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LA D I F F U S I O N

DE LA L I T T É R A T U R E H I S P A N O - A M É R I C A I N E
E N F R A N C E AU X X e S I È C L E
P U B L I C A T I O N S D E LA F A C U L T É D E S L E T T R E S
ET S C I E N C E S H U M A I N E S DE P A R I S - S O R B O N N E
Série « Recherches », tome 68

SYLVIA MOLLOY

LA DIFFUSION DE
LA LITTÉRATURE
HISPANO-AMERICAINE,
en France au XXe siècle

OUVRAGE P U B L I É AVEC LE CONCOURS D U C.N. R.S.

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS
1972
Dépôt légal. — Ire édition : 1er trimestre 1972
@ 1972, Presses Universitaires de France
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réservés pour tous pays
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privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les
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sentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'au-
teur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 " de l'article 40).
Cette représentation ou reproduction, p a r quelque procédé que ce soit, constituerait
donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
A la mémoire de mon père.
Que soient ici remerciés :
Monsieur le professeur Etiemble, qui me donna
la première idée de cette étude et qui voulut bien
diriger mes recherches,
Monsieur le professeur Michel Berveiller, à qui
je dois des conseils aussi généreux qu'efficaces,
Madame Maria Luisa Bastos, dont les lectures
intelligentes et attentives contribuèrent à donner
une forme définitive à ce texte,
l'Université de l'Etat de New York à Buffalo,
l'Université de Princeton, et l'American Philo-
sophical Society, dont l'aide libérale me permit
de réviser et de compléter mon travail en France.

Mesdames Valery Larbaud et Adelina del Carril


de Güiraldes me permirent, de leur vivant, l'accès
aux archives Larbaud et Güiraldes. Je rappelle ici
leur générosité, ainsi que celle de tous ceux qui,
d'une façon ou d'une autre, m'aidèrent à mener
cet ouvrage à bon terme.
AVANT-PROPOS

A la fin du mois de juin 1966, lorsque je songeais à la forme définitive


qu'allait prendre cet avant-propos, une révolution éclata en Argentine.
Quand je dis qu'elle éclata j'exagère, car elle se déroula dans le calme le plus
absolu, sans barricades, sans morts, sans coups de crosse, et surtout sans
surprise : les révolutions, au cas où nous en douterions encore, étaient entrées
dans le domaine de nos plus chères habitudes. Par pudeur, j'évitai de faire
le compte de toutes celles qui s'étaient succédé, en Argentine et dans toute
l'Amérique dite latine, depuis ces « cris » d'Ypiranga, du 25 mai et de
l'abbé Hidalgo, qui nous persuadèrent que nous étions prêts pour la grande
aventure et suffisamment responsables pour y faire face. Par pudeur, j'évitai
donc les chiffres, mais je ne pus m'empêcher d'évoquer, de façon générale,
cette longue suite de tâtonnements dont semble faite l'histoire de nos pays.
Ce fut dans cet état de fâcheuse auto-commisération — « être Américain
est déjà, en soi, quelque chose de pathétique », disait déjà Alfonso Reyes —
que je me disposai à présenter une thèse sur la diffusion de la littérature
hispano-américaine en France.
Quelle idée, me demandai-je encore une fois, peut se faire un Français
de cette littérature-là ? Inutile de lui demander un jugement qui porte exclu-
sivement sur cet ensemble d'ouvrages — restreint mais somme toute assez
digne — qui la composent. En abordant, en découvrant une littérature
nouvelle — j'entends d'un autre pays, voire d'un autre continent — le lecteur
l'embellit, la modifie, la corrige déjà dans son esprit. Il n'est pas d'asepsie
en lecture : entre le lecleur et son livre viennent se placer l'idée qu'il a du monde
dont le livre est sorti et même l'idée qu'il a déjà de ce livre. C'est un combat
plus qu'un dialogue, tous deux, livre et lecteur, demandant dans celle première
rencontre la soumission de l'autre : le lecleur veut que le livre le confirme
dans ses soupçons ; le livre voudrait imposer au lecteur une réalité nouvelle.
J'essaie d'arrêter une image de l'Amérique latine, celle que peut avoir
le lecteur français moyen. Ce lecteur ne voit certainement pas là ce qu'il
voit depuis bientôt deux siècles chez les Américains du Nord : une nouveauté
mondiale qui croît et se développe de façon cohérente. Il voit par contre,
comme dit Oclavio Paz, « des survivances et des fragments d'un tout défait »,
les fragments de l'ordre impérial qui ne fut pas remplacé par un ordre nou-
veau. Il y voit, ce lecteur, un continent qui peut se vanter d'avoir plusieurs
noms dont aucun, à strictement parler, ne correspond exactement à la réalité ;
un ensemble de pays ayant reçu, à des époques diverses, des courants de
colonisation divers qui résolurent, chacun à sa manière, les problèmes que
pouvaient poser des colonisés à leur tour fort différents et dont certains avaient
atteint un niveau de civilisation non dédaignable ; des pays ayant subi,
p a r la suite, l'influence d'une immigration variée au point d'aboutir « à
celle chose brutale qui s'appelle une expérience raciale, plutôt une violence
raciale », comme disait Gabriela M i s t r a l ; des pays qu'on peut grouper en
un tout, en raison de quelques problèmes — certes non les moindres — qu'ils
ont en commun, mais qu'on est obligé de séparer dès qu'il s'agit de certains
autres ; des pays qui parlent tous la même langue, oui, pourvu qu'on écarte
la quasi-moitié du continent qui parle portugais, ce qui remet tout en question ;
des pays qui proposent simultanément, en un raccourci saisissant, les
stades de civilisation les plus disparates ; des pays qui continuent souvent
— p a r les contacts difficiles, p a r les énormes distances, p a r des difficultés
de tout ordre, p a r aboulie aussi bien que p a r orgueil — à s'ignorer entre eux ;
des pays enfin qui, forts de celle vocation d'avenir qu'on a bien voulu leur
attribuer, ne savent pas toujours rendre le présent viable sur le plan politique
et social.
Tout ceci est pour le moins déconcertant, confus. Combien plus cohérente
l'image que se plut à forger jadis l'Europe, pieusement entretenue p a r
Chateaubriand, p a r Hugo, p a r Mérimée et p a r Gustave Ayr-riard ! Car le
mythe exotique, « la fantaisie d'Amérique » au dire d'Alfonso Reyes, a une
place, et certes non la moindre, dans l'image finale que se fait le lecteur
français du monde latino-américain.
E n fait de littérature et de nationalité, on peut dire en France du verbe
être ce qu'il échappa à cet abbé ami de Barrès de dire de Dieu : on emploie
le mot si souvent qu'on ne sait plus trop bien l'idée qu'on met là-dessous.
La J e u n e P a r q u e est un poème français, Proust est un écrivain français;
le verbe êlre sert tout au plus à signaler l'équation, et son plein sens n'est
rappelé qu'en des moments de crise.
Il en est tout autrement pour l'Amérique latine. Nous ne sommes pas
loin de l'époque où la littérature latino-américaine s'efforçait tout simplement
d'être. Vinrent ensuite les théoriciens qui lui demandèrent p a r surcroît
d'être latino-américaine : exigence d'autant plus dure à satisfaire que les
maîtres, après avoir arrêté leur devise, se perdaient dans la naïveté et dans
les grands mots. Indifférente à ces chicanes et à ces consignes, qui ne touchent
que les plus faibles, la littérature suivit son chemin à sa guise : en se faisant,
elle devenait, elle est devenue, cela va de soi, latino-américaine.
Le lecteur français, lui, n'accepte pas toujours que cette littérature soit
n a t u r e l l e m e n t et non essentiellement latino-américaine. Sitôt les liens
coupés qui l'unissaient à l'Espagne et au Portugal, elle se doit, paraît-il,
de fournir ces preuves de son existence qu'on ne cesse de lui réclamer. Des
preuves dont la nature est connue d'avance au lecteur français : soyez latino-
américaine revient à dire donnez-nous ce que nous attendons de vous.
Car on connaît l'histoire : l'Europe inventa l'Amérique et celle-ci lui échappa
des m a i n s ; demander à sa littérature d'être américaine c'est lui demander
de se conformer à celle vision originelle qu'elle avait de ce monde nouveau
et que la réalité s'est chargée de détruire.
Peut-être (sans doute même) ces obstacles — images préconçues, diffi-
cultés d'un contact direct, manque de renseignements — se posent-ils en
toute découverte lilléraire, mais ils semblent le faire avec d'autant plus
d'acuité en ce qui concerne la découverte de la littérature latino-américaine
p a r la France que l'événement est assez récent. A la fin du siècle dernier,
quand la France commence à s'intéresser à la littérature latino-américaine
— c'est-à-dire au moment où la littérature latino-américaine commence
timidement à se faire valoir — la littérature française paraît se suffire à
elle-même. Elle s'ouvre à la littérature d'Amérique latine avec un certain
effort, on dirait, et comme p a r surcroît, mais c'est d'elle-même ou des autres
littératures européennes qu'elle tire sa substance. A l'époque, la France
n'a pas besoin de lellres latino-américaines, et il faut bien dire que les lettres
latino-américaines n'ont pas grand-chose, alors, à lui apporter : il faudra
que plus de cinquante ans s'écoulent pour que celles-ci mûrissent et pour
que la France arrive à se départir de son attitude pour s'intéresser d'une
façon plus profonde, et comme d'égal à égal, à cette littérature qui lui vient
d'outre-Atlantique. C'est l'histoire de ces soixante et quelques années — bientôt
trois quarts de siècle — de découverte et de dialogue que j'ai voulu tracer
dans les pages qui vont suivre.

J ' a i pris comme point de départ de celle étude les années 1893-1900,
sans pour autant négliger l'intérêt qu'avait pu manifester la France avant
cette date à l'égard des écrivains hispano-américains, mais en donnant à
ceux-ci leur juste place, c'est-à-dire celle de précurseurs. Si j ' a i choisi de
commencer à étudier les rapports lilléraires entre la France et l'Amérique
hispanique à partir de cette date-là, c'est parce que ces années marquent le
début du premier mouvement littéraire vraiment autonome dans la littérature
hispano-américaine : je veux dire le modernismo. Intéressant en tant qu'il
atteste l'indépendance de celle littérature, le modernismo a eu cet autre
mérite, tout pratique mais à mon point de vue précieux, de provoquer une
affluence massive d'Hispano-Américains vers la France. Or, il faut bien
se dire que les contacts littéraires débutent assez souvent p a r les contacts
personnels; les premières années de ce siècle auront été à cet égard bien
fécondes, puisqu'elles auront largement permis ces contacts dont la France
avait besoin pour entreprendre sa découverte.
Depuis lors, près de soixante-dix années de contacts et d'échanges litté-
raires que j ' a i divisées en trois périodes. J ' a i appelé la première, dont la
fin coïncide avec la fin de la Grande Guerre, le début de la découverte : elle
coïncide également avec la naissance, l'épanouissement et la mort du moder-
nismo. Une autre guerre marque la fin de la seconde, pendant laquelle le
dialogue entre la France et l'Amérique hispanique s'amorce : période pendant
laquelle les écrivains hispano-américains découvrent parfois naïvement leur
terre et leurs morts après la folie du modernismo, on pourrait dire que ce
fut une période de nationalisme littéraire ; je préfère pour elle le qualificatif
plus pudique d'américanisme critique. De la troisième période, qui marque
à la fois l'échange véritable entre la France el l'Amérique hispanique et
la maturité de la littérature hispano-américaine, on peut dire qu'elle ne
fait que commencer.
Une élude générale des contacts établis pendant chaque période risquait
d'être, justement, trop générale; une élude détaillée aurait immédiatement
sombré dans la prolixité et impliquerait la perte de toute perspective critique,
puisqu'on sacrifierait au besoin de tout consigner la mise en valeur des
contacts et des efforts de diffusion qui ont vraiment porté des fruits. J ' a i
donc choisi de bâtir chaque partie de ce travail autour d'une « présence »
hispano-américaine à laquelle je consacre une plus grande attention. L'étude
de la fortune de cet écrivain hispano-américain en France est précédée
d'un chapitre d'introduction où sont analysées les grandes lignes de chaque
période, et suivie d'un ou deux chapitres complémentaires qui analysent
d'autres aspects significatifs du dialogue franco-hispano-américain. L'intro-
duction et le chapitre central de la dernière partie étant exceptionnellement
longs, il n'y a pas en réalité de chapitre complémentaire, celui qui fait
figure de tel n'étant en réalité qu'un appendice du chapitre sur Borges.
Le choix de cette présence qui devait lester, pour ainsi dire, chaque partie
de cette étude n'a pas été facile. Car quel critère adopter ? Prendre l'écrivain
le plus significatif en Amérique hispanique pour étudier ensuite l'accueil
— si accueil il y eut — que fit la France à son ceuure ? Prendre l'écrivain
hispano-américain le plus en vue à Paris à l'époque, pour insignifiant
qu'il fût, et analyser sa fortune en France ? J ' a i tenté de concilier les deux
points de vue. Ainsi, pour la première époque, j'ai choisi Rubén Dario;
si je ne m'en étais tenue qu'au second critère j'aurais dû prendre Enrique
Gômez Carrillo, mais il me semblait plus intéressant d'analyser la fortune
— ou plutôt l'infortune, car il passa quasi inaperçu en France — d'un
grand poète, que le succès éclatant d'une figure secondaire. Pour la seconde
époque, j'ai pris Ricardo Güiraldes. Ce n'est peut-être pas l'écrivain hispano-
américain le plus important de son époque (qui d'ailleurs pourrait le choisir,
cet écrivain le plus important ?) mais c'est certainement l'un des écrivains
les plus importants des années 1920-1930. Fut-il connu en France ? Ventura
Garcia Calderôn le fut davantage, certes, mais le cas de Güiraldes paraissait
beaucoup plus riche, à différents points de vue : héritier plus lointain du
modernisme, Giiiraides est un bon représentant de celle littérature de retour
que j'ai qualifiée plus haut d'américanisme critique. C'est en tant que tel
qu'il se fait connaître en France — car il fut bien connu d'un groupe d'écri-
vains français — et non en tant que dilettante déraciné; c'est en tant que
tel qu'il se fait (lU besoin aider et conseiller par des Français qui collaborent
ainsi et de loin à cette « quête de l'expression » qui fut la plus grande préoc-
cupation des écrivains hispano-américains de l'époque. La troisième période
est centrée sur forge Luis Rorges : le succès remporté en France par cet
écrivain. qui dépasse de loin celui qu'ont obtenu ses contemporains, rend
superflu, je crois, tout essai de justification.
On pourra me reprocher la présence de deux Argentins parmi ces trois
noms : el quoi je répondrai qu'étant Argentine moi-même je n'ai pas cru
mal faire en parlant de ce que je connaissais le mieux, d'autant plus que
les introductions qui précèdent chacun de ces chapitres s'efforcent de donner
à ces Argentins leur juste place, c'est-à-dire celle qu'ils occupent à côté
des autres écrivains de l'Amérique hispanique. Les raisons que j'ai invoquées
plus haut pour justifier le choix de chaque écrivain me meltront à l'abri,
je l'espère, d'une éventuelle accusation de chauvinisme, ce dont je crois,
en toute sincérité, être exemple.
Enfin, j'ai délibérément restreint celle étude à la littérature américaine
de langue espagnole, supprimant dès l'abord toute référence à la littérature
du Brésil. Je suis consciente de l'importance de cette omission ; j'ai préféré
pourtant — dans une étude où il est question de littérature — de m'en tenir
à l'unité linguistique et non à celle que dicterait la géographiel.

