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1. Le Sujet
2. La Culture
3. La Raison et le Réel
4. La Politique
5. La Morale
© ODILE JACOB, SEPTEMBRE 2010
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-7187-0
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Titre
Découvrir la philosophie
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Présentation
Introduction
Chapitre 1 - La conscience
Chapitre 2 - La perception
Chapitre 3 - L’inconscient
I. La problématique de l’inconscient : transformation ou subversion de l’idée
de sujet ?
Chapitre 4 - Autrui
Chapitre 5 - Le désir
Glossaire
La conscience
1 – CONSCIENCE ET APERCEPTION
1 – L’INTÉRIORITÉ EN QUESTION
Symbolisée au mieux par l’apparition cartésienne de la notion, la
conception classique de la conscience consiste au fond à mettre en
avant, comme trait fondamental de celle-ci, la pensée réflexive.
Cette pensée qui revient sur elle-même se trouve de ce fait, pour
ainsi dire, à l’intérieur d’elle-même. Réflexivité et intériorité
auxquelles Descartes fait expressément référence quand il précise
ce qu’il faut entendre par « avoir conscience de quelque chose » : la
réflexivité qui fait que la « chose pensante » qu’est l’esprit revient sur
elle-même et « pense qu’elle pense », en ayant une « connaissance
intérieure de sa pensée », n’est pas différente de la pensée. Elle ne
procède pas d’une faculté supplémentaire venant s’ajouter à la
pensée, mais c’est toute pensée qui, par elle-même, se sait pensée.
Bref, parce qu’il est conscience, le sujet n’est jamais hors de lui-
même et à l’extérieur de soi. Mais la subjectivité, comme
conscience, n’est pas autre chose que cette façon d’être à l’intérieur
de soi-même : la subjectivité, comme conscience, est intériorité.
Cette manière d’appréhender l’être de la conscience conduisait
fort logiquement à concevoir le rapport ou la présence à soi qui
caractérise le sujet sur le mode d’une clôture vis-à-vis de
l’extériorité. Si, pour se construire comme conscience, le sujet n’a
pas besoin d’autre chose que d’être présent à lui-même, on
comprend sans peine que la constitution de son identité à soi ait
tendu à être conçue sur le mode de la fermeture à l’égard de toute
extériorité. Parce que, par exemple, les perceptions que je puis
obtenir de ce qui est hors de moi (les objets, les autres sujets) par
l’intermédiaire de mes sens m’ont souvent trompé, il vaut mieux ne
pas compromettre à partir de telles informations les chances que j’ai
de me trouver moi-même à partir de la conscience que j’ai de moi.
La compréhension cartésienne du rapport à soi (voir : t. 1, « Autrui »,
I, 1) a pu ainsi inclure, par exemple, ce projet de « détacher l’esprit
des sens » par lequel Descartes, dans le trajet de ses Méditations
métaphysiques (1641), décide de se mettre en quête de la vérité. La
façon dont Leibniz, au § 7 de sa Monadologie, se représente les
individualités comme ce qu’il appelle des « monades », c’est-à-dire
des unités entièrement closes sur elles-mêmes, dépourvues de
« fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir »,
ne fera en ce sens que radicaliser cette logique selon laquelle la
conscience produit à partir de sa pure intériorité l’ensemble de ce
qu’elle se représente. Que la conscience se pose comme telle à
partir de sa présence ou de son immanence à elle-même pouvait
dès lors conduire à des philosophies de la conscience faisant
l’économie, dans leur conception du sujet, de toute ouverture à
l’extériorité du monde et à l’altérité d’autrui. Des doctrines aussi
étranges que celle de l’acosmisme (je n’ai pas besoin de concevoir
qu’il y a un monde extérieur pour m’apparaître à moi-même) ou du
solipsisme (je n’ai pas besoin de passer par la conscience que j’ai
des autres sujets pour m’affirmer comme tel) n’en seraient au fond
que des versions particulièrement exacerbées.
Une telle conception de la conscience, qu’elle prenne ou non des
formes aussi extrêmes, pouvait à vrai dire être discutée de deux
façons.
Une première discussion, qui s’est trouvée en un sens inaugurée
dès Spinoza, consistait à contester que cette présence à soi ne
rencontrât point de limites. Ce type d’objection ferait apparaître que,
bien souvent, ce que nous apercevons de nous-mêmes (ce dont
nous sommes conscients) laisse échapper la vérité de ce que nous
sommes : la conscience serait en fait méconnaissance de nous-
mêmes parce qu’elle nous empêcherait, en ne retenant de nous que
ce qui nous apparaît à nous-mêmes, de nous faire une idée
adéquate (c’est-à-dire vraie) (voir : t. 3, « La vérité », II, 2) de ce
qu’est vraiment notre individualité. Contre toute primauté accordée à
la conscience dans la définition de ce que nous sommes, ne
faudrait-il pas alors, comme y a insisté Gilles Deleuze dans sa
lecture de Spinoza, redonner toute sa place à la puissance du corps
et faire apparaître à quel point la pensée est infiniment plus vaste
que la conscience que nous en avons ? À l’horizon de cette critique
spinoziste de la conscience, axée sur le fait qu’une part de ce que
nous sommes reste à l’extérieur de nous-mêmes, hors de toute
aperception, se profile la notion d’inconscient, et c’est à partir de
cette notion d’inconscient (voir : t. 1, « L’inconscient ») qu’elle peut le
mieux être examinée et appréciée. Ce pourquoi il n’est pas rare
aujourd’hui de voir soutenir, contre ce que l’on présente alors
comme « l’erreur de Descartes » (avoir voulu réduire la pensée à la
conscience), qu’à travers sa dénonciation de l’illusion de la
conscience « Spinoza avait raison » (L’Erreur de Descartes, Spinoza
avait raison, ce sont là les titres de deux ouvrages récents du
biologiste Antonio R. Damasio, trad. fr., Odile Jacob, Paris 2002 et
2003). La même perspective se dessinerait au demeurant à partir de
la façon dont Nietzsche s’en est pris à l’affirmation de la conscience
comme valeur pour faire apparaître qu’à ses yeux la conscience
n’est que le langage chiffré du corps et constitue tout au plus, au
sein de ce que nous sommes, ce qu’il désigne dédaigneusement
comme une « mansarde ».
Une tout autre discussion de la conception de la conscience
comme intériorité était cependant envisageable. Elle est apparue
plus tardivement dans l’histoire de la philosophie, du moins sous une
forme pleinement développée. Elle consiste non pas à attirer
l’attention sur le fait qu’une part de ce que je suis reste à l’extérieur
de moi-même (comme conscience), mais à contester que la
conscience elle-même soit intériorité. Le premier type d’objection
laisse au fond inentamée la conception de la conscience en termes
de réflexivité et d’intériorité : elle adjoint ou ajoute simplement à la
conscience une dimension de la vie mentale (ou psychique) qu’elle
estime inaccessible à la réflexion directe de soi sur soi. Le second
type d’objection réaménage beaucoup plus radicalement la notion
même de conscience : non plus (ou, selon certains, non pas
seulement) en extension (la vie mentale s’étend-elle, en incluant une
dimension inconsciente, au-delà de cette sphère de réflexivité et
d’intériorité qui constitue la conscience ?), mais en compréhension
(comprenons-nous l’essentiel de ce que signifie la notion de
conscience quand nous définissons la conscience en termes
d’intériorité ?). C’est par conséquent sur la teneur d’un tel
réaménagement, de même que sur ses motifs et sur ses effets, qu’il
convient de s’interroger ici en priorité si nous voulons discerner
quelle autre idée de la conscience peut venir se substituer à celle qui
s’était énoncée en termes d’intériorité. Que toute une tradition
philosophique, celle de la phénoménologie, se soit employée, à
partir d’Edmund Husserl et depuis plus d’un siècle, à substituer à ce
« mythe de l’intériorité » (selon la formule de Jacques Bouveresse)
le thème de l’« intentionnalité de la conscience » peut ici pour le
moins nous servir de guide.
1 – DE L’INTENTIONNALITÉ À LA RESPONSABILITÉ
2 – DE LA PHILOSOPHIE DE LA CONSCIENCE À
LA QUESTION DE L’ÉTHIQUE
La perception
a - La tradition phénoménologique
et la « conscience percevante »
2 - LA VÉRIDICITÉ DE LA PERCEPTION
Pour l’essentiel, les philosophes contemporains pensent que les
conditions de la véridicité d’une perception ne sont pas seulement
déterminées par le contenu de cette perception. Certains, à la suite
de David Lewis (« Veridical Hallucinations and Prophetic Vision », in
Philosophical Papers, Oxford, vol. II, 1983), posent néanmoins le
problème des « hallucinations quasi véridiques » où on peut en effet
concevoir des cas ; notre expérience perceptive est illusoire, alors
que son contenu est néanmoins correct. Dans de tels cas,
l’expérience, dont le contenu est véridique, ne l’est pas elle-même.
Par exemple, sous l’emprise d’une substance hallucinogène
quelconque, nous percevons, tout en regardant une pomme sur
notre table, une série d’images sans aucun rapport avec cette
pomme : si, au milieu de cette série d’images, nous percevons
soudain cette pomme sur la table, en quoi la perception est-elle
véridique ? Comment savoir ce qui est alors la cause de l’image
perçue de cette pomme sur la table : la perception, ou l’effet de la
substance hallucinogène sur mon cerveau ?
À cet argument de l’« hallucination quasi véridique », on peut
certes répondre que le sens exact de la véridicité du contenu
perceptif doit simplement être précisé, en y intégrant l’idée que
l’objet perçu est bien la cause appropriée de l’expérience perceptive.
Mais alors on tombe sur deux difficultés. Nous avons déjà évoqué la
première : comment démontrer que l’objet perçu est bien la cause de
l’expérience perceptive ? Quant à la seconde, elle est au centre de
la philosophie contemporaine de la perception : si, en effet, une
expérience perceptive peut avoir un contenu véridique, cela signifie
bien apparemment que le contenu de la perception est susceptible
de vérité, mais comment est-ce possible ?
