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La restauration
du capital naturel
en zones arides et
semi-arides
Allier santé des écosystèmes
et bien-être des populations
L’
Marc Bied-Charreton humanité doit dorénavant faire face à
Président du CSFD un problème d’envergure mondiale : la
Professeur émérite de l’Université désertification, à la fois phénomène naturel et
de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines processus lié aux activités humaines. Jamais la
Chercheur au C3ED-UMR IRD/UVSQ planète et les écosystèmes naturels n’ont été autant dégradés
par notre présence. Longtemps considérée comme un
problème local, la désertification fait désormais partie des
questions de dimension planétaire pour lesquelles nous
sommes tous concernés, scientifiques ou non, décideurs
politiques ou non, habitants du Sud comme du Nord. Il est
dans ce contexte urgent de mobiliser et de faire participer
la société civile, et dans un premier temps de lui fournir
les éléments nécessaires à une meilleure compréhension
du phénomène de désertification et de ses enjeux. Les
connaissances scientifiques doivent alors être à la portée
de tout un chacun et dans un langage compréhensible par
le plus grand nombre.
C’est dans ce contexte que le Comité Scientifique Français
de la Désertification a décidé de lancer une nouvelle série
intitulée « Les dossiers thématiques du CSFD » qui veut fournir
une information scientifique valide sur la désertification,
toutes ses implications et ses enjeux. Cette série s’adresse aux
décideurs politiques et à leurs conseillers du Nord comme
du Sud, mais également au grand public, aux journalistes
scientifiques, du développement et de l’environnement. Elle
a aussi l’ambition de fournir aux enseignants, aux formateurs
ainsi qu’aux personnes en formation des compléments
sur différents domaines. Enfin, elle entend contribuer à
la diffusion des connaissances auprès des acteurs de la
lutte contre la désertification, la dégradation des terres et
la lutte contre la pauvreté : responsables d’organisations
professionnelles, d’organisations non gouvernementales et
d’organisations de solidarité internationale.
Une douzaine de dossiers sont consacrés à différents thèmes
aussi variés que les biens publics mondiaux, la télédétection,
l’érosion éolienne, l’agro-écologie, le pastoralisme, etc., afin
de faire le point des connaissances sur ces différents sujets. Il
s’agit également d’exposer des débats d’idées et de nouveaux
concepts, y compris sur des questions controversées,
d’exposer des méthodologies couramment utilisées et des
résultats obtenus dans divers projets et enfin, de fournir des
références opérationnelles et intellectuelles, des adresses et
des sites Internet utiles.
Ces dossiers seront largement diffusés - notamment dans
les pays les plus touchés par la désertification - sous format
électronique à la demande et via notre site Internet, mais
également sous forme imprimée. Nous sommes à l’écoute
de vos réactions et de vos propositions. La rédaction, la
fabrication et la diffusion de ces dossiers sont entièrement
à la charge du Comité, grâce à l’appui qu’il reçoit des
ministères français. Les avis exprimés dans les dossiers
reçoivent l’aval du Comité.
1
Préface
C
e dossier thématique n°7 du CSFD aborde, végétales (pâturages, bois de feu, etc.). Aujourd’hui,
dans une démarche de communication, de même ces besoins les plus élémentaires ne peuvent
partage et de discussion, la présentation des être satisfaits. Il est temps de concevoir, proposer
éléments majeurs de l’approche que sous- et promouvoir une approche alternative de gestion
tend cette locution ‘Restauration du capital naturel’ environnementale qui soit socio-économiquement
appliquée aux zones arides et semi-arides. L’objectif équitable et écologiquement durable.
principal est (1) de participer à la promotion de cette
approche au sein des sociétés et des communautés La mise en place d’une telle approche requiert de
les plus touchées par les processus de dégradation profondes modifications du comportement de nos
des espaces et des ressources qu’elles gèrent et (2) sociétés (des acteurs de terrain aux politiques) vis-
convaincre les gouvernements et les décideurs des aides à-vis de l’environnement naturel. Ces modifications
publiques et privées, d’inscrire leurs projets dans une seront difficiles et ne pourront, seules, suffire à assurer
telle démarche. les besoins fondamentaux des populations si elles ne
sont pas couplées à la restauration du capital naturel
Ce dossier résulte d’une compilation bibliographique des déjà largement dégradé. En outre, faisant le constat
travaux scientifiques disponibles, relatifs à la restauration que toute détérioration du capital naturel entraîne une
du capital naturel en zones arides et semi-arides. Ces détérioration du capital humain et du capital sociétal, il
travaux, conduits déjà sur plusieurs décennies, ont permis est proposé de promouvoir également la restauration du
de dégager concepts et définitions qui, pour la majorité capital social, élément complémentaire indispensable à
de ceux présentés ici, sont adaptés de l’ouvrage édité la réussite des projets de restauration du capital naturel.
par Aronson et al. (2007a) regroupant les contributions
de 71 scientifiques, gestionnaires et journalistes œuvrant La restauration du capital naturel implique la facilitation
dans les domaines de l’écologie, de l’économie et de du flux d’informations, du partage et de la communica-
l’économie écologique. tion des concepts, en particulier scientifiques, sur lesquels
repose cette approche. Les réponses à des interrogations
Plusieurs sites, disséminés en zones arides ou semi- complémentaires abordées dans ce dossier, comme, par
arides à travers le monde, ont été choisis pour illustrer exemple, qui doit investir pour restaurer le capital naturel
les concepts élémentaires de la restauration du capital et le capital social ou comment assurer la surveillance et
naturel à travers des ‘visites virtuelles’ sur le terrain. Ces le suivi écologique à long terme, sont proposées dans les
exemples proviennent de l’ouvrage rédigé par Clewell & précédents dossiers thématiques du CSFD. La demande
Aronson (2007) destiné aux personnes impliquées, sur le sociale en matière de restauration des écosystèmes
terrain, par les activités de cette profession émergente dégradés étant faible alors que se poursuit la dégradation
qu’est la restauration écologique. des milieux et la perte de biodiversité, il est de ce fait
urgent de se préoccuper de la préservation des ressour-
Ces zones climatiques extrêmes ont souvent été—et sont ces génétiques nécessaires à la bonne concrétisation des
le plus souvent encore—le lieu de conflits sociaux pour projets de restauration écologique.
l’accès aux ressources naturelles. Ces conflits, exacerbés
par une pauvreté extrême et des conditions de vie Édouard Le Floc’h
précaires, sont majoritairement liés à une gestion inap- ancien chercheur, CEFE/CNRS
propriée des ressources naturelles aussi primordiales ancien membre du CSFD
pour la vie des gens que sont l’eau, la terre, les ressources
4 24
La restauration du capital naturel : une nécessité Faut-il investir dans la RCN en zones arides ?
