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la trust company consistait à faciliter l’évasion fiscale dizaines de millions d’euros des trusts familiaux. John
et le blanchiment à grande échelle, y compris en Dick dément formellement et estime que sa fille est
fabriquant de faux documents. une personne « indigne de confiance », qui propage
une version « fausse et révisionniste des événements ».
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documents montrent aussi à quel point les criminels en russes du géant des matières premières Glencore, et
col blanc peuvent exercer en toute impunité à Jersey, l’oligarque russe Alexander Zhukov, qui fut impliqué
où le pouvoir politique est entre les mains de financiers en Italie dans une affaire de trafic d’armes avant d’être
qui ont tout intérêt à ce que rien ne change (lire notre relaxé.
enquête ici). Certains clients étaient recrutés directement par John
Les autorités de l’île ont fermé les yeux sur les activités Dick dans son cercle amical ou professionnel. Dans un
de La Hougue pendant des années, puis ont refusé mémo de 2006, son bras droit Richard Wigley écrit que
d’ouvrir une enquête après que Tanya Dick-Stock leur Dick avait des « arrangements privés avec certains
a fourni l’intégralité des documents. Il faut dire que les clients de La Hougue », en vertu desquels il recevait
juges qui ont débouté la fille de John Dick ont travaillé « un pourcentage des sommes apportées », et parfois
par le passé pour La Hougue. même des commissions sur « les économies d’impôts »
La firme était gérée au quotidien par un directeur obtenues.
général britannique, Richard Wigley. Le credo de la
maison : la confidentialité absolue. « Confidentiel –
ne pas conserver », peut-on lire sur de nombreux
documents internes. « S’il vous plaît, passez ça à la
broyeuse », écrit Wigley sur un mémo.
Les salariés de La Hougue limitaient les échanges
téléphoniques et rencontraient les clients en face à
face, souvent dans des hôtels de luxe, pour ne pas
laisser de traces. Ils conseillaient aussi aux clients Selon un mémo rédigé en 2006 par son bras droit, John W. Dick touchait des commissions
d’utiliser des adresses mails anonymes. sur les économies d'impôts réalisées par certains clients de La Hougue. © EIC
Wigley écrit à un client : « Nous apportons un soin Interrogé, John Dick n’a pas répondu sur ce dernier
particulier à assurer la confidentialité et nos clients point. Ses avocats reconnaissent qu’il a « orienté des
ont des numéros de compte dédiés. » Chaque client est clients vers La Hougue parce que l’entreprise gérait
désigné par un code à quatre chiffres, afin que son nom les trusts de la famille Dick », mais ajoutent qu’il
n’apparaisse pas dans les archives. ignorait tout des opérations effectuées par les clients
avec l’aide de la firme, sauf lorsque certains d’entre
«Un labyrinthe de trusts et de sociétés» eux « discutaient de leurs affaires » avec lui.
Mediapart et l’EIC ont obtenu la liste secrète des
Né en 1938 au Canada dans une famille d’origine
clients, avec les identités qui correspondent aux
russe, John Dick étudie aux États-Unis et s’installe à
numéros. La Hougue en avait près de 300, dont aucun
Denver, Colorado, d’abord en tant qu’avocat. C’est en
Français. La plupart sont américains, canadiens et
se lançant dans l’immobilier, dans les années 1970,
britanniques, en majorité des hommes d’affaires et
qu’il découvre les charmes de Jersey.
des chefs d’entreprise. On y trouve aussi un célèbre
détective privé britannique, un ancien trader londonien Pour leur première grosse affaire, Dick et ses trois
viré pour avoir tenté de manipuler le marché, ainsi associés achètent en secret, dissimulés derrière une
qu’un « roi du porno » américain condamné en 2006 société écran à Jersey, un projet immobilier à Denver.
pour fraude fiscale. Puis ils le revendent plus cher à la société officielle
qu’ils avaient créée avec des investisseurs. Lesquels
La Hougue abritait les comptes offshore de certains
ont porté plainte et découvert le pot aux roses. Dick et
protagonistes de scandales financiers retentissants des
ses trois amis ont été relaxés.
années 1970 et 1980. Parmi les clients figurent aussi
Igor Vishnevskiy, ancien responsable des activités
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C’est à la suite de cette affaire que John Dick sommes très préoccupés à l’idée que ce document
déménage à Jersey en 1980 et y rachète le manoir tombe entre de mauvaises mains », prévenait Wigley
Saint-John. Il a d’abord fondé La Hougue en en 2000 en l’adressant à un client américain.
1984 comme une trust company privée, chargée
d’administrer ses structures secrètes et celles de
certains de ses associés.
À partir de 1990, John Dick se sépare de sa seconde
épouse. La procédure de divorce, qui durera plus
longtemps que le mariage et contient plus de 5 000
pages de documents, est un véritable casse-tête pour
les juges. Ils ont conclu que Dick a caché son
patrimoine dans « un labyrinthe de trusts et de
sociétés » pour se protéger de ses créanciers.