L'auto-commisération dont je parlais au début de celle introduction est


un sentiment cher aux Hispano-Américains. On y a recours devant un
affront, devant une déception personnelle, devant une catastrophe nationale.
On y a recours notamment devant l'incompréhension de l'Europe, surtout
en ce qui concerne la littérature; Paris ne nous connaît pas, les Français
sont des « méconnaisseurs à part entière » : de Darlo à Borges les plaintes
n'ont pas cessé. Le reproche n'est pas entièrement gratuit, même de nos jours,
mais à trop le répéter on risque fort de figer le rôle de la France dans cet
essai de dialogue, de lui attribuer éternellement cette attitude de « celui-qui-
ne-comprend-pas » dont elle semble bien, depuis quelque temps, s'être départie;
on risque de méconnaître cet effort vers la connaissance qui est bien d son
honneur, réponse à l'appel que lui lançait depuis toujours la littérature
hispano-américaine, et qui, pour être lent à démarrer, pour avoir suivi,
parfois, des voies discutables, n'en a pas moins donné de bons résultats.
C'est sur cet effort que je voudrais attirer l'attention, c'est là-dessus que
portera cette étude : peut-être finira-t-on par voir que, malgré ses erreurs,
malgré le manque de renseignements, malgré les idées préconçues, la France
commence à se faire, au sujet de l'Amérique hispanique, une idée qui n'est
pas trop loin d'être juste, qu'elle commence à accepter qu'il y a quelque chose
à entendre — et peut-être même à apprendre — de ce que la littérature
hispano-américaine a à tut dire.

1. Pour la rédaction du présent travail il n'a été tenu compte, en principe, que
des publications antérieures à 1967. Exceptionnellement, pourtant, on y utilise du
matériel fourni par des recherches postérieures.
PREMIÈRE PARTIE

DE 1900 A 1920 : LA D É C O U V E R T E
INTRODUCTION

On s'accorde traditionnellement pour voir, dans la Alocuciôn a la


poesÍa d'Andrés Bello, le manifeste de l'indépendance intellectuelle de
l'Amérique hispanique. Le fait que cette silva revêt les formes les plus
conventionnelles pour inviter au divorce passe au second plan : pour la
première fois un Hispano-Américain ose inviter « la muse » à laisser
la culta Europa
Que tu nativa rustiquez desama1
et à s'installer dans « le monde de Colomb ». Comme le signale Pedro
Henriquez Urena2, le poème de Bello était, en Amérique hispanique,
ce qu'étaient aux Etats-Unis les écrits d'Emerson et de Channing :
l'accomplissement, sur le plan littéraire, de la rupture politique et
économique avec l'Europe.
Or on connaît bien la longue période de tâtonnements — politiques
aussi bien que littéraires — qui suivit cette optimiste déclaration de prin-
cipes. Laissée à elle-même, l'Amérique hispanique ne put s'empêcher
de chercher d'autres modèles : « la poésie savante, de caractère univer-
sitaire et plus particulièrement jésuitique », comme l'appelait Larbaud3,
se tourna vers la France, renforçant ainsi des liens qui dataient dès avant
l'indépendance hispano-américaine ; elle importa directement le roman-
tisme puis le réalisme français, avant que ne l'eût fait son ancienne
tutrice4.
C'est à cette époque — à partir, disons, du retour d'Esteban Eche-
verria en Argentine — que la France assume pleinement ce caractère
de pourvoyeuse de culture qu'elle garde encore en Amérique hispanique.
Comme le signalait encore fort justement Larbaud, le français devient
ce que n'avait pas pu devenir l'espagnol : une langue de civilisation. Il
est certain que pour les élites hispano-américaines du xixe siècle le
français était, et continua d'être pendant longtemps :
« la Koïné intellectuelle européenne, l'admirable véhicule verbal qui leur
apportait, en même temps que nos chefs-d'œuvre classiques, romantiques, sym-

1. [...] l ' E u r o p e cultivée


Q u i n ' a i m e guère ta native rusticité,
2. P e d r o HENRIQUEZ UREÑA, L i t e r a r y C u r r e n t s in H i s p a n i c A m e r i c a , C a m b r i d g e ,
Mass., H a r v a r d U n i v e r s i t y P r e s s , 1945, p. 237 (n. 8 d u c h a p . 4).
3. L ' œ u v r e e t l a s i t u a t i o n de R i c a r d o G ü i r a l d e s , d a n s L a Revue e u r o p é e n n e ,
1er m a i 1925.
4. V o i r P e d r o HENRIQUEZ URENA, ouvr. cité, p. 118 e t 148.
bolistes, etc., tous les courants philosophiques et esthétiques du Vieux Monde,
et Faust dans la traduction de Gérard de Nerval, Byron dans celle d'Amédée
Pichot, Poe dans celle de Baudelaire, Walt Whitman dans celle de Bazalgette...l ».

Mais le m o u v e m e n t culturel entre la France et l'Amérique hispanique


n ' é t a i t , p o u r le m o m e n t , qu'unilatéral. Contre une culture riche de plu-
sieurs siècles et de multiples influences, l'Amérique n ' a à offrir qu'une
l i t t é r a t u r e mal dégrossie qui p e u t se v a n t e r moins de m o u v e m e n t s et
de cénacles que de grandes figures isolées qui dépassent le plus souvent
les limites s t r i c t e m e n t littéraires. E n effet, après Bello, où ranger Sar-
miento, et Montalvo, et Hostos, et Gonzalez P r a d a , et Marti et plus t a r d
Rodô ? Dans le domaine littéraire ? Dans celui de la politique ? Trop
occupés à construire p o u r s'en soucier, ces hommes d'action doublés
de maîtres à penser t r o u v e n t leur place aussi bien dans l'un que dans
l'autre. Or la France semble être plus intéressée par les transformations
politiques et économiques des pays hispano-américains que p a r leurs
littératures embryonnaires, comme le m o n t r e bien ce jugement sur
Facundo de Sarmiento :
« Le livre de M. Sarmiento est un des ouvrages exceptionnels de l'Amérique
nouvelle où brille quelque originalité ; c'est une étude faite au vif, une analyse
profonde, énergique, de tous les phénomènes de la société argentine. L'éclat
du style ne fait pas défaut à la vigueur de la pensée. Au surplus, la littérature
aura son jour, lorsque les problèmes débattus par M. Sarmiento auront trouvé
leur solution ; jusque-là c'est moins la valeur littéraire qu'il faut chercher dans
Civilisation et barbarie que les idées et les faits dont l'exposition donne à l'ouvrage
un rare intérêt »2.

P o u r t a n t les contacts littéraires, t o u t en é t a n t rares, existent, et


m é r i t e r a i e n t sans doute une étude plus détaillée. L a Revue des Deux
Mondes nous en fournit la preuve, en p u b l i a n t occasionnellement des
articles consacrés à la l i t t é r a t u r e de cette « Amérique nouvelle » : « La
société et la littérature à Cuba », p a r Charles de Mazade, le 15 décem-
bre 1851, p a r exemple, et « La poésie et les poètes dans l'Amérique espa-
gnole depuis l ' I n d é p e n d a n c e », p a r E. Reclus, le 15 février 1864.
Ces contacts littéraires furent sans doute affermis par les contacts
personnels entre les écrivains d'Amérique hispanique et leurs collègues
français. Dès cette époque les voyages en France, d'abord timides, se
font de plus en plus fréquents, et la présence de l'écrivain hispano-améri-
cain à Paris fait certainement beaucoup plus p o u r son œuvre que ne
pourrait le faire — s u r t o u t à cette époque — la lecture de ses textes.
Ce ne sont souvent que des rapports passagers, dont les conséquences,
en ce qui concerne la diffusion de la littérature hispano-américaine,
sont insignifiantes : Montalvo r e n d a n t visite à L a m a r t i n e et corres-
p o n d a n t avec Hugo, Echeverria p r e n a n t c o n t a c t avec les écrivains de
l'école romantique, il y a là, t o u t au plus, de quoi faire de belles anecdotes.
Mais Sarmiento, p a r exemple, comme nous le m o n t r e n t les recherches

1. V a l e r y LARBAUD, N o t r e A m é r i q u e , d a n s la Nouvelle Revue française, 1ER a v r i l 1935.


2. C h a r l e s de MAZADE, D e l ' a m é r i c a n i s m e e t des R é p u b l i q u e s d u S u d , Société
a r g e n t i n e . Q u i r o g a e t R o s a s , d a n s L a Revue des D e u x M o n d e s , 15 n o v e m b r e 1846.
C ' e s t m o i q u i souligne.
de Paul Verdevoyet, réussit à établir des rapports plus stables et parvint
même à se faire traduire. Il en est de même pour Alberto Blest Gana,
ministre du Chili en France, et qui aspirait au titre de « Balzac chilien »2.
Jusque-là les contacts de la France avec l'Amérique hispanique se
sont réduits à des cas isolés. On n'a pas en France une idée bien nette
de ce qu'est la littérature hispano-américaine, et il faut bien se dire
que les Hispano-Américains eux-mêmes ne l'ont guère davantage. On
peut dire que la conscience littéraire naît en Amérique hispanique avec
la stabilité politique qui s'annonce vers 1870 et qui devient une réalité
vers 1890. A partir de ce moment, comme le signale Henriquez Urena3,
il y a une division du travail : les écrivains ne s'occupent pas toujours
de politique et les politiciens ne font plus de vers. Il y a davantage d'écri-
vains purs, même si, pour des raisons pratiques, ils sont obligés de se
consacrer à des professions diverses — le journalisme, l'enseignement,
la diplomatie, le barreau — pour pouvoir survivre.
Or, au milieu de l'ordre et de la prospérité relatifs qui règnent en
Amérique hispanique, ces écrivains réagissent, dirait-on à première vue,
d'une façon assez curieuse. La stabilité qui suit^à^T'anarchie aurait pu
leur inspirer certaine satisfaction béate ; au contraire, elle leur permet
le loisir nécessaire pour faire un bilan : la littérature hispano-américaine,
littérature de fonctionnaires, condamnée à chanter les gloires officielles,
soutient mal ou pas du tout la comparaison avec les littératures euro-
péennes. De là cet effort, pathétique si l'on veut, de mettre à jour la litté-
rature d'Amérique hispanique en l'enrichissant d'apports européens,
en essayant de lui faire parler la langue de la littérature française de
l'époque. « En el asunto del pensamiento y de la literatura hispano-
americana, creo yo, desde luego, que no hay alll nada, o mas bien que
hay muy poco », écrivait Rubén Darlo à Unamuno4 ; mais il ajoutait :
« Pero lo poquisimo que hay merece respeto. » De cette prise de conscience
lucide naît le 1110dernismo :
« El modernismo acepta implicitamente esa indigencia cultural y, al aven-
turarse a crear con un Ersatz de la cultura, transmuta la miseria en riqueza.

1. Voir P a u l VERDEVOYE, L ' I n s t i t u t h i s t o r i q u e e t ses c o l l a b o r a t e u r s a r g e n t i n s ,


d a n s la Revue de L i t t é r a t u r e comparée, t. 33, 1959, p. 544. O n y a p p r e n d q u e S a r m i e n t o
c o l l a b o r a i t a u j o u r n a l de l ' I n s t i t u t h i s t o r i q u e d o n t il é t a i t m e m b r e e t q u e la p r e m i è r e
t r a d u c t i o n de F a c u n d o d a t e de 1853 (voir la n. 1 de la p. 547 d a n s l ' a r t i c l e cité).
2. L a t r a d u c t i o n de E l ideal de un calavera ( L ' i d é a l d ' u n m a u v a i s s u j e t ) , f a i t e p a r
Marie HUBBARD, d a t e de 1885 (Paris, H a c h e t t e ) . P a r m i les v o y a g e u r s h i s p a n o - a m é -
ricains q u i a t t e i g n e n t q u e l q u e r e n o m m é e à P a r i s on p e u t e n c o r e c i t e r P a u l G r o u s s a c .
Ce F r a n ç a i s é t a b l i d e p u i s l o n g t e m p s en A r g e n t i n e é t a i t d e v e n u é c r i v a i n a r g e n t i n e t
m a î t r e à p e n s e r de t o u t e l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e . Il est i n t é r e s s a n t de c o m p a r e r les
i m p r e s s i o n s de son v o y a g e en F r a n c e de 1883 — E l viaje intelectual, B u e n o s Aires,
J é s u s Menéndez, 1920 — a v e c celles de ses c o n t e m p o r a i n s h i s p a n o - a m é r i c a i n s : les
origines f r a n ç a i s e s de G r o u s s a c f o n t q u ' i l j u g e la F r a n c e e t les F r a n ç a i s d ' u n œ i l b i e n
plus c r i t i q u e q u e celui de ses collègues. Il suffit, p o u r s'en a p e r c e v o i r , de lire les c o m p t e s
r e n d u s de ses v i s i t e s à E d m o n d de G o n c o u r t e t à V i c t o r H u g o .
3. P e d r o HENRIQUEZ UREÑA, ouvr. cit., p. 161.
4. E n ce qui concerne la pensée et la littérature hispano-américaines, je crois, bien
entendu, qu'il n ' y a rien, ou plutôt qu'il y a très p e u de chose, m a i s que le très peu q u ' i l
y a mérite d'être respecté. L e t t r e d u 21 a v r i l 1899, d a n s E p i s t o l a r i o , Obras completas,
M a d r i d , B i b l i o t e c a de R u b é n D a r i o , 1926, p. 25.
Y i cuàl es la diferencia con el europeismo ? El artista europeista simula ser
europeo y demuestra que no es nada. En el cosmopolitismo modernista se reco-
noce no ser nada y se logra de tal suerte una cierta forma de ser. Esa voluntad
de verdad — que toca directamente el punto en que el alma latinoamericana se
sabe falaz — transfôrmase en una enorme fuerza M1.

