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La Structuration Des Disciplines Scientifiques Universites Allemands PDF
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Stichweh Rudolf, Bodé-Pitz Martina. La structuration des disciplines dans les universités allemandes du XIXe siècle. In:
Histoire de l'éducation, n° 62, 1994. Les universités germaniques. XIXe - XXe siècles. pp. 55-73.
doi : 10.3406/hedu.1994.2733
http://www.persee.fr/doc/hedu_0221-6280_1994_num_62_1_2733
Résumé
Les universités allemandes ont connu une différenciation croissante des disciplines au cours du XIXe
siècle. Trois perspectives théoriques ont cherché à analyser ce phénomène : une perspective interne
d'histoire de chaque science, une perspective d'histoire de l'université, une mise en rapport de la
discipline avec l'environnement externe, source d'incitations internes. L'auteur montre que ces trois
approches ne s'excluent pas mais doivent être combinées. À travers un bilan critique des travaux
menés selon ces diverses orientations, R. Stichweh met en évidence comment ces différents facteurs
entrent en jeu pour l'affirmation de chaque discipline particulière : fonction sociale interne et fonction
sociale externe pour la philologie, nouvelle discipline dominante au XIXe siècle (former des savants et
sélectionner les enseignants du secondaire) ; liaison de plus en plus nette entre enseignement et
recherche pour les nouvelles disciplines expérimentales ; mise en place de communautés savantes à
l'échelle nationale et internationale pour les nouvelles sous-disciplines. Mais le ressort fondamental et
spécifique des universités allemandes est la réalisation progressive d'un espace de concurrence des
enseignants mobiles dans un système en croissance continu depuis la deuxième moitié du XIXe
siècle. Ceci incite donc les aspirants aux chaires à mettre en œuvre des stratégies de distinction et de
spécialisation donnant naissance à de nouveaux ensembles disciplinaires. L'innovation individuelle ou
locale peut ainsi se généraliser à l'échelle nationale de proche en proche par le jeu des transferts, des
imitations et des rattrapages entre universités régionales.
Abstract
During the nineteenth century, academic subjects within German universities became increasingly
differentiated Previous scholars have adopted three theoretical perspectives to consider this
phenomenon. The first considers the individual history of each discipline ; the second approaches the
subject from the perspective of the history of universities. And the last associates the history of the
discipline with the external environment, considering how the latter fosters internal change. The author
argues that these three approaches are not mutually exclusive when considering the phenomenon of
differentiation. Indeed, they must be juxtaposed. Through a critical analysis of earlier work, Stichweh
illustrates with specific examples how a variety of factors contributed to the evolution of each discipline.
In philology, the new main discipline of the nineteenth century (to train intellectuals and select
secondary schoolteachers), he considers how its social function developped both internally and
externally. For the new experimental sciences, the author emphasizes the increasingly tight link
between teaching and research. Finally, among the new sub-disciplines, he describes the
establishment of scholarly communities at the national and international level. But the principal explanation
for the diversification within German universities lies in the progressive creation of a competitive
professional space among mobile teachers within a system that grew constantly in the second half of the
nineteenth century. This growth inspired those who sought university positions to develop strategies of
distinction and specialization that in turn fostered the creation of new disciplines. Individual and local
innovations thus spread to the national level as regional universities sought to imitate, borrow and catch up
witch each other.
LA STRUCTURATIONDES DISCIPLINES
dans les universités allemandes au XIXe siècle
(1) Pour ces différenciations, cf. Katharine W. McCain : « The Paper Trails of
Scholarship : Mapping the Literature of Genetics », Library Quarterly, 1986, 56, pp.
258-271. La macro-économie est utilisée chez elle comme exemple d'une évolution
disciplinaire linéaire.
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(1) Cf. Niklas Luhmann : The Dijfentiation of Society, New York, 1982 et pour
l'analyse historique, id. : Gesellschaftsstruktur und Semantik. Studien zur Wissensso-
ziologie der modernen Gesellschaft, Francfort/Main, tome 1, 1980 ; tome 2, 1981 ;
tome 3, 1989.
