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présidé l’opérateur de satellites O3B. Il est également


proche du président rwandais Paul Kagame, qui l’a
Une fuite de documents inédits met à nu
nommé ambassadeur itinérant.
Jersey, l’île aux fraudeurs
PAR YANN PHILIPPIN ET NICKY HAGER
ARTICLE PUBLIÉ LE DIMANCHE 4 OCTOBRE 2020

La manoir Saint-John à Jersey, ancienne demeure de la famille Dick


et siège de la «trust company» La Hougue. © Franz Wild / TBIJ

Mais le manoir Saint-John cache un lourd secret.


Le manoir Saint-John à Jersey, ancienne demeure de la famille Dick et
siège de la "trust company" La Hougue. © Franz Wild / TBIJ John Dick était le propriétaire de La Hougue, une
Grâce à 350 000 documents confidentiels, Mediapart trust company spécialisée dans les services financiers,
et l’EIC révèlent les pratiques frauduleuses d'un dont les bureaux étaient situés dans le château.
fournisseur de services offshore à Jersey, une île anglo- Sa spécialité : la création de trusts, cet instrument
normande. Prêts bidons, trusts, faux documents : la financier qui a fait la fortune de Jersey, car il permet de
firme ne reculait devant rien pour aider ses clients à cacher l’identité des bénéficiaires de l’argent encore
dissimuler leur argent et à échapper au fisc. plus sûrement qu’avec une société offshore.
Niché dans la campagne verdoyante de Jersey, le Le voile est désormais levé. Mediapart et le réseau
manoir Saint-John, vendu l’an dernier pour 20 millions European Investigative Collaborations (EIC) ont
d’euros, semble sorti d’un conte de fées. Avec son parc eu accès aux archives de La Hougue, que nous
de 23 hectares, ses jardins japonais, sa piscine, son avons analysées en partenariat avec le Bureau of
lac, sa fauconnerie et sa chapelle, la bâtisse blanche Investigative Journalism, le Global Reporting Centre,
pluricentenaire est l’une des plus belles demeures le Toronto Star et Open Media. Ces documents, que
de l’île, célèbre paradis fiscal lié à la couronne nous avons baptisés «Jersey Offshore », contiennent
britannique, situé à seulement 25 kilomètres des côtes plus de 350 000 pages de mémos, contrats, courriels
normandes. et documents bancaires. Ils révèlent que l’activité de
Jusqu’à son départ en janvier dernier, le seigneur
de Saint-John fut, pendant près de 40 ans, un
multimillionnaire canadien nommé John W. Dick.
Inconnu du grand public, c’est pourtant une figure
du monde des affaires, qui a fait fortune dans
l’immobilier. Il est l’administrateur de LibertyMedia,
géant américain des télécoms et de la télévision, et a

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la trust company consistait à faciliter l’évasion fiscale dizaines de millions d’euros des trusts familiaux. John
et le blanchiment à grande échelle, y compris en Dick dément formellement et estime que sa fille est
fabriquant de faux documents. une personne « indigne de confiance », qui propage
une version « fausse et révisionniste des événements ».

