Sie sind auf Seite 1von 8

Les mathématiques et la théorie de la connais-

sance

G. Milhaud, la Revue Scientifique — 12 février 1887


Le souci trop exclusif de la rigueur formant tout un chapitre nouveau. Ce
donne à l’enseignement des mathé- sont, pour ainsi dire, les éléments vi-
matiques une forme souvent dogma- taux des mathématiques : la puis-
tique. Ceux qui ont reçu cet enseigne- sance de déduction de l’esprit sem-
ment dans les lycées ou les facultés blait épuisée sur les premiers objets
sont longtemps sans comprendre qu’il de ses études, une définition survient
puisse y avoir, à propos de ces et apporte un nouvel aliment il son ac-
sciences, des questions capables de tivité. C’est ainsi que les définitions
diviser les penseurs, et toute discus- semblent chaque fois assurer une pro-
sion philosophique sur les notions es- longation de vie aux mathématiques,
sentielles des mathématiques est sou- de manière à en reculer les bornes à
vent mal accueillie. par la simple rai- l’infini. - Or que renferme une défini-
son qu’on en sent difficilement la né- tion ? A quelle condition est-elle ac-
cessité. ceptable ?
Nous voulons ici faire comprendre à Une définition a pour objet de
grands traits comment les mathéma- construire une chose ou un fait à l’aide
tiques peuvent donner lieu à des dis- de certaines propriétés reliant l’élé-
cussions intéressantes sur l’origine et ment nouveau à ceux déjà connus, et
la formation de leurs concepts. Nous la seule condition imposée à ces pro-
ferons voir pour cela que l’enchaîne- priétés parait être qu’elles ne pré-
ment rigoureux des déductions aux- sentent entre elles aucune contradic-
quelles tend l’enseignement est en tion logique. C’est le seul point sur le-
réalité postérieur au développement quel on juge utile d’insister quand, en
normal de ces sciences et qu’il n’at- mathématiques, on sent le besoin de
teint son idéal de rigueur que pour de- justifier une définition. Mais alors la
venir de plus en plus formel, et par première impression que donne la lec-
cela même, de plus en plus subjectif. ture d’un traité spécial est des plus
étranges. Il semble que l’esprit puisse
Quand on ouvre un traité de mathé-
se donner libre carrière : n’a-t-il pas,
matiques, on est frappé de l’impor-
pour créer ses définitions, un champ
tance du rôle que jouent les défini-
sans limite ? - et non seulement on
tions : chacune d’elles sert de base à
sent bien que la science mathéma-
un développement plus ou moins long,