L’essentiel du débat contemporain a lieu alors entre deux
camps : celui des défenseurs de la thèse selon laquelle la perception
a un contenu forcément non conceptuel ; celui des tenants d’un
contenu conceptuel de l’expérience perceptive. Dans les deux cas, il
s’agit toutefois de comprendre comment l’expérience perceptive
détermine les conditions dans lesquelles la prétention qu’elle
contient à avoir un contenu vrai peuvent se trouver remplies.
La thèse d’un contenu non conceptuel de l’expérience perceptive
est défendue aujourd’hui par un certain nombre de philosophes,
notamment Christopher Peacocke (Sense and Content, 1983), qui
estiment que le contenu de la perception n’est par lui-même pas
conceptuel, mais qu’il peut acquérir une dimension conceptuelle en
entrant en relation avec des croyances qui, elles, ont un contenu
conceptuel. Ainsi, lorsque nous disons « c’est carré », l’utilisation de
cette proposition vient spécifier sous la forme d’une affirmation le
contenu non conceptuel de notre perception, à partir de son
articulation avec une croyance susceptible d’être vraie ou fausse (je
crois que c’est carré), sans pour autant le transformer en contenu
lui-même conceptuel.
La thèse symétrique d’un contenu conceptuel de l’expérience
perceptive, défendue notamment par John McDowell (Mind and
World, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1994), postule
de son côté que le contenu de l’expérience perceptive est le même
que le contenu d’une croyance réelle, ou du moins possible. Que les
choses nous apparaissent d’une certaine manière, explique
McDowell, c’est déjà la mise en œuvre de certaines opérations
conceptuelles : rappel qu’assurément un kantien, on a vu pourquoi à
partir de l’évocation du développement de la Critique de la raison
pure sur les trois synthèses, ne contesterait pas ! Pourtant, il doit
bien y avoir au moins une différence de modalité entre l’expérience
perceptive et le jugement, qui, lui, est, de toute évidence, forcément
conceptuel. L’explication fournie par McDowell pour clarifier ce
problème a de fait, précisément, une tonalité kantienne.
Dans la Critique de la raison pure, Kant distinguait en effet entre
la spontanéité (c’est-à-dire l’activité) de l’entendement, qui opère par
concepts, et la réceptivité (c’est-à-dire la passivité) de la sensibilité.
Une connaissance empirique lui apparaissait alors, nous l’avons
évoqué, comme une collaboration entre la spontanéité du jugement
d’entendement, qui opère par concepts, et la réceptivité de
l’expérience sensible. Toute la question est de savoir quelle est au
juste, dans l’expérience perceptive, la part de la spontanéité du
jugement et quelle est celle de la réceptivité sensible. John
McDowell soutient que la coopération entre ces deux « facultés »,
pour reprendre le vocabulaire de Kant, est tellement étroite qu’il est
impossible de séparer la contribution de l’une et celle de l’autre.
Auquel cas on peut bien admettre qu’il y ait une différence,
conformément à la première définition du contenu perceptif, entre
celui-ci et l’objet perçu : si deux expériences ont des objets perçus
différents, elles ne pourront jamais avoir le même contenu perceptif,
qui sera bien un contenu proprement conceptuel. De même, on peut
alors comprendre, conformément à la deuxième définition du
contenu perceptif, que deux expériences perceptives à jamais
particulières qui ont un même objet perçu n’ont pas
automatiquement le même contenu conceptuel.
Un inconvénient de la thèse du contenu conceptuel de
l’expérience perceptive peut être en revanche relevé si nous
revenons au problème des hallucinations quasi véridiques soulevé
par David Lewis. Dans de tels cas se pose en effet la question de
savoir ce qui peut bien distinguer une perception d’une hallucination.
Par voie de conséquence se pose aussi celle de déterminer quel
peut bien être le rapport entre ce que l’on appelle l’intentionnalité de
l’expérience perceptive, qui tient au fait qu’elle renvoie à autre chose
qu’elle-même, et les propriétés du contenu conceptuel qu’on attribue
à cette expérience. Il semble raisonnable de penser que
l’intentionnalité d’une perception n’est pas la même que celle d’une
hallucination : même si ces deux états mentaux sont sans doute
parfois absolument indiscernables sur le plan de la conscience
réflexive qu’on en a sur le moment, ils ne doivent pas avoir pour
autant les mêmes propriétés intentionnelles. Il apparaît que, dans
une perception, le contenu conceptuel de celle-ci est manifestement
un tout articulé : dans la mesure où l’on ne perçoit jamais un objet
comme s’il surgissait seul du néant, mais sur un arrière-plan, dans
un contexte, avec telles ou telles propriétés, etc., l’articulation du
contenu conceptuel de l’expérience est elle-même de type
conceptuel et elle peut donc immédiatement être douée de
propriétés de vérité ou de fausseté. Ainsi, percevant la pomme sur la
table, je vais pouvoir utiliser une proposition du type : « Cette
pomme rouge est là devant moi. »
Ces propriétés de vérité ou de fausseté font néanmoins
problème au regard des hallucinations quasi véridiques. Sous l’effet
d’un hallucinogène ou d’une maladie mentale, nous pouvons avoir
l’illusion que cette pomme rouge est là devant nous sur une table : or
cette illusion sera une hallucination quasi véridique si cette pomme
rouge est bien présente par ailleurs devant nous sur une table ! Il n’y
a certes là qu’une pure coïncidence causale entre l’hallucination qui
est la nôtre et la perception que nous pourrions avoir au même
instant, dans le même lieu. Le problème de l’hallucination quasi
véridique montre toutefois que le contenu conceptuel de l’expérience
perceptive peut s’appliquer de façon absolument correcte à la réalité
alors même que l’expérience est illusoire. Dès lors, la vérité du
contenu conceptuel de l’expérience n’implique en rien que
l’expérience soit elle-même véridique ! Auquel cas force est
d’accorder que la saisie du contenu de la perception comme
conceptuel, si on la radicalisait ou si on ne précisait pas davantage
encore le contenu des opérations conceptuelles qui interviennent
dans l’expérience perceptive, risquerait de manquer une dimension
fondamentale de la perception : celle qui permet de la distinguer de
l’illusion et, du même coup, de circonscrire ce qu’est la perception en
tant que telle.
Clair indice que la réflexion sur la perception demeure fort
ouverte. Reste que l’orientation prise aujourd’hui par le débat semble
confirmer avec netteté que le temps est décidément dépassé où l’on
pouvait faire de la perception une simple sédimentation passive des
impressions sensorielles.
Il en résulte, d’une part, une représentation moins rigide de la
distinction entre sensibilité et entendement : pas plus qu’on ne
saurait sans doute entièrement détacher l’esprit des sens, on ne
peut comprendre le fonctionnement des opérations sensibles de
notre connaissance en omettant d’y repérer le rôle joué par le travail
des concepts jusques et y compris dans ces opérations autrefois
tenues pour radicalement étrangères à la raison ou à l’entendement.
De la tournure prise aujourd’hui par le débat sur la perception se
dégage aussi, d’autre part, la constatation renforcée que, même
dans la perception, le sujet est décidément actif : à la faveur d’un tel
constat, la notion même de sujet, tout en se voyant profondément
transformée, se trouve pour sa part plus consolidée que beaucoup
des critiques récentes auxquelles elle avait pu donner lieu ne le
laissaient attendre (voir : t. 1, « Introduction », III).
CHAPITRE 3
L’inconscient
I. La problématique
de l’inconscient : transformation
ou subversion de l’idée de sujet ?
2 – UN SUJET POSTMÉTAPHYSIQUE ?
On ne fera qu’ébaucher ici une piste pour la réflexion. D’autres
voies s’offraient en effet, que Sartre n’a pas même entrevues. Sans
rejeter l’hypothèse de Freud, ni la façon dont d’autres figures de
l’inconscient nous incitent plutôt, désormais, à densifier cette
hypothèse qu’à y renoncer, ces voies consisteraient à nous
demander, non pas quel contenu (comment penser autrement le
sujet que comme l’auteur conscient et responsable de ses
représentations et de ses actes ?), mais bien davantage quel statut
nous pouvons encore conférer à l’idée subjectivité et à ses valeurs
après la reconnaissance de la brisure irréductible du sujet. Bref : si
je ne peux assurément pas prétendre à « être » sujet, au sens où je
soutiendrais par là que je suis toujours entièrement transparent à
moi-même et intégralement maître de mon destin, l’idée de sujet a-t-
elle pour autant perdu nécessairement à mes yeux toute signification
et toute fonction ?
Excluant de ressusciter sous quelque forme que ce soit le cogito
cartésien et la « métaphysique de la subjectivité » à l’émergence de
laquelle il contribuait, une telle démarche consisterait à prendre acte
du fait que renoncer à l’illusion d’être pleinement les sujets de nos
vies ne retire pas pour autant tout sens à l’idéal d’autonomie
qu’avaient exprimé les philosophies du sujet. Éventualité que Sartre
n’envisage jamais et dont la prise en compte eût pourtant introduit
dans sa tentative, vis-à-vis des concepts traditionnels du sujet, une
puissante dimension de renouvellement — plus puissante en tout
cas que celle dont L’Être et le Néant s’est contenté, en ne prenant
pas suffisamment au sérieux l’appel à refondation que constituait,
pour une philosophie postmétaphysique du sujet, la reconnaissance
incontournable des inconscients.