Les boîtes contenant les archives de La Hougue, dans le


court de squash du manoir Saint-John à Jersey. © EIC

Le procès de John Dick, reporté pour cause de Covid,


doit se tenir l'année prochaine aux États-Unis. Ce sera
John W. Dick, multimillionnaire canadien de 82 ans, a
fondé et possédé la «trust company» La Hougue. © EIC l’épilogue de sept ans d’une bataille judiciaire qui a
Interrogé par l’EIC, John Dick a répondu, par déchiré la famille et l’équipe de La Hougue. Tout le
l’intermédiaire de ses avocats, qu’il n’a jamais rien monde a attaqué tout le monde, que ce soient les Dick
fait d’illicite et qu’il ignorait tout des « activités ou les anciens dirigeants de la trust company, qui se
frauduleuses » commises au sein de La Hougue. John rejettent la responsabilité. Ils ne sont d’accord que sur
Dick affirme que le seul responsable des irrégularités un point : il y a bien eu détournement de fonds.
est son ancien collaborateur Richard Wigley, qui Mais l’affaire ne se résume pas à une querelle familiale
assurait la gestion opérationnelle de la firme et a admis chez les ultra-riches. C’est pour cette raison que Tanya
devant un tribunal américain avoir réalisé des faux. Dick-Stock et son mari Darren Stock ont finalement
John Dick s’appuie sur cette confession pour jeter accepté de fournir l’intégralité des documents à l’EIC,
le discrédit sur l’ensemble des 350 000 pages de mais aussi de l’assumer publiquement.
documents obtenues par l’EIC. « Vous ne comprenez Le couple veut lancer l’alerte au sujet de Jersey,
pas ou vous avez choisi de ne pas comprendre ce que afin que l’île change sa réglementation et fasse la
vous avez lu », écrivent ses avocats. John Dick affirme transparence sur les trusts. « Ça a des conséquences
aussi que nous n’avons pas l’intégralité des archives dans le monde entier, parce que Jersey, c’est
de La Hougue et qu’il existe une « forte probabilité l’endroit où tous les criminels vont pour cacher leur
que les documents [n]ous aient été fournis de façon argent. Jersey ne fait rien et se pince le nez. Cela
sélective ». doit s’arrêter ! », indique Tanya Dick-Stock à l’EIC.
L’histoire de ces documents est un roman en soi (lire
notre article ici). La paperasse dormait dans quelque
300 boîtes, stockées dans un court de squash désaffecté
du manoir. Personne n’y avait touché depuis que La
Hougue a déménagé ses activités au Panama en 2007.
Les boîtes ont été découvertes par hasard en 2012 par
L'avocate américaine Tanya Dick-Stock, fille du fondateur
la fille de John Dick. Tanya Dick-Stock cherchait à de La Hougue John W. Dick. © Aviva Fried / RTS
l’époque à comprendre comment les trusts qui avaient
Le contenu des boîtes révèle en effet comme jamais
été créés par ses parents au bénéfice de leurs deux
auparavant l’ampleur des pratiques frauduleuses
enfants se sont retrouvés vidés de leurs actifs. Après
de certaines trust companies, et le cynisme avec
avoir analysé les documents secrets, elle a poursuivi
lequel elles facilitent les transactions opaques. Les
son père en justice, l’accusant d’avoir détourné des

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documents montrent aussi à quel point les criminels en russes du géant des matières premières Glencore, et
col blanc peuvent exercer en toute impunité à Jersey, l’oligarque russe Alexander Zhukov, qui fut impliqué
où le pouvoir politique est entre les mains de financiers en Italie dans une affaire de trafic d’armes avant d’être
qui ont tout intérêt à ce que rien ne change (lire notre relaxé.
enquête ici). Certains clients étaient recrutés directement par John
Les autorités de l’île ont fermé les yeux sur les activités Dick dans son cercle amical ou professionnel. Dans un
de La Hougue pendant des années, puis ont refusé mémo de 2006, son bras droit Richard Wigley écrit que
d’ouvrir une enquête après que Tanya Dick-Stock leur Dick avait des « arrangements privés avec certains
a fourni l’intégralité des documents. Il faut dire que les clients de La Hougue », en vertu desquels il recevait
juges qui ont débouté la fille de John Dick ont travaillé « un pourcentage des sommes apportées », et parfois
par le passé pour La Hougue. même des commissions sur « les économies d’impôts »
La firme était gérée au quotidien par un directeur obtenues.
général britannique, Richard Wigley. Le credo de la
maison : la confidentialité absolue. « Confidentiel –
ne pas conserver », peut-on lire sur de nombreux
documents internes. « S’il vous plaît, passez ça à la
broyeuse », écrit Wigley sur un mémo.
Les salariés de La Hougue limitaient les échanges
téléphoniques et rencontraient les clients en face à
face, souvent dans des hôtels de luxe, pour ne pas
laisser de traces. Ils conseillaient aussi aux clients Selon un mémo rédigé en 2006 par son bras droit, John W. Dick touchait des commissions
d’utiliser des adresses mails anonymes. sur les économies d'impôts réalisées par certains clients de La Hougue. © EIC

