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REMERCIEMENTS

Cet ouvrage a été imaginé et réalisé par Roselyne de Ayala et Jean-Pierre Guéno.

Ils tiennent à remercier chaleureusement celles et ceux qui leur ont facilité
l'accès aux manuscrits et en ont autorisé la reproduction :

Mmes Annie Angremy, J. Arbier, Françoise Arnaud, Mauricette Berne, Ella Bienenfeld, Eugénie de Brancovan,
Hélène Cadou, Catherine Camus, Myriam Cendrars, Marie-Claude Char, Andrée Chedid,
Bernard et Stéphane Clavreuil, Brigitte Drieu La Rochelle, Sylvie Durbet-Giono, A. Elkaïm-Sartre,
Cécile Éluard-Boaretto, Aube Elléouet-Breton, Cécile Éluard-Boretto, Odile Faliu, Hélène Favard,
Marie-Odile Germain, Catherine Gide, Marie-France Ionesco, Sylvia Lorant, Florence de Lussy, Colette Magne,
Florence Malraux, Dominique Marny, Jacqueline Pagnol, Mireille Pastoureau, Armande Ponge-de Trentinian,
Claire Poumès, Béatrice Saalburg, Ursula Vian-Kübler, Sylvie Weil ;

MM. Frédéric d'Agay, Jean-Claude Barat, Pierre Bergé, Jean-Loup Bernanos, Thierry Bodin, Gilbert Boudar,
Marc Brossollet, Michel Butor, Jean Dérens, Albert Dichy, Jacques Fraenkel, Jean-Pierre Giraudoux (t),
Yannick Guillou, François Labadens, Jean Mauriac, Yves Peyré, Maxime Rebière, Dominique Remande,
Jean Ristat, Alain Rivière, Olivier Rony, Dominique Roussel, André Schmidt ;

les successions de Paul Claudel, de Marguerite Duras,


de Charles Péguy, de Saint-John Perse, de Georges Schehadé ;

ainsi que les auteurs des notices :


Mmes Dominique Marny (écrivain) et Claude Mignot (professeur des Universités),
MM. Alain Brunet (écrivain), Pierre Chalmin (écrivain et éditeur), Paul Desalmand (écrivain et éditeur),
Bernard Magné (professeur des Universités), Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino (peintre et écrivain),
Michel Simonin (professeur des Universités), Yves Stalloni (professeur de classes supérieures).

Ils remercient également les maisons d'édition qui les ont autorisés à reproduire
les extraits de textes des auteurs présentés aux pages suivantes :

(Ç) Denoël : Blaise Cendrars (p. 162), Louis Aragon (p. 182). (Ç) Éditions de Fallois : Marcel Pagnol (p. 220).
(Ç) Fayard : Boris Vian (p. 202). (Ç) Flammarion : Colette (p. 142), Andrée Chedid (p. 228).
(Ç) Gallimard : Guillaume Apollinaire (p. 152), Jacques Audiberti (p. 204), Marcel Aymé (p. 178),
Albert Camus, (p. 198), René Char (p. 200), E.M. Cioran (p. 206), Paul Claudel (p. 140), Jean Cocteau (p. 158),
Robert Desnos (p. 166), Pierre Drieu La Rochelle (p. 172), Paul Éluard (p. 212), Eugène Ionesco (p. 208),
Max Jacob (p. 162), André Malraux (p. 176), Henry de Montherlant (p. 194), Charles Péguy (p. 148),
Francis Ponge (p. 210), Jules Romains (p. 170), Saint-John Perse (p. 190), Antoine de Saint-Exupéry (p. 192),
Jean-Paul Sartre (p. 188), Georges Schehadé (p. 218), Simone Weil (p. 186), Marguerite Yourcenar (p. 222).
(Ç) Grasset : Anna de Noailles (p. 134), François Mauriac (p. 174), Jean Giono (p. 180).
(Ç) Hachette : Georges Perec (p. 224). (Ç) Lachenal et Ritter : André Breton et Philippe Soupault (p. 164).
(Ç) Mercure de France : André Gide (p. 144). (Ç) Éditions de Minuit : Michel Butor (p. 216),
Marguerite Duras (p. 226). (Ç) Pion : Georges Bernanos (p. 184). (Ç) Seghers : René-Guy Cadou (p. 212).

Leur gratitude s'adresse évidemment aussi à Jeanne Castoriano et Lucile Jouret,


des Éditions de La Martinière, qui ont créé et édité ce livre, ainsi qu'à Renaud Bezombes et Sylvie Garrec.

Connectez-vous sur :
www.lamartiniere.fr

(Ç) 2 0 0 0 , É d i t i o n s d e La M a r t i n i è r e , Paris (France)


SOMMAIRE

Préface 8 Fénelon (1651-1715)


Les Aventures de Télémaque, vers 1694 40

Duc de Saint-Simon (1675-1753)


Guillaume de Lorris Mémoires, 1697 42
Le Roman de la Rose, début du XIIIe siècle . . . . . . . . . 12
Marivaux (1688-1763)
Lancelot, vers 1225 14 Le Legs, 1736 44

Christine de Pizan (1365-1430 ?) Montesquieu (1689-1755)


Le Livre de la Cité des Dames, 1405 16 De l'esprit des lois, 1748 46

Charles d'Orléans (1394-1465) Denis Diderot (1713-1784)


Rondeaux 18 La Religieuse, 1760 48

Pierre de Ronsard (1524-1585) Voltaire (1694-1778)


Discours de la Joie et de la Tristesse, 1576 . . . . . . . . . . . 20 Lettre à d'Alembert sur Rousseau, 1762 (ou 1763) . . . . 50

Michel de Montaigne (1533-1592) Choderlos de Laclos (1741-1803)


Essais, 1588 22 Les Liaisons dangereuses, 1778 52

François de Malherbe (1555-1628) Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)


Sonnets, 1608 24 Les Confessions, 1782 54

Cardinal de Retz (1613-1679) Beaumarchais (1732-1799)


Mémoires, 1636 26 Le Mariage de Figaro, 1784 56

René Descartes (1596-1630) Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814)


Lettre à Huygens, 1642 28 Paul et Virginie, 1785 58

Blaise Pascal (1623-1662) Marquis de Sade (1740-1814)


Pensées, 1654 30 Les Infortunes de la vertu, 1787 60

Jean de La Fontaine (1621-1695) René de Chateaubriand (1768-1848)


