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CLINIQUE DE L'ADOLESCENT FUMEUR DE JOINT

Alexandre Har

Martin Média | Le Journal des psychologues

2011/10 - n° 293
pages 44 à 49

ISSN 0752-501X
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http://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2011-10-page-44.htm
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Pour citer cet article :


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Har Alexandre, « Clinique de l'adolescent fumeur de joint »,
Le Journal des psychologues, 2011/10 n° 293, p. 44-49. DOI : 10.3917/jdp.293.0044
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DOSSIER
Langages et corps à l’adolescence

Clinique de l’adolescent
fumeur de joint
Psychologue
Alexandre Har
clinicien,
docteur
en psychologie

Croyant satisfaire sa recherche de plaisir, et ce, sous contrôle, l’adolescent


consommateur de cannabis ouvre en réalité sa porte à la dépendance,
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à une nouvelle dynamique psychique et à des symptômes d’éloignement,
de déconcentration, d’irritabilité, etc. Amorcer un travail psychothérapeutique
s’avère essentiel. Mais comment parvenir à la déconstruction des habitudes
du fumeur ? L’alliance dans la relation, un travail sur les émotions, ou encore sur
la complémentarité des approches multidimensionnelles, s’avèrent nécessaires.

L
a scène est souvent la même. Un rentres dans ma vie sans mon autorisation ? », cette impasse bien connue des parents.
jeune se présente, à la demande « Les psys, ça ne sert à rien. » Une alternative L’opposition « banalisation-dramatisa-
d’un tiers : « On m’a demandé de venir est possible. tion » est cousine du fonctionnement en
vous voir. Mais c’est trop nul, j’ai pas besoin Lors des premiers entretiens s’amorce « tout ou rien ». Le psychologue ne peut
de vous, tout va bien, mes parents exagèrent, ce que Guy Ausloos a défini comme une se permettre le luxe d’être identifié à une
je ne sais même pas ce que je fais ici. » Plus « phase d’apprivoisement » sans doute réci- figure parentale autoritaire.
tard, le sujet du contrôle de la consomma- proque (1995). Pour le psychologue, l’en- En cherchant à passer en force, en bous-
tion fait surface : « De toute façon je m’arrête jeu est clair : accepter d’être bousculé dans culant le bouclier du déni : « Je sais que tu
quand je veux. » son cadre deviendra un moyen de nouer fumes, c’est mauvais pour la santé », le bou-
une relation. En effet, spontanément, nous clier risque de s’élargir et de se renforcer.
Les premiers entretiens pouvons être tentés de prendre le contre- La défense absorbe l’énergie déployée
pied en réagissant par l’amorce d’une pour mieux se consolider. Ce qui ne passe
Le mouvement de l’échange s’oriente réponse en escalade symétrique : c’est pas avec la force ne passera pas avec
rapidement vers une banalisation avec la classique dramatisation dans laquelle plus de force, surtout chez un adolescent.
sous-entendu. L’adolescent met au défi l’adulte cherche à démontrer à l’adoles- Étrangement, les adolescents sont peu
l’intervenant de se rapprocher de lui, de cent qu’il a tort, parce qu’implicitement, sensibles à nos métaphores mécanistes
l’appréhender dans son monde. Dans ces il sait mieux ! L’expérience clinique inter- interprétatives. Donner du sens au déni est
moments débute déjà une longue et per- vient pour limiter cette réponse attendue. perçu comme un effort parental désuet.
nicieuse phase de test : « Qui es tu toi qui La stratégie consiste, d’emblée, à éviter La causalité linéaire échappe à un jeune