Une telle refondation, si elle devait être envisagée, passerait
pour le moins par une critique sans concession des illusions que le
sujet peut entretenir sur lui-même. Ces illusions (celle de la
transparence à soi ou celle de l’autosuffisance) surgissent et se
perpétuent quand le sujet oublie que son existence est radicalement
grevée d’une finitude dont témoigne assurément la dimension
d’opacité dans laquelle il se trouve toujours plongé à l’égard
d’irréductibles dimensions inconscientes de lui-même, mais que fait
surgir tout aussi bien la façon dont cette existence s’affronte à
l’altérité du temps (voir : t. 1, « L’existence et le temps », introduction
et III, 1). Au-delà de cette déconstruction et des illusions dans
lesquelles le sujet peut s’entretenir sur lui-même, la refondation
d’une référence transformée à l’idée même de subjectivité prendrait
alors acte du fait que, même si nous savons que nous ne sommes
pas sujets, nous ne pouvons nous dispenser de recourir à une telle
idée. Ne serait-ce par exemple que pour décrire et dénoncer la
déshumanisation qui est infligée à l’être humain quand se trouve
refusé à lui, par quelque type de despotisme que ce soit, tout droit
d’exiger d’être traité comme s’il était le fondement de ses propres
pensées et de ses actes. Autrement dit : tout droit de se vouloir
sujet, et de refuser de n’être qu’un objet, support chosifié d’une
intolérable manipulation.
CHAPITRE 4
Autrui
Que faut-il, dans la réflexion sur soi, penser de ce que l’on est
pour que le rapport à autrui doive venir s’y introduire comme de
surcroît ? Que faut-il penser de soi et de l’autre, ainsi que du rapport
de soi à l’autre et du rapport de l’autre à soi, pour construire la
représentation d’autrui comme une construction adjacente à la
représentation de soi ? Les choses se passent ainsi, certes, quand,
une fois dessiné le plan d’une demeure à bâtir, nous décidons
d’ajouter encore une pièce dont le manque, jusqu’alors, ne nous
était pas apparu. En revanche, reste à déterminer si, à la conscience
de soi, on ajoute la conscience que l’on a d’autrui comme on ajoute
une aile à un château déjà construit, ou plus modestement une salle
de jeu à un pavillon de banlieue. C’est sur l’articulation entre rapport
à soi et rapport à l’autre qu’il convient de réfléchir ici, pour apercevoir
ce qui, dans la reconnaissance d’autrui, peut ou non venir faire
problème. Le plus simple, afin de cerner la teneur d’un tel problème,
est de partir de la façon dont le sujet a pu se trouver conçu, dans le
cadre de ce qu’on appelle parfois les « philosophies de la
conscience », comme se constituant exclusivement à partir de son
rapport à soi.
1 – LA DÉDUCTION FICHTÉENNE
DE L’INTERSUBJECTIVITÉ
III. Le débat
contemporain : la représentation d’autrui
et la question de l’identité
L’émergence des principes démocratiques a entretenu un lien
tout à fait étroit avec une nouvelle appréhension de l’être humain,
pensé sous les valeurs de l’égalité et de la liberté. Rappel sur lequel
il n’est guère besoin d’insister comme tel, mais qui conduit à
toute une série d’interrogations si l’on cherche à déterminer quelle
représentation de l’autre homme, dans ce qu’il a de différent de moi,
ces valeurs nous incitent à faire nôtre. Deux problèmes au moins
méritent ici d’être abordés :
Le premier engage l’idée même d’humanité qu’a fait surgir cette
conviction selon laquelle « tous les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits ». À mesure que cette
conviction s’est approfondie et a porté toutes ses conséquences,
il n’est pas interdit de considérer en effet qu’elle a
successivement fait apparaître trois idées d’humanité par
référence auxquelles la représentation de l’autre s’est elle-même
trouvée profondément transformée.
Le second problème porte précisément sur ces mutations
internes à la perception de l’autre. Notamment à l’appréhension
de son altérité. L’interrogation engage alors à la fois une question
de fait : comment l’altérité de l’autre, par exemple dans sa
dimension culturelle, peut-elle être appréhendée de façon toute
différente selon l’idée que l’on s’est forgée de l’humanité ? Elle
engage aussi une question de fait, la plus délicate peut-être :
jusqu’à quel point l’altérité d’autrui doit-elle être reconnue et
préservée dans un univers démocratique ?
2 – FIGURES DE L’AUTRE
Compte tenu des diverses exigences, dont la superposition rend
aujourd’hui si délicate la notion même de l’humanité, il n’y a rien de
déconcertant à ce que la figure de l’autre soit elle-même devenue
plus problématique qu’elle ne l’avait sans doute jamais été. Tentons,
pour la clarifier, de discerner à quelles transformations la
représentation de l’altérité de l’autre s’est trouvée exposée par les
principales mutations qu’ont pu connaître les sociétés humaines.
Énoncé globalement, le principe de ces mutations survenues
dans la perception de ce qui fait l’altérité collective d’autrui apparaît
être le suivant : avec la naissance des sociétés modernes et à
travers leur devenir, nous sommes passés de la méconnaissance de
l’autre comme étant lui aussi un « moi », au même titre et avec les
mêmes droits que moi, à sa reconnaissance comme tel sous le
régime d’une identité commune (celle à laquelle on fait référence
quand on affirme que « tous les êtres humains naissent et
demeurent libres et égaux en droits »). Mais il est apparu aussi, et il
apparaît désormais de plus en plus nettement, que cette
reconnaissance de l’autre sous le régime de l’identité doit s’opérer
sans résorption de sa différence, donc sans réduction de son
altérité. Toute la difficulté et tout le paradoxe de l’identité
démocratique tiennent précisément à cet entrelacement du même et
de l’autre qu’on peut tenter d’exprimer à travers la notion
programmatique d’une « identité différenciée ».
Pour que l’approche de ces mutations soit suffisamment fine, il
faudrait toutefois qu’elle puisse prendre en compte une difficulté
particulière. Le monde que dominait la méconnaissance de l’autre a
dû, pour céder le pas au monde moderne, laisser réinscrire les
différences collectives sous une identité humaine commune (en
attribuant aux membres de toutes les cultures, ou encore à la femme
et à l’homme, la même humanité). Mais il fallait aussi, pour aboutir à
l’égalité des hommes en droits, et non pas à une pure et simple
assimilation, que l’identification de l’autre s’accompagnât d’une
reconnaissance de sa différence. Il semble alors qu’il faille
distinguer, par rapport à cette problématique générale de la
rencontre d’autrui, trois dispositifs. On les symbolisera ici par les
désignations volontairement simplificatrices de l’ancien, du moderne
et du contemporain.
Dans le monde antique, l’autre se trouve perçu comme le « tout
autre ». Une telle perception s’applique certes à l’autre au sens
ethno-culturel : sa désignation par les Grecs comme le « barbare »
(parce que son idiome sonne à des oreilles helléniques comme une
cacophonie) témoigne par elle-même de la manière dont il se trouve
tenu pour extérieur à l’humanité. On sait aujourd’hui que cette même
appréhension de l’altérité a irrigué la relation à l’insensé : si la
présence sociale du « fou » était en apparence moins problématique
dans les sociétés archaïques, ce n’était en effet nullement parce que
ces sociétés auraient été plus accueillantes à l’égard de la
différence. C’était au contraire parce que, dans un cadre
fondamentalement inégalitaire et hiérarchisé, la différence suscitait
moins d’interrogations que dans une société où l’autre est tenu pour
un « semblable ». La tolérance à l’égard des insensés, que Michel
Foucault avait cru pouvoir prêter aux sociétés antiques et
médiévales dans sa célèbre Histoire de la folie à l’âge classique
(1961), apparaît donc aujourd’hui sous un jour moins attirant : cette
tolérance accordée au « fou » avait en effet au moins en partie pour
fondement, Marcel Gauchet et Gladys Swain l’ont montré, une
affirmation de sa différence absolue d’avec le reste de l’humanité.
Tenu tantôt pour infra-humain (et donc animalisé), tantôt pour supra-
humain (presque divinisé), le fou était considéré comme un être
situé hors de l’humanité et hors de toute communication possible (M.
Gauchet et Gl. Swain, La Pratique de l’esprit humain. L’institution
asilaire et la révolution démocratique, Paris, Gallimard, 1980). La
représentation de l’autre sexe n’a pas davantage échappé à ce
régime ancien de l’altérité d’autrui : c’est l’aberrante infériorisation du
féminin, supposé intrinsèquement déficient par rapport au masculin,
qui priva la femme de droits que l’on a si longtemps considérés
comme l’apanage d’un seul sexe.
Par rapport à cette représentation ancienne de l’autre, le régime
moderne, où que l’on en situe l’émergence, est celui où l’autre va au
contraire être perçu comme un « même » : un sujet égal à tout autre
sujet et doté des mêmes droits que lui. Ce qui est dès lors pris pour
principe, c’est l’égalité des conditions. Au sens où l’individu est ce
qu’il est et détient les droits qui sont les siens, non pas en vertu de
son appartenance à un groupe, mais en raison de son individualité
même. La logique de ce deuxième dispositif, solidaire de
l’humanisme moderne, est alors celle de la réduction de l’altérité
d’autrui. Avec comme conséquence l’instauration d’une beaucoup
plus forte continuité dans le champ social, supposé sans failles ou
sans ruptures tenues pour infranchissables. C’est cette continuité
que concrétise, par opposition à l’immutabilité des sociétés
hiérarchiques où la position de chacun se trouvait irrévocablement
fixée par ses appartenances, la mobilité des sociétés
démocratiques. Chacun peut au même titre, du moins en principe,
prétendre y occuper toutes les places, personne n’est en droit exclu
de certaines de ces places du fait de sa nature ou de son
appartenance à un groupe.
