation des mystères (hoc sacramento initiatos) puissent
« encore devenir des soldats ? Celui qui a été introduit dans la
« sainteté des mystères, qui a été sanctifié par cette consécration à la
« divinité, comment pourrait-il se vouer encore à la République par le
« serment (sacramentum) du soldat ? »43 9 De son côté, Apulée440 com­
pare le serment militaire à l' initiation mystérique, au « serment » (sa­
cramentum) que le myste44 1 doit prêter en qualité de soldat de son
dieu.

437 Ce glissement du réel vers le spirituel est caractéristique de la gnose. Il explique égale­
ment pourquoi on veut affirmer que l' Église du Christ (spirituelle) subsiste dans l ' Église catho­
lique (objective).
43 8 Livius, X, 38 ss.
439 Livius, XXXIX, 1 5 , 1 3 . Voir aussi Reitzenstein, Die hellenistischen Mysterienreligionen,
III, p. 1 92.
440 Métamorphoses, XI, 1 5 .
44 1 Initié aux petits mystères.
Le saint sacrifice de la messe 227

« On n'a aucune peine à voir par quelle voie le mot sacramentum a


pénétré dans la terminologie des mystères. C' est une voie qui devait
devenir de la plus haute importance pour la théologie chrétienne. Déjà,
dans la première version latine de l' Écriture sainte, les chrétiens, là où
ils n' ont pas maintenu le mot grec, ont rendu le terme de mysterium
(J.LU<rtfJptov) par celui de sacramentum. De cette manière, toute la si­
gnification de l' expression grecque J.LUcr'tijptov a passé dans le mot sa­
cramentun. La terminologie antique passait entièrement au christia­
nisme442 . » (Odon Casel) 443

Il ne fait donc guère de doute que pour Odon Casel, le père de la


« doctrine des mystères « l' idée théologique peut-être la plus féconde de
»,

notre siècle selon Joseph Ratzinger, la notion de mystère vient des initia­
»

tions mystériques - dont la maçonnerie revendique l' héritage panthéiste :

« L' Être de Dieu dans sa majesté est donc infiniment au-dessus du


monde, mais il habite, miséricordieusement, dans sa créature, dans
l'humanité. Par sa nature, il dépasse infiniment toute créature ; par son
ubiquité et son omnipuissance, il pénètre toutes choses.
« Déjà le monde antique avait un pressentiment obscur de ce Mys­
tère. Il pressentait que tout le terrestre n'était que l' image et l' œuvre
de quelque puissance et de quelque beauté supraterrestres. C' est le
sentiment de ce mystère qui est à 1' origine des temples sumériens et
babyloniens [ ! ] , des pyramides et des sphinx égyptiens. En Grèce, la
sagesse platonicienne parle de ce mystère divin, et les cultes à mystè­
res de la période hellénistique sont encore orientés vers lui. Partout on
trouve le désir ardent de faire descendre le ciel sur terre, de rapprocher
l'humanité et le divin pour les unir.
« Dieu lui-même approuvait cette profonde nostalgie en se révélant
au peuple juif. La Loi, certes, traçait avec sévérité la ligne de démarca­
tion entre Dieu et l' homme, elle formait comme une enceinte autour
de la montagne sainte sur laquelle Dieu avait établi son trône. Mais les
Prophètes ne trouvaient-ils pas des images toujours nouvelles pour an­
noncer le royaume où le Seigneur aurait sa tente au milieu de son peu­
ple, où son Esprit remplirait toute chair ? (Odon Casel)444
»

Mais le mystère de la divinité du monde doit être révélé à l' initié :

442 En italiques dans le texte.


443 Odon Case!, Le mystère du culte dans le christianisme, op. cit. , 1 946, p. 1 1 4 et 1 1 5 .
444 Odon Case!, Le mystère du culte dans l e christianisme, op. cit. , 1 946, p. 1 5 e t 1 6. Voir

également p. 1 08 et 1 23 ainsi que Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 83, où sont
mis en évidence les liens unissant le mystère pascal et le salut universel.
228 Le crucifiement de saint Pierre

« En traduisant superficiellement mysterium par « mystère », nous


risquons de nous égarer, même quand ce dernier mot exprime le carac­
tère caché de la vérité divine ; mais c' est vrai surtout quand il désigne
clairement l 'action de Dieu ou l 'action cultuelle. En effet, le myste­
rium n'est plus un mystère (c' est-à-dire un secret) pour le myste. À lui
le mysterium a été manifesté, mais il demeure bien un mystère, un se­
cret inaccessible pour l' infidèle. La révélation est vraiment un élément
essentiel du mysterium, et, pour qu' il y ait mysterium, il faut qu'il y ait
une revelatio, il faut que le voile [d' Isis] soit ôté ». (Odon Casel) 445

« Dans la langue paulinienne « mysterium » signifie d' abord une


action divine, l' accomplissement d'un dessein éternel de Dieu par une
action qui procède de l'éternité de Dieu, qui se réalise dans le temps et
dans le monde et qui a son achèvement final, sa fin, dans l'Eternel lui­
même.
« Ce mysterium peut être énoncé dans le seul mot de « Christus »,
désignant à la fois la personne du Sauveur et son Corps mystique qui
est l' Église. Par « Christus » nous entendons tout d' abord
l' Incarnation de Dieu » [donc dans la personne du Sauveur et de son
Corps mystique] . (Odon Casel) 446

L' initié doit alors réaliser sa divinité, ne plus se contenter de savoir qu'il
est Dieu mais le vivre et l'être véritablement :

« C' est par sa Passion que le Seigneur est devenu447 [ ! ] Esprit,


Pneuma. C' est pourquoi nous devons avec lui vivre mystiquement sa
Passion. De même que le Christ est devenu Pneuma par sa passion
physique, ainsi nous devons traverser mystiquement sa Passion par le
baptême, entrer en partage de l'Esprit divin, pour devenir des hommes
« spirituels », des pneumatikoi. » (Odon Casel) 44 8

« Nous contemplons le mystère dans la gnose de la foi. Mais ce


n' est pas une contemplation inactive et inefficace. Nous sommes
transformés par cette contemplation. » (Odon Casel)449

Il convient de remarquer que cette réalisation s' effectue par la seule effi­
cacité des rites initiatiques45 0 , grâce au sacrement qui rend réellement pré-

445 Odon Casel, Le mystère du culte dans le christianisme, op. cit. , 1 946, p. 25.
446 Odon Casel, Le mystère du culte dans le christianisme, op. cit. , 1 946, p . 21 et 22.
447 Tout l'historicisme est aussi contenu dans ce mot.
448 Odon Casel, Le mystère du culte, op. cit. , 1 946, p. 34.
449 Odon Case1, Le mystère du culte, op. cit. , 1 964, p. 3 1 9.
Le saint sacrifice de la messe 229

sente la réalité sanctifiante : le mysterium a été manifesté au myste par


1 ' action cultuelle, le voile a été ôté, sans aucun effort de sanctification, sans
purification, sans que la justice divine ait été satisfaite. Dieu est réellement
rendu présent par son sacrement, le Christ ; le Christ par les siens : l' Église,
la liturgie et sa Parole ; et l' Église par le peuple de Dieu assemblé. Ce dé­
voilement des mystères, d'une réalité préexistante mais voilée à
« l' infidèle » par l' ignorance, ce secret enfin connu non par la grâce et la
sanctification mais par la seule efficacité des rites, cette connaissance n'est
rien d' autre que la gnose. On comprend alors que la Rédemption ne soit
« plus satisfaction de la justice divine opérée par le Christ, mais révélation
[et donc connaissance] ultime de l'Alliance éternelle que Dieu a faite avec
l'humanité, Alliance qui n ' a jamais été rompue par le péché »45 1 •

« L' organe des mystères, c' est l' action liturgique ; elle est une
coopération à des actes divins. Leur aboutissement, c' est l' union avec
la divinité, la participation à la vie divine. [ . . . ]
« On peut donc définir ainsi le mystère : une action sacrée et
cultuelle, dans laquelle une œuvre rédemptrice du passé est rendue
présente sous un rite déterminé ; la communauté cultuelle, en accom­
plissant ce rite sacré, entre en participation du fait rédempteur évo­
qué, et acquiert ainsi son propre salut. » (Odon Casel) 45 2

C' est ainsi que l'on retrouve partout sous la plume de Casel les grands
thèmes gnostiques : haine des dogmes, de la connaissance rationnelle et de
la philosophie ; gnose (de la foi) ; expérience directe de divin (illumination).
Il nous faut alors affirmer fortement que la théologie des mystères sur
« »,

laquelle s 'appuie la réforme liturgique, est une doctrine panthéiste, initiati­


que et maçonnique, en opposition frontale avec la vérité révélée.

La satisfaction vicaire selon le cardinal Ratzinger453 454

« Quelle place occupe exactement la croix dans la foi en Jésus re­


connu comme Christ ? Tel est le problème auquel nous confronte en-

45 0 En accord avec la doctrine guénonienne.


45 1 Le problème de la réforme liturgique, op. cit. , p. 5 8 .
452 Odon Casel, Le mystère du culte, op. cit. , 1 946, p. 1 09 et 1 1 O. E n italiques dans l e texte. Il
aurait fallu citer intégralement les pages 1 07 à 1 1 1 pour mettre en évidence l' imprégnation de
Casel par les mystères et les initiations antiques, précurseurs de la maçonnerie.
453 Pour une étude détaillée de cette opinion du cardinal, voir : Monseigneur Bernard Tissier
de Mallerais, Le mystère de la rédemption selon Benoît XVI, Le sel de la terre, Avrillé, Hiver
2008-2009, n° 67, p. 22-54.
454 La satisfaction vicaire désigne la satisfaction que le Sauveur a offerte à la justice divine en
notre lieu et place pour la rémission de nos péchés.
230 Le crucifiement de saint Pierre

core une fois cet article du Credo. Les réflexions précédentes nous ont
pratiquement fourni tous les éléments pour une réponse ; il nous faut
maintenant essayer de les synthétiser. La conscience chrétienne a été
sur ce point très largement marquée, comme nous 1' avons déjà consta­
té, par une présentation extrêmement rudimentaire de la théologie de
la satisfaction d' Anselme de Cantorbéry, dont nous avons exposé les
grandes lignes dans un autre contexte. Pour un très grand nombre de
chrétiens, et surtout pour ceux qui ne connaissent la foi que d' assez
loin, la croix se situerait à l'intérieur d'un mécanisme de droit lésé et
rétabli. Ce serait la manière dont la justice de Dieu infiniment offensée
aurait été à nouveau réconciliée par une satisfaction infinie. Aussi la
croix paraît-elle exprimer une attitude de Dieu exigeant une équiva­
lence rigoureuse entre le « Doit » et 1' « A voir » ; et en même temps on
garde le sentiment que cette équivalence et cette compensation repo­
sent malgré tout sur une fiction. On donne d' abord en secret de la
main gauche ce que 1' on reprend solennellement de la main droite. La
« satisfaction infinie » que Dieu semble exiger prend ainsi un aspect
doublement inquiétant. Certains textes de dévotion semblent suggérer
que la foi chrétienne en la croix se représente un Dieu dont la justice
inexorable a réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre
Fils. Et l'on se détourne avec horreur d'une justice dont la sombre co­
lère enlève toute crédibilité au message de 1' amour.
« Autant cette image est répandue, autant elle est fausse. La Bible
ne présente pas la Croix comme partie d'un mécanisme de droit lésé ;
la croix y apparaît tout au contraire comme l' expression d'un amour
radical qui se donne entièrement ; c' est un événement dans lequel
quelqu'un est ce qu' il fait, et fait ce qu' il est ; c' est l' expression d' une
vie tout entière pour les autres. [ . . . ]
« [Dans le Nouveau Testament] Ce n' est pas l' homme qui
s' approche de Dieu pour lui apporter une offrande compensatrice,
c' est Dieu qui vient à l' homme pour lui donner. Par l' initiative de la
puissance de son amour, Dieu rétablit le droit lésé, en justifiant
l' homme injuste par sa miséricorde créatrice, en revivifiant celui qui
était mort. Sa justice est grâce ; elle est justice active, qui « réajuste »
l' homme courbé, qui le redresse, le rend droit. Telle est la révolution
que le christianisme a apportée dans l'histoire des religions. Le Nou­
veau Testament ne dit pas que les hommes se réconcilient Dieu,
comme nous devrions en fait nous y attendre, puisque ce sont eux qui
ont commis la faute et non pas Dieu. Le Nouveau Testament affirme
au contraire que c' est « Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le
monde » (2 Co 5, 1 9). C' est là quelque chose de vraiment inouï et
nouveau, le point de départ de l' existence chrétienne et le centre de la
Le saint sacrifice de la messe 23 1

théologie néotestamentaire de la croix : Dieu n' attend pas que les cou­
pables viennent d'eux-mêmes pour se réconcilier avec Lui, il va au­
devant d'eux et les réconcilie. En cela se manifeste la vraie direction
du mouvement de l' incarnation, de la croix.
« Ainsi, dans le Nouveau Testament, la croix apparaît avant tout
comme un mouvement de haut en bas. Elle n' est pas l' œuvre de ré­
conciliation que l'humanité offre au Dieu courroucé, mais l'expression
de l' amour insensé de Dieu qui se livre, qui s' abaisse pour sauver
l'homme ; elle est sa venue auprès de nous, et non l' inverse. À partir
de cette révolution dans l' idée d' expiation, et donc dans l' axe même
de la réalité religieuse, le culte chrétien et toute 1 ' existence chrétienne
reçoivent eux aussi une nouvelle orientation. L' adoration dans le
christianisme consiste d 'abord dans l' accueil reconnaissant de l' action
salvifique de Dieu. C' est pourquoi l' expression essentielle du culte
chrétien s' appelle à bon droit Eucharistie, action de grâces. [ . . . ]
« Il est vrai que tout n' est pas encore dit par là. En lisant le Nou­
veau Testament du commencement à la fin, on est tout de même obli­
gé de se demander si malgré tout il ne décrit pas l' œuvre d' expiation
de Jésus comme un sacrifice offert au Père, si la croix n' est pas pré­
sentée comme le sacrifice offert par le Christ à son Père dans
1' obéissance. Dans toute une série de textes, la croix apparaît bien
comme le mouvement ascendant de l'humanité vers Dieu, de sorte que
nous voyons resurgir tout ce que nous venons d' écarter. En effet, avec
la seule ligne descendante, on ne saurait comprendre toutes les don­
nées du Nouveau Testament. Mais alors comment concevoir la rela­
tion entre les deux lignes ? Faudra-t-il en éliminer une en faveur de
l' autre ? Et si nous voulions le faire, quel critère aurions-nous pour
justifier notre choix ? Il est évident que nous ne saurions procéder ain­
si : ce serait prendre arbitrairement notre propre opinion comme cri­
tère de la foi. » (Cardinal Ratzinger) 455

Il n' est peut-être pas inutile de rappeler quelques uns des textes de cette
« série » que le cardinal mentionne sans en citer aucun45 6 :

« C'est lui que Dieu a donné comme victime propitiatoire par son
sang moyennant la foi, afin de manifester sa justice, ayant, au temps
de sa patience, laissé impunis les péchés précédents » (Rom 3 , 25)

455 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 97 sq.
45 6 Voir également : 1 Pi 1 , 1 8- 1 9 ; 2, 24 ; Eph 2, 1 4- 1 8 ; 5, 25 ; Mat 20, 28 ; Mc 1 0, 45 ; Jn
1 1 , 50 ; Col l , 1 4-22 ; He 2, 1 7- 1 8 ; 7, 24-27 ; 9, 1 5 ; 9, 24-28 ; 1 0, 9- 1 4 ; Isaïe 53 ; 1 Cor 5, 7 ;
6, 20 ; 7, 23 ; 1 5 , 3 ; Rom 4, 25 ; 5 , 6- 1 0 ; Gal 2, 20 ; Tit 2, 14.
232 Le crucifiement de saint Pierre

« Et cet amour consiste en ce que ce n'est pas nous qui avons aimé
Dieu, mais lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils comme vic­
time de propitiation pour nos péchés. » (1 Jn 4, 1 0)

« Il est lui-même une victime de propitiation pour nos péchés, non


seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier. » (1 Jn 2,
2)

« C' est en lui que nous avons la rédemption acquise par son sang,
la rémission des péchés, selon la richesse de sa grâce » (Eph 1 , 7)

« Soyez donc des imitateurs de Dieu, comme des enfants bien­


aimés ; et marchez dans la charité, à l' exemple du Christ, qui nous a
aimés et s' est livré lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et
un sacrifice d' agréable odeur. » (Eph 5 , 1 -2)

« Car y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les


hommes, le Christ Jésus fait homme, qui s'est donné lui-même en ran­
çon pour tous ». (1 Tim 2, 5-6)

« Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré à la
mort pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera-t-il pas toutes
choses ? » (Rom 8, 32)

« Et ils chantaient un cantique nouveau, en disant : « Vous êtes


« digne de recevoir le livre et d'en ouvrir les sceaux ; car vous avez
« été immolé et vous avez racheté pour Dieu, par votre sang, des
« hommes de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute
« nation ; » (Ap 5 , 9)

Comment le cardinal réconcilie-t-il sa conception de la Croix, expurgée


de toute dimension vindicative, avec toute « cette série de textes » ?
La satisfaction vicaire éliminée, le cardinal peut alors réinterpréter la
Passion pour la réduire à « l' absolu de l' amour ».

« Ce ne sont pas les taureaux et des boucs qui intéressent Dieu,


mais l'homme ; la seule adoration véritable, ce ne peut être que le
« oui » inconditionnel de l'homme. Tout appartient à Dieu, mais il a
concédé à l'homme la liberté de dire « oui » ou « non », d' aimer ou de
refuser ; l' adhésion libre de l' amour, telle est la seule chose que Dieu
doive attendre ; voilà l' adoration et le « sacrifice » qui seuls peuvent
Le saint sacrifice de la messe 233

avoir un sens. Or, ce « oui » donné à Dieu et par lequel l'homme se


restitue lui-même à Dieu, ne peut être remplacé par le sang des boucs
et des taureaux. L' Évangile ne dit-il pas : « Et que peut donner
l' homme en échange de sa propre vie ? » (Mc 8, 37). Il n'y a qu' une
réponse : rien ne saurait être donné en compensation de l'homme lui­
même. [ . . . ]
« [Le Christ] a enlevé aux hommes leurs offrandes pour y substi­
tuer sa propre personne offerte en sacrifice, son propre Moi. Si le texte
affirme malgré tout que Jésus a accompli la réconciliation par son
sang (9, 1 2) , celui-ci n' est pas à comprendre comme un don matériel,
comme un moyen d' expiation mesuré quantitativement ; il n'est que
l' expression concrète d' un amour dont il est dit qu' il va jusqu ' au bout
(Jn 13, 1 ), l'expression de la radicalité de sa donation et de son ser­
vice ; il traduit le fait que le Christ n'a apporté ni plus ni moins que
lui-même. Le geste d'un amour qui donne tout, voilà ce qui seul cons­
titue, d' après la lettre aux Hébreux, la véritable réconciliation du
monde. C'est pourquoi l ' « heure » de la croix est le jour de la ré­
conciliation cosmique, la vraie et définitive réconciliation. Il n'y a
plus d' autre culte, il n'y a plus d' autre prêtre que celui qui offre ce
culte : Jésus-Christ.
« L 'essence du culte chrétien
« L'essence du culte chrétien ne consiste donc pas dans l'offrande
de choses, ni dans une destruction quelconque, comme il est répété
sans cesse dans les théories du sacrifice de la messe, depuis le XVIe
siècle [depuis le concile de Trente ?t5 7 • D' après ces théories, la des­
truction serait la vraie façon de reconnaître la souveraineté de Dieu sur
toutes choses. Toutes ces spéculations sont tout simplement dépassées
par l'événement du Christ et par l'interprétation qu' en donne la Bible.
Le culte chrétien consiste dans l' absolu de l' amour, tel que seul pou­
vait l' offrir celui en qui l' amour même de Dieu était devenu amour
humain ; il consiste dans la forme nouvelle de représentation, incluse
dans cet amour : à savoir que le Christ a aimé pour nous, et que nous
nous laissons saisir par lui. [ . . . ]
« Une question toujours à nouveau soulevée, en particulier par les
dévotions traditionnelles à la croix, est celle du rapport qui existe en
fait entre le sacrifice (donc l' adoration) et la souffrance. D' après les
réflexions qui viennent d' être faites, le sacrifice chrétien n'est pas au­
tre chose que l' exode du « pour », consistant à sortir de soi, accompli
fondamentalement dans l'homme qui est tout entier exode, dépasse­
ment de soi dans l' amour. Le principe constitutif du culte chrétien est

457 On notera en effet la parenté entre les thèses du cardinal et celles des protestants.
234 Le crucifiement de saint Pierre

donc ce mouvement d'exode, avec son orientation, double et unique à


la fois, vers Dieu et vers le prochain. En introduisant 1' être de
l'homme auprès de Dieu, le Christ l'introduit à son salut. L' événement
de la croix est pain de vie « pour la multitude » (Le 22, 1 9), parce que
le Crucifié a remodelé le corps de l'humanité pour lui donner la forme
du « oui » de l' adoration. Il est pleinement « anthropocentrique »,
pleinement ordonné à l' homme, parce qu'il a été radicalement théo­
centrique, en livrant le Moi, et de ce fait l'être de l'homme, à Dieu.
Or, dans la mesure où cet exode de l' amour est l ' « ec-stase » de
l'homme hors de lui-même, une extase où il se trouve tendu en avant
infiniment au-delà de lui-même et comme écartelé, attiré bien au-delà
de ses apparentes possibilités de développement, dans cette mesure-là
1' adoration (le sacrifice) est en même temps croix, souffrance du dé­
chirement, mort du grain de blé, qui ne peut porter du fruit qu'en pas­
sant par la mort. Mais 1' on voit en même temps par là que cet élément
de la souffrance est secondaire, et découle d' une réalité première qui
seule lui donne un sens. Le principe constitutif du sacrifice n' est pas la
destruction, mais l' amour. C' est seulement dans la mesure où cet
amour brise, ouvre, crucifie, déchire, que la souffrance fait partie du
sacrifice : comme forme de l' amour dans un monde marqué par la
mort et 1' égoïsme.
« Il existe, à ce sujet, un texte important de Jean Daniélou, qui ré­
pond il est vrai à une autre problématique, mais qui devrait pouvoir
éclairer davantage l' idée que nous essayons de faire ressortir : « Entre
« le monde païen et la Trinité bienheureuse, il n'y a qu'un passage qui
« est la croix du Christ. Comment nous étonner alors, dès que nous
« voulons nous établir dans cet intervalle et tisser à nouveau entre le
« monde païen et la Trinité les fils mystérieux qui les rejoindront, de
« ne pouvoir le faire que par la croix. Il faut nous configurer à cette
« croix, la porter en nous et, comme le dit saint Paul du missionnaire,
« "porter toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus" (2Ca
« 4, 1 0). Cette division qui nous crucifie, cette incompatibilité dans
« notre cœur de porter à la fois 1' amour de la Trinité très sainte et
« l' amour d'un monde étranger à la Trinité très sainte, c' est la Passion
« même du Fils unique qu' il nous appelle à partager, Lui qui a voulu
« porter en Lui cette séparation, pour la détruire en Lui, mais qui ne
« l' a détruite que parce qu' il l'a d' abord portée : il va d' une extrémité
« à l' autre. Sans quitter le sein de la Trinité, il s' étend jusqu' aux
« extrêmes frontières de la misère humaine et il remplit tout
« l' intervalle. Cette extension du Christ, dont les quatre dimensions de
Le saint sacrifice de la messe 235

« la croix sont le signe45 8 , est l' expression mystérieuse de notre


« distension et nous configure à elle45 9 • » La souffrance est en fin de
compte le résultat et l' expression de cette extension de Jésus-Christ,
depuis 1' intimité de Dieu jusqu ' à 1' enfer du « Mon Dieu, pourquoi
m' as-tu abandonné ? ». Celui qui a distendu son existence au point
d' être à la fois plongé en Dieu et plongé dans l' abîme de la créature
abandonnée de Dieu, se trouve nécessairement écartelé, il est réelle­
ment « crucifié ». Mais cet écartèlement est identique à l' amour : il est
la réalisation « jusqu' au bout » (ln 13, 1 ), il est l' expression concrète
de l' ouverture immense créée par l' amour. On pourrait dégager à par­
tir de là le vrai fondement d'une dévotion authentique [ ! ] envers la
Passion ». (Cardinal Ratzinger)460

Résumons la thèse du cardinal Ratzinger. Dieu infiniment bon ne peut


avoir sacrifié son Fils unique pour la rémission de nos péchés. Si les Écritu­
res semblent affirmer le contraire, c' est qu' elles ont été mal interprétées,
qu' elles ont été l' objet de « spéculations [ . . . ] tout simplement dépassées ».
Elles signifient principalement que le Christ a aimé pour nous. S ' il a égale­
ment souffert pendant sa Passion, ce fut accidentellement, parce que
l' amour l'a fait sortir de lui-même, parce qu' il s' est dépassé dans l' amour. Il
a livré son Moi à Dieu et en cette « ec-stase » s' est trouvé écartelé. La Pas­
sion, c' est l' « incompatibilité dans notre cœur de porter à la fois l' amour de
la Trinité très sainte et l' amour d'un monde étranger à la Trinité très
sainte ». Le Christ a porté en lui cette division, cette séparation et l'a dé­
truite. Il va d' une extrémité à l' autre, sa réalisation s' étend de la Trinité aux
extrêmes frontières de la misère humaine. Il remplit tout l' intervalle et nous
appelle à partager cette Passion, à nous y conformer.
Après cet exposé de la thèse du cardinal Ratzinger, nous chercherons
d' abord à en faire une rapide critique selon la doctrine de l' Église, puis à
montrer que ces idées puisent dans les thèmes maçonniques.
Le cardinal admet lui-même que sa thèse est en contradiction avec « les
théories du sacrifice de la messe » en cours « depuis [ ! ] le XVIe siècle ». Ces
idées peuvent-elles s' accorder avec les quelques versets que nous avons
cités ? Ces textes rappellent clairement que Dieu lui-même a donné son Fils
comme victime propitiatoire pour nos péchés, qui ont été rachetés par son
sang46 1 ; que la rédemption462 a été acquise à grand prix. Rien de tout ceci ne
figure dans les développements du cardinal. Le péché est totalement ignoré ;

45 8 Voir R. Guénon, Le symbolisme de la Croix, op. cit.


