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Psychosomatique

Quarto.................................................................................................................................................................... 3
Des problèmes psychanalytiques face aux phénomènes psychosomatiques et cancéreux Jean Guir................... 4
Propos sur le livre de Fritz Zorn : Mars Jean Guir ............................................................................................. 12
Les genoux de Rimbaud Jean Guir..................................................................................................................... 17
Des psychotiques en analyse ? Cing questions Éric Laurent ............................................................................. 20
Sur l’éthique ou de l’exclusion du psychanalyste Serge André.......................................................................... 27
"MELANGES CLINIQUES" ............................................................................................................................... 39
Introduction Maurice Krajzman .................................................................................................................... 39
Entre psychiatrie et champ freudien : une clinique Alfredo Zénoni ............................................................... 40
"FIN D’ANALYSE, ENVIE DE PENIS, DEPRESSION GRAVE"(FREUD, 1937) Pierre Malengreau .... 43

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Quarto
SUPPLÉMENT A LA LETTRE MENSUELLE DE appelé à témoigner de ceci : que la moindre
L’ÉCOLE DE LA CAUSE FREUDIENNE PUBLIE rencontre avec le réel fait objection au Tout.
A BRUXELLES Pour la rédaction

Rafraîchir le terme de psychosomatique, tel est le


plus légitime des souhaits qu’un médecin puisse à
cet égard adresser au psychanalyste. Encore faudra-
t-il compter sur ce qu’un tel souhait implique ; que
dans sa réponse, le psychanalyste ne se substitue en
aucun cas au médecin. C’est ainsi que ce
psychanalyste se trouve interpellé par ce qui se
donne à voir sous l’appellation de phénomène
psychosomatique. Il est en effet interrogé par le
discours médical : en l’occasion, ce dernier le
questionne sur la limite de sa pratique et sur les
ressorts de son action. En outre, le dit-phénomène
l’interpelle encore dans son rapport à la Psyché, on
sait les relents de maîtrise qu’elle lui suscite !
Un phénomène psychosomatique fait partie de ceci :
tout du corps ne se donne pas à entendre. Mais
serait-il seulement à voir ? Ce en quoi il rejoindrait
les phénomènes abordés par Lacan dans son
approche du mimétisme. Participant au Signifiant-
maître de la nature – qu’elle se donne à voir –, le
phénomène psychosomatique s’adresse quelquefois
à des représentants du discours religieux, en tant que
ce dernier gère le sens, ou au discours de la science
en tant qu’il en supporte la causalité. Le voilà de ce
fait en passe de devenir symptôme ; car le donné à
voir du phénomène psychosomatique se double ici
d’une demande, une demande de savoir.
Le médecin y est dès lors intéressé. Se particularise
ainsi pour lui un déplacement, car ce n’est plus à un
"que peux-tu" que le confronte le dit phénomène,
mais à un "que veux-tu". Le "rapport épistémo-
somatique ainsi nommé par Lacan, se trouve
articulé, du fait de la demande, à ce que ce rapport
exclut cependant, à savoir que" un corps est quelque
chose qui est fait pour jouir, jouir de soi-même ".
La plus grande vigilance est ici de mise pour le
psychanalyste. Se fera-t-il le représentant d’un
surplus de savoir et de pouvoir, ou au contraire
pourra-t-il maintenir l’écart que creuse cette
demande de savoir entre plaisir et jouissance ? Tel
est un des enjeux de sa confrontation aux difficultés
du discours médical.
Dès lors, ce n’est pas comme complémentaire que le
psychanalyste aura à se positionner, mais il est

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Des problèmes psychanalytiques face aux phénomènes


psychosomatiques et cancéreux
Jean Guir
Dans le séminaire XI, Lacan avance plusieurs métaphore paternelle ne fonctionne pas, ne fait pas
propositions pour expliquer les phénomènes césure entre S1 et S2, pour qu’il y ait émergence de
psychosomatiques. l’objet a, dans la dynamique psychosomatique. Au
passage, dans un de mes articles, je disais que dans
1. La psychosomatique, c’est quelque chose qui
cette dynamique psychosomatique, on remarquait
n’est pas un signifiant, mais qui tout de même, n’est
que, dans un premier temps, un sujet était séparé de
concevable que dans la mesure où l’induction
quelqu’un de sa famille ; dans un deuxième temps,
signifiante au niveau du sujet s’est passée d’une
le signifiant de la séparation revenait. Ce n’est pas
façon qui ne met pas en jeu l’aphanisis du sujet
pour rien. Lacan dit : séparation vient du latin "se
(Vorstellung-Repräsentanz).
parere" : qui veut dire s’engendrer et s’habiller, il y a
2. C’est dans la mesure où un besoin viendra être en plus la notion juridique : acte d’engendrement. Il
intéressé dans la fonction du désir… C’est en tant semble donc que l’objet a n’apparaisse pas. Le sujet
que le chaînon désir est ici conservé même si nous est représenté par un signifiant mais pas pour un
ne pouvons plus tenir compte de la fonction autre signifiant. Si nous prenons l’exemple de
aphanisis du sujet. Lacan : c’est dans les deux phonèmes Fort-Da que
3. J’irai jusqu’à formuler que lorsqu’il n’y a pas s’incarnent les mécanismes propres de l’aliénation.
d’intervalle entre S1 et S2, lorsque le premier couple Pas de "Fort" sans "Da" et si l’on peut dire, sans
de signifiants se solidifie, s’holophrase nous avons Dasein (Séminaire XI). Le sujet s’exerce à ce jeu
le modèle de la psychosomatique entre autres. fondamental de l’aliénation avec la bobine. (Mais il
n’y a pas de Dasein avec le Fort seulement). Pour
4. Dans les phénomènes psychosomatiques, il n’y a bien faire comprendre qu’il n’y a pas émergence de
pas de relation à l’objet. Il faudra voir ce que ça veut l’objet a, prenons un exemple dans le livre de
dire. Nous sommes en présence du narcissisme ZORN, jeune zurichois mort d’un cancer. Dans une
primaire, de la libido égoïste de Freud. Les parole de la mère, nous avons une métaphore de
phénomènes psychosomatiques échappent aux l’aliénation : "une des paroles favorites de la mère
constructions névrotiques, concernent le réel… Nous est" ou bien, ou bien ". Exemple : Je partirai
rappellerons que le propre du signifiant est de ne pas vendredi prochain à 10h30 pour Zürich ou bien je
pouvoir se signifier à lui-même. Et nous partirons de resterai à la maison. Comme le dit ZORN lui-même,
cette formule minimale, donnée par Lacan dans quand on dit trop de" ou bien ", les mots perdent tout
Encore : un signifiant représente un sujet pour un leur poids et tout leur sens. La langue se décompose
autre signifiant. Le signifiant en lui-même n’est rien dans une masse amorphe de particules privées de
d’autre de définissable qu’une différence avec un signification, plus rien n’est solide et tout devient
autre signifiant. Le sujet n’est jamais que ponctuel et irréel. Dans les paroles de la mère, il n’y a pas de
évanouissement, (fading, aphanisis) car il n’est sujet battement possible pour qu’un signifiant arrive et
que par un signifiant et pour un autre signifiant. Il se représente le sujet pour un autre signifiant. Il y a un
peut que, dans les phénomènes psychosomatiques, le mécanisme d’exclusion de la bobine. Si le désir de
sujet soit représenté par un signifiant, mais peut-être l’homme, c’est le désir de l’Autre, ici le désir de
pas pour un autre signifiant. Donc, dans les ZORN ne peut pas de constituer. Il ne s’agit même
phénomènes psychosomatiques : pas de plonger dans le désir inconnu de la mère, de
1 Il n’y a pas d’aphanisis du sujet (fading) On peut repérer ce qu’il y a d’inconnu dans ce désir ; il
dire qu’un signifiant S1 n’a pas représenté le sujet semble que la mère brouille les cartes. En fait, elle
pour un autre signifiant. Le vel de l’aliénation n’a n’exprime aucun désir ; il n’y a pas de désir du tout.
pas marché. A mon avis, ce signifiant S1 n’est ni Il n’y a pas apparition du manque signifié par le
forclos (pas de psychose), ni refoulé. Pour Lacan, premier couple de signifiants S1-S2 dans l’intervalle
l’aliénation (voir Séminaire XI) est liée qui les lie.
inextricablement au processus de séparation qui fait Là où gît la difficulté, c’est que Lacan précise que le
émerger l’objet a, cause du désir. Il semble que la chaînon désir est quand même présent : un besoin

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viendra à être intéressé dans la fonction du désir. et d’autres linguistes ont déterminé ce qui serait un
C’est ce qu’exprime ZORN en effet, dans le même stade holophrasique chez l’enfant, dans la période
passage : suite à "Je partirai vendredi prochain à labile, qui correspondrait grosso modo au stade du
10h30 pour Zürich ou bien je resterai à la maison", miroir. Lacan prend aussi l’exemple d’une tribu
nous trouvons cette phrase de la mère : "Ce soir, il y primitive où deux personnes qui se rencontrent
a des spaghettis pour dîner ou il y e de la salade de disent : mani Mani patapa. Situation de deux
cervelas". Nous voyons bien là qu’un besoin, ici personnes, chacune regardant l’autre, espérant
alimentaire, vient à être intéressé dans la fonction du chacune de l’autre qu’elle va s’offrir à faire quelque
désir. Remarquons aussi que la perversion chose que les deux parties désirent mais ne sont pas
maternelle semble situer comme équivalents deux disposées à faire.
signifiants : spaghettis ou salade de cervelas. Il n’y e État d’inter-regard où chacun attend de l’autre qu’il
aucune connotation sexualisée, ni d’interdit, à se décide pour quelque chose qu’il faut faire à deux,
propos de ces aliments (Fort-Da et vel). Lacan qui est entre les deux, mais où chacun ne veut pas
précise que le sujet normalement trouve la voie de entrer.
retour du vel de l’aliénation par le processus de
séparation. Par la séparation, le sujet forme si l’on Il s’agit de quelque chose où ce qui est du registre de
peut dire, le point faible du couple primitif de la composition symbolique est défini à la limite, à la
l’articulation signifiante en tant qu’elle est d’essence périphérie. L’holophrase se rattache à la situation
aliénante. Le manque qui gît entre S1 et S2, constitué limite, là où le sujet est suspendu dans un rapport
par le désir inconnu de la mère (ici pour ZORN, la spéculaire à l’autre. Pour Lacan, l’image spéculaire
mère ne manifeste aucun désir) va rejoindre et est le canal que prend la transfusion de la libido du
recouvrir le manque constitué par l’aphanisis. corps vers l’objet. Cette transfusion serait
interrompue, suspendue dans quelque chose qui
Ce que nous pouvons dire dans les phénomènes serait du miroir.
psychosomatiques, c’est que l’absence d’aphanisis
va engendrer une interruption dans le processus de J’ai cherché dans la littérature des références à
séparation. Il y a une amorce de ce qui expliquerait l’holophrase et à l’interjection.
cette énigme de l’holophrasition de S1-S2. Il y a une – Dans "Leçons de Linguistique" de Gustave
ouverture vers le champ de l’Autre, mais il y a GUILLAUME (séminaire 1956-1957), l’holophrase
quelque chose de gélifié, de gelé. ou mot-phrase est considéré par lui comme l’aire
2*Prenons à la lettre cette "holophrasition" de S1-S2 initiale (un beau fantasme) du langage constitué en
qui a des conséquences cliniques. Qu’est-ce qu’une général de trois syllabes ou de deux syllabes,
holophrase ? D’après le dictionnaire Robert, c’est dissyllabiques, élargies (c’est bien le cas de
"une phrase entière qui s’exprime par un seul mot ou Westminster, Winchester). Au passage, je dirai que
mot-phrase", on pourrait avancer à la limite que beaucoup de médicaments sont des trisyllabes, des
l’holophrasition de S1-S2 donne un signifiant (mais holophrases. Je rappelle que la syllabe est définie
c’est différent de la condensation) qui d’un point de vue articulatoire comme un phonème
paradoxalement peut rentrer dans une nouvelle ou groupe de phonèmes prononcés d’une seule
chaîne articulée (exemple, Westminster – où est ce émission de voix. GUILLAUME dit : c’est un
mystère – Winchester). Ce signifiant peut être prototype du langage d’aujourd’hui difficilement
opérant mais revenons à ce qu’est l’holophrasition. concevable où est satisfaite l’équation quantitative,
acte de représentation (Vorstellung) = acte
Dans Le désir et son interprétation 1 , Lacan souligne d’expression.
que l’holophrase a un nom : c’est l’interjection.
L’interjection, c’est quoi ? – Là où c’est plus intéressant, c’est que dans
JAKOBSON, dans "Langage enfantin et Aphasie",
C’est un mot invariable pouvant être employé l’interjection est prise dans le babil enfantin avec
isolément pour traduire une attitude affective du cette remarque intéressante que l’enfant utilise les
sujet parlant. Intejecter veut dire introduire, faire sons restés inemployés dans une langue donnée (ceci
intervenir. Il y a la notion de l’appel, du cri primitif à creuser). C’est la période pré-linguistique
(du pain ! au secours I). C’est aussi une exclamation (holophrastique) de l’enfant (exclamations et
(crier). Cris, paroles brusques exprimant de manière onomatopées), qui se passe grosso modo pendant la
spontanée une émotion, un sentiment. JAKOBSON période du miroir. On constate que l’enfant perd
1 pratiquement ses facultés d’émettre tous les sons
Très important pour comprendre le phénomène psychosomatique, avec les
séminaires II, XIetD
lorsqu’il passe du stade pré-linguistique à

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l’acquisition de ses premiers mots. Ce qui est Dans Le désir et son interprétation, Lacan parle de
frappant, c’est que les sons communs à son babil et à l’équivalence holophrase = interjection, à propos du
la langue adulte disparaissent également. Les sons rêve à haute voix de Anna Freud. Anna Freud, Er
ne sont souvent reconquis par l’enfant qu’après de (d’) beer (fraises), Hochbeer (variété de fraises), Eier
longs efforts. Dans la mesure où l’enfant a sans arrêt (s) peis (mets aux œufs, flanc), Papp (bouillie, façon
répété des sons durant la période de babil, leur de dire "papa") et interjection dans le domaine
image motrice a dû s’imposer à lui, ainsi que leur alimentaire si on décompose Eier (s) peis Pass, on a :
image acoustique. 3e ne serais pas étonné que dans Ei ! er speis (t) Papp. C’est-à-dire : Ah ! (Oh !), il
les phénomènes psychosomatiques, ces sons mange avec délices papa. Ou bien : il mange, papa.
interviennent comme un rappel de cette période Holophrase. Bouffer le père : identification orale
(avant le stade où l’enfant construit la mémorisation primordiale. Soulignons la présence du nom propre
du système des oppositions phonématiques). (Réf. : lié à ces signifiants alimentaires reliés eux-mêmes
les sons "K" et "R" chez ZORN, qui reviennent de aussi à la racine pap (papa). Lacan dit que le
façon insistante par rapport au phantasme de la signifiant est ici à l’état floculé (série de
maladie). nominations), ce qui n’est pas sans faire écho à
quelque chose d’une prise en masse, de gélifié).
Voyons aussi ce que dit Jean-Claude MILNER dans
son livre : "De la syntaxe à l’interprétation". Que dit Lacan de ce rêve ? ce rêve montre le désir
L’interjection fait partie des noms de qualité. Ils dans sa nudité. La chaîne de nominations renvoie à
supposent toujours une intervention du sujet parlant la chaîne inférieure du graphe (solidarité
dans une situation de dialogue. Ils n’ont pas la forme synchronique du signifiant) qui a à voir avec le sujet
extérieure d’une phrase. Ils se suffisent à eux-mêmes de l’énonciation ; plus tard, lorsque le refoulement
et valent pour une phrase complète. Ils ont une agira, le sujet s’efface et disparaît au niveau de
interprétation affective. Ils expriment un affect du l’énonciation. Ce que nous voyons dans les analyses
sujet parlant. Ils sont liés à l’énonciation directe. Ils de malades psychosomatiques est l’introduction
supposent la présence en acte d’un sujet parlant, surtout dans les rêves et dans l’explication naturelle
d’une voix dans le dialogue. Quelqu’un, lors d’un de leur maladie, c’est l’apparition d’holophrases
exposé à l’École, m’a donné une référence très particulières dont la découpe par l’analyste aura
importante par rapport à la parole gelée. Il s’agit de valeur d’interjection. Ex. : Westminster : Où est ce
RABELAIS dans Le Quart Livre LV et LUI : mystère ? Winchester : Oui, la sœur à taire ! Il y a
"Comment en haute mer Pantagruel ouyit diverses bien un dévoilement d’une scorie infantile de l’ordre
paroles dégelées, comment entre les paroles gelées (- du babil qui se situe au niveau du je de
gélification du signifiant) Pantagruel trouva des l’énonciation : présence en acte d’un sujet parlant
mots de gueule". Il s’agit de paroles gelées par le d’une voix dans le dialogue avec une note d’affect.
froid et qui en dégelant, expriment en particulier des Ceci a valeur d’interprétation, semble-t-il.
choses d’armes, des bruits d’armures, un tumulte. Pourquoi ? Parce que, dans le découpage de cette
RABELAIS les compare au fait que, lorsque Moise holophrase vont apparaître des signifiants
reçut la loi, le peuple voyait les voix sensiblés irréductibles, non sensical, faits de non-sens. La
(matérialisation de l’objet a). Ces paroles gelées sont mobilisation de ceci peut justement introduire un
matérialisées comme des dragées perlées de diverses symptôme (donc opération de refoulement)
couleurs (signifiant oral primaire). RABELAIS phobique par exemple, ou hystérique. Le plus
compare leurs couleurs aux couleurs symboliques étonnant est que celui-ci sera l’équivalent d’un
des blasons. Ceci fait écho pour nous aux problèmes ancien symptôme guéri spontanément dans
de généalogie rencontrés dans les phénomènes l’enfance.
psychosomatiques. 3*De cette holophrasition de S1-S2 vont pouvoir
Pantagruel voit dans ces paroles gelées comme des s’expliquer des particularités dans la cure de sujets
mots de gueule et des mots dorés, des recueils de psychosomatiques.
sentences fameuses et de mots historiques. – On sait que l’opération transférentielle avec ces
Echappées de leurs mains, ils les percevaient patients est particulièrement difficile. Si le processus
(oyons) mais ne les entendaient (entendions) pas. de séparation, d’ouverture au désir de l’Autre est
C’était une langue barbare (un peu comme les noms bancal, on voit bien qu’il y a difficulté pour qu’il y
propres par exemple) qui évoquent l’effroi, ait transfert, puisque dans le transfert, l’analyste
lesquelles ensemble fondues donnent "hin, hin, hin, incarne a. C’est là que le désir de l’analyste doit être
ou tique, on, on, got, magoth" (onomatopées et plus que jamais mis en œuvre.
injures). On retombe sur les interjections du babil.

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D’autre part, il est un fait clinique évident que ces ce qui fait racine du langage. Le problème des
patients, quels que soient leurs rêvenus, ont une origines du langage ne se pose pas lorsqu’un
grande difficulté à payer. Le plus-de-jouir n’émerge signifiant représente le sujet pour un autre signifiant.
pas du fait de l’holophrasition de S1-S2 et n’entre pas Ici de ce défaut d’articulation du premier couple de
dans la dette symbolique tant que l’analyste ne sera signifiants, nous arrivons à un problème quasi-
pas en position d’objet a. biologique de l’ordre de la régulation entropique du
4*Vous savez que les phénomènes corps parlant.
psychosomatiques se caractérisent par une lésion. Si Dans l’holophrasition S1-S2, n’oublions pas que S2
nous prenons l’exemple banal des maladies de peau incarne le savoir qui est la jouissance de l’Autre. De
(psoriasis par exemple), nous avons là une sorte de part la pratique, on s’aperçoit que la zone affectée
tatouage naturel. Eh bien, partons de ce que dit par le phénomène psychosomatique est une
Lacan à propos de la Libido : la libido est un organe matérialisation de jouir d’une partie du corps de
irréel. Irréel n’est point imaginaire. "L’irréel se l’autre, mais sa jouissance doit être supposée la
définit de s’articuler au réel d’une façon qui nous même que celui qui s’y prête. Dans la répétition, il y
échappe et c’est justement ce qui nécessite que sa a perte de jouissance ; c’est là la fonction de l’objet
représentation soit mythique mais d’être irréel, cela perdu. Cette répétition de la jouissance est spécifiée
n’empêche pas un organe de s’incarner. La par le trait unaire incarné par le S1. Il y a donc un
matérialisation, l’incarnation dans le corps de cet trouble de jouissance. Il n’y a pas de déperdition de
organe irréel c’est le tatouage. L’entaille a bel et la jouissance et c’est de la jouissance que s’établit la
bien la fonction d’être pour l’Autre, d’y situer le différence entre le narcissisme et la relation à l’objet.
sujet marquant sa place dans le champ du groupe Lacan précise que pour les phénomènes
entre chacun et tous les autres". psychosomatiques, il n’y a pas de relation à l’objet,
Par analogie, puisque dans les maladies il parle d’auto-érotisme.
psychosomatiques, on est confronté au réel et que le Donc la fonction de la jouissance est ici en défaut,
chaînon désir est conservé, il faut bien trouver qui fait que nous sommes orientés vers le
quelque chose qui témoigne du champ de l’Autre. narcissisme primaire bien entendu par extension –
On a en quelque sorte dans ces phénomènes une auto-érotisme (libido égoïste).
matérialisation, une incarnation (blason organique) Resterait à travailler la question de l’Idéal du Moi.
de l’objet a, (à la limite, le placenta, l’objet perdu), Souvent, des sujets, quand cède le phénomène
cause du désir, sorte de lamelle organique placée sur psychosomatique, travaillent à remettre le père en
le corps du sujet. place, à le faire ek-sister, à retrouver l’amour du
L’holophrasition de S1-S2 doit prendre en compte le père.
destin de l’objet a. Comme il n’y a pas de perte, de SERGE ANDRE : Quelle différence fais-tu entre
manque, "le S1 que ce soit un phonème, un mot, une l’holophrase et la condensation ?
phrase, voire toute la pensée ne trouvant pas écho JEAN GUIR : Dans l’holophrase, on n’introduit pas
pour le sujet à un autre signifiant avec production de de nouveaux thèmes, par sa décomposition. Quand
l’objet a, le S1 en reste à sa vocalisation purement on "décondense" une condensation, il faut introduire
physique" (voir Encore). C’est une pure perte pour des lettres et des phonèmes. C’est une des
l’organisme parlant. Et peut-être qu’il y a un différences.
mécanisme homéostatique qui transforme cette CHRISTIAN VEREECKEN : L’holophrase, c’est un
énergie en une lésion qui fait augmenter la signifiant, mais ce n’est pas une chaîne. On a un
néguentropie du corps. L’holophrasition de S1-S2 est signifiant qui est décomposable, et une fois
un ratage dans le fonctionnement du premier couple décomposé, ça s’articule en chaîne. Mais ce qui est
de signifiants, son effet pathogène sur le corps suit évité par cette gélification, c’est que ce soit une
peut-être une logique propre au signifiant. Un chaîne signifiante…
signifiant ne peut se situer que par rapport à un autre JEAN GUIR : Ce qui n’empêche pas que ce
signifiant. Si ce n’est pas le cas, ce signifiant, quel signifiant soit repris dans une chaîne…
en sera son destin ? Ici dans le cas qui nous
CHRISTIAN VEREECKEN : Bien sûr, puisque c’est
préoccupe des phénomènes psychosomatiques, ce
un signifiant. Il prendra place dans une chaîne, mais
signifiant essaye, pourrait-on dire, d’être un
comme signifiant, non comme chaîne. Par ailleurs,
signifiant, puisqu’il s’accroche en s’agglutinant à un
l’interjection ne s’articulé pas en chaîne, mais, pour
autre signifiant. De cette mal-version, de cette
les linguistes, ce n’est pas une holophrase.
copulation au savoir (S2) résulte un effet pathogène
JEAN GUIR : Lacan dit : l’holophrase, c’est
pour le corps. Et nous tombons obligatoirement sur
l’interjection.