Cet é t a t de besoin culturel se t r a d u i t par des influences livresques


plus que jamais intenses. Ainsi Juliàn del Casai, un des premiers moder-
nistas, sans jamais avoir été en France, est le premier à introduire en
Amérique hispanique l'orientalisme alors à la mode p a r m i les poètes
français. L'influence des livres était d'ailleurs si forte chez lui, qu'il v i t
l'Espagne — le seul pays de l'Europe qu'il visita — à travers les y e u x de
Gautier et de Mérimée : p l u t ô t l'espagnolade que l'Espagne. Cette expé-
rience se répète chez plus d ' u n modernista.
L ' é t a t de besoin culturel se t r a d u i t s u r t o u t p a r des voyages. Les
écrivains hispano-américains ne se contentent plus de recevoir les livres
et revues français, il leur f a u t désormais aller toucher d'eux-mêmes aux
sources de cette culture qu'ils réclament. Ils font leur « voyage en Europe »
u n peu comme les peintres français du XVIIe siècle faisaient leur « voyage
en Italie » : le « complexe de Paris », selon l'heureuse expression de Pedro
Salinas2, devient une véritable épidémie. « Debo decirle que no acabo de
comprender del todo esa atracciôn que sobre ustedes ejerce Paris, ni ese
anhelo de que sea precisamente Paris, y no Londres, o Berlin, o Viena,
o Bruselas, o Estocolmo, o... Heidelberg, donde los descubran »3, écrivait
U n a m u n o a Dario avec un grain de mauvaise foi, celle que lui inspirait
sa proverbiale antipathie pour la France. Pour la première fois dans
l'histoire des échanges culturels entre la France et l'Amérique hispanique,
on peut parler d'une véritable colonie littéraire établie à Paris qui pré-
sente, pour ainsi dire, u n front unique, celui du modernismo : Enrique
Gômez Carrillo, R u b é n Dario, Amado Nervo, les frères Garcia Calderôn,
Rufino Blanco F o m b o n a , Enrique Larreta ne sont que quelques-uns
des écrivains qui la composent. Il s'agit d'une colonie stable, dont les
membres s'installent d'une manière quasi définitive à Paris : Dario,

1. Le modernismo accepte implicitement cette indigence culturelle et, en tentant la créa-


tion avec un Ersatz de la culture, il transforme la misère en richesse. Quelle est la diffé-
rence avec l' « européisme » ? L'artiste « européisanl » feint d'êlre Européen et montre qu'il
n'est rien. Dans le cosmopolitisme moderniste on reconnaît qu'on n'est rien et on atteint de
la sorte une certaine forme d'être. Celle volonté de vérité — qui touche directement ce point
où l'âme latino-américaine se fait fallacieuse — devient une énorme force. H. A. MURENA,
Ser y no ser de la cultura latinoamericana, dans Ensayos sobre subversion, Buenos
Aires, Sur, 1962, p. 65. Il y a plus de soixante ans Unamuno écrivait à Dario et disait,
en se référant à la littérature hispano-américaine et à ses écrivains : « Todo lo turbio
que hay alli, y no es poco, es turbio de fermentaciôn. Aspiran, siquicra, a ser otros,
que es lo mismo que aspirar a ser mas ellos cada vez. » Tout ce qu'il y a là de trouble
— et ce n'est pas peu — c'est du trouble de fermentation. Ils aspirent au moins à être
autre chose, c'est-à-dire qu'ils aspirent à être de plus en plus eux-mêmes. Rubén DARIO,
Epislolario, p. 168.
2. Pedro SALINAS, La poesia de Rubén Dario, Buenos Aires, Losada, 1957, p. 32.
3. Je dois vous dire que je n'arrive pas tout à fait à-comprendre cet attrait que Paris
exerce sur vous tous, ni ce désir que ce soit précisément à Paris et non à Londres, à Berlin,
à Vienne, à Bruxelles, à Stockholm ou... à Heidelberg qu'on vous découvre. Rubén DARIO,
Epistolario, p. 166.
lors de s o n s e c o n d v o y a g e e n F r a n c e , d é c l a r e q u ' i l y v i e n t s ' i n s t a l l e r
« p o u r t o u j o u r s » e t il n e s u r v i t g u è r e à s o n d é p a r t , e n 1914 ; G ô m e z
C a r r i l l o y fixe s a r é s i d e n c e e n 1891 e t n e q u i t t e P a r i s — o ù il m o u r r a
e n 1927 — q u e l o r s q u ' i l e n t r e p r e n d ses v o y a g e s e x o t i q u e s ; les G a r c i a
C a l d e r ô n s ' i n s t a l l e n t d é f i n i t i v e m e n t à P a r i s a i n s i q u e le C h i l i e n Francisco,
Contreras.
L a d i p l o m a t i e o u le j o u r n a l i s m e — s o u v e n t les d e u x à la fois —
a s s u r e n t , t o u t c o m m e de n o s j o u r s , la v i e m a t é r i e l l e d e ces é c r i v a i n s
h i s p a n o - a m é r i c a i n s e n exil v o l o n t a i r e . E n r i q u e L a r r e t a e s t a m b a s s a d e u r
d ' A r g e n t i n e p r è s d u g o u v e r n e m e n t f r a n ç a i s de 1910 à 1916 ; R u f i n o
B l a n c o F o m b o n a e s t c o n s u l d u V e n e z u e l a à A m s t e r d a m de 1901 à 1904
e t V e n t u r a G a r c i a C a l d e r ô n e s t c o n s u l d u P é r o u a u H a v r e à p a r t i r de 1917,
ce q u i n e les e m p ê c h e n u l l e m e n t de p a s s e r la p l u p a r t d e l e u r t e m p s à
P a r i s . L e s n a t i o n a l i t é s , de m ê m e q u e les d e s t i n a t i o n s , s ' e m b r o u i l l e n t
s o u v e n t à p l a i s i r : le N i c a r a g u a y e n D a r i o c o m m e n c e u n e m i s s i o n c o m m e
c o n s u l p r è s l ' A m b a s s a d e de C o l o m b i e à B u e n o s A i r e s p a r u n s é j o u r d e
q u e l q u e s m o i s e n F r a n c e ; le G u a t é m a l t è q u e G ô m e z C a r r i l l o s e r a , p e n d a n t
u n t e m p s , v i c e - c o n s u l p r è s l ' A m b a s s a d e de la r é p u b l i q u e A r g e n t i n e
à Paris.
Les a r t i c l e s d a n s les q u o t i d i e n s h i s p a n o - a m é r i c a i n s o u e s p a g n o l s e t
les t r a v a u x d a n s des r e v u e s o u d a n s des m a i s o n s d ' é d i t i o n f r a n ç a i s e s
c o m p l è t e n t s o u v e n t ces m i s s i o n s . A p r è s s o n p o s t e de c o n s u l à B u e n o s
Aires, D a r i o d e v i e n t c o r r e s p o n d a n t d e L a N a c : d n ; G ô m e z C a r r i l l o c o l l a -
b o r e a s s i d û m e n t à l' A B C d e M a d r i d ; il t r a v a i l l e a u s s i p e n d a n t u n c e r t a i n
t e m p s c h e z G a r n i e r , la m a i s o n d ' é d i t i o n f r a n ç a i s e q u i , t o u t c o m m e celle
de la V e u v e B o u r e t , s ' é t a i t s p é c i a l i s é e d a n s la p u b l i c a t i o n d e l i v r e s h i s p a n o -
a m é r i c a i n s . F r a n c i s c o C o n t r e r a s t i e n t p l u s de v i n g t a n s la c h r o n i q u e des
« L e t t r e s h i s p a n o - a m é r i c a i n e s » a u M e r c u r e de F r a n c e .
Cette colonie est s u f f i s a m m e n t stable p o u r e n v i s a g e r des t r a v a u x en
c o m m u n : la p é r i o d e 1 9 0 0 - 1 9 2 0 v e r r a n a î t r e p l u s i e u r s r e v u e s , l i t t é r a i r e s
ou d ' i n t é r ê t g é n é r a l , é d i t é e s p a r les H i s p a n o - A m é r i c a i n s d e P a r i s : E l
Nuevo Mercurio, que dirige Gômez Carrillo, M u n d i a l M a g a z i n e (au t i t r e
f â c h e u s e m e n t cosmopolite) et Elegancias q u e dirige Darlo, L a Revue
s u d - a m é r i c a i n e q u e d i r i g e L u g o n e s . F o r t e de s a c u l t u r e e m b r y o n n a i r e ,
l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e , p a r l ' e n t r e m i s e de ses é c r i v a i n s r é s i d a n t à P a r i s ,
t e n t e d é j à u n t i m i d e e f f o r t de p r o p a g a n d e ; o u t r e les r e v u e s , il y a d e s
e x p o s i t i o n s d ' a r t — P i e r r e J a n f a i t la c h r o n i q u e de l ' u n e d ' e l l e s d a n s le
p r e m i e r n u m é r o de E l N u e v o M e r c u r i o — e t des c o n f é r e n c e s , o r g a n i s é e s
p a r des H i s p a n o - A m é r i c a i n s l .
C e t t e c o l o n i e n ' e s t p a s p o u r t a n t e x c l u s i v e m e n t l i t t é r a i r e : le r o m a n c i e r
ou le p o è t e é t a n t s o u v e n t d o u b l é s d ' u n d i p l o m a t e o u t o u t s i m p l e m e n t
d ' u n h o m m e de g o û t , elle a des r a p p o r t s n o n s e u l e m e n t a v e c les i n t e l l e c -
t u e l s m a i s e n c o r e a v e c le b e a u m o n d e . E n r i q u e L a r r e t a f r é q u e n t e assi-
d û m e n t les s a l o n s d ' A n n a de N o a i l l e s e t de la p r i n c e s s e M u r â t ; P r o u s t
e t R o b e r t de M o n t e s q u i o u c o n n a i s s e n t b i e n u n de ses c o m p a t r i o t e s , le
g é n é r a l - é c r i v a i n L u c i o V. M a n s i l l a . Celui-ci s e m b l e a v o i r c o n n u d ' a i l l e u r s
u n e c e r t a i n e r e n o m m é e d a n s les s a l o n s p a r i s i e n s e n t a n t q u e c a u s e u r

1. Voir p. 69.
raffiné. P r o u s t p a r l e d e lui d a n s u n e l e t t r e à M o n t e s q u i o u 1 , e t B a r r è s
p r é f a c e u n de ses l i v r e s , E s t u d i o s morales, e t s a l u e « la v é r i t é [...] la force
vivante qu'il y a dans la philosophie de cet éminent causeur »2. Ce livre
est dédié « au comte Robert de Montesquiou Fezensac, hommage d'amitié,
de sympathie et d'admiration » ; le hasard a fait que l'exemplaire qui se
trouve à la Bibliothèque nationale de Paris soit en plus dédicacé — de la main
de Mansilla — au secrétaire de Montesquiou, l'Argentin Gabriel Iturri3.
Il ne suffit pas, bien entendu, du modernismo pour justifier cette
présence massive d'Hispano-Américains à Paris. L'Amérique hispanique
connaît une période de prospérité et d'épanouissement qui la fait sortir
de son petit noyau dans plus d'un sens : avec les écrivains viennent
séjourner à Paris les grandes familles hispano-américaines — les Ocampo,
les Erràzuriz — qui aspirent, elles aussi, à se mettre à la page. C'est
cette période d'or où les Hispano-Américains passent la moitié de l'année
à Paris et l'autre moitié à Buenos Aires ou à Caracas, où des maisonnées
entières déménagent, accompagnées parfois d'une vache chargée d'assurer
le lait aux enfants pendant la longue traversée.
Comment ces Hispano-Américains furent-ils reçus en France ? Sur
le plan personnel et mondain, cela semble s'être passé sans heurts. Les uns,
raffinés, parlant un parfait français, forts en culture européenne, étaient
acceptés sans difficulté ; les autres, arrivistes, tapageurs, scandalisaient
peut-être et passaient quand même. Mais sur le plan strictement littéraire,
l'accueil risquait d'être plus difficile.
« L a g é n é r a t i o n d o n t je fais p a r t i e é t a i t c a s a n i è r e , é c r i v a i t Gide4,

elle ignorait beaucoup l'étranger, et loin de souffrir de cette ignorance,


était prête à s'en glorifier. » La religion de la terre et des morts avait
effectivement fait trop d'adeptes pour qu'on fît attention aux littératures
étrangères. Maurice Barrès prescrit la réaction « contre les étrangers qui
nous envahissent et qui déforment notre raison naturelle », car « la vérité
allemande et l'anglaise ne sont point la vérité française, et peuvent nous
empoisonner »6. « Tous ceux qui travaillent aujourd'hui à débarrasser la
France des cosmopolites, corrupteurs de notre esprit national, écrit-il,
doivent se connaître et s'entr'aider »6. On pourrait donc penser que,