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se percevant dans l’originalité de la vérité. Un questionnement s’installe parfois activités diverses et variées constituera
Nous verrons plus loin comment réintro- pernicieusement : « Suis-je ou ne suis-je pas une des difficultés à contourner dans la
duire de la complexité dans ce type de dépendant au produit ? » Cette observation prise en soins de l’adolescent.
transaction. Il convient donc tout d’abord de soi, fruit d’une pensée réflexive hési- Avec « l’expérience », le consommateur
de faire connaissance en créant l’alliance, tante, est lente à s’instaurer. L’adolescent s’installe dans un fonctionnement psy-
la réanimant, l’entretenant comme un feu ne s’entend pas toujours. Il est sourd aux chique à deux vitesses. Clarifions ce point.
de cheminée. autres. D’autant plus lente à venir qu’elle Dans une perspective dimensionnelle, sur
peut être masquée par d’autres préoccu- un même continuum, se situe, d’un côté,
Les ébauches de pations, plus personnelles, parfois dou- la compulsion de la prise : irrésistible et
loureuses. Un divorce, une série de conflits incontrôlable. Inextricablement, elle est
fonctionnement psychique parentaux, une scolarité sans intérêt, une fonction du contexte. Généralement, elle
Avant de poursuivre, intéressons-nous au rupture affective impossible, etc. : à cet est accompagnée par une rationalisation
fonctionnement psychique de l’adoles- âge-là, la vie est riche en péripéties dra- forte confortée par une suite de scéna-
cent consommateur. Comment pouvons- matisées. Dans l’affirmation du contrôle rios fantasmatiques et-ou de pensées
nous le représenter ? Un petit peu de de soi face au joint, perle parfois, à bas automatiques. Ces scénarios justifient
géométrie psychique semble nécessaire. bruit, le doute : « Suis-je aussi libre d’arrêter de la difficulté à arrêter. Ils alimentent le
Typiquement, deux espaces complé- quand je veux ? » mouvement qui encourage le fumeur à
mentaires paraissent animer ou diviser la Ces deux pôles de l’intériorité psychique différer l’arrêt à plus tard. À terme, l’usa-
mosaïque intérieure du consommateur. coexistent ainsi l’un à côté de l’autre et ger constate sur lui-même que, malgré
D’un côté, il est question d’un pôle de finissent par modeler l’ensemble de l’ac- ses 1 001 promesses, à lui-même puis
plaisir recherché et ressenti. Le souvenir tivité psychique. La recherche du plaisir aux autres, il n’arrive plus à réduire, plus
du partage, à plusieurs, d’un joint festif constitue un facteur essentiel qu’il est comme avant. L’adolescent s’enferme,
lors de l’intronisation du pétard émanci- nécessaire de bien cerner. D’autant plus panique parfois de ne plus rien pouvoir
pateur. L’odeur du haschich, la gestuelle que le consommateur aura tendance à décider.
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de préparation, l’acte de mélanger, le fait l’associer en réseau à de nombreuses L’autre pôle est celui de la consommation
de rouler, conjuguent des sensations à activités. Fumer en jouant en ligne sur PC, contrôlée, récréative, épisodique et non
des actions répétées de nombreuses fois. fumer en regardant un DVD pour mieux l’ap- problématique. Cet usage vers lequel la
La ritualisation de la préparation s’associe précier, fumer avec des copains en soirée, personne dépendante oriente tous ces
souvent à l’initiation et à la première trans- fumer avant la sortie pour la préparer, pour espoirs futurs. L’Eldorado à retrouver.
gression de l’interdit. Plus tard, la prépara- mieux la vivre, pour mieux s’en reposer. Très souvent, il s’agit d’une illusion. Le