459 J. Daniélou, Essai sur le Mystère de l 'Histoire, Éd. du Seuil, 1 953, p. 329.
46° Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 20 1 sq.
461 Concile de Trente, 5° session, ch. 3. DS 1 5 1 3 .
462 Voir DTC, article Rédemption.
236 Le crucifiement de saint Pierre

le sacrifice propitiatoire est donc inutile. La justice divine463 , la satisfaction


vicaire464 et les peines de l' enfer sont pratiquement niées. Enfin cette théorie
n' explique pas pourquoi le Christ a dû subir la mort la plus ignominieuse, la
mort sur la Croix465 •
Que reste-t-il, non plus du dogme, mais de la spiritualité chrétienne après
pareille « relecture » ? Que deviennent la spiritualité de la Croix, la mortifi­
cation et le renoncement, la participation au chemin de Croix, L 'imitation de
Notre-Seigneur Jésus- Chris ë66 ? Si le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus­
Christ est nié ou amoindri, comment pourrons-nous nous y associer ? Que
devient notre propre sacrifice ? « Si quelqu' un veut venir à ma suite, qu'il se
renonce lui-même, qu' il prenne sa croix et me suive. Car celui qui voudra
sauver sa vie, la perdra ; et celui qui perdra sa vie à cause de moi, la trouve­
ra. » (Mat 1 6, 24-25)
« Ô incompréhensible dilection de votre charité ! Pour racheter l' esclave,
vous avez livré votre Fils ! » (Exultet) L'interprétation du cardinal empêche
d' entrer dans le mystère de la charité de Dieu et de la Rédemption, et le ré­
trécit aux dimensions d'une philosophie maçonnique. Destruction de
l' action de grâce et de la conscience de notre misère, de l' humilité, racine de
toutes les vertus catholiques. Nous pourrions naturellement multiplier les
textes des plus grands spirituels sur le mystère du sacrifice de la Croix :

« L' apôtre nous enseigne que nous sommes ensevelis avec le


Christ par le baptême et que nous prenons part à sa mort. À présent
nous devons nous faire une nouvelle vie. Nous savons en effet, que le
vieil homme a été crucifié avec le Christ, afin que nous ne soyons plus
esclaves du péché, vivant avec Dieu, dans le Christ Jésus, notre Sei­
gneur. » (Veillée pascale, renouvellement des promesses du baptême)

« Savez-vous ce que c'est que la véritable vie spirituelle ? C'est se


faire esclave de Dieu, et porter la marque de cet esclavage, je veux
dire l' empreinte de la croix de Jésus-Christ ; c' est tellement appartenir
à ce Dieu crucifié, lui faire un tel don de sa propre liberté, qu' il puisse
à son gré nous vendre et nous sacrifier pour le salut du monde, comme
il a voulu être vendu et sacrifié lui-même ; c' est enfin, quand cet ado­
rable Sauveur donne part à sa croix, regarder cela non comme un tort

463 Concile de Trente, 1 4° session, ch. 8 et 9. Canon sur le très saint sacrement de pénitence
na 1 3 . DS 1 689 sq et 1 7 1 3 .
464 ST, III, q. 48, a. 2. DS 539.
465 Il conviendrait d' étudier les liens entre la pensée d' Abélard et celle du cardinal. Cf DS
722 sq.
466 P. Garrigou-Lagrange, L 'Amour de Dieu et la Croix de Jésus, op. cit. , p. 526 sq, pour plu­
sieurs textes des grands spirituels sur la Croix.
Le saint sacrifice de la messe 237

qu' il fait, mais comme une faveur signalée qu' il accorde. » (Sainte
Thérèse d'A vila)467

« Par les effets de ces grandes grâces, si vous y avez pris garde,
vous avez déjà sans doute entrevu la fin pour laquelle Notre Seigneur
les accorde à certaines âmes en ce monde ; je crois néanmoins utile
d'en parler ici. Il ne faut point s' imaginer que son dessein soit seule­
ment de leur donner des consolations et des délices ; ce serait une
grande erreur ; car la faveur la plus signalée que Dieu puisse nous
faire en ce monde, c' est de rendre notre vie semblable à celle que son
Fils a menée sur la terre. Ainsi, je tiens pour certain qu' en accordant
ces grâces, Notre Seigneur se propose, comme je l'ai quelquefois dit
dans ce traité, de fortifier notre faiblesse, afin de nous rendre capables
d' endurer à son exemple de grandes souffrances. » (Sainte Thérèse
d' Avila) 468

Conformément aux thèses panthéistes, le cardinal ignore totalement le


péché et ses suites. Le péché est une erreur, une absence de connaissance
(gnose), l' ignorance de l' unité divine, « cette division qui nous crucifie »469 ,
dont il faut nous libérer et que le Christ a dû « détruire en Lui ». Supprimant
le péché comme atteinte à l'honneur de Dieu et à son droit d' être obéi, on
supprime également les peines qui en découlent et l' enfer, et on en vient
pratiquement à nier la justice divine. Le péché tient essentiellement dans
l' illusion de la séparation, dans « cette incompatibilité dans notre cœur de
porter à la fois l' amour de la Trinité très sainte et l' amour d'un monde
étranger à la Trinité très sainte »470 , dans cette négation de l'unité divine qui
nous coupe de la très sainte Trinité. L'homme doit donc, comme le Christ,
dépasser cette erreur par l' amour, par « l' exode du "pour" », « le dépasse­
ment de soi dans l' amour », par « "l' ec-stase" hors de lui-même ».

467 Saine Thérèse d' Avila, L e château d e l 'âme, VII demeures, ch. 4. Traduction du Père
Marcel Bouix, s. j .
468 Saine Thérèse d' Avila, Le château de l 'âme, VII demeures, ch. 4. Traduction du Père
Marcel Bouix, s. j .
469 « [La communion] nous amène a u plus intime d u mystère chrétien, d u mystère pascal,
mystère d' unité. [ . . . ] Et qu'est-ce que l' humanité ? C ' est comme un fragment détaché de cette
pensée divine, amené par la création à l'existence distincte, fragment lui-même divisé en autant
de parcelles qu' il s ' y trouve de personnalités différentes, alors que dans le Verbe toutes les
idées divines, encore que distinctes, subsistaient dans une parfaite unité. En outre, par la chute,
ce fragment de la pensée de Dieu a été séparé de cette pensée vivante, laquelle voulait, en
l' unissant dans son exemplaire à l' infinie totalité, l 'unir en lui-même. » Louis Bouyer, Le mys­
tère pascal, op. cit. , p. 1 87 et 1 90 sq.
470 Alors que le Seigneur n ' a pas prié pour le monde.
238 Le crucifiement de saint Pierre

C' est la réalisation gnostique de l'Identité suprême, de notre divinité,


non par participation gracieuse à la nature divine, mais par prise de posses­
sion complète de la divinité de notre nature. Nous devons donc réaliser que
nous sommes Dieu et le monde, qu' en vérité cette distinction est illusoire,
qu' il nous faut, « livrant le Moi » au Soi divin, entrer dans la non-dualité.
Cette « Passion même du Fils unique qu 'il nous appelle à partager » détruit
« cette séparation » ; « il va d'une extrémité à l' autre. Sans quitter le sein de
la Trinité, il s'étend jusqu' aux extrêmes frontières de la misère humaine et il
remplit tout l' intervalle. Cette extension du Christ, dont les quatre dimen­
sions de la croix sont le signe, est l' expression mystérieuse de notre disten­
sion et nous configure à elle ». Il nous faut donc distendre notre « existence
au point d' être à la fois plongé en Dieu et plongé dans l' abîme de la créature
abandonnée de Dieu », et partager « cette extension de Jésus-Christ, depuis
l' intimité de Dieu jusqu 'à l 'enfer » puisque rien, pas même le mal, ne sau­
rait exister hors de Dieu. On parvient ainsi à « la réconciliation cosmique, la
vraie et définitive réconciliation », à la réintégration des êtres, à
l' apocatastase, à la restauration universelle de la Cabale, au salut universel.
« L' amour est [alors véritablement] l' "ec-stase" de l'homme hors de lui­
même, attiré bien au-delà de ses apparentes possibilités de développement
[réalisation] ». L'homme est alors « pleinement "anthropocentrique", plei­
nement ordonné à l' homme, parce qu' il a été radicalement théocentrique ».

« Mais alors - répétons-le - celui-là est le plus homme, l' homme


véritable, qui est le plus il-limité (ent-schriinkt) , qui non seulement en­
tre en contact avec l' infini - l'Infini - mais est un avec lui : Jésus­
Christ. En lui, le processus d' hominisation est arrivé véritablement à
son terme. » (Cardinal Ratzinger)47 1 472

« L' être de Jésus est pure actualité des relations « à partir-de » et


« pour ». Et par le fait même que cet être n'est plus séparable de son
actualité, il coïncide avec Dieu ; il devient en même temps l' homme
exemplaire, l' homme de l' avenir à travers lequel on peut percevoir
combien l' homme est encore l'être à venir, à réaliser, combien peu
l'homme a commencé d' être lui-même. » (Cardinal Ratzinger) 47 3

En vérité, et même s' ils n'en ont pas conscience, tous les hommes sont
déj à sauvés. La Croix subit une réinterprétation herméneutique. La Passion,
la croix qui nous crucifie, c' est « cette incompatibilité dans notre cœur de

47 1 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 59.
472 Cf Dz. 256 (concile d' Ephèse).
473 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 53 .
Le saint sacrifice de la messe 239

porter à la fois l' amour de la Trinité très sainte et l' amour d'un monde
étranger à la Trinité très sainte », c' est cette « division », cette erreur qui
nous voile l' unité divine. Pour réaliser Dieu et le monde, et avant de parve­
nir à la paix de la résurrection, l' homme doit passer par « l' exode du
"pour" » qui sera source de grandes croix et qui est également « le vrai fon­
dement d'une dévotion authentique envers la Passion ».

« La souffrance est en fin de compte le résultat et l' expression de


cette extension de Jésus-Christ, depuis l' intimité de Dieu jusqu'à
l' enfer du « Mon Dieu, pourquoi m' as-tu abandonné ? ». Celui qui a
distendu son existence au point d'être à la fois plongé en Dieu et plon­
gé dans l' abîme de la créature abandonnée de Dieu, se trouve néces­
sairement écartelé, il est réellement "crucifié" ». (Cf supra)

« Or, dans la mesure où cet exode de l' amour est l' « ec-stase » de
l' homme hors de lui-même, une extase où il se trouve tendu en avant
infiniment au-delà de lui-même et comme écartelé, attiré bien au-delà
de ses apparentes possibilités de développement, dans cette mesure-là
l' adoration (le sacrifice) est en même temps croix, souffrance du dé­
chirement, mort du grain de blé, qui ne peut porter du fruit qu' en pas­
sant par la mort. » (Cf supra)

On notera le parallélisme frappant entre ces textes du cardinal et les thè­


ses gnostiques et maçonniques exposées par Guénon :

« Si tapas prend souvent le sens d'effort pénible ou douloureux ,


ce n ' est p a s qu ' il s o i t attribué u n e valeur ou une importance spé­
ciale à la souffrance comme telle, ni que celle-ci soit regardée ici
comme quelque chose de plus qu ' un « accident » ; mais c' est que,
par la nature même des choses, le détachement des contingences est
forcément toujours pénible pour 1 ' individu , dont 1 ' exi stence
même appartient aussi à l ' ordre contingent. Il n'y a là rien qui
soit assimilable à une « expiation » ou à une « pénitence »,
idées qui j ouent au contraire un grand rôle dans l'ascétisme entendu
au sens vulgaire, et qui ont sans doute leur raison d'être dans un
certain aspect du point de vue religieux, mais qui ne sauraient ma­
nifestement trouver place dans le domaine initiatique, ni d' ailleurs
dans les traditions qui ne sont pas revêtues, d'une forme religieuse.
« Au fond, on pourrait dire que toute ascèse véritable est essentiel­
lement un « sacrifice », et nous avons eu l' occasion de voir ailleurs
que, dans toutes les traditions, le sacrifice, sous quelque forme qu'il
240 Le crucifiement de saint Pierre

se présente, constitue proprement l' acte rituel par excellence, celui


dans lequel se résument en quelque sorte tous les autres. Ce qui est
ainsi sacrifié graduellement dans l' ascèse, ce sont toutes les contin­
gences dont l ' être doit parvenir à se dégager comme d' autant de
liens ou d' obstacles qui 1' empêche de s' élever à un état supérieur ;
mais, s ' il peut et doit sacrifier ces contingences, c ' est en tant
qu' elles dépendent de lui et qu' elles font d' une certaine façon partie
de lui-même à un titre quelconque. Comme d' ailleurs
l ' individualité elle-même n'est aussi qu'une contingence, l' ascèse,
dans sa signification la plus complète et la plus profonde, n'est
en définitive pas autre chose que le sacrifice du « moi » accompli
pour réali ser l a conscience du "Soi" ». (René Guénont74

Le « rapport qui existe en fait entre le sacrifice (donc l' adoration) et la


souffrance » n' est donc pas celui que saint Jean de la Croix a cru trouver
dans les nuits purificatrices quand l' âme, enveloppée de ténèbres, participe à
l' agonie de Notre-Seigneur Jésus-Christ à Gethsémani, au pressoir d'huile.
Le « rapport qui existe en fait entre le sacrifice (donc l' adoration) et la souf­
france » provient de la réalisation de notre divinité qui nous fait abandonner
avec douleur notre moi pour réaliser Dieu. La croix n'est plus l' instrument
de notre salut que parce qu'elle manifeste « que le Christ a aimé pour
nous », que parce qu' elle manifeste cette « admirable alliance de Dieu avec
l'humanité ». Le saint sacrifice de la messe a subi une transmutation alchi­
mique opérée par l'herméneutique gnostique.

« La croix du Christ au Calvaire se dresse sur le chemin de


l' admirabile commercium, de cette admirable communication de Dieu
à l 'homme qui contient en même temps l 'appel qui lui est adressé à
participer� en s'offrant lui-même à Dieu et en offrant avec lui le
monde visible, à la vie divine ; à participer en tant que fils adoptif à la
vérité et à l' amour qui sont en Dieu et proviennent de Dieu. Sur le
chemin de l' élection éternelle de l' homme à la dignité de fils adoptif
de Dieu, surgit précisément dans l'histoire la croix du Christ, Fils uni­
que, qui, « lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu », est
venu donner l' ultime témoignage de l 'admirable alliance de Dieu
avec l 'humanité, de Dieu avec l 'homme avec chaque homme. »
-

(Jean Paul II, Dives in misericordia, 7)

474 René Guénon, Initiation et réalisation spirituelle, op. cit. , p . 1 60 sq.


Le saint sacrifice de la messe 24 1

Le sacerdoce commun des fidèles

On sait que le concile Vatican II a introduit une nouveauté dans


l' enseignement dispensé par Rome : le sacerdoce commun des fidèles47 5 •
Tout chrétien participerait réellement et non métaphoriquement au sacer­
doce du Christ. Cette affirmation, que l' Église a combattue476 , est une

475 Voir en particulier les très éclairantes études de Monsieur l ' abbé Jean-Michel Gleize, dans
La religion de Vatican Il, Études théologiques, Premier symposium de Paris, 4-5-6 octobre
2002, Éditions des Cercles de Tradition de Paris, 2003 , p. 206 sq et 2 1 8 sq.

476 « II. Participation des fidèles au sacrifice


-

« Participation, mais non pouvoirs sacerdotaux [ . . . ]


« Il y a en effet, Vénérables Frères, des gens qui, se rapprochant
d' erreurs jadis condamnées (cf. Conc. Trid., Sess. XXIII, cap. 4) , en­
seignent aujourd' hui que dans le Nouveau Testament, le mot
« sacerdoce » désigne uniquement les prérogatives de quiconque a été
purifié dans le bain sacré du baptême ; de même, disent-ils, le précepte
de faire ce qu' il avait fait, donné par Jésus-Christ à ses apôtres durant
la dernière Cène, vise directement toute l' É glise des chrétiens, et c' est
par conséquent plus tard seulement qu' on en est arrivé au sacerdoce
hiérarchique. C'est pourquoi, ils prétendent que le peuple jouit d'un
véritable pouvoir sacerdotal, et que le prêtre agit seulement comme un
fonctionnaire délégué par la communauté. À cause de cela, ils esti­
ment que le sacrifice eucharistique est au sens propre une
« concélébration », et que les prêtres devraient « concélébrer » avec le
peuple présent, plutôt que d'offrir le sacrifice en particulier en
1' absence du peuple.
« Combien des erreurs captieuses de ce genre contredisent aux vé­
rités que Nous avons affirmées plus haut, en traitant de la place que
tient le prêtre dans le Corps mystique du Christ, il est superflu de
l' expliquer. Nous estimons cependant devoir rappeler que le prêtre
remplace le peuple uniquement parce qu' il représente la personne de
Notre-Seigneur Jésus-Christ en tant que Chef de tous les membres
s'offrant lui-même pour eux ; quand il s' approche de l' autel, c' est
donc en tant que ministre du Christ, inférieur au Christ, mais supérieur
au peuple (cf. S . Robert Bellarmin, De Missa, II, cap. 4) . Le peuple, au
contraire, ne jouant nullement le rôle du divin Rédempteur, et n' étant
pas conciliateur entre lui-même et Dieu, ne peut en aucune manière
jouir du droit sacerdotal. » (Pie XII, Mediator Dei)
242 Le crucifiement de saint Pierre

conséquence naturelle de la vision holistique, panthéiste. Si tous les hom­


mes sont Dieu, si « par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque
sorte uni lui-même à tout homme » et que notre « nature a été élevée en
nous aussi à une dignité sans égale », alors chacun est son propre prêtre, son
prêtre intérieur, et peut trouver le Sauveur en lui-même. Chacun doit pren­
dre conscience de son caractère sacerdotal (le réaliser) et étant prêtre477 , doit
s' offrir en sacrifice spirituel à Dieu478 • Le sacerdoce ministériel doit être

« Si quelqu'un affirme que tous les chrétiens, sans distinction, sont


les prêtres du Nouveau Testament, ou que tous sont dotés d'un même
pouvoir spirituel entre eux, il semble ne rien faire d' autre que
d' effacer la hiérarchie ecclésiastique [Denz 1 776] , laquelle est comme
« une armée rangée en bataille » (Ct 6, 3 ; Ct 6, 9) ; comme si, à
l' encontre de l' enseignement de saint Paul ( l Co 1 2, 28-29 ; Ep 4, 1 1 )
tous étaient apôtres et tous prophètes, tous évangélistes, tous pasteurs,
tous docteurs. » (Conc. Trid. , Sess. XXIII, cap. 4)
477 « En effet, tout grand prêtre, pris d' entre les hommes, est établi
pour les hommes en ce qui regarde le culte de Dieu, afin d'offrir des
oblations et des sacrifices pour les péchés. » (He 5 , 1 ) . Voir également
DS 1764.
478 Il n' entre naturellement pas dans nos intentions de nier que les fidè­
les doivent s' offrir en victimes spirituelles à Dieu, doctrine rappelée naguère
par Pie XII :

« Pour que l' oblation, par laquelle dans ce sacrifice ils offrent au
Père céleste la divine victime, obtienne son plein effet, il faut encore
que les chrétiens ajoutent quelque chose : ils doivent s' immoler eux­
mêmes en victimes. Cette immolation ne se réduit pas seulement au
sacrifice liturgique. Parce que nous sommes édifiés sur le Christ
comme des pierres vivantes, le prince des apôtres veut, en effet, que
nous puissions, comme « sacerdoce saint, offrir des victimes spirituel­
les agréables à Dieu par Jésus-Christ » ( l P 2, 5) ; et l' apôtre Paul, par­
lant pour tous les temps, exhorte les fidèles en ces termes : « Je vous
« conjure donc, mes frères. . . d' offrir vos corps en hostie vivante,
« sainte, agréable à Dieu : c' est là le culte spirituel que vous lui
« devez » (Rm 1 2, 1 ) . Mais lorsque les fidèles participent à l' action li­
turgique avec tant de piété et d' attention qu' on peut dire d'eux :
« Dont la foi et la dévotion te sont connues » (Missale Rom., Canon
Missae ), alors il est impossible que leur foi à chacun n' agisse avec
plus d' ardeur par la charité, que leur piété ne se fortifie et ne
Le saint sacrifice de la messe 243

s' enflamme, qu' ils ne se consacrent, tous et chacun, à procurer la


gloire de Dieu et, dans leur ardent désir de se rendre étroitement sem­
blables à Jésus-Christ qui a souffert de très cruelles douleurs, il est
impossible qu' ils ne s' offrent avec et par le souverain Prêtre, comme
une hostie spirituelle. » (Pie XII, Mediator Dei)

Pourtant les affirmations de Vatican II doivent être replacées dans le ca­


dre général de la doctrine de ce concile qui comprend en particulier
l' affirmation de la rédemption universelle et omet le caractère propitiatoire
de la messe. Le texte de Pie XII que nous venons de citer montre que
l' offrande des fidèles est ordonnée au sacrifice de Notre-Seigneur Jésus­
Christ. Quand ce sacrifice est réduit à un simple sacrifice de louange et que
l'on omet son caractère de renouvellement du sacrifice de la Croix, le sacri­
fice spirituel des fidèles est nécessairement exalté.

« C'est pourquoi dans le sacrifice de la messe nous demandons au


Seigneur « qu' ayant agréé 1 ' oblation du sacrifice spirituel » il fasse
pour lui "de nous-mêmes une éternelle offrande" ». (Vatican II, Sac­
rosanctum concilium, 1 2)

« Dans la célébration de la messe, les fidèles constituent le peuple


saint, le peuple acquis par Dieu et le sacerdoce royal, pour rendre
grâce à Dieu et pour offrir la victime sans tache : 1 ' offrir non seule­
ment par les mains du prêtre, mais 1' offrir avec lui et apprendre à
s' offrir eux-mêmes. » (lnstitutio generalis, 2003 , 95)

« La participation au sacerdoce universel du Christ trouve son ex­


pression dans toute prière prononcée par le Peuple de Dieu. Toute
prière est, d'une certaine manière, une offrande de soi-même et du
monde au Père par le Christ. » (Karol Wojtyla, Sources of Renewal,
op. cit. , p. 242)

« Quand nous méditons sur ce texte [Lumen gentium 1 0, que nous


citerons prochainement] , sur la manière dont ce seul, cet unique sacer­
doce « de la nouvelle et éternelle Alliance » s'enracine dans les âmes
de tous les baptisés, et comment il constitue une réelle participation du
Peuple de Dieu, alors s' approfondit en nous la conscience de notre sa­
cerdoce hiérarchique. En effet, il est né et s' est développé à partir du
sacerdoce universel des fidèles. [ . . . ]
« L' enseignement du Concile semble effacer les frontières admises
jusqu' ici et corriger les clichés auxquels bon nombre de fidèles sont
244 Le crucifiement de saint Pierre

réinterprété ; son rôle n' est plus alors de représenter et de renouveler le sa­
crifice de la Croix mais d' aider tout un chacun à prendre conscience de son

habitués. Dans l' optique conciliaire, le sacerdoce représente pour ainsi


dire le profil, l' élément constitutif du laïcat dans l' Église. C'est sans
doute la vérité qui se dégage de l' enseignement du Concile, et qui a
trouvé de multiples applications dans divers documents, tels que le
quatrième chapitre de la Constitution Lumen gentium, le décret sur
l' apostolat des laïcs . . . Cependant, le Concile n' a pas débouché par là
même sur quelque sécularisation et laïcisation du clergé, des prêtres
ou des religieux. La doctrine sur le sacerdoce universel des fidèles,
tout en découvrant la richesse de la vocation des laïcs dans l' Église ne
mène pas pour autant à un nivellement égalitaire du laïcat et de la prê­
trise. Le sens de cette doctrine sur le sacerdoce universel est com­
bien plus profond et plus sublime. Pour le dégager, il faut de nou­
veau revenir au mystère de l' homme, tel qu' il est inscrit dans le mys­
tère du Verbe incarné (cf. Gaudium et spes, 22), c'est-à-dire dans le
mystère du Christ-Prêtre. Car le Christ apporte au monde la pléni­
tude essentielle du sacerdoce : « Tu n ' as voulu ni sacrifice ni
« oblation ; mais tu m'as façonné un corps . . . Voici, je viens, pour
« faire ta volonté, ô Dieu » (He 1 0, 5-7). C' est sur la base de cette plé­
nitude, à partir de cette plénitude même, qu' il offre un Sacrifice san­
glant et institue un Sacrifice non sanglant, l'Eucharistie, et qu' il fait de
son peuple « une Royauté de prêtres pour Dieu » (Ap. 1 , 6 ; cf. Ex 19,
6 ; 1 P 2, 9). » (Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p.
1 62, 1 63 )

L' accent mis sur les Écritures contribue également à amoindrir les diffé­
rences hiérarchiques, tout fidèle pouvant maintenant annoncer la Parole,
sacrement du Christ qu' elle rendrait réellement présent ; et à atténuer le ca­
ractère de représentation et de renouvellement du sacrifice de la Croix inhé­
rent à la messe. Voir à ce sujet :
Le problème de la réforme liturgique, op. cit. , p. 78.
Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 3 7 0 et 37 1 .
Vatican II, Lumen gentium 5 , 1 1 ; Sacrosanctum concilium 1 06, 1 09 ;
Presbyterorum ordinis 4, 1 8 ; Optatam tatius 4.
Que s' est-il passé depuis l' époque où l'on pouvait écrire comme d' une
évidence : « La Gnose, où le ministère prophétique du Christ constituait le
principal de son action salutaire, se disqualifiait assez par l' ensemble de sa
christologie pour ne pas apparaître comme un danger spécial en matière de
rédemption. » (DTC, art. Rédemption, col 1 9 1 6) ?
Le saint sacrifice de la messe 245

sacerdoce479 • Essentiellement, chaque homme est prêtre ; le rôle du sacer­


doce hiérarchique est purement didactique - accidentel. Le prêtre est rabais­
sé au rang de simple maître spirituel du fidèle. La messe doit être publique
pour que chacun soit enseigné, prenne conscience de son sacerdoce et de
son salut480•
479 « À la lumière de ces textes, nous pouvons voir clairement la
«subordination » réciproque entre le sacerdoce commun et le sacer­
doce hiérarchique dans l' Église. Le Christ a institué celui-là en tant
que fonction de celui-ci ; il n' est donc pas seulement hiérarchique
mais aussi « ministériel » : il doit servir (ministrare) pour que soit
maintenu et développé dans le Peuple de Dieu tout ce qui porte témoi­
gnage de sa participation au sacerdoce du Christ, en d' autres termes de
cette attitude qui dérive de cette participation. Cette attitude, par la­
quelle l'homme confie sa propre personne et le monde à Dieu, est
l'expression la plus simple et la plus profonde de la foi, le témoignage
intérieur offert au Dieu de la création, de la révélation et de la rédemp­
tion. Le ministère des évêques et des prêtres est orienté vers cette atti­
tude même. C' est ainsi que le ministère des prêtres et celui des
croyants sont intimement liés à l'Eucharistie, par laquelle le Christ in­
vite les hommes à offrir leurs propres vies, leurs travaux et toute la
«

création » avec lui (Presbyterorum ordinis, 5) et les invite à offrir des


« sacrifices spirituels » à Dieu. L' œuvre de notre salut est accomplie
dans le sacrifice divin de l'Eucharistie (Presbyterorum ordinis, 2) par
laquelle la hiérarchie remplit sa fonction principale. » (Karol Wojtyla,
Sources of Renewal, op. cit. , p. 227)

480 « Quand nous analysons « l' attitude liturgique » [active] qui fut
définie avec tant de soins lors du Concile, nous devons nous souvenir
que la base et la motivation de cette attitude spirituelle est la cons­
cience de la rédemption [universelle et de la rédemption du monde]
comme réalité continuellement présente dans le sacerdoce du Christ,
auquel tout le Peuple de Dieu a part grâce aux sacrements de l' Église :
« Le caractère sacré et organique de la communauté sacerdotale
« entre en action par les sacrements et les vertus. » (Lumen gentium,
1 1 ) » (Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 97)

« Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais des
célébrations de l' Église, qui est « le sacrement de l' unité », c' est-à­
dire le peuple saint réuni et organisé sous l' autorité des évêques. [ . . . ]
« Chaque fois que les rites, selon la nature propre de chacun, com­
portent une célébration commune avec fréquentation et participation
246 Le crucifiement de saint Pierre