1. L e t t r e 8 3 d e s l e t t r e s à M o n t e s q u i o u , t o m e p r e m i e r d e l a C o r r e s p o n d a n c e g é n é r a l e
de M a r c e l P r o u s t , p u b l i é e p a r R o b e r t PROUST e t P a u l BRACHE, a v e c u n e i n t r o d u c t i o n
d e R o b e r t PROUST, P a r i s , P l o n , 1930.
2. E s t u d i o s m o r a l e s o s e a E l d i a r i o de m i v i d a , P a r i s , G . R i c h a r d , 1 8 9 6 .
3. E n c o r e u n H i s p a n o - A m é r i c a i n d o n t l a p r é s e n c e à P a r i s s e m b l e a v o i r f a i t q u e l q u e
bruit. N a t i f de T u c u m à n , province argentine, Iturri a v a i t été élève de Groussac lorsque
c e l u i - c i s ' i n i t i a d a n s l ' e n s e i g n e m e n t . Il a b a n d o n n a s e s é t u d e s p o u r a l l e r à B u e n o s
A i r e s , p u i s à P a r i s o ù il d e v i n t l e s e c r é t a i r e d e M o n t e s q u i o u . Il n ' é c r i v a i t p a s m a i s
é t a i t , a u d i r e de L é o n D a u d e t qui l ' é v o q u e c o m m e l ' u n e d e s figures les p l u s t y p i q u e s
d e L'entre-deux-guerres (Paris, N o u v e l l e L i b r a i r i e l a t i n e , 1915), u n c a u s e u r brillant, u n
(f T a l l e m a n t d e s R é a u x à l ' a c c e n t e s p a g n o l ». G r o u s s a c d i t l ' a v o i r v u , e n 1 8 8 3 , c h e z
G o n c o u r t , m a i s r e f u s a o s t e n s i b l e m e n t d e le r e c o n n a î t r e . I t u r r i m o u r u t à P a r i s en 1894 ;
M o n t e s q u i o u d é d i a à sa m é m o i r e le s o n n e t l i m i n a i r e d e s H o r t e n s i a s bleus.
4. L ' a v e n i r d e l ' E u r o p e , d a n s I n c i d e n c e s , P a r i s , G a l l i m a r d , 1 9 2 4 , p . 24.
5 . M a u r i c e B A R R È S , S c è n e s et d o c t r i n e s d u n a t i o n a l i s m e , P a r i s , P l o n N o u r r i t , 1 9 2 5 ,
t . I, p . 1 1 5 .
6. L e t t r e d ' A n d r é C h é r a d a m e à M a u r i c e B a r r è s , d a n s L e J o u r n a l , 18 j a n v i e r 1 9 0 0 ,
r e p r i s e p l u s t a r d d a n s Scènes..., t. I I , p . 29.
fermée en général à la pensée étrangère, la France le serait aussi à la litté-
rature hispano-américaine, cosmopolite par excellence. Mais cela n'est
vrai qu'en partie, car si l' « infatuation isolante »1 du nationalisme conduit
souvent Barrès et ses disciples au mépris de la pensée non française
— Zola, si l'on se souvient bien, avait été taxé d'Italien — le domaine
espagnol semble trouver, au moins auprès du maître, une place de choix.
E t comme la ligne divisoire n'est pas encore trop nette qui m e t la litté-
rature hispano-américaine d ' u n côté et l'espagnole de l'autre, un certain
nombre d'écrivains hispano-américains seront accueillis en France grâce
au prestige de l'Espagne.
Le p e n c h a n t de Barrès p o u r l'Espagne et l'Amérique hispanique
— qu'il appelle la Nouvelle Espagne — est certes plus q u ' u n p e n c h a n t
personnel, et ses écrits le m o n t r e n t assez ; p a r exemple ce projet inédit
que publie la Revue des Deux Mondes après sa mort, projet « d ' u n discours
que Maurice Barrès s'était proposé de prononcer à la Chambre en faveur
de l'enseignement de l'espagnol [et qui met] en pleine lumière sa théorie
d e s affinités t r a d i t i o n n e l l e s q u i r a p p r o c h e n t le g é n i e d e s d e u x n a t i o n s »2.

Devant l' « hispanisation » du monde, d e v a n t la « ruée d'Européens »


vers « ces immenses pays en friche de la Nouvelle Espagne », Barrès
recommande la savante orientation des esprits français, car « de tels
problèmes n'intéressent pas seulement la littérature comparée — ce serait
rétrécir la thèse —, ils touchent à la culture intellectuelle et à la plus
haute politique française ». Pour contrecarrer l'influence d'une Allemagne
« envahie de slavisme », d ' u n « monde dangereux et plein de trouble »,
Barrès prêche la plus grande connaissance de la langue et de la litté-
rature du domaine hispanique, car « en Espagne, nous pouvons t r o u v e r
des trésors spirituels, des puissances rénovatrices de nos sentiments
fondamentaux » et « il importe à nos intérêts actuels et éternels que nous
ayons une conversation constante avec les pays d'Espagne ». L ' i n t é r ê t
de Barrès pour la littérature de ces « pays d'Espagne » semble s'appuyer,
si l'on p e u t dire, sur toutes les mauvaises raisons : au lieu d ' y saluer une
littérature nouvelle, produit d ' u n monde nouveau qui commençait juste-
m e n t à se détacher de l'Espagne, Barrès semble voir dans ces pays
encore le prolongement de la péninsule, des satellites qui c o n t i n u e n t la
tradition de la « latinité espagnole ». Toujours est-il qu'il s'y intéresse,
et que c'est grâce à l' « amitié espagnole », comme il l'appelait dans ses
articles publiés dans Le Gaulois3, qu'il prend des contacts avec la litté-
rature hispano-américaine.
De ces rencontres, la plus i m p o r t a n t e est sans doute celle d'Enrique
Larreta. « Qui pourrait se refuser à voir dans les lettres de grande natio-
nalité s p o n t a n é m e n t accordées p a r Paris à mon cher et déjà vieil ami
Enrique Larreta, en même temps q u ' u n témoignage au ministre d'une

1. A n d r é GIDE, L ' a v e n i r de l ' E u r o p e , d a n s Incidences, P a r i s , G a l l i m a r d , 1924, p. 33.


2. Les liens s p i r i t u e l s de l a F r a n c e e t de l ' E s p a g n e , d a n s L a Revue des D e u x M o n d e s ,
15 j u i n 1924. B i e n q u e ce t e x t e de B a r r è s s o i t p o s t é r i e u r à 1920 o n p e u t le c o n s i d é r e r
c o m m e le reflet fidèle de l ' a t t i t u d e q u ' i l e u t t o u j o u r s e n v e r s l ' E s p a g n e .
3. La j e u n e E s p a g n e , le 3 n o v e m b r e 1902 ; A m i t i é e s p a g n o l e , I, le 13 a o û t 1913 ;
A m i t i é e s p a g n o l e , II, le 3 s e p t e m b r e 1 9 1 3 ; E n face de T o l è d e , le 11 o c t o b r e 1913
(ce d e r n i e r d a n s le s u p p l é m e n t d u d i m a n c h e ) .
R é p u b l i q u e c h è r e à la civilisation française, un h o m m a g e au génie de
l'Espagne magnifiquement dressée dans L a g l o i r e d e d o n R a m i r o ? »,
se d e m a n d e Barrés1. L ' A r g e n t i n e , d a n s c e t t e d é c l a r a t i o n , p a r a î t s'effacer
d e v a n t l e « g é n i e d e l ' E s p a g n e », m a i s il e s t v r a i q u e l ' œ u v r e d e L a r r e t a
c o r r o b o r e c e t t e p r é é m i n e n c e . L a r e n c o n t r e des d e u x é c r i v a i n s e u t lieu
d'ailleurs en Espagne, à Tolède, en 1903. Larreta lui-même en évoque
les c i r c o n s t a n c e s 2 . B a r r è s s o r t a i t d e la c h a p e l l e m o z a r a b e d e la c a t h é -

d r a l e l o r s q u e L a r r e t a l ' a b o r d a ; d é s o r m a i s ils v i s i t è r e n t T o l è d e e n s e m b l e ,

e t L a r r e t a é v o q u e t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t u n soir p a s s é a v e c B a r r è s à

l ' e r m i t a g e d e la V i r g e n d e l V a l l e , a u b o r d d u T a g e , d ' o ù ils p u r e n t

c o n t e m p l e r T o l è d e a u s o n d u c h a n t d e s r e l i g i e u s e s e t d e s c l o c h e s d e

l ' A n g é l u s : e x p é r i e n c e p r o f i t a b l e p o u r les d e u x é c r i v a i n s , à e n c r o i r e

L a r r e t a , c a r elle d e v a i t p e r m e t t r e à B a r r è s d e fixer L e secret de T o l è d e

e t à L a r r e t a d e saisir « la c o u l e u r q u e je d e v a i s d o n n e r , e n f i n , à m o n œ u v r e ,

la d o u b l e c o u l e u r d e g l o i r e e t d e c e n d r e ». C u r i e u s e e x p é r i e n c e e n s o m m e ,

q u e celle q u i r é u n i t d e u x é c r i v a i n s é t r a n g e r s à l ' E s p a g n e , t o u s d e u x à la

r e c h e r c h e d e l e u r s m o r t s , e t t o u s d e u x q u e l q u e p e u f o u r v o y é s d a n s

l e u r q u ê t e .

B a r r è s n ' e s t d ' a i l l e u r s p a s le s e u l à s a l u e r e n L a r r e t a u n é c r i v a i n

e s p a g n o l . R e m y d e G o u r m o n t , le p r é t e n d u t r a d u c t e u r d e L a g l o r i a de

D o n R a m i r o , q u ' o n n e p e u t c e r t a i n e m e n t p a s s o u p ç o n n e r d e c h e r c h e r

d e s t r a d i t i o n s e n E s p a g n e , lui c o n s a c r e u n c h a p i t r e d a n s la q u a t r i è m e

s é r i e d e ses P r o m e n a d e s littéraires. L e t i t r e : « U n livre e s p a g n o l ». L ' e r r e u r

e s t f r é q u e n t e , n o n s e u l e m e n t e n ce q u i c o n c e r n e L a r r e t a , e t l ' o n v o i t

s o u v e n t i n c l u r e à l ' é p o q u e , d a n s le g r o u p e d e s é c r i v a i n s d ' E s p a g n e ,

c e u x q u i v i e n n e n t d ' o u t r e - m e r . F . V e z i n e t c o n s a c r e u n e é t u d e à G ô m e z

C a r r i l l o : U n é c r i v a i n e s p a g n o l e n F r a n c e : M . G Ó m e z C a r r i l l o ( P a r i s ,

I m p r i m e r i e d e L. D u c , 1 9 0 9 ) ; E p h r e m V i n c e n t d i t t r o u v e r d a n s les livres

d e G ô m e z C a r r i l l o « u n e s e n s u a l i t é i m m o r a l e . . . p o u r u n é c r i v a i n e s p a g n o l »3.

P o u r le m o m e n t la c r i t i q u e f r a n ç a i s e n e s e m b l e t e n i r c o m p t e q u e d u

d o m a i n e l i n g u i s t i q u e : L a r r e t a , G ô m e z Carrillo, D a r i o e t les a u t r e s s o n t

d e s E s p a g n o l s , d ' A m é r i q u e si l ' o n v e u t , m a i s t o u t c o m p t e f a i t d e s E s p a -

g n o l s . Il f a u d r a a t t e n d r e l ' a p r è s - g u e r r e , l o r s q u e d e s r a p p o r t s p l u s é t r o i t s

s ' é t a b l i r o n t e n t r e les é c r i v a i n s h i s p a n o - a m é r i c a i n s e t les é c r i v a i n s f r a n ç a i s ,

p o u r q u e c e u x - c i c o m p r e n n e n t q u e d e t r è s g r a n d e s d i f f é r e n c e s s é p a r e n t

d é s o r m a i s la l i t t é r a t u r e d e l ' E s p a g n e d e celle d e ses a n c i e n n e s colonies.


C o m m e é c r i t O c t a v i o P a z :

« J u s q u ' à la fin d u siècle dernier o n a dit des lettres de l ' A m é r i q u e latine


qu'elles étaient u n e b r a n c h e d u tronc espagnol. R i e n de m o i n s discutable, si

1. Dans Amitié espagnole, II, Le Gaulois, 3 septembre 1913.


2. Dans la préface à La lampe d'argile, Paris, Presses Gounouilhou, 1915.
Une autre « amitié espagnole » de Barrés : Lucio V. Mansilla, dont il a été question
plus haut. On sait aussi qu'il avait lu la traduction française de Tabaré de ZORILLA
DE SAN MARTIN, faite par J.-J. RETHORÉ en 1890 — et qui serait plus tard revue par
SUPERVIELLE et publiée par l'Unesco — et qu'il avait cru y retrouver « la grande allure
de Dante, et un accent spiritualiste dont seul, dans notre langue, Lamartine [lui don-
nait] quelque idée ». (Dans un article du Temps cité, sans indication de date, par
Raûl MONTERO BUSTAMANTE dans la note bibliographique de Tabaré, Paris, Nagel,
« Collection Unesco d'Œuvres représentatives », 1954).
3. Dans la chronique des « Lettres espagnoles », Mercure de France, mai 1900.
c'est de la langue que l'on tient compte. [...] Mais une chose est la langue que
parlent les Hispano-Américains, autre chose est la l i t t é r a t u r e qu'ils écrivent.
L a branche a tellement grandi qu'elle se trouve avoir a t t e i n t les dimensions
du tronc. En fait, elle est un autre arbre s1.

Il v a u t t o u t e f o i s de s i g n a l e r q u e le M e r c u r e de F r a n c e a v a i t i n t r o d u i t
u n e r u b r i q u e de « L e t t r e s l a t i n o - a m é r i c a i n e s » dès 1897, r e m p l a c é e p a r
la s u i t e p a r celle d e « L e t t r e s h i s p a n o - a m é r i c a i n e s » : c ' é t a i t u n e f a ç o n
de r e c o n n a î t r e l ' i n d é p e n d a n c e l i t t é r a i r e de l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e .