Le Petit Billard, 1660 32 Mémoires de ma vie, 1809 62

Pierre Corneille (1606-1684) Alphonse de Lamartine (1790-1869),


Lettre à Monsieur l'abbé de Pure, 1660 . . . . . . . . . . . . 34 Méditations, 1816 64

an Racine (1639-1699) Alfred de Musset (1810-1857)


phigénie en Tauride, 1674 36 Lorenzaccio, 1834 66

Marquise de Sévigné (1626-1696) Honoré de Balzac (1799-1850)


Lettre à Aliiie de Grignan, 1684 . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Le Père Goriot, 1835 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
Prosper Mérimée (1803-1870) Arthur Rimbaud (1854-1891),
La Vénus d'Ille, 1837 70 Lettre du voyant, 1871 100

Alfred de Vigny (1797-1863) Jules Verne (1828-1905)


« La mort du loup », après 1838 72 Le Tour du monde en quatre-vingts jours, 1873 102

Stendhal (1783-1842) Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889)


Lucien Leuwen, 1840 74 Contes cruels, 1874 104

Alexandre Dun1as (1802-1870) Paul Verlaine (1844-1896)


Le Comte de Monte-Cristo, 1844 76 « Il pleure dans mon cœur », 1874 106

George Sand (1804-1876) Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889)


La Mare au diable, 1846 78 Les Diaboliques, 1876 108

Victor Hugo (1802-1885) Alphonse Daudet (1840-1897)


« Demain, dès l'aube », 1847 80 jack, 1876 110

Alexandre Dumas fils (1824-1895) Stéphane Mallarmé (1842-1898)


La Dame aux camélias, 1848 82 Monologue d'iii,i faittie, 1876 112

Gérard de Nerval (1808-1855) Jules Vallès (1832-1885)


Aurélia, 1855 84 Le Bachelier, 1878 114

Comtesse de Ségur (1799-1874) Ernest Renan (1823-1892)


Les Malheurs de Sophie, 1858 86 Souvenirs d'enfance et de jeunesse, 1883 116

Jules et Edmond de Goncourt Guy de Maupassant (1850-1893)


(1830-1870 et 1822-1896) Journal, 1858 88 Le Horla, 1883 118

Charles Baudelaire (1821-1867) Joris-Karl Huysmans (1848-1907)


Mon cœur mis à nu, 1859 90 À rebours, 1884 120

Tristan Corbière (1845-1875) Émile Zola (1840-1902)


« La Complaincte morlaisienne », 1863 . . . . . . . . . . . . 92 Les Rougon-Macquart, 1893 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122

Théophile Gautier (1811-1872) Jules Renard (1864-1910)


Le Capitaine Fracasse, 1863 94 Poil de Carotte, 1893 124

Jules Michelet (1798-1874) Léon Bloy (1846-1917)


Journal, 1865 96 Mon Journal, 1896 126

Gustave Flaubert (1821-1880) Pierre Loti (1850-1923)


L'Éducation sentimentale, 1869 . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 Ramuntcho, 1897 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
Edmond Rostand (1868-1918) Blaise Cendrars (1887-1961)
Cyrano de Bergerac, 1897 130 Poèmes élastiques, 1919 162

Octave Mirbeau (1848-1917) André Breton (1896-1966)


Le Journal d'une femme de chambre, 1900 . 132 et Philippe Soupault (1897-1990)
Les Champs magnétiques, 1920 164
Anna de Noailles (1876-1933)
« L'empreinte », 1901 134 R o b e r t Desnos (1900-1945)
« Amour des homonymes », 1922 166
Alfred Jarry (1873-1907)
Ubu sur la Butte, 1901 136 R a y m o n d Radiguet (1903-1923)
Le Bal du comte d'Orgel, 1923 168
Victor Segalen (1878-1919)
Les Immémoriaux, 1903 138 Jules Romains (1885-1972)
Knock, 1923 170
Paul Claudel (1868-1955)
Le Partage de midi, 1905 140 Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945)
Le Feu follet, 1931 172
Colette (1873-1954)
Les Vrilles de la vigne, 1905 142 François Mauriac (1885-1970)
Le Nœud de vipères, 1932 174
André Gide (1869-1951)
La Porte étroite, 1906 144 André Malraux (1901-1976)
La Condition humaine, 1933 176
Georges Feydeau (1862-1921)
La Puce à l'oreille, 1907 146 Marcel Aymé (1902-1967)
La jument verte, 1933 178
Charles Péguy (1873-1914)
« Présentation de la Beauce à Notre-Dame Jean Giono (1895-1970)
de Chartres », 1912 148 Que ma joie demeure, 1935 180

Anatole France (1844-1924) Louis Aragon (1897-1982)


Les dieux ont soif, 1912 150 Les Beaux Quartiers, 1936 182

Guillaume Apollinaire (1880-1918) Georges Bernanos (1888-1948)


« Le pont Mirabeau », 1913 152 journal d'un curé de campagne, 1936 184

Marcel Proust (1871-1922) Simone Weil (1909-1943)


Du côté de chez Swann, 1913 154 Expérience de la vie d'usine, vers 1937 186

Alain-Fournier (1886-1914) Jean-Paul Sartre (1905-1980)


Le Grand Meaulnes, 1913 156 La Nausée, 1938 188

Jean Cocteau (1889-1963) Saint-John Perse (1887-1975)


« La forêt qui marche », 1914 158 Exil, 1941 190

Max Jacob (1876-1944) Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)


Le Cornet à dés, 1916 " " " " " " " ' " 160 Le Petit Prince, 1942 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Henry de Montherlant (1895-1972) Marguerite Duras (1914-1996)
Malatesta, 1943 194 L'Amant, 1984 226

Jean Giraudoux (1882-1944) Andrée Chedid (née en 1920)


La Folle de Chaillot, 1945 196 La Balade des siècles, 1987 228

Albert Camus (1913-1960)


La Peste, 1947 198
Bibliographie 230
René Char (1907-1988)
L'Amitié de Georges Braque, 1947 200 Table des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

Boris Vian (1920-1959) Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238


L'Écume des jours, 1947 202

Jacques Audiberti (1899-1965)


Le mal court, 1947 204

Cioran (1911-1995)
Précis de décomposition, 1949 206

Eugène Ionesco (1912-1994)


La Cantatrice chauve, 1950 208

Francis Ponge (1899-1989)