La structure hiérarchique et visible de l' Église est immédiatement dé­


truite ou tout au moins gravement amoindrie pour les tenants d' une pareille
théorie, comme l' histoire des hérésies et du protestantisme le prouve sura­
bondamment. Cet aplatissement de la hiérarchie mène à la collégialité puis à
l' œcuménisme et à la liberté religieuse : puisque l' homme doit trouver Dieu

active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possi­


ble, doit l'emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée.
« Ceci vaut surtout pour la célébration de la messe (bien que la
messe garde toujours sa nature publique et sociale), et pour
l' administration des sacrements. [ . . . ]
« [Tous] doivent être persuadés que la principale manifestation de
l' Église consiste dans la participation plénière et active de tout le saint
peuple de Dieu, aux mêmes célébrations liturgiques, surtout dans la
même Eucharistie, dans une seule prière, auprès de l' autel unique où
préside 1' évêque entouré de son presbyterium et de ses ministres. »
(Vatican Il, Sacrosanctum concilium, 26, 27 et 4 1 )

Le Saint Siège donnait encore en 1 947 un enseignement bien différent :

« Certains, en effet, réprouvent complètement les messes qui sont


offertes en privé et sans assistance, comme éloignées de l' antique ma­
nière de célébrer ; quelques-uns même affirment que les prêtres ne
peuvent en même temps offrir la divine hostie sur plusieurs autels
parce que par cette manière de faire ils divisent la communauté et met­
tent son unité en péril ; on va parfois jusqu'à estimer que le peuple
doit confirmer et agréer le sacrifice pour que celui-ci obtienne sa va­
leur et son efficacité.
« On en appelle à tort, en la matière, à la nature sociale du sacrifice
eucharistique. Toutes les fois, en effet, que le prêtre renouvelle ce que
le divin Rédempteur accomplit à la dernière Cène, le sacrifice est
vraiment consommé, et ce sacrifice, partout et toujours, d' une façon
nécessaire et par sa nature, a un rôle public et social, puisque celui qui
l' immole agit au nom du Christ et des chrétiens dont le divin
Rédempteur est le chef, 1' offrant à Dieu pour la sainte Église
catholique, pour les vivants et les défunts (Missale Rom., Canon
Missae). Et ceci se réalise sans aucun doute, soit que les fidèles y
assistent - et Nous désirons et recommandons qu' ils y soient présents
très nombreux et très fervents - soit qu' ils n'y assistent pas, n' étant en
aucune manière requis que le peuple ratifie ce que fait le ministre
sacré. » (Pie XII, Mediator Dei)
Le saint sacrifice de la messe 247

en lui48 1 , peu importe le chemin qu' il emploie. Cet amoindrissement illumi­


niste de la médiation de l' Église mène également à sa redéfinition, pour lui
restituer son ampleur holistique : l' Église du Christ subsiste dans l' Église
catholique mais la déborde de toute part. Le sacerdoce étant commun, le
prêtre est un simple président qui concélèbre avec l' assemblée des fidèles4 82 •
L' accent est mis sur la liturgie de la parole, qui actualiserait la présence sa­
cramentelle et qui aujourd'hui peut être annoncée par tout fidèle. La vision
holistique, la confusion entre la nature et la grâce se développe ainsi jusqu'à
son terme : la confusion entre le prêtre et le laïc qui ne laisse plus subsister
qu'une différence accidentelle. Le sacrifice de la Croix est remplacé par un
sacrifice spirituel que chaque fidèle peut offrir.
L' utopie a toujours voulu amener Dieu et le paradis sur terre dans une
confusion panthéiste qui aboutit à nier l' individu, certes divinisé mais noyé
dans le Grand Tout. Le socialisme, le communisme, la démocratie totali­
taire, le mondialisme et la doctrine maçonnique procèdent ainsi de la
conception holistique : en détruisant les hiérarchies au nom de notre divinité
commune, on détruit également l' individu au profit de la collectivité, de
l' assemblée des fidèles ou du peuple de Dieu4 8 3 . Derrière toutes les utopies,
4 8 1 « Par son intériorité, il dépasse en effet l' univers des choses :
c' est à ces profondeurs qu' il revient lorsqu' il fait retour en lui-même
où 1' attend ce Dieu qui scrute les cœurs et où il décide personnelle­
ment de son propre sort sous le regard de Dieu. (Vatican Il, Gau­
»

dium et spes, 1 4)

482 « La célébration de la messe, comme action du Christ et du


peuple de Dieu organisé hiérarchiquement, est le centre de toute la
vie chrétienne pour l' Église, aussi bien universelle que locale, et pour
chacun des fidèles. (lnstitutio generalis, 2003, n° 1 6)
»

48 3 Les utopies pédagogiques trouvent ici leur explication. Si l' homme


est Dieu, il n'a rien à apprendre et ne doit pas recevoir la science d' un pro­
fesseur qui lui est supérieur. Il doit seulement se remémorer, en une rémi­
niscence platonicienne, la vérité qu' il porte déjà en lui ou, pour employer le
langage pédagogique, « construire lui-même ses savoirs Le rôle du péda­
».

gogue, qui n' est plus un enseignant, est de développer l' intuition de
l' apprenant. À l' inverse, si l'homme n' est qu'une créature déchue, il lui
faut, par un laborieux apprentissage, s' extraire de l' animalité et s' élever
progressivement avec l' aide de ses maîtres qui l'instruisent et lui transmet­
tent l'héritage et le trésor de la société et des siècles précédents. Les raisons
profondes de l' opposition radicale entre intuition et instruction en matière
pédagogique apparaissent alors clairement. Comme toujours, l' utopie abou-
248 Le crucifiement de saint Pierre

on entend 1' écho de ces paroles de révolte qui retentissent au travers des
siècles depuis le commencement : « Vous serrez comme des Dieux », « Je
ne servirai pas », « Je m'égalerai au Très-Haut ».
Le sacerdoce commun des fidèles manifeste également l'unité (divine)
du genre humain, la divinité de l'homme et la vérité de la vision holistique.
Car l' Église est le sacrement de l'unité du genre humain et l' assemblée des
fidèles le sacrement de l' Église. L' assemblée manifeste donc l' Église qui
manifeste elle-même le mystère de l' unité du genre humain. On passe ainsi
du prêtre à l' assemblée puis à tous les hommes et au monde entier.

« En devenant « fils de Dieu », fils adoptifs, nous devenons en


même temps à sa ressemblance « un royaume de prêtres », nous rece­
vons « le sacerdoce royal », c'est-à-dire que nous participons à cette
unique et irréversible restitution de l'homme et du monde au Père que
Lui, à la fois Fils éternel et homme véritable, a accomplie une fois
pour toutes. » (Jean Paul Il, Redemptor hominis, 20)

« Le Christ a institué celui-là en tant que fonction de celui-ci ; il


n' est donc pas seulement hiérarchique mais aussi « ministériel » : il
doit servir (ministrare) pour que soit maintenu et développé dans le
Peuple de Dieu tout ce qui porte témoignage de sa participation au sa­
cerdoce du Christ, en d' autres termes de cette attitude qui dérive de
cette participation. Cette attitude, par laquelle l' homme confie sa pro­
pre personne et le monde à Dieu, est l' expression la plus simple et la
plus profonde de la foi, le témoignage intérieur offert au Dieu de la
création, de la révélation et de la rédemption. » (Cardinal Wojtyla)484

« Le sacerdoce représente le sens du monde dans sa relation avec


Dieu et, en même temps, le sens de l'homme dans le monde créé et ra-

tit à des résultats catastrophiques : abrutissement généralisé et dictature des


médias qui permet à une élite d' initiés d' imposer ses vues par le biais de la
pression sociale. L'homme, animal social qui croyait pouvoir se libérer de la
société et de ses représentants, quitte les liens sociaux pour tomber dans les
chaînes de l' esclavage. Le résultat est pourtant bien celui qui était poursui­
vi : l' homme, ne pouvant plus présenter à Dieu l' hommage libre et indivi­
duel de son intelligence et de sa volonté, se retrouve noyé dans le Grand
Tout.
Des remarques analogues devraient être faites en matière de police, de
justice, de défense, de protection sociale etc.

484 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 227 .


Le saint sacrifice de la messe 249

cheté par Dieu. Il est un « sacrifice de louange » que le monde porte


en lui et qu' il confie à l'homme pour l' offrir à son Créateur. Il le lui
confie précisément parce qu' il est capable de devenir l' expression vi­
vante de la gloire de Dieu (cf. Ps. 1 1 6, 1 7 ; He 1 3 , 1 5) , et l'expression
du service qu' assume la création entière envers son Souverain (Rm 1 2,
1 ), en devenant pour ainsi dire l'intermédiaire et la voix des créatu­
res. » (Cardinal Wojtyla) 48 5

« Le sacerdoce est la grande prière de toutes les choses : de


l'homme et du monde. » (Cardinal Wojtyla)486

On retrouve tous ces éléments dans le texte de Lumen gentium qui défi­
nit le sacerdoce commun des fidèles (avant même le sacerdoce hiérarchique,
montrant la dépendance de ce dernier par rapport au premier). On notera
tout particulièrement l' imbrication des thèmes du sacerdoce commun des
fidèles et de la Rédemption universelle :

« Ceux, en effet, qui croient au Christ, qui sont « re-nés » non d'un
germe corruptible mais du germe incorruptible qui est la parole du
Dieu vivant (cf. ! Pierre 1 , 23 ), non de la chair, mais de l' eau et de
l'Esprit-Saint (cf. Jean 3 , 5-6), ceux-là deviennent ainsi finalement
« une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple que
« Dieu s' est acquis, ceux qui autrefois n' étaient pas un peuple étant
« maintenant le peuple de Dieu » ( ! Pierre 2, 9- 1 0) .
« Ce peuple messianique a pour chef le Christ, « livré pour nos
péchés, ressuscité pour notre justification » (Rom 4, 25) possesseur
désormais du Nom qui est au-dessus de tout nom et glorieusement ré­
gnant dans les cieux. La condition de ce peuple, c'est la dignité et la
liberté des fils de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple,
habite l'Esprit-Saint. Sa loi c' est le commandement nouveau d' aimer
comme le Christ lui-même nous a aimés (cf. Jean 1 3 , 34). Sa destinée
enfin, c'est le royaume de Dieu, inauguré sur la terre par Dieu même,
qui doit se dilater encore plus loin jusqu'à ce que à la fin des siècles, il
reçoive enfin de Dieu son achèvement, lorsque le Christ notre vie sera
apparu (cf. Col. 3 , 4) et que « la création elle-même sera affranchie de
« l' esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse liberté des
« enfants de Dieu » (Rom. 8 , 2 1 ) . C'est pourquoi ce peuple messiani-

48 5 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 65 . Il s ' agit naturellement de la


thèse cabalistique de la restauration universelle par la médiation de l 'homme. Cf Partie 1, ch.
IV,§ Apocatastase, p. 52 sq.
486 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 7 3 .
250 Le crucifiement de saint Pierre

que, bien qu' il ne comprenne pas encore effectivement l'universalité


des hommes et qu' il garde souvent les apparences d'un petit troupeau,
constitue cependant pour tout l'ensemble du genre humain le germe
le plus fort d'unité, d'espérance et de salut. Etabli par le Christ pour
communier à la vie, à la charité et à la vérité, il est entre ses mains
l'instrument de la Rédemption de tous les hommes, au monde entier
il est envoyé comme lumière du monde et sel de la terre (cf. Mat. 5 ,
1 3- 1 6) .
« Et tout comme l'Israël selon l a chair cheminant dans le désert
reçoit déjà le nom d' Église de Dieu (2 Esdr. 1 3 , 1 ; Nomb. 20, 4 ;
Deut. 23, 1 s.) ainsi le nouvel Israël qui s' avance dans le siècle présent
en quête de la cité future, celle-là permanente (cf. Héb. 1 3 , 1 4), est ap­
pelé lui aussi : l' Église du Christ (cf. Mat. 1 6, 1 8) : c' est le Chri st, en
effet, qui 1' a acheté de son sang (cf. Act. 20, 28), empli de son Esprit
et pourvu des moyens adaptés pour son unité visible et sociale.
L' ensemble de ceux qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du sa­
lut, principe d' unité et de paix, Dieu les a appelés, il en a fait l' Église,
pour qu'elle soit, ::mx yeux de tous et de chacun, le sacrement visible
de cette unité salutaire. Destinée à s' étendre à toutes les parties du
monde, elle prend place dans l'histoire humaine, bien qu' elle soit en
même temps transcendante aux limites des peuples dans le temps et
dans 1' espace. Marchant à travers les tentations, les tribulations,
l' Église est soutenue par la vertu de la grâce de Dieu, à elle promise
par le Seigneur pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne dé­
faille pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la
digne Épouse, se renouvelant sans cesse sous l' action de l' Esprit-Saint
jusqu'à ce que, par la croix, elle arrive à la lumière sans couchant.
« Le Christ Seigneur, grand prêtre d'entre les hommes (cf. Heb. 5 ,
1 -5) a fait du peuple nouveau « u n royaume, des prêtres pour son
Dieu et Père » (cf. Apoc. 1 1 , 6 ; 5 , 9- 1 0). Les baptisés, en effet, par la
régénération et l' onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une
demeure spirituelle et un sacerdoce saint, pour offrir, par toutes les
activités du chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les
merveilles de celui qui des ténèbres les a appelés à son admirable lu­
mière (cf. 1 Pierre 2, 4- 1 0) . C'est pourquoi tous les disciples du
Christ, persévérant dans la prière et la louange de Dieu (cf. Act. 2, 42-
47), doivent s'offrir en victimes [hosties] vivantes, saintes, agréables
à Dieu (cf. Rom. 1 2, 1 ) , porter témoignage du Christ sur toute la sur­
face de la terre, et rendre raison, sur toute requête, de 1' espérance qui
est en eux d'une vie éternelle (cf. 1 Pierre 3, 1 5) . » (Vatican II, Lumen
gentium 9 et 1 0)
Le saint sacrifice de la messe 25 1

On comprend alors toute la portée de ces paroles du cardinal Wojtyla :

En un sens, on peut dire que la doctrine du sacerdoce du Christ et


«

de la participation de l'homme à ce sacerdoce est au centre même de


l' enseignement de Vatican II et contient d' une certaine manière tout ce
que le Concile voulait dire de l' Église, de l'humanité et du monde.
C'est seulement sur la base des vérités concernant le sacerdoce
«

du Christ, auquel tout le Peuple de Dieu a part, que le Concile énonce


la subordination » mutuelle entre le sacerdoce de tous les fidèles et
«

le sacerdoce hiérarchique. » (Cardinal Wojtyla)487

On lit dans les catéchismes pour enfants : la messe est un mystère ».


«

Mystère surnaturel de la condescendance du Verbe fait chair qui représente


et renouvelle sacramentellement et réellement son sacrifice sur les autels,
image de la liturgie céleste, qui vient à nous pour que dès maintenant nous
ayons la vie éternelle, que dès maintenant nous demeurions en lui et lui en
nous : Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle [ . . ]
« .

Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en
lui. » (Jn 6, 54-56)

487 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 225 .


CHAPITRE X

Historicisme,

histoire du salut

et « tradition vivante »

ertains regretteront sans doute, et une fois encore avec raison, que
C nous n' ayons pas construit notre ouvrage autour de la question de
l'historicisme, théorie qui affirme que Dieu se réalise dans l'histoire. Re­
marquons d' abord que panthéisme et historicisme sont deux aspects d'une
même erreur, l'un se rapportant à l' espace et l' autre au temps - se rappor­
tant tous deux à la créature confondue avec le Créateur. Si le monde est (en)
Dieu, Dieu se réalise dans le temps. Inversement, si l'histoire est le proces­
sus par lequel Dieu parvient à l' autoconscience de Lui-même, le monde est
divin. Mais la raison principale pour laquelle nous avons choisi d' édifier ce
travail autour du panthéisme, autour de la confusion entre la nature et la
grâce, tient à ce que le cardinal Siri, dans son remarquable ouvrage Gethsé­
mani, dont nous recommandons vivement la lecture, nous a largement de­
vancé et nous aurait contraint à de nombreuses redites. Par ailleurs, une
étude sérieuse de l'historicisme amène nécessairement à traiter de Hegel et
de Rahner de manière approfondie, ce que la méthodologie retenue pour ce
travail ne nous permettait pas, exigeant que nous ne considérions que les
textes incontestables du magistère et des autorités maçonniques. Enfin,
l'historicisme débouche naturellement sur le communisme et sur
l' évolutionnisme, forme modernisée du panthéisme qui nie au moins impli­
citement la création.
Sous sa forme la plus radicale, l ' historicisme affirme que Dieu se réalise
dans le temps, parvient à l' autoconscience par un processus historique. Il ne
nous semble guère utile d' insister sur le fait que cette thèse, conséquence
immédiate du panthéisme, nie l' éternité et l' immutabilité de Dieu et ne sau­
rait avoir aucune place dans le catholicisme : « Je suis celui qui suis. » (Ex
3, 1 4) « Avant qu'Abraham fut, Je suis. » (Jn 8, 58) La seule question qui
subsiste est celle de la création. Comment un Dieu éternel, immuable, peut­
Il créer, ce qui semble impliquer une mutation au sein même de l'immuable
éternité ? Nous rappelons, dans le paragraphe suivant, la réponse que la
théologie catholique apporte à cette question.
Historicisme 253

Dieu et le temps

« Nous n' avons pas à prouver l' immutabilité [de Dieu] en général,
cf. Petau De Deo, 1. Ill, c. 1, in-fol., Venise, 1 745 , t. 1, p. 1 23 sq., mais
à expliquer seulement que la création temporelle du monde ne saurait
lui porter préjudice en rien. Ibid. , c. II , p. 1 29 sq. L' objection est née
dans 1' antiquité avec la philosophie plus profonde des Eléates et de
Platon, dès que l'on commença à chercher la raison du mouvement,
non dans le mouvement lui-même, mais dans l' immobile et le parfait.
L' Être premier, qui seul est vraiment, est immuable, dit Platon. Timée,
38 a, édit. Didot, t. II , p. 209 . C'est la pensée qu' Aristote développera
dans la théorie de l' acte pur. Mais cette immobilité de l' infini l' arrête
dès qu' il s' agit de déterminer si l' Être premier est cause efficiente,
comme il est cause finale, et la question du commencement temporel
du monde lui semble insoluble. Topicorum, 1. 1, c. x, édit. Didot, t. 1, p.
1 79. Il penche visiblement pour l' éternité du monde, et le néoplato­
nisme marche sur ses traces en affirmant catégoriquement son éternité
et sa nécessité. [ . . . ]
« Grave en soi, la difficulté présente a donc été sentie plus vive­
ment par les plus grands philosophes. Le panthéisme gnostique, avec
ses émanations successives, le stoïcisme et l' atomisme épicurien, cf.
Origène, Cont. Cels., 1. IV, n. 14, P. G., t. XI , col. 1 045 , le monisme
contemporain avec son évolution de l' idée ou de la matière seraient
mal venus à la faire valoir. Pour résoudre le problème du mouvement,
ils l' exaspèrent : dire que le mouvement est nécessaire, c'est affirmer
que le changement est l'expression de la nécessité. La contradiction
semble un peu forte. Essayons de montrer, pour justifier la solution
chrétienne, que le mouvement peut exister par Dieu, sans être en
Dieu.
« L' objection est à double face : si la création temporelle entraîne
quelque nouveauté en Dieu, l' être premier change ; il n' est par consé­
quent ni nécessaire, ni infini. Si elle ne suppose rien de nouveau,
comment expliquer qu' elle n' est pas éternelle comme le créateur ?
« 1 Nul changement moral en Dieu.
o - La forme la plus commune
de l' objection est la suivante : qu'est-ce que ce Dieu qui sort tout à
coup de son oisiveté, à qui il prend soudain la fantaisie de créer des
mondes ? Mais elle procède en somme d'un anthropomorphisme in­
conscient. Le rationalisme de tous les temps, très prompt à dénoncer
ce vice dans les solutions qu' il combat, est souvent moins frappé de la
part qu' il occupe dans les objections qu' il soulève. Celle-ci vient de ce
qu' on se représente l' activité divine sur le même type que la nôtre,
quia quidquid novi faciendum venit in mentem novo concilia fa-
254 Le crucifiement de saint Pierre

ciunt488 • Cf. S . Augustin, De civitate Dei, 1. XII, c. XVII , n. 2, P. L. , t.


XLT , col. 367. Nous voulons par volontés successives ; Dieu n'a
qu' une volonté éternelle embrassant toute la série des modifications
qui se succéderont dans le temps. S. Augustin, ibid. « Il ne passe pas
« du non-vouloir au vouloir, dit saint Jean Damascène, mais il a
« toujours voulu que la création eût lieu au temps par lui défini. »

Dial. contra manich. , n. 6, P. G., 1. XCIV , col. 1 5 1 2 ; cf. S . Hippolyte,


Fragm. , II , P. G., t. x, col. 86 1 ; Zacharie de Mitylène, De mundi opif. ,
P. G ; t. LXXXV , col. 1 1 1 6 ; Hugues de Saint-Victor, D e sacram. , 1. I,
part. II, c. x , XI , P. L. , t. CLXXVI , col. 2 1 0. Il ne change pas de volon­
té ; mais il veut le changement. S . Thomas, Sum. theo!. , I, q. XIX . a. 7,
in c. et ad 3 um . Le monde commence et toutes choses se succèdent
dans l'ordre précis et voulu ab œterno.
« 2° Nul changement physique. - II reste encore à comprendre
comment la réalisation dans le temps de ces desseins éternels
n' entraîne pas un changement en Dieu ; car enfin si Dieu ne com­
mence jamais à vouloir, il commence au moins à agir, puisque les cho­
ses qui apparaissent dans le temps ne commencent que par lui. Ici
encore, l' objection provient du même anthropomorphisme. Nous agis­
sons, il est vrai, par à-coups, et nulle action ne va sans quelque agita­
tion. Il n'en est pas ainsi de Dieu. Il est créateur ab œterno, car il a
toujours dans son infinité ce qui constitue le créateur, son plan, sa
volonté, sa puissance. Zacharie de Mitylène, op. cit. , col. 1 066, 1 097 ;
S . Jean Damascène, loc. cit. , n. 9, col. 1 5 1 3 . Il est créateur possible,
potentia, objectera-t-on, mais non créateur actuel, actu. Sans doute il
ne crée pas ab œterno, mais il a en lui ab œterno toute la perfection in­
trinsèque d'un créateur actuel : tout le changement sera donc dans la
créature qui deviendra, non dans l' infini qui ne peut ni diminuer, ni
s' accroître. Pseudo-Justin, Quœst. ad orthod. , q. cxm, P. G. , t. VI , col.
1 36 1 . Le fiat créateur est prononcé ab œterno ; c' est un ordre donné
pour tel instant : la créature paraît au temps marqué ; le créateur n'a
pas varié. Supposez que le Père engendre son Fils dans le temps, voici
la mutation en Dieu ; admettez qu' il crée ou qu' il ne crée pas, ce sont
variations hors de lui et donc indifférentes. S . Cyrille d' Alexandrie,
Dialog. , II, De Trinitate, P. G. , t. LXXV , col. 7 8 1 sq. ; S. Jean Damas­
cène, De fide orth, 1. I, c. VIII , P. G., t. XCIV , col. 8 1 3 sq. Mais la créa­
ture ne vient pas toute seule ; l' Infini qui la fait venir du néant à
l'existence a donc passé du non-agir à l' agir ? Non pas, il était en acte
ab œterno, car à la différence des êtres contingents qui passent à

488
Parce qu' ils agissent en vertu d'un nouveau dessein chaque fois qu'ils font quelque chose
de nouveau.
Historicisme 255

l' action, Dieu est simple et son essence est son action, c' est-à-dire que
la réalité infinie de son être équivaut, dans son immobilité, à toute
l'efficacité des mouvements et agitations par lesquels nous agissons,
sans « mise en train qui complète sa puissance, et, quand il agit, sans
»

usure ni altération, Abélard, Introd. ad theol. , 1. III, n. 6, P. L., t.


CLXXVIII , col. 1 04 sq. ; S. Thomas, Cont. gent. , 1. II, c. xxxv , ad l ,
um
2um .
« Si l'imagination est déroutée par ces notions, la raison se
convainc qu' il en doit être ainsi, si hoc non possit capi propter imagi­
nationem conjunctam, potest tamen necessaria ratione convinci. S .
Bonaventure, In I V Sent. , 1. II, dist. I , p. 1, a . 1 , q. II , ad 5 um , Quaracchi,
t. II , p. 24. Elle met sur la voie aliquo modo en montrant d' autant
moins de mutation dans la cause qu' elle est plus parfaite. Au dernier
degré, un instrument matériel par exemple a besoin d' être mis enjeu et
s' use à proportion du travail qu' il fournit. Au degré supérieur, un pro­
fesseur produit d' autant plus d' effet que la pensée enseignée est plus
compréhensive et plus simple, et s' agite d' autant moins qu' il sait plus
et mieux. Au dernier terme, ce serait la causalité créatrice : Dieu peut
tout, parce qu' infini, et tout sans altération, parce que simple. Perfec­
tius capiet, si quis ista duo potest contemplari. . . quia perfectissimus
omnia quœ sunt perfectionis ei attribuuntur ; quia simplicissimus, nul­
lam diversitatem in eo ponunt489 • S. Bonaventure, loc. cit. ; Mgr
d'Hulst, Mélanges philosophiques, 1 892, p. 386-390. L' induction
mène ainsi à conclure que si la cause change en produisant, ce n' est
pas en tant qu' agissante, mais en tant que limitée et par conséquent
passible à l' égard des réactions de l' effet ; ou en d' autres termes, en
tant que toute cause finie est mêlée de non-cause, comme tout être fini
est mêlé de non-être. S ' il en était autrement, l' altération de la cause
agissante devrait toujours être en raison directe de l' effet produit, ce
que l'expérience contredit, et l'on devrait conclure que le pâtir est de
l' essence de 1' agir, ce que la raison a peine à admettre. De là ce théo­
rème aristotélicien qui peut servir à éclairer la solution précédente : la
cause en tant que cause ne change pas ; l' action de l' agent est dans le
patient, l' acte du moteur dans le mobile. De Régnon, Métaphysique
des causes, in-8°, Paris, 1 886, 1. III, c. II , a. 2, 3 . p. 1 77 sq. ; Baudin,
L 'acte et la puissance dans Aristote, dans la Revue thomiste, 1 899, t.
VII , p. 292 sq. » (Dictionnaire de théologie catholique)
490

489 Ceci peut être mieux compris si l'on contemple ces deux choses . . . comme il est le plus
parfait, tout ce qui est parfait lui est attribué ; comme il est le plus simple, aucune diversité ne
peut se présenter en lui.
490 Article Création, col. 2 1 36 sq. Voir également col. 2 1 38 .
256 Le crucifiement de saint Pierre

Hegel

Nous serons donc très bref sur Hegel. L' étude de son influence sur Rah­
ner et son élève, le jeune professeur Ratzinger, mériterait un fort travail -
qui mettrait en évidence la généalogie des idées gnostiques : maçonnerie,
puis Hegel, Rahner, Vatican II et ses suites49 1 • Ce bref paragraphe décevra
donc certains ; il est des questions fondamentales que nous ne pouvons
aborder, tout en reconnaissant que ce silence nuit gravement à la compré­
hension d'ensemble du phénomène conciliaire et révolutionnaire, voire à
une juste appréhension de l' actualité la plus immédiate. Nous ne présente­
rons que quelques textes de Hegel - parfaitement représentatifs de ses idées
- et qui donnent un simple aperçu de sa pensée panthéiste, maçonnique et
gnostique dans laquelle on trouve les principaux thèmes conciliaires.