Il e s t r a r e de t r o u v e r à l ' é p o q u e des é c r i v a i n s f r a n ç a i s d o n t l ' i n t é r ê t


p o u r la l i t t é r a t u r e h i s p a n o - a m é r i c a i n e s o i t p l u s q u e p a s s a g e r . E m i l e
F a g u e t et P a u l A d a m p r é f a c e n t G ô m e z Carrillo, H e n r i B a r b u s s e préface
B l a n c o F o m b o n a , M a u r i c e B a r r è s e t A n n a de N o a i l l e s c o n n a i s s e n t b i e n
L a r r e t a , m a i s ce n e s o n t là q u e des c o n t a c t s p e r s o n n e l s , e t la c u r i o s i t é
des p r é f a c i e r s s ' a r r ê t e le p l u s s o u v e n t à l ' œ u v r e q u ' i l s p r é f a c e n t . S e u l
R e m y de G o u r m o n t p a r a î t a v o i r c o n s a c r é u n e a t t e n t i o n p l u s s u i v i e à
cette littérature nouvelle.
D e s é c r i v a i n s f r a n ç a i s d e l ' é p o q u e , G o u r m o n t e s t c e l u i q u ' o n v o i t le
p l u s p o r t é v e r s l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e ; si, e n f a i t de d o m a i n e e s p a g n o l ,
o n p e u t dire q u e B a r r è s p a r a î t r é c l a m e r p o u r lui l ' E s p a g n e , les p r é f é -
r e n c e s de G o u r m o n t p a s s e n t o u t r e , n e s ' a r r ê t e n t p a s à la p é n i n s u l e
— où il t r o u v e t o u t e f o i s d e s a m i s , d e s d i s c i p l e s e t des a u t e u r s q u i
l ' a t t i r e n t — e t s ' i n t é r e s s e d a v a n t a g e à la c u l t u r e d u n o u v e a u m o n d e q u i
e n e s t issu. D e l e u r c ô t é , les r e p r é s e n t a n t s d e c e t t e c u l t u r e s a l u e n t e n
Gourmont un véritable maître à penser, un « excitant cérébral » comme
l ' a p p e l l e B a l d o m e r o S a n i n Cano2, e t n ' h é s i t e n t p a s à a v o u e r l ' i n f l u e n c e
q u ' i l e u t s u r e u x . L a « v i s i t e à G o u r m o n t » é t a i t , p o u r les é c r i v a i n s
h i s p a n o - a m é r i c a i n s fixés à P a r i s o u d e p a s s a g e , u n e e x p é r i e n c e a u s s i
m a r q u a n t e q u e la « v i s i t e à H u g o » p o u r l e u r s p r é d é c e s s e u r s — il suffit
de lire le c o m p t e r e n d u de R u b é n Dario3 — a v e c c e t t e d i f f é r e n c e q u ' e n
a l l a n t v o i r G o u r m o n t ils t r o u v a i e n t , o u t r e l ' i d o l e , u n h o m m e q u i s ' i n t é -
ressait s i n c è r e m e n t à leurs pays et à leur culture. (La « visite à L a r b a u d »
r e m p l a c e r a p l u s t a r d la « v i s i t e à G o u r m o n t », m a i s p a r t i e l l e m e n t : l ' œ u v r e
de c r é a t i o n de L a r b a u d a y a n t t r è s p e u i n f l u e n c é les é c r i v a i n s h i s p a n o -
américains, ceux-ci v i e n d r o n t s u r t o u t t r o u v e r l'américaniste.)
K a r l D. U i t t i a n a l y s e les affinités e n t r e G o u r m o n t e t ces j e u n e s écri-
v a i n s h i s p a n o - a m é r i c a i n s afin d ' e x p l i q u e r l e u r r e n c o n t r e e t la s y m p a t h i e
m u t u e l l e q u ' i l s se p r o f e s s a i e n t 4 . C h r o n o l o g i q u e m e n t , celle-là n e p o u v a i t
p a s m a n q u e r de se p r o d u i r e : c o m m e le s i g n a l e U i t t i , les a n n é e s de d i s p o -
n i b i l i t é des m o d e r n i s t a s c o ï n c i d e n t a v e c la f o n d a t i o n d u M e r c u r e de
F r a n c e , h a u t lieu d e la l i t t é r a t u r e s y m b o l i s t e o ù G o u r m o n t j o u a u n rôle
de p r e m i è r e i m p o r t a n c e . O n c o n n a î t la d i f f u s i o n q u ' e u t c e t t e r e v u e , dès

1. Littérature de fondation, dans Les lettres nouvelles, n° 16 (nouvelle série), juil-


let 1961.
2. Remy de Gourmont et l'Amérique latine, dans La revue de l'Amérique latine,
novembre 1922.
3. Dans Opiniones, Obras Complétas, Madrid, Afrodisio Aguado, 1950, t. I, p. 381.
4. Remy de Gourmont et le monde hispanique, dans Romanische Forschungen,
72 Band, 1/2, 1960, p. 51.
sa f o n d a t i o n , e n A m é r i q u e h i s p a n i q u e ; a j o u t o n s - y q u e l q u e chose q u e
U i t t i s e m b l e oublier, e t qui d u t c e r t a i n e m e n t c o n t r i b u e r à faire c o n n a î t r e
le n o m e t les i d é e s d e G o u r m o n t a u x é c r i v a i n s h i s p a n o - a m é r i c a i n s : ses
c o l l a b o r a t i o n s à L a N a t i o n , le q u o t i d i e n a r g e n t i n , q u i d a t e n t de c e t t e
époque.
M a i s les c o n t a c t s , il v a d e soi, s o n t d u s à q u e l q u e c h o s e de p l u s i m p o r -
t a n t q u e la s i m p l e c o n t e m p o r a n é i t é . G o u r m o n t , s i g n a l e U i t t i , a p p a r a î t
c o m m e l ' a p ô t r e des d e u x c h o s e s q u e les m o d e r n i s l a s s e m b l e n t p r i s e r
p a r - d e s s u s t o u t : le c o s m o p o l i t i s m e l i t t é r a i r e e t l ' i n d i v i d u a l i s m e . L e s
écrivains hispano-américains donnaient à leur t o u r à G o u r m o n t l'image
d ' u n renouveau littéraire et d'une indépendance qui devaient particuliè-
r e m e n t p l a i r e à l ' a u t e u r d u C h e m i n de velours.
E n ce q u i c o n c e r n e la d i f f u s i o n de la l i t t é r a t u r e h i s p a n o - a m é r i c a i n e ,
G o u r m o n t fit p r e u v e d ' u n e g é n é r o s i t é c e r t a i n e . E n o c t o b r e 1897, il i n v i t a
P e d r o E m i l i o Coll, c r i t i q u e v é n é z u é l i e n , à r é d i g e r a u M e r c u r e de F r a n c e
u n e c h r o n i q u e d e s « L e t t r e s l a t i n o - a m é r i c a i n e s ». E n d é c e m b r e 1910
il fit la m ê m e c h o s e a v e c le C h i l i e n F r a n c i s c o C o n t r e r a s . E n m a i 1907
il é c r i v i t u n a r t i c l e , « L a A m é r i c a l a t i n a » d a n s E l N u e v o M e r c u r i o . Il
y déclare :
« Estoy en relaciones muy seguido con los sudamericanos ; conozco de ellos
[sic], de todos los países y de todas las provincias y lo que siempre ha llamado
mi atención es la facilidad que hay para ponerse en relación intelectual con ellos »1.

Gourmont semble avoir bien connu Dario, quoiqu'ils se soient très


peu vus, et Blanco Fombona déclare qu'il avait « clara conciencia del
valor del poeta y de lo que el poeta representaba en las letras espanolas
de ambos mundos »2. Enfin il préfaça un recueil modernista, Sombras de
Hellas de Leopoldo Diaz, et signa la traduction de La Gloria de Don
Ramiro d'Enrique Larreta. Les deux choses lui attirèrent des suites
fâcheuses : la première, les protestations de toute l'Espagne, indignée
parce que Gourmont avait pris pour « flexibilizaciôn de nuestra lengua
la jerga afrancesada de ciertos escritores »3 ; la seconde, une polémique
— qu'on n'a pas encore tranchée — sur le véritable auteur de cette
t r a d u c t i o n 4 .

1. J e suis très souvent en rapport avec les Américains du Sud : j'en connais de tous
les pays et de toutes les provinces et ce qui a toujours frappé mon attention c'est la facilité
qu'on a à établir des rapports intellectuels avec eux.
2. Clairement conscience de la valeur du poète et de ce que le poète représentait dans les
lettres espagnoles des deux mondes. El Modernismo y los poêlas modernos, Madrid,
Mundo latino, 1919, p. 168.
3. Assouplissement de notre langue le jargon francisé de certains écrivains. Enrique
DIEZ CANEDO cité par UITTI, art. cit.
4. Voir, au sujet de cette traduction : Ventura GARCIA CALDERÔN, En Versalles,
con los hermanos Tharaud, dans La Prensa, Buenos Aires, 28 septembre 1930, et
Francisco CONTRERAS, « Lettres hispano-américaines », dans le Mercure de France,
15 janvier 1929. Qui que soit, finalement, l'auteur de cette traduction, il est certain
que La gloire de don Ramiro jouit d'une très grande popularité. Bien des années plus
tard, Luc Durtain et Georges Pillement déclareront que ce livre avait donné à la
littérature hispano-américaine « droit de passage » dans la langue française (voir
Enrique MÉNDEZ CALZADA, Hommage à Larreta, dans « Lettres hispano-américaines »,
Mercure de France, 15 novembre 1933).
Plusieurs ont contesté la profondeur des connaissances linguistiques
et littéraires de Gourmont dans le domaine hispanique. Ventura Garcia
Calderôn, parmi d'autres, m e t en doute l'authenticité de sa traduction
de Larreta, Alfonso Reyes accuse Gourmont de plagiat dans ses opinions
sur GÓngoral. Cela est fort possible ; mais à l'époque il i m p o r t a i t non
pas t a n t de t o u t comprendre et de t o u t approfondir que d'ouvrir les
portes et de donner une preuve de confiance à cette littérature nouvelle :
et cela, Gourmont l'a certainement fait.

On ne trouve guère plus d'efforts suivis dans le domaine de la


traduction, sauf peut-être celui de Charles Barthez qui semble s'être
consacré assez sérieusement aux traductions de Gômez Carrillo. Tou-
tefois, on voit déjà apparaître des noms qui deviendront familiers
après la guerre : J e a n Cassou, Francis de Miomandre, Marius André,
Georges Pillement, Max Daireaux. Cassou collabore à la traduction de
Dario qui p a r a î t en 1918 ; la même année, Francis de Miomandre t r a d u i t
des Pages choisies de Rodô ; Marius André avait t r a d u i t de son côté
les Contes américains de Blanco F o m b o n a en 1904 et Max Daireaux
et Georges Pillement collaborent eux aussi à la t r a d u c t i o n des poèmes
de DarÍo.
U n c o u p d ' œ i l s u r la liste d e s o u v r a g e s h i s p a n o - a m é r i c a i n s p u b l i é s 2

p e n d a n t cette période permet de dégager quelques conclusions intéres-


santes. La première : à une époque où la littérature hispano-américaine
est particulièrement riche en poètes — le modernismo a y a n t été a v a n t
t o u t un m o u v e m e n t poétique — seuls deux recueils poétiques furent
traduits : Au-delà des horizons de Blanco F o m b o n a et les Pages choisies
de DarÍo. Les écrivains qu'on t r a d u i t ou qui écrivent d i r e c t e m e n t en
français sont plutôt les romanciers et les conteurs (Larreta, Gômez Carrillo,
Reyles), voire les essayistes (Francisco Garcia Calderôn, Barbagelata).
Seconde remarque : L a gloire de don Ramiro semble avoir connu un
succès suffisamment grand pour q u ' u n autre éditeur s'y soit intéressé,