(2) Je choisis volontairement des concepts apparemment vagues tels que
« parenté » et « analogie » car une définition plus précise reste encore à forger. Cf.
l'analyse exhaustive chez Rudolf Stichweh : Zur Enstehung des modernen Systems
wissenschaftlicher Disziplinen - Physik in Deutschland, 1740-1890, Francfort/Main,
1984, Suhrkampf, id. : Études sur la genèse du système scientifique moderne, Lille,
Presses universitaires de Lille, 1991.
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(1) Cf. Talcott Parsons : « Kinship and the Associational Aspect of Social
Structure », in F.L.K. Hsu (éd.) : Kinship and Culture, Chicago, 1971, pp. 409-438.
(2) Ceci a été remarquablement mis en évidence par Gert Schubring : « Spezial-
schulmodell versus Universitàtsmodell - die Institutionalisierung von Forschung », in
Gert Schubring (éd.) : 'Einsamkeit und Freiheit' neu besichtigt. Universitdtsreformen
und Disziplinenbildung in Preufien als Modell fur Wissenschaftspolitik im Europa des
19. Jahrhunderts, Stuttgart, F. Steiner Verlag, 1991, p. 311, qui démontre qu'il s'agit là
des conditions nécessaires à la naissance de structures de type économique dans le
système scientifique.
(3) Uwe Meves : « Die Institutionalisierung der Germanistik als akademische
Disziplin an den preuBischen Universitàten », in Gert Schubring (éd.) : op. cit., pp. 111
et 113.
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deux concepts du domaine public : d'une part, chez von der Hagen,
une reconnaissance traditionnelle qui englobe toute action voulue par
l'État et pour l'État, d'autre part, chez Schleiermacher, un concept
nouveau de l'« opinion publique » par lequel il identifie celle-ci à une
impulsion active se formant au sein de la société et qui gagne une
objectivité que même l'État ne peut plus se permettre de nier (1).
Même si l'on admet que la création d'une chaire demeure une
décision des pouvoirs publics, que ces décisions de créations de chaires et
de leur attribution personnalisée déterminent précisément la politique
scientifique de l'État du XIXe siècle, on voit se dessiner ici un
processus par lequel ces décisions ratifient les résultats d'une évolution qui
s'est poursuivie hors de toute intervention de l'État.
m. L'ECOLE ET L'UNIVERSITE
(1) Pour l'importance des conditions matérielles voir William Coleman, Frederic
L. Holmes (éd.) : The Investigative Enterprise. Experimental Physiology in Nineteeth-
Century Medicine, Berkeley, Univ. of California Press, 1988 ; Kathryn M. Olesko
(éd.) : « Science in Germany. The Intersection of Institutional and intellectual Issues »,
Osiris, 1989, vol. 5. Dans le premier ouvrage, voir en particulier William Coleman :
« Prussian Pedagogy : Purkyne at Breslau, 1823-1839 », pp. 41-42 et 68 ; Arleen M.
Tuchman : « From the Lecture to the Laboratory : The Institutionalization of Scientific
Medicine at the University of Heidelberg », pp. 65-99 ; Timothy Lenoir : « Science for
the Clinic : Science Policy and the Formation of Carl Ludwig' s Institute in Leipzig »,
pp. 139-178.
(2) Cf. les exemples donnés par T. Lenoir : « Science for the clinic. . . », op. cit. , p.
142 ; A.M. Tuchmann : « From the Lecture to the Laboratory ... », op. cit., p. 90.
(3) Cf. Rudolf Stichweh : Der fruhmoderne Stoat und die europàische
Universitat. Zur Interaktion von Politik und Erziehungssystem im Prozefi ihrer
Ausdifferenzierung (16.-18. Jahrhundert), Francfort/Main, 1991, parties 4-5.