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CHRISTIAN VEREECKEN : Oui, c’est un, type marque sur le corps. Ensuite il convient, à propos du
d’interjection. fantasme, de distinguer la conception de Freud, de
JEAN GUIR : Si on décompose une holophrase, on celle du fantasme fondamental développé par Lacan.
a plusieurs interjections. Les signifiants refoulés, lorsqu’ils surgissent de
CHRISTIAN VEREECKEN : Une interjection l’holophrase par exemple, renvoient non à des
comme "oh la la", c’est peut-être une holophrase. Il fantasmes mais plutôt à un fantasme fondamental du
y a là des phénomènes élémentaires mais sujet (petit garçon qui lutte contre l’idée d’être une
importants. Si un sujet ne s’aperçoit pas que ce mot fille ou encore réhabiliter le père car souvent ces
est décomposable, il se passe des tas de choses. patients ont un dégoût du corps du père).
JEAN GUIR : GUILLAUME dit que, dans M. MEURIN : La fascination du nom propre ?
l’émission de la langue, il y a un mouvement JEAN GUIR : Dans les structures
ascendant ; le sujet qui reçoit le message, lui, est en psychosomatiques, on constate en effet une sorte de
prise avec un mouvement descendant, c’est-à-dire ravalement du nom propre qui devient un nom
qu’il isole le message dans un mouvement de commun. En ce sens l’holophrase peut être
réduction. Quand l’analyste décompose considérée comme un nom propre (cf. S(g) de
l’holophrase, il se met dans une situation inverse. Lacan).
Est-ce qu’on redonne là au sujet quelque chose qui M. MEURIN : Question à un linguiste : les babils se
serait spécularisable pour lui ? Il joue sur différencient-ils ? Y a-t-il une langue universelle ?
l’équivoque et décompose en plusieurs signifiants JEAN GUIR : Il y a un phonème commun à toutes
(Westminster-Où est ce mystère ?). les langues. Les holophrases souvent utilisées par le
JEAN-PIERRE DUPONT : L’anticipation du sujet sont pris dans une langue étrangère ou dans
phénomène de la chaîne signifiante n’y est pas, dans l’argot.
l’holophrase. Très souvent quand le sujet a un moment d’effort à
CHRISTIAN VEREECKEN : Si je comprends bien, produire, on constate l’émergence du phallus, c’est à
cette holophrase est quelque chose qui résiste aux ce moment que faute d’une coupure à faire, il
effets inconscients habituels. produit sa maladie psychosomatique (le névrosé, lui,
JEAN GUIR : Quand on fait associer le sujet sur les devient psychasthénique).
signifiants qu’on découpe dans l’holophrase, on JEAN-PAUL GILSON : Bon, je te ferai pour
arrive à quelque chose qui tourne en rond, où on commencer deux petites remarques qui vont dans le
serait au plus près du désir du sujet, à la racine sens de ce que tu dis sur le PaPa. JAKOBSON dans
même du langage (…). De sorte qu’on introduit une "Aphasie et langage enfantin" indique que les
forme de coupure, qui permet la constitution du phonèmes P et A se trouvent quasi universellement.
phantasme et l’émergence de a. En décomposant (J. GUIR : Pap. Il mange le phonème Pap !).
l’holophrase, on fait intervenir la discontinuité, cette Sémantiquement JAKOBSON ne réfère pas ça à un
forme de coupure permet l’émergence du phallus. père et à une mère, mais au fait de l’absorption et
Dans le phantasme, l’organe malade est considéré du rejet. C’est une façon de prendre ça
par le sujet comme un essai de transsexualisme, pulsionnellement. La deuxième remarque : au sujet
comme appartenant au sexe opposé. du psoriasis et de la comparaison à faire avec le
M. MEURIN : Pourrais-tu revenir sur les exemples tatouage. C’est très juste et très sensible dans les
de babil ? cures. La référence est ici hors analyse, LEVI-
JEAN GUIR : Je préfère que vous vous reportiez à STRAUSS, un article sur les Caduveo où on voit
l’article sur ZORN (cf. Quarto XI). toute une série de photos de femmes qui portent un
X. Chez un sujet qui présente des lésions certain nombre de tatouages et l’interprétation
psychosomatiques, si j’ai bien compris, il n’y a pas donnée est que ces tatouages sont un microcosme du
de fantasme : sur qui vous appuyez-vous pour champ symbolique à l’intérieur duquel se déploie
affirmer cela ? l’activité sociale. Où la conjonction de ce champ
JEAN GUIR : Le sujet souffrant de lésion symbolique qui s’inscrit sur la peau d’avec le corps
psychosomatique, ne l’oublions pas, est cependant laisse-t-il une place à la jouissance du parlêtre ? Le
un sujet qui, dans sa structure même, peut être mot de "parler" est introduit expressément parce que
névrotique, phobique… À un moment, des toute l’expérience de Lacan est celle-là : mettre
signifiants apparaissent sur le corps, ni refoulés, ni l’accent sur l’expérience de l’analyse comme fait de
forclos. La question est de savoir pourquoi, dans la discours. Aujourd’hui, tu nous présentes quelque
masse des signifiants, certains cristallisent en une chose qui n’est pas un discours et c’est quand même
quelque chose qui différencie assez fort ce tu

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n’appelles pas un symptôme mais un phénomène, un Et qu’il y ait là peut-être quelque chose qui fait que
phénomènes psychosomatique. Un symptôme, ça lorsqu’il y a une disjonction du sujet parlant c’est-à-
parle, c’est une métaphore qui demande à être dire de l’impact des paroles sur le corps, qu’il y ait
réinscrite dans le discours et on voit bien qu’il y a résurgence d’anciennes fonctions phylogénétiques
quelque chose des phénomènes psychosomatiques qui fait qu’à ce moment-là le sujet se défend, ce sera
qui interroge ce que Lacan a appelé un discours. une défense naturelle du corps pour aborder cette
Lacan insiste sur le fait que les parlêtres ne sont pas disjonction qu’il y a entre les paroles et le corps.
des gens qui parlent, mais qui sont parlés, et les Alors là, ça prête à beaucoup de discussions. Pour
phénomènes psychosomatiques interrogent ça, non faire référence au nœud borroméen, on pourrait se
qu’on est parlé sans le savoir (cas du symptôme) demander s’il n’y a pas eu à un moment donné des
mais le fait qu’on pourrait être parlé. nœuds borroméens qui n’auraient pas collé à un
La dernière question, sous une forme un peu moment donné dans l’origine du langage et qui
raccourcie, on peut dire du cancer qu’il est le mal auraient été abandonnés et peut-être qu’avec la
absolu d’une certaine façon qui se développe à la psychosomatique, on a des résurgences. Parce que
façon d’une chaîne signifiante qui ne s’arrêterait de toute façon, quand le langage est apparu à un
pas, c’est quand même assez frappant. moment donné, il a fallu une réarticulation des
JEAN GUIR : C’est une métaphore, c’est quand fonctions biologiques à cette prise du langage sur le
même un peu imaginaire. corps. Dans ce disfonctionnement apparaîtrait peut-
JEAN-PAUL GILSON ; Oui mais, nous sommes des être que d’anciennes fonctions qui devraient
êtres de discours, à écouter des biologistes, ce qui se récupérer cette affaire-là, pour que le langage
passe à ce moment dans le corps est placé dans le continue à fonctionner. Alors effectivement, c’est
discours sous cette forme-là, ceci me permet de faire quand même quelque chose qui aurait à voir avec le
remarquer que par rapport au symptôme, le problème de la descendance, c’est-à-dire de la
phénomène psychosomatique a toujours ce côté de transmission par les fonctions sexuelles, de la
faire écho au mal tandis que le symptôme, pas descendance. C’est pas pour rien que les signifiants
nécessairement. Ça m’intéresserait beaucoup si tu que l’on retrouve tout le temps à l’œuvre dans la
pouvais en parler. psychose, c’est "mort", "naissance".
JEAN GUIR : Mal au sens que dans le cancer, il y a MONIQUE LIART : J’avais l’intention de poser une
la notion de mortel, au sens où le sujet est mortel. question, tu y as déjà répondu en partie : c’est sur la
Dans le processus de séparation de l’émergence de question de la structure à laquelle on a affaire, tu
l’objet petit a, c’est justement la pulsion de mort qui dis : Lacan dit qu’on n’a pas affaire à une névrose.
est impliquée là. C’est comme s’il y avait négation …
de la mort. Négation du mal – c’est le mal absolu en JEAN GUIR : Il dit : ça échappe aux constructions
quelque sorte – mais c’est quand même une négation névrotiques. Alors s’il y a une structure
du mal puisque le sujet ne veut pas donner forme à psychosomatique isolable, ça veut dire que ce Brait
la coupure, alors ça se retourne contre lui en quelque une autre structure. Par exemple, le sujet ne serait
sorte. Tout le problème est, effectivement, d’une pas hystérique, pas phobique, pas obsessionnel.
diversité du mal, puisqu’il y a un mal qui peut Quand on regarde de près, beaucoup de maladies
engendrer la mort réelle, mais un psoriasis ne sera psychosomatiques du tube digestif font apparaître
jamais mortel, sauf exception quoi ! Il y a toute une des traits obsessionnels. Il semble que dans la prime
variation là qui serait de l’ordre médico-légal, si l’on enfance, il y ait eu de symptômes hystériques,
veut, qui serait à étudier. Je suis d’accord qu’il y a phobiques ou obsessionnels qui ont été amendés par
quelque chose du "mal incarné", c’est ça, des interprétations sauvages et finalement, quand ce
effectivement. signifiant-là va revenir, au lieu de réintroduire un
On peut reprendre ce que dit Lacan, il y a un effet de symptôme névrotique, il induit une maladie
l’implication du sujet dans le logos. Il faut que le psychosomatique.
sujet soutienne ce logos réellement et si ce réel, il Dans un troisième temps, lorsqu’on fera émerger
n’arrive pas à l’articuler réellement, il le fera dans le par l’holophrase par exemple, parce que
réel de son corps. Là on touche du doigt l’holophrase n’est qu’un des points par lesquels on
l’articulation de l’organe au corps, aux fonctions peut atteindre cette affaire-là, il y aura des
biologiques du corps. signifiants qui vont redonner des symptômes
Il semble que les P.P.S. ont quand même une névrotiques ou phobiques. Là, c’est le problème
traduction clinique, médicale, biologique, effectivement, on pourrait dire, à la limite, puisque
relativement précise pour certains troubles du corps. nous faisons tous des maladies psychosomatiques. A

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des degrés divers, tout le monde a un petit bouton MONIQUE LIART : Quand tu décris l’holophrase,
qu’on peut considérer comme psychosomatique. A la le rapport aux mots, à la jouissance de l’objet qui
limite, on pourrait dire, : s’il y a une structure de est inscrite dans le mot, on pourrait dire en effet de
base de l’articulation fondamentale du sujet au l’holophrase qu’elle est cela, une jouissance qui
langage, alors quand il y a ce trouble là dans n’est pas séparée du mot, on a atteint à un trop de
l’enfance, il y aurait des P.P.S. ou la psychose et, jouir comme dans la psychose.
sous-jacent à ça, il y aurait des problèmes JEAN GUIR : Oui mais dans la psychose, le sujet,
névrotiques, mais que tout le monde a, comme tout par la répétition, va quand même essayer d’articuler
un chacun. des signifiants, qui sont souvent des équivalents de
MONIQUE LIART : En prenant comme hypothèse noms propres. Dans la psychosomatique, il y aurait
qu’il y a deux structures, névrose et psychose, et pas comme une matérialisation des objets (a), mais ceci
d’autre. … est encore une métaphore.
JEAN GUIR : Il y a la perversion aussi… MONIQUE LIART : A la suite du Séminaire de
MONIQUE LIART : Oui, c’est pour cela que je dis Lacan, si on admet que Joyce est un psychotique, il
que tu as répondu en partie à ma question. Toi, tu ne délire pas, il construit un symptôme qui est
situes plutôt les P.P.S. du côté de la perversion. … l’écriture, ne pourrait-on alors considérer le P.P.S.
JEAN GUIR : Perversion au sens où Lacan dit que comme une sorte d’écriture dans le corps, comme
la psychanalyse n’a pas été foutue de trouver une une suppléance inscrite ?
autre perversion. On a l’introduction ici d’un JEAN GUIR : Oui, effectivement, je suis d’accord,
nouveau Nom-du-Père. mais ce n’est plus une "structure joycienne" encore
MONIQUE LIART : La dernière avancée de Lacan qu’il y ait des moments de passage. Si l’on en croit
sur la psychose, dans le cas de Joyce, pour dire que les joyciens, quand il n’écrivait pas, Joyce avait des
Joyce est un psychotique. … symptômes oculaires. Dans les P.P.S., il y a aussi
JEAN GUIR : Lacan a posé la question : Joyce tentative de soutenir un nom, et particulièrement le
était-il fou ? Et à un moment donné, il dit : c’est Nom-du-Père.
quelque chose avec des problèmes d’ego chez M. MEURIN : Comment pointer le "symptôme"
Joyce ; chez lui, il y a la perte de l’imaginaire. C’est P.P.S. comme moment crucial de l’analyse ?
pas le nœud du symbolique qui compte, c’est le JEAN GUIR : Dans les cures, il faut prendre en
nœud de l’Imaginaire qui s’en va et pour empêcher compte des métaphores d’aphanisis, par exemple
cette perte du rond imaginaire, il y a une suture qui quand le sujet a fait autrefois des syncopes, tout ce
se fait pas l’ego de Joyce, et qui se manifeste chez qui évoque métaphoriquement la disparition du
lui par un écrit spécial que d’ailleurs lui propose la sujet ; et le sujet le pointe souvent dans des rêves où
langue, il truffe le signifiant du signifié comme dit il craint de s’évanouir. A ce moment, la question de
Lacan. l’aphanisis rentre dans le jeu du discours analytique.
MONIQUE LIART : Mais si le raboutage du nœud D’ailleurs, avant le P.P.S., on peut très souvent
borroméen se dissout, c’est bien l’écriture de la repérer des phénomènes parcellaires qui évoquent
psychose. … l’objet a, ou s’y confrontent (évanouissement, perte
JEAN GUIR : Oui, mais la psychose, c’est quand le de connaissance, migraine, mise au noir).
symbolique fout le camp. Oui, les trois ronds s’en J.P. GILSON : Je suis d’accord et je peux
vont, d’accord. Le problème est de savoir surenchérir d’un exemple clinique. Il s’agit de la
effectivement si Lacan a dit que la psychose était levée (rémission) d’un phénomène P.P.S.,
délimitée au sens où il y a les trois nœuds qui disparition inattendue qui a entraîné l’arrêt
partent. D’accord. temporaire des séances. Dans cette cure, le P.P.S.
MONIQUE LIART : Oui, le séminaire n’est pas avait le poids majeur dans la demande d’analyse, et
précis du tout, mais c’est une certaine façon l’analyste et le mouvement de la cure étaient aussi
d’aborder des cas limites, des cas de psychose investis d’une intensité toute particulière. (J. GUIR :
recouverts de phénomènes névrotiques, phobiques, à mesure de l’angoisse de l’analyste). La difficulté
obsessionnels, et souvent l’entrée en analyse est de maintenir la poursuite de la cure, comme
provoque un déclenchement. Lacan nous l’a situé en installant la plus grande
JEAN GUIR : Oui, pour aller dans ton sens, il distance entre a et A et de rétablir la circulation
faudrait peut-être raisonner sur le nœud à quatre. Le d’au moins deux signifiants. Parce que là, dans cette
symptôme tient des trois autres. cure, on a quelque chose qui se présente comme un
signe écrit sur le corps et en face une espèce
d’investissement tout è fait particulier, presque

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religieux, qui rend difficile de maintenir dans la cure


l’allégeance au signifiant. On voit bien que la
disparition brutale du phénomène laisse la personne
devant un état où il n’y a pas de signifiant pour la
représenter, on voit bien que le signe
psychosomatique, le phénomène, a une façon très
particulière de tenir le sujet, et là on peut interpréter
cet arrêt temporaire de la cure comme un moment
où le sujet ne sait plus se repérer, il n’y a pas de
signifiant qui le représente pour les autres è ce
moment. Peut-on généraliser cet exemple ? Je ne
sais pas trop.
JEAN GUIR : Dans la terminaison de cure P.P.S.,
après levée du phénomène, il y a quelque chose qui
est dit par l’analysant de manière plus ou moins
voilée qui est que l’analyste ne pourra jamais savoir
ce qu’il en était exactement de cette affaire.
Disjonction se fera ici de part et d’autre quant à ce
savoir, tant pour l’analysant que pour l’analyste. Et
ça, c’est la perte que doit subir l’analyste lui-même,
ce n’est pas forcément la même chose dans les
névroses.
M. MEURIN : Y a-t-il pour toi une pratique de la
cure différente au fil des années ?
JEAN GUIR : Une meilleure lecture de la théorie de
Lacan doit nous permettre de mener une cure
comme une autre.
(texte transcrit par G. Michaux et J.P. Gilson, non revu par l’auteur).

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Propos sur le livre de Fritz Zorn : Mars


Jean Guir
Paris, le 12 janvier 1982. permettez l’exprèssion, l’ingestion d’un signifiant
L’ouvrage de Fritz ZORN est essentiellement un incluant les phonèmes K et R.
essai interprétatif par l’auteur lui-même de l’origine Le K (R) va revenir en permanence dans son
de son cancer. discours (Krebs, Kaffee, korb, krieg, kredit,
Il considère son récit comme un document théorique kronegasse), on va aussi le retrouver dans karcinome
mis à la disposition de chercheurs pour étudier les de Dieu, dans K Z (camp de concentration où il est
racines psychiques du cancer. Bien que nous ne gazé par l’héritage paternel). A un moment donné, il
disposions que de peu d’informations sur la vie et la exprime sa haine de Dieu qui aboutit en définitive à
constellation familiale du sujet (par exemple, nous l’image d’une pieuvre (Krahe = pieuvre, polype).
ne savons que peu de choses sur son frère cadet), le Dans ce livre, il se compare à un "Einsiedler Krebs"
discours est assez consistant pour y décrypter des (Bernard l’Hermite). De plus, le lieu d’habitation
thèmes et des paramètrès communs à l’histoire de maudit de ses parents commence par un K.
ceux qui souffrent des phénomènes D’autre part, au cours de sa "mélancolie", ZORN
psychosomatiques graves. parle de son écriture (Kreuz und guer). Remarquons
également que le grand-père maternel était toujours
1. LES SIGNIFIANTS devant un grand tableau représentant le Christ
crucifié, or son père avait horreur de la croix (Kreuz,
a) D’emblée, nous allons pointer quelques où l’on retrouve le K R) b) Dans le livre, il y a tout
signifiants repérés au cours de la lecture, qui nous un passage sur la haine de Dieu. Or, il nous apprend
semblent capitaux pour la compréhension de son lui-même que ce n’est pas un hasard si tous les Zorn
histoire. Zorn (colère) – qui, en fait, s’appelle Angst s’appelaient Gottfried. Le père de sa mère, le père de
(angoisse) – dit que sa tymeur (lymphome malin), son père, ainsi que son père lui-même s’appellent
apparue au niveau du cou (Hals) sont des "larmes par leur prénom Gottfried.
rentrées" (verschluchte Tränen), à vrai dire des
larmes ingérées, avalées de travers, gobées. Comme Arbre généalogique :
il se trouve que dans le texte allemand, Zorn utilise Gottfried O---X ? Gottfried O---X ?
souvent la paronymie, nous nous croyons autorisés
de passer de "Tränen" à "Krähe" (corneille). Il dit Gottfried O-----------X ?
qu’il se sentait dans sa jeunesse comme portant au Angst
cou une corneille morte (tote Krähe) et que, sous le Fritz O-----------X ?
regard des femmes, il n’avait pas conscience de ce (Zorn)
fait scandaleux. Il redoutait d’ailleurs le regard des
jeunes filles. Remarquons au passage que des liens de parenté
Les éditeurs allemands ne s’y sont pas trompés et fondés sur des prénoms identiques (ou dans d’autres
ont mis sur la couverture du livre un oiseau. cas sur des noms propres homophoniques ou
Remarquons qu’en français comme en allemand, métaphoriques) retrouvés dans les lignées paternelle
l’oiseau ou "Vogel" a une connotation sexuelle. Ce et maternelle semblent être un facteur favorisant de
thème de l’oiseau mort réapparaîtra à plusieurs l’éclosion des phénomènes psychosomatiques, c) A
reprises (l’oiseau qui tombe, les oiseaux migrateurs propos de son nom ANGST : il y a quelque chose
qui tuent leurs petits…). d’intéressant : il veut faire de la danse (Tanz), vœu
A partir de ce fantasme sur l’origine de sa maladie de sa grand'mère maternelle. (D’ailleurs à ce propos,
(Tränen : larmes rentrées), nous tombons donc sur ce à l’âge de 7 ans, il fabrique un spectacle de
signifiant "Krähe" (opération translinguistique : marionnettes représentant la vie de sa grand'mère).
Craie) qui va nous conduire à "Kreide" (craie). Il L’utilisation d’une déformation linguistique du nom
dit : "Si le patient y croit, on peut même lui donner propre au profit d’un signifiant qui va faire écho à
en guise de comprimés un morceau de craie" l’image du corps du sujet est un processus
(Schreib-Kreide). Donc Zorn met ici en place fréquemment rencontré dans l’histoire des patients
quelque chose qui a à voir avec, si vous me souffrant de phénomènes psychosomatiques, d) La
théorie sexuelle infantile qu’il invoque pour la

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naissance des enfants est la fécondation par la sueur, serait un Oreste qui n’a pas été absous par le
or la sueur en allemand se traduit par Schweiss ; jugement d’Athéna, qui, ne l’oublions pas, portait
Schwitzen, ce qui nous renvoie à Schweiz (la une tête de Méduse sur sa poitrine…
Suisse). Donc, quelque part, évitement de la castration (à
L’évocation de signifiants amenés pour l’explication mon avis, cela n’a rien à voir avec un Œdipe
naturelle de l’origine des enfants montre souvent inversé).
quelque chose qui a à voir avec un nom de lieu. Nous voyons bien que cette haine porte justement
pour Zorn sur le signifiant Gott (prénom des pères).
2. LA STRUCTURE ? ∠ Le cancer est pris comme inclusion étrangère
(force hostile) (dos Erbe (héritage) des anderen in
Nous allons maintenant essayer de repérer ce qu’il mir). Le thème d’inclusion n’est pas sans évoquer
en est de la structure de Zorn par rapport au langage. quelque chose avec l’ingérence ratée (Fritz-fressen
Il est évident que Zorn présente des traits bouffer) des ancêtre morts, l’inclusion est aussi la
obsessionnels et phobiques, mais notre intérêt nous partie du corps d’un autre dont on essaie de jouir.
pousse à situer son discours par rapport à la Son problème est de repérer ce qui est "Eigenen
castration. Tout le texte oscille en effet entre une Selbst" (propre à soi) de ce qui est "Fremden"
crainte et l’évitement de la castration symbolique et (étranger). Il y a un ratage dans la fonction de l’Idéal
une recherche du Nom du Père, ou, au moins d’un du moi (imago paternel).
des Noms du Père, a) Commençons d’abord par
l’explication de ZORN et de son cancer. ∠ D’autre part, il métaphorise son cancer comme
un substitut de la castration symbolique : c’est le
Il invoque évidemment le monde bourgeois, hostile
prix à payer pour se libérer des parents (Œdipe) et
à la sexualité, la Suisse, le noyau familial, mais pour
introduit une note clinique que l’on devrait méditer :
lui, ce sont des mots ; derrière cela, il y a un principe
« s’il se résignait et souffrait moins et rentrait dans
hostile, une force supérieure anonyme,
le même consensus que ses parents, peut-être
complètement amorphe, (anonymere Übermacht).
guérirait-il, »
Ce principe hostile qui peut être attribué à Dieu est
Mais il deviendrait traître à lui-même (d’ailleurs, il
en définitive ramené à l’idée de pieuvre, de méduse
compare la sexualité à l’honneur (Ehre), ne pas avoir
qui la menace et l’empoisonne.
de sexualité, c’est le déshonneur). L’apparition du
Nous savons que la tête de Méduse (Medusenhaupt)
cancer est vécue comme une nouvelle identité, un
représente pour Freud le sexe effrayant de la mère et
leurre d’un des Noms du Père, qui se substitue à la
renvoie à l’effroi de la castration. Ceci sera conjoint
castration symbolique. Nous touchons là du doigt
à l’idée souhaitée de tuer sa mère. Je pense ici qu’il
comment, dans une cure, la rémission d’une
faut soutenir ce dire en invoquant que tuer sa mère
phénomène psychosomatique peut être vécue
pour lui est une manière d’éviter cette représentation
paradoxalement comme une perte d’identité. Il y a
horrifiante de la menace de castration. C’est, bien
confusion entre la castration symbolique et la
sûr, complexe, car il y a eu certainement un désir de
castration dans le réel. Il envisage même sa mort
mort de la mère sur lui. Tuer sa mère est aussi un
comme le point ultime de la castration symbolique.
moyen d’éliminer le réceptacle qui n’avait pas
introduit la métaphore paternelle (signifiant). Ce ∠ Comment Zorn interprète son cancer par rapport
"tuer sa mère" pointe dans toutes les analyses de au discours de ses parents ? C’est très intéressant.
maladies psychosomatiques graves. J’évoquerai les En premier lieu, il a vécu dans un monde menteur
paroles de cette patiente atteinte d’un RCUH : "avec (verlogen) en fait falsifié, qui devait être
ma maladie, mes saignements, je vais , tuer ma harmonieux, sans opinion divergente. Jamais le
mère"… Je pense que cette agressivité vis-à-vis de la "NON" n’est prononcé (ce qui entraîne pour lui un
mère, dans toutes ces cures, reflète la quête squelette dans le placard…). Il n’y a pas de
désespérée du sujet de découvrir dans la langue de la jugement personnel, ce qui compte c’est le jugement
mère quelque chose qui pointerait de la métaphore des autres. Ce qui est intéressant est qu’en allemand,
paternelle. On peut aussi considérer que le le jugement s’appelle "Urteil" (la part primitive). Ce
phénomène psychosomatique est ce qui ressurgit qui revient à dire que le sujet se soumet à l’impératif
dans le corps du sujet à la place d’un des Noms du de la jouissance de l’Autre.
Père, non véhiculé et barré par la mère. Il est L’harmonie de la cellule familiale n’admet pas
étonnant qu’un thérapeute américain très doué ait d’intrusion étrangère, qui ne peut être que ridicule. Il
mis le doigt sur le meurtre de la mère (matricide) en y a la mise en place d’une cellule familiale étanche à
invoquant le mythe d’Oreste. Pour lui, le cancéreux toute influence au discours étranger. On pourrait se