tion s’automatisera, perdant son aspect de Tous les prétextes sont de bonne guerre. consommateur se trouve aux prises avec
cérémonial à plusieurs. L’entrée dans une Pour certains, la consommation devient un dilemme paradoxal : au plus il cherche
consommation en solitaire, à la différence la récompense attendue d’une journée de à contrôler sa consommation, au moins il
de celle du groupe, impose une nouvelle travail, de lycée, de collège, de l’intercours. y parvient.
réalité, facteur de préoccupation. Le plaisir « C’est pour mieux lutter contre le stress de la
de gorge de la fumée insufflée, l’avidité du sortie chez les grands-parents ! » me confiait La demande et la motivation
plaisir à venir, la satiété euphorique, le lais- un patient. Cette réalité du « bonbon-joint »
ser-aller musculaire, l’évaporation presque que l’on ne peut plus s’arrêter de « dévo- L’adolescent demande peu dit-on ! En
instantanée des émotions négatives, rer-fumer » devient aliénante. Pourtant, du présence des parents, il exige ou se tait,
l’ensemble de ces impressions catalyse temps sera nécessaire avant de dénouer tergiverse parfois, s’enferme souvent
autant de raisons de continuer de fumer. les liens paradoxaux reliant la recherche de tout seul dans un discours ado, rebelle,
Qui souhaiterait renoncer délibérément à liberté et l’aliénation qu’elle vient sceller. revendicatif. À moins que le discours ne
un moment de plaisir ? Il y a donc un joint pour toutes choses soit terne et déprimé. La clinique de cet
D’un autre côté, une fois ce plaisir éphé- et à tous moments dans la vie quoti- adolescent-là est plus difficile.
mère dissous, s’installent en retour dienne. L’identification des fonctions Une fois les parents sortis, dans le face-
d’autres processus dont certains prennent du joint introduit un premier niveau de à-face avec le clinicien se pose rapide-
une dimension parfois obsédante. Petit à questionnement sur son utilisation : le ment la question de l’intentionnalité de
petit, le voile grisonnant d’une bulle s’ins- joint antidépresseur, le joint anxiolytique, la demande. De qui émane-t-elle ? Des
talle, insidieusement. Il ralentit, dissipe, le joint ennui, le joint défonce, le joint parents, de l’école, du juge, de l’ado-
relativise, pèse sur l’esprit/corps. La fati- somnifère, le joint social, les joints pré et lescent lui-même ? Peut-on entamer
gue qui l’accompagne parfois encourage post-rapport sexuel, le joint masturba- une relation psychothérapeutique avec
à ne rien faire, à attendre que cela passe. tion, le joint pour lire, pour se concentrer, un adolescent n’ayant pas demandé à
Cet état encourage le sommeil, l’inaction pour mieux travailler, le joint du matin venir, ne reconnaissant pas ses difficultés,
et se confirme dans la durée par l’aboulie. au petit déjeuner, sans oublier celui des attendant impatiemment que la séance se
À terme, fumer limite la concentration et infos du soir ! La désintrication joint/acti- termine enfin ? Plusieurs réponses sont
débouche souvent sur une seule envie, vité deviendra un des objectifs ciblés de à envisager. En fonction de la quantité
celle d’un autre « spliff ». La dépendance l’intervention psychothérapeutique. Les consommée, de la fonction du cannabis
fait son chemin, le nouvel équilibre psy- connaissances dans l’alchimie du plaisir dans la régulation émotionnelle, de la
chique s’organise autour de la consomma- s’étayent également dans les mélanges désinsertion sociale, la consommation
tion, tout devient programmé en fonction avec d’autres substances : alcool, ecstasy, d’un adolescent peut devenir rapidement
du pétard. cocaïne, etc. L’association du cannabis aux problématique.