À partir de 1991, La Hougue commence à travailler
pour des clients extérieurs, essentiellement par des Véritable manuel de fraude fiscale et de blanchiment, ce mémo
résume les onze principales techniques employées par La Hougue
connaissances et le bouche-à-oreille. La Hougue veut pour «permettre les mouvements d’actifs offshore». © EIC
rester discrète et de taille modeste, à la manière d’un
L’une des onze techniques consiste, pour les patrons, à
cercle d’initiés.
siphonner leur entreprise via des fausses factures pour
Pour gérer la boutique, John Dick a débauché Richard des prestations qui « apparaissent comme justifiées ».
Wigley, qui gérait auparavant ses structures au sein Nous avons retrouvé un exemple chez un sous-traitant
de la filiale dédiée aux trusts de la grande banque automobile nord-américain. L’entreprise a acheté des
britannique Barclays à Jersey. La Hougue a été créée services fictifs (vente, conseil) à une société offshore
« pour fournir le niveau le plus élevé possible de appartenant à ses propriétaires. Lesquels récupèrent
confidentialité et de sécurité », et « faire des choses l’argent net d’impôts à Jersey, tandis que l’entreprise
qui seraient inenvisageables pour Barclays Trust et peut déduire ces dépenses de l’impôt sur les sociétés.
les autres trust companies », indique Wigley dans un
Une autre méthode consiste à investir dans un projet
mémo.
immobilier bidon des sommes qui peuvent « atteindre
« Je déteste payer des impôts », indique-t-il dans un facilement jusqu’à 300 000 dollars ». La facture
autre document. À l’un des clients, il écrit qu’avec indique un transfert d’argent à la société immobilière,
La Hougue, les possibilités « d’économies d’impôts mais l’argent est en réalité acheminé via La Hougue et
importantes » sont « nombreuses et variées ». placé sur le compte secret du client.
Les onze principales techniques sont détaillées dans Si jamais le fisc s’interroge, La Hougue émet
un mémo interne, intitulé « Résumé des méthodes « des confirmations et des assurances appropriées »
disponibles pour permettre les mouvements d’actifs indiquant que le projet n’était pas rentable et
offshore ». Ce document, que John Dick affirme n’a généré ni revenu ni plus-value. Puisque les
n’avoir jamais vu à l’époque, est un véritable manuel transactions sont sous son « contrôle exclusif », La
de fraude fiscale et de blanchiment. « Bien sûr, nous Hougue assure qu’il est impossible pour les enquêteurs
de découvrir la vérité.
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D’autres techniques consistent à aider les clients à 1996. Il a toujours fait ça et antidaté des documents
acheter de vrais biens immobiliers en secret, ou à […]. S’il veut avancer une certaine position, il y aura
les revendre sans payer d’impôts. Pour les menues un document. Il y aura un ancien document. »
dépenses, La Hougue fournit aussi des cartes de crédit
intraçables reliées à des sociétés-écrans.
Mais comment transférer de l’argent vers Jersey sans
transporter de valises de cash ? La Hougue propose
de faire « régulièrement » des chèques de « montants
assez modestes » (« jusqu’à 10 000 dollars » tout de
même) à des entités variées, qui apparaîtront comme
des « petits cadeaux » ou des « dépenses de vacances »,
mais atterriront in fine« sur le compte du trust du
client ».
La Hougue gérait des dizaines de sociétés offshore,
immatriculées pour la plupart à Jersey et aux îles
Vierges britanniques, pour multiplier les transactions
et rendre le traçage des fonds impossible. Une autre «La vierge à l'enfant», toile du XVe siècle du peintre italien Sandro Botticelli. © D.R.
méthode consistait à accorder des prêts fictifs, ce qui Un exemple possible est le cas du marchand d’art
permet au client de masquer un transfert d’argent en israélien Ronald Fuhrer. Il était l’heureux propriétaire
remboursant un montant qu’il n’a jamais emprunté. de La Vierge et l’enfant, une toile du XVe siècle du
Cela nécessitait des « inscriptions bidons » (« dummy maître florentin Botticelli. En 2005, il était aussi en
entries ») dans les comptes, selon la terminologie instance de divorce, et en pleine négociation d’un
maison. accord de partage des biens avec sa future ex-épouse.