« Les olives », 1950 210

René-Guy Cadou (1920-1951)


« Celui qui entre par hasard », 1950 212

Paul Éluard (1895-1952)


«Ailleurs, ici, partout », 1953 214

Michel Butor (né en 1926)


Passage de Milan, 1954 216

Georges Schehadé (1907-1989)


Le Voyage, 1961 218

Marcel Pagnol (1895-1974)


Manon des sources, 1964 220

Marguerite Yourcenar (1903-1987)


L'Œuvre au noir, 1968 222

Georges Perec (1936-1982)


La Vie mode d'emploi, 1972 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
PRÉFACE

Longtemps, les hommes ont recherché le Graal. Objet mystérieux et


sacré dont ils ne connaissaient pas la nature. Objet convoité qui justifiait leur
quête.
Était-ce un talisman, un texte sacré, un plat creux, une coupe emplie
du sang du Crucifié, une pierre précieuse, une corne d'abondance ? Était-
ce le fer de la lance qui transperça le flanc du Christ, le bouquet des clous de
la sainte Croix ?
Le Graal était dans tous les cas l'objet que l'on recherchait, que l'on
convoitait, que l'on rêvait de contempler. Lorsqu'ils erraient à la poursuite
de leur idéal, de leur Toison d'or, de leur moitié d'orange, les héros et les
chevaliers de notre enfance — qui sont aussi ceux de l'adolescence de l'hu-
manité — recherchaient autant le reflet d'un trésor que la source de la
connaissance. Leur but, qui s'éloignait au gré de leur errance, était pour eux
comme il le devint pour nous au fil de nos lectures, source d'aventures mer-
veilleuses, de visions et de songes. Nous avons tous, dans leur sillage, par-
couru le monde à la recherche d'un sens qui se dévoilait par bribes et ne se
livrait jamais tout entier.
Et c'est parce qu'au bout du compte, alors qu'ils recherchaient cet
objet mystérieux, nous n'avons jamais trouvé qu'un récit, que nous pour-
rions être tentés de penser que le Graal n'est rien d'autre que l'écriture :
l'écriture qui constitue à la fois le support, le sens et l'objet de la quête
humaine.

A u c o m m e n c e m e n t , l'écriture nous a été transmise de façon invisible.


Elle était c o n t e n u e dans la m a g i e du verbe. Elle n e s ' e x p r i m a i t pas. E t puis,
il y a cinq mille ans, e n M é s o p o t a m i e , en É g y p t e et e n C h i n e , l ' h o m m e se
m i t à c o m b i n e r la parole et l ' i m a g e p o u r m i e u x c h e r c h e r à traduire le sens
de ses divinations, pour mieux confier à la postérité qu'il était capable de
communiquer avec les dieux.
Alors les devins et les mages devinrent des lecteurs, puis des écrivains :
ils nous apprirent et furent capables de nous transmettre le souvenir et la trace
du message et de la langue des étoiles. Tracée sur l'âme de la roche, griffée
dans le cœur de l'argile, transcrite sur la peau du vélin ou tatouée dans la neige
du papier, l'écriture était à l'origine la traduction humaine et symbolique du
langage des dieux. Elle était la transcription du son. L'image de la parole et de
la musique.
Au fil de l'encre, sous la caresse du calame, du pinceau et de la plume,
elle est devenue l'expression manuscrite de la connaissance et de la mémoire
des hommes, de leurs projets, de leurs lois, de leurs chimères, de leurs inven-
tions, de leurs rêves, de leurs insultes et de leurs amours.
Ont-ils été copiés, calligraphiés et recopiés, les moindres détours, les
moindres contours des sentiments de l'âme humaine...

C e t ouvrage en porte la trace. À l'heure où les textes semblent


domestiqués, mis en boîte, mis en page automatiquement par ordinateurs
interposés, les manuscrits vous disent encore le souffle, le signe, la preuve
écrite du fait que des hommes et des femmes ont créé, ont aimé, ont souf-
fert et vécu en confiant à la page blanche les hésitations, les repentirs, les
élans, les plaisirs et les tristesses, les ratures de la petite musique de l'âme
humaine. Ils vous diront que seule l'écriture retrace les étapes successives de
la création, la respiration, la pensée de l'auteur, le geste de sa main, les détours
de ses repentirs.
Vous avez déjà gardé des lettres, bien sûr; le papier à peine froissé,
plié à chaque fois sur une relecture supplémentaire, rangé pour la centième
fois dans l'enveloppe où l'être aimé est venu dessiner votre adresse; la carte
de votre enfant marquée de ces lignes maladroites qui sentent encore la
répétition des ronds et des bâtons, recopiés sur le tableau noir; l'écriture de
votre mère qui évoque à chaque lecture le souvenir de son existence, la
bouffée de son parfum, la couleur de ses yeux, sa silhouette enfin, immor-
talisée dans la courbe des voyelles...
Les grands manuscrits de notre littérature vous diront l'incroyable
finesse du pinceau des enlumineurs du Moyen Age, capables de peindre des
paysages en miniature avec sujets, de deux centimètres sur trois, si fins qu'ils
supportent aujourd'hui l'agrandissement au format des publicités du métro...
Ils vous diront que l'homme vêtu de son pourpoint et de ses poulaines savait
combiner, pour créer ses encres et ses teintes, le règne animal, le règne végé-
tal, le règne minéral et le règne humain : il utilisait des couleurs fabriquées
avec de la pierre écrasée, des plantes pilées, des cuirs macérés et... du sang de
jeunes hommes roux égorgés lors des nuits de pleine lune...
Ils vous diront la fièvre de Pascal pendant la nuit du Mémorial, quand
après avoir daté le manuscrit qu'il porta sur son cœur — cousu dans son
habit —jusqu'à la fin de sa vie, il ne sut rien transcrire d'autre pour expri-
mer la force de sa révélation que le mot « Feu »...
Ils vous chuchoteront la graphie serrée tissée par l'écriture manus-
crite des Liaisons dangereuses, l'écriture torturée du père Hugo partant pleu-
rer la mort de sa fille « à l'heure où blanchit la campagne », dans ce demain
perpétuel qu'engendrent dans l'aube les douleurs infinies.
Ils vous diront encore les phrases enflammées de George Sand, les
paperoles de Proust, la Seine d'Apollinaire, le papier bleu de Colette, les cal-
ligrammes de Cocteau...
Ils vous apprendront l'écriture de Verlaine, de Zola, de Saint-Exupéry,
de Sartre ou de Marguerite Yourcenar. Ils vous enseigneront la dimension
charnelle de l'écriture, électrocardiogramme de la pensée qui s'inscrit sur le
papier au rythme des pulsations du sang au bout des doigts de l'écrivain.
Ils vous expliqueront le manuscrit de premier jet, celui qui immorta-
lise l'instant de la création, le manuscrit de travail, les rédactions successives,
les versions définitives, les manuscrits destinés à l'impression, les copies auto-
graphes, les brouillons, les notes, les épreuves corrigées à la main.
Vous comprendrez alors q u ' u n texte prend ses racines dans son
manuscrit original; que ce livre n'avait pas pour objet de bâtir un panthéon,
un dictionnaire de l'académisme littéraire, mais tout simplement de vous
inciter à penser que si l'homme a mis plus de cinq millions d'années pour
apprendre à écrire et pour dérouler jusqu'à vous la longue chenille de l'écri-
ture, c'était pour mieux vous apporter à travers ses manuscrits originaux, à
travers cette poussière d'étoiles, cette poussière de Graal qui teinte son encre
et les mots qu'il enchaîne, la vibration, l'émotion de sa vie, de sa langue et de
sa culture.