© : Sciences.gloubik.info Page 1/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
tique ne saurait avoir de bornes, mais lui emprunte l’étendue, le point, la
encore on se demande s’il ne pourrait ligne droite avec toutes leurs proprié-
exister une infinité de mathématiques tés intuitives. L’analyse est fondée sur
distinctes de celles qui sont ensei- le nombre, dont l’idée nous est fournie
gnées, si enfin celles-ci ne sont pas par l’expérience, et sur ses proprié-
dues il un caprice de l’intelligence hu- tés ; ce sont là des vérités naïves sur
maine qui se serait plu à suivre une lesquelles il est inutile d’insister. Mais
voie parmi tant d’autres également les points de départ ainsi fixés, l’indé-
accessibles ? - En géométrie, passe termination du chemin à suivre n’en
encore ! on se sent vaguement guidé subsisterait pas moins si la géométrie
par des corps, par des formes, sem- ou l’analyse ne se laissaient guider par
blables à ce que nous montre le des données extérieures, et c’est pré-
monde extérieur. Mais que dire de cisément, en dépit des apparences, ce
l’analyse, maintenant surtout que, qu’elles font sans cesse. Nous ne vou-
grâce aux travaux de reconstruction lons pas parler ici seulement du postu-
des Lagrange, Cauchy, Abel, etc., il est lat d’Euclide qui, loin d’être un axiome
possible de parvenir aux notions les logique, est nettement déjà l’affirma-
plus élevées sans faire intervenir tion d’un fait expérimental. On peut le
d’autre donnée expérimentale que le joindre aux données initiales : elles
nombre1? sont si complexes qu’il importe fort
peu de penser ou non que ce fait nou-
Pour se rassurer et voir disparaître le
veau est impliqué dans les notions in-
caractère capricieux et arbitraire des
tuitives sur lesquelles est fondée la
mathématiques, il faut remonter à la
géométrie. D’ailleurs, il n’y a eu d’ar-
genèse des notions qu’elles étudient
rangement d’aucune espèce dissimu-
et regarder un peu par-dessous cet ar-
lant le fait tout nu, et il y aurait peu
rangement parfait qu’on nous pré-
d’intérêt à dénoncer cet emprunt à
sente aujourd’hui.
l’expérience.
On distingue ordinairement les ma-
Mais il y a plus : tous les éléments
thématiques pures et les mathéma-
nouveaux qu’étudie la géométrie,
tiques appliquées, les premières étant
angle, angle droit, cercle, longueur de
la géométrie et l’analyse, les autres
circonférence, etc., ne sont suggérés
étant des applications de celles-là.
que par le monde extérieur. Il en est
C’est mal indiquer qu’une seule ques-
de même en analyse du nombre frac-
tion de degré justifie celte distinction :
tionnaire, du nombre incommensu-
la géométrie et l’analyse sont les pre-
rable, de la limite, etc. Les nombres
mières et les plus simples applications
imaginaires eux-mêmes sont apportés
de la mathématique, c’est-à-dire de
par l’expérience, quoique cela pa-
ces suites spéciales de déductions, de
raisse paradoxal. C’est qu’ici cette ex-
ces méthodes logiques particulières
périence s’est affinée, pour ainsi dire,
qui appartiennent à toutes les
et est devenue la constatation du ré-
sciences mathématiques, abstraction
sultat d’un calcul ou d’une transforma-
faite de leurs objets. On sait d’abord
tion algébrique. Mais tout cela est loin
que les données premières de la géo-
d’être évident. Chaque fois qu’un nou-
métrie et de l’analyse sont puisées
vel objet d’étude est suggéré, les ma-
dans le monde extérieur. La géométrie
thématiques se l’assimilent au point
1 Voir l’Introduction à l’étude des fonctions d’en dissimuler l’origine, ou plutôt, à
d’une variable, de M. J. Tannery.

© : Sciences.gloubik.info Page 2/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
l’occasion de cet élément, elles droite, à partir du point, une longueur
construisent logiquement Ui être nou- égale à la distance donnée : l’extrémi-
veau, elles le créent de toutes pièces, té de cette longueur est ce qu’on ap-
et si l’unique souci qui les guide paratt pelle un point de cercle. La possibilité
être la non-contradiction des proprié- de construire ainsi autant de points de
tés dont elles l’affublent et la possibili- cercle qu’on voudra, voilà ce que
té de les exprimer à l’aide des élé- contient la notion de lieu géométrique
ments anciens, en réalité, la préoccu- qui entre dans cette définition. On dé-
pation première a été que cette créa- duit de celle-ci toutes sortes de pro-
tion logique correspondit exactement priétés ; par exemple, une droite, qui a
à l’objet concret. Cette préoccupation un point commun avec un cercle, en a
est peu visible, parce qu’elle importe un second ; un diamètre partage le
peu à la rigueur des raisonnements. cercle en deux parties symétriques ;
Mais si on ne veut pas laisser aux ma- en d’autres termes, à tout point de
thématiques une beauté purement cercle, on peut en faire correspondre
platonique, s’il faut qu’elles méritent un second symétrique par rapport à
leur titre de science, tous ces dévelop- un diamètre quelconque, etc. La consi-
pements logiques sont destinés à être dération des polygones inscrits, c’est-
utilisés dans la connaissance générale à-dire dont les sommets sont points de
du monde physique, et alors, pour la cercle, permet de définir la longueur
solution du problème le plus simple, de la circonférence : ce sera la limite
on sera bien obligé d’admettre l’identi- des périmètres des polygones inscrits
té de l’objet extérieur et du concept dont le nombre des côtés augmente
purement logique. A cet instant précis indéfiniment ... Dans tout ce dévelop-
se trouve dénoncée l’origine expéri- pement, il n’entre en aucune façon
mentale de toute définition. Si on a pu l’idée de la forme du cercle, de ce
la dissimuler, c’est à la seule condition rond parfait que nous tirons par abs-
d’y substituer, pour l’instant de l’appli- traction de ceux que fournit l’expé-
cation, une proposition indémontrable, rience. Ce rond est formé par un
un véritable postulat, par lequel nous contour continu ; il divise le plan en
affirmons que nos théories logiques deux parties : l’une, qu’il limite et que
peu vent donner l’explication d’un fait nous disons intérieure, et une autre,
objectif. extérieure... toutes notions absolu-
ment distinctes des définitions et dé-
Quelques exemples simples aideront
ductions géométriques. De même, le
à éclaircir ces idées.
concept purement logique de la lon-
Après l’étude de quelques propriétés gueur de la circonférence est essen-
des lignes droites considérées en- tiellement distinct de ce que, par intui-
semble, la géométrie utilise ces pro- tion, nous entendons par la longueur
priétés à l’occasion d’un élément nou- d’un rond, le tour d’une roue, par
veau : le cercle. La définition qui lui exemple, ou la longueur d’un fil
sert, pour ainsi dire, de passeport est d’abord exactement appliqué sur la
la suivante : La circonférence de circonférence rie la roue, puis déroulé.
cercle est le lieu géométrique d’un
C’est ainsi que, là même où les ma-
point situé à une distance donnée d’un
point déterminé. Traduisez : Que par le thématiques semblent être le plus voi-
point déterminé on mène une droite sines des objets concrets de l’intuition
quelconque, qu’on prenne sur cette expérimentale, elles se développent