écologique et socio-économique
28
8 Perspectives : vers une relation durable
Qu’est-ce que le capital naturel ? entre l’homme et l’environnement ?
14 30
Qu’est-ce que la restauration du capital naturel ? Pour en savoir plus...
18 35-36
Les bénéfices socio-économiques de la restauration du Lexique - Acronymes et abréviations
capital naturel dans les zones arides utilisés dans le texte
Sommaire 3
La restauration du capital
naturel : une nécessité
écologique et socio-économique
L’
empreinte écologique de l’humanité
est aujourd’hui largement supérieure à la
capacité de charge de la Terre. Autrement
dit, le taux de consommation des ressources
naturelles et le taux de dégradation environnementale et
d’émission des déchets issus de l’exploitation effrénée de
ces ressources sont supérieurs au taux de renouvellement
et d’absorption des écosystèmes. L’humanité a com-
mencé à grignoter ses réserves. Cette situation inédite
dans l’histoire de l’humanité, se traduit par l’apparition
conjointe de deux crises mondiales inextricablement
liées : l’une écologique, l’autre humanitaire.
La crise écologique :
le résultat d’un système économique
Débitage à la tronçonneuse
d’une grume géante près du port La capacité de charge est définie par le nombre maximum
à bois à San-Pédro, Côte d’Ivoire. d’individus de la même espèce qui peut être maintenu
P. Haeringer © IRD
indéfiniment dans un habitat donné comme, par exemple, la
taille d’une population humaine vivant dans une région isolée.
et rapidement une augmentation de la précarité de ces Mais si on prend en considération le caractère global de notre
populations. Dans les milieux dégradés des pays du Sud, économie à travers les échanges commerciaux, les différentes
les utilisateurs des ressources, déjà rares, ne peuvent pas régions habitées par l’homme ne peuvent plus être considérées
se permettre de « parier » sur des méthodes d’exploitation comme des unités indépendantes. La question de la quantité
plus durables alors qu’ils sont en concurrence directe d’individus qu’une région donnée peut supporter n’est donc plus
pour des réserves de plus en plus réduites. pertinente pour les populations humaines. La question devient
alors quelle est la surface de terres et/ou de mer nécessaire pour
Ce cercle vicieux est en partie alimenté par la mondia- maintenir le flux de ressources correspondant à la consommation
lisation économique et l’accès à des ressources de d’une population dans une région donnée. L’estimation de cette
plus en plus « lointaines ». On assiste, en effet, à un surface de terre et/ou de mer (peu importe où elle se trouve)
désintéressement des populations les plus riches pour les correspond à l’empreinte écologique de la population. C’est une
modes d’exploitation et leurs éventuelles conséquences mesure physique de la demande en capital naturel requis par
sur l’environnement. Un redressement de cette situation une population donnée.
est cependant possible à condition de :
Cette mesure a été popularisée depuis par l’Organisation
• Développer des méthodes d’évaluation économique mondiale de protection de l’environnement (WWF) qui propose,
des coûts et des bénéfices d’une approche alternative entre autres, à chacun de calculer son empreinte écologique
d’exploitation, de conservation et de distribution des personnelle en ligne (www.wwf.fr/s_informer/calculer_votre_
ressources naturelles. empreinte_ecologique) ainsi que des moyens pour la réduire.
• Responsabiliser l’utilisateur (individu ou groupe) de
la ressource et lui procurer les moyens techniques et La notion d’empreinte écologique est un bon moyen de
financiers lui permettant la mise en place de méthodes communication auprès du grand public pour mettre en évidence
de gestion durable de cette ressource. l’impact de nos modes de vie sur l’environnement et la précarité
• Assurer la redistribution équitable des ressources de notre situation sur la Terre. En effet, en 2001, l’empreinte
permettant à l’utilisateur un retour par bénéfices écologique totale de l’humanité représentait déjà l’équivalent de
directs. 1,20 planète (WWF, 2004) !
• Responsabiliser et informer les consommateurs au
niveau international.
Zoom
La désertification et ses conséquences
pour les hommes
En parallèle, l’accroissement démographique et l’exacerbation
La Convention des Nations Unis sur la lutte contre la de la précarité entraînent une exploitation accrue et non
désertification (1994) définit le processus de désertification durable des biens et services naturels. Les pressions exercées
comme « la dégradation des terres dans les zones arides, semi- sur les écosystèmes créent un déséquilibre entre la demande
arides et sub-humides sèches par suite de divers facteurs, parmi et la production de ces biens et services favorisant ainsi la
lesquels les variations climatiques et les activités humaines ». désertification.
De manière générale, les conditions climatiques imprévisibles Les causes et les processus responsables de la désertification
(sécheresses récurrentes et irrégularité de la pluviométrie) sont cependant variables. Elles dépendent simultanément du
couplées à la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires contexte mondial (réchauffement climatique), régional (zone
et énergétiques des populations locales sur le court terme géographique et politique) et local (mode d’exploitation et de
(avec des pratiques inadaptées d’exploitation des ressources gestion des terres). Ainsi, la lutte contre la désertification doit
naturelles) entraînent une forte dégradation environnementale. se traiter en termes de directives internationales, de politiques
Celle-ci se traduit par une destruction du couvert végétal régionales et d’initiatives locales. Ces trois échelles (mondiale,
(extension des superficies cultivées au détriment des espaces régionale et locale) sont étroitement dépendantes les unes
pastoraux), une diminution de la fertilité, une modification des des autres (MEA, 2005). Il n’est pas superflu d’ajouter que la
écosystèmes et une recrudescence des conflits autour de la résolution des problèmes à l’échelle locale doit être adaptée et
gestion des ressources naturelles (Requier-Desjardins, 2007 ; spécifique à la demande exprimée (besoins, objectifs, valeurs)
Requier-Desjardins et Caron, 2005). des populations locales.