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demander si les signifiants (Gott, par exemple) qui Pour lui, les choses sont incomparables
ont cristallisé cette communauté font que celle-ci (unvergleichlich = non par semblable) ;
s’isole d’elle-même et ne donne plus lieu à Pour lui, le fascisme de Franco n’est pas celui de
l’échange, bien entendu, dans le sens de LEVY- Hitler, ce n’est pas comparable. Ce qui importe,
STRAUSS de la circulation des femmes. Le c’est ce qui est "richtig"(vrai, bien, juste, ce qui est
problème spécifique de ZORN est l’alliance de l’harmonie) (ZORN avait les mêmes idées que
impossible avec une femme autre que sa mère. son père). Ce discours du père traumatise l’enfant
– Voyons maintenant plus précisément le discours parce que cela empêche les identifications et la
des parents. Pour la mère, les choses sont nomination. Une fois de plus, pas de possibilité
compliquées ou plutôt difficiles (schwierig). Pour d’être sûr de quelque chose.
soutenir l’avis du père (être dans l’harmonie), la Ce qui frappe dans les deux discours de ses parents,
mère n’hésite pas au désaveu (verleunung) de ses c’est l’absence d’une vraie dialectique. Je me suis
propres sentiments (ce qui sera repris par ZORN). demandé si la conjonction de ces deux discours
Une des expressions favorites de la mère est "ou n’entraînait pas pour le sujet le manque d’aphanisis
bien, ou bien" $oder es ist etwas anderes ". (donc le phénomène psychosomatique), b) Nous
Exemple : Je partirai vendredi prochain à 10h1/2 allons travailler maintenant un thème qui a rapport
pour Zurich ou bien je resterai à la maison… Ce avec l’imaginaire de ZORN.
soir, il y a des spaghettis pour dîner, ou il y a de la ZORN est l’image de l’artiste (cf. Joyce) (Il
salade de cervelas (Wurst-Salat). Comme le dit s’identifie à Tonio Krager). Il cherche une image
ZORN lui-même, quand on dit trop de" ou bien ", les idéale d’artiste, d’original, avec la conviction
mots perdent tout leur poids et tout leur sens. La "unheimlich" qu’il est gravement atteint. Cette
langue se décompose dans une masse amorphe (ce originalité est l’expression d’un "Andersein" mais
terme est d’ailleurs employé par Lacan, p. 296. pas un "Bessersein", mais un "Slechtersein".
Séminaire III. Les Psychoses.) de particules privées Donc, en somme, son symptôme, c’est d’être
de significations (au sens signifiant), plus rien n’est original, toujours à la recherche d’une identité. "Ich
solide et tout devient irréel (unwirklich). Là, nous war anders". Il s’exclut de tout et s’en glorifie. « Je
retrouvons, à notre avis, typiquement la partie A du voulais être l’image vivante d’un non-frustré ; Je
fameux schéma des 2 courbes de SAUSSURE. voulais être comme mon masque d’euphémisme. »
– Dans les paroles de la mère, tout est signifié, il n’y A la fin, il s’identifie au rôle joué (être l’Autre de
a pas de battement possible pour qu’un signifiant l’Autre). Fait assez caractéristique dans la clinique,
arrive et représente le sujet pour un autre signifiant. par exemple, chez l’un de mes patients qui exprimait
D’autre part, et c’est important, l’association des que l’analyse serait opérante quand tous les masques
deux thèmes : arbitraire du déplacement de la mère qui lui collaient au visage et auxquels il s’identifiait
et arbitraire sur le choix des aliments, nous donne tomberaient. Chose remarquable, tous ces masques
peut-être une clef pour la compréhension des portaient des noms relevant de l’imagination de son
phénomènes psychosomatiques. grand-père maternel (Cf, le grand-père maternel de
L’arbitraire sur le Fort-Da ne laisse pas à l’enfant le ZORN).
jeu de la bobine pour la symbolisation de la De plus, être artiste/obligé d’être artiste, renvoie à
présence/absence de la mère (en fait, cela veut dire : prendre en charge la castration ratée du père qu’il
je ne serai jamais absente), mais le plus important subodore comme quelqu’un qui aurait voulu être un
est que ceci est connecté à l’arbitraire de artiste.
l’alimentation (spaghetti oder Wurst-Salat). Dans Revenons au masque : il dit "mon moi clivé (mein
l’alimentation fournie par la mère (le nourrissage) Gespaltenes Ich) se fissurait de plus en plus. "
doit résider, dans la nomination des aliments, L’habitude me rendait si familier que mon masque
quelque chose du désir de la mère pour le père. d’euphémisme que je l’identifiais peu à peu avec
L’arbitraire de l’alimentation revient à un moi-même (avec la notion de complicité des autres)
nourrissage forcé. La mère ne met pas en jeu la ", Ici, nous pointons quelque chose de la clinique où
possibilité de son absence, ni le fait que le certains auteurs pensaient que ces patients
nourrissage puisse s’effectuer en quelque sorte en souffraient d’une dite-pensée opératoire d’où le
dehors d’elle, par l’intermédiaire du signifiant. fantasme serait absent. Il y a apparemment un
ZORN traduit cette perversion maternelle par ceci : appauvrissement de l’imaginaire, de la vie
"C’est la même chose de dire que la terre est ronde fantasmatique. Lorsqu’on met bas le masque du
ou triangulaire". sujet, les fantasmes apparaissent. Ceci nous amène à
– Venons-en au discours du père. Joyce qui, pour parer à la perte de l’imaginaire, était

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obligé de passer par l’écriture, C’est aussi le cas de La dynamique de l’affection relève de ce que j’ai
ZORN : nJe m’accordais de me sentir poussé à déjà démontré il y a quelques temps : mort du père :
l’écriture n mais peu à peu, il sent malheureusement séparation : puis répétition de cet événement sous la
que l’écriture en soi est quelque chose de mal forme d’un voisin mort près de chez lui. C’est là
(substitut de la castration symbolique). c) Nous qu’il tombe malade.
allons maintenant étudier le rapport de ZORN à la Nous voyons aussi poindre quelque chose de très
fonction de la nomination. Il dit : " Les nôms sont important : la mort du père semble irréelle : il se
sûrement ment quelque chose d’important, personne dégageait pour lui l’impression qu’il avait toujours
n’a le droit d’être anonyme ou de mourir d’une été mort et même qu’il n’avait jamais vécu. Cette
chose anonyme. Je voudrais donner un nom à moi- dénégation de la vie et de la mort du père ont joué
même, et me dire à moi-même : et moi, je m’appelle comme un traumatisme jamais assumé qui a
ainsi, toi tu t’appelles ainsi… » réapparu quelques années plus tard avec la mort du
Donc, il y a le besoin de nommer comme Adam voisin et l’évocation d’un film policier (Kriminal)
nomme les animaux de la création. Angst se baptise, sur le meurtre de deux femmes. Cette remarque
il se refait un nom sans passer par l’histoire singulière sur le père est constamment évoquée par
familiale. le patients lorsque celui-ci est mort, avant ou après
Cela rejoint le problème de Joyce : se faire un nom l’éclosion du phénomène psychosomatique.
et soutenir le nom du père. A ce propos, nous Ce qui est remarquable dans ce livre est que le
pourrions poser pour ZORN la même question que cancer donne, comme dans une névrose traumatique,
Lacan soulevait pour Joyce : "Etait-il fou ?" un effet de polarisation (sidération bien
Nous allons maintenant aborder la dynamique de compréhensive) qui amène le sujet à oublier sa
l’affection. Il est remarquable que les dépressions véritable histoire. Les gens ne veulent plus parler. Il
arrivent au moment où il y a passage d’un rythme de y a une rationalisation extrêmement élaborée, une
vie à un autre. Le bac, la fin de l’université marquent théorie sexologique presque naïve de son affection.
les temps de la dépression. C’est une constante des Rien ne nous est dit de sa psychothérapie entreprise
affections psychosomatiques : le sujet souffre de ne pendant sa maladie, de son histoire, de ses rêves. Il y
pouvoir être adulte. La métamorphose semble a quelque chose du "je n’en veux rien savoir", pas de
impossible. Mais surtout ici, il faut évoquer un recherche du phallus. Le diagnostic de cancer
facteur capital dans l’éclosion du phénomène renforce dramatiquement les résistances du sujet à
psychosomatique (bien que difficile à repérer) : la connaître sa véritable histoire. Il fait l’économie de
mort du père (rupture d’anévrisme). sa névrose sur le compte du cancer. L’apparition du
Peu après la mort du père, il a en effet des visions cancer va mobiliser les signifiants primordiaux à la
qui ne sont pas des hallucinations. disposition du nom (nom propre… etc.). C’est ce
Le travail de deuil devient problématique. Il a des que nous rencontrons dans les entretiens
visions où apparaissent une ou plusieurs femmes en préliminaires avec ces sujets où il faudra – à travers
deuil (grosse Trauende) qui naissent et disparaissent ces signifiants – les amener à leur véritable histoire
à travers les générations. Donc deux thèmes œdipienne.
apparaissent : naissance et mort d’une femme vieille Si dans la théorie, Lacan avance qu’il y a un court-
en deuil. Je pense qu’ici il évoque le problème de la circuit dans les signifiants (une induction signifiante
génération. Si pour Schreber, le monde doit être au niveau du sujet qui s’est passée d’une façon qui
repeuplé d’homme-Schreber, ici il mettra en scène ne met pas en cause l’aphanisis de celui-ci), une
des dynasties royales où apparaît une femme qui va sorte d’holophrasisation de S1 et S2, ceci nous amène
mourir mais qui va être remplacée par une autre. Je justement à ne pas renforcer ce processus et de ne
dis bien comme dans la psychose, la fonction réelle pas en rester à une psychothérapie sommaire, avec
de la génération apparaît. quelques interprétations sauvages qui renforceraient
Cette femme en deuil, il l’assimile à sa propre âme, le sujet dans sa tentation de rationalisation de son
et d’ailleurs, cette femme ressemble à Effi BRIST de mal.
Fontana, morte de chagrin, figure littéraire que son Donc, il y a certainement une mal-version langagière
père haîssait (soit-dit en passant, la haine de Dieu de l’ordre du réel qui peut être la cause d’une
(Gott) reparaît dans une expression appliquée à son marque corporelle. C’est dans la mise à plat des
"pauvre père" : ("alterschwacheUhre", vieille montre signifiants du sujet à travers une analyse qu’il y aura
fragile mais en allemand, "die Hure" veut dire la peut-être moyen de casser ce manque d’aphanisis et
putain). de permettre à ce dernier de retrouver les chaînes
signifiantes qui l’amèneront à la castration

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symbolique pour qu’enfin son véritable désir


émerge.
P.S. Je tiens à remercier Patrick ACH pour son aide
bienveillante dans la lecture allemande du texte. Il
m’a entre autres sensibilisé au style paronymique de
ZORN et pointé le fait central de la corneille au cou.
D’autre part, je remercie Patrick SCHMOLL qui
m’a fait remarquer que par extension, le cou (Hals)
peut se dire Krägen (terme cependant non utilisé par
ZORN).

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Les genoux de Rimbaud


Jean Guir
Dans une émission sur Rimbaud, Gérard Gromer se déclencher une tumeur du genou droit, c’est-à-
interroge plusieurs spécialistes sur la vie de dire un ostéosarcome.
Rimbaud (Nuits magnétiques, France Culture, Plus tard, il sera rapatrié à Marseille à l’hôpital de
janvier 1983). Nous avons transcrit ici le dialogue La Conception où on va l’amputer. Il aura donc des
entre G. Gromer et J. Guir à propos de la tumeur au béquilles. Ce qui reste stupéfiant dans ce poème,
genou de Rimbaud. c’est que on trouve énormément d’éléments qui
J. Guir : Rimbaud dit dans l’Alchimie a, Verbe, donc renvoient justement à la tumeur du genou droit de
deux ans après avoir écrit les Voyelles, "je notais Rimbaud, et aux conséquences qu’elle va entraîner
l’Inexprimable. J’inventais la couleur des Voyelles, pour lui : l’amputation, l’obligation de porter des
alors l’Inexprimable !" On pourrait se demander si béquilles.
l’Inexprimable n’est pas justement ce qui est Nous voyons dans ce poème des éléments qui sont
impossible à imaginer, quelque chose qui est proche proprement stupéfiants. Voyons lesquels : le premier
du Réel. vers : "Le Juste restait droit sur ses hanches solides",
A propos de Voyelles, deux choses ont attiré mon on trouve un élément qui porte sur les hanches, un
attention et ceci en fonction de ma pratique clinique peu plus loin : "Et si quelqu’égaré choque ton
avec des malades psychosomatiques : ostiaire", l’ostiaire est un vieux terme qui veut dire
premièrement : les patients qui associent les le portier. Mais dans ostiaire, nous sommes quand
Voyelles aux couleurs, en arrivent souvent par voie même obligés d’entendre l’os ! Mais là où ça va plus
de conséquence à une image du corps, et très loin encore, c’est ce vers du deuxième paragraphe
souvent à une image du corps souffrant. qui dit : "Dis Frère, va plus loin, je suis estropié".
Deuxièmement : si nous nous référons à Rimbaud, à Un peu plus loin, nous avons un autre vers qui dit :
l’histoire de Rimbaud, nous nous apercevons que "Alors mettrais-tu tes genouillères en vente" ?
l’écriture des Voyelles s’est faite dans une période Ces genouillères, c’est quand même plus tard au
quasi délirante aux yeux même du poète. même endroit un ostéosarcome du genou. Un autre
L’expérience clinique prouve que dans ces moments vers encore : flet dégoises tes thrènes sur
féconds de délire, il est important de décrypter le d’effroyables becs de cannes fracassés ! ".
délire de ces patients parce qu’on s’aperçoit souvent Il est très curieux de constater que les rimbaldiens se
que dans le contenu du délire, par voie de soient demandés si c’était "cannes" qu’il avait voulu
métaphore, ou comme l’on dit, du signifiant, on peut marquer et effectivement c’est bien "cannes" !
entendre l’organe, ou les organes qui vont être Puisque c’est avec des cannes que Rimbaud va
atteints beaucoup plus tard. terminer.
Ces délires mériteraient d’être entendus avant d’être C’est vrai qu’il est remarquable de trouver tant
étouffés par des médicaments. d’éléments renvoyant à sa tumeur du genou vingt
Voyons ce qui se passe pour Rimbaud. ans plus tard.
Les auteurs rimbaldiens se sont acharnés, se sont G. Gromer : Souvent dans les maladies
rivés sur Voyelles. Or dans le texte même des psychosomatiques, il y a un effet de déclenchement
Voyelles, il y a un autre poème qui s’appelle : "Le qui se produit avec des dates. Est-ce que l’âge de 17
Juste restait droit" dont il manque quelques vers. ans, l’âge où Rimbaud a écrit ce poème est, un
G. Gromer : C’était donc de la même époque, c’est, élément, un acteur déterminant ?
en 1877. J. Guir : Il semble quand même, en cherchant bien
J. Guir : Et bien, je crois qu’il y a un effet de dans l’arbre généalogique de Rimbaud, qu’il y ait un
polarisation des rimbaldiens sur les Voyelles or "Le élément de correspondance assez intéressant : le
Juste restait droit", ce poème qu’on peut dire délirant poète avait 17 ans lorsqu’il écrit les Voyelles et le
n’a jamais été bien entendu. poème "Le Juste restait droit". Or ce qui est curieux,
Il se trouve que dans ce poème "Le Juste restait c’est que son oncle maternel, dit l’Africain, Jean
droit", on a presque une annonce de ce qui va se Charles Félix Cuif a 17 ans lorsqu’il est en Algérie
passer vingt ans plus tard, c’est-à-dire en 1891, et c’est une période qui correspond aussi à une
lorsque Rimbaud sera en Abyssinie, à Harrar où va expédition militaire du père de Rimbaud en Afrique,
à cette époque !

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Donc l’oncle maternel avait 17 ans lorsqu’il est allé J. GUIR : Oui, alors justement, ce qui est très
en Algérie et aurait pu servir sous les ordres du intéressant dans ce que Genêt a mis en valeur, c’est
capitaine Rimbaud à cette époque. Ce n’est qu’une que effectivement, il y a cette histoire "que ma quille
connotation, on ne peut pas en faire grand-chose, éclate", alors nous nous apercevons que "Le bateau
mais enfin c’est un élément qui nous semble assez ivre", nous savons qu’il y a une copie de Verlaine,
intéressant. qui a été faite en septembre-octobre 1971 qui
Mais un autre point plus intéressant encore rejoint la correspond à toute la période des "Voyelles",
clinique où l’amorce d’une tumeur se place sous le notamment. Ce qu’il faut voir, c’est que septembre-
signe d’une naissance particulière. Or ici, il est octobre 1971 correspond à la naissance de Georges
étonnant de s’apercevoir que dans la même année où Verlaine, le fils de Verlaine. Il faut ajouter aussi,
il écrit "Les Voyelles" et "Le Juste restait droit", c’est une amie qui m’a glissé ça à l’oreille, qu’il se
c’est-à-dire en 1871, Verlaine, l’ami de Rimbaud trouve aussi que "Rimbaud", si on le déforme dans la
aura un enfant de sa femme, Georges. Je pense que langue anglaise, et nous savons qu’il y avait un jeu
vu les relations engagées entre Verlaine et Rimbaud, entre Verlaine et Rimbaud à angliciser les mots,
cet enfant représente quelque chose de très nous passons de Rimbaud à Rainbow, nous avons
particulier, de l’ordre d’une naissance impossible, une déformation intéressante du nom propré.
d’une grossesse impossiblé. Rimbaud qui va donner Rainbow, or Rainbow, nous
Notons d’ailleurs que dans "Les Voyelles" à la savons ce que c’est, l’arc-en-ciel, et nous tombons
deuxième strophe, Rimbaud dit : "Je dirai quelque tout à fait sur les Voyelles, puisque c’est ça dont il
chose de vos naissances latentes", c’est quand même s’agit, et en plus il y a "bow" en Anglais, qui veut
très curieux, et dans "Le Juste restait Droit" apparaît dire l’arc, l’archer, également "to bow" veut dire
une notion troublante, il parle de flueurs. Or les s’incliner, courber, et en plus "bow" peut exprimer
flueurs, c’est une vieille dénomination des l’avant d’un navire. Alors nous avons ici plein
menstrues, il y a là quelque chose avec la féminité d’éléments, donc une rupture du nom propre qui va
qui renvoie au sexe sanglant de la femme, si l’on s’exprimer dans une langue commune qui va donner
peut dire. Enfin, ceci, ce sont des éléments qui me donc l’arc-en-ciel, avec encore tout ce qu’il y a de la
paraissent quand même importants. Il faut dire que stature et là, nous retrouvons peut-être effectivement
cet enfant impossible de Rimbaud et Verlaine dans quelque chose qui a à voir avec sa tumeur du genou
cette même année rejoint quelque chose de la vingt ans plus tard. Enfin ici nous avons ce que nous
clinique, puisqu’on s’aperçoit que très souvent le voyons dans les maladies psychosomatiques, c’est
phénomène psychosomatique est en outre un effet de que dans le nom propre même du sujet, nous
trans-sexualisation du sujet. pouvons trouver un élément de ce qui anime le désir
Je voudrais dire aussi, pour terminer, mais là c’est du sujet et par dessus le marché, lorsqu’il y a rupture
tout à fait gratuit ce que je dis, n’empêche que le du nom propre, c’est è un moment donné précis que
destin a fait, nous savons que quelquefois le destin ça se fait et justement cette rupture du nom propre
est quelque chose de très troublant, il faut dire que semble se faire au moment des Voyelles.
Rimbaud a terminé ses jours à l’hôpital de La LES TRAVAUX-LES JOURS
Conception à Marseille. La seconde partie de ce Quarto XI contient un
Ç. GROMER : Oui, alors justement un certain nombre de travaux appréciables. Tout
hebdomadaire vient de publier un entretien avec d’abord, il convient de mettre en exergue le travail
Jean Genet où Genet déclare : "Oh que ma quille jusqu’ici réalisé à l’Enseignement de Clinique
éclate" $Oh que j’aille à _la mer " ! Psychanalytique pour cette demie année 82-83. Cette
Il y a en effet un truc, c’est que "Oh que ma quille proposition avait été détaillée et articulée par Eric
éclate", c’est le bateau qui dit ça, le Laurent le 9-10-82. Cinq questions sont adressées
Bateau ivre et en argot "quille", c’est la jambe, et aux analystes de psychotiques, cinq questions qui
quand il avait dix-sept ans, Rimbaud dit "Oh ! que sans cesse reviendront comme leitmotiv au travers
ma quille éclate" ou que ma jambe et on – lui coupe de l’examen des écrits de ces auteurs pour la plupart
la jambe au bord de la mer à l’âge de trente-sept anglo-saxons, dans l’analyse du déroulement et du
ans à Marseille, c’est tout ce que je voulais dire et maniement de leurs cures avec des patients
Genet ajoute : c’est qu’il y a, il semble, chez tout psychotiques. Quarto XII publiera les conférences de
homme, poète ou pas, poète ne veut pas dire grand E. Laurent (H. Segal), C. Vereecken (Fedida), S.
chose, mais chez tout homme, comme à un moment Cottet (Bettelheim).
donné quelque chose qui ressemble à un don A remarquer aussi, dans les pages qui suivent, le
prophétique sur soi que lui-même ne voit pas. " travail de S. André sur l’Éthique. Il est montré

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comment la mise en place par Lacan de ses quatre


discours a le poids éthique d’installer le discours
analytique dans le monde, de veiller à lui donner la
place qui lui revient.
Des psychotiques en analyse ? Les cinq questions

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Des psychotiques en analyse ? Cing questions


Éric Laurent
Après une première année consacrée à la phobie, spécificité de la psychose et ça a beaucoup de mal à
puis une deuxième consacrée à l’exposé des se diffuser dans la communauté des psychanalystes.
doctrines de Freud et de Lacan sur la psychose, cette Lorsque J. Lacan, – comme le rappelait A. ZENONI
année va être une année problématique. dans la présentation de cette conférence – en 1955,
Problématique à plus d’un titre mais en tout cas son dans son Séminaire sur les psychoses, commence
caractère en est marqué par l’énoncé même du titre par dire que son point de mire, c’est le traitement des
c’est-à-dire "Des psychotiques en analyse ?" puisque psychoses et quand il termine le dernier de ses
on ne peut pas se contenter simplement de faire séminaires de l’année, en disant dans la dernière
passer ça dans le ton. Des psychotiques en séance, la 25ème, qu’après tout, tout cela, tout son
analyse ! ? On pourrait aussi le dire comme ça. C’est effort était pour aider les psychanalystes à sortir des
une année problématique puisque nous allons nous paradoxes de la question du transfert dans la
écarter d’un appui réglé sur les textes de Freud et de psychoses et en indiquant que la voie d’approche par
Lacan, puisque apparemment, chaque séance sera contre-transfert était une voie en impasse. De poser
encadrée, sera lestée par le recours à un texte qui ainsi les choses en 1955, c’était absolument un
n’est justement pas d’orientation lacanienne. Nous travail aventurier. Il entraînait avec lui ceux qui
ne les avons pas choisi simplement pour constater suivaient son enseignement, sur des voies
qu’ils ne sont pas lacaniens bien sûr ! Nous n’allons absolument nouvelles. Par exemple, si vous lisez en
pas consacrer notre temps à vérifier qu’ils ne le sont français le livre de Herbert ROSENFELD, "États
pas. C’est une donnée de départ et c’est même pour psychotiques", vous verrez que la préface, qui est de
ça que, en tout cas à Paris, où cette année aussi pour 1976, puisque c’est en 1976 que le livre de
la prémière fois, la section clinique du département ROSENFELD est traduit en français, commence
de psychanalyse de Paris VIII consacre son ainsi : "La grande valeur et l’intérêt du livre de H.
enseignement, sous le même titre qu’à Bruxelles, à ROSENFELD, peuvent faire regretter qu’il ne soit
des psychotiques en analyse ? A Paris nous les avons accessible aux lecteurs français que dix ans après sa
choisis tous de langue anglaise parce qu’au moins publication originale. A quelques exceptions
nous étions sûrs qu’étant écrits dans la tradition marquantes près, en particulier chez les
anglo-saxonne au départ, les auteurs n’avaient psychanalystes d’enfants, la plupart des
aucune idée de l’enseignement de Lacan. A psychanalystes français doutaient jusqu’à ces
Bruxelles cette année, B cas seront de cette tradition dernières années, de la possibilité d’appliquer la
anglo-saxonne et 2 autres, FEDIDA et PANKOW, méthode psychanalytique au traitement des
eux, ont entendu un peu parler de Lacan. Mais on ne psychoses". Voilà comment en 1976, quelqu’un de
peut pas dire non plus qu’ils s’inscrivent en quoi que la tradition de l’Institut, qui bien entendu omet de
ce soit dans la tradition lacanienne. Donc nous les mentionner que les exceptions marquantes ça
avons choisis justement pour n’être pas laçaniens. s’appelle J. Lacan, doutait de la possibilité
Alors, c’est bien pour cela qu’il nous fallait une d’appliquer ça à…, que la psychanalyse soit d’un
certaine unité dans le disparate de ces auteurs. intérêt quelconque pour la psychose et comptait ça
Comment constituer l’unité, à la fois du corpus qui éventuellement comme élucubration du côté de la
réunit et l’unité des questions que nous allons leur psychanalyse des enfants pour ajouter une difficulté
adresser ? C’est pourquoi nous avons retenu 5 (la psychanalyse d’enfants elle-même, étant marquée
questions que nous poserons à chacun d’entre eux. de problématique). Autrement dit, ça reste en 1976
Avant d’en venir à ces 5 questions que nous une nouveauté et en 1982 tout autant ! Alors je dirais
poserons à chacun d’entre eux, je voudrais, au fond, que l’enseignement de Lacan était là-dessus
ayant souligné la continuité de l’effort de absolument novateur. D’ouvrir une voie vers le
l’Enseignement de clinique psychanalytique à traitement possible des psychoses. Le titre d’une
Bruxelles, souligner aussi la nouveauté de ce que question préliminaire à tout traitement possible
nous allons faire cette année : la nouveauté parce restait absolument l’ouverture d’un champ de travail
que le traitement psychanalytique des psychotiques pour ses élèves. C’est à partir, on peut dire, chez ces
reste une nouveauté. Ça reste la spécialité d’un élèves mêmes – je rappelle que ce qu’ils ont retenu
certain nombre de pionniers, qui ont leurs idées là- essentiellement de l’enseignement de Lacan, c’est la
dessus, voire même leurs convictions, sur la forclusion du Nom du Père. Et la forclusion du Nom