« Dans la théologie catholique la plus récente, c' est Karl Rahner


qui, ici comme ailleurs et avec un courage intellectuel exemplaire et
une vigoureuse force de pensée, a ouvert de nouveaux horizons et a
confronté la christologie classique avec la pensée moderne. L'esprit
insigne qui plane à 1' arrière-plan de cet approfondissement - conduit
avec rigueur conceptuelle - de la christologie classique ( chalcédo­
nienne-scolastique) et jusque dans sa conceptualité la plus profonde,
n'est autre que Hegel (on y trouve aussi des influences heideggerien­
nes). Les efforts sporadiques de s'éloigner de Hegel - dans des affir­
mations secondaires - ne font que souligner ce fait. Rahner se propose
d'éclaircir théologiquement, en suivant sa prise de position transcen­
dantale, les conditions de la possibilité d'une incarnation ». (Hans
Küng)492

Hegel franc-maçon

« 67 . Pour le fils de l' initiation, la richesse des hautes doctrines,


la profondeur du sentiment ineffable étaient trop sacrées
pour qu' il jugeât dignes d'eux des signes desséchés.
70. Déjà la pensée ne saisit pas l' âme qui s' oublie,
perdue hors du temps et de l' espace, dans le pressentiment de l'infini,
puis ensuite s' éveille à nouveau à la conscience.

49 1 Notre intention n' est pas, dans ce paragraphe, d' établir les voies par lesquelles l ' influence
maçonnique est parvenue j usqu'au concile Vatican Il. Nous ne pouvions traiter de
l 'historicisme, de la maçonnerie, du panthéisme, de Benoît XVI et de Vatican II en omettant de
mentionner les liens qui unissent Hegel et la maçonnerie.
492 Hans Küng, Incarnazione di Dio, Queriniana, Brescia 1 972, pp. 643-644. Cité par le car­
dinal Siri, Gethsémani, op. cit. , p. 72, 73.
Historicisme 257

Celui qui voulait parler de cela aux autres,


parlât-il ia langue des anges, sentait l'indigence des mots.
7 5 . Il s'effrayait d' avoir pensé le sacré si petitement,
de le voir si rapetissé
par eux, au point que le discours lui semblait un péché
et que, frémissant, il se fermait la bouche.
Ce que l'initié s' interdisait ainsi lui-même, une sage loi
l'interdisait aux esprits plus pauvres : de divulguer
80. ce qu' il avait vu, entendu, senti dans la nuit sacrée [de l' initiation],
pour que le bruit de leur esclandre ne troublât pas aussi
l'homme meilleur
dans son recueillement, et que leur verbiage creux
ne l' irritât pas contre le sacré lui-même . . (Hegel) 49 3
. »

« 43 . Ah ! si les portes de ton sanctuaire se rompaient


maintenant d' elles-mêmes,
Ô Cérès, toi qui trônais à Éleusis !
Ivre d'enthousiasme, je sentirais alors
le frisson de ton voisinage,
je comprendrais tes révélations,
Je découvrirais le sens sublime des images, j ' entendrais
les hymnes des dieux dans leurs banquets,
50. les hautes sentences de leur Conseil. (Hegel)494 »

«30. L' esprit se perd dans la contemplation


et ce que j ' appelais moi s' efface,
je m' abandonne à l' incommensurable,
je suis en lui, suis tout, ne suis que lui.
En revenant, la pensée éprouve un sentiment d' étrangeté,
3 5 . elle frémit devant l' infini, et, surprise,
elle ne saisit pas la profondeur de cette contemplation. (Hegel)495 »

L ' Être est le néant

Il s' agit d'un thème gnostique par excellence, que l'on retrouve dans la
maçonnerie, la cabale, le taoïsme, le bouddhisme, etc. En le reprenant, He­
gel signe incontestablement l'origine de ses idées. Nous en produirons bien
d' autres preuves.

493 Eleusis. Cité p ar Jacques D'Hont, Hegel secret, Paris, puf, 1 986, p. 27 1 sq, 274.
494 Eleusis. Cité par Jacques D' Hont, Hegel secret, op. cit. , p. 257 .
495 Eleusis. Cité par Jacques D' Hont, Hegel secret, op. cit. , p. 254.
258 Le crucifiement de saint Pierre

« Or, cet être pur est abstraction pure, partant l ' absolument-négatif
qui, pris pareillement en son immédiateté, est le néant. [ . . . ]
« Il s'en est ensuivi la deuxième définition de l' absolu, à savoir
qu' il est le néant ; en fait, elle est contenue dans ce qu'on énonce lors­
qu' on dit que la chose-en-soi est ce qui est indéterminé, absolument
sans forme et par là sans contenu ; - ou encore que Dieu est seulement
l ' Être suprême et rien d' autre en plus, car en tant que tel il est exprimé
comme exactement la même négativité ; le néant dont les Bouddhistes
font le principe de tout ainsi que l'ultime but final et terme de tout, est
la même abstraction. [ . . ] .

« Le néant, en tant que ce néant immédiat, égal à soi-même, est le


même, inversement, la même chose que l 'être. La vérité de 1' être ainsi
que du néant est par suite l' unité des deux ; cette unité est le devenir. »
(Hegel) 496

Hegel ajoute lui-même, lucide : « Cela n' exige pas une grande dépense
d' esprit, de tourner en ridicule la proposition qu' être et néant sont la même
chose ». Nous nous en abstiendrons donc.

Dualisme

« Pour l' Esprit, [1' évolution] constitue une lutte dure, infinie,
contre lui-même. Ce que l'Esprit veut, c'est atteindre son propre
concept ; mais lui-même se le cache, et dans cette aliénation (Ent­
fremdung) de soi-même, il se sent fier et plein de joie.
« De cette manière, l' évolution n'est pas une simple éclosion sans
peine et sans lutte, comme celle de la vie organique, mais un travail
dur et forcé sur soi-même. » (Hegel)497

« L' homme n' est vraiment homme que lorsqu' il connaît le bien et,
par suite, son opposé, que lorsqu' il s'est divisé à l' intérieur de lui­
même. Il ne peut en effet connaître le bien que lorsqu' il connaît aussi
le mal. C' est pourquoi l'état paradisiaque n' est pas un état parfait. »
(Hegel)498

Comme un écho des paroles du tentateur, du diable (diabolos, qui désu­


nit, qui inspire la haine) : « Vous connaîtrez le bien et le mal ».

496 G.W.F. Hegel, La science de la logique, Paris, Vrin, 1 970, p . 349 sq.
497 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 1 80.
498 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 252.
Historicisme 259

Panthéisme

« Il est démontré par la connaissance spéculative que la Raison -


nous pouvons ici nous en tenir à ce terme sans insister davantage sur
la relation à Dieu - est sa substance, la puissance infinie, la matière
infinie de toute vie naturelle ou spirituelle, et aussi la forme infinie
la réalisation de son propre contenu. (Hegel) 499
-

« L 'Esprit du Monde ( Weltgeist) est l' Esprit de l' Univers tel qu' il
s' explicite dans la conscience humaine. Entre lui et les hommes, il y a
le même rapport qu' entre les individus et le Tout qui est leur subs­
tance. Cet esprit du Monde est conforme à l' Esprit divin, lequel est
l' Esprit absolu. Dans la mesure où Dieu est omniprésent, il existe dans
chaque homme et apparaît dans chaque conscience : c' est cela l'Esprit
du Monde. (Hegel) 5 00
»

« Devant nous se déploie la magnificence de l' intuition orientale,


l' intuition de l' Être unique, de la Substance à laquelle tout revient et
dont rien de s' est encore séparé. (Hegel) 5 0 1
»

« Mais le suprasensible, (l' )étemel, ou de quelque façon qu' on


veuille le nommer autrement, est dépourvu de Soi, il n' est d' abord que
l' universel, qui est encore fort loin d' être l'esprit se sachant comme
esprit. (Hegel) 5 02
»

« La lumière pure diffracte sa simplicité comme une infinité de


formes, et se donne en victime à l' être-pour-soi, afin que le singulier
prenne pour soi consistance en sa substance. (Hegel) 5 03 »

Historicisme

« De l' étude donc de l'histoire universelle a résulté et doit résulter


que tout s'y est passé rationnellement, qu' elle a été la marche ration­
nelle et nécessaire de l'Esprit du Monde ( Weltgeist), Esprit qui consti­
tue la substance de l'histoire, qui est toujours un et identique à lui-

499 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 47 .


500 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 8 1 sq. Voir également p. 1 23 .
50 1 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 285
502 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l 'Esprit, II, Paris, Gallimard, 1 993, p. 809.
503 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l 'Esprit, II, op. cit. , p. 824 . .
260 Le crucifiement de saint Pierre

même et qui explicite son être unique dans la vie de l'univers (l'Esprit
du Monde est l'Esprit en général). (Hegel i04
»

« L'Esprit n' est pas un être naturel, comme l' animal qui est ce
qu' il est immédiatement. L' Esprit se produit lui-même, il se fait lui­
même ce qu' il est. Son être n'est pas existence en repos, mais activité
pure : son être est d' avoir été produit par lui-même, d'être devenu
pour lui-même, de s'être fait par soi-même. Pour exister vraiment, il
faut qu' il ait été produit par lui-même : son être est le processus abso­
lu. Ce processus, médiation de lui-même avec lui-même et par lui­
même (et non par un autre) implique que l'Esprit se différencie en
Moments (Momente) distincts, se livre au mouvement de diverses fa­
çons. Ce processus est aussi, essentiellement, un processus graduel, et
l'histoire universelle est la manifestation du processus divin, de la
marche graduelle par laquelle l'Esprit connaît et réalise sa vérité. Tout
ce qui est historique est une étape de cette connaissance de soi. Le de­
voir suprême, l'essence de l'Esprit, est de se connaître soi-même et de
se réaliser. [ . . . ]
« L'histoire universelle est la manifestation du processus divin ab­
solu de l' Esprit dans ses plus hautes figures : la marche graduelle par
laquelle il parvient à sa vérité et prend conscience de soi. (Hegel) 505
»

« L' Esprit se fait donc une idée déterminée de lui-même, de son


essence, de sa nature. Il ne peut avoir qu' un contenu spirituel - et pré­
cisément l'élément spirituel est son contenu qu' il ne trouve pas tout
fait devant lui, mais qu' il se crée en se faisant lui-même son objet et
son contenu. [ . . . ]
« Se produire, se faire l'objet de soi-même, se connaître soi­
même : voilà l' activité de l'Esprit. (Hegel) 5 06
»

La nature humaine est divine, gracieuse

« Il est donc intéressant de connaître dans le cours de l'histoire la


nature spirituelle dans son mode d' existence - c'est-à-dire la manière
dont l'Esprit s'unit avec la nature, donc avec la nature humaine. »

(Hegel) 5 07
504
Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 49 sq. Voir également p. 52.
505
Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 97.
506
Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 75 sq. Voir également p. 67 .
L' historicisme mène naturellement à l'évolutionnisme, autre forme de panthéisme : voir p. 1 79
et 1 82.
507
Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 7 1 .
Historicisme 26 1

« Il [ le concept] se trouve su comme autoconscience et est im­


=

médiatement manifeste à celle-ci, car il est celle-ci elle-même ; la na­


ture divine est la même-chose que la [nature] humaine, et c' est cette
unité qui se trouve intuitionnée. (Hegel) 5 08
»

Réalisation

« L' homme ne doit pas seulement connaître tout cela ; il doit aussi
se connaître lui-même et acquérir la claire conscience de son unité
originelle vers l'Esprit universel. (Hegel) 5 09
»

Spiritualité globale

« Pourtant son but est de se connaître et [l' Esprit] n' aspire qu' à
connaître lui-même c e qu' il est e n soi e t pour soi : à s e manifester
dans le monde sensible tel qu' il est vraiment pour soi, - à produire un
monde spirituel qui soit adéquat à son concept, à accomplir et réaliser
sa vérité, à produire une religion, un État qui correspondent à son
concept, en sorte qu' il soit en vérité soi-même ou l'Idée de soi-même,
car l' Idée est la réalité qui n' est qu' un miroir, une expression du
Concept. » (Hegeli 10

Historicisme

L'historicisme a naturellement été condamné à plusieurs reprises. Pie IX


et Pie XII enseignent explicitement qu' il s ' agit d'une variété de panthéisme.

« [Proposition condamnée] Il n' existe aucun être divin suprême,


plein de sagesse et de providence, distinct de cet univers des choses ;
et Dieu est la même chose que la nature des choses, assujetti par
conséquent aux changements ; et en réalité Dieu devient dans
l'homme et dans le monde, et toutes les choses sont Dieu et de la subs­
tance même de Dieu ; et Dieu est avec le monde une seule et même
chose, comme le sont, dès lors, l' esprit et la matière, la nécessité et la
liberté, le vrai et le faux, le bien et le mal, le juste et l' injuste. »

(Pie IX, Syllabus, 1)

508 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l 'Esprit, Il, op. cit. , p. 883. Exceptionnellement, dans
cette citation, les passages entre crochets [ ] ont été insérés par le traducteur de Hegel et non
par cet auteur.
509 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit. , p. 1 50.
51 0 Georg Hegel, La raison dans l 'Histoire, op. cit., p. 82 sq.
262 Le crucifiement de saint Pierre

« Quiconque observe attentivement ceux qui sont hors du bercail


du Christ découvre sans peine les principales voies sur lesquelles se
sont engagés un grand nombre de savants. En effet, c'est bien eux qui
prétendent que le système dit de l' évolution s' applique à l' origine de
toutes les choses ; or, les preuves de ce système ne sont pas irréfuta­
bles même dans le champ limité des sciences naturelles. Ils
1' admettent pourtant sans prudence aucune, sans discernement et on
les entend qui professent, avec complaisance et non sans audace, le
postulat moniste et panthéiste d'un unique tout fatalement soumis à
l' évolution continue. Or, très précisément, c'est de ce postulat que se
servent les partisans du communisme pour faire triompher et propager
leur matérialisme dialectique dans le but d' arracher des âmes toute
idée de Dieu.
« La fiction de cette fameuse évolution, faisant rejeter tout ce qui
est absolu, constant et immuable, a ouvert la voie à une philosophie
nouvelle aberrante, qui, dépassant l' idéalisme, l' immanentisme et le
pragmatisme, s' est nommé existentialisme, parce que, négligeant les
essences immuables des choses, elle n'a souci que de l' existence de
chacun.
« À cela s'ajoute un faux historicisme qui, ne s' attachant qu' aux
événements de la vie humaine, renverse les fondements de toute vérité
et de toute loi absolue dans le domaine de la philosophie et plus en­
core dans celui des dogmes chrétiens. » (Pie XII, Humani generis)

« Il en est justement ainsi : le Dieu de Majesté infinie, lpsum Esse


Subsistens511 « se partage » en des existences plus ou moins parfaites.
Il répand [le Bien] en quelque sorte dans l' œuvre de la création non
pas seulement parce qu' il est tout puissant, mais parce qu'il est en
même temps l'Amour.
« Quand dans ce processus de création, qui, sur le plan des résul­
tats, prend la forme d'une certaine évolution du monde (il est difficile
de relever ce trait dans la Genèse même [certes]), approche le moment
de la création de l'homme, alors Celui qui, en tant qu' Être subsistant
par lui-même, /psum Esse Subsistens, est aussi toute la plénitude de
l' être personnel, progresse pour ainsi dire lui aussi d'un pas dans cette
même direction, selon le principe que le bien est prodigue de lui­
même, bonum est diffusivum sui ; » (Cardinal Wojtyla) 5 1 2

511
L' être même subsistant.
512
Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 37.
Historicisme 263

« Le point central de l' Évangile consiste dans l' annonce de la Ré­


surrection et donc dans l' annonce de l' action divine qui dépasse toute
activité humaine.
« Ceci me semble être une perspective capitale à laquelle il faut
s' arrêter un instant. Car s'il est vrai que s' applique ici à la théologie le
« prae5 13 » de l' agir divin, que la foi à une action divine précède toute
autre proposition, alors est mis en évidence le primat de l'histoire sur
la métaphysique, sur toute théologie de l'essence et de l'être. Ce pri­
mat est mis en évidence par le fait que l' image même de Dieu est
soustraite à la simple doctrine de l' ousia. Il me semble que c'est ici
que se situe la frontière décisive entre le concept du Dieu de la Bible
et de celui des Grecs, ce qui constitue la difficulté constamment souli­
gnée par la fusion patristique des pensées grecque et biblique, et met
en évidence la tâche dont la théologie chrétienne est loin d'être venue
à bout. Pour le concept grec de Dieu, 1' essentiel est que Dieu est 1' être
pur immuable et que par conséquent il n' est agissant en aucune façon ;
son immutabilité absolue inclut qu' il s' enclose en lui-même, qu'il soit
exclusivement tourné vers lui-même sans relation avec l'être mou­
vant5 1 4 . Pour le Dieu biblique au contraire, il est non moins essentiel
d' être en relation et d' agir ; création et révélation sont les deux propo­
sitions de base à son sujet, et si la révélation s' achève en Résurrection,
il s' avère encore une fois que Dieu n' est pas simplement en-dehors du
temps mais qu' il est dominateur du temps et que son être ne nous est
pas accessible autrement que dans son agir. » (Cardinal Ratzinger) 515

« Le Sens, fondement de tout être, est devenu chair, c' est-à-dire il


est entré dans l'histoire, il fait partie d' elle ; il n' est plus seulement ce
qui la porte et l' embrasse, il est devenu un point à l'intérieur d' elle.
Dès lors, le sens de tout l' être ne serait plus à trouver dans la contem­
plation par l' esprit s' élevant au-dessus de ce qui est singulier et limité,
vers l' universel ; il ne serait plus simplement donné dans le monde des
idées, qui dépasse le particulier et ne s'y reflète que de manière frag­
mentaire ; il serait à trouver au milieu du temps, dans le visage d'un
homme. Cela fait penser à la fin émouvante de la Divine Comédie de
Dante, où, dans la contemplation du mystère de Dieu, le poète, au mi­
lieu de cette « toute-puissance de 1 ' Amour qui meut dans une harmo­
nie silencieuse le soleil et les astres », aperçoit, avec un étonnement
bienheureux, une image à sa ressemblance, un visage d'homme. Nous

5 1 3 En avant.
5 1 4 Voir Aristote, Politique, 1 325b, 28 et Métaphysique, 1 074b, 2 1 -35.
5 1 5 Cardinal Ratzinger, Les principes de l a théologie catholique, op. cit. , p . 206.
264 Le crucifiement de saint Pierre

aurons à considérer plus loin la transformation que cette donnée fait


subir à la voie qui mène de l'être au sens. Pour l'instant, nous consta­
tons qu' en plus de l'union du Dieu de la foi et du Dieu des philoso­
phes, reconnue dans le premier article du Credo comme présupposé
fondamental et forme de la structure de la foi chrétienne, une
deuxième connexion est établie ici, non moins décisive, celle du logos
et de la sarx, de la parole et de la chair, de la foi et de l'histoire.
L'homme historique Jésus est le Fils de Dieu, et le Fils de Dieu est
l'homme-Jésus. Dieu devient un événement pour l'homme à travers
les hommes, et plus concrètement encore : à travers l 'homme dans le­
quel se manifeste la réalité définitive de l' être de l' homme, et qui, en
cela même, est simultanément Dieu. » (Cardinal Ratzinger)5 1 6

« Le vieux problème de l' être et du temps, résolu presque exclusi­


vement au profit de l' Être par les Eléates, mais aussi par Platon et
Aristote, surgit à nouveau. On peut à juste titre attribuer à Hegel le
rôle décisif dans cette remise en question. À partir de lui, Être et
Temps se compénètrent de plus en plus dans le pensée philosophique.
L' Être même répond désormais à la notion de temps, le Logos devient
lui-même comme Histoire. Il ne peut donc être attaché à aucun point
particulier de l'histoire, il ne peut jamais être repéré au dessus de
l'histoire comme un être en soi ; toutes ses objectivations historiques
ne sont que des moments de sa totalité.
« [Même si le cardinal ne reprend pas à son compte toutes les idées
de Hegel, il n'en conclut pas moins ce chapitre ainsi : ]
« Ce centre [même de l'histoire du salut], o n l e voit donc, n' est pas
une simple « vérité intemporelle » planant comme une idée éternelle,
sans relation aucune, au-dessus de 1' espace des réalités changeantes. »
(Cardinal Ratzinger)5 1 7

« Si le cosmos est de 1 ' histoire, et si la matière représente un mo­


ment dans l'histoire de l' esprit, alors il n'y a pas une juxtaposition
neutre et éternelle de la matière et de l'esprit, mais une « complexité »
ultime, dans laquelle le monde trouvera son Oméga et son unité. Alors
il y a une connexion ultime entre la matière et l'esprit, dans laquelle la
destinée de l'homme et du monde trouve son accomplissement, même
s ' il ne nous est pas possible aujourd' hui de définir le mode de cette
connexion. Alors il y a un « dernier jour » où la destinée de chaque

5 16 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 25 et 1 26.
5 17 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p . 1 4 et 25.
Historicisme 265

homme particulier trouve son accomplissement, parce que la destinée


de toute l'humanité est accomplie.
« Le but du chrétien, ce n' est pas la béatitude privée, mais la totali­
té. Il croit en Jésus-Christ, et pour cette raison il croit à l' avenir du
monde, non pas seulement à son avenir personnel. Il sait que cet ave­
nir est au-delà de ce qu' il peut réaliser lui-même. Il sait qu' il y a un
Sens qu' il est incapable de détruire. Doit-il pour autant rester les bras
croisés ? Au contraire, parce qu' il sait qu' il y a un Sens, il peut et doit
collaborer joyeusement et courageusement à l' œuvre de l'histoire ».
(Cardinal Ratzinger) 5 1 8

« Ainsi se rejoignent finalement, d'une part la ligne « dialogique »,


se référant directement à Dieu, et d' autre part la ligne de la solidarité
humaine, qui ensemble constituent l' idée biblique d' immortalité. En
effet, dans le Christ-homme, nous rencontrons Dieu ; mais en lui nous
rencontrons également la communauté des autres, dont le chemin vers
Dieu passe par lui et converge donc vers lui. L'orientation vers Dieu
devient du même coup en lui orientation vers la communion des
hommes ; ce n' est qu' en acceptant cette communion que l'on marche
vers Dieu, car Dieu ne se trouve pas en dehors du Christ, ni par le fait
même en dehors de la trame de l'histoire humaine et de sa destination
communautaire. » (Cardinal Ratzinger) 5 1 9

« Jésus est le Christ. Dieu est homme et avenir de l'homme ; cela


signifie donc être un avec Dieu, et par conséquent être un avec
l'humanité qui sera un homme unique définitif dans l'unité complexe
que crée l' exode de l' amour. Dieu est homme - dans cette formule
seulement se trouve pleinement accueillie avec tout le sérieux qu' elle
comporte la réalité pascale qui devient ainsi un point de l'histoire qui
la dépasse, l ' axe même de l'histoire par lequel nous somme tous por­
tés.
« [L' auteur ajoute en note : J
« On n'insistera jamais trop aujourd'hui sur l'inséparabilité de
l'ontologie, et par suite de la métaphysique, et de l'histoire. » (Cardi­
nal Ratzinger) 5 20

C' est ainsi que le cardinal Ratzinger est amené à se distancer des thèses
de Hegel parce que, selon lui, elles séparent l' ontologie et l'histoire,

5 18 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 259 et 260.
5 1 9 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 255 .
52° Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 2 1 1 sq.
266 Le crucifiement de saint Pierre

l'immutabilité de Dieu5 2 1 et l'historicisme, alors qu' il faut au contraire


« insister . . . sur l'inséparabilité . . . de l' ontologie . . . et de l'histoire. » Le
cardinal ne réfute donc pas les thèses de Hegel mais les intègre dans un ca­
dre plus vaste qui englobe « la confrontation des libertés, essentielle à la
foi » et le « dialogue d' amour » 5 22 . Il reste bien entendu à expliquer com­
ment s'effectue cette « synthèse hégélienne » entre l' ontologie et l'histoire,
l' immutabilité de Dieu et l'historicisme. C' est ici qu' apparaît cette
« difficulté constamment soulignée par la fusion patristique des pensées
grecque et biblique [qui] met en évidence la tâche dont la théologie chré­
tienne est loin d'être venue à bout » . . .
Le cardinal lui-même ne cache pas l'origine protestante de ces idées :

« Et puisque l' ontologie apparaît comme une expression philoso­


phique essentielle du concept de continuité, c'est elle que l'on va
combattre avant tout comme la corruption scholastique - plus tard on
dira hellénistique - du christianisme, pour lui opposer l' idée de
l'histoire. L' idée de l' histoire du salut apparaît dans l'histoire de la
théologie moderne comme l' antithèse protestante à l'engagement on­
tologique de la théologie catholique. » (Cardinal Ratzinger) 5 2 3

Bien plus que d' idées protestantes, il s ' agit des processions gnostiques et
du plérôme originel, conséquences immédiates du panthéisme.

« Cette Union des Personnes, qui se révèle comme


l' incommensurabilité même de la Divinité, de la Vérité et de l' Amour,
du Verbe et du Don, cette union divine des Personnes embrasse
l'humanité et le monde. En elle, « nous avons la vie, le mouvement et
l' être » (Ac 1 7 , 28). Car à l' Incarnation du Verbe du Fils éternel, par
l' opération du Saint Esprit, la présence de la Divinité et de l' action du
Dieu vivant sur l'humanité et sur le monde a pris une dimension nou­
velle. De même que s' est établi un nouveau rapport entre la temporali­
té et l'éternité, de l'historique et de l' eschatologique. C'est aussi la
raison pour laquelle le Nouveau Testament nous offre une image
combien plus achevée et plus claire de 1' Accomplissement définitif
que ne le fait 1' Ancien Testament. À 1' Ancien Testament, il manquait
la Plénitude que Dieu a apportée en venant dans l'homme et dans le
monde, Plénitude qui constitue le fondement de l' arrivée de l'homme

52 1 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 05 .


522 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 05 .
523 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 1 74.
Historicisme 267

et du monde à Dieu, c' est-à-dire à l' Accomplissement final. » (Cardi­


nal Wojtyla) 5 24

L'homme fait miséricorde à Dieu ; la douleur en Dieu

Ce Dieu inséré dans le temps pourra donc souffrir ; c' est ce qui ressort,
malgré les précautions rhétoriques, de l' enseignement de Jean Paul II :

« "Manifester le péché" ne devrait-il pas alors signifier également


révéler la souffrance, révéler la douleur, inconcevable et inexprima­
ble, que, à cause du péché, le Livre saint semble, dans sa vision an­
thropomorphique, entrevoir dans les « profondeurs de Dieu » et, en un
sens, au cœur même de l' inexprimable Trinité ? L' É glise, s' inspirant
de la Révélation, croit et professe que le péché est une offense faite à
Dieu. Qu'est-ce qui correspond, dans l' insondable intimité du Père, du
Verbe et de l'Esprit Saint, à cette « offense », à ce refus de l'Esprit qui
est Amour et Don ? La conception de Dieu comme être nécessaire­
ment très parfait exclut évidemment, en Dieu, toute souffrance prove­
nant de carences ou de blessures ; mais dans les « profondeurs de
Dieu », il y a un amour de Père qui, face au péché de l' homme, réagit,
selon le langage biblique, jusqu ' à dire : « Je me repens d' avoir fait
l'homme » 5 2 5 • « Le Seigneur vit que la méchanceté de l' homme était
« grande sur la terre . Le Seigneur se repentit d 'avoir fait l 'homme sur
. .

