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Si l’arrivée d’Alexeï Navalny, hospitalisé dans un


hôpital berlinois dans un état jugé « stable » par ses
Soupçon d’empoisonnement de Navalny:
proches, permettra peut-être de répondre aux questions
les mystères de Moscou les plus urgentes sur sa santé, les interrogations
PAR MATHILDE GOANEC
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 24 AOÛT 2020 autour de la maladie soudaine de l’une des principales
figures d’opposition de Russie restent nombreuses. Et
La thèse du pur assassinat politique serait-elle trop
les précieuses heures perdues à Omsk contribuent à
simpliste au vu du contexte actuel ? L’attaque subie
renforcer la thèse de « l’empoisonnement volontaire »,
par Alexeï Navalny repose la question de la violence
défendue par ses partisans, et jugée crédible par de
du pouvoir économique et politique russe. L’opposant
nombreux observateurs.
à Vladimir Poutine a été tardivement transféré dans un
• Le mode opératoire, la signature des services
hôpital berlinois, où son état est jugé « stable ».
« Il ne s'agit pas d'un contrat d’assassinat que
n'importe quel mortel peut commander au marché
noir quand il le veut, ni d'un passage à tabac par les
services de sécurité – l’outil traditionnel du monde
des affaires, rappelle l’institut russe R.Politik, dirigé
par la chercheuse Tatiana Stanovaya. Qu'il s'agisse
d'une tentative de meurtre ou d'une simple tactique
d'intimidation, les empoisonnements sont [en Russie
Alexeï Navalny, ici en juillet 2018. © Mladen ANTONOV / AFP
– ndlr] presque toujours liés d'une manière ou d'une
Samedi 22 août, les autorités russes ont enfin accepté autre aux services de sécurité. »
le transfert vers l’Allemagne d’Alexeï Navalny, Alexeï Navalny, dans le passé, a déjà eu à subir
blogueur moscovite, opposant politique numéro un des attaques relevant de ce registre : en 2017,
de Vladimir Poutine, fondateur de l’ONG Fondation il a été aspergé d’un produit antiseptique dans
anticorruption, dans le coma depuis quatre jours. les yeux à la sortie de son bureau à Moscou.
En 2019, alors qu’il purgeait une énième courte
peine de prison, il a soudainement souffert d’abcès
sur le haut du corps. Officiellement, il avait été
hospitalisé pour « grave réaction allergique »,mais,
déjà, l’opposant et ses proches n’excluaient pas la piste
de l’empoisonnement.
La journaliste Ioulia Latynina du journal Novaya
Alexeï Navalny, ici en juillet 2018. © Mladen ANTONOV / AFP Gazeta fait également la liste édifiante des
Dans l’hôpital d’Omsk, au cœur du pays, où il a empoisonnements suspects, autour du pouvoir
été conduit après s’être senti mal dans l’avion reliant russe, ces dernières années. Des journalistes, des
Tomsk à Moscou, la situation menaçait de virer au hommes d’affaires, d’anciens espions, des opposants
tragique. Hommes en gris dans les couloirs, entraves politiques… Anna Politkovskaïa, à l’époque de
diverses faites à l’épouse d’Alexeï Navalny pour voir l’attentat de Beslan (la journaliste et militante des
ou s’enquérir de l’état de santé de son mari, médecins droits de l’homme finira assassinée dans une rue
sous pression et visiblement atones, alors même que de Moscou en 2006), les anciens agents Litvinenko
le ballet diplomatique s’intensifiait dans la capitale et Skripal (le premier empoisonné au polonium-210,
et autour de Vladimir Poutine, assailli d’appels de une substance radioactive extrêmement toxique, le
dirigeants européens partisans d’une exfiltration.

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second exposé à une dose mortelle de l’agent chimique se confondant aisément dans la Russie de Vladimir
Novichok), ou encore Vladimir Kara-Murza, opposant Poutine qui entretient avec l’oligarchie russe des
politique exilé, à deux reprises. rapports tout à la fois de soumission et de domination.