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du Père, c’est effectivement une construction 1976, où vous vous rappelez qu’il considérait que
lacanienne très élaborée dans laquelle Lacan toutes les formules qu’il avait élaborées
progresse avec beaucoup de prudence et de soin, et s’appliquaient absolument dans le champ de la
on le voit tout au long du Séminaire III des psychose et que c’était avec ses/ces mathèmes qu’il
psychoses, on voit comment se construit par étapes fallait opérer, l’autre était le séminaire consacré à
successives et qui ont été très bien démontées par Joyce, sous le titre "Joyce le Sinthome" dans lequel
J.A. Miller dans ses travaux, montrer la constitution il opérait un remaniement profond de son abord de la
avec soin et lenteur de la forclusion du Nom du Père, psychose. Autrement dit, on s’apercevait que tout
ce que ça impliquait pour Lacan. La nouveauté, face l’enseignement de Lacan ne se ramenait pas à la
à des doctrines de continuité entre névrose et forclusion. Car après tout, la forclusion, c’est un
psychose, a été de montrer une discontinuité mécanisme signifiant, ça porte sur un signifiant ! Et
fondamentale entre les deux. Avec le fait que le comme nous l’avons rappelé, je dirais que c’est un
refoulement est ce qui convient à la névrose et la thème constant depuis l’ouverture de cet
forclusion du Nom du Père ce qui convient à la enseignement de clinique psychanalytique à
psychose. Malheureusement, la forclusion a Bruxelles, toute l’œuvre de Lacan ne se ramène pas
fonctionné chez les élèves de Lacan un petit peu à l’instance de la lettre ! Toute l’œuvre de Lacan
comme le poumon chez les médecins de Molière, n’est pas simplement sur ce versant signifiant, il y a
c’est-à-dire tout ce qui se produisait, c’était la l’élaboration de l’objet dit "a" et que cet objet cause
forclusion ! Alors quoi qu’il arrive, c’était toujours du désir où s’inscrit la jouissance, obéit à de tout
le poumon qui était la cause de tout et du contraire autres règles de fonctionnement que le signifiant.
de tout. Alors il était évident qu’il y a eu un certain L’objet "a" ne représente pas un sujet pour un autre
"patinage" dans les conséquences de l’enseignement signifiant. Il est une présence et non pas une
de Lacan en ce qui concerne la psychose à propos de représentation, ce qui fait que l’abord nouveau de
ce traitement possible. Pour les élèves de Lacan, ce Lacan, (tout Lacan ne se ramenant pas à la
qui est publié vise à maintenir le traitement de la forclusion) a pour conséquence de tirer toute la
psychose comme possible. Le maintenir comme chaîne inductive possible de la mise en jeu de cet
possible, ça s’oppose à l’impossible du traitement objet "a". Néanmoins, Lacan n’a pas publié, même
freudien. Pour Freud en effet, c’était impossible de après le Séminaire sur "Joyce le Sinthome", il n’a
traiter le psychotique. Il l’a dit et répété. Dire que pas publié une question préliminaire au traitement
c’était possible, c’était signaler une nouvelle époque effectif de la psychose, il en est resté au traitement
de la psychanalyse. Seulement, paradoxalement, possible ! Parce qu’après tout, les deux indications
amener une doctrine de discontinuité entre névrose qu’il donnait de guérisons dans le cas de psychose,
et psychose avait l’air plutôt de donner une nouvelle qui étaient : l’une Schreber ; ce qu’il avait appelé la
forme de l’impossible au pont qu’encore récemment, stabilisation de la métaphore délirante chez
dans des discussions de lacaniens sur l’abord de la Schreber, qu’on appelle quand on se sert des
psychose, bien que la notion de lacanien, vous le modèles médicaux, on appelle ça une guérison ;
savez, est soumise à de grands remaniements ces l’autre pour Joyce, ce qu’il a appelé le raboutage de
dernières années, au point qu’effectivement tout le l’Ego, chez Joyce, ces deux indications ne sont que
monde est lacanien bien sûr, ça va de soi, il y a des des procédures de suppléance élaborées hors
lacaniens partout ! De l’institut psychanalytique à transfert.
Paris, une petite chose à Paris, jusqu’à l’École de la Flechsig n’a jamais été l’analyste de Schreber et la
Cause freudienne, il y en a partout. Enfin quand on langue anglaise n’a pas été l’analyste de Joyce. Ce
réunissait des gens sur la pertinence, des gens qui fait que nous avons maintenant des indications,
s’intéressant à l’enseignement de Lacan, certains se dans les derniers états de l’enseignement de Lacan,
rappelaient que pour eux, l’apport essentiel de sur une approche à partir de l’objet "a", qui nous
Lacan, c’était procéder de telle façon que dans les permettent de repenser ce qui va suppléer à la
entretiens préliminaires, on arrive à bien discerner la forclusion, dans le registre du signifiant, mais nous
psychose chez quelqu’un, la forclusion, pour surtout n’avons pas de description par Lacan d’un traitement
ne pas le prendre en analyse. Certains avaient retenu effectif de la psychose, chez ses élèves non plus.
ça, que c’était le point crucial. Évidemment, on Jusqu’ici, tout ce que nous avons eu, a été
pourrait tirer autre chose comme conséquence, mais effectivement, de même que la plupart des
c’était un enjeu de discussion et on sait que cet enjeu commentaires de ses élèves, d’ignorer la nouvelle
a été réglé par deux interventions de Lacan : l’une, logique du fantasme qui prenait le relais de
l’ouverture par J. Lacan de la Section clinique en l’instance de la lettre chez Lacan ? On a ignoré les

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nouveautés profondes, de même les commentaires des trésors cliniques, mais souvent exposés de façon
publiés étaient en général l’extension, l’exploration, brouillonne, en beaux exposés systématiques. Ce qui
souvent originale, d’une clinique de la forclusion et, fait qu’il a un peu délaissé les commentaires des
effectivement, bien des textes publiés montraient post-freudiens, de gens qui font peu de référence à la
combien par exemple des phénomènes classiques, tradition freudienne et nous verrons une des raisons
les phénomènes de CLEREMBAULT pouvaient être essentielles pour laquelle, dans le domaine des
éclairés à l’aide de la forclusion. Souvent psychoses, il en est ainsi. Nous avons aussi choisi
l’originalité des lacaniens dans ce champ a consisté ces textes, en collaboration avec la Section clinique
à faire la preuve de cela, point par point, et à faire de Paris VIII, pour qu’ils présentent un certain
valoir l’extension de la clinique de la forclusion. panorama sur les recherches actuelles du traitement
Néanmoins, nous n’avons pas eu de publication, effectif de la psychose. Alors il faut pour cela nous
dans une visée lacanienne, du traitement effectif, repérer avec quelques grandes lignes. Il y a une
qui, la plupart du temps, on le sait, se ramenait à une grande opposition qui structure actuellement tout le
doctrine. Dans les milieux d’analystes français, champ du développement de la psychanalyse. C’est
c’était "Comment leur fabriquer un corps ?" Le l’opposition entre les tenants de la relation d’objet et
traitement effectif se limitait en général, hors les tenants du narcissisme primaire. C’est simple et
psychanalyse, à des procédures livrées à l’invention robuste mais cela suffit à départager entièrement
de chacun, le contour Lépine, qui consistait, dans le l’ensemble des travaux de la communauté
temps, à Paris, en un concours d’inventeurs plus ou psychanalytique. On peut dire que l’opposition entre
moins délirants sur les objets de la vie pratique. kleiniens et anna-freudiens, qui était la grande
C’était à peu près ça, il y a un concours Lépine dans opposition dans les années 4o jusqu’à 50, est
les publications psychanalytiques, des "comment résorbée dans une opposition plus grande sur ses
restaurer les limites du corps à quelqu’un qui n’a pas tenants, entre ceux qui pensent qu’à l’origine le sujet
de corps". Évidemment, on peut le faire de est corrélé à un autre, par ce qu’on appelle la relation
différentes façons : le tremper dans l’eau, dans d’objet, c’est une relation de personne en
l’huile, lui faire modeler des images de terre glaise psychanalyse, et ceux qui pensent qu’à l’origine,
et lui faire souffler dessus pour insuffler la vie selon Freud, il y a un narcissisme primaire, et ceux
divine. On peut inventer beaucoup de choses qui pensent qu’il faut apprendre à connaître l’autre.
d’ailleurs qui ne sont pas toutes dénuées d’intérêt, Est-ce que l’autre est connu du départ ou est-ce qu’il
mais enfin c’était laisser le champ au traitement y a rencontre de l’autre ?
effectif hors psychanalyse. Dans cette année, On le sait, la différence a été essentielle entre M.
contrairement à un certain état qu’on peut tirer de KLEIN et A. Freud, puisque ça a été le point de
l’enseignement de Lacan, nous abordons dix départage qui faisait que pour Anna Freud, il n’y a
traitements effectifs psychotiques en tout, Des pas de transfert, par définition, dans la psychose,
psychanalystes qui estiment avoir procédé à un selon l’enseignement de S. Freud, puisque le
traitement effectif par des voies psychanalytiques. Et narcissisme primaire empêche toute relation à
c’est cela que nous allons soumettre au point l’autre, donc la régression narcissique empêche tout
d’interrogation. Alors, nous n’allons pas essayer transfert possible et c’est bien la difficulté. Pour
d’élaborer des règles d’une cure-type de la psychose Mélanie KLEIN au contraire, étant donné qu’il y a
selon on ne sait trop quelle lecture de Jacques Lacan. d’emblée un objet, l’analyste s’introduit comme
Nous allons procéder, comme il convient, cas par objet primordial et il y a d’emblée transfert. Ça c’est
cas, et en lisant des cas qui n’ont pas été commentés simple et d’autres ont compliqué la chose. Par
dans les séminaires du docteur Lacan. Ces cas sont exemple, le Middle Group anglais, BALINT,
tous effectivement, à proprement parler, des post- WINNICOTT, FEDERN, etc… se sont, sans être
freudiens. Les séminaires de Lacan se sont consacrés kleiniens, rangés du côté de la relation d’objet,
essentiellement à des commentaires des rangés du côté de ceux qui pensaient qu’il y a
contemporains de Freud. Freud est mort en 1939 et essentiellement une relation à l’autre. La
Mélanie KLEIN est une contemporaine de Freud. conséquence en est essentielle dans l’abord des
Ensuite, à partir des années 60, puisque psychoses puisque selon l’unité de ces analystes, la
l’Internationale s’est cru bon d’exclure de docteur psychose est essentiellement marquée par une
Lacan, celui-ci ne s’est plus tellement intéressé aux régression, mais ça n’est pas pareil si on pense que
publications de l’Internationale après 1964, il n’allait la régression va déboucher sur un solipsisme
pas leur faire leur travail à eux, c’est-à-dire de fondamental, sur un narcissisme primaire, ou s’il y a
transformer de petites trouvailles cliniques, souvent une voie de la régression, c’est BALINT, qui

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débouche au contraire sur une alliance renouvelée Ce qui fait que nous pouvons lire à la fois Freud, M.
avec l’autre. Il y a non seulement une régression au KLEIN, METZER, ELON, et saisir en quoi ça ne
narcissisme mais une régression bénigne, une s’oppose pas mais qu’il y a à proprement parler, non
relation bienfaisante qui permet de renouveler pas un développement kleinien, mais un
l’alliance à l’autre, et, à partir de là, les visées développement de la psychanalyse. C’est pour cela
d’intervention dans la cure, c’est-à-dire celles qui qu’après tout nous pouvons poser les mêmes 5
vont pousser à la régression, on a deux conceptions questions à des auteurs d’origines, d’écoles, de
différentes, une qui va les favoriser, une autre qui va doctrines extrêmement différentes, qui seraient
les fermer à tout prix. C’est ce qui fait que les surpris que nous rapprochions et que nous lisions
annafreudiens ont publié peu de cas de psychoses et ensemble leurs ouvrages. Alors la première question
dans la liste que nous avons, la majorité écrasante que nous allons leur poser est une question qui porte
est du côté de la relation d’objet avec des kleiniens sur le transfert puisque Freud avait insisté sur ce
qui sont de la deuxième génération comme Hanna point : que le transfert est impossible dans la
SEGAL, d’autres plus récents, comme TUSTIN et psychose. Quelle est donc l’opinion de ceux qui
METZER. A Paris, nous nous sommes intéressés à pensent avoir accompli un traitement effectif de la
des personnes du Middle Group, où bien encore, là psychose, sur cette question ? Je dirais que ce qui est
étaient retenues les conceptions d’Harold frappant, c’est que tous admettent le transfert, tous
SEARLES, bien américain mais se ralliant à se ceux qui sont dans la tradition anglaise vont
façon à lui, c’est ce qu’il appelle une symbiose remonter pour leur révélation de transfert dans la
thérapeutique essentielle innée avec l’autre, se psychose à l’article de M. KLEIN de 1946 "sur les
ralliant du côté de la relation d’objet. Il n’y a dans ce Schizoïd Mechanism" qui est standard et avec la
texte qu’à peu près Margaret MAHLER qui fut une doctrine de l’identification projective qui a fait
annafreudienne acharnée, qui a réussi le tour de apparaître la projection qui, normalement, paraissait
force d’élaborer avec des présupposés anna- le contradictoire de l’identification. A partir de ce
freudiens une théorie de la psychose. C’est un texte, M. KLEIN a réussi à faire apparaître
montage qui vaut le coup d’être lu parce que c’est un comment, dans la projection psychotique, il y a
montage absolument baroque. Sa conception d’une maintien d’une fonction sujet. C’est ça le prix
psychose piagétienne compatible avec les d’appeler ça identification projective. Il y avait
présupposés liés au développement du moi maintien, y compris dans ce qui paraissait venir à la
annafreudien. Elle a fait ça avec un grand luxe place de toute identification possible, d’une fonction
d’expérimentation et de crédits des fondations subjective. Je pense que vous verrez, lors de la
diverses. Ce sont des procédures expérimentales séance sur Margaret MAHLER, à quel point on peut
d’un luxe tout à fait américain. Je dois dire que cela se poser la question : "Est-ce que M. MALHER croit
restera comme un essai extraordinairement baroque vraiment au transfert ?" Elle y est bien obligée, dans
mais peu économique dans la description du sa pratique, comme le faisait remarquer Di
phénomène, car ne pas introduire l’autre d’emblée CIACCIA, lorsqu’à Paris nous avions une discussion
spécialement dans le domaine de la psychose, ça là-dessus, mais dans sa théorie, il est tout à fait sûr
devient très difficile. Après tout si nous insistons sur qu’elle y fait peu de place. En tout cas, c’est une
ce clivage entre les tenants de la relation d’objet et modalité du transfert très diaphane, par rapport à la
les tenants du narcissisme primaire et du place que lui font les auteurs kleiniens, qui ne fait
développement du moi, c’est que, pour nous, aucun doute que le transfert psychotique est une
lecteurs de Lacan, évidemment, cette différence est modalité extrêmement précise, extrêmement
complètement effacée parce qu’à notre insu, ce qu’a explorée du transfert sur laquelle on peut compter.
élaboré Lacan, c’est la constitution d’un objet Alors nous allons voir que, dans ces textes, il y a
freudien et que, lorsqu’il choisissait, comme titre aussi des nouveautés, que l’identification projective
d’un séminaire en 1956, "La Relation d’objet", de M. KLEIN pose des tas de questions sur ce qu’il
c’était pour montrer que loin d’être incompatible en est de la psychose et des phénomènes réels dans
avec l’enseignement de Freud, au contraire, ce qui la psychose. C’est ce qui fait que, par exemple,
apparaissait comme la nouveauté de l’époque, la quelqu’un comme Donald MELTZER a pu proposer
nouveauté anglaise, à lire Freud de la bonne façon, à la suite des travaux d’Esther Bigg, un mode
apparaissait parfaitement dans la logique freudienne. d’identification nouveau, et qu’il décrit comme
C’est ce qui fait que pour nous, à lire Lacan, nous absolument nouveau, dans la doctrine kleinienne,
oublions à quel point il nous a facilité la constitution l’identification non pas projective mais agglutinante
systématique d’abord de doctrines psychanalytiques. à l’autre. La séance qui y sera consacrée permettra

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de développer l’extension de cette nouveauté qui, en maintenir une tradition freudienne d’approche de la
particulier, a permis aux kleiniens de rendre compte psychanalyse sans avoir l’idée que la castration ait
de ce qui est extrêmement difficile pour eux : de une petite utilité dans l’approche de phénomènes
l’autisme. Contrairement aux anna-freudiens pour cliniques ! L’angoisse de castration y est considérée
qui l’autisme était au départ un narcissisme primaire, comme un truc pour les bébés, dès les choses
la difficulté, c’est de rendre compte de l’introduction sérieuses, il n’y a plus d’angoisse de castration ! Il y
de l’autre. Mais à partir du moment où on pense a l’angoisse de démantèlement, des angoisses de
qu’il y a un lien essentiel à l’autre, c’est l’autisme persécution, des angoisses de tout ce qu’on veut,
qui devient un problème. D’où la difficulté pour les mais ça, la castration, vraiment c’était autrefois.
kleiniens d’aborder l’autisme facilement, ils Alors, à part cette première question sur le transfert,
traitaient ça comme psychose de type nous allons leur poser à tous, une deuxième question
schizophrénique infantile et on voit que deux qui est : quelle est leur conception de
solutions ont été élaborées. La solution de TUSTIN l’interprétation ? Comment interpréter psychose ?
qui a fait nouveauté dans le mouvement kleinien, Parce que bien sûr, tous se sont aperçus que
parce qu’elle a essayé de traiter l’autisme d’une l’interprétation n’a pas le même statut dans la
certaine façon et la voie MELTZER qui, lui, propose psychose et dans la névrose. Spécialement
un concept nouveau, un mode d’identification l’interprétation puisque, on le sait, sur ce terrain, le
spécifique pour rendre compte, à l’intérieur d’une psychotique ne craint personne. Lorsque le
doctrine qui suppose l’autre dès le départ, d’un psychanalyste s’arrête, lui continue. Car le sans-
autisme primaire, voire même secondaire. Nous limite, le fait que la métonymie interprétative ne
verrons toutes ces différences, y compris ce que trouve jamais une métaphore pour s’arrêter, donne
SEARLES a appelé sa symbiose thérapeutique, qui un contexte tout à fait spécial à l’interprétation dans
est une modalité de transfert tout à fait originale, le cadre de la psychose.
bizarre, qui en vient, en quelque sorte, à dépasser le
Alors nous allons voir, pour ces auteurs qui sont
kleinisme sur la gauche. Vous savez que les
psychanalystes et qui, par exemple, ne se contentent
kleiniens avaient insisté, dans la psychose, pour
pas de supposer que la limite de l’interprétation
distinguer au-delà de la pure culture de la pulsion de
peut-être donnée par les limites du corps, nous allons
mort qu’était la psychose dans la tradition
voir comment ils 'arrangent du sans-limite dans la
freudienne, au contraire de décrire des procédures de
psychose. Nous verrons d’abord que les kleiniens
réparation, des tendances réparatrices. SEARLES va
l’affrontent avec une détermination qui fait souvent
beaucoup plus loin et ne se contente pas de la
le charme de leurs textes. Il interprètent à tout vent,
tendance réparatrice pour vous dire que ce n’est pas
avec, on le sait, cette conception spéciale de
assez, et considère qu’il y a une tendance innée, une
l’interprétation kleinienne, qui est que dans un récit
pulsion, à soigner l’autre. Ce qui est tout de même
de séance kleinien, c’est un dialogue où chacun parle
inouï. Mais SEARLES est un ironiste de première
à peu près autant que l’autre ; et en général,
grandeur et évidemment, ça doit être pris avec le
l’analyste parle un peu plus que l’analysant. Les
grain de sel. La séance consacrée à SEARLES
interprétations peuvent y faire deux pages de texte,
permettra de faire valoir cette modalité spéciale du
ce qui évidemment est très surprenant comme style,
transfert dans la psychose. Mais enfin tous
même par rapport au style freudien et ne parlons pas
admettent, c’est tout à fait un problème, de constater
du style lacanien où l’on sait que les analystes sont
cette extension du champ qui pose des problèmes
peu causants ! Mais c’est évidemment qu’à
avec le texte de Freud lui-même, et ce sont ces
considérer le langage comme un simple outil de
problèmes qui amènent souvent les auteurs à ne plus
transmission d’un message, on en vient à cette idée
faire référence pratiquement à Freud. En effet,
que pour donner du message, il faut de la
prenez par exemple le livre de SEARLES –
redondance et donc on peut étendre, puisque c’est à
SEARLES est un écrivain prolifique, trois livres de
coup de redondance qu’on peut faire passer de
600 p. chacun – il n’y a pas une fois le mot de
l’information. Il faut avoir une conception
castration prononcé, ça n’existe pas. De même, ainsi
strictement non-informative du langage pour
le constatait M. SILVESTRE, dans un volume
procéder à l’économie, à l’emploi rare des
intitulé "Dix ans de psychanalyse en Amérique" qui
signifiants, ce qui ne veut pas dire le non emploi !
dresse un champ clinique absolument épatant, il y a
Nous allons voir le style kleinien d’interprétation
un index précis comme dans tous les livres anglo-
tout à l’heure, à la façon dont H. SEGAL s’y prend,
saxons mais castration n’est pas à l’index, ça
une façon de faire très réglée, très impressionnante
n’existe pas ! Pourtant c’est très difficile de
par sa rigueur, c’est ce qui a fait, on le sait, le

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charme des kleiniens, ça a été leur volonté de chez les psychanalystes. Je dirais que quelqu’un
rigueur doctrinale et le fait de toujours vouloir savoir comme Margaret MAHLER n’a pas l’idée d’une
où ils en étaient. Et ça, c’est un éloge qu’on peut causalité psychique de la psychose. Je lirais ce
faire à tout le mouvement kleinien, c’est aussi cette passage : "Chez certains enfants, la poussée
volonté de construire une doctrine cohérente et maturative (c’est difficile à traduire sûrement, la
rigoureuse de l’abord des phénomènes situés dans traduction française n’est certainement pas parfaite)
une terra incognita. de la locomotion et d’autres fonctions autonomes du
Nous verrons aussi comment toute une série Moi apparaît alors qu’il n’est pas prêt à fonctionner
d’auteurs considèrent que l’interprétation ne suffit séparément de sa mère, produisant ainsi une panique
pas dans la psychose et qu’il faut procéder par organismique, dont le contenu mental ne nous est
d’autres voies que la voie interprétative. Nous pas directement accessible à cause de l’impossibilité
verrons comment l’image de WINNICOTT pour qui de l’enfant, encore au stade préverbal, de
l’interprétation, à un moment donné, devait laisser la communiquer. Cette panique ne se transforme
place au holding, est autre chose que de jamais en signal d’angoisse approprié mais garde
l’interprétation. Nous verrons comment Margaret son caractère de détresse organismique, aigu ou non,
MAHLER met en place des procédures éducatives, phénomène concomitant avec l’incapacité de
d’éducation à la causalité psychique. Nous verrons l’enfant d’avoir recours à l’autre, un petit, bien sûr,
aussi comment, au-delà de l’interprétation, les comme organisateur externe du Moi auxiliaire". Ce
tentatives de SEARLES pour s’identifier, à petit passage de Margaret MAHLER est, au fond, de
proprement parler, au symptôme du patient comme considérer que la psychose est une sorte de poussée
garant de l’authenticité de l’interprétation. biologique, maturative, qui développe certaines
fonctions du Moi, de façon telle qu’en quelque sorte,
La troisième question que nous poserons concerne le
le psychisme perd pied. Mais la cause n’est pas, à
symptôme et sa causalité : nous demanderons à
proprement parler, une cause interne à une causalité
chacun de ces auteurs ce qu’ils appellent "symptôme
psychique, mais un psychisme soumis à une poussée
psychotique". Est-ce que c’est un symptôme
biologique qu’il dépasse et, le point important, c’est
psychotique qu’ils abordent dans la psychanalyse ?
surtout que cette détresse organismique, qui rappelle
Est-ce que c’est ça même qu’ils visent dans
à ceux qui connaissent ça la réaction de catastrophe
l’analyse ? Nous verrons que là, c’est extrêmement
de GOLDSTEIN, tradition dans laquelle MAHLER
varié, c’est probablement l’aspect où, contrairement
avait été baignée, puisque c’est une viennoise, qui
à l’unanimité sur le transfert, nous verrons que
avait eu écho des travaux européens avant de partir.
chacun a son symptôme. Tous ont seulement un
Au fond, cette angoisse biologique ne se transforme
point d’accord : leur symptôme est non-freudien.
jamais en signal d’angoisse. N’accédant jamais au
C’est un autre symptôme que le symptôme freudien
signal, eh bien, en somme, nous avons là une
qu’ils décrivent. Chacun l’inventera : le rôle du
causalité qui se limite dans ce champ.
faux-self, par exemple, pour WINNICOTT ; les
rôles de symptôme de SEARLES, de symptôme Nous verrons aussi comment TUSTIN décrit une
kleinien, bionien ont à chaque fois une description conception fonctionnelle de la causalité. Ces
propre, une tonalité propre et qui est souvent différentes fonctions du Moi sont trouées dans le cas
difficile à cerner dans la mesure où il y a un certain de la psychose. Nous pourrons voir au contraire,
désintérêt pour le symptôme, remplacé par l’intérêt avec les auteurs kleiniens, une causalité psychique
pour le fantasme. Le fantasme est souvent décrit intégralement reconnue mais liée strictement au
avec beaucoup de luxe de détails alors que le monde interne, alors qu’avec d’autres encore,
symptôme est souvent considéré comme ayant peu comme par exemple BETTELHEIM, nous verrons
d’intérêt ou désignant meure des intérêts une cause strictement externe. Ça, c’est donc la
nosologiques suspects d’intérêts psychiatriques les troisième question.
plus banaux et manquant singulièrement d’intérêt La quatrième : nous leur demandons à chacun ce
pour l’aventure psychanalytique, désignant un qu’ils pensent de la fin de l’analyse. Si, après tout,
certain désintérêt de ce que Lacan appelait pour tous le transfert semble possible, nous leur
l’enveloppe formelle du symptôme. Nous tenterons demandons comment ils s’en sortent, s’ils
de les interroger tout de même sur cette enveloppe considèrent que l’analyse peut avoir une fin et nous
formelle. Et la causalité ? Alors, la causalité verrons là que chacun procède avec une grande
psychique de la psychose ou pas, vous savez que prudence. ROSENFELD, préfaçant son livre en
Lacan avait titré un de ses articles : "Propos sur la 1966, notait lui-même qu’il était beaucoup trop tôt
causalité psychique". Ça reste encore aussi très varié pour décrire actuellement, pour donner une idée de