« la terre, et il s 'affligea dans son cœur. Et le Seigneur dit. . . ''je me


« repens de les avoir faits" »5 26 • Mais plus souvent le Livre saint nous
parle d'un Père qui éprouve de la compassion pour l' homme, comme
s'il partageait sa souffrance. En définitive, cette insondable et indes­
criptible « douleur » de père donnera surtout naissance à l' admirable
économie de l 'amour rédempteur en Jésus Christ, afin que, par le mys­
terium pietatis, l' amour puisse, dans l'histoire de l'homme, se révéler
plus fort que le péché. Afin que prévale le Don » ! [ . . . ]
«

« Si le péché a engendré la souffrance, maintenant la douleur de


Dieu dans le Christ crucifié acquiert, par l'Esprit Saint, toute son ex­
pression humaine. On se trouve ainsi devant un mystère paradoxal
d' amour : dans le Christ souffre un Dieu repoussé par sa propre créa­
ture : « Ils ne croient pas en moi ! » ; mais en même temps, devant la
profondeur de cette souffrance et, indirectement, la profondeur du
-

524 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 2 1 9, 220.


525 Cf. Gn 6, 7 .
526 Gn 6, 5-7.
268 Le crucifiement de saint Pierre

péché même « de ne pas avoir cru » , 1 ' Esprit fait croître à un degré
-

nouveau le don fait à l 'homme et à la création depuis le commence­


ment. Dans les profondeurs du mystère de la Croix, 1' Amour agit, et
cet Amour amène l'homme à participer de nouveau à la vie qui est en
Dieu même. » (Jean Paul II, Dominum et vivificantem, 39 et 4 1 )

Or le Christ ne peut souffrir que dans s a nature humaine et non dans sa


nature divine. La souffrance de Dieu est un thème gnostique, qui recoupe les
théories sur la présence du mal en Dieu que nous avons présentées en pre­
mière partie5 27 . De même, on ne peut comprendre que Dieu doive être
l' objet de notre miséricorde (cf. infra) que dans une perspective panthéiste
qui s' oppose à l'enseignement de l' Église et de saint Thomas :

« La passion du Christ doit-elle être attribuée à sa divinité ? [ . . . ]


« En sens contraire, S . Athanase écrit : « Le Verbe, demeurant
Dieu par nature, est impassible. » Mais ce qui est impassible ne peut
souffrir. Donc la passion du Christ ne se rattachait pas à sa divinité. »
(Saint Thomas) 5 28

« S . Jean Damascène écrit : « La divinité du Christ a permis à sa


chair de faire et de souffrir ce qui lui était propre. » Au même titre, la
jouissance qui était propre à l' âme du Christ en tant que bienheureuse
n'a pas été empêchée par sa passion. [ . . . ]
« Selon son essence, toute l' âme du Christ jouissait, en tant qu' elle
est le siège de la partie supérieure de l' âme à laquelle appartient la
jouissance de Dieu, de même que, réciproquement, la jouissance est
attribuée à l' essence en raison de la partie supérieure de l'âme.
« Mais, selon toutes ses puissances, l' âme ne jouissait pas tout en­
tière ; ni directement, la jouissance ne pouvant être 1' acte de chacune
des parties de l' âme ; ni non plus par un rej aillissement de gloire, car,
lorsque le Christ était voyageur sur cette terre, il n'y avait pas rejaillis­
sement de gloire de la partie supérieure de son âme sur la partie infé­
rieure, ni de 1 ' âme sur le corps. Mais, réciproquement, la partie supé­
rieure de l' âme du Christ, n'étant pas entravée dans son opération pro­
pre par la partie inférieure, il en résulte qu'elle a joui parfaitement de
l a vision bienheureuse tandis que le Christ souffrait. » (Saint Tho­
mas) 5 29

527 Chapitre V, Le Bien et le mal en Dieu.


528 ST, III, q. 46, a. 1 2 . Cf Dz. 2 1 5e (concile d ' Ephèse).
529 ST, III, qu 46, a. 8.
Historicisme 269

« Dieu révèle aussi particulièrement sa miséricorde lorsqu 'il ap­


pelle l 'homme à exercer sa « miséricorde » envers son propre Fils,
envers le Crucifié.
« Le Christ, le Crucifié, est le Verbe qui ne passe pas, il est celui
qui se tient à la porte et frappe au cœur de tout homme, sans contrain­
dre sa liberté, mais en cherchant à en faire surgir un amour qui soit
non seulement acte d' union au Fils de l'homme souffrant, mais aussi
une forme de « miséricorde » manifestée par chacun de nous au Fils
du Père éternel. Dans ce programme messianique du Christ et la révé­
lation de la miséricorde par la croix, la dignité de l'homme pourrait­
elle être plus respectée et plus grande, puisque cet homme, s'il est ob­
jet de la miséricorde, est aussi en même temps en un certain sens celui
qui « exerce la miséricorde » ?
« En définitive, n'est-ce pas la position du Christ à l'égard de
l'homme, lorsqu' il déclare : « Dans la mesure où vous l' avez fait à
l'un de ces petits . . . . c'est à moi que vous l' avez fait ». Les paroles du
Sermon sur la montagne : « Heureux les miséricordieux, car ils ob­
tiendront miséricorde » ne constituent-elles pas, en un certain sens,
une synthèse de toute la Bonne Nouvelle, de tout « l' admirable
échange » (admirabile commercium) contenu en elle et qui est une loi
simple, forte, mais aussi « suave », de l 'économie même du salut ? Et
ces paroles du Sermon sur la montagne, qui font voir dès le point de
départ les possibilités du « cœur humain » ( « être miséricordieux » ),
ne révèlent-elles pas, dans la même perspective, la profondeur du
mystère de Dieu : l ' inscrutable unité du Père, du Fils et de l'Esprit
Saint, en qui l' amour, contenant la justice, donne naissance à la misé­
ricorde qui, à son tour, révèle la perfection de la justice ? » (Jean
Paul II, Dives in misericordia, 8)

La tradition vivante

Si Dieu lui-même est plongé dans le temps, est sujet au changement, il


en va pareillement de la Révélation. Cette théorie a pourtant été condamnée
par le magistère :

« [Proposition condamnée : ] La Révélation divine est imparfaite, et


pour cette raison sujette à un progrès continu et indéfini qui corres­
pond au développement de la raison humaine. » (Pie IX, Syllabus, 1. 5)

« [Propositions condamnées :] 2 0 . La Révélation n'a pu être autre


chose que la conscience que l'homme a acquise de sa relation à Dieu.
270 Le crucifiement de saint Pierre

« 2 1 . La Révélation, qui est l' objet de la foi catholique, n'a pas été
achevée par les apôtres.
« 22. Les dogmes que l' Église présente comme révélés ne sont pas
des vérités descendues du ciel, mais une interprétation de faits reli­
gieux que 1' esprit humain s' est donnée par un laborieux effort. »
(Saint Pie X, Lamentabili)

« Et pareillement je réprouve toute erreur qui consiste à substituer


au dépôt divin confié à l' épouse du Christ et à sa garde vigilante une
fiction philosophique ou une création de la conscience humaine, la­
quelle formée peu à peu par l' effort des hommes, serait susceptible
dans l' avenir d'un progrès indéfini. » (Saint Pie X, Serment anti­
moderniste)

« Le texte5 3 0 présente également les différentes formes de lien qui


découlent des différents degrés de l' enseignement magistériel. Celui­
ci affirme - peut-être pour la première fois d' une façon aussi claire ­
qu'il existe des décisions du magistère qui ne peuvent constituer le
dernier mot sur une matière en tant que telle, mais une stimulation
substantielle par rapport au problème, et surtout une expression de
prudence pastorale, une sorte de disposition provisoire. Leur substance
reste valide, mais les détails sur lesquels les circonstances des temps
ont exercé une influence peuvent avoir besoin de rectifications ulté­
rieures. À cet égard, on peut penser aussi bien aux déclarations des
papes du siècle dernier [XIX0] sur la liberté religieuse qu' aux déci­
sions anti-modernistes du début de ce siècle, en particulier aux déci­
sions de la Commission biblique de l' époque. » (Cardinal Ratzin­
ger) 5 3 1

Le serment antimoderniste que les prêtres ont dû prêter n' était-il donc
motivé que par des détails ?

« La venue de Dieu parmi les hommes est, d' abord et avant tout,
Révélation. Le contenu de la Révélation, et le but de cet Avent qui eut
lieu dans le temps et qui continue d'y avoir lieu, est le salut de
l' homme. » (Cardinal Wojtyla) 5 3 2

53° Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction sur la vocation ecclésiale du théolo­
gien.
53 1 Joseph Ratzinger, Église et théologie, Paris, Marne, 1 992, p. 90 sq.
532 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit. , p. 1 59.
Historicisme 27 1

« Cette Tradition qui vient des apôtres se poursuit dans l'Église,


sous l' assistance du Saint-Esprit : en effet, la perception des choses
aussi bien que des paroles transmises s' accroît, soit par la contempla­
tion et l' étude des croyants qui les méditent en leur cœur (cf. Luc 2,
1 9 ; 2, 5 1 ) , soit par l' intelligence intérieure qu' ils éprouvent des cho­
ses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession
épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité. Ainsi l' Église, tan­
dis que les siècles s'écoulent, tend constamment vers la plénitude
de la divine vérité, jusqu'à ce que soient accomplies en elle les paro­
les de Dieu. » (Vatican II, Dei Verbum 8)

« Certes, on trouve des syllabes telles que : jah 1 jo 1 jaw ; mais le


nom de Yahvé, d' après nos connaissances actuelles, ne s' est constitué
qu'en Israël ; il paraît être l' œuvre de la foi d' Israël qui, par une trans­
formation créatrice d'éléments antérieurs, s' est forgé son propre nom
de Dieu et sa propre image de Dieu.
« [Le cardinal ajoute en note ces remarques, qui ne font que ren­
forcer son propos : ] C' est là le point de vue de l' historien. La convic­
tion du croyant n'en est pas affectée ; pour lui, cette transformation
«

créatrice » n'a été possible que sous la forme d'un accueil de révéla­
tion. Le processus de création est d' ailleurs toujours un processus
d' accueil [qui va donc jusqu'à forger des éléments essentiels de la Ré­
vélation tels le nom et l' image de Dieu] .
« De nos jours, se dessine à nouveau une forte présomption pour
attribuer cette création à Moïse, qui apportait ainsi un nouvel espoir à
ses frères réduits en esclavage. La création définitive d'un nom pro­
pre, et par là d' une image originale de Dieu, semble avoir été le point
de départ de la constitution du peuple de Dieu. [ . . . ]
« Dans la racine linguistique et sémantique supposée du nom de
Yahvé, où 1 ' élément yau évoque le Dieu personnel, transparaît à la
fois le choix et la discrimination opérés par Israël dans l'univers reli­
gieux ambiant, et la continuité avec l' histoire d'Israël depuis Abra­
ham. Le Dieu des pères ne s' appelait pas Yahvé ; il se présente à nous
sous les noms de El et Elohim. Les patriarches se rattachaient ainsi à
leur entourage religieux, où la divinité appelée El se distinguait par
son caractère social et personnel. La particularité de ce Dieu, du point
de vue [de la] typologie religieuse, c'est qu' il est numen personale
(Dieu des personnes) et non pas numen locale (divinité locale).
Qu' est-ce à dire ? Essayons de l'élucider brièvement à partir des
points de départ de ces deux types de divinités. Rappelons-nous tout
d' abord que l'expérience religieuse de l' humanité s' est toujours rani­
mée en certains lieux sacrés où, pour une raison ou une autre,
272 Le crucifiement de saint Pierre

l'homme éprouve plus spécialement la présence du « Tout Autre », du


divin. Une source, un arbre géant, une pierre mystérieuse ou un évé­
nement extraordinaire à un endroit donné, peuvent être à l' origine
d'une telle expérience. Il arrive bien vite que l'homme confonde
l' endroit où il a expérimenté le divin avec le divin lui-même. Il croit à
une présence spéciale du divin en cet endroit, et il lui semble que cette
présence divine, il ne pourrait pas la trouver ailleurs de la même ma­
nière ; ce lieu devient lieu sacré, habitacle du divin. Comme
l' expérience du sacré ne se produit pas seulement en un seul endroit
mais aussi ailleurs, et comme on la croit chaque fois limitée à tel en­
droit, il en résulte un foisonnement de divinités locales, qui deviennent
les divinités particulières de ces endroits. Ne faut-il pas voir comme
un écho de ces tendances dans le christianisme, quand des chrétiens
peu éclairés, se représentent les Madones de Lourdes, de Fatima ou
d' Altütting comme des personnes différentes ! [ . . . ] En se prononçant
pour El, les pères d'Israël ont pris une option de la plus haute impor­
tance : ils ont choisi le numen personale contre le numen locale, le
Dieu tourné vers les personnes, à situer et à chercher sur le plan du
Moi et du Toi, et non d' abord en des endroits sacrés.
« [Le cardinal ajoute en note ces remarques qui, encore une fois, ne
font que renforcer son propos, puisqu' elles font dépendre la Révéla­
tion de l'homme : ] Il faudrait rappeler ici (comme dans la note [précé­
dente]) que la décision implique don, accueil et par suite révélation. »
(Cardinal Ratzinger) 5 33

La thèse moderniste affirme que cette théorie ferait dépendre de


l'homme le seul accueil, la seule réception de la Révélation et non ses élé­
ments essentiels. Le cardinal écrit au contraire qu' Israël « s' est forgé son
propre nom de Dieu et sa propre image de Dieu ». Le « choix et la discrimi­
nation opérés par Israël dans l' univers religieux ambiant », dans « leur en­
tourage religieux, où la divinité [s' appelait] El » supposent que la Révéla­
tion émerge du paganisme. Ils impliquent une « option de la plus haute im­
portance » prise par les pères d'Israël qui interdit de croire que la seule ré­
ception de la Révélation se trouve concernée par ces hypothèses.

« Chacun des grands concepts fondamentaux de la doctrine trini­


taire s' est trouvé condamné à un moment ; [ . . . ]
« La doctrine trinitaire n' est pas née d' une spéculation sur Dieu,
d'une tentative de la pensée philosophique pour mettre au clair la
constitution intime du Principe de tout être ; elle résulte de

533 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 67 sq.
Historicisme 273

l'élaboration de certaines expériences historiques. » (Cardinal Ratzin­


ger) 5 34

« Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du


Père, du Fil et du Saint-Esprit » (Mt 28, 1 9)

« On pourrait même dire : le Créateur a accompli son œuvre d'une


manière tout à fait démocratique. [ . . . ]
« Mais comme 1 ' exégèse peut devenir stimulante quand elle ose
lire la Bible dans son unité ! Quand elle la fait naître du peuple de
Dieu et, à travers ce peuple de Dieu, de Dieu lui-même, alors elle
parle effectivement de l' époque actuelle. » (Cardinal Ratzingeri 3 5

La spiritualité globale

La Révélation « continue d' avoir lieu » ; la très sainte Trinité se révèle


dans la conscience de chaque homme. « Le primat de l'histoire sur la méta­
physique » fait que l' « on n' insistera j amais trop aujourd'hui sur
l'inséparabilité de l' ontologie, et par suite de la métaphysique, et de
l'histoire. » La Révélation est donc un processus historique et psychologi­
que dans ses dimensions sociale et individuelle. L' unité du genre humain
exige qu' elle aboutisse à une spiritualité globale, que les organisations in­
ternationales élaborent d' ores et déjà et que saint Pie X et Pie XI entre­
voyaient dès leur époque :

« Nous craignons qu' il n'y ait encore pire. Le résultat de cette


promiscuité en travail, le bénéficiaire de cette action sociale cosmopo­
lite ne peut être qu'une démocratie qui ne sera ni catholique, ni protes­
tante, ni juive ; une religion (car le sillonnisme, les chefs l' ont dit, est
une religion) plus universelle que l' Église catholique, réunissant tous
les hommes devenus enfin frères et camarades dans « le règne de
Dieu ». "On ne travaille pas pour l' Église, on travaille pour
l'humanité" ». (Saint Pie X, Notre charge apostolique)

« Convaincus qu' il est très rare de rencontrer des hommes dépour­


vus de tout sens religieux, on les voit nourrir l'espoir qu' il serait pos­
sible d' amener sans difficulté les peuples, malgré leurs divergences re­
ligieuses, à une entente fraternelle sur la profession de certaines doc-

534 Cardinal Ratzinger, La foi chrétienne hier et aujourd 'hui, op. cit. , p. 1 07 et 1 00.
535 Joseph Ratzinger, Église et théologie, op. cit. , p. 1 1 7 et 1 1 9.
274 Le crucifiement de saint Pierre

trines considérées comme un fondement commun de vie spirituelle.


C' est pourquoi, ils se mettent à tenir des congrès, des réunions, des
conférences, fréquentés par un nombre appréciable d' auditeurs, et, à
leurs discussions, ils invitent tous les hommes indistinctement, les in­
fidèles de tout genre comme les fidèles du Christ, et même ceux qui,
par malheur, se sont séparés du Christ ou qui, avec âpreté et obstina­
tion, nient la divinité de sa nature et de sa mission.
« De telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approu­
vées par les catholiques, puisqu'elles s' appuient sur la théorie erronée
que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables, en ce
sens que toutes également, bien que de manières différentes, manifes­
tent et signifient le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu
et nous pousse à reconnaître avec respect sa puissance. En vérité, les
partisans de cette théorie s' égarent en pleine erreur, mais de plus, en
pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils ver­
sent par étapes dans le naturalisme et l' athéisme. La conclusion est
claire : se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles
doctrines, c' est s' éloigner complètement de la religion divinement ré­
vélée. [ . . . ]
« Mais en fait, sous les séductions et le charme de ces discours, se
cache une erreur assurément fort grave, qui disloque de fond en com­
ble les fondements de la foi catholique. [ . . . ]
« Dieu, Auteur de toutes choses, nous a créés pour le connaître et
le servir ; étant notre Créateur, il a donc un droit absolu à notre sujé­
tion. Certes, Dieu aurait pu n' imposer à l'homme, comme règle, que la
loi naturelle qu' il a, en le créant, gravée dans son cœur, et dans la
suite en diriger les développements par sa providence ordinaire ; mais
en fait il préféra promulguer des préceptes à observer, et, au cours des
âges, c' est-à-dire depuis les débuts de l' humanité jusqu'à la venue du
Christ Jésus et sa prédication, il enseigna lui-même aux hommes les
obligations dues à lui, Créateur, par tout être doué de raison : « Dieu,
« qui, à diverses reprises et en plusieurs manières, parla jadis à nos
« pères par les prophètes, nous a, une dernière fois, parlé en ces jours­
« ci par son Fils » (Hebr. I, 1 -2).
« Il en résulte qu' il ne peut y avoir de vraie religion en dehors de
celle qui s' appuie sur la parole de Dieu révélée : cette révélation,
commencée à 1' origine et continuée sous la Loi Ancienne, le Christ
Jésus lui-même l'a parachevée sous la Loi Nouvelle. Mais, si Dieu a
parlé - et l'histoire porte témoignage qu' il a de fait parlé - , il n' est
personne qui ne voie que le devoir de l'homme, c' est de croire sans
Historicisme 275

réserve à Dieu qui parle et d' obéir totalement à Dieu qui commande. »
(Pie XI, Mortalium animos) 536

« Pouvons-nous - malgré toute la faiblesse humaine, toutes les dé­


ficiences accumulées au cours des siècles passés - ne pas avoir
confiance en la grâce de Notre-Seigneur, telle qu'elle s' est révélée ces
derniers temps par la parole de l' Esprit-Saint que nous avons entendue
durant le Concile [dogmatique] ? Ce faisant, nous nierions la vérité
qui nous concerne nous-mêmes et que l' Apôtre a exprimée d' une fa­
çon si éloquente : « C' est par la grâce de Dieu que je suis ce que je
suis, et sa grâce à mon égard n'a pas été stérile »537 •
« Même si c' est d'une autre manière et avec les différences qui
s' imposent, il faut appliquer les réflexions précédentes à l' activité qui
tend au rapprochement avec les représentants des religions non chré­
tiennes et qui s' exprime par le dialogue, les contacts, la prière en
commun, la recherche des trésors de la spiritualité humaine, car
ceux-ci, nous le savons bien, ne font pas défaut aux membres de ces
religions. N' arrive-t-il pas parfois que la fermeté de la croyance des
membres des religions non chrétiennes - effet elle aussi de l'Esprit de
vérité opérant au-delà des frontières visibles du Corps mystique - de­
vrait faire honte aux chrétiens, si souvent portés à douter des vérités
révélées par Dieu et annoncées par l' Église, si enclins à laisser se relâ­
cher les principes de la morale et à ouvrir les portes à une morale per­
missive ? » (Jean Paul II, Redemptor hominis, 6)

« Historiquement, 1' expérience du Concile est une chose du passé


mais elle reste spirituellement toujours vivante et nous sentons que
nous en sommes débiteurs. Quand nous cherchons envers qui nous
sommes redevables, en nous rappelant les personnes, les déclarations,
les états d'esprit, les attitudes, les approches et toute la réalité visible
de l' assemblée conciliaire, nous réalisons que notre reconnaissance
doit aller à l' Invisible qui remplit sans cesse la promesse faite jadis
aux Apôtres au Cénacle, l'Esprit-Saint qui « vous enseignera toutes
choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). [ . . . ]
« La réalisation de Vatican II, ou le processus du renouvellement
conciliaire, doit être basé sur le principe de l'enrichissement de la foi.
[. . .]

53 6 Voir également d' autres passages de cette encyclique en Partie Il, ch. VIII, § La liberté
religieuse et l ' œcuménisme, condamnés par le magistère, p. 1 99 .
537 1 C o 1 5 , 1 0.
276 Le crucifiement de saint Pierre

« Ainsi l' Église, tandis que les siècles s'écoulent, tend


« constamment vers la plénitude de la divine vérité, jusqu'à ce que
« soient accomplies en elle les paroles de Dieu. »53 8
« Cette progression de l' Église indique en même temps la direction
dans laquelle la foi doit se développer et s' enrichir. [ . . . ]
« La doctrine de la foi et des mœurs (doctrina fidei et morum) est
le contenu de l' enseignement des pasteurs de l' Église ; ainsi, les actes
doctrinaux du magistère ont un sens pastoral tout comme ses actes
pastoraux ont également une signification doctrinale puisqu' ils sont
profondément ancrés dans la foi et les mœurs. Ces actes pastoraux
contiennent la doctrine que l' Église proclame : fréquemment, ils la
clarifient et la précisent, s' efforçant constamment de parvenir à la plé­
nitude de la vérité divine (Jn 1 6, 1 3) .
« Tout ceci a été confirmé de manière signalée par Vatican II qui,
tout en préservant son caractère pastoral et en gardant à l'esprit le but
pour lequel il avait été convoqué, a développé en profondeur la doc­
trine de la foi et a fourni la base de son enrichissement. [ . . . ]
« Pour résumer, l'enrichissement de la foi que nous considérons
comme le pré-requis essentiel à la réalisation de Vatican II, doit être
compris de deux manières : comme un enrichissement du contenu de
la foi [qui est naturellement immuable] en accord avec l'enseignement
du Concile, mais également comme un enrichissement de la totalité de
l'existence des croyants provenant de ce contenu. » (Cardinal Wojty­
la)539

« Au nom de Jésus-Christ crucifié et ressuscité, dans l' esprit de sa


mission messianique toujours présente dans l'histoire de l'humanité,
nous élevons notre voix et nos supplications pour que se révèle encore
une fois, à cette étape de l'histoire, l' Amour qui est dans le Père ; pour
que, par l' action du Fils et du Saint-Esprit, il manifeste sa présence
dans notre monde contemporain, plus fort que le mal, plus fort que le
péché et que la mort. » (Jean Paul Il, Dives in misericordia, 1 5 )

5 3 8 Vatican II, Dei Verbum 8 .


539 Karol Wojtyla, Sources of Renewal, op. cit., p. 9, 1 5 sq. Sur l'intrusion d u panthéisme
dans le catholicisme et ses conséquences pratiques, nous recommandons : Cornelia R. Ferreira
et John Vennari, World Youth Day, From Catholicism to Counterchurch, op. cit. Une version
française est prévue pour la fin de l' année 2009.
CHAPITRE XI

Mondialisme

La confusion entre le monde et le royaume

' Église est le royaume de Dieu 540 . Ce titre ne saurait être décerné au
L monde, quelle que soit la définition que l'on en donne :

« [L' Église] est appelée le Royaume suscité par Dieu et qui durera
éternellement ; [ . . . ]
« Jésus a encore ajouté : « Et je te donnerai les clés du royaume
des cieux ». Il est clair qu' il continue à parler de l' Église, de cette
Église qu' il vient d' appeler sienne, et qu' il a déclaré vouloir bâtir sur
Pierre comme sur son fondement. L' Église offre, en effet, l' image non
seulement d'un édifice, mais d'un royaume ; au reste nul n' ignore que
les clés sont l' insigne ordinaire de l' autorité. Ainsi, quand Jésus pro­
met de donner à Pierre les clés du royaume des cieux, il promet de lui
donner le pouvoir et l' autorité sur l' Église. » (Léon XIII, Satis cogni­
tum, 47, 55)

« Depuis que, par la jalousie du démon, le genre humain s'est mi­


sérablement séparé de Dieu auquel il était redevable de son appel à
l' existence et des dons surnaturels, il s' est partagé en deux camps en­
nemis, lesquels ne cessent pas de combattre, l'un pour la vérité et la
vertu, l' autre pour tout ce qui est contraire à la vertu et à la vérité. Le
premier est le royaume de Dieu sur la terre, à savoir la véritable Église
de Jésus Christ, dont les membres, s'ils veulent lui appartenir du fond
du cœur et de manière à opérer le salut, doivent nécessairement servir
Dieu et son Fils unique, de toute leur âme, de toute leur volonté. Le
second est le royaume de Satan. Sous son empire et en sa puissance se
trouvent tous ceux qui, suivant les funestes exemples de leur chef et de
nos premiers parents, refusent d' obéir à la loi divine et multiplient
leurs efforts, ici, pour se passer de Dieu, là pour agir directement
contre Dieu. » (Léon XIII, Humanum genus)

'
540
DTC, art. Eglise, col. 2 1 1 6 .
27 8 Le crucifiement de saint Pierre

Le mélange du temporel et de l'eschatologique

La confusion entre le Créateur et la créature, la thèse du salut cosmique


et l'historicisme devaient naturellement aboutir au mélange du temporel et
de l'eschatologique. On ne pouvait diviniser le monde sans en faire le
Royaume ou tout au moins son commencement. Puisque cette terre doit être
rénovée, puisque « la restauration promise [est] déjà commencée dans le
Christ [ . . . pour] le monde et l'humanité », le Royaume est de ce monde, déjà
commencé pour tous et non pour les seuls croyants en état de grâce. La sé­
paration entre le temporel et le spirituel s'estompe. Il s' agit d' une des mar­
ques caractéristiques de toutes les utopies, d'un millénarisme constant qui
révèle leur origine gnostique : âge d' or, Nouvel Âge, cité du soleil, Ré­
volution, société sans classe, Nouvel Ordre Mondial.