© : Sciences.gloubik.info Page 3/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
parallèlement à ces objets et sans ja- disparu. Mais cependant rien n’est
mais faire disparaître la dualité plus aisé que de dissimuler ici l’origine
qu’offre la donnée des sens, affinée du développement nouveau2. Appe-
même par l’abstraction et la construc- lons fraction le symbole formel compo-
tion logique de l’esprit. Mais ici, du sé de deux nombres entiers écrits l’un
moins, ce parallélisme est assez par- a
au-dessus de l’autre ( ). Conve-
fait pour que nous sentions fort bien b
comment a procédé la géométrie. nons de dire que deux fractions sont
L’expérience a d’abord fourni, non égales quand les termes de l’une sont
seulement la notion du cercle, mais des équimultiples de ceux de l’autre ;
une foule de ses propriétés. Parmi définissons somme, différence, pro-
celles-ci, à une époque de beaucoup duit, quotient de fractions, les résul-
postérieure, le géomètre a choisi tats auxquels conduirait la considéra-
celles qui, tout en ne s’exprimant qu’à tion des quantités concrètes, etc. Les
l’aide de droites, de points et de lon- définitions étant toujours conformes à
gueurs, pouvaient le mieux, à ses ce qui résultait pour nous de la don-
yeux, caractériser le cercle concret et née expérimentale, rien ne sera chan-
il a construit avec elle la théorie du gé à la suite du chapitre sur les frac-
cercle. Mais qu’on demande seule- tions. Il est probable que tôt ou tard
ment, par exemple, quel est le tour on exposera ainsi couramment ce cha-
d’une roue dont on donne le rayon, pitre, Mais qu’on trouve alors la solu-
comment résoudre le problème à 2
tion x= au problème le plus simple,
l’aide de la géométrie, si on n’admet 3
l’identité entre la limite des périmètres où l’inconnue est une longueur, il fau-
des polygones inscrits et le tour même dra bien admettre, pour l’interpréter,
de la roue ? — L’arrangement par le- 2
quel on a chassé l’expérience est trahi que représente deux fois le tiers
3
à cet instant par un postulat, celui pré- de l’unité, et, en somme, on rétablira
cisément qui, en réalité, avait conduit ainsi tout ce qu’on aura paru suppri-
à la définition logique. mer.
L’exemple précédent nous reportait Ces exemples suffiraient peut-être à
à une époque reculée de l’histoire des montrer la marche des sciences ma-
mathématiques ; en voici un, au thématiques : elles se développent na-
contraire, qui, bien qu’emprunté à turellement sous l’impulsion de l’expé-
l’arithmétique élémentaire, répond à rience, mais cachent tôt ou tard sous
des tendances actuelles. Au commen- des constructions logiques l’origine de
cement du chapitre des fractions, en leurs concepts. En voici une dernière
arithmétique, on accepte ordinaire- lit intéressante confirmation tirée de
ment un fait d’expérience : le partage l’analyse supérieure.
de l’unité en parties égales. — L’égali-
Supposons qu’à un instant quel-
té de deux fractions ou la supériorité
conque de l’histoire des mathéma-
d’une fraction sur une autre s’ex-
tiques, on sente le besoin d’utiliser
pliquent par la considération de deux
une propriété nouvelle des quantités
longueurs, par exemple, mesurées par
concrètes, il ne sera pas toujours fa-
les fractions. La donnée expérimen-
cile de l’énoncer simplement, de l’ex-
tale, qui rompt en arithmétique la
chaîne des déductions, n’a donc pas 2 Voir le commencement de l’ouvrage déjà
cité de M. Tannery.