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ce que peut être la fin d’un analyse avec les qu’est l’envers de la psychanalyse ? Nous verrons
psychotiques et, c’est à son honneur, il notait qu’il que pour beaucoup c’est très différent. Certains
fallait faire connaître les premiers résultats obtenus, veulent avoir affaire essentiellement à des
pour que ces psychotiques se maintiennent en institutions, d’autres au contraire à de psychiatres
analyse, pour éviter que ça s’arrête. Au moins que ça strictement, introduisant un lien individuel, certains
continue, on verra après effectivement quelle peut souhaitent une institution de type bonne mère,
être la fin. Et il faut bien dire que les auteurs les plus maternante, d’autres des institutions plutôt sévères,
raisonnables ne font pas dans l’exaltation certains souhaitent le recours aux médicaments et
thérapeutique. Ce qu’ils constatent, c’est qu’ils sont aux psychotropes en général, d’autres se l’interdisent
ralliés autour d’un vœu, il faut que ça continue. Par absolument.
exemple, H. SEARLES nous fait part d’un cas qu’il Nous verrons qu’il y a dans cette série une
soigne depuis 24 ans, lors des dernières publications conception du point de vue du psychanalyste, de ce
données, ça continue, donc ça fait peut-être plus de qu’est l’envers de la psychanalyse, et la construction
24 ans qu’il voit cette personne. Elle est aussi folle à d’une figure, d’un maître des psychoses, qui est
la fin qu’au début, une paraphrénie confabulante qui différente selon chacun de ces cas.
est tout à fait maintenue à la fin comme au début.
Voilà donc les cinq questions que nous poserons
Mais évidemment avec une pacification du
comportement. D’ailleurs on sait, de tradition ∠ cinq questions au moins, c’est cinq questions
psychiatrique, que les paraphrénies sont souvent ∠ et cinq seulement, cinq et pas quatre
compatibles avec un comportement assez paisible et
∠ mais il faudrait que nous nous efforcions au long
que les délires absolument fantastiques peuvent être
de cette année pour nous-mêmes, de résoudre ces
enkystés, laissés de côté, permettre une activité après
questions, point par point, cas par cas. Ça nous
tout qui a l’air de ressembler à celle de tout le monde
éclairerait, je veux dire à nous-mêmes, beaucoup sur
c’est-à-dire qui est exactement la même que tout le
bien de ces questions et permettrait de reprendre
monde. Pour ce qu’on nous demande, il faut bien le
aussi bien des points qui, dans le mouvement
dire, en général, ça suffit largement. Alors je dirais
lacanien, étaient restés un petit peu en suspens.
que pour la fin de l’analyse, la tonalité générale,
c’est une grande prudence, mais il faudrait demander ∠ (transcrit au départ de l’enregistrement par I. et
à chacun d’entre eux, précisément ce qu’il estime J.P. Gilson, non revu par l’auteur).
être, dans la mesure où tous procèdent avec – à part
les magiciennes, les thaumaturges qui lancent des
bulletins de victoire : on les a tous guéris ! Il y a
surtout toujours certaines grandes dames de la
psychanalyse qui ont tendance à un peu jouer la
fonction de l’oracle de Delphes, de considérer que
tout va bien, qu’il n’y a pas de souci à se faire et
finalement on peut toujours arriver à croire au Père
Noël. Alors cette façon évidemment contraste, je
crois, pour tous les auteurs retenus, avec une grande
prudence et simplement le jeu affirmé par tous, que
ça continue. Ce qui évidemment est une conception
triste de la fin d’analyse, ça, que ça continue.
Alors enfin la cinquième question que nous allons
leur poser : tous ces psychanalystes ont recours, en
général, à un moment donné de cures de longue
durée de psychotiques, à l’envers de la
psychanalyse, c’est-à-dire qu’ils ont recours aux
maîtres. Ce qu’on appelle les décompensations qui
se produisent en cours d’analyse, c’est-à-dire le
moment où le discours psychanalytique n’arrive plus
à fournir la métaphore délirante de relais et qu’à un
moment donné il y a effondrement, puisque ces
auteurs utilisent le terme de "break-down" la plupart,
Lui le confient-ils ? Quelle est leur conception de ce

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Sur l’éthique ou de l’exclusion du psychanalyste


Serge André
Il y a un point sur lequel on peut dire que l’œuvre de jouissance, déborde le cadre de la technique et
Jacques Lacan a abouti à une sorte d’achèvement : soulève la question d’une éthique des participants à
c’est celui du statut à donner à la pratique qui est la de discours – c’est dire, notons-le, aussi bien d’une
nôtre. Qu’est-ce qu’une psychanalyse ? Coupant éthique de 1/analysant que d’une éthique de
court à l’interminable débat entre partisans de la l’analyste. Quelle est l’éthique qu’implique le
thérapeutique et partisans de la didactique, Lacan en discours de l’analyste ? Du côté de l’agent de ce
arrive à l’essentiel, lorsqu’il dit : c’est un discours. discours, c’est-à-dire du psychanalyste, Lacan nous
Et il n’y va pas par quatre chemins – ou plutôt si : il donne une indication de réponse – plutôt ironique –
n’y va que par quatre chemins – puisqu’il désigne le dans Télévision – ce texte tout entier appuyé sur les
discours analytique comme un des quatre qui ont de quatre discours. Il dit y attendre du psychanalyste
toujours structuré les relations humaines. A ce titre, qu’il soit un saint en précisant immédiatement qu’il
les discours prennent, dans son enseignement, le ne s’agit pas de celui qui impose le respect (souvent
relais de ce qui avait jusque-là servi à repérer la posthume d’ailleurs), mais de celui qui se fait "le
situation intersubjective, à savoir le schéma L. rebut de la 'puissance".
Quatre petites lettres et quatre places – comme il y Comment Lacan en est-il arrivé à désigner ainsi la
en avait déjà quatre dans le schéma L – y suffisent à place de l’analyste ? C’est à cette question –
cerner le champ du langage, tandis que la fonction préliminaire nécessaire à toute interrogation sur
de la parole s’insère par la position que le sujet peut l’éthique de la psychanalyse – que je vais consacrer
y occuper de choisir telle ou telle de ces structures. mon exposé de ce soir. Je vais donc me demander
Mais aussi les discours modifient la partie de cette d’où vient la notion d’un discours de l’analyste dans
relation intersubjective en ce sens que l’accent n’y l’œuvre de Lacan, et ce qu’elle implique comme
est plus tellement mis sur la relation de position vis-à-vis de l’inconscient. Ce faisant, le
reconnaissance que le sujet y attend de l’Autre, mais chemin que je vous invite à parcourir n’est autre que
plutôt sur le produit de cette relation, c’est-à-dire sur celui de la chose freudienne – terme central du
le peu de jouissance qu’ils en tirent au passage. Séminaire de 1960 sur l’Éthique, qui devient ensuite
Parler n’est plus dès lors à considérer tant comme le la cause dans le Séminaire sur les 4 concepts en
pacte d’une solidarité où chaque partie de 1964, pour adopter enfin, en 1969, dans les 4
l’interlocution aspirerait à se faire reconnaître discours, le statut du plus-de-jouïr 1 . Ces trois étapes
symboliquement que comme le lieu où chacun se sont marquées par trois approches successives de
fait le prolétaire d’un langage qui ne travaille que l’objet a qui est au cœur de mon questionnement :
pour cette énigmatique plus-value : la jouissance du dans le registre de rte en 1960, dans celui de la
chiffrage. Que font-ils de cette jouissance, les êtres trouvaille en 1964, dans celui du produit en 1969.
humains ? Ils s’en arrangent comme ils peuvent,
C’est à restituer ces termes dans leur tranchant et à
c’est-à-dire selon les quatre modes qu’énumère
établir leur dialectique que l’on pourra, à mon sens,
Lacan : celui du maître, celui de l’hystérique, celui
reprendre la question de l’éthique de la psychanalyse
de l’université (ou du capitaliste), celui de l’analyste
à laquelle je ne ferai ce soir qu’une petite
enfin. Le discours de l’analyste, dans cette suite, se
introduction.
présente comme un fait nouveau : nouveau mode de
lien social, donc nouvelle façon de prendre position En novembre 1969, à la première séance du
par rapport à cette jouissance qui pleut du langage séminaire qu’il intitulait encore, à ce moment, "la
sur l’être humain. psychanalyse à l’envers", Lacan sort tout à coup de
son chapeau les quatre discours.
Qu’il y ait ainsi du nouveau possible dans le lien
social, implique que l’on se tienne à la structure qui 1
le conditionne : qu’on s’y tienne, veut dire d’abord Évolution dont on notera l’homogénéité avec une réflexion qui figure déjà
dans "L’instance de la lettre" en 1957 : "Allons-nous serrer dans le langage
qu’on manœuvre pour la mettre en place, et ensuite la constitution de l’objet, nous n’y pourrons que constater qu’elle ne se
que l’on se cantonne à la position qui s’y avère rencontre qu’au niveau du concept, bien différent d’aucun nominatif, et
que la chose, à se réduire bien évidemment au nom, se brise en ce double
opératoire. C’est ici que l’on rejoint la dimension de rayon divergent de la cause où elle a pris abri en notre langue et du rien à
l’éthique. En effet la mise en œuvre du discours qui elle fait abandon de sa robe latine (rem)" (Écrits, 498).

analytique mettant en jeu le rapport du sujet à sa

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Il le fait sans donner beaucoup de précisions sur les Le ton de cette leçon est d’abord solennel. Lacan
raisons qui l’amènent à cette invention ; il se réfère annonce qu’il va parler des "fondements de la
simplement à la notion qu’il a avancée l’année psychanalyse", pas moins ; mais il éprouve, pour ce
précédente, dans son séminaire "D’un autre à faire, la nécessité de se présenter tout d’abord à son
l’Autre" d’un discours comme structure stable et nouveau public, car les circonstances font qu’une
permanente à poser au-delà de la parole question préalable est ouverte : en quoi est-il
occasionnelle, et au texte "De nos antécédents" autorisé à traiter ce sujet ? En effet, il vient de se
(1966) qui introduit la deuxième partie des Écrits, démettre de la fonction d’enseignement qu’il
texte dans lequel il situe l’idée qu’il se fait de l’acte assumait à la société française de psychanalyse,
analytique comme une "reprise par l’envers du après avoir été l’objet, de la part de cette société et
projet freudien" (E. 68). de l’internationale à laquelle elle est affiliée, d’une
Ça m’a inspiré l’idée de chercher dans les textes et mesure qu’il n’hésite pas à comparer à
séminaires des années précédentes les traces qui l’excommunication majeure, au kherem accompagné
témoigneraient de ce que la mise au jour des quatre du chammata dont SPINOZA avait été frappé trois
discours en 1969, constitue le moment de conclure siècles auparavant.
d’une réflexion amorcée depuis longtemps. Et, en Remarquons bien que si Lacan évoque ces
effet, il m’est apparu que le point de départ de cette événements sur un ton que je disais solennel, ce
réflexion remonte à avant 1966. J’ai d’abord cru n’est nullement pour frapper les cœurs de son
qu’il fallait le situer dans l’article de 1965 qui est auditoire, ni pour glisser dans l’anecdote, voire la
repris dans les Écrits sous le titre "la science et la politique des institutions analytiques, mais c’est
vérité" et qui constitue la première leçon du parce que ces événements concernent et les
séminaire sur "l’objet de la psychanalyse". En effet, fondements de la psychanalyse et le position de
on trouve dans cet article, une structuration à quatre psychanalystes, et que c’est donc finalement en
pôles, quatre pôles qui permettent de discerner raison même des dits événements que Lacan se
quatre types de relation à la vérité et au savoir, et, trouve autorisé à traiter des concepts fondamentaux.
par conséquent, quatre positions du sujet. Ces quatre En effet, il nous dit deux choses : 1) qu’il a été
modalités de la structure, vous le savez, Lacan les excommunié, 2) qu’il a été négocié, et qui plus est,
désigne là comme : la magie, la religion, la science négocié par certains de ses élèves et analysants.
et la psychanalyse. Et il est clair, j’y reviendrai dans
De ces deux constats, il tire deux questions :
un instant, qu’il y a là comme une préfiguration des
quatre discours. 1) s’il a pu être frappé par une mesure
(l’excommunication) qui n’existe sous cette forme
Mais en continuant à chercher, je me suis aperçu que
que dans une communauté religieuse, il y a lieu de
l’origine du mouvement d’élaboration qui aboutit
se demander si la communauté psychanalytique est
aux quatre discours est encore antérieure à "la
une Eglise, ou en tout cas il y a lieu de dégager "ce
science et la vérité". Je crois qu’on peut le fixer,
qui en elle peut bien faire écho à une pratique
exactement, au mois de janvier 1964, c’est-à-dire à
religieuse" (Séminaire XI, 10).
ce moment – vraiment pas quelconque – où Lacan
reprend la parole après que son séminaire sur les 2) D’autre part, s’il a pu être négocié par certains de
Noms-du-Père ait été interrompu. Ce moment ses élèves, cela pose la question de ce qui fait l’enjeu
inaugural nous est livré dans la transcription de la d’une psychanalyse didactique. En effet, qu’il ait été
première leçon du séminaire sur "les quatre concepts négocié
fondamentaux de la psychanalyse", que je vous – situation qui n’est pas rare, fait-il remarquer,
propose maintenant de démonter, de déconstruire, puisque la structure sociale est l’échange (Séminaire
afin d’en faire ressortir la logique. Plus exactement, XI, 10) – met au jour une vérité qui jusque-là était
ce sont les quinze premières pages de cette leçon qui voilée, à savoir qu’il a été désigné par ses élèves
nous intéressent 2 . dans sa position d’objet

2
– d’objet d’échange, et finalement d’objet, rejeté du
En réalité, ces réflexions sur le statut de la psychanalyse dans le champ de lien social qui formait la société des psychanalystes.
la praxis remontent, bien entendu, au séminaire sur l’Éthique de 1960. On
y notera particulièrement, dans la séance du 3 février 1960, une première Dès lors la question : comment est-il possible que
ébauche de classification que Lacan articule en distinguant la science, l’art des analysants aient pu participer à une telle
et la religion : la science comme forclusion de la chose, l’art comme
refoulement de la chose, et la religion comme évitement de la chose. négociation ? – se pose avec une autre résonnance :
Remplaçons le terme de chose par celui de cause et le pont est ainsi jeté ce mode de rapport de l’analysant à l’analyste ne
entre ce séminaire et l’article sur "la science et la vérité".

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serait-il pas qu’un effet même de la praxis Quant aux sciences humaines et à la "revendication
psychanalytique ? herméneutique" qui les supporte, et par quoi elles
Par conséquent, il faut se demander ce qu’est cette sont proches de la religion, elles ne nous intéressent
praxis et en quoi elle se distinguerait des autres que par le biais d’un malentendu, car l’interprétation
formes de praxis. en psychanalyse n’est pas du tout à concevoir dans
le même sens que l’herméneutique, celle-ci étant
C’est avec cette question, à la page 11 du séminaire,
toujours à la recherche d’une signification. Là aussi,
qu’il amorce la deuxième partie de la leçon. Qu’est-
la cause de la recherche est donc masquée, habillée
ce qu’une praxis ? "C’est le terme le plus large pour
de signification (bien que l’herméneutique de son
désigner une action concertée par l’homme, quelle
côté puisse se nourrir de l’interprétation analytique).
qu’elle soit, qui le met en mesure de traiter le réel
par le symbolique. Qu’il y rencontre plus ou moins Sur le versant de la science, que constatons-nous ?
d’imaginaire ne prend ici que valeur secondaire" D’abord que la science se spécifie d’avoir un objet,
(Séminaire XI, 11). défini par l’expérience, – et c’est en quoi on peut se
demander si la psychanalyse est une science.
Il va donc, avec la psychanalyse, passer en revue
Cependant, l’objet de la science est un objet
certaines modalités dénommables de la praxis et les
changeant : l’objet de la physique moderne n’est pas
y comparer ; il désigne ainsi d’emblée deux points
le même que celui de la physique du 17ème siècle,
de référence : la religion et la science, et, comme on
pas plus que celui de la chimie contemporaine n’est
va le voir., chacune va se diviser puisque, dans le
le même que celui de LAVOISIER. Dès lors, nous
cadre de sa réflexion sur la religion, il va introduire
ne pouvons nous en tenir à la notion de l’expérience
un passage sur les sciences humaines et
pour définir le champ de la praxis que nous appelons
l’herméneutique, tandis qu’à propos de la science, il
la science, car l’expérience ne consacre que ceci :
s’interrogera sur le statut de l’alchimie.
que l’objet, dans la science, c’est ce qui s’échappe.
Mais, avant tout, Lacan pose un pion capital par
Une autre façon d’appréhender ce qui est une
lequel il désigne d’emblée l’originalité de la
science afin d’interroger ce qu’est l’analyse, c’est de
psychanalyse dans le champ de la praxis. Il dit : "Je
la saisir par le biais de son langage. Une science, en
voudrais tout de suite éviter un malentendu. On va
effet, comporte toujours cette dimension qui est "la
me dire – de toute façon, la psychanalyse, c’est une
mise en formules" dit Lacan. Cependant il ajoute
recherche (…) Pour moi, je ne me suis jamais
aussitôt que ça ne suffit pas à définir la science car,
considéré comme un chercheur. Comme l’a dit un
dit-il, "une fausse science, comme une vraie peut
jour Picasso, au grand scandale des gens qui
être mise en formule"(Séminaire XI, 15).
l’entouraient –" je ne cherche pas, je trouve
"(Séminaire XI, 12) (je souligne). Il faut donc, si nous voulons répondre à la question
de savoir si la psychanalyse est une science (sous-
Et, au fond, c’est là le thème central du séminaire
entendu : plutôt qu’une religion), nous demander
qui est annoncé : en effet, si les quatre concepts
deux choses : 1) qu’est-ce qui motive et module ce
fondamentaux de la psychanalyse sont l’inconscient,
glissement de l’objet dans la science, et comment se
la répétition, le transfert et la pulsion, c’est parce que
présente-t-il dans l’analyse ? et 2) quelle est la
tous les quatre s’organisent autour d’un manque
portée des formules et des concepts en
central qui est l’objet de la psychanalyse et qui est la
psychanalyse ? (Y a-t-il là un phénomène d’ordre
cause même du sujet : cet objet petit a qui fait
scientifique, ou plutôt "le maintien presque religieux
traumatisme dans la chaîne signifiante et auquel le
des termes avancés par Freud"(Séminaire XI, 15).
psychanalyste doit tenter de se faire équivaloir pour
que l’expérience de l’analyse soit, pour le sujet qui De plus, ce questionnement de la notion de science
s’y livre, de l’ordre de la trouvaille. soulève un autre problème qui intéresse directement
la praxis analytique, problème que Lacan illustre en
Par contre, dit Lacan, il y a une affinité entre la
posant la question du statut de l’alchimiste.
recherche qui cherche (c’est-à-dire qui ne trouve
L’alchimie est-elle une science ? Après tout, elle se
pas) et la religion, car si l’on dit couramment dans la
définit par un certain type d’expérimentation et par
religion "tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais
un certain maniement de la formule. Qu’est-ce qui,
déjà trouvé", le "déjà trouvé" est toujours derrière,
alors, nous fait dire tout de suite que l’alchimie n’est
frappé par quelque chose de l’ordre de l’oubli
pas une science ? "Quelque chose à mes yeux est
(Séminaire XI, 12). Cet oubli du trou, c’est-à-dire
décisif, dit Lacan, que pureté de l’âme de l’opérateur
cet oubli de ce qui cause la recherche, fait de la
était, comme telle, et de façon dénommée, un
religion une recherche complaisante et indéfinie.
élément essentiel en l’affaire"(Séminaire XI, 14).

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Or, la pureté de l’âme de l’opérateur, voilà au cœur de la démarche de la religion aussi bien que
précisément une question qui se pose de manière de celle des sciences humaines qui se développent
aiguë dans la praxis qu’est la psychanalyse. Mais comme des recherches indéfinies puisqu’elles
est-ce que c’est en ces termes que doit être défini ce refoulent ce qui serait à découvrir, qu’elles masquent
qu’on attend d’une psychanalyse didactique ? "Que leur cause. La psychanalyse s’oppose à ces formes
doit-il en être du désir de l’analyste pour qu’il opère de recherches dans la mesure où sa visée n’est pas
de façon correcte ?"(Séminaire XI, 14) "Ce désir, de chercher, mais bien de trouver – la jonction de la
est-ce quelque chose du même ordre que ce qui est trouvaille recoupant celle de la cause du désir
exigé de l’adepte, de l’alchimiste ?"(Séminaire XI, inconscient, donc de l’objet a qui fait le véritable
14). En tout cas, il doit être interrogé – et donc, sur ressort de l’interprétation.
ce point la psychanalyse se distingue de la science La mesure dont Lacan a été frappé peut donc
moderne où les questions d’un OPPENHEIMER sur s’analyser comme une figure du discours du maître :
le désir du physicien font vraiment exception. Et si le commandement de l’IPA – en position de maître –
vous connaissez le Séminaire sur les quatre sur la SFP, aboutit à ce que soit mis entre
concepts, vous savez que ce "désir de l’analyste" parenthèses l’objet même de l’expérience
constitue pour Lacan le point vers lequel l’analyse analytique :
doit être menée, puisque c’est lui, le désir de
l’analyste, qui permet au transfert de virer en une S1 (IPA) S (SFP)
→ 2
deuxième boucle qui permet à l’analyse de ne pas S (…)
rester bloquée sur une identification à l’analyste. Ce
que formalise le schéma de la page 224 du Excommunier Lacan, le frapper d’oubli, comporte
Séminaire Livre XI : 3 une conception religieuse de l’analyse en ce sens
que si un enseignement comme le sien peut être
banni, ce n’est qu’au nom d’une conception qui fait
de l’analyse une recherche condamnée à ne pas
trouver, donc d’une conception où l’interprétation se
ramène à une herméneutique. A cela Lacan oppose
que l’analyse doit aller dans le sens de la trouvaille,
qu’elle doit viser ce qui fait trou dans les
Enfin ces cinq pages de méditation au sommet, si je
significations : c’est ce trou qui est opératoire dans
puis dire, se concluent par le repérage d’un autre
l’analyse. Et c’est parce qu’elle se fixe ainsi son
trait propre à la praxis de l’analyse : il ne s’agit pas
objet que la psychanalyse est plutôt science que
dans l’analyse de "retrouver dans un cas le trait
religion.
différentiel de la théorie, et de croire expliquer avec
pourquoi votre fille est muette" dit Lacan (Séminaire 2) La négociation dont Lacan a été l’objet vise à
XI, 15), "ce dont il s’agit, c’est de la faire obtenir son rejet (au sens de forclusion). Cependant
parler"(Séminaire XI, 16). Autrement dit la pratique ce qui est ainsi rejeté, sous prétexte de règlements
analytique vise, non pas à vérifier et à faire institutionnels ou d’un formalisme de la cure, c’est
fonctionner la structure de l’inconscient, mais bien à le désir même des sujets qui participent à cette
la faire changer – et c’est en quoi, comme je le négociation et, au-delà, le désir des sujets qui
montrerai tout à l’heure, le discours analytique est participent au processus analytique. Un tel rejet
l’envers de l’inconscient. amène Lacan à s’interroger sur les rapports de la
psychanalyse à la science. Si la psychanalyse veut
Résumons-nous et mettons en ordre les termes que
être une science, ce ne peut être qu’une science
nous avons jusqu’ici soulignés. Lacan partant de ce
véritable, c’est-à-dire une science dans laquelle la
qui l’a amené à démissionner de la SFP, se présente
subjectivité, le désir du savant, n’est pas mis à
à son nouveau public sous deux signifiants : il est
l’écart du champ de l’expérience. De même que la
excommunié et il est négocié. Chacun de ces deux
pureté de l’âme de l’alchimiste, le désir de l’analyste
termes entraîne une suite de réflexions sur la
est une condition primordiale de l’expérience
situation de la psychanalyse dans la praxis :
analytique dans la mesure où cette expérience ne
1) l’excommunication vise à l’oubli (on veut oublier vise pas à vérifier le fonctionnement d’une structure,
Lacan) ; cette fonction de l’oubli est ce qu’on trouve mais bien à la modifier.
3 Ainsi, négocier Lacan, c’est-à-dire le traiter comme
J’ai commenté et développé ce schéma du huit intérieur comme figure du
transfert dans mon article "Le transfert de Lacan" (Cahiers Litura publiés un objet à rejeter, ne peut se faire qu’à négliger ce
par Ornicar, série Analytica n°27). que comporte la position subjective de l’analyste à

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quoi doit mener une analyse dite didactique, à savoir par ailleurs à s’en préserver, à se mettre hors de son
le désir de l’analyste. atteinte par toutes sortes de précautions, à
Ici encore, c’est la figure du discours du maître qui commencer par celle qui consiste à nier qu’il soit
permet de formaliser le processus dans lequel Lacan pour quelque chose, subjectivement, dans
et ses élèves se sont trouvés pris ; mais cette fois l’expérience qu’il dirige. Par conséquent, la
c’est sous l’aspect de la mise à l’écart de la psychanalyse ne peut être totalement réductible à la
subjectivité de l’analyste que le mot d’ordre de science, car elle implique un au-delà de la science :
l’IPA se fait remarquer : elle doit prendre en compte l’action du désir de
l’analyste dans l’expérience, et c’est précisément par
S1 S2 ce côté où elle s’écarte de la science qu’elle expose

(…) a au risque de basculer du côté de la religion et de
On voit qu’à travers ces deux opérations l’église.
d’excommunication et de négociation, c’est à la Toutefois, elle n’encourt effectivement ce risque que
structure du discours du maître que Lacan se dans la mesure où elle se laisserait gagner par
mesure : le commandement de l’IPA à la SFP se l’imposture qui est propre à la religion, à savoir
présente pour le psychanalyste membre de l’oubli qui y frappe la dimension de l’opératoire,
l’association et élève de Lacan, d’un côté comme c’est-à-dire, pour la religion, la dimension du
une censure de son produit, de son rejet : sacrement 4 : "Demandez aux fidèles, voire aux
prêtres – qu’est-ce qui différencie la confirmation du
S1 S2
→ baptême ? – car enfin, si c’est un sacrement, si ça
S ()
opère, ça opère sur quelque chose, là où ça lave les
, et de l’autre comme une mise à l’écart de son péchés, là où ça renouvelle un certain pacte – j’y
désir : mets le point d’interrogation, est-ce un pacte ? est-ce
autre chose ? qu’est-ce qui se passe par cette
S1 S2
→ dimension ? – dans toutes les réponses qui nous
() a
seront données, nous trouverons toujours à
On notera que cette réflexion sur la position de la distinguer cette marque, par où s’évoque l’au-delà
psychanalyse par rapport à la science et à la religion, de la religion, opératoire et magique. Nous ne
se trouve reprise dans la dernière séance du pouvons évoquer cette dimension opératoire sans
séminaire – qui se trouve donc encadré par ce nous apercevoir qu’a l’intérieur de la religion, et
questionnement. En effet, aux pages 237 et 240, pour des raisons parfaitement définies – séparation,
Lacan boucle la boucle puisque c’est, de nouveau, impuissance, de notre raison, de notre finitude –
après avoir rappelé l’obligation où il a été de c’est là ce qui est marqué de l’oubli". (Séminaire XI,
suspendre son enseignement sur les Noms-du-Père, 239).
qu’il revient à la question de ce qui assure la praxis L’analyse, elle, n’a rien à oublier "car elle
analytique. "Comment nous assurer que nous ne n’implique nulle reconnaissance d’aucune substance
sommes pas dans l’imposture ?"(Séminaire XI, 237) sur quoi elle prétende opérer, même pas celle de la
– ce terme d’imposture lui paraissant désormais le sexualité"(Séminaire XI, 239). Si elle implique un
plus propre à qualifier ce dont il s’agit dans les au-delà de la religion, c’est donc avec la précision
rapports de la psychanalyse avec la science et la que cet au-delà est parfaitement vide, qu’il est la
religion. Car il y a, tant dans la science que dans la béance même que produit le discours dans son
religion, une imposture, un escamotage : un défilé, comme le cri produit le silence sur fond
escamotage du sujet du côté de la science – qui fait duquel il résonne.
donc surgir la nécessité d’un au-delà de la science –,
L’année suivante, dans "La science et la vérité",
un escamotage de l’objet dans la religion – qui fait
Lacan reprend cette question du statut de la
surgir la nécessité d’un au-delà de la religion.
psychanalyse dans le champ de la praxis et, cette
D’un côté, "c’est pour autant que la science élide,
élude, sectionne un champ déterminé dans la 4
De même que dans le Séminaire livre XI, Lacan distingue l’alchimie de la
dialectique de l’aliénation du sujet, c’est pour autant science, dans son article sur "la science et la vérité", il fera la différence
entre la magie et la religion. L’alchimie accentue ce que rejette la science :
que la science se situe du point précis que je vous ai le désir de l’opérateur ; la magie met au premier plan ce qu’escamote la
défini comme celui de la séparation, qu’elle peut religion : la dimension de l’opératoire. Il n’est pas besoin d’une longue
enquête pour observer dans le milieu analytique les témoignages de
soutenir le mode d’existence du savant, de l’homme pratiques qui relèvent de chacun de ces pôles ; on peut dire qu’il y a des
de science"(Séminaire XI, 238). L’homme de pratiques scientifiques, alchimiques, religieuses et magiques, de la
psychanalyse. Lacan tente de nous donner les repères qui nous permettent
science, en effet, s’il repère bien son objet, s’astreint de dépasser ces alternatives.