Certains de ces services nécessitent une dernière En mars 2005, Ronald Fuhrer reçoit une facture de La
technique, qui ne figure pas dans le manuel : la Hougue pour les « services spéciaux » prodigués au
fabrication de faux documents, par exemple des sujet de l’accord amiable de son divorce. Le directeur
certificats de prêt. de la firme, Richard Wigley, justifie le montant des
Dans une conversation enregistrée à son insu, un honoraires par « le volume significatif de travail lié à
salarié explique comment procédait le directeur de la création de la documentation, […] en particulier
La Hougue, Richard Wigley : « Il a de vieilles l’usage de papier et de machines spéciales, qui est
imprimantes, de vieilles machines à écrire, du vieux extrêmement chronophage ».
papier, de vieux stylos, pour mettre en place tout ce Lors de la négociation avec son épouse, le marchand
qu’il veut. S’il [a besoin] d’un document sur un accord d’art avait indiqué qu’il ne possédait plus le Botticelli :
de 1996 avec vous, ce sera imprimé avec une machine il l’a cédé pour rembourser une dette contractée
qui existait en 1996, un stylo de 1996, un papier de dans les années 1990 auprès d’une société nommée
Danehill Trading, qui a ensuite cédé la créance à
Kraken Investments, immatriculée aux îles Vierges
britanniques. Sauf que ce sont deux sociétés-écrans
administrées par La Hougue. Bref, il semble que
les documents de prêt soient faux. Et Kraken, qui
a finalement récupéré le tableau, a tout l’air d’être
contrôlée par Ronald Fuhrer.
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Par la suite, le marchand d’art, en tant qu’« assistant » Lorsqu’ils travaillaient ensemble, le gestionnaire de
de Kraken, a confié le tableau à une galerie afin de La Hougue envoyait régulièrement des rapports à John
le vendre. Mais la galerie a fait faillite et a prétendu Dick sur la marche des affaires. Parmi lesquels un
avoir le droit de le garder. Ronald Fuhrer a dû livrer mémo de juillet 2006 sur le futur déménagement de
une longue bataille pour le récupérer. Là encore, il ne La Hougue. À l’époque, la firme a peur que Jersey ne
se présentait pas comme le propriétaire mais comme le durcisse les règles antiblanchiment. L’année suivante,
« conseiller » de Kraken. Contacté par l’EIC, il s’est les salariés ont quitté le manoir Saint-John un samedi
refusé à tout commentaire. soir et ne sont jamais revenus. Ils ont gagné le Panama,
où la firme a poursuivi ses activités via une autre
structure, baptisée Pantrust, qui a récupéré les clients
de La Hougue.
La facture de La Hougue au marchand d'art Ronald Fuhrer au sujet Après 23 ans d'exercice à Jersey, La Hougue a déménagé à Panama City et a opéré
de la «documentation» fournie pour le tableau de Botticelli. © EIC via une nouvelle structure, baptisée Pantrust. © Wikimedia / Creative Commons
En 2015, Richard Wigley a été sanctionné pour faux Dans son mémo rédigé un an plus tôt, Wigley
témoignage par un tribunal du Colorado, après qu’il proposait à John Dick que ce dernier lui cède le
eut avoué avoir falsifié des documents de prêt, dans contrôle de la trust company lors du déménagement
l’affaire initiée par Tanya Dick-Stock, au sujet de au Panama, en échange du versement à vie de 10 %
l’argent évaporé des trusts familiaux gérés par La du chiffre d’affaires, plus des commissions négociées
Hougue, dont elle était la bénéficiaire avec son frère. avec les clients qu’il a apportés et qu’il apporterait
dans le futur.
Les avocats de Richard Wigley nous ont indiqué
que leur client n’avait jamais reconnu une telle Cet arrangement a-t-il été mis en œuvre ? John Dick
falsification, ce qu’attestent pourtant plusieurs n’a pas répondu, mais il affirme qu’il n’a aucun intérêt
documents judiciaires. Ils ont refusé de répondre à nos dans la nouvelle trust company panaméenne Pantrust,
autres questions, au motif qu’elles seraient basées sur contrôlée par le seul Richard Wigley – l’intéressé
des informations « fausses ». confirme. Pantrust a toutefois continué à gérer des
structures et actifs appartenant à John Dick et à sa
Devant la justice américaine, le directeur de La
famille.
Hougue a admis qu’il était le directeur et le visage de la
compagnie, mais que le vrai patron et propriétaire était Pour préparer le business au Panama, Richard Wigley
John Dick, ce que confirment plusieurs documents avait contacté le célèbre cabinet d’avocats Mossack &
internes. « Je travaillais pour lui, j’étais son employé. Fonseca, à l’époque principale trust company locale,
[…] Et quand vous voulez garder votre travail, qui a dû cesser son activité en 2018 après que le
vous faites ce qu’on vous dit », a-t-il déclaré. Le leak de ses données internes eut provoqué le scandale
millionnaire canadien dément et affirme être une des Panama Papers. Mais en 2007, Wigley trouvait
« victime » de son ancien employé, qu’il juge seul le cabinet trop propre, estimant qu’« ils font tout
responsable de la fraude. selon le manuel ». Il s’est tourné vers un autre avocat
panaméen, « bien plus pragmatique ».
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