© : Sciences.gloubik.info Page 4/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
pliquer, de la ramener à d’autres arrêté, au moins en France, depuis
connues, de débrouiller les éléments Cauchy et Duhamel, l’exposé de l’ana-
complexes qu’elle implique. Il se peut lyse infinitésimale. Le problème de re-
cependant que des esprits élevés de- construction logique qui devait en
vinent comme par instinct qu’il s’agit faire une suite rigoureuse des cha-
là d’une notion féconde, et qu’un dé- pitres antérieurs est-il complètement
veloppement fondé sur elle réalisera résolu ? Nous allons faire voir qu’il ne
un grand progrès dans la connais- l’est pas d’une façon absolue dans
sance générale des choses. A priori, l’enseignement actuel, sauf à montrer
nous n’avons pas de peine à admettre ensuite comment un pur formalisme
l’existence de tout un long chapitre peut fournir cette solution.
mathématique construit sur des no- L’exposé que présentent aujourd’hui
tions qu’on n’explique pas : la géomé- les cours d’analyse, et qui a pour point
trie et l’arithmétique n’ont-elles pas de départ la définition mathématique
pour données initiales des concepts de la limite, réduit le fait expérimental
impossibles à définir ? Si nous suppo- que nous avons signalé à un simple
sons enfin que les chercheurs appli- postulat, indémontrable, que M. Paul
qués aux idées nouvelles, frappés de du Bois-Reymond compare avec raison
l’intérêt des résultats, se soient avant au fameux axiome d’Euclide. Il s’agit
tout préoccupés d’en enrichir la liste, du principe des limites, qui s’énonce
la reconstruction logique des données ainsi : Si une quantité variable croit
expérimentales risquera fort de rester sans cesse, tout en restant inférieure à
longtemps inachevée ; longtemps la une quantité déterminée, elle a une li-
branche analytique qui aura ainsi mite.
poussé brusquement semblera ne
point se rattacher au tronc primitif. Duhamel en donne la démonstration
C’est précisément là ce qui s’est passé suivante3:
pour l’analyse supérieure, pour cette « Soit A la valeur au-dessous de la-
partie de l’analyse qui traite des in- quelle est toujours la variable, et B
commensurables, des limites, des sé- une de celles qu’elle prendra ; qu’on
ries et produits infinis, des infiniment partage l’intervalle de B à A en parties
petits, des différentielles, etc. Le fait égales aussi petites que l’on voudra :
expérimental qui en est le point de dé- la variable pourra bien dépasser tous
part, et dont l’introduction dans l’ana- les points de division, mais ne peut al-
lyse remonte à une époque impossible ler jusqu’à l’extrémité ; il pourra aussi
à fixer, est la notion du devenir de la se faire qu’elle ne les dépasse pas
quantité concrète, du passage continu tous, et alors il y en aura un qui sera
d’un état à un autre. Après avoir sug- le dernier qu’elle dépasse ; elle restera
géré bien des travaux, cette notion donc toujours comprise entre celui-ci
parvint à sa dernière et complète et le suivant, c’est-à-dire dans un in-
consécration dans les méthodes tervalle aussi resserré qu’on aura vou-
qu’inaugurèrent Newton et Leibniz. lu, et dans lequel elle ira toujours en
Mais l’exposé de ces méthodes est croissant. En subdivisant cet intervalle
loin d’avoir toujours présenté l’enchaî- en un nombre aussi grand qu’on vou-
nement dont les traités nous donnent dra de parties égales, on reconnaîtra
aujourd’hui le tranquille spectacle. Ce de même que la grandeur ne peut se
n’est que difficilement et au prix de
3 Duhamel, Des méthodes dans les sciences
longs efforts qu’a été définitivement
de raisonnement, 2° partie, p. 413.