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fois, il parvient à poser une structuration qui nous pour conséquence que sa communication est tout à
rapproche un peu plus des quatre discours, puisque fait problématique.
c’est une structuration à quatre pôles et à quatre Et à chacun des pôles ainsi définis, Lacan fait
variables. correspondre un sujet spécifique et un mode de lien
Les quatre pôles de la praxis sont : la magie, la entre sujets de la même praxis.-Le sujet de la magie,
religion, la science et la psychanalyse ; et les quatre le chaman, doit se soumettre à une mise en état
variables qui interviennent de manière différente préalable à son opération (on retrouve ici la question
dans chacun de ces pôles sont : le statut de la vérité de la pureté de l’âme de l’opérateur) : le chaman doit
dans sa fonction de cause, le statut du savoir, le se recouper de la nature sur laquelle il veut opérer, il
statut du sujet et le mode de transmission du savoir, doit donc s’alléger de son support corporel, se rendre
donc le mode de lien social qui en résulte (ce qui le plus transparent possible afin que le signifiant
constitue un élément nouveau qui prendra ensuite le puisse agir sans qu’il y fasse obstacle ; c’est en
premier rang dans les quatre discours), on somme le sujet en tant que refoulé sous la barre du
remarquera en passant qu’il y a un terme qui ne signifiant agissant. Le lien qui se noue entre deux
figure plus dans cette reprise, c’est celui de sciences sujets, à l’intérieur de cette praxis, n’est autre que le
humaines – que Lacan "exécute" en passant : "Il n’y principe même du commandément en tant qu’il est
a pas de science de l’homme, ce qu’il nous faut effet du signifiant sur le sujet.
entendre au même ton qu’il n’y a pas de petites ∠ Le sujet religieux se ramène, pour Lacan comme
économies. Il n’y a pas de science de l’homme, pour Freud, à celui de la névrose obsessionnelle ; le
parce que l’homme de la science n’existe pas, mais sujet en effet y dénie être partie prenante dans la
seulement son sujet. (etc…)"(E. 859). vérité qu’il renvoie au jour du jugement dernier et
De là, il distingue : remet à Dieu la cause de son désir, en faisant ainsi
∠ La magie comme praxis où la vérité a le statut de l’objet d’un sacrifice. C’est donc le sujet en tant que
cause efficiente, car elle suppose que le signifiant dénié. Cette particularité se traduit, au niveau du lien
réponde comme tel au signifiant social, par l’institution de la hiérarchie de l’Église
qui conserve entre les sujets ce rapport à la vérité
∠ le signifiant dans la nature étant mobilisé comme cause, où la cause est toujours remise aux
métaphoriquement par le signifiant de l’incantation mains de l’Autre, en l’espèce le supérieur.
– le savoir s’y caractérise de rester caché, insu,
même pour le sorcier qui opère. ∠ Le sujet de la science, lui, se définit comme
suturé – ou, en tout cas, c’est là le but qu’elle
∠ La religion comme praxis où la vérité a le statut poursuit, bien que cet idéal reste toujours à atteindre.
de cause finale, ce qui veut dire que "le religieux Il en résulte une communication intégrale du savoir,
laisse à dieu la charge de la cause" et coupe par là à la limite sans qu’il y ait lien entre des sujets,
son propre accès à la vérité dont il ne veut ni ne peut puisque le sujet s’y doit d’être forclos et reste donc
rien savoir en dehors de la révélation que voudrait antinomique à cette communication.
bien lui en faire son Dieu. D’où la suspicion qui,
dans la religion, frappe tout savoir, et le relent ∠ Quant au sujet de la psychanalyse, il n’est autre
obscurantiste qui accompagne l’idée d’un jugement que le sujet de la science dans la mesure où il est le
dernier où la vérité serait finalement sue dans le sujet sans substance qui est représenté par un
moment même d’une fin du monde. signifiant pour un autre signifiant, mais aussi – et là,
Lacan s’arrête – il est le sujet divisé, divisé entre
∠ La science comme praxis qui ne voudrait rien savoir et vérité, c’est-à-dire divisé entre la cause
savoir – au sens de la forclusion – de la vérité formelle (le signifiant) et la cause matérielle
comme cause, sauf à l’appréhender sous son aspect (l’objet).
de cause formelle, ce primat du formalisme
entraînant par ailleurs la caractéristique du savoir Alors, quand on a à l’esprit quelques notions
scientifique qui est d’être éminemment élémentaires de ce que Lacan amènera par la suite
communicable. avec les quatre discours, on repère tout de suite, par
comparaison, ce qui fait défaut dans l’articulation de
∠ La psychanalyse enfin, comme praxis où la vérité ces quatre modalités de la praxis. C’est que le projet
apparaît sous son aspect de cause matérielle – ce qui que Lacan annonçait en début de son article (E.
veut dire que c’est la matérialité même du signifiant, 863), avant d’introduire ces quatre pales, à savoir
en tant que séparé de sa signification, qui donne la l’insertion de l’objet a dans la division du sujet, ce
clef des formations sur lesquelles elle opère, avec projet n’est pas encore réalisé dans la distinction de
la magie, la religion, la science et la psychanalyse. Il

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n’est pas réalisé parce que ces distinctions ne séminaire sur les quatre concepts, et comment elle
mettent en jeu que le signifiant, le sujet, le savoir et leur donne une réponse achevée, démontrant ainsi
la vérité ; le terme qui manque dans cette que c’est bien à partir de la position de rejet,
dialectique, c’est la jouissance, plus exactement le d’excommunication dans laquelle il s’est trouvé
plus-de-jouir, le repérage de la plus-value que placé, que Lacan a pu désigner ce qui fait que la
produit ou qu’écarte chacune des dites praxis. psychanalyse n’est ni une recherche, ni la
D’ailleurs Lacan semble bien s’en apercevoir vérification expérimentale d’une structure, mais
puisqu’il écrit, dans les dernières lignes de l’article : qu’elle est essentiellement de l’ordre de la trouvaille
"Bref nous retrouvons ici (dans la psychanalyse) le et vise à modifier, à retourner, la structure.
sujet du signifiant tel que nous l’avons articulé Pour cela, je vais soutenir que le discours du maître
l’année dernière. Véhiculé par le signifiant dans son est premier et qu’il peut être identifié à la structure
rapport à l’autre signifiant, il est à distinguer même du dit de l’inconscient, et ensuite, que, par
sévèrement tant de l’individu biologique que de rapport à ce discours premier, le discours analytique
toute évolution psychologique subsumable comme opère un retournement complet qui consiste à
sujet de la compréhension. C’est, en termes privilégier non pas le dit de l’inconscient (S1), mais
minimaux, la fonction que j’accorde au langage dans ce qui fait qu’on dise, la cause même du dit (a).
la théorie. Elle me semble compatible avec un C’est donc, aussi, une façon de commenter la phrase
matérialisme historique qu’il laisse là un vide. Peut- que Lacan place en tête de l’Étourdit : "Qu’on dise
être la théorie de l’objet a y trouvera-t-elle sa place reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui
au milieu. s’entend".
Cette théorie de l’objet a est nécessaire, nous le Pour s’apercevoir que le discours du maître est
verrons, à une intégration correcte de la fonction, au premier, il suffit de le situer par rapport aux deux
regard du savoir et du sujet, de la vérité comme approches successives que l’enseignement de Lacan
cause "(E. 875-6). a données de la structure : la chaîne signifiante et la
Nous le verrons…, en effet, mais quelques années logique du fantasme. Au niveau de la chaîne
plus tard, avec la notion de discours et les quatre signifiante, la structure s’exprime dans la formule :
figures que Lacan en donne. Ces quatre discours, je un signifiant représente le sujet pour un autre
ne vais pas m’exercer à les comparer aux quatre signifiant, ce qui peut s’écrire :
polarités de la Science et de la Vérité pour la bonne
S1 → S2
raison qu’une telle comparaison ne me paraît pas
possible : non seulement parce qu’on ne retrouve ni S
la magie, ni la religion, ni la science, dans les quatre C’est la formule de l’aliénation du sujet par le
discours, mais – ce qui est plus fondamental encore signifiant. Au niveau du fantasme, on voit que non
– parce que le point de départ de la nouvelle seulement le sujet s’aliène dans le signifiant, mais
classification n’est plus de situer la psychanalyse par aussi qu’il se divise entre ce tenant-lieu auquel le
rapport à l’opposition, au dualisme primaire, de la signifiant le réduit, et l’objet, insaisissable par le
science et de la religion, mais – c’est du moins ce signifiant, dont le fantasme fait son être : à
que je voudrais montrer – de la situer par rapport à l’aliénation s’ajoute la logique de la séparation. Ce
une structure primordiale que Lacan appelle le qui dégage l’autre versant de la structure :
discours du maître.
S1→ S2
S’il y a continuité de la Science et la Vérité aux
a
quatre discours, c’est dans la mesure où, d’une part,
l’élément nouveau qui était introduit en 1965 – à Et l’on voit que si l’on met ensemble ces deux
savoir le mode de transmission du savoir, ou le versants, on obtient une formule générale de la
mode de lien social qu’institue chaque praxis – structure de l’inconscient qui n’est autre que celle du
acquiert ici le rang de critère, et où, d’autre part, les discours du maître :
quatre discours permettent de résoudre le problème
qui était laissé en plan dans la Science et la Vérité : S1 → S2
l’insertion de l’objet a, c’est-à-dire, du plus-de-jouir, S a
dans le fonctionnement de chaque structure. Si le discours du maître est premier, c’est qu’il est là
Je voudrais maintenant montrer comment la comme tel, avant même de prendre position parmi
dialectique des quatre discours renoue avec les les quatre discours, parce qu’il est l’écriture du
quatre questions posées par Lacan au début du rapport du sujet au langage. C’est aussi le discours

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premier parce que c’est celui dans lequel nous l’opération du maître (S1 →S2) – opération qu’on
baignons – que nous le choisissions ou non – dès le pourrait appeler "l’injection faite à l’esclave"-va
moment où nous sommes des êtres parlants, car du tenter de transformer en un savoir articulé dans le
langage nous sommes tous les esclaves, ou en tout réseau du langage et commandé par le concept (S1)
cas, notre inconscient en est esclave. Puisque nous qu’il lui livre (ici le concept de diagonale, signifiant-
sommes "êtres parlants", le signifiant est notre maître de l’opération).
maître, c’est lui qui nous fait courir, qui nous Cette opération d’injection passe par un moment où
"subordonne au point de nous suborner", comme dit l’esclave est plongé dans la torpeur, c’est-à-dire où il
Lacan dans la direction de la cure (E. 593). Donc, le est la proie d’une paralysie qui tient au fait qu’il
discours du maître est ce qui donne une expression réalise qu’il ne sait pas – entendons : qu’il ne sait
achevée de la formule "l’inconscient et structuré pas, au sens du savoir du maître. C’est à cet endroit
comme un langage", en y insérant l’effet de rejet du précis que Socrate va porter son intervention
signifiant qu’est l’objet a, que Lacan appelle ici le décisive, ainsi qu’il l’explique à Ménon, et c’est
"plus-de-jouir" lui donnant ainsi une dimension donc à cet endroit que le discours du maître va saisir
nouvelle par rapport à l’objet perdu de la pulsion la situation.
(Séminaire XI).
Voilà comment Socrate s’en explique à Ménon :
En effet, plus-de-jouir, cela veut dire, radicalement,
que le langage travaille pour de la jouissance, que le "SOCRATE : Mais si l’espace a trois pieds de long
sens ultime du déplacement et des combinaisons et trois pieds de large, la superficie n’en sera-t-elle
incessantes du signifiant (S1-S2) est la jouissance du pas de trois fois trois pieds ?
chiffrage. Autrement dit la jouissance qui s’atteint L’ESCLAVE.-Je le pense.
par le mouvement du signifiant, par le mouvement SOCRATE. — Or combien font trois fois trois
du désir, n’est pas la saisie de l’objet, qui et toujours pieds ?
raté, perdu, mais ce qui reste, l’objet étant évacué, à L’ESCLAVE.-Neuf.
savoir le travail fait en plus. Par la répétition
signifiante, le discours produit ainsi son déchet, il SOCRATE. — Mais pour que la surface fût double
délimite son en-dehors : l’objet a est ce qui vient en de la première, combien de pieds devait-elle avoir ?
plus du signifiant. On se souviendra d’ailleurs que L’ESCLAVE.-Huit.
dans le séminaire "l’envers de la psychanalyse", SOCRATE. — Ce n’est donc pas encore la ligne de
l’appellation "plus-de-jouir" est introduite par le trois pieds qui nous donne la surface de huit.
biais d’une réflexion sur la théorie de MARX et la L’ESCLAVE.-Évidemment non.
notion de plus-value (voir le livre I du Capital).
SOCRATE. — Laquelle est-ce ? Tâche de me dire
En passant, dans le cours de ce Séminaire, Lacan exactement, et si tu aimes mieux ne pas faire de
nous donne la référence de ce discours du maître : calculs, montre la nous.
c’et le dialogue du Ménon de Platon. Il y a, en effet,
dans ce dialogue, un passage particulièrement L’ESCLAVE.-Mais par Zeus, Socrate, je n’en sais
éclairant où l’on voit Socrate se servir d’un esclave rien "
pour faire saisir à Ménon (qui est, lui, un vrai SOCRATE. — Vois-tu Ménon, encore une fois,
maître) sa théorie de la réminiscence. Socrate amène quelle distance il a déjà parcourue dans la voie de
l’esclave de (xénon à découvrir (à se ressouvenir, la réminiscence ? Songe que d’abord, sans savoir
selon lui) comment, à partir d’un carré donné il est quel est le carré du côté de huit pieds, ce qu’il
possible de construire un carré de surface double. Il ignore d’ailleurs encore, il croyait pourtant le
faut, comme vous le savez, prendre la diagonale du savoir et répondait avec assurance en homme qui
premier carré comme côté du second, et non pas sait, n’ayant aucun sentiment de la difficulté.
doubler le côté du carré (ce qui aboutit à quadrupler Maintenant il a conscience de son embarras, et, s’il
sa surface). ne sait pas, du moins il ne croit pas savoir.
Le dialogue entre Socrate et l’esclave nous illustre le MENON. — Tu as raison
fonctionnement du discours du maître en tant que SOCRATE. — N’est-ce pas là un meilleur état
lien social intersubjectif. Socrate appuya sa d’esprit relativement à la chose qu’il ignorait ?
démonstration sur l’hypothèse que l’esclave sait,
MENON. — J’en conviens également.
qu’il connaît la solution du problème, mais qu’il l’a
"oubliée", c’est-à-dire qu’il ne sait pas qu’il sait. Le SOCRATE. — En le mettant dans l’embarras, en
savoir de l’esclave apparaît donc comme un savoir l’engourdissant comme fait la torpille, lui avons-
qui s’ignore en tant que tel, c’est un savoir-faire que nous causé du tort ?

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MENON. — Je ne le crois pas la fin du dialogue l’esclave a été amené à découvrir


SOCRATE. — Ou je me trompe fort, ou nous l’avons que le carré recherché doit se construire à partir de
grandement aidé à découvrir où il en est vis-à-vis de la ligne qui va d’un coin à l’autre du carré donné.
la vérité. Car maintenant, comme il sait qu’il ne sait Socrate conclut alors par ces mots :
pas, il aura plaisir à chercher ; tandis que "Cette ligne, les savants l’appellent" diagonale ".
précédemment il n’eut pas hésité à dire et à répéter Par conséquent, si son nom est" diagonale ", alors,
de confiance, devant une foule de gens, que pour serviteur de Ménon, ce serait en partant de la
doubler un carré, il faut en doubler le côté. diagonale que se construit l’espace double" (Ménon,
MENON. — C’est probable. 85, Pléiade p. 535) 8 .
SOCRATE. — Crois-tu donc qu’il eût été disposé à Voilà : pour l’esclave, c’est un aboutissement, une
chercher à apprendre une chose qu’il ne savait pas, révélation, mais pour le maître, c’est le point de
mais qu’il croyait savoir, avant de s’être senti dans départ : il suffit de suivre le signifiant. Cette
l’embarras pour avoir pris conscience de son conclusion illustre bien ce que Lacan formalise dans
ignorance, et d’avoir conçu le désir de savoir ? la partie gauche de l’écriture du discours du
maître :
MENON. — Je ne le crois pas, Socrate.
Quant au petit a, au produit de l’opération de
SOCRATE. — Par conséquent son engourdissement l’injection faite à l’esclave, c’est ce qui chute de la
lui a été profitable ? jouissance de l’esclave, de la torpeur dans laquelle
MENON. — C’est mon avis. il est plongé au moment où son savoir à lui, S2,
SOCRATE. — Vois maintenant tout ce que cet tourne à vide, en pure perte. Ce moment nous
embarras va lui faire découvrir en cherchant avec indique que la jouissance est bien à placer du côté
moi, sans que je lui enseigne rien, sans que je fasse de l’esclave, du côté de ce savoir qui s’avère inutile
autre chose que de l’interroger. Surveille-moi pour sinon à le contenter. L’opération du maître vise à ce
le cas où tu me surprendrais à lui donner des leçons que l’esclave se mette au travail et qu’il améliore –
et des explications, au lieu de l’amener par mes qu’il rentabilise, dirait-on aujourd’hui – sa
questions à dire son opinion " 6 . performance par l’usage du concept que lui fournit
MENON. — "Socrate, j’avais appris par ouï-dire, le maître.
avant même de te rencontrer, que tu ne faisais pas Au travers de ce passage du Ménon, le mathème du
autre chose que trouver partout des difficultés et en discours du maître se lirait donc comme ceci :
faire trouver aux autres. En ce moment-même, je le S1 → S2
vois bien, par je ne sais quelle magie et quelles S← a
drogues, par des incantations, tu m’as si bien
ensorcelé que j’ai la tête remplie de doutes. S1 : la diagonale
J’oserais dire, si tu me permets une plaisanterie, que S : Socrate qui s’annule sous le signifiant-maître
tu me parais ressembler tout à fait, par l’aspect et S2 : le savoir de l’esclave qui tourne à la torpeur
par tout le reste, à ce large poisson qui s’appelle a : l’amélioration de son travail
une torpille. Celle-ci engourdit aussitôt quiconque
D’une manière générale, dire qu’il y a un discours
s’approche et la touche ; tu m’as fait éprouver un
du maître, ce n’est rien d’autre que partir du constat
effet semblable /tu m’as engourdi /. Oui, je suis
du primat du signifiant et repérer les sujets qui se
vraiment engourdi de corps et d’âme, et je suis
rangent du côté du manche, c’est-à-dire qui
incapable de te répondre" 7 .
s’arrangent de L’aliénation subjective qu’il
Donc, le savoir du maître se distingue de celui de implique, pour se mettre aux ordres. Ce que dit la
l’esclave en ceci que le maître ne s’appuie pas sur psychanalyse, avec Lacan, c’est que ce discours est
un savoir-faire, sur un savoir artisanal, "instinctuel" en quelque sorte inévitable : le sujet, en tant que
comme on dit – pour dire, en fait "symptomatique" – sujet de l’inconscient, ne peut que s’y inscrire, qu’il
, mais sur un signifiant-clé, le S1, qui commande ou le veuille ou non, car c’est le point d’entrée obligé à
est censé commander la mise en place des autres la dimension du discours, donc aux autres discours.
signifiants. C’est à la révélation de ce signifiant- Pas moyen pour le sujet d’éviter la suggestion, le
maître qu’aboutit l’intervention de Socrate, lorsqu’à
8
On voit que la logique du discours du maître est à placer dans la continuité
6
PLATON, Ménon par. 83-84, in Œuvres complètes, Soc. Ed. Les Belles du procèssus inauguré par le Nom-du-Père : ce que dit le maître –
Lettres (Budé), Paris, 1974, tome III, pp. 83-84. entendons : ce que dit l’inconscient – c’est bien que le nom commande.
7 C’est là un fait de structure ; en faire sa devise est autre chose (c’est ce que
Idem, par. 80, p. 79.
j’appelle plus loin : se ranger du côté du manche).

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commandement, du signifiant. Qu’on songe, par inspirer au maître le désir de savoir, et par ce biais, à
exemple, à la problématique de l’identification que le transformer en notre maître moderne :
Lacan a bien resituée comme identification l’universitaire, le capitaliste du savoir (voir la note
symbolique : voilà une formation de l’inconscient 5).
par laquelle passe tout sujet, et qui me paraît relever, J’en viens maintenant au discours de l’analyste.
structurellement, du discours du maître. On le voit tout de suite en comparant les deux
C’est ce commandement du signifiant qui livre le écritures du discours du maître et du discours de
secret du commandement et de l’obéissance qui sont l’analyste, celui-ci est bien l’inverse du premier : il
au principe des liens sociaux fondés sur le discours faut une rotation complète des lettres qui les
du maître, mais qu’on ne s’y trompe pas : ce composent pour passer de l’un à l’autre. Ce qui est
commandement s’exerce sur le maître lui-même, privilégié comme opérant dans l’un, se trouve
avant de se traduire en ordre pour l’esclave, car le évacué par l’autre, et réciproquement.
maître est bien le premier à suivre le signifiant – Comme le discours du maître écrit la structure même
simplement, lui, il le sait 9 . Ce n’est donc pas si que suppose la psychanalyse, il convient de se
drôle d’être un maître, et cela n’implique en tout cas demander ce que signifie ce retournement complet
ni la liberté, ni la jouissance. Celle-ci est plutôt du par quoi Lacan désigne l’opération de la pratique
côté de l’esclave – et c’est d’ailleurs ce qui fonde la analytique. Je crois qu’il signifie d’abord ceci : la
limite, l’impossible que rencontre le discours du pratique analytique n’a pas pour but de reconnaître
maître : la structure, de vérifier la manière dont les choses
impossible sont organisées dans le jeu du signifiant, mais elle a
S1 → S2 pour fin d’introduire du changement dans cette
S ← a organisation, de faire bouger la structure, d’en
entamer la tyrannie. Autrement dit, l’analyse ne
Car le maître a beau s’épuiser à s’éclipser sous le consiste pas à faire fonctionner l’inconscient – il ne
signifiant, il a beau faire la démonstration qu’il n’est suffit pas de "laisser dire" – elle doit le retourner, ou
pas un patron mais qu’il ne fait lui-même que suivre en tout cas en retourner le fonctionnement.
une nécessité impérieuse qui le dépasse, il est
impossible d’obtenir que le signifiant-maître Le discours de l’analyste indique qu’il ne s’agit pas
commande le savoir de l’esclave au point que celui- dans l’analyse d’une reconnaissance (reconnaissance
ci renonce à sa jouissance, à sa torpeur. Impossible, par le sujet de son désir à travers les malices du
si l’on veut, que l’ouvrier se contente d’exécuter les signifiant), mais de passer à un rapport nouveau au
ordres, ou, pour prendre un exemple plus proche de signifiant.
la pratique analytique, impossible que le signifiant Ceci subvertit complètement l’idée que l’on pouvait
diurne maîtrise complètement le signifiant refoulé se faire jusque-là, même chez les élèves de Lacan,
dans le rêve : le refoulé profitera toujours de la de la consistance et de la portée de l’expérience
sollicitation que lui adresse le signifiant de la veille analytique 10 .
pour se livrer à un petit chiffrage qui produit un Ainsi, dans ce retournement, ce qui se trouve
supplément de sommeil. Impossiblé que S1 gouverne maintenant privilégié, mis au rang de facteur
S2, car S2, avant tout travaille pour son compte dans agissant, c’est ce qui se trouvait précisément rejeté
le sens d’une jouissance inutile (celle du chiffrage). par l’inconscient. Le dispositif psychanalytique
Et si, comme je vous l’ai proposé, on peut assimiler consiste donc à prendre en considération ce que dit
le discours du maître à la structure du discours de l’analysant à partir de l’effet de rejet du discours, è
l’inconscient, on peut alors traduire l’impossible partir de ce qui est perdu par le signifiant : a. Alors
qu’il comporte, en disant : impossiblé et que la structure de l’inconscient, du discours du
s’accommode de son inconscient sans en profiter maître, fait fonctionner la représentation du sujet – le
pour faire symptôme. dit dans lequel il s’aliène –, le dispositif analytique
Est-ce cette impossibilité spécifique du discours du tend à évacuer la dite représentation en la
maître qui explique la rareté du maître dans notre considérant comme une sorte de produit à la chaîne.
monde contemporain ? A moins que ce ne soit, C’est donc moins le "dit" qui est opérant dans
comme Lacan en a un jour évoqué l’idée, l’effet du l’analyse, que ce qui fait que le sujet se met à dire.
discours de l’hystérique, notamment sous son aspect Ce que l’analyse interroge, c’est ce qui est oublié, ce
de discours philosophique, qui aurait réussi à 10
Notamment ceci implique qu’il ne peut suffire pour qu’il y ait analyse – au
9 sens où on l’entend ici – de ramener le discours de l’analysant à sa
On reconnaît là le fondement structurel du "discours du patron". structure œdipienne.

