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La profanation du sacré comme art de vivre selon Agamben 11/25/10 3:34 PM

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La profanation du sacré comme art de vivre selon Agamben


Libération 14-04-05 / Giorgio Agamben. Profanations Traduit de l’italien par Martin Rueff,
Rivages, 120 pp., 15 €.
samedi, 16 avril 2005 Marongiu, Jean-Baptiste

Au sacré, à son terrible pouvoir déshumanisant, Giorgio Agamben a consacré une trilogie, Homo sacer justement,
mais c’est toute sa philosophie qui semble tendre à s’en déprendre, à le profaner. Sacer, sacré, dit en latin ce qui
est séparé, réservé, soustrait à l’usage commun ; par opposition, profane est ce qui est sorti de cette réserve (à
la lettre hors du fanum, le temple), banalisé en somme pour être restitué à la communauté humaine. Ce n’est pas
qu’une opération mentale, le geste est nécessaire, car, par exemple, la viande des sacrifices n’était pas
consommable si, en la touchant, on ne l’avait pas « profanée » au préalable. Profaner signifie donc toucher au
sacré pour s’en libérer. De ces libérations aussi souhaitables que nécessaires en ces temps de sacralisation de
tout, et des manières de s’y prendre, Giorgio Agamben dresse non pas un catalogue, mais donne quelques
exemples dans Profanations. Il s’agit en fait d’un recueil de textes parfois très courts qui ont soit accompagné soit
précédé la rédaction des dernières oeuvres. De celles-ci, on retrouve évidemment les thèmes essentiels, mais en
leur état naissant ou dans la discussion de l’après-coup. Le travail philosophique peut alors être saisi dans son
intimité, puisqu’il laisse apercevoir les sutures du nouage et du dénouage des concepts : aussi Agamben expose-
t-il sa méthode, procédant toujours par une approche en même temps esthétique et politique de la vie et de la
pensée, réunifiées par un style où l’éthique et l’écriture se nourrissent l’une l’autre.

Quoi de plus sacré que le moi depuis Descartes ? Or Agamben entame justement ses Profanations par ce sujet
individuel qui se veut souverain, alors qu’il passe le plus clair de son temps à composer en lui-même avec plus
fort que lui : l’impersonnel, l’obscur, le pré-individuel. Les Romains appelaient cela Genius, dont l’étymologie
renvoie à engendrer, puisque c’est à la naissance que débute sa convivance avec chacun d’entre nous : « Mais ce
dieu si intime et si impersonnel est aussi ce qui en nous est impersonnel, la personnalisation de ce qui, en nous,
nous dépasse et nous excède. » Genius est notre vie même en tant qu’elle ne nous appartient pas, cette
puissance qui la rend proprement géniale. Désacraliser le moi personnel en ce qu’il nous rabat sans cesse sur
l’identique de notre identité, pour l’ouvrir à tout ce qui en nous la dépasse : voilà le véritable art de vivre dont
Agamben esquisse les contours. Cependant, il y a une aporie, une distance irréductible qu’il faut appréhender
dans ce rapport entre le propre et l’impropre, le personnel et l’impersonnel, l’individu et son Genius. Le dernier
Foucault l’avait bien vu, qui pouvait en même temps enjoindre au souci de soi et exiger de s’en déprendre.

Foucault est présent en arrière-fond dans toute la recherche sur le biopolitique qu’il a initiée et qu’Agamben
explore à nouveaux frais. Mais il est aussi question d’Elsa Morante (dont le philosophe italien né à Rome en 1942
a été très proche en sa première jeunesse) et de sa conception de la littérature comme parodie de la vie. Force de
désacralisation, et finalement de profanation, la parodie est à l’oeuvre là où on l’attend le moins, par exemple
dans la poésie des troubadours eux-mêmes chez qui la distance par la mise à l’écart opportune de la présence
paralysante de l’aimée concourt à la libération de l’amour. Benjamin pointe également dans toutes les pages,
comme en l’oeuvre entière d’Agamben, à commencer par ce qu’il dit de l’enfance en tant que lieu premier de la
plus sérieuse profanation du sérieux de la vie, aboutissant à la découverte terrible dont on ne reviendra jamais
plus que les adultes sont incapables de magie et ne savent pas faire les miracles. Ce qui, loin de la fermer, ouvre
la voie à un messianisme mineur, à l’annonce que la désacralisation du monde met le miracle à la portée de tous,

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La profanation du sacré comme art de vivre selon Agamben 11/25/10 3:34 PM

comme l’avaient pressenti Benjamin et Taubes en lisant saint Paul, de même que Deleuze, Debord et évidemment
Marx...

Qu’il s’agisse de Stanze ou d’Enfance et histoire, certains thèmes anciens d’Agamben refont ici surface, non pas
en vue de leur épuisement mais pour les ouvrir à des prolongements inédits, exposés comme ils sont à
l’incandescence de l’époque. Reprenons les jeux : la plus grande partie d’entre eux (la ronde, le ballon, la toupie,
l’échiquier, etc.) dérive d’anciennes cérémonies sacrées. Aussi le jeu détourne-t-il l’humanité de la sphère du
sacré, mais, loin de procéder à de nouvelles profanations, il semble aujourd’hui plutôt voué, dans ses liturgies de
masse, à réinstituer chez les participants une intention religieuse qui s’ignore. La profanation implique, Agamben
ne cesse de le rappeler, une neutralisation de ce qu’elle touche pour en multiplier les usages, alors que la
sécularisation contemporaine parvient à conjuguer consommation et consécration dans le fétiche de la
marchandise. Fermée ainsi à tout usage qui ne lui soit déjà incorporé, celle-ci devient proprement
« improfanable ». C’est pourquoi « la profanation de l’improfanable est la tache politique de la génération qui
vient ».

En charge du futur jusqu’à il y a peu, les hommes politiques tenaient lieu de prophètes. C’est fini. Cette posture
messianique n’est pas pour autant obsolète pour le philosophe comme pour tout un chacun, mais elle doit
s’appliquer au présent et même aux interstices de ce présent, au quotidien donc de la vie, en ce qui reste qui
résiste de l’homme pris dans les mailles des nouvelles figures de la domination. On a dit que ce constat sur l’état
de notre monde devenait de plus en plus désespéré. A coup sûr pessimiste mais non pas désespérant : n’est-ce
pas dans le désespoir, rappelle Giorgio Agamben, que l’espoir a une chance de survenir ?

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