Jean-Pierre Guéno Roselyne de Ayala


Le Roman de la Rose Ci commence li romanz de la rose.

Maintes genz cuident que en songe

Guillaume de Lorris, début du XIII siècle N'ait se fable non et mençonge:


Mais on puet tel songe songier
Qui ne soit mie mençongier,
Ainz sont aprés bien aparant.
Si em puis traire e garant
Un auctor qui ot non Macrobes,
Qui ne tient pas songes a lobes,
Ançois escrit l'avision
onument de plus de vingt-deux mille octosyllabes, Le Roman de la Rose réclama Qui avint au roi Scipion.
Qui c'onques cuit ne qui que die
M deux auteurs et près d'un siècle pour son achèvement. Guillaume de Lorris fut le pre- Qu'i est foleté et musardie
mier qui, au début du XIII" siècle, commença ce roman « où l'art d'amour est tout enclose », De croire que songes aveigne,
Qui que voudra por fol m'en teigne,
récit codé de l'initiation amoureuse. À l'âge des premiers émois, le poète rêve qu'il entre Car androit moi ai ge creance
dans le Verger de Plaisir et s'éprend d'un bouton de rose. Passant outre les avis de Raison, il Que songe soit senefiance
Des biens au genz et des anuiz,
entreprend la conquête de la jeune fille au bouton, luttant contre Honte et Jalousie, s'al- Que li plusor songent de nuiz
Maintes choses covertement
liant à Bel Accueil. Nous sommes en pleine allégorie.
Que l'en voit puis apertement.
La première partie du roman est courtoise : la Rose, c'est l'amour de la femme idéale, inac-
Ou vientieme an de mon aage,
cessible dans son jardin d'allégories frigides. Danger, Male-Bouche et Honte défendent Bel
Ou point qu'amors prent le peage
Accueil contre les assauts de l'amant qui, par des raffinements stratégiques, doit mériter le Des joenes genz, cocuhier m'aloie
Une nuit, si com je soloie,
don qu'il convoite. Au contraire, dans la deuxième partie du roman, écrite par Jean de Meun Et me dormoie mout forment;
vers 1270, la Rose n'est plus que volupté physique. Le réalisme le plus franc succède aux Si vi un songe en mon dormant,
Qui mout fu biaus et moult me plot.
mièvreries de Lorris, le sensualisme à l'idéalisme, le cynisme à l'exaltation. La Rose —dont Mes en ce songe onques riens n'ot
la métaphore sexuelle devient évidente —est conquise, la Nature triomphe de l'Esprit, et la Que trestout avenu ne soit
Si com li songes devisoit.
raison de la passion. O r vueil cest songe rimoier
Le Roman de la Rose qui connut à la fin du Moyen Âge un immense succès, présente le Pour noz cuers faire aguissier,
Qu'amors le me prie et commande.
double intérêt, deux fois unique dans l'histoire de la littérature française, d'un ouvrage écrit Et se nuls ne nule demande
Commant je vueil que li romanz
à soixante-dix ans de distance, qui est comme un résumé de l'évolution des mœurs et marque
Soit apelez que je coumanz
un changement de civilisation. Reste qu'à l'époque de Guillaume de Lorris, Chrétien de Ce est li Romanz de la Rose
Ou l'art d'amours est toute enclose.
Troyes avait écrit plus hardiment que lui, et, qu'en toute justice, c'est à Jean de Meun qu'on La matiere est bone et vive.
devrait attribuer la postérité flatteuse du Roman de la Rose. O r doint Diex qu'en gré le reçoive
Cele pour cui je l'ai empris:
C'est cele qui tant a de pris
Pierre Chalmin Et tant est digne d'estre amee
Qu'ele doit estre Rose clamee.

Avis m'estoit qu'il iere mays,


Il a ja bien .v. anz ou mais,
Quen may estoie.se sonjoie,
Ou tens que toute riens s'esgaye,
Que l'en ne voit boton ne haie
Qui au main parer ne se vueille
Et covrir de novelle fueille.
Li bois recuevrent lor verdure
Qui sont sec tant com yvers dure.

• Le Roman de la Rose est l'œuvre


française dont nous avons le plus de
manuscrits (environ deux cent
cinquante), même s'il n'existe pas
d'autographe de Guillaume de Lorris.
Les deux manuscrits présentés
(page de droite et ci-contre)
sont conservés à la Bibliothèque
nationale de France.
On trouvera ci-dessus la transcription
exacte du début du texte.
Lancelot En la marche/de Gaules et/de la petite Bre-/-
taingne avoit/deus rois en-/-ciennement/qui
estoient/frère germain/et avoient deus sereurs
vers 1225 germainnes. Li uns/des deus rois avoit non li rois
Bans de Benoyc/et li autres rois avoit non li rois
Bohors de Gau-/-nes. Li rois Ban estoit viaus hons
et sa fame/estoit juesne et bele trop, et moult par
estoit bou-/-ne dame et amee de toutes gens, ne
onques/de lui n'avoit eu c'un tout seul enfant qui
val-/-lés estoit et avoit non Lanceloz en seurnom/;
mais il avoit nom en baptesme Galahaz. Et ce
'est à la demande et d'après les données de Marie, comtesse de Champagne, que par/quoi il fu apelez Lanceloz, or devisera bien li
c Chrétien de Troyes, considéré comme le premier romancier français, composa autour contes/sa avant, car li lieus n'i est ore mie ne la
raisons ;/ansois tient li contes/sa avant, car li lieus
de 1180 Le Chevalier à la charrette, roman arthurien en octosyllabes qui inspira vers 1225 n'i est ore mie ne la eaisons;/ansois tient li contes
sa droite voie, et dit que li/rois Bans avoit un suen
l'immense roman en prose de Lancelot du Lac. Le personnage initial de Lancelot, chevalier voisin qui marchissoit/a lui par devers Berri, qui
épris de la reine Guenièvre enlevée par Méléagant, doit pour se porter à son secours mon- lors estoit apelee la Terre/Deserte.