Bref, pour les Modernes, il n’y a plus de différence substantielle
ou essentielle entre les individus. Ce qu’Alexis de Tocqueville fut le
e
premier à exprimer si complètement, avant même le milieu du XIX
siècle, en soulignant comment émergeait ainsi la notion même du
« semblable ». La Grèce et Rome n’ont pas conçu, explique-t-il,
cette idée de la « similitude des hommes ». Alors que, dans les
sociétés aristocratiques, chacun ne percevait ses semblables que
dans les membres de sa caste, l’« état social démocratique », lui, est
celui où « les hommes en viennent à se ressembler, cultivent cette
ressemblance et souffrent de ne pas se ressembler assez » (De la
démocratie en Amérique, II, 22). Il faut mesurer aujourd’hui cet
extraordinaire renversement de l’imaginaire auquel nous nous
sommes accoutumés : des êtres perçus jusqu’ici comme
essentiellement différents, tels que le maître et l’esclave, ou l’homme
et la femme, vont être tenus et se tenir eux-mêmes, par-delà l’écart
effectif de leurs positions, pour fondamentalement « mêmes ». Ils se
détournent de leurs différences réelles ou naturelles pour se
retrouver l’un dans l’autre, en se considérant comme des semblables
d’apparences différentes.
Cette nouvelle perception de l’autre a profondément bouleversé
l’économie générale de l’altérité. La question sur laquelle s’est joué
le passage d’un dispositif (ancien) à l’autre (moderne) n’était pas en
effet celle de savoir s’il y a plus ou moins d’inégalités réelles. Il peut
en effet parfaitement exister, dans la conception moderne de
l’altérité, de très grandes inégalités effectives entre les individus. En
revanche, dans le dispositif ancien, si l’un apparaissait être plus que
l’autre, c’était dans la mesure où cet écart de fait se trouvait
conditionné par une division si radicale de nature que l’idée de se
retrouver soi-même dans cet autre de substance hétérogène
semblait purement et simplement vide de sens. La révolution
moderne de l’égalité a en fait mis fin à ce système de clôture des
êtres sur leurs différences. Il a ouvert réciproquement les identités
les unes sur les autres. Cette nouvelle économie de l’altérité a ainsi
transformé le style même de toutes les relations à l’autre, dans le
sens d’un rapport contenant la potentialité d’une identification
mutuelle.
La dynamique à la faveur de laquelle l’autre est apparu comme
un semblable a franchi successivement beaucoup de barrières que
les sociétés antérieures avaient perçues comme correspondant à
des différences indépassables. Pour autant, à mesure qu’il se
radicalisait, ce processus n’a pas manqué de soulever aussi un
ensemble de difficultés. Dans le dispositif ancien (que l’imaginaire
raciste ou sexiste ne cesse de tenter de réactiver), les inégalités
étaient supposées exprimer des différences de nature.
Raisonnement qu’en général, si du moins nous faisons nôtres les
valeurs démocratiques, nous refusons désormais de façon
catégorique. La question ne s’en pose pas moins de savoir que faire
dorénavant des différences sexuellement ou ethniquement
déterminées, qu’il serait pour autant absurde, voire redoutable, de
nier : si la démocratie commence lorsqu’on refuse d’induire des
inégalités à partir de différences tenues à tort pour des différences
de nature, comment procéder quand interviennent des
dissemblances fondées réellement en nature et quand leur négation
apparaît elle aussi comme une mutilation grave ? Ne pas en induire
des inégalités implique-t-il de nier absolument ces différences, ou en
est-il un mode de reconnaissance qui soit compatible avec
l’affirmation d’autrui comme un semblable ? Selon que la réponse
fournie à cette question sera positive ou négative, la représentation
d’autrui pourra connaître ou non une nouvelle transformation,
susceptible de conduire du dispositif moderne de la similitude à une
figure encore renouvelée de l’autre.
La construction actuellement en cours de cette nouvelle figure de
l’autre apparaît combiner deux gestes. D’une part, nous refusons
certes, à partir des différences, d’induire des inégalités. D’autre part,
nous ne nions pas pour autant ces différences, contrairement à une
propension inscrite dans la figure moderne d’autrui comme
semblable et solidaire de certaines de ses dérives. Lorsque
interviennent des différences partiellement au moins fondées en
nature (comme entre le masculin et le féminin, où il ne paraît ni
raisonnable ni désirable de faire abstraction des différences réelles
qui les distinguent), le seul moyen d’échapper à la figure antique de
l’altérité (où les êtres se trouvaient clos sur leurs différences) nous
apparaît-il encore consister purement et simplement à nier ces
dernières ? De plus en plus, les sociétés contemporaines ont le
sentiment que par là s’affirmerait une appréhension si uniformisante
et si appauvrissante de la diversité humaine qu’il deviendrait difficile,
aux yeux de beaucoup, d’apprécier si elle serait préférable ou non
au dispositif ancien. Ce dernier s’accommodait certes, entre autres
travers inacceptables pour nous, de l’esclavagisation de l’autre,
quand il se trouvait perçu comme hors humanité. Mais le dispositif
moderne, s’il reste ainsi conçu, permet en revanche la réduction à
l’identique, en n’assurant l’égalisation de l’autre qu’au prix de
l’effacement de sa différence. Les modalités d’un tel effacement ont
été multiples, de la colonisation (où l’éventuelle égalisation de l’autre
supposait son assimilation par éradication de sa culture) jusqu’à
l’extermination du différent, s’il était supposé ne pouvoir être intégré
par annulation de sa différence. D’une certaine façon, les
e
totalitarismes du XX siècle, en produisant l’homogénéisation du
social, parfois au nom de l’égalisation des conditions, ont
correspondu à une monstrueuse dérive à partir de cette soumission
de l’altérité d’autrui à la logique de la similitude pure et simple.
Si le désir démocratique d’appréhender l’autre comme semblable
s’était purement et simplement affirmé contre les différences, le
risque eût donc été extrême que ce nouveau dispositif fît surgir
seulement une nouvelle figure de la domination. Dans l’univers des
sociétés traditionnelles, la domination passait par l’établissement
d’une division interne à ce que nous appelons l’humanité, y compris
sous la forme d’une prétendue supériorité de sang (voir : t. 4, « La
société », I, 1). Dans les sociétés d’individus que sont les sociétés
modernes, la domination, exclue en droit, n’aurait été pas moins
redoutable en fait : la révolution égalitaire se serait en effet traduite,
à la faveur d’une vaste opération de réduction des dissemblances,
par une identification forcenée des différents au sein d’une identité
collective potentiellement tyrannique. L’expérience de ces dérives
(on peut penser par exemple à la Terreur de 1793) n’a pas peu
contribué à faire apparaître que le passage du dispositif ancien au
dispositif moderne ne pouvait être rendu vraiment fécond que par
une reformulation partielle de ce dispositif moderne. Ce que l’on voit
apparaître de plus en plus sous la forme d’une identité conçue
désormais en termes d’identité différenciée.
Nous sommes ainsi entrés, depuis quelques décennies, dans
une phase nouvelle. Après que la modernité eut désubstantialisé les
différences et conduit, pour penser les relations entre les êtres sous
le signe de l’égalité (notamment sous le signe de l’égalité des droits
comme droits de l’homme), à inscrire le rapport entre les
appartenances sociales, génériques ou culturelles dans le registre
de la similitude, nous essayons de réinscrire la différence au cœur
de l’identité — et cela, en principe, sans recreuser des inégalités.
Tentative dont la réussite n’est en rien assurée, comme en
témoignent certaines dérives des politiques de discrimination
positive.
Rassemblons la teneur de ces bouleversements intervenus dans
la figure d’autrui. Dans la phase moderne, nous avions dû apprendre
à nous retrouver nous-mêmes, à nous redécouvrir nous-mêmes
sous les traits de ce que nous ne sommes apparemment pas : ceux
de l’autre sexe, de l’autre au sens ethno-culturel. Voire sous les traits
de l’enfant dont les années qui le séparent de l’adulte ont de moins
en moins empêché de lui reconnaître des droits de plus en plus
proches des nôtres. Quelles que soient les difficultés ainsi
engendrées (on pense notamment à celles qui interviennent
aujourd’hui dans les relations éducatives à l’enfance), ce geste était
indispensable pour constituer l’autre en égal : il aura consisté à
assimiler autrui (au sens propre : à rendre « même », à penser sous
l’idée de similitude) pour le rendre égal. Dans la phase
contemporaine, il s’agit de restituer à l’égal sa différence. Ce,
paradoxalement, pour aller plus loin encore dans l’instauration de
l’égalité : il s’agit de faire en sorte que l’égalisation ne dissimule plus
(comme c’était potentiellement le cas sous le régime de
l’assimilation) une négation des différences réelles — qui
resurgissent d’autant plus fortement que nous avons découvert
qu’autrui est un semblable de droit et que son altérité de fait
réapparaît au cœur de l’identité ainsi proclamée comme commune. Il
s’agit donc d’avancer encore dans la dynamique de l’égalité, moins
par la neutralisation des différences que sous la forme inédite, et par
là même hautement problématique, d’une équivalence entre autrui et
moi jusques et y compris dans les différences que nous nous
reconnaissons.
Cette dernière figure de l’altérité est de loin la plus
déconcertante. Non pas seulement parce que c’est la nôtre et que
son objectivation est donc plus difficile. Mais parce que la formule
qui en exprimerait la teneur propre reste en partie à inventer et
surtout à transcrire dans les relations effectives entre les êtres
humains. On peut en outre se demander si le relais de la figure
d’autrui comme semblable par celle que l’on vient d’esquisser, et qui
inscrit l’altérité sous le régime de l’équivalence entre des différences
réciproquement reconnues, correspond à un progrès ou doit être
apprécié de façon plus nuancée. Ces nuances procèdent par
exemple des apories auxquelles les sociétés contemporaines se
trouveraient exposées par un différentialisme culturel conduisant à
faire s’équivaloir toutes les cultures et tous les systèmes de valeurs
qui les caractérisent. Une appréciation pondérée se justifie
également si l’on considère les difficultés auxquelles cette nouvelle
figure de l’altérité, quand elle prend la forme de la relation entre
adultes et enfants, expose la relation éducative.