Wigley écrit à un client : « Nous apportons un soin Interrogé, John Dick n’a pas répondu sur ce dernier
particulier à assurer la confidentialité et nos clients point. Ses avocats reconnaissent qu’il a « orienté des
ont des numéros de compte dédiés. » Chaque client est clients vers La Hougue parce que l’entreprise gérait
désigné par un code à quatre chiffres, afin que son nom les trusts de la famille Dick », mais ajoutent qu’il
n’apparaisse pas dans les archives. ignorait tout des opérations effectuées par les clients
avec l’aide de la firme, sauf lorsque certains d’entre
«Un labyrinthe de trusts et de sociétés» eux « discutaient de leurs affaires » avec lui.
Mediapart et l’EIC ont obtenu la liste secrète des
Né en 1938 au Canada dans une famille d’origine
clients, avec les identités qui correspondent aux
russe, John Dick étudie aux États-Unis et s’installe à
numéros. La Hougue en avait près de 300, dont aucun
Denver, Colorado, d’abord en tant qu’avocat. C’est en
Français. La plupart sont américains, canadiens et
se lançant dans l’immobilier, dans les années 1970,
britanniques, en majorité des hommes d’affaires et
qu’il découvre les charmes de Jersey.
des chefs d’entreprise. On y trouve aussi un célèbre
détective privé britannique, un ancien trader londonien Pour leur première grosse affaire, Dick et ses trois
viré pour avoir tenté de manipuler le marché, ainsi associés achètent en secret, dissimulés derrière une
qu’un « roi du porno » américain condamné en 2006 société écran à Jersey, un projet immobilier à Denver.
pour fraude fiscale. Puis ils le revendent plus cher à la société officielle
qu’ils avaient créée avec des investisseurs. Lesquels
La Hougue abritait les comptes offshore de certains
ont porté plainte et découvert le pot aux roses. Dick et
protagonistes de scandales financiers retentissants des
ses trois amis ont été relaxés.
années 1970 et 1980. Parmi les clients figurent aussi
Igor Vishnevskiy, ancien responsable des activités

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C’est à la suite de cette affaire que John Dick sommes très préoccupés à l’idée que ce document
déménage à Jersey en 1980 et y rachète le manoir tombe entre de mauvaises mains », prévenait Wigley
Saint-John. Il a d’abord fondé La Hougue en en 2000 en l’adressant à un client américain.
1984 comme une trust company privée, chargée
d’administrer ses structures secrètes et celles de
certains de ses associés.
À partir de 1990, John Dick se sépare de sa seconde
épouse. La procédure de divorce, qui durera plus
longtemps que le mariage et contient plus de 5 000
pages de documents, est un véritable casse-tête pour
les juges. Ils ont conclu que Dick a caché son
patrimoine dans « un labyrinthe de trusts et de
sociétés » pour se protéger de ses créanciers.
À partir de 1991, La Hougue commence à travailler
pour des clients extérieurs, essentiellement par des Véritable manuel de fraude fiscale et de blanchiment, ce mémo
résume les onze principales techniques employées par La Hougue
connaissances et le bouche-à-oreille. La Hougue veut pour «permettre les mouvements d’actifs offshore». © EIC
rester discrète et de taille modeste, à la manière d’un
L’une des onze techniques consiste, pour les patrons, à
cercle d’initiés.
siphonner leur entreprise via des fausses factures pour
Pour gérer la boutique, John Dick a débauché Richard des prestations qui « apparaissent comme justifiées ».
Wigley, qui gérait auparavant ses structures au sein Nous avons retrouvé un exemple chez un sous-traitant
de la filiale dédiée aux trusts de la grande banque automobile nord-américain. L’entreprise a acheté des
britannique Barclays à Jersey. La Hougue a été créée services fictifs (vente, conseil) à une société offshore
« pour fournir le niveau le plus élevé possible de appartenant à ses propriétaires. Lesquels récupèrent
confidentialité et de sécurité », et « faire des choses l’argent net d’impôts à Jersey, tandis que l’entreprise
qui seraient inenvisageables pour Barclays Trust et peut déduire ces dépenses de l’impôt sur les sociétés.
les autres trust companies », indique Wigley dans un
Une autre méthode consiste à investir dans un projet
mémo.
immobilier bidon des sommes qui peuvent « atteindre
« Je déteste payer des impôts », indique-t-il dans un facilement jusqu’à 300 000 dollars ». La facture
autre document. À l’un des clients, il écrit qu’avec indique un transfert d’argent à la société immobilière,
La Hougue, les possibilités « d’économies d’impôts mais l’argent est en réalité acheminé via La Hougue et
importantes » sont « nombreuses et variées ». placé sur le compte secret du client.
Les onze principales techniques sont détaillées dans Si jamais le fisc s’interroge, La Hougue émet
un mémo interne, intitulé « Résumé des méthodes « des confirmations et des assurances appropriées »
disponibles pour permettre les mouvements d’actifs indiquant que le projet n’était pas rentable et
offshore ». Ce document, que John Dick affirme n’a généré ni revenu ni plus-value. Puisque les
n’avoir jamais vu à l’époque, est un véritable manuel transactions sont sous son « contrôle exclusif », La
de fraude fiscale et de blanchiment. « Bien sûr, nous Hougue assure qu’il est impossible pour les enquêteurs
de découvrir la vérité.

