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de nouvelles mesures restrictives contre la Turquie


pourrait par ailleurs être discutée au cours du prochain
Entre la Turquie et la Grèce, les jeux de la
sommet de l’UE, le 24 septembre.
force et de l’intimidation
PAR NICOLAS CHEVIRON ET ELISA PERRIGUEUR L’armée grecque, mise en état d’alerte maximale, a
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 3 SEPTEMBRE 2020
« déployé (ses) forces », a annoncé le premier ministre
Les manœuvres militaires des deux pays se multiplient grec Kyriakos Mitsotakis, deux jours après la venue
en Méditerranée orientale depuis l’envoi d’un navire du navire Oruc Reis. « Le risque d’accident est élevé
de recherche sismique turc dans les eaux grecques. lorsque tant de ressources militaires sont rassemblées
Athènes est en état d’alerte face aux mouvements dans une zone si confinée », a-t-il alerté.
d’Erdogan, qui suivent sa doctrine de la Patrie bleue,
imposant la force militaire sur la diplomatie classique.
La crise que traversent les voisins ennemis est la plus
longue de ces quatre dernières décennies.

Un bateau de l'armée grecque de retour de l'île de Kastellorizo, le 28 août 2020. © AFP


Le 31 août, une nouvelle étape a été franchie dans
la querelle opposant les frères ennemis, la Turquie
accusant la Grèce de vouloir « armer » Kastellorizo.
Un bateau de l'armée grecque de retour de l'île de Kastellorizo, le 28 août 2020. © AFP Se référant à des photos de l’AFP montrant la venue
La Turquie qui accuse fin août Athènes de « piraterie » de soldats grecs sur la petite île située à environ trois
en tentant d’« armer » une île démilitarisée. La Grèce kilomètres des côtes turques, Ankara a dénoncé un
qui dénonce l’« agression » d’Ankara qui « viole ses acte contraire au traité de Paris de 1947 qui prévoit
droits souverains ». Le ton monte chaque jour entre les la démilitarisation des 12 îles du Dodécanèse – dont
deux pays. Au cœur de l’actuelle discorde : la présence Kastellorizo. Les autorités grecques ont fait savoir
du navire turc de recherche sismique Oruc Reis depuis qu’il s’agissait d’une simple rotation de militaires, sur
le 10 août dans la zone économique exclusive (ZEE) les quelque 300 que compte déjà l’île.
grecque, au large de la Crète. Car « il n’y a pas de bases militaires sur les îles [le
Ces trois dernières semaines, la Grèce et la Turquie ont long de la frontière – ndlr] mais que des installations
multiplié les démonstrations de force en Méditerranée destinées à se défendre d’une éventuelle attaque
orientale. Athènes a ainsi effectué le 26 août des turque, précise Georges Kaklikis, ancien diplomate et
manœuvres militaires aux côtés de la France, Chypre consultant à la Fondation hellénique pour l’Europe
et l’Italie. Deux jours plus tard, la marine turque et la politique étrangère (Eliamep), à Athènes. La
faisait savoir qu’elle conduirait des « exercices de tir » Turquie n’est pas partie contractante au traité de
jusqu’au 11 septembre. Ankara a également annoncé Paris qu’elle invoque. Par ailleurs, la Grèce ne peut
renoncer à son droit naturel et légal de se défendre à
le 1er septembre l’extension des recherches gazières de
un moment où la Turquie viole de manière flagrante la
l’Oruc Reis jusqu’au 12 septembre.
Charte des Nations unies », en pénétrant notamment
La délimitation du plateau continental fait l’objet d’un dans les eaux de la Grèce.
conflit larvé entre la Grèce et la Turquie depuis les
L’occupation de la partie nord de Chypre par la
années 1970. La récente découverte de gisements dans
Turquie depuis 1974 justifie la méfiance d’Athènes
la région a renforcé les revendications territoriales
à l’égard des velléités d’expansion du pays voisin.
du président turc Recep Tayyip Erdogan. Une liste