ter dans une charrette infamante, destinée au transport des criminels et conduite par un
nain - d'où le titre du roman fondateur -, puis affronter mille épreuves, avant de posséder
la Dame de sa foi.
Le roman en prose remonte à l'enfance de Lancelot, à son rapt au berceau par la Dame du
Lac qui l'élève dans son château au fond de l'eau ; il narre son arrivée à la cour du roi Arthur
et comment, dès le premier regard, il s'éprend pour toujours de la reine Guenièvre; et tout
l'enchaînement de ses aventures et de ses amours, que croisent celles des autres chevaliers de
la Table ronde jusqu'à la quête du Graal dont Lancelot se révèle indigne, parce qu'il a pour-
suivi l'amour adultère, entraînant les catastrophes qui aboutiront à la mort du roi Arthur
et à la fin des merveilles de Bretagne.
Le point de départ de Lancelot,
roman qui marque tout l'imaginaire
de la fin du Moyen Âge, c'est donc le
péché contre l'amour courtois, la pos-
session physique d'une femme réelle,
la profanation de l'amour. Et c'est à
cause de cette faute initiale que Lan-
celot ne trouvera pas le Graal, et sera
cent fois humilié quand il errera dans
la voie céleste : il a choisi la voie ter-
rienne, il a trahi l'Amour mystique,
il n'est pas pur... La description de
ces errements et de leurs punitions
exigeait la forme- du récit, et com-
mandait l'avènement de la prose.

Pierre Chalmin

• Page de droite : Lancelot, manuscrit


du troisième quart du XV1 siècle.
Comme de nombreux romans en
prose, les manuscrits médiévaux
de Lancelot du Lac se présentent
généralement dans un grand format
et sont écrits sur deux colonnes.
On trouvera ci-dessus à droite la
transcription exacte du début du texte.

• Ci-contre : Détail des chevaliers


de la Table ronde.
Le Livre de la Cité des Dames Ici commence Le Livre de la Cité des Dames, dont
le premier chapitre raconte pourquoi et sous
quelle impulsion ce livre fut écrit.

Christine de Pizan, 1405 Selon mon habitude et la discipline qui règle le


cours de ma vie, c'est-à-dire l'étude inlassable des
arts libéraux, j'étais un jour assise dans mon
étude, tout entourée de livres traitant des sujets
les plus divers. L'esprit un peu las de m'être si
longtemps appliquée à retenir la science de tant
d'auteurs, je levai les yeux de mon texte, décidant
on destin d'écrivain démontre, s'il en était besoin, qu'au cœur des périodes les plus de délaisser un moment les livres difficiles pour
me divertir à la lecture de quelque poète. C'est
s troublées de l'Histoire, les femmes n'ont pas eu besoin qu'on leur témoignât d'égards pos- dans cet état d'esprit qu'il me tomba entre les
tiches, ni qu'on leur cédât de droits arbitraires, afin de régner en majesté. Au temps de cette mains certain opuscule qui ne m'appartenait pas,
mais qui avait été pour ainsi dire laissé en dépôt
guerre civile en pourpoint qu'est la querelle des Armagnacs et des Bourguignons, Christine chez moi par un tiers. Je l'ouvris donc, et vis qu'il
de Pizan est révérée comme une célébrité internationale. Internationale, entendons-nous avait pour titre Les Lamentations de Mathéole. Je
me pris alors à sourire, car si je ne l'avais jamais
sur le terme ; le monde d'alors, c'est l'Europe : cela tombe bien, on y reste entre gens de vu, je savais que ce livre avait quelque réputation
de dire grand bien des femmes !... Je pensai donc
goût. Le duc Galéas Sforza, tendron qui organise des chasses à courre sur la personne de que, pour m'amuser un peu, je pouvais le par-
ses sujets dans les rues de Milan, dépose sa fortune aux pieds de la dame, afin qu'elle daigne courir. Mais ma lecture n'était guère avancée
quand ma bonne mère vint m'appeler à table,
mettre son talent à son service. Est-ce par coquetterie qu'elle refuse ? Peut-être. Plus certai- l'heure étant déjà venue de souper. Me propo-
nement, l'hagiographe du sage roi Charles V tenait à demeurer dans cette France où les sant donc de remettre cette lecture au lende-
main, je l'abandonnai pour l'instant.
cours d'amour avaient donné au beau sexe sa place de choix. Le lendemain matin, retournant comme à l'ac-
Italienne de naissance, elle avait gardé de ce sang chaud de quoi faire couler sous sa plume coutumée à mon étude, je n'oubliai pas de mettre
à exécution ma décision et de parcourir le livre
une encre spirituelle et passionnée. Satiriste, romanesque, débatteuse à l'égal des plus brillants de Mathéole.
clercs de l'époque, elle commet l'erreur d'entrer, trop confiante en sa réputation, dans la
polémique du Roman de la Rose, où elle trouve un
adversaire à sa taille : Jean de Meun. Ancêtre de ces
écrivains mâles qu'exaspère le genre bas-bleu, celui-ci
aura, à l'égard de sa rivale, d'exquises amabilités : « Cau-
teleuse et mensongère, puisque femme. » « La haine
des sexes est mortelle », dit Nietzsche. La haine entre
confrères en littérature est pire encore.