« Dans la Constitution sur l' Église le Concile a consacré un chapi­


tre spécial à l'eschatologie. Toutefois, il ne s' agit pas seulement de
1' eschatologie de 1 ' homme contenue dans nos manuels classiques, no­
tamment au traité Des fins dernières il s' agit du « caractère eschatolo­
gique de l' Église pérégrinante et de son union avec l' Église céleste ».
Il en est résulté un déplacement d' optique qui a mis en lumière des
thèmes et des accents qui ne se trouvent pas dans l' eschatologie clas­
sique de l'homme. En effet, dans le traité Des fins dernières « De no­
vissimis » ou dans les vieux catéchismes, la thématique eschatologi­
que mettait l' accent sur les vérités telles que la mort, le jugement, le
ciel, l' enfer, le purgatoire, alors que l'eschatologie conciliaire insiste
sur « la restauration de toutes choses dans le Christ » (cf. Ep 1 , 1 0),
sur « les cieux nouveaux » et « la terre nouvelle » (cf. Is 65, 1 7 ; Ap
2 1 , 1 ). Cette vérité est en quelque sorte anticipée dans le mystère pas­
cal, elle fait ressortir le caractère de l' Église qui prépare le monde à la
restauration promise, déjà commencée dans le Christ (cf. Col 3, 1 0 ;
Ap 2 1 , 2-5). L' Incarnation du Verbe éternel a apporté au monde et à
l'humanité [et non à la seule Église] les prémices de la plénitude dé­
finitive. Ce point constitue la pensée fondamentale de l' eschatologie
conciliaire.
« Déjà la fin des temps est arrivée pour nous (cf. 1 Co 1 0, 1 1 ), et la
« rénovation du monde a été irrévocablement décidée et elle est d' une
« certaine façon réellement anticipée dans ce siècle . . . Le Christ, élevé
« de terre, a attiré à lui tous les hommes . . . L' Église, à laquelle nous
« sommes tous appelés dans le Christ Jésus et dans laquelle par la
« grâce de Dieu nous acquérons la sainteté, ne sera consommée que
« dans la gloire céleste, quand arrivera le temps de la restauration de
« toutes choses » (Lumen gentium, 48). [ . . . ]
Mondialisme 279

« Cette Union des Personnes, qui se révèle comme


l' incommensurabilité même de la Divinité, de la Vérité et de l' Amour,
du Verbe et du Don, cette union divine des Personnes embrasse
l'humanité et le monde [et on pourrait donc affirmer de l'humanité et
du monde ce qui ne vaut que pour les Personnes divines] . En elle,
« nous avons la vie, le mouvement et l' être » (Ac 1 7 , 28). Car à
l' Incarnation du Verbe du Fils éternel, par l' opération du Saint Esprit,
la présence de la Divinité et de l' action du Dieu vivant sur l' humanité
et sur le monde a pris une dimension nouvelle. De même que s' est
établi un nouveau rapport entre la temporalité et l'éternité, de
l'historique et de l' eschatologique. C' est aussi la raison pour laquelle
le Nouveau Testament nous offre une image combien plus achevée et
plus claire de 1' Accomplissement définitif que ne le fait 1' Ancien Tes­
tament. À l' Ancien Testament, il manquait la Plénitude que Dieu a
apportée en venant dans l'homme et dans le monde, Plénitude qui
constitue le fondement de l' arrivée de l'homme et du monde à Dieu,
c'est-à-dire à l'Accomplissement final. » (Cardinal Wojtyla) 54 1

Le cardinal expose sans ambiguïté que « la mort, le jugement, le ciel,


l'enfer, le purgatoire » ont été remplacés, dans l' eschatologie conciliaire,
par « la restauration de toutes choses dans le Christ », « les cieux nou­
veaux » et « la terre nouvelle », par l' apocatastase. Mais cet universel retour
à Dieu, sur lequel nous avons insisté tout au long de cet ouvrage, « est en
quelque sorte anticipé dans le mystère pascal ». « Les prémices de la pléni­
tude définitive » ont été apportées « au monde et à l' humanité » et non à la
seule Église : « la rénovation du monde [ . . . ] est d' une certaine façon réel­
lement anticipée dans ce siècle [en attendant] la restauration de toutes cho­
ses ». Dès maintenant, ici-bas, « tous les hommes » reçoivent « les prémices
de la plénitude définitive » puisque « le Christ, élevé de terre, a attiré à lui
tous les hommes ». L ' « union divine des Personnes embrasse l' humanité et
le monde ». Et il s' agit de ce monde, de cette terre : « la rénovation du
monde [ . . . ] est d' une certaine façon réellement anticipée dans ce siècle ».
Le monde forme donc ici et maintenant les prémices du royaume. Les pro­
messes du Seigneur commencent à se réaliser pour tous les hommes,
croyants ou infidèles, saints ou pécheurs : « Heureux ceux qui ont un esprit
de pauvre, car le royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3), « Le royaume de
Dieu est au dedans de vous » (Le 1 7 , 2 1 ), maintenant, sans attendre l'au­
delà. Ces promesses, qui s' adressent aux âmes en état de grâce, en qui ha­
bite la très sainte Trinité, sont étendues par 1' eschatologie conciliaire à tous
les hommes. Le monde se confond avec les prémices du royaume. Le cardi-

54 1 Cardinal Wojtyla, Le signe de contradiction, op. cit. , p. 1 95 , 1 96, 2 1 9 et 220.


280 Le crucifiement de saint Pierre

nal écrit donc avec raison que le concile a établi « un nouveau rapport entre
la temporalité et l'éternité, de l'historique et de l'eschatologique » puisque
Dieu est venu « dans l'homme et dans le monde », constituant le
« fondement de l' arrivée de l'homme et du monde à Dieu, c'est-à-dire à
l'Accomplissement final ». L'historique et l' eschatologique en viennent à se
confondre. Puisque la grâce est une semence de la gloire et que 1 ' Église,
« sacrement de l'unité du genre humain », réunit à un titre ou à un autre
toute l'humanité, peuple de Dieu, le monde tout entier s' achemine vers le
royaume dans « l'Accomplissement final ».

« Aussi Dieu lui-même veut-il, dans le Christ, réassumer le monde


tout entier, pour en faire une nouvelle créature en commençant dès
cette terre et en lui donnant sa plénitude au dernier jour. » (Vatican II,
Apostolicam actuositatem, 5 )

« Ici, les perspectives s'élargissent. On retrouve le rêve d'un


« progrès indéfini », radicalement transformé par l 'optique nouvelle
ouverte par la foi chrétienne, qui nous assure qu'un tel progrès n'est
possible que parce que Dieu le Père a décidé dès le commencement de
rendre l' homme participant de sa gloire en Jésus Christ ressuscité,
« en qui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des
fautes » (Ep 1 , 7), et qu'en lui il a voulu vaincre le péché et le faire
servir pour notre plus grand bien, qui surpasse infiniment tout ce que
le progrès pourrait réaliser.
« Nous pouvons dire alors - tandis que nous nous débattons au
sein des ténèbres et des carences du sous-développement et du surdé­
veloppement qu'un jour « cet être corruptible revêtira
l'incorruptibilité et cet être mortel revêtira l ' immortalité » (cf. 1 Ca
1 5 , 54), quand le Seigneur « remettra la royauté à Dieu le Père »
(ibid. , 1 5 , 24) et que toutes les œuvres et les actions dignes de
l'homme seront rachetées. » (Jean Paul II, Sollicitudo rei socialis, 3 1 )

« En ces années mêmes, où les douleurs et les angoisses de guerres


tantôt dévastatrices et tantôt menaçantes pèsent encore si lourdement
sur nous, la famille humaine tout entière parvient à un moment décisif
de son évolution. Peu à peu rassemblée, partout déjà plus consciente
de son unité, elle doit entreprendre une œuvre qui ne peut être menée à
bien que par la conversion renouvelée de tous à une paix véritable :
édifier un monde qui soit vraiment plus humain pour tous et en tout
lieu. Alors, le message de l' Évangile, rejoignant les aspirations et
l'idéal le plus élevé de l'humanité, s' illuminera de nos jours d'une
clarté nouvelle, lui qui proclame bienheureux les artisans de la paix,
Mondialisme 28 1

"car ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5 , 9). » (Vatican II, Gaudium
et spes, 77. 1 )

« De même qu' elle procède de l'homme, l' activité humaine lui est
ordonnée. De fait, par son action, 1 ' homme ne transforme pas seule­
ment les choses et la société, il se parfait lui-même. Il apprend bien
des choses, il développe ses facultés, il sort de lui-même et se dépasse.
[. . .]
« Assurément les dons de l'Esprit sont divers : tandis qu' il appelle
certains à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à
garder vivant ce témoignage dans la famille humaine, il appelle les au­
tres à se vouer au service terrestre des hommes, préparant par ce mi­
nistère la matière du royaume des cieux. Mais de tous il fait des hom­
mes libres pour que, renonçant à l' amour-propre et rassemblant toutes
les énergies terrestres pour la vie humaine, ils s'élancent vers l' avenir,
vers ce temps où l'humanité elle-même deviendra une offrande agréa­
ble à Dieu.
« Le Seigneur a laissé aux siens les arrhes de cette espérance et un
aliment pour la route : le sacrement de la foi, dans lequel des éléments
de la nature, cultivés par l'homme, sont changés en son Corps et en
son Sang glorieux. C' est le repas de la communion fraternelle, une an­
ticipation du banquet céleste. [ . . . ]
« Car ces valeurs de dignité, de communion fraternelle et de liber­
té, tous ces fruits de notre nature et de notre industrie, que nous aurons
propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son
Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure,
illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père "un
royaume éternel et universel" ». (Vatican II, Gaudium et spes, ch. III ,
L' activité humaine dans l'univers, 35, 38, 39)

Le monde tout entier s' acheminerait vers un « royaume éternel et univer­


sel » qui abolirait l' antique antagonisme voulu par Dieu lui-même : « Et je
mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postéri­
té ; ». On parviendrait ainsi à la synthèse entre l' Église et l' État rêvée par
Hegel :

« À partir de ce moment, le monde séculier et le monde spirituel


s' affrontent mutuellement. Le principe de l'Esprit, tel qu' il est pour
lui-même, est proprement la liberté et se présente donc d'un côté
comme subjectivité. (D' autre part) la nature propre de l' âme la pousse
vers ce qu' elle doit vénérer, mais cela ne peut être le fait du hasard et
doit correspondre à son essence, à sa vérité spirituelle. C'est ce que le
282 Le crucifiement de saint Pierre

Christ révèle dans sa religion : la vérité de l' âme doit se relier à la Di­
vinité. Ici, la conciliation s' accomplit en soi et pour soi, mais du fait
qu' elle s' accomplit d' abord en soi, ce degré de l' évolution doit, à
cause de son caractère immédiat, commencer par une opposition.
« Il est vrai que ce degré commence historiquement par la concilia­
tion accomplie dans le Christianisme ; mais celle-ci n' est encore qu'à
ses débuts et, pour la conscience, elle est accomplie seulement en soi :
c'est pourquoi il se produit tout d' abord une immense opposition qui
apparaîtra par la suite comme un Mal qui doit être supprimé. C'est
l' opposition entre le principe spirituel, religieux, et le monde séculier
qui se présente en face de lui. Ce monde séculier n' est plus le monde
du despotisme : c' est un monde chrétien et il doit en tant que tel deve­
nir adéquat à la vérité. De même, le monde spirituel doit progresser
jusqu'à reconnaître que l'Esprit doit se réaliser dans le monde. Dans la
mesure où tous les deux sont immédiats, dans la mesure où le monde
séculier ne s' est pas encore dépouillé de 1' arbitraire subjectif et
l'Esprit n'a pas reconnu le monde, ils se trouvent tous les deux en
conflit. Le progrès n' est donc pas une évolution tranquille et sans
heurts ; l' Esprit n' accomplit pas tranquillement sa réalisation.
L' histoire consiste en ceci que les deux côtés se-dépouillent de leur
unilatéralité, suppriment cette forme de la non-vérité. D'un côté, se
trouve la réalité vide qui doit se conformer à l' Esprit mais qui ne lui
est pas encore conforme : c' est pourquoi elle doit succomber. De
l' autre côté, le monde spirituel se présente d' abord comme un monde
ecclésiastique et s' engloutit dans la réalité extérieure ; de même que le
pouvoir séculier est dompté d' une manière extérieure, de même le
pouvoir ecclésiastique se laisse corrompre. [ . . . ]
« Ainsi apparaît le principe de la conciliation de l' Église et de
l' État par laquelle la spiritualité ecclésiastique (Geistlichkeit) acquiert
et trouve son concept et sa rationalité dans le monde séculier. Ainsi
disparaît l' opposition entre l' Église et ce qu' on appelle l' État ; ce der­
nier n' est plus inférieur à l'Église et ne lui est plus subordonné ; celle­
là ne conserve aucun privilège : l'Esprit n' est plus étranger à l' État. La
liberté a trouvé le moyen propre de réaliser son concept ainsi que sa
vérité. (Hegel) 5 42
»

« Contentons-nous ici de constater que le texte [ Gaudium et spes]


joue le rôle d'un contre-syllabus dans la mesure où il représente une
tentative pour une réconciliation officielle entre l' Église avec le
monde tel qu' il était devenu depuis 1 789. D'un côté, cette vue seule

542 Georg W. F. Hegel, La raison dans l 'histoire, op. cit. , p. 293 sq.
Mondialisme 283

éclaire le complexe de ghetto dont nous avons parlé au début ; et d'un


autre côté, elle seule permet de comprendre le sens de cet étrange vis­
à-vis de l' Église et du monde : par « monde » on entend, au fond,
l' esprit des temps modernes, en face duquel la conscience de groupe
de l' Église se ressentait comme un sujet séparé qui, après une guerre
tantôt chaude et tantôt froide, recherchait le dialogue et la coopéra­
tion. » (Cardinal Ratzinger) 5 43

« Mais ici le concept d' État est pris en un sens plus étendu. De
même, nous avons employé l' expression « royaume » pour désigner le
champ où se manifeste l' Esprit. [ . . . ]
« On peut se représenter de bien des manières le royaume de Dieu,
mais il s' agit toujours d'un royaume de l'esprit qui doit se réaliser
dans l' homme et passer dans l' existence. » (Hegel) 5 44

L'unification temporelle de l'humanité

L'unité spirituelle de l' humanité doit se manifester dans le monde, pré­


mices du royaume. On parvient ainsi à l' unité temporelle du genre humain,
conséquence immédiate de la perspective panthéiste. Et inversement, la vo­
lonté inflexible d' unir l' humanité ne peut provenir que de l'utopie pan­
théiste.

« À notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus


étroitement uni et où les relations entre les divers peuples augmentent,
l' Église examine plus attentivement quelles sont ses relations avec les
religions non chrétiennes. Dans sa tâche de promouvoir l' unité et la
charité entre les hommes, et même entre les peuples, elle examine ici
d' abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre
ensemble leur destinée.
« Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; »
(Vatican II, Nostra aetate, préambule)

« Puisque Dieu le Père est le principe et la fin de tous les hommes,


nous sommes tous appelés à être frères. Et puisque nous sommes des­
tinés à une seule et même vocation divine, nous pouvons aussi et nous
devons coopérer, sans violence et sans arrière-pensée, à la construc­
tion du monde dans une paix véritable. [ . . . ]

543 Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 427 .
544 Georg W. F. Hegel, La raison dans l 'histoire, op. cit. , p. 1 39 et 7 1 .
284 Le crucifiement de saint Pierre

« Parce que les liens humains s'intensifient et s'étendent peu à peu


à l'univers entier, le bien commun, c'est-à-dire cet ensemble de condi­
tions sociales qui permettent, tant aux groupes qu' à chacun de leurs
membres, d' atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus ai­
sée, prend aujourd'hui une extension de plus en plus universelle, et par
suite recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre
humain. Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes
aspirations des autres groupes, et plus encore du bien commun de
l' ensemble de la famille humaine. [ . . . ]
« Que tous prennent très à cœur de compter les solidarités sociales
parmi les principaux devoirs de l'homme d' aujourd' hui, et de les res­
pecter. En effet, plus le monde s'unifie et plus il est manifeste que les
obligations de l'homme dépassent les groupes particuliers pour
s'étendre peu à peu à l'univers entier. Ce qui ne peut se faire que si les
individus et les groupes cultivent en eux les valeurs morales et socia­
les et les répandent autour d' eux. Alors, avec le nécessaire secours de
la grâce divine, surgiront des hommes vraiment nouveaux, artisans de
l'humanité nouvelle. [ . . . ]
« L' Église reconnaît aussi tout ce qui est bon dans le dynamisme
social d' aujourd' hui, en particulier le mouvement vers l'unité, les pro­
grès d'une saine socialisation et de la solidarité au plan civique et éco­
nomique. En effet, promouvoir l'unité s'harmonise avec la mission
profonde de l' Église, puisqu'elle est « dans le Christ, comme le
« sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l' union
« intime avec Dieu, et de l'unité de tout le genre humain ». [ . . . ]
« En même temps, l' accroissement des échanges entre les différen­
tes nations et les groupes sociaux découvre plus largement à tous et à
chacun les richesses des diverses cultures, et ainsi se prépare peu à peu
un type de civilisation plus universel qui fait avancer l' unité du genre
humain et l' exprime, dans la mesure même où il respecte mieux les
particularités de chaque culture. » (Vatican II, Gaudium et spes, 92.5,
26. 1 , 30.2, 42.3 , 54)

L'apologie du mondialisme

Il semble à peine nécessaire de rappeler que l'instauration d'un gouver­


nement mondial est un objectif maçonnique et gnostique poursuivi avec
ténacité depuis de nombreux siècles et qui découle immédiatement de la
perspective panthéiste. Ce millénarisme naturaliste s' oppose au catholicisme
qui identifie le royaume à l' Église et contrecarre la volonté de la sainte
Vierge qui demande la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé.
Mondialisme 285

« Collaboration à l'échelle mondiale


« Dimensions mondiales de tout problème humain important
« Les progrès des sciences et des techniques dans tous les domai-
nes de la vie sociale multiplient et resserrent les rapports entre les na­
tions, rendent leur interdépendance toujours plus profonde et vitale
[ 1 96 1 ] .
« Par suite, on peut dire que tout problème humain de quelque im­
portance, quel qu' en soit le contenu, scientifique, technique, économi­
que, social, politique, culturel, revêt aujourd'hui des dimensions su­
pranationales et souvent mondiales.
« C'est pourquoi, prises isolément, les communautés politiques ne
sont plus à même de résoudre convenablement leurs plus grands pro­
blèmes par elles-mêmes et avec leurs seules forces, même si elles se
distinguent par une haute culture largement répandue, par le nombre et
l' activité de leurs citoyens, par l' efficience de leur régime économi­
que, par l' étendue et la richesse de leur territoire. » (Jean XXIII, Mater
et magistra) 545

« Ce sont [les normes de conduite des hommes] qui indiquent clai­


rement leur conduite aux hommes, qu' il s' agisse des rapports des in­
dividus les uns envers les autres dans la vie sociale ; des rapports entre
citoyens et autorités publiques au sein de chaque communauté politi­
que ; des rapports entre les diverses communautés politiques ; enfin
des rapports entre ces dernières et la communauté mondiale, dont la
création est aujourd'hui si impérieusement réclamée par les exigences
du bien commun universel. [ . . . ]
« De nos j ours [ 1 963], le bien commun universel pose des problè­
mes de dimensions mondiales. Ils ne peuvent être résolus que par une
autorité publique dont le pouvoir, la constitution et les moyens
d' action prennent eux aussi des dimensions mondiales et qui puisse
exercer son action sur toute l' étendue de la terre. C'est donc l' ordre
moral lui-même qui exige la constitution d'une autorité publique de
compétence universelle. [ . . . ]
« Nous désirons donc vivement que l' organisation des Nations
Unies puisse de plus en plus adapter ses structures et ses moyens
d' action à l'étendue et à la haute valeur de sa mission. » (Jean XXIII,
Pacem in terris, 7, 1 37, 1 45)

545 Nous avons effectué l a critique d e la rhétorique maçonnique utilisant les prétendus pro­
blèmes globaux et systémiques dans notre Empire écologique. Dès 1 96 1 , la propagande ma­
çonnique n'hésitait pas à affirmer que tous les problèmes importants étaient globaux.
286 Le crucifiement de saint Pierre

On comprend alors la réaction maçonnique suivante :

« LA LUMIERE D U GRAND ARCHITECTE DE L ' UNIVERS


ILLUMINE LE VA TICAN
« De manière générale, l' encyclique Pacem in terris, adressée à
tous les hommes de bonne volonté, a été accueillie avec soulagement
et espoir. Les démocraties et les pays communistes l' ont louée. [ . . . ]
« Bien des concepts et des doctrines qu' elle contient nous sont fa­
miliers. Nous les avons entendus dans la bouche d' illustres frères [ma­
çons] rationalistes, libéraux et socialistes. Après avoir pesé avec atten­
tion le sens de chaque mot, et malgré les inepties [rubbish] typiques et
proverbiales des productions littéraires du Vatican qu' elle contient,
l'encyclique Pacem in terris est une vigoureuse exposition de la doc­
trine maçonnique. En tant que destinataires de cette encyclique, puis­
que nous sommes des hommes de bonne volonté, nous n'hésitons pas à
en recommander la lecture attentive. [ . . . ]
« Jean XXIII ajoute que le bien commun universel pose des pro­
blèmes d 'ampleur universelle qui ne peuvent être abordés ou résolus
correctement si ce n 'est par des pouvoirs publics ayant la possibilité
de travailler réellement au niveau mondial. C' est la vieille idée du
gouvernement mondial [ . . . ] .
« Bien que située au début de l' encyclique, l a déclaration suivante
mérite que nous concluions par elle, puisqu'elle constitue l'essence
même de la doctrine maçonnique : « Chacun a le droit d'honorer
« Dieu suivant la juste règle de la conscience et de professer sa
« religion dans la vie privée et publique. »546 [ ] . • •

« Nous louons la bonne volonté du Pontife de la Tolérance. Sa


doctrine humaniste mérite notre respect. (Masonic Bulletin) 547
»

« Fonds mondial
« Il faudrait encore aller plus loin. Nous demandions à Bombay la
constitution d'un grand Fonds mondial alimenté par une partie des dé­
penses militaires, pour venir en aide aux plus déshérités. Ce qui vaut
pour la lutte immédiate contre la misère vaut aussi à l' échelle du déve­
loppement. Seule une collaboration mondiale, dont un fonds commun
serait à la fois le symbole et l'instrument, permettrait de surmonter les

546 Jean XXIII, Pacem in terris, 14.


547 Masonic Bulletin, année 1 8, n° 220, May 1 963. Bulletin officiel du Conseil suprême des
33 o degré du Rite écossais ancien et accepté du district maçonnique du Mexique, 56 Lucema
Street, Mexico, D.F. Cité par R. Joaquin Sâenz y Arriaga, The new montinian Church, op. cit. ,
p. 1 47 sq.
Mondialisme 287

rivalités stériles et de susciter un dialogue fécond et pacifique entre


tous les peuples. [ . . . ]
« Vers une autorité mondiale efficace
« Cette collaboration internationale à vocation mondiale requiert
des institutions qui la préparent, la coordonnent et la régissent, jusqu ' à
constituer u n ordre universellement reconnu. D e tout cœur, Nous en­
courageons les organisations qui ont pris en main cette collaboration
au développement, et souhaitons que leur autorité s' accroisse. « Votre
« vocation, disions-Nous aux représentants des Nations unies à New
« York, est de faire fraterniser, non pas quelques-uns des peuples,
« mais tous les peuples [ . . . ]. Qui ne voit la nécessité d' arriver ainsi
« progressivement à instaurer une autorité mondiale en mesure d' agir
« efficacement sur le plan juridique et politique ? (Paul VI, Populo­
»

rum progressio, 5 1 , 78)

« Pendant ce temps, la conviction grandit que le genre humain peut


et doit non seulement renforcer sans cesse sa maîtrise sur la création,
mais qu' il peut et doit en outre instituer un ordre politique, social et
économique qui soit toujours plus au service de l' homme, et qui per­
mette à chacun, à chaque groupe, d' affirmer sa dignité propre et de la
développer. [ . . . ]
« Quant aux nations, elles ne cessent d' accomplir de courageux ef­
forts pour parvenir à une certaine forme de communauté universelle.
[ . ]
. .