CHAPITRE 5
Le désir
L’existence et le temps
3 – EXISTENCE ET AUTHENTICITÉ
Le lecteur de L’Être et le Néant qui voudrait retrouver chez Sartre
un écho de la découverte que celui-ci fit de Heidegger n’aurait pas
besoin de chercher longtemps : c’est en essayant de cerner lui aussi
la relation spécifique que l’existant entretient avec le temps que
l’ouvrage publié en 1943 développe toute une dimension de son
interrogation sur ce qu’il désigne comme le « Pour-soi » et qui
correspond à ce que nous appelons en général la conscience (voir :
t. 1, « La conscience », III, 2).
Le chapitre sur la temporalité, dans la deuxième partie de L’Être
et le Néant, insiste sur la manière dont il appartient intrinsèquement
à la réalité humaine d’« avoir un futur », à la différence de la chose
ou « en-soi », qui est pure adhérence à soi. Parce qu’il est projet de
soi, le Pour-soi n’est pas ce qu’il est (dans le projet, il s’arrache à lui-
même) et est ce qu’il n’est pas (il s’identifie à ce qu’il projette d’être).
Il ne peut donc « être pour soi que dans la perspective d’un Pas-
encore, car il se saisit lui-même comme un néant, c’est-à-dire
comme un être dont le complément d’être est à distance de soi ».
Cette distance, « par-delà l’être », est celle du futur. Bref : « En ce
sens, Heidegger a raison de dire que le Dasein est toujours
infiniment plus que ce qu’il serait si on le limitait à son pur présent »
(L’Être et le Néant, Paris, Gallimard, « Tel », 1979, p. 164-165).
Heidegger a même tellement raison sur ce point, dans son effort
pour resituer la temporalité du Dasein, que tout ce développement
de L’Être et le Néant sera une reprise pure et simple, en tout cas
dans ses grandes lignes, de ce qu’avait accompli ici Être et Temps.
Au point que Sartre éprouve parfois le besoin de marquer tout de
même quelques distances, dont on peut se demander si elles n’ont
pas toutefois quelque chose d’artificiel.
Après avoir montré que c’est le futur, que le Pour-soi a « à être »,
qui « donne son sens au présent », Sartre récuse ainsi que l’une des
trois dimensions du temps possède une « priorité ontologique sur les
autres ». Mieux : loin que l’opération doive se solder, comme on
pourrait s’y attendre, par une restructuration du concept de temps au
détriment du présent, il faut malgré tout, précise Sartre, mettre
l’accent sur la dimension du présent plutôt que sur celle du futur,
comme l’avait fait Heidegger, « parce que c’est en tant que
révélation à lui-même que le Pour-soi est son Passé, comme ce qu’il
a à-être-pour-soi », dans la façon dont il s’arrache, en le réduisant à
néant (en le « néantisant ») à ce qu’il est. Bref, « c’est comme
révélation à soi », dans le présent, « qu’il est manque et qu’il est
hanté par son futur, c’est-à-dire par ce qu’il est pour soi là-bas, à
distance » (p. 181).
Curieux repli stratégique, qu’on aurait tort de surinterpréter en y
voyant le signe d’on ne sait quel effroi de Sartre devant l’audace de
sa propre redéfinition de la temporalité. Pourtant, dans toute la
dernière partie de son livre, quand il s’essaie à cerner les structures
de la liberté humaine et explicite sa saisie de la subjectivité en
termes de « projet de soi », Sartre ne cesse d’insister sur la façon
dont, en nous choisissant, « nous nous faisons annoncer par un
futur l’être que nous avons choisi », tant et si bien que le « présent
pur », celui qui, à la lumière du projet, apparaît comme un
« commencement », « reçoit du futur qui vient de surgir sa nature
propre de commencement » (p. 522). Toute cette séquence de
l’ouvrage, accentuant encore les suggestions des chapitres sur la
temporalité, s’apparente en fait à une reprise presque littérale de ce
qu’avait souligné Être et Temps. Ainsi est-ce « du futur » que « la
seule force du passé lui vient », en ceci que, « de quelque manière
que je vive ou que j’apprécie mon passé, je ne puis le faire qu’à la
lumière d’un pro-jet de moi vers le futur » (p. 556). Comment être,
sur ce thème, plus proche, malgré les dénégations, de Heidegger ?
On pourrait arriver à la même conclusion en considérant la façon
dont Sartre, au terme d’un développement brillant sur la mort,
s’emploie à « conclure, contre Heidegger, que loin que la mort soit
ma possibilité propre, elle est un fait contingent qui, en tant que tel,
m’échappe par principe et ressortit originellement à ma facticité ».
Prise de distance apparemment vigoureuse, puisque Être et Temps
faisait de l’« être-pour-la-mort » (§§ 46-53) une structure essentielle
(« ontologique ») de la réalité humaine. « La mort, réplique
symétriquement L’Être et le Néant, n’est aucunement structure
ontologique de mon être », mais elle est, comme la naissance, « un
pur fait » qui « vient à nous du dehors » (ce pourquoi elle relève de
ce que Sartre appelle la « facticité » (voir : t. 1, « La conscience »,
III, 2) et n’engage pas l’être intrinsèque du Pour-soi.
Là encore, il n’est toutefois pas certain qu’il ne faille pas
relativiser l’importance du désaccord ainsi proclamé.
Heidegger faisait de l’« être-pour-la-mort » l’indice même de
notre essentielle finitude : l’être-pour-la-mort lui apparaissait comme
la structure d’un être qui, dans la mort, possède une « possibilité
indépassable » limitant toujours, comme de l’extérieur, sa liberté.
Sartre, pour sa part, inscrit bien davantage la finitude dans la
liberté elle-même conçue comme choix d’un possible à l’exclusion
de tous les autres : « Être fini, c’est se choisir, c’est-à-dire se faire
annoncer ce qu’on est en se projetant vers un possible, à l’exclusion
des autres. » Explicitons : dès lors que je choisis, je fais le projet
d’une vie, et donc « je me fais fini », parce que je renonce ainsi à
l’infinité des autres possibles (p. 604). Mise au point clairement
animée par le souci de montrer, contre Heidegger, qu’il est possible
de penser la finitude humaine sans référence à la mort : dès lors que
la liberté est choix, elle est créatrice de finitude, et quand bien même
la vie choisie serait « sans bornes » (immortelle), elle serait finie,
parce que, dans le choix, le sujet « se fait unique ».
Cet écart dans l’appréhension de la finitude retentit certes
directement sur la portée plus ou moins grande du motif de la mort
dans l’interrogation sur notre être propre. Reste que, dans les deux
cas, c’est bien, malgré tout, sur fond d’une saisie de la « réalité
humaine » comme se temporalisant sous la forme du « projet »
(Sartre) ou de l’« anticipation de soi-même » (Heidegger), donc à
partir du futur, que se laisse expliciter ce par quoi cette réalité est
intrinsèquement et radicalement finie. En ce sens, le renoncement à
ce que Sartre appelle « l’être-pour-mourir de Heidegger » introduit
entre les deux pensées un désaccord de façade qui dissimule
quelque peu l’ampleur de ce que Sartre reprend à l’analytique
heideggerienne du Dasein et qui engage, comme chez Heidegger, la
pensée de cette finitude qu’il nous appartient plus que tout de savoir
assumer. Au demeurant, on pourrait sans grande peine objecter à
Sartre que, s’il est assurément envisageable de concevoir la finitude
dans les termes de cette « exclusion des possibles » inhérente à
tout choix humain, c’est au premier chef par référence à la manière
dont la mort nous interdit de rejouer éternellement notre vie qu’il
nous est le plus aisé de nous représenter cette exclusion des
possibles : auquel cas, la distance entre les deux démarches s’en
trouverait encore grandement amenuisée.
Ce qui, en revanche, creuse entre ces démarches un écart plus
certain et fait de leur confrontation le support d’un débat possible,
c’est assurément la façon dont Sartre a entrepris de relier les acquis
de cette réflexion sur la réalité humaine à la problématique de
l’authenticité. Liaison qui, assurément, n’était pas inconcevable à
partir d’Être et Temps lui-même, mais qui supposait, pour être
privilégiée, que fût déplacé l’axe de l’ouvrage : c’est à travers ce
déplacement que surgit le plus clairement ce qui distingue les deux
démarches et a pu achever de convaincre Heidegger que
décidément la « philosophie de l’existence », au sens où l’entendait
Sartre, n’avait rien à voir avec sa propre tentative pour déployer à
nouveau la question de l’être.
Authenticité et inauthenticité avaient été présentées, dès le § 9
d’Être et Temps, comme les deux « modes d’être » possibles de la
réalité humaine, selon que cette réalité parvient ou non à
« s’approprier son essence ». Authentique est un mode d’existence
qui est conforme à l’essence du Dasein comme « souci ».
Inauthentique est l’oubli de cette essence, tel qu’il fait « déchoir »,
comme dit Heidegger, dans le monde des choses (§ 38). Pour
autant, prévenait Heidegger, cette dénomination d’inauthenticité
n’implique « aucune dépréciation » :
D’une part, une telle « déchéance » ne constitue en rien une
« chute » à partir d’un état originel qui eût été pleinement
« authentique ». Il faut concevoir bien plutôt que « le Dasein est
toujours déjà déchu », et que c’est l’authenticité qui est une
exigence ou un « possible » dont il faut, à partir de la déchéance
même (qui est notre condition), tenter de se saisir.
D’autre part, si la « réalité humaine » est déchue, la raison n’en
tient à nulle faute, mais s’en trouve bien plutôt dans le fait qu’il
appartient au Dasein d’être jeté dans un monde où, toujours
déjà, il se perd et vis-à-vis duquel il lui appartient, pour conquérir
son être propre, de se différencier. Bref, la déchéance dans
l’inauthenticité est « réification de la conscience », et c’est contre
une telle réification, qui tend à l’inscrire dans le monde des
choses et évoque ce que, dans un autre contexte, celui du
marxisme notamment, on appelle « aliénation », que le Dasein
authentique affirme sa liberté.