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DOSSIER
Langages et corps à l’adolescence

Comme nous l’avons décrit plus haut, psychopathologique pour mieux entre-
les répercussions d’un usage abusif, puis prendre la dimension motivationnelle.
d’une dépendance, s’observent à plu- Cette dernière ne sera pas dépourvue du
sieurs niveaux. Sur le plan du fonction- recueil de précieuses informations.
nement individuel, la symptomatologie D’autres enjeux se présentent rapidement.
s’exprime dans le domaine cognitif par Comment le clinicien peut-il reformuler
une baisse des capacités attentionnelles ce que l’adolescent a du mal à problé-
et de concentration. Une baisse des résul- matiser ? Comment contribuer à réta-
tats scolaires s’ensuit. Elle s’accompagne blir une « priorisation » des choix et des
aussi d’un éloignement des activités actions, ce que l’on appelle également « la
sportives ou associatives. La qualité du balance décisionnelle » ? En l’amorçant,
sommeil s’altère avec, généralement, un cette démarche participe à la phase de
inversement du rythme veille-sommeil. déconstruction des modalités de pensée
L’adolescent est souvent fatigué, il devient entretenant la consommation. Il existe
plus facilement irritable et entre en conflit un « ailleurs » débutant ici et maintenant.
plus rapidement. Pour certains, le désin- Le cadre des séances peut en constituer
vestissement scolaire s’installe plus sour- le garant.
noisement. Les absences non justifiées se
cumulent. L’échec scolaire ne tarde pas Bilan de consommation
à s’instaurer. Sur le plan social, une lente
sélection et réorganisation des fréquenta- et déconstruction
tions s’opèrent. Les copains sont tous des Un bilan de consommation est une invita-
fumeurs. Les relations familiales sont plus tion à faire le point sur l’histoire qu’a nouée
tendues. Les sorties en soirée sont l’objet le jeune avec le cannabis. Une intimité que
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de disputes répétées. nous nous engageons à ne pas dévoiler
Quel peut donc être la demande d’un au même titre que d’autres informations.
jeune dans ce type de situation ? Devons- Quelle est la nature du roman partagé avec
nous laisser émerger la demande ou le produit ? Quelles sont les habitudes de
devons-nous plus activement travailler consommation ? Entrer dans un échange
à son émergence et, en priorité, à la au sujet de l’intimité du rapport au canna-
construction d’une alliance thérapeu- bis est une démarche parfois troublante
tique ? Les conceptualisations sont là pour un adolescent, surtout lorsqu’il
pour être bousculées, lorsqu’elles ne nous s’agit de la partager avec un adulte. C’est
permettent plus de penser et d’agir. Ne l’occasion d’évoquer les effets recherchés
sommes-nous justement pas les premiers (euphorie où défonce) et de distinguer
bousculés ? l’utilisation en groupe d’une utilisation
Les techniques de l’entretien motivation- en solitaire. Le choix du type de produit
nel permettent au clinicien de se dégager est également approfondi : « De l’herbe
d’emblée des impasses relationnelles de ou bien du shit ? », « De l’olive, de la sem ou
l’escalade symétrique. En tous les cas du commercial ? ». La qualité des produits,
de les contourner. L’« entretien motiva- leurs coûts, le budget hebdomadaire ou
tionnel » part du principe qu’il existe une mensuel, la possibilité d’une activité de
partie « saine » avec laquelle il est possible « deal », sont autant d’éléments importants
de s’allier (Miller W. R., Rollnick S., 2002). passés en revue.
Dans cette conception, la compétence Une analyse du discours de l’adolescent
de l’adolescent s’inscrirait en arrière-plan, à propos de l’ensemble de ces aspects de
attendant d’être réanimé. En chacun de la consommation renseigne sur la marge
nous cohabitent un traumatisé cumulant de manœuvre dont dispose le clinicien
et un résilient résiduel. Lequel des deux dans son intervention *. Un excès de rela-
aspects devons-nous aider à mettre en tivisme, de défis, de banalisation, voire de
lumière ? Au quotidien, l’adolescent n’est- militantisme procannabis, sont autant de
il pas suffisamment confronté à ce qui ne pistes à explorer. Attention cependant aux
fonctionne pas en lui ? mines « antipsy » laissées sur le parcours.
L’effort consiste alors à privilégier le travail Il n’est pas question d’entrer sur le terrain
sur l’alliance thérapeutique en sollici- des polémiques du champ politique. Un
tant l’adolescent différemment, dans un retour à la neutralité bienveillante est alors
*Voir à ce sujet : Prochaska J. O., Di rythme que nous allons apprendre à déter- souhaitable. La marge de manœuvre reste
Clemente C. C., Norcross J.-C., 1992, « In miner à deux, par la négociation. Parfois, étroite, la crédibilité importante.
Search of How People Change Applications lorsque l’opposition de l’adolescent paraît L’identification des contextes de la
to Addictive Behaviors », in American trop importante, il peut être judicieux de consommation facilite le début d’un
Psychologist, 47(9) : 1102-1114. délaisser un temps le travail de l’évaluation travail de déconstruction des habitudes

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La dépendance fait son chemin, le nouvel équilibre psychique s’organise autour de la consommation.