Pierre-Emmanuel Prouvost d'Agostino

8 Ce manuscrit du Livre de la Cité


des Dames a été établi du vivant
de Christine de Pizan. O n possède
aujourd'hui vingt-sept manuscrits
de cette œuvre qui c o n n u t u n
grand succès. Celui-ci est illustré de
trois miniatures dues à u n artiste
parisien ; il a appartenu au d u c
de Berry d o n t il porte la signature.
Rondeaux Rondel 221

Pource que Plaisance est morte,

Charles d'Orléans, début du XV siècle Ce may suis vestu de noir;


C'est grant pitié de veoir
Mon cueur qui s'en desconforte.

le m'abille de la sorte
Que doy, pour faire devoir,
Pource etc.

ncle du roi de France Charles VI, Charles d'Orléans fut fait prisonnier à Azincourt Le temps cez nouvelles porte,
Qui ne veult deduit avoir,
0 - il avait vingt ans —,et passa vingt-cinq années captif des Anglais. C'était plus que Mais par force de plouvoir
suffisant pour le porter à la mélancolie. Prince du sang et prince des lettres, il avait déjà Fait dez champs clorre la porte,
Pource etc.
composé des vers très remarquables avant cet exil où il cultiva la sagesse sous sa forme la
plus élémentaire, celle de l'indifférence, du « Nonchaloir » :
Rondel 222
Desormais en sains et seur lieux
Cueur, a qui prendrez vous conseil ?
Ordonne mon cueur demourer, A nul ne povez descouvrir
Le tresangoisseus desplaisir
Et par Nonchaloir pour le mieulx Qui vous tient en peinne et traveil.
—Mon medicin —soy gouverner.
Je tiens qu'il n'a soubz le soleil
De vous plus parfait vray martir.
Rentré en France, Charles d'Orléans dont la vie était deux fois ruinée, personnellement et Cueur etc.

politiquement, par un emprisonnement d'un quart de siècle, ne s'intéressa plus qu'aux Au meins faitez vostre apareil
femmes et aux vers, ce qui est la même chose. Il passa les vingt-cinq ans qui lui restaient à De bien vous faire ensevelir;
Ce n'est que mort d'ainsi languir
vivre à composer les Rondeaux qui devaient l'immortaliser. Il fit entendre d'une même voix En tel martire nonpareil!
Cueur etc.
les derniers murmures de l'amour courtois, et les premières clameurs du lyrisme amoureux.
Possédé par-dessus tout du sentiment de la fuite du temps qui mène à la mort, et de l'infi-
nie dérision conséquente de toute entreprise, Charles d'Orléans s'attache à l'instant fragile,
aux beautés fugaces, aux impressions éphémères. Il présente l'exemple rarissime d'un poète
tout à la fois lucide et souriant :

Puis ça, puis la


Et sus et jus
De plus en plus
Tout vient et va.

À cinq siècles de distance, d'un poète l'autre, Jean Tardieu a évoqué très sensiblement Charles
d'Orléans: « Je vois un homme d'autrefois, soudain redevenu jeune comme le jour. Il a
consumé, rêvé sa vie pour en extraire quelques sons essentiels, c'est-à-dire pour détourner le
cours des raisons du monde... Il fut l'un des premiers à utiliser les mots de la langue fran-
çaise à des fins de magie. »

Pierre Chalmin

• Ce manuscrit des Rondeaux


- « l'album de la cour de Blois » -
d o n t un feuillet autographe est
reproduit ici, est un épais volume
de petit format aux marges fortement
rognées, qui rassemble, a u t o u r d ' u n
fonds antérieur aux années 1450,
la p r o d u c t i o n poétique ultérieure de
Charles d'Orléans et de son cercle.
Plusieurs additions sont le fait de
copistes, mais la main, bien
reconnaissable, qui revient le plus
souvent est celle de Charles d'Orléans.
Discours de la Joie et de la Tristesse Sire, cette docte compaignie qu'il vous plaist
honorer de vostre presence ressamble un festin
garny de toutes sortes de viandes exquises et

Pierre de Ronsard, 1576 bien aprestées. Moy qui viens le dernier sur la fin
du banquet, je ne vous puis aporter rien de nou-
veau sinon un peu de dragée que je vous présente
pour le dessert.Vous avez les oreilles pleines, sou-
lées et ressasiées de tant de viandes spiritueles
que vous en aprestez davantage ce seroit vous
ennuyer et facher. Pour ce en cent parolles je
diray ce qu'il m'en semble sans recharcher autre
ne partie des ressources qui permettent à chose que la vérité.
u Les filosophes ne s'accordent touchant les pas-
Ronsard de subsister provient de la cassette sions, ni d'où elles procedent si c'est du corps ou
royale. Cela implique quelques contreparties. Il se de l'ame: les pytagotiques et platoniques assurent
que l'ame n'a point de perturbations d'elle-
sent plus fait pour écrire que pour parler, mais quand mesme, mais que elle se sallist par la contagion
Henri III lui demande d'intervenir dans les débats de la matière et de la nature corporee, come un
home de bien qui est logé chez un mechant hoste
philosophiques qu'il organise pour se former, il faut se sallist, honist et souille par les taches et
bien s'exécuter. De là ces Discours, pas spécialement ori- ordures et vices qu'il trouve dedans le mauvais
logis. De laquelle tache et souillure que l'asme
ginaux, sur les mérites comparés des qualités intellectuelles et prend par le voisinage du corps, nos theologiens
se pleignent assez et disent que la mace corpo-
des qualités morales, sur l'envie ou sur la joie et la tristesse. La preuve relle agrave et afondre l'ame en la matiere, si bien
qu'il n'y tient pas spécialement : il ne les conserve pas dans l'édition de ses Œuvres aux- que l'ame ne peut contempler ny retourner par
meditation en sa premiere origine, et mesmes ce
quelles il accorde pourtant le plus grand soin. grand St Pol dit « Je voudrois estre dissous de ces
Pour les mêmes raisons de fidélité au pouvoir, il s'engage, du côté des catholiques, dans le agitations et perturbations materielles, c'est-à-
dire du corps, pour contempler parfaittement
conflit qui les oppose aux protestants et cela avec la plus grande vigueur. À ceux qui, par Dieu. » O r telle question apartient aux theolo-
exemple, attribuent sa surdité à la vérole, il répond : giens.