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qui est excommunié, par le discours du maître : aussi bien une éthique de l’analysant. Que faire, à la
"Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans fin de l’analyse, de ce déchet encombrant qu’incarne
ce qui s’entend". Le cœur de l’expérience l’analyste ? On ne finit pas son analyse n’importe
analytique, c’est ce phénomène tout de même comment – ceci reste à explorer. Le début du
ahurissant – ou en tout cas que la conduite de Séminaire XI nous indique en tout cas deux voies
l’analyse doit laisser apparaître comme ahurissant – qui ne sont pas les bonnes : celle de la négociation et
qui consiste à ce que placé devant un analyste – qui celle de l’excommunication. La fin d’une analyse, le
ne lui demande rien, et qui, d’ailleurs, ne lui dit point de vue de l’analysant, ne peut être ni une
presque rien la plupart du temps –, le sujet se mette à négociation, ni un rejet pur et simple, car dans les
parler et à le payer pour cela. Qu’est-ce qui fait donc deux cas l’on se berce de l’illusion d’une possible
parler ainsi, avec une telle passion ? maîtrise de a.
C’est cette place de la cause de ce qui fait trou dans 2. Sur le transfert maintenant. Le discours analytique
le discours que le psychanalyste doit occuper pour nous donne du transfert une formule qui correspond
que l’expérience fonctionne, c’est-à-dire pour à la deuxième boucle du huit intérieur par lequel
qu’elle parvienne à retourner l’inconscient. Lacan le formalise dans le Séminaire XI. Cette
D’où quelques remarques sur l’éthique de l’analyste deuxième boucle qui permet de choisir une autre
et sur le transfert. voie que celle de l’identification, c’est-à-dire de la
1. Sur l’éthique d’abord, que j’approcherai par cette représentation du sujet. Autrement dit, ce qui est mis
question : le psychanalyste est-il, comme Socrate se en acte ici, c’est cet aspect du transfert que le terme
veut, au service du signifiant, au service de de "sujet-supposé-savoir" ne suffit pas à expliquer.
l’inconscient ? Le dispositif du discours analytique En effet, si le sujet est supposé savoir, la partie
indique clairement que non, que le psychanalyste gauche du discours de l’analyste nous indique que,
doit avoir un autre désir que d’être le serviteur de la fondamentalement, ce savoir n’est transféré sur
parole. Il n’est pas là seulement pour faciliter les l’analyste qu’en fonction du fait qu’il occupe la
choses, c’est-à-dire pour que s’écoule la parole de position de a, de cause du désir de l’analysant 11 . Ce
l’analysant. n’est que parce qu’il est ce qui le fait parler que
Si sa place est désignée par "a", c’est qu’il doit l’analysant suppose à l’analyste un savoir sur sa
incarner, ou plutôt faire semblant d’incarner le point parole. Ainsi se noue un discours, un lien, dont la
où précisément le sujet ne se trouve pas représenté particularité est qu’il ne lie jamais que deux
par le signifiant. Il doit présentifier le défaut, la protagonistes, pas plus, et qui, du fait qu’il les
béance qui fait dire, qui déclenche la série des identifie l’un à a et l’autre à S, réaliserait la seule
représentations du sujet. conjonction possible au regard du sexuel, si cette
conjonction n’était pas frappée d’un impossible –
Et s’il faut pour cela qu’il ait des mamelles, comme
impossible qui est celui du rapport sexuel lui-même.
disait Lacan, ce n’est pas tant qu’il doive être devin,
C’est ainsi que le transfert est vraiment "mise en
comme Tirésias : il doit plutôt se faire l’objet de la
acte de la sexualité freudienne" comme le formule
devinette qu’est une analyse. Ainsi l’analyste doit
Lacan dans le Séminaire XI.
finalement désirer se mettre à la place de la
trouvaille, de la seule trouvaille que l’analysant 3. Une dernière remarque enfin, pour conclure,
puisse faire au terme de la cure, à savoir qu’il a remarque très générale et qui concerne l’avenir de la
trouvé non pas quelqu’un à qui parler, mais quelque psychanalyse.
chose qui le fait parler – étant entendu que ce Si la psychanalyse doit dorénavant se définir du
"quelque chose" est parfaitement vide, c’est un rien. discours de l’analyste tel que je viens de l’expliciter,
Ce quelque chose doit être repéré comme ce qui est il faut s’apercevoir que ce recentrage de notre praxis
exclu, rejeté, par le discours inconscient de ouvre des perspectives sur ce qu’on pourrait appeler
l’analysant : ce rebut, produit du rébus, c’est là- un "au-delà de la cure au sens strict", en tout cas un
dessus que l’analyste peut s’appuyer pour agir dans au-delà du protocole habituel de la cure. En effet,
la cure. Ça implique qu’il veuille bien, d’abord, se rien n’indique, ni dans la formule du discours de
laisser produire comme tel par le discours de l’analyste, ni dans les réflexions qu’elle suscite,
l’analysant, et que de là il manœuvre pour rendre à 11
Il convient ici de poser une nuance : ce n’est pas parce que l’analyste
ce rebut, à ce produit, sa jonction de cause du occupe la position du semblant qu’il faut en conclure qu’il fait semblant –
discours. au sens de jouer la comédie. Si Lacan a pu parler d’escroquerie à propos
du dispositif analytique, cela ne peut être entendu dans le sens où
Ainsi identifié à la cause du discours, l’analyste l’analyste serait un menteur ; l’escroquerie se réalise dans l’opération
devient le but (but-rebut) de l’analyse. Ceci implique même du langage, elle est seulement mise en évidence par le dispositif
analytique.

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qu’un protocole quelconque doive être respecté pour


que ce discours puisse se nouer.
Par conséquent, on ne voit pas que ni le divan, ni le
fauteuil, ni les autres habitudes propagées dans le
milieu des analystes, soient de l’ordre de la nécessité
au regard de ce discours ; toutes ces habitudes ne
déterminent qu’un possible : il est possible que le
discours de l’analyste trouve place dans ce cadre. Il
est possible aussi qu’il se loge ailleurs. L’avenir dira
si ailleurs on s’en soucie. L’avenir dira si Lacan aura
réussi à transformer la psychanalyse d’une cure à un
discours, et à faire de la psychanalyse le lien social à
deux qui peut s’établir et s’écrire là où le sexuel
échoue à faire rapport 12 .
5 5 C’est par cette opération que Socrate l’hystérique va tenter de
transformer Ménon, le maître, en universitaire, c’est-à-dire qu’il va tenter
de lui insuffler le désir de savoir.

12
J’ai repris au long de ce travail une série d’éléments de réflexion que
j’avais posés dans mon séminaire de 1980-1981 ; je me suis servi
également du texte d’un exposé que j’ai présenté au Collège de la
Formation permanente à Paris le 14 octobre 1982, sous le titre "L’envers
de l’inconscient".

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"MELANGES CLINIQUES"
Introduction c’est quand le signifiant ne l’arrête pas – qu’il
Maurice Krajzman comprend.
Comprendre vient toujours se prêter comme "être
C’est l’intitulé que nous avons voulu inscrire au compris soi-même dans les effets du discours". Et
fronton de cette journée. donc, comprendre, ou si vous voulez, comprendre
Vous n’êtes pas sans savoir que le n°2 de la revue trop vite, est à entendre ici comme le savoir naïf.
"La psychanalyse" (1956) s’ouvrait sur cet entête, Qu’on ne me fasse pas dire que je glorifie la NON-
ainsi d’ailleurs que sur le compte-rendu du séminaire COMPREHENSION comme telle – car cela aussi,
de Lacan sur "la lettre volée". Ce terme, mélanges, c’est un piège tendu aux analystes et à leur clinique.
nous n’avons pas voulu qu’il se déploie sur une Mais le savoir naïf, on entend parfois qu’il se
excursion au hasard dans les travaux effectués dans défend, et notamment dans les cartels, et quelques
les cartels, par les cartels. Les données de l’analyse fois en opposition au "fleuve" universitaire.
qu’on y trouvera, on ose espérer qu’on les trouve Opposition d’ailleurs mal venue quant à la visée car
effectivement mais aussi qu’elles ponctuent des le pari a été fait par Lacan et par Freud, d’y trouver
positions de travail. Des positions de travail qui (je veux dire : à l’université) l’appui de savoir de
précipiteront du mélange des éléments qui quoi l’analyste se sert – "d’aider (c’est le propos de
permettent à tous ceux qui sont engagés dans ce Lacan lors de l’inauguration du département de
travail – d’avancer. D’avancer, non pas dans le sens psychanalyse à Vincennes) :" d’aider l’analyste des
de s’instruire, comme on peut peut-être le faire à sciences propagées sous la mode universitaire ". Ce
partir d’un enseignement mais d’avancer au sens ou n’est pas aujourd’hui le lieu de savoir si ce pari a été
des conjonctions pourraient se produire, au sens ou tenu mais pour ce qui est, cependant, du savoir naïf
ce qui se module linéairement dans les – cet espèce de degré zéro prôné parfois par certains
enseignements soit même un peu dérangé, un peu – la clinique psychanalytique nous enseigne
bousculé par l’une ou l’autre audace – – qui sait ? justement qu’il se donne comme un masque de la
Que ce qui sommeille dans l’édifice doctrinal jouissance. Que tout savoir naïf" est associé "-dit
s’ébroue un peu. Lacan – à un voilement de la jouissance". Et cela se
Donc – pas dans le sens d’une langue qu’on connaît, rapporte immédiatement à ceci que "ce qui parle est
même parfaitement – et qu’on lit dans le texte. Ni ce qui jouit de soi comme corps". Car de quoi parle
même celui, plus curieux mais plus significatif d’une le langage sur le divan ? C’est lui, en effet, le pur
langue qu’on connaît mal et qu’on comprend quand langage, le langage "désarrimé" du sujet qui cause.
même en lisant le texte. Comme c’est toujours le cas C’est même le statut scientifique que Lacan veut
si on en fait l’expérience (du fait même qu’on sait donner à l’Inconscient : à savoir : "être un moment
d’avance ce qui s’y dit). Mais de ce qui en résulte de où parle, à la place du sujet, du pur langage". A la
contradiction (Lacan : passage à un autre niveau). place du sujet – c’est-à-dire que le signifiant
Car si on comprend trop vite, Lacan le faisait représente le sujet, il est le tenant lieu, le lieutenant
remarquer à propos d’un texte en anglais sur la thé du sujet. Mais de quoi cause-t-il, le langage ? Eh
p
rie des ensembles, c’est qu’on a raté l’élément bien, le langage, il cause de sexualité – pas de sexe,
essentiel qu’est le signifiant. Donc, si une chance pas d’acte sexuel (de ce côté, il serait plutôt muet) –
existe aujourd’hui de réveiller celui qui dort (je veux de sexualité. C’est dire que pour ce qui me concerne,
parler de l’édifice doctrinal) elle sera sûrement je considère comme un faux débat, celui de savoir
favorisée par la dimension clinique que nous avons s’il faut privilégier le Lacan de "Fonction et champ
voulu donner à cette journée. Clinique : dans la de la parole et du langage" ou le Lacan de l’objet a.
mesure où, justement, la psychanalyse, la clinique Dans la clinique en tout cas, ce débat n’aurait pas le
psychanalytique est donnée par Lacan comme "le moindre fondement et ne tiendrait pas l’ombre d’une
repérage de ce qui se comprend d’obscurci, de ce qui consistance car ce qui en émane, c’est que les objets
s’obscurcit en compréhension, du fait d’un signifiant qui sont mis en avant (le phallus et les objets
qui a marqué un point du corps" (savoir p. 91). partiels), l’inconscient ne les parle pas. Il en parle –
Autrement dit, l’analyste, mais pas seulement Lacan insiste beaucoup là-dessus – "l’inconscient ne
l’analyste, on peut dire pareil de l’analysant ou tout les parle pas, il ne les chante même pas". Il ne s’agit
simplement de "l’amateur" (celui/celle qui en veut) – pas d’un chant – mais d’un champ. La parole
fonctionne dans un champ. L’inconscient en parle,

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de ces objets, par métaphore et par métonymie. Et Entre psychiatrie et champ freudien : une clinique
même l’objet a, l’objet de quête, objet perdu, (a) Alfredo Zénoni
cause du désir, objet de la pulsion – du moment qu’il
est désigné comme ça – n’est quand même rien La psychanalyse a été liée en France au mouvement
qu’une lettre. (Il y a d’ailleurs une intervention de réforme des hôpitaux psychiatriques, notamment
prévue aujourd’hui, sous ce titre, et qui sera faite par par le biais du courant qui va sous le nom de
Guy DE VILLERS qui nous éclairera sûrement sur "psychothérapie institutionnelle". Les réalisations de
ce point). Rien qu’une lettre car s’il n’y avait pas de ce mouvement ne se sont pas bornées à transformer
pratique psychanalytique – cette algèbre ce qu’on pourrait appeler la structure humaine de
conceptuelle, telle qu’elle est articulée – ne serait l’hôpital, mais elles ont visé à promouvoir une
d’aucun effet. Ce qui ne veut pas dire qu’elle serait fonction psychothérapeutique de l’institution comme
dénuée de sens. Mais lisez ces philosophes qui se telle. Une autre organisation des rapports et des
sont "accaparés" – si je puis dire – de l’objet a par "activités" dans ce qui n’était plus un hôpital, à
exemple (je pense à quelqu’un comme LYOTARD). cause de son ouverture ou même de son
On se cogne parfois, véritablement, à cet énoncé de "éclatement", allait rendre possible une désaliénation
Lacan que "le propre du sens, c’est d’être toujours du sujet par l’expérience même d’une vie collective
confusionnel". De l’expérience de la clinique qui faisait place au grain de folie de chaque individu
psychanalytique – il reste beaucoup à dire. Je vais tout en lui rendant possible la reconnaissance de la
donner la parole à notre invité et aux intervenants en fonction structurante de la loi.
concluant sur un point que je m’en voudrais de ne Par tout un versant de sa pratique et de son discours,
pas évoquer et qui est celui-ci : que "la clinique ce mouvement se superpose au mouvement qui a
psychanalytique s’appuie sur la réversibilité porté ailleurs – et là plutôt en opposition à la
fondamentale de la demande". A la quête du sein, à psychanalyse – à la critique et finalement à
la quête de la merde, à la quête du regard – il s’agit, l’abolition de l’hôpital psychiatrique. En poussant
chaque fois, de quelque chose qui répond dans le jusqu’à l’extrême conséquence l’identification entre
grand Autre. Vous connaissez les effets sur le grand l’exclusion (sociale et familiale) et le réel de la folie,
Autre, de ce mouvement de quête – tels que Lacan on en est arrivé, logiquement, à ne pas se contenter
les schématisent en les combinant à la demande et au de rendre plus ouverts et "créatifs" les lieux destinés
Désir. Je n’entrerai pas dans les détails, je vous à la prise en charge des "malades", mais à concevoir
rappelle seulement – pour mémoire. la suppression de ces lieux – même s’ils ont une
Demande de l’Autre → objet a = fécès (merde) vocation "thérapeutique", comme la condition même
(pulsion anale) de la désaliénation du fou. La psychiatrie a été
Demande à l’Autre → objet a = sein (pulsion orale) intégrée au "territoire", comme on dit en Italie, et
Désir de l’Autre → objet a = voix (pulsion réalise ainsi la thérapie institutionnelle du malade
invocante) par l’institution sociale elle-même : "la société
Désir à l’Autre → objet a = regard (pulsion responsable de la folie devient responsable aussi de
scopique) la cure, infirmière de son fou" 1 .
Il n’y a pas de fantasme de dévoration qui Cependant, cette "désinstitutionnalisation" de la
n’implique le fantasme d’être dévoré. Et dans ce folie 2 n’aboutit en fait qu’à son institution diffuse.
petit jeu – qui n’est autre que le jeu d’aller-retour de Le malade-exclu se trouve à être réinséré dans le
la pulsion, sa dialectique de l’arc-il arrive non social au titre d’"exclu", titre que certifie le statut
seulement qu’on se fasse bouffer mais aussi qu’on d’invalide ", sans que l’exclusion soit levée
aille se faire voir et qu’on se fasse chier. L’ennui – puisqu’elle sert précisément à justifier une ré-
quelque chose que certains d’entre nous ont travaillé inclusion thérapeutique." Je ne vois pas ce qu’il y a
dans le temps. Quelque chose sur lequel jadis Lacan de mal à faire du bien ", me disait en somme une
demandait aux praticiens de l’analyse de s’interroger psychanalyste italienne, à qui j’avais fait remarquer
– de voir ce qui, dans la pratique analytique est fait le paradoxe qui consiste à aider quelqu’un au titre de
pour qu’on s’y ennuie. Certaines règles techniques ce qu’il est incapable." Moi, ça ne me dérange pas
appelées à garantir un standard professionnel par qu’on m’aide, par exemple qu’un monsieur m’aide à
exemple et qui ne sont là que pour maintenir et
1
entretenir la fonction de l’ennui. C. CALLIGARIS, Ornicar, n°17/1B.
2
Mais il faudrait plutôt dire "de la maladie" car on sait bien que dans cette
perspective, toutes les différences cliniques se trouvent ramenées à cette
seule catégorie, quand ce n’est pas celle de la "déviance" ou de la
"différence".

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monter ma valise dans le train ". La petite différence souvent de méconnaître l’illusion qu’elle entretient
qu’elle semblait méconnaître, c’est que le gentil et l’obstacle qu’elle peut constituer à l’émergence
monsieur en question ne l’avait pas aidée au titre d’une demande transférentielle.
d’une intervention thérapeutique. Dans son postulat, Elle entretient une illusion, d’abord, dans la mesure
la perspective" italienne "ne diffère pas des projets où le projet thérapeutique vient justifier
d’intégration du malade qui sont mis en œuvre en l’introduction d’une vie collective et d’activités (de
Belgique et en France. Ici comme là-bas, on travail, de loisir, d’apprentissage) qui masquent leur
considère que l’effet thérapeutique est proportionnel différence d’avec un travail et une vie sociale dont
à la" qualité "du milieu de vie dans lequel le malade on est exclu, sous le couvert de leur fonction
est pris en charge : au plus ce milieu se rapproche de thérapeutique. Tout se passe comme si la vie
la vie ordinaire, au plus le malade est considéré collective et les activités mises en place dans
comme" réinséré "ou" guéri ". Se référant à une l’institution venaient pallier à celles dont les soignés
échelle imaginaire qui met en parallèle l’exclusion sont exclus et supprimer ainsi l’exclusion, alors
sociale et la maladie, on poussera alors le malade à même qu’il s’agit d’une vie et d’activités qui sont
quitter au plus vite l’hôpital vers une forme précisément réservées aux "exclus" du circuit. Ce
d’existence considérée plus" thérapeutique "-alors que confirme le fait qu’il s’agit d’activités
qu’il s’agira simplement de le transférer à une forme "thérapeutiques", ou d’activités pour "se soigner",
de prise en charge diluée dans le milieu, et destinée qui ne se déroulent pas selon les exigences propres
le plus souvent à durer indéfiniment 3 . du travail et de la vie sociale. Ainsi, en voulant
La différence entre la psychiatrie "à l’italienne" et la passer sous silence l’extériorité du lieu dit
psychiatrie sociale classique réside essentiellement "thérapeutique" par rapport aux circuits de la vie
dans le type de milieu qui est préconisé : en Italie, ordinaire, on entérine le fait de l’exclusion par le
on souligne la portée "thérapeutique" de l’intégration projet même d’une vie collective et d’activités
dans le milieu naturel et la prise en charge par des substitutives destinées à l’effacer. En justifiant la
non-spécialistes, quitte à multiplier les allées et mise en place d’activités substitutives par leur
venues entre le "territoire" et l’hôpital général (la fonction thérapeutique, l’institution justifie en fait
thérapeutique de base restant de toute façon son existence par une sorte d’alibi croisé de ses
inchangée : biochimie plus assistance). Dans les fonctions : l’expérience et les activités mises en
expériences françaises et belges, l’accent est plutôt place dans l’institution sont soustraites aux
placé sur la fonction "thérapeutique" des institutions, exigences de la vie ordinaire parce que
à condition qu’elles soient organisées d’une manière "thérapeutiques"(comme si la fonction
conforme au savoir sur les causes de la maladie "thérapeutique" abolissait l’artificiel des activités qui
mentale ou sur la structure inconsciente des relations s’y déroulent) ; et les activités sont thérapeutiques
familiales et interpersonnelles qui peuvent parce qu’elles sont soustraites aux exigences de la
l’engendrer. Et, du même coup, l’accent est mis sur vie ordinaire (comme si leur adaptation aux
l’incidence "thérapeutique" des professionnels qui y supposés handicaps avait par elle-même un effet
trouvent place. thérapeutique). 4
Au-delà de cette différence, c’est le préalable Le "thérapeutique" contamine ainsi la vie
commun à ces deux perspectives que je me propose relationnelle et les activités (pas de télévision une
d’examiner ici, tout en limitant le champ de mon fois par semaine, ou sortie obligatoire une fois par
analyse aux institutions au sens strict, dans la mesure semaine, relations sexuelles interdites ou relations
où elles concentrent et rendent plus sensible sexuelles favorisées – suivant le "projet" de
l’ambiguïté qu’engendre la coexistence ou la l’institution) tout en les vidant de leurs exigences
confusion entre la dimension "prise en charge" et la propres. L’activité devient thérapeutique en tant
dimension "psychothérapeutique" dans un même qu’elle supplée à l’exclusion tout en vidant cette
lieu. Dans la psychiatrie sociale "à l’italienne", cette exclusion de la signification symptomatique d’où
ambiguïté est simplement diluée dans un milieu plus pourrait surgir un véritable processus thérapeutique.
vaste.
4
Une institution – fut-elle ouverte ou "éclatée"-qui se Ce qui reviendrait à supposer, par exemple, que 11"incapacité" de jouer au
pourvoit d’une fonction thérapeutique, risque le plus bridge pourrait être progressivement surmontée en permettant à
1"incapable de jouer à un jeu de cartes où les règles du bridge ne sont pas
en vigueur. (1) Ce qui reviendrait à supposer, par exemple, que 11"
3 incapacité "de jouer au bridge pourrait être progressivement surmontée en
Sorte d’institution invisible dont le prototype pourrait être constitué par la
permettant à 1" incapable de jouer à un jeu de cartes où les règles du
formule : logement "autonome", éventuellement à charge des parents ou de
bridge ne sont pas en vigueur.
l’assistance publique, indemnités de maladie et fréquentation plus ou
moins régulière d’un centre de jour ou d’un atelier.