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D’autres techniques consistent à aider les clients à 1996. Il a toujours fait ça et antidaté des documents
acheter de vrais biens immobiliers en secret, ou à […]. S’il veut avancer une certaine position, il y aura
les revendre sans payer d’impôts. Pour les menues un document. Il y aura un ancien document. »
dépenses, La Hougue fournit aussi des cartes de crédit
intraçables reliées à des sociétés-écrans.
Mais comment transférer de l’argent vers Jersey sans
transporter de valises de cash ? La Hougue propose
de faire « régulièrement » des chèques de « montants
assez modestes » (« jusqu’à 10 000 dollars » tout de
même) à des entités variées, qui apparaîtront comme
des « petits cadeaux » ou des « dépenses de vacances »,
mais atterriront in fine« sur le compte du trust du
client ».
La Hougue gérait des dizaines de sociétés offshore,
immatriculées pour la plupart à Jersey et aux îles
Vierges britanniques, pour multiplier les transactions
et rendre le traçage des fonds impossible. Une autre «La vierge à l'enfant», toile du XVe siècle du peintre italien Sandro Botticelli. © D.R.
méthode consistait à accorder des prêts fictifs, ce qui Un exemple possible est le cas du marchand d’art
permet au client de masquer un transfert d’argent en israélien Ronald Fuhrer. Il était l’heureux propriétaire
remboursant un montant qu’il n’a jamais emprunté. de La Vierge et l’enfant, une toile du XVe siècle du
Cela nécessitait des « inscriptions bidons » (« dummy maître florentin Botticelli. En 2005, il était aussi en
entries ») dans les comptes, selon la terminologie instance de divorce, et en pleine négociation d’un
maison. accord de partage des biens avec sa future ex-épouse.
Certains de ces services nécessitent une dernière En mars 2005, Ronald Fuhrer reçoit une facture de La
technique, qui ne figure pas dans le manuel : la Hougue pour les « services spéciaux » prodigués au
fabrication de faux documents, par exemple des sujet de l’accord amiable de son divorce. Le directeur
certificats de prêt. de la firme, Richard Wigley, justifie le montant des
Dans une conversation enregistrée à son insu, un honoraires par « le volume significatif de travail lié à
salarié explique comment procédait le directeur de la création de la documentation, […] en particulier
La Hougue, Richard Wigley : « Il a de vieilles l’usage de papier et de machines spéciales, qui est
imprimantes, de vieilles machines à écrire, du vieux extrêmement chronophage ».
papier, de vieux stylos, pour mettre en place tout ce Lors de la négociation avec son épouse, le marchand
qu’il veut. S’il [a besoin] d’un document sur un accord d’art avait indiqué qu’il ne possédait plus le Botticelli :
de 1996 avec vous, ce sera imprimé avec une machine il l’a cédé pour rembourser une dette contractée
qui existait en 1996, un stylo de 1996, un papier de dans les années 1990 auprès d’une société nommée
Danehill Trading, qui a ensuite cédé la créance à
Kraken Investments, immatriculée aux îles Vierges
britanniques. Sauf que ce sont deux sociétés-écrans
administrées par La Hougue. Bref, il semble que
les documents de prêt soient faux. Et Kraken, qui
a finalement récupéré le tableau, a tout l’air d’être
contrôlée par Ronald Fuhrer.