1. Alfonso REYES, R e m y de G o u r m o n t y la l e n g u a e s p a n o l a , d a n s S i m p a t i a s y
diferencias, 3e série, Obras completas de Alfonso Reyes, México, F o n d o de C u l t u r a
E c o n ô m i c a , 1956, t. IV, p. 192.
2. Contes a m é r i c a i n s (1904) e t A u - d e l à des horizons (1908) de BLANCO FOMBONA,
Quelques petites âmes d'ici et d ' a i l l e u r s (1904), L ' â m e j a p o n a i s e (1906), Terres lointaines
(1907), L a Grèce éternelle (1909), L a psychologie de la mode (1910), F l e u r s de pénitence
(1913), P a r m i les r u i n e s (1915), Le s o u r i r e sous la milraille (1916), A u cœur de la tragédie
(sur le front a n g l a i s ) (1917), Le sourire du s p h i n x (1918) de GÓMEZ CARRILLO, Contes
de la P a m p a (1907) e t L a j e u n e littérature h i s p a n o - a m é r i c a i n e (1907) de M a n u e l UGARTE,
Le P é r o u conlemporain (1907), Les conditions sociologiques de l ' A m é r i q u e latine (1908),
Les démocralies latines de l ' A m é r i q u e (1912), Le dilemme de la guerre (1919) de F r a n -
cisco GARCIA CALDERÔN, J e a n Orth (1908) d ' E u g e n i o GARZÔN, L a gloire de don R a m i r o
(1910) d ' E n r i q u e LARRETA, Poètes d ' a u j o u r d ' h u i (1914), Le mondonouisme (1917),
Les écrivains h i s p a n o - a m é r i c a i n s et la guerre européenne (1917), P o u r l ' é l a r g i s s e m e n t
de l'influence française d a n s l ' A m é r i q u e espagnole (1920) de F r a n c i s c o CONTRERAS,
u n e n o u v e l l e é d i t i o n de L a gloire de don R a m i r o en 1915 chez u n a u t r e é d i t e u r , L ' i n -
fluence des idées françaises d a n s la révolution et d a n s l'évolution de l ' A m é r i q u e espagnole
(1917) de H u g o BARBAGELATA, P a g e s choisies (1918) de R u b é n DARIO, P a g e s choisies
(1918) de J o s é E n r i q u e RODÔ, L'ensorcellement de Séville (1920) de Carlos REYLES,
e t Le symbolisme f r a n ç a i s et la littérature h i s p a n i q u e (1920) de ZÉREGA FOMBONA.
cinq ans après la première édition. (Le roman sera encore réédité au
M e r c u r e de F r a n c e e n 1 9 2 6 , e t c h e z u n t r o i s i è m e é d i t e u r e n 1934.) L a
t r o i s i è m e c o n c l u s i o n e s t p l u s q u ' é v i d e n t e : alors q u e la p l u p a r t de ces
é c r i v a i n s se s o n t f a i t t r a d u i r e u n e fois, d e u x à la r i g u e u r , G ô m e z C a r r i l l o
bénéficia de dix traductions, ce q u i , m ê m e de nos jours, paraît consi-
d é r a b l e . Si l ' o n a j o u t e q u e la p l u p a r t d e ses l i v r e s é t a i e n t p r é f a c é s p a r
d e s é c r i v a i n s f r a n ç a i s c o n n u s , o n c o n c l u r a a i s é m e n t a u p r e s t i g e d e ce
G u a t é m a l t è q u e , qui semble dépasser de loin, à Paris, celui des autres
Hispano-Américains.
L a fortune de G ô m e z Carrillo en F r a n c e m é r i t e bien q u e l q u e attention.
D e s i x a n s le c a d e t d e D a r l o il a v a i t f a i t la c o n n a i s s a n c e d e c e l u i - c i à S a n
S a l v a d o r et Dario l ' a v a i t poussé à aller en F r a n c e . G ô m e z Carrillo s'ins-
t a l l a à P a r i s e n 1891 e t y r e s t a j u s q u ' à sa m o r t , i n t e r r o m p a n t assez
s o u v e n t ce l o n g s é j o u r p a r d e s v o y a g e s e n E s p a g n e , e n G r è c e , e n R u s s i e ,
au J a p o n , en E g y p t e et en Amérique du Sud.
R a s t i g n a c a u p e t i t p i e d , il s ' é t a i t p r o p o s é l a c o n q u ê t e d u P a r i s l i t t é -
r a i r e : « C a r r i l l o a l c a n z ô l a s v e l a d a s d e L a P l u m e », é c r i t D a r i o , n o n s a n s
une pointe d'envie. « Tuvo buenos companeros, le halagaron desde
e n t o n c e s ; le p u b l i c a r o n e n a q u e l l a r e v i s t a s u r e t r a t o . U n C a r r i l l o a d o l e s -
c e n t e y m u y m e d a l l a r o m a n a M1. ( D è s s o n a r r i v é e , C a r r i l l o é c r i v a i t à s o n
oncle, José Tible M a c h a d o : « H e visto a Verlaine. Le he hablado. Es m i
amigo »)2. Il arriva chargé d'une mission semi-officielle — la rédaction
d'une série de chroniques sur la vie littéraire parisienne pour un journal
pro-gouvernemental du Guatemala — ce qui lui permit d'interviewer
plusieurs écrivains français avec lesquels il lia de vagues amitiés ; plus
tard, il travailla dans la maison Garnier et il collabora d'une manière
assidue à l'ABC de Madrid.
A en croire ceux qui l'ont connu, sa générosité et sa gentillesse débor-
dantes lui gagnèrent la sympathie de tous. Les scandales qu'il provoquait
éblouissaient ceux que son charme ne pouvait convaincre. Il se battit
en duel avec le Mexicain Vasconcelos, avec Charles Maurras, il faillit le
faire avec le Préfet de Paris. A un moment donné son nom fut lié à celui
de Mata Hari, d'une façon assez peu flatteuse puisqu'on l'accusait d'avoir
livré l'espionne à la police française après en avoir fait sa maîtresse.
Mal ou bien, tout Paris semblait parler de lui, au point qu'à sa mort l'un
de ses cafés préférés, sur le boulevard des Italiens, afficha son portrait
— cheveux savamment en désordre coiffés d'un chapeau à larges bords,
ce chapeau « à la Carrillo » qui fit vogue — convenablement orné d'un
crêpe noir.
Sur le plan littéraire, Gômez Carrillo connut une fortune exception-
nelle. Sitôt publiés en espagnol, ses livres étaient traduits à Paris. L'édition
française était le plus souvent préfacée par un écrivain connu : Jean

1. Carrillo arriva à temps pour les soirées de La Plume. Il y eut de bons camarades ;
on le flatta à partir de ce moment; on publia son portrait dans la revue. Un Carrillo
adolescent et très médaille romaine. Paris y los escritores extranjeros, dans Letras,
Obras Completas, Madrid, Afrodisio Aguado, 1950-1955, t. I, p. 464.
2. J ' a i vu Verlaine. Je lui ai parlé. C'est mon ami. Cité par J u a n M. MENDOZA,
Enrique Gômez Carrillo, esludio critico-biogrâfico. Su vida, su obra y su época, Guatemala,
Union tipogrâfîca Munoz Plaza y Cia, 1940, t. II, p. 218.
Moréas pour La Grèce éternelle, Paul A d a m pour L a psychologie de la
mode, Henri Lavedan pour Le sourire du sphinx, Maurice Maeterlinck
pour Les âmes qui chantent. Celui-ci salue « sous l'écrivain enfiévré »,
« un poète que rien ne décourage et que les meilleurs poètes de ce temps
saluent comme un grand frère t u r b u l e n t et infatigable ». Emile Faguet
lui consacre un article dans Les Annales1, assez élogieux mais non sans
une pointe d'ironie contre « les adorateurs de Monsieur Carrillo [qui]
le bombardent d'hyperboles qui le c o m p r o m e t t e n t ».
L'œuvre de Gômez Carrillo a même a t t e i n t la reconnaissance officielle.
Le 12 mai 1912, au retour de son voyage en Egypte, u n groupe d'écrivains
français présidé par Victor Margueritte, lui offrit un b a n q u e t au cours
duquel Ernest Lajeunesse lut u n poème de louange. Il fut nommé com-
m a n d e u r de la Légion d'honneur et, au cours d'un nouveau banquet,
Paul Bourget salua en lui « une nouvelle gloire française ». Il reçut enfin
le prix Montyon de l'Académie française pour son livre Le sourire sous
la mitraille.
On ne saurait parler d'une influence de Gômez Carrillo en France,
en dépit de cette vogue démesurée dont il paraît avoir joui. Si son style
eut jadis certain effet sur la prose hispanique, contribuant à l'alléger,
à la rendre plus vivante et plus sinueuse2, l'ensemble de son œuvre est
beaucoup trop marqué par une époque — on le voit rien q u ' a u x titres
de ses livres — pour avoir v r a i m e n t une valeur indépendante.
L'importance de Gômez Carrillo p a r a î t se t r o u v e r sur un t o u t autre
plan. T a n t en France qu'en Amérique il servit s u r t o u t à affermir des
mythes. A Paris, il d u t certainement contribuer à cette image de l'homme
de lettres hispano-américain dont les Français auraient quelque mal à se
débarrasser : l'esprit superficiel et brillant, le diseur de bons mots, le
rastaquouère intelligent qui amuse mais qu'on ne prend pas toujours au
sérieux. Georges Pillement, dans Les conteurs hispano-américains (Dela-
grave, 1933) le présente ainsi :
« Chroniqueur brillant, bretteur redoutable, boulevardier élégant, Gômez
Carrillo fut une des figures les plus parisiennes d'avant-guerre ; il était le plus
connu en France des écrivains hispano-américains, le seul connu, presque... »

1. E n r i q u e G ô m e z Carrillo, Les A n n a l e s , 20 j u i l l e t 1913.


2. G ô m e z Carrillo é t a i t a n i m é p a r le m ê m e désir q u e D a r i o , celui d ' a s s o u p l i r l a
l a n g u e espagnole. « Sin sentirlo, o b e d e c i e n d o a u n i n s t i n t o o b s c u r o , yo b u s c a b a y a en
los l i b r o s el m a t i z , l a a r m o n i a , l a s s e n s a c i o n e s , la g r a c i a i n t e n s a , el p e r f u m e v o l u p t u o s o
del a m o r , el r e f i n a m i e n t o del g u s t o , lo q u e no es e s p a n o l , en s u m a , y q u e casi es o p u e s t o
al i d e a l e s p a n o l . [...] E n los e s p a n o l e s , a u n en G a l d ô s , la f r a s e es c o m p l i c a d a , l a r g a ,
m o n ô t o n a , dificil de s o p o r t a r s e , y al m i s m o t i e m p o , d e s g r e n a d a , sin m a t i c e s , sin
r i t m o . . . C o m p a r a n d o u n a p a g i n a de A n a t o l e F r a n c e c o n c u a l q u i e r m o d e l o d e n u e s t r a
l e n g u a , se n o t a l a d i f e r e n c i a . Yo m e decido p o r el u l t i m e . » I n s e n s i b l e m e n t , obéissant
à u n instinct obscur, j e cherchais déjà d a n s les livres la n u a n c e , l ' h a r m o n i e , les sensations,
la grâce intense, le voluptueux p a r f u m de l ' a m o u r , le raffinement d u goût, en somme, ce
qui n'est p a s espagnol, ce qui est presque à l'opposé de l'idéal espagnol. [...] Chez les
E s p a g n o l s , même chez Galdôs, la p h r a s e est compliquée, longue, monotone, difficile à
supporter, et en même temps désordonnée, s a n s nuances, s a n s rythme... Si l'on compare
une p a g e d ' A n a t o l e F r a n c e avec n ' i m p o r t e quel modèle de notre langue, on r e m a r q u e la
différence. Q u a n t à moi, c'est lui que j e choisis. Cité p a r J u a n M. MENDOZA, ouvr. cit.,
t. II, p. 176.
A u x y e u x des H i s p a n o - A m é r i c a i n s , p a r contre, G ô m e z Carrillo i n c a r n a
le m y t h e d e P a r i s : s e s l i v r e s a u r o n t é t é , p o u r p l u s d ' u n d e s e s l e c t e u r s , la
façon de satisfaire par voie indirecte la nostalgie de luxe, de beauté,
d ' a v e n t u r e s faciles, d ' e x o t i s m e , d e t o u t ce q u e P a r i s p o u v a i t r e p r é s e n t e r
en A m é r i q u e hispanique. « N u n c a ha habido u n escritor extranjero compe-
n e t r a d o del a l m a de P a r i s c o m o G ô m e z Carrillo. N o d i g o esto p a r a elo-
g i a r l e . N i p a r a c e n s u r a r l e . S e n a l o e l c a s o », é c r i t R u b é n D a r i o 1 . M a i s
les l e c t e u r s d ' o u t r e - A t l a n t i q u e é t a i e n t loin d ' a v o i r u n e telle objectivité.
P o u r e u x , le f a i t d e « se p é n é t r e r d e l ' â m e d e P a r i s » m a r q u a i t le s o m m e t
de leurs plus chers désirs.
S i le d é p a y s e m e n t m o d e r n i s l a d e R u b é n DarÍo, de Gutiérrez N â j e r a ,
d e J u l i â n d e l C a s a i e u t p o u r b u t la m i s e à j o u r d e la l i t t é r a t u r e h i s p a n o -
a m é r i c a i n e , le d é p a y s e m e n t d e G ô m e z C a r r i l l o s e m b l e a v o i r e u l ' e f f e t
c o n t r a i r e . G ô m e z C a r r i l l o a s s i m i l a l ' a s p e c t le p l u s s u p e r f i c i e l d e c e t e f f o r t
non moins naïf que sérieux du modernismo pour e n r i c h i r la l i t t é r a t u r e
d'Amérique hispanique. « Las tonterias de Carrillo — pues las t i e n e y
grandes — no harân sino que se d i s t i n g a e n t r e lo q u e Paris tiene de
sôlido y v e r d a d e r a m e n t e luminoso, y el a r t i c l e de P a r i s , que fascina a
nuestros snobs y bobos de la moda »2, écrit encore Dario. Mais la fasci-
nation est si forte que le distinguo ne sera pas toujours possible : l'article
de Paris — chronique de boulevard, conte parisien — continuera à avoir
du succès en Amérique hispanique pendant longtemps et alors qu'il
correspondra à une littérature périmée. Gômez Carrillo — peut-être
plus encore que Dario — assura une survie à la rhétorique modernisla
qui, signe d'actualité pendant un court moment, eut la plus triste des
vieillesses.