Tu m'accuses, cafard, d'avoir eu la vérole: • En médaillon : Pierre de Ronsard,


Un chaste prédicant de faits et de paroles portrait anonyme du XVIIe siècle,
Ne devrait jamais dire un propos si vilain ; d'après le buste ornant le tombeau
du poète au prieuré Saint-Cosme, près
Mais que sort-il du sac ? cela dont il est plein. de Tours.
Toujours le voleur pense à la dépouille prise,
• Page de droite : Discours de la Joie et
Et toujours le paillard parle de paillardise.
de la Tristesse. Manuscrit autographe.
Tais-toi, de l'Evangile impudent avorton...
• Ci-dessous : Extraits des « sonetz »
de Pierre de Ronsard mis en musique
Pourtant, cet engagement de commande lui pèse. Il excelle dans le genre satirique et sait à quatre parties par G. Boni de Saint-
écrire « d'une plume de fer sur un papier d'acier ». Mais sa vocation n'est pas là. Il n'hésite Flour en Auvergne.
pas à le dire une fois son devoir accompli : « Et
voulez-vous que je vous dise ce qui m'a le plus
ennuyé durant ces troubles, c'est que je n'ai pas
pu jouir de la franchise de mon esprit, ni libre-
ment étudier comme auparavant. »
Sa vocation, ainsi que le montre l'ampleur de son
oeuvre en vers, et aussi le soin incessant apporté à
l'établissement des Œuvres, réside dans ce qu'un
critique a fort bien appelé « un corps à corps inter-
minable avec le verbe ».

Paul Desalmand
Essais [...] Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais,
je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répon-
dant: « Parce que c'était lui; parce que c'était
moi ».
Michel de Montaigne, 1588 Il y a au-delà de tout mon discours, et de ce que
j'en puis dire particulièrement, ne sais quelle force
inexplicable et fatale, médiatrice de cette union.
Nous nous cherchions avant que de nous être
vus, et par des rapports que nous oyions l'un de
l'autre, qui faisaient en notre affection plus d'ef-
fort que ne porte la raison des rapports, je crois
r'iray autant qu'il y aura d'encre et de papier au par quelque ordonnance du ciel; nous nous
embrassions par nos noms. Et à notre première
" J monde » (III, 9). Matière de son livre, consub- rencontre, qui fut par hasard en une grande fête
stantiel à son ouvrage, Montaigne, né en 1533, ne et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si
pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès
pouvait songer à achever ses Essais. La mort seule se lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre. Il écri-
devait de les interrompre. Elle le fit, un jour d'automne, vit une satire latine excellente, qui est publiée, par
laquelle il excuse et explique la précipitation de
en 1592. La veille encore, il corrigeait, ajoutait, biffait, se notre intelligence, si promptement parvenue à sa
repentait, voire se repentait d'un repentir. Au point parfois de perfection. Ayant si peu à durer, et ayant si tard
commencé, car nous étions tous deux hommes
faire disparaître peu à peu l'imprimé de 1588, délicatement ense- faits, et lui plus de quelques années, elle n'avait
veli par le projet de l'édition future, celle qui verra le jour grâce à sa « fille point à perdre de temps et à se régler au patron
des amitiés molles et régulières, auxquelles il faut
d'alliance », Marie de Gournay, en 1595. tant de précautions de longue et préalable
conversation. Celle-ci n'a point d'autre idée que
L'aventure avait commencé en 1580, chez un éditeur de province, Simon Millanges. Mon- d'elle-même, et ne se peut rapporter qu'à soi. Ce
taigne donnait en deux livres de petit format un « livre de bonne foy », à vocation « domes- n'est pas une spéciale considération, ni deux, ni
trois, ni quatre, ni mille: c'est je ne sais quelle quin-
tique et privée »- entendons destiné aux siens - où il proposait son portrait à ceux qui l'avaient tessence de tout ce mélange, qui ayant saisi toute
connu ou le connaissaient, afin qu'ils conservent son souvenir, et que le cas échéant, ils puissent ma volonté, l'amena se plonger et se perdre dans
la sienne ; qui, ayant saisi toute sa volonté, l'amena
le retoucher. Entreprise originale, unique, et qui rencontra très tôt l'intérêt du public, des doctes se plonger et se perdre en la mienne, d'une faim,
aussi bien que des hommes de cour et de guerre. Car les Essais portent encore la marque d'une d'une concurrence pareille. Je dis perdre, à la
vérité, ne nous réservant rien qui nous fût propre,
vie publique active et efficace. En 1571, veuf si l'on peut dire depuis huit ans déjà de La Boé- ni qui fût ou sien, ou mien.
Quand Lélius, en présence des consuls romains,
tie, Montaigne quitte le parlement de Bordeaux. Et, l'épisode mis à part des deux mandats de lesquels, après la condamnation de Tiberius Grac-
maire de cette ville, il n'occupera jamais plus de fonction officielle. chus, poursuivaient tous ceux qui avaient été de
son intelligence, vint à s'enquérir de Caïus Blo-
Cohabitent en fait chez lui deux aspirations opposées auxquelles il a la sagesse de donner cours sius (qui était le principal de ses amis) combien il
selon son humeur mais aussi pour satisfaire à ses devoirs de gentilhomme. Plus que l'épée (qu'il eût voulu faire pour lui, et qu'il eut répondu:
« Toutes choses. - Comment, toutes choses? sui-
mania toutefois pendant les guerres religieuses), c'est la diplomatie, le rôle d'intercesseur qui le vit-il. Et quoi, s'il t'eût commandé de mettre le feu
tente. Montaigne s'efforce d'agir en faveur d'une « concorde », cette union des cœurs chère à en nos temples? - Il ne me l'eût jamais com-
mandé, répliqua Blosius. - Mais s'il l'eût fait? ajouta
l'époque troublée d'Henri IV. Et ces heures lui sont propices, elles consacrent en librairie le suc- Lélius. - J'y eusse obéi », répondit-il. S'il était si
cès de son initiative. En 1582, de retour de son voyage écourté en Suisse, Allemagne et Italie, après parfaitement ami de Gracchus, comme disent les
histoires, il n'avait que faire d'offenser les consuls
avoir baisé la pantoufle du pape (et reçu le titre recherché de « citoyen romain »), il donne une par cette dernière et hardie confession; et ne se
devait départir de l'assurance qu'il avait de la
deuxième édition augmentée des Essais. Il ne lui reste alors que dix ans à vivre, partagés entre le volonté de Gracchus. Mais, toutefois, ceux qui
service du roi et la rédaction « à sauts et à gambades » de son livre. accusent cette réponse comme séditieuse, n'en-
tendent pas bien ce mystère et ne présupposent
«Je veus qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire. »Jusqu'au bout les Essais s'ef- pas, comme il est, qu'il tenait la volonté de Grac-
forcent d'obéir à la promesse adressée au lecteur au seuil du livre. Mais Montaigne apprend chus en sa manche, et par puissance et par
connaissance. Ils étaient plus amis que citoyens,
chaque jour la difficulté de se peindre « tout entier et tout nud ». L'obstacle est double : dans le plus amis qu'amis et qu'ennemis de leur pays,
langage même, peu propre à la nouveauté de l'entreprise, comme dans la quête du « moi ». Car qu'amis d'ambition et de trouble. S'étant parfai-
tement commis l'un à l'autre, ils tenaient parfai-
s'« il est bien aisé, sur des fondemens avouez, de bastir ce qu'on veut » (II, 12), ici tout est tement les rênes de l'inclination l'un de l'autre;
muable, « le monde n'est qu'une branloire perenne », jusqu'à l'écriture, inconstante comme et faites guider cet harnois par la vertu et
conduite de la raison (comme aussi est-il du tout
Circé. Tout est redoutable en, à la manière de ses propres pensées que Montaigne en vient à impossible de l'atteler sans cela), la réponse de
Blosius est telle qu'elle devait être. Si leurs actions
tenir pour les « excremens d'un vieil esprit ». se démanchèrent, ils n'étaient ni amis selon ma
De là le visage anamorphique, profondément humain, à jamais moderne, d'un livre en mou- mesure l'un de l'autre, ni amis à eux-mêmes. Au
demeurant, cette réponse ne sonne non plus que
vement vers la vérité. «Je ne peints pas l'estre. Je peints le passage. » ferait la mienne, à qui s'enquerrait à moi de cette
façon: « Si votre volonté vous commandait de
tuer votre fille, la tueriez-vous ? » et que je l'ac-
Michel Simonin cordasse [...].
• En médaillon : École française
du xvr siècle, Portrait de Michel de
Montaigne.