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Par la suite, le marchand d’art, en tant qu’« assistant » Lorsqu’ils travaillaient ensemble, le gestionnaire de
de Kraken, a confié le tableau à une galerie afin de La Hougue envoyait régulièrement des rapports à John
le vendre. Mais la galerie a fait faillite et a prétendu Dick sur la marche des affaires. Parmi lesquels un
avoir le droit de le garder. Ronald Fuhrer a dû livrer mémo de juillet 2006 sur le futur déménagement de
une longue bataille pour le récupérer. Là encore, il ne La Hougue. À l’époque, la firme a peur que Jersey ne
se présentait pas comme le propriétaire mais comme le durcisse les règles antiblanchiment. L’année suivante,
« conseiller » de Kraken. Contacté par l’EIC, il s’est les salariés ont quitté le manoir Saint-John un samedi
refusé à tout commentaire. soir et ne sont jamais revenus. Ils ont gagné le Panama,
où la firme a poursuivi ses activités via une autre
structure, baptisée Pantrust, qui a récupéré les clients
de La Hougue.

La facture de La Hougue au marchand d'art Ronald Fuhrer au sujet Après 23 ans d'exercice à Jersey, La Hougue a déménagé à Panama City et a opéré
de la «documentation» fournie pour le tableau de Botticelli. © EIC via une nouvelle structure, baptisée Pantrust. © Wikimedia / Creative Commons

En 2015, Richard Wigley a été sanctionné pour faux Dans son mémo rédigé un an plus tôt, Wigley
témoignage par un tribunal du Colorado, après qu’il proposait à John Dick que ce dernier lui cède le
eut avoué avoir falsifié des documents de prêt, dans contrôle de la trust company lors du déménagement
l’affaire initiée par Tanya Dick-Stock, au sujet de au Panama, en échange du versement à vie de 10 %
l’argent évaporé des trusts familiaux gérés par La du chiffre d’affaires, plus des commissions négociées
Hougue, dont elle était la bénéficiaire avec son frère. avec les clients qu’il a apportés et qu’il apporterait
dans le futur.
Les avocats de Richard Wigley nous ont indiqué
que leur client n’avait jamais reconnu une telle Cet arrangement a-t-il été mis en œuvre ? John Dick
falsification, ce qu’attestent pourtant plusieurs n’a pas répondu, mais il affirme qu’il n’a aucun intérêt
documents judiciaires. Ils ont refusé de répondre à nos dans la nouvelle trust company panaméenne Pantrust,
autres questions, au motif qu’elles seraient basées sur contrôlée par le seul Richard Wigley – l’intéressé
des informations « fausses ». confirme. Pantrust a toutefois continué à gérer des
structures et actifs appartenant à John Dick et à sa
Devant la justice américaine, le directeur de La
famille.
Hougue a admis qu’il était le directeur et le visage de la
compagnie, mais que le vrai patron et propriétaire était Pour préparer le business au Panama, Richard Wigley
John Dick, ce que confirment plusieurs documents avait contacté le célèbre cabinet d’avocats Mossack &
internes. « Je travaillais pour lui, j’étais son employé. Fonseca, à l’époque principale trust company locale,
[…] Et quand vous voulez garder votre travail, qui a dû cesser son activité en 2018 après que le
vous faites ce qu’on vous dit », a-t-il déclaré. Le leak de ses données internes eut provoqué le scandale
millionnaire canadien dément et affirme être une des Panama Papers. Mais en 2007, Wigley trouvait
« victime » de son ancien employé, qu’il juge seul le cabinet trop propre, estimant qu’« ils font tout
responsable de la fraude. selon le manuel ». Il s’est tourné vers un autre avocat
panaméen, « bien plus pragmatique ».

