Beruflich Dokumente
Kultur Dokumente
DEDICACE
p1
à Monsieur L.
vous voulez, monsieur, que je vous rende un compte
exact de la maniere dont j' ay passé mon temps à la
campagne chez madame la marquise de G.
Sçavez-vous bien que ce compte
p2
madame, répondis-je,
l' air qui environne la terre ne
s' étend que jusqu' à une certaine
hauteur, peut-estre jusqu' à vingt
lieües ; il nous suit, et tourne avec
nous. Vous avez veu quelque-fois
l' ouvrage d' un ver à soye, ou ces
coques, que ces petits animaux
travaillent avec tant d' art pour s' y
emprisonner. Elles sont d' une soye
fort serrée, mais elles sont couvertes
d' un certain duvet fort leger
et fort lâche. C' est ainsi que
la terre qui est assez solide, est
couverte depuis sa surface jusqu' à
vingt lieuës de hauteur tout au
plus, d' une espece de duvet, qui
est l' air, et toute la coque de ver
à soye tourne en mesme temps.
Au delà de l' air est la matiere celeste,
incomparablement plus pure,
p56
p60
p112
particularitez du monde de
la lune. Que les autres
planetes sont habitées aussi.
la marquise voulut m' engager
pendant le jour à poursuivre
nos entretiens, mais je luy
representay que nous ne devions
confier de telles réveries qu' à la
lune et aux étoiles, puis qu' aussi-bien
elles en estoient l' objet. Nous
ne manquasmes pas à aller le soir
dans le parc, qui devenoit un
lieu consacré à nos conversations
sçavantes.
p113
produire de vivant ?
Ma raison est assez bien convaincuë,
dit la marquise, mais
mon imagination est accablée de
la multitude infinie des habitans
de toutes ces planetes, et embarassée
de la diversité qu' il faut
établir entre eux ; car je voy bien
que la nature, selon qu' elle est
ennemie des repetitions, les aura
tous faits differens, mais comment
se representer cela ? Ce n' est
pas à l' imagination à pretendre le
representer, répondis-je, elle n' est
pas propre à aller plus loin que les
yeux. On peut seulement apercevoir
d' une certaine veuë universelle,
la diversité que la nature
doit avoir mise entre tous
ces mondes. Tous les visages sont
en general sur un mesme modele ;
p151
de la lune, et un habitant de la
terre, remarqueroit bien qu' ils
seroient de deux mondes plus voisins
qu' un habitant de la terre
et un habitant de Saturne. Icy,
par exemple, on a l' usage de la
voix ; ailleurs on ne parle que
par signes ; plus loin on ne parle
point du tout. Icy, le raisonnement
se forme entierement par
l' experience ; ailleurs l' experience
y ajoûte fort peu de chose ; plus
loin les vieillards n' en sçavent
pas plus que les enfans. Icy, on se
tourmente de l' avenir plus que
du passé ; ailleurs on se tourmente
du passé plus que de l' avenir ;
plus loin on ne se tourmente ny
de l' un ny de l' autre, et ceux-là
ne sont peut-estre pas les plus malheureux.
p153
p157
avoient un mouvement au
tour du soleil, et qu' elles nous
en cachoient necessairement quelque
partie, en tournant leur moitié
obscure vers nous. Déja les
sçavans faisoient leur cour de
ces pretenduës planetes à tous les
princes de l' Europe. Les uns leur
donnoient le nom d' un prince,
les autres d' un autre, et peut-estre
il y auroit eu querelle entre-eux
à qui seroit demeuré le maistre
des taches pour les nommer comme
il eust voulu.
Je ne trouve point cela bon,
interrompit la marquise. Vous me
disiez l' autre jour qu' on avoit
donné aux differentes parties de
la lune des noms de sçavans et
d' astronomes, et j' en estois fort
contente. Puis que les princes
p170
p211
que les etoiles fixes sont
autant de soleils, dont
chacun éclaire un monde.
la marquise sentit une vraye
impatience de sçavoir ce que
les etoiles fixes deviendroient.
Seront-elles habitées comme les
planetes, me dit-elle ? Ne le seront-elles
pas ? Enfin qu' en ferons-nous ?
Vous le devineriez peut-estre,
si vous en aviez bien envie,
répondis-je. Les etoiles fixes ne
sçauroient estre moins éloignées
p212