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(1) Voir comme ténors de cette thèse Peter Borscheid : Naturwissenschaft, Staat
und Industrie in Baden (1848-1914), Stuttgart, Klett, 1976 et T. Lenoir : Politik im
Tempel der Wissenschaft..., op. cit. Des études de cas se trouvent chez Coleman et
Holmes : The Investigative Enterprise..., op. cit., que l'on peut comparer avec Jeffrey
Alan Johnson : The Kaiser's Chemists. Science and Modernization in Imperial
Germany, Chapel Hill et Londres, The University of North Carolina Press, 1990. Une
excellente discussion historiographique se trouve chez Steven R. Turner : « German
Science, German Universities : Historiographical Perspectives from the 1980s », in
Gert Schubring (éd.) : 'Einsomkeit und Freiheit' neu besichtigt. Universitdtsreformen
und Disziplinenbildung in Preufien als ModellfUr Wissenschaftspolitik im Europa des
19. Jahrhunderts, op. cit., pp. 24-36 que l'on comparera avec Kathryn M. Olesko :
« The Humboldtian Reforms, Economic Factors, and Discipline Shaping : The Case of
the Kônigsberg Physics Seminar », ibid., pp. 92-109, notamment p. 95.
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(1) Un exemple intéressant est fourni par Lynn Nyhan : « The Disciplinary
Breakdown of German Morphology, 1870-1900 », Isis, 1987, 78, pp. 365-390, qui met
en rapport la décadence de la morphologie avec la quasi inexistence, en Prusse, de cette
discipline représentée partiellement par des anatomistes ou des zoologistes (l'anatomie
comparée et l'embryologie se rejoignent dans une perspective cognitive). Cette
décadence intervient à la fin du siècle au moment précis où l'influence de la Prusse dans le
système scientifique de l'Empire devient hégémonique. On ne trouve cependant pas,
chez Nyhart, d'explication du faible rôle de la morphologie en Prusse, ce qui la
différencie des autres Etats allemands.
(2) William Coleman, Frederic L. Holmes (éd.) : « Epilogue », in William
Coleman, Frederic L. Holmes : The Investigative Enterprise..., op. cit., p. 292.
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(1) P. Moraw : « Humboldt in Giessen ... », art. cit., voit comme modification
essentielle du XIXe siècle la transformation d'une pluralité d'universités apparentées
structurellement et s'observant réciproquement en un système universitaire interactif
étroitement relié.
(2) Un argument similaire est employé par David Cahan : « Review of A.J.
Johnson 'The Kaiser's Chemists' », Journal of Modem History, 1992, 64, p. 845,
contre la version de cette thèse de la modernisation chez Johnson : The Kaiser's
Chemists..., op. cit.
La structuration des disciplines 11
Rudolf STICHWEH
Max-Planck Institut, Francfort
Traduit de l'allemand par Martina BODÉ-PITZ
( 1 ) Il serait important de pouvoir établir une comparaison systématique des
effectifs afin de saisir le rôle des universités allemandes dans la mise en place de la
structuration disciplinaire. Alan D. Beyerchen : « Trends in the Twentieth-Century German
Research Enterprise », in Government-University-Industry Research Roundtable
(éd.) : The Academic Research Enterprise within the Industrialized Nations :
Comparative Perspectives, Washington, 1990, p. 79 remarque notamment que,
jusqu'en 1910, la différence de population entre l'Allemagne et les États-Unis est encore
restreinte (60 millions d'habitants contre 90). Or, le nombre des ingénieurs (diplômés)
s'établit, pour 1910, à 30 000 pour l'Allemagne contre 21 000 pour les États-Unis
(Otto Keck : « The National System for Technical Innovation in Germany », in Richard
R. Nelson (éd.) : National Innovation Systems. A Comparative Analysis, New York et
Oxford, 1993, p. 123).
(2) Cf. pour la logique de cette théorie de l'évolution Rudolf Stichweh : « La
Communication, l'évolution et la différenciation, trois notions théoriques dans
l'histoire des sciences », in Michel Espagne, Michael Werner (éd.) : Philologiques I.
Contribution à l'histoire des disciplines littéraires en France et en Allemagne au XIXe
siècle, Paris, Éd. de la MSH, 1990, pp. 189-209.