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Le président de Pantrust était à l’époque ravi de son Boite noire


choix. Vu « les tactiques fiscales de plus en plus
agressives » de « la plupart » des gouvernements
européens et leur « volonté continue d’obtenir des
échanges d’informations » fiscales, « les efforts
pour relocaliser notre business au Panama afin de
Cette enquête est basée sur les documents Jersey
maintenir le plus haut niveau de confidentialité sont,
Offshore, obtenus par le réseau de médias European
à ce jour, justifiés », se félicite-t-il en 2008.
Investigative Collaborations (EIC), dont Mediapart
Mais en 2013, Pantrust est inspecté par l’autorité est l’un des membres fondateurs. Les données Jersey
de supervision bancaire du Panama. Le rapport, Offshore contiennent les scans de plus de 350 000
accablant, liste de nombreuses fraudes. Les pages de documents confidentiels issus des archives
inspecteurs ont trouvé des registres intitulés « entrées de la société de services financiers La Hougue,
bidons » et « comptes bidons », l’existence de faux basée à Jersey et fondée par le millionnaire canadien
prêts, et dénoncent le manque d’informations sur John W. Dick. Les données permettent de révéler
l’identité des titulaires de certains trusts. de façon inédite les méthodes d’évasion fiscale et
La firme a exercé son activité « de façon nuisible, de blanchiment d’argent utilisées, au profit de leurs
dangereuse pour l’intérêt public, ses clients, et pour clients, par les professionnels de l’offshore basés dans
la réputation du centre financier de cette juridiction », cette petite île anglo-normande, paradis fiscal au cœur
conclut le rapport. Pantrust a perdu sa licence en de l’Europe, situé à seulement 25 kilomètres des côtes
2015, fait rarissime dans ce paradis fiscal. L’expert en françaises.
montages offshore qui avait opéré en toute impunité à Ces documents ont été découverts par la fille du
Jersey, au cœur de l’Europe, était trop sulfureux pour fondateur de La Hougue, Tanya Dick-Stock, et par
le Panama. son mari, Darrin Stock. Ils ont transmis les données
On ignore si la firme est encore active aujourd’hui. au journaliste d’investigation néo-zélandais Nicky
Richard Wigley a affirmé en 2015 à la justice Hager, qui les a partagées avec l’EIC. Les médias
américaine que Pantrust a cessé toute activité au membres de l’EIC ont analysé les documents pendant
Panama. « J’ai trouvé des arrangements alternatifs plusieurs mois en partenariat avec Open Media, le
pour mes clients », a-t-il indiqué. Bureau of Investigative Journalism (TBIJ), une ONG
Du temps où La Hougue était à Jersey, Wigley avait journalistique basée à Londres, le quotidien canadien
monté des structures de secours aux îles Vierges Toronto Star et l’ONG journalistique canadienne
britanniques, paradis fiscal des Antilles encore plus Global Reporting Centre.
opaque, afin que le cabinet puisse y transférer L’EIC a envoyé une longue liste de questions au
immédiatement son activité en cas de problème avec fondateur et propriétaire de La Hougue, John W. Dick.
les autorités de Jersey. Il nous a adressé une réponse écrite par l’intermédiaire
Richard Wigley a confirmé à la justice américaine de ses avocats. Il dément avoir eu connaissance de la
que cette société aux îles Vierges, La Hougue Trustee moindre irrégularité au sein de la firme et estime que
Limited, existait toujours. Mais sans dire précisément son ancien collaborateur Richard Wigley est le seul
si elle avait repris l’activité de La Hougue/Pantrust : responsable. Ce dernier, qui était le directeur général
« Je ne compte pas à ce jour en créer une [une nouvelle de La Hougue, a refusé, par l’intermédiaire de ses
trust company], déclarait-il en 2015. Mais je pourrais avocats, de répondre à nos questions, au motif qu’elles
changer d’avis. » sont, selon lui, basées sur de fausses informations.

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Nous nous sommes entretenus longuement et à


plusieurs reprises avec Tanya Dick-Stock et son mari.
Ces entretiens ont été réalisés par Nicky Hager et
deux journalistes de la Radio Télévision Suisse (RTS),
Cécile Tran-Tien et Dimitri Zufferey.

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