du fumeur. L’objectif est de chercher à à évaluer, dès les premiers entretiens, le et de réguler leurs émotions. Le manque
pousser le consommateur dans les recoins rapport qu’établit l’adolescent avec son de fluidité de la sphère émotionnelle est
de sa logique, tout en démontrant, chemin vécu émotionnel. Est-il en mesure de res- accentué par la consommation régulière
faisant, la lente et subtile perte du pouvoir sentir dans son corps puis d’identifier les de cannabis. Surtout lorsqu’il est question
décisionnel. L’analyse en micro-événe- émotions dites « primaires » (Damasio A., du joint solitaire fumé, pour certains, à
ment des séquences comportementales 1995), comme la joie, la colère, la tristesse, « l’appui de fenêtre », après une dispute
ouvre une porte vers l’accompagnement la honte, le dégoût ? Peut-il exprimer ses avec les parents. La découverte intuitive
en pensée des actions de la consom- émotions secondaires dans un langage des vertus anesthésiques des émotions,
mation. Quand, comment et avec qui métaphorique illustrant à sa manière les comme la colère, renforce le socle du
l’adolescent est-il amené à fumer ? La nuances de son vécu ? A-t-il la possibilité maintien de la dépendance. L’arrêt de la
dimension du « pourquoi » est laissée de de réguler les registres émotionnels, qu’il consommation implique alors de devoir
côté. Le « pourquoi » convoque à ce stade soit question d’émotion dite sommaire- modifier le rapport aux émotions sous
des mises en sens qui ont peu d’intérêt. La ment « positive » ou « négative » ? peine de se voir fantasmatiquement
discontinuité du fumeur est peu propice Deux niveaux sont ici simultanément imploser et parfois se trouver réellement
à l’exercice. L’adolescent sait rarement explorés : la dimension de l’émotion sur débordé. L’appréhension en résultant
pourquoi il fume. Par contre, il peut s’être le plan d’une auto-évaluation de soi par tiraille le jeune dans une peur de la peur.
spécialisé « en psy de tout genre ». Son rapport à soi-même et la dimension de Comment contenir cette colère que l’on
discours est alors rompu, pour ne pas l’hétéro-évaluation de soi par rapport à ne saurait voir et exprimer ? Comment
dire déjà corrompu. Au même titre que l’autre. La relation au clinicien véhicule un ne pas passer à l’acte face à l’autorité de
de nombreux adultes, l’adolescent évalue témoin fiable de la qualité de ces aspects ce père dont il est dit qu’il n’a pas vu son
rapidement les réponses qui sont atten- de la conscience émotionnelle. L’évalua- fils grandir ?
dues de lui. Il peut rapidement s’adapter tion de la sphère émotionnelle constitue, Dans ce registre, le travail psychothéra-
au discours pour qu’on le laisse en paix. à maints égards, un apport fondamental à peutique adopte une démarche parfois
une meilleure compréhension de la place pédagogique : celle de l’introduction de
La dimension émotionnelle qu’occupe le cannabis dans le fonctionne- soi au vécu émotionnel. L’expression des
ment psychique de l’adolescent. mimiques, du langage corporel, des atti-
Un autre aspect du travail psychothéra- La clinique nous confronte régulièrement à tudes non verbales, etc., l’ensemble de ces
peutique auprès de l’adolescent consom- des adolescents aux allures alexithymiques signes métabolisent autant de pistes avec
mateur de cannabis repose sur la sphère trahissant des lacunes importantes dans lesquelles le clinicien peut approfondir
émotionnelle. Notre parti pris consiste leurs capacités d’identifier, d’exprimer la sphère émotionnelle. Ramenée dans

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Langages et corps à l’adolescence

la relation au psychothérapeute, l’entrée ou « d’entrée en résistance ». Cette atti-