L
e capital naturel est un concept élaboré à
la fin des années 70 (Jurdant et al., 1977) et
développé, entre autres, par Costanza et Daly
(1992). Ce concept est essentiel pour favoriser
la considération des problèmes environnementaux dans
les prises de décision économique. Le terme de capital
naturel permet aussi de mettre en évidence le rôle
limitant des ressources et des écosystèmes naturels dans
le développement socio-économique des populations et
des nations (Ekins et al., 2003). Pour bien comprendre le
sens du terme « capital naturel », expliquons tout d’abord
les différents types de capitaux qui existent.
Le capital naturel (définition de Daly et Farley, 2004) La perte du capital naturel peut aussi entraîner la
consiste donc en l’ensemble des écosystèmes durables et diminution consécutive du capital social et du capital
des paysages écologiques desquels les hommes dérivent humain (Aronson et al., 2007a). Cette situation est
les services et produits (biens) qui améliorent leur bien- particulièrement vraie en zones arides et semi-arides
être sans coût de production. Il est important de préciser où la réduction constante des services naturels suite
que la totalité des stocks de capital naturel cultivé et à la désertification favorise l’émigration et la perte
de capital manufacturé est dérivée du capital naturel d’estime de soi ainsi que les conflits politiques (Requier-
renouvelable, récupérable ou non renouvelable. Desjardins et Caron, 2005).
Étape 2 K Humain
K Technique
Étape 3
K Technique
Perte de K
Passé le seuil S, le sol devient stérile. Le paysan tombe dans la Humain liée
catégorie du manoeuvre non qualifié et cherche un autre travail.
Son capital humain perd ainsi de la valeur, ou autrement dit le
Effet Exode,
paysan ne peut plus exprimer les connaissances d’agriculteur
de seuil S bidonville
qu’il avait (savoir-faire, semences adaptées …) : c’est l’externalité
négative qu’engendre sur son capital humain un niveau insuffisant
de capital naturel et qui tire vers le bas son revenu.
Effondrement
K Social
K Naturel
Conclusion
K Naturel K Social
« Sur » « Sous »
s consommation consommation
Con
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Émission Pauvreté,
de déchets malnutrition,
Accumulation de maladies
CO2 Dépendance
Désintégration
L’économie Perte de confiance
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Processus
Phase de transition FFlux d’information Le système économique actuel
D’après Aronson et al., 2007b ; Blignaut et al., 2007.
Un bien (et un mal) public mondial (BPM) est, pour les économistes, Aujourd’hui, le facteur limitant pour notre économie
un bien que tout le monde peut consommer : sa consommation n’est plus le capital manufacturé mais le capital
par une personne ne pénalise pas celle d’autres personnes (par naturel. Puisque la logique économique veut que l’on
exemple l’air que nous respirons). Les BPM peuvent être fournis investisse dans le facteur limitant (Aronson et al.,
par le secteur privé ou par les États. Par exemple, les forêts 2006a ; Costanza et Daly, 1992), de nos jours, les intérêts
domaniales sont des biens publics gérés par l’État lorsqu’il en est de la société nécessitent un investissement important
le propriétaire. dans la restauration du capital naturel. Pour favoriser
cet investissement, différentes méthodes d’évaluation
La biodiversité, certaines forêts ou sites exceptionnels, peuvent économique du capital naturel et des biens et services
aussi appartenir à des acteurs privés qui contribuent ainsi à la qui en découlent ont été élaborées. Elles sont abordées
production de biens publics. Les BPM sont des biens dont le produit dans le chapitre consacré aux bénéfices socio-
et les coûts dépassent les frontières géopolitiques et traversent les économiques de la restauration du capital naturel en
générations. zones arides (page 18). Auparavant, les concepts relatifs
à la pratique de la restauration du capital naturel en
D’après Requier-Desjardins et Caron, 2005. zones arides sont décrits dans le prochain chapitre.
L
a restauration du capital naturel est une
nouvelle approche de gestion qui repose
sur l’interdépendance entre le bien-être
des populations humaines et la santé des
écosystèmes. Dans le cadre de la lutte contre la
désertification, la restauration des biens et services
caractéristiques des milieux arides et semi-arides est
essentielle.
Zoom
Exemples de processus mis en jeu
X. Écoulement, stockage, salinisation
événement
Y. Germination, croissance des plantes,
minéralisation
Z. Écoulement vers les rivières, érosion Gâchette
Le modèle TTRP ou comment fonctionne [. Consommation d’herbe, feu, récolte
Ex. pluie
\. Approvisionnement du pool de
un écosystème pastoral en zone semi-aride graines, Cycle de la matière organique
]. Obstruction physique, absorption
processus
Pour faciliter la restauration des fonctions de paysages pastoraux en
zones semi-arides, Tongway et Ludwig ont mis en place un cadre de Z Transfert ]
travail conceptuel. Ce modèle est appelé « Trigger-Transfer-Reserve- Perte de l’eau
Pulse » (TTRP) (« gâchette – transfert – réserve – battement »). Il est
événement
basé sur deux caractéristiques principales des régions semi-arides : processus X
(i) une forte hétérogénéité spatiale et temporelle de la disponibilité
des ressources et (ii) une pluviosité faible et imprévisible. Mise en réserve \
[ de l’eau
Le modèle TTRP met en évidence certains processus à travers
lesquels le capital naturel est formé. Il permet une représentation Y événement
simplifiée des étapes de sa formation. Il permet ainsi d’identifier à
Battement
quel ‘niveau’ la restauration peut préférentiellement avoir lieu. Un Ex : événement de
événement « gâchette », comme une pluie, initie les processus de Schéma adapté croissance des plantes
de Tongway et Ludwig, 2007a.
transfert de l’eau : la perte Z et la mise en réserve X. Si les réserves
en eau sont suffisantes, la croissance des plantes, accompagnée
de production animale et de minéralisation microbienne, est initiée de pores et de galeries par la macrofaune, par exemple, favorise
Y. De nombreux processus biologiques, chimiques et physiques l’infiltration et la disponibilité en eau ainsi que la respiration racinale
sont alors enclenchés tels que la formation de matière organique, et microbienne. De plus, d’autres procédés biophysiques tels que la
la fixation de l’azote, la séquestration du carbone, les activités formation de « patchs » de végétation réduisent la perte en eau et
microbiennes et de la macrofaune ainsi que la transformation favorise sa rétention après un événement « gâchette » ].
des nutriments du sol. Ces processus permettent l’augmentation,
la transformation et le recyclage du capital naturel \. La création D‘après Tongway et Ludwig, 2007a et b.