Le cas Gômez Carrillo mis à part, le bilan des traductions de 1900


à 1920 est assez pauvre ; celui des collaborations hispano-américaines
aux revues françaises l'est, toute proportion gardée, encore davantage.
Les écrivains hispano-américains semblent publier surtout dans les revues
qu'ils éditent eux-mêmes, très peu dans les revues parisiennes. Dario
publie deux articles en français, l'un dans la Revue blanche en 18983,
l'autre dans Paris Journal, et le compte rendu d'un livre de Gômez
Carrillo au Mercure de France. Des poèmes de lui sont publiés en 1918

1. Il n'y a jamais eu d'écrivain étranger pénétré de l'âme de Paris comme GÓmez


Carrillo. J e ne dis pas cela pour le louer. Ni pour le critiquer. Je signale le cas. Paris y
los escritores extranjeros, dans Letras, Obras completas, t. 1, p. 464. Ainsi que d'autres
Hispano-Américains dont Ventura Garcia Calderôn, Manuel Ugarte et Rufino Blanco
Fombona, Rubén Dario, au fur et à mesure qu'il connaissait Gômez Carrillo, l'aimait
de moins en moins. Selon BLANCO FOMBONA (dans El Sol, 27 janvier 1926) il finit par le
craindre et en même temps le détester. Pour les opinions de Ventura Garcia Calderôn,
voir Camille PITOLLET, Le véritable Blasco IbâiLez, le véritable Gômez Carrillo, par leur
premier biographe, Lille-Paris, Mercure Universel, V. Bresle, 1933, p. 143.
2. Les bêtises de Carrillo — car il en a, et de grandes — feront simplement qu'on
distingue entre ce que Paris a de solide et de vraiment lumineux, et l'article de Paris, qui
fascine nos snobs et ceux qui sont férus de mode. Dans une lettre à Unamuno
du 21 mai 1899, Epistolario, p. 28.
3. Pour les détails de publication des livres et revues cités, le lecteur est prié de
consulter la bibliographie.
— c'est-à-dire après sa m o r t — d a n s H i s p a n i a , r e v u e spécialisée. Le
c r i t i q u e a r g e n t i n R i c a r d o R o j a s é c r i t u n a r t i c l e s u r D a r l o e n 1908 p o u r
le M e r c u r e de F r a n c e , V e n t u r a G a r c i a C a l d e r ô n e n f a i t a u t a n t e n 1916,
à la m o r t d u p o è t e . G ô m e z C a r r i l l o c o l l a b o r e à L a P l u m e e t se c h a r g e
s o u v e n t , p e n d a n t les p r e m i è r e s a n n é e s d u siècle, de la c h r o n i q u e e s p a g n o l e
o u h i s p a n o - a m é r i c a i n e d u M e r c u r e ; il y p u b l i e é g a l e m e n t u n a r t i c l e ,
« M é m o i r e s d ' E c h e g a r a y », e n 1905. L a R e v u e des D e u x M o n d e s p r é s e n t e
la c o n f é r e n c e p r o n o n c é e p a r P a u l G r o u s s a c à la S o r b o n n e s u r J a c q u e s
d e L i n i e r s (1912). H i s p a n i a p u b l i e u n t e x t e d e R i c a r d o P a l m a e n 1920 ;
elle e n a v a i t d é j à p u b l i é u n d ' A l f o n s o R e y e s , « R a m ô n G ô m e z de la S e r n a »,
e n 1918, e t des « P r o s e s l y r i q u e s » de J o s é A s u n c i ô n S i l v a e n 1919. E n f i n ,
E u g e n i o D i a z R o m e r o , P e d r o E m i l i o Coll e t F r a n c i s c o C o n t r e r a s é c r i r e n t
l e u r s c h r o n i q u e s s u r la l i t t é r a t u r e h i s p a n o - a m é r i c a i n e p o u r la « R e v u e
d e la Q u i n z a i n e » d u M e r c u r e de F r a n c e . D a n s ce b i l a n la p r i o r i t é e s t a u
M e r c u r e , la r e v u e f r a n ç a i s e q u i s e m b l e a v o i r le p l u s g é n é r e u s e m e n t o u v e r t
ses p o r t e s a u x l i t t é r a t u r e s é t r a n g è r e s .
L ' a c t i v i t é c r i t i q u e , s u r le p l a n g é n é r a l , e s t p r e s q u e n u l l e p e n d a n t
cette période. Les écrivains français n ' o n t pas encore une vision d ' e n s e m b l e
q u i l e u r p e r m e t t r a i t de j u g e r de c e t t e l i t t é r a t u r e n o u v e l l e , à l ' e x c e p t i o n
p e u t - ê t r e de V a l e r y L a r b a u d . M a i s celui-ci p u b l i a s o n p r e m i e r a r t i c l e
e n e s p a g n o l d a n s E l N u e v o M e r c u r i o l , ce q u i d u t c o n s i d é r a b l e m e n t r é d u i r e
s a diffusion p a r m i les l e c t e u r s f r a n ç a i s . J u l e s S u p e r v i e l l e p u b l i a à s o n
t o u r des f r a g m e n t s d ' u n e t h è s e , d e m e u r é e i n a c h e v é e , s u r « L e s e n t i m e n t
de la n a t u r e d a n s la p o é s i e h i s p a n o - a m é r i c a i n e », q u o i q u e là e n c o r e la p u b l i -
c a t i o n o ù p a r u r e n t ces f r a g m e n t s — le B u l l e t i n de la B i b l i o t h è q u e a m é r i -
caine2 — fût réservée à un groupe bien réduit de lecteurs. D'ailleurs, la
critique de la littérature hispano-américaine est le plus souvent assurée
par les Hispano-Américains eux-mêmes, comme le montrent la liste de
livres, textes de critique littéraire, publiés pendant cette période et les
chroniques de Coll, de Diaz Romero, de Gômez Carrillo et de Contreras
au Mercure de France.
En ce qui concerne la critique sur les écrivains hispano-américains,
pris individuellement, on peut dire là encore qu'elle est souvent affaire
de compatriotes. Rojas, Garcia Calderôn, Contreras et Marcel Robin
écrivent sur Darlo pendant cette période : trois Hispano-Américains et
un Français. Seuls eurent de la chance ceux qui avaient réussi à gagner
l'amitié ou la sympathie des Français : Enrique Gômez Carrillo, Enrique
Larreta, Hernando de Bengoechea, Blanco Fombona et Francisco Garcia
Calderôn eurent pour eux les louanges des écrivains français. Les Cues-
tiones eslélicas d'Alfonso Reyes méritent en 1912, il est vrai, l'attention
de deux Français, Ernest Mérimée et Jean Pérès, mais les deux articles
sont publiés dans des revues spécialisées ; la même année, Valery Larbaud
écrit sur Jorge Isaacs dans La Phalange ; six ans plus tard Francis de
Miomandre publie un article sur Rodô dans La Revue à la suite de sa
traduction des Pages choisies de cet écrivain. Ces timides essais de critique

1. La influencia francesa en la literatura de lengua castellana, dans El Nuevo


Mercurio, Paris, avril 1907.
2. 15 octobre 1910, 15 mai 1911 et janvier 1912.
de la p a r t d e s é c r i v a i n s f r a n ç a i s s o n t p l u t ô t l ' e x c e p t i o n , e t la c h r o n i q u e
d u M e r c u r e de F r a n c e f o u r n i t l à - d e s s u s la p r e u v e c o n c l u a n t e : c e t t e
c h r o n i q u e — c a p i t a l e e n t a n t q u e p r e m i è r e c o n t r i b u t i o n f r a n ç a i s e à la
d i f f u s i o n de la l i t t é r a t u r e h i s p a n o - a m é r i c a i n e — est a s s u r é e p a r d e s
H i s p a n o - A m é r i c a i n s . F r a n c i s c o Contreras s'en occupe p e n d a n t plus de
v i n g t a n n é e s avec u n e fidélité t r è s g r a n d e , q u e l q u e discutables q u e
p u i s s e n t ê t r e ses p o i n t s de v u e . M a i s il a p p o r t e f o r c é m e n t u n e o p i n i o n
h i s p a n o - a m é r i c a i n e , a l o r s q u e les a u t r e s c h r o n i q u e s s u r les l i t t é r a t u r e s
é t r a n g è r e s — celle d e s « L e t t r e s e s p a g n o l e s » p a r e x e m p l e — s o n t a s s u r é e s
p a r des F r a n ç a i s . C ' e s t d i r e q u ' i l n ' y a v a i t a u c u n F r a n ç a i s à l ' é p o q u e
e n m e s u r e d ' é c r i r e c e t t e c h r o n i q u e , s o i t q u ' i l ne f û t p a s s u f f i s a m m e n t
a u c o u r a n t , s o i t q u e le s u j e t n e l ' i n t é r e s s â t p a s .
E n d é p i t d e ce m a n q u e d ' i n t é r ê t a p p a r e n t , il y a d é j à d e s h i s p a n i s a n t s
f r a n ç a i s q u i c o m m e n c e n t à é l a r g i r l e u r v i s i o n d e l ' E s p a g n e en s ' i n t é -
r e s s a n t de p l u s e n p l u s à l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e . Si le M e r c u r e de F r a n c e
c o n s t i t u e le p r e m i e r e f f o r t d e d i f f u s i o n a u n i v e a u d u g r a n d p u b l i c , le
G r o u p e m e n t d e s U n i v e r s i t é s e t G r a n d e s E c o l e s de F r a n c e p o u r les r a p -
p o r t s a v e c l ' A m é r i q u e l a t i n e e s t le p r e m i e r r a p p r o c h e m e n t s é r i e u x a u
n i v e a u d e l ' U n i v e r s i t é 1 . F o n d é e n 1909, e t se p r o p o s a n t de f a v o r i s e r
l ' é c h a n g e c u l t u r e l e n t r e la F r a n c e e t l ' A m é r i q u e h i s p a n i q u e , il s e r a s o u -
t e n u p a r l ' e n t h o u s i a s m e de s o n s e c r é t a i r e , E r n e s t M a r t i n e n c h e . N o n s e u -
l e m e n t ce g r o u p e m e n t a s s u r e d e s c o n t a c t s p e r s o n n e l s — é c h a n g e de
b o u r s i e r s , é c h a n g e de p r o f e s s e u r s — m a i s e n c o r e a s p i r e - t - i l à des c o n t a c t s
a v e c le p u b l i c f r a n ç a i s : la f o n d a t i o n d ' u n e B i b l i o t h è q u e a m é r i c a i n e à
l a S o r b o n n e , la p u b l i c a t i o n d ' u n B u l l e t i n de la B i b l i o t h è q u e a m é r i c a i n e ,
d ' H i s p a n i a e t p l u s t a r d de L a revue de l ' A m é r i q u e latine.

L a g u e r r e de 1 9 1 4 - 1 9 1 8 m o d i f i e les r a p p o r t s e n t r e l ' A m é r i q u e h i s p a -
n i q u e e t la F r a n c e . N o n p a s c e r t e s p o u r des r a i s o n s i d é o l o g i q u e s , m a i s
p a r c e q u e la F r a n c e é t a i t t r o p p r i s e a i l l e u r s p o u r se m a i n t e n i r fidèle a u x
e f f o r t s q u e l u i c o û t a i t c e t t e d é c o u v e r t e l i t t é r a i r e . De là p a r e x e m p l e q u e ,
a u d i r e d e V a l e r y L a r b a u d , la r é v o l u t i o n m e x i c a i n e e t la p r é t e n d u e
l i t t é r a t u r e r é v o l u t i o n n a i r e qui l ' a c c o m p a g n a f u r e n t m é c o n n u e s , voire igno-
rées, p a r les F r a n ç a i s 2 . E n t r e 1914 e t 1918 les r a p p o r t s e n t r e H i s p a n o -
A m é r i c a i n s e t F r a n ç a i s se p o u r s u i v e n t , m a i s s o u v e n t s u r u n p l a n e x t r a -
l i t t é r a i r e , c e l u i d e la g u e r r e m ê m e . O n p a r l e s o u v e n t e n F r a n c e d ' u n e
l i t t é r a t u r e de g u e r r e ; il e x i s t e p a r a l l è l e m e n t u n e l i t t é r a t u r e d e g u e r r e
é c r i t e p a r des H i s p a n o - A m é r i c a i n s . P e n d a n t les a n n é e s de la g u e r r e
V e n t u r a G a r c i a C a l d e r ô n m e n a u n e e n q u ê t e p a r m i les F r a n ç a i s : D o n

1. Voir le compte rendu de sa fondation, fait par Charles LESCA, dans Mundial
Magazine, janvier 1912. Le Groupement avait été fondé en 1909. Louis Liard, recteur
de l'Université de Paris, en était le président, Paul Appel, doyen de la Faculté des
Sciences, était le président du Comité directeur et Ernest Martinenche en était le
secrétaire. Depuis sa fondation, le Groupement avait collaboré aux efforts suivants :
1909-1910 : échanges culturels entre le Brésil et la France (voyages d'étudiants) ;
voyage d'Ernest Martinenche en Argentine, pour assister au Congrès scientifique
international de Buenos Aires, et au Mexique, pour assister à l'inauguration de l'Uni-
versité ; 1911 : Cours d'Ernest Martinenche à l'Université de Buenos Aires.
2. Valery LARBAUD, préface à Ceux d'en bas de Mariano AZUELA, Paris, Fourcade,
1930.
Quichotte à P a r i s et d a n s les tranchées. G ô m e z C a r r i l l o f u t c o u r o n n é p a r
A c a d é m i e f r a n ç a i s e d u p r i x M o n t y o n p o u r s o n l i v r e L e s o u r i r e sous la
mitraille. L e m ê m e a u t e u r p u b l i a e n c o r e A u c œ u r de la tragédie, e n 1918.
E n f i n p l u s i e u r s é c r i v a i n s , d o n t G ô m e z C a r r i l l o , c o l l a b o r e n t a u no 76 de
la c o l l e c t i o n « P a g e s d ' h i s t o i r e 1 9 1 4 - 1 9 1 5 » i n t i t u l é Les neutres : voix
espagnoles. D ' a u t r e s c o l l a b o r è r e n t à l ' o u v r a g e L ' A m é r i q u e l a t i n e et la
guerre q u e p u b l i a la L i b r a i r i e d u G r o u p e m e n t e n 1920.
Q u e l q u e s é c r i v a i n s q u i é t a i e n t v e n u s s ' é t a b l i r à P a r i s « p o u r t o u j o u r s »,

comme Dario et Lugones, r e p a r t i r e n t alors p o u r l'Amérique. D'autres


restèrent encore quelque temps : parmi eux Larreta, qui accompagna
Barrès en Lorraine, et qui raconte cette expérience en des termes que
ne démentirait pas son compagnon de voyage :
« Tout récemment lors de notre excursion en Lorraine, nous avons gravi
ensemble, sous l'œil de l'ennemi, une [...] colline d'où l'on dominait la corne
du Bois-le-Prêtre et une large vallée sillonnée seulement par les tranchées sablon-
neuses qui s'en allaient en zigzag vers la Seille.
Pour la seconde fois, dans la rotation des âges — catacombes de Rome, tran-
chées de la France —, la terre maternelle a abrité et réconforté dans son sein
entr'ouvert les apôtres du Christianisme et les sauveurs de l'Idéal dans le
monde »1.

D'autres v o n t même plus loin et se b a t t e n t pour la France. Deux


frères de Ventura Garcia Calderôn p r ê t e n t des services : J u a n Garcia
Calderôn est médecin dans les hôpitaux militaires ; José Garcia Calderôn,
poète, est tué à Verdun. Le Colombien Hernando de Bengoechea, poète
de langue française, fut tué le 9 mai 1915 et décoré post modem de la
croix de guerre avec étoile d'argenV.