Or, de ce point de vue, la méditation de l’être-pour-la mort, donc
de la finitude intrinsèque de la réalité humaine, se trouve décrite par
Être et Temps comme pouvant jouer un rôle décisif dans la conquête
de l’authenticité. L’anticipation de la mort révèle à la conscience que
sa possibilité la plus extrême (la mort) équivaut à l’exténuation de
toutes les possibilités. Autrement dit : elle équivaut à ce
renoncement à soi que constitue, pour une réalité dont l’être est
d’être toujours au-delà de soi-même et, sur le mode du « pas
encore », toujours inachevé, l’atteinte d’un moment où ne subsiste
nul possible. En ce sens, l’anticipation de cette « possibilité
indépassable » qu’est la mort contraint l’existant à « assumer l’être
qui lui est absolument propre » (en clair : le contraint à l’authenticité).
Par opposition, les autres possibilités, si diverses, qui
s’entrechoquent, pêle-mêle, en amont de la mort peuvent être
« soumises à un choix et à une compréhension authentiques ». En
d’autres termes : la réalité humaine est à la fois rejetée, à partir de
l’anticipation de la mort, vers la possibilité qui lui est propre (et qui
définit son authenticité), à savoir le choix des possibles, et
convoquée à opérer ce choix en optant pour celles des possibilités
qui, en deçà de la dernière et ultime (la mort), lui offrent la possibilité
effective d’exister en tant qu’être-hors-de-soi, comme un être des
possibles, et non comme une chose. Ce pourquoi Heidegger pouvait
conclure que c’est dans l’expérience de la « liberté pour la mort »
que se trouve le plus sûrement ouverte au Dasein la voie d’une
« authenticité possible », à condition que, « d’elle-même, elle exige
cette authenticité » en sachant ne pas se dérober devant ce que lui
révèle l’anticipation de la mort. La mort, écrit ainsi Emmanuel
Levinas en dégageant la portée de la pensée heideggerienne de
l’être-pour-la-mort, « est une possibilité que le Dasein doit prendre
lui-même en charge et qui est incessible » (Dieu, la mort et le temps,
Paris, Grasset, 1993, p. 54).
Au terme de son propre développement sur la mort, Sartre
récuse en revanche que ce soit le face-à-face avec la mort qui me
révèle ma finitude, et rejette donc aussi cette perspective selon
laquelle la mort « serait ma fin propre qui m’annoncerait mon être »
(L’Être et le Néant, p. 605). Rien d’étonnant, dans ces conditions, si
ce n’est pas par l’intermédiaire de cette thématique de la « liberté-
pour-mourir » que Sartre intègre dans sa réflexion la problématique
de l’authenticité. Cette problématique est très présente notamment
dans les romans de Sartre, à commencer par La Nausée (1938) et
par ses pages célèbres sur l’existence inauthentique de ceux que
l’auteur appelle les « salauds », qui ont laissé leur liberté s’engluer
entièrement dans la facticité de la « situation » : philosophiquement,
elle trouve à s’enraciner, non pas tant, comme chez Heidegger, dans
la réflexion sur la mort que dans la façon globale dont Sartre s’est
représenté l’analytique de la réalité humaine que développait Être et
Temps.
Lecteur de Heidegger, Sartre s’est en fait forgé une conviction
sur la portée de ce qu’il lisait : celle qu’il était possible d’en tirer une
« philosophie de l’existence » ouvrant sur une éthique (précisément :
une éthique de l’authenticité) — perspective dans laquelle
Heidegger, dont la démarche visait un tout autre objectif, ne s’est
pas reconnu. Précisons cette différence d’appréciation, car elle
engage, au-delà d’un désaccord entre deux philosophes, un choix
entre deux philosophies possibles, dont ce qui les distingue vient
pourtant s’ancrer dans un certain nombre d’options dont nous avons
vu à quel point elles pouvaient être communes.
En fait, dans l’insistance de Heidegger sur la temporalité
spécifique de l’existant humain, Sartre a cru repérer la désignation
d’une essence ou, si l’on préfère, d’un propre de l’homme :
l’authenticité lui est apparue exprimer cette relation de la « réalité
humaine » à ce « propre », à ce « proprement humain », tel que
l’explicite la formule d’Être et Temps selon laquelle le Dasein seul,
proprement, « existe ». Prêtons attention à cette formule, puisque
c’est dans sa lecture que s’enracine l’écart entre deux philosophies
possibles : « L’essence du Dasein réside dans son existence »,
écrivait Heidegger (§ 9), au sens où, nous l’avons vu, son être
consiste à être en dehors ou en avant de lui-même, comme souci,
l’inauthenticité correspondant à l’oubli de cette essence. Découvrant
dans les années 1930, progressivement, cet ouvrage complexe et
alors pratiquement inconnu en France, Sartre s’est convaincu d’y
trouver, à travers cette référence à une essence de l’homme, le
principe de ce qu’il présentera quelques années plus tard, à l’époque
de L’existentialisme est un humanisme (1945), dans les termes d’un
nouvel humanisme. À l’automne 1946, dans sa propre Lettre sur
l’humanisme, Heidegger ironisera sur l’incompréhension dont
témoignerait à cet égard la lecture sartrienne de l’analytique du
Dasein : essayons de cerner la teneur du désaccord ainsi proclamé.
Heidegger prend ses distances avec l’humanisme existentialiste
en soulignant combien, ponctuellement et littéralement, sa fameuse
phrase de 1927 : « L’essence du Dasein réside dans son
existence », n’a rien de commun avec l’assertion que Sartre a cru
pouvoir en dégager. Dans L’Être et le Néant (p. 21), Sartre évoque
en effet la page d’Être et Temps où intervenait cette phrase pour en
déduire ce commentaire :
« Cela signifie que la conscience n’est pas produite comme
exemplaire singulier d’une possibilité abstraite, mais qu’en
surgissant au sein de l’être elle crée et soutient son essence, c’est-
à-dire l’agencement synthétique de ses possibilités. Cela veut dire
aussi que le type d’être de la conscience est à l’inverse de celui que
nous révèle la preuve ontologique : comme la conscience n’est pas
possible avant d’être, mais que son être est la source et la condition
de toute possibilité, c’est son existence qui implique son essence. »
Retournement de l’argument ontologique dont on ne peut que
saluer le brillant. Bien loin que, comme dans la preuve de l’existence
de Dieu, l’essence implique l’existence, c’est, quand il s’agit de notre
subjectivité, l’existence qui seule fait surgir l’essence : l’homme
surgit dans le monde comme une liberté qui doit, dès lors qu’elle
existe, se choisir comme liberté pour être authentiquement ce qu’elle
est. Thèse reformulée plus catégoriquement dans la conférence qui
servit d’emblème à l’existentialisme : « L’existence précède
l’essence. » Or, paradoxalement puisque Sartre pensait ainsi,
simplement, réécrire à sa façon ce qu’il avait cru lire dans Être et
Temps, c’est précisément dans cette thèse que Heidegger n’a pas
reconnu sa propre réflexion sur les relations entre l’essence du
Dasein et son existence.
De fait, la lecture de Sartre avait dû être quelque peu rapide. La
page concernée d’Être et Temps précisait en effet que l’indication
sur la relation entre essence et existence du Dasein ne pouvait être
comprise qu’en arrachant l’existence à sa signification traditionnelle
(où elle désignait, nous l’avons vu, le fait d’être) et en réservant le
terme au mode d’être spécifique de la réalité humaine. En clair : il
fallait entendre « existence », quand Heidegger en fait l’essence du
Dasein, comme cette façon que l’homme a d’être constamment en
dehors de lui-même, littéralement : cette façon qu’il a d’« ek-sister »,
de se projeter hors de lui-même sur le mode du souci. La Lettre sur
l’humanisme ne laisse subsister aucune ambiguïté à cet égard :
« L’ek-sistence ne peut se dire que de l’essence de l’homme, c’est-
à-dire de la manière humaine d’être. » Rien à voir, par conséquent,
avec la façon dont « Sartre formule le principe de l’existentialisme :
l’existence précède l’essence » — principe qui « n’a pas le moindre
point commun avec la phrase d’Être et Temps ». Heidegger, pour
pousser en quelque sorte l’avantage, pouvait alors creuser encore
l’écart entre Être et Temps et L’Être et le Néant en soutenant que, du
premier ouvrage, on ne saurait en tout cas déduire nulle fondation
d’un quelconque humanisme, mais qu’au contraire il s’agissait, dans
sa propre tentative, bien plutôt d’un effort pour penser « contre
l’humanisme » : à considérer en effet « les plus hautes
déterminations humanistes de l’essence de l’homme », il n’est guère
contestable qu’elles aient consisté à exprimer cette essence en
termes de « subjectivité », ce que Sartre lui-même continue à faire,
là où il faudrait apprendre aujourd’hui, pour ouvrir à nouveau la
question du sens de l’être, à concevoir l’homme non pas comme
« sujet », mais comme « souci ».