Le paysage est dégradé dans cette zone par le piétinement et le Dans le but de stopper le processus de désertification, un projet de
surpâturage des troupeaux. Cette situation est courante dans les restauration du capital naturel a été développé en accord avec les
zones situées près des points d’eau artificiels où les troupeaux propriétaires de troupeaux. Il se basait sur le modèle TTRP développé
traversent et broutent tous les jours. Au fur et à mesure, les processus dans l’encadré page 15. Le projet devait être facilement applicable,
fonctionnels de la brousse tigrée disparaissent, empêchant ainsi le peu coûteux, et compatible avec les pratiques des fermiers. Il fut
stockage de l’eau dans le sol et favorisant la désertification du milieu. donc décidé de rétablir les fonctions de base sur une zone test en
Finalement, ces zones de pâturage deviennent très peu productives utilisant comme modèle les processus écologiques et hydrologiques
et restent dominées par des espèces de plantes éphémères, de existant dans la zone non dégradée. La plante dominante de la
basse qualité nutritive, qui poussent par « à-coup » en réponse aux bande boisée, le mulga (Acacia aneura), fut utilisée pour rétablir la
pluies occasionnelles. structure physique de l’écosystème sur une zone test. Des branches
de mulga ont été empilées le long des cordes de manière à capturer
Les deux photographies suivantes illustrent d’une part un paysage les matériaux lessivés par la pluie et apportés par le vent. La bande
fonctionnel de brousse tigrée où le capital naturel est formé et stocké, boisée fut donc rétablie artificiellement. L’accumulation de matériel
et, d’autre part, un paysage dégradé où le capital naturel est perdu capturé encouragea l’établissement d’une nouvelle population de
à travers l’érosion du sol et la mortalité des plantes. plantes pérennes. Celles-ci, partiellement protégées par la structure
épineuse du mulga, furent ainsi capables de supporter la pression
habituelle du pâturage.
Dix années plus tard, la densité du couvert végétal ainsi que les
propriétés du sol ont été rétablies sur la zone test. Un tel succès dans
le rétablissement du couvert végétal signifie aussi que le pool de
graines dans le sol n’était pas limité.
L
e coût économique, social et environnemental
de la désertification est très difficile à évaluer
et peu d’études ont été réalisées à ce sujet
(Requier-Desjardins, 2007). Les aspects socio-
économiques de la restauration du capital naturel dans
les zones touchées par la désertification sont donc
évoqués ici d’un point de vue général. En revanche,
les exemples présentés dans ce chapitre illustrent des
méthodes d’application de l’approche RCN qui peuvent
être appliquées dans le cadre spécifique de la lutte contre
la désertification.
Pour favoriser la mise en œuvre de projets de restauration cependant fournir des arguments économiques plus
des écosystèmes dégradés, deux types d’approche ou moins convaincants en faveur de la restauration du
permettent d’établir le bien-fondé de cette restauration capital naturel.
d’un point de vue monétaire : (1) l’évaluation du coût
de la dégradation et (2) l’évaluation des coûts et des Dans la lignée du Millenium Ecosystem Assessment,
bénéfices de la restauration. les approches d’évaluation économique en termes de
services rendus par les écosystèmes sont de plus en plus
Le dossier thématique du CSFD n°5 (Requier-Desjardins, utilisées dans le cadre de la RCN au niveau local.
2007) procure un récapitulatif des différentes méthodes
d’évaluation du coût macro-économique de la L’évaluation monétaire du capital naturel n’est pourtant
désertification en Afrique. Par exemple, afin d’évaluer pas aisément quantifiable. Beaucoup de services
la diminution de la productivité des cultures, une naturels n’ont ‘pas de prix’ au sens figuré, puisqu’ils
évaluation du coût de remplacement des nutriments sont indispensables à la vie sur Terre, et, au sens
dans le sol par des engrais commerciaux a été réalisée propre, puisqu’ils n’ont pas de valeurs sur le marché
au Mali. Cette méthode est pertinente uniquement si économique. En effet, pour les raisons que nous avons
le capital naturel peut-être remplacé par un substitut évoquées précédemment, dont la non exclusivité et
manufacturé. Cette substitution a, bien sûr, des limites. la non rivalité, l’évaluation monétaire de la majeure
partie du capital naturel et de sa restauration n’est pas
Une autre méthode, issue du Millenium Ecosystem compatible avec les théories économiques classiques.
Assesment (MEA, 2003), consiste à évaluer les coûts de la Cependant, l’Homme a toujours attribué des valeurs
désertification en fonction de la division de l’espace rural à certains aspects de la Nature y compris les services
selon ses usages économiques principaux (agriculture, naturels. Il est donc possible d’intégrer ces valeurs ‘non
forêt, etc.). Cela revient à évaluer le coût de la perte des monétaires’ aux lois du marché économique (Rees et al.,
services naturels en termes d’approvisionnement en 2007) par la création, par exemple, d’un marché fictif
nourriture et en bois. Ces méthodes, généralement peu (évaluation contingente) ou la prise en compte du
précises, puisqu’elles reposent sur des prix de référence coût économique de la pollution (internalisation des
très variables et des modèles assez simplifiés, peuvent externalités) (Requier-Desjardins, 2007).