© : Sciences.gloubik.info Page 5/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
trouver que dans un nouvel intervalle et qu’en somme ce raisonnement se
fixe entre B et A, et d’une étendue réduit à changer, sans l’expliquer,
aussi voisine de zéro qu’on le voudra. l’énonciation du fait intuitif ?
Il existe donc une certaine valeur fixe Ces démonstrations et toutes celles
entre B et A, dont la variable s’ap- qu’on peut rencontrer reviennent, au
proche indéfiniment ; elle a donc une fond, aux deux que développe l’auteur
limite. » de ce livre, montrant chaque fois l’illu-
Le raisonnement est rigoureux jus- sion qu’elles dissimulent. Faudra-t-il
qu’à la conclusion — exclusivement. suivre l’Idéaliste de notre auteur dans
Quant à passer de ce que l’intervalle l’usage qu’il fait de ses mystérieux in-
qui comprend la grandeur peut deve- finiment petits pour l’objet qui nous
nir aussi petit qu’on veut à l’existence occupe, ou bien se contenter de la
de la limite, ce n’est pas moins difficile manière de raisonner de l’Empiriste, à
que d’admettre d’emblée la conclu- qui des approximations suffisent ?
sion, sans démonstration aucune. Ain- D’autre part, si on rejette toutes ces
si que le montre nettement M. Paul du démonstrations, acceptera-t-on le
Bois-Reymond, la diminution de l’inter- principe des limites au même titre
valle qui comprend la grandeur n’atté- qu’une proposition de ce genre : « La
nue pas la difficulté qu’il y a à conce- même chose ne peut pas être et ne
voir la limite. Le raisonnement de Du- pas être en même temps ? » Il est très
hamel cache une illusion, et cela est si clair, au contraire, que le principe des
vrai que souvent, au contraire, pour limites énonce un fait nouveau, une
expliquer qu’une grandeur resserrée propriété particulière de la quantité
dans un intervalle de plus en plus petit concrète et continue. Le caractère
a une limite, on se fonde sur ce que d’évidence qu’il nous présente est dû
les valeurs qui la comprennent à l’expérience seule. C’est bien un vé-
forment deux séries, l’une croissante, ritable postulat que l’enseignement
l’autre décroissante, — admettant pose au début de l’analyse supérieure,
chacune une limite, d’après le principe réduisant ainsi à la vérité qu’il énonce,
en question ; il suffit ensuite de remar- comme à un minimum nécessaire, la
quer que les limites sont les mêmes. donnée qui lui sert de base.
M. Bertrand, à propos de séries à Est-il possible de dissimuler aussi ce
termes positifs. dit simplement : « Il postulat ? Il suffit, pour s’en
est clair que si, dans la somme u0 + convaincre, de lire l’Introduction à
u1 + ... + Un , on prend un nombre de l’étude des fonctions d’une variable,
de M. J. Tannery. L’enchaînement ri-
termes toujours croissant, les résultats goureux de définitions et de déduc-
obtenus iront en augmentant, et s’ils tions par lesquelles l’auteur nous
ne peuvent pas dépasser toute limite, conduit insensiblement du nombre en-
ils approchent nécessairement autant tier à toutes les notions les plus éle-
qu’on veut du plus petit des nombres vées résout bien décidément le pro-
qu’ils ne peuvent pas surpasser. » blème de reconstruction logique qui
C’est de la même manière que rai- devait faire disparaître toute lacune
sonne M. Briot. Mais qui ne sent que entre les anciennes et les nouvelles
l’existence de ce minimum parmi les mathématiques. Pour comprendre par
valeurs que ne peut dépasser la va- quel mécanisme simple il est possible
riable n’est rien moins que démontrée, d’atteindre ce résultat, qu’on se rap-