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En fait, on assiste souvent à cette confusion entre serait davantage avertie de la nature substitutive de
milieu de vie, milieu de travail, et lieu de la thérapie. l’expérience qui s’y déroule et elle ne la confondrait
Mais si une institution qui se dote d’un projet pas avec un processus thérapeutique. Atténuer les
thérapeutique entraîne cette confusion, n’est-ce pas conséquences de l’exclusion par des activités, du
qu’à l’avance la thérapie est conçue comme un travail, des loisirs, ce n’est certes pas en modifier la
processus de réparation ou de suppléance aux nature. Ce n’est pas une raison pour supprimer ce
carences familiales et affectives qui sont supposées que peut avoir de "gratifiant" une expérience
avoir causer la maladie ? C’est dans la mesure où institutionnelle mais ça n’en est pas une non plus
l’on conçoit que la psychothérapie comporte en elle- pour méconnaître l’extériorité de cette expérience
même une dimension de holding, de soutien ou par rapport au champ où se produit l’exclusion du
d’asile "offert au patient que l’expérience vécue dans sujet. La question n’est pas de savoir comment
une institution suffisamment bonne est conçue remédier institutionnellement à cette exclusion (car
comme étant thérapeutique par elle-même. là il n’y a qu’une réponse possible : c’est la
Conception qui ne serait pas tellement différente si réinsertion dans le circuit d’où on est exclu. Or, c’est
elle visait à promouvoir un projet thérapeutique axé justement au niveau de cette lapalissade que
sur la frustration ou sur un juste dosage de la commence le problème). La question est de savoir
frustration et de la gratification. Elle entraînerait la si, dans le milieu qui donne asile aux exclus, cette
même confusion qui procède de la croyance du exclusion peut être reconnue dans un dire qui fasse
thérapeute en son pouvoir thérapeutique. Fiais quel" coupure, qui fasse coupure par rapport au discours
thérapeute "peut-il accepter d’être simplement là "thérapeutique" de la société, de la famille ou de
pour aider, accueillir, amuser les exclus du circuit l’institution. C’est ainsi seulement qu’il peut y avoir
social sans que tout cela n’ait pas un quelque effet" une reconnaissance initiale du symptôme et
thérapeutique' ? Pourtant l’aide, l’assistance, l’émergence possible d’une demande.
1"hospitalité" offerte aux exclus du grand circuit Méconnaître l’exclusion, ce n’est pas seulement
social ne relève pas d’une thérapeutique possible. méconnaître le caractère substitutif de l’expérience
Elle répond à l’exigence sociale d’un lieu d’asile qui se vit hors du circuit, c’est aussi méconnaître la
pour les personnes qui sont exclues ou qui portée du symptôme en tant qu’il s’inscrit
s’excluent du circuit des échanges. Croire que la précisément de cette insupportable ou difficile
suppression de ces lieux entraînerait par elle-même inclusion dans le circuit des échanges, et dans le
une nouvelle efficacité thérapeutique témoignerait discours du maître. Il y a des sujets qui ne tiennent
encore de cette confusion entre thérapeutique et pas le coup dans ce circuit, qui peuvent à un moment
qualité du milieu et n’amènerait en fait qu’à priver donné se dispenser de l’incessant travail que leur
les exclus d’un lieu d’asile, hors circuit. On croit demande une exigence d’être à la hauteur ou se
défendre les exclus contre leur propre handicap – car trouver soudainement exclus d’un circuit dont la
sans doute il n’est pas normal qu’on se dispense de signification imaginaire est pour eux forclose – et
vivre dans le circuit ordinaire et qu’on choisisse la qui trouvent asile hors de ce circuit, au lieu d’errer
"facilité" de l’hôpital – alors même qu’on est les de par le monde. Alors qu’elle témoigne d’un mode
prémiers à dénoncer le mauvais arrangement de la d’inscription dans l’Autre, cette façon d’être exclu,
société comme cause de l’exclusion psychiatrique. délogé, étranger au lien social, est privée de sa
Serait-il donc interdit dans une société idéale de portée symptomatique et de son appel, à partir du
sortir du circuit, de refuser de se nourrir, de ne pas moment où la conséquence ou la face sociale du
s’amuser ? symptôme, à savoir le "hors circuit" du sujet, se
Diluée dans le territoire ou concentrée dans les trouve transformée en condition thérapeutique.
hôpitaux, les foyers, les centres de jour, cette Comment le sujet pourrait-il interroger ce qui ne
fonction d’asile offerte aux sortis du circuit est une veut pas se savoir et s’articule dans son symptôme,
fonction sociale indispensable. Les activités et la vie quand le fait du symptôme, la sortie du circuit des
relationnelle qui s’y déroulent font de l’expérience échanges, finit par correspondre à ce que
vécue dans ces lieux à l’écart du circuit une l’institution demande, en tant qu’elle s’inscrit
expérience plus riche et plus humaine, plus comme thérapeutique : bricoler dans un atelier
"créative" ou moins ennuyeuse. Mais elles ne thérapeutique n’interroge plus le fait de ne pas
suppriment pas la fonction sociale qui les détermine travailler dehors ou de ne pas fréquenter un atelier
et qui est une conséquence de l’exclusion. artisanal dehors, mais ça devient le moyen même d’y
Si l’institution commençait par reconnaître cette remédier. Depuis que la notion de demande a été
fonction sociale de son existence, peut-être qu’elle assimilée par la culture "psy", les institutions

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thérapeutiques n’acceptent plus que des sujets qui le effraction lorsqu’elle n’est pas prévenue par une
demandent. Seulement, en se proposant comme demande ou un projet thérapeutique de notre part. Il
thérapeutique – au lieu d’être un lieu d’asile pour ne s’agit donc pas de promouvoir une quelconque
ceux qui ne veulent ou qui ne peuvent pas être présence de la psychanalyse dans le champ
dehors – l’institution répond par un projet qui adapte institutionnel, ce qui reviendrait à colmater la
rétroactivement la demande du sujet, formulée alors signification du sujet-supposé-savoir par l’offre d’un
comme "motivation" à entreprendre un travail sur savoir institué. Entre le seuil de sortie de la
soi-même, à verbaliser ses conflits, à participer aux psychiatrie et l’entrée dans le champ freudien, une
groupes thérapeutiques. Du même coup le sujet se le clinique se dessine comme effectuation de ce seuil
tient pour dit, sa demande rencontre la demande de même dans l’espace d’asile que la société met en
l’institution, sans qu’il ait à y mettre du sien, sans place. Clinique de l’entretien préliminaire dont
qu’il ait à payer le prix d’un découpage dans l’Autre l’endroit institutionnel (centres de guidance ou
d’un objet manquant, comme cause du désir. Et hôpitaux, communautés ou centres de jour) et le
comment le pourrait-il si au point où sa demande temps requis (parfois très long) comptent moins que
risque de se déchirer, de résonner du rien qui fait le le maintien de ce liminaire, sans quoi la
fond de la demande comme telle, de s’articuler sur la psychanalyse – d’être pratiquée dans l’institution –
barre qui frappe l’Autre du savoir, l’institution vient se transforme inévitablement en une variante du
présentifier un lieu de l’Autre d’où le manque est discours du maître, sans que le savoir puisse jamais
banni d’avance, un champ du symbolique complété venir en place de vérité.
de l’objet "thérapeutique", sous la figure de ses
spécialistes, de ses thérapeutes, voire de ses "FIN D’ANALYSE, ENVIE DE PENIS,
psychanalystes. DEPRESSION GRAVE"(FREUD, 1937)
En ce qui nous concerne, pour conclure, je dirais que Pierre Malengreau
la pratique de la psychanalyse en institution –
qu’elle s’inscrive parmi les autres activités
thérapeutiques dans une sorte de hiérarchisation du Ce que j’ai à vous dire aujourd’hui s’inscrit dans un
symptôme et de son traitement, ou qu’elle se travail qui a pour sujet le repérage et le maniement
démarque du reste du champ institutionnel – ne peut de l’objet a dans une cure psychanalytique, et ce à
s’effectuer que sur le fond du fantasme d’un "objet partir de ce que Freud a pu dire de l’angoisse de
thérapeutique" qu’elle laisse intact. Même si castration comme butée de sa pratique. M’y motive
l’institution se présente par ailleurs comme "lieu de une expérience ancienne dans le temps, mais non à
vie", le fait d’inscrire en son sein la pratique de la ma mémoire, d’une analyse dans laquelle j’avais été
psychanalyse maintient son projet thérapeutique et sommé par l’analysante de "n’être (naître ?) que
situe la psychanalyse parmi les objets offerts par le témoin" de ce qu’elle avait à dire, et de "n’être
savoir. Seule une nette séparation entre le lieu (naître ?) pour rien" dans ce qui lui arrivait. (…)
d’"asile" et le lieu de l’analyse peut éviter d’écraser La fin de cette cure s’est trouvée ainsi programmée
le temps nécessaire d’une ouverture à la parole qui dès son début, de ce qu’il en fallait au moins un du
déchire la demande "adaptée" au projet côté de l’autre, à porter le poids de la castration.
thérapeutique de l’institution. Peut-être simplement Côté analyste y a fait écho une phrase de Lacan :
une parole qui refuse la thérapie ou qui dit le souhait "que l’analyste sache la limite de ses moyens".
de faire un autre métier, ou de rejoindre le grand- J’avance que, si cette injonction est souvent restée
père, une parole où le sujet se trouve décroché de lettre morte pour les analystes, et ce jusque dans leur
son statut de soigné et éventuellement confronté aux vie sociale, c’est faute d’une articulation suffisante
implications de l’exclusion que détermine son entre la fin d’une psychanalyse telle qu’elle se
symptôme. repère came visée à partir de la structure du discours
Une telle séparation ne nous décharge pas du travail psychanalytique, et les fins effectives, les
d’assistance, d’animation, de soulagement de la terminaisons effectives des cures proprement dites.
souffrance par les médicaments, pour lequel nous Alors, que constatons-nous ? Que le propre du
pouvons être requis dans un de ces lieux d’asile, névrosé, c’est d’investir la castration, au sens
extérieurs au circuit des échanges. Mais si la imaginaire du terme, d’en faire l’enjeu apparent de
réduction de l’institution à sa fonction sociale son discours. Ses plaintes en témoignent, et ses
implique une dissolution des idéaux thérapeutiques, demandes mettent l’autre en demeure d’en répondre
elle ne nous dédouane pas de la responsabilité à et en puissance d’y répondre. Ce n’est pas sans
laquelle nous engage une parole qui peut faire avantage pour lui, parce qu’à faire porter le poids de

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la castration par l’autre, ça permet au névrosé de Eindruck la place qui lui revient, de situer comme
maintenir au lieu de l’Autre, quelque chose qui incontournable ce qui s’était présenté comme
viendrait garantir la vérité de ses demandes. Cet indépassable. Incontournable, ça veut dire qu’on ne
intérêt pour la castration, Lacan nous a appris à la peut pas en faire l’économie. Pour. Freud, l’angoisse
reconnaître comme passion du phallus. On de castration est incontournable, tout comme la
comprend fort bien que cela puisse faire point de question du père. S’il s’arrête, c’est faute de repères
butée dans une psychanalyse. Pourquoi en effet un suffisants. Ce qui par contre ne l’a pas empêché
névrosé renoncerait-il à ce qui l’intéresse ? d’ailleurs de nous transmettre par exemple un
L’étonnant dans cette affaire, et ça ce sont les cures matériel clinique de cas dont la mise en place
qui nous l’apprennent, c’est qu’à prendre cet intérêt dépasse souvent la lecture seconde qu’il en fait.
au mot, d’en effectuer le repérage signifiant jusqu’à D’une clinique des fins d’analyse, nous pouvons
la mise à jour du fantasme qui soutient cet intérêt, donc attendre l’inscription de butée en points de
l’étonnant, c’est que cela produise de l’angoisse, et passage, passe peut-être.
plus particulièrement ce que Freud a nommé L’intérêt n’est pas mince, de permettre aussi une
angoisse de castration. Comment se fait-il que la relecture après-coup de la cure elle-même. N’y
castration à quoi s’intéresse le névrosé puisse aurait-il pas en effet un lien entre la manière dont
devenir pour lui le lieu de son angoisse ? Question une cure s’interrompt, voire se termine, et la manière
cruciale puisque son repérage dans la structure dont elle a été menée ? N’y a-t-il pas quelque
conditionne un possible dépassement de la dite rapport entre la limite d’une cure et le maniement de
angoisse de castration. la coupure dans la cure elle-même ? Ce que Freud
C’est sur cette question que Freud s’arrête, qu’il a en nous enseigne à cet égard, c’est que la butée d’une
tout cas l’impression de s’arrêter, car remarquons cure est souvent déterminée par la manière dont
quand même, comme c’est souvent le cas chez cette cure aura été menée. Ce qui se donne donc
Freud, que la borne qu’il pose comme limite de comme problème de clinique psychanalytique se fait
l’analyse se trouve dépassée par les repères ainsi l’écho d’une difficulté technique. Qu’en est-il
structuraux que lui-même avance. Au fond, Freud de la direction de la cure, et donc du maniement de
repère fort bien l’enjeu structural de l’angoisse de la coupure interprétative ou non, de manière à ce
castration, mais il ne sait qu’en faire, faute sans qu’une psychanalyse soit à la hauteur de sa finalité ?
doute d’une articulation logique suffisante des Ou encore, de manière plus spécifique, comment un
rapports entre angoisse et castration. Lacan s’y est psychanalyste opère-t-il au niveau de l’angoisse dite
attaché, et toute sa théorie de la fin de l’analyse s’y de castration, afin de ne pas permettre à celle-ci de
trouve impliquée. s’offrir à l’analysant comme butée indépassable de
Ces prémisses étant posées, que peut être sa cure ? Question d’autant plus cruciale pour un
aujourd’hui l’enjeu de ce que dit Freud sur la butée psychanalyste, que rien ne lui permet de déterminer
de sa pratique, sur la limite de son action ? à l’avance les modalités selon lesquelles s’inscriront
Constatons d’abord le peu d’enthousiasme des dans la cure d’un analysant, les signifiants qui le
analystes à parler de la terminaison des analyses déterminent et les impasses qu’ils emportent. On
qu’ils ont "dirigées". Ils gardent plutôt un silence l’aura compris, c’est ici plus qu’une simple affaire
pudique sur la limite de leur action, honteux sans de doigté.
doute de ce que pourraient y être repérés les plis Je suis parti de ce que Freud dit dans "Analyse finie
qu’ils y ont mis, ravalement somme toute banal d’un et infinie", et plus particulièrement du passage
fait de structure sur une question de personne. Ce suivant. "De cette surcompensation récalcitrante de
n’est pas le cas de Freud ! La fin d’une psychanalyse l’homme dérive une des plus fortes résistances de
fait question, entre autres de ce qu’une psychanalyse transfert. L’homme ne veut pas s’incliner devant un
démonte l’idéal qui soutient nécessairement sa visée. substitut du père, il ne veut pas être son obligé, et
Comment dès lors articuler la fin de l’analyse et les par là ne veut pas aussi recevoir du médecin la
questions que posent les interruptions d’analyse et guérison. Un transfert analogue ne peut pas se
les arrêts dits prématurés ? produire à partir du vœu de pénis de la femme ; par
Une clinique des fins d’analyse reste à faire, une contre ce sont de sévères dépressions qui viennent
clinique, c’est-à-dire un repérage dans la structure. de cette source, dépressions issues de l’intime
Lorsque Freud nous parle de "roc" à propos de conviction que la cure analytique ne sert à rien et
l’angoisse de castration, ce n’est pas sans dire qu’il qu’il n’est pas possible de la traiter. On ne peut lui
s’agit pour lui d’une impression, non d’une donner tort, quand on apprend que l’espoir de
certitude. Une clinique se devrait de donner à cette retrouver l’organe même douloureusement disparu a

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été le plus puissant motif qui l’a poussée dans la l’objet de sa quête, soit à découvrir que le phallus, il
cure. On apprend cependant aussi par là que n’est ne peut l’avoir que marqué du signe moins (-phi).
pas importante la forme sous laquelle surgit la D’où maintenant la question : qu’en est-il de ce
résistance, transfert ou non. Reste décisif le fait que signe "moins" dont se qualifie le phallus dans une
la résistance ne provoque aucune transformation, cure ? La question n’est pas des moindres, car pour
que tout demeure dans le même état. On a souvent le névrosé, c’est paradoxalement aussi là où ses
l’impression (Eindruk, avec le vœu de pénis envies se trouvent être satisfaites qu’apparaît
(penisneid) et la protestation mêle, qu’à travers l’angoisse. "Pas d’analyse sans angoisse". "Oui
toutes les couches du psychisme, on s’est frayé un mais" rétorque le névrosé, car il ne sait trop si le
passage jusqu’au roc qui surgit comme butée passage du trop au trou vaut la peine qu’il se donne,
(gewachsenen Fels), et ainsi à la fin de notre notamment de payer le prix de sa jouissance au
activité". (G.W. XVI, 391). détriment du plaisir que lui procure l’objet de ses
Prend en compte l’affirmation de Freud selon demandes. Ensuite, seconde question : comment
laquelle le prétendu roc de la castration constitue "authentifier la qualité d’une certaine position
une butée commune aux deux sexes, a pour effet de dépressive" qui apparaît à cet endroit ? Ce n’est pas
permettre une mise à plat d’une séquence logique, par hasard que je cite ici cette phrase de Lacan, par
du moins cliniquement repérablé. Qu’elle soit laquelle il qualifie le passant dans sa proposition
récurrente constitue une avancée dont la théorie de d’octobre. Authentifier nous indique, par référence à
Lacan permet de rendre compte : ça se produit l’étymologie, qu’il s’agit là d’une dépression pas
plusieurs fois dans une psychanalyse, au moins deux comme les autres. Non seulement on ne s’en donne
fois. A charge pour moi d’en reprendre une autre pas les airs, mais il s’agit de la prendre sur soi. Une
fois la portée. dépression hors plainte, hors demande, en quelque
Alors, cette séquence, quelle est-elle ? sorte. Cette dépression, qu’il convient de distinguer
Premièrement, l’envie du pénis est le moteur de la de toute revendication phallique déçue, c’est ce qui
cure pour une femme. Deuxièmement, cette envie ne arrive quand un sujet s’engage dans ses demandes au
peut être satisfaite que par l’analyse, et pour cause, point d’en épuiser les contenus significatifs. Ce qui
puisqu’elle rencontre une limite biologique. se dévoile alors au sujet, c’est l’enjeu de toute
Troisièmement, des dépressions graves peuvent demande, l’enjeu de ce que l’homme ne peut faire
apparaître à ce moment de la cure, voire en que demander. A force de demander, de s’engager
constituer le moment d’arrêt. Remarquons qu’il n’y dans ses demandes, ce qui lui arrive, c’est de finir
a rien à comprendre de cette séquence si nous ne par obtenir ce qu’il demande, à savoir "être privé à
saisissons pas que l’envie du pénis est en fait envie proprement parler de quelque chose de réel"(Lacan).
du phallus. Freud n’a cessé d’insister sur le fait qu’il L’inversion du signe " + " en signe "–" par rapport à
ne s’agit pas ici d’une affaire d’organe. Le sexe de la l’objet de la demande est sans doute ce que signale
femme ne symbolise pas plus le manque que le pénis ce temps de dépression ; passage obligé ou moment
ne symbolise le phallus. Ils ont seulement fonction d’arrêt d’une cure, selon qu’un sujet pourra ou non
d’imaginarisation, tantôt du manque, tantôt du renoncer à investir, non plus ce qui lui manque, mais
phallus. Seul s’y marque une affaire d’écriture, une le manque lui-même.
lettre par quoi tourne court toute tentative Mais laissons là ces remarques et ces questions ;
d’investissèment narcissique du manque. La mon projet n’est pas d’investiguer les réponses qu’y
dépression dont parle Freud aurait-elle ici pour enjeu apporte Lacan, mais plutôt de déployer les
d’en restaurer le contenu ? difficultés qui les ont causées. Le cas de la jeune
De cette séquence se déduisent plusieurs questions femme homosexuelle (Freud, 1920) y convient
dont ces deux-ci. Premièrement, quel manque particulièrement. Freud y fait état d’une interruption
introduit le cheminement psychanalytique dans cette d’analyse. Il s’agit une fois de plus d’extraire de
question du phallus. Par exemple, une psychanalyse l’expérience freudienne ce qu’il nous en propose
lève-t-elle la référence au phallus, ou au contraire comme repères de structure. Apprendre à bien dire
positive-t-elle le dit phallus en le marquant du signe ce qui se dépose dans l’expérience psychanalytique
moins ϕ. constitue un préalable à toute élaboration d’une
Le névrosé sait bien qu’à dire ce dont il a envie, ça clinique psychanalytique. Lacan n’a cessé de nous le
donne prise à l’autre. Aussi préfère-t-il quelque fois rappeler. C’est une fois encore une affaire d’éthique,
son envie plutôt que de la voir satisfaite. C’est qu’il au sens où on reconnaîtra sans doute la pratique d’un
pressent qu’à soutenir sa quête, ses demandes psychanalyste à la manière dont il en rendra compte.
comme on dit, ça va le mener à quoi ? A se priver de Nulle extériorité ici en la matière. Alors, bien dire,

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c’est à minimum s’en tenir à ce que l’analysant dit, L’objet a, comme tel, se dérobe dans la cure. Il est
et non à ce que nous voudrions qu’il dise. C’est dire ce autour de quoi s’organisent les signifiants d’un
aussi qu’un psychanalyste se doit de se refuser toute sujet. Le fait que Lacan le désigne par une lettre, la
forme de complaisance dans le récit de ses cures. lettre "a", et non par un signifiant, indique
Que cela nous soit particulièrement difficile justifie suffisamment que sa saisie ne pourra être
au pire, de se taire, au mieux, d’être plusieurs à qu’illusoire. C’est dire la méfiance qu’il convient
parler. d’avoir à l’égard des contenus imaginatifs dont se
Deux séquences me suffisent ici. La première est pare l’objet. Ainsi, dans le bout de phrase cité : "voir
celle qui a mené cette jeune fille chez Freud, la un cadavre qui me regarde", rien ne permet comme
seconde concerne ce que Freud nommera l’arrêt tel d’affirmer que l’objet "a" concerné serait de
prématuré de cette cure. La première séquence vous l’ordre du regard, sauf à ramener la psychanalyse à
est sans doute connue, Lacan y faisant plusieurs fois une pratique de psychologue. Rien ne permet de
références dans ses séminaires, spécialement dans l’affirmer à partir de ce que j’en ai dit, et c’est même
son séminaire sur l’angoisse. Un, la jeune femme est tout à fait secondaire par rapport à la fonction que le
avec son amie. Deux, "le père les croise et jeta un dit objet occupe dans le discours. Ce qui signale la
regard furieux à sa fille et à sa compagne qu’il présence de l’objet, ce n’est pas le contenu de ces
connaissait de vue". Trois, la jeune femme se laisse petits bouts de phrase, ni même les signifiants qu’ils
tomber quelques instants plus tard du haut d’un pont. véhiculent, mais bien le fait que ces petits bouts de
D’en avoir réchappé lui permet de rencontrer Freud phrase soient détachables du reste, bouts de phrase
et d’entreprendre une psychanalyse. En clinicien baladeurs si je puis dire. Ils se caractérisent quelques
averti, Freud remarque que nulle part dans l’analyse fois d’être rétifs à toute interprétation, et l’angoisse
sa patiente ne mentionne l’angoisse suscitée par le qui les accompagne n’est pas sans signaler la
regard furieux du père. L’étonnant, c’est que Freud proximité même de l’objet. Ce qui caractérise un
laisse lui-même tomber ce détail. Il construit sa tenant-lieu de l’objet, c’est d’être détachable,
compréhension autour d’un désir de vengeance et de cessible, "un petit bout arraché à quelque chose" dira
séduction à l’égard du père, mais nulle part il ne fait Lacan. C’est pourquoi il peut se signaler par un
lui-même état de ce qui singularise ce désir„à savoir "laisser tomber", par cette chose que l’on tient en
ce regard furieux, siège de l’angoisse. C’est à propos main et dont on peut se défaire.
de cette singularisation du désir que se pose la Dans le cas de la jeune femme homosexuelle, Freud
question du repérage de l’objet, et plus repère bien ce qu’il en est de ses désirs de vengeance
particulièrement la possibilité d’opérer sur le et de séduction ; mais ça, c’est du côté de ce qu’il
fantasme. La seule marge de manœuvre dont dispose sait déjà. Ce qu’il ne repère, pas plus que son
l’analyste repose sur la "possibilité d’extériorisation analysante, c’est l’enjeu subjectif de cette affaire, à
de l’objet a"(Lacan), ce qui suppose pour le moins savoir le regard du père, l’angoisse qu’il suscite et le
un repérage correct de son lieu d’émergence. caractère cessible dont s’affuble à sa suite la jeune
Il n’est pas difficile de dénicher chez nos analysants femme, de pouvoir "se laisser tomber", se détacher
des phrases comme "je souhaite la mort de mon de la scène.
père", ou encore "j’aime ma mère : elle ne me fait Les notations de Freud qui concernent l’arrêt
pas peur". C’est même à la portée de tout le monde, prématuré de la cure, donnent à cette question de
et de l’analysant tout aussi bien. Il dira même qu’il l’objet un relief particulier. Une analyse s’engage
sait tout ça, et que ça ne change rien de le savoir. avec Freud, et lui confirme fort bien dans un premier
Il a tout à fait raison ! Ce à quoi nous sommes temps la justesse de sa théorie. Puis apparaît dans la
confrontés dans une psychanalyse, c’est à des cure un petit grain de sable, un petit reste, de quoi
suppléments de phrases. "Je souhaite la mort de mon gripper les rouages de sa construction : son
père, afin de voir son cadavre qui me regarde" ; analysante lui amène un rêve mensonger
"j’aime ma mère : elle ne me fait pas peur, parce que (lügnerischen Traum) dont l’effet pourrait être un
c’est du carton pâte". C’est ça la réalité de l’analyse. avilissèment (Entwurdigung) de l’inconscient. Freud
Au moment où le phallus se présente dans sa réalité, essaye de se rattraper en disant que l’enjeu en est un
c’est-à-dire marqué du signe négatif (par exemple désir de vengeance à l’égard du père, et partant, à
"ça ne me sert à rien de savoir tout ça"), nous son égard ; elle se venge en mentant dans son rêve.
sommes confrontés à ce qui se présente du côté de En fait, il ne comprend plus ce qui se passe. "Je
l’objet, ou plus exactement du côté de ses tenants n’arrive à rien avec elle"…, et il la laisse tomber.
lieu. "J’interrompis donc la cure, aussitôt que j’eus
reconnu la position de la jeune fille vis-à-vis de son

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père, et lui donnai le conseil de poursuivre la signifiant et de l’inviter à se laisser entraîner par la
thérapie, si on lui accordait quelque valeur, auprès logique de ce signifiant jusqu’à la conclusion.
d’une femme médecin".
L’étonnant, c’est que Freud la laisse tomber
précisément lorsque quelque chose ne va plus,
lorsque le discours de l’analysante met en échec, non
sa pratique d’analyste – ce que fait toute hystérique
– mais la conception même qu’il a de la
psychanalyse. Freud la laisse tomber au moment où
apparaît dans le cure un nouveau type de manque. A
l’impuissance du savoir à rendre compte de l’énigme
que lui pose l’homosexualité de cette femme, vient
se substituer une limite interne au savoir : le manque
n’est plus imaginarisé par la possibilité toujours
reculée de rendre enfin compte des ressorts de cette
homosexualité ; c’est la construction analytique elle-
même qui est mise en question. Ce à quoi cette jeune
femme confronte Freud, c’est à un deuil particulier,
en ce qu’il ne porterait plus sur les supports
imaginaires de l’objet, mais sur la possibilité même
d’aborder cet objet autrement que par des leurres. Si
même les rêves peuvent mentir, alors l’Autre est
effectivement défectueux à nommer cet objet lui-
même. Les leurres de la construction sont reconnus
pour ce qu’ils étaient, nécessités instaurées en vue de
leur chute, et l’analyse apparaît alors comme ce qui
programme la chute de ce qu’elle engage. Ce que
Freud manque à cet endroit, "c’est ce qui manque
dans son discours", dira Lacan. Ainsi sommes-nous
renvoyés à ce que Freud déploiera ultérieurement à
propos de la butée de sa pratique. La jeune femme
homosexuelle et Freud sont en effet renvoyés dos à
dos dans un "laisser tomber", mutuel sans doute,
mais non sans rattrapage, puisque Freud lui conseille
de poursuivre l’analyse chez une femme. Ce qui
aurait pu être un acte de séparation n’est-il pas plutôt
ici séparation fictive et report infini de
l’interprétation ? Là où l’investissement du tout dire
et du tout analysablé aurait pu s’avérer impraticable
du fait de l’objet, Freud s’efface lui-même. Se
trouve dès lors tracé le curieux dilemme auquel il
aboutit en 1937 : ou l’analyse infinie, ou la
dépression. Soit l’impuissance dans les deux cas à
faire de la négativité du phallus, carence positive. Ce
en quoi Freud rejoint ce sur quoi bute effectivement
le névrosé, à faire quelque chose de car le vrai
maître, celui qui commande toute la discussion entre
Socrate et l’esclave, c’est le signifiant "diagonale",
plutôt que le sujet Socrate qui s’efface complètement
sous ce signifiant, qui n’est là, en somme, qu’au
service du signifiant ; il ne cesse d’ailleurs de
prendre Ménon à témoin de ce qu’il n’enseigne rien
à l’esclave, mais qu’il se contente de le questionner
– c’est-à-dire qu’il se contente lui proposer du

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