dans la régulation émotionnelle à deux tude, régulièrement interprétée comme
est également envisageable. À ce niveau, « manipulatrice » par l’entourage, consiste
l’empathie du clinicien représente un des simplement à ne pas affirmer son oppo-
vecteurs de l’action thérapeutique. sition ou son désaccord. Perdu dans l’au-
Lors des entretiens familiaux, il sera tomatisme du « fog cannabique », l’autre
intéressant d’évaluer comment les tran- est scotomisé, présent en bruit de fond.
sactions familiales véhiculent-elles la L’interruption du « larsen auditif parental »
régulation émotionnelle. Un conflit entre devient un impératif et conduit l’adoles-
les parents reste-il du domaine parental ? cent à acquiescer à toute demande, sans
A-t-il tendance à déborder le couple pour même en avoir réellement perçu le sens :
s’éponger auprès d’un des enfants ? Un « Ouais, bah…j’sais pas ! » Avec le temps,
des enfants porte-t-il plus difficilement cette stratégie d’évitement des tensions
les répercussions du conflit ? Les conflits conflictuelles rend le refus pratiquement
sont-ils parlés, les colères ventilées ? impossible, exception faite des moments
Comment la détresse d’un adolescent est- de crise pendant lesquels le non est agi,
elle gérée ? Quand le silence s’installe-il ? crié avec violence. Dire « non » devient
Ce travail conduit généralement le clini- donc difficile. D’autant plus qu’il s’asso-
cien à mieux aider l’adolescent à cerner cie parfois à la perception d’un vécu de
l’origine de ses changements d’état d’es- perte, voire d’abandon, de l’affection
prit. Un jeune ayant beaucoup fumé et des parents. Ces derniers ne sont-ils
peu dormi se trouve rapidement dans une pas toujours excédés ? L’opposition est
situation ou ses seuils de réactions émo- un moyen de se distinguer de l’autre,
tionnelles sont modifiés. Il cherchera alors elle n’est pas toujours une révolte. Dire
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à éviter la communication, instaurant de la « non » à un joint qui tourne (et qu’on a
sorte des modalités défensives qui auront envie d’attraper) implique un position-
tendance à rapidement se rigidifier. Toute nement assumé vis-à-vis des pairs et de
mise sous tension devient alors mena- soi-même. Peut-on alors réapprendre à
çante, car potentiellement détonante. refuser en présence du psychologue et à
Faire face aux tensions émotionnelles son intention ? Le travail sur la dimension
devient de plus en plus complexe. Qu’il relationnelle nous semble offrir, entre
soit question d’un travail sur la réduction autres, cette opportunité. Mais soyons
de la consommation ou sur l’abstinence, clairs, à défaut de ne pas trouver de mani-
la sphère émotionnelle doit, selon nous, pulation chez l’adolescent, soupçonnons
constituer une des cibles principales de à raison une entreprise de manipulation
l’action psychothérapeutique. chez le psy ! Car il s’agira bien d’amener
l’adolescent sur ce terrain ainsi que sur
La dimension relationnelle les autres. Formulée différemment, la
vigilance du psychologue le conduira à
Classiquement, le travail sur la relation utiliser le cadre et la relation dans le but
constitue un outil majeur de l’expérience de faciliter ce type de transaction : sortir
psychothérapeutique. L’occasion donnée du sous-marin pour remonter à la surface
d’explorer et d’analyser la relation vécue à et mettre les choses sur la table.
deux favorise le travail de maturation chez
l’adolescent/jeune adulte. La rencontre La temporisation
d’un clinicien reste cependant une aven-
ture compliquée, intimidante et il est par- La réduction ou l’arrêt d’une addiction
fois difficile de mener le système théra- au cannabis est, pour certains jeunes, un
peutique dans une coconstruction à deux. processus complexe ne pouvant s’expli-
Le travail explicite sur la relation transfé- quer en privilégiant un niveau d’analyse
rentielle, au sens classique, nous paraît par rapport à un autre. L’approche multi-
exceptionnel. À ce niveau également, une dimensionnelle (intrapsychique, relation-
perspective pédagogique s’avère néces- nelle, familiale, extrafamiliale) confère à
saire : introduire la dynamique consistant l’intervention psychothérapeutique un
à « métacommuniquer » sur la relation est intérêt particulier, tant sur le plan de son
un processus qui s’installe lentement, par ouverture pratique que sur le plan concep-
palier. Dans notre expérience, le rapport tuel. Dans cette perspective, l’accompa-
au refus – dire « non » – représente une gnement de l’adolescent sera organisé en
porte d’entrée intéressante. Souvent, fonction de ces besoins et des objectifs
« l’adolescent consommateur » met en thérapeutiques, qu’ils soient médicaux,
place une stratégie dite du « sous-marin » psychologiques, éducatifs ou sociaux. Le