La pratique ne se borne pas aux frontières de l’État Alexeï Navalny, l’une des plus redoutables mouches
russe. Le visage ravagé de l’ancien président ukrainien du coche du pouvoir russe, était cependant jusqu’ici
Viktor Iouchtchenko, empoisonné à la dioxine, est un tenu à l’écart de l’accession au pouvoir par les
marqueur de la violence politique qui continue à sévir nombreux instruments à la main du président russe (la
à l’est de l’Europe. Dans l’enquête judiciaire autour du Constitution, la justice, les services de police, pour ne
cas Iouchtchenko, la piste des services ukrainiens et citer qu'eux). Il a même dû, en juillet de cette année,
russes avait été examinée. fermer sa fondation, sous la menace de sanctions
La grande porosité, voire la gémellité, entre le judiciaires et administratives.
pouvoir russe et les services secrets, symbolisée par Mais son empoisonnement, s’il est confirmé, n’aurait
l’arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine, que pour effet de le transformer illico en martyr, ce
ancien du KGB, contribue à créer le trouble au qu’il a maintes fois l’occasion de répéter, y compris de
sujet d’un Kremlin en commanditaire. La chercheuse manière prophétiquelors de son dernier déplacement
Cécile Vaissié, dans un entretien à France Info, en Sibérie.
parle de « culture politique », alors que le Michel Oleg Kachin, journaliste et écrivain russe, imaginait
Eltchaninoff, autre spécialiste de la Russie, rappelle d’ailleurs vendredi dans cet article, après l’attaque
sur France Inter que « l’empoisonnement politique subie par Alexeï Navalny, un Vladimir Poutine
est une pratique ancienne en Russie, notamment au furieux, interrogeant son entourage : « Est-ce toi,
XXe siècle », utilisé pour faire taire, intimider, tuer. toi ou toi ? » Le journaliste, sur le ton de l’ironie,
« La personne qui a ordonné l'empoisonnement de rassure la phrase d’après : la fureur du chef du Kremlin
Navalny a accès aux moyens et aux compétences des n’empêchera pas l’impunité. « Depuis longtemps nous
services spéciaux. Et c'est la partie la plus terrifiante savons sur tout crime dans lequel il est possible
et la plus choquante de cette histoire, estime enfin de suspecter l'État que sa première réaction est de
l’institut R.Politik. Elle nous permet de supposer que dissimuler les traces. »
les capacités des services spéciaux, leurs instruments Sergei Sokolov, son confrère de Novaya Gazeta, en est
de violence et de coercition, sont externalisées par pareillement convaincu. « Il est déjà possible d'écrire
ceux qui ne possèdent aucun statut de légitimité, mais l'histoire de l'empoisonnement de la Russie moderne
agissent de manière informelle en tant qu'agent de – de la taille du Talmud, écrit le journaliste. Une
l'État. » douzaine de cas, et tous (sauf trois) sont unis par une
• Des ennemis à foison circonstance indispensable : les crimes ne sont pas
« #NousSavonsQuiestLeCoupable », a écrit résolus. Et ce n'est pas tout : l'empoisonnement ne
l’ambassadeur français aux droits de l’homme, devient presque jamais la base de l'ouverture d'une
François Croquette, vendredi sur sa page Facebook. procédure pénale. »
Outre l’audacieuse prise de position diplomatique, C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut relire la séquence
l’affirmation est un peu légère. Alexeï Navalny de l’hôpital d’Omsk, comme ralentie, les médecins
avait un nombre incalculable d’ennemis. Militant russes concluant finalement à l’absence de poison
anticorruption, devenu célèbre dans son pays pour dans le sang d’Alexeï Navalny, et un « possible
avoir qualifié le parti présidentiel de « parti des trouble métabolique ayant entraîné une forte baisse
voleurs et des escrocs », il déplaît tout autant au de glycémie », avant d’autoriser son transfert en
monde politique qu’au monde économique, les deux Allemagne, une version reprise et augmentée par les
médias officiels ou proches du pouvoir russe.