On trouvera dans une autre leçon de quoi préciser en quoi
consistait, pour Heidegger, ce déplacement imprimé par lui à
l’essence de l’homme par le choix de ne plus penser l’homme
comme sujet (voir : t. 1, « Introduction », II, 3). Il suffira ici de faire
ressortir ce qui rattache la réinterprétation de l’essence de l’homme
en termes d’« ek-sistence » et l’objectif de surmonter l’« oubli de
l’être ». D’un tel oubli, nous avons vu à la fois comment Heidegger
en perçoit une forme particulièrement radicale dans l’affirmation
moderne du sujet et pourquoi il retentit à ses yeux sur toutes les
modalités de notre être-au-monde. Or apercevoir que la « manière
humaine d’être » est l’« ek-sistence », l’être-en-dehors-de-soi-même,
c’était situer ce qu’il y a de plus humain en l’homme non plus dans le
rapport à soi, mais dans cette ouverture à un monde où le Dasein se
trouve jeté : c’est dans ce monde auquel il s’ouvre qu’il a à
déterminer quelles possibilités d’être il fait siennes, mais ce monde
auquel il est jeté, il ne le constitue pas, il n’en est pas le fondement
(le « sujet » au sens du sub-jectum) (voir : t. 1, « Introduction », II,
1), mais bien plutôt celui auquel ce monde est donné. Par opposition
à quoi, au contraire, tout l’humanisme sartrien se trouve rabattu par
Heidegger sur la métaphysique de la subjectivité, comme on le voit,
entre autres exemples, dans cette allusion à la compréhension
sartrienne du « projet » : « Comprendre le projet dont il est question
dans Être et Temps comme l’acte de poser dans une représentation,
c’est le considérer comme une réalisation de la subjectivité », et non
pas comme une relation au donné que l’homme ne constitue pas,
n’instaure pas, mais dans laquelle il se trouve, pour ainsi dire,
revendiqué par le donné lui-même (Lettre sur l’humanisme, p. 67-
69).
Assurément, les deux conceptions de l’authenticité qui avaient
émergé, chez Heidegger et chez Sartre, de leurs réflexions sur le
rapport entre l’essence de l’homme et l’existence engageaient des
représentations fort différentes de l’humanité même de l’homme :
l’une, chez Sartre, non seulement relevait encore, mais revendiquait
expressément son appartenance aux philosophies du sujet ; l’autre,
chez Heidegger, revendiquait tout aussi expressément sa décision
de penser « contre la subjectivation ». Fallait-il pour autant conclure,
comme le fit Heidegger, à la résorption pure et simple des
« philosophies de l’existence », à commencer par celle de Sartre,
dans l’humanisme le plus traditionnel et dans la métaphysique de la
conscience dont cet humanisme lui semble intrinsèquement
solidaire ? À chacun d’apprécier ultimement ce débat et de
construire son propre diagnostic. Du moins la radicalité même de
l’affrontement permet-elle d’apercevoir l’importance de ce qu’engage
ultimement la question de l’existence : une représentation de
l’homme même, et des valeurs qui expriment le mieux son humanité.
Glossaire
A priori/a posteriori
Abstraction
Acosmisme
Affection
Aliénation
Amor fati
Anthropologie
Apodictique
Argument d’autorité
Argument
Ataraxie
Absence de troubles, tranquillité de l’âme : l’état qui caractérise
le bonheur, but ultime des morales eudémonistes antiques.
Autarcie
Autonomie/hétéronomie
Axiome
Bioéthique
Biologie
Biologisme
Biotechnologies
Capitalisme
Catégories
Causalité efficiente
Causalité finale
Selon la définition d’Aristote, la cause — ou causalité — finale
correspond au but visé : fabriquer une statue est la cause finale de
la statue, c’est le but visé par le sculpteur. La science moderne se
caractérise par l’éviction des causes finales.
Causalité
Cause
Citoyen
Citoyenneté
Classicisme
Cognitivisme
Colonisation
e
Processus de domination et d’exploitation par lequel, du XVI au
e
XX siècle, des États européens, en se réclamant souvent des droits
de l’homme et de l’esprit des Lumières, ont implanté sur les autres
continents une partie de leur population qui, sous couvert d’apporter
les valeurs de la modernité, a réduit en servitude ou vassalisé la
population des territoires conquis. À partir de 1945, le processus de
décolonisation a été l’occasion, pour l’Occident, de se demander
comment l’humanisme moderne avait pu ainsi être solidaire d’une
entreprise aussi contraire à ses principes.
Communautarisme
Communisme
Complexe d’Œdipe
Conséquentialisme
Contingent
Contractualisme
Contrat social
Contrôle social
Conventionnalisme
Cosmos
Criticisme
Cubisme
Cynique
Décisionnisme
Démocratie
Destin
Déterminisme
Dialectique
Discrimination positive
Dogmatisme
Droit naturel
Dualisme
Empirisme
Entendement
Épistémologie
Épochè
Terme grec signifiant chez les philosophes sceptiques de
e
l’Antiquité la suspension du jugement, et repris au XX siècle par
Husserl pour désigner dans sa philosophie la mise entre
parenthèses de la thèse du monde objectif, c’est-à-dire de toutes
nos croyances spontanées et de tous nos jugements scientifiques à
l’égard du monde.
Ésotérisme
État-providence
État totalitaire
Éthique de la discussion
Éthique téléologique
Éthique définie par la visée d’un Bien final (telos veut dire en
grec : le but, la fin) posé et considéré comme définissable
susbtantiellement (le bonheur, par exemple) et suprêmement
désirable. Une éthique téléologique s’oppose à une éthique
déontologique, cette dernière renvoyant à la conformité à des règles,
et non à la visée d’un Bien.
Éthique
Eudémonisme
Évidence
Vérité qui s’impose par elle-même, sans que l’esprit ait recours à
une démonstration.
Exégèse
Existence
Existentialisme
Faillibilisme
Falsifiabilité/infalsifiabilité ; falsification
(synon. : réfutation)
Finalité
Caractère de tout ce qui possède une fin (au sens de but ultime),
ou principe au nom duquel on explique l’ensemble des phénomènes
dont on pense qu’ils ont une fin, comme les phénomènes naturels
selon Aristote. Une dimension de finalité est souvent attribuée en
effet à la nature, ou au vivant : on appelle finalisme la doctrine qui
aborde systématiquement la nature ou une partie de celle-ci en y
inscrivant de telles dimensions de finalité. Mais une action peut avoir
elle aussi une finalité intentionnelle : c’est alors le but ultime que l’on
poursuit de façon consciente. En revanche, une théorie de l’histoire
envisageant celle-ci comme un développement finalisé semble
impliquer que cette finalité soit intentionnelle (l’intention divine
donnant une direction à l’histoire ou l’intention de l’histoire elle-
même, par exemple) sans être forcément consciente chez les
acteurs apparents de l’histoire que sont les hommes. Certains
philosophes, comme Spinoza, ont dénoncé le principe même de la
finalité comme étant une illusion.
Finitude
Formalisme
Gène
Généalogie
Génétique
Branche de la biologie consacrée à la science de l’hérédité,
devenue génétique moléculaire depuis que l’on a démontré en 1944
que l’ADN est le constituant moléculaire des gènes, marquée par la
découverte capitale de la structure de la molécule d’ADN en 1953,
puis par le décryptage complet du génome humain en 2003, et
e
s’orientant de plus en plus au début du XX siècle vers l’étude des
protéines produites par les gènes et de leur interaction avec tous les
composants intracellulaires : la protéomique.
Génome
Génome humain
Gouvernement représentatif
Exercice de l’autorité politique de façon indirecte par la
souvenaineté populaire. La démocratie représentative a un
gouverment représentatif : celui-ci exerce la souvenaineté dont le
peuple est titulaire.
Hédonisme
Hérédité
Hétéronomie
Humanisme
Idéalisme
e
Mot qui apparut au XVII siècle dans le contexte d’une opposition
au matérialisme et qui connut ensuite un grand nombre
d’acceptions. La thématique générale de l’idéalisme sous toutes ses
formes est la priorité accordée aux idées sur la matière. L’idéalisme
s’oppose donc au matérialisme ou au réalisme.
Idéalisme absolu
Idée
Idéologie
Immanence
Immatérialisme
Impératif catégorique
Inconscient social
Individualité/individu
Individuation/principe d’individuation
Inférence
Infrastructure
Intellectualisme
Intentionnalité
Intersubjectivité
Constitution réciproque des consciences comme sujets.
Intuition
Jugement analytique
Jusnaturalisme
Libéralisme
Libéralisme économique
Doctrine économique qui considère que le marché doit être un
libre espace de concurrence dans lequel les autorités politiques ne
doivent pas, ou peu, intervenir.
Libéralisme politique
Voir : Libéralisme.
Libertarianisme
Libertés politiques
Libre arbitre
Loi de la causalité
Rapport d’une cause et d’un effet, et principe de ce rapport selon
lequel « tout événement a une cause » qui fonde l’idée du
e
déterminisme. Une controverse a eu lieu au XVIII siècle autour de la
question de savoir si ce principe est inscrit dans la nature des
choses ou bien dans l’esprit qui les pense. Hume soutenait que la
causalité n’était qu’une habitude de l’esprit issue de l’observation de
la relation répétée entre deux phénomènes. Kant refusera cette
explication par l’habitude associative et soutiendra que la causalité
est un concept pur (voir : Catégories) qui organise de façon a priori
(voir : A priori/a posteriori) l’expérience.
Marché
Marxisme
Matérialisme
Mécanisme
Mécaniste
Métaphysique
Métaphysique de la subjectivité
Métempsycose
Modernité
Monade
Du grec monas, unité. Dans la philosophie de Leibniz, la monade
est une « substance simple, sans parties, qui entre dans les
composés ». Atome non matériel de la composition des choses, la
monade leibnizienne contient l’univers tout entier qu’elle exprime de
façon singulière.
Monisme
e
Terme inventé par Christian Wolff au XVIII siècle. Doctrine
philosophique qui renvoie toute la réalité à une seule substance qui
en est le principe d’explication. On rencontre trois grandes variétés
de monisme ; le monisme idéaliste (tout est esprit), le monisme
matérialiste (tout est matière) et une forme plus récente de monisme
« neutre » (James, Mach, Russell) qui pose que monde psychique et
monde physique ne sont pas des substances mais renvoient à une
même substance sur laquelle un discours scientifique n’a pas à se
prononcer, mais qui rend possible l’unité du savoir.