« La guerre, assurément, n' a pas disparu de l' horizon humain. Et


aussi longtemps que le risque de guerre subsistera, qu' il n'y aura pas
d' autorité internationale compétente et disposant de forces suffisantes,
on ne saurait dénier aux gouvernements, une fois épuisées toutes les
possibilités de règlement pacifique, le droit de légitime défense. [ . . . ]
« Vers l 'absolue proscription de la guerre.
« L 'action internationale pour éviter la guerre.
« Il est donc clair que nous devons tendre à préparer de toutes nos
forces ce moment où, de 1' assentiment général des nations, toute
guerre pourra être absolument interdite. Ce qui assurément, requiert
l' institution d' une autorité publique universelle, reconnue par tous, qui
jouisse d' une puissance efficace, susceptible d' assurer à tous la sécuri­
té, le respect de la justice et la garantie des droits. Mais, avant que
cette autorité souhaitable puisse se constituer, il faut que les instances
internationales suprêmes d' aujourd'hui s' appliquent avec énergie à
l'étude des moyens les plus capables de procurer la sécurité commune.
Comme la paix doit naître de la confiance mutuelle entre peuples au
lieu d'être imposée aux nations par la terreur des armes, tous doivent
288 Le crucifiement de saint Pierre

travailler à mettre enfin un terme à la course aux armements. Pour que


la réduction des armements commence à devenir une réalité, elle ne
doit certes pas se faire d' une manière unilatérale, mais à la même ca­
dence, en vertu d' accords, et être assortie de garanties véritables et ef­
ficaces. [ . . . ]
« En outre, comme ces maux se retrouvent dans les rapports entre
les nations elles-mêmes, il est absolument indispensable que, pour les
vaincre ou les prévenir, et pour réprimer le déchaînement des violen­
ces, les institutions internationales développent et affermissent leur
coopération et leur coordination ; et que l'on provoque sans se lasser
la création d' organismes promoteurs de paix. [ . . . ]
« Pour atteindre ces fins, les institutions de la communauté interna­
tionale doivent, chacune pour sa part, pourvoir aux divers besoins des
hommes aussi bien dans le domaine de la vie sociale (alimentation,
santé, éducation, travail s'y rapportent), que pour faire face à maintes
circonstances particulières qui peuvent surgir ici ou là : par exemple,
la nécessité d' aider la croissance générale des nations en voie de déve­
loppement, celle de subvenir aux misères des réfugiés dispersés dans
le monde entier, celle encore de fournir assistance aux émigrants et à
leurs familles.
« Les institutions internationales déjà existantes, tant mondiales
que régionales, ont certes bien mérité du genre humain. Elles appa­
raissent comme les premières esquisses des bases internationales de la
communauté humaine tout entière pour résoudre les questions les plus
importantes de notre époque : promouvoir le progrès en tout lieu de la
terre et prévenir la guerre sous toutes ses formes. (Vatican II, Gau­
»

dium et spes, 9. 1 et 9.3, 79.4, 82. 1 , 83, 84.2-3)

« Nous serions tenté de dire que votre caractéristique reflète en


quelque sorte dans l' ordre temporel ce que notre Église Catholique
veut être dans l' ordre spirituel : unique et universelle. On ne peut rien
concevoir de plus élevé, sur le plan naturel, dans la construction idéo­
logique de l'humanité. Votre vocation est de faire fraterniser, non pas
quelques uns des peuples, mais tous les peuples. Entreprise difficile ?
« Sans nul doute. Mais telle est 1 ' entreprise, telle est votre très no­
ble entreprise. Qui ne voit la nécessité d' arriver ainsi progressivement
à instaurer une autorité mondiale en mesure d' agir efficacement sur le
plan juridique et politique ? [ . . . ]
« Ici s' instaure un système de solidarité, qui fait que de hautes fi­
nalités, dans l' ordre de la civilisation, reçoivent l' appui unanime et or­
donné de toute la famille des Peuples, pour le bien de tous et de cha­
cun. C' est ce qu' il y a de plus beau dans l' Organisation des Nations
Mondialisme 289

Unies, c' est son visage humain le plus authentique ; c' est l' idéal dont
rêve l'humanité dans son pèlerinage à travers le temps ; c' est le plus
grand espoir du monde ; Nous oserons dire : c' est le reflet du dessein
de Dieu - dessein transcendant et plein d' amour - pour le progrès de
la société humaine sur la terre, reflet où Nous voyons le message
évangélique, de céleste, se faire terrestre. [ . . . ]
« Ce que vous proclamez ici, ce sont les droits et les devoirs fon­
damentaux de l' homme, sa dignité, sa liberté, et avant tout la liberté
religieuse. Nous sentons que vous êtes les interprètes de ce qu' il y a de
plus haut dans la sagesse humaine, Nous dirions presque : son carac­
tère sacré. » (Paul VI, Discours à l 'ONU du 4 octobre 1 965, 3, 6)

« À ce sujet, je désire rappeler notamment : la réforme du système


commercial international, grevé par le protectionnisme et par le bila­
téralisme grandissant ; la réforme du système monétaire et financier
international, dont on s' accorde aujourd'hui [ 1 987] à reconnaître
l'insuffisance ; le problème des échanges des technologies et de leur
bon usage ; la nécessité d 'une révision de la structure des Organisa­
tions internationales existantes, dans le cadre d'un ordre juridique in­
ternational. [ . . . ]
« Les Institutions et les Organisations existantes ont bien travaillé à
l' avantage des peuples. Toutefois, affrontant une période nouvelle et
plus difficile de son développement authentique, l' humanité a besoin
aujourd'hui d' un degré supérieur d 'organisation à l 'échelle interna­
tionale, au service des sociétés, des économies et des cultures du
monde entier. » (Jean Paul II, Sollicitudo rei socialis, 43)

« C' est à partir de là que les diverses questions [portant sur la réa­
lisation concrète de l' unité du genre humain] devraient et pourraient
trouver une réponse. Je me contenterai d'une seule indication. G. Phi­
lips, l' auteur principal du texte conciliaire sur l' Église, dit avec raison
dans son commentaire : « L' Église est aussi sacrement de l'union avec
« Dieu, et par là de l'union réciproque des croyants dans un commun
« élan d' amour. Il est vrai que ce n'est pas sa tâche propre d' avoir
« directement en vue 1' établissement de la paix mondiale : la tâche de
« bâtir une organisation planétaire de la paix appartient aux peuples.
« Mais l'unité de l' Église est une incitation permanente à la réalisation
« de cet idéal . . . 5 48 Egalement, si une organisation temporelle d'unité
« au plan mondial et la construction du Royaume de Dieu universel

548 G. Philips, L 'Église et son mystère au Second Concile du Vatican, Tournai, éditions Des­
clée, 1 967, I, p. 7 4.
290 Le crucifiement de saint Pierre

« par Jésus-Christ demeurent des réalités bien distinctes, ce serait être


« aveugle que nier l'interaction qui les relie l'une à l' autre »549 • »
(Cardinal Ratzinger)55 0

« Pour le gouvernement de l' économie mondiale, pour assainir les


économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de
plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarme­
ment intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour
assurer la protection de 1' environnement et pour réguler les flux mi­
gratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité po­
litique mondiale telle qu' elle a déjà été esquissée par mon Prédéces­
seur, le bienheureux Jean XXIII. [ . . . ] Cette Autorité devra en outre
être reconnue par tous, jouir d'un pouvoir effectif pour assurer à cha­
cun la sécurité, le respect de la justice et des droits. Elle devra évi­
demment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les
différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les
divers forums internationaux. » (Benoît XVI, Caritas in veritate, § 67)

« Huitième thèse. - On peut considérer l' histoire de l' espèce hu­


maine dans son ensemble comme la réalisation d'un plan occulte de la
nature pour faire naître une constitution politique intérieurement et,
dans ce but, aussi extérieurement parfaite - c' est-à-dire une organisa­
tion générale cosmopolitique qui soit la matrice dans laquelle viennent
à se développer toutes les dispositions originelles de l' espèce hu­
maine. » (Kant)55 1

« Dans les pages qui suivent, je me propose de montrer aussi rapi­


dement que possible que, dans tous les domaines sur lesquels les théo­
logiens libéraux insistent le plus, leurs propositions auraient sans au­
cun doute des effets coercitifs. Presque toutes les propositions
contemporaines destinées à libéraliser l' Église amèneraient la tyrannie
dans le monde. Car de nos jours, libérer l'Église ne signifie pas la libé­
rer dans toutes les directions. Cela signifie libérer cet ensemble de
dogmes dits scientifiques, les dogmes du monisme, du panthéisme, de
l' arianisme et de la nécessité. En les examinant un par un, je montrerai
que chacun d' entre eux est un allié naturel de l' oppression. C' est un
fait digne d' être remarqué (mais en réalité peu étonnant quand on y ré-

549 Ibid. , p. 76.


55° Cardinal Ratzinger, Les principes de la théologie catholique, op. cit. , p. 56.
55 1 Emmanuel Kant, /dea di una storia universale dai punta di vista cosmopolitico, dans
Scritti politici, p. 1 34 et 1 36. Cité par le cardinal Joseph Siri dans Gethsémani, op. cit. , p. 229
sq.
Mondialisme 29 1

fléchit) que la plupart des choses s' allient à l' oppression. Il n'y a
qu'une chose qui ne peut franchir un certain seuil dans son alliance
avec l' oppression, c'est l' orthodoxie. Il est pourtant vrai que je peux
déformer l' orthodoxie pour qu' elle justifie en partie un tyran. » (Ches­
terton) 55 2

Puisque le Royaume se réalise sous nos yeux en incluant toutes les reli­
gions (et les systèmes politiques totalitaires), il est inutile de prêcher le rè­
gne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quinze siècles d'histoire de
l' Église sont reniés, effacés en un instant tandis que la société mondiale tout
entière se précipite dans 1' abîme du mondialisme et de la spiritualité glo­
bale, antichristique, dans la voie de la perdition.

552 Gilbert K. Chesterton, Orthodoxy, London, The Bodley Head, 1 957, p. 2 1 3 , 2 1 4.


CHAPITRE XII

Fatima

« Le père José dos Santos Valinho, salésien, est le neveu de sœur


Lucia et il a avec elle un rapport préférentiel. Dans une interview ac­
cordée peu avant la révélation du secret, il a confié : « J' estime que
« cette partie du secret concerne l' Église, en son intérieur. Il s' agit
« peut-être de difficultés doctrinales, de crises d' unité, de
« déchirements, de rébellions, de divisions. La dernière phrase du
« mémoire de ma tante, qui précède la partie encore inconnue du
« secret, dit : "Le dogme de la foi se conservera toujours au Portugal".
« Le passage que nous ne connaissons pas commence après. Mais il
« fait comprendre que le sujet de la partie manquante pourrait être lié à
« la dernière affirmation connue, et donc que ce dogme pourrait
« vaciller dans d' autres parties de l'Église ».
« Il n'est pas le seul à avoir avancé ce genre d'hypothèses.
« La grande apostasie
« Au fil des années, les bruits les plus disparates ont couru sur le
secret de Fatima. Le plus fréquent concernait la perte de la foi de la
part d' une multitude de chrétiens. En d' autres termes, la Vierge aurait
prédit une grande apostasie. S ' agit-il seulement d' une légende ?
« C' est ce qu' il semble, à la lumière de la révélation du Vatican.
Mais le problème est que ce genre de légendes a été corroboré au
cours des années par des personnes qui étaient venues à la connais­
sance du secret grâce à leur fonction. Tosatti consacre un chapitre en­
tier à Cinquant 'anni di indiscrezioni eccellenti [Cinquante ans
d' indiscrétions excellentes ndr] . Nous en citons quelques-unes.
« Mgr Alberto do Amaral, évêque émérite de Fatima, affirme dans
une conférence en 1 984 : « Le secret de Fatima ne parle ni de bombe
« atomique, ni de têtes nucléaires [ . . . ] . La perte de la foi d'un
« continent est pire que la destruction d' une nation ; et il est vrai que
« la foi diminue continuellement en Europe. La perte de la foi
« catholique dans l' Église est bien plus grave qu' une guerre
« nucléaire » (déclaration démentie en 1 986, mais reconfirmée ensuite
en mars 1 995).
« Le cardinal Alfredo Ottaviani a dit dans une conférence en 1 967 :
« J' ai eu la grâce et le don de lire le texte du troisième secret. [ . . . ] Je
« peux seulement vous dire ceci : que des temps très difficiles
Fatima 293

« viendront pour l' Église et qu' il faut beaucoup de prières pour que
« l' apostasie ne soit pas trop grande ».
« On trouve aussi des indiscrétions « excellentes » citées et docu­
mentées dans le livre de Socci. Mgr Capovilla, secrétaire de Jean
XXIII, lui aussi certainement au courant du secret, répond par écrit à
une interview en 1 978. À la question de savoir si le secret fait expres­
sément référence à la hiérarchie ecclésiastique, à la Russie ou à une
« crise religieuse du monde », il répond en écartant les deux premières
hypothèses, mais ne dit rien de la troisième. Le contenu d'une lettre
que le cardinal Luigi Ciappi, qui a longtemps été le théologien de la
Maison pontificale, adresse au professeur Baumgartner, est encore
plus explicite. Dans cette missive, écrite en 2000 mais publiée en mars
2002, le cardinal révèle : « Dans le troisième secret, il est prédit, entre
« autre, que la grande apostasie de l' Église commencera par son
« sommet ».
« Tous menteurs ? Et s ' il n'en est pas ainsi, faut-il croire que le
Vatican a publié un faux ? Les choses sont un peu plus complexes. Sur
la base d'une série d' indices et de témoignages concordants, de nom­
breux critiques de la version officielle sont convaincus que le secret
serait fait en réalité de deux parties distinctes, et que celle qui a été ré­
vélée en 2000, écrite sur quatre feuillets, ne serait qu' une des deux
parties et aurait toujours été gardée dans les archives du Saint-Office.
L' autre partie, encore secrète, écrite sur un seul feuillet, serait toujours
restée dans l' appartement des Papes. » (30 Jours) 553

« Supposez, cher ami, que le communisme ne soit que le plus


« visible des organes de subversion contre l' Église et contre la
« tradition de la révélation divine, alors nous allons assister à
« l' invasion de tout ce qui est spirituel, la philosophie, la science, le
« droit, 1 ' enseignement, les arts, la presse, la littérature, le théâtre et la
« religion. Je suis obsédé par les confidences de la Vierge à la petite
« Lucie de Fatima. Cette obstination de la Bonne Dame devant le
« danger qui menace l' Église, c' est un avertissement divin contre le
« suicide que représenterait l' altération de la foi, dans sa liturgie, sa
« théologie, et son âme. » Pie XII s' arrêta un moment. « J' entends
« autour de moi des novateurs qui veulent démanteler la Chapelle
« Sacrée, détruire la flamme universelle de l' Église, rejeter ses
« ornements, lui donner le remords de son passé historique. [ . . . ]
« Ces sous-développés [des pays de mission] sauveront l'Église,
« Eminence. Un jour viendra où le monde civilisé reniera son Dieu, où

553 30 Jours, juin-j uillet 2007 . http://www.30giorni.it/fr/articolo.asp?id= l 4859


294 Le crucifiement de saint Pierre

« l' Église doutera comme Pierre a douté. Elle sera tentée de croire que
« l' homme est devenu Dieu, que son Fils n' est qu'un symbole, une
« philosophie comme tant d' autres, et dans les églises, les chrétiens
« chercheront en vain la lampe rouge où Dieu les attend, comme la
« pécheresse criant devant le tombeau vide : Où l' ont-ils mis ? (Car­ »

dinal Pacelli, futur Pie XII) 554

Or on sait que la sainte Vierge avait demandé que le troisième secret fût
révélé en 1 960, soit peu de temps avant V atic an II : car tout le cycle de Fa­
tima s' oppose aux divagations conciliaires. Les enfants ont vu l' enfer, rap­
pelant la gravité du péché, son châtiment et l'urgence de notre sanctifica­
tion. La très sainte Vierge a insisté sur la prière et la pénitence, pénitence
qui a disparu du vocabulaire conciliaire. La Russie doit être consacrée au
Cœur Immaculé de Marie, condamnant l' orthodoxie et également le protes­
tantisme qui nie le rôle de médiatrice de Marie. La constitution divine et
hiérarchique de l'Église catholique est rappelée sans ambiguïté puisque le
saint Père doit effectuer la consécration en union avec les évêques du monde
entier.

554 Monseigneur Georges Roche et Philippe Saint Germain, Pie XII devant l 'histoire, Paris,
Robert Laffont, 1 972, p. 52 sq.
CONCLUSION

« Le Maître est là, et Il t' appelle. »


(Jn 1 1 , 28)

a doctrine maçonnique s'oppose frontalement à la Révélation. Tan­


L dis que Dieu se révèle comme Créateur de l'homme et de l'univers,
la maçonnerie affirme que nous émanons de Lui, que nous sommes
d' essence divine. Tandis que Dieu nous enseigne que sans sa grâce nous ne
pouvons rien faire, la doctrine maçonnique pose que notre nature est gra­
cieuse, car divine, que tout et tous retourneront au Principe lors de
l' apocatastase finale. Tandis que Dieu nous appelle et exige que nous coo­
périons à notre sanctification, que nous accroissions notre justice par nos
bonnes œuvres, la maçonnerie prétend que seule la gnose peut nous délivrer
de l' illusion, de l' oubli de notre divinité. La maçonnerie confond la nature et
la grâce, le Créateur et la créature.
Ces oppositions théologiques et philosophiques irréductibles aboutissent
à des spiritualités antagonistes. L'humilité, qui est à la racine des vertus ca­
tholiques, est niée au profit de l' orgueil de la créature qui entend s' élever
jusqu' au trône du Très-Haut. Les œuvres de miséricorde sont remplacées
par un humanitarisme que ne trouble ni l' avortement, ni l' euthanasie, ni
l'eugénisme. Dans l' ordre politique enfin, la vision holistique et panthéiste
de la maçonnerie aboutit àu totalitarisme, au socialisme, au communisme et
au mondialisme tandis que le Dieu créateur inspirait aux hommes une socié­
té hiérarchique et légitimait visiblement l' autorité des gouvernants.
Nous avons montré que, malgré ces oppositions irréductibles, la doctrine
maçonnique rend compte de l' essence de Vatican II, de son antagonisme
signalé avec les conciles antérieurs. Puisque nous sommes tous Dieu, puis­
que « le Fils de Dieu s' est uni à chaque homme », le péché n' est pas
condamné ; l' enfer existe, mais reste vide ; l'homme est doté d'une dignité
sans pareille. Puisque nous sommes tous Dieu, le salut est universel, collec­
tif et cosmique ; l'homme est un dieu qui s ' ignore, qui doit prendre cons­
cience de sa divinité ; l' Église ne doit plus apporter le salut mais annoncer
aux hommes qu' ils sont tous déjà sauvés : « l' Église est le sacrement de
l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain » ainsi que
« le sacrement universel du salut ». Puisque nous sommes tous Dieu, nous
avons tous droit à la liberté religieuse et à professer la religion de notre
choix ; les mérites de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ n' ont plus à
être appliqués à nos âmes et la messe tend à devenir une simple action de
grâce qui doit nous révéler notre salut. Puisque nous sommes tous Dieu,
296 Le crucifiement de saint Pierre

Dieu se réalise dans le temps et dans le monde, parvient à sa propre cons­


cience grâce au processus historique et à notre collaboration. Le temporel et
l' eschatologique se mélangent ; l'humanité doit s'unifier sous une autorité
mondiale unique et se doter d' une spiritualité globale qui verra l' apothéose
du mondialisme. Est-il nécessaire de rappeler que toutes ces thèses ont été
condamnées par le magistère anté-conciliaire ou s' opposent frontalement à
la doctrine catholique ?
*

* *

Nous avons montré que la religion de Vatican II n'est pas la religion ca­
tholique mais une autre religion, d' inspiration gnostique, panthéiste et ma­
çonnique, qui ne garde que 1' apparence du catholicisme, que son discours,
pour réinterpréter tous ses dogmes dans un cadre naturaliste :

« [Il est] prêché actuellement comme étant possible une conserva­


tion des termes de la foi de la part de l' Église, tout en leur donnant peu
à peu un contenu nouveau, une christologie absolument contraire.
C'est-à-dire : nommer Incarnation la doctrine de l'élévation d'un
homme vers un point culminant où il y aurait rencontre avec un Dieu
« descendant » pour se communiquer Lui-même ; nommer christolo­
gie la théologie de l'élévation de l' homme. Nommer Fils de Dieu
l'homme perfectionné, l' homme « humanisé » selon Küng ; nommer
Église de Dieu l' association des hommes sous l' inspiration de
l'homme parfaitement humanisé. Et ainsi de suite à propos de toute
notion et de toute expérience et de toute révélation. » (Cardinal Siri) 555

La religion de Vatican II n'est plus la religion catholique, religion de la


Croix, de la pénitence, de la mortification55 6 et du renoncement, religion de
l' amour surnaturel de Dieu et du prochain. C'est une religion païenne, à la
gloire de l'homme, qui exalte son orgueil ; religion de la divinité de
l'homme. La religion du Dieu fait homme a été remplacée par la religion de
l'homme fait Dieu. La grâce ne tient plus aucune place dans une pareille
spiritualité : puisque nous sommes tous Dieu, quel besoin aurions-nous de

555 Cardinal Siri, Gethsémani, op. cit. , p. 34 1 .


55 6 Le Père Garrigou-Lagrange notait déj à : « Aussi quand les Ordres anciens ne gardent plus
ici et là l' Office de nuit voulu par leurs fondateurs, il semble que le Seigneur ne leur envoie
plus d ' aussi nombreuses et d'aussi vaillantes vocations ; et il suscite des Congrégations nouvel­
les qui ont dans leur règle une heure d' adoration nocturne. Car la prière ne doit cesser, ni nuit,
ni jour. » L 'Amour de Dieu et la Croix de Jésus, op. cit. , p. 742.
Conclusion 297

secours extérieurs ? Là où le catholique demande l' aide de Dieu pour porter


sa croix : « Sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 1 5 , 5) dans l' ordre sur­
naturel55 7 , le gnostique retient avidement son égalité avec Dieu.
La religion de Vatican II est donc incompatible avec le catholicisme.
Elle lui est même opposée : il s' agit d'une religion anticatholique. En oppo­
sition avec les discours de la nouvelle théologie, la très sainte Vierge nous a
rappelé à Fatima l' existence de l' enfer, l'urgence de notre sanctification,
1' erreur de 1' œcuménisme et les châtiments qui nous attendent si nous ne
nous convertissons pas. Le combat entre les deux Cités arrive ici à une étape
cruciale, aboutissement de siècles, de millénaires d' efforts révolutionnaires,
anticatholiques. On trouve à l' origine des erreurs conciliaires la doctrine du
panthéisme qui confond le Créateur et la créature, la nature et la grâce, la
gnose, que l' Église a combattue si vivement pendant les premiers siècles. La
religion de Vatican II est donc vraiment une religion anticatholique, basée
sur la perspective gnostique et panthéiste, ennemie bimillénaire du catholi­
cisme. Rappelons que cette vision du monde fut à 1' origine de bien des
maux dans l'histoire de l' Église et de l'humanité : persécutions des premiers
siècles, hérésies du Moyen-âge, Renaissance (du paganisme), Révolution
française, soviétique et chinoise, socialisme et communisme, mondialisme -
et, bien sûr, Vatican II et ses suites : l'instauration d'une spiritualité globale,
écologique et panthéiste. Le « bilan de l'histoire » de la gnose est véritable­
ment calamiteux.
Vatican II marque une rupture inouïe avec l' enseignement de l' Église,
rupture due à l' influence des idées maçonniques et gnostiques sur les Pères
conciliaires. Cette révolution bénéficie donc du soutien de toutes les puis­
sances de ce monde, de tous les ennemis de l' Église qui travaillent depuis
deux millénaires à sa destruction55 8 . Ceci nous assure qu' ils pèsent de tout
leur poids pour empêcher tout retour en arrière et pour aggraver la subver­
sion de la doctrine et de l' Église conciliaires. Et il est certain que cet élé­
ment doit peser également fort lourd dans l' analyse de la Rome actuelle : la
Rome conciliaire a été investie par la maçonnerie et prêche une doctrine
gnostique, panthéiste - la doctrine des ennemis de l' Église, qui ne recule­
ront devant rien pour ne pas relâcher leur emprise sur elle. Nul ne saurait
s 'interroger sur notre sainte Mère l 'Église en omettant de caractériser
l 'esprit qui a inspiré Vatican II et qui gouverne l ' Église conciliaire depuis
cinquante ans, esprit maçonnique et antichrétien.
Il est donc impossible d'interpréter les textes de Vatican II à la lumière
de la Tradition, malgré toutes les ambiguïtés dont ils ont été enveloppés.

557 Et naturel.
55 8 Jacques Crétineau-Joly, L 'Église romaine en face de la Révolution, Paris, Cercle de la re­
naissance française, 1 976.
298 Le crucifiement de saint Pierre

L'interprétation authentique des nouveautés de Vatican II et des encycliques


qui l' ont suivi a été donnée par les papes : elle est entièrement naturaliste,
panthéiste et gnostique. La seule interprétation possible de Vatican II à la
lumière de la Tradition est sa condamnation sans appel, que les papes anté­
conciliaires avaient d' ailleurs renouvelée par avance à de nombreuses repri­
ses. Aucun accord n'est possible entre le Christ et Bélial, entre le pan­
théisme et la doctrine de la création, entre l' affirmation de notre divinité et
la doctrine de la grâce. La confusion entre la nature et la grâce constitue
précisément le péché de l' ange55 9 . Vatican II, d'essence révolutionnaire,
n'est que le prolongement de la révolte contre Dieu. Paul VI et le cardinal
Ratzinger eux-mêmes convinrent que ses conséquences (et non ses princi­
pes) étaient 1' œuvre du diable (principes auxquels ils restèrent attachés et
qui méritent naturellement la même condamnation que leurs conséquen­
ces) :

« On aurait du mal à oublier 1 ' écho immense - et non pas seule­


ment ironique, mais parfois même rageur - suscité par un Pape, Paul
VI, quand, dans l' allocution prononcée lors de l' audience générale du
1 5 novembre 1 972, il revint sur ce qu' il avait déclaré le 29 juin pré­
cédent, à la basilique Saint-Pierre, faisant alors allusion aux conditions
de l' Église et confiant ceci : « J' ai la sensation que, par quelque fis­
sure, la fumée de Satan est entrée dans le temple de Dieu. Il avait »

ensuite ajouté que « si tant de fois dans 1' évangile, sur les lèvres du
Christ, revient le nom de cet ennemi des hommes de même pour no­ »,

tre temps, lui, Paul VI, croyait « en quelque chose de surnaturel et de


« contre-nature venu dans ce monde précisément pour ruiner, étouffer
« les fruits du Concile Œcuménique et empêcher l' Église d' éclater en
« hymne de JOie, en répandant le doute, l' incertitude, la
« problématique, l' inquiétude et l'insatisfaction5 60 . (Cardinal Ratzin­
»

ger) s 6 J

Face à de tels constats dressés par les papes conciliaires eux-mêmes, il


nous paraît nécessaire d' approfondir la connaissance de 1' ennemi, de ses
idées, de sa stratégie et de ses méthodes, de ses agents d'influence et de ses
hommes. L' influence des idées maçonniques sur le concile Vatican II nous
semble révéler une méconnaissance de la doctrine maçonnique et gnostique.

559
ST, I, q. 63, a. 3 .
560
Paul VI, A llocution lors de l 'audience générale du 2 9 juin 1 9 72.
561
Joseph, cardinal Ratzinger, Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 1 985, p. 1 64.
Conclusion 299
*

* *

Dans sa magnifique homélie prononcée lors des ordinations sacerdotales


du 29 juin 1 9825 62 , Monseigneur Lefebvre comparait la crise, la Passion de
l'Église à la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Lui qui est Dieu a vou­
lu souffrir dans son humanité, s' est humilié jusqu'à la mort sur la Croix et
permet que son Église soit outragée par ses ennemis, rassasiée d' opprobres
et réduite à l' impuissance comme il le fut, lui, le Maître du monde. Lui qui
possède la vision béatifique, qui par miracle nous a voilé sa gloire, voile la
divinité de son Église. Lui qui est tombé trois fois sur le chemin du calvaire
a permis que son corps mystique tombe lors de Vatican II et de la scanda­
leuse réunion interconfessionnelle d' Assise. Comme Notre-Seigneur Jésus­
Christ, l'Église est divine et humaine. Mais Dieu permet que l'on ne voie
plus que sa faiblesse humaine, comme l'on ne vit plus que la faiblesse hu­
maine du Seigneur lors de la Crucifixion.
Divine et humaine, l' Église souffre du naturalisme qui la réduit, autant
que faire se peut, à la dimension humaine. Le pape se refuse à user de son
charisme d'infaillibilité, à enseigner la doctrine divine, révélée, pour profa­
ner sa parole dans une sagesse humaine : Vatican II s'est voulu pastoral et
non dogmatique. La hiérarchie n'écoute plus les inspirations du Saint-Esprit
pour prêter l' oreille au tumulte du monde. D'institution divine, elle devrait
enseigner la doctrine de l' Église ; mais résistant à la grâce, cédant au natura­
lisme, elle se refuse à écouter la tradition et s' ouvre aux erreurs du monde,
ennemi de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le dogme catholique n' est plus
enseigné, remplacé par des erreurs maçonniques prêchées du haut de la
chaire de saint Pierre. Le refus de la grâce et des dons du Saint-Esprit,
conséquence immédiate du naturalisme, crucifie l'Église, l' écartèle entre sa
nature divine et sa nature humaine, à l' image du Sauveur sur la Croix.
Peut-être nous opposera-t-on la visibilité de l'Église. L'Église reste visi­
ble, une, sainte, catholique et apostolique, pour qui cherche Dieu véritable­
ment, de tout son cœur : visible dans ces siècles de sainteté, d' immolation
en union avec la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Visible dans son
histoire authentique, qui porte les marques de sa divinité, par tant de mira­
cles accumulés. Visible par la vérité qu' elle enseigne et qui seule peut étan­
cher la soif de l'homme, loin des allégations maçonniques et gnostiques qui
heurtent le sens commun, dont personne ne peut vivre et qui affirment de la
créature ce qui ne vaut que pour les Personnes de la très sainte Trinité. Visi-

562 Monseigneur Lefebvre, La Passion de l ' Église, disque compact, Séminaire Saint Pie X,
Ecône, 1 908 Riddes, Suisse. Se reporter également à la conférence du 2 1 juin 1 982.
300 Le crucifiement de saint Pierre

ble par les prophéties, les miracles et les Évangiles, qui sont comme la
preuve de leur propre authenticité. Visible par Notre-Seigneur Jésus-Christ,
par le Verbe fait chair, par qui Dieu nous enseigne une sagesse non­
humaine, surnaturelle. Et cette visibilité est certes amoindrie aujourd'hui.
Mais cet obscurcissement nous introduit dans le mystère de la Passion de
l' Église, de la Passion du Christ.
Il nous semble infiniment plus profitable, dans une perspective spiri­
tuelle, de vivre la Passion de l' Église que de s'interroger sur elle. « Un
glaive de douleur te transpercera l' âme. » Elle s' impose à nous comme l'un
des faits spirituels marquants du dernier siècle, qui ne peut être comparé
qu' aux apparitions de Fatima qui lui sont intimement reliées. Or la Passion
de l' Église est un « mystère » : comment l' Église, qui est infaillible et
sainte, peut-elle proposer à ses enfants et au monde un enseignement empoi­
sonné ? Comment peut-elle, dans un enseignement certes dépourvu de la
note d' infaillibilité, répéter les erreurs constamment condamnées de ses en­
nemis ? Il y a là un « mystère », lié à la constitution divine et humaine de
l' Église. Mais comme tout mystère, il nous faut en accepter les termes anti­
nomiques sans chercher à supprimer l'un d'eux et pénétrer ainsi dans
l' obscurité du mystère qui nous indique une vérité supérieure.
Les mystères de notre sainte religion n'étonnent plus guère : Dieu est
trine et un ; « le Verbe s' est fait chair, et il a habité parmi nous » ; le Fils de
Dieu a souffert sa Passion, est mort sur la Croix pour notre Rédemption : ô
inestimabilis dilectio caritatis, ut servum redimeres, Filium tradidisti ; la
très sainte Trinité habite dans l' âme des fidèles en état de grâce ; Dieu vient
dans nos âmes par les sacrements et en particulier par la sainte communion ;
le sacrifice de la Croix est représenté et se renouvelle sur les autels. Est-ce
l' habitude qui nous insensibilise à ces grands mystères qui devraient en­
flammer les âmes ? Pourquoi se scandaliser du mystère de la Passion du
corps mystique du Christ quand on vit de la Passion du Seigneur, du mys­
tère de sa Croix, des mystères de notre sainte religion ? Le Verbe s' est fait
chair, et il a habité parmi nous. Il souffrit sa Passion et fut crucifié. Lui, le
Fils de Dieu, 1 ' innocent, 1 ' agneau, s' est offert en sacrifice pour notre Ré­
demption. Mystère de la charité divine qui devrait nous convertir et nous
laisse trop souvent tièdes. On ne saurait méditer ne serait-ce que quelques
instants sur ce grand mystère de la Rédemption sans pressentir l' insondable
sagesse de Dieu, infiniment éloignée de tout naturalisme, de toute sagesse
humaine. « Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de
Dieu. » 5 63 Pourquoi s' étonner alors du mystère de la Passion de son Église ?
Comment ne pas voir la marque de Dieu dans cet abaissement et cette im­
molation ? Le mystère de la Passion de l' Église nous tourne vers Dieu. Il
563
Ro 1 1 , 3 3 .
Conclusion 301

nous montre sa justice, qui nous châtie de nos péchés, et sa miséricorde qui
relèvera son Église. Lui seul pourra la restaurer, la sauver des mains des
puissances de ce monde, toutes unies à sa perte. La « résurrection » du corps
mystique du Christ ne pourra plus être que purement surnaturelle, négation
éclatante du naturalisme gnostique. L' Église conciliaire a nié le surnaturel
par sa hiérarchie et · par là est venu le châtiment. Se privant volontairement
de l' assistance du Saint-Esprit en refusant d'enseigner, l' Église enseignante
a été réduite à répéter les gloses maçonniques, à véhiculer une doctrine na­
turaliste qui ne rencontre aucun écho et ne saurait vivifier. La Passion de
l' Église découle de la négation du surnaturel : niant sa dimension divine,
l' Église a été apparemment réduite à une assemblée humaniste, naturaliste.
Et comment ne pas voir dans cet abaissement les suites de la résistance à la
grâce manifestée par la hiérarchie lorsqu' elle a refusé d' accéder aux deman­
des de la Mère de Dieu ? Des calculs politiques, naturels, une prudence hu­
maine ont remplacé l'esprit de foi, d'espérance et de charité.
Oui, la Passion de l' Église est un mystère. Tous nous avons regretté,
hommes de peu de foi, de ne pas avoir vu Notre-Seigneur Jésus-Christ de
nos yeux de chair. Nous sommes témoins d'un autre mystère, l' Église cruci­
fiée devant nous et, comme saint Pierre fuyant Rome, dans nos pensées hu­
maines, privés de l' intelligence des choses de Dieu, nous osons demander
au Seigneur : « Quo vadis, Domine ? » « Lorsque tu abandonnes mon peu­
ple, je vais à Rome, pour qu' une fois encore on me crucifie ! . »
. .