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Nadia Tolokonnikova, militante emblématique des La question que pose le journal britannique The
Pussy Riots, a confié à la BBC à quel point le cas Telegraph, repérée par l’universitaire australien
Navalny lui rappelait celui de son ex-compagnon, William Partlett est donc doublement intéressante :
Piotr Verzilov, victime en 2018 d’une attaque du « Qu’est-ce qui est le plus effrayant : un État
même type nécessitant une hospitalisation à Berlin : capable de tuer, ou un État qui ne peut contrôler les
« Ce que les médecins allemands m'ont dit après avoir assassins ? »
constaté que le poison ne se trouvait pas dans le • La question diplomatique
sang de mon ex-mari, c'est que le poison disparaît En fonction des conclusions des médecins allemands,
en trois jours. Les médecins russes ne l'ont donc quelle sera la réaction des pays partenaires de la
laissé partir que lorsqu'ils étaient sûrs qu'il n'y avait Russie ? Le pays est déjà sous le coup de sanctions
plus de traces de poison. » Dans le cas de Verzilov, économiques de la part de l’Union européenne, à la
l’empoisonnement avait été finalement confirmé par suite de l’annexion de la Crimée en 2014, après la
les autorités allemandes, sans que l’on sache quelle guerre en Ukraine. Ces sanctions ont été prolongées
substance avait été utilisée. récemment jusqu’en janvier 2021.
• Le coût politique pour Vladimir Poutine
La France, comme l’Allemagne, a proposé
Pour le pouvoir russe, l’empoisonnement, réel rapidement son aide aux partisans d’Alexeï Navalny
ou supposé d’Alexeï Navalny, tombe cependant pour accueillir et soigner l’opposant. Emmanuel
bien mal. À la frontière biélorusse, l’autocrate Macron s’est même dit prêt à offrir « toute assistance
Alexandre Loukachenko est depuis plusieurs semaines nécessaire à Alexeï Navalny, à ses proches, sur le plan
sérieusement malmené par un mouvement civique et sanitaire, sur le plan de l'asile, de la protection »,
social d’envergure, dans un pays que l’on n’imaginait réclamant « la transparence sur cette affaire ».
que courbé et discipliné.
C’est finalement Berlin qui a été choisie, l’Allemagne
La Russie elle-même bouillonne : la popularité du ayant le privilège d’avoir toujours maintenu une
président est en net déclin, et la survie politique relation étroite avec la Russie, liée par de solides
du système Poutine ces dernières décennies doit intérêts financiers, tout en conservant une capacité
beaucoup à d’incessants bidouillages constitutionnels, critique qui en fait un refuge pour les dissidents
dont le dernier en date est expliqué ici. Récemment, en exil. La chancelière allemande s’est même dite
la mise en prison du gouverneur de Khabarovsk en « bouleversée » par l’état de santé d’Alexeï Navalny.
d’Extrême-Orient, élu contre le candidat du parti
Donald Trump est resté lui très silencieux, alors que
présidentiel, a provoqué une grande manifestation
les relations entre les deux pays, Russie et États-
alors qu’ici et là, des mobilisations écologiques
Unis, oscillent depuis des mois entre coups de sang
brouillent l’image d’une société à genoux. Le
et rapprochements. En août 2018, Washington avait
Covid-19, enfin, a ouvert les yeux d’un certain nombre
infligé à Moscou une première série de mesures
de Russes sur la faiblesse structurelle de leur État,
de rétorsion économique après l’empoisonnement au
notamment sur le plan sanitaire et social, malgré les
Novichok de l’ex-agent double Sergeï Skripal et de sa
rodomontades du personnel politique.
fille en Angleterre, sanctions renouvelées un an plus
tard.

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