Multiculturalisme
Naturalisme/naturaliste
Doctrine pour laquelle il n’existe rien en dehors de la nature, ou
bien qui prend la nature pour fondement des normes et de
l’explication des phénomènes. Un naturalisme moral consiste par
exemple à soutenir que la vie morale n’est que le prolongement de
la vie biologique.
Nature
Nature humaine
Néolibéralisme
Nihilisme
Nominalisme
Noumène
Terme utilisé par Kant pour désigner ce que l’on peut penser et
non connaître. À distinguer chez Kant de la « chose en soi », qui
signifie la chose telle qu’elle serait indépendamment du regard qu’on
porte sur elle, autrement dit ce qui désigne la limite de la
représentation. Le noumène, que Kant oppose au phénomène
(lequel correspond à ce qui est connaissable et connu), est posé en
relation avec la raison : ce sont les objets de celle-ci, qui sont des
« idées » et ne renvoient à aucune expérience simplement possible.
Les idées de la raison (l’âme, le monde, Dieu) ont une réalité
nouménale, et non phénoménale.
Occasionnalisme
e
Doctrine des causes occasionnelles défendue au XVII siècle par
Malebranche : Dieu est la seule cause véritable et efficace de toutes
choses, les causes naturelles ne sont que des causes
« occasionnelles ». Cette doctrine s’applique notamment chez
l’homme à la relation de l’âme et du corps : si nous voulons par
l’âme bouger notre bras, cette cause est occasionnelle, alors que la
cause véritable est que Dieu a voulu que nous bougions notre bras
dans l’instant même où nous le voulons (cause efficace).
Onto-cosmologique
Ontologie/ontologique
Panthéisme
Doctrine soutenant que tout est en Dieu, ou que tout est Dieu :
en d’autres termes, Dieu est assimilé à la nature conçue comme la
totalité de ce qui est, et non à un principe transcendant, séparé de la
nature et supérieur à celle-ci.
Paradigme
Paradoxe
Parallélisme
Perfectibilité
Personne
Pétition de principe
Phénomène
Phénoménologie
Philosophie analytique
Philosophie de l’esprit
Philosophie pratique
Philosophie théorique
Physicalisme
Pluralisme
En politique, le terme désigne un système qui repose sur
plusieurs organes de direction. De façon plus générale, en théorie
sociale et politique, le pluralisme est lié au libéralisme politique : le
pluralisme des opinions, c’est-à-dire, plus profondément, des
définitions du bien que peuvent avoir tous les individus, ou les
individus libres de s’associer en communautés d’opinions, est
garanti comme une liberté fondamentale et fondatrice du mode de
fonctionnement démocratique.
Positivisme
e
Doctrine développée par Auguste Comte au XIX siècle et
soutenant que l’esprit positif, c’est-à-dire scientifique, doit
nécessairement supplanter les explications théologiques et
métaphysiques du monde (théorie des trois états de Comte :
théologique, métaphysique, positif). L’ambition de ruiner la
métaphysique sera reprise dans les années 1920-1930 par le Cercle
de Vienne, un groupe de philosophes et de scientifiques qui
développa un positivisme (ou empirisme) logique, ramenant la vérité
aux seules lois logiques et aux propositions vérifiables
expérimentalement. Par extension, le terme est passé dans le
langage courant pour désigner une confiance absolue accordée au
progrès scientifique pour expliquer les phénomènes.
Postmoderne
Terme qui tire son origine d’un débat qui opposa dans les années
1960 les architectes constructivistes et modernistes, héritiers du
Bauhaus (une école d’architecture et de design fondée par
l’Allemand Walter Gropius en 1919, désireuse d’établir un trait
d’union entre l’art et la vie matérielle des sociétés modernes) comme
Mies Van der Rohe ou Le Corbusier, et une nouvelle génération
représentée notamment par Charles Moore et Robert Venturi. Ces
derniers entendaient réagir à l’austère fonctionnalité de leurs aînés
et prônèrent un style plus ouvert aux éléments décoratifs. C’est un
critique d’architecture, Charles Jencks, qui utilisa sans doute pour la
première fois le terme « postmoderne » dans ce contexte, dans un
ouvrage publié en 1978 intitulé L’Architecture postmoderne. L’année
suivante, en 1979, le philosophe français Jean-François Lyotard
publie La Condition postmoderne, définissant celle-ci comme la
défiance à l’égard de tous les « grands récits », autrement dit tous
les grands systèmes philosophiques classiques ou idéologiques
tendant à donner une image cohérente et complète du réel.
Pragmatisme
Propriété
Caractère qui appartient à tous les êtres d’un genre, mais qui
peut également appartenir à des êtres d’un autre genre : la masse
est par exemple une propriété des êtres non vivants, mais aussi des
êtres vivants.
Providentialisme
Pseudo-science
Psychanalyse
Quiddité
Raison
Raison pratique
Rationalisme critique
e
Forme de rationalisme défendue au XX siècle par Popper ou
Albert qui consiste à dire que le vrai n’est pas ce qui est vérifié, mais
ce qui résiste à des tests de falsifiabilité (voir : Faillibilisme et
Falsifiable).
Rationalisme dogmatique
Dans la tradition issue de Kant, on appelle dogmatique un
rationalisme qui n’a pas soumis la raison à l’interrogation critique sur
la légitimité de ses prétentions à produire par elle-même des vérités.
Rationalité
Réalisme
Référent
Relativisme
Religions séculières
Représentation
Romantisme politique
Sagesse
Scepticisme
Sciences cognitives
Sciences de la nature
Sciences humaines
Scientisme
Sémiologie, sémiotique
Sensualisme, sensualiste
Social-démocrate
Socialisme
Doctrine politique qui fait prévaloir le bien général sur les intérêts
particuliers et revendique la légitimité d’une intervention de l’État afin
de réguler le marché et de redistribuer les richesses.
Socialisme étatique
Socialisme scientifique
Société civile
Sociobiologie
Ensemble de théories développées depuis les années 1970,
notamment par Edward Osborne Wilson, qui tentent de fournir une
explication des comportements et des règles sociales directement
en termes de sélection naturelle et génétique.
Solipsisme
Souverainisme
Spéculation
Stalinisme
Stimulus
Stoïcisme
Structuralisme
Subjectivisme
Subjectivité
Système
Taylorisme
Technosciences
Téléologique
Tournant linguistique
Tragique
Transcendance/transcendant
Transcendantal
Universalisme
Caractère intentionnellement universel accordé à une thèse : on
parle ainsi de l’universalisme des droits de l’homme. Plus
généralement, l’universalisme s’oppose au différentialisme, à la
perspective selon laquelle les êtres humains, ainsi que leurs
connaissances et leurs valeurs, sont irréductiblement relativisés par
leurs appartenances à des contextes historiques ou culturels
déterminés.
Utilitarisme
Volontarisme
Volonté
ANAXAGORE (499-422)
Philosophe grec de l’époque présocratique. Nous disposons de
fragments de son écrit principal, De la nature.
ARISTOTE (384-322)
Philosophe grec. Principaux écrits : Organon, Physique,
Métaphysique, Histoire des animaux, Éthique à Nicomaque,
Politique.
e
CRATÈS DE THÈBES (milieu du V siècle)
Poète comique et acteur athénien.
DENNETT Daniel C.
Philosophe américain. Principaux écrits : La Stratégie de l’interprète
(1987), La Conscience expliquée (1991).
ÉPICTÈTE (50-125)
Philosophe stoïcien, esclave sous le règne de Néron. Il n’a laissé
aucun écrit, mais ses pensées ont été recueillies par l’un de ses
disciples : elles forment les deux ouvrages intitulés Entretiens et
Manuel.
KYMLICKA Will
Philosophe canadien. Écrits principaux : Les Théories de la justice,
une introduction (1990), La Citoyenneté multiculturelle (1995).
PARFIT Derek
Philosophe anglais. Œuvre principale : Reasons and Persons
(1984).
PASCAL Blaise (1623-1662)
Écrivain religieux et mathématicien français. Principaux écrits :
Expériences nouvelles touchant le vide (1647), Pensées (posth.),
Les Provinciales (1656-1657).
PLATON (427-347)
Philosophe grec. Principaux écrits : Hippias Majeur, Apologie de
Socrate, Protagoras, Gorgias, Phédon, Le Banquet, Phèdre,
Parménide, Théétète, Le Sophiste, Politique, Timée, Les Lois.
PLOTIN (205-270)
Philosophe de l’époque hellénistique. Auteur des Ennéades (publié
après sa mort, en 301).
POINCARÉ Henri (1854-1912)
Mathématicien français et théoricien des sciences. Principal écrit :
La Science et l’hypothèse (1902).
SÉNÈQUE (4-65)
Homme politique et écrivain romain. Principaux Écrits : De la
clémence, Des bienfaits, De la constance du sage, Sur la
tranquillité de l’âme, Lettres à Lucilius.
e e
SEXTUS EMPIRICUS (II -III siècle)
Médecin et philosophe grec. Œuvre principale : Hypotyposes ou
Esquisses pyrrhoniennes.
e
SHANKARA (VIII siècle après J.-C.)
Philosophe indien. Rénovateur de l’hindouisme. Principaux écrits :
Commentaire aux Brahmasutra, Commentaires à la Bhagavad-
Gita.
SMITH Adam (1723-1790)
Philosophe et économiste écossais. Principaux écrits : Théorie des
sentiments moraux (1759), Recherches sur la nature et les
causes de la richesse des nations (1776).
SOCRATE (469-399)
Philosophe grec. N’a rien écrit lui-même. Sa pensée a été rapportée
notamment par Platon dans ses Dialogues.
THUCYDIDE (460-395)
Historien grec. Œuvre principale : Histoire de la guerre du
Péloponnèse.
e e
ZÉNON DE CITIUM (IV -III siècle)
Philosophe grec né à Citium (Chypre) et mort à Athènes. Fondateur
du stoïcisme ancien.
Éditions Odile Jacob
Des idées qui font avancer les idées