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changement résultera de la synergie de Le travail avec la famille En quoi consistait la recherche ? L’objectif
nombreux facteurs qu’une psychothérapie principal de cette étude était de comparer,
isolée échouera à condenser. La clinique de l’adolescent fumeur de dans le cadre d’un essai thérapeutique
L’apprentissage de la temporisation joints évolue peu. Ces quelques lignes standardisé, randomisé et longitudinal,
constitue un des facteurs de la sortie des écrites il y a maintenant trois ans conser- l’efficacité d’une méthode thérapeutique,
mécanismes de dépendance. Après avoir vent sans aucun doute leur pertinence la thérapie familiale multidimensionnelle
identifié les moments de vécu facilitant sur le plan de la clinique et de l’interven- (Liddle H. A., et al., 2001), par rapport à
l’activation de l’usage, les odeurs, les tion psychothérapeutique individuelle. la thérapie habituelle dans la réduction de
images, les pensées et les comporte- Cependant, depuis, si la clinique n’a pas la consommation de cannabis chez des
ments, vient le moment ou l’adolescent changé, notre manière d’aménager le adolescents présentant un usage abusif
doit-peut activement, volontairement, se dispositif psychothérapeutique a quant et-ou une dépendance à cette substance.
réaménager une marge de choix. L’oppor- lui été complètement remanié. L’objectif secondaire de ce projet était
tunité d’utiliser un frein dans les moments Que s’est-il passé ? Le centre Emergence d’évaluer l’impact de ces deux types de
de compulsion à la consommation est a participé à une recherche internatio- thérapie sur les facteurs de risque ou de
un pas important, même s’il est suivi de nale : International Cannabis Need of Treat- pérennisation de la conduite addictive,
rechutes. Baliser ce chemin ensemble, ment (INCANT). Brièvement, à l’origine, comme les troubles psychiatriques, le
explorer les fantasmes accompagnant cette recherche ne fut pas le fruit d’une fonctionnement familial, le comportement
l’arrêt, rassurer tout en aménageant une initiative française, mais européenne. social, les performances scolaires et la
suite d’alternatives, développe autant de En avril 2003, les représentants des régulation émotionnelle (Phan O., et al.,
petites solutions à des difficultés souvent ministères de la Santé (français, belge, 2010).
dramatisées pour qui ne les a pas encore allemand, hollandais et suisse) déci- Cette recherche, dont les résultats sont
traversées. Souvenons-nous néanmoins dent d’un projet de recherche pouvant sur le point d’être publiés, montre l’intérêt
que l’arrêt de la consommation, ou sa répondre aux besoins de prise en charge d’intégrer dans la thérapie de l’adolescent
réduction, n’est qu’une étape. Retrouver des adolescents consommateurs de consommateur l’aide de ses parents, de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - IRTS de Champagne Ardenne - - 93.20.178.169 - 08/11/2012 10h37. © Martin Média

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du plaisir ailleurs et différemment, réor- cannabis. L’idée d’évaluer l’efficacité la famille, de la sphère extrafamiliale, de
ganiser son existence et ses choix de vie, d’une méthode nord-américaine, en l’école, du social et du juridique, tout un
représente le réel challenge en jeu qui, la comparant à deux autres modalités programme ! Alors quoi, vous pensiez
seul, permettra à l’adolescent de faire face psychothérapeutiques, fut donc mise en avoir terminé ? Travailler avec l’adolescent
aux tentations et aux rechutes éventuelles. chantier. est une perpétuelle transformation… ■

la vie devant eux


Collection dirigée par Jean-Philippe Raynaud

Déjà parus :
Nicolas Geissmann
Nicole Catheline, Daniel Marcelli
Ces adolescents
Penser l’adolescence
qui évitent de penser avec Melanie Klein
A
Pour une théorie du soin avec médiation lors que Melanie Klein s’est beaucoup
256 pages, 23 €
intéressée aux premiers âges de la vie,
Joëlle Nouhet-Roseman sa pensée et ses concepts éclairent
Les mangas pour jeunes de manière pertinente les difficultés d’être
filles, figures du sexuel ou de paraître qui traversent constamment
à l’adolescence les jeunes. Ce n’est pas tout à fait étonnant
296 pages, 23 € car, comme elle le soulignait elle-même,
l’enfant comme l’adolescent a pour immense tâche l’exploration d’un territoire
vierge hanté de peuples inconnus. Ainsi l’analyse des adolescents offre de
grandes analogies avec l’analyse des petits enfants, la sensorialité et les affects,
en particulier l’angoisse, y étant particulièrement marqués. En s’appuyant
sur le corpus théorique de Melanie Klein (clivage, bon objet/mauvais objet,
position dépressive, schizoparanoïde, introjection, incorporation, perte...),
Nicolas Geissmann explore les pistes thérapeutiques qui en découlent
avec humour, ouverture d’esprit et pragmatisme.
176 pages, 20 €

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ou à défaut : Editions érès - 33 avenue Marcel Dassault F-31500 Toulouse - Tél. 05 61 75 15 76 - Fax 05 61 73 52 89 - e.mail : eres@editions-eres.com

Le Journal des psychologues n ° 2 9 3 – d é c e m b r e 2 0 1 1 – j a n v i e r 2 0 1 2 49

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