Les bénéfices socio-économiques de la restauration du capital naturel dans les zones arides 19
Exemple
Évaluation monétaire du capital naturel Dans le but d’améliorer la qualité de vie dans la zone communale, un
en Afrique du Sud plan de restauration a été proposé. Ce projet suggère l’intégration
de cette zone au parc naturel protégé adjacent. La zone communale
Cette évaluation monétaire des futurs bénéfices d’un projet de du BBR jouxte, en effet, la zone Rooibos Bushveld du Kruger National
restauration du capital naturel a été menée en 2007 en Afrique du Park (KNP). Ces deux zones ont le même climat. Elles ont partagé
Sud dans le Bushbuckridge (BBR), district de la province du Limpopo. la même végétation et les mêmes communautés animales avant
L’objectif était de déterminer les avantages économiques d’un projet que celles-ci ne soient totalement décimées dans le BBR. Le KNP
de conservation et de restauration participatif du capital naturel est une aire protégée de catégorie II (UICN, Union mondiale pour
par rapport à un système de subsistance agricole classique. Le BBR la nature) ; l’élevage et la cueillette ne sont donc pas autorisés. En
comprend 235 ha dont 184 ha de terres communales. Les 500 000 revanche, le tourisme y est une activité extrêmement lucrative.
membres de la communauté utilisent ces terres pour la cueillette et
l’élevage (pas de culture ni d’habitation). Ces terres communales ont Le projet de restauration du capital naturel proposé consiste à
fait partie des tristement célèbres ‘réserves’ pour africains noirs lors intégrer la zone communale du BBR au KNP en tant qu’aire protégée
du régime de l’apartheid. La majorité des dégradations a eu lieu à de catégorie VI (UICN). La cueillette à taux durable y serait donc
cette époque lorsque les habitants, maintenus isolés, étaient forcés autorisée mais pas l’élevage. Ce projet est à priori soutenu par les
d’exploiter leur environnement de manière non durable pour subvenir habitants. Une estimation de la valeur économique potentielle (sous
à leurs besoins. Depuis 1994, une démocratie stable a remplacé les conditions de restauration proposées) et actuelle des biens et
l’apartheid. Cependant, la majorité des habitants de cette région vit services naturels à usage direct de la zone communale a été réalisée
toujours de manière précaire dans un environnement dégradé. en fonction (1) de la valeur des stocks de capital naturel présent, (2)
de la valeur d’usage direct des biens (produits issus de la vente) et
des services (tourisme) et (3) de la valeur d’usage indirect des biens
et services environnementaux actuels (recyclage des nutriments dans
le sol, séquestration du carbone) et potentiels (ou valeur d’existence).
Seul l’aspect 2 est discuté ci-dessous (pour plus de détails sur les
aspects 1 et 3, voir Blignaut et Loxton, 2007).
Les bénéfices socio-économiques de la restauration du capital naturel dans les zones arides 21
Comment la dégradation de l’environnement affecte- L’interdépendance entre la qualité de vie et celle des
t-elle les populations humaines ? Et comment la écosystèmes est progressivement mise en avant aux
restauration du capital naturel peut-elle engendrer niveaux national et international à travers des études
une amélioration du bien-être social ? La restauration comme celle présentée dans l’encadré page 23 (exemple
des écosystèmes dégradés dans les pays « pauvres » ne de la Tunisie), et l’élaboration de nouveaux indices
pourra bénéficier d’un support local que si elle apporte de bien-être. Au niveau local, les projets ciblés de
des réponses claires à ces questions (Aronson et al., RCN permettent de rétablir de manière effective une
2006b ; Aronson et al., 1993). relation saine et respectueuse des hommes avec leur
environnement.
Zoom
Calcul du « Well-being Index » :
l’exemple du Mali
Le « Well-being Index » (WI) de Prescott-Allen, ou indice du bien- liberté d’expression bien instaurées depuis les années 90. Les
être, est construit à partir de l’intégration de deux composantes : données relatives aux droits de l’homme sont dans l’ensemble
un indice du bien-être des populations humaines sensu stricto (ou positives. Bien que cette tendance soit à modérer, étant donné
« Human Well-being Index », HWI) et un indice du bien-être des la présence d’événements occasionnels de violence entre les
écosystèmes (ou « Ecosystem Well-being Index », EWI). communautés ainsi que de brutalité (voire de torture) policière.
Les chiffres relatifs aux autres dimensions sont plutôt faibles et
Le calcul du HWI intègre un ensemble de données regroupées tirent l’indice vers le bas. Ceci est dû aux mauvaises conditions
en quatre thèmes : la communauté, l’équité, la santé et le savoir- sanitaires, à une sous-nutrition élevée, à un taux de mortalité
faire. infantile très élevé et à une scolarisation faible.
Le calcul du EWI intègre un ensemble de données regroupées En parallèle, sur l’axe horizontal de la figure, l’amélioration
en cinq thèmes : l’air, les terres, l’utilisation des ressources de la qualité de vie au Mali est entravée par le mauvais état
naturelles, les espèces et les gènes ainsi que l’eau. des terres et de la qualité en eau (très à gauche sur la figure).
Il y a, en effet, une forte pollution des rivières et des nappes
La structure du WI du Mali est fournie ci-dessous à titre d’exemple. souterraines alors que 40 pour cent des terres cultivées sont
On peut voir que le WI est situé à la limite de la zone marron modérément à fortement dégradées.
foncé (mauvais) et de la zone marron clair (pauvre). Sur l’axe
vertical de la figure, la ‘bulle’ communauté (c) tire le HWI vers le D’après Prescott-Allen, 2001.
haut. Ceci est dû à la présence d’une démocratie stable et d’une
100
Bon
Bien-être des populations humaines
80
Équitable
c
60
Structure du bien-être au Mali
Moyen
Les cercles noirs montrent les points
sur l’échelle des dimensions humaines.
c = communauté, e = équité, s = santé et population, 40
co = connaissance, r = richesse.
Les cercles blancs montrent les points Pauvre
des dimensions des écosystèmes.
a = air, t = terre, u = utilisation des ressources, 44
es = espèces et gènes, ea= eau. 20 ea .t 21 es .a
a
Une dimension est derrière une autre (la connaissance
est derrière la richesse). Le HWI malien exclut l’équité Mauvais .s
et son EWI exclut l’utilisation des ressources. En effet,
‘équité’ et ‘utilisation des ressources’ les auraient .r
augmenté artificiellement.