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Alors que la Grèce réclame le départ de l’armée turque, a aussi pris une dimension internationale, la ruée vers
Ankara est seule à reconnaître la République turque de le gaz méditerranéen engageant également Chypre,
Chypre nord (RTCN). Israël ou l’Égypte et plusieurs compagnies pétrolières
« La politique expansionniste d’Erdogan est une étrangères.
menace systémique pour toute l’Europe », s’inquiète Le rôle de plus en plus évident de l’extrême droite
Angelos Syrigos, député de la Nouvelle Démocratie nationaliste dans la détermination de la politique
(parti de droite au pouvoir) qui fait le parallèle avec étrangère turque semble justifier les inquiétudes
l’Allemagne de 1938. « À l’époque, Berlin voulait d’Athènes. En perte de vitesse depuis 2015, le parti
se retirer du traité de Versailles [de 1919, entre présidentiel de la justice et du développement (AKP)
l’Allemagne et les Alliés – ndlr]. Aujourd’hui, Ankara doit désormais compter sur le Parti de l’action
ne respecte pas celui de Lausanne [de 1923, qui nationaliste (MHP) pour conserver la majorité absolue
précise le tracé des frontières de la Turquie], il existe au Parlement.
des similitudes entre les deux situations. » Après le coup d’État manqué de juillet 2016, Erdogan
Les positions alertes du gouvernement grec sont a également été contraint de ressortir de la disgrâce
largement relayées dans la presse pro pouvoir qui dans laquelle ils étaient tombés des officiers issus
fait régulièrement sa une sur les « attaques », de cette mouvance, pour contrer l’influence des
« provocations » ou encore la « politique néo- putschistes et remplir les vides laissés par les purges.
ottomane » du « Sultan Erdogan ». Le contre-amiral Cem Gürdeniz, considéré comme le
« Les Grecs réagissent de manière intense, car le théoricien du nouvel activisme armé de la Turquie, à
pays est encore très marqué par son histoire liée à la l’œuvre de la Libye à l’Irak, est l’un d’eux. Sa doctrine,
Turquie : des siècles sous ce qu’ils qualifient de “joug la Patrie bleue, affirme que la sécurité de la Turquie
ottoman” (XIVe- XIXe siècle) ou le déplacement des commence par des « lignes avancées » hors de ses
populations de 1923 (l’expulsion de plus d’un million frontières, qui doivent être défendues en faisant primer
de Grecs d’Asie Mineure) », rappelle le journaliste la force militaire sur la diplomatie classique.
et chercheur spécialiste de la Grèce et des Balkans, Pourtant, dans le concert des accusations
Christophe Chiclet. d’expansionnisme ou de restauration ottomane
Ces dernières décennies plusieurs épisodes avaient proférées à l’encontre de la Turquie et confortées par
déjà amené les deux pays membres de l’Otan au les rodomontades bellicistes des dirigeants d’Ankara,
bord du conflit. En 1987, la Grèce avait rappelé ses certains analystes appellent à garder la tête froide.
réservistes après la menace d’envoi d’un navire de « On peut critiquer les méthodes singulièrement
recherche sismique turc au large de l’île grecque de agressives d’Erdogan, mais les dirigeants turcs
Samothrace (nord-est). La Turquie réagissait alors à faisaient déjà ça avant lui : toujours surenchérir, tirer
l’annonce d’une compagnie pétrolière travaillant pour sur la corde jusqu’au dernier moment puis, quand la
le compte de l’État grec voulant effectuer des forages corde est prête à rompre, s’arrêter et se rabibocher
dans une zone contestée de la région. La tension était avec ceux qu’on a agonis d’injures et de critiques »,
toutefois vite retombée, avec une annonce réciproque rappelle ainsi Didier Billion, directeur adjoint de
de renoncer à la prospection. l’Institut de relations internationales et stratégiques
L’actuelle crise est la plus longue qu’aient connue (IRIS), à Paris.
les voisins depuis la crise chypriote en 1974. « Le « Toutes les revendications turques ne sont
rapport de force a évolué. Il y a trente ans, l’armée pas illégitimes »
de terre turque n’était pas une armée mondialisée Si les démonstrations de force de l’armée turque –
comme aujourd’hui, c’était une armée de guerre civile comme le déploiement d’une quinzaine de vaisseaux
», explique le chercheur Christophe Chiclet. L’affaire aux abords de Kastellorizo, en juillet, ou le simulacre