De ces vingt premières années du siècle on peut dire, en ce qui


concerne la diffusion de la littérature hispano-américaine, qu'elles furent
t o u t au plus une invitation au dialogue. Celui-ci fut à peine amorcé,
dans certains cas, mais c'est p l u t ô t l'exception : les contacts littéraires
sont assez rares, ce qui pourrait surprendre vu que, comme disait Dario,
l'élite des écrivains hispano-américains se t r o u v a i t à l'époque à Paris.
Mais le public français ne semble pas encore avoir l'habitude d'une litté-
rature hispano-américaine : déconcerté sans doute par cette invasion
subite de modernistas et ne sachant trop où les ranger — littérature
espagnole, littérature américaine ? - i l n ' a u r a pas toujours su juger de
leur qualité littéraire. On se fie à l'opinion publique et celle-ci parle de
Gômez Carrillo, plus à cause de ses exploits m o n t m a r t r o i s qu'à cause
de son mérite littéraire ; on traduira donc Gômez Carrillo, au d é t r i m e n t
de Dario qu'on néglige. A ce manque de renseignements il faut sans

1. P r é f a c e à L a lampe d'argile, P a r i s , P r e s s e s G o u n o u i l h o u , 1915.


2. V o i r s u r H e r n a n d o de B e n g o e c h e a , L é o n - P a u l FARGUE, H e r n a n d o de Bengoechea
ou l'âme d ' u n poète, P a r i s , A m i o t - D u m o n t , 1948. L ' é t u d e c r i t i q u e se b o r n e à é v o q u e r ,
d ' u n e m a n i è r e diffuse, le P a r i s de la Belle E p o q u e , m a i s elle e s t s u i v i e d ' u n c h o i x de
t e x t e s . P a r m i ceux-ci, les l e t t r e s de g u e r r e m o n t r e n t b i e n à q u e l p o i n t B e n g o e c h e a
a v a i t s u b i l ' i n f l u e n c e de Barrès.
d o u t e a j o u t e r la b a r r i è r e de la l a n g u e : la p r o s e de G ô m e z Carrillo é t a i t
facile à t r a d u i r e , t a n d i s q u e la t r a d u c t i o n des p o è m e s de D a r i o é t a i t u n
v é r i t a b l e défi. E t les F r a n ç a i s q u i a u r a i e n t p u a p p r é c i e r D a r i o — o u
d'autres écrivains qui ne furent pas traduits — ne savaient pas toujours
l'espagnol. P l u s q u e j a m a i s les t r a d u c t i o n s a u r o n t é t é le r é s u l t a t d ' u n e
p o l i t i q u e p e r s o n n e l l e o u b i e n , d a n s les m e i l l e u r s cas, u n p r o d u i t de l ' a m i t i é .
Il e s t s i g n i f i c a t i f q u e , des écrivains traduits pendant cette période, un
s e u l ■—• R o d ô — n ' a v a i t j a m a i s f a i t d e s é j o u r e n F r a n c e .
R U B É N D A R Í O

Faltos del alimento que dan las grandes cosas,


¿Qué haremos los poetas sino buscar tus lagos?1.
Los Cisnes

Peu d'Hispano-Américains ont chanté, comme Rubén Dario — sur


tous les tons, de toutes les manières —, leur amour de la France. Peu .
d'entre eux surent tirer autant de profit des influences françaises qu'ils
avaient subies. Peu d'entre eux connurent la littérature française comme
la connaissait Dario. Tout, chez lui, semblait préparer la voie au dialogue,
à l'échange avec le lecteur français : dans l'histoire de la découverte de
la littérature hispano-américaine par la France, on le verrait bien comme
premier poète découvert. Cependant, les rapports entre Dario et la France
sont unilatéraux : Dario connaît bien la France, y vit même pendant de
longues années, mais la France persiste à l'ignorer. L'histoire de son expé-
rience parisienne n'est qu'une suite de rencontres, tantôt intéressantes,
tantôt superficielles, mais généralement sans conséquences. Sa fortune
littéraire n'est guère plus éblouissante : le quasi-anonymat lorsqu'il était
vivant, la gloire officielle et la reconnaissance des spécialistes de nos jours.
Par sa faute, par la faute de la France, par celle de ses traducteurs, par
celle du destin comme il aurait pu le dire lui-même, Dario manqua son
entrée dans le domaine qui paraissait pourtant tout fait pour l'accueillir.
Il est aisé de découvrir, chez Rubén DarÍo, les traces de ce qu'on a pu
appeler le « complexe de Paris »2. Si quelques écrivains hispano-américains
du xixe siècle ne fournissaient pas de preuves du contraire, on pourrait
même dire qu'il l'a inventé, tellement cette soif de dépaysement qui
choisit Paris pour but devient fréquente après lui parmi les écrivains
d'Amérique hispanique. Et ce ne serait pas tout à fait faux, car Dario
est bien le premier à avoir donné à ce complexe droit de cité dans la
littérature hispano-américaine. A la différence des écrivains qui souffrent
de formes plus ou moins primaires de ce complexe mais qui n'en parlent
guère, Dario non seulement en pâtit, mais il en fait la matière même de
son œuvre. Cette lucidité — qu'il partage avec des contemporains —
donne ainsi, et paradoxalement, la première expression d'une poésie véri-

1. S a n s celte n o u r r i t u r e que donnent les grandes choses


Que ferons-nous, poètes, s i n o n chercher tes lacs ?
2. P e d r o SALINAS, L a poesia de R u b é n D a r i o , B u e n o s Aires, L o s a d a , 1957, p. 32.
t a b l e m e n t h i s p a n o - a m é r i c a i n e , q u i est en m ê m e t e m p s de la g r a n d e poésie.
Le « c o m p l e x e de Paris » s ' a n n o n c e très t ô t chez Dario :

« Yo soñaba con París desde niño, a punto que cuando hacía mis oraciones,
rogaba a Dios que no me dejase morir sin conocer París. París era para mí como
un paraíso en donde se respirase la esencia de la felicidad sobre la tierra »1.

(On ne peut s'empêcher de penser à ce qu'écrit plus tard César Vallejo :


« Hay, madre, un sitio en el mundo, que se llama Paris. Un sitio muy
g r a n d e y l e j a n o y o t r a v e z g r a n d e »2.)

Le nomadisme est sans doute une première forme vague de ce complexe,


ce nomadisme qui pousse Dario à sortir de son petit pays pour trouver,
l'une après l'autre, les petites républiques de l'Amérique centrale, puis
la Colombie, et enfin le Chili. Pendant ces voyages, sa francophilie trouve
l'occasion de s'affermir, et l'une des haltes, à El Salvador de 1881 à 1883,
est bien féconde, puisqu'elle permet à Dario d'approfondir la poésie
française en étudiant, avec le Salvadorien Francisco Gavidia, la ver-
sification de Victor Hugo. De ces recherches naissent ses premières
tentatives d'assouplir l'alexandrin espagnol au rythme de l'alexandrin
français :
« De la lectura mutua de los alejandrinos del gran francés, que Gavidia, el
primero seguramente, ensayara en castellano a la manera francesa, surgió en
mí la idea de renovación métrica que debía ampliar y realizar más tarde »3.

Sans doute est-ce au Chili que la nostalgie du dépaysement fait crise.


Par rapport aux petites capitales qu'il a connues, Santiago, la grande
ville, lui donne un peu l'avant-goût de Paris, ou plutôt du Paris qu'il
imagine. C'est la première fois qu'il connaît le luxe : la rédaction du
quotidien La Epoca, auquel il collabore, est installée dans une maison
cossue ; on y trouve un salon grec et un salon XVIIIe, ce dernier orné
d'un Watteau et d'un Chardin. Comme l'ont signalé plusieurs critiques4,
il n'est pas impossible que le goût de la mythologie et de la « fête galante »
de Dario naisse de là, plutôt que d'un contact littéraire approfondi
avec les parnassiens ou avec Verlaine. A Santiago, il se lie d'amitié avec

1. Je rêvais à Paris depuis l'enfance, au point que, quand je faisais mes prières,
je demandais à Dieu de ne pas me laisser mourir sans connaître Paris. Paris était pour
moi comme un paradis où l'on devait respirer l'essence du bonheur sur la terre. Auto-
biografia, dans Obras Complétas, Madrid, Afrodisio Aguado, 1950-1955, t. 1, p. 69.
Toutes les références aux Obras Complétas de DARio renvoient à cette édition
en cinq tomes : t. 1 : Critica y ensayo (1950) ; t. 2 : Semblanzas (1950) ; t. 3 : Viajes
y crônicas (1950) ; t. 4 : Cuentos y novelas (1955) ; t. 5 : Poesia (1953), sauf indication
du contraire.
2. Il y a, mère, un endroit au monde qui s'appelle Paris. Un endroit très grand el
lointain et encore très grand. César VALLEJO, El buen sentido, dans Poemas humanos,
Buenos Aires, Losada, 1961, p. 101.
3. De la lecture en commun des alexandrins du grand Français que Gavidia, sûrement
le premier, essaya en espagnol à la manière française, surgit en moi l'idée de la rénovation
métrique que je devais plus tard développer et réaliser. Au'obiografia, dans Obras
Completas, t. 1, p. 69.
4. Pedro SALINAS, ouvr. cité, p. 121 ; E. K. MAPES, L'influence française dans
Vœuvre de Rubén Dario, Paris, Champion, 1925.
P e d r o B a l m a c e d a 1 , q u i lui p r ê t e les c o l l e c t i o n s de L a R e v u e des D e u x
Mondes e t c o n t r i b u e à n o u r r i r sa nostalgie :
« Iríamos a París, seríamos amigos de Armand Silvestre, de Daudet, de Catulle
Mendès... Oiríamos a Renan, en la Sorbona, y trataríamos de ser asiduos conter-
. tulios de Madame Adam ; y escribiríamos libros franceses, eso sí... Iríamos luego
a Italia y a España. Y luego ¿por qué no? un viaje al bello Oriente, a la China,
al Japón, a la India, a ver las raras pagodas, los templos llenos de dragones y las
pintorescas casas de papel... »2.

Du moins une partie de ces rêvasseries — la première — s'est-elle


réalisée ; le conditionnel bovarysant deviendra plus t a r d un indicatif.
Mais ce qu'il importe de signaler, c'est que, dans ce texte, Paris et l ' E u r o p e
voisinent avec « le bel Orient » avec ses pagodes et ses temples, c'est-à-dire
avec des contrées traditionnellement exotiques, à la fois pour les Euro-
péens et pour les Américains3. Paris et la France sont en effet le point
de départ de l'exotisme de Dario. Si l'exotisme de Charles Baudelaire,
Parisien, vise un « pays parfumé que le soleil caresse n4, celui de R u b é n
Dario, issu d ' u n tel pays, obéit à la nostalgie inverse et vise Paris. Pedro
Salinas le montre bien :
« Se podría mirar [...]« el complejo de París » como una cristalización constante
del exotismo. París es un centro de ensoñaciones cuya seducción acaso aumente
en proporción directa a las distancias. En el soneto Invierno, pintura esmerada
de lujo y refinamiento interior, de una mujer y un cuarto lleno de muebles finos
y exóticos, que podría estar en cualquier parte, el verso final, último escalón
para llegar a la deseada cima de la sensualidad elegante, dice :
y fuera cae la nieve del cielo de París.
Lo imaginado se corona con ese nombre màgico. Meca del exotismo social y literario
de casi todos los adolescentes del orbe »5.

1. P e d r o B a l m a c e d a , fils de J o s é M a n u e l , p r é s i d e n t d u Chili, é t a i t p o è t e . Il a v a i t
pris le p s e u d o n y m e A. de G i l b e r t .
2. N o u s irions à P a r i s , nous serions a m i s d ' A r m a n d Silvestre, de D a u d e t , de Catulle
M e n d è s . . . N o u s écouterions R e n a n à la Sorbonne, nous essaierions d'être des h a b i t u é s
du salon de Alme A d a m ; et nous écririons des livres f r a n ç a i s , bien entendu... P u i s n o u s
irions en Italie, en E s p a g n e . E t enfin — p o u r q u o i p a s ? — un voyage à travers le bel
Orient, en Chine, au J a p o n , a u x Indes, p o u r voir les étranges pagodes, les temples pleins
de d r a g o n s et les pittoresques m a i s o n s en p a p i e r . . . P e d r o en la i n t i m i d a d , d a n s A. de Gil-
bert, Obras Complétas, t. 2, p. 163.
3. O n t r o u v e la m ê m e c o m b i n a i s o n d a n s le p o è m e D i v a g a c i ô n de P r o s a s P r o f a n a s .
Obras Complétas, t. 5, p. 768. Le p o è t e q u i v e u t d é p a y s e r s o n a m o u r c o m m e n c e p a r
la fête g a l a n t e f r a n ç a i s e , c o n t i n u e p a r l ' A l l e m a g n e e t l ' E s p a g n e , e t a b o r d e e n f i n
l ' e x o t i s m e plus t r a d i t i o n n e l de l ' O r i e n t .
4. A u n e d a m e créole, d a n s Les F l e u r s du mal, P a r i s , G a l l i m a r d , B i b l i o t h è q u e de
la P l é i a d e , 1954, p. 136.
5. On p o u r r a i t considérer [...] « le complexe de P a r i s » comme une continuelle cristal-
lisation de l'exotisme. P a r i s est un centre de rêves dont la séduction augmente peut-être
en r a i s o n directe des distances. D a n s le sonnet H i v e r , qui dépeint, avec un luxe et u n
raffinement intérieur m i n u t i e u x , une femme et une chambre pleine de meubles fins et
exotiques qui p o u r r a i t être n ' i m p o r t e où, le dernier vers, la dernière m a r c h e p o u r a t t e i n d r e
le sommet désiré de la sensualité élégante, dit :
e t d e h o r s t o m b e la n e i g e d u ciel de P a r i s .
L ' i m a g i n a t i o n est couronnée p a r ce nom magique. Mecque de l'exotisme social et littéraire
de presque tous les adolescents du monde. P e d r o SALINAS, ouvr. cité, p. 111.
1972/1 95 F
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