• Page de droite: Michel de Montaigne,


Essais, Paris, Abel L'Angelier, 1588,
Livre I, chapitre XXVIII, « De l'amitié »,
(exemplaire annoté par l'auteur).
Sonnets Sonnet pour Messires le Dauphin
& d'Orléans

Destins je le connais, vous avez arresté


François de Malherbe, 1608 Qu'aux deux fils de mon Roy se partage la terre,
Et qu'après le trépas ce miracle de guerre
Soit encor adorable en sa postérité

Leur courage aussy grand que leur prospérité


Tous les fronts orgueilleux brisera comme verre:
Et qui de leurs combats attendra le tonnerre

D ' u n modèle oublié, on ne retient guère


aujourd'hui que ces vers qui appartiennent
Aura le chastiment de sa témérité

Le cercle imaginé qui de mesme intervalle


à Boileau : Du Nord et du Midy les distances égale
De pareille grandeur bornera leur pouvoir

Enfin Malherbe vint, et le premier en France Mais estans fils d'un père ou tant de gloire abonde
Pardonnez moy Destins, quoy qu'ils puissent avoir
Fit sentir dans les vers une juste cadence: Ce leur sera trop peu, s'ils n'ont chacun un
monde.
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir
Et réduisit la Muse aux règles du devoir.
Autre sur l'absence d'une maîtresse

Introduit à la cour par le cardinal du Perron, Malherbe y sut si bien charmer que sa faveur Beaux et grands bâtimens d'éternelle structure
Superbes de matière, et d'ouvrage divers
survécut à la mort d'Henri IV et qu'il continua d'exercer son art suprême de louer auprès de Où le plus digne Roy qui soit en l'univers
Louis XIII, qui fit de lui une sorte de poète officiel. Ponctuant les grands faits du règne, en Aux miracles de l'art fait céder la nature.

des vers encomiastiques (« d'éloges »), de lieux communs politiques émollients, il exalta Beau parc et beaux jardins qui dans vostre clos-
l'ordre monarchique, garant d'une paix d'âge d'or contre tous les fauteurs de troubles : tu re
Avez toujours des fleurs et des ombrages vers
Non sans quelque démon qui deffend aux hyvers
Toute sorte de biens comblera nosfamilles, D'en effacer iamais l'agréable peinture.

La moisson de nos champs lassera lesfaucilles, Lieux qui donnez aux cueurs tant d'aimables
desirs
Et lesfruits passeront la promesse desfleurs. Bois, fontaines, canaux sy parmi vos plaisirs
Mon humeur est chagrine et mon visage triste
La poésie amoureuse ou morale de Malherbe n'a rien que de très convenu ; sa véritable ori- Ce n'est pas qu'en effet vous n'ayez des appas
ginalité est précisément dans le désaveu de l'inspiration et de l'invention, au profit du tra- Mais quoy que vous ayez, vous n'avez point Caliste
Et moy, je ne voy rien quand je ne la voy pas.
vail et de la pureté de la forme. Ruinant la doctrine de Ronsard qui décrétait « le style pro-
saïque est ennemi capital de l'éloquence poétique », Malherbe préconise l'élégance dans la
simplicité de la langue, rejetant imprécisions, archaïsmes, néologismes, inversions, omis-
sions, anacoluthes, cacophonies, hiatus et rimes faciles.
Il fonde tout à la fois la rigueur classique et annonce le
goût moderne des règles qui captivent l'inspiration.
Méconnaissant la belle autorité et la douceur harmonieuse
de ses strophes, la postérité s'est attachée à contredire l'or-
gueilleuse assurance de l'auteur du « Sonnet au Roi »:

Tous vous savent louer, mais non également:


Les ouvrages communs vivent quelques années:
Ce que Malherbe écrit dure éternellement.

Pierre Chalmin

• En médaillon : Briot et Jollain,


François de Malherbe, gentilhomme
de la Chambre du roi, 1658.

• Page de droite : Manuscrit


autographe de deux sonnets.
• Ci-contre : Giovanni Battista
di Jacopo, Vue du château de
Fontainebleau, vers 1540.
Achevé d ' i m p r i m e r en octobre 2000
sur les presses de AGT, Tolède
ISBN: 2-7324-2669-5
D é p ô t légal : novembre 2000
Photogravure Q U A D R I L A S E R , O r m e s
Imprimé en Espagne
D.L. TO: 1418-2000
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
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