0 20 40 60 80 100
Mauvais Pauvre Moyen Équitable Bon
Bien-être des écosystèmes
22 La restauration du capital naturel en zones arides et semi-arides
Exemple
Dégradation de l’environnement et
détérioration du bien-être : le cas de la Tunisie
Les bénéfices socio-économiques de la restauration du capital naturel dans les zones arides 23
Fa ut-il investir
dans la RCN en zones arides ?
L
a restauration du capital naturel d’un site repose
sur un équilibre fragile entre de nombreux
facteurs écologiques et socio-économiques.
L’objectif principal doit être de maximiser les
bénéfices socio-économiques et environnementaux
dans le cadre du développement durable. Certains
domaines de la RCN restent à approfondir, en particulier
l’élaboration des méthodes d’évaluation du succès des même des processus écologiques), ainsi qu’au besoin
projets de restauration et la clarification des mécanismes de mettre en valeur les bénéfices souvent intangibles de
de financement potentiel de ces projets. la restauration. Ceci rend difficile la justification dans
l’investissement de projet RCN et l’évaluation de son
Évaluation du succès d’un projet de restauration succès sur le court terme.
D’après la Société Internationale pour la Restauration Les techniques d’évaluation multicritères sont progres-
Écologique (SER, 2002), ce sont la nature de la sivement développées pour l’aide et la justification de
dégradation, l’attitude du gouvernement, les attentes l’investissement dans la restauration du capital naturel.
des populations locales et les contraintes biophysiques Les méthodes d’analyses multicritères consistent à choisir
d’un site qui influencent, ensemble, la mise en place des la meilleure stratégie disponible pour atteindre un set
objectifs et le choix de l’approche pour la restauration. d’objectifs préalablement définis. Les motivations et les
bénéfices de la RCN doivent donc être clairement mis en
Le succès d’un projet de restauration dépend, en avant dès le début de la mise en oeuvre des projets.
effet, de la pertinence avec laquelle les objectifs du
projet répondent aux attentes socio-économiques des L’analyse multicritères consiste en trois étapes (Rees et
populations locales. C’est pourquoi poser la question al., 2007) :
du succès « écologique » de la restauration n’est pas
suffisant pour assurer la viabilité d’un projet sur le long 1. travailler avec les différentes parties intéressées
terme. Le succès d’un projet de restauration dépend afin de définir (a) le but désiré pour un projet ou un
aussi de son potentiel de développement économique et programme, (b) les différents critères de succès et
social (Cairns, 2000 ; Geist et Galatowitsch, 1999 ; Higgs, (c) l’importance (pondération) des différents critères
1997). d’évaluation ;
2. décider des différentes stratégies pour atteindre les
L’évaluation du succès des projets de restauration sur objectifs, évaluer comment chaque stratégie répond
le long terme est important pour (1) l’amélioration des aux critères de succès auparavant établis, et faire une
projets en cours et (2) l’aide à la mise en place des projets sélection des meilleures stratégies ;
futurs (Atkinson, 1994). La démonstration effective 3. classer les différentes options et faciliter la mise en
que les objectifs initiaux d’un projet de restauration place de la stratégie finale.
ont été réalisés, permet, en effet, de gagner le soutien
des investisseurs et du public pour la mise en place de On remarquera qu’il y a toujours des facteurs externes
nouveaux projets (Hobbs et Harris, 2001). tels que la modification des valeurs exprimées par la
communauté, de nouvelles informations ou des pressions
Cependant, les gestionnaires de projets RCN sont souvent politiques, qui peuvent influencer positivement ou
confrontés au caractère incertain et imprévisible des négativement le bon développement d’un projet de RCN
processus de restauration mis en place (dû à la nature (Young et al., 2007).
En parallèle, les projets de restauration ont généralement Les activités de restauration, même coûteuses, y sont
des coûts initiaux élevés tandis que les bénéfices donc particulièrement nécessaires.
augmentent plus tard (Aronson et al., 2007a ; Holl
et Howarth, 2000 ; Requier-Desjardins, 2007). C’est La dégradation des terres en milieux arides et semi-
pourquoi, les initiatives locales de restauration doivent arides n’est pas un problème exclusivement lié aux
être couplées avec des investissements publics et pays pauvres bien que, comme nous l’ayons évoqué
privés. précédemment, des conditions de vie précaires peuvent
fortement accentuer le processus. La désertification a
un impact écologique et économique dans de nombreux
Le financement de la restauration pays, y compris les plus « riches ». Il en ressort que la mise
en place de systèmes d’information et de législation dans
Les mécanismes de financement de la restauration les pays du Sud, comme du Nord, est essentielle pour
sont généralement divisés en deux catégories : les éviter d’aboutir à ce type de situation extrême.
mécanismes basés sur le concept de « pollueurs-
payeurs » et ceux basés sur le concept de « béné-
ficiaires-payeurs ». Parfois les coûts sont partagés entre
les deux catégories. La décision finale est politique
et dépend des différentes attentes de chacune des
communautés impliquées ainsi que des pouvoirs
économiques en place.
En parallèle, les températures extrêmes, le pâturage Désertification résultant d’un surpâturage, Chihuahua, Mexique.
et le faible niveau d’humidité, entre autres, font que À ce niveau de dégradation, très peu de biens peuvent être produits
l’établissement des plantes est un phénomène très sans travaux de restauration.
lent même en l’absence de perturbation. Les chances D’après A Guide for Desert and Dryland Restoration par David Bainbridge.
pour un écosystème dégradé de se rétablir sans l’inter- Copyright © 2007 par l’auteur. Reproduit avec la permission d’Island
vention de l’homme sont donc très faibles même si le Press, Washington, D.C.
pâturage et toutes autres formes de perturbation sont
stoppés (Bainbridge, 2007).
De manière générale, les projets de RCN nécessitent Le financement n’est pas le seul facteur limitant pour
un financement mixte public (à travers des impôts et la mise en place des projets. En effet, les activités de
des taxes au niveau national) et privé. La définition des restauration sont encore rares de nos jours et peu de
partenaires privés est fonction des bénéficiaires des personnes possèdent les connaissances ou l’expérience
projets au niveau local. La participation aux projets nécessaires pour percevoir ce à quoi peut ressembler un
peut se décliner de diverses manières telles que la écosystème restauré. Imaginer ce que peut devenir une
participation à des activités de gestion sur le terrain ou zone dégradée après sa restauration est difficile pour
le financement/sponsoring du matériel. la plupart des gens. Les projets de RCN, qui incluent
la responsabilisation et l’habilitation des personnes
impliquées localement, sont donc un instrument
essentiel pour promouvoir la restauration et la
modification des comportements humains en relation
avec la Nature (Leigh, 2005).
