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IL MANQUAIT DE TOUT,
Y COMPRIS DE VÉRITÉ
Interview du Pr Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’Hôpital Eu-
ropéen Georges Pompidou à Paris et l’une des personnes les plus médiatiques
durant la crise sanitaire Covid-19 en France.*
MARTYNA
TOMCZYK
M.T. : D’après vous, y a-t-il eu des points M.T. : En fonction de quels critères l’admission en réa-
forts dans la gestion de cette crise ? Si nimation était-elle décidée ?
oui, lesquels ?
P.J. : Nous avons essayé de faire en sorte que les cri-
P.J. : Il y avait un point principal : l’agilité tères soient les plus logiques possibles. Je ne sais pas
dans le fonctionnement à l’échelon décen- ce qui s’est fait ailleurs mais les critères que nous avons
tralisé. En revanche, rien ne fonctionnait au publiés ici étaient basés sur la qualité de vie. Mais je
plan central. comprends bien la difficulté et la subtilité du débat.
P.J. : Pour simplifier et illustrer en une d’autres pays. Était-ce réellement nécessaire ?
phrase, je dirais que quand l’État comman-
dait des masques, les masques n’arrivaient P.J. : Il était indispensable, compte tenu de l’absence de
pas... Et quand les communes comman- tout... C’est une méthode par défaut. Quand on a des lits
daient des masques, les masques arrivaient. de réanimation à l’infini, on n’a pas besoin de confiner,
Un autre exemple, les hôpitaux : ils sa- parce qu’on a toujours la possibilité de soigner tout le
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34 la pandémie
monde. Mais quand tout manque, on est obligé de confi- tégorie », enfin « il est indispensable et d’ailleurs si vous
ner, pour réduire absolument la vague de l’épidémie. ne le mettez pas, vous risquez une amende » montre...
Les gens ne sont pas bêtes, ils ont vite compris... Voilà !
M.T. : Le déconfinement était aussi assez lent par rap- La vérité, il faut la dire, pour rester crédible.
port à d’autres pays.
M.T. : Pendant le confinement, on entendait régu-
P.J. : Ça résulte de l’absence de tout, également... Pas lièrement que les citoyens devraient continuer à se
de tests, pas de masques et peu de lits de réanimation... soigner, notamment les patients chroniques. Or, en
réalité, les rendez-vous étaient souvent annulés... et
M.T. : C’était une faute du gouvernement ? l’accès aux soins (y compris dentaires) était extrême-
ment limité, pour ne pas dire nul. Une contradiction
P.J. : Non, c’est plus complexe que cela. Ce n’est pas entre annonces et réalité du terrain...
ce gouvernement-là qui nous a mis 5000 lits de réani-
mation. Cette situation résulte de décisions prises au fil P.J. : Bien sûr ! C’est un vrai sujet. On parle souvent
des années. Actuellement, la France a moins de moyens d’une éventuelle deuxième vague, mais à vrai dire, on
qu’auparavant et elle est plus pauvre, donc elle fait des l’a déjà eue... C’était des patients qui n’avaient pas de
choix. Covid mais qui n’ont pas suivi leur traitement correcte-
ment durant le confinement ; ils arrivaient aux urgences
M.T. : Après une déclaration du Président de la Répu- dans un état extrêmement dégradé. Mais une telle situa-
blique, vous avez constaté sur des réseaux sociaux : tion, ce n’est pas qu’en France. Il y a un travail qui a été
« Au fond, ce qui nous a manqué le plus, ce ne sont publié à New-York et qui montre 300% d’augmentation
peut-être pas les masques, les surblouses, les médica- des arrêts cardiaques. La désorganisation du système de
ments, les tests, les lits de réanimation… Ce qui nous santé en France, aux États-Unis ou ailleurs conduit iné-
aura manqué le plus, c’est la vérité. » Le gouverne- vitablement certains à la mort. Inévitablement !
ment aurait-il menti ?
M.T. : Les chiffres concernant la mortalité en France
P.J. : Je voulais dire par là qu’en démocratie, quand les sont-ils fiables ?
choses se disent, il faut dire la vérité. Si vous ne dites pas
la vérité, parce que c’est dans l’intérêt du pays de ne pas P.J. : Probablement oui, surtout pour la mortalité dans
dire la vérité, le jour où on le découvre, on ne vous fait les hôpitaux. Je pense qu’ils sont aussi assez fiables en
plus confiance du tout, en rien. La vérité, je pense... Dès ce qui concerne la mortalité dans les Ehpad, même si
le début, le gouvernement aurait dû dire : « On n’a pas les premiers morts n’ont peut-être pas été comptés. En
de masques. Il faudrait les mettre mais il n’y en a pas. revanche, je pense que l’on pourrait avoir une mauvaise
On va les réserver aux hôpitaux ». Le gens auraient eu surprise sur la mortalité à domicile.
beaucoup plus confiance. L’idée de dire « le masque est Il ne faut pas non plus oublier la mortalité indirecte, liée
inutile », puis « il est finalement utile pour une telle ca- à l’épidémie. Le fameux arrêt cardiaque dont je viens de
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