Le mystère de la Passion de l' Église nous fait pénétrer dans le mystère


de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans le mystère de l' Église.
Tout le corps mystique (et le monde entier avec lui) souffre des erreurs de la
hiérarchie. « Je frapperai le pasteur, et les brebis seront dispersées. » (Mt 26,
3 1 ) À l' opposé de tout panthéisme, de toute collégialité, nous comprenons
mieux la structure hiérarchique, verticale, de l' Église, notre dépendance vis­
à-vis de la hiérarchie - et de Dieu. L' Église enseignante a refusé les messa­
ges du Ciel donnés à Fatima et l' ordre surnaturel ; c' est par l' Église ensei­
gnante, par un enseignement naturaliste et corrompu que le châtiment est
venu lors de Vatican II. La hiérarchie n'a pas cru qu' elle pouvait sanctifier
le monde par la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie.
Dieu lui prouve la puissance qu' il lui a véritablement conférée en la laissant
provoquer l'une des plus graves crises de l'histoire. Ici-bas, la hiérarchie est
le cœur de l' Église, corps mystique du Christ :

« Cœur de Jésus, source de vie et de sainteté, [ . . . ]


« Cœur de Jésus, rassasié d'opprobres,
« Cœur de Jésus, brisé de douleurs à cause de nos péchés,
« Cœur de Jésus, obéissant jusqu'à la mort,
« Cœur de Jésus, percé par la lance,
302 Le crucifiement de saint Pierre

« Cœur de Jésus, source de toute consolation,


« Cœur de Jésus, notre vie et notre résurrection,
« Cœur de Jésus, notre paix et notre réconciliation,
« Cœur de Jésus, victime des pécheurs. » 5 64

La Passion de l' Église nous unit plus intimement à la Croix du Seigneur.


Dieu nous fait ainsi une bien grande grâce en permettant ces épreuves pour
notre purification et notre sanctification.

« J' aime beaucoup me rappeler saint Pierre, qui fuyait la prison


lorsque Notre-Seigneur lui apparut et lui dit qu' il allait à Rome pour y
être crucifié de nouveau. Je ne récite jamais l'office de la fête où ce
trait est rapporté sans éprouver une consolation spéciale. Or quelles
furent les dispositions de saint Pierre après cette faveur de Notre­
Seigneur ? Que fit-il ? Il alla immédiatement au-devant de la mort, et
ce ne fut pas une petite miséricorde de Dieu pour lui de trouver quel­
qu' un qui la lui donnât. » (Sainte Thérèse d' Avila) 5 65

Par la Passion de l' Église, Dieu nous rappelle la valeur infinie de chaque
messe, la nécessité de la Croix, l' autorité qu'Il a concédée à l' épouse mysti­
que du Christ. Par une nuit de l'esprit, Dieu fait entrer son Église dans la
purification passive des vertus théologales de foi, d' espérance et de charité ;
pour espérer contre toute espérance, contre toute sagesse naturelle, humaine,
abandonnée « par la foi pure à l' obscurité, qui n' est autre chose que la nuit
de l'esprit et des puissances naturelles »5 66 , dans cette nuit de la charité,
pendant le calvaire de notre sainte Mère l' Église.
La très sainte Vierge a appelé avec insistance à la prière et à la pénitence
et à prier pour le saint Père ; à nous tourner vers les moyens surnaturels.
Puissions-nous, par nos prières et nos sacrifices offerts pour le pape et les
évêques, hâter la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie.
« À la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. »

* *

564 Litanies du Sacré-Cœur.


56 5 Sainte Thérèse d'Avila, Le château de l 'âme ou le Livre des demeures, op. cit. , p. 252.
5 66 Saint Jean de la Croix, Nuit obscure, II, 4.
Conclusion 303

« Lorsqu' ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils


de Jean, m' aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répondit : « Oui, Sei­
gneur, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes
agneaux. »
« Il lui dit une seconde fois : « Simon, fils de Jean, m' aimes-tu ? »
Pierre lui répondit : « Oui, Seigneur, vous savez bien que je vous
aime. » Jésus lui dit : « Pais mes agneaux. »
« Il lui dit pour la troisième fois : « M' aimes-tu ? » et il lui répon­
dit : « Seigneur, vous connaissez toutes choses, vous savez bien que je
vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes brebis. »
« En vérité, en vérité je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te
« ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras
« vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te mènera où
« tu ne voudras pas. »
« Il dit cela, indiquant par quelle mort Pierre devait glorifier Dieu.
Et après avoir ainsi parlé, il ajouta : « Suis-moi ».
« Pierre, s'étant retourné, vit venir derrière lui, le disciple que Jé­
sus aimait, celui qui, pendant la cène, s'était penché sur son sein, et lui
avait dit : « Seigneur, qui est celui qui vous trahit ? »
« Pierre donc, l' ayant vu, dit à Jésus : « Seigneur, et celui-ci que
deviendra-t-il ? »
« Jésus lui dit : « Si je veux qu' il demeure jusqu'à ce que je vienne,
que t' importe ? Toi, suis-moi ! »
« Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait
point. Pourtant Jésus ne lui avait pas dit qu' il ne mourrait pas, mais
"Si je veux qu' il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t' importe ?" »
(Jn 2 1 , 1 5-23)
INDEX 56s 59 73 1 05 1 09 1 24 Fatima 7 9 1 99 272 292s
1 5 3 1 6 1 1 64 1 66 1 95 s 297 300s
229 2 3 7 260
Abélard 236 conscience 14 34 45 49 Garrigou-Lagrange Père
Adam 25s 50s 69 88 59s 68 73 86s 89 1 03 1 6s 1 9s 23 9 1 1 55 236
1 03 s 1 07 1 2 1 s 1 29 1 34 1 07 1 1 5 1 24 1 28 1 49 296
1 40 1 46 1 5 1 s 1 60 1 84 1 5 3 1 55 1 59s 1 63 - 1 7 3 . Gaudium et spes 8 88
Ad gentes 1 05 création 1 3 s 44 4 6 5 8 1 03 s 1 08 1 1 0s 1 2 1 1 27
anthropocentrisme 87 7 2 s 82 9 1 9 7 1 00 1 07 1 3 1 1 3 5 s 1 39 1 52s 1 60
1 5 3 1 54 1 62 1 82 234 1 1 2s 1 1 6 1 28 1 36 1 43 1 7 1 s 1 78 1 83 1 8 5 1 87
238 1 46 1 48 1 76 1 83 1 86s 1 89 2 1 1 22 1 244 247
anthropologie 98 1 45 237 249 252-255 262 28 1 s 284 288
1 46 1 50 1 54 1 62 268 gnose 9 1 3 s 25 34 45s
apocatastase 25 36 45 s 48s 54 5 6 57s 63 69 73
52s 62 9 1 s 1 00 1 17 Daniélou cardinal 234s 75 7 8 s 8 8 s 9 1 s 1 09
1 42 1 82 238 249 279 Décret sur la justifica­ 1 22 1 24 1 49 1 55 1 59
295 tion 25s 1 3 5 1 49 1 5 5 1 6 1 s 1 74s 1 95 s 1 98
Apostolicam actuosi- Dei Verbum 1 70 1 87 27 1 2 1 8 s 223 225 s 228s
tatem 1 03 280 276 237s 244 253 256s 266
Atmâ 3 8 s 48 57 1 65 désarmement 288 290 268 278 284 295s 30 1
dialogue 1 27 1 65 1 83 gouvernement mondial
Balthasar von cardinal 205 2 1 2s 275 283 284 286
82 89 1 0 1 1 1 7 1 55 dignité 9 8 8 s 1 03 s 1 07 grâce 9 1 3 s 22s 25-33 34
Benoît XIV 1 94 203 207 1 1 0 1 1 3 1 24s 1 52s 1 5 8 45 s 49 52 56 58s 85
209 1 60s 1 66 1 7 1 1 93 s 87s l OOs 1 1 6 1 24s
Benoît XV 1 9 202s 2 1 9 240 249 269 1 27s 1 34s 1 4 1 s 1 44
Benoît XVI 1 O s 1 06s 28 1 287 289 1 48s 1 52 1 5 5 1 62 1 65
1 09 1 2 1 1 34 1 40 1 48 divinisation 45 s 1 00 1 69 1 7 1 1 77 1 82s 1 85 s
1 79 1 8 1 2 1 5 229 256 1 49s 1 89s 1 94 1 98s 2 1 8s
290 dualisme 1 8 72 1 1 2 258 223 225 s 229 232 237s
B ien et mal 62s 247 252 260 27 8s 295 s
Brahma 3 8 s 59 Écologie 7 41 7 8 1 43 Grand Tout 7 39 45 50
Bugnini Mgr 88 222 297 5 6 76 7 8 1 8 1 247s
Eglise sacrement 9 88 93 Guénon 34 37s 48 5 1
Cabale 40 5 1 5 3 s 62 68 1 74s 1 87 223 248 289 57s 7 1 s 76 80 92 1 46
70 74 76 79 89 92s 295 1 65 229 235 239s
2 1 8 238 249 257 émanation 13 1 6s 34s 45
Caritas in veritate 1 8 1 48s 92 1 0 1 1 34 1 42 Hegel 9s 17 62 68 1 49
290 1 75 1 97 253 295 1 67 1 74 1 96 252 256s
Casel 1 3 9 225s enfer 9 14 25 45 50 52 264s 28 1 s
Christus Dominus 1 92 54s 63s 66 88 1 1 6s hiérarchie 9 5 1 79 84 8 8
collégialité 8 8 1 86 1 92 1 22s 1 25 1 34 1 80 235 90 1 86 1 89 1 92 24 1 s
2 1 8 246 3 0 1 239 278 s 294s 297 293 s 299 30 1
connaissance (voir État 1 7 4 206 26 1 28 1 s histoire historicisme 93
gnose) 14 34 45 49s existential surnaturel 1 0 1 95 99 1 06 1 22 1 42 1 46
Conclusion 305

1 50 1 73 1 83 s 1 92 2 1 5s 277 Naturalisme 13 34 45 s
2 1 8 228 250 252s 259 libéralisme 44 85 8 8 s 1 00 101 131
26 1 278s 282s 290 296 liberté de conscience 1 34 1 59 1 74 1 99s 203
holisme 41 50s 88 1 34 1 93 s 1 99 20 1 203 206 2 1 3 2 1 5 260 274 284
1 39 1 74s 1 82 1 89 1 92 liberté religieuse 8s 8 8 296 298s
2 1 8s 242 247s 295 1 1 2 1 93 s 2 1 8 246 270 Nature 4 1 s 48 65 68 70
humanisme 75 89 Ill 289 295 non-manifesté 57 38 257
1 1 5 1 28 1 3 1 s 1 50 1 54 de Lubac cardinal 87 89 Nostra Aetate 8 8 1 3 3
1 59 1 79 2 1 8 286 296 1 0 1 1 0 8 1 34 1 40 210 213
301 Lumen gentium 94 1 05 Nouvel Âge 4 1 5 0 8 8
Humani generis 8 7 101 1 3 6s 1 4 3 s 1 67 1 76s 278
1 03 1 1 6 262 1 82s 1 90s 2 1 1 2 1 3 22 1 nouvelle théologie 14 9 1
Humanum genus 1 76 224 243 s 249s 278 1 34 297
200s 207 277 Luther 84 2 1 9
humilité 1 3 48 1 24s 1 5 5 Oecuménisme 7s 25 34
236 295 Maçonnerie 7 s 1 3 s 25 43 76s 8 8 1 1 1 1 32 1 74
34 43 47s 56s 62 7 1 74 1 86 1 93 s 2 1 8 246 297
Immanentisme 37 86s 85 88s 9 1 1 0 1 1 1 1 1 1 5 Optatam totius 2 1 4 244
1 07 1 72 1 89 262 1 27 1 3 1 1 34 1 39 1 45 orgueil 1 4 48 60 89 1 24s
illuminisme 27 52 60 1 48 1 50 1 64s 1 74s 1 49 1 99 295s
1 67 1 69 1 74 1 98 209 1 94s 207 s 2 1 3 2 1 5
2 1 2 229 247 286 2 1 7s 222 225 227 229 Pacem in terris 285s
initiation 49 52 56s 5 8 s 235s 239 247 252 256s paix 1 8 3 1 89 2 1 3 3 80
6 3 7 1 7 5 s 79 148 1 62s 284s 295 s 283 287s
1 74 1 96 198 200 2 1 3 mal 1 7s 5 3 5 5 62s 74 panthéisme 7 1 3 s 34 38s
226s 239 248 256s 1 00 1 3 8 1 76 1 96 200 46 74s 7 8 8 1 8 5 s 89s
interdépendance 285 238 258 26 1 268 282 9 1 s l OOs 1 34 1 39 1 42
Isis 41 43s 228 mal en Dieu 62s 267s 1 49 1 6 1 1 67 1 7 l s 1 74s
Marsaudon 8 34 49 5 1 s 1 82 1 89 1 92 1 96 200
Jean XXIII 34 1 7 8 285s 75 77 79 8 1 s 207s 2 1 4s 2 1 8s 225
290 293 Mater et magistra 285 227 229 237 242 247
Jean Paul II 10 84 91 93 messe 9 85 89 95 1 1 5 252s 256 259 26 1 s 268
95 1 04 1 1 1 1 1 3 s 1 1 8 2 1 8s 295 302 276 283s 290 295s
1 20s 1 27 1 29s 1 34 1 37 modernisme 9 87 1 64 Parole 22 1 s 229 244 247
1 40 1 42s 1 45 1 48s 1 5 1 1 66s 1 7 1 1 7 3 270 272 249
1 54 1 57s 1 6 l s 1 66 1 83 mondialisme 9 75 89s Pascendi 86 1 64 1 66
1 85 s 1 90 1 92 1 95 2 1 3 1 75 247 277s 297s 1 68 1 72s
2 1 6s 223 240 248 267 mystères (antiques) 42s pastoral (concile) 275s
269 275 s 280 289 64s 76 1 39 148 1 63 s 299
j ustification 23 25s 1 34s 220 2 2 3 s 226s 237 Paul VI 84 1 1 1 1 32 2 1 4
1 37s 1 49 1 55 249 Mystici corporis 1 86 224 2 1 9 22 1 287 289 298
mystère pascal 89 1 0 1 péché 9 25s 46 50 5 6 66
Lefebvre Mgr 44 1 48 1 37 1 5 3 220 223s 237 70 8 8 s 1 00 1 09 1 1 6s
2 1 9 222 299 278s 1 34s 1 40s 1 52 1 55 1 63
Léon XIII 85 1 75 s 200s 1 77 1 79s 2 1 9 223s 229
306 Le crucifiement de saint Pierre

23 1 s 237 242 267 294 1 2 1 s 1 28 s 1 36 1 40 1 43 Teilhard de Chardin 8 1 s


péché originel 9 26 1 00 1 5 8 1 79s 223s 229 232 89 98 1 0 1 1 45
1 1 6 1 22 1 4 1 1 63 1 79s 250 temps 1 4 43 45s 52 72
219 relation 69 1 60 181 263 s 9 1 s 1 5 1 252s 263
pélagianisme 1 23 269 283 tradition primordiale 75s
Peuple de Dieu 88 1 04s Révélation 42 7 5 s 80s 87 tradition vivante 1 67 1 7 3
1 3 1 1 4 1 1 48 1 62s 1 76 1 1 0 1 54 1 59 1 6 1 s 1 67s 2 5 2 s 269 275
1 8 3 1 85 s 1 89s 1 92 1 8 8 1 94 1 96s 200 209s
2 1 3 220 224 229 243 2 1 4 2 1 9 223s 228s Unitatis redintegratio
245 s 27 1 273 269s 293s 1 80 1 93 205 2 1 3 2 1 7
Pie IX 8 1 1 2 200 202 révélation continue 80s unité 1 7 s 3 9 4 1 50s 55
208 26 1 269 1 67 7 1 s 75s 7 8 s 87s 93 98s
Pie X (saint) 1 9 86s 1 64 1 2 1 s 1 24 1 29 1 35 s
1 66 1 70s 270 273 Sacerdoce commun des 1 39s 1 46 1 5 1 1 60 1 63
Pie XI 203 273 275 fidèles 222 24 1 s 1 74s 237 246 248 250
Pie XII 87 1 0 1 1 03 s 1 08 Sacrosanctum concilium 258 26 1 264s 27 3 280
1 1 6 1 86 220 222 224 1 36 1 63 2 1 3 22 1 243 s 283s 289
24 1 s 246 26 1 s 293s 246 unité du genre humain
Pike 34-79 1 64 salut collectif 1 39s 1 7 4 50s 75 80s 1 40 1 63
Populorum progressio salut cosmique 8 1 s 1 42s 1 74s 248 273 280 284
1 1 1 287 2 1 9 278 289
Presbyterorum ordinis salut universel 49s 1 34s unité du monde 15 1 64
244s 1 74 1 84s unité suprême 7 1 1 46
problèmes globaux et Satan 7 53 5 5 62s 65 69 unité transcendante des
systémiques 285 71 85 1 20 1 7 5 20 1 277 religions 1 93 s 2 1 7
progrès 86 99 1 52 1 54 298
1 72 1 8 8 20 1 297s 2 1 1 satisfaction vicaire 1 23
269s 280 282 284s 223 s 229s
288s Schuon 1 55
propitiation 26 89 1 76 serpent 62s 65 1 98
220s 224s 23 1 s 235s Siri cardinal 87 1 0 1 1 59
243 252 256 290 296
protestantisme 9s 25 7 8 sociétés secrètes 1 76 205
8 4 89 2 1 8s 22 1 2 3 3 207 s
246 266 2 7 3 294 Soi 37 59 1 64 2 3 8 240
Purusha 37 39 259
sous-développement 280
Rahner 9s 89 97 1 0 1 1 5 1 spiritualité globale 7 9s
1 60 252 256 13 41 7 5 s 1 95 26 1 273
réali sation 13 34 37 45 29 1 296s
49s 5 9 89 1 27 1 46 surdéveloppement 280
1 49s 1 74 1 79 1 96 2 1 4 Surnaturel (de Lubac)
228 235 238s 240 242 87 1 0 1
252 259s 282s 289 Syllabus 8 1 1 2 200 26 1
Rédemption 5 1 99 l l Os 269 282
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Première partie

La doctrine catholique et les thèses maçonniques

CHAPITRE PREMIER : La doctrine catholique de la Création . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13


CHAPITRE II : Le décret sur la justification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
CHAPITRE III : Les émanations gnostiques . . . . . . .. .. .. . . .. . .. .. .. . . .. . . .. . . . .. .. .. . . . . . . 34
Panthéisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Nature sacrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
CHAPITRE IV : Notre nature est gracieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
L' âme est divine ; notre nature est donc gracieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
L' homme est Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
La réalisation et le salut universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Salut universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
L 'unité du genre humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
La négation de l 'enfer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
Apocatastase . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
La réalisation par la gnose . . .. .. .. .. . . .. .. . . . . .. . . .. .. .. .. . . .. . . . . . . . . . . .. .. .. . . .. . . .. . . 56
L'initiation et la grâce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
CHAPITRE V : Le Bien et le mal en Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Satan et le serpent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Le principe du mal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
La résorption du mal en Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
Dieu est l' auteur du mal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
La synthèse du Bien et du mal en Dieu .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
C HAPITRE VI : La spiritualité globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
La tradition primordiale .. . . . .. .. . . . . . . . .. .. .. .. . .. .. . . . .. . . . . .. .. . .. . . .. .. . . . . . . . .. . . . . . .. . .. . . .. . 75
Œcuménisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76
La spiritualité globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Une nouvelle révélation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Le salut cosmique . . .. .. .. .. . . .. . . . . .. .. .. . . .. .. . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . .. .. .. . . . . . . . . . . .. .. . . . . . . . . .. 81
Seconde partie

Quo vadis, Domine ?

CHAPITRE PREMIER : Vatican II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . 84


Rappel de quelques faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
La recherche de la cause . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Tout Vatican II en découle immédiatement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
CHAPITRE II : Panthéisme .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . . 91
CHAPITRE III : Notre nature est gracieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 00
Notre nature est gracieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 1 03
Car le Fils de Dieu s'est uni à chaque homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 10
Le Père également . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 12
...................................................................................
Et le Saint-Esprit 1 13
CHAPITRE IV : Le péché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 16
Le péché n' est pas condamné ; l ' enfer existe, mais il est vide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 16
Le péché n 'est plus une injure faite à Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
La dignité de l' homme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . .. . . . . 1 24
Humanisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
CHAPITRE V : Le salut universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 34
Salut universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 35
Salut collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 39
Salut cosmique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . 142
CHAPITRE VI : La réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 49
L' homme est-il Dieu ? . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
La réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 55
Initiation .............................................................................................. 1 62
La conscience de notre divinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 64
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . .
La conscience, lieu de la Révélation 1 67
CHAPITRE VII : L' Église, sacrement de l' union intime avec Dieu
et de l' unité de tout le genre humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 74
L' unité du genre humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 74
L' Église, sacrement de l' union intime avec Dieu
et de l' unité de tout le genre humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 82
L' Église, sacrement universel du salut . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 84
L' Église du Christ, l ' Église du Dieu vivant et l' É glise catholique . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . 1 86
Le Peuple de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . 1 89
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La collégialité 192
CHAPITRE VIII : Liberté religieuse et œcuménisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . 1 93
La liberté religieuse et l ' œcuménisme, condamnés par le magistère . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 1 99
L' œcuménisme, conséquence du panthéisme maçonnique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
309

La liberté religieuse et l' œcuménisme, doctrine de Vatican II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212


L'œcuménisme réclame une conversion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
CHAPITRE IX : Le saint sacrifice de la Messe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 218
Le protestantisme et le concile Vatican II . 218
0 0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le saint sacrifice de la messe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 1 9


Le « mystère pascal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
» 223
La satisfaction vicaire selon le cardinal Ratzinger 229
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0

Le sacerdoce commun des fidèles . 24 1


0 0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE X : Historicisme, histoire du salut


et tradition vivante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
« » .

Dieu et le temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 3
Hegel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256
Hegel franc-maçon . .. .. . . . .. . . .. .. .. . . .. .. . .. . . .. . . . . .. .. .. .. . . . .. .. .. .. .. .. .. . . . . . .. .. .. . . 256
L' Être est le néant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Dualisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 8
Panthéisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
Historicisme . . . . . . .. .. .. .. . . . .. .. . . .. .. .. .. . . . . .. .. .. .. .. .. .. . . . .. .. .. . . .. . . . . . .. .. .. .. . .. .. . 259
La nature humaine est divine, gracieuse . . . .. . . .. . . . . .. . .. .. . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
Réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1
Spiritualité globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1
Historicisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 1
L' homme fait miséricorde à Dieu ; la douleur en Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267 0 0

La tradition vivante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269


La spiritualité globale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
CHAPITRE XI : Mondialisme . .. . . . . . . .. . . .. .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .. . . . . . . . .. . . . . . .. . . . . .. . . . . . . 277
Le mélange du temporel et de l' eschatologique 278
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 0 0 . . . . . .

L' unification temporelle de l'humanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283


L' apologie du mondialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
CHAPITRE XII : Fatima . . . .. .. . . . .. .. . . . . .. .. . .. .. .. .. . .. .. . . .. .. .. .. . . . .. .. .. .. . . . .. .. .. . .. .. .. .. . 292

CONCLUSION 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 •• 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 •• 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 • • • • • • 0 0 0 0 0 •• 0 0 0 295

INDEX · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 304

TABLE DES MATIERES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . 307

Achevé d ' imprimer en novembre 2009


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06620 LE BAR SUR LOUP
Dépôt légal novembre 2009

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