Une forte pression de pâturage peut faire disparaître toute la Détail d’un site fortement dégradé en Argentine (Sierras de
végétation assez rapidement. Lorsque l’on regarde la roche nue, il Cordoba), juste avant (1997, photo de gauche) et après (2006, photo
est difficile d’imaginer les arbres, buissons, fleurs et herbes présents de droite) la mise en place d’un projet de restauration.
au même endroit auparavant. Pourtant cette zone a été dénudée en
quelques années seulement. Sud-Ouest des États-Unis d’Amérique. © D. Renison
D’après A Guide for Desert and Dryland Restoration par David Bainbridge.
Copyright © 2007 par l’auteur. Reproduit avec la permission d’Island
Press, Washington, D.C.
L
es dynamiques des écosystèmes, y compris
les processus de désertification, sont des
dynamiques à forte implication sociale : les
hommes font partie de l’écosystème, influent
sur leur dynamique et en subissent les conséquences
positives ou négatives en retour (INSU/CNRS, 2004).
Les écosystèmes ne sont pas seulement des systèmes de
production mais aussi des systèmes desquels dérivent
des services naturels indispensables aux sociétés Mina Jansen ramassant des graines de
humaines. Mesembryanthemaceae pour le projet Renu Karoo entrepris
par deux écologistes (Sue Milton et Richard Dean).
Le projet a pour mission d’établir un nouveau marché de
Il est clair que le coût et la difficulté de la restauration services à travers la restauration écologique et l’utilisation de
plantes natives dans le Karoo central, en Afrique du Sud. Le
de ces services augmentent au fur et à mesure de la but est d’assurer la pérennité des services écologiques tout en
diminution du capital naturel, et il est bien sûr plus créant des nouvelles opportunités de travail.
D’après Ecological Restoration par Andre F. Clewell
avantageux d’investir dans des méthodes d’exploitation et James Aronson. Copyright © 2007 par les auteurs.
durable plutôt que de restaurer ce qui a été dégradé. En Reproduit avec la permission d’Island Press, Washington, D.C.
attendant la mise en oeuvre effective d’une politique
de gestion durable des ressources, l’approche RCN, de législations efficaces—échec qui résulte en la
qui couple la restauration du capital naturel avec la progression des modes de gestion destructeurs de
restauration du capital social, permet de mettre en l’environnement et du capital social (Adeel et al., 2006).
valeur les bénéfices d’une relation durable entre les La protection, la restauration et la gestion durable des
hommes et leur environnement. Elle peut se résumer en cinq types de capitaux (financier, manufacturé, social,
un message clé : le bien-être des populations humaines humain et naturel) ainsi que le renforcement des
dépend de la santé des écosystèmes et de la qualité des réseaux sociaux et institutionnels —qui permettent un
services naturels qui en résultent. accès équitable à ces différents capitaux— doivent être
inclus dans les plans de gestion.
Les problèmes écologiques et sociaux liés à la
dégradation des terres en milieux arides et semi-arides Planifier en termes de gestion durable n’est pas
ne peuvent être ignorés plus longtemps par les décideurs anti-technologique ni anti-business. Le lien entre la
politiques au niveau international (à travers l’aide au restauration des écosystèmes dégradés et la qualité de
développement) et national. En effet, les processus de vie des hommes doit être encore plus mis en avant par
désertification déstabilisent de manière croissante les les politiques à travers des subventions positives telles
sociétés au niveau local, en aggravant la pauvreté, et que l’éducation, la communication et l’aide technique.
national, en créant des réfugiés de l’environnement.
Comment convaincre les décideurs de s’engager
Pourtant, cette dégradation n’est pas une fatalité.
Nous avons vu dans ce dossier que la mise en place de
dans la restauration du capital naturel, du capital
mécanismes permettant la restauration simultanée social et du capital humain ?
du capital naturel et social dans les zones arides
est possible. Il est évident que les valeurs, besoins Il ressort de tout ce qui précède qu’il faut parvenir à un
et objectifs des populations locales doivent être argumentaire capable de décider les pouvoirs publics et
intégrés aux prises de décisions politiques. On assiste les investisseurs privés d’investir dans la restauration.
pourtant actuellement à un échec de la mise en place Trois familles d’arguments sont à envisager :
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• Évaluation des écosystèmes pour le millénaire ISSN 0925-8574
(Millenium Ecosystem Assessment) www.elsevier.com/wps/find/journaldescription.cws_home/522751/
www.millenniumassessment.org/fr description#description
Biodiversité : Diversité et interactions du vivant à différents Fonctionnalité des écosystèmes : Vigueur des processus
niveaux d’organisation (génome, individu, population, naturels au sein de l’écosystème.
communauté, écosystème, biorégion, biosphère) et rangs
taxonomiques (espèce, genre, famille). Mondialisation économique : Expression qui fait référence
à l’abolition effective des frontières dans le cadre des échanges
Capital naturel : Métaphore économique représentant le stock économiques (Daly et Farley, 2004).
d’écosystèmes fonctionnels, y compris la biodiversité, qui assure
le flux de biens et de services naturels sur lesquels reposent notre Restauration du capital naturel (RCN) : Réapprovision-
économie et notre bien-être (Aronson et al., 2007 a et b). nement des stocks de capital naturel pour améliorer à long terme
le bien-être humain et la santé des écosystèmes (Aronson et al.,
Développement économique : Augmentation de la qualité de 2007a et b).
vie pour un taux de production donné fixe (Daly et Farley, 2004).