© : Sciences.gloubik.info Page 6/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
pelle l’exemple des fractions déjà initiales est-elle une simple manie des
mentionnée. A la condition de se ré- mathématiciens ? Manie dangereuse,
soudre à un pur formalisme, rien n’esten ce cas, puisqu’elle a pour consé-
plus aisé que d’appliquer ici une mé- quence de donner à leur science une
thode identique. Nous sommes
allure capricieuse et l’apparence d’un
convaincus qu’une suite de valeurs simple jeu d’esprit. Cette tendance ré-
croissantes, mais ne croissant pas in-pond, au contraire, à une haute néces-
définiment, a une limite quand, sous sité philosophique. Les éléments de
ces valeurs, nous avons en vue des notre connaissance, quelle qu’en soit
états successifs d’une quantité
l’origine expérimentale ou rationnelle,
concrète : laissons de côté cette der-se combinent dans notre esprit de
nière considération et créons, en vertu
telle sorte que le degré et la nature de
d’une définition, la limite de la suite
la certitude qu’ils comportent sont
de valeurs. Ce ne sera plus une chose souvent fort difficiles à préciser. Or la
concrète vue par intuition sensible, ce
reconstruction logique des faits ma-
sera un pur symbole. Nous convien- thématiques a pour résultat de sépa-
drons de dire qu’il est supérieur à rer nettement ce qui, en eux, présente
toute valeur atteinte ou dépassée par le caractère de la certitude sinon ab-
la suite qui sert à le définir, inférieur à
solue, du moins la plus haute à la-
toute valeur qu’il n’atteint jamais ; quelle nous puissions atteindre, et ce
nous conviendrons des circonstances qui n’est qu’une vérité d’induction. En
où deux symboles répondant à la défi- d’autres termes, elle a pour effet de
nition nouvelle sont égaux, ainsi que créer une mathématique idéale, pla-
des résultats d’opérations effectuées nant au-dessus de toute expérience ;
sur eux, et grâce au souci constant dec’est celle que connaissent surtout les
faire correspondre ces définitions ou mathématiciens : derrière leurs écha-
conventions aux vérités qui résultent faudages logiques, ils sont bien réelle-
pour nous de l’existence de la limite,ment à l’abri de toute objection, et
rien ne sera changé dans la suite des c’est avec raison que l’évidence de
déductions. Le principe des limites leurs conclusions est prise pour le type
aura disparu de l’analyse, en tant quede la plus complète qu’il y ait à nos
proposition à établir, et avec lui la der-
yeux. Stuart Mill prétend que la certi-
nière trace de toute donnée expéri- tude des vérités mathématiques est
mentale autre que la don née initiale inductive ; cette thèse n’atteint que
de l’arithmétique, le nombre. Mais les vérités mathématiques objecti-
pour appliquer à ce dernier exemple vées, pour ainsi dire, énoncées à l’oc-
les idées indiquées à grandes lignes casion des êtres concrets que suggère
dans cette préface, il est bien entendu
l’expérience. Elle nous parait, en ce
que dès qu’on touchera à l’outil ainsicas, absolument juste, car elle revient
affiné pour résoudre le plus enfantin à dénoncer l’éternel postulat qui se
des problèmes ayant trait à des lon- cache, pour reparaître au moment de
gueurs, par exemple, la solution ne l’application, derrière toute création
sera justifiée et interprétée que grâce
du géomètre ou de l’analyste. Mais
à l’opinion que les symboles corres- elle ne saurait porter sur les vérités lo-
pondent à des réalités. giques de cette mathématique idéale
La tendance à éliminer toute donnée que nous venons de définir. Celle-ci
expérimentale antre que les données semble, il est vrai, n’être point débar-
rassée des données initiales. Si on y

© : Sciences.gloubik.info Page 7/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015
regarde de près, on voit cependant
qu’elle n’affirme rien sur ces données
elles-mêmes et montre seulement
quelles en sont les conséquences, si
on les accepte comme hypothèses.
Enfin, la confection de cette mathé-
matique, toute formelle et subjective,
nous donne néanmoins sur les choses
elles-mêmes une indication pré-
cieuse : elle nous apprend quel est le
minimum de propriétés qu’il suffit de
supposer dans ces choses pour justi-
fier l’application de ces vérités lo-
giques. Toutes les propriétés géomé-
triques du cercle, par exemple, s’éten-
dront aux ronds concrets, s’il en
existe, dont tous les points sont à la
même distance d’un centre.
L’analyse supérieure s’appliquera
aux quantités dont il existe des états
correspondant à tous les symboles
qu’elle a créés, etc.
Et ainsi on apprend à connaître le
minimum des propriétés caractéris-
tiques par lesquelles un fait concret
peut entrer dans l’engrenage des dé-
ductions de la mathématique pure.
Voilà d’où celle-ci tire sa raison
d’être. Il suffit seulement, pour n’en
pas compromettre les avantages, de
se rendre un compte exact de son ca-
ractère formel. On ne s’étonnera plus
alors que la connaissance mathéma-
tique puisse être l’objet de longues et
intéressantes discussions.
G. Milhaud

© : Sciences.gloubik.info Page 8/8


Date de mise en ligne : samedi 31 octobre 2015

Das könnte Ihnen auch gefallen