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d’interception de F-16 grecs par des appareils turcs Selon cet analyste expérimenté, Ankara souhaite
fin août – impressionnent, et c’est bien leur but, ces remettre sur les rails les négociations exploratoires
provocations, minutieusement calibrées, ne doivent menées par les deux pays entre 2002 et 2016, qui
rien au hasard. Pas plus que les campagnes de ont été interrompues par le coup d’État raté, la
prospection des navires turcs d’études sismiques et de Turquie reprochant alors à la Grèce d’accueillir des
forage. putschistes en fuite. « L’objectif des négociations n’est
« Je doute que toutes les ressources encore à découvrir pas de résoudre immédiatement le problème, mais de
en Méditerranée orientale soient situées dans des se mettre d’accord sur un cadre normatif qui sera
zones qui ont une importance stratégique sur le plan ensuite soumis à une cour internationale chargée de
géopolitique. Et pourtant, c’est là que la compagnie trancher », précise-t-il.
pétrolière turque TPAO concentre ses recherches », Ülgen souligne le relatif succès de cette politique
commente Nikos Tsafos, analyste pour CSIS Energy, musclée, puisque les pourparlers ont bel et bien
basé à Washington. « Ce n’est pas comme ça qu’on fait été « revitalisés le mois dernier, à l’initiative de
sérieusement de l’exploration. Les bateaux de TPAO l’Allemagne ». Il admet cependant que les positions
sont plutôt là pour prouver quelque chose sur le plan turques, telles que définies dans l’accord avec la
politique. » Libye, sont à dessein « maximalistes ». « Au final on
Sous la protection de la marine turque, TPAO avait devrait parvenir à un tableau dans lequel la Turquie
multiplié en 2019 les campagnes de prospection au concédera une ZEE limitée à des îles comme Rhodes
large de la République de Chypre, qu’Ankara ne et la Crète, tandis que la Grèce devra admettre que
reconnaît pas et à qui elle dénie le droit d’exploiter Kastellorizo n’a droit à aucun plateau continental »,
les gisements de gaz découverts dans son giron – estime le géopolitologue.
Aphrodite, Calypso et Glaucus-1 – sans organisation À Paris, Didier Billion va dans le sens de son
préalable du partage des dividendes avec la RTCN. confrère turc. « On connaît la tendance plutôt contre-
Mais au cours des derniers mois, les Turcs ont productive d’Erdogan à en rajouter. Mais sur le
concentré leurs efforts plus à l’ouest : à Kastellorizo, fond, il faudrait faire preuve d’un peu de raison et
dont la localisation « coupe » le vaste plateau considérer que toutes les revendications turques ne
continental que revendique Ankara ; près de Rhodes, sont pas illégitimes », estime-t-il. « Que je sache, le
aux confins de ce même plateau tel que défini droit international maritime s’applique de manière
en novembre 2019 par un accord de délimitation spécifique aux îles anglo-normandes [qui n’ont pas de
maritime conclu avec la Libye, qui ne reconnaît ZEE – ndlr] parce que la configuration géographique
aucune ZEE aux îles grecques. l’impose. »
L’exercice de pressions sur la Grèce semble en effet Ce constat, le chercheur l’adresse en particulier à la
potentiellement plus porteur de dividendes que les France, qui, entre volonté de solder ses comptes avec
tentatives d’intimidations par Ankara de Chypre, où une Turquie rivale en Libye et en Syrie, et espoir
toute avancée semble conditionnée à une hypothétique de faire progresser à travers le dossier gréco-turc son
réunification de l’île. Face à la Grèce, « la Turquie projet d’une Europe de la défense, s’est résolument
utilise une politique de force à la fois pour démontrer rangée du côté de la Grèce.
qu’elle ne va jamais accepter l’imposition unilatérale Paris a en effet envoyé le 12 août deux chasseurs
d’un partage de la Méditerranée orientale qui se fait Rafale et deux bâtiments de la marine nationale pour
sans elle, et aussi pour forcer Athènes à entamer des un renfort « temporaire » aux côtés des Grecs en
négociations bilatérales avec elle », résume Sinan Méditerranée orientale. La « politique expansionniste
Ülgen, directeur du centre de recherches turc EDAM. qui mêle nationalisme et islamisme [d’Erdogan – ndlr]
(...) n’est pas compatible avec les intérêts européens »,

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a ajouté Emmanuel Macron le 29 août dans les pages Rafale, selon plusieurs médias grecs conservateurs ou
de l’hebdomadaire Paris Match, suscitant les louanges encore l’agence Reuters qui évoque « des pourparlers
des médias grecs pro-gouvernementaux à l’égard de », le 1er septembre. Il n’y a toutefois encore aucune
l’« allié » français. confirmation officielle.
« Je préfère clairement la politique actuelle de [la En montrant les muscles, Erdogan a peut-être une
chancelière allemande Angela] Merkel sur ce dossier. petite chance de faire bouger les lignes en faveur de
C’est une volonté de faire baisser les pressions, de son pays. Mais ses méthodes portent aussi en elles les
tenter d’initier des contacts, un dialogue. Je pense ferments de l’échec. « Le risque, c’est que, des deux
que c’est la bonne méthode », affirme le chercheur côtés, la rhétorique hypernationaliste prenne en otage
Didier Billion. « J’espère qu’elle arrivera à ses fins et les gouvernements et que le conflit devienne ingérable
que Macron pourra dire que c’est aussi grâce à notre », prévient le directeur du centre de recherches turc
politique de fermeté qu’on est arrivés à ce résultat. » EDAM Sinan Ülgen. « Si on veut résoudre le conflit, il
Du côté des autorités grecques, on salue l’attitude de faut se préparer des deux côtés à des concessions. Ce
Paris, qui « a compris que la politique d’Erdogan n’est pas ce que fait la rhétorique de la Patrie bleue. »
était bien une politique stratégique d’expansion et En Grèce, le dialogue semble en effet impossible en
non un simple enjeu économique, comme le pense suivant cette doctrine. « Nous ne pouvons pas négocier
l’Allemagne », résume le député Angelos Syrigos. quoi que ce soit sous la menace, tant que la Turquie
Derrière cette présence française, l’hypothèse de restera dans nos eaux territoriales », conclut le député
l’acquisition d’avions de combat Rafale par la Grèce Angelos Syrigos.
resurgit. Paris souhaiterait vendre entre 10 et 18

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