Restauration écologique : Définie par la Société Internationale
Développement économique local et durable (DELD) : pour la Restauration Écologique (SER, 2002) comme « le procédé
Le développement durable « répond aux besoins du présent sans d’assister le rétablissement d’un écosystème qui a été dégradé,
compromettre la capacité des générations futures à répondre à endommagé, ou détruit souvent à la suite d’activités humaines ».
leurs propres besoins » (définition du Rapport Brundtland issue de
la Conférence Mondiale sur l’environnement et le développement Retour par bénéfices directs : Retour économique bénéficiant
en 1987). C’est l’équivalent du terme anglais « sustainable aux populations locales (acteurs de la restauration) par un circuit
development ». Le mot « durable », dans ce contexte, fait référence court (Daly et Farley, 2004).
à un taux d’exploitation. Sous des conditions de durabilité, le taux
de récolte est inférieur au taux de croissance (ou renouvellement) Résilience : Capacité d’un écosystème à maintenir une
de la ressource exploitée (Daly et Farley, 2004). Pour définir le trajectoire donnée face à des perturbations naturelles ou d’origine
développement durable à une échelle locale et insister sur sa mise anthropique (Aronson et al., 2007b ; Westman, 1978).
en œuvre concrète et immédiate on utilise de plus en plus les
termes de DELD (SLED en anglais : sustainable local economic Santé des écosystèmes : En référence à la définition de
development). Costanza, Norton et Haskell (1992), le terme général de « santé »
est utilisé ici pour illustrer à la fois l’état désiré de l’écosystème
Écosystème : Ensemble des organismes vivants et de leur restauré et la ligne de conduite sous jacente à la pratique de la
environnement avec lequel ils interagissent à un endroit donné. restauration. La « santé » d’un écosystème dépend entre autres
de sa capacité de résilience, de son degré d’organisation
Évaluation contingente : Estimation hypothétique du prix (composition, structure, connectivité) et de sa vigueur (fonctionnalité,
des biens et services non commercialisables basée sur des productivité).
questionnaires demandant à la personne interrogée combien elle
serait prête à payer pour une unité supplémentaire du bien, ou
combien elle accepterait d’être payée pour la perte d’une unité
du bien.
36
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restauration
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CSFD Les dossiers
thématiques
Résumé
Numéros déjà parus
Ce dossier thématique du CSFD se situe dans le cadre d’une volonté de
La lutte contre la désertification :
communication, de partage et de discussion des éléments clés de la restauration du un bien public mondial environnemental ?
capital naturel en zones arides et semi-arides. Son but principal est de promouvoir Des éléments de réponse...
l’insertion de cette approche au sein des sociétés et des communautés les plus (M. Requier-Desjardins et P. Caron, janv. 2005)
touchées par les processus de désertification. Disponible aussi en anglais
Les régions menacées par la désertification couvrent environ 40 pour cent des terres La télédétection : un outil pour le suivi
disponibles. Elles sont le plus souvent le lieu de pauvreté extrême. Une approche et l’évaluation de la désertification
visant à restaurer simultanément les écosystèmes et la qualité de vie des (G. Begni, R. Escadafal,
populations locales y est par conséquent nécessaire. D. Fontannaz et A.-T. Nguyen, mai 2005)
Disponible aussi en anglais
La conservation de la biodiversité, la lutte contre la pauvreté ou le développement
économique sont communément perçus comme ayant des intérêts indépendants Combattre l'érosion éolienne :
et souvent conflictuels. Ce dossier nous montre que la restauration du capital un volet de la lutte contre la désertification
naturel vise à mettre en commun ces intérêts à priori différents. En effet, cette
(M. Mainguet et F. Dumay, avril 2006)
approche associe restauration écologique et développement durable afin de mettre
Lutte contre la désertification :
en synergie les bénéfices respectifs de ces deux approches. l'apport d'une agriculture en semis direct
sur couverture végétale permanente (SCV)
Plusieurs sites variés à travers le monde, situés en zones arides ou semi-arides, ont (M. Raunet et K. Naudin, septembre 2006)
été choisis pour illustrer les concepts élémentaires de la restauration du capital Disponible aussi en anglais
naturel sur le terrain. Ce dossier est le résultat d’une compilation bibliographique
effectuée à partir du matériel scientifique disponible relatif à la restauration du Pourquoi faut-il investir en zones arides ?
capital naturel en zones arides et semi-arides. La grande majorité des définitions et (M. Requier-Desjardins, juin 2007)
des illustrations pratiques est adaptée de Aronson, Milton et Blignaut (2007). Un Disponible aussi en anglais
ouvrage regroupant 71 scientifiques, gestionnaires et journalistes de la
communauté internationale dans les domaines de l’écologie, l’économie, et de Sciences et société civile dans le cadre
l’économie écologique. de la lutte contre la désertification
(M. Bied-Charreton, M. Requier-Desjardins,
Mots clés : Capital naturel, services des écosystèmes, restauration, développement Septembre 2007)
durable, capital social, désertification
Disponible aussi en anglais
The regions menaced by desertification cover about 40 per cent of the emerged land Synthèse des projets de recherche
masses. Most people living in these regions are exposed to poverty or extreme poverty. et développement
du CSFD en Afrique
An approach to simultaneously restore degraded ecosystems and improve human
wellbeing is urgently needed. Biodiversité et désertification
(A. Sarr)
Biodiversity conservation, poverty alleviation and economic development are
traditionally perceived as having separate or even conflictual interests. This report Pastoralisme et désertification
shows the contrary. Indeed, restoring natural capital combines ecological restoration en zone subsaharienne
and sustainable development objectives in order to create a synergy between them (Ph. Lhoste et B. Toutain)
both and also the maintaining of native biodiversity.
La révolution pastorale en Méditerranée
Several sites through the world, in arid or semi-arid areas, are discussed to illustrate et son impact sur la désertification
elementary concepts of natural capital restoration in the field. This report is the result (A. Bourbouze)
of the literature review of the available scientific material relevant to natural capital
restoration in arid and semi-arid areas. Most of the definitions and field illustrations Biens, ressources naturelles et pauvreté
are adapted from Aronson, Milton and Blignaut (2007), a book written by 71 dans les sociétés pastorales :
international scientists, managers and journalists in the fields of ecology, economics quelles approches ?
(A. Bourgeot)
and ecological economics.
Key words: Natural capital, ecosystem services, restoration, sustainable development, Désertification et gestion
social capital, desertification des ressources en eau
L’information environnementale
pour l’aide à